Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 15 mars 1837

(Moniteur belge n°76, du 17 mars 1837)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.

M. Lejeune lit le procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Plusieurs pensionnaires de la caisse de retraite demandent que la chambre alloue les fonds nécessaires pour leur payer la dernière moitié de leur pension du quatrième trimestre de l’année 1834, et que pour le futur ils soient assimilés aux autres pensionnaires de l’Etat qui sont payés régulièrement. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Lettre de M. le général de division baron Evain, ministre d’Etat, relative à l’allégation énoncée par un membre de la chambre qu’il aurait perdu son emploi en France par suite de la passation du marché des lits militaires, qui eut lieu en 1822. (Note du webmaster : cette lettre a été publiée dans le Moniteur n°75, du 16 mars 1837, avec les pièces en appui dont il est question ensuite.) Cinq pièces à l’appui de cette lettre, savoir : 1° dépêche officielle de M. le lieutenant-général Bernard, ministre de la guerre en France, à M. le général Evain, en date du 30 janvier dernier ; 2° sous les numéros 2, 3, 4 et 5, copie certifiée de lettres adressées à M. le général Evain, sous la date des 30 décembre 1821, 31 idem. 3 janvier 1822, et 5 idem par M. le maréchal duc de Bellune, alors ministre de la guerre en France. »

- Sur la proposition de M. Rogier, la chambre décide que cette lettre et les pièces à l’appui seront imprimées et distribuées.

Projet de loi portant le budegt du ministère de la guerre de l'exercice 1837

Discussion du tableau des crédits

Chapitre III. Service de santé

M. le président. - La parole est à M. de Brouckere pour une rectification.

M. de Brouckere. - A en croire certains journaux, j’aurais dit qu’en 1830 et 1831 il n’a pas été donné un atome de quinine aux soldats malades. D’abord on sent que j’aurais avancé là un fait absurde et même impossible ; je l’ai si peu dit que j’ai avancé que tout le sulfate employé dans les hôpitaux à cette époque avait auparavant été examiné par un savant chimiste de cette ville. Mais j’ai dit, ou telle a du moins été mon intention, qu’en 1831 une horrible épidémie avait régné dans l’armée, qu’elle avait particulièrement attaqué les hommes qui avaient séjourné dans les polders (j’ai même cité deux régiments), que c’était cette épidémie qui avait décimé nos soldats, et que dans le traitement de l’épidémie, il n’avait pas été donné un atome de quinine. Ce fait, je l’avais puisé dans une brochure que j’ai citée et que j’avais sous les yeux ; car cette brochure ne traite que de l’épidémie dont je viens de parler.

Vous comprendrez que grande est la différence entre une semblable allégation et celle qu’en 1830 et 1831 on n’aurait employé de sulfate de quinine pour aucune fièvre. Je ne fais cette rectification, que pour empêcher que l’erreur que j’ai signalée ne contribue à prolonger la discussion.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). – (En ce compris les corrections apportées par un erratum inséré au Moniteur belge n°79, du 21 mars 1837 :) Avant de rentrer dans l’exposé et le développement des faits qui fait l’objet de la plainte contre l’inspecteur général du service de santé, je désire compléter la réponse que j’ai faite hier à M. A. Rodenbach à propos de la grande mortalité qui, selon lui, aurait eu lieu dans l’hôpital de Gand et par l’emploi du sulfite de quinine.

M. Rodenbach a prétendu que pour traitement des fièvres, on employait dans cet hôpital le sulfate de quinine dans la proportion de 40 à 60 grains.

M. A. Rodenbach. - Je n’ai pas dit cela.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Vous l’avez dit, Monsieur, en réponse à l’opinion de M. Andral que l’on a citée.

A cela, je réponds que j’ai sous les yeux un rapport du médecin de l’hôpital de Gand, qui fixe à 15 le maximum du nombre de grains administrés aux fiévreux qu’il a eu à traiter dans son hôpital. J’ajouterai que dans ce même rapport le même médecin dit que, pour sa clientèle, en ville, il a toujours été obligé d’administrer une quantité plus grande ; et il tire de là, certes avec raison, la conséquence que le sulfate de quinine de la pharmacie de l’hôpital est supérieur à celui des pharmacies particulières.

L’honorable membre a dit que le chiffre de la mortalité dans l’armée a été de 3 à 4 mille. Il est malheureusement vrai qu’en 1835 et 1836, et surtout à la fin de ces années, des fièvres ont accru dans l’hôpital de Gand le chiffre de la mortalité ordinaire. J’ai sous les yeux le tableau du nombre des morts ; il s’élève en totalité, pour l’hôpital de Gand, à 271.

On a encore répété dans cette séance, à propos de la dysenterie ou de la maladie quelconque qui a frappé notre armée en 1831 et en 1832 que là encore le nombre des morts s’est élevé de 3 à 4 mille. Les honorables membres qui ont articulé ces faits affligeants auraient pu puiser dans leurs propres bibliothèques la preuve que fort heureusement ils sont bien loin d’être exacts ; j’ai entre les mains le relevé des décès dans les hôpitaux militaires du royaume, pendant les années 1831, 1832, 1833, 1834 et 1835, relevé qui a été distribué à tous les membres de la chambre, avec le budget de 1836. Eh bien, le total, des décès, pour les années 1831 et 1832, est de 2,329. Ce total est celui de tous les hôpitaux militaires du pays, pour toute espèce de maladies. Maintenant, d’après le chiffre total de la mortalité pendant ces cinq dernières années, je trouve que la moyenne, par année, est de 800. Si on appliquait cette moyenne aux deux années 1831 et 1832, on trouverait 1,780 décès d’après les circonstances ordinaires. Il resterait donc 609 décès par suite de la grande maladie dont on a fait un bruit si affligeant. Ce sont là des chiffres incontestables.

J’avais préparé d’autres observations sur l’emploi du sulfate de quinine. Trouvant la discussion sur ce point assez avancée, je les supprimerai, sauf à les produire si de nouvelles objections venaient à être présentées.

Je viens aux différentes questions de l’honorable M. Liedts. Je dois au préalable exprimer ma satisfaction que ces questions aient été posées, parce que, quand elles ne devraient pas conduire à un résultat positif, au moins elles me fourniront l’occasion d’établir la vérité.

Je prends la première question de M. Liedts : elle est ainsi conçue :

« 1° Est-il vrai qu’en 1831 et 1832 l’administration centrale fit l’achat sans publicité, sans concurrence et sans expertise, d’une énorme quantité de quinquina tellement sophistiqué, qu’on fut obligé de le mettre hors de service dans plusieurs hôpitaux militaires ? »

Je demanderai à la chambre la permission de substituer à cette question telle qu’elle est posée, l’article même qui y répond dans la pièce qui a fait l’objet de l’examen du département de la guerre. C’est la même question ; seulement elle est plus étendue et plus détaillée. La voici :

« M. Vleminckx acheta en 1831, à des pharmaciens de son choix, sans concurrence, sans adjudication, sans expertise, une masse considérable de quinquina royal de morphine, etc., etc., masse si considérable qu’après avoir fourni aux besoins de tous les hôpitaux du royaume depuis 1831, il reste aujourd’hui en magasin assez de quinquina pour approvisionner les pharmacies militaires pendant plusieurs années. Il a été constaté depuis cette époque que la plupart des médicaments achetés par le chef du service de santé de l’armée, envoyés dans les hôpitaux et ambulances au-delà des besoins et sans nécessité, étaient de mauvaise qualité, sophistiqués. C’est au moins ce qui a été constaté à Liége où ils ont déjà été anéantis par le feu ; à Nieuport et récemment à Louvain, où ils seront bientôt livrés aux flammes. »

Voilà le fait développé et la question posée. Je n’ai qu’une observation à faire, c’est que le mot « sophistiqué » s’applique aux médicaments en général et non spécialement au quinquina.

Il y a dans ce fait ainsi développé une accusation au moins triple :

1° Achat sans adjudication ;

2° Achat en trop grande quantité ;

3° Mauvaise qualité.

Sur le premier chef j’ai à déclarer qu’en effet il n’y a pas eu d’adjudication. Mais je dois dire que les règlements sur le service de santé ne prescrivent pas le mode d’achats des médicaments, et j’ajouterai en passant que, d’après ces règlements, l’inspecteur-général n’a rien à faire dans cet achat.

Je ferai d’ailleurs remarquer à la chambre qu’en 1831, la régularité ne régnait pour ainsi dire dans aucune administration, et que le crédit du pays n’était pas assez bien établi pour qu’il eût chance de succès dans les adjudications. Par conséquent le fait de non-adjudication n’aurait rien de criminel ; ou, pour le rendre criminel, on serait obligé d’établir que le fournisseur a partagé avec celui qui a reçu les médicaments.

Ce fait même peut-être expliqué par les circonstances.

Je rappellerai à ce sujet à la chambre qu’un honorable orateur qui a parlé sur cette question, a signalé les inconvénients résultant du mode d’adjudication appliqué à l’achat des médicaments. Je crois bien que ce mode présente des inconvénients. Mais, d’après l’esprit de défiance qui règne dans le pays, je pense qu’il vaut mieux faire des adjudications que d’être exposé à être soupçonné comme l’est maintenant l’inspecteur-général du service de santé.

Je passe au second chef d’accusation relatif au premier numéro de la série posée par l’honorable M. Liedts : « Achat en trop grande quantité. » Ceci est encore vrai. Il est certain qu’il existait l’année dernière ce qui existe maintenant encore du quinquina jaune acheté en 1831. Mais ici je dois prier la chambre de vouloir de vouloir bien se reporter au temps où le marché a été passé ; nous étions à la veille d’une guerre avec la Hollande et, dans l’opinion de beaucoup de personnes, cette guerre pouvait entraîner une guerre générale plus ou moins longue.

Dans une telle situation, peut-on, messieurs, faire un reproche à un fonctionnaire public, chargé de pourvoir aux besoins d’un service important, d’être allé au-delà des prévisions ordinaires, plutôt que d’être resté en deçà ?

Le troisième chef dépendant de la première question, est la mauvaise qualité des substances.

Je commencerai par prier la chambre de remarquer les expressions dont on se sert en parlant de la qualité des médicaments : « Il a été constaté depuis cette époque... »

Lorsque la pharmacie centrale envoie des médicaments dans un des hôpitaux du pays, il est du devoir de tous les officiers de santé et de tous les pharmaciens, de se réunir en commission pour les examiner et déclarer s’ils sont bons ou mauvais. S’ils sont mauvais, ils ont le droit et il est de leur devoir de les refuser, et d’en renvoyer un échantillon à l’inspecteur-général, afin qu’il soit procédé à un nouvel examen.

De cette disposition des règlements, je suis en droit de conclure que s’il n’y a pas eu de procès-verbal dressé au moment de l’envoi des substances, c’est qu’alors elles étaient bonnes. Si elles ont été reconnues mauvaises depuis, qui peut dire que la faute doive en être attribuée à la pharmacie centrale plutôt qu’aux pharmacies des hôpitaux où elles avaient été envoyées pour y être employées et conservées ? Dans des choses aussi graves que celles qui concernent les médicaments falsifiés, on doit se donner la peine d’observer les formes réglementaires.

Et dans cette affaire je dirai que les hommes excessivement coupables sont ceux qui viennent dire plus tard : « J’ai employé de mauvais médicaments. » De tels hommes ont manqué aux premières lois de l’humanité ; en les employant, ils se sont rendus criminels. Qui les obligeait à faire cet emploi ? En présence de l’usage de substances délétères et de la crainte de quelques peines disciplinaires qu’ils pouvaient encourir, pouvaient-ils hésiter ? C’est pour éviter quelques inconvénients qui leur auraient été personnels qu’ils ont préféré administrer aux soldats des médicaments altérés, propres à compromettre leur santé, propres à les empoisonner ! Des hommes qui peuvent avouer eux-mêmes de pareilles turpitudes, de pareils forfaits, ne méritent aucune confiance.

Je reviens aux médicaments de mauvaise qualité. On a découvert quelques plaintes, postérieures à l’envoi, concernant certains médicaments. On a trouvé, entre autres, une lettre du médecin principal de l’hôpital de Mons, dans laquelle il désignait deux ou trois médicaments, mais où il n’était pas question de quinquina. On a trouvé encore une lettre du médecin en chef de l’hôpital de Gand, et dans laquelle cet officier de santé se prononce contre l’emploi du quinquina rouge. La lettre du médecin de Mons n’a pas eu de suite, de sorte que les médicaments qu’il avait désignés ont été remplacés ou réparés.

La lettre du médecin principal de Gand a eu pour effet de faire cesser l’usage du quinquina rouge ; et c’est une des causes qui peut expliquez pourquoi il y en reste encore une partie, très faible cependant, des achats de 1831.

Toutefois, il est des faits qui ont établi une opinion contraire à celle qu’on s’était formée relativement à l’usage du quinquina rouge.

J’ai dit que j’avais fait faire une inspection pour connaître le sulfate de quinine existant dans les pharmacies ; je me suis fait remettre les procès-verbaux de cette inspection et des vérifications qui en ont été la suite, et de ces procès-verbaux il est résulté plusieurs faits.

Ils m’ont appris que dans l’infirmerie de Nieuport, il n’y avait pas de sulfate de quinine ; je me suis informé de cette circonstance et j’ai vu une lettre de l’officier de santé dirigeant cet hospice, et dans laquelle il déclare employer le quinquina rouge parce qu’il produit de bons effets. Ce médecin ajoute que tant qu’il aura du quinquina ronge, il ne fera pas usage du sulfate de quinine qui ne produit pas, selon lui, d’aussi bons résultats.

L’inspecteur général a fait faire un essai dans cet hôpital, et cet essai a conduit à épuiser les approvisionnements du quinquina rouge parce qu’on a reconnu que ce médicament bien employé produisait les mêmes effets que le sulfate de quinine, et même réussissait là où le sulfate de quinine avait échoué.

Tous ces médicaments figurent sur les contrôles des pharmacies que l’on dresse tous les six mois, et ils y figurent comme étant de bonne qualité. Les investigations auxquelles on s’est livré n’ont fourni aucune preuve relativement aux faits allégués pour les villes de Nieuport et de Liège, où des médicaments auraient été brûlés.

Quant au fait qu’à Louvain il existait des médicaments qui seraient livrés aux flammes, pour savoir ce qui pouvait en être, j’ai envoyé à l’improviste, à l’hôpital de Louvain, un officier du corps de l’intendance, avec l’ordre de faire mettre ces médicaments sous les scellés, devant le médecin Feigneaux, et de les envoyer à la pharmacie centrale. Là, un examen soigneux a été fait de tous ces médicaments, j’ai sous les yeux le tableau des résultats de cet examen ; or, la plupart de ces médicaments ont été trouvés hors d’état de servir ; mais il est bon de savoir dans quelle forme cette déclaration a été généralement conçue. Je prends les premiers numéros, et je lis :

« Agaric de chêne : hors de service par suite d’une mauvaise conservation ou vétusté, pourrait cependant encore être utilisé, soit comme moyen haemostatique, soit à l’application des moxas, soit pour la compression.

