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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 14 mars 1837

(Moniteur belge n°75, du 16 mars 1837)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.

M. Lejeune lit le procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur P. Bernard Thoorens, né à Ysendyk (Zélande), cultivateur à Waterland, demande la naturalisation. »

- Renvoyé à M. le ministre de la justice.


Projet de loi modifiant les lois sur la milice

Rejet par le sénat

Par un message le sénat annonce avoir rejeté dans la séance d’hier le projet de loi portant modification à la législation sur la milice.

Le sénat a pris en considération : 1° la demande en grande naturalisation du sieur G.-P.J. Collart, avocat à Nivelles ; 2° la demande en naturalisation du sieur Godechaux, juge suppléant au tribunal d’Arlon.

Le sénat a nommé membres suppléants du jury d’examen pour la faculté de philosophie et lettres, pendant l’année 1837, MM. Roulez, professeur à l’université de Gand, et Alvin, chef de bureau au ministère de l’intérieur.

Projet de loi érigeant en communes les hameaux de la Verte)Place et de la Petite-Chapelle

(Addendum inséré au Moniteur belge n°76, du 17 mars 1837 :) M. Scheyven, en sa qualité de rapporteur, dépose sur le bureau de la chambre le rapport de la commission chargée d’examiner le projet de loi tendant à ériger en commune les hameaux de la Verte-Place et de la Petite-Chapelle (province de Namur).

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l'exercice 1837

Discussion du tableau des crédits

Chapitre III. Service de santé

Discussion générale

M. A. Rodenbach. - Dans la séance d’hier l’honorable M. Lebeau nous a dit que le docteur Andral, de Paris, préconise dans un ouvrage l’usage de la salicine ; mais d’autres docteurs contestent l’efficacité de cette substance ; et ses propriétés médicales sont un objet de controverse. Des médecins allemands, français et belges n’ont pas trouvé à la salicine de qualités fébrifuges. Dans les sciences expérimentales, comme la médecine, il ne fait pas toujours croire ce que disent les livres, et comme l’a dit M. Lebeau, il ne s’en faut pas rapporter aux théories. Cela est si vrai, que le docteur Andral lui-même, qui préconise la salicine, ne fait usage que de sulfate de quinine à l’Hôtel-Dieu de Paris.

D’ailleurs supposons qu’en France la salicine soit fébrifuge ; le sera-t-elle en Belgique ? Le climat n’est pas le même chez nous qu’en France.

Avec quatre grains de sulfate de quinine, on peut couper certaines fièvres intermittentes, à Paris ; il faut de vingt à quarante grains de quinine pour couper les fièvres des polders.

On avait aussi préconisé le chlorure d’oxyde de soude ; on en a tenté l’emploi à Anvers et l’épreuve en a fait promptement justice ; on avait encore voulu employer l’écorce de pommier, et on a rejeté cette substance comme les autres. Il n’y a que des audacieux qui puissent se permettre des essais en grand quand il s’agit de la vie des hommes.

J’ai appris qu’il n’y a pas quinze jours, on a fait des tentatives sur l’emploi de la salicine. C’est en Belgique que les expériences ont été faites. Avec 60 grains de salicine on a échoué, et avec 12 grains de quinine on a triomphé de la même fièvre. Ces essais ont été faits dans les hôpitaux militaires par des officiers de santé subalternes, et qui n’oseraient rien dire maintenant. Ces mêmes officiers vous diront qu’on a mêlé du sucre blanc à la quinine ; aussi est-il mort dans un seul hospice, à Gand, près de 2,000 hommes, parce qu’on n’administrait pas des médicaments assez énergiques.

L’honorable M. Lebeau, je crois, a dit que c’était à la fin de 1835 qu’avait eu lieu le mélange de la salicine avec la quinine ; et on a déclaré que la découverte de cette sophistication avait eu lieu il y a quinze mois ; cependant on m’a assuré que ce n’était que vers le mois de janvier dernier qu’on a prévenu les médecins ; est-ce là la manière de procéder d’une bonne administration ? Je demanderai à M. le ministre de la guerre ce qui en est relativement à ce fait, et si, pendant 9 mois, on s’est joué sciemment de la vie des hommes ?

Je me réserve, après avoir entendu M. le ministre, d’entrer dans des explications plus détaillées sur la question qui nous occupe.

M. Pirson dépose sur le bureau un amendement et en expose les motifs en ces termes. - Je propose à la chambre de voter le chiffre demandé dans le budget par le ministre de la guerre pour le service de santé à la condition de réorganiser ce service de manière à faire cesser les préventions existantes contre ce service, attendu l’urgence et l’impossibilité dans laquelle se trouve la chambre d’arriver à temps à la solution des difficultés survenues. Le tout sauf poursuite des coupables.

Messieurs, c’est après le discours de M. Dolez, qui a rencontré toute ma pensée, que j’ai formulé en hâte mon amendement. Il m’a semblé qu’il ne manquait à ce discours qu’une conclusion qui portât ses fruit plus promptement, et qu’un nouveau rapport du ministre ne pouvait être convenablement demandé après la manière tranchante avec laquelle il s’était prononcé. Il m’a semblé aussi qu’après une discussion si solennelle sur des faits aussi graves, la chambre ne pouvait se dispenser de se prononcer d’une manière quelconque, et cependant il y a impossibilité de le faire avec connaissance de cause. Quel parti prendre, si une enquête est reconnue à peu près impraticable, dans tous les cas entraînant des longueurs et des délais dont les résultats peuvent être désastreux ? renvoyez, selon moi, la question à examiner ou à résoudre par le cabinet.

Je conviens que mon amendement est mal rédigé, du moins on en comprend bien le sens ; il est facile de faire disparaître les vices de rédaction. Voici ma rédaction nouvelle :

« Attendu que des préventions tout au moins se sont élevées avec force, et à l’armée et dans le public, contre l’administration du service de santé ; attendu qu’une enquête entraînerait des longueurs qui pourraient compromettre le salut de l’armée, la chambre abandonne au cabinet sous sa responsabilité l’examen et la solution de cette affaire, qui, pour être prompte et efficace, devra peut-être se terminer par la raison d’Etat. »

Des accusations extrêmement graves contre la tête du service de santé de notre armée ont soulevé dans cette chambre une discussion solennelle, qui n’a produit jusqu’ici aucun éclaircissement satisfaisant. Le ministre de la guerre interpellé sur tous les points, après avoir convenu qu’il y avait eu des irrégularités, des vols même dans ce service, a protesté de son intime conviction, qui absolvait le chef du service de toute culpabilité dans toutes ces circonstances. Comme conséquence de la confiance que vous n’avez cessé de lui accorder, il voudrait que sa conviction toute particulière s’infiltrât tout entière chez vous. Toutefois, s’il restait des doutes, il s’est résolu non sans quelque peine à vous soumettre toutes les pièces concernant cette malheureuse affaire, moins le rapport de généraux, qui, dit-il, n’ont été consultés qu’officieusement.

Je ne dirai rien de cette réticence, parce qu’en effet des motifs de délicatesse et même de principes peuvent être invoqués pour la soutenir. D’un autre côté, si toutes les pièces sur lesquelles est basé le rapport des généraux sont produites, la chambre ou plutôt sa commission pourrait elle-même se former une opinion tout à fait indépendante.

Mais dans mon système, et d’après l’énoncé de mon amendement, ce n’est point de cela qu’il s’agit. Je ne veux ni enquête, ni accusation, ni absolution par la chambre ; une enquête, messieurs, ferait retomber sur la chambre toute la responsabilité qui résulterait nécessairement des longs délais et de la finale incertaine de l’enquête.

MM. Dolez et Donny vous ont fait connaître hier mieux que je ne pourrais le faire les difficultés que rencontrerait une commission d’enquête. Voici entre autres une question posée par M. Dolez : quelle foi la commission d’enquête pourra-t-elle avoir dans le témoignage d’hommes aigris ou timorés, les uns voulant renverser leur chef, les autres craignant sa vengeance, s’il reste en place ?

Nous ne savons que trop bien ce que deviennent les enquêtes sur question de personnes haut placées ; je dis sur question de personnes haut placées, car je distingue : il y a enquête et enquête, comme l’a fort bien dit hier M. Lebeau ; on peut toujours, sans risquer de se compromettre, ordonner une enquête sur des intérêts généraux.

Maintenant, je suppose que dans six mois, dans un an peut-être, l’enquête soit terminée. Je suppose que votre commission vienne annoncer ici une conviction tout à fait opposée à celle que le ministre a émise ; que ferez-vous ? Vous n’avez point le droit d’accuser, ni de déférer aux tribunaux les particuliers ou les fonctionnaires autres que les ministres. Vous accuserez donc le ministère tout entier, car la notoriété publique aura été si prononcée, il sera peut-être arrivé des désastres tels qu’à vos yeux son inertie en pareille circonstance devra être considérée comme un véritable crime politique.

Si vous ne l’accusez pas, vous lui retirerez votre confiance et vous lui refuserez tout concours.

Non, messieurs, non : la question, toute grave qu’elle est, n’exige pas que vous vous exposiez à de pareils résultats.

J’ai supposé bien gratuitement que dans une année peut-être l’enquête arriverait à bonne fin. Je crois au contraire qu’elle sera absorbée par les nuages que soulèveront les passions de toutes parts.

Cependant l’inquiétude de nos soldats et de leurs parents sera permanente, que dis-je, elle croîtra de plus en plus au point qu’elle pourra produire les désastres dont je vous parlais il n’y a qu’un instant. A qui la responsabilité alors ?

Si la prudence exige que nous rappelions au plus tôt un plus grand nombre de soldats sous le drapeau, elle n’exige pas moins impérieusement que nous fassions cesser de même au plus tôt toutes les inquiétudes sur les soins dus à leur santé.

Je regrette infiniment que dans cette circonstance M. le ministre de la guerre se soit conduit plutôt en légiste qu’en homme d’Etat. Il a vu d’un côté des accusateurs et un principal accusé, il s’est mis à la recherche de la vérité, il a cru l’avoir rencontrée ; mais est-il bien sûr qu’elle ne lui a point échappé ? Il veut que nous accordions toute confiance à son jugement. N’a-t-il pas eu lui-même trop confiance dans beaucoup de témoignages ?

Quoi qu’il en soit, la rumeur a été si grande, elle a été si générale, elle date de si loin, qu’un homme d’Etat en pareille circonstance devait sacrifier instantanément la position des hommes qui l’avaient fait naître. Si l’accusé lui paraissait innocent, il devait lui dire : Je ne vous crois point coupable ; mais les choses en sont venues au point que votre présence à la tête du service est un obstacle au prompt retour de la confiance du soldat que je dois relever au plus tôt ; le salut de l’armée et peut-être la sûreté de l’Etat en dépend, salus populi suprema lex. Je vais vous mettre en disponibilité. Ce qui n’a point été fait peut encore se faire. Je sais bien qu’ici se présente une question d’amour-propre. Le ministre s’est prononcé trop positivement. C’est une imprudence ou plutôt un malheur. Si par un coup électrique il pouvait faire passer sa conviction intime dans l’armée, les choses pourraient en rester là. Mais il doit bien s’apercevoir, par la tournure de la discussion, qu’un très grand nombre de membres de cette chambre, ne partagent point cette même conviction. Comment donc pourrait-elle gagner tout entière et le soldat et sa famille ?

Je ne crains point de le dire, le cabinet tout entier est en cause ici : qu’il discute à part lui la raison d’Etat ; à lui la responsabilité tout entière, je n’accepte pas même la 102ème partie.

D’après ces explications vous concevez messieurs, quel sens je donne à ces mots : « à la condition de réorganiser le service de manière à faire cesser les préventions existantes. » Dans mon opinion particulière, je pense que la raison d’Etat exige que le chef de ce service soit mis hors d’activité. Si au contraire le gouvernement pense qu’il doit rester à son poste, s’il est persuadé que sa présence ne sera pas un obstacle au retour de la confiance du soldat et de sa famille, eh bien, je le répète, au ministère tout entier la responsabilité ; mais il ne faut pas que cela soit dit uniquement dans la discussion, il faut que le libellé de l’article consacre l’opinion de la chambre.

Messieurs, je pourrais comme bien d’autres ajouter quelque chose à la masse de plaintes qui depuis longtemps s’élèvent contre le service de santé. J’ai trois fils militaires ; grâce à Dieu, ils jouissent d’une santé robuste et ne font point usage de drogues ; mais lorsque je les visite, je me trouve en contact avec des militaires de tous grades et de toutes armes et même avec des officiers de santé de l’armée. Eh bien, jamais la conversation n’a été amenée sur la pharmacie sans que des plaintes plus ou moins graves ne se soient élevées.

Et puis, messieurs, dussé-je friser tant soit peu la personnalité, il faut bien le dire, l’inspecteur-général n’a point ce liant nécessaire pour former et conserver un ensemble parfait ; c’est cependant ce que vous désirez : vous avez donné des preuves de vos bonnes intentions sur ce point dans la discussion d’autres articles du présent budget.

Je l’ai dit et je ne saurai trop le répéter s’il y a urgence de rassembler notre armée, il y a urgence de rétablir la confiance dans toutes les parties du service ; il faut que tous les éléments de discorde disparaissent sans considération de personne, dût cette personne être considérée par les gens à portée de le savoir comme une victime d’une opinion erronée, mais trop enracinée pour espérer de la convertir opportunément. Salus populi, j’ajoute salu populi exercititus suprema lex.

Messieurs, tous les orateurs ont protesté de leur confiance en la personne du ministre de la guerre. Je partage cette confiance, elle rejaillit sur tout le ministère. Ma grande crainte, c’est que l’intrigue ne vienne jeter la perturbation parmi nous.

- L’amendement présenté par M. Pirson n’est pas appuyé et ne sera pas mis en délibération.

M. de Brouckere. - La discussion qui nous occupe a déjà été longue, mais nous ne devons pas en avoir regret, parce qu’elle portera ses fruits. Pour moi je m’en applaudirais quand elle n’aurait d’autre résultat que celui de prouver à tout ceux qui l’auront suivie avec impartialité, avec un esprit dégagé de toute prévention, que les clameurs élevées depuis quelque temps contre l’administration du service sanitaire, par plusieurs journaux, et par un petit nombre d’écrivains, du reste très estimables, que ces clameurs étaient sans fondement. Et, en effet, messieurs, vous l’avez vu comme moi, les orateurs qui, dans cette chambre, se sont élevés avec le plus de chaleur contre l’administration du service sanitaire, ont été réduits à des accusations vagues, à des suppositions dénuées de preuves, à des reproches sans précision ; en vain leur a-t-on demandé des faits, des preuves, ils sont restés en demeure de fournir des preuves, ils sont restés en demeure d’alléguer des faits.

Je me trompe, un fait a été allégué, fait grave, fait que l’honorable orateur qui en a parlé le premier a qualifié avec énergie, non sans raison ; je veux parler du mélange du sulfate de quinine avec de la salicine. Ce fait n’avait pas plus tôt été signalé que le ministre de la guerre s’est empressé de donné sur tout ce qui le concerne des explications telles qu’il est impossible qu’elles n’aient pas satisfait les plus exigeants. Il est résulté, jusqu’à l’évidence, de ces explications, que le fait de la falsification du sulfate de quinine était entièrement étranger et au chef et aux officiers du service de santé, que ce fait était personnel à un fournisseur. Le ministre vous a appris de plus que déjà cette affaire était déférée aux tribunaux, lesquels étaient occupés en ce moment à s’en enquérir.

Mais, messieurs, si les preuves ont manqué aux honorables orateurs qui se sont élevés contre le service sanitaire, les expressions violentes ne leur ont pas fait défaut ; nous avons entendu retentir la salle des mots ; abus scandaleux, concussions, dilapidations, voire empoisonnement même ; on a eu recours à tout ce que la langue française peut fournir d’expressions virulentes.

Mais ces expressions, quand elles ne sont pas justifiées, ne doivent pas faire sur les esprits sages et réfléchis pas plus d’impression que les mots les plus simples.

Un honorable membre a été jusqu’à dire que l’administration du service de santé c’étaient les écuries d’Augias, et que c’était à la chambre à nettoyer ces écuries. (On rit.) Cette comparaison, je l’ai prise pour une plaisanterie, et nous n’avons pas le droit de nous en fâcher puisque le premier de ces résultats est de représenter les membres de la chambre comme de petites Hercules.

Mais, sans m’arrêter à ces sortes de plaisanteries, je rappellerai que les honorables orateurs auxquels je réponds ont tous appelé à leur secours l’opinion publique.

L’opinion publique, a-t-on dit, se soulève tout entière dans le pays contre l’administration du service de santé. Messieurs, l’opinion publique a de tous temps été invoquée par tous les partis, quelle que fût leur couleur, quels que fussent leurs projets, quel que fût leur but ; mais l’opinion publique a surtout servi de point d’appui à ceux qui n’avaient pas de bonnes raisons à faire valoir.

L’opinion publique est de tous les arguments le plus facile à invoquer parce que cet argument est toujours au service de tout le monde, et l’on ne peut le réfuter par une simple dénégation.

Mais aussi cet argument est le plus faible ; l’opinion publique est de tous les témoins le plus complaisant, parce qu’on le fait parler comme on veut et qu’il n’est jamais là pour réclamer contre ce qu’on lui fait dire ; mais ce témoin, il nous est libre aussi de lui prêter un langage contraire à celui qu’on a mis dans sa bouche, et nous mériterions tout autant créance que nos adversaires, si nous déclarions ici que l’opinion publique tout entière est favorable à l’administration du service de santé.

D’ailleurs messieurs, ce qu’on donne ici pour l’opinion publique, est-ce bien une autorité ? Vous savez très bien qu’il n’est rien de plus facile que de l’exciter en parlant le langage des passions, vous savez que cela est aisé, surtout quand on s’attaque à des hommes en place, et quand ces hommes ont par suite des événements fait une carrière rapide : ces hommes ont toujours des envieux, ils ont toujours des ennemis, et il suffit de leur réunion pour former ce que certaines personnes appellent l’opinion publique. Mais cette opinion publique, sur laquelle on s’étaie, combien de fois n’a-telle pas été égarée ? Combien de fois n’a-t- elle pas été entraînée dans des voies pernicieuses et sanglantes ? Consultez l’histoire, et à chaque pas vous verrez cette prétendue opinion publique conduire à l’injustice, aux excès, aux crimes ! Sans même recourir à l’histoire, tenons-nous-en à ces derniers temps : n’est-ce pas l’opinion publique égarée qui au commencement de la révolution a fait si indignement maltraiter un fabricant d’une de nos grandes villes industrielles ? N’est-ce pas l’opinion publique égarée qui a fait massacrer un honorable militaire ? Il est un autre fait non moins récent et qui parlera plus haut ; lors de la première apparition du choléra à Paris, le bruit se répandit dans le peuple que cette maladie était le résultat de l’empoisonnement des fontaines, l’opinion publique désigna les coupables, elle montra du doigt les coupables, et la populace ainsi aveuglée par ce qu’on appelle l’opinion publique, poursuivit avec fureur, maltraita de la plus horrible manière les prétendus empoisonneurs. La même chose s’est passée dans d’autres grandes villes encore. Pour vous donner, messieurs, une idée de la manière dont on s’y prend pour exciter l’opinion publique, permettez-moi de vous lire quelques lignes qui ont paru ces jours derniers dans un journal, à l’occasion de la présente discussion ; voici comment s’exprime le journal :

« L’Indépendant reproche à plusieurs journaux d’avoir rendu publique la nouvelle de quelques démonstrations menaçantes auxquelles M. Vleminckx a été en butte : il est une classe de la société qui paie la plus large part dans l’impôt du sang et qui n’est pas représentée à la chambre ; si la longue impunité des empoisonneurs peut faire croire aux familles des miliciens qu’ils n’ont pas de justice régulière à espérer, la faute d’inévitables excès retombera nécessairement sur les ministres qui les rendent complices des falsifications et des malversations en couvrant de leur ombre tutélaire tous les éléments accusateurs. »

Ce langage est trop expressif pour qu’il soit besoin de le commenter. Il ne faut donc pas attacher trop d importance à ce que l’on nomme l’opinion publique, puisque ses jugements sont souvent passionnés et qu’ils conduisent à l’erreur, à l’injustice.

Et quel est le but de toutes ces accusations qu’on a lancées ? On veut engager les chambres à ordonner une enquête sur les prétendus abus du service de santé.

D’abord, messieurs, que vous ayez le droit d’ordonner une enquête, c’est ce que l’on ne peut révoquer en doute ; je n’aurais pas répété cette déclaration déjà faite par tous les honorables orateurs qui ont parlé dans le même sens que moi, si un de mes honorables adversaires, dans une des dernières séances, a dit ce qui suit : « D’abord on semblait contester à la chambre le droit d’enquête ; ensuite on est venu dire que ce droit pouvait, en effet, appartenir à la chambre ; en troisième lieu, on a avoué que le droit d’enquête ne faisait pas même question. » Eh bien, messieurs, je tiens à prouver à la chambre que mon opinion à moi, sur ce point, n’a jamais varié. Lors de la discussion générale, répondant à un de mes honorables voisins qui, du refus fait par le ministre de la guerre de produire certain rapport dont il a déjà été souvent question, croyant pouvoir tirer la conséquence qu’on voulait annihiler le droit d’enquête, j’ai dit qu’on ne pouvait point tirer de là la conséquence qu’on voulût porter la moindre atteinte au droit d’enquête, et j’ai ajouté qu’il était à mes yeux hors de doute que la chambre avait le droit d’ordonner une enquête sur telle partie du service public qu’elle jugerait à propos. Ce sont là mes propres expressions.

J’ai donc toujours pensé et je pense encore que la chambre a le droit d’enquête, mais la question est de savoir s’il faut aujourd’hui que nous fassions usage de ce droit. Cette question a été traitée avec tant de talent et de distinction par plusieurs orateurs que je pourrais m’en rapporter à ce qu’ils ont dit à cet égard.

On vous a montré en effet, qu’une enquête est toujours un moyen extrême, et qu’avant d’en venir à ce moyen, il fait tenter tous les autres.

Eh bien ! le ministre de la guerre nous offre la discussion, il nous offre un rapport détaillé. Faut-il, avant de l’avoir entendu, que la chambre ordonne une enquête ? On a dit avec justesse que l’enquête est la dernière raison de la chambre : faut-il avoir recours à la dernière raison de la chambre avant d’avoir suivi les voies ordinaires pour obtenir les éclaircissements désirés ?

On a dit qu’ordonner une enquête, ce serait donner au ministre la preuve la plus évidente de notre défiance pour lui, et l’on s’est contenté de répondre : « Nous ne nous défions point du ministre, mais nous voulons une enquête. » Mais, messieurs, s’il est vrai que l’enquête soit une mesure extraordinaire, une mesure tout à fait nouvelle pour nous, il faudrait que des circonstances tout à fait extraordinaires, tout à fait nouvelles nous déterminassent à l’ordonner : eh bien, ces circonstances nous les cherchons en vain : à l’appui de tout ce qui a été dit nous n’avons pas même une plainte de tout ce qui a été dit, nous n’avons pas même une plainte déposée sur le bureau de la chambre, tout se borne à des articles de journaux et à quelques brochures.

Mais comment en est-on venu à la proposition d’une enquête ? Cette proposition ne vient pas d’un membre de la chambre, ou au moins si elle a été faite par un membre de la chambre, ce n’a pas été en séance publique ; elle émane de la section centrale, et l’on a cru pouvoir s’emparer de cette circonstance pour insister davantage sur la nécessité d’une enquête. Je vous avoue, messieurs, que l’opinion de la section centrale est toujours une opinion respectable à mes yeux, et cette opinion a d’autant plus d’influence sur la mienne que la section centrale est composée d’hommes plus distingués et qui méritent plus la confiance de la chambre ; mais permettez-moi, messieurs, de dire que la section centrale n’a pas toujours été de cette opinion : déjà M. le ministre de la guerre a très bien fait remarquer la singulière progression qui s’est opérée dans la manière de voir les choses de la part de la section centrale.

Dans le premier rapport qui nous a été fait par cette section, il n’était pas le moins du monde question d’une enquête ; vous ne trouvez pas seulement dans ce rapport que la pensée en ait été émise par aucun des membres qui composaient la section centrale ; elle voulait, au contraire, accorder à l’administration tous les crédits nécessaires pour assurer la santé de nos braves soldats ; elle espérait qu’enfin nous verrions mettre un terme aux abus signalés dans le service sanitaire ; s’il en existait (remarquez bien ces mots : s’il en existait) et qu’ainsi renaîtraient l’harmonie et le bon accord si désirables non seulement dans tous les corps de l’armée, mais plus particulièrement entre ceux auxquels la santé des défenseurs de la patrie est confiée. Vous voyez que lorsque le premier rapport a été fait, la section centrale, unanime sur ce point, n’avait que des témoignages de confiance à donner au ministre.

Vous voyez que bien loin de signaler les abus du service de santé, elle en parlait comme d’une chose qui n’était rien moins que prouvée ; les abus dans le service de santé, « s’il en existe. »

Avant la discussion du budget, le ministre de la guerre a présenté quelques amendements ; il s’en trouvait un relatif au service de santé. Ces amendements, ayant été renvoyés à la section centrale, elle en a fait l’examen ; un nouveau rapport est déposé, et voilà déjà l’opinion de la section centrale modifiée.

En effet, l’on ne dit plus ; Nous concluons à ce que la chambre vote le chiffre qui est demandé par le ministre. L’on ne dit plus : Nous avons pleine confiance dans M. le ministre, et nous sommes certains qu’il réformera les abus, si des abus existent. L’on ne dit plus : La section centrale a regretté qu’elle n’ait pas été mise à même, par les renseignements qui lui on été donnés de se former une opinion sur la question des abus que l’on prétend exister dans le service de santé, et par suite elle n’a pu faite aucune proposition relativement à l’amendement présenté par le ministre.

L’on n’était pas encore venu à demander une enquête et à montrer ouvertement de la défiance à M. le ministre ; mais on ne se prononce plus sur le chiffre et l’on témoigne des regrets de n’avoir pas reçu les renseignements dont il paraissait qu’on avait besoin, et dont l’on s’était très bien passé lors du premier rapport.

Etait-il survenu quelque chose entre le premier et le second rapport, qui ait pu motiver ce changement d’opinion ? Je ne le sache pas, à moins que ce ne soit l’apparition d’une brochure et la mise en non-activité d’un officier du service de santé.

Voilà les deux seules circonstances, ayant trait à l’affaire dont nous nous occupons, qui soient survenues entre le premier et le deuxième rapport.

La discussion générale du budget de la guerre s’ouvre ; quelques orateurs s’occupent du service de santé. Le ministre de la guerre déclare qu’il n’avait pu jusque-là remettre à la section centrale toutes les pièces concernant ce service, parce que lui-même en avait eu besoin pour se préparer à la discussion : mais qu’il les tenait à la disposition de la chambre et de la section centrale. Sur ma proposition elles sont renvoyées à cette section qui est priée de les examiner.

Troisième rapport et changement d’opinion beaucoup plus notable. La section centrale déclare qu’elle n’a pas eu le temps de s’occuper de l’examen des pièces qui lui ont été renvoyées, qu’elle n’a pu se livrer à des investigations aussi détaillées que le réclame l’importance de l’objet. Mais elle conclut immédiatement après à ce que la chambre nomme une commission d’enquête, par la considération qu’il importe d’éclaircir ce qui est relatif au service de santé, de constater les abus, s’il en existe, ou de vérifier que les allégations à cet égard sont dénuées de fondement.

Je vous avoue qu’en présence de trois opinions aussi différentes, il ne me semble pas qu’on puisse tirer grand parti d’une de ces trois opinions. Mais enfin si l’on veut que l’opinion de la section centrale serve de base à celle que nous émettrons ici, il sera permis à chacun de nous de choisir entre ces trois options. Eh bien, pour moi, j’adopte la première, et aujourd’hui je suis encore de l’avis que la section centrale a émis dans son premier rapport, savoir : que nous pouvons avoir confiance dans les mesures qu’a prises et que prendra encore le ministre de la guerre, relativement au service de santé, et qu’en attendant, rien n’empêche que nous ne votions les sommes qu’il a demandées.

Messieurs, je ne quitterai pas ce qui concerne le rapport de la section centrale sans témoigner mon regret de ce qu’elle ait cru devoir insérer dans son dernier travail des hypothèses dont on n’a pas manqué de tirer déjà parti, pour lancer contre le service de santé de nouvelles attaques. Voici ce que je lis dans le rapport :

« La section centrale a remarqué qu’il avait été articulé que des fournitures de mauvaise qualité avaient eu lieu et qu’elles avaient été acceptées.

« La section centrale déclare cependant elle-même qu’elle n’a pu s’en convaincre par les procès-verbaux, que les recherches qu’elle a faites à cet égard sont restées vaines. »

Mais elle ne s’arrête pas là ; elle raisonne comme si les choses existaient, elle dit :

« S’il y avait eu fraude dans la livraison ou dans l’acceptation, il a paru à la section centrale que ce serait un délit prévu par l’art. 433 du code pénal, et, de ce chef, elle aurait proposé de provoquer l’action de la justice répressive.

« Mais, autant qu’elle a pu en juger, par un court examen, les principaux faits articulés dans les pièces lui remises remontent à plus de trois années, sans qu’on lui ait fait connaître qu’il y aurait eu des actes d’instruction ou de poursuite. A défaut de ces actes il y aurait prescription aux termes de l’article 638 du code d’instruction criminelle.

« S’il y a des faits susceptibles de poursuites devant la justice répressive, et à l’égard desquels il n’y aurait pas prescription, rien ne fait obstacle à ce que de telles poursuites soient exercées. »

Je ne comprends pas la nécessité de se lancer ainsi dans des hypothèses qui ne reposent sur aucune des pièces communiquées à la section centrale. La section centrale, j’en ai la conviction intime, n’a pas cru que ces phrases seraient commentées au-dehors, et pourtant il en a été ainsi, et des paroles de la section centrale on a tiré la conséquence que celle-ci avait véritablement reconnu des fraudes et des délits qu’on ne pouvait plus poursuivre parce que la prescription leur était acquise.

Je reviens à la question d’enquête. Vous voulez une enquête ; mais dites-nous d’abord sur quoi vous voulez qu’elle pense. Est-ce sur le présent, est-ce sur le passé : est-ce sur l’un et sur l’autre ? ce n’est pas sur le présent, car plusieurs honorables orateurs, et M. le rapporteur de la section centrale lui-même, ont déclaré qu’il n’était pas dans leur intention que l’enquête portât sur ce qui s’est passé depuis l’entrée aux affaires du nouveau ministre de la guerre ; l’enquête, selon eux, devrait s’arrêter au jour où il a pris la direction du département de la guerre. C’est donc exclusivement sur le passé que l’enquête doit porter.

Mais, que voulez-vous constater ? voulez-vous rechercher s’il y a des crimes et des délits ? je rappellerai d’abord que M. le ministre de la guerre a déclaré de la manière la plus formelle que dans tous les griefs articulés à charge du service de santé il n’y en a pas un seul qui soit de nature à pouvoir donner lieu à des poursuites judiciaires, mais s’il en était autrement, rechercher les crimes, les délits, serait de la part de la chambre évidemment empiéter sur les attributions du pouvoir judiciaire ; et pour vous en donner une preuve évidente, dans le cas où vous n’arrêteriez pas votre enquête au jour de l’entrée aux affaires du nouveau ministre, vous vous trouveriez aujourd’hui en conflit avec l’autorité judiciaire. L’autorité judiciaire, en effet, est saisie en ce moment du fait de la falsification du sulfate de quinine.

D’ailleurs, messieurs, l’on a beau déclarer et répéter continuellement que faire une enquête sur le passé ce n’est pas donner au ministre actuel une preuve de défiance. Cette preuve, messieurs, serait tout aussi grande que si une enquête était faite sur son administration d’aujourd’hui. En effet M. le ministre vous a dit qu’il avait tout examiné par lui-même, qu’il n’avait trouvé que de simples irrégularités d’administration et qu’elles n’existaient plus.

Et vous répondriez au ministre : Ou vous êtes un homme incapable, ou nous vous trompez (car voilà la décision d’enquête traduite en termes littéraux). Ou vous êtes un homme incapable car nous ne croyons pas que vous ayez été à même de juger les choses, et nous voulons les juger par nous-mêmes ; ou vous nous avez trompés, et nous voulons nous-mêmes découvrir en quoi vous nous avez induits en erreur.

Ordonner l’enquête, ce serait déclarer une de ces deux choses, car si le ministre était capable, et qu’il fût un homme en qui nous eussions confiance, nous devrions nous en tenir à sa déclaration.

Mais croyez-vous qu’il suffise de répéter sans cesse au ministre : Nous ne voulons pas vous donner une preuve de défiance, pour qu’il partage votre avis ? On vous l’a dit, messieurs, en matière de susceptibilité, en matière d’honneur, il n’y a de bon juge que celui que la chose concerne. M. le ministre vous dit : Si vous ordonnez l’enquête, je croirai que vous m’avez fait un outrage. Et vous lui répondez : Si nous vous faisons un outrage, c’est pour votre plus grand bien.

Messieurs, si, contre toute attente, la majorité de la chambre pouvait se prononcer pour une enquête, je ne crains pas de vous dire que vous auriez à en ordonner beaucoup : croyez-vous qu’il y ait une seule administration dans laquelle il n’existe pas d’abus ? Croyez-vous qu’il y ait une administration dans laquelle ne se trouvent quelques fonctionnaires mécontents ? Mais il est certain que si vous voulez remonter aux premiers temps de la révolution (et c’est là qu’on prétend venir avec l’enquête), vous trouverez partout des abus, et peut-être des abus plus graves que dans l’administration dont nous nous occupons.

Il est à remarquer, messieurs, qu’il est peu surprenant qu’il se soit glissé quelques irrégularités dans le service de santé au commencement de la révolution ; ce service est très compliqué ; aucun élément, aucune tradition d’exécution et d’organisation de ce service n’existaient en Belgique, puisque les inspecteurs généraux avaient toujours été hollandais, et que les archives de l’administration étaient constamment en Hollande : à l’époque de la révolution, il n’y avait pas vingt règlements sanitaires en Belgique ; le département de la guerre lui-même a dû en réclamer un dans un hôpital. C’est donc par lambeaux en quelque sorte que le chef du service sanitaire a pu obtenir les arrêtés et règlements qui régissent l’administration qui lui est confiée.

D’ailleurs ces défectuosités, ces irrégularités, passez-moi l’expression, sont de véritables niaiseries, et ainsi le ministre n’a pas hésité à déclarer qu’elles ont été sans influence aucune sur le bien-être du soldat.

L’on a répété à satiété que nous manquions d’éléments pour ouvrir une discussion sur tous et sur chacun des griefs dont on se plaint. Il me semble au contraire que dans aucune matière les éléments n’ont manqué moins que dans celle dont nous nous occupons aujourd’hui. Vous avez une quantité d’articles de journaux, vous avez entre les mains diverses brochures ; il y a plus, le ministre vous offre un rapport détaillé dans lequel il discutera un à un chacun des griefs.

Nous ne voulons pas, dit-on, nous transformer en accusateurs, c’est un rôle qu’il ne nous convient pas de jouer. Cependant je pense qu’à chaque discussion de budget on examine ce qui se passe dans toutes les administrations et que l’on signale les abus que l’on croit y rencontrer ; et pourtant personne n’a jamais dit que ceux qui signalaient des abus fussent des accusateurs.

On a révélé les abus qu’on trouvait dans les administrations financières ; on a, à une des dernières séances, par exemple, attaqué avec beaucoup de chaleur l’administration des postes ; quelqu’un a-t-il dit que les auteurs de ces attaques fussent des accusateurs ? Quand on signale des abus dans une administration, c’est au ministre à prouver que ces abus n’existent pas ou à les réformer.

Mais, s’écrie-t-on, il faut une enquête, quand le mal n’existerait pas, ne fut-ce que pour satisfaire l’opinion publique ; il la faut, pour montrer à l’armée l’intérêt que nous portons à sa santé.

Quant à l’opinion publique, je me suis déjà expliqué à cet égard ; mais s’il fallait réellement faire quelque chose pour tranquilliser le soldat, cela serait plus grave. Mais le ministre a nié d’une manière formelle que des inquiétudes existassent parmi les soldats, il a déclaré qu’il n’avait reçu aucun rapport sur ce point, soit des commandants provinciaux, soit des commandants de place, soit des officiers de santé eux-mêmes.

D’ailleurs, je me demande à quoi cela pourrait-il servir pour le soldat, quelle grande sécurité il acquerrait lorsque nous ferions une enquêté, non, pour rechercher les abus qui existent aujourd’hui, mais ceux qui ont existé en 1830 et 1831 ? Quand notre enquête aurait prouvé qu’en 1830 et 1831 il y a eu des irrégularités, croyez-vous que l’armée se portera mieux ? Voila pourtant la conséquence du raisonnement de ceux auxquels je réponds.

Je ne crois pas non plus à l’existence des inquiétudes dont on a parlé. Quant au fait signalé, que dans certaines garnisons, les soldats montrent de la répugnance à entrer dans les hôpitaux, cela ne doit pas nous surprendre. Partout le soldat montre de la répugnance à entrer dans les hôpitaux ; il y a pour cela plus d’une raison.

Le première, c’est que le soldat, en entrant à l’hôpital, est condamné à une diète absolue et que la diète n’est pas la chose qui lui convient le mieux.

La seconde, c’est que quand un soldat entre à l’hôpital, on lui supprime sa paie. Il en résulte que jamais les soldats n’entrent à l’hôpital qu’avec répugnance, ils ne s’y décident que quand leur état maladif est tel qu’ils ne peuvent faire autrement.

Mais on a avancé un autre fait qui ne serait pas moins grave s’il était vrai. On a dit que les officiers de santé eux-mêmes étaient honteux d’appartenir à ce service.

Messieurs comme cette allégation vient d’un honorable membre qui habite la ville de Bruges, je me permettrai de l’engager à consulter à cet égard le chef du service de santé dans la ville qu’il habite. Qu’il demande à cet officier s’il est honteux d’appartenir au service de santé.

M. Jullien. - Je n’ai pas dit que « les », mais « des » officiers de santé fussent honteux d’appartenir à ce service ; ce qui est bien différent.

M. de Brouckere. - Soit ; je vais répondre en ce qui concerne ces officiers du service de santé. Toujours est-il qu’il en est qui tiennent à honneur de faire partie de ce corps. Maintenant, s’il en est quelques-uns qui soient mécontents, la raison est facile à trouver. Il existe de l’animosité de la part de quelques officiers de santé contre leur chef. Voici l’origine de cette animosité : c’est l’institution des examens, c’est le retour aux anciens règlements, retour obtenu par le chef du service de santé. On conçoit que cette mesure a dû froisser quelques intérêts.

M. Jullien. - Eh bien, c’est de ceux-là que j’ai parlé.

M. de Brouckere. - C’est, sans doute, comme dit l’honorable membre, de ceux-là qu’il a voulu parler.

Avant de terminer, il me reste à répondre à un fait qui a été avancé par un honorable orateur, et qui mérite une attention toute spéciale, je veux parler de l’horrible fièvre qui a régné en 1831 dans l’armée et de la mortalité qui en a été la suite ; il semblerait que cette mortalité devrait être attribuée soit à la négligence des officiers de santé, soit à la mauvaise qualité des médicaments.

Je me permettrai de rappeler à ceux des membres de la chambre qui l’ont su, et d’apprendre à ceux qui ne le savaient pas, qu’après l’apparition de cette fièvre a été publiée une brochure remarquable due à la plume d’un de nos médecins les plus distingués (M. Fallot), brochure dans laquelle cet honorable médecin examine qu’elles ont été les causes de cette maladie, Ces causes les voici en peu de mots : C’est que depuis la révolution d’octobre les soldats ont toujours été tenus sur le qui-vive, c’est qu’ils ont continuellement été placés aux avant-postes, cantonnés dans des hameaux et des chaumières, ou bivouaqués dans les polders de la Flandre, le long du littoral de l’Escaut ou dans les marais de la Campine ; c’est que l’agression improviste et vive de l’armée ennemie, au mois d’août 1831, avait produit sur le moral des soldats une fâcheuse impression et semé un grand découragement ; c’est que, recomposée à la hâte, immédiatement après la fin de la courte et malheureuse campagne, l’armée fut réunie dans un camp au mois de septembre et soumise à une sévère discipline et à l’accomplissement de tous les actes qui pussent former son éducation et hâter son instruction militaire, et que ce camp ne fut levé que fort avant dans le mois lorsque déjà plusieurs mauvais jours avaient annoncé l’approche de l’hiver.

A cela il faut ajouter que l’armée était composée en presque totalité de jeunes soldats qui n’étaient pas habitué, aux fatigues. Il est à remarquer de plus que l’épidémie a frappé surtout sur deux régiments, le 6ème et le 8ème de ligne, qui avaient stationné dans les polders. C’est dans ces régiments qu’a eu lieu cette mortalité dont on a parlé.

Messieurs, il importe d’apprendre d’abord à ceux qui n’en ont pas l’idée, ce que c’est que la fièvre des polders. Qu’on se rappelle l’expédition de Chatam en 1809, lors du bombardement de Flessingue : on fut obligé de faire un appel aux gardes nationaux français qui furent éparpillés sur les deux rives de l’Escaut, dans la Flandre zélandaise. La mortalité fut telle parmi ces gardes nationaux que le gouvernement français fut forcé de les rappeler. Les troupes anglaises elles-mêmes éprouvèrent des pertes si immenses que presque toute la cavalerie, hommes et chevaux, succomba à cette horrible fièvre.

Ce que je viens de dire pourra vous être confirmé par plusieurs personnes qui sont connues de vous, et entre autres par l’honorable M. Baud, professeur à l’université de Louvain, qui servait alors à bord du Charlemagne.

Qu’on se rappelle encore la mortalité terrible qui régna parmi les prisonniers espagnols qui furent chargés de travailler aux fortifications de l’île de Walkeren et aux bassins d’Anvers. Enfin vous savez que pour rendre moins cruels les effets de cette maladie, le gouvernement vient dernièrement encore d’organiser un bataillon qu’on a appelé le bataillon de l’Escaut, qui a pour destination de séjourner sur les rives de l’Escaut et qui est composé d’hommes nés dans ce pays.

Je demanderai maintenant à ceux qui ont attribué la mortalité de 1831 à la sophistication de la quinine, si, en 1809 et plus tard ce fut la sophistication de la quinine qui occasionna la moralité que je viens de signaler.

M. A. Rodenbach. - Il n’en a pas été question à cette époque, car alors on ne connaissait pas le sulfate de quinine.

Plusieurs membres. - On ne connaissait pas la salicine.

M. de Brouckere. - On m’interrompt pour me dire qu’on ne connaissait pas la salicine.

M. A. Rodenbach. - Je n’ai pas dit cela.

M. de Brouckere. - J’en entendu dire autour de moi (et les honorable membres font un signe affirmatif) qu’on ne connaissait pas la salicine ; on ne connaissait pas non plus le sulfate de quinine. Eh bien, la mortalité était plus grande qu’aujourd’hui. Ce n’est donc pas, il faut le reconnaître, à la falsification des remèdes que l’on doit attribuer la mortalité qui règne dans ces climats. Il en a été toujours ainsi.

Ceux qui ne sont pas nés dans ces pays malsains résistent difficilement à l’influence du climat. Je le répète, il en a été ainsi à toutes les époques.

Mais enfin, puisqu’on m’a interrompu, je vais répondre d’une manière positive aux observations qui m’ont été faites.

On prétend que du sulfate de quinine sophistiqué aurait été administré à cette époque.

M. A. Rodenbach. - Je n’ai pas dit cela.

M. de Brouckere. - Aussi n’est-ce pas à l’honorable M. A. Rodenbach que je réponds. Je réponds à d’honorables orateurs qui ont prétendu que la mortalité doit être attribuée à la mauvaise qualité des médicaments.

Voyons donc si c’est véritablement à la sophistication du sulfate de quinine que l’on doit attribuer les fâcheux résultats qu’on a signalés, et qui, comme je l’ai dit, étaient produits par une horrible épidémie (la dysenterie), laquelle attaquait surtout les hommes qui avaient séjourné dans les polders.

La première observation que j’ai à faire, c’est que depuis le mois d’octobre 1830 jusqu’au 1er janvier 1832, il n’a pas été donné une seule once de sulfate de quinine à l’armée qui préalablement n’ait été soumise à l’examen d’un chimiste dont personne ne révoquera en doute la haute capacité, M. Van den Corput. C’est, je crois, un honorable ami de M. Dumortier.

M. Dumortier fait un signe affirmatif.

M. de Brouckere. - En bien, que l’on demande à M. Van den Corput s’il prend sur lui la responsabilité de tout le sulfate de quinine qui a été administré à cette époque.

La seconde observation (et celle-ci est plus positive), c’est que si je dois juger par la brochure dont je viens de parler, écrite non pas depuis les accusations dirigées contre le service de santé, mais en 1831, il n’a pas été administré un atome de sulfate de quinine dans toute 1’épidémie meurtrière de 1831. (en note de bas de page au Moniteur, on lit : On lit dans cette brochure, page 82, : « En un mot, partout où la méthode dite antiphlogistique n’a pas été employée, on n’a pas suffi à la guérison ; les fécules et les opiacés ont fait les frais du traitement. » » Je demande après cela (et je prie mes honorables interrupteurs d’y faire attention) comment le sulfate de quinine sophistiqué aurait pu produire une grande mortalité.

Un honorable membre a dit que des officiers de santé eux-mêmes ont déclaré que la mortalité qui a existé à cette époque était due en partie à la sophistication des médicaments.

J’ai fait à cet égard quelques recherches, et je suppose que cette allégation a été puisée dans un journal. Mais ce journal lui-même s’était appuyé sur un mémoire d’un officier de santé, M. Colson. J’ai parcouru ce mémoire ; je l’ai sous les yeux ; je n’y ai pas trouvé un mot de cela ; Au contraire le mémoire explique d’une tout autre manière la cause des maladies et de la mortalité.

Enfin, si des médicaments sophistiqués ont été fournis à cette époque, il doit en rester quelques preuves ; il y a des procès-verbaux dressés par les officiers de santé qui ont reçu les médicaments sophistiqués. Eh bien je suis convaincu qu’il n’existe aucune pièce (on peut à cet égard consulter les officiers de santé, ceux surtout qui sont si mécontents), pas un procès-verbal de cette époque d’où il résulterait que l’on a reçu de mauvais médicaments.

Je crois en avoir assez dit pour justifier mon opinion. Je n’ajouterai qu’une réflexion, et celle-ci a pour but de répondre au dernier argument qu’ont fait valoir les honorables membres qui avaient épuisé tous les autres. En résultat, a-t-on dit, il y ou un calomniateur ou un dilapidateur ; on fait ici allusion à deux officiers du service de santé ; un chef du service de santé et l’autre un de ses subordonnés ; et l’on veut que ce soit la chambre qui fasse une enquête à cet égard. Si une enquête de cette nature était faite, vous pouvez renoncer à tout espoir d’avoir de la discipline dans l’armée ; et comme de simples allégations ne sont pas de nature à vous contenter, je vous demanderai la permission de vous faire voir par un exemple récent comment on entend la discipline dans un pays voisin que nous prenons souvent pour modèle, quelquefois à tort, mais où nous ferons bien de prendre ce qui s’y trouvé de bon.

On trouve dans les journaux d’avant-hier :

« Le il français contient, dans sa partie officielle, le rapport suivant :

« Paris, le 9 mars 1837.

« Sire,

« Vingt-neuf officiers du 62ème régiment de ligne m’ont adressé directement, de Mers-el-Kebir, une protestation contre les passages du rapport et de la dépêche télégraphique de M. le maréchal Clausel, dans lesquels, en rendant compte de l’expédition de Constantine, il a fait connaître la part que des militaires de ce corps auraient eue à la destruction et au pillage d’un convoi de vivres.

« Indépendamment de cette faute, ces officiers en ont commis une autre plus grande encore, celle d’avoir adressé à différents journaux des copies de cette protestation.

« Il est de mon devoir de demander à votre majesté qu’une atteinte aussi grave à la discipline de l’armée soit sévèrement punie. Vingt de des officiers m’ont adressé depuis une lettre qui ne m’a point paru contenir une réparation satisfaisante. J’ai donc l’honneur de proposer à votre majesté, conformément à l’art. 6 de la loi du 19 mai 1834, de mettre en non-activité, par retrait d’emploi, d’abord, ceux de ces officiers, au nombre de neuf qui ont persisté dans leur protestation ; ensuite, soit qu’ils se trouvent ou non au nombre de ceux qui se sont rétractés, les deux plus anciens de chaque grade, qui, à ce titre, devaient donner l’exemple du respect pour la discipline, et sont, par cela même, plus répréhensibles d’y avoir manqué. Quant aux officiers qui ne sont compris ni dans l’un ni dans l’autre de ces cas, ils subiront, par voie de punition disciplinaire, soixante jours de prison.

« Votre majesté voudra bien remarquer que l’un des sous-lieutenants signataires de la protestation (M. Lescroux), nommé lieutenant le 31 décembre dernier, ignorait, lorsqu’il a signé, sa promotion à ce grade. J’ai pensé qu’il devait être compris dans les deux plus anciens sous-lieutenants.

« Si votre majesté approuve les propositions ci-dessus, les officiers à qui la mesure du retrait d’emploi serait appliquée sont :

« MM. Delavilléon, Dèche, Vicaire, capitaine ; Peyrelongne, Danet, Piclet, Laure, Renvoyé, lieutenant ; Lascroux, actuellement lieutenant, ayant signé comme sous-lieutenant porte-drapeau ; Chanonat, Eynard, de Bellot-Lehoussaye, Gay, sous-lieutenants.

« Le pair de France, ministre secrétaire d’Etat de la guerre, Bernard.

« Approuvé, Louis-Philippe. »

Et pour complément nous lisons dans les journaux d’hier :

« M. le colonel de la Rochelle, commandant le 45ème régiment d’infanterie de ligne, ayant, contrairement à la circulaire ministérielle du 17 juillet 1835, publié dans plusieurs journaux, en qualité d’ex-lieutenant-colonel du 62ème de ligne, un exposé de la conduite de ce corps, en réfutation du bulletin de M. le maréchal comte Clausel sur la campagne de Constantine, le ministre secrétaire d’Etat de la guerre lui a infligé, par décision du 9 mars courant, les arrêts de rigueur pour quinze jours. »

Enfin, et pour me résumer, je voterai contre l’enquête, parce que c’est un moyen extrême, dont je ne vois ni la nécessité, ni l’utilité.

Je voterai contre l’enquête, parce qu’elle serait contre le ministre de la guerre une preuve de défiance qu’il me semble ne pas mériter.

Je voterai contre l’enquête, parce qu’elle aurait ce mauvais résultat qu’elle détruirait (et ici je me sers des expressions de la section centrale) « l’harmonie et le bon accord si désirables dans tous les corps de l’armée et particulièrement dans celui à qui est confiée la santé des défenseurs de la patrie. »

Je voterai contre l’enquête, parce qu’elle saperait d’une manière désastreuse l’autorité et l’influence du ministre, qui doivent lui rester tout entières, pour qu’il puisse rentre au pays les services que le pays attend de lui.

Je voterai contre l’enquête, parce que ce serait un appel à tous les fonctionnaires mécontents, ou déçus dans leurs espérances, pour les engager à accuser leurs chefs.

Je voterai contre l’enquête, parce qu’à mes yeux elle détruirait la discipline dans l’armée, parce qu’elle serait une pomme de discorde, jetée dans toutes les administrations, entre tous les fonctionnaires.

Et, après avoir ainsi voté, quoi qu’on en ait dit, je rentrerai tranquille dans mes foyers, et je marcherai sans crainte et tête levée devant mes concitoyens, de quelque parti, de quelque opinion et de quelque classe qu’ils soient.

M. Gendebien. - Je voterai pour l’enquête, parce que je la crois utile, parce que je la crois nécessaire.

Je voterai pour l’enquête, parce qu’en tout état de cause, l’inquiétude est telle dans l’armée et dans la population (je ne dirai pas si cette inquiétude est fondée), qu’il faut une bonne fois qu’un grand acte national rétablisse la confiance, et j’ose le dire, il serait absurde que l’opinion d’un homme, fût-il ministre, prévalût à l’opinion, à l’influence de la chambre.

Mon honorable collègue du district de Mons vous disait : « Je ne suis pas de ceux qui accusent facilement les fonctionnaires publics. » Je l’en félicite, je partage son avis ; mais les conséquences que je tire de là et la seule conséquence logique qu’on puisse en tirer, c’est que nous devons nous abstenir d’accuser sans preuves, et que nous devons nous éclairer avant d’accuser ; eh bien, messieurs, c’est ce que veut la section centrale, c’est ce que je veux en appuyant l’enquête.

Si j’étais de ceux qui accusent facilement les fonctionnaires publics, je voterais contre l’enquête, parce que je la considérerais comme inutile ; je n’hésiterais pas à dire que comme homme, j’ai la conviction que les plus grands abus existent ou ont existé dans le service de santé ; si l’on ne parvient pas à réhabiliter le service de santé, je n’hésiterais pas à dire qu’il fait au besoin licencier ce corps, le recomposer à neuf, parce qu’ayant bien ou mal agi, il suffit qu’il n’ait plus la confiance de l’armée.

Mais je ne suis pas de ceux qui accusent facilement les fonctionnaires publics, aussi je demande l’enquête et n’accuse personne.

Mais c’est précisément là ce qu’on ne veut pas. Le pouvoir exécutif ne veut pas l’exercice du droit d’enquête. En présence de l’article 40 de la constitution, il n’ose pas nous le contester ; mais toutes les fois que nous avons voulu en user, il y a mis mille entraves. En commençant cette discussion, le ministère a reconnu notre droit ; cependant qu’est-il arrivé ? C’est que tournant la question on vous a prouvé qu’il était impossible de faire cette enquête, qu’elle était impossible dans la forme, qu’elle serait stérile dans ses résultats.

Un honorable orateur sans oser attaquer directement le droit d’enquête, l’a contesté au moyen d’une distinction entre l’enquête administrative et l’enquête politique.

Je demanderai si l’article 40 admet une distinction quelconque ? Voici son texte aussi énergique que concis : « Chaque chambre a le droit d’enquête. »

Mais, vous a dit ce membre, vous allez faire une enquête politique et militaire.

En termes de droit, je lui réponds : Que vous importe, ce droit nous l’avons. En fait, je lui demanderai ce qu’il entend par enquête politique ? Franchement je ne vois rien de bien politique dans l’enquête, c’et là un mot vide de sens. Mais moi je répondrai à cet honorable membre qu’il serait impolitique de ne pas faire une enquête ; et dans ce sens le mot a une valeur que tout le monde comprendra.

Depuis quelque temps tout le monde s’occupe du service de santé. Il a bien peu de souteneurs et beaucoup de contradicteurs ; aujourd’hui de tous les organes de la presse il n’en est que deux qui n’attaquent pas le service de santé ; depuis plusieurs jours chaque personne que je rencontre me demande : Quand donc discuterez-vous le service de santé, quand en finirez-vous de ses abus ? Il serait donc politique de faire une enquête.

Mais, dit-on, cette enquête va jeter la perturbation dans l’armée ; elle donnera créance à des accusations qui jusqu’ici n’ont aucune consistance. Je ne sais pas si l’intérêt que nous portons au soldat ne sera pas de nature au contraire à le tranquilliser. Je ne sais si une enquête de la part de la chambre pourrait donner plus d’importance aux faits révélés par la presse, que cette insistance de la part de la presse elle-même ; mais ce que je sais, ce dont je suis profondément convaincu, c’est qu’il faut, à tout prix, faire cesser l’état de choses actuel et qu’il est impossible de rétablir la confiance sans recourir à un moyen énergique. Mais, vous a dit M. Lebeau, vous voulez faire une enquête, et vous n’êtes saisis d’aucune plainte, aucune pétition n’est déposée sur le bureau.

Nous ne sommes saisis d’aucune plainte ; pourquoi ? Le dernier orateur vous a fait entendre le châtiment qui attendrait les officiers qui porteraient une plainte à la chambre : ils seraient privés des fruits d’une longue et pénible carrière.

Il n’est donc pas étonnant que nous n’ayons pas de plainte. Vous n’avez pas de pétition par la même raison que vous n’avez pas de plainte.

Veuillez remarquer que sous le roi Guillaume, lorsqu’on présenta d’abord quelques griefs, et que les journaux insistèrent pour en demander le redressement, que disait le van Maanen de cette époque ? il vous disait : Il n’y a pas de pétition ; ce sont quelques cerveaux faibles, quelques hommes isolés qui crient dans les journaux ; il vous disait : Il n’y a que cinq ou six jeunes gens qui seuls dirigent la presse, et dont le cerveau est exalté. On vous dit la même chose aujourd’hui.

On a été même plus loin ; car on a dit que tout le bruit était causé par un seul homme. Toutefois qu’est-il arrivé au roi Guillaume ? C’est qu’après avoir dénié les plaintes et provoqué les pétitions, le gouvernement en fut écarté quelque temps après les avoir provoquées. Voulez-vous obtenir le même résultat ? persistez à agir comme le roi Guillaume. Et lorsqu’après avoir provoqué les pétitions, comment en supporterez-vous la responsabilité quand le ministre destituera les uns et jettera les autres en prison, pour avoir fait précisément ce que vous semblez les confier à faire ?

Il n’y a pas de plainte déposée sur le bureau de la chambre ; mais chacun de nous peut avoir l’occasion de voir des militaires ; eh bien depuis le soldat jusqu’au général de division, tous vous diront qu’ils n’ont pas confiance dans le service des pharmacies ; que tout en supportant la retenue de un et demi p. c. sur les traitements, ce qui est considérable pour un général, aucun officier ne fait usage des médicaments ; que les officiers de santé eux-mêmes ne conseillent pas d’en faire usage : charpie pourrie, linge malpropre, sangsues qui ont déjà fonctionné, remèdes falsifiés. Voilà ce que fournit l’administration du service de santé.

Un sous-lieutenant, un lieutenant qui subit une retenue sur son traitement pour les médicaments, ne les refusera pas par caprice ; il n’a rien de trop, sa paie est presque toujours insuffisante ; eh bien, je pourrais citer tel lieutenant qui paie constamment la retenue de un et demi pour cent et qui a préféré dépenser 94 fr. en dix jours plutôt que d’envoyer chercher des médicaments à la pharmacie militaire. Je pourrais citer des noms propres, même un général de division, qui a fait demander des médicaments dans un hôpital militaire et qui n’a pas pu en faire usage. On savait cependant à l’hôpital militaire à qui étaient destinés ces médicaments. Le général ne se plaindra pas ; à plus forte raison le lieutenant et le soldat. Ainsi si vous vous obstinez à attendre des plaintes officielles, vous resterez dans un cercle vicieux jusqu’à ce que l’excès du mal amène le remède.

On vous a dit que l’enquête était un moyen extrême ; c’est, vous a-t-on dit, l’ultime ratio de la chambre ; il ne faut y recourir qu’autant que tous les autres moyens seront impraticables.

J’avais toujours pense que l’ultima ratio de la chambre était l’accusation des ministres ou le refus du budget, ou de quelques articles du budget ; voilà le moyen extrême auquel il ne faut recourir que lorsqu’on a épuisé les autres moyens. Mais la chambre demande simplement à s’éclairer ; et comment cherche-t-elle la lumière ? Par les moyens auxquels vous avez vous-même eu recours, une enquête. Dans quelles circonstances fait-elle cette demande ? Lorsque la presse tout entière, excepté deux de ses organes, retentit chaque jour d’accusations multipliées et des plus graves ; lorsque d’honorables citoyens, qui n’ont pas attendu la révolution pour attaquer les abus, qui ont eu la hardiesse d’écrire auparavant et dont l’un d’eux a été banni sous l’ancien gouvernement, victime de ses convictions ; lorsque ces citoyens écrivent pour accuser le chef du service de santé, M. le ministre fait la moue ; mais cet homme n’a changé ni de position ni de langage depuis la révolution, et j’ai droit d’avoir confiance en lui. Cet homme, convaincu autant que désintéressé, a voulu, après comme avant la révolution, affronter tous les dangers pour extirper les abus et faire triompher la vérité ; heureusement, il a trouvé en Belgique un jury qui n’existait pas avant la révolution ; il a été absous, a obtenu ce qu’il ne recherchait pas : des ovations.

La question était tellement posée au jury qu’il n’y avait pas à reculer pour aucun des deux champions : c’était pour tous deux une question de vie ou de mort. Le procureur du roi avait dit au jury : il y a ici un calomniateur ou un prévaricateur. Le chef du service de santé avait accepté le dilemme ; vous connaissez tous le jugement.

Eh bien, ce même honorable citoyen écrit tous les jours, tous les jours il formule de nouvelles accusations, tous les jours il provoque le chef du service sanitaire de le poursuivre en calomnie ; il ne l’attaque pas dans l’ombre, il l’attaque à face ouverte, c’est ce que n’a pas toujours fait le chef du service de santé.

Douze honorables citoyens qui n’ont pas attendu la révolution, pour attaquer les abus et pour dire la vérité, et qui braveront pour la dire toutes les chances de procédures s’il le faut, provoquent incessamment le chef du service de santé de les traduire en justice, et le provoquent en posant le même dilemme que le chef du parquet de Namur a posé au jury : « Ou vous êtes un prévaricateur, ou nous sommes des calomniateurs. »…

Quand le chef d’une administration, surtout d’une administration toute de confiance, se trouve placé dans une telle alternative, je vous demande si l’opinion d’un seul homme, quelque estime qu’il mérite d’ailleurs personnellement, peut rétablir la confiance ?

Et comment veut-il que nous prononcions, que nous accordions un vote de confiance, quand toutes les confiances sont ébranlées, et quand nous n’avons pour garantie de la sécurité que doit avoir le soldat, que sa conviction personnelle, conviction fondée sur des éléments qu’il nous cache et qu’on avait cependant annoncé officiellement avec grand fracas, comme devant jeter la lumière sur cette ténébreuse affaire ; car, messieurs, veuillez-vous rappeler que l’enquête a été mise à l’ordre du jour de toute la nation par le Moniteur, et que les ministre ont invoqué, lors de la discussion de notre réponse au discours du trône, les résultats prochains de cette enquête pour nous clore la bouche et éviter les explications qui ont été provoquées dès cette époque, par plusieurs honorables membres de cette assemblée.

Aujourd’hui on nous cache cette enquête qu’on nous faisait entrevoir, il y a trois mois, comme un élément indispensable à toute discussion.

Eh bien, messieurs, je suppose maintenant que cette circonstance disparaisse ; je demande s’il peut entrer dans la tête d’un homme raisonnable la prétention d’être seul infaillible, et de ne pouvoir subir un contrôle sans déshonneur ? Je demande à l’honorable M. Willmar pourquoi je ne pourrais pas faire ici usage de mon jugement comme lui ? pourquoi je ne serais pas cru sur parole tout comme lui ? Je crois avoir quelques années de plus que lui, et je crois que ma vie a été tout aussi occupée, tout aussi laborieuse que la sienne ; je ne sais pas pourquoi l’on ne m’accorderait pas la même confiance. Eh bien, messieurs, je n’hésite pas à le dire, je considérerais comme une absurdité de ma part une semblable exigence. Permettez-moi de me citer en preuve de ce que j’avance.

Messieurs, sous le congrès une espèce d’émoi (car je crois qu’on ne peut pas donner le nom d’émeute au petit différent qui s’était élevé entre quelques hommes ou plutôt quelques femmes du peuple et les saint-simoniens), un petit différent s’était élevé sur la question de savoir si les saint-simoniens feraient leurs prédications ou ne les feraient pas, et le peuple s’était opposé à ces prédications ; le lendemain, au congrès, il y eut de vives attaques contre le gouvernement provisoire et surtout contre le ministère de la justice, que je représentais alors, comme chef du comité de justice. Les attaqués étaient lancées et soutenues avec fureur précisément par les mêmes hommes qui font aujourd’hui, au profit du pouvoir, bon marché des prérogatives de la chambre. Ma réponse à toutes ces attaques, tout au moins prématurées, fut franche et nette : je déclarai qu’ayant appris le matin les désordres de la veille, j’avais ordonné à M. Plaisant, chargé alors de la police, de faire immédiatement un rapport sur ce qui s’était passé. J’annonçai que si on avait mis des entraves à la liberté des prédications saint-simoniens, les coupables seraient punis. Aussitôt les mêmes hommes dont je parlais tout à l’heure demandent communication du rapport.

Croyez-vous, messieurs, que je m’y suis opposé le moins du monde ? Non, messieurs ; cependant j’avais aussi ma dose d’amour-propre et ma dignité d’homme à conserver ; j’aurais pu parler aussi de confiance, car il me semble que j’avais donné assez de gages au pays pour inspirer quelque confiance ; j’aurais pu dire aussi, et avec plus de justice qu’on le dit aujourd’hui : « Mais, messieurs, c’est un rapport purement confidentiel, c’est un rapport de police. » Eh bien, messieurs, je n’ai rien dit de tout cela, j’ai dit au contraire que j’étais charmé qu’on me fournît l’occasion de prouver toute la franchise du gouvernement, je donnai des ordres à M. Plaisant, et il vint une demi-heure après lire son rapport au congrès, avant de me l’avoir communiqué. Voilà, messieurs, comment agit un gouvernement de publicité, de confiance : il faut en Belgique vérité et confiance avant tout ; l’amour-propre se satisfait après, s’il est possible ; avant tout sécurité et confiance, et point de sécurité, point de confiance sans publicité.

Je ne parlerai plus, messieurs, de ce rapport promis si solennellement, puis refusé si malencontreusement ; car on a fait tant de chemin depuis le congrès qu’on ne peut aujourd’hui administrer en plein jour ; le mystère est devenu nécessaire à bien des actes du gouvernement ; mais du moment que nous sommes privés d’un moyen de conviction qui a concouru à donner au ministre celle qu’il a déclarée définitivement arrêtée chez lui, je demande comment il peut s’opposer à ce que nous usions d’un moyen dont il a usé lui-même ? Il a administrativement, en raison de ses fonctions, le droit d’enquête, de demander des renseignements ; mais en vertu de l’art. 40 de la constitution, nous avons aussi ce droit ; nous avons aussi le droit d’informer, de nous éclairer ; eh bien, puisque les éléments de conviction nous manquent, de quel droit le ministre s’oppose-t-il à ce que nous usions de notre droit constitutionnel pour nous les procurer ? Je le demande, M. le ministre, en conscience, est-il raisonnable de s’y opposer ?

« Mais, dit-on, l’enquête va livrer à la merci de ceux qui la feront, tous les employés de toutes les administrations ; il y aura une perturbation non seulement dans toutes les branches de l’administration civile, mais surtout dans la hiérarchie militaire, car c’est une enquête militaire qu’on veut faire. » Mais je demanderai à mon tour aux honorables collègues et aux soi- disant défenseurs du ministre qui se sont permis ces observations, si nos susceptibilités ne sont pas plus ou moins froissées par de semblables allégations. Je demanderai au ministre si nous n’avons pas bien aussi le droit de croire que nous sommes digues de quelque confiance. Comment, vous ne souffrez pas notre investigation, parce que vous dites qu’elle témoigne de la défiance pour votre opinion ; vous en faites une question d’amour-propre, une question d’honneur, et lorsque nous voulons user de notre droit, vous nous opposez que nous pourrions en abuser ! De quel côté est ici l’injure ? de quel côté est ici la prérogative méconnue et qu’on veut violer ? N’est-ce pas évidemment à la nôtre qu’on porte atteinte ?

En admettant les prétentions du ministre, il n’y aurait pas de raison pour que chaque fois qu’il nous aurait présenté un projet de loi, son budget, il ne refusa toutes les communications quelconques en nous disant : « Ou vous avez confiance en moi, ou vous n’en avez pas ; si j’ai votre confiance, toute demande de renseignements ultérieurs est inutile, elle me blesse ; si je n’ai pas votre confiance, je dois me retirer ; par conséquent, si vous insistez dans votre demande de renseignements ultérieurs, j’en fais une question de portefeuille, je me retire. » Et pour peu, messieurs, que cette retraite entre dans quelque combinaison de coterie, ou que des hommes amis on avides du pouvoir veuillent saisir l’occasion de s’en emparer, d’autres viendront dire : « Ce n’est pas seulement une question de portefeuille, c’est une question de cabinet. »

M. Lebeau. - Je demande la parole.

M. Gendebien. - Je le demande, messieurs, que devient la chambre ainsi placée entre l’accomplissement de ses devoirs et la retraite d’un ministre, ou de tout le ministère ? Il faudra donc que pour éviter de perpétuelles perturbations, la chambre adopte toujours les propositions ministérielles, sans les examiner, et quand elle voudra des renseignements, il faudra qu’elle s’informe respectueusement ou qu’elle fasse informer par une ambassade si les questions qu’elle se propose d’adresser au ministre ne blesseront point ses susceptibilités ; moyennant ces précautions, nous aurons les rapports les plus faciles, les plus fréquents et les plus libres avec les ministres. Veuillez me dire, sous le rapport de l’honneur et des susceptibilités ministérielles, quelle différence il y a entre la demande d’informer par une enquête et la demande de renseignements de pièces, de documents quelconques ? Dans tout cela la seule différence, c’est le mot enquête, et pourquoi attache-t-on une différence, une si grande importance à ce mot ? parce que le pouvoir exécutif ne veut pas d’enquête ; le ministère n’ose pas vous le dire ; il n’oserait et il n’a jamais osé contester le droit d’enquête ; mais de mille manières on l’entrave et on empêche la chambre de l’exercer. C’est ainsi que lorsqu’une enquête était demandée sur les désastres au mois d’août 1831, on n’osa pas contester le droit d’enquête, mais on souleva tant de difficultés qu’on força la chambre à renoncer à l’exercer dans cette circonstance, où elle était de la plus grande importance pour le pays et pour l’armée

Aujourd’hui on vous reproche de vouloir porter atteinte à l’honneur du ministre, de vouloir lui donner une marque de défiance, de vouloir jeter la perturbation dans toutes les administrations et dans l’armée ; alors, messieurs, en 1831 on tenait le même langage ; on allait plus loin ; on disait : « Vous jetez la perturbation dans toute l’armée au moment où on l’organise ; vous allez jeter le blâme et le déshonneur sur l’armée », et les hommes qui, pour éviter l’enquête, adressaient ces reproches aux membres de la chambre qui la voulaient pour justifier l’armée, sont venus nous dire plus tard que le Roi avait été abandonné par tout le monde, même par son état-major ; eh bien, je le demande, messieurs, je le demande particulièrement à l’honorable M. Willmar, qui, je crois, était plus ou moins attaché à la personne du Roi, s’il ne lui eût pas été agréable qu’une enquête fut venue bien et dûment constaté qu’il n’y avait dans nos désastres ni de la faute de l’armée ni de la faute des officiers attachés au Roi ? Que ne pourra-t-il pas dire plus tard au service de santé si nous ne faisions pas d’enquête ? Quelle ne sera pas notre responsabilité lorsque, par suite de la défiance toujours croissante, il y aura une véritable perturbation dans l’armée ? Si, ce qu’à Dieu ne plaise, cet événement se réalise, on accusera la chambre de faiblesse, on dira que sa responsabilité est engagée autant que celle du gouvernement puisqu’elle a partage son erreur et qu’elle a refusé d’user de son droit d’enquête.

Messieurs, que la chambre se rassure, que les fonctionnaires publics se rassurent, il n’y aura de perturbation ni dans l’administration ni dans l’armée ; « mais lorsque des officiers, des soldats ou des employés seront appelés, ils viendront ou ils ne viendront pas ; s’ils viennent, a-t-on dit, ils seront punis par leurs chef ; s’ils ne viennent pas, il y aura un conflit entre le ministre et la chambre, ainsi voilà une perturbation. »

Sans doute messieurs, cette perturbation peut arriver, mais je le demande, un ministre quelque susceptible qu’il fût, oserait-il bien se mettre ainsi en opposition avec la chambre si elle ordonnait une enquête ? Je voudrais bien savoir de quel front un ministre donnerait à ses subordonnés l’ordre de ne pas comparaître ? Si un pareil fait restait impuni devant les chambres, je dirais que les chambres sont déshonorées, sont impuissantes, qu’elles doivent se retirer, que mieux vaudrait laisser le pouvoir gérer et administrer sous sa seule responsabilité, qu’il n’y a plus de pouvoir législatif, qu’il ne serait plus qu’un ridicule plastron pour garantir le gouvernement des reproches de l’opinion publique. Nous ne devons donc pas craindre, messieurs, ce conflit entre le ministre et la chambre, d’abord parce que je crois que les membres de la chambre sont aussi raisonnables que le ministre, et j aime à croire le ministre aussi raisonnable que la chambre, et qu’entre gens raisonnable des conflits, et surtout des conflits de cette nature ne surgissent pas.

« Il y aura une perturbation dans l’armée et cela, dit-on, au moment où vous venez de voter les fonds nécessaires pour la compléter ; un vote neutralisera l’autre. » Mais, messieurs, combien d’officiers serait-il nécessaire d’entendre ? Sera-t-il même nécessaire d’en entendre un ? Dans tous les cas, il me semble, messieurs, que si l’on avait des dépositions bien catégoriques de huit ou dix officiers, ce serait tout ce qu’il faudrait, le reste pourrait se compléter administrativement.

Je crois, messieurs, que pour avoir des dépositions suffisantes, il ne faudrait pas faire faire une étape à un officier, ni à un soldat, on trouverait dans la garnison de cette ville seule assez d’hommes pour faire des révélations sur les abus du service de santé.

Ainsi messieurs, il n’y a pas de perturbation à craindre, ni sous le rapport de la discipline et de la hiérarchie militaire, ni sous le rapport des conflits entre le ministre et la chambre.

On a dit, messieurs, que d’honorables collègues qui ont parlé avant moi, s’étaient permis beaucoup de déclamations, qu’on avait épuisé tout ce que la langue française a de plus fort, presque de plus injurieux…

M. de Brouckere. - Je n’ai pas dit cela.

M. Gendebien, reprenant. - Si vous ne l’avez pas dit en termes formels, du moins il m a paru qu’une semblable interprétation devait être donnée à l’ensemble de vos paroles. Je suis charmé au surplus d’apprendre que telle n’a pas été votre intention.

On se plaint, messieurs, du vague dans les assertions et du défaut d’accusations. Mais si nous voulions porter une accusation, nous ne demanderions pas l’enquête ; c’est précisément pour éviter une discussion prématurée, pour éviter des accusations peut-être téméraires, accusations qui, si elles étaient posées avant l’enquête, jetteraient une véritable perturbation dans l’armée, c’est pour ces motifs, dis-je, qu’on n’allègue pas de fait. Non que les faits nous manquent, nous en connaissons, mais nous ne voulons pas les révéler non pas précisément que nous craignions de nous poser accusateurs, rôle devant lequel nous ne reculerions pas si le bien du pays l’exigeait, mais uniquement parce que la révélation actuelle de ces faits à la tribune serait véritablement l’ultime ratio de la chambre.

Ainsi donc se trouve justifiée l’absence de plaintes, de pétitions ; ainsi se trouve encore justifié le prudent silence des honorables membres qui ont parlé avant le préopinant.

Messieurs, je ne dirai plus grand-chose sur la question, car il me semble que la matière est épuisée ; mais je finirai en invitant le ministre à bien peser la position qu’il vient de prendre ; il est bon qu’il l’envisage sous tous les rapports.

On a dit, à l’époque où le ministre est entré aux affaires, qu’il avait accepté le pouvoir malgré lui, et pour ma part je le crois facilement connaissant la position où se trouvait M. Willmar ; oui, il n’est pas entré au ministère de son plein gré, ou au moins par goût ou par ambition.

Eh, bien, prenez-y garde, M. Willmar, on pourrait peut-être un jour vous accuser d’avoir été trop avide de saisir l’occasion de vous débarrasser d’un fardeau qui vous pesait. Prenez garde, M. Willmar, d’avoir été poussé à votre insu au dilemme que vous avez imprudemment posé à la chambre. Il est des hommes qui désirent vous voir rester au pouvoir, mais il en est d’autres que vous gênez et qui désirent peut-être vous voir sortir du ministère.

Je suis moi, complètement désintéressé dans l’une ou l’autre question ; je n’ai aucun intérêt à ce que M. Willmar reste ou ne reste pas au ministère. Aussi ai-je le droit de le prier de prendre en mûre considération les dernières observations que j’ai à faire, elles sont le résultat de la conviction d’un loyal député qui ne veut que le bien et qui n’a aucune espèce d’intérêt à désirer le mal ou à le voir perpétué.

Eh, bien dans la position où M. Willmar est placé, je dirai que, selon moi, il est de son honneur de revenir du faux pas qu’il fait ou qu’on lui a fait faire ; je désire que M. Willmar évite le reproche d’avoir saisi trop avidement l’occasion de déposer un fardeau dont il s’était chargé malgré lui ou contre son gré. Maintenant, sous le rapport des conséquences de l’enquête, je ne répèterai pas qu’elle n’en peut avoir aucune pour le ministre de la guerre personnellement. Mais ne pourra-t-on pas dire qu’il avait intérêt à combattre l’enquête pour avoir un prétexte de se retirer des affaires ? S’il est vrai, ainsi qu’il l’a dit, qu’il ne voulait qu’être éclairé, je vous demande s’il n’y a pas lieu pour lui à faire de mûres réflexions avant de repousser l’enquête qui ne tend qu’à ce but. Ne tirera-t-on pas un jour parti contre lui de cette contradiction, et lorsqu’un adversaire qui, je pense, peut aussi passer pour homme d’honneur et a droit d’être cru sur parole comme lui, lui déclare qu’il ne veut aussi qu’être éclairé, qu’elle sera votre position, M. Willmar, après le refus d’enquête ?

Qu’arrivera-t-il si l’enquête est repoussée ? On ne manquera pas de dire que M. le ministre de la guerre a abusé de l’influence qu’il avait acquise spontanément sur la chambre, pour couvrir d’anciens abus, pour couvrir de son égide d’anciens fonctionnaires. Vous allez devenir le complice de ces abus, de ces anciens fonctionnaires.

L’enquête, vous a dit le ministre, ne satisfera pas, parce que ceux qui crient aujourd’hui, crieront encore après l’enquête, si l’enquête ne satisfait leurs passions.

Je n’admets pas cette supposition ; mais, en l’admettant même, je demanderai au ministre de la guerre si, après qu’il aura fait rejeter l’enquête, ceux qui crient aujourd’hui, ne redoubleront pas leurs clameurs ; ils feront plus, ils accuseront alors le ministre personnellement, ils l’attaqueront comme ayant assumé sur lui la responsabilité de tous les griefs ; ils lui reprocheront d’avoir fui la lumière, tout en ayant eu l’air de la rechercher. Quelle sera alors votre position M. Willmar ? Vous l’aurez compromise, sans avoir justifié le service de santé.

Examinez la question sous toutes ses faces, et vous arriverez toujours en définitive à ce point :

L’administration du service de santé est blanche comme neige ou elle est coupable ; mais c’est au point qu’il est indispensable de vérifier et de démontrer.

Dans l’état actuel des choses, l’opinion générale est tellement convaincue que cette administration est coupable, que tout ce que vous pourrez faire en dehors d’une enquête ne fera pas changer cette opinion. Surtout ne croyez pas, messieurs, que c’est en bravant cette opinion qu’on la fera changer : on n’a jamais rien gagné à la braver.

On a cité des exemples, pour décliner et mémé accuser cette opinion générale. On vous a dit que c’est l’opinion publique égarée qui a amené l’assassinat d’un brave militaire. On a sans doute fait allusion au malheureux événement de Louvain. Quoi, c’est l’opinion... Est-ce ainsi qu’on méconnaît, qu’on travestit la reine du monde ? L’opinion publique, messieurs, n’a en aucune façon contribué à l’assassinat qu’on vient de rappeler, Voici ce qui s’est passé à Louvain. L’infortuné commandant, après avoir invité le peuple à venir s’assurer qu’il n’y avait pas d’armes dans la caserne ainsi qu’il l’avait affirmé, a donné l’ordre de tirer sur ce même peuple qui venait en bon ordre pour vérifier le fait. On considéra cet acte de barbarie comme une trahison. Dix-huit hommes tombèrent morts. Gaillard partit, mais il fut repris quelques jours après et ramené malheureusement à Louvain. On l’assassina, il est vrai, mais ce ne fut pas là une affaire d’opinion, mais de fureur instantanée causée par le souvenir du sang des malheureux qui avaient succombé déloyalement sous les armes des soldats du major. Qu’on n’accuse donc pas l’opinion publique d’avoir mis le fer à la main des assassins de ce malheureux militaire.

C’est l’opinion publique, a-t-on dit encore, qui a amené les massacres dans les rues de Paris, lors du choléra. Le bruit s’était accrédité que les fontaines avaient été empoisonnées ; l’opinion aurait été jusqu’à désigner les hommes qui les avaient empoisonnées, et plusieurs de ces malheureux ont été assassinés.

Encore une fois, messieurs, n’est-ce pas travestir l’opinion d’une manière peu digne que de la traduire ainsi ? Quoi ! une rumeur populaire dans un quartier, dans une rue, constitue l’opinion publique !... Ah si c’est de cette opinion que vous entendez parler, je n’en veux pas plus que vous pour guide ; j’ai toujours su et je saurais toujours la braver. Mais, je le répète, c’est travestir indignement l’opinion publique que de la ravaler aussi bas ; c’est la chercher dans les égouts.

Lorsque j’ai parlé de l’opinion publique, j’ai entendu désigner ses organes naturels et légitimes, et j’ai dit que parmi ces organes légitimes on devait compter sur tous les journaux. J’ai dit que le service de santé était en butte aux attaques de tous les journaux, si l’on en excepte deux, dont l’un passe pour avoir reproduit autrefois les pensées ministérielles, et pour ne plus reproduire aujourd’hui que celles d’une coterie ou d’une camarilla ; et dont l’autre passe encore pour être l’organe du ministère, ou au moins d’une partie du ministère. Ce sont là les deux seuls journaux qui ont pris fait et cause pour les abus du service de santé.

Permis à chacun, interprétant l’opinion publique, de ne pas peser les journaux, de ne pas scruter le degré d’indépendance dont ils jouissent, et de tenir peu de compte du désintéressement des uns et de la dépendance des autres.

Mais je dis que je suis en droit d’invoquer l’opinion du plus grand nombre. Que chacun de vous consulte ses renseignements personnels, consulte sa conscience intime, il sera convaincu qu’il est impossible qu’il n’y ait point d’abus ou tout au moins, veuillez le remarquer, qu’il est impossible de ne pas porter ses investigations sur des abus dénoncés, afin de constater s’ils existent ou s’ils n’existent pas. C’est ce que nous demandons, c’est ce que demande la section centrale dont on a, je ne sais pourquoi, critiqué si amèrement la conclusion.

La voici cette conclusion :

« Nous avons donc l’honneur de vous proposer la nomination d’une commission d’enquête chargée d’examiner s’il existe des abus dans le service de santé de l’armée, et en cas qu’il en existe, de vous faire connaître quels sont ces abus. En conséquence il sera nommé à la majorité absolue des suffrages une commission composée de sept membres chargée de rechercher les abus allégués et d’en faire rapport à la chambre. »

Je vous demande s’il est possible d’imaginer une conclusion plus modérée, plus prudente, plus rationnelle, s’il est possible d’imaginer une conclusion moins, je ne dirai pas insultante pour qui que ce soit, mais qui soit de nature à agacer l’irascibilité de nerfs du ministre le plus susceptible ? La section centrale juge qu’il y a utilité de rechercher s’il existe des abus, voila une bien grande témérité !

Je vous demande si cette conclusion est hostile au ministre actuel ? Non, sans doute, il le reconnaît lui-même. Je vous demande si elle est hostile au ministre précédent ou à l’administration de santé elle-même, ou à l’un de ses membres ? Je vous demande maintenant si des investigations sur de pareilles conclusions sont de nature à perpétuer la défiance de l’armée, alors surtout qu’on met en doute l’existence même de ces abus dont on veut, seulement pour rassurer l’armée, faire une vérification.

On a parlé de l’honneur de la probité, de la loyauté du service de santé, et particulièrement de son chef. Je n’ai pas à répondre à une pareille allégation. Je dirai seulement qu’elle est fort imprudente. Je ne veux faire le procès à personne, mais je déclare que si j’avais le malheur de me trouver dans la position où se trouve le chef du service de santé de l’armée, il n’y aurait pas de supérieur qui pût m’empêcher, si je me sentais innocent, d’exiger une enquête, de l’exiger complète, entière, la plus sévère possible, et bon gré mal gré, je me constituerais le prisonnier et le justiciable de la haute cour. Je crois donc qu’en demandant l’enquête, je défends mieux l’honneur de ce fonctionnaire que ceux qui la déclinent, car ils ont beau vanter la vertu de leur client, ils auront beau dire que l’enquête est inutile, ils trouveront dans le monde beaucoup d’incrédules et beaucoup de personnes qui répondront : Nous pensons qu’elle était nécessaire ; nous croyons que vous avez éludé l’enquête, parce que vous saviez qu’il y avait des abus dont il est bon d’éviter la révélation. Quand on a la conscience pure, on n’évite pas la lumière. C’est une idée qui arrivera naturellement a beaucoup de monde, et si comme le disait le préopinant, on s’acharne contre un fonctionnaire à raison de la rapidité avec laquelle il est arrive au faîte, je vous demande, s’il est vrai qu’on juge avec cette prévention les fonctionnaires publics, ce qu’on dira du service de santé et surtout du chef supérieur ? On ne se bornera pas à dire qu’il s’est refusé à l’enquête que nous demandons pour sa justification autant que pour réprimer les abus, ce qui serait déjà un stigmate ; mais on ajoutera que les abus sont tels qu’on a craint que leur révélation ne produisît une perturbation dans l’armée.

C’est vous qui assassinez M. Vleminckx, vous l’assassinez cruellement en vous opposant à l’examen de sa conduite et de son administration. Il ne se relèvera jamais si son supérieur ne se réunit pas à la section centrale pour demander que la conduite de ce fonctionnaire soit examinée. Je suis persuadé qu’il demande lui-même cette enquête ; s’il ne la demandait pas, je dirais que c’est le dernier des hommes,

Déjà il a été mis dans la nécessité de le faire, je dis nécessité, car pour un homme d’honneur c’en était une ; on lui répétait sans cesse : Traduisez-nous devant le jury, car, entre nous deux, il y a un prévaricateur ou un calomniateur. Quand un fonctionnaire public supérieur est constamment dans cette alternative, posée surtout par des hommes honorables et désintéressés, je demande quelle est sa position ?

De deux choses l’une : Il faut qu’il accepte les conséquences de cette alternative déjà décidée par le jury, ou il faut qu’il accepte l’enquête ; sans cela vous avez beau faire, vous ne le sauverez pas, vous l’assassinez et vous perpétuez des inquiétudes qui ne sont pas d’hier, mais qui existent déjà depuis trop longtemps pour disparaître par ordre d’un ministre.

Voilà ce que j’avais à dire. Je ne pensais pas être aussi long. Il est impossible de ne pas être emporté plus loin qu’on ne veut. La chaleur et même la véhémence sont excusables quand il s’agit du salut de l’armée et de l’honneur de tout un corps, qui devrait être le plus respectable et le plus respecté de l’armée.

M. Lebeau. - Messieurs, c’est toujours avec un extrême regret que je demande la parole pour des faits personnels, et ce regret s’augmente en raison de la gravité de la discussion ; il m’est pénible de détourner sur d’aussi minces intérêts une attention que je vaudrais voir concentrée tout entière sur le grave débat soumis à vos lumières. Mais, sans être nommé par l’honorable préopinant, j’ai été à deux reprises si clairement désigné, qu’il m’est impossible de ne pas contredire comme fait personnel ce qui a été avancé par lui.

J’aurais, à ce qu’il paraît, dans un esprit d’ambition, contribué à raffermir le ministre de la guerre dans la résolution annoncée par lui, dès l’ouverture de ces débats, de faire de la question d’enquête une question de portefeuilles ; j’aurais renforcé cette conséquence du conseil donné au cabinet entier de s’associer à une pareille résolution.

Je crois qu’en fait de question de dignité et d’honneur, MM. les ministres sans distinction, n’ont besoin de recevoir de conseil de personne.

Je proteste contre la supposition que je leur en aurais adressé un ; j’ai seulement exprimé une opinion, et cette opinion n’a jamais eu le caractère d’un conseil.

Je sais que ce qu’on peut appeler aussi l’ultima ratio des ministres ne doit pas être employé légèrement ; je sais que c’est là un moyen auquel on n’a recours que dans des circonstances graves, et après y avoir réfléchit sérieusement. Les ministres l’ont sans doute compris ainsi. Le fait au reste n’est pas nouveau pour eux. Vous vous rappelez que lors de la discussion du budget des dépenses, quand il s’est agi d’un simple transfert d’un budget à l’autre, ils ont déclaré qu’ils faisaient de l’adoption de leur opinion une question de cabinet. Vous voyez qu’ils n’ont besoin de recevoir de personne l’impulsion qu’il semblerait que j’aurais voulu leur donner dans un intérêt personnel.

Je pensais que l’intérêt personnel était un peu mieux avisé. Quoi ! j’aurais cherché à amener une dislocation de cabinet par une simple opinion, et c’est moi qui m’oppose peut-être avec le plus de chaleur à la proposition d’une enquête, c’est moi qui m’associe si sincèrement, si vivement à toutes les idées exposées par le ministre de la guerre pour la faire rejeter, et c’est moi qui voudrais lui succéder ! Mais il me semble que je devrais prendre une voie tout à fait contraire, que je devrais grossir les rangs de ceux qui demandent l’enquête ; car je suppose que l’effet de la décision de la chambre soit la démission de M. le ministre de la guerre et d’un ou de plusieurs de ses collègues, concevez-vous que j’aille m’asseoir sur leur banc pour y subir une enquête que j’aurais si vivement combattue ?

Quels que soient les dissentiments politiques qui peuvent exister entre l’honorable préopinant et moi, il m’accordera sans doute assez d’honneur et de bon sens pour penser que, dans une pareille circonstance, le banc ministériel serait inaccessible pour moi. Je n’ambitionne pas d’y revenir, j’ai sur cette position l’opinion que vient d’émettre l’honorable préopinant lui-même. Je ne me résignerais à m’y placer que pour renverser des hommes qui professassent et pratiquassent des doctrines et des opinions diamétralement opposées aux miennes. Et ce n’est pas le cas, on le sait bien.

On a fait encore allusion à quelques paroles que j’ai proférées il y a quelques trois ou quatre ans et qui se rattachent à certaines circonstances de nos malheureuses journées d’août 1831. J’aurais avancé que le Roi s’était trouvé un instant presque seul dans un moment critique.

On me permettra d’en appeler à ce qu’on appelle l’inexorable il, qui a dû enregistrer des paroles contre lesquelles personne ne s’est élevé depuis. Si je me rappelle bien, j’ai dû dire que la maison militaire du Roi était à peine formée, que son état-major était incomplet, inorganisé à l’époque de cette surprise. Du reste j’accepte la responsabilité des paroles que j’ai dites, mais on me permettra de décliner la responsabilité de toutes autres que par un défaut de mémoire l’honorable préopinant m’aurait attribuées.

Je regrette d’avoir dû encore entretenir la chambre de faits personnels, surtout en présence de la grave question qui s’agite en ce moment devant elle. La faute n’en est pas à moi.

M. Gendebien. - Puisque l’honorable préopinant assure qu’il n’a en aucune façon donné de conseils au ministre, je demande comment il se fait qu’il se soit reconnu dans mes allusions à ces conseils et qu’il ait appliqué à lui seul les paroles que j’ai prononcées.

Je crois que ses explications détruisent l’allégation d’un personnel, et devaient le dispenser de prendre la parole

Quant au deuxième fait je me réfère à votre mémoire, messieurs, et au Moniteur.

Je demanderai qu’il me soit permis de dire deux mots en réponse à une observation de M. de Brouckere.

Cet honorable membre paraît avoir voulu donner à notre gouvernement un modèle à suivre, en fait de discipline militaire, en citant un des derniers actes du ministre de la guerre de France. Le général Bernard a privé de leur position militaire plusieurs officiers pour avoir adressé directement au ministre une protestation contre des assertions un peu hasardées (on pourrait dire quelque chose de plus) du rapport du maréchal Clausel. Que résulte-t-il de cette disposition ? c’est qu’on prive la France d’une infinité de bons officiers, de loyaux serviteurs.

Je prie le ministre de la guerre de ne pas suivre l’exemple du ministre de la guerre de France. S’il doit prendre quelqu’un pour modèle, il doit se souvenir de la conduite de l’empereur en pareil cas. Jamais ce n’était aux masses que l’empereur s’attaquait, mais aux chefs ; c’était le chef qui était toujours responsable.

Et voyez la conséquence de ce qui vient de se passer en France : c’est que si tous les officiers de l’armée partageaient l’indignation des braves officiers qui se prétendent calomniés, viennent se joindre la protestation de ces officiers, il faudra donc destituer tous les officiers de l’armée d’Afrique, et priver ainsi l’armée de ses cadres. Cela peut arriver, et ce qui le prouve que deux jours après, il a fallu, en suivant ce système, mettre à la pension un brave colonel et un honorable lieutenant-colonel. Eh bien, je dis qu’en matière de discipline ce ne sont pas les doctrines actuelles de France qu’il faut imiter, mais la bonne discipline de France, qui ne s’adressait qu’aux chefs. Et croyez-moi, en Belgique comme en France il est bien plus difficile d’avoir de bons soldats, de bons cadres que d’avoir de bons chefs.

Nous avons dans notre armée belge, y compris l’administration du service de santé, dans tous les degrés et les grades, des hommes capables d’arriver aux sommités militaires. Il suffit pour cela de ne décourager personne et de récompenser le travail.

N’hésitez jamais, lorsqu’il y a des abus, soit dans le service de santé, soit dans tout autre corps, entre les masses et le chef, parce que c’est lui qui est responsable vis-à-vis de ses subordonnés et vis-à-vis du ministre. Mais, que l’on n’imite pas ce qui vient de se passer en France ; il n’y a rien de bon à attendre de la doctrine.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - L’honorable préopinant a terminé son discours en répétant que l’honneur du corps des officiers de santé était intéressé à ce que l’enquête proposée par la section centrale eût lieu. Je ne partage pas du tout cet avis. Je crois que je parviendrai à maintenir l’honneur de ce corps par les changements que j’a introduits dans l’administration, et par la grande attention que je continuerai, si c’est à moi à le faire, de porter sur toutes les parties de cette branche du service ; j’examinerai les irrégularités administratives dont j’ai parlé et que des ennemis perfides ont transformés en crime et en déshonneur pour le service de santé. J’examinerai toutes les plaintes qui me seront régulièrement transmises lorsqu’elles seront conçues dans des termes convenables et ne présentant rien de contraire à l’esprit de discipline. Mais aussi je saurais réprimer, avec toute l’énergie dont je suis capable, toute accusation injuste, dirigée contre un chef dans le style des plus odieux pamphlets.

On a dit qu’il fallait qu’une contrainte eût été exercée sur le chef du service de santé, pour qu’il n’ait pas demandé une enquête quelconque, un jugement sur son administration. Je dois déclarer que liberté tout entière a été laissée par moi au chef du service de santé. J’ajouterai qu’au moment où il a vu s’ouvrir cette discussion devant la chambre, il m’a proposé lui-même de le sacrifier ; je n’ai pas cru pouvoir le faire, parce que j’avais la conviction (et je l’ai dit à la chambre) que c’eût été un acte d’iniquité. Je pense que, même comme homme d’Etat, je n’aurais pas dû m’y décider.

Je ne traiterai pas la question personnelle que l’orateur a soulevée. Je profiterai cependant de l’occasion pour exprimer toute ma reconnaissance à tous les orateurs qui ont bien voulu, dans le cours de cette fâcheuse discussion, exprimer des opinions honorables pour moi. Mais je dois combattre l’opinion mise en avant par l’honorable M. Gendebien que je voulais profiter d’une occasion pour me débarrasser d’un fardeau que je trouvais trop lourd pour moi. Quand je suis entré au ministère, j’étais décidé à garder le fardeau pendant le temps nécessaire ; j’ai pensé que je devais me soumettre à cette vie d’abnégation et de travail forcé pendant quelques années. Je n’ai donc pas saisi cette occasion pour pouvoir quitter le ministère. J’en ai donné pour preuve la déclaration que j’ai faite hier, que je me raillais à la proposition de M. Lejeune, ayant pour objet de suspendre le vote définitif du budget, afin de laisser à la chambre le temps nécessaire pour s’éclairer sans s’engager dans la voie d’une commission d’enquête, et sans toucher à la question du service de sanie qui pouvait faire hésiter la chambre sur le vote des fonds demandés pour ce service.

C’est là le seul point de difficulté qui existe.

Il ne s’agit pas du tout d’empêcher la chambre de s’éclairer, mais seulement de trouver un moyen que j’appellerai convenable de s’éclairer. Dès le premier jour où j’ai eu l’occasion de prendre la parole sur cette question, j’ai dit que j’appelais la lumière, et que j’étais prêt à déposer tous les documents ayant trait à l’affaire. J’ai dit que je consentais à ce qu’elle fût examinée, non seulement au sein de la section centrale, mais encore dans la chambre en séance publique ; par conséquent j’ai appelé toute la publicité possible, bien loin de me refuser à faire connaître les motifs de ma détermination.

Quant à l’enquête elle-même, j’ai eu une seule fois l’occasion de m’expliquer à ce sujet ; et je crois l’avoir fait de manière à faire comprendre qu’il ne s’agit pas ici pour moi d’une pure question d’amour-propre.

J’ai dit que l’enquête par la chambre était à mon avis la substitution de l’autorité de la chambre à celle du ministre entre un chef de corps et un subordonné quelconque. J’ai dit que, surtout dans une question de ce genre, la chambre pouvant donner raison au subordonné contre le ministre de la guerre qui s’est prononcé en faveur du chef, le ministre de la guerre perd toute son autorité ; et j’ai dit qu’un ministre de la guerre sans autorité est incapable de faire aucun bien ; or, une telle position ne me paraissant pas possible, je le déclare de nouveau, je devrais me retirer devant l’enquête.

La question d’amour-propre n’existerait pas pour moi, sans l’enchaînement de circonstances qui a fait que la section centrale, qui avait d’abord proposé de m’allouer toute la somme demandée quoiqu’elle la trouvât susceptible de réduction, mais dans la vue de me donner une preuve de confiance, proposa l’enquête plus tard, c’est-à-dire après que j’eus déclaré que mon opinion était formée. Dès lors, la proposition d’enquête est évidemment une preuve de défiance et de suspicion.

Je crois n’avoir pas besoin d’expliquer ici la différence que je mets entre une discussion ainsi approfondie, ainsi étendue que possible d’un article du budget et une véritable enquête législative telle que la propose la section centrale ?

Je répète encore que bien loin de m’opposer à ce que l’on décide la question avant le vote du budget, je m’associé à la proposition de M. Lejeune, ayant pour objet de laisser tout le temps nécessaire pour éclairer suffisamment la chambre.

On a trouvé extraordinaire que je prétende imposer mon opinion. D’abord, comme immédiatement après avoir fait connaître cette opinion, j’ai appelé la discussion, on ne peut pas soutenir que j’aie voulu l’imposer à la chambre.

D’ailleurs, il n’est pas si extraordinaire que je prétende obtenir la confiance sur une question d’administration telle que celle-ci. Je pense que dans toute la chambre je suis celui qui est le plus à même de connaître à fond la question. Ce n’est qu’après l’avoir examinée avec la plus scrupuleuse attention et avoir recueilli les avis de plusieurs côtés, que j’ai déclaré que je n’ai pas trouvé de faits de malversation. Il me semble qu’il n’y a rien d’extraordinaire qu’étant le seul qui aie pu examiner à fond la question, je prétende que l’on doive au moins avoir quelque confiance dans mon assertion.

On a répété encore qu’une inquiétude générale régnait dans le pays, et on a invoqué l’opinion publique.

On l’a fait sortir d’une certaine unanimité entre les journaux ; mais j’ai déjà réfuté cet argument, j’ai déjà dit que, dans mon opinion, cette unanimité des journaux venait de ce qu’ils étaient les échos d’un seul. Malgré cette prétendu unanimité des journaux, il y a cependant telle ville de province où il existe plusieurs journaux, et où l’on en trouve à peine un seul contre l’administration sanitaire ; tous les autres on garde le silence, ou du moins ne présentent la question qu’avec la réserve dont on doit user envers un homme qui n’est qu’accusé, mais qui n’est pas convaincu d’être l’auteur des faits qu’on lui impute.

Quant à l’inquiétude qui, dit-on, règne dans l’armée, je répéterai que j’ai le droit d’en contester l’existence ; que je puis, plus que personne, parler au nom de l’armée. Or, j’affirme encore que la manifestation de cette inquiétude n’est pas venue à ma connaissance par les organes réguliers qu’elle devrait avoir si elle existait.

Et à ce propos j’examinerai ce que l’on doit croire relativement à la défiance que les officiers de l’armée auraient envers les médicaments des hospices militaires.

Dans cette enceinte nous sommes en ce moment quatre personnes, y compris le commissaire du Roi, revêtus de grades élevés dans l’armée ; eh bien ! sur les quatre nous sommes trois qui avons eu l’occasion d’avoir besoin de médicaments, et nous les avons toujours pris à l’hôpital militaire de Bruxelles. Je suis de ce nombre ; nous avons toujours été satisfaits de ce que l’on nous a fourni.

Je reviendrai, quoiqu’avec peine, sur cette partie de la discussion qui touche à la manière dont la proposition d’enquête a été introduite.

J’ai fait remarquer que la section centrale, qui m’avait d’abord demandé des renseignements, n’en avait pas réclamé lorsque la question relative au service de santé lui a été a envoyée la dernière fois ; et on a prétendu qu’il eût été inconvenant qu’elle eût fait une pareille demande, que sa dignité en aurait été blessée. Je ne comprends pas comment sa dignité en aurait pu être blessée, et les indiscrétions de quelques-uns de ses membres, jaloux sans doute de l’honneur de la chambre et de celui de la section centrale, prouvent le contraire.

S’il n’y avait pas eu d’amendements proposés au budget de la guerre, il est évident que la première proposition de la section centrale restait seule ; et d’après les témoignages de confiance que la chambre a bien voulu me donner, je pense que l’allocation eût été votée. Cependant aucun fait nouveau n’est venu se révéler contre cette première proposition de la section centrale et la troisième, et dès lors je ne vois pas bien les motifs des investigations auxquelles on veut se livrer maintenant malgré la déclaration que j’ai faite.

Ceci m’amène à répondre au reproche d’imprudence que m’a adressé l’honorable M. Pirson au sujet de cette déclaration. Je dirai que je ne l’ai pas faite volontairement, et on en aura la preuve en se rappelant les circonstances qui m’ont amené à la faire.

Dès le premier jour où la discussion sur le chapitre du service de santé a été engagée à la section centrale, je fus interpellé sur la production d’un document ; je dois déclarer sur-le-champ quelles étaient les considérations de principes qui me portaient à ne pas le donner.

La discussion s’ouvrit dans la chambre, et on prétendit que la production de la pièce était indispensable pour éclairer l’assemblée. J’ai alors cru devoir déclarer qu’à mon avis il existait beaucoup d’autres sources de lumières, et que toutes les explications qu’on pourrait me demander, j’étais prêt à les donner. Il était impossible que je ne donnasse pas ces assurances à la chambre ; et dès lors ne devais-je pas exposer quelle était mon opinion sur cette affaire : car, pouvant donner tous les éclaircissements, c’était clairement annoncer que j’avais dû porter un jugement sur la question ?

Je pouvais bien avoir encore un autre motif pour déclarer quelle était mon opinion sur les imputations dirigées contre l’administrateur du service de santé, c’était d’arrêter le débordement d’injures dont le chef d’un des corps de l’armée était constamment l’objet ; mais véritablement ç’a n’a pas été là mon motif déterminant ; je n’avais pas assez de confiance en moi pour croire que ma déclaration ferait discontinuer les accusations ; j’ai pensé que, pour produire cet effet, j’avais besoin du vote de la chambre, et c’était pour avoir ce vote que j’offris toutes les explications qu’on pourrait me demander.

A l’ouverture de la séance j’ai été interpellé par l’honorable M. A. Rodenbach relativement au mélange de la salicine au sulfate de quinine. Rappelant ce que j’avais dit dans une discussion précédente sur l’époque à laquelle eut lieu la découverte de ce mélange, il m’a demandé si, sur-le-champ, tous les officiers de santé de l’armée avaient été avertis de l’existence de la falsification. La vérité m’oblige à dire qu’il n’en est rien, que c’est moi qui ai ordonné de porter ce fait à la connaissance de tous les officiers de santé afin qu’ils pussent s’expliquer, après un examen approfondi, sur les circonstances, qui auraient pu accompagner l’emploi des substances mélangées. A mon avis, c’est une irrégularité que de n’en avoir pas averti les officiers de santé plus tôt. Je dois dire cependant que des motifs plausibles ont été donnés pour excuser ce silence ; et ces motifs, c’était la crainte d’exciter des défiances malheureuses, de faire naître des inquiétudes sans pouvoir les calmer, sans pouvoir montrer que rien de fâcheux n’avait été produit. Au moment même où l’on a porté à la connaissance du pays qu’un mélange coupable avait eu lieu dans un médicament, j’ai dû faire connaître que le médicament n’existait plus, et que son emploi n’avait amené aucun changement dans la marche des maladies.

L honorable orateur auquel je réponds a avancé de nouveau qu’en 1831 et 1832 il y avait eu jusqu’à trois ou quatre mille morts à l’hôpital de Gand : ce fait est de la plus grande inexactitude. Voici des renseignements certains :

J’ai compare les tableaux des morts (dans deux périodes égales), du temps où l’on devait avoir employé le sulfate de quinine mélangé, et du temps où on devait l’avoir employé pur : j’ai pris, par exemple, les trois premiers trimestres de 1836 où l’on a dû employer la quinine mélangée, et trois trimestres de 1835 où l’on n’en a pas employé, et j’ai trouvé que le nombre des morts ne s’est pas élevé jusqu’à cinq cents, et qu’il a été de sept moins considérable pour les trimestres où l’on a employé le mélange.

Et puisque je suis sur cette question, je vais rapporter un fait plus propre que tous les autres à faire tomber les imputations dont le service de santé est l’objet.

Si l’on compare le nombre des hommes qui meurent dans l’armée à celui des hommes du même âge qui meurent hors des rangs de l’armée, on trouve que le rapport est de un à neuf dixièmes, c’est-à-dire que, s’il meurt un homme dans l’armée, il en meurt à peu près deux du même âge dans la vie civile ; ainsi, s’il existe des inquiétudes dans les rangs de l’armée, évidemment elles sont exagérées. Cette observation mérite d’être prise en considération. (Sensation.)

On a prétendu que la mortalité de 1830 à 1831 était provenue de l’emploi du sulfate de quinine sophistiqué ; mais l’honorable M. de Brouckere a cité l’opinion d’un de nos médecins les plus distingués, lequel déclare que dans le traitement de ses malades, il n’a pas fait usage de sulfate de quinine.

J’ai entre les mains des notes d’un des médecins les plus considérés de l’armée qui a été chargé en 1831 de l’établissement des infirmités dans les cantonnements.

Il n’y a presque pas eu de dysenteries ; il n’y a presque pas eu de morts ; il fait observer qu’il faut attribuer cette circonstance à ce que la plupart des hommes confiés à ses soins étaient dans la force de l’âge, tandis que la plupart de ceux qui étaient réunis au camp de Diest étaient des hommes jeunes dont le tempérament ni le caractère n’étaient suffisamment éprouvés, et sur lesquels toutes les causes physiques et morales exerçaient par conséquent une action beaucoup plus forte.

J’ai déjà eu à plusieurs reprises l’occasion de dire que je me rallierais à la proposition de l’honorable M. Lejeune ayant pour objet de donner à la chambre les moyens de s’éclairer suffisamment avant le vote du budget ; je dois cependant déclarer que je ne me suis rallié à cette proposition que parce qu’il me semblait que la chambre n’était pas disposée à entrer immédiatement dans la discussion du fond ; c’est aussi ce motif qui m’a empêché de répondre aux interpellations qui résultent en quelque sorte de la proposition de l’honorable M. Milcamps ; mais si la discussion au fond est possible, il me semble qu’il serait désirable de préciser des questions sur les abus reprochés au service de santé, abus sur lesquels la chambre ne me semble pas être suffisamment fixée ; la proposition de l’honorable M. Liedts pourrait me fournir l’occasion d’entrer dans cette discussion au fond, pour laquelle je déclare être entièrement préparé.

M. Liedts. - Je vois que le ministre se dispose à répondre à la proposition que j’ai eu l’honneur de déposer sur le bureau. Cette marche est contraire au règlement, qui veut que l’auteur de la proposition soit avant tout entendu dans ses développements.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je ne veux pas discuter la proposition de l’honorable M. Liedts ; je déclare seulement qu’à l’occasion de cette proposition, je suis prêt d’entrer dans la discussion de tous les faits qui sont reprochés au service de santé.

Je dis que je désire préciser les questions pour établir en quelque sorte les bases de l’accusation : il n’existe pour ainsi dire point d’introduction légale à cette affaire ; plusieurs sections ont insisté pour la production du rapport de la commission d’examen et ont par conséquent regardé ce rapport comme devant résumer toutes les questions des abus reprochés au service sanitaire, ce sont de semblables questions que je voudrais voir poser ; faire connaître et expliquer les faits, voilà ce que je désire, voilà ce que j’aurais désiré que la section centrale m’eût permis de faire devant elle pour pouvoir ensuite le faire devant la chambre. Maintenant je dois attendre que la chambre veuille bien se prononcer sur la question de savoir si elle veut entrer sur-le-champ dans la discussion des faits, ou au moins de quelques-uns, ou si elle aime mieux que la section centrale lui fasse un nouveau rapport. Il me semble qu’il serait préférable de discuter immédiatement quelques faits, soit ceux que l’honorable M. Liedts a mis en avant, soit ceux que je puiserais moi-même dans les éléments de l’accusation.

M. le président. - Aux termes du règlement il ne peut être question des faits articulés dans la proposition de M. Liedