(Moniteur belge n°108, du 18 avril 1837)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Verdussen procède à l’appel nominal à une heure moins un quart.
M. Kervyn le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Verdussen présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« L’administration communale d’Evelette, district et province de Namur, demande que les élections pour la représentation se fassent dans les chefs-lieux de canton de justice de paix au lieu de se faire dans les chefs-lieux d’arrondissement. »
« Des électeurs et propriétaires fonciers du district de Verviers adressent des observations sur les dispositions de loi concernant les minières. »
« Les sieurs Verberckmans et Polak, fabricants de tulle, à Bruxelles, adhèrent à la pétition du sieur F. Washer, fabricant de tulle dans la même ville, par laquelle ils adressent des observations sur le projet de modifications au tarif des douanes en ce qui concerne les tulles.
- Les deux premières pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions, chargée d’en faire le rapport ; la troisième restera déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant les douanes.
M. Heptia, rapporteur. - Messieurs, la section centrale de budget de l’intérieur à laquelle vous avez renvoyé, comme commission spéciale, le projet de loi ayant pour objet de prolonger la législation existante relative aux péages à percevoir sur la route en fer, m’a chargé d’être son organe pour vous présenter le résultat de ses délibérations.
Un système de chemins de fer a été décrété par la loi du 1er mai 1834.
Mais l’exécution de ce système est loin d’être complètement achevée. Et l’on conçoit aisément qu’une telle entreprise exige, malgré tout le zèle et la célérité qu’on puisse y apporter, un temps plus long que celui écoulé depuis qu’il a été décrété.
Lorsqu’une section de route fut sur le point d’être livrée à la circulation, une loi du 12 avril 1835 autorisa le gouvernement à régler provisoirement les péages.
Il ne pouvait en être autrement. Car, pour que le pouvoir législatif puisse les régler d’une manière convenable, il doit être éclairé par l’expérience.
D’après l’art. 5 de la loi du 1er mai 1834, les produits de la route provenant des péages doivent être annuellement réglés par la loi.
La loi du 12 avril 1835, fidèle à ce principe, a fixé le terme des péages, réglés par arrêté royal, au 1er juillet 1836.
Une loi du 1er avril 1836 a prorogé le terme jusqu’au 1er juillet 1837.
Le projet de loi soumis à nos délibérations contient la demande de le proroger de nouveau jusqu’au 1er juillet 1838.
M. le ministre des travaux publics fait remarquer dans l’exposé des motifs qu’il ne possède pas encore des données suffisantes pour soumettre à la législature le règlement des péages sur la route en fer.
Toutefois il nous fait espérer qu’avant le 1er juillet 1838 la circulation sera ouverte depuis Gand jusqu’à Liége : « Peut-être, ajoute M. le ministre, faudra-t-il attendre l’achèvement des travaux sur une ligne encore plus développée, pour que l’expérience soit entière et qu’on puisse définitivement adopter le mode d’exploitation et arrêter les bases du tarif. »
La chambre pourra examiner, d’après les données qui lui seront fournies, quel sera le moment convenable pour s’occuper de cet objet. C’est un point que nous pensons ne devoir être préjugé en aucune manière. Mais, dans le moment actuel, nous reconnaissons que l’on ne peut pas encore régler législativement les péages, et qu’il convient de continuer d’abandonner cet objet aux soins du gouvernement pour le terme qu’il réclame.
Sans doute le gouvernement apportera un soin scrupuleux aux mesures de police et de conservation que les art. 2 et 3 de la loi du 12 avril 1835 l’autorisent à prendre à l’égard de la route en fer. Nous ne pouvons trop lui recommander une surveillance exacte pour la conservation d’une route dont l’exécution sera un titre de gloire pour la Belgique. Et si l’expérience faisait reconnaître l’utilité de nouvelles mesures législatives à cet égard, le gouvernement devrait recourir à l’autorité des chambres.
Mais, dans l’état actuel des choses, il ne peut s’agir que de proroger pour une année l’autorisation accordée au gouvernement de régler les péages sur le chemin de fer. Les circonstances nous paraissent exiger cette prolongation. En conséquence, la section centrale, formée en commission spéciale, a l’honneur de vous proposer l’adoption du projet de loi.
- L’impression du rapport au Moniteur est ordonnée. La chambre décide en outre que la discussion du projet aura lieu entre les deux votes de la loi sur les mines.
M. Donny a déposé deux propositions qui ont été renvoyées aux sections.
M. le président. - L’ordre du jour appelle en premier lieu la prise en considération de plusieurs demandes de naturalisation.
1° A. Cornelisse, capitaine de navire (naturalisation ordinaire).
Résultat du vote au scrutin :
Nombre des votants, 61
Boules blanches, 57.
Boules noires, 4.
En conséquence, la demande en naturalisation formée par le sieur Cornelisse est prise en considération. Il en sera donné avis au sénat.
2° H. Bunnemeyer, capitaine de navire (naturalisation ordinaire).
Résultat du vote au scrutin :
Nombre des votants, 65.
Boules blanches, 58.
Boules noires, 7.
En conséquence la demande en naturalisation faite par le sieur H. Bunnemeyer est prise en considération. Il en sera donné avis au sénat.
3° B. Vanderschuyt, capitaine de navire (naturalisation ordinaire).
Résultat du vote au scrutin.
Nombre des votants, 65.
Boules blanches, 60.
Boules noires, 5.
En conséquence la demande en naturalisation faite par le sieur B. Vanderschuyt est prise en considération. Il en sera donne avis au sénat.
M. le président. - Nous passons à l’objet de l’ordre du jour, qui est la discussion de la loi concernant les distilleries. A la fin de la dernière séance la chambre a fermé la discussion générale
M. Hye-Hoys. - Messieurs, vous avez décidé que vous entendriez les rapports de pétitions vendredi prochain ; comme parmi les pétitions dont je suis chargé, il s’en trouve qui sont relatives à l’ordre du jour, je demande à en présenter le rapport.
- La chambre, consultée, décide qu’elle entendra immédiatement le rapport de M. Hye-Hoys.
M. Hye-Hoys. - Messieurs, par deux pétitions de diverses communes du Limbourg, un grand nombre de distillateurs de cette province exposent que la loi du 18 juillet 1833 sur les distilleries n’exceptant pas les dimanches et fêtes maintenues pour les déclarations à faire, il en résulte que ceux qui veulent obéir aux préceptes de leur cultes doivent, en travaillant les jours de dimanche, léser leur conscience, ou, ne travaillant pas, perdre un septième jour, pour lequel ils sont tenus de payer les droits de fabrication.
Ils proposent, en conséquence, les deux dispositions suivantes :
1° Que tout distillateur n’entendant pas travailler les jours de dimanche devra en faire la mention dans sa déclaration à faire, d’après l’art. 13 de la constitution ;
2° Que ceux qui auraient déclaré conformément à l’article précédent, et se seraient trouvés en contravention, soit en macérant, bouillant, distillant, ou travaillant de toute autre manière à la fabrication, entre minuit du samedi au dimanche jusqu’à minuit du dimanche au lundi, seront punis d’une amende de … ou de toute autre manière que la chambre jugera convenir, pour établir l’équilibre dans le commerce entre les distillateurs.
Votre commission a considéré que le premier point de cette réclamation était de haute gravité. Suivant l’art. 15 de la constitution, nul ne peut être contraint d’observer les jours de repos ; mais votre commission n’a pas pu perdre de vue que la religion catholique est en Belgique celle du plus grand nombre : si la loi sur les distilleries est favorable, comme il le paraît, à ceux qui se livrent au travail les dimanches et fêtes, si par ce travail ils obtiennent une plus grande somme de produits que ceux qui ceux qui observent ces jours de repos, quoique les uns et les autres paient les mêmes droits, il en résulte que ces derniers ne pourraient soutenir la concurrence.
Votre commission, considérant qu’il s’agit d’apporter des modifications à la loi du 18 juillet 1833, propose le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion.
La seconde pétition présente des observations sur la matière.
- Le dépôt sur le bureau pendant la discussion est ordonné.
M. le président. - On a demandé et on a paru d’accord de commencer la discussion des articles par l’article 2 et de voter en dernier lieu l’article premier.
Cet article est ainsi conçu :
« Art. 2. Sont soumis à l’accise sur la fabrication des eaux-de-vie, tous les vaisseaux employés pour la trempe, la macération et la fermentation des matières premières propres à la distillation, y compris les cuves de réunion, les cuves à levain, les cuves de vitesse ou les condensateurs, et tous autres vaisseaux servant au dépôt des matières macérées, en fermentation ou fermentées.
« Sont exempts de l’accise les alambics et les colonnes distillatoires d’appareils à vapeur, servant soit à la distillation, soit à la rectification.
« « L’on entend par distillation la bouillée des matières premières ; par rectification, la bouillée des flegmes.
« Toutefois l’exemption en faveur des alambics et colonnes distillatoires servant à la distillation ne s’accorde que sous condition qu’il existe dans les vaisseaux déclarés à l’impôt un vide au moins égal à la capacité brute de chacun des alambics ou colonnes distillatoires contenant des matières à distiller.
« La condition du vide n’est pas exigée lorsque les matières contenues dans l’alambic ou la colonne distillatoire sont en ébullition.
« L’ébullition est censée exister, lorsqu’il y a écoulement de flegme par le serpentin, ou lorsque la matière à distiller a acquis une température d’au moins 70 degrés centigrades.
« On ne considère pas comme vide l’espace non rempli des vaisseaux qui contiennent des matières nouvellement débattues et macérées, ni l’espace d’un dixième nécessaire à la fermentation.
« Les alambics et les colonnes distillatoires ne sont pas soumis aux restrictions qui précèdent, lorsqu’ils sont déclarés à l’impôt. »
Amendement proposé par la commission :
« Le séjour des matières dans les cuves de vitesse, alambics, condensateurs et colonnes distillatoires, n’est permis que durant les travaux de la distillation.
« A partir du moment de la mise des matières fermentées dans les alambics, colonnes distillatoires, cuves de vitesse et condensateurs, jusqu’au moment de leur ébullition, les vaisseaux à trempe, à macération et à fermentation, devront présenter un vide égal à la quantité de ces mêmes matières.
« Néanmoins, on peut faire séjourner des matières dans les vaisseaux prémentionnés, en tout temps, en les déclarant à l’impôt.
« L’ébullition des matières existe du moment qu’il y a écoulement de flegme par le serpentin.
« Tout dépôt de matières contenant des substances alcooliques dans les cuves de vitesse et condensateurs est défendu pendant la durée des rectifications.
« La capacité de la cuve de vitesse et du condensateur ne pourra dépasser celle de l’alambic de la colonne distillatoire servant à la distillation. »
La commission a procédé par questions sur les dispositions que renferme cet article. La chambre entend-elle procéder aussi de cette manière ?
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, je pense que le moyen d’arriver à une prompte solution, c’est de procéder par question comme l’a fait la commission ; nous aurions ainsi à décider d’abord deux questions principales : celle de savoir si on imposera les vaisseaux auxiliaires, à l’exception de l’alambic et de la colonne distillatoire, et celle de savoir si le droit sera fixé à 30 ou 40 centimes par hectolitre de matières ; mais, au lieu de subdiviser ces questions comme l’a fait la commission, on pourrait délibérer sans division sur les deux points principaux que je viens d’indiquer. Ceci une fois résolu, le reste de la loi sera très facile à terminer.
- La chambre décide qu’on procédera comme le propose M. le ministre des finances.
M. le président. - Par laquelle des deux questions entend-on commencer ?
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je pense qu’il faut commencer par la question de savoir si les cuves auxiliaires seront imposées ; on saura mieux, quand cette question sera résolue, sur quelle base on applique le droit.
M. Duvivier, rapporteur. - J’appuie l’observation de M. le ministre ; car, quand vous aurez décidé la question des vaisseaux auxiliaires, si ces vaisseaux sont exempts, certains membres demanderont que le droit soit augmenté, et si on soumet ces vaisseaux à l’impôt, beaucoup de membres pourront voter pour le chiffre de la commission et contre celui du ministre.
M. le président. - Je mets en délibération la première question, celle de savoir si on imposera tous les vaisseaux auxiliaires, à l’exception de l’alambic et de la colonne distillatoire
M. Berger. - Comme vous le savez, messieurs, le législateur de 1833 a pris pour base de l’assiette de l’impôt la capacité des cuves à fermentation. Cette base est aussi simple qu’efficace, car point de fermentation, point d’alcool, et cette fermentation, pour être bonne, doit avoir une certaine durée. Indépendamment des cuves à fermentation, le distillateur emploie différents vaisseaux auxiliaires pour accélérer et faciliter ses travaux. M. le ministre des finances veut également imposer ces vaisseaux. On sent que ceci serait une déviation notable du système de la loi de 1833. Avant d’examiner les conséquences de ce changement, il importe de nous demander quel a pu être le but de ces modifications ? Est-ce pour obtenir une majoration du chiffre de l’impôt ? Est-ce seulement pour rendre ce chiffre plus productif en écartant la fraude ? Pour parvenir à une majoration du chiffre, le moyen serait indirect, peu franc et peu logique. Aussi ne pensons-nous pas que telle ait été l’intention de M. le ministre. Ce n’est donc que pour éviter la fraude qu’on propose d’imposer les vaisseaux auxiliaires. On peut frauder dans les vaisseaux auxiliaires, dit M. le ministre des finances, et le meilleur moyen d’écarter la fraude, c’est d’imposer ces vaisseaux. Que le moyen soit efficace, il n’y a pas le moindre doute. Il n’a guère fallu d’efforts non plus pour le trouver, et il faut convenir que s’il était adopté, il rendrait la tâche des employés bien facile ; ils pourraient dormir en paix, vaquer à toute autre occupation qu’à celle de leur emploi, et presque n’auraient-ils plus besoin de mettre le pied dans les usines. Mais malheureusement à côté de ces avantages il y a des inconvénients. Ces inconvénients vous ont déjà été signalés par l’honorable rapporteur de la commission ; ils rendraient le remède pire que le mal. Toute l’économie de la loi serait détruite ; j’y reviendrai en peu de mots. Et d’abord, la capacité des vaisseaux auxiliaires étant considérable, il y aurait une majoration notable, quoique indirecte du chiffre de l’impôt ; ensuite la quantité de vaisseaux auxiliaires n’est pas la même dans les différentes espèces de distilleries ; de là inégalité dans le paiement de l’impôt. Mais, dira-t-on, ceux qui ne veulent pas payer l’impôt n’ont qu’à ne pas se servir de ces vaisseaux. A cela il y a d’abord pour première réponse que certaines classes de distillateurs sont dans l’impossibilité de s’en défaire ; tels sont les distilleries de fécule de pommes de terre, et ceux qui se servent de colonnes distillatoires, où le condensateur, par exemple, fait partie intégrante de la colonne. Pour les distillateurs, au contraire, qui pourront s’en défaire, c’est toujours leur enlever un moyen de faciliter le travail, d’économiser la main-d’œuvre et le chauffage ; de travailler, en un mot, à meilleur compte. Ce serait priver l’art de la distillation d’une grande partie des améliorations qui y ont été introduites dans les derniers temps ; ce serait ramener cette industrie à l’état où elle a été au seizième siècle ; et cela sans profit pour personne et au grand détriment des distillateurs.
Toutefois, messieurs, si la fraude dans les vaisseaux auxiliaires était aussi considérable qu’on veut nous le faire accroire, et qu’il n’y eût pas d’autre moyen efficace d’y obvier, nous serions encore disposés à y souscrire. Mais il n’en est point ainsi ; et d’abord, sans disconvenir qu’il puisse se commettre de la fraude au moyen des vaisseaux auxiliaires, nous soutenons qu’elle est loin d’être aussi importante que le soutient le ministre ; ensuite que la législation actuelle et suffisante pour réprimer les cas les plus nombreux de cette fraude, et qu’enfin, s’il existe quelque lacune pour certains cas, des moyens faciles et efficaces se présentent pour leur répression : ce sont les moyens indiqués par la commission dans le projet de loi qu’elle a présenté.
On est d’accord que le seul genre de fraude qui puisse se commettre dans les vaisseaux auxiliaires consisterait dans les fermentations frauduleuses. Or, rien de plus facile pour un employé exercé que de reconnaître l’état de fermentation des matières à distiller. Maintenant la loi actuelle présente-t-elle des moyens répressions pour la constater ? Ici il faut faire une distinction importante. Pour le cas de fraude hors le temps des bouillées, la loi actuelle défend même tout séjour des matières dans les vaisseaux auxiliaires. La loi actuelle est donc bien insuffisante à cet égard, et la preuve en est déjà dans le grand nombre de contraventions de cette nature constatées par les employés et punies. Quant à la fraude qui pourrait se commettre durant le temps des bouillées, ou, en d’autres termes, durant le temps de la distillation des matières fermentées, on est encore d’accord que du moment que ces matières ont atteint le degré d’ébullition, il n’y a également plus de fraude possible, parce que toute fermentation est impossible avec ce degré de chaleur. Les seules circonstances où une fraude devient possible durant la distillation, c’est à partir du moment que le feu a été mis sous l’alambic jusqu’au moment de l’ébullition ; il résulte effectivement des renseignements pris que quelques distillateurs ont abusé de cette latitude pour faire fermenter des matières dans les vaisseaux auxiliaires. C’est pour ces seuls cas que la législation actuelle laisse une sanction pénale à désirer. Il y a donc ici une légère lacune à remplir. Or, le moyen indiqué par la commission est facile et efficace.
En effet, vous dites qu’à partir du moment qu’on a mis le feu sous l’alambic jusqu’à celui de l’ébullition, il y a moyen de faire fermenter des matières dans les vaisseaux auxiliaires. Eh bien, obligez le distillateur à maintenir pendant tout ce temps un vide égal dans ses cuves de fermentation, et le trésor est à l’abri de toute perte ; or si, d’un côté, vous ne percevez pas de droit sur une fermentation frauduleuse, d’un autre côté vous percevez un droit égal sur des cuves de fermentation dans lesquelles vous forcez le distillateur à suspendre ces nouvelles fermentations jusqu’au moment de l’ébullition des matières dans l’alambic. Le bonté et l’efficacité de ce moyen a été reconnue par le ministre des finances lui-même, puisqu’il l’applique dans son paragraphe 4, art. 2, aux alambics et colonnes distillatoires. Il n’y aurait donc pour tout changement à l’art. 2 ministériel qu’à retrancher du paragraphe premier les mots : « Y compris les cuves de réunion, etc. » jusqu’à la fin du paragraphe, et à assimiler les cuves de vitesse et les condensateurs aux alambics et colonnes distillatoires sans l’application commune de la disposition du paragraphe 4 du même article. Le reste des dispositions de l’article pourrait subsister.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, ainsi que vient de le rappeler l’honorable préopinant, la loi de 1833 a établi pour les distilleries une imposition par forme d’abonnement ; mais, au lieu d’embrasser tous les vaisseaux de l’usine, l’impôt n’a été appliqué qu’à une partie, de telle sorte que les distillateurs ont bien pu frauder le droit, en employant tous les vaisseaux jusqu’à la fermentation des matières à distiller, alors que la loi ne permettait d’en employer qu’une partie à cet usage.
Ceci est un point incontesté que les distillateurs ont fraudé dans une foule de circonstances, en faisant fermenter les matières dans des vaisseaux non imposés par la loi. Des procès-verbaux nombreux attestent ce fait, et c’est de cette catégorie comme l’indique le rapport de la commission, que se trouve le plus grand nombre de contraventions.
Nous voyons en effet que les procès-verbaux pour dépôt de matières macérées dans les cuves de vitesse hors du temps des bouillées est de 55 ; pour dépôt de matières dans la cuve de réunion, les cuves à macération ne présentant pas un vide égal à son contenu, 33 ; pour dépôt de matières macérées dans l’alambic, sans qu’il y ait distillation ni déclaration, 24 ; pour dépôt de matières dans le condensateur hors le temps des bouillées, 11 procès-verbaux.
Et cependant, messieurs, si le nombre des procès-verbaux n’est pas décuple, c’est que l’administration, par mesure générale, a défendu de continuer la constatation de ces contraventions, parce la jurisprudence des tribunaux s’était établie de manière à écarter tous les procès-verbaux que je viens d’énumérer. Les contrevenants ont prétendu, et cela a été admis, que dès qu’il existait du feu sous l’alambic ou la chaudière, si petit qu’il fût, il y avait distillation et par suite point de fraude.
L’administration a par suite dû faire cesser ces procès-verbaux qui eussent été considérés comme des vexations. Et ici je répondrai à un honorable membre de la commission, que loin d’avoir encouru du blâme pour avoir empêché de continuer à dresser des procès-verbaux alors qu’une quantité de jugements avaient été contraires aux prétentions de l’administration, le gouvernement doit plutôt recevoir des éloges, parce qu’il lui importe d’éviter toujours soigneusement ce qui peut ressembler à des vexations. Mais il n’est pas moins constant que le nombre des contraventions qui est déjà assez grand l’aurait été beaucoup plus encore, si l’administration n’avait pas dû prendre cette mesure dès le commencement de l’année 1835.
Contre son intention, sans doute, il a échappé à l’honorable préopinant le plus bel éloge qu’on puisse faire du système que renferme le projet de loi du gouvernement ; et, en effet, il nous a dit que la surveillance serait tellement facile, c’est-à-dire les moyens de fraude si restreints, que les employés n’auraient plus rien à faire. C’est certainement là l’éloge le plus complet qu’on puisse faire du système du gouvernement. La fraude sera devenue à peu près impossible, si l’on impose à l’avenir tous les vaisseaux auxiliaires.
Il n’y aura plus guère en effet que l’emploi de vaisseaux cachés qui prêtera ouverture aux contraventions, mais ce moyen ne sera sans doute pas plus dangereux pour le trésor qu’il ne l’est à présent et qu’il ne l’a toujours été.
Le mode d’impôt qui présente la plus grande garantie contre la fraude est, en tout état de cause, celui que vous devriez préférer ; mais il mérite surtout de l’emporter, quand il s’agit d’augmenter le droit. Car si on a fraudé facilement avec le système de la loi de 1833, alors que l’accise était de 22 centimes, on frauderait à plus forte raison quand il y aurait un appât plus grand, quand le droit serait porté à 40 centimes.
Mais on dit que notre système présente de graves inconvénients, parce que tel mode de distillation est forcément obligé d’employer des vaisseaux auxiliaires, tandis que tel autre peut s’en dispenser.
L’honorable rapporteur de la commission a répondu lui-même à cette objection, quand il vous a dit, dans une séance précédente, que tous les distillateurs trouveraient moyen d’éluder l’impôt dont on voulait maintenant les frapper, en appropriant les intensités de leurs usines, de manière à payer le moindre droit possible. Vous ne devez donc pas craindre que les distillateurs éprouvent le moindre préjudice à cet égard.
M. Berger vient de citer la distillation de fécules en prétendant que cette distillation serait anéantie par le projet du gouvernement. J’ai lieu de croire que l’honorable préopinant confond les vaisseaux employés à la fabrication de la fécule avec les vaisseaux employés à la distillation. Il faut savoir que, pour préparer la distillation de la fécule, il faut procéder à une première opération dans laquelle les intéressés se servent de tels vaisseaux qu’ils veulent, sans que ceux-ci soient soumis à aucun impôt. Il n’est en effet perçu aucun impôt sur les vaisseaux au moyen desquels on obtient le sirop de fécule. L’accise est seulement due sur les vaisseaux servant à la fermentation de cette substance.
Par conséquent, cette espèce de distillation, entendue comme elle doit l’être, n’exige pas plus de vaisseaux auxiliaires que la distillation de toute autre matière.
Dans tous les cas, si même il y avait quelque défaveur dans l’application de la base du droit en ce qui touche à la distillation de fécule, je dirais franchement que ce ne serait guère la peine de s’y arrêter, tant cette industrie est minime et insignifiante. Quand on fait une loi générale, on ne doit pas descendre à de petites exceptions, parce que souvent, ces exceptions donneraient à la fraude le moyen de détruire tout le système de la loi.
Je crois qu’il n’y a en Belgique que deux ou trois distilleries de fécules de pommes de terre. Du reste, les produits de ces distilleries, ainsi que l’a dit l’honorable M. Zoude, sont de qualité supérieure, d’où résulte que le droit, quoique plus fort, relativement à la quantité, ne serai pas injustement appliqué, puisqu’il s’appliquerait à une denrée d’une valeur plus élevée.
Quoi qu’il en soit, il s’agit ici, je le répète, de si peu de choses, que ce n’est pas la peine de s’y arrêter, et en vérité, si je ne craignait la fraude, j’abandonnais volontiers, et cela sans faire brèche aux revenus du trésor, tous droits sur les distilleries de fécule de pommes de terre. Mais cela n’est pas possible, parce que sous le nom de distillerie de fécules, on éluderait les droits du trésor sur d’autres matières.
M. Berger pense que le projet du gouvernement triplerait le droit de certaines distilleries. L’honorable rapporteur a établi lui-même qu’il n’en serait pas ainsi lorsqu’il a dit que chacun arrangerait sa distillation de manière à utiliser le plus grand nombre de vaisseaux possible, à la fermentation des matières, et à payer ainsi relativement moins de droits.
On nous demande pourquoi nous exceptons maintenant l’alambic et la colonne distillatoire, alors que nous les imposions, comme tous les autres vaisseaux auxiliaires dans le premier projet. A cet égard, je prie la chambre de remarquer que la commission n’a été unanime que sur ce point ; que l’alambic et la colonne distillatoire ne devaient pas être imposés et que des distillateurs, qui ont répondu dans l’enquête, ont reconnu qu’il serait convenable d’imposer les autres vaisseaux auxiliaires, mais en aucun cas l’alambic et la colonne distillatoire.
Toutefois, je crois encore que le moyen le plus certain d’empêcher toute fraude, eût été d’imposer l’alambic et la colonne distillatoire, aussi bien que les autres vaisseaux auxiliaires, et quoi qu’on en ait dit, il n’y eut en cela rien d’injuste pour personne ; mais en présence de l’unanimité de la commission et la répugnance de tous les distillateurs, je n’ai pas voulu insister, et j’ai, par conciliation, abandonné ce point du premier projet, parce qu’il n’est pas très essentiel ne se rapportant qu’à des vaisseaux ayant une capacité qui ne peut jamais avoir une grande influence sur les droits.
L’imposition sur tous les vaisseaux auxiliaires à l’exception de l’alambic et de la colonne distillatoire, ne changera pas, je le répète, la position relative des distilleries entre elles ; cette opinion est aussi celle d’un membre de la commission qui a assisté à toutes ces délibérations ; je crois pouvoir avancer que ce membre est l’honorable M. Duvivier, quoiqu’il ait défendu, comme rapporteur, le système de la commission.
Plusieurs distillateurs ne trouvent pas non plus d’inconvénient à l’imposition des vaisseaux auxiliaires, l’alambic et la colonne distillatoire exceptés. Car, voici comment certains distillateurs se sont exprimés devant la commission (pièce à l’appui n°4) :
« La sortie des matières hors des cuves assujetties à l’impôt, dans des vaisseaux autres que l’alambic, préjudicie à l’accise, vu que, par leur emploi, les cuves-matières se trouvant plus tôt libres, peuvent être remplies de nouvelles matières pendant que les anciennes fermentent encore un tant soit peu dans les vaisseaux auxiliaires ; mais vouloir imposer les alambics, ce serait apporter le trouble dans les travaux de la distillation, et en même temps nuire aux intérêts du trésor et à ceux des distillateurs. Car, en frappant les chaudières d’un droit quelconque, on forcerait le distillateur à toujours les tenir, jour et nuit, en grande activité pendant 4 à 6 mois, pour devoir ensuite chômer le restant de l’année ; il en résulterait donc une perte notable pour le trésor, puisqu’on ne paierait plus pour 21 que pour 12 ou 15 heures, durée actuelle des travaux. Toute proposition qui tendrait à imposer les alambics, doit être repoussée avec vigueur ; car beaucoup mieux vaudrait frapper d’un droit plus élevé les cuves-matières, pour exempter les chaudières à distiller. »
Vous voyez que des distillateurs reconnaissent (ce qui est constaté par bon nombre de procès-verbaux, et ce qui est d’ailleurs évident) que l’on peut frauder avec les vaisseaux auxiliaires. Il faut donc les imposer pour obvier à la fraude qui deviendrait plus considérable en présence d’un droit plus élevé.
Je pourrais vous citer encore d’autres réponses de distillateurs dans le même sens sur cette question.
L’honorable préopinant a prétendu qu’il n’y avait pas analogie parfaite entre le condensateur appliqué à la colonne distillatoire et la cuve de vitesse servant à la distillation ordinaire. Il est établi, messieurs, par un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles, qu’il y a analogie complète entre le condensateur et la cuve de vitesse.
Un membre. - On est d’accord.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Si l’on est d’accord, je n’ai besoin de faire sur ce point aucune démonstration.
J’entends que l’on m’objecte que l’on peut faire fermenter des matières dans la cuve de vitesse et nullement dans le condensateur. Messieurs, des procès-verbaux prouvent le contraire, et n’est-il pas évident que si l’on continuait à excepter le condensateur en admettant qu’il ne peut jamais servir à la fermentation des matières à raison de son affinité avec la colonne distillatoire d’où lui vient la chaleur, il serait très facile de pratiquer une issue à ouvrir à volonté dans le serpentin entre la colonne distillatoire et le condensateur, afin de laisser échapper la vapeur momentanément et de manière à ne pas élever la température au-delà du degré contraire à la fermentation, et que par suite on se servirait impunément du condensateur pour la fermentation des matières.
Reprenant la suite de ma réponse à M. Berger, je dois reconnaître que la commission a proposé un moyen de surveiller le non-emploi des vaisseaux auxiliaires.
Elle a soin de définir dans son projet ce que l’on doit entendre par distillation, et a donné ainsi le moyen d’appliquer la pénalité. Mais veuillez remarquer que cette précaution consiste dans l’obligation d’un vide égal, dans les cuves de fermentation des matières, aux quantités des matières fermentées, trouvées dans les vaisseaux auxiliaires, et qu’elle prête aux plus incessantes contestations. Aussi le système le plus pur, c’est-à-dire celui qui n’aurait exempté du droit aucun vaisseau quelconque, eût été le plus convenable.
Sous ce rapport, l’exception des alambics et colonnes distillatoires est un mal ; mais le vide égal exigé en ce qui les concerne sera, certes, plus facile à constater que celui bien plus considérable que rencontrera la vérification de l’emploi de tous les autres vaisseaux auxiliaires.
Je crois avoir résolu les objections principales qu’a faite l’honorable M. Berger. J’attendrai la suite de la discussion pour voir jusqu’à quel point cette réponse pourrait être complète.
M. Desmet. - Avant d’entrer en matière, je dois relever une inexactitude de M. le ministre des finances. Il a dit que l’administration avait arrêté les procès-verbaux ; cependant je trouve dans le rapport qu’il y a eu un procès-verbal en date du 17 mars 1836. Vous voyez qu’on ne les a pas arrêtés.
On a parlé du nombre des procès-verbaux ; mais, ainsi que l’a fait remarquer l’honorable rapporteur, ce nombre est peu de chose en comparaison des procès-verbaux qu’on fait ordinairement. Et je ne puis concevoir comment M. Brabant a pu dire dans la dernière séance que le nombre des procès-verbaux était grand ; a-t-il donc oublié l’époque où nous vivions sous la législation de 1822, de terrible mémoire, et où on veut nous faire retourner ? car, messieurs, c’est là la véritable tendance du fisc.
La question est extrêmement grave : si le système prévaut, toutes nos distilleries seront anéanties. Nous redeviendrons, je ne puis assez le répéter, ce que nous étions en 1822, c’est-à-dire que nous serons obligés à ne plus prendre que des liqueurs hollandaises et prussiennes, que nous n’aurons plus d’exportation, et que quand notre commerce voudra exporter des genièvres, il devra aller prendre ses cargaisons en Hollande ; qu’enfin on dira, comme bien des personnes veulent le croire, que ce n’est qu’en Hollande qu’on fabrique du bon genièvre, et assez blanc et pur pour pouvoir être exporté et passer la ligne.
Je dois répondre à l’observation judicieuse de l’honorable M. Verdussen, à savoir ; que si, comme l’a dit M. le ministre des finances, les vaisseaux auxiliaires ne servent qu’à frauder, on peut s’en passer ; et parce qu’ils ne sont point nécessaires à la distillation.
Il ne sera pas difficile de démontrer le contraire et prouver que si on doit supprimer les vaisseaux auxiliaires, on détruit entièrement le système de la distillation à la vapeur et que tous nos progrès de distillation ne vont pas seulement s’arrêter, mais que nous ferons un grand pas en arrière, que tous les bienfaits, pour cette industrie, qui est si importante pour l’agriculture, vont cesser ; qu’au lieu de fabriquer une bonne liqueur, on sera obligé d’en faire de la mauvaise et qui sera remplie de vert-de-gris.
C’est vraiment étrange ! on parle tant de santé et de moralité, et on ne veut pas employer les moyens de faire fabriquer de la liqueur qui soit mieux fabriquée et par conséquent plus saine ; on veut bon gré mal gré nous faire retourner à cette époque où la liqueur était comme du poison et où on voyait le vert-de-gris dans les gobelets ; on veut faire absolument la guerre aux progrès et anéantir nos distilleries au profit de celle de Hollande.
Les vaisseaux auxiliaires prêtent à la fraude, dit-on ; il est très facile de démontrer que cette assertion est inexacte. En eux-mêmes ils ne peuvent prêter à la fraude ; c’est quand on les emploie pour autre chose que pour l’objet de leur destination, qu’ils donnent lieu à des contraventions, et alors ils doivent être envisagés comme des cuves clandestines et non déclarées.
La cuve de vitesse, par exemple, employée constamment aux termes de la loi, ne peut servir à la fermentation ; cette cuve doit être élevée à une température de 70 à 80 degrés de chaleur ; peut-il y avoir fermentation avec une telle chaleur ? La fermentation n’a lieu qu’à une chaleur de 20 à 22 degrés.
Quand on a trouvé de la fraude dans la cuve de vitesse, c’est qu’on l’occupait clandestinement à la fermentation, et les jugements n’ont pas erré à cet égard. S’ils ont erré, c’est par suite du vague que présentait le mot « distillation » ; mais, par la correction portée à la rédaction des dispositions de votre commission, il n’y aura plus moyen de frauder par cette voie. Avec l’alambic ordinaire on peut se passer de la cuve de vitesse ; mais, avec les systèmes perfectionnés de distillation, il en est autrement ; il faut donc repousser toute disposition dans la loi qui empêcherait les perfectionnements dans les appareils distillatoires.
Dans l’appareil à la vapeur on ne peut se passer du condensateur ; un condensateur est un instrument pour chauffer le bain, c’est un chauffe-vin qui est de toute nécessité pour pouvoir distiller à la vapeur. Messieurs, je m’étonne ici que l’honorable ministre des finances et M. Brabant, qui fait tant d’efforts pour détruire la loi libérale sur les distilleries, loi qui nous fait triompher sur les Hollandais, n’apprécient point la nécessité d’un condensateur dans la distillation à la vapeur ; ils doivent cependant savoir que si l’on introduisait dans une colonne distillatoire des matières qui n’auraient pas un degré de chaleur qu’elle cuverait dans le moment, je ne puis concevoir qu’ils avancent avec tant d’assurance, qu’on peut se passer des condensateurs dans la distillation d’après le système continu.
Jusqu’ici on n’a pas de procès-verbaux contre la fraude qui aurait été opérée dans la cuve à levain qui s’emploie beaucoup dans le Luxembourg, et c’est dans cette province qu’on en a besoin ; dans les autres on se procure du ferment dans les brasseries.
Si donc on se servait des cuves auxiliaires seulement pour frauder, comme le pensent M. le ministre et M. Brabant, les distillateurs établiraient dans les celliers aussi des cuves à levain ; cependant ils ne le font pas !
Il est impossible, je le répète, qu’on parvienne à la fraude dans les cuves de vitesse, dans les cuves de réunion, dans les condensateurs, sans sortir des termes de la loi.
Votre loi n’aura pour effet que d’arrêter les progrès dans l’art de la distillation. Par la distillation à la vapeur, ou au bain-marie, vous avez toujours des liqueurs pures ; par la distillation à feu nu il y a toujours des matières brûlées, et vous ne recueillez que des liqueurs empyreumatiques.
C’est un fait constant que si le malheureux projet ministériel passe, vous ne pourriez plus lutter avec les Hollandais.
Et en quelle justice agissez-vous, quand vous faites détruire tous les appareils qu’on a établis à grands frais sous l’égide de la loi libérale de 1833 ; cette loi, quoi qu’on en dise, qui a rétabli nos distilleries, si nécessaires pour l’agriculture, et qui a entièrement arrêté l’introduction du genièvre hollandais, était une arme contre notre ennemi et le ministère nous l’ôtera si son projet passe.
Je demanderai à mon honorable collègue M. Brabant, lui qui s’est rendu en Angleterre pour étudier les perfectionnements à l’art de braser, et qui a introduit des machines et des ustensiles qui procureront à sa brasserie de grands avantages sur les autres du pays, et qu’il dirait si une loi contenait de telles dispositions que tout son nouveau système de brasser serait détruit, que tout l’argent qu’il a dépensé l’aurait été en pure perte ; je crois qu’il réclamerait bien fort contre un tel projet et crierait à l’injustice.
Eh bien, messieurs, c’est ce que l’honorable membre veut faire dans ce moment ; tous les efforts qu’il se donne sont pour faire détruire tous les perfectionnements qui ont été faits depuis quelques années à l’art de distiller ; il veut nous faire faire un pas rétrograde et nous refouler sous le joug hollandais, pour ce qui regarde la bonne fabrication du genièvre.
Songez qu’actuellement nous sommes en présence de huit ou neuf systèmes de distillation ; et tous ces systèmes sont dépendants de vaisseaux auxiliaires : tous nous ont conduits à ce degré de perfection qui nous a permis de lutter avec avantage contre les distilleries hollandaises. Votre loi, en frappant les vaisseaux auxiliaires, va entièrement les anéantir, et nous serons forcés de travailler à l’ancienne méthode et de fabriquer de la mauvaise liqueur.
Dans son exposé des motifs, le ministre a cité la loi de messidor ; en messidor, on a suivi l’ancien système autrichien, ou l’abonnement établi sur la capacité des alambics ; mais pourquoi en était-il ainsi ? C’est qu’alors il n’y avait qu’une seule espèce d’alambic, comme l’alambic à feu nu.
Qu’a fait votre commission ? Voyant que par le progrès de l’art de distiller il n’y avait plus moyen de prendre les abonnements sur les vaisseaux à distiller, on a imposé tout ce qui produisait l’alcool.
Eh bien, qu’est-ce qui produit l’alcool ? Ce sont les cuves à fermentation, où les vaisseaux qui contiennent les matières macérées : c’est une erreur que de penser que les vaisseaux à bouillé, à rectification, produisent de l’alcool ; ils l’extraient.
En payant la fermentation sous deux rapports, sous le rapport de la quantité et sous le rapport du temps, vous ne pouvez exiger rien de plus. De très bons ouvrages, très répandus, démontrent ce principe.
Par un calcul que j’ai fait, et dont je pourrais soumettre les éléments, j’ai trouvé qu’en imposant les vaisseaux à fermentation, le litre reviendrait à 10 centimes ; tandis qu’en imposant les vaisseaux distillatoires à la vapeur, l’impôt reviendrait à 40 centimes et plus. Je voudrais bien que M. le ministre des finances et M. Brabant voulussent faire la vérification de ce calcul ; et, convaincus de son exactitude, ils verraient combien est erronée la thèse qu’ils défendent.
Faites-y bien attention : si le malheureux système du ministère devait réussir, ce serait une calamité.
Les petits distillateurs ne travaillent que forcés par le besoin ; mais les grands distillateurs, qui ont des fonds, qui peuvent remplir leurs magasins d’alcool, travaillent jour et nuit ; ils travailleront même le dimanche, afin de compenser les pertes qu’ils feraient par l’impôt, et ils sont dans une situation infiniment supérieure à celle des petits distillateurs.
Avant la drèche, a dit M. Brabant, on peut engraisser les bestiaux ; mais l’expérience a été faire si on pouvait toujours donner de la drèche au bétail, et il a été prouvé qu’alors les animaux n’engraissaient pas ; tandis que vous n’avez pas ces inconvénients avec les résidus des distillations, dont font usage et dont ont besoin les petits distillateurs. Je m’étonne fort que l’honorable membre veuille venir contester l’excellence du résidu des distilleries, des eaux-de-vie de grains pour l’engrais du bétail et mettre sur le même rang la drêche des brasseurs ; ceci est trop connu pour que ça puisse former le moindre doute.
L’adoption du système ministériel aurait donc les plus funestes résultats ; il empêcherait tout progrès dans l’art du distillateur, il empêcherait toute concurrence avec les Hollandais pour la fabrication du genièvre, et en nous préparant la terrible législation de 1822, il va faire un tort immense à l’agriculture et à ses progrès et par son adoption fera un très mauvais effet, il n’y aura qu’une voix qu’on veut retourner en tout au système hollandais.
M. Milcamps. - Messieurs, je n’ai demandé la parole que pour présenter de très courtes observations et afin de motiver mon vote.
Deux systèmes sont en présence.
Celui du gouvernement pour lequel il propose, art. 2, de soumettre à l’accise tous les vaisseaux employés pour la trempe, la macération et la fermentation des matières premières, y compris les cuves de réunion, les cuves à levain et les cuves de vitesse.
Celui de la commission est de ne soumettre à l’accise que les vaisseaux dont les distillateurs font usage pour la trempe, la macération et la fermentation des matières premières, de n’y soumettre les cuves de réunion que durant les travaux de la distillation, et pour autant que les cuves à macération et à fermentation présentent un vide égal à la quantité des matières contenues dans les cuves de réunion, et pour les cuves de vitesse hors du temps des bouillées.
J’avoue, messieurs, que je n’aperçois, que je ne vois aucun inconvénient à adopter l’art. 2 proposé par le gouvernement. La raison, c’est que les cuves de réunion et de vitesse sont destinées à recevoir des matières fermentées provenant des cuves à macération et à fermentation déclarées, et que, tous les vaisseaux étant imposés, rien n’empêchera les distillateurs de macérer de nouveau dans ces dernières cuves.
Il ne peut donc y avoir pour les distillateurs ni perte ni préjudice.
En adoptant l’art. 2 proposé par le gouvernement, vous enlevez aux distillateurs dont les distilleries ne sont pas fréquemment exercées un moyen de fraude, vous évitez l’embarras d’une surveillance de chaque jour, et il me semble qu’il est de la sagesse du législateur, lorsqu’il le peut, de prévenir tous les moyens de fraude ; et il est certain que cette fraude peut exister et existe même, puisque la commission elle-même rapporte 55 procès-verbaux dressés depuis la loi de 1833, que la commission veut maintenir.
Il devient évident que si l’on adopte le projet de la commission, vous obligerez le gouvernement à user d’une surveillance active et journalière, afin d’ôter aux distillateurs, tous moyens de faire usage des cuves de réunion et de vitesse, et c’est la nécessité de cette surveillance que le gouvernement veut écarter. Je ne comprends pas comment l’adoption du projet du gouvernement puisse anéantir les distilleries. Assurément il n’anéantirait pas les petites distilleries ; car, dans mon district et parmi le grand nombre de distilleries qui sont en activité, il n’en existe qu’une seule où l’on fasse usage de la cuve de réunion. Quant aux cuves de vitesse, je conviens que trois quarts des distillateurs emploient la cuve de vitesse.
Je crois donc que le système du gouvernement, qui propose l’accise sur les cuves de réunion, à levain et de vitesse, est préférable.
M. Gendebien. - Je n’ai demandé la parole, messieurs, que pour faire une interpellation à M. le ministre des finances ; j’ai besoin de m’éclairer, car je vous avoue que je n’ai jamais vu une distillerie, et cependant je suis appelé à émettre un vote et j’aimerais bien de pouvoir émettre un vote en conscience, c’est-à-dire avec connaissance de cause.
Lorsqu’on a discuté la loi de 1833, il m’a paru que ce qui résultait évidemment de la discussion, c’est qu’on sacrifierait les petites distilleries aux grandes, et c’est parce que je n’avais pas mes apaisements sur ce point, et parce que d’un autre côté, je ne voulais pas remettre en vigueur la loi de 1822, que je me suis abstenu.
Je me suis même permis de prédire que les petites distilleries seront sacrifiées aux grandes ; mes prévisions se sont réalisées, car les grandes distilleries ont évidemment été plus favorisées que les petites, tandis que c’est le contraire qui aurait dû avoir lieu, puisque le but avoué est hautement prouvé, c’était de favoriser les petites distilleries. Aujourd’hui je me trouve encore dans la même position : je crois que ce que propose M. le ministre des finances est défavorable aux petites distilleries ; car l’impôt se percevant en raison du temps que dure la distillation, le grand distillateur qui, au moyen des vases auxiliaires, distille beaucoup vite, paiera nécessairement moins d’impôts que le petit distillateur, qui se sert d’ustensiles moins perfectionnés et moins nombreux. En imposant les vases auxiliaires, on tend à réparer le mal qu’on a fait aux distilleries agricoles en 1833 ; sous ce rapport je suis très disposé à imposer tous les vaisseaux ; mais d’un autre côté, je ne vois pas quel sera, si la proposition de M. le ministre est adoptée, le rapport exact entre ce que paieront les grands distillateurs et ce que paieront les petits. Je voudrais bien faire quelque chose en faveur des petits distillateurs, mais je ne veux pas nuire aux grands. Ainsi mon vote en faveur de la proposition ministérielle, dépendra de la réponse qu’on donnera à la demande d’explication que je viens de faire et que je formule ainsi : « quel sera pour le trésor, quel sera pour les grands et pour les petits distillateurs, le résultat de l’imposition des vases qui n’ont pas été imposés jusqu’ici ? dans quels rapports se trouveront les grands et les petits distillateurs après l’adoption de la loi ? »
Si l’on peut me donner, à cet égard, une réponse satisfaisante, je serai très disposé à voter en faveur de la proposition du gouvernement, car je désire beaucoup favoriser les distilleries agricoles, les seules distilleries vraiment utiles à l’agriculture ; mais, je le répète, je ne veux pas nuire aux grandes.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Vous comprenez sans peine, messieurs, qu’il serait, sinon impossible, du moins extrêmement difficile d’établir arithmétiquement le rapport dont vient de parler l’honorable M. Gendebien ; tout ce que je puis dire, c’est que, dans mon opinion, il s’établira un nivellement sur les droits entre les grands et les petits distillateurs d’eux-mêmes ; ceux qui font usage d’appareils perfectionnés, ne manqueront pas de réduire au moins grand nombre possible les vaisseaux auxiliaires dont ils se servent, ils tâcheront d’approprier leurs usines de manière à payer le droit le moins élevé ; les petits distillateurs agiront de même, et par conséquent ni les uns ni les autres ne seront favorisés par l’adoption de la loi qui vous est soumise. Je pense toutefois que les grandes distilleries, travaillant avec des moyens plus perfectionnés, et pouvant en conséquence produire des spiritueux de meilleure qualité, auront toujours, sous ce rapport, un véritable avantage sur les petites ; aussi c’est pour ce motif que nous avons introduit dans la loi une disposition spéciale en faveur des petites distilleries, qui leur accorde une déduction de 10 p. c., sous la réserve que leurs alambics ne soient pas d’une contenance supérieure à 5 hectolitres, et aux autres conditions énumérées dans le projet.
M. Gendebien. - Mais la commission repousse cet article.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - La commission le repousse en disant que les petites distilleries ne doivent pas être plus favorisées que les grandes, que les petites distilleries ne procurent pas plus d’avantages à l’agriculture que les grandes ; mais moi, je soutiens au contraire que c’est principalement des petites distilleries que l’agriculture peut obtenir les vraies améliorations, celles qui se répandent sur beaucoup de points de la surface du pays, tandis que les grandes distilleries ne fertilisent que quelques terrains qui se trouvent aux environs de leurs usines et qui sont déjà de bonne qualité, puisque c’est presque toujours dans les localités où la terre est le plus fertile que ces grandes distilleries s’établissent.
Nous avons donc considéré les distilleries agricoles, les petites distilleries, comme étant traitées par la loi sur un pied d’égalité avec les grandes distilleries, et c’est pour protéger les premières, que nous regardons comme principalement favorables à l’agriculture, que nous avons introduit dans le projet une disposition qui leur accorderait une diminution de 10 p. c. Je ne pourrais répondre d’une manière plus précise à la demande de M. Gendebien.
M. Brabant. - M. le ministre des finances, dans l’avant-dernier discours qu’il a prononcé, vous a fait voir que ce qu’il demande n’éprouve aucune opposition de la part des distillateurs eux-mêmes ; je crois important de donner encore une fois lecture de différents extraits du rapport qui confirment pleinement les assertions de M. le ministre.
« Il ne devrait pas être permis de commencer la trempe et la macération d’une cuve avant qu’elle ne soit entièrement distillée ; toute matière trouvée ailleurs, dont la quantité ne serait pas égale au vide de la cuve en distillation, serait passible d’une amende : de cette manière le ministre serait rassuré, et tous les distillateurs seraient sur un même pied, tandis que maintenant les distillateurs à alambics ordinaires, aussitôt que leur alambic est rempli, recommencent leurs trempes, ; et il arrive qu’un alambic est en pleine distillation des matières d’une cuve qui est déjà en fermentation. De cet te modification naîtrait l’uniformité de travail dans toutes les distilleries.
« Les membres de la commission répondront sans doute que leur projet pare à l’inconvénient dont il s’agit en prescrivant qu’il doit être laissé dans les vaisseaux un vide égal à la quantité des matières mises dans l’alambic ; mais, messieurs, rien n’est plus facile à éluder qu’une semblable disposition ; aussitôt que les employés auront fait leur visite dans une distillerie, dans la certitude qu’ils ne reviendront pas endéans les 3 heures, on rechargera immédiatement les cuves ; dès lors le vide égal n’existera plus. »
On lit encore à la page 8 du rapport :
« La sortie des matières hors des cuves assujetties à l’impôt, dans des vaisseaux autres que l’alambic, préjudicie à l’accise, vu que, par leur emploi, les cuves-matières, se trouvant plus tôt remplies, peuvent être remplies de nouvelles matières pendant que les anciennes fermentent encore un tant soit peu dans les vaisseaux auxiliaires ; mais vouloir imposer les alambics, ce serait apporter le trouble dans les travaux de la distillation, et en même temps nuire aux intérêts du trésor et à ceux des distillateurs. »
Vous voyez, messieurs, qu’on n’insiste que pour que l’alambic ne soit pas imposé, et le gouvernement a consenti à ce que ce vase soit exempté du droit, pourvu que la cuve de fermentation présente un vide égal à la capacité de l’alambic.
Pour prouver qu’il ne faut pas imposer le condensateur, on se borne à vous dire que ce vase ne peut être assimilé aux cuves de vitesse, et que si vous assujettissez le condensateur à l’impôt, vous allez détruire toutes les grandes distilleries. Voici comment les distillateurs dont l’opinion est consignée dans ce rapport s’expliquent à cet égard :
« Les condensateurs des appareils contenus ne peuvent nullement prêter à la fraude, d’autant qu’ils ne sont alimentés que par des matières fermentées ; ce vase étant d’ailleurs d’une contenance minime en proportion de l’ouvrage qu’il fait, formant en outre partie intégrale de l’appareil, ne peut être assimilé avec les cuves de vitesse. »
Ainsi, messieurs, c’est en assujettissant à l’impôt un vase si minime qu’on va détruire toutes les grandes distilleries !
Messieurs, dans un système d’abonnement il doit nécessairement y avoir quelque inégalité dans l’impôt : l’un travaille vite, l’autre doucement ; l’un charge fort les cuves, tandis que l’autre n’emploie qu’une charge légère.
Comparez le deux systèmes : la distillation à feu nu et la distillation à la vapeur ; dans la distillation à feu nu il est impossible de charger fort, parce que, si la matière est trop dense, elle entrera dans les parois de l’alambic et elle brûlera tandis que dans la distillation à la vapeur, où ce danger n’est pas du tout à craindre, on peut charger à peu près aussi fort que l’on veut. Mettez les matières fermentées à la vapeur en contact avec une température telle que vous voudrez la concevoir, avec une température qui présenterait une pression de dix atmosphères, elles ne brûleront pas, tandis que dans la distillation à feu nu un kilog. de matière de trop peut entraîner la perte complète de toutes les matières qu’on a distillées.
Un vaisseau, messieurs, dont on n’a pas parlé jusqu’à présent, c’est la cuve à levain qui permet, à ceux qui l’emploient, de remplir à peu près complètement les cuves de fermentation ; tandis qu’à défait de cuves à levain, l’augmentation de produit exige un vide qu’on ne peut estimer à moins de 10 p. c. ; si la cuve à levain permet de remplir plus fort la cuve de fermentation, il est juste d’assujettir à l’impôt un vaisseau qui met le distillateur dans une position si défavorable.
Messieurs, la plupart des distillateurs travaillent comme ils ont toujours travaillé, parce que le peu d’importance de la distillation ne leur permet pas d’employer les vaisseaux auxiliaires, et qu’ensuite ceux-ci ne leur seraient d’aucune utilité. Je prendrai pour exemple la cuve de vitesse qui, comme je l’ai déjà dit, est destinée à donner une température plus élevée aux matières pour les faire entrer plus tôt en ébullition. Eh bien, messieurs, la moitié des distillateurs n’emploient pas plus de mille hectolitres par an. Supposez qu’ils distillent pendant cent jours, ce sera dix hectolitres par jour ; dès lors la cuve de vitesse leur devient complètement inutile.
Je crois, messieurs, avoir répondu à toutes les objections qui ont été faites contre le projet du gouvernement.
M. Berger. - Messieurs, je vais répondre quelques mots à l’honorable M. Gendebien, mais ce que je dirai n’exprimera que mon opinion personnelle ; je ne parlerai pas au nom de la commission.
Il est certain que, d’après la loi de 1833, les grandes et les petites distilleries ont été placées sur le même pied d’égalité. Je regarde aujourd’hui comme avéré que ce pied parfait d’égalité n’a pas été fort avantageux aux petites distilleries ; je crois, avec l’honorable M. Gendebien, que les petits distillateurs n’ont pas eu à se louer de cette égalité devant la loi.
Quant à la question posée par cet honorable membre, celle de savoir si les changements proposés par M. le ministre des finances, et tendant à imposer les vaisseaux auxiliaires, seraient plutôt profitables que désavantageux aux petites distilleries, il y a, messieurs, diverses observations à faire à cet égard.
En général, je pense que les grandes distilleries font un emploi beaucoup plus fréquent des vaisseaux auxiliaires que les petites distilleries. Je regarde aussi, comme j’ai déjà eu l’honneur de le dire, l’emploi des vaisseaux auxiliaires, comme présentant des avantages, parce qu’il accélère le travail, et économise la main-d’œuvre ainsi que le chauffage.
Ainsi donc, sous le rapport de la célérité du travail, l’adoption de la proposition du gouvernement rendrait plus mauvaise la position des grands distillateurs, puisqu’elle tend à augmenter leurs prix de revient ; et elle améliorerait proportionnellement la position des petits distillateurs. Je dois dire cependant que la proposition du gouvernement leur serait plutôt défavorable qu’avantageuse, dans l’hypothèse qu’ils employassent ou voulussent employer les vaisseaux auxiliaires.
J’ajouterai qu’il leur est facile d’éviter l’emploi des vaisseaux auxiliaires.
Il me reste à faire une dernière observation. Je ne voudrais pas qu’on améliorât le sort des petites distilleries en empirer la condition des grandes, et cela sans profit pour le trésor. Qu’on laisse toute latitude aux grandes distilleries, et si l’on trouve que le pied d’égalité sur lequel les petites distilleries ont été placées, par rapport aux grandes, par la loi de 1833, pèse sur les premières, rien n’empêche qu’on ne fasse quelques avantages à celles-ci, de manière à concilier tous les intérêts.
M. Gendebien. - Messieurs, si je reprends la parole, c’est uniquement pour insister sur l’observation que j’ai cru devoir faire tout à l’heure, afin de pouvoir émettre un vote consciencieux.
J’avoue, messieurs, que la réponse qui m’a été donnée ne me paraît pas satisfaisante.
L’on commence par partir de ce point : d’après la loi de 1833, les grandes et les petites distilleries ont été placées sur un pied d’égalité. Mais c’est là précisément ce qui n’est pas démontré et qui m’a choqué.
Les unes et les autres sont traitées, dit-on, sur le même pied d’égalité. Voyons si cela est exact. Je trouve d’un côté que les grandes distilleries emploient des vaisseaux accessoires avec lesquels ils peuvent frauder les droits, et l’on cite, en effet, une longue nomenclature de fraudes qui ont été opérées à l’aide de ce moyen. Or, les petites distilleries n’ont pas cette chance de fraude, puisqu’elles ne font pas usage de ces vases. Voilà donc un premier avantage que les petites distilleries n’ont pas.
Les grandes distilleries peuvent accélérer le travail au moyen de ces cuves accessoires : la preuve en est que ces vases s’appliquent aux cuves de vitesse. Donc encore, sous le rapport du temps, les petites distilleries ne sont pas vis-à-vis des grandes sur un pied d’égalité ; et remarquez qu’indépendamment des économies de main-d’œuvre, de combustibles et autres que je ne puis définir, les grandes distilleries paient moins d’impôt, puisqu’ils sont calculés en raison du temps que dire la distillation.
Il est reconnu enfin que l’emploi de ces mêmes vaisseaux auxiliaires donne de meilleurs produits. Sous ce rapport encore, les petites distilleries sont en défaveur.
Je ne conçois donc pas comment les uns et les autres peuvent être sur un pied parfait d’égalité ; je demande qu’on veuille bien me démontrer cette égalité.
L’on m’a fait une objection. L’on m’a dit qu’en adoptant le projet du ministre, nous rendrions la position des petites distilleries moins favorable qu’elle ne l’est aujourd’hui, lorsqu’elles voudraient faire usage des vases accessoires imposés par le projet du ministre.
Mais, messieurs, c’est là faire une supposition qui ne peut pas se réaliser, car les petites distilleries n’emploient que très rarement, et n’ont pas besoin d’employer les cuves de vitesse ; car leurs alambics seront plus lents et ne peuvent être accélérés sans exposer les matières à se brûler, inconvénient qu’on n’a pas à craindre dans les grandes distilleries où l’on chauffe à la vapeur ; les vases accessoires leur sont donc inutiles. Ainsi l’objection que l’on m’a faite repose sur une base fausse.
Je déclare de nouveau que toute ma sollicitude est pour les distilleries agricoles ; mais je déclare en même temps que je ne voudrais pas sacrifier les distilleries agricoles, en commettant une injustice envers les grandes. Je déclare que ma sollicitude pour les petites distilleries ne s’arrêtera que là où commencerait l’injustice envers les grandes, qui doivent aussi être prises en considération pour soutenir la lutte avec les distilleries étrangères ; elles ne doivent être favorisées que sous ce rapport, mais jamais au détriment des distilleries agricoles.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - L’honorable M. Gendebien pense que les petites distilleries ne se servent jamais de cuves de vitesse ; c’est une erreur. Elles les emploient aussi afin d’obtenir des résultats plus prompts et plus considérables.
Ainsi, les petites distilleries peuvent se servir et se servent déjà de cuves de vitesse. Les grandes distilleries emploient des cuves semblables, d’une capacité plus ou moins grandes, selon qu’elles y trouvent plus ou moins d’avantages pour la célérité de la distillation.
Je dirai encore à l’honorable M. Gendebien que lorsqu’une loi générale comme celle dont nous nous occupons d’établir, tous les contribuables approprient leurs moyens de fabrication, de manière à tirer le meilleur parti de la loi ; l’avantage qu’ils ont à se servir de tel ou tel ustensile ne peut jamais leur échapper. Aussi, je persiste à penser que les petites distilleries sont placées, par les art. 2 et 3 du projet, autant que possible, sur la même ligne que les grandes.
M. Duvivier, rapporteur. - Messieurs, si j’ai demandé la parole, ce n’est pas pour rentrer dans la discussion générale, parce que je la crois épuisée. Il me semble que ce qu’a dit le ministre des finances suffit pour que chacun puisse voter pour ou contre le projet du gouvernement. Il nous suffit également d’avoir entendu M. Berger dans ce qu’il a dit sur la matière. L’honorable membre nous a prouvé, en effet, que si, par la non-exécution de l’impôt aux vaisseaux auxiliaires, on a à craindre la fraude, les modifications apportées dans la loi rendraient cette fraude infiniment moindre qu’elle ne l’a été sous l’empire de la loi de 1833.
Je veux seulement dire à l’assemblée que M. le ministre des finances a eu raison de déclarer que j’avais voté l’extension de l’impôt dans la commission. Commue cela est vrai, j’en ferai l’aveu à la chambre ; j’ai eu d’excellentes raisons pour voter l’extension de l’impôt aux vaisseaux auxiliaires, je prie la chambre d’en être convaincue.
Mais, dit-on, vous avez défendu le système contraire, vous avez combattu le projet du ministre, en essayant de faire triompher le système de la commission. Cela encore est exact, et je ne crois pas être le seul rapporteur qu’on ait vu dans cette position. Il est arrivé fort souvent qu’un membre de la minorité a soutenu le travail de la majorité d’une commission. C’est ce que j’ai fait, verbalement comme par écrit. Tous les membres de la commission ont connu ma position, ils ont persisté à vouloir que je fisse le rapport et que l’en soutinsse le conclusions devant la chambre ; c’est ce que j’ai tâché de faire de mon mieux.
Je dirai maintenant deux mots relativement à une question qui a été posée par un honorable préopinant et à laquelle M. Berger a déjà répondu. La commission, messieurs, n’a pas cru devoir établir de différence entre les grandes et les petites distilleries ; elle a considéré que les grandes distilleries étaient beaucoup plus agricoles que les petites, sous tous les rapports.
Elle a en outre considéré que ces petites distilleries travaillent quand les travaux de la campagne ne sont pas en activité ; elles se livrent à de petites distilleries peu importantes, et elles engraissent quelques têtes de bétail. Elle a pensé qu’elles obtenaient ces résultats avec des moyens plus économiques que les grandes distilleries.
Vous savez que le moment où les distilleries travaillent avec le plus d’activité, c’est l’hiver ; en été, elles chôment, surtout les distilleries agricoles.
Les petites distilleries emploient des hommes qu’elles ont à gages pendant toute l’année, et quand ils ne sont pas occupés aux travaux agricoles on les emploie à ces petites distillations. La commission a considéré, encore que les petites distilleries ne faisaient qu’un genièvre infiniment moins parfait, qui se place à leur portée, dans le village, sans frais de transport, de correspondance et autres, auxquels les grands établissements doivent faire face. Nous avons fait toutes ces objections aux propriétaires de petites distilleries que nous avons entendus, et je dois dire qu’ils nous ont donné de biens faibles raisons pour justifier leur prétention à une remise sur les droits.
La pensée de les mettre sur la même ligne que les grandes distilleries, nous a d’autant plus souri que l’exception en matière d’impôt est contraire à l’esprit de la constitution. Voilà les raisons qui nous ont déterminé. Nous croyons, en agissant ainsi, avoir rendu justice aux petits distillateurs. Je bornerai là mes observations. Je pense que maintenant chacun est à même d’émettre son vote. J’en attends le résultat avec confiance.
M. Desmet. - La raison pour laquelle on ne s’entend pas, c’est qu’on ne s’est pas bien rendu compte de ce que sont les petites distilleries. L’honorable M. Gendebien ne sait pas sans doute qu’elles peuvent aussi bien que les grandes établit des appareils à la vapeur. Ces petites distilleries ne sont pas de si peu d’importance que le suppose ; il en est qui travaillent à feu nu et entretiennent de 50 à 60 bêtes à cornes.
Au lieu de favoriser les petites distilleries, on devrait au moins les mettre sur le même pied que les grandes. Elles auront encore cet avantage.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Lorsque nous arriverons à l’article où je propose une disposition en faveur des petites distilleries, nous pourrons revenir sur la question que M. Gendebien m’avait adressée. Nous pourrions donc borner là cette discussion. Cependant, puisqu’on s’est étendu sur ce qui concerne les petite distilleries, je rappellerai à propos de l’observation de M. Gendebien, ce qui a été dit à une séance précédente.
Dans les provinces où le sol réclame principalement des améliorations, le nombre des distilleries ne s’est pas augmenté. La province d’Anvers, qui pour la Campine aurait besoin qu’on y facilitât l’introduction des distilleries, en comptait 61 en 1831 ; et en 1836, elle n’en avait que 66. Ainsi, on peut dire que le nombre de distilleries ne s’est pas augmenté dans cette province.
Il en est de même ailleurs, où il y a aussi beaucoup de bruyères qui auraient besoin d’être fertilisées ; il y avait 10 distilleries en 1831 dans la province de Namur, et il n’y en a que 22 aujourd’hui. Dans la province de Liége, il y en avait 45 en 1831, et ce nombre ne s’est élevé depuis qu’à 65. Dans le Luxembourg, je n’ai pas le chiffre exact, parce que les distilleries de fruits sont confondues avec les autres, mais quand on a vanté l’élévation du nombre des distilleries dans cette province, on n’a pas fait attention que ce n’étaient en général que de très petites distilleries de fruit, qui ne travaillaient que 8 ou 10 jours au plus par an. Par conséquent, on aurait tort de prétendre que la loi de 1833 a produit de si grands effets pour l’agriculture.
Quand nous arriverons à l’article où j’ai proposé la modération des droits en faveur des petites distilleries, nous verrons quelle sera leur position comparativement aux grandes, et si, en imposant les cuves de vitesse, de réunion, etc., on favorisera suffisamment ces petites distilleries qui, proportion gardée, emploient moins ces vaisseaux que les grandes. (Aux voix ! aux voix !)
M. le président. - Il y a une proposition de M. Andries, d’augmenter la patente et d’établir une patente spéciale ; quand la chambre voudra-t-elle s’en occuper ? (Après ! après !)
Je vais alors mettre aux voix la question de savoir si on imposera les vaisseaux auxiliaires, non compris l’alambic et la colonne distillatoire.
- Après une première épreuve douteuse, la chambre résout cette question affirmativement.
M. le président. - On passe à la deuxième question : quelle sera la quotité du droit ? sera-t-il de 30 ou de 40 centimes ?
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je crois, messieurs, devoir donner ici une explication de bonne foi : le chiffre de 40 centimes que je propose représente le droit entier, tandis que la commission propose 30 centimes, plus les additionnels. De sorte que la dissidence n’est pas aussi grande qu’elle a pu paraître. Je tenais à faire cette observation pour qu’on fût bien fixé sur le vote qu’on va émettre.
M. Desmet. - Je prierai M. le ministre des finances de nous dire demain à combien s’élèvera le droit sur le genièvre, par suite de l’extension de l’impôt à tous le vaisseaux, afin que nous puissions établir le chiffre de drawback.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je pourrai très aisément répondre dès à présent à l’honorable préopinant, en prenant le rapport de la commission, page 31, qui s’est chargée de calculer quel serait l’impôt, par litre de genièvre, en établissant le droit à 30 centimes, plus 10 p. c. d’additionnels sur les cuves à macération et tous les vaisseaux auxiliaires, y compris les alambics et colonnes distillatoires ; j’y lis que cet impôt sera de 9 centimes 625/1000. Or, d’après un calcul fait sur les mêmes bases, d’après lesquelles on suppose seulement un produit de six litres de genièvre par hectolitre de matières fermentées pendant un travail de fermentation de 35 heures, le droit serait, en adoptant le chiffre de 40 centimes, que je propose, de 11 centimes 66/100 par litre.
Je démontrerai, quand nous arriverons à cet article, que ce serait seulement à raison de 10 centimes par litre que devrait exactement s’élever le drawback. Mais je me montrerai facile sur ce point, je serai tout à fait disposé à rembourser largement à la sortie l’intégralité du droit supposé perçu à la fabrication.
M. Desmet. - Je demandais à M. le ministre de combien on augmentait l’impôt en l’étendant à tous les vaisseaux auxiliaires d’un établissement qui emploie par exemple 200 hectolitres de matières macérées par jour, afin que la chambre connût la portée de son vote, c’est-à-dire quand je travaille avec un appareil à la vapeur 200 hectolitres par jour, combien devra être le volume des capacités de tous les vaisseaux auxiliaires qu’on imposerait par suite du vote.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la question de savoir si l’impôt sera fixé à 40 centimes sans additionnels, ou à 30 centimes avec additionnels.
- Le chiffre de 40 centimes est mis aux voix.
Deux épreuves sont douteuses.
On procède au vote par appel nominal ; en voici le résultat :
67 membres sont présents.
1 (M. Desmet) s’abstient.
66 prennent part au vote.
31 répondent oui.
35 répondent non.
En conséquence, le droit de 40 centimes n’est pas adopté.
Ont répondu oui : MM. Bekaert-Baeckelandt, Brabant, David, de Behr, de Jaegher, F. de Mérode, de Nef, de Puydt, Dequesne, de Terbecq, de Theux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon, Dubus (aîné), Dumortier, Ernst, Gendebien, Goblet, Heptia, Jadot, Lardinois, Liedts, Pirmez, Polfvliet, Raikem, Seron, Thienpont, Troye, Ullens, Vandenhove.
Ont répondu non : MM. Andries, Beerenbroeck, Berger, Coghen, Coppieters, Cornet de Grez, de Foere, de Longrée, de Renesse, Desmaisières, Devaux, Donny, Dubois, B. Dubus, Duvivier, Hye-Hoys, Keppenne, Kervyn, Lehoye, Lejeune, Mast de Vries, Meeus, Milcamps, Morel-Danheel, Raymaeckers, A. Rodenbach, Scheyven, Simons, Vandenbossche, Vanderbelen, Verdussen, Verrue-Lafrancq, H. Vilain XIIII, C. Vuylsteke, Zoude.
M. Desmet motive en ces termes son abstention. - Après le vote sur la première question, le vote sur celle-ci m’a paru insignifiant. Par son premier vote, vous avez augmenté le droit peut-être d’un franc cinquante centimes et plus par hectolitre : dix centimes de plus ou de moins ne signifient rien. Nos distilleries sont anéanties, et vivent celles de Hollande ! (Réclamations.)
Loin de moi la pensée que la Hollande vive plus que nous. J’ai voulu dire que nous faisons vivre les distilleries de la Hollande au détriment de celles de la Belgique, qui vont être anéanties par le malheureux vote qui vient d’avoir lieu.
- Le droit de 30 centimes est mis aux voix et adopté.
La séance est levée à quatre heures et un quart.