« Agaric blanc : hors de service par vétusté, à anéantir.

« Fleurs de camomille vulgaire : même observation que ci-dessus, malgré que l’on pourrait encore en faire usage pour les cataplasmes. »

Je puis lire le procès-verbal tout entier, et partout je trouverai la même observation : ainsi voilà une série tout entière de médicaments, comprise dans une accusation formulée, et désignée dans cette accusation comme ayant été livrés de mauvaise qualité, tandis qu’elle est reconnue de mauvaise qualité par suite de vétusté et par défaut de conservation.

Je ne pense pas que j’aie besoin d’ajouter des développements sur ce fait ; du reste, s’il y a des objections, je m’empresserai d’y répondre.

Le procès-verbal que je viens de citer est signé par MM. Seulin, Herlant, Gilisquet, Heylighen, Lepage.

Voici la seconde question posée par M. Liedts :

« Est-il vrai qu’au mois de février 1832, la fourniture des médicaments composés fut accordée, sans adjudication publique, à un droguiste privilégié, encore qu’il demandât un prix supérieur à celui réclamé par un autre droguiste ? »

Ce fait est ainsi développé dans l’accusation primitive :

« Au mois de février 1832, l’inspecteur-général accorda au droguiste Cornelis Goetevinck, sans concurrence ni publicité aucune, la fourniture générale des médicaments composés nécessaires pour assurer le service des hôpitaux et ambulances du royaume pendant le premier semestre de cette année ; nous disons sans concurrence, attendu que le pharmacien Soiron ayant soumissionné en même temps et au même prix que le droguiste Cornelis Goetevinck, ce dernier fut seul invité par M. Vlemiinckx à diminuer son prix, tandis que M. Soiron avait déclaré à celui-ci, ainsi qu’au pharmacien en chef, qu’il prenait l’engagement de fournir toujours à un prix inférieur à celui de son concurrent. Le droguiste adjudicataire privilégié des médicaments composés ne tint nullement ses engagements ; il employa pour leur préparation des matières premières de qualités inférieures aux échantillons types déposés à la pharmacie centrale. Il en résulta que ses fournitures étaient de mauvaise qualité et ont été acceptées, comme on peut s’en convaincre par les procès-verbaux de réception. Lorsque des discussions s’élevaient entre le pharmacien en chef (M. Van den Corput), les experts et l’adjudicataire, sur la mauvaise qualité des médicaments, elles étaient tranchées par M. l’inspecteur-général ; c’est ainsi que des sirops avariés, fermentés et d’autres articles, rejetés par ces messieurs, furent acceptés, grâces aux soins de M. Vleminckx.

« Aussi, des plaintes ne tardèrent pas à arriver de la plupart des hôpitaux auxquels on avait fait l’envoi de ces composés, et notamment sur ceux les plus employés.

« Ce fait a déjà été signalé en 1832 paf M. Dulcérin, pharmacien de deuxième classe, démissionné. »

Ainsi, le premier chef d’accusation est que le pharmacien Cornelis a été préféré à Soiron ; ce fait est vrai, mais voici les explications qui en sont données et qui serviront à faire comprendre les réponses que j’ai à faire sur la troisième des questions posées par l’honorable M. Liedts : le sieur Soiron avait été fournisseur des médicaments composés pendant le dernier semestre 1831, et lorsqu’il envoya sa soumission pour obtenir la fourniture pendant le semestre de 1832, on trouva ses prix tellement inférieurs à ceux qu’il avait exigés auparavant, qu’on fut convaincu qu’il y avait en de sa part exaction évidente ; en présence d’un tel fait, on ne voulut point admettre pour fournisseur un homme qui, ne pouvant plus faire payer les choses trois ou quatre fois leur valeur, comme il l’avait fait précédemment, semblait vouloir les fournir trois ou quatre fois plus mauvaises. Je pense, messieurs, qu’il est fâcheux que de telles choses aient eu lieu : à mes yeux, ainsi que je l’ai déjà dit, le système des adjudications publiques est préférable, même pour ces sortes d’objets ; mais il faut convenir aussi que, voyant un soumissionnaire établir des prix si différents pour des médicaments de même espèce, il y avait de grands motifs pour ne pas vouloir traiter avec un homme qui avait des poids et des mesures si différents. C’est là ce qui explique pourquoi il n’y pas eu d’adjudication publique, ce que j’appelle le deuxième acte d’accusation.

Le troisième point, c’est qu’on aurait employé des matières premières de mauvaise qualité, des sirops avariés et fermentés, à la confection des médicaments composés. Messieurs, ce n’était pas le fournisseur des médicaments composés qui était chargé de la fourniture des matières premières, c’était la pharmacie centrale : or, il me paraît assez difficile à concevoir que celui qui était chargé de préparer les médicaments composés et qui devait répondre de la bonté de ces médicaments, pût accepter de la pharmacie centrale des matières premières de mauvaise qualité ; il me semble que la fausseté d’une semblable accusation ressort d’elle-même. Il y a eu quelques plaintes à l’égard de certains sirops, et il a été reconnu qu’ils avaient été confectionnés avec du sucre candi d’où il résultait qu’ils avaient fermenté : ici une mesure a été prise, qui laissait intacts les intérêts du trésor public et ceux du soldat, mais que je crois pouvoir qualifier, à la rigueur, d’irrégulière. L’inspecteur-général trouvait que les sirops, qui avaient seulement fermenté, pourraient être ramenés à leur état normal, en leur faisant donner ce qu’on appelle un bouillon. On ordonna que cette mesure fût prise, mais, en raison des moindres qualités du sucre employé, on convint que les fournisseurs de sirop seraient payés à un prix inférieur. Après l’opération dont je viens de parler, il ne fut plus formulé aucune nouvelle plainte ; ainsi, j’ai eu raison de dire que les intérêts du trésor avaient été garantis, puisque les choses n’ont été payées que ce qu’elles valaient ; j’ai eu également raison de dire que la santé du soldat n’était point compromise puisqu’après l’exécution de la mesure qui avait été prescrite, il n’a plus été fait aucune plainte.

On a dit que lorsque des difficultés s’élevaient entre les fournisseurs et les experts, c’était l’inspecteur-général qui les tranchait. Dans toutes les investigations auxquelles je me suis livré, je n’ai trouvé aucun autre fait que celui des sirops auquel cette observation pût s’appliquer, et je viens de démontrer à quoi, pour les sirops, elle peut se réduire. Une fois cependant il y eut aussi des plaintes relativement à un onguent ; mais il est constaté que cet onguent avait été reçu par les experts, sans aucune intervention de l’inspecteur-général. Voilà donc les quatre chefs d’accusation que j’ai cru pouvoir distinguer ; je pense qu’ils sont réduits à une bien minime valeur.

La troisième question posée par l’honorable M. Liedts est celle-ci :

« Est-il vrai qu’en 1832 on a voulu exiger d’un fournisseur de médicaments le sacrifice de 1,200 fr. sur un mandat de 3,000 florins. »

Voici la manière dont cette accusation est formulée ailleurs :

« Cette préférence accordée au droguiste Cornelia Goetevinck sur les propositions avantageuses faites par M. le pharmacien Soiron, s’explique peut-être par ce qui s’est passé vers la même époque, entre M. Soiron d’une part et MM. Vleminckx et Tallois de l’autre.

« M. Soiron, pharmacien, rue Haute, avait livré à l’administration du service de santé des médicaments pour une somme de 3,000 florins. Ne recevant aucune nouvelle de son mandat de paiement, il se rendit au ministère de la guerre pour le réclamer. On lui dit qu’il avait été adressé depuis plusieurs jours à M. l’inspecteur-général. M. Soiron se transporta chez cet administrateur. Introduit près de lui, il y trouva M. Tallois, à qui il réclama la délivrance de la pièce susmentionnée.

« M. Vleminckx la retira d’un portefeuille, en lui disant « qu’il ne la lui remettrait que lorsqu’il aurait laissé tomber quelque chose de son mandat, parce que, ajouta-t-il, vous avez coté vos médicaments à un prix trop élevé. » M. Soiron, croyant que cette observation n’avait d’autre but que de le forcer à faire un cadeau aux employés de M. Vleminckx, et principalement à M. Tallois, contrôleur de la pharmacie centrale qui avait pris dans la conversation le titre de sous-inspecteur vis-à-vis de M. Soiron, demanda à M. l’inspecteur général quelle était la somme qu’il exigeait de lui : on lui répondit qu’il devait faire le sacrifice de 1,200 fr. pour obtenir la remise de son mandat. M. Soiron répondit que puisqu’on était si exigeant, il ne donnerait pas un centime.

« Au moment de sortir, M. Vleminckx rappela M. Soiron et lui demanda s’il avait bien réfléchi sur sa demande ; ce dernier dit que oui, sortit et se rendit immédiatement chez un ami, qu’il savait lié avec M. Vlaminckx, pour le prévenir des démarches qu’il allait faire pour obtenir la restitution de son mandat. Peu de jours après le mandat fut remis à M. Soiron sans la retenue des 1,200 francs demandés. Depuis cette époque, ce pharmacien n’a plus fait aucune fourniture de médicaments à la pharmacie centrale. »

Je dirai d’abord que le fait en lui-même est très exact, et que je le regarde comme très irrégulier, mais j’admets pleinement que l’inspecteur-général du service de santé a trouvé réellement que le compte présente par le pharmacien Soiron pour les fournitures du deuxième trimestre de 1831, était de 800 florins trop élevé, et cela d’après la comparaison faite avec la soumission présentée par le même fournisseur pour le premier semestre de 1832 ; cela admis, je dis encore que l’inspecteur général a eu tort de s’y prendre de la manière dont il s’y est pris ; il eût été beaucoup plus régulier et plus convenable d’écrire sur-le-champ au fournisseur, de lui exposer les choses et de l’avertir des conséquences que lui inspecteur-général chercherait à en faire ressortir. Mais au moins peut-on prouver que l’inspecteur-général en agissant comme il l’a fait, a eu l’intention d’opérer la réduction dont il s’agit au profit du trésor ? Je pense, messieurs, qu’on peut le faire : les comptes des fournitures du deuxième semestre de 1831 furent remis vers la fin du mois de janvier, ils furent examinés par le pharmacien en chef et visés par l’inspecteur-général ; il ne rendit point compte de la grande élévation des prix et on adressa les comptes au ministre de la guerre ; dans les premiers jours de février, il reçut la soumission du même fournisseur pour le premier semestre de 1832 ; ce fut alors qu’en comparant les prix, il fut choqué de leur grande différence ; il se rendit sur-le-champ chez le ministre de la guerre, lui fit part de la remarque qu’il venait de faire, et demanda qu’on en suspendît la liquidation ; ceci, messieurs, se fit verbalement, et ici je remarquerai, en passant, qu’une des irrégularités qu’on reproche au service de santé, c’est d’avoir trop souvent traité les affaires verbalement, sans les régulariser ensuite par la correspondance ; mais que la démarche dont je viens de parler a été faite, qu’elle a été faite avant que le mandat du sieur Soiron passât entre les mains de M. Vleminckx ; qu’avant ce moment, M. Vleminckx avait fait connaître au ministre de la guerre que les prix du sieur Soiron étaient trois ou quatre fois trop élevés ; c’est ce que je crois pouvoir établir par les faits que je vais exposer à la chambre.

Je me suis procuré la preuve, par une extrait du journal de l’inspection générale, et aussi par le reçu du messager du ministère de la guerre, que le mandat du sieur Soiron, ainsi que plusieurs autres, ont été remis chez M. l’inspecteur-général le 15 mars 1832.

Eh bien, à la séance de la chambre des représentants du 12 du même mois, M. le ministre de la guerre d’alors, à propos d’une pétition de ce pharmacien Soiron sur je ne sais quel autre objet, déclara qu’il allait prendre des mesures pour faire confectionner ses médicaments composés à la pharmacie centrale, entre autres motifs, le ministre allégua que « jusqu’alors nous avions payé le double et même le triple de la valeur de ces médicaments ; » et il dit en terminant que « c’était M. l’inspecteur général qui lui en avait fourni la preuve. »

Ainsi, messieurs, avant le jour où le mandat du sieur Soiron passa entre les mains de l’inspecteur-général, celui-ci avait donné au ministre de la guerre la preuve que les médicaments qui avaient été fournis par le sieur Soiron avaient été payés trois ou quatre fois leur valeur.

Maintenant, messieurs, en présence de ces deux faits, d’un côté un fournisseur qui dit : on veut me faire donner un pour boire, et pour cela on veut que je fasse l’abandon d’une partie de mon mandat ; et d’autre part un fonctionnaire public qui déclare avoir eu l’intention de faire opérer une réduction sur le mandat, parce qu’il était convaincu que tous les objets au paiement desquels le mandat était destiné avaient été cotés à des prix usuraires, entre ces deux versions, dis-je, je n’hésite pas à adopter la seconde et à rejeter la première.

Je le déclare encore, il est à regretter qu’il ait fallu se livrer à de telles recherches, à de tels raisonnements pour établir suffisamment la pureté d’intentions d’un fonctionnaire public. Il aurait été beaucoup plus convenable de procéder en cette matière avec une entière régularité, par écrit ; on n’aurait pas eu besoin dès lors de repousser de semblables soupçons.

Quoiqu’il en soi, à mon avis, toute la criminalité de cette affaire tombe devant les explications qui j’ai été à même de donner à la chambre, grâce aux recherches auxquelles je me suis livré.

Je passe au fait suivant :

« Est-il vrai qu’en 1832 l’administration centrale acheta, sans adjudication ni concurrence, à des livranciers de son choix, 22,200 kilog. de sel et 500 kilog. de peroxyde de manganèse ? »

Je prends encore l’accusation dans ses plus grands développements.

« Dans le courant d’avril, M. l’inspecteur général acheta, sans adjudication, sans concurrence, à des marchands privilégiés, 22,000 kilog. de sel et 500 kilog. de peroxyde de manganèse pour préparer une poudre désinfectante ; avec cette quantité de substance, il y avait de quoi désinfecter 4,166 salles calculées à 20 malades chacune ; ce qui fait un total de 83,520 malades.

« La prévision fut si grande, que l’on acheta en outre, toujours sans adjudication, 1,500 kilogrammes de chlorure de chaux liquide et 1,500 kilogrammes de chaux solide. Les dernières substances, à leur arrivée aux hôpitaux de Lierre, Malines Louvain, furent reconnues impropres au service et mises hors d’usage.

« Cette opération était d’autant plus onéreuse au trésor que rien ne pouvait faire craindre une disette de ces médicaments ni même une augmentation de prix : tandis qu’ils ont été livrés à un taux beaucoup trop élevé, notamment le sel payé à 18 cents le kilogramme lorsque le cours le plus élevé à cette époque n’était que de 11 cents et demi à 12 cents. »

Avant d’entrer dans l’examen de tous ces détails de l’accusation, je prierais la chambre de se rappeler qu’au mois d août 1832 le choléra sévissait dans tous les pays qui nous environnent ; et que quelques mois plus tard il fit invasion en Belgique. A cette époque partout où l’on craignait la visite de l’épidémie, on s’est empressé de se procurer les moyens de désinfection ; et je demanderai ce qu’on aurait dit si l’inspecteur-général du service de santé qui était chargé de prendre des précautions pour notre armée, au lieu d’avoir eu quelques milliers de kilog. de chlorure de trop, en avait eu quelques milliers de kilog. de trop peu.

Quoi qu’il en soit, je réduis encore cette question à un certain nombre de chefs d’accusation.

Le premier est l’achat sans adjudication, sans concurrence, à des marchands privilégiés.

Messieurs, cette première accusation est fausse. Ces matières ont été achetées par adjudication publique ; je pense que rien au monde n’est aussi facile que de vérifier si un marché a eu lieu ou non par adjudication publique. Par conséquent, si dans cette circonstance on a accusé à faux, c’est qu’on a voulu le faire.

On a ajouté qu’il en avait acheté en quantité trop grande. C’est vrai ; mais je viens d’expliquer quel en a été le motif, et tout le monde a pu aisément comprendre pourquoi les choses se sont passées ainsi.

J’ai encore à faire ici une observation de détail.

On a fait beaucoup ressortir la masse des malades pour lesquels ces moyens de désinfection auraient dû servir. Mais on devait savoir, et l’on savait certainement, que ces matières ne devaient pas seulement servir à la désinfection des hôpitaux ; mais que le service de santé doit encore pourvoir à tous les besoins sanitaires des casernes, des corps de gardes et des prisons. C’était donc pour des locaux quadruples, décuplés peut-être de ceux qui forment les hôpitaux que l’approvisionnement était nécessaire, et que par conséquent on peut hésiter à déclarer qu’a priori il était exorbitant. Mais que par la suite on ait trouvé qu’il y en avait eu trop, cela est incontestable.

Autre chef d’accusation :

« Les substances qui ont été achetées auraient été de mauvaise qualité, et différents procès-verbaux auraient été adressés. »

Toutes les investigations auxquelles se sont livrées les personnes qui ont été chargées de l’examen de l’affaire, ont été conduites à la découverte d’un seul procès-verbal qui a été dresse par M. le médecin Feigneaux, alors attaché à l’hôpital de Lierre. Ce procès-verbal a donné lieu à une contre-expertise qui a été faite à la pharmacie centrale par MM. Verzyl, Pasquier et une autre personne dont je ne me rappelle pas le nom, mais qui n’était pas l’inspecteur-général. Il fut reconnu que les matières étaient de qualité convenable.

Une expédition du procès-verbal de la contre-expertise fut envoyée à l’auteur du procès-verbal de la première expertise, lequel ne réclama pas contre l’usage des matières, mais continua cependant à demander l’autorisation de se les procurer chez un pharmacien de son choix.

Une partie de ces matières fut reçue régulièrement par les experts nommés par le ministre, et dans les expertises l’inspecteur-général n’intervient pas.

Je reviens au dernier chef d’accusation savoir : que les prix ont été trop élevés.

On établit la différence entre les prix qui ont été payés et les prix du commerce d’alors. Je ne sais pas au juste quels étaient les prix du commerce à cette époque, mais je sais que des adjudications de sel ont eu lieu dans différents hôpitaux, et qu’on a payé ce sel 15 et 16 cents.

Que faut-il conclure, messieurs, de tout ce que je viens de dire ? que M. l’inspecteur-général du service de santé reçut, comme beaucoup d’autres, une impression exagérée du danger du choléra, et que des ennemis perfides et pleins de déloyauté ont profité de cette circonstance pour le convertir en criminel.

« Est-il vrai qu’en février 1833 une quantité de 200 kilog. de quinquina gris fut reconnue falsifiée et mélangée de quina nova et cependant acceptée par l’administration centrale du service de santé ? »

C’est là le neuvième fait de l’acte d’accusation, il est ainsi conçu :

« Dans le courant de février 1835 eut lieu l’expertise d’une masse assez considérable de quinquina gris (200 kilogrammes) ; cette substance fut refusée par les experts à différents reprises parce qu’elle était falsifiée et mélangée à une grande quantité de quina nova. Le fournisseur s’étant plaint à M. Vleminckx, une nouvelle expertise fut ordonnée et eut lieu en présence du chef du service sanitaire qui, malgré le refus des experts d’admettre cette substance, l’accepta et apposa son visa approbatif sur l’état. Cette opération fut accompagnée d’une circonstance remarquable et qui mérite de fixer l’attention.

« M. Pasquier, pharmacien de deuxième classe, remarqua plusieurs fois que les échantillons-types renfermés dans les bocaux disparaissaient, et étaient remplacés par des substance de qualité inférieure ; afin de s’en assurer, il fit fournir par son parent M. Pasquier, pharmacien, Montagne de la Cour un échantillon de quinquina gris, qu’il remit à M. Tallois, contrôleur de la pharmacie centrale. Peu de temps après eu lieu la fourniture de quinquina mentionnée plus haut ; et lorsqu’il voulut confronter la marchandise livrée à l’expertise avec l’échantillon-type, il s’aperçut qu’il avait été mélangé avec un quinquina de qualité inférieure.

« Il fit constater cette fraude par les personnes présentes et par le fournisseur de l’échantillon. En envoyant le procès-verbal à M. Vleminckx, il lui dévoila les manœuvres employées pour opérer la substitution de l’échantillon ; il lui demanda l’autorisation d’apposer son propre cachet sur tous les bocaux, tout en le prévenant que dans le cas où on la lui refuserait, il cesserait à l’avenir de faire partie de la commission d’expertise. M. Vleminckx, au lieu d’accorder une demande aussi juste, répondit officiellement : « que la nature des fonctions de M. le contrôleur s’opposait à ce que sa demande fût prise en considération, que d’ailleurs il avait tout sa confiance dans cet employé. »

Quoique ce second fait d’une fermeture irrégulière des bocaux renfermant les échantillons-types de la pharmacie centrale ne se trouve pas dans la cinquième question de M. Liedts, je pense que le fait est assez intéressant pour que la chambre désire que j’entre dans tous les détails que je puis donner à ce sujet.

Je commencerai par exposer ce qui regarde le fait des expertises irrégulières du quinquina gris, en suivant encore pour ce fait la marche que j’ai suivie pour les faits précédents.

La première accusation consiste en ce qu’on aurait soumis à ces expertises irrégulières une masse considérable de quinquina gris, savoir 200 kilog. Je commencerai par dire que ce nombre de kilog. doit être réduit de moitié, car 100 kilog. seulement ont été l’objet de ces expertises successives.

Voici maintenant comment les choses se sont passées :

C’est le 12 février 1833 que la première expertise de ce quinquina a eu lieu ; elle fut faite par MM. Pasquier, Limauge et le directeur de la pharmacie centrale ; le résultat de l’expertise fut le rejet du quinquina.

Je dois faire observer ici que le quinquina fut trouvé mélangé, mais non pas falsifié, ainsi qu’on le prétend.

La fourniture, comme je l’ai dit, fut rejetée. Le fournisseur s’empressa de réclamer, non pas auprès de l’inspecteur général, mais auprès du ministre de la guerre ; il se plaignit de l’excessive rigueur des experts, prétendit que son quinquina était bon, offrit d’ailleurs de purger les substances hétérogènes qui pouvaient se trouver mêlées, et demanda une seconde expertise.

Cette demande lui fut accordée. Les mêmes personnes qui avaient fait la première expertise procédèrent à la seconde ; le même quinquina purgé fut présenté ; les experts le rejetèrent encore.

Le fournisseur protesta, séance tenante, contre leur décision, et obtint d’eux que les deux boîtes qui renfermaient le quinquina seraient mises sous scellé afin qu’il eût le temps d’adresser une nouvelle réclamation au ministre de la guerre.

Le ministre admit cette nouvelle réclamation, et ordonna qu’une troisième expertise eût lieu, sous la présidence de l’inspecteur-général. Remarquez, messieurs, que c’est l’ordre du ministre qui fit intervenir l’inspecteur-général en cette circonstance. On procéda à la troisième expertise le 23 février, et le résultat fut un troisième rejet à l’unanimité.

Ainsi l’inspecteur-général s’est réuni aux trois experts pour rejeter la substance qui avait été présentée une troisième fois avec l’autorisation du ministre.

Jusque-là, il n’y avait certes rien d’irrégulier dans cette opération.

A l’issue de la troisième expertise, l’inspecteur écrivit au ministre de la guerre qu’il allait faire acheter, chez les pharmaciens de la ville, du quinquina à charge du fournisseur.

Ici, messieurs, la marche cesse d’être régulière.

Le 4 mars, une nouvelle expertise eut lieu. Cette expertise fut faite par les mêmes personnes qui avaient procédé aux trois premières. L’inspecteur-général n’y assista pas.

Des trois experts, l’un rejeta la substance le second signa le procès-verbal, sans dire quel était son avis, et le troisième accepta, en consignant au procès-verbal cette observation explicite : qu’il acceptait, vu l’urgence.

L’inspecteur-général se réunit à l’avis du troisième expert, par suite, le quinquina fut admis, et l’inspecteur rendit compte, assez longtemps après, de cette quatrième expertise.

Voici maintenant l’explication qui est donnée pour justifier cette irrégularité.

L’inspecteur-général donna en effet, séance tenante, l’ordre au directeur de la pharmacie d’acheter du quinquina à charge du sieur Cornelis. Il se rendit ensuite auprès de M. le ministre de la guerre pour lui faire connaître le résultat de cette expertise, et en même temps la situation de la pharmacie centrale sous le rapport de la substance dont il s’agit.

Je me suis fait présenter les contrôles de la pharmacie centrale à l’époque où ces faits ont eu lieu. Au moment où l’on a fait au sieur Cornelis la demande de ces 100 kilog. de quinquina gris, il y en avait 94 dans la pharmacie. Mais ces 94 kilog. étaient ainsi divisés : un kilog. et quelque chose en morceaux, 23 kilog. en grosse poudre, et tout le reste en poudre fine. Je suis fâché d’entrer dans tous ces détails de pharmacie, mais je dois le faire, ces distinctions étant très importantes. Le quinquina est administré en poudre fine ; le quinquina en grosse poudre sert à faire des extraits, et peut seul servir à cet usage.

Eh bien, pendant que ces faits se passaient, pendant qu’on procédait à toutes les expertises, survinrent des demandes de quinquina en poudre grosse de diverses pharmacies provinciales, et l’on résolut d’acheter cette substance chez les marchands de la ville aux frais du fournisseur parce que les 23 kilog. Restant avaient déjà été employés.

Maintenant l’inspecteur-général déclare qu’on n’a pas pu trouver de quinquina conforme à l’échantillon, et nous dit que pour qu’on pût prendre ce quinquina aux frais du fournisseur, il aurait fallu que le quinquina fût conforme à l’échantillon, et que, d’après tous les antécédents de l’individu, on était sûr d’avoir un procès avec lui : qu’il contesterait l’identité de l’échantillon avec la matière qu’on achèterait.

C’est là, à la vérité, une explication donnée après coup ; mais ce qui doit faire admettre qu’on peut, en effet, avoir donné l’ordre d’acheter du quinquina aux frais du sieur Cornelis, c’est que l’ordre verbal existe d’acheter, aux frais du même individu, diverses autres substances qui étaient comprises dans le même marché et avaient été rejetées dans les mêmes expertises ; et qu’il existe, en outre, un rapport du directeur de la pharmacie centrale, constatant qu’il n’a pas trouvé de médicaments conforme à l’échantillon.

De plus, l’inspecteur général a fait un appel aux souvenirs de l’ancien ministre de la guerre, lequel déclare que, s’il ne se rappelle pas toutes ces circonstances, il lui paraît au moins évident qu’elles doivent avoir eu lieu, puisqu’il ne fit aucune observation quand le procès-verbal de la dernière expertise, avec les circonstances particulières qu’elle présente, lui fut adressé.

Voilà donc les circonstances qui se rattachent à la quatrième expertise, la seule irrégulière, puisque toutes les formalités ont été observées pour les trois autres :

Absence complète dans la pharmacie centrale de l’espèce de quinquina demandée par différentes pharmacies du royaume. (Ceci est un fait constaté.) Allégation de l’inspecteur-général qu’on n’a pas trouvé dans le commerce du quinquina conforme à l’échantillon, et que c’est en présence de ce fait qu’on a dû, vu l’urgence, employer la fourniture qui avait subi une quatrième purification ; et enfin rapport du directeur de la pharmacie centrale, constatant qu’il n’a pas trouvé de médicaments conformes à l’échantillon.

Je dois ajouter que ce quinquina gris qui a été envoyé aux pharmacies n’a donné lieu à aucune espèce de plainte.

Peut-on maintenant soutenir que cette quatrième expertise faite dans de telles circonstances est assez irrégulière pour faire croire qu’il y a eu concussion ?

Je viens maintenant à la question de la substitution des échantillons, et avant de l’aborder, je demande la permission de lire l’accusation tout entière, telle qu’elle, est formulée.

« Cette réclamation n’eut pas de suite, et jusqu’à ce jour les bocaux sont restés à la disposition de M. le contrôleur, revêtus de son cachet unique, et fermés les uns au moyen de nœuds doubles, les autres avec des rosettes, et enfin quelques-uns avec des nœuds coulants.

« Dixième fait. Il existe deux espèces de nœuds : 1 le nœud simple ; il se fait en ramenant les extrémités de la ficelle sur un des côtés du bocal, en les croisant l’un sur l’autre une première fois, puis en répétant une seconde fois le même mécanisme. De cette manière, le bocal est hermétiquement fermé et à moins de rompre le cachet ou de couper la ficelle, il est impossible d’enlever le couvercle. Ce mode employé pour fermer les bocaux est appliqué, pour la plupart, aux médicaments de peu de valeur, ou d’une valeur connue, ou d’une petite consommation.

« 2° La rosette. La description de ce nœud mérite de fixer plus spécialement l’attention, parce que c’est celui qui est employé de préférence pour les bocaux renfermant les médicaments d’un haut prix, ou d’un usage journalier.

« Après avoir fait faire le double tour du goulot du bocal, les deux bouts sont ramenés sur un des côtés, et au lieu de faire un nœud en croisant les bouts l’un sur l’autre, on fait une anse de chaque côté comme dans les nœuds ordinaires ; ces deux anses sont ensuite croisées sur l’autre, aplaties, repassées sous la corde, masquées aux regards par le papier qui déborde, et seulement alors les deux extrémités sont posées sur le couvercle et fixées par le cachet de l’adroit prestidigitateur.

« Si maintenant, pour un motif que nous ne qualifierons pas, on veut faire tomber le couvercle sans altérer le cachet, on se borne à retirer au moyen d’une lame de couteau, ou de tout autre corps pointu ; l’anse de la ficelle ; en lui imprimant un léger mouvement de va et vient, on détend la rosette, et la ficelle se lâche au point de permettre l’enlèvement du couvercle sans l’altération du cachet : dès lors la substitution d’un échantillon-type par un autre d’une qualité inférieure devient on ne peut plus facile.

« M. Tallois a cherché à se justifier sur l’inutilité de recourir à un moyen de fraude semblable. Seul possesseur du cachet il lui était toujours facile et loisible de briser l’empreinte et de la remplacer par une nouvelle, disait-il. Mais à cette explication nous avons plusieurs objections à faire et qui consistent en ceci :

« Premier point. La salle aux échantillons est contiguë au cabinet de travail de M. Verzyt, directeur de la pharmacie centrale ; pour y parvenir, il faut : 1° demander la clef à ce comptable ; 2° traverser le lieu qu’il occupe le lieu qu’il occupe la plus grande partie du jour.

« Deuxième point. Pour remplacer le cachet brisé, il faut de la cire ; pour la ramollir, il faut se renfermer et se procurer de la lumière : or cette demande attirerait l’attention ; dès lors, il y a impossibilité de se livrer à cette opération sans être découvert.

« Troisième point. Les bocaux sont recouverts, depuis 4 ans, de papiers bleus qui ont pali ; avec le temps ils sont devenus d’un bleu gris : la cire des cachets, par son exposition à l’air de rouge vif qu’elle était, est devenue orangée claire, et les creux des empreintes se sont remplis de poussière ; cette poussière fait corps avec la cire. Il résulte de là que si on avait voulu changer les cachets, on n’aurait pu y parvenir sans faire connaître la fraude : 1° parce que l’introduction de la lumière aurait éveillé les soupçons ; 2° parce qu’en changeant les enveloppes, la différence de couleurs des papiers, la vivacité des cachets et des caractères des empreintes auraient révélé aux moins clairvoyants le genre d’altération auquel on les avait soumis. On a préféré faire des rosettes qui permettaient d’enlever les couvercles sans altérer les cachets, plutôt que des nœuds qui forçaient à briser les empreintes, ce qui aurait rendu la découverte de la fraude plus facile. »

Il est certain que de l’ensemble de cet exposé et des détails qu’il renferme résulte positivement l’intention d’accuser M. Tallois d’avoir opéré la substitution des échantillons. Il est impossible de sortir de là.

Maintenant, au lieu de reprendre par le commencement, je vais remonter de la fin au commencement. De tout ce que vous avez entendu, il résulte positivement que ce n’est pas par l’enlèvement des cachets et en conséquence par la possession du cachet, qu’a pu s’opérer la substitution des échantillons ; d’après cela je demande pourquoi celui qui était possesseur du cachet serait plutôt qu’un autre soupçonné d’avoir opéré la substitution.

On dit que pour pouvoir s’introduire dans le cabinet où sont les bocaux, et pour opérer la substitution des échantillons, il fallait ne pas rester longtemps pour ne pas éveiller l’attention du directeur de la pharmacie centrale, qui lui-même se trouvait presque toute la journée dans ce cabinet. Je ne veux certainement pas accuser le directeur de la pharmacie centrale ; j’ai dit plusieurs fois qu’il ne pouvait être soupçonné par personne. Mais je demande pourquoi, au lieu du contrôleur qui ne se trouvait que rarement dans ce cabinet, on ne soupçonnerait pas celui qui s’y trouvait continuellement. Le directeur de la pharmacie centrale n’est pas le seul dans ce cas. Les expertises de quelque importance, les analyses ont lieu à la pharmacie centrale. L’expert chargé de l’expertise reste au moins aussi longtemps que le contrôleur. Pourquoi donc ne soupçonnerait-on pas l’expert tout aussi bien que le directeur et le contrôleur ?

On semble partir de ce point que le contrôleur est porteur du cachet et l’on détruit en même temps tout cet échafaudage en disant que le cachet ne peut conduire à rien. Il me semble que cette accusation calomnieuse se détruit par elle-même.

Quant à l’opération même de l’ouverture de ces nœuds mal faits et de la possibilité de les réformer, voici ce qui s’est passé :

Lorsque la dénonciation fut faite qu’il existait à la pharmacie centrale des bocaux irrégulièrement fermés, le ministre de la guerre donna sur-le-champ l’ordre à MM. de Bassompierre et Teymans de se transporter à la pharmacie centrale de vérifier la chose et de mettre tous les bocaux sous scellé. Cela eut lieu, et les bocaux sont restés dans cet état jusqu’au moment où les échantillons ont été révisés pour les adjudications de 1837. La révision a été faite par un certain nombre de médecins désignés par le ministre de la guerre. Ces médecins ont signé un procès-verbal portant que s’il est possible et facile jusqu’à un certain point d’ouvrir les bocaux, ils ne comprennent pas comment on ferait pour les refermer. Mais voilà un deuxième point regardé comme douteux, ce qui ferait que l’irrégularité de la fermeture des bocaux ne peut, en général, conduire à une fraude.

On dit que les bocaux ainsi fermés d’une manière irrégulière renfermaient des substances du prix le plus élevé, et de l’usage le plus journalier, et que ceux régulièrement fermés ne renfermaient que des substances de peu de valeur ou d’une petite consommation. Ceci a été écrit en juillet 1836. A cette époque-là, il existait encore 24 bocaux mis sous le scellé par ordre du ministre de la guerre. Le détail de ce que renfermaient ces bocaux a été remis par moi à la section centrale. Il en résulte que la plupart des substances renfermées dans ce bocal avait servi à préparer les médicaments employés dans le traitement de la gale ; or, depuis quelques années le traitement de la gale a tout à fait changé ; ces médicaments sont pour ainsi dire hors d’usage ; par conséquent, il n’est pas vraisemblable qu’il dût y avoir prochainement une adjudication d’une quantité considérable de ces médicaments.

Il y a des substances qui adhèrent au bocal, notamment la poix. Certainement on ne pouvait en opérer la substitution.

Il y a des échantillons inutiles, parce que les substances qu’ils représentent ne sont pas reçus par suite de la comparaison avec l’échantillon, mais par analyse.

Enfin, quand on a fait abstraction des objets du service vétérinaire, on a trouvé que depuis plusieurs années, en admettant même que les substances relatives au traitement de la gale puissent encore être utiles, l’achat de médicaments de la nature de ceux renfermés dans les 24 bocaux pouvait s’élever à environ 2,000 fr.

Depuis on a reconnu que la somme devait être portée plus haut par la raison que différents objets servant au traitement des chevaux ont été fournis par la pharmacie centrale, et étaient représentés par ces échantillons. Mais il faut faire attention que la pharmacie centrale n’a été chargée de pourvoir aux besoins du service vétérinaire que depuis 1835, et que c’est en 1833 que les 24 bocaux out été laissés dans l’état où on les a trouvés.

Maintenant je viens à l’origine du fait.

On dit que M. Pasquier, alors expert, a adressé à l’inspecteur-général, un procès-verbal constatant la substitution des échantillons et l’expertise qu’il a faite. Cela n’est pas exact : M. Pasquier a écrit à l’inspecteur-général et lui a dit seulement que, croyant que des substitutions d’échantillons avaient eu lieu, il demandait à pouvoir apposer son cachet sur les bocaux. Il me semble que de là il résulte qu’il voulait ajouter son contrôle à celui de M. Tallois.

Quoi qu’il en soit, il y avait 300 bocaux renfermant des échantillons à la pharmacie centrale. Aussitôt qu’il eut reçu la lettre du pharmacien Pasquier, l’inspecteur-général ordonna une révision de tous les échantillons et la rédaction de procès-verbaux pour le cas où l’on trouverait des échantillons falsifiés. Cette révision eut lieu et constata que sur les 300 bocaux 276 étaient bien fermés et 24 mal fermés. Ces 24 bocaux qui renfermaient des substances d’espèces différentes ont-ils été laissés dans cet état dans une intention de fraude ? Voilà ce qu’affirme l’accusation. Est-ce à croire ? Voilà ce que la chambre aura à jurer.

Pour moi, en présence des faits tels qu’ils sont présentés, je ne puis considérer cette allégation que comme calomnieuse.

Je viens à la sixième question posée par l’honorable M. Liedts :

« 6° Est-il vrai que dans le courant de cette année la révision des échantillons-types a révélé dans le sulfate de quinine l’existence de matières étrangères ? En cas d’affirmation, ces matières sont-elles nuisibles, et quelle a été la conduite du gouvernement à cet égard ? »

Je pense que c’est de l’année actuelle que l’honorable membre a voulu parler. Il s’agit d’échantillons de quinine.

Je ferai observer que ce fait sur lequel j’ai donné quelques détails à l’assemblée est en dehors des accusations portées en 1836 contre l’inspecteur général de santé.

Le fait est exact, le sulfate de quinine a été mélangé de salicine. Ce fait est certainement remarquable. Mais la question à laquelle il s’agit de répondre : « Ce mélange était-il nuisible ? » je crois que je puis répondre d’une manière négative. Je m’appuie pour répondre ainsi sur ce que j’ai dit dans cette enceinte il y a plusieurs jours, sur ce que tous les médecins de nos hôpitaux et de nos infirmeries ayant été avertis que pendant six ou neuf mois ils n’avaient eu à leur disposition que du sulfate de quinine mélangé d’un huitième de salicine, on leur a posé la question : « Avez-vous trouvé une différence dans les effets du sulfate de quinine pendant cette période et pendant celle où il est certain que vous n’avez eu à votre disposition que du sulfate pur ? »

Je prie l’assemblée de remarquer que nous sommes certain que, pendant un certain temps, il n’y a eu que du sulfate pur entre les mains des officiers du service de santé, parce que la seconde fourniture de Paepe avait été rejetée entièrement par la raison que dans l’intervalle de la réception de novembre et de celle qui devait avoir lieu en décembre, on a reconnu le véritable moyen de découvrir la falsification du sulfate de quinine.

J’ai déjà dit que sur les 12 rapports qui m’avaient été envoyés, huit établissaient avec des détails très circonstanciés qu’ils n’avaient remarqué aucune espèce de différence dans les effets du sulfate de quinine qu’ils avaient employé dans les deux périodes ; que deux avaient remarqué que le sulfate de quinine mélangé avait produit de meilleurs effets et que deux autres avaient trouvé que d’autres médicaments appliqués au même cas avaient produit un moins bon effet.

En m’appuyant sur ce fait, sans aucun égard aux mémoires sur la salicine publiés en Autriche, en Italie, en France et dans notre pays, mémoires que j’ai en partie parcourus et qui tous accordent à la salicine une vertu fébrifuge très forte, je puis dire que les matières introduites dans la quinine n’ont pas été nuisibles.

Quelle est la conduite du gouvernement à cet égard ? La découverte du moyen de constater la présence de la salicine dans le sulfite de quinine n’est pas ancien. Le gouvernement a tenu la seule conduite possible. J’ai dit qu’une enquête était faite pour s’assurer si, lorsqu’on a admis les échantillons, on connaissait la falsification du sulfate de quinine par la salicine. Le rapport n’est pas fait, mais en attendant je puis rappeler quelques circonstances qui peuvent faire pressentir le résultat de cette enquête.

L’échantillon existe depuis 1832 ; mais le sulfate de quinine n’est pas reçu sur échantillon type ; il est reçu sur analyse.

Ainsi, la circonstance que cet échantillon n’était pas pur, n’a exercé aucune influence sur les réceptions qui ont eu lieu. Une autre circonstance, assez remarquable prouve qu’on ne connaissait pas la sophistication du sulfate de quinine par la salicine, c’est que dans une réception qui eut lieu en 1832 ou 1833 on trouva que le sulfate de quinine était mélangé. Pour s’assurer s’il était pur ou non, on prit une partie de l’échantillon, et on trouva le même résultat. Le pharmacien qui fit l’opération en conclut que le sulfate présenté était bon, puisque l’examen de l’échantillon présentait le même résultat.

On ne connaissait pas la cause du résidu qu’on trouvait, et on l’attribuait au mode de fabrication.

Un membre. - A quelle époque cela a-t-il eu lieu ?

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - En 1833 ; et l’échantillon avait été enfermé en 1832.

Je ne sais si l’honorable M. Liedts aura trouvé que j’ai répondu d’une manière satisfaisante à la question, mais toujours est-il que la pureté de l’échantillon est indifférente pour la quinine qu’on a reçue ; on ne devait même pas l’avoir.

Septième question : « Est-il vrai que le linge et la charpie qui furent livrés gratuitement en 1831 et 1832 au service de santé, ont été portés en compte au département de la justice, pour le service des prisons ? »

Je me suis arrêté ici dans le travail que j’ai fait sur les questions posées par l’honorable M. Liedts avec les libellés mêmes de l’accusation. Je demanderai la permission de donner des explications d’après mes seuls souvenirs.

La charpie et le linge de pansement qui ont été livrés gratuitement au service de santé en 1831 et 1832, ont été portés en compte au département de la justice pour le service des prisons, c’est-à-dire qu’on les a portés en compte avec une valeur ; mais cette valeur n’était que celle des frais d’administration, d’emballage et de transport ; et aucune valeur d’achat n’a été donnée par la pharmacie centrale au linge et à la charpie dont il s’agit.

Huitième Question : « Est-il vrai qu’à la fin de 1834 500 kilogrammes de charpie furent livrés à la pharmacie centrale au prix de 5 fr., bien qu’un fournisseur l’offrît à 3 fr. 25 ? »

Cette charpie fut adjugée à la dame Poiré. Les soumissionnaires étaient la dame Poiré et la dame Verbreek. La soumission de la dame Verbreek était à 4,80 le kil., et celle de la dame Verbreek avait été seulement de 3,75. La différence, comme on voit, était moindre que celle indiquée. La préférence fut, dit-on, donnée à la personne qui avait demandé le prix le plus élevé. Ceci est tout à fait inexact. L’ordre fut donné au directeur de la pharmacie centrale d’acheter de la charpie des dames Poiré et Verbreek, si elles pouvaient en fournir de conforme à l’échantillon au même prix.

« En réponse à votre lettre du 19 de ce mois (août 1835), écrivait l’inspecteur-général au directeur de la pharmacie centrale, vous pouvez passer contrat avec Mme Poiré et Verbreek pour la charpie conforme aux notes ci-jointes. Vous me le ferez parvenir dans le plus bref délai possible, pour le soumettre à l’approbation du ministre. »

Ainsi la fourniture de la charpie n’a pas été accordée à un seul fournisseur, mais les deux ont été admis à fournir, au même prix, à la condition qu’elle serait conforme à l’échantillon ; seulement le second n’en a pas présenté.

Neuvième question : « Est-il vrai que du cahier des charges de 1836 pour la fourniture des médicaments, on a soustrait 19 des principaux médicaments, pour en accorder la fourniture de la main à la main ? »

Ceci est vrai ; mais c’est le fait du ministre de la guerre exclusivement, et en aucune façon de l’inspecteur général. J’ai déjà dit, répondant à l’interpellation de M. A. Rodenbach sur la falsification du sulfate de quinine, et à celle de M. Desmet sur le prix, j’ai dit qu’il existaient à Bruxelles une école de commerce et d’industrie, dans laquelle on avait établi une fabrique de produits chimiques, et que pour encourager cet établissement, le ministre de la guerre lui avait accordé la fourniture d’une certaine quantité de médicaments. Voilà pourquoi ce sulfate a été donné en marché particulier. Et, à ce sujet, j’ai même fait remarquer qu’il y avait erreur, dans le prix qu’on indiquait, puisque ce marché avait été fait à 230 et non à 260 comme on l’avait annoncé, et dans l’accusation on prétend que le prix est de 10 p. c. trop élevé, ce qui réduirait à 207. La différence n’est pas grande. Il est vrai que cette fourniture a été donnée de la main à la main ; mais directement par le ministre de la guerre, sans aucun concours de la part de l’inspecteur-général.

Dixième question : « Est-il vrai que toutes les fournitures de bureau, et de matériel du service des hôpitaux militaires du royaume ont été de tout temps données sans publicité ni concurrence ? »

Cela est vrai ; mais il a été fait une tentative pour mettre en adjudication ces fournitures. On a prétendu que cette tentative n’avait pas pu avoir de succès, parce que l’annonce de la fourniture de papier et de plumes se trouvait confondue avec celle des médicaments. Les fournitures de la pharmacie centrale se font par série, comme la fourniture des différentes branches du service de l’armée. Ces séries se composent quelquefois de choses qui n’ont entre elles aucun rapport. Il y avait une série pour toutes les fournitures du bureau de la pharmacie centrale ; aucun adjudicataire ne s’est présenté. On a alors acheté au prix des fournisseurs du département de la guerre, sauf une fois qu’on avait reçu une soumission plus avantageuse d’un marchand de papiers très connu de Bruxelles.

J’ai maintenant fait exclure ces fournitures des objets qu’achète la pharmacie centrale, non pas que je pense qu’il y ait eu concussion dans ces achats, mais parce qu’il m’a semblé qu’il n’était pas nécessaire d’acheter à Bruxelles ce que chaque hôpital peut se procurer directement et sur les lieux, et d’un autre côté que si l’acquisition de ces objets pouvait donner lieu à des bénéfices illicites, de cette manière leur faible importance en détournerait.

J’ai répondu à toutes les questions que l’honorable M. Liedts a posées. Je passe à quelques autres prétendus griefs.

« Dans les premiers jours de 1830, M. l’inspecteur-général Vleminckx fit confectionner par M. Guillaume Pelseneer, ébéniste, demeurant rue de l’Etuve, une riche bibliothèque-buffet, en bois de mahoni ronceux, doublée en chêne, de forme gothique, garnie de rideaux de soie verte, et une table-bureau à compartiment de même bois, recouvert d’un maroquin vert.

« Ces meubles furent transportés au domicile du chef du service sanitaire, rue du Lombard, pour servir à la décoration de ses appartements ; ils y restèrent jusqu’au 7 février 1834 à sept heures du soir, moment où deux ouvriers ébénistes vinrent les enlever et allèrent les déposer nuitamment au local de la pharmacie centrale.

« Il est bon de noter que ces meubles de luxe avaient été portés dans les états de comptabilité de la pharmacie centrale de 1831 au chapitre mobilier, sous la dénomination de cartonniers, et que le transport clandestin de ces objets coïncide d’une manière remarquable avec les premières révélations de la presse sur les fraudes du service sanitaire de l’armée et les causeries d’un pharmacien de première classe mis en non-activité.

« Ces meubles sont si beaux et d’un prix si élevé que les employés de la pharmacie centrale les ont fait placer dans un endroit isolé où l’on ne s’en sert pas, de crainte de les endommager. »

Messieurs, les deux meubles ont coûté ensemble 132 florins ; je ne sais si l’on peut présenter de tels objets comme objets de luxe et d’un si grand luxe. Comme ils figurent sur la comptabilité de la pharmacie centrale en 1831, il est évident que personne n’a eu l’intention de se les approprier.

On les a transportés, dit-on, nuitamment et d’une manière clandestine, à sept heures du soir. Messieurs, j’ai acheté quelques meubles à Bruxelles, et c’est ordinairement à la fin de la journée que les ouvriers les ont apportés chez moi. Sept heures du soir n’est d’ailleurs pas une heure si avancée.

On dit que l’époque où ils ont été réunis à la pharmacie centrale coïncidait avec l’époque des premières révélations de la presse. Ils ont été transportés en 1834 au moment où un local avait été désigné pour servir de bureau à la commission chargée d’aviser au moyen de guérir et de prévenir l’ophtalmie ; il fallait des meubles dans ce bureau, et les meubles dont il s’agit y furent portés.

L’inspecteur-général, dit-on, n’aurait pas dû avoir ces meubles chez lui s’ils n’avaient pas été achetés pour lui comme inspecteur-général ; mais en 1830 l’inspecteur-général n’existait pas seul à la tête du service sanitaire ; ce service était confié à une commission de santé ; et en attendant que cette commission eût un local particulier elle se réunissait chez l’inspecteur-général. Ce fut cette commission ou ce conseil de santé qui commanda les meubles. Ainsi tous les faits dont il s’agit sont étrangers à celui auquel on les impute.

Voici le second fait :

« Depuis novembre 1830, Pierre Maginel, alors enfant de 12 à 13 ans, a été porté sur les états du personnel des employés de la pharmacie centrale dont il signait les listes d’émargement en qualité d’homme de peine. Ces états ont été signés et approuvés par M. l’inspecteur-général ; il était payé à raison d’un florin par jour, quoiqu’il fût exclusivement au service de M. Vleminckx. »

Pour apprécier ce fait, on s’est transporté au bureau de l’état-civil et il a été reconnu qu’au mois de novembre 1830, Pierre Maginel qu’on représente comme un enfant, avait dix-huit à dix neuf ans ; par conséquent il aurait bien pu faire le service d’homme de peine.

« Le 9 février 1832, ce jeune homme, sans connaissances préliminaires, sans antécédents médicaux, fut nommé élève de deuxième classe soldé, à la pharmacie centrale, et continue jusqu’à ce jour, malgré sa nomination, ses fonctions de garçon de bureau chez M. l’inspecteur-général. C’est lui qui remplit encore près de l’administration centrale du service de santé, les fonctions de facteur de la poste aux lettres. »

Ce fait est complètement dénié. Quant aux fonctions d’élève de seconde classe qu’il remplissait, elles se sont bornées jusqu’ici à emballer et à déballer. Je crois que tous les droguistes ont un garçon employé à ce travail. Qu’on donne à ces garçons le titre d’élève ou qu’on ne le leur donne pas, pourvu qu’ils ne reçoivent pas un traitement hors de proportion avec leurs fonctions, il ne peut en résulter aucun inconvénient.

On dit que c’est sans aucune formalité que ce jeune homme a été admis comme élève de deuxième classe ; mais il existe une lettre de M. Vanden Corput qui atteste que ce jeune homme a été convenablement examiné et qu’ils été jugé digue d’obtenir le titre dont il s’agit.

« Il est à remarquer que M. Vleminckx reçoit pour ses frais de bureau la somme de 3,000 fr., indépendamment de tous ses imprimés, et que l’on a fait infliger, à un médecin de garnison honoraire, quinze jours d’arrêts forcés, pour avoir fait solder, en qualité d’infirmier, un individu exclusivement à son service. »

Ce dernier fait tend à établir un rapprochement perfide pour en envenimer d’autres ; mais ce rapprochement fait plus que montrer les intentions coupables de ceux qui l’ont articulé.

Cependant je ferai observer que les frais, pour l’inspecteur-général, sont de 1,800 fr. et non de 3,000 fr. ; et les frais pour les prisons ne vont pas à 800 fr. pour cet inspecteur-général et pour ses employés ; ainsi il y a évidemment exagération dans les accusations.

Je trouve ici un quatrième fait qui n’est pas renfermé dans les questions de l’honorable M. Liedts.

« L’inspecteur-général ayant fait une opération du même genre en 1832, et appréciant toute la portée de l’irrégularité dont elle était entachée, pria M. Verzyl, directeur de la pharmacie centrale, de signer les états, en lui recommandant de déclarer que lui Verzyl avait fait les achats au meilleur marché possible.

« Cet employé répondit à M. Vleminckx, que celui qui avait opéré les achats n’avait qu’à déclarer les avoir faits au meilleur marché possible ; que quant à lui il se refusait à signer une semblable déclaration : l’inspecteur-général lui répondit officiellement, sans doute, afin de l’intimider et lui forcer la main, que dans le cas ou il persisterait dans son refus de signer les états, il le considérerait comme dilapidateur de la fortune publique. Malgré cette menace M. Velzyl refusa de consentir la demande de M. Vleminckx.

« La formule que devait signer M. Verzyl prouvait à l’évidence que le directeur de la pharmacie centrale aurait dû faire les achats. Comment donc expliquer l’intervention de M. Vleminckx, dans une acquisition qui sortait évidemment de ses attributions ? »

Ceci me donne l’occasion de répéter à la chambre qu’il n’entre pas dans les attributions de l’inspecteur-général de faire aucun achat de médicaments. Cela fait partie des attributions du directeur-général de la pharmacie centrale, en suite d’une décision du conseil de santé. Ce conseil comptait au nombre de ses membres le pharmacien en chef de l’armée ; et quand on a organisé la pharmacie centrale, ce dernier fonctionnaire en est devenu le directeur.

En 1832, plusieurs adjudications ont été faites ; cependant on jugea convenable d’acheter de la main à la main plusieurs substances ; tous ces achats furent faits par le directeur de la pharmacie centrale.

Une formalité s’accomplissait pour tous ces achats ; on mettait au bas des états de paiement : « acheté au meilleur marché possible. »

M. Verzyl se refusa à remplir cette formalité et y mit ensuite beaucoup de mauvaise volonté. L’inspecteur-général du service de santé ayant demandé qui avait fait les achats, M. Verzyl répondit que s’il avait fait les achats, il les avait conclus aux prix de son prédécesseur. L’inspecteur-général objecta : « qui vous forçait à faire les achats aux mêmes prix ? » Malgré ces difficultés, on parvint à faire employer la formule dont il s’agit.

Je m’arrêterai ici dans cet exposé des faits. Je crois avoir parcouru les faits principaux compris dans l’accusation générale ; si on veut avoir d’autres éclaircissements, je suis prêt à les donner. D’ailleurs, les faits sur lesquels je n’ai rien dit peuvent être l’objet d’interpellations analogues à celles qu’a faites l’honorable M. Liedts, et je m’empresserai d’y répondre.

Avant de terminer, je dois dire quelques mots sur ce que j’ai fait moi-même dans toute cette affaire.

Je viens de parcourir les accusations telles qu’elles sont articulées dans un écrit que vous connaissez. Je suis sorti du vague dans lequel flottait la chambre depuis plusieurs jours.

Je m’applaudis d’avoir eu l’occasion de vous faire connaître l’accusation dans tons les détails ; je désire, messieurs, la plus grande publicité possible. Lorsque je suis entré au ministère je n’avais sur tous ces objets que des notions assez vagues : je connaissais toutes les déclamations de la presse contre l’inspecteur-général, mais je connaissais peu de faits de détail ; deux mois se sont passées avant que la pièce dont je viens de faire usage, et qui est la véritable base de l’accusation, fut entre mes mains ; tout ce que j’ai pu voir dans cette accusation, ce sont des assertions d’un seul homme, assertions dans lesquelles on peut aisément remarquer beaucoup de perfidie : on s’y efforce en effet à faire ressortir toutes les circonstances qui peuvent conduire à une conclusion fâcheuse ; on ajoute même des faits dont la vérification était et est extrêmement facile et qui sont cependant évidemment exagérés, en un mot on aggrave, autant qu’on le peut, le mal, et on cache le bien ; c’est un véritable pamphlet écrit dans le seul but de perdre un homme. En présence d’une telle pièce, je vous avoue, messieurs, que je n’ai point du tout été tenté de punir immédiatement l’accusé, mais je me suis réservé un examen très approfondi, car l’accusation se présentait à moi sous des couleurs plutôt favorables à l’accusé qu’a l’accusateur. Outre cela, il y avait un fait très grave pour moi, dans cette accusation, c’est qu’elle était dirigée par un subordonné contre son chef ; certes, si elle avait été rédigée eu termes convenables, je l’aurais accueillie avec moins de défaveur : malgré sa forme vicieuse, je l’ai soumise à l’examen le plus approfondi, je ne m’en suis pas rapporté à mes propres lumières, j’ai consulté et j’attendais encore des avis sur toutes les pièces lorsque j’ai été obligé de dire à la section centrale que je n’étais pas encore en mesure de lui fournir tous les éclaircissements qu’elle aurait désirés. Les pièces que j’ai déposées sur le bureau de la chambre ne sont pas des pièces que j’ai choisies, ce sont celles qui ont été successivement remises à la commission chargée de préparer le jugement du ministre mon prédécesseur, et dont l’examen des faits a indiqué la nécessité ou l’utilité ; le choix de ces pièces a été entièrement indépendant du ministre et indépendant de toutes les personnes qui appartiennent à l’administration ; à mesure que les faits se sont présentés on a demandé des éclaircissements et on est allé aux archives prendre les pièces qui pouvaient fournir des lumières.

Comme je l’ai dit, ne pouvant pas me prononcer sur-le-champ entre l’accusateur et l’accusé, j’ai agi cependant comme si l’accusation était fondée ; je suis rentré dans les termes de l’ancien règlement ; j’ai retiré à l’inspecteur-général du service de santé toute intervention dans les adjudications, tout contrôle sur les adjudications, tout contrôle sur les fournitures mêmes, autre que celui qui résulte de la proposition périodique d’un certain nombre de médecins parmi lesquels le ministre fait un choix.

C’est là l’esprit de l’arrêt primitif, et je pense que c’est le véritable, car il n’entre pas dans les fonctions de l’inspecteur général de se mêler des adjudications : son service doit se borner à veiller à ce que la pharmacie centrale soit toujours approvisionnée ; il doit être à la disposition du ministre de la guerre pour donner son avis sur toutes les questions qui intéressent la santé du soldat et autres points essentiels ; il doit être le véritable chef du personnel : c’est lui qui doit faire les propositions pour la répartition du service et l’avancement des médecins. Cependant, si le ministre restait isolé, il se trouverait toujours sous la dépendance de l’inspecteur-général, il n’aurait qu’un seul homme d’après lequel il pût former son avis ; eh bien, dans l’état de défiance où la presse et l’accusation m’avaient jeté, j’ai pris des mesures que je prendrais encore, maintenant que cette défiance n’existe plus, pour attacher au ministère de la guerre un médecin, afin que, dans toutes les circonstances possibles, je puisse immédiatement recevoir un avis, des éclaircissements sur tous les points intéressant la santé du soldat, la qualité des médicaments par exemple ; si un avis ne suffit pas, je puis en recevoir deux et les contrôler l’un par l’autre.

D’après cela, je crois, messieurs, pouvoir affirmer que j’ai pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir des abus de l’espèce de ceux qui sont reprochés au service de santé ; abus, je le répète, que je ne reconnais pas avoir existé, car, je le dis encore une fois, il n’y a point eu de malversations : je ne vois que des légèretés, des imprudences, des lacunes dans la correspondance, circonstances dont on a profité pour charger l’inspecteur-général ; mais des crimes, l’étude approfondie que j’ai faite des pièces me permet de dire qu’il n’en existe pas. C’est sous l’influence de cette étude, c’est après avoir cherché ma conviction en examinant les faits sous toutes leurs faces que j’ai été amené, forcé d’ailleurs par la marche de la discussion, à déclarer ce que je viens de vous dire : qu’il n’y a point eu de malversations et que par conséquent, il n’y a point de mesures à prendre contre celui auquel elles ont été reprochées.

M. A. Rodenbach (pour un fait personnel.) - Je regrette messieurs, que je n’aie la parole que pour un fait personnel et que je ne puis pas m’occuper des explications que vient de donner M. le ministre et que j’appellerai un simulacre d’enquête fait sans entendre la partie adverse.

L’honorable ministre prétend que j’ai dit dans la séance d’hier, qu’on emploie dans les fièvres des polders 30 à 60 grains de sulfate de quinine, j’ai dit qu’on emploie 20, 30 à 40 grains et qu’à Paris on réussit avec 4 ou 6 grains ; je crois pouvoir soutenir que ma réclamation est fondée, car je tiens en mains mon discours et je n’ai pas parlé aux sténographes ni ne me suis pas rendu au Moniteur pour y faire des changements. Peut-être M. le ministre a-t-il lu l’Emancipation qui me fait effectivement dire les paroles que le ministre me prête ; mais j’ai envoyé ce matin un erratum à ce journal pour faire rectifier l’erreur. Relativement à ce qu’on a dit, du nombre des morts à l’hôpital de Gand, je répondrai que c’est le cœur navré de douleur que j’ai appris qu’en 1835 et 1836 la mortalité a été si grande à Gand : c’est précisément à cette époque qu’on a fait usage de la salicine, et ce n’est qu’en janvier dernier qu’on en a donné connaissance ; n’est-ce pas là se jouer de la santé de nos soldats ?

Le ministre a parlé de Nieuport où règnent le plus souvent les fièvres des polders. : on s’est trouvé là sans sulfate de quinine parce qu’un seul médecin avait déclaré ne pas en avoir besoin ; c’est donc sur l’avis d’un seul médecin qu’on traite nos malheureux soldats ?

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je répondrai d’abord, messieurs, au fait sur lequel l’honorable préopinant a cherché à s’appuyer : l’absence de sulfate de quinine à Nieuport ; lorsque j’ai appris qu’il n’en avait pas été envoyé, j’ai aussitôt demandé les raisons de ce fait ; on m’a répondu que le rapport du médecin portait qu’il n’en avait pas demandé parce que dans son opinion le quinquina rouge produit les mêmes effets : sur-le-champ l’ordre a été donné d’envoyer immédiatement du sulfate de quinine à Nieuport. L’honorable membre a dit qu’on livre la santé des soldats à l’avis d’un seul médecin à Nieuport ; c’est un fait tout particulier que j’ai cité pour prouver que l’opinion que le quinquina rouge ne peut pas être employé n’est pas généralement admise ; j’ai ajouté qu’un autre médecin d’une localité très différente avait aussi témoigné le regret que la provision fût épuisée : ce sont là deux faits que j’ai cités pour prouver que l’efficacité du quinquina rouge ne doit pas être légèrement admise.

Quant à la quantité plus ou moins grande de sulfate de quinine que l’honorable préopinant a dit être employée dans le traitement des fièvres je n’ai pas lu l’Emancipation, je n’ai pas lu le Moniteur pour savoir ce qu’il a dit ; mais j’ai pris des notes ; du reste, tout ce que je tiens à constater, c’est que le médecin de l’hôpital de Gand, dont on a invoqué l’autorité, a établi que 15 grains suffisent dans les cas les plus graves, tandis que pour la clientèle civile il est obligé d’employer jusqu’à 20 grains.

De là j’ai conclu ce fait très important que d’ailleurs il articule explicitement dans son rapport, que le sulfate de quinine de l’hôpital de Gand dont on se plaint comme de tous les médicaments de la pharmacie centrale, était meilleur que celui d’un certain nombre de pharmacies de Gand.

M. F. de Mérode. - Messieurs, l’origine des difficultés qui on eu lieu à l’occasion du service de santé entre M. le ministre de la guerre et la section centrale, provient exclusivement du refus de communiquer le rapport des généraux. En conversation particulière, j’ai entendu beaucoup d’objections contre cette sorte de réticence du ministre qui n’est pas suffisamment comprise de chacun. Non seulement je dis qu’un rapport semblable ne doit pas être communiqué dans les principes d’une prudente administration ; je dis en outre qu’il doit l’être aujourd’hui moins que jamais. Voici pourquoi : la méchante presse, la presse du dévergondage, celle dont un organe ne craint pas lui-même de prendre en grec le titre de « génie puant, » cette méchante presse déchire ceux qui sont en opposition avec ses compères et complices. Elle entre dans les détails de la vie privée, elle les présente au besoin avec mensonge, on voit même des avocats devant les tribunaux menacer les jurés pour leur faire absoudre les coupables ; car aujourd’hui, messieurs, nous sommes sous les coups d’une odieuse tyrannie, non pas du gouvernement, mais d’une publicité calomnieuse très redoutable, puisqu’elle est sans frein.

M. Jullien. - C’est au nom du cabinet que vous parlez.

M. Gendebien. - Laissez aller ; c’est un aveu.

M. F. de Mérode. - Dans un tel état de choses, faut-il divulguer les rapports des commissions nommées pour éclairer tel ou tel ministre ? Non, messieurs, rien ne serait plus fatal à la vérité, et ce n’est point ainsi qu’on parviendrait à reconnaître que est le dilapidateur ou quel est le calomniateur.

On n’y parviendrait pas davantage par les poursuites en calomnies que l’on a si charitablement conseillées à l’inspecteur du service de santé, lorsqu’on a vu le chef d’un jury descendre publiquement de son siège pour embrasser un prévenu de calomnie, acquitté sans avoir apporté la preuve des faits qu’il avançait, lorsqu’on a vu des soldats condamnés à une peine énorme pour avoir, dans une caverne de brigands cassé la figure à un miroir et le dos à un vieux cabriolet, tandis que d’autre part les excitateurs de la dévastation de 15 maisons étaient affranchis de toute peine quelconque.

M. Dumortier. - Vous insultez à la justice.

M. F. de Mérode. - Certes, messieurs, on peut se défier des arrêts auxquels on s’expose, en paraissant aujourd’hui devant certaines juridictions grâce à l’influence de la presse délétère qui jouit actuellement, au grand regret des hommes de bien, de la plus coupable impunité. Certes, si j étais accusé n’importe de quel méfait, je me garderais, dans l’état actuel de notre législation, d’exercer aucune poursuite en réparation judiciaire, tant on est parvenu à établir d’intimidation morale, à force de liberté d’un certain genre, transformée en violence effrénée.

Messieurs, ne laissez pas croire qu’il suffise de monter avec acharnement une émeute de journaux contre un fonctionnaire, pour que la chambre se livre à des enquêtes, et puisque l’on vous a dit hier que les journaux représentent l’opinion publique, je soutiens que les journaux ne représentent rien de plus que l’opinion des individus qui les rédigent bien ou mal. Et malheureusement il faut le reconnaître, il en est plus de mauvais que de bons, parce que les honnêtes gens abandonnent beaucoup trop l’exploitation de la presse quotidienne. Aussi la considération pour cette presse est singulièrement affaiblie. Cependant comme elle est un moyen très actif de publicité, qu’elle peut être aussi utile que souvent elle est nuisible, les amis sincères de leur pays, les défenseurs d une liberté tutélaire dont la licence est le fléau, devraient s’unir davantage pour combattre par la presse quotidienne le journalisme incendiaire, comme celui dont M. de Brouckere vous a cité hier des extraits.

Messieurs, nous appelons de tous nos vœux la lumière qui éclaire, non pas celle qui brûle, et nous voulons la voir briller promptement ; mais l’émeute brutale et sournoise cherche à prolonger les ténèbres, le conflit des pouvoirs est d’ailleurs son élément de prédilection. Un ministre ferme, intelligent, qui peut rendre au pays d’immenses services, vous a donné toutes les explications désirables. Voulez-vous lui imposer dès son entrée aux affaires des mesures défiantes qu’il n’a pas méritées ? S’il les acceptait, il affaiblirait évidemment l’influence dont il a besoin. Et après toutes les investigations qui ont lieu dans cette enceinte, ne suffisent-elles pas pour réprimer les abus s’il en existe ? La sollicitude envers le soldat ne demande pas autre chose, mais le soldat, je le dis hautement, n’est pas en cause dans la motion d’enquête préalable qu’on a voulu établir contre tous les précédents.

On vous parle du droit d’enquête comme inutilement inscrit dans la constitution, si vous ne l’exercez pas aujourd’hui. Et bien, messieurs, une enquête administrative est un moyen constitutionnel de se débarrasser d’un ministre suspect aux chambres ; ce moyen est à mes yeux préférable au refus des budgets.

Messieurs, je ne suis pas suffisamment instruit des usages incohérents de l’Angleterre, pour citer les coutumes de ce pays ; mais depuis 1814, on ne citera pas un ministère français qui ait subi une enquête de ce genre. Du reste, chacun a son libre arbitre ; quant à moi, je déclare que le gouvernement belge devient un gâchis où tous les pouvoirs se confondent à tout propos, je n’ai plus d’espérance ni de voir la discipline maintenue dans l’armée, chose déjà difficile avec notre système de gouvernement, ni de voir à la tête de cette armée aucun ministre ferme et digne de ce nom. Dès lors, comme je suis convaincu que sans armée il n’est point de Belgique, je préférerais renoncer à toute fonction législative et gouvernementale, et je cesserais d’assister comme homme public à la désorganisation de notre nouvel état social.

M. Dumortier. - Messieurs vous venez d’entendre les paroles prononcées par M. le comte F. de Mérode en sa qualité de ministre d’Etat. Du haut de la tribune nationale, un membre du cabinet parlant au nom du cabinet a osé attirer la désapprobation publique sur les plus chères de nos institutions, sur la liberté de la presse, sur le jury et sur la magistrature. La magistrature qui y est ce qu’il y a de plus sacré dans un pays constitutionnel n’a pas été à l’abri des reproches du préopinant.

Quand je vois de semblables paroles prononcées en présence de ce qui se passe dans un pays voisin, j’ai le droit de demander si c’est bien la pensée du cabinet ou la sienne qu’il a exprimée dans cette circonstance.

Il faut que le pays sache si on veut, comme en France, le doter de lois d’exception. C’est sans doute ce qu’on veut faire entendre quand on vient de dire que dans votre système gouvernemental actuel la discipline est impossible. C’est évidemment là un appel à des lois d’exception.

Il faut donc, messieurs, que nous connaissions ici si l’honorable préopinant a exprimé la pensée du cabinet dont il fait partie. Son discours est une flétrissure jetée à la magistrature et au pays dans la personne des jurés.

Il est donc de la plus haute importance pour nous de savoir si les ministres qui siègent au banc voisin du sien partagent ou non l’opinion qu’il vient d’émettre. J’espère que M. le ministre de la justice, qui doit être le défenseur de la magistrature, saura flétrir les paroles de son collègue et nous montrer ainsi que le gouvernement n’y donne pas son approbation.

M. F. de Mérode. - M. Dumortier transforme les paroles qu’on prononce contre son opinion d’une manière fort singulière. Il me présente comme ayant attaqué les plus chères de nos institutions ; je n’ai pas dit un seul mot de nos institutions, j’ai rappelé des faits, des abus, je ne sais si les abus sont les plus chères institutions de M. Dumortier ; mais j’ai lieu de le croire.

Quant à la discipline, je n’ai pas dit qu’elle fût impossible avec notre système de gouvernement, mais difficile. Il n’est pas un homme de bon sens qui ne comprenne que la discipline est plus difficile avec un gouvernement comme le nôtre qu’avec un gouvernement comme celui de la Hollande, de l’Autriche, de la Prusse ou de la Russie. C’est un fait assez clair, et l’énoncer, n’est pas faire la satyre de nos institutions.

M. Dumortier m’a reproché aussi d’avoir voulu flétrir la magistrature. Je n’ai pas parlé de la magistrature, j’ai rappelé un fait, et j’ai dit que si quelqu’un était calomnié et voulait exercer des poursuites, il s’exposait à se trouver dans une position plus fâcheuse qu’auparavant. Je ne sais si c’est là attaquer la magistrature.

Quant à moi n’en déplaise à M. Dumortier, qui regarde les abus comme ses plus chères institutions, je déclare que je ne consentirai jamais à poursuivre qui que ce soit en calomnie, quand on m’accuserait d’avoir empoisonné mon père et ma mère. (On rit.)

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, je n’ai pas besoin de rassurer la chambre sur les intentions du cabinet. Ceux qui ont entendu l’honorable comte de Mérode savent qu’il n’a pas provoqué de lois d’exception, qu’il n’a pas dit un mot qui accusât la justice ou les magistrats. Mais l’institution du jury réclame des réformes, c’est si vrai que la chambre est saisie d’un projet de loi, dont nous nous occuperons, j’espère, bientôt. Nous donnerons alors à cette institution les améliorations qui sont réclamées par les jurisconsultes et par tout le pays.

Quant à la liberté de la presse, elle n’est pas en danger ; il n’est que trop vrai que par la presse ont eu lieu de graves excès dont les malheureux débats qui nous occupent ont été la conséquence, et ce sont là des abus que tout bon citoyen doit déplorer.

Il est très vrai aussi que notre législation sur les injures et les calomnies est défectueuse. Déjà j’ai annoncé dans l’autre chambre mon intention de présenter un projet de loi pour mettre cette partie de la législation au niveau de nos institutions.

Si je n’ai pas encore présenté ce projet, c’est que je désespérais qu’on pût s’en occuper dans cette session. Mais j’ai pris l’engagement de présenter ce projet de loi le plus tôt possible, je le remplirai.

M. Dumortier. - Je ne répondrai pas à ce qu’a dit l’honorable préopinant que les abus étaient mes plus chères institutions. J’ai assez de fois démontré que mes institutions à moi sont celles que le congrès a fondées, celles qui émanent de la constitution. Je l’ai assez de fois prouvé pour n’avoir besoin de répondre aux vaines allégations de l’honorable préopinant.

Je ne puis assez appeler votre attention sur les paroles imprudentes prononcées dans cette circonstance. Si vous manquez au respect de la chose jugée, si vous attaquez les jugements prononcés, si vous commencez par flétrir les jugements du jury et des tribunaux militaires, où arriverez-vous ? Vous flétrissez l’institution du jury quand vous prétendez qu’elle est entachée de vices ; quand vous prétendez que le jury a accordé l’impunité à des coupables ; vous attaquez la magistrature quand vous dites qu’un tribunal qui a condamnée des pillards a abusé de son droit. C’est là une véritable anarchie. Il y a véritablement anarchie quand un membre du cabinet vient accuser d’iniquité la justice du pays.

Si vous voulez que le pouvoir soit respecté,, commencez par respecter la justice. Car, si vous ne la respectez pas, vous vous exposez aux plus grands de tous les maux.

M. F. de Mérode. - M. Dumortier prétend que j’ai attaqué les institutions, parce que j’ai signalé certains jugements sur lesquels j’ai émis mon opinion.

Quand en France il s’est agi de la loi de disjonction, l’opposition n’a-t-elle pas parlé de l’arrêt de Strasbourg avec très peu de considération ? Personne n’a trouvé que ce fût là attaquer les institutions, à moins qu’on ne trouve que les opposants les attaquent aussi.

M. Gendebien. - Ce sont ceux qui voulaient la loi de disjonction et non les opposants qui attaquaient l’arrêt de Strasbourg.

M Pirson. - On sait que M. F. de Mérode est très impressionnable. Il a demandé la parole comme ministre d’Etat ; mais chacun de nous a vu qu’il était occupé à écrire son discours. Ainsi il n’a pas consulté ses collègues pour prononcer les paroles que nous avons entendues et que nous apprécierons chacun de notre côté comme nous croirons devoir le faire..

M. Dumortier s’est trompé quand il a pris comme émanant du ministère les paroles de M. de Mérode. Il en résulte que les questions qu’il veut adresser an ministère vont encore amener ici une occasion de désaccord soit entre les ministres eux-mêmes soit entre la chambre et les ministres. Nous n’avons pas besoin de ce nouvel incident. Nous avons montré notre confiance aux ministres, je ne crois pas qu’il oserait venir faire des propositions contraires à notre constitution. Quand ils en présenteront nous saurons fort bien les repousser. Les ministres sont nos amis ; ils cesseraient de l’être s’ils nous proposaient une lettre contraire à la constitution.

Je crois que nous devons continuer la discussion sans nous occuper du discours de M. de Mérode.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Voilà le quatrième jour que dure cette discussion, et véritablement nous devons avouer que nous ne sommes guère plus avancés qu’au début. Je pense donc, messieurs, qu’il serait inutile de perdre davantage de temps dans une discussion de cette nature. Le principe de l’enquête et ses conséquences dans le cas actuel ont été suffisamment discutes de part et d’autre pour que chacun ait une opinion entièrement formée. Je pense qu’il y aurait lieu de voter sur les propositions faites par MM. Milcamps et Lejeune et subsidiairement sur la proposition de la section centrale.

Quant à moi, je ne fais pas le moindre doute que si la chambre pense avoir besoin de lumières ultérieures, ce sera à la proposition de M. Lejeune qu’elle s’arrêtera, proposition à laquelle le ministre de la guerre a lui-même formellement adhéré et qui lui fournira l’occasion de donner encore tous les éclaircissements que la chambre peut désirer pour son apaisement.

Ainsi je crois que l’on ferait mieux de fermer la discussion ; car toute discussion ultérieure est complètement inutile.

M. le président. - La demande de clôture est-elle appuyée par 10 membres ?

- Plus de 10 membres se lèvent pour la clôture.

M. de Jaegher. - Je demande la parole contre la clôture.

Dans le commencement de la discussion j’ai annoncé que j’avais des observations à présenter. Comme elles portent sur le système générale d’administration, et en outre sur l’organisation du service de santé, je désirerais être entendu soit avant soit après la clôture.

M. Dumortier. - Vous trouverez sans doute, comme moi, fort étrange la motion que vient de faire M. le ministre du l’intérieur.

Hier, au commencement de la séance, on nous distribue des questions posées par un honorable membre et nous n’en avons pas même pris connaissance, que M. le ministre de la guerre tire de sa poche un réponse écrite. Aujourd’hui M. le ministre de la guerre a continué sa réponse ; et l’on voudrait clore la discussion sans nous entendre. Vraiment cela est trop fort.

M. Liedts. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. Dumortier. - Comment ! depuis quatre jours que dure la discussion vous dites vous-même qu’elle n’a fait aucun pas et vous prétendez qu’il faut écarter l’enquête ; mais c’est une preuve qu’il faut une enquête ; si la discussion n’a fait aucun pas, il faut qu’une enquête soit faite.

Je dis qu’il est impossible, dans l’état de la discussion de prononcer la clôture. Il faut que chacun de nous puisse exprimer sa pensée. C’est pour nous un devoir de nous expliquer sur les faits. Il faut savoir si l’on examinera ultérieurement soit par une enquête soit en instituant la section centrale comme commission d’enquête.

Quant à moi je suis inscrit et je réclame mon tour d’inscription. J’ai cédé hier la parole à un honorable collège. Je demande maintenant à parler. Plusieurs orateurs sont également inscrits. Je ne pense pas que l’on puisse clore ainsi une discussion aussi grave. Il s’agit des questions les plus palpitantes ; il s’agit d’une mortalité considérable dont jamais on n’a vu d’exemple dans le pays. (Dénégations.)

Oui, messieurs, il s’agit d’une mortalité sans exemple ; il s’agit de vols, de sophistications, de concussion.

Vous ne pouvez voter la clôture.

D’ailleurs j’ai déposé sur le bureau une proposition que je dois développer.

« Je demande que le ministre de la guerre soit invité à déposer sur le bureau le rapport de la commission administrative et judiciaire, sur les abus du service de santé qui a été annonce à la chambre par le ministère, dans la séance du 15 novembre dernier. »

J’ai le droit, avant que la clôture soit prononcée, d’être entendu dans les développements de cette proposition.

M. Liedts. - Vous venez d’entendre l’honorable député de Tournay dire qu’à peine ma proposition était sur le bureau, que le ministre de la guerre a tiré de sa poche une réponse écrite. S’il a voulu insinuer par là que je me suis entendu avec M. le ministre de la guerre, je repousse de toutes les forces de mon âme une pareille imputation. Heureusement ma conduite parlementaire me dispense d’y répondre, surtout lorsqu’elle émane de M. Dumortier. (Mouvement.)

Depuis 4 jours, M. le ministre de la guerre nous a annoncé qu’il était prêt à répondre sur tous les faits. Les faits énoncés dans mes questions, où les ai-je puisés ? Dans une brochure qui a été publiée et nous a été distribuée et que M. le ministre de la guerre a pu lire comme nous. Par conséquent, depuis 4 jours que dure cette discussion, je ne suis pas étonné que sa réponse soit prête.

Dans tous les cas, je n’avais pas même besoin de donner cette explication.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je me bornerai à répondre à M. Dumortier, que je lui offre de chercher mon discours écrit dans les papiers qui sont là devant moi.

La pièce que j’ai tirée de ma poche que j’ai lue hier et aujourd’hui, est la copie de l’accusation dirigée contre l’inspecteur-général du service de santé.

Je le répète à l’honorable M. Dumortier, pour lui apprendre a ne pas hasarder des faits aussi légèrement qu’il se le permet. Je l’invite à venir chercher mon discours parmi les papiers que j’ai près de moi. S’il le trouve je lui accorderai qu’il a dit la vérité, mais alors seulement.

M. Jullien. - Comme on pourrait prononcer la clôture, quoique je pense que décemment on ne puisse pas le faire quant à présent, je demande la parole pour un fait personnel.

Je n’ai pas voulu interrompre la discussion pour ce fait personnel. Mon intention étant de m’expliquer lorsque mon tour de parole serait venu, mais maintenant j’y suis obligé.

Voici le fait :

Dans une précédente séance, j’ai dit que la commission d’enquête, c’est-à-dire la commission des généraux et des intendants avait été instituée par arrêté royal, et j’en ai tiré la conséquence que, si ce fait était vrai, il y avait en quelque sorte quelque chose de ridicule à parler d’un rapport confidentiel, parce que je ne pouvais pas plus comprendre un arrêté royal confidentiel qu’une loi confidentielle. On m’a répondu par une dénégation sèche. Malgré cette dénégation, je déclare à la chambre que je suis autorisé à croire que j’ait dit la vérité ; car nous avons aussi quelquefois des rapports confidentiels. Eh bien, si la commission n’a pas été instituée par arrêté royal, elle l’a été par ordonnance royale. A cet égard, si l’on veut encore m’opposer une simple dénégation pour vider le débat, je déclare que je ne m’en contenterai pas. Si une commission d’enquête a été nommée par ordonnance du Roi, il y a eu des commissions délivrées. S’il en est ainsi, qu’on nous présente ces commissions ; car, si des rapports sont confidentiels, tout au moins les nominations des commissaires ne le sont pas. La chambre pourra juger alors si c’est par ordonnance du Roi ou par simple mesure de précaution, et mystérieusement que la commission a été nommée. Mais si les pièces ne sont pas représentées, soit dans d’autres feuilles et d’après ce que j’ai entendu dire, je resterai convaincu que la commission a été instituée par ordonnance royale, et qu’ainsi le rapport n’a rien de confidentiel.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - L’honorable M. Jullien prétend qu’il y a eu une ordonnance ou un arrêté, comme il voudra l’appeler.

Pour moi, je soutiens que le Moniteur n’a annoncé, ni dans sa partie officielle, ni dans sa partie non officielle, la nomination de la commission dite d’enquête.

Maintenant ce que j’ai dit que la commission a été désignée par lettres du ministre de la guerre, nominativement adressées à chaque membre, est parfaitement exact. Ce qui est vrai seulement, c’est qu’avant de nommer cette commission, le ministre de la guerre a fait, comme cela arrive dans toutes les circonstances de quelque gravité, un rapport au Roi pour lui rendre compte du projet qu’il avait de procéder de cette manière, et que tout simplement la signature royale a été mise au bas de ce rapport ; mais il n’y a eu ni ordonnance, ni arrêté, ni rien de semblable.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je ne pense pas qu’on puisse me reprocher de demander légèrement la clôture, lorsque c’est après 4 jours de débats !

Il est vrai que j’ai dit que la discussion n’a pas avancé ; mais c’est en ce sens qu’on ne peut, dans l’état actuel des débats, assigner un terme à cette discussion. En effet, parmi les orateurs, l’un parlera sur la proposition de la section centrale, l’autre sur les faits articulés, etc. Il n’y aura donc dans toute cette discussion que pêle-mêle et confusion, et aucune limite.

Je crois la chambre assez éclairée pour émettre un vote sur les différentes propositions qui lui sont soumises.

Quant à nous, nous n’hésitons pas à déclarer que pour prouver que nous ne reculons pas devant un examen ultérieur, nous voterons pour la proposition de M. Lejeune.

J’ai une considération à faire valoir à l’appui de ma demande de clôture : c’est que le sénat est arrivé à l’examen du dernier projet de loi qui lui est soumis et que s’il a terminé cet examen avant que le budget de la guerre ait été voté par cette chambre, il s’ajournera, et de cette manière l’administration de la guerre sera obligée encore, pendant un mois ou deux, de recourir aux crédits provisoires. Les choses pressent à tel point que le projet de loi de crédit provisoire est déjà soumis à la signature du Roi. M. le ministre de la guerre sera obligé de le soumettre à la chambre si on ne termine pas bientôt la discussion de son budget.

Je crois que ces diverses considérations suffiront pour faire adopter la motion que j’ai eu l’honneur de proposer.

M. Dumortier. - Je répondrai d’abord quelques mots à ce qu’a dit tout à l’heure un préopinant.

Lorsque j’ai eu l’honneur de parler pour la première fois dans la discussion qui nous occupe, je me suis borné à signaler un fait dont nous avons tous été témoins. Quant aux allusions, elles sont le fait de ceux qui se les appliquent. Ceux qui savent qu’ils ne se sont pas compromis avec les ministres, et qui ont la conscience pure, comme je l’ai moi-même, sont fort tranquilles à ce sujet.

J’ai dit un fait certain, c’est que les questions étaient à peine sur le bureau, que le ministre y a répondu ; et il a tiré pour cela un papier de sa poche. (Murmures.)

C’est un fait positif. Expliquez-le comme vous voudrez ; je ne m’en inquiète pas.

Mais je dois dire à l’honorable député d’Audenaerde, en réponse à ce qu’il m’a dit de personnel, que quand il aura défendu comme moi les libertés du pays contre les envahissements du pouvoir, peut-être aura-t-il le droit de parler, mais encore pas dans les termes qu’il a employés.

Et quant à ce qu’a dit le ministre de le guerre que mes expressions sont empreintes de légèreté, je lui répondrai que la légèreté est le propre de ceux qui frappent sur un homme qu’une commission d’enquête a déclaré innocent, que la légèreté est le propre de ceux qui disent à la chambre qu’elle peut faire une enquête, et qui disent le lendemain qu’ils ne se prêteront pas à une enquête.

Pouvons-nous, en l’état actuel des choses, clore la discussion ? Non, certes. il y a quatre jours, dit le ministre de l’intérieur, que nous discutons ; mais le ministre de la guerre a parlé seul aujourd’hui, permettez que nous lui répondions. Ce ministre invoque sa conviction personnelle, nous avons à lui demander si les généraux qui composaient la commission d’enquête sont aussi d’avis qu’il n’y a pas d’abus dans le service de santé. Voilà une question que je pose.

Si votre opinion est appuyée de celle des généraux, sans doute vous êtes fort dans cette enceinte ; mais si votre opinion n’est pas conforme à celle de la commission d’enquête, commission annoncée officiellement à la chambre dans le discours du trône, votre conviction n’est plus d’aucun poids. Les abus n’existent pas selon vous ; selon d’autres ils existent.

M. le président. - Ceci n’est pas relatif à la clôture !

M. Dumortier. - C’est sur la clôture que je parle.

Lorsque le ministre dit qu’il n’y a pas d’abus, qu’il y a seulement des irrégularités, et lorsque la commission d’enquête déclare qu’il y a des délits et des crimes, peut-on clore la discussion.

Il existe un grand malaise dans le pays et dans l’armée ; nos commettants nous demanderont compte du vote que nous allons émettre. (A la question !) C’est sur la clôture que je parle.

Nos commettants nous demanderont compte du vote que nous allons émettre, car le pays s’occupe de la question que nous discutons. Nous ne pouvons donc pas clôturer légèrement un pareil débat.

J’insiste pour avoir communication de la pièce annoncée le 15 novembre dernier d’une manière officielle et solennelle.

M. Jullien. - Je partage entièrement l’opinion du ministre de l’intérieur que, d’après la tournure qu’a prise la discussion, il n’y a pas moyen de prévoir quand elle pourra finir ; mais la faute à qui ? lorsque sur la question la plus simple, la plus inoffensive, la question de savoir si on prendra des informations sur les malversations, les délits et les crimes dénoncés par la clameur publique, on élève pendant quatre mortelles séances, des discussions sur des questions de médecine, de chimie, de pharmacie, de droit public, de droit constitutionnel, lorsque par-dessus tout cela on nous présente quatre ou cinq rapports qui se croisent, qui se heurtent les uns contre les autres, peut-on reconnaître la pensée si simple de la section centrale qui nous disait : informons sur les faits ? Laissez donc débrouiller ce chaos par quelques orateurs, et ne prononcez pas la clôture. Ne laissez pas croire qu’on n’a ainsi embrouillé la question que pour profiter de cette confusion en arrivant précipitamment au vote.

Je m’étais proposé de jeter quelque lumière au milieu de cette obscurité.

Vous avez entendu pendant deux grandes heures l’apologie ou la défense du service de santé par M. le ministre, les choses qu’on vous a exposées peuvent être fort bonnes, fort bien dites ; mais a-t-on pu tout saisir et suivre avec la même attention tous les détails ?

Entendez, si vous voulez, peu d’orateurs ; mettez des bornes à l’envie que chacun peut avoir de parler ; mais laissez répondre au ministre. Au reste, prononcez ou ne prononcez pas la clôture, vous n’échapperez pas à la réflexion que je vais faire.

Vous avez pour le service de santé l’opinion très respectable du ministre de la guerre ; mais vous avez contre le même service l’opinion non moins respectable sans doute de cinq hommes spéciaux qui ont examiné pendant plusieurs mois toute cette affaire. Ce n’est pas que je puisse ou doive savoir positivement ce qu’ont dit les officiers généraux, personne de nous n’a vu leur rapport puisqu’on ne veut pas le reproduire ; mais je suis autorisé à croire, avec l’opinion publique, que ce rapport est opposé à celui que vient de faire le ministre ; et la raison en est simple, c’est que le ministre ne s’appuie pas sur ce rapport, et que s’il était favorable à son opinion, il n’eût pas manqué de le produire. Ainsi, d’un côté est l’opinion isolée d’un ministre ; l’autre est celle d’une commission d’enquête solennellement instituée ; quant à moi, mon choix entre ces deux opinions n’est pas douteux et dans tous les cas la défiance reste. Voilà la conséquence toute naturelle que doit tirer tout homme logique de ce refus obstiné.

Maintenant clôturez, ne clôturez pas, cela m’est indifférent ; j’ai présenté l’observation sur laquelle je voulais appeler l’attention de la chambre.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Le rapport est confidentiel, et par ce motif, quelles qu’en soient les conclusions, je ne le donnerai pas. Personne n’a le droit de se prévaloir des conclusions de ce rapport puisque personne n’a le droit de connaître ce qu’il renferme. Si un des membres de la commission a commis quelque indiscrétion, il a manqué à son devoir et personne ne peut se prévaloir de la violation d’un devoir pour appuyer son opinion.

M. Dechamps. - On prétend qu’il faut accorder aux députés la faculté de répondre au ministre ; je ferai observer que le ministre de la guerre en entrant dans tous les détails de l’accusation est sorti de la question qui était posée et sur laquelle nous avions à délibérer. M. Liedts avait en effet posé cette question : demandera-t-on telles ou telles explications au ministre ? Le ministre sans nous donner le temps de répondre à M. Liedts, est allé au-devant des explications et est entré dans les plus grands détails sur cet objet. Nous n’avons donc plus qu’à examiner la proposition de la section centrale et les propositions de MM. Lejeune, Milcamps, Pollénus, Dolez. Pour mon compte je m’oppose à ce que l’on discute les explications données par le ministre, et je renonce à mon tour de parler. Ainsi l’objection faite contre la clôture par M. Dumortier n’est pas fondée.

- La chambre consultée ferme la discussion.

M. Milcamps. - Je retire ma proposition. Je demandais des explications ; on vient de les donner ; ma proposition est devenue sans objet.

M. Dolez. - Je retire ma proposition.

M. Pollénus. - Je retire également ma proposition.

M. Liedts. - Par les explications données par le ministre, ou par les réponses qu’il a faites aux questions que j’avais posées, ma proposition n’a plus d’objet.

M. Dubus. - Messieurs, la proposition de la section centrale n’est point la proposition principale ; la proposition principale, c’est la demande de crédit faite par le gouvernement, la section centrale est venue par amendement proposer de faire une enquête avant de voter le crédit. Je pense que la proposition de la section centrale doit être mise la première aux voix puisqu’elle s’écarte le plus de la proposition principale et que de plus, les membres qui veulent la proposition de la section centrale pourraient se rallier à la proposition de M. Lejeune si celle de la section centrale était rejetée. Ce serait donc intervertir l’ordre logique de mettre la proposition de M. Lejeune la première aux voix. Je demande en conséquence la priorité pour la proposition de la section centrale.

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Je crois, messieurs, que d’après le règlement et l’ordre naturel, la proposition de M. Lejeune doit avoir la priorité.

M. Verdussen. - Messieurs, la proposition de l’honorable M. Lejeune ne rejette pas l’enquête, mais il ne l’admet qu’après un nouvel examen à faire par la section centrale ; tandis que la section centrale propose de faire immédiatement l’enquête ; la proposition de l’honorable M. Lejeune est donc un véritable sous-amendement et doit par conséquent avoir la priorité.

- La chambre consultée, décide qu’elle votera d’abord sur la proposition de la section centrale.

Sur la demande de cinq membres le vote sur cette proposition a lieu par appel nominal.

75 membres prennent part au vote.

26 adoptent.

49 rejettent.

2 membres (MM. Pirson et Trentesaux) s’abstiennent.

En conséquence la proposition n’est pas adoptée.

Ont voté l’adoption : MM. Brabant, Corneli, David, Demonceau, de Roo, Desmaisières, d’Hoffschmidt, Doignon, Dubus (aîné), Dumortier, Fallon, Frison, Gendebien, Jullien, Manilius, Pollénus, Raymaeckers, A. Rodenbach, Scheyven, Seron, Simons, Stas de Volder, Troye, Vandenbossche, Vergauwen et Watlet.

Ont voté le rejet : MM. Andries, Bekaert-Baeckelandt, Berger, Coghen, Coppieters, Cornet de Grez, Dechamps, de Jaegher, de Longrée, F. de Mérode, W. de Mérode, de Nef, de Puydt, Dequesne, de Renesse, de Sécus, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Huart, Dolez, Donny, B. Dubus, Ernst, Goblet, Hye-Hoys, Keppenne, Kervyn, Lardinois, Lebeau, Lejeune, Liedts, Meeus, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Raikem, Rogier, Smits, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Van Hoobrouck, Verdussen, Verrue-Lefrancq, H. Vilain XIIII, F. C. Vuylsteke et Willmar.

Les membres qui se sont abstenus sont appelés motiver leur abstention.

M. Pirson. - Messieurs, je me suis abstenu parce que, d’un côté je crois que l’enquête n’aboutirait à rien ; le droit d’enquête n’étant pas organisé, et que cependant je ne pouvais pas voter contre l’enquête, le seul motif qui me détermine à ne pas l’appuyer étant l’impossibilité momentanée de la mettre à exécution. Je m’abstiendrai également pour la proposition de M. Lejeune, parce que je crois qu’elle aussi n’aurait aucun résultat.

J’aurais voulu qu’on ne se contentât pas d’entendre sur le compte de M. Vleminckx l’opinion d’un seul homme, M. le ministre de la guerre, mais qu’on en appelât au conseil des ministres tout entier ; cela n’aurait rien eu d’inconstitutionnel.

M. Trentesaux. - J’ai trouvé des inconvénients à ordonner l’enquête hic et nunc, j’ai trouvé des inconvénients à la refuser hic et nunc, c’est pourquoi j’avais voté pour la proposition de M. Lejeune ; j’ai pesé ces inconvénients, et je les ai trouves d’un poids égal, ce qui m’a rendu perplexe et a produit mon abstention.

Il est facile de s’apercevoir qu’en votant j’étais dans l’erreur sur le sort de la proposition de M. Lejeune, que je croyais avoir été rejetée, tandis que le vote n’avait porté que sur une question de priorité entre cette proposition et celle de la section centrale.

M. le président. - Il y aura maintenant à mettre aux voix la proposition de M. Lejeune, mais il faudrait y insérer un chiffre.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - On pourrait le fixer à 245,000 francs.

M. Gendebien. - Je ne sais pas, messieurs, s’il ne conviendrait pas de faire de l’allocation du crédit provisoire que propose M. Lejeune, une disposition séparée du budget. Je ne sais pas non plus s’il convient, comme semble le faire la proposition, de déterminer en quelque sorte la marche qu’aura à suivre la section centrale : il me semble qu’il serait plus convenable de dire purement et simplement qu’on renvoie le tout à la section centrale pour qu’elle nous fasse un rapport, sans indiquer sur quelles pièces elle devra former sa conviction ; il faut abandonner à la section centrale le soin de se déterminer d’après les pièces et renseignements auxquels elle jugera à propos de recourir.

M. Devaux. - Nous devons voter sur la proposition de M. Lejeune, telle qu’elle a été formulée le premier jour. On ne peut plus la changer ; cela amènerait une seconde discussion.

M. Gendebien. - Mais il n’y a pas de proposition.

M. Lebeau. - Si ! si ! la proposition a été imprimée.

M. Lejeune. - Messieurs, je n’ai pas entendu par ma proposition limiter les pouvoirs ordinaires de la section centrale. Quant au chiffre, je n’en ai pas inséré dans ma proposition ; J’ai pense qu’après la discussion on pourrait mieux s’occuper de la fixation du crédit. J’avais l’intention d’accorder trois douzièmes ; toutefois je ne vois pas d’inconvénient à ce qu’un crédit provisoire de 6 mois soit accordé, et j’en fais la demande formelle ; ainsi se trouve complétée ma proposition.

M. Gendebien. - Dès l’instant qu’il est bien entendu qu’on n’entend rien préjuger, je me déclare satisfait. Je demanderai toutefois que la déclaration de M. Lejeune soit insérée au procès-verbal.

M. A. Rodenbach. - J’avais d’abord l’intention de donner ma démission, comme membre de la section centrale, mais d’après les explications données par l’honorable M. Lejeune, la question me paraît changée : ce qui me détermine à rester membre de la section centrale.

M. Devaux. - La proposition de l’honorable M. Lejeune reste absolument telle qu’il l’a posée lui-même précédemment, M. Lejeune n’aurait pas le droit de la changer, s’il en avait l’intention.

M. Dumortier. - Il n’y a pas de doute sur la portée de la proposition de M. Lejeune, qu’on la relise, et l’on verra de suite de quoi il s’agit. Il s’agit d’abord de donner à la section centrale les pouvoirs qu’elle a habituellement, et ensuite de l’autoriser à s’éclairer par tous les moyens qui seront à sa disposition. (Dénégations.)

Plusieurs membres. - Que M. le président fasse une nouvelle lecture de la proposition de M. Lejeune.

M. le président. relit la proposition de M. Lejeune.

M. Lejeune - Je demande la parole pour un instant.

Je dois déclarer itérativement que lorsque j’ai fait ma proposition, j’ai entendu ne pas admettre l’enquête immédiate. Mais en même temps, je n’entends aucunement limiter les pouvoirs ordinaires de la section centrale.

De toutes parts. - Nous sommes d’accord. (Aux voix ! aux voix !)

- La proposition de M. Lejeune est mise aux voix et adoptée.

M. Gendebien. - J’ai demandé que les paroles de M. Lejeune fussent insérées au procès-verbal. Je ne sais s’il est nécessaire de consulter la chambre pour savoir si cette insertion doit avoir lieu, elle me paraît de droit, puisqu’elle pose sur un fait consommé.

M. le président. - Les explications ne s’insèrent pas ordinairement au procès-verbal : on peut demander l’insertion de son opinion, mais non des motifs.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il nous est fort indifférent qu’on insère ou qu’on n’insère pas les explications de M. Lejeune au procès-verbal. Cependant cela ne se fait pas habituellement, et par conséquent M. le président devait consulter l’assemblée, comme il se proposait de le faire.

Je dirai maintenant que cette insertion au procès-verbal me paraît tout à fait inutile. Il va de soi, puisque la proposition est renvoyée à la section centrale, que celle-ci est saisie de tous les pouvoirs ordinaires attribués habituellement aux sections centrales.

M. Gendebien. - Messieurs, il n’y a pas de doute que l’insertion est inutile, pour caractériser les pouvoirs de la section centrale. Mais en présence des contestations qui se sont élevées sur la nature de ces pouvoirs, j’ai demandé qu’on insérât au procès-verbal les explications de M. Lejeune, pour éviter qu’on ne vînt plus tard se livrer à une nouvelle discussion à ce sujet.

- Cet incident n’a pas de suite. Sur la proposition de M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères, la chambre décide qu’elle procédera demain au second vote du budget de la guerre. Elle abordera ensuite la discussion du projet de loi concernant l’école militaire.

- La séance est levée à 4 heures et demie.