Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 12 avril 1837

(Moniteur belge n°103, du 13 avril 1837 et Moniteur belge n°104, du 14 avril 1837)

(Moniteur belge n°103, du 13 avril 1837)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Verdussen procède à l’appel nominal à midi et demi.

M. Kervyn lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Verdussen présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Des propriétaires du polder de Lillo demandent à être indemnisés de leurs pertes ; ils demandent en outre la construction d’une digue intérieure. »


« Le sieur F. Washer, fabricant de tulles, à Bruxelles, aux observations sur le projet de modifications au tarif des douanes en ce qui concerne les tulles. »


« Le sieur Davreux aîné, fabricant de tulles et propriétaire d’ardoisières, à Bouillon, adresse des observations sur le projet de loi portant des modifications au tarif des douanes en ce qui concerne les tulles. »


- La première de ces pétitions est renvoyée à la commission chargée de l’examen de la convention relative à l’endiguement de Lillo et au resserrement de l’inondation du Liefkenshoek ; les deux autres pétitions resteront déposées sur le bureau de la chambre pendant la discussion de la loi relative aux modifications à la loi des douanes.


M. Pollénus écrit pour s’excuser de ne pouvoir se rendre à la chambre à cause d’une indisposition.

- Pris pour notification.

Loi qui accorde un crédit supplémentaire pour le service du bateau à vapeur d’Anvers à Burght, et à la Tête-de-Flandres

Rapport de la section centrale

M. Zoude, rapporteur de la section centrale qui a examiné le budget des finances, dépose, au nom de cette section, les rapports suivants. - Messieurs, la section centrale du budget des finances ayant examiné, comme commission spéciale, le projet de loi présenté par M. le ministre des finances dans la séance du 5 avril, contenant la demande d’un crédit supplémentaire de 12,000 fr., a pensé que les motifs à l’appui de ce crédit étaient fondés.

Un triste événement a interrompu la communication directe d’Anvers avec les Flandres. Le ministre a dû prendre des mesures provisoires afin de rétablir les communications, et il en est résulté, comme on devait s’y attendre, des frais extraordinaires.

Les salaires de deux bateliers nouveaux qui devront être employés, emportent une somme de 1,200 fr. ; et la dépense pour le surcroît de consommation du combustible destiné à alimenter la machine à vapeur, est évaluée à 11,000 fr.

L’utilité et même la nécessité de ces dépenses lui paraissant incontestables, la section centrale a l’honneur de vous proposer de les allouer. Elle n’a fait au projet du gouvernement qu’un léger changement de rédaction, qui a uniquement pour but d’exprimer d’un manière directe le rapport du crédit supplémentaire à chaque article du budget.

« Article unique. Il est ouvert au ministre des finances un crédit supplémentaire de 12,000 fr., lequel sera appliqué de la manière suivante aux art. 3 et 10 du chapitre IV du budget, décrété par la loi du 12 mars 1837 (Bulletin officiel, n° 43) ;

« L’art. 3 du chapitre IV dudit budget est majoré de la somme de 12,000 fr. ;

« L’art. 10 du même chapitre est majoré de la somme de 11,000.

« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »

Projets de loi autorisant des transferts de crédits au sein du budget de la dette publique

Rapport de la section centrale

M. Zoude, rapporteur. - Messieurs, la section centrale du budget des finances ayant examiné la demande de transfert au budget de la dette publique de 1835, formée par M. le ministre des finances, a pensé que les motifs de cette demande étaient évidemment fondés. En effet, les intérêts des cautionnements, sont une dette que l’Etat contracte en recevant les sommes qui en forment le montant. Il y a donc nécessité de les acquitter. Toutefois, la section centrale a pensé qu’il convenait de rappeler, dans l’article proposé, la loi qui était l’objet du transfert.

« Article premier. Une somme de 4,000 est transférée de l’article premier du chapitre III du budget de la dette publique, décrété par la loi du 21 février 1835 (Bulletin officiel, n°39), à l’art. 4 du même chapitre de ce budget. »

« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »

Messieurs, les motifs que nous venons d’exposer ont fait adopter à la section centrale du budget des finances la proposition de transfert au budget de la dette publique de 1836, faite par le ministre de ce département. Elle ne propose qu’un léger changement de rédaction. L’article est d’ailleurs de nature à satisfaire à l’urgence réclamée par le ministre.

« Article premier. Un somme de 7,500 fr. est transférée de l’article premier du chapitre III du budget de la dette publique, décrété par la loi du 15 février 1836 (Bulletin officiel, n°21), à l’art. 3 du même chapitre de ce budget.

« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »

- La chambre ordonne l’impression de ces rapports au Moniteur, et décide qu’elle discutera les projets auxquels ils sont relatifs après le vote de la loi sur les mines.

Projet de loi, amendé par le sénat, portant créant d'un conseil des mines

Discussion sur les articles

Titre II. Des indemnités et de l’obtention des concessions

Article 11

M. Pirson remplace M. Raikem au fauteuil.

Dix membres ayant demandé, dans la séance d’hier, la clôture de la discussion de l’art. 11, elle est mise aux voix et prononcée.

M. le président. - M. Dubus avait demandé le retranchement du troisième par paragraphe de l’art. 11, et par conséquent la division ; il avait demandé en outre la division du paragraphe 3 lui-même ; l’honorable membre désire-t-il dire quelque chose sur la position de la question ?

M. Dubus. - La question pouvant, dans l’opinion de bien des membres, être différente lorsqu’elle se présente relativement au demandeur en extension, je demande qu’on mette séparément aux voix la partie du paragraphe 3 qui concerne l’inventeur et celle qui concerne le demandeur en extension. Quoique je désire le retranchement du paragraphe 3 tout entier, je ne demande pas cependant qu’on vote d’abord sur ce retranchement, mais je demande qu’on procède par division. Je voterai contre le paragraphe 3 tout entier et contre chacune de ses parties.

Je pense qu’il y a lieu de mettre aux voix le paragraphe premier, auquel je ne m’oppose nullement, mais que je soutiens, au contraire, de toutes mes forces ; puis le paragraphe 2, puis séparément les deux parties du paragraphe 3, et enfin chacun des paragraphes 4 et 5.

La chambre, votant par division, conformément à la demande de M. Dubus, adopte successivement les diverses parties de l’art. 11.

- L’ensemble de l’article est ensuite mis aux voix et adopté.

Titre III. De l’ouverture de nouvelles communications

Article 12

« Art. 12. Le gouvernement, sur la proposition du conseil des mines, pourra déclarer qu’il y a utilité publique à établir des communications dans l’intérêt d’une exploitation de mines. La déclaration d’utilité publique sera précédée d’une enquête. Les dispositions de la loi du 17 avril 1835, sur l’expropriation pour cause d’utilité publique et autres lois sur la matière, seront observées, l’indemnité due au propriétaire sera fixée au double.

« Lorsque les biens ou leurs dépendances seront occupés par leurs propriétaires, les tribunaux pourront prendre cette circonstance en considération pour la fixation des indemnités. »

M. Dubus. - Messieurs, l’art. 12 autorise l’expropriation pour cause d’utilité publique, pour l’établissement de communications dans l’intérêt d’une exploitation de mines ; lorsque cette exploitation se trouve dans un état d’enclavement, je conçois qu’il y ait lieu d’exproprier ou plutôt d’établir un moyen de communication, à titre de servitude ; c’est là l’application du droit commun, mais ici on va plus loin : même en faveur d’une exploitation qui aurait déjà des moyens de communication, on serait autorisé à exproprier pour lui en assurer qui lui paraîtraient plus profitables ; de sorte que le droit de la propriété est encore ici entièrement sacrifié et mis à la merci de l’exploitant.

Je n’adopterai donc pas cette disposition, mais comme il y a apparence qu’elle sera adoptée par la majorité de l’assemblée, je présenterai quelques observations qui tendent tout au moins à améliorer l’article, à rendre la position du propriétaire moins défavorable, et à empêcher qu’il soit fait de l’article un trop grand abus à son préjudice. La disposition dont il s’agit n’était point rédigée dans les mêmes termes lorsqu’elle a été présentée la première fois à la chambre ; sous prétexte qu’elle était trop défavorable aux propriétaires, et dans l’intérêt de ceux-ci, on a modifié la rédaction première ; mais je crains, messieurs, que le résultat de cette modification ne soit de leur rendre la disposition plus défavorable encore ; voici, messieurs, comme l’article était d’abord conçu :

« Le gouvernement, sur la proposition du conseil des mines, pourra déclarer qu’il y a utilité publique à établir une communication dans l’intérêt d’une exploitation de mines ; dans ce cas on suivra, pour l’indemnité, l’art. 44 de la loi du 21 avril 1810. »

Le premier rapport fait au nom de la commission de la chambre présentait la disposition à peu près dans les mêmes termes :

« Sur la proposition du conseil des mines et après avoir procédé à une enquête et autres formalités prescrites par les lois et matière d’expropriation pour cause d’utilité publique, le gouvernement pourra déclarer qu’il y a utilité publique à établir des communications dans l’intérêt d’une exploitation de mines. Dans ce cas on suivra, pour l’indemnité, l’art. 44 de la loi du 21 avril 1810. »

Vous voyez, messieurs, qu’on renvoyait alors à l’art. 44 de la loi du 21 avril 1810. Cet art. 44 est ainsi conçu : « Lorsque l’occupation des terrains pour la recherche ou les travaux des mines prive les propriétaires du sol de la jouissance du revenu au-delà du temps d’une année, ou lorsqu’après les travaux, les terrains ne sont plus propres à la culture, on peut exiger des propriétaires des mines l’acquisition des terrains à l’usage de l’exploitation. Si le propriétaire de la surface le requiert, les pièces de terre trop endommagées ou dégradées sur une trop grande partie de la surface devront être achetées en totalité par le propriétaire de la mine. » Suit une disposition qui assure une indemnité calculée au double de la valeur.

Ainsi, que porte cet art. 44 ? Que la nécessité d’établir une communication ne devait pas emporter une expropriation, quand le propriétaire n’en voulait pas ; mais seulement une dépossession temporaire, aussi longtemps qu’on aurait besoin de la communication requise, d’occuper le terrain. C’était le propriétaire qui avait le droit de forcer l’exploitant à acquérir le terrain, lorsque la dépossession devait durer plus d’une année.

Voilà ce qui résulte de l’art. 44 de la loi de 1810, lequel accordait en outre au propriétaire dont les pièces de terre seraient trop endommagées la faculté d’exiger qu’on lui achetât les pièces de terre en totalité. S’il n’usait pas de cette faculté, s’il préférait supporter la servitude, moyennant l’indemnité de la servitude, ce n’était pas une expropriation, c’était l’établissement d’une servitude pour cause d’utilité publique.

Le renvoi que faisait le projet de loi à l’art. 44 de la loi de 1810, emportait naturellement l’application à notre espèce des différentes dispositions que je viens de rappeler et qui sont comprises dans cet article 44.

Mais dans la rédaction définitive, et pour rendre l’idée qu’avait imaginée la commission, et qui était de faire procéder aux enquêtes et autres formalités exigées par la loi de 1835, on a supprimé la mention de l’art. 44 de la loi de 1810, et l’on y a substitué une disposition ainsi conçue :

« Les dispositions de la loi du 17 avril 1835, sur l’expropriation pour cause publique, et autres lois sur la matière, seront observées ; l’indemnité due au propriétaire sera fixée au double. »

C’est donc à la loi du 17 avril 1835 qu’on renvoie. Or, cette loi est conçue pour le cas de l’expropriation du fonds lui-même, et non pas pour le cas où il ne s’agirait que de constituer une servitude pour une cause d’utilité publique. A une servitude pour faciliter l’exploitation, on substitue l’expropriation du fonds lui-même sur lequel on veut établir la communication.

Il me semble que si l’article en discussion est adopté sans amendement, il en résultera qu’encore que le propriétaire dise qu’il ne veut pas perdre sa propriété, qu’il supportera la servitude autant de temps que la communication sera nécessaire, mais que l’exploitation terminée ou abandonnée, il entend rentrer dans la jouissance de sa propriété dont il n’aura pas mémé été dépouillé, mais qui aura été simplement grevée de servitudes ; alors même, dis-je, on pourra lui répondre, en vertu de la loi du 17 avril 1835 : Vous serez exproprié malgré vous, et vous perdrez votre propriété.

Quelle serait alors sa position ? La voici : D’abord on le dépouille de sa propriété ; on lui enlève une longue langue de terre qui traverse un domaine tout entier ; et l’exploitation terminée ou abandonnée, on peut lui demander alors la somme que l’on veut pour qu’il obtienne la rétrocession de cette langue de terre ; tandis qu’en appliquant la loi de 1810, on le fait rentrer de plein droit dans la jouissance de sa propriété ; la servitude cesse, parce que la cause ayant cessé, l’effet tombe de lui-même.

Vous voyez, messieurs, que sous ce rapport il y a une immense différence entre l’application de l’une et de l’autre loi. Il y a en outre une grande différence sous le rapport inverse. La loi de 1810 accorde le choix au propriétaire, non pas seulement pour exige qu’on lui achète la portion de terrain strictement nécessaire à l’exploitation, mais encore qu’on lui achète le terrain tout entier, si l’occupation de ce terrain devait amener une dégradation trop grande et par suite une diminution de valeur trop grande de la propriété.

« Si le propriétaire de la surface le requiert, les pièces de terre trop endommagées ou dégradées, sur une trop grande partie de la surface, devront être achetées en totalité par le propriétaire de la mine. »

Or, il arrivera que le propriétaire se trouve dans le cas de cette disposition, et pourrait dès lors avoir intérêt à exiger qu’on lui achetât le terrain tout entier. Maintenant, il ne le pourra plus, me semble-t-il, si vous ne modifiez la rédaction de l’art. 12.

Cet article 12 me paraît laisser encore à désirer, en ce qu’il ne pourvoit nullement à la garantie du propriétaire. Je crois que l’on aurait dû stipuler tout au moins que cette indemnité, fixée ici au double, et qui dans les cas d’une dépossession purement temporaire serait une redevance annuelle, sera garantie par le propriétaire même de la mine.

Que si, au contraire, c’est une somme capitale qui lui est payée, parce qu’il a préféré perdre la propriété du fonds, on devrait exiger- que le paiement fût préalable.

Enfin, je ne sais, messieurs, si d’après cet article, il n’y a pas grandement à craindre pour un propriétaire qui aura déjà des constructions sur un terrain sur lequel on voudrait établir un moyen de communication. Est-ce que les choses pourraient être portées à ce point, qu’on exigeât la démolition de ces constructions et qu’on prît jusqu’à son domicile pour fournir un passage à une exploitation de mine ... ?

M. Gendebien. - Je demande la parole.

M. Dubus (aîné). - La supposition paraît étrange à certains membres ; mais remarquez, messieurs, que vous organisez ici le plus large arbitraire contre le propriétaire, et que s’il arrivait qu’on le dépouillât de son habitation pour satisfaire aux convenances de l’exploitant, on ne pourrait pas dire que la loi a été violée, de la manière dont cette loi est formulée.

Je vous demanderai donc simplement si vous voulez formuler la loi de façon qu’elle prête à une application aussi abusive ; en un mot, si vous prendrez toutes les précautions contre le propriétaire qui semble ici être un ennemi de l’industrie, et si vous n’en prendrez jamais aucune en sa faveur ; si cette loi enfin doit lui être hostile depuis le premier article jusqu’au dernier.

Il me semble, messieurs, qu’on pourrait intercaler entre le premier et le second paragraphe de l’art. 12 les dispositions que voici :

« Le paiement sera préalable et annuel, jusqu’à la fin de l’occupation, à moins que le propriétaire n’exige l’acquisition du fonds même du terrain nécessaire à l’établissement de la communication projetée.

« Le propriétaire pourra aussi requérir que l’on achète en totalité les pièces de terre trop endommagées ou dégradées, conformément à l’art. 44 de la loi du 21 avril 1810.

« La mine restera affectée par privilège tant au paiement des annuités qu’au prix des terrains dont l’acquisition aurait été requise. »

M. Gendebien. - Messieurs, je dois exprimer de nouveaux regrets sur ces discussions éternelles, qui cependant paraissaient vouées à l’oubli et par le vote de la chambre et par celui du sénat.

Il me semble, messieurs, que lorsque le sénat qui, à coup sûr, représente la propriété foncière, a adopté la loi et l’article en discussion, à la presque unanimité, si je ne me trompe, il me semble, dis-je, qu’on peut en toute conscience persister dans un vote précédent, et se dispenser de discussions ultérieures dans l’intérêt ou plutôt à prétexte des intérêts des propriétaires.

Je ne sais pourquoi on arrache constamment un intérêt si grand pour les propriétaires de la surface, alors que l’aristocratie de la propriété ne trouve dans la disposition qui nous occupe aucune espèce d’inconvénient.

On ne parle que des propriétaires, et jamais de l’industrie ; on parle des propriétaires comme si nous allions leur faire violence jusque dans leur domicile. Car, messieurs, vous avez sans doute été étonnés autant que moi qu’on ait paru craindre qu’un exploitant de mines n’allât faire déloger des citoyens de leur domicile pour se donner le plaisir de traverser leur maison avec un chemin de fer ou toute autre communication. Messieurs, n’est-ce pas là pousser les choses jusqu’au ridicule ?

On vous dit que la loi met les propriétaires à la merci des exploitants, et on ose se permettre une pareille allégation en présence d’un texte clair et précis, adopté précédemment par la chambre et par le sénat ! N’est-ce pas faire injure à la chambre et au sénat que se permettre une pareille allégation ! N’est-ce pas faire injure, non seulement aux deux corps, mais au texte même, rédigé de telle sorte qu’il est impossible de se permettre une pareille plaisanterie ; car je ne puis croire que ce soit sérieusement que l’on attaque avec autant de véhémence l’art. 12 ? Cet article porte :

« Le gouvernement, sur la proposition du conseil des mines, pourra déclarer qu’il y a utilité publique à établir des communications, dans l’intérêt d’une exploitation de mines. »

Ainsi le gouvernement juge, le conseil avise et décide et on ne trouve pas de garanties ! Et quand il s’agit de laisser à l’arbitrage du conseil des mines toutes les questions de propriété, il y a confiance complète, malgré la défiance légale de la constitution qui repousse une pareille juridiction ; on laisse alors au conseil à disposer des droits de propriété, des droits civils, des droits les plus importants ; car les richesses souterraines sont aujourd’hui au sol comme 10 est à un. Il n’y a pas d’exploitation qui, une fois qu’elle est mise en valeur, ne vaille 10 fois le sol. Tout cela est laissé au conseil des mines. Mais s’il s’agit de prendre une verge ou deux de terrains à un propriétaire, le conseil cesse de mériter toute confiance.

Il permettra, dit-on, de traverser des jardins, des enclos, des domiciles. Il chassera les citoyens de leur domicile pour se donner le plaisir de faire traverser leurs maisons. Quelles décevantes exagérations !

La suite de l’art. 12 porte :

« … La déclaration d’utilité publique sera précédée d’une enquête. »

Veuillez remarquer ces expressions ; non seulement le conseil des mines avisera, mais il y aura une enquête !

« … Les dispositions de la loi du 17 avril 1835 sur l’expropriation pour cause d’utilité publique, et autres lois sur la matière seront observées ; l’indemnité due au propriétaire sera fixée au double.

« Lorsque les biens ou leurs dépendances seront occupés par leurs propriétaires, les tribunaux pourront prendre cette circonstance en considération pour la fixation des indemnités. »

Je vous demande s’il est possible de prendre plus de précautions, s’il est possible de donner plus de garantie à la propriété.

Eh bien ! malgré cela, on accuse et la chambre et le sénat de livrer la propriété à la merci des exploitants !

On vous a présenté un amendement, pour tempérer, dit-on, l’abus qu’on peut faire de la loi. On vous propose un amendement pour rétablir l’art. 44 de la loi de 1810 sur les mines. Veuillez bien remarquer que la commission avait proposé de se référer à l’art. 44, et que c’est la chambre ou plutôt ceux qui l’invoquent aujourd’hui, qui ne l’ont pas voulu. Car j’avais soutenu l’art. 44. On a voulu alors, comme aujourd’hui, entraver la loi ; on a obtenu ce qu’on désirait, et nous y avons consenti. Preuve nouvelle de notre bonne foi ! Après qu’on a obtenu ce qu’on demandait, on revient aujourd’hui à la disposition qu’on avait combattue. Pourquoi ? Pour amender l’article ; pour prolonger indéfiniment la discussion, afin que la loi soit renvoyée au sénat, et que le sénat nous la renvoyant au moment où nous ne serons plus réunis, on ne puisse clore cette malencontreuse discussion ; en un mot on veut que la loi soit remise à un an. Tous les amendements n’ont pas d’autre but.

Eh bien, voyons l’amendement proposé : on vous dit que l’art 44 n’exigeait pas nécessairement l’expropriation, tandis que l’art. 12 admis par le sénat et par la chambre nécessite toujours l’expropriation ; car il n’y a plus moyen, dit-on, d’occuper momentanément les terrains réclamés par les exploitations de houilles ; il faudra toujours exproprier.

Personne, j’espère, ne se laissera prendre à une aussi fâcheuse interprétation. Il me semble que chacun de nous comprend, sans qu’il soit besoin de le démontrer, qu’on n’aura recours à l’expropriation qu’à l’égard du propriétaire réellement récalcitrant. Toutes les fois qu’un propriétaire consentira à céder momentanément sa propriété moyennant une redevance, n’est-il pas évident que l’exploitant préférera payer annuellement une redevance double plutôt que de payer une fois le double du prix ? Rapportez-vous-en, pour cela, à l’intérêt de l’exploitant. Quel intérêt aura-t-il à payer un capital double ? Quand je dis un capital double, c’est plutôt un capital triple, quadruple, quintuple et même décuple souvent.

Un exploitant qui n’a jamais assez de fonds pour faire les travaux, pour l’avance du capital roulant, nécessaire pour le débit du charbon, ne préférera pas sans doute la mise dehors du quintuple ou du décuple de la valeur, alors qu’il peut payer annuellement une redevance double ou triple sur laquelle il pourra d’ailleurs revenir plus tard s’il y a exagération, tandis qu’une fois que le prix aura été établi pour l’expropriation, il faudra le payer s’il y a exagération ; et il y en a toujours. Il faudrait, pour n’en pas douter, s’être chargé une fois, en sa vie, de faire un bout de chemin, les propriétaires ne sachant que demander, alors qu’on ne fait que leur rendre un grand service. J’en ai vu pour exemples des propriétaires qui avaient le meilleur vouloir, et qui étaient tenus par des liens de reconnaissance envers la personne qui faisait le chemin.

Eh bien, pour le chemin qu’il s’agissait de faire, et qui était de 25 min., le devis estimatif a été plus que triplé ; et à l’heure qu’il est, il y a encore des traités qui ne sont pas définitifs. Le devis a été plus que triplé, et ce devis avait été établi au maximum. L’on supposerait après cela que l’exploitant viendrait de gaieté de cœur exproprier ou plutôt vexer les propriétaires. Mais soyez donc certains que l’on n’expropriera qu’un propriétaire réellement récalcitrant. Ainsi, sous ce rapport, il est inutile d’amender la loi. L’art. 44 de la loi de 1810 recevra son exécution toutes les fois que ce sera possible. Vous pouvez vous en rapporter à cet égard à l’intérêt des exploitants mêmes.

On vous a dit que d’après la loi de 1810 le propriétaire pourrait exiger l’expropriation des terrains qui seraient trop endommagés. Quant à la question de l’art. 44, nous avons proposé son adoption ; vous ne l’avez pas voulue. Aujourd’hui vous y revenez. Pourquoi ? Pour obtenir le même résultat : pour ajourner la loi indéfiniment. Eh effet, comment voudriez-vous aujourd’hui ce que vous n’avez voulu lors de la première discussion ? Expliquez-nous, je vous en prie, cette flagrante contradiction ; nous pourrons alors ajouter quelque foi à la sincérité de vos paroles.

Pourquoi voulez-vous d’un côté que l’exploitant veuille toujours exproprier ? Pourquoi supposez-vous qu’il sera assez aveugle dans des questions d’intérêts pour ne consentir jamais à un arrangement, tandis que d’un autre côté, lorsqu’il s’est agi d’indemniser le propriétaire de la surface, vous lui avez fait l’injure de le croire assez habile pour dissimuler une partie de ses bénéfices pour les soustraire à la portion attribuée au propriétaire de la surface ?

Cette défiance est doublement injurieuse. La loi ne suppose pas d’ailleurs la nécessité de l’expropriation ; veuillez remarquer que dans la loi il s’agit d’indemnité due au propriétaire et non pas d’expropriation. Ainsi, d’un côté, le propriétaire ne sera pas nécessairement exproprié, et de l’autre, si le territoire est tellement morcelé que l’indemnité pour le terrain occupé par un chemin ne suffise pas, il va sans dire qu’on calculera l’indemnité d’après le dommage éprouvé par le propriétaire. Un exploitant prendra, par exemple, deux verges de terrain ; mais restera une troisième verge, formant un triangle séparé de la partie principale du terrain. Le prix de deux verges n’indemnisant pas suffisamment le propriétaire, on calculera l’indemnité pour trois verges.

Que voulez-vous de plus ? Si vous voulez à toute force enrichir le propriétaire, en ruinant l’exploitant, je comprends votre amendement ; je dirai même que votre amendement ne suffit pas. Mais si vous voulez indemniser le propriétaire au double, la loi suffit ; oui, elle suffit ; elle aura même pour résultat, sans être amendée, de rendre les expropriations si difficiles, qu’il ne s’en fera guère, je vous l’assure.

Maintenant, s’il fallait adopter l’amendement de M. Dubus, dans l’esprit et les défiances qu’il a été conçu, il faudrait aller plus loin ; il faudrait tracer au gouvernement, au conseil des mines, aux juges, des règles spéciales et sur le fait et sur le droit.

Si vous ne voulez ne rien laisser à faire aux juges (car c’est là le but au moins apparent de l’amendement, ou je ne le comprends pas), déterminez les cas d’expropriation et des règles fixes d’évaluation.

Mais rassurez-vous, messieurs, la loi ne sera jamais appliquée qu’à l’égard des propriétaires récalcitrants qui seront infiniment rares ; car sur 20 propriétaires, il y en aura 19 satisfaits et par conventions aimables.

Il pourra s’en trouver un seul qui soit récalcitrant, et si vous ne pouvez, par la loi, le contrainte, il portera à préjudice à l’intérêt général et à ses voisins qui seraient enchantés de tirer un aussi bon prix de leur propriété.

On vous a dit qu’il fallait prévoir le cas où les exploitants traversent des constructions, même le domicile d’un citoyen. Croyez-vous qu’il sera bien commun le cas où il s’agira de passer nécessairement par des propriétés bâties ? de deux choses l’une : ou il y aura nécessité de le faire, et alors il faudra bien y passer ; ou il y aura possibilité de faire autrement, alors l’exploitant n’exigera pas ce passage.

Le cas de nécessite sera toujours très rare et j’oserais presque dire qu’il ne se présentera jamais. Ainsi il est inutile de le prévoir, et l’exploitant aura toujours grand soin de l’éviter ; car, quand on fait une estimation sur des bâtisses, il n’y a plus de terme où l’on s’arrête ; telle mesure dont le prix intrinsèque n’est pas de 600 francs sera estimée 6,000 fr. ou même 10,000. S’il s’agit d’expropriation on estimera la mesure comme bâtiment neuf ; croyez-vous que les exploitants iront bénévolement s’exposer à payer 6,000 ou 10,000 fr. lorsqu’en passant à côté il ne leur en coûtera que 600 fr.

Accordez-leur au moins quelque intelligence ; les exploitants ont prouvé qu’ils ne manquaient pas non plus de prévenance, ils savaient calculer leurs intérêts ; ils ont mieux à faire qu’à satisfaire des caprices, surtout des caprices qui coûtent aussi cher.

Quand il s’agit d’indemnité aux propriétaires, croyez qu’ils ne feront pas de sacrifices contraires à leurs intérêts ; et pourquoi agiraient-ils autrement ? Pour quel caprice, pour quelle satisfaction feraient-ils des sacrifices, qu’ils peuvent éviter ? Qu’on veuille bien le dire, les exploitants de houille ne sont pas aussi absurdes qu’on prend plaisir à les peindre.

On nous demande, maintenant, par un amendement, l’indemnité préalable et annuelle, jusqu’à la fin de l’occupation, à moins que le propriétaire n’exige l’acquisition de la totalité, j’ai déjà répondu à cette observation.

Seulement je ne comprends pas cette excessive précaution : « préalable et annuelle, » ces mots jurent de se trouver ensemble ; je ne sais pas trop ce que signifie le mot « préalable » à côté du mot « annuelle. » Toutefois je crois qu’il ne sera pas nécessaire de sous-amender l’amendement de M. Dubus, parce qu’il sera rejeté.

M. le président. - M. Dubus propose un quatrième paragraphe à son amendement en discussion. Le voici : « Ces voies de communication ne pourront être établies de manière à trouver des constructions ou enclos murés. »

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - On ne conteste pas que, dans l’intérêt général, il ne puisse être nécessaire d’établir des communications pour l’exploitation d’une mine ; ce n’est que sur l’exécution du principe que des difficultés sont élevées. Je pense que ces difficultés se rapportent à deux points bien distincts : l’un qui concerne l’appréciation de l’indemnité, et l’autre la question de savoir s’il y a véritablement expropriation de la partie du terrain sur laquelle passe le chemin autorisé.

Quant à la première question, je dirai comme le préopinant que la chambre des représentants a modifié le texte du projet de loi, lors de la première discussion, pour donner plus de garantie aux propriétaires.

Le souvenir de cette discussion m’est encore présent. On a voulu ne point accorder à certains particuliers un droit extraordinaire au détriment d’autres particuliers ; on a voulu donner l’indemnité la plus large, le double, à ceux qui seraient obligés à céder leur propriété. C’est dans ce sens que le texte de la loi est rédigé.

Quelques doutes s’étaient élevés, cet égard, au sénat ; on demanda si l’indemnité portait non seulement sur le dommage principal, mais encore sur les dommages accessoires ; permettez-moi, messieurs, de reproduire la réponse que j’ai faite et que je retrouve dans le Moniteur. Il me serait difficile d’être plus court, et je crois devoir épargner vos moments.

Je disais :

« La rédaction proposée par la chambre des représentants : : « L’indemnité due au propriétaire sera fixée au double, » ne présente aucune difficulté. » Le mot « indemnité » comprend non seulement la valeur de la chose en propriété, mais encore l’estimation de tous les dommages-intérêts, c’est-à-dire l’évaluation de la perte essuyée et du bénéfice dont on est privé par suite de cette expropriation. Le propriétaire aura le double de tout cela : il est inutile de parler des indemnités accessoires ; elles sont contenues, ainsi que le dommage principal, dans l’indemnité stipulée par la loi. Le sens de ce terme de jurisprudence ne donnera lieu à aucun doute devant les tribunaux. »

En effet, l’amendement proposé au sénat fut à peine appuyé par deux ou trois voix ; l’assemblée, pour ainsi dire à l’unanimité, l’a rejeté. Je crois que la chambre suivra le même exemple, et je le crois d’autant plus que c’est la chambre qui avait proposé la modification.

Quant à la deuxième question, celle de savoir si, lorsque la communication est établie pour cause d’utilité publique, et lorsque ce chemin n’est plus nécessaire, le terrain retourne à l’ancien propriétaire, il me semble que le texte peut-être interprété de manière à donner toute satisfaction au préopinant.

Quant à moi, je ne sais pourquoi on priverait le propriétaire de cette partie de son terrain lorsque la nécessité de l’exploitation n’en exige plus le sacrifice. La loi dit-elle que l’expropriation est forcée ? Non ; elle dit que le passage est forcé, que ce droit est dans l’intérêt public, et qu’il n’est accordé que pour obtenir la communication forcée, et seulement dans les mêmes formes que pour l’expropriation. Mais la loi ne dit pas qu’il y a expropriation.

S’il est nécessaire de passer par des constructions, et si l’on ne peut s’entendre avec le propriétaire, alors il faudra bien exproprier, car on ne peut pas détruire une construction pour la rétablir ensuite. Mais s’il s’agit de traverser une campagne, un terrain, on donnera le double, en indemnité, au propriétaire, à raison de la servitude ; et lorsque la servitude cessera, la propriété deviendra libre et retournera à son ancien possesseur.

C’est ainsi que j’interprète la loi. Au reste, les privilèges, les servitudes doivent être restreintes, et toute loi doit être interprétée en faveur de la propriété, de la liberté des héritages.

M. Dumortier. - Je n’attache pas grande importance à ce que la loi soit ou ne soit pas amendée ; cette circonstance en elle-même ne signifie rien, parce que le sénat s’assemble à la fin de ce mois. Si nous amendons la loi, le sénat n’en sera pas fâché, car il représente la propriété ; et je crois que la loi sera bien plus facilement votée sans l’art. 12. D’ailleurs, M. Seron a déposé deux amendements d’une telle nature qu’il serait injuste de ne pas les adopter ; ainsi nous ne devons pas craindre de faire un amendement de plus.

Quant à moi qui trouve la loi inconstitutionnelle, je ne saurais souhaiter qu’elle eût une prompte exécution ; et de tous mes vœux j’appelle des améliorations à l’article 12. Que porte cet article ? Le gouvernement pourra déclarer qu’il y a utilité publique à établir des communications dans l’intérêt d’une exploitation de mines ; ainsi l’exploitation de mines, aux termes de cet article, c’est l’intérêt public.

Il ne résulte pas clairement de l’article 12 que le gouvernement devra exproprier ; c’est ensuite que le gouvernement peut accorder l’expropriation.

La question de savoir s’il y a lieu ou s’il n’y a pas lieu d’appliquer cette disposition, c’est au ministre qu’il appartient de la décider ; mais du jour où nous votons cette disposition, nous accordons l’expropriation pour cause d’utilité publique, dans l’intérêt d’une seule exploitation.

Il se présente ici une question très grave. Faut-il, nous a-t-on dit, qu’une mine très riche, découverte dans une propriété quelconque, soit réduite à ne pouvoir jamais être exploitée, parce que les propriétaires des champs voisins refuseront de donner passage à l’exploitation. Si la question se réduisait à ces termes, je serais le premier à donner mon assentiment à l’article ; ou plutôt, je le considérerais comme inutile, parce que les lois ont déjà stipulé pour ce cas. Mais il s’agit ici de tout autre chose, il s’agit de donner des chemins à grande distance. Que porte le code, qui est la loi qui nous régit, pour le cas où il s’agit d’un simple droit de passage. Quand il ne s’agit que de donner issue à l’exploitation d’une propriété enclavée, le code y a pourvu, et insérer dans la loi actuelle une disposition dans ce sens serait un double emploi et par conséquent une inutilité.

Les propriétaires dont les fonds sont enclavés, porte l’art. 682 du code civil, et qui n’ont aucune issue sur la voie publique, peuvent réclamer un passage sur les fonds du voisin, pour l’exploitation de son héritage, à charge de payer une indemnité pour le dommage qu’ils peuvent occasionner, L’article suivant porte que le passage doit être près du côté où la distance de la propriété enclavée à la voie publique est la plus courte. L’art. 684 ajoute que le passage devra être établi dans la partie de la propriété voisine la moins dommageable.

Ainsi, si l’on accorde une concession de mine sur un champ quelconque, les lois actuelles sont suffisantes pour que le concessionnaire obtienne une issue pour conduire son minerai jusqu’à la voie publique. Si telle est la portée de l’article, il est complètement inutile, les lois y ont pourvu.

Mais il s’agit de bien autre chose dans les expressions ambiguës de l’article, il y a une autre pensée que celle du code ; on veut autoriser le gouvernement à déclarer d’utilité publique un chemin d’une lieue, de plusieurs lieues, qui donne à une mine quelconque le passage jusqu’à l’endroit qui conviendra à l’exploitant. Ce n’est pas d’un passage jusqu’à la route la plus voisine qu’il s’agit, mais jusqu’à la route ou le canal vers lequel il conviendra aux exploitants de le diriger. Une houillère se trouvera à une lieue du canal ; le propriétaire pourra, au moyen d’expropriations pour cause d’utilité publique, établir une communication en ligne droite avec ce canal.

Ici se présente une question très grave, une question constitutionnelle. Pouvez-vous admettre qu’il y a utilité publique quand il s’agit de créer une communication dans l’intérêt d’une industrie privée ? Ouvrez la constitution, elle a parlé ; nous devons nous en rapporter ? Ce qu’elle a décidé, nous ne pouvons pas délibérer sur les termes de sa décision.

« Nul, dit l’art. 11, ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière déterminée par la loi et moyennant une juste et préalable indemnité. »

Il faut qu’il y ait utilité publique. L’utilité publique, c’est l’utilité de tous, ou l’utilité du plus grand nombre. Pourra-t-on jamais prétendre que l’intérêt d’une exploitation, c’est l’intérêt public ? Peut-on dire, parce que telle société est intéressée à avoir une communication directe de tel point à tel autre, qu’on doit enlever à chaque citoyen sa propriété et violer son domicile pour établir cette communication, parce que l’intérêt public y est intéressé ? Est-ce que le minerai se vendra un denier de moins par suite de cette concession ? Est-ce que la moindre parcelle du bénéfice qui en résultera arrivera au consommateur ? Non ; mais cette société envahissante, qui cherche à accaparer toutes les mines de la Belgique, trouvera encore dans la loi un moyen de s’emparer de la propriété des citoyens. Voilà la portée de l’article en discussion.

Si une pareille doctrine était admise, il n’y aurait plus rien de sacré dans la Belgique. Les Etats reposent sur le principe de la propriété ; notre nationalité, c’est la propriété. De même les familles et la société ont pour base la propriété. C’est le premier droit que les hommes réunis ont reconnu entre eux ; et vous iriez, dans l’intérêt de quelques concessionnaires, porter atteinte à ce droit sacré garanti dans toute société ! Si vous admettez, dans l’intérêt d’un établissement privé, parce que l’intérêt de l’industrie qu’on y exploite l’exige, qu’on doit priver un citoyen de son domicile, l’exproprier pour cause d’utilité publique, quelles seront les conséquences de l’adoption d’un pareil principe, je ne sais où elles pourront s’arrêter.

Je citerai quelques exemples pour prouver qu’une pareille proposition mènerait à l’absurde. On fera exproprier dans toute une direction, dans l’intérêt d’une concession quelconque, pour qu’elle puisse faire arriver son minerai ou sa houille à un canal ; mais une fois arrivée à ce canal, il lui faudra un rivage, car il faudra qu’elle dépose quelque part ce minerai ou cette houille ; par le même motif que vous venez de déclarer que l’intérêt de tous exigeait qu’un passage fût ouvert par la voie la plus courte, ne pourrez-vous pas prétendre qu’il y a utilité publique à donner un rivage à cette exploitation ? Vous exproprierez alors les riverains pour donner un rivage à cette exploitation. Voilà où vous arrivez par une conséquence directe, si vous admettez le principe posé.

Il y a plus : il est, dit-on, de l’intérêt public que les richesses du pays ne restent pas improductives. C’est un objet d’intérêt général, et pour cela il faut exproprier le prochain. Eh bien, vous avez dans votre propriété un ruisseau, un cours d’eau ; ce cours d’eau, vous n’en faites pas usage. Ne pourra-t-on pas dire qu’il est de l’intérêt public que ce cours d’eau ne reste pas sans emploi, et venir en demander l’expropriation pour établir une usine ? J’aurai le même droit que vous de faire cette demande, parce que ce sera au nom de l’industrie que je parlerai ; j’aurai le même droit, la même raison pour obtenir ce que je demanderai que le concessionnaire pour avoir à travers toutes les terres des propriétaires un passage qui lui permette de gagner quelques mille francs de plus.

Il y a plus encore, j’ai une fabrique ; cette fabrique prend tous les jours de l’extension, et j’aurais bientôt besoin de la maison de mon voisin pour augmenter mes ateliers ; mais mon voisin ne veut pas me vendre sa maison ; or, les fabriques sont un objet d’utilité publique ; car si la Belgique n’avait pas de fabriques, les ouvriers mourraient de faim ; je demanderais l’expropriation de la maison du voisin pour agrandir ma fabrique. Voilà où vous arriveriez si vous pouviez admettre le principe qu’on vous propose. Vous ne trouverez jamais une pareille disposition dans les lois d’un peuple civilisé. Je défie de me la montrer dans une seule loi.

Ce que je dis ici n’est pas une chimère. Je pourrais citer telle ville où une fabrique, pour s’étendre, a offert à un honorable citoyen de grands capitaux, et cet honorable citoyen a répondu : J’habite la maison qu’habitèrent mon père et ma mère. je veux y vivre et y mourir. C’est ce qui est arrivé à Nabot, quand on a voulu exproprier sa vigne.

On pourrait ainsi exproprier les citoyens purement dans un intérêt privé.

Je vous le répète. Il n’y aurait plus rien de sacré en Belgique : on trouverait toujours, je ne dis pas des motifs, car il n’y en aurait pas, mais des prétextes pour obtenir une expropriation . Je porte un trop grand respect au droit de propriété, pour jamais consentir à ce qu’il y soit porté atteinte.

Remarquez que la disposition qu’on va mettre aux voix ne frappera que les petits ; car, comme disait un philosophe grec, les lois sont une toile d’araignée au travers de laquelle les puissants passent toujours, mais dans laquelle les petits sont toujours pris.

Les riches et les puissants traverseront la toile d’araignée, mais les petits seront pris à la loi que vous voulez voter. Ayez donc égard aux petits, aux faibles, à ces honnêtes gens dont vous êtes les mandataires ; maintenez leurs droits, protégez-les contre cette société qui sans grande dépense voudrait trouver moyen d’avoir ce qu’elle ne pourrait obtenir qu’au prix de grands sacrifices.

Jusqu’ici nous n’avons jamais eu dans nos lois de disposition semblable à celle qu’on vous propose, et pourtant nos mines ne sont pas restées inexploitées ; on a toujours pu extraire le minerai et la houille et les faire arriver au rivage.

On donnera, dit-on, au propriétaire exproprié une double indemnité. Je dis que c’est une preuve qu’il n’y a pas utilité publique ; vous accordez cette double indemnité pour pallier la violation de la constitution.

De deux choses l’une : ou il y a utilité publique, et alors vous ne devez, aux termes de la constitution, accorder qu’une juste indemnité et non une double indemnité ; ou bien il n’y a pas utilité publique, et alors la double indemnité n’est accordée, comme je viens de le dire, que pour pallier une inconstitutionnalité. Il est manifeste qu’on ne peut pas admettre cet article : ce serait une violation de la constitution, ce serait une atteinte portée au droit le plus sacré, dépouiller les petits propriétaires au profit des riches.

Je voterai donc contre l’article, et j’espère que la chambre l’écartera, car je pense qu’il n’y a pas le plus léger motif pour l’admettre. S’il ne s’agit que de procurer à la mine une issue jusqu’au chemin le plus voisin, le droit actuel est suffisant ; s’il s’agit, au contraire, de créer une direction nouvelle, alors la disposition est injuste et inconstitutionnelle ; vous ne pouvez donc admettre cette disposition, car la considération que, si elle était rejetée, la loi devrait être renvoyée au sénat n’est certes pas suffisante pour vous déterminer à commettre une inconstitutionnalité.

M. Dolez. - Je me bornerai, messieurs, à une simple observation : c’est que l’argumentation de l’honorable M. Dubus et de l’honorable M. Dumortier repose sur la fausse entente qu’ils ont de l’article en discussion : ils entendent cet article comme s’il portait que le gouvernement devra autoriser l’expropriation pour cause d’utilité publique, tandis que l’article dit seulement que le gouvernement pourra autoriser cette expropriation. Or, quelle est la conséquence de ce fait ? C’est que l’article en discussion n’introduit qu’un seul changement dans la législation actuelle, changement qui est tout en faveur de la propriété : en effet, dans l’état actuel de la législation, le gouvernement peut décréter, après avoir rempli les formalités prescrites par les lois sur la matière, qu’il y a utilité publique dans l’établissement d’un chemin destiné à une seule houillère ; eh bien, ce que le gouvernement peut faire sous la législation actuelle, il le pourra encore si vous adoptez l’article qui vous est soumis ; le seul changement qu’opérera cet article, c’est que le propriétaire exproprié qui, actuellement, n’a droit qu’à une simple indemnité, aura droit alors à une indemnité double. Le seul changement que l’article apporterait à la législation existante, n’est donc autre chose qu’une faveur plus grande accordée à la propriété foncière. Lorsqu’une expropriation aura été demandée, une enquête aura lieu, et si cette enquête constate que l’établissement d’une voie nouvelle n’est pas assez important pour justifier une expropriation pour cause d’utilité publique, le gouvernement fera ce qu’il fait aujourd’hui, il refusera l’autorisation d’exproprier, et le propriétaire gardera sa propriété ; si au contraire l’enquête constate qu’il y a utilité publique dans l’établissement d’une voie nouvelle, le gouvernement usera de la faculté qu’il a déjà sous la législation actuelle, et le propriétaire seul gagnera à la disposition qui vous est soumise.

Comme un de nos honorables collègues l’a dit, en pareille matière, le meilleur appréciateur des intérêts de la propriété foncière, c’est sans doute le sénat ; eh bien, le sénat a prouvé qu’il est absolument tranquille sur le sort de la propriété foncière : il a adopté presqu’à l’unanimité le projet qui nous est actuellement soumis : je crois donc que nous ne devons point admettre le changement qui nous est demandé, et qui ne serait, à mon avis, qu’un changement dans les termes, quoiqu’il aurait pour effet, en retardant l’adoption de la loi, de laisser peut-être pour longtemps encore la législation sur les mines dans un état d’incertitude complète.

Je crois, messieurs, pouvoir borner là mes observations ; je pense qu’elles doivent tranquilliser toutes les inquiétudes.

(Moniteur belge n°104, du 14 avril 1837) M. Dubus. - Messieurs, M. le ministre de la justice, en expliquant l’amendement que j’ai eu l’honneur de vous proposer, a dit que l’on ne conteste point le principe de l’article, que l’on n’élève des difficultés que sur l’application de ce principe ; cette observation est tout à fait erronée en ce qui me concerne : vous savez, messieurs, que j’ai eu soin de dire en débutant que je m’opposais à l’article et au principe de l’article ; que c’était uniquement dans la crainte de le voir adopter que je proposais un amendement, pour autant que possible l’améliorer, le rendre moins dommageable pour la propriété ; je partage entièrement l’opinion de mon honorable ami qui veut rejeter l’article.

Quoi qu’en ait dit l’honorable préopinant, l’article introduirait une innovation grave au préjudice de la propriété : la constitution est là, et je pense qu’elle dit assez clairement que nul ne peut être privé de sa propriété si ce n’est pour cause d’utilité publique : il faut donc que l’utilité publique existe, qu’elle existe réellement.

« Le gouvernement (dit l’honorable membre ), dans l’état actuel des choses et sans l’article dont il s’agit, pourrait déclarer qu’il y a utilité publique à établir une communication dans l’intérêt d’une exploitation de mine. » Je crois, messieurs, que le gouvernement ne le pourrait pas ; je crois que le gouvernement ne pourrait pas dire qu’il y a utilité publique à établir une communication dans un intérêt privé : ce sont là deux termes qui s’excluent. Or, que veut-on faire faire à la loi, si ce n’est faire donner d’avance au gouvernement un bill d’indemnité pour les violations plus ou moins fréquentes d’un principe constitutionnel, qu’il pourrait commettre ? Voilà quel est l’objet de l’article. Si vous n’adoptez pas l’article, le gouvernement n’oserait pas déclarer qu’il y a utilité publique à établir une communication dans un intérêt privé, dans l’intérêt de l’exploitation d’une mine qui, ayant déjà une voie de communication, n’aurait pas pu obtenir, aux termes de l’art. 682 du code civil, l’autorisation de passer sur l’héritage voisin ; mais au moyen de l’article qu’on vous propose le gouvernement osera, et la responsabilité des violations de la constitution pèsera sur vous.

M. Gendebien. - Au Flénu, le cas s’est présenté, et en vertu de la législation actuelle l’expropriation a eu lieu, moyennant une indemnité simple ; cependant aucune réclamation ne s’est élevée à cet égard.

M. Dubus. - On dit que la chose a eu lieu au Flénu ; mais il s’agissait là d’un chemin de fer qui intéressait vraiment un canton tout entier et un grand nombre d’exploitations. etc., qui traverse peut-être la cinquième partie de la province du Hainaut.

M. Gendebien. - Pas la centième partie !

M. Dubus. - Remarquez, messieurs, les termes dans lesquels est conçu l’article : « Le gouvernement, sur la proposition du conseil des mines, pourra déclarer qu’il y a utilité publique à établir des communications dans l’intérêt d’une exploitation de mines. » C’est donc l’intérêt d’un seul exploitant qui pourra être déclaré utilité publique. Je suis convaincu que, sans l’article, le gouvernement n’oserait pas le faire, en présence de la constitution ; vous aurez donc à voir si vous voulez prendre sur vous la responsabilité de la violation de la constitution. Voilà, messieurs, ce que j’avais à dire sur le principe de l’article, auquel je persiste à m’opposer. Je dirai encore quelques mots sur l’amendement que je n’ai proposé que dans la crainte de voir admettre l’article.

L’amendement paraît inutile à M. le ministre, qui l’a combattu parce que, dit-il, « le gouvernement n’usera de l’article que dans le cas de nécessité, qu’il ne fera que ce qui est absolument nécessaire ; que s’il suffit d’établir une servitude, on se bornera à une servitude, et qu’on n’ira jusqu’à l’expropriation que dans le cas d’une évidente nécessité. » Remarquez, messieurs, que le principe même de l’article est en opposition avec la thèse que soutient M. le ministre, puisque l’article va plus loin que la nécessité, en accordant le droit d’exproprier pour communication nouvelle en faveur d’une exploitation qui aurait déjà une voie de communication, et qui sans cela pourrait en obtenir une aux termes de l’art. 682 du code civil, lequel accorde à toute propriété enclavée l’accès à la voie publique. C’est donc parce qu’on veut aller au-delà de la nécessité, parce qu’on veut satisfaire les convenances des exploitants de mines, leur donner des communications plus faciles, des moyens de gagner plus d’argent, que l’on vous propose l’article dont il s’agit ; c’est l’utilité particulière des exploitants qu’on veut ériger en utilité publique.

« On n’impose pas, dit-on, au gouvernement l’obligation d’accorder l’autorisation d’exproprier ; ce n’est qu’une simple faculté qu’on lui accorde. » Eh, messieurs, c’est beaucoup trop qu’une semblable faculté ; lorsque l’intérêt privé des propriétaires voisins se trouve en présence de l’intérêt également privé d’un exploitant, entre ces deux intérêts privés c’est l’article de la constitution seul qu’il faut appliquer ; vous ne pouvez pas sacrifier l’intérêt des propriétaires à l’intérêt de l’exploitant.

M. le ministre a dit que le changement qui a été introduit dans l’article ne l’a été que dans l’intérêt des propriétaires ; soit ! C’est ce qui résulterait, je le suppose, de la discussion qui a eu lieu ; mais si le changement de rédaction dont il s’agit aggrave la position des propriétaires, la discussion ne servira de rien, car c’est le texte qui sera appliqué.

Or, ce texte ne renvoie plus en aucune façon à la loi de 1810 ; et, remarquez-le bien, l’art. 44 de la loi de 1810 ne comprend pas le cas prévu par votre art. 12.

Je vous le demande : si maintenant vous n’insérez pas dans l’article une disposition formelle, pour rappeler l’application de l’article 44 de la loi de 1810, à quel prétexte pourra-t-on l’appliquer ? L’art. 44 de la loi de 1810 donne le choix au propriétaire qu’on veut déposséder, ou de n’être dépossédé que de l’occupation en quelque sorte, ou d’exiger qu’on achète le fonds même.

Eh bien ! ce choix, selon les expressions de M. le ministre de la justice, ce choix-là, ce serait le gouvernement qui l’aurait. Le gouvernement pourrait donc, dans un cas assurément beaucoup plus favorable pour le propriétaire que celui de l’art. 44 de la loi de 1810, le gouvernement pourrait, dis-je, placer le propriétaire dans une position pire, l’exproprier, lui faire perdre la propriété même du fonds, quoiqu’il consentît à supporter une servitude. Et remarquez que par une conséquence de cette position, il ne pourra plus, alors qu’on n’aura plus besoin de la voie de communication, il ne pourra plus rentrer dans sa propriété, à moins qu’il ne consente à payer tout ce qu’on voudra pour obtenir la rétrocession.

L’article de la loi de 1810 va plus loin ; il accorde aussi au choix du propriétaire, à sa simple réquisition, d’obtenir le paiement entier de la valeur des parties de terre qui seraient trop endommagées ou trop dégradées.

Eh bien ! Je ne conçois pas que l’on puisse prétendre que cette disposition est comprise virtuellement dans l’art. 12 qui ne renvoie plus à cet art. 44 de la loi de 1810, lequel, je le répète, ne comprend pas du tout les cas de l’art. 12. C’est dans le texte même de l’art. 12 qu’on voudra trouver la véritable entente de cet article, et tout ce qui est en dehors de ses dispositions on le déniera au propriétaire.

Les explications de M. le ministre de la justice reviennent en résultat à ceci : que le gouvernement ne fera qu’un usage modéré de l’art. 12 ; mais en définitive vous aurez mis le propriétaire à la discrétion du gouvernement ; c’est parce que le gouvernement ménagera les propriétaires que les abus que je crains n’auront peut-être pas lieu ou n’auront lieu que rarement. Mais pouvez-vous, messieurs, en pareille circonstance, mettre les propriétaires à la merci du gouvernement ?

Lorsque j’ai parlé du cas possible qu’un propriétaire pût être exproprié même de son domicile, on s’est récrié, et cependant dans la discussion on a fini par dire que, si cela avait lieu, ce serait dans des cas très rares et dans les limites d’une absolue nécessité.

Ainsi, messieurs, on irait jusque-là, et pourquoi ? pour donner à un exploitant, à un seul exploitant qui a déjà une voie de communication (car, sinon, aux termes de l’art. 682 du code civil il peut en obtenir une), pour lui en donner, dis-je, une deuxième qui lui procure plus de facilités pour l’écoulement de ses produits. Et l’on irait pour cela jusqu’à exproprier un voisin de son domicile ! Appréciez, d’après les explications mêmes de ceux qui ont défendu l’article, appréciez sa portée, et voyez si vous pouvez l’admettre, au moins sans amendement,

M. le ministre des travaux publics(M. Nothomb). - Messieurs, nous devons bien nous rendre compte du but de l’art. 12 du projet de loi. C’est, comme on vous l’a dit, une extension donnée à l’article 682 du code civil.

Cet article accorde au propriétaire enclavé le droit de réclamer un passage sur l’héritage voisin. Cet article reste la règle ; la proposition nouvelle qui vous est soumise est l’exception. Cette exception est applicable à l’exploitant non enclavé et qui réclame un passage plus direct sur la propriété d’autrui.

Ainsi, le propriétaire enclavé trouve des ressources suffisantes dans l’art. 682 du code civil ; c’est l’exploitant non enclavé qui, dans certains cas, réclamera un droit de passage en vertu de la loi nouvelle.

Quant au propriétaire non enclavé, c’est-à-dire qui a ou peut avoir une communication avec la voie publique sur son propre héritage, s’il juge convenable de recourir à l’art. 12 de la nouvelle loi, ce sera dans des cas extrêmement rares, dans des circonstances telles que les avantages qui en résulteront compenseront les sacrifices énormes imposés par l’art. 12.

Ainsi, messieurs, le propriétaire non enclavé se gardera bien de réclamer légèrement le privilège que cet article lui accorde, parce que ce privilège lui sera excessivement onéreux ; ce ne sera pas une affaire de convenance, ce serait payer bien cher des convenances.

Il n’y a pas de limites dans la loi, a dit l’honorable M. Dumortier ; mais les limites, messieurs, se trouvent dans l’intérêt même de l’exploitant ; l’exploitant non enclavé ne se prévaudra qu’à la dernière extrémité de l’art. 12.

Il y a encore d’autres limites dans la loi que l’intérêt de l’exploitant.

Il faut qu’il soit reconnu par le gouvernement, de l’avis du conseil des mines et à la suite d’une enquête publique, qu’il y a utilité publique à établir une communication plus directe. Il faut qu’un ensemble de faits vienne constater qu’il y a intérêt général à rendre telle exploitation plus facile, telle exploitation même possible par l’établissement de la nouvelle voie. C’est de cette manière que l’article 12 doit être entendu.

Ainsi vous avez des garanties dans la nécessité de l’enquête, dans la publicité qui en accompagne toutes les formalités ; vous en avez encore dans l’intérêt des exploitants eux-mêmes, qui ne réclameront une communication onéreuse sur l’héritage d’autrui qu’en cas d’absolue nécessité.

M. le ministre de la justice vous a déjà fait remarquer que le principal objet de l’amendement de M. Dubus était rempli par l’art. 12 tel qu’il est rédigé et tel qu’il doit être sainement interprété. Cet article, vous a-t-on dit avec raison, n’emporte pas nécessairement l’expropriation du fonds ; l’art. 12, sous ce rapport, laisse toute latitude.

Il se peut, messieurs, qu’il résulte de l’art. 12, soit une simple servitude de passage, soit l’expropriation du fonds. Le choix n’en est pas laissé précisément au gouvernement, comme l’a supposé M. Dubus ; ce choix peut être fait, et le sera ordinairement, par les parties elles-mêmes.

Il est d’ailleurs de l’intérêt de l’exploitant que la communication lui soit accordée au moyen d’une simple servitude ; dans ce cas la communication lui sera moins onéreuse. L’indemnité double qu’il doit payer ne sera calculée qu’à raison du droit de passage. Ainsi il sera de l’intérêt de l’exploitant de ne se prévaloir de l’article 12 que pour demander au propriétaire voisin le droit de passage, parce que, je le répète, l’indemnité sera beaucoup moindre dans ce cas. Ce ne sera que sur le refus du propriétaire qu’il y aura expropriation du fonds. Ce sera le propriétaire lui-même qui répondra à l’exploitant : Je ne veux pas vous accorder le droit de passage, ni une simple servitude ; je veux qu’il y ait expropriation du fonds ; je veux l’indemnité la plus forte.

Ainsi l’art. 12 non seulement est susceptible de deux applications différentes, mais je dis en outre que l’application que l’exploitant réclamera de préférence, c’est l’application dans le sens de la servitude seulement, c’est-à-dire de la non-expropriation du fonds.

Je répète donc ce qu’a déjà dit M. le ministre de la justice, savoir que l’objet principal de l’amendement de M. Dubus est rempli par l’art. 12 tel qu’il est rédigé.

Ainsi, messieurs, cet article ne présente pas dans l’application la nécessité absolue de l’expropriation ; il est susceptible de deux modes d’exécution.

Le mode d’exécution que réclamera l’exploitant, est celui qui ne suppose que la servitude de passage. Dans ce cas il sera nécessairement stipulé que la cause de la servitude venant à cesser, la servitude elle-même cessera. L’exploitant lui-même le demandera, car que ferait-il d’une servitude dont il n’a plus besoin ?

Je me résume : M. Dubus veut bien croire que le gouvernement fera un usage modéré de l’art. 12. Je crois qu’il en sera de même de l’exploitant ; et sa garantie est son intérêt bien entendu. (La clôture ! la clôture !)

M. F. de Mérode. - Je demande la parole contre la clôture.

Messieurs, la question est d’une assez haute importance, pour ne pas clore la discussion avant que les orateurs ne renoncent à la parole. Une disposition comme celle dont nous nous occupons, dont on a fait ressortir tant d’inconvénients, mérite de la part de l’assemblée quelques moments d’attention. C’est précisément parce qu’il n’y aurait plus moyen de revenir sur cette question, la loi ne devant plus être reportée au sénat, si l’article est adopté, qu’on doit laisser épuiser la discussion.

M. Dumortier. - Indépendamment de la gravité de la question, il n’est pas d’usage de clore une discussion après un ministre. Je demande que M. de Mérode, ministre d’Etat, qui demande la parole comme député, soit entendu.

- La chambre consultée ne ferme pas la discussion.

M. F. de Mérode. - (Note du webmaster : Le Moniteur du jour signalait que le discours serait publié dans un numéro ultérieur du Moniteur. Ce discours n’a pas été retrouvé.)

M. Gendebien. - On est revenu aujourd’hui sur la question d’utilité publique.

L’honorable M. Dubus avait renoncé à soutenir cette thèse, parce qu’il avait compris, par les discussions précédentes, qu’elle n’était pas soutenable.

L’article 11 dit à la vérité : « Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique. »

Il n’y a pas de doute, la constitution veut qu’il y ait utilité publique pour priver un citoyen de sa propriété. Eh bien, voulons-nous autre chose que la constitution quand nous disons que le gouvernement pourra après enquête prononcer qu’il y a utilité publique ? L’utilité publique est un fait ; dans l’appréciation de ce fait, on peut se tromper et violer la constitution, mais c’est seulement dans l’exécution que la violation peut avoir lieu. Si un ministre se trompe dans l’appréciation de ce fait, il pourra violer la constitution dans l’application de la loi, c’est ce qui peut arriver dans toute expropriation. Je ne pense pas qu’on en prenne jamais pour des questions semblables. Mais alors, ce n’est pas vous qui aurez violé la constitution, ce sera le ministre. Ensuite pouvez-vous craindre qu’il viole à ce propos la constitution ? S’agit-il de ces grandes questions d’Etat qui peuvent déterminer un ministre à passer à coté ou au-dessus de la constitution, car ils prétendent toujours ne pas la violer ? Quel intérêt un ministre peut-il avoir à déclarer qu’il y a utilité publique là où cette utilité n’existerait pas ? Ensuite n’avez-vous pas une garantie dans le conseil des mines ; n’en avez-vous pas encore une dans l’enquête ? Dès lors disparaissent ces grandes inconstitutionnalités sur lesquelles on s’appuyait. On peut, je le répète, violer la constitution dans l’application, dans l’appréciation du fait ; mais la loi ne la viole pas.

On a pu se passer jusqu’ici de loi d’expropriation ; pourquoi changer l’état de choses ? dit M. Dumortier.

On a déjà fait remarquer en effet qu’on n’avait pas besoin de la loi actuelle pour exproprier. N’avons-nous pas toutes les lois qui établissent le droit d’exproprier pour cause d’utilité publique ? Pour preuve je citerai ce qui s’est fait près de Mons pour établir le chemin de fer du Flénu : on a fait les expropriations à la simple valeur en vertu des lois actuellement existantes, et quelles réclamations s’est-il élevé dans cette chambre et ailleurs contre ces expropriations ? Aucune, et aujourd’hui qu’il s’agit d’autoriser de semblables expropriations en payant le double de la valeur, on jette les hauts cris, on invoque la constitution.

Mais, dit-on, il s’agissait de trois ou quatre sociétés. Si c’était dans l’intérêt de trois ou quatre sociétés, je ne vois pas qu’il y ait plus de motifs pour violer la constitution au profit de quatre qu’au profit d’une seule, et la violation eût toujours existé, ou plutôt la constitution restera intacte dans un cas comme dans l’autre.

On vous a dit que s’il était question d une fabrique à laquelle on voulût donner de l’extension on pourrait également demander l’expropriation des maisons voisines pour cause d’utilité publique, parce que les fabriques sont utiles au pays.

Remarquez qu’il n’y a pas de comparaison possible entre une exploitation de mine et une fabrique. Une fabrique peut s’établir partout : si elle se trouve trop à l’étroit dans une localité, on peut la transporter ailleurs ; pour une mine, c’est bien différent. La mine est là, elle ne peut se déplacer ; il faut bien y établir l’exploitation, et cette exploitation une fois établie, vous ne pouvez pas la déplacer plus que la mine. Il n’y a donc pas d’argument à tirer du rapprochement qu’on a voulu faire. On pourrait aussi, vous a-t-on dit, exproprier un cours d’eau, un ruisseau qui se trouverait dans votre propriété ! Mais pourquoi pas s’il y avait nécessité de le faire ; si un jour les inquiétudes manifestées ici à tort sur la quantité de charbon qui reste à exploiter étaient fondées ; si un jour le charbon venait à manquer, comme on paraît le craindre, il faudrait bien tirer parti des cours d’eau, il faudrait remplacer le moteur de la vapeur par un autre moteur, il faudrait alors exproprier les cours d’eau, les ruisseaux pour cause d’utilité publique. Quelles conséquences y a t-t-il à tirer de là ? ce sont les circonstances qui amènent de nouvelles causes d’utilité publique et justifient les expropriations.

On a dit que les lois actuelles avaient été jusqu’ici suffisantes ; oui, je l’ai démontré, dans un autre sens à la vérité que mes contradicteurs. Mais ce qu’elles ont suffi, est-ce une raison pour ne pas voter celle qui vous est soumise ? Des circonstances nouvelles ne peuvent-elles amender des besoins nouveaux ?

Quand tout le monde se plaint de la pénurie du charbon, faut-il en restreindre l’exploitation ? Quand le charbon est hors de prix, ne faut-il pas faire en sorte qu’il en arrive le plus possible sur les marchés ?

Au moyen du chemin de fer de Flénu, le transport du charbon a été réduit de 50 c. au muid. Là était la cause de l’utilité publique reconnue pour le Flénu. La nécessité de facilité l’exploitation et le transport de la houille est plus palpable que jamais, car le charbon est augmenté de 50 p. c. dans les environs de Charleroy. Les hauts-fourneaux de Charleroy sont obligés de tirer leur charbon de Marimont, tandis que telle autre exploitation très voisine pourrait les alimenter à moins de frais, si elle pouvait arriver au canal.

Voilà encore un objet d’utilité générale auquel on n’aurait pas pensé il y a trois ans, il y a six mois. On parle constamment contre le monopole, et on ne veut rien faire pour l’éviter. C’est un thème qu’on semble avoir admis, c’est le delenda Carthago à l’ordre de tous les jours ; et quand on propose des moyens pour l’empêcher, on les repousse, on leur oppose mille chicanes. Le meilleur, le seul moyen d’éviter le monopole, c’est de faciliter à tous les exploitants les accès à tous les marchés de la Belgique.

On a cité M. Degorges-Legrand et le chemin de fer qu’il a fait. M. Degorges était propriétaire, il est vrai, des terrains situés autour de son exploitation ; mais après avoir passé la chaussée de Mons à Valenciennes, il a établi sa route en fer sur un grand chemin ; il a obtenu de la commune l’autorisation de faire sa route en fer sur le chemin de la commune, toutes les fois que les propriétaires étaient récalcitrants ; on conçoit que par cette raison il a dû rencontrer peu de récalcitrants.

Si le gouvernement n’avait pu autoriser l’expropriation pour les chemins de fer, qu’en serait-il résulté ? que si on n’avait pas, par le chemin de Flénu, mis les autres exploitants dans les mêmes conditions que M. Degorges, il aurait continué à leur faire la loi et les aurait ruinés ; et quand la ruine de ces exploitants aurait été consommée, il y aurait eu monopole pour M. Degorges-Legrand ; car on n’aurait trouvé personne pour recommencer des exploitations sur lesquelles M. Degorges-Legrand avait un avantage de 75 c. à 1 fr. au muid, c’est-à-dire 450 kil. à peu près.

Il s’agit maintenant de faire pour toute la Belgique ce qui s’est fait pour le fleuve.

Eh bien, de quoi s’agit-il en définitive ? Car revenons aux idées simples ; il s’agit de fournir à la première et à la plus utile industrie du pays le moyen de vaincre les caprices de quelques propriétaires. Toutes les fois que l’exploitant pourra s’entendre avec le propriétaire, il n’aura pas recours à l’expropriation. Vous pouvez être certains que, reculant devant les retards de l’enquête, ses frais énormes et de l’ennui de toutes ses démarches, il dépassera toujours le taux de l’indemnité indiquée dans la loi pour éviter les expropriations. Mais il pourra rencontrer des résistances insurmontables.

Voulez-vous savoir quelles sont les prétentions de certains propriétaires ? Je connais une société qui s’est entendue et pourrait s’entendre avec les 99/100 des propriétaires ; mais elle n’a pu s’entendre avec 3 ou 4. Il s’est trouvé 5 verges de terrain sur lesquelles le chemin de fer devait passer. Ce n’est pas ici un chemin de fer comme ceux de l’Etat, qui interceptent toutes les communications d’un côté à l’autre et qui gênent la circulation. Eh bien, le propriétaire a demandé cent francs à la verge ; ainsi, pour cinq verges, cinq cents francs annuellement, ce qui représente un revenu annuel de 40,000 fr. au bonnier. Notez bien que quand son champ sera traversé, il lui restera encore trois verges à peu près de son terrain empris ; ainsi il ne perdra, en définitive, la jouissance que de deux berges, et il demande pour cela 500 fr. annuellement. Que voulez-vous que l’on fasse ? Les propriétaires voisins disent que c’est un fou, qu’il faut l’exproprier. Mais on a hésité à le faire. D’abord il y a doute si le droit existe d’après la loi de 1810 ; la cour de Bruxelles a décidé défavorablement. Toutefois, d’après la loi de 1835, nous pourrons exproprier. Mais on a hésité à en faire la demande au gouvernement. On a voulu persuader ce particulier plutôt que de recourir à l’expropriation ; Il y a des propriétaires voisins qui, satisfaits de céder leur terrain au prix qui leur a été offert, ont voulu donner indirectement à ce particulier une partie de la somme qu’il demande, parce que les exploitants ne peuvent donner cette somme.

Ce serait d’un mauvais exemple ; il serait impossible ensuite de rien faire dans le pays, d’autres ayant des prétentions aussi exagérées. Si la loi passe, il est probable que l’on ne sera pas forcé d’exproprier ; les propriétaires deviendront plus raisonnables.

Si l’on ne parvenait pas à faire un chemin de fer, il faudrait faire un chemin plus long et où il y aurait plusieurs montagnes à franchir. Qu’en résulterait-il ? que le charbon se vendrait plus cher sur le marché de Bruxelles et de Charleroy.

M. F. de Mérode. - Je ne crois pas cela.

M. Gendebien. - Vous ne croyez pas cela, M. le comte de Mérode, qui m’interrompez ; vous ne savez donc pas que depuis un an il n’arrive plus de charbon de Charleroy à Bruxelles. Cependant si l’exploitation à laquelle j’ai fait allusion obtenait la communication qu’elle désire, elle prendrait l’engagement de fournir à la consommation de Bruxelles, Anvers et Gand : aujourd’hui elle ne le peut pas, parce qu’il lui est impossible de transporter les charbons en raison du mauvais état des chemins qui, pendant neuf mois de l’année, sont impraticables.

Si cette société ne peut s’entendre avec ce particulier et ne peut l’exproprier, il lui faudra faire une route pavée qui traversera deux communes et un hameau. S’il y a résistance de la part des administrations de ces localités, il n’y aura pas moyen de faire le chemin avant longtemps.

Croyez-moi, conservons l’ancien respect pour la propriété foncière, rien de mieux ; mais rappelons-nous de bonne foi qu’il y a un autre genre de propriété. A côté de la propriété foncière, il s’est élevé depuis 40 ans un autre genre de propriété qui vaut bien la propriété foncière, je dirai même qu’elle vaut infiniment plus et pour sa généralité et pour les propriétaires fonciers en particulier ; sans cette nouvelle propriété, l’industrie, la propriété foncière serait loin d’être aussi florissante ; c’est l’industrie qui a donné de la valeur à la propriété foncière.

Si la valeur des propriétés a doublé, a triplé depuis 40 ans, est-ce en raison des soins, des sacrifices des propriétaires ? Non ; c’est parce que la propriété industrielle a augmenté le nombre des consommateurs, a amélioré leur sort, les a mis dans la position de consommer davantage. Et l’on est toujours hostile à cette propriété industrielle ! Quand on demande pour elle un droit d’expropriation qui est juste et nécessaire, on y trouve des objections, des récriminations, des accusations. Vous vous emparerez, dit-on, de la chaumière du pauvre, et vous respecterez les châteaux, parce qu’ils coûteraient trop cher, et parce que ceux qui les habitent savent toujours se défendre. Mais pour le chemin de fer de l’Etat on le détourne toutes les fois qu’il est possible, afin d’éviter d’exproprier une chaumière. Pourquoi supposer que les exploitants agiront autrement ? Les exploitants ne vivent pas avec les seigneurs, après les propriétaires de parcs et de châteaux. Ils se sont habitués depuis longtemps à se passer même de leur protection ; mais ils vivent avec l’ouvrier, et lui servent de pères, bien plutôt que le propriétaire de châteaux dont le seul et continuel souci est d’aviser au moyen d’augmenter le prix du bail de ses fermiers, sans s’occuper de savoir si le prolétaire paiera son pain plus cher il si l’industrie en souffrira. Il ne s’occupe pas non plus de savoir si c’est un gros fermier ou un prolétaire dont il augmente le bail ; et s’il y a des ménagements, ils sont pour le gros fermier, parce que lui sait se défendre ; la preuve, messieurs, c’est que toutes les petites cultures sont louées presque au double.

Le temps n’est plus, messieurs, où l’on faisait la guerre aux chaumières au profit des châteaux. On ne veut plus de guerre pour personne, on veut la paix et l’égalité pour tous. Si un prolétaire a un différend avec un concessionnaire ou avec un propriétaire de châteaux, soyez-en sûrs, le plus souvent c’est au prolétaire que le juge donnera sa bienveillance, sa protection. Il sait que les autres trouvent par eux-mêmes assez d’appui, assez de protection dans le monde.

M. Dumortier. - Ce n’est pas moi que l’on accusera d’être hostile à l’industrie houillère. Industriel moi-même, je puis exprimer mon opinion sur cette industrie, sans qu’on m’accuse d’en être l’ennemi. Or, je soutiens que nous ne pouvons accorder aux exploitations de houille la faveur exorbitante résultant de l’article en discussion.

J’habite une ville autour de laquelle il y a peut-être plus d’exploitations que sur aucun autre point de la Belgique. S’il y avait besoin d’un tel article, ce serait assurément dans une telle localité criblée d’exploitations. Mais non, toutes ces exploitations ont trouvé, dans la loi actuelle, des moyens suffisants. Jamais elles n’ont demandé des moyens violents, tels que ceux qu’on demande maintenant. Toutes les fois que des propriétaires de carrières ont eu besoin de construire un chemin, ils se sont entendus avec les propriétaires circonvoisins. L’honorable M. de Mérode a cité M. Degorges qui a fait un chemin de fer traversant des propriétés voisines pour arriver à la voie publique. Arrivé à la voie publique, il s’est arrangé avec la commune ; mais pour y arriver, il avait dû s’arranger avec les particuliers. Ce qu’a fait M. Degorges, les autres exploitants peuvent le faire.

Remarquez bien que ce n’est pas, comme l’a prétendu le préopinant, une question de guerre à l’industrie, de guerre aux chaumières. Il n’y a plus d’émeute ; ou s’il y en a, ce n’est plus contre les châteaux, mais contre les industriels qui pressurent les pauvres contribuables. Nous ne pouvons adopter des mesures exceptionnelles qui donneraient un moyen de plus à de riches industriels de dépouiller de malheureux prolétaires.

La propriété, comme j’ai eu l’honneur de le dire, est sacrée. Il faut que chacun conserve son héritage, sans jamais pouvoir en être dépossédé, sinon pour cause d’utilité publique. Remarquez que jamais on n’a rencontré l’objection qui domine cette discussion, savoir : s’il y a utilité publique à favoriser l’exploitation des mines. D’après l’article 12 de la constitution, aussi longtemps que l’on n’aura pas démontré que l’intérêt des mines est un intérêt public, on n’aura pas démontré qu’il n’y a pas inconstitutionnalité dans la loi. Mais, dit-on, il y a un cas où l’on a demandé 100 fr. par verge de terre ; eh bien, c’est là un cas exceptionnel, et nous ne faisons pas de loi pour un cas exceptionnel.

D’ailleurs lorsque les exploitants gagnent tant de millions, le propriétaire n’a-t-il pas le droit de lui demander quelque chose de ce bénéfice ?

N’arrive-t-il pas quelquefois qu’un hôtel se trouve avoir une valeur plus considérable par suite des événements politiques ? Pourquoi donc le propriétaire ne profiterait-il pas aussi des chances de plus-value ?

La houille, dit-on, sera plus chère ; mais cela n’est pas exacte. On sait que les sociétés ont été obligées de baisser le prix de la houille et de le mettre au niveau du prix établi par M. Degorges. Aujourd’hui il y a monopole, ce qui rend la houille plus chère. Mais si vous accordez le droit d’expropriation, ce sera uniquement dans l’intérêt des exploitants. Il n’en résultera pas de diminution dans le prix de la houille. Vous enrichirez les riches, vous appauvrirez les pauvres, voilà l’unique résultat auquel vous arriverez.

Je ne pense donc pas que l’on pense admettre cette proposition. Elle est en contradiction flagrante avec la constitution. S’il s’agit de sortir d’un enclos, le code y a pourvu ; s’il s’agit d’exproprier pour une exploitation, vous n’avez pas à faire la constitution, elle est faite.

Je m’étonne que l’honorable membre qui ordinairement prend tant de précautions contre le pouvoir pour empêcher les violations à la constitution, trouve dans cette circonstance que si une inconstitutionnalité est commise, c’est le ministre qui la commettra ; mais si nous ouvrons une voie aux ministres pour commettre des inconstitutionnalités, nous nous rendons leurs complices ; pour mon compte, je ne puis voter dans ce sens.

Je vote contre l’art. 12 ; et s’il était adopté, je voterais contre la loi.

M. Coghen - Messieurs, l’art. 12 a d’abord été voté par la chambre, puis il l’a été par le sénat, et je ne comprends pas comment un orateur peut dire qu’il est en opposition flagrante avec la constitution ; et les membres de cette chambre et les membres du sénat respectent la constitution et ne voteront pas contre elle, parce que ce serait d’ailleurs voter contre leurs serments.

Si l’on a voté l’art. 12, c’est qu’il est nécessaire, non seulement de prévenir les inconvénients que l’on vous a signalés, mais encore pour prévenir d’autres inconvénients que je vais signaler.

Il est dans ce pays des propriétaires étrangers, riches à millions par suite d’acquisitions de biens nationaux ; eh bien, ils refusent le passage sur ces biens, passage qui occasionnerait une économie considérable pour le transport des charbons, qui en ferait baisser le prix ; ils refuseront ce passage aussi longtemps que l’expropriation pour utilité publique ne sera pas déclarée, car il y a doute maintenant sur le sens de cette expression : « utilité publique. » Par l’art. 12, vous la déterminerez, et vous rendrez un grand service aux consommateurs ainsi qu’à l’industrie qui ont l’un et l’autre un si vif intérêt au bas prix de ce combustible.

M. Dumortier. - Vous avez dû entendre avec autant d’étonnement que moi que je ne pouvais pas dire que l’art. 12 fût contraire à la constitution, parce qu’il avait été voté par la chambre et par le sénat ; mais je dis qu’il est inconstitutionnel, parce que selon ma conscience je le trouve tel et qu’il est de mon droit de dire ici ma pensée.

Il est des étrangers qui ont acquis des biens nationaux en Belgique : que nous importe ! Vous aurez d’intarissables procès ; si la banque à des procès, c’est pour son compte ; quant à nous nous n’en aurons pas.

M. Gendebien. - M. Dumortier voit partout du monopole, et il ne voit pas que c’est en rejetant la loi qu’il favorisera le monopole ; voici une observation simple qui le prouve : dans l’exploitation des houilles, la chose essentielle pour entrer en concurrence, c’est l’arrivée facile aux lieux d’expédition ; or, pour empêcher la communication d’une houillère avec un canal, avec une route, les concurrents pourront acheter une parcelle de terre intermédiaire et se refuser ensuite obstinément à la vendre, quelque prix qu’on en offre.

Au moyen de quelques acquisitions de cette espèce, voilà le monopole rétabli. Si la loi ne passe pas, vous allez favoriser précisément les sociétés que vous accusez sans cesse de tendre au monopole ; ces sociétés ne pourront-elles pas acheter les parcelles de terre partout où elles verront la nécessité d’un passage pour les exploitations concurrentes ? N’allez-vous pas les dispenser par là de dépenser des millions pour acheter les houillères elles-mêmes ? Il leur suffira d’en avoir cinq ou six bien placées et d’empêcher les autres d’arriver aux mêmes marchés, pour faire des bénéfices énormes aux dépens de l’industrie et des consommateurs, en un mot pour réaliser un véritable monopole, car je ne conçois le monopole que dans ce sens.

Rejetez la loi, et vous créerez le lendemain un véritable monopole.

- Les quatre paragraphes de l’amendement présenté par M. Dubus sont successivement mis aux voix et rejetés.

M. le président. - Je vais mettre l’article aux voix.

Des membres. - L’appel nominal !

- La chambre vote par appel nominal sur l’art. 12 ; en voici le résultat :

67 membres prennent part au vote.

2 s’abstiennent.

40 adoptent.

27 rejettent.

En conséquence l’article est adopté.

Ont voté l’adoption : MM. Coghen, Cornet de Grez, David, de Jaegher, de Puydt, Dequesne, de Renesse, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, Dolez, Donny, Dubois, Duvivier, Ernst, Frison, Gendebien, Goblet, Hye-Hoys, Kervyn, Liedts, Meeus, Milcamps, Nothomb, Pirmez, Pirson, Polfvliet, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Troye, Vandenbossche, Vandenhove, Vanden Wielen, Vanderbelen, Verdussen, Verrue-Lafrancq, H. Vilain XIIII, Watlet et Zoude.

Ont voté le rejet : MM. Andries, Beerenbroeck, Bekaert-Baeckelandt, Brabant, Dechamps, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, W. de Mérode, de Sécus, Doignon, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Jadot, Keppenne, Lejeune, Manilius, Mast de Vries, Morel-Danheel, Raikem, Seron, Simons, Stas de Volder, Ullens, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke.

M. le président invite les membres qui se sont abstenus à motiver leur abstention.

M. de Foere. - Je doutais, et j’ai suivi la règle : « Dans le doute, abstiens-toi. »

M. de Nef. - Je me suis abstenu parce que je n’ai pu assister à la discussion.

Titre IV. Dispositions transitoires

Article 13

« Art 13. Les demandes en concession, extension, maintenue de concession ou d’exploitation ancienne, à l’égard desquelles il y a preuve de l’accomplissement, avant le 1er janvier 1831, des formalités prescrites par les art. 22 à 26 de la loi du 21 avril 1810, seront, au fur et à mesure qu’elles parviendront au ministère de l’intérieur, publiées de nouveau, par trois insertions consécutives, de quinzaine en quinzaine, dans le Moniteur et dans un des journaux de la province où la mine est située.

« Elles seront également affichées pendant trois dimanches consécutifs, de quinzaine en quinzaine, dans le chef-lieu de la province, dans celui de l’arrondissement judiciaire où la mine est située, et dans toutes les communes sur lesquelles elle s’étend. »

- Adopté.

Article 14

« Art. 14. Les publications et affiches mentionnées à l’art. 13 auront lieu à la diligence du ministre de l’intérieur, des députations des états des provinces et des bourgmestres des communes, sans frais pour le demandeur en maintenue.

« L’accomplissement de ces formalités sera constaté par la production des journaux et des certificats délivrés par les bourgmestres des communes où les affiches auront été apposées. »

M. Dumortier. - Il me semble, messieurs, qu’au lieu de : « états des provinces, » il faudrait dire : « conseils provinciaux « ; car il n’y a plus d’états provinciaux, et nous ne pouvons consacrer dans la loi un appel à une autorité qui n’existe plus.

- La proposition de M. Dumortier est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.

L’article est ensuite mis aux voix et adopté.

Articles 15 à 17

« Art. 15. Les auteurs des oppositions tardives, formées en vertu de l’art. 28 de la loi du 21 avril 1810, pourront en faire conster par la reproduction des pièces, ou s’assurer qu’elles existent au dossier reposant dans les archives du ministère de l’intérieur, ou renouveler leur opposition au plus tard dans les dix jours qui suivront l’apposition de la troisième affiche ; à défaut de quoi, il pourra être passé outre à la décision définitive. »

- Adopté.


« Art. 16. Les oppositions seront faites par simple requête, sur timbre, et adressées au ministère de l’intérieur qui en donnera récépissé ; elles seront notifiées aux parties intéressées, à moins que déjà elles ne l’aient été. »

- Adopté.


« Art. 17. A l’expiration du délai mentionné à l’article 15, le ministre de l’intérieur transmettra au conseil des mines les demandes en concession, extension ou maintenue, avec les oppositions, s’il y en a, ou un certificat constatant qu’il n’en a pas reçu. »

- Adopté.

Article additionnel

M. Dubus. - Je pense qu’il faudrait ici s’occuper de la proposition de M. Seron.

M. Seron. - Il me semble aussi que ce serait ici sa place.

M. le ministre des travaux publics(M. Nothomb). - Messieurs, je crois qu’on pourrait sans inconvénient faire de la proposition de M. Seron l’objet d’une loi séparée.

Plusieurs voix. - Oui, oui.

M. le ministre des travaux publics(M. Nothomb). - Je proposerai donc à la chambre de renvoyer la proposition, par exemple, à la commission d’industrie, avec demande d’un rapport dans un bref délai.

Je ferai en outre une observation à l’assemblée.

Le paragraphe premier de la proposition de M. Seron se rattache à la loi générale de déchéance dont le gouvernement s’occupe en ce moment. Si donc M. Seron n’avait pas fait cette proposition, le paragraphe premier aurait toujours trouvé sa place dans le projet de loi du gouvernement ; si ce projet n’avait pas prévu le cas dont il s’agit, il eût été réservé à M. Seron ou à tout autre membre de la chambre de le compléter sous ce rapport.

M. Seron. - Messieurs, ma première proposition a pour objet d’autoriser le propriétaire de la surface à extraire le minerai de fer existant dans ses terrains concédés, lorsque le concessionnaire, au lieu de mettre la main à l’œuvre, trouve convenable à ses intérêts, bien ou mal entendus, de laisser, si je puis m’exprimer ainsi, dormir sa concession. Je désire simplement faire cesser un abus également préjudiciable au propriétaire de la surface et à la forgerie. En effet, dans l’état actuel des choses, malgré le vœu positif de la loi d’avril 1810, le propriétaire de la surface est privé de sa redevance proportionnelle, et la forgerie est privée d’une partie de ses moyens d’alimentation. Remarquez, s’il vous plaît, messieurs, que, pour le minerai de fer, l’indemnité proportionnelle à la valeur des matières extraites ne se réduit pas à zéro, comme dans les exploitations de charbon de terre ; car le minerai de fer se trouvant à une petite profondeur, et souvent à la superficie de la terre, s’extrait à petits frais. Tel propriétaire de terrains concédés vivrait aujourd’hui de l’exploitation de ces terrains si elle lui était permise. Faut-il que l’abus dont je me plains continue indéfiniment au gré du concessionnaire ? dépendra-t-il uniquement de lui qu’il y soit mis fin ?

Ma seconde proposition est relative aux terrains non concédés ; elle tend à ce que les propriétaires puissent continuer d’en extraire le minerai de fer, à ce qu’on ne fasse pas cesser un état de choses existant depuis 1830 et dont il n’est résulté aucun inconvénient. Il n’est pas question ici d’innover ; il s’agit uniquement de maintenir provisoirement ce qui existe.

Je ne vois aucune difficulté à ce que vous adoptiez ces deux dispositions transitoires assurément nécessaires, urgentes même, et qu’il était de mon devoir de vous soumettre. Pourquoi en aurais-je fait l’objet d’une proposition séparée ? Ne sont-elles pas de nature à trouver place dans le projet qui vous a été renvoyé. ? Et quand elles en feraient partie, serait-ce une raison pour que le sénat le rejetât et ajournât ainsi à un an la création d’un conseil des mines ? Enfin, si vous jugez mes propositions raisonnables et justes, les rejetterez-vous parce que vous n’avez pas la certitude que le sénat voudra bien les admettre ?

Au surplus, je me suis procuré un acte de concession délivré par le roi Guillaume, et j’y ai trouvé, entre autres choses, ce qui suit :

« Art. 5. Les concessionnaires seront tenus, indépendamment de l’obligation imposée par le paragraphe premier de l’art. 70 de la loi du 21 avril 1810, de livrer le minerai nécessaire aux hauts-fourneaux qui leur seront indiqués par l’administration des mines, et ce, au prix qui sera fixé par ladite administration. »

« Art ; 7. Les travaux d’exploitation devront être activés dans les 6 mois et ne pourront être suspendus pendant plus d’un an sans une autorisation spéciale de l’administration des mines. »

« Art. 8. En cas de contravention ou d’inexécution des dispositions contenues aux articles 5 et 7, la présente concession pourra être révoquée. »

Il résulte de ces conditions que si le concessionnaire ne fait pas usage de sa concession, elle devient révocable ; mais il faut observer que ces mêmes conditions sont puisées dans la loi abolie du 28 juillet 1791, et qu’elles ne se trouvent pas dans la loi en vigueur d’avril 1810 où il n’est question de déchéance pour aucun cas.

Je suis de bonne composition : si le ministre croit pouvoir exécuter les clauses que je viens de citer contre les concessionnaires en défaut ou en retard, et qu’il ait l’intention de le faire, je retirerai ma première proposition.

Je retirerai la seconde s’il promet que les propriétaires de terrains non concédés ne seront ni trouvés ni empêchés par le gouvernement dans les travaux d’extraction du minerai que ces terrains recèlent.

Je le prie de vouloir bien s’expliquer sur ces deux points.

M. le ministre des travaux publics(M. Nothomb). - Messieurs, j’ai déjà eu occasion de faire remarquer plusieurs fois à l’assemblée que la loi de 1810 est incomplète. Il existe une lacune dans cette loi. Il est vrai que le gouvernement impérial s’était réservé une ressource dans l’art. 49 de la loi : cet article est conçu en ces termes :

« Si l’exploitation est restreinte ou suspendue de manière à inquiéter la sûreté publique ou les besoins de la consommation, les préfets, après avoir entendu les propriétaires, en rendront compte au ministère de l’intérieur, pour y être pourvu selon qu’il appartiendra. »

Je dis que le gouvernement de l’empire, gouvernement tout puissant comme vous le savez, trouvait une ressource dans cet article 49 ; l’on peut inférer des discussions qui ont précédé l’adoption de la loi de 1810, que le gouvernement se réservait dans certains cas la révocation des actes de concession.

Des doutes se sont élevés depuis, parce que les gouvernements qui ont succédé à celui de l’empire ne sont pas tout-puissants, comme l’était celui-là.

On m’avait aussi rendu attentif aux termes dont on s’est servi dans plusieurs actes de concession sous l’ancien gouvernement, termes qui stipulaient une clause résolutoire ; néanmoins il s’est encore présenté une autre question ; c’est celle de savoir si le gouvernement pourrait par un simple arrêté prononcer la résolution, car il y a perte de propriété.

Les archives du gouvernement sont malheureusement incomplètes ; les actes de concession délivrés sous l’ancien gouvernement ne s’y trouvent pas. J’ai déjà songé à compléter les archives du ministère, en faisant recueillir dans les provinces tous les actes de concession et les cahiers des charges.

Lorsque tous ces renseignements de faits auront été rassemblés, et que les questions de droit auront été mûrement examinées, si le gouvernement se reconnaît dans l’impuissance d’user de l’art. 49 de la loi de 1810 de la même manière que se l’était promis le gouvernement de l’empire, il viendra vous soumettre un projet de loi générale sur les déchéances : loi très difficile à faire, et qui soulève les questions de droit les plus délicates.

Néanmoins, le gouvernement sait quels sont ses devoirs ; il les remplira de l’une ou de l’autre manière.

M. Seron. - Je ferai observer à M. le ministre qu’il n’a pas répondu à ma deuxième question. J’ai demandé si les personnes qui exploitent aujourd’hui des mines de fer dans des terrains non concédés pourraient continuer leur exploitation.

M. Gendebien. - Je regrette bien de devoir contrarier mon honorable ami M. Seron ; mais je dois lui dire que le moment ne me paraît pas venu pour aborder le fond de sa proposition.

Les mines de fer ont été, par un vote précédent de la chambre, écartées de la loi dont nous nous occupons ; et si je ne me trompe, l’honorable préopinant s’est joint aux membres de l’assemblée qui ont démontré la nécessité d’ajourner les dispositions de la loi relative aux mines de fer.

A cet égard donc il y a chose jugée par la chambre. Je ne sais jusqu’à quelque point il convient de revenir sur ce vote antérieur, confirmé par celui du sénat.

Je ferai remarquer en outre que M. Seron propose une loi provisoire, transitoire en quelque sorte. Convient-il de mêler du provisoire aux dispositions définitives que nous venons d’adopter, alors que ce provisoire est étranger à l’objet de la loi définitive ?

Il me semble, messieurs, qu’il serait préférable qu’on fît de la proposition de mon honorable ami l’objet d’une loi spéciale. A cette fin, je demanderai que sa proposition soit renvoyée aux sections ou à la commission des mines, ou à toute autre commission qui pourra la formuler en projet de loi.

De cette manière, la loi sur les mines ne subira pas de nouveaux retards ; et nous ne courrons pas la chance de ne pas la voir adoptée dans le courant de cette session, ce qui pourrait très bien arriver, si on adoptait sans examen préalable la proposition de M. Seron.

M. le ministre des travaux publics(M. Nothomb). - Effectivement je n’ai pas répondu à la deuxième question de M. Seron. Voici quel en est le sens :

« Jusqu’à la révision de la loi de 1810 et nonobstant les dispositions qu’elle renferme, les propriétaires… »

Vous concevez qu’il est impossible au gouvernement de prendre des engagements pour faire ou pour laisser faire quelque chose, « nonobstant les dispositions d’une loi existante. » Le gouvernement doit se borner à respecter les droits acquis et à abandonner, au besoin, les questions litigieuses à la décision des tribunaux.

Du reste, je prends l’engagement envers la chambre et envers l’honorable préopinant personnellement de faire de cette seconde proposition l’objet d’un examen ultérieur.

M. de Jaegher. - Messieurs, je ne compte nullement examiner le mérite de la proposition de l’honorable M. Seron ; je veux même admettre que je partage en partie son opinion. Mais je crois que la loi sur les mines est d’une urgence telle que son rejet momentané, ou même son adoption tardive, entraînerait un préjudice réel pour le pays. Cette considération me fera passer sur bien d’autres, et je repousserai tout amendement qui tendrait à renvoyer de nouveau la loi au sénat. Cette opinion, je crois la partager avec plusieurs honorables collègues, et c’est dans l’intérêt même de la proposition de l’honorable M. Seron que je l’engagerai à se rallier à la proposition de M. le ministre des travaux publics.

M. Seron. - J’ai demandé la parole pour répondre deux mots à l’observation de mon honorable ami M. Gendebien, avec qui je suis ordinairement d’accord et qu’il me peine de contrarier aujourd’hui.

M. Gendebien vous dit que les dispositions que j’ai proposées ne peuvent pas entrer dans la loi, parce qu’elles n’ont pas un caractère de stabilité. Mais je ne sais pas où mon honorable ami a trouvé que des dispositions qui n’ont pas un caractère de stabilité ne peuvent pas entrer dans une loi de stabilité, si je puis m’exprimer ainsi.

Il est un grand nombre de lois, au contraire, qui renferment des dispositions semblables.

Je sais que l’adoption de ma proposition nécessitera le renvoi de la loi au sénat ; je n’en vois pas grand inconvénient. Je ne vois pas non plus que le caractère transitoire des dispositions additionnelles empêcherait le sénat d’adopter ma proposition ; je crois, au contraire, que le sénat l’adopterait.

M. Dubus (aîné). - Messieurs, il est très fâcheux pour moi de faire remarquer à la chambre que précisément les dispositions que l’on veut écarter ainsi par une fin de non-recevoir, sont encore des dispositions en faveur des propriétaires.

Lorsqu’il s’agit de dépouiller les propriétaires, on a hâte de crier à l’urgence, à l’intérêt public. Mais une fois que la propriété dont on les dépouille est passée dans en mains tierces, il semble que cet intérêt public n’existe plus et qu’il n’y ait plus d’urgence, que ce tiers exploite ou n’exploite pas.

Réellement, messieurs, il y a quelque chose de pénible pour celui qui a observé la marche qui a été suivie dans cette discussion.

Quant au ministre, il trouve aussi que la loi est très urgente ; mais dès qu’il s’agit de l’intérêt des propriétaires et qu’il est question de déchéance, c’est un projet qu’on élabore, et apparemment on a tout le temps de le faire. Est-ce donc quelque chose de si difficile à formuler ? N’a-t-on pas sous les yeux les articles … de la loi de 1791 ? Si ces articles ne suffisent pas, ne peut-on pas les compéter ? est-ce une question si complexe que celle-ci ? Puisqu’il y a intérêt public à ce que la mine soit exploitée ; puisque, sous couvert de cet intérêt public, on exproprie celui sous le sol duquel la mine se trouve, il y a utilité générale à ce que celui qui obtient cette expropriation exploite la mine, et dès lors, s’il n’exploite pas, il y a intérêt à prononcer sa déchéance.

On vous dit : On examinera cela, car on aura le temps d’examiner. Il était beaucoup plus sage, selon moi, de donner au propriétaire dépouillé de sa garantie, de donner sa garantie à l’intérêt public.

Pour atteindre ce but, cet intérêt public, vous prenez une mesure incomplète ; cependant, vous dites qu’il y a urgence d’y satisfaire. Il y a inconséquence dans votre manière d’agit.

Je pense que nous devons délibérer à l’instant sur la proposition de M. Seron. Si vous le décidez ainsi, je déposerai une proposition afin de prononcer la déchéance contre tout concessionnaire d’autres mines qui seraient dans le même cas. Une disposition de cette nature appartient à la loi que nous faisons, car sans cela elle est incomplète et elle perd le caractère d’urgence que vous lui donnez ; car si vous faites une loi telle que les concessions qu’on n’exploiterait pas ne pourraient pas être retirées aux concessionnaires actuels pour être concédées à d’autres qui les fissent valoir, le but d’urgence que vous invoquez n’est pas rempli, puisque ces mines restent inexploitées. Mieux vaudrait renvoyer la loi au sénat avec un article de plus, et obtenir une loi complète. Mais non, et le motif n’est que trop manifeste ; c’est que la disposition qui tendrait à compléter la loi serait une disposition dans l’intérêt des propriétaires, et cet intérêt n’a été que trop sacrifié dans toute la discussion actuelle.

M. le ministre des travaux publics(M. Nothomb). - J’ai dit que la question de déchéance était grave ; c’est une question complexe.

Il ne suffit pas de prononcer la déchéance contre le concessionnaire, il faut rechercher ce que deviendront les droits des tiers, les droits de ceux qui ont des hypothèques sur les concessions. C’est de ce côté que la question est extrêmement délicate. C’est ce qui récemment a soulevé de vives discussions dans la commission de la chambre des pairs. Il y a peu de jours que cette commission a proposé un projet de loi renfermant une disposition qui prononce la déchéance. Cette disposition n’a pas été proposée à l’unanimité. Voici ce que dit le rapporteur de la chambre des pairs (M. d’Argout) : « L’objection de la minorité paraît grave et mérite d’être sérieusement examinée ; elle a donné lieu depuis 1810 à des discussions longues et confuses. » Le rapporteur rend compte ensuite des tentatives faites depuis 1810 pour compléter la loi au moyen de dispositions formelles sur la déchéance.

J’ai déjà examiné cette question ; une commission à qui elle a été soumise par mon prédécesseur a reconnu qu’il faut surtout la rattacher à la question des droits des tiers. Il faut savoir ce que demanderont ces droits, s’ils tomberont par la résolution de l’acte de concession ; ou bien de quelle manière on pourrait faire reconnaître les droits des tiers, en accordant à la suite de la résolution une concession nouvelle.

J’ai proposé l’ajournement, soit en renvoyant la proposition à la commission d’industrie, soit en laissant au gouvernement le temps de présenter un projet de loi générale sur la déchéance.

Quant à la seconde, je ne puis prendre l’engagement de faire ou de laisser faire une chose nonobstant une loi existante. Il y a à cet égard une instruction à faire, je la ferai et j’en rendrai compte à la chambre.

M. Dumortier. - je voulais faire une observation, c’est que si on n’adopte pas maintenant la proposition de M. Seron, si on l’ajourne pendant quelques mois, pendant un an, elle n’aura plus d’effet, parce que la société puissante qui tend à tout accaparer se sera emparée de celles auxquelles la proposition dont il s’agit doit s’appliquer. Ce qu’il y a de mieux à faire, c’est de comprendre cette proposition dans la loi actuelle. (Aux voix ! aux voix !)

- L’ajournement proposé est prononcé.

M. Dumortier. - Je demande le renvoi aux sections.

- Ce renvoi est ordonné.

Article 18

« Art. 18. Les ingénieurs des mines ne peuvent être intéressés dans des exploitations de mines situées dans leur ressort.

« Les ingénieurs et autres officiers des mines ne pourront exercer leurs fonctions dans un arrondissement administratif des mines, si eux, leurs épouses ou leurs parents en ligne directe, sont intéressés dans une exploitation de mines situées dans ce ressort.

Article additionnel

M. Rogier. - Lorsqu’il y a quelques jours, j’ai retiré la proposition d’enquête que j’avais cru devoir soumettre à la chambre, j’avais annoncé que si le cours de la discussion le permettait, et que le ministère voulût y donner son adhésion, j’aurais représenté, transformé en un article plus précis, plus restreint, ma proposition qui n’était d’abord qu’une proposition d’enquête. Cet article aurait été ainsi conçu :

« Il est réservé au gouvernement, s’il le juge utile, de disposer en tout ou en partie, dans l’intérêt de l’Etat et avec l’autorisation des chambres, d’un certain nombre de mines de houille non concédées ou abandonnées, sans préjudice à l’indemnité attribuée par la loi au propriétaire de la surface. »

La rédaction de cet article m’avait été suggérée par les observations du ministre lui-même qui, dans les développements de son opinion, avait fait entendre que le gouvernement ne serait pas éloigné de disposer d’un certain nombre de mines de houille. Je rentrais ainsi dans le système transitoirement présenté par M. le ministre des travaux publics.

Cette disposition ne préjugeait pas la manière dont le gouvernement disposera des mines qui se réserverait ; elle ne préjugeait pas non plus s’il disposerait de toutes les mines non concédées. Elle laissait également la loi intacte puisqu’elle respectait les droits reconnus aux propriétaires par cette loi que vous allez voter. Elle avait enfin l’avantage de préciser l’idée à laquelle on avait reproché d’être trop vague.

J’ai regretté que le gouvernement n’ait pas cru devoir adhérer à cette proposition. Je ne peux pas avoir l’espoir de la reproduire avec succès lorsque le concours du gouvernement me manque ; puisqu’il s’agit de lui donner ces nouvelles attributions malgré lui.

Je crois aussi que la majorité est trop préoccupée maintenant de l’urgence de la loi pour être disposée à donner son adhésion à ma proposition.

Pour mon compte, je crois pouvoir le dire en toute franchise, il y avait dans cette proposition le germe d’une idée dont peut-être l’expérience ne tardera pas à démontrer l’utilité.

J’espère toutefois, pour le bien de mon pays, que les inconvénients qui peuvent résulter de l’exécution de la loi nouvelle, ne seront pas tels, que les regrets que j’exprime maintenant sur le sort de ma proposition ne viennent à être partagés par la majorité qui la repousse aujourd’hui.

M. Dumortier. - M. Rogier ne déposant pas la proposition qu’il avait annoncée et que mon intention était d’appuyer, je crois devoir demander une explication à M. le ministre des travaux publics.

Indépendamment des mines et minerais, et tout ce qui tient à l’exploitation des mines, il existe dans le Luxembourg des fontaines salées qui démontrent qu’il doit y avoir des mines de sel. Ces mines sont d’un produit immense ; partout elles sont exploitées au profit du gouvernement ; je demanderai au ministre si, dans son opinion, en vertu des lois existantes et de la loi actuelle, les mines de sel gemme pourraient être concessibles.

Pour moi, je regarderais une concession semblable comme une calamité. Car c’est une grande ressource pour tous les pays qui exploitent ces mines. Et le sel étant soumis à un droit d’accise, vous devez comprendre combien il peut être utile qu’il soit exploité par le gouvernement.

Vous n’ignorez pas que les mines de sel d’Espagne sont la principale ressource de ce pays ; l’Autriche trouve aussi une grande ressource dans ses mines de sel ; de même les mines de sel de la Lorraine sont une grande ressource pour la France. Puisque le sol du Luxembourg est en quelque sorte la continuation de ce dernier sol, il est probable qu’il recèle des mines abondantes de sel gemme.

Vous comprenez tous l’importance de la question que j’ai soulevée. Je désire savoir à cet égard l’opinion du gouvernement. J’ai demandé des explications à des hommes très versés dans ces matières, et ils m’ont dit qu’il ne résultait pas clairement de la loi actuelle que les mines de sel puissent être concédées.

Je voudrais avoir du gouvernement une réponse sur cette question si importante.

M. Watlet. - Il est certain qu’à l’égard des mines de sel gemme, il existe une lacune dans la loi de 1810. On avait cherché à combler cette lacune dans l’art. 112 de l’un des projets ; des considérations particulières ont fait mettre de côté tout ce qui concerne le sel gemme. Je voulais proposer un article additionnel à la loi actuelle pour combler la lacune qui s’y trouve quant aux mines de sel gemme ; mais voyant la répugnance de la chambre à adopter des amendements ou additions au projet de loi tel qu’il a été adopté par le sénat, j’ai pensé que je pourrais faire de ma proposition un projet de loi spécial, lequel viendrait plus tard avec d’autres questions relatives à la matière qui sont restées en suspens et qui doivent devenir l’objet des délibérations de la chambre.

M. le ministre des travaux publics(M. Nothomb). - Il est très vrai que le sel gemme n’est pas expressément énuméré dans la loi de 1810. Celle prétérition a donné lieu à une grave discussion en France, lorsqu’il s’est agi de la mine découverte à Vicq ; le gouvernement en a revendiqué l’exploitation précisément parce que la loi de 1810 ne range pas formellement cette matière parmi les mines concédées. On s’est dit : Ce n’est pas une concession à accorder par ordonnance ; de deux choses : le gouvernement exploitera, on bien la concession sera accordée par une loi. On aurait aussi pu songer à combler par une disposition générale la lacune de la loi de 1810.

En France on a donc agité la question de savoir si le gouvernement ne devait pas exploiter la mine de Vicq ; mais je ferai remarquer que la question se présentait dans des circonstances particulières.

Vous n’ignorez pas que le gouvernement français avait alors le monopole du sel ; ainsi rien n’était plus conséquent qu’il exploitât cette mine de sel gemme ; car accorder la concession de la mine, c’eût été porter atteinte à son monopole.

Je me borne à indiquer cette circonstance pour qu’on ne tire pas une conséquence absolue du précédent qu’a posé le gouvernement français. Lorsque le cas se présentera, le gouvernement, aidé du conseil des mines, l’examinera mûrement ; mais dès à présent je dois reconnaître que la loi de 1810 ne fait pas une mention formelle du sel gemme.

M. Dumortier. - Je me déclare satisfait de ce que vient de dire M. le ministre des travaux publics. Puisqu’il reconnaît qu’il n’y a pas de disposition dan la loi actuelle, la question reste entière.

Vote sur l’ensemble du projet

La chambre procède à l’appel nominal sur l’ensemble du projet de loi. Voici le résultat du vote :

69 membres sont présents.

3 s’abstiennent.

66 prennent part au vote.

46 votent pour l’adoption.

20 votent contre.

La chambre adopte.

Le projet de loi sera soumis à la sanction royale.

Ont voté pour l’adoption : MM. Hye-Hoys, Kervyn, Liedts, Mast de Vries, Meeus, Milcamps, Nothomb, Pirmez, Pirson, Polfvliet, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Smits, Troye, Vandenbossche, Vandenhove, Vanden Wiele, Vanderbelen, Verdussen, Verrue-Lafrancq, Hip. Vilain XIIII, Watlet, Zoude, Coghen, Cornet de Grez, David, de Brouckere, Dechamps, de Jaegher, F. de Mérode, W. de Mérode, de Puydt, Dequesne, de Renesse, de Sécus, Desmet, de Terbecq, de Theux, Dolez, Donny, B. Dubus, Duvivier, Ernst, Frison, Gendebien, Goblet.

Ont voté contre : MM. Andries, Brabant, de Man d’Attenrode, Devaux, Doignon, Dubus (aîné), Dumortier, Jadot, Keppenne, Lejeune, Manilius, Morel-Danheel, Raikem, Rogier, Seron, Simons, Stas de Volder, Ullens, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke.

Se sont abstenus : MM. Beerenbroeck, de Foere, de Nef.

M. Beerenbroeck et M. de Nef déclarent s’être abstenus parce qu’ils n’ont pas assisté à la discussion.

M. de Foere déclare s’être abstenu parce qu’il était dans le doute.

- La séance et levée à quatre heures et demie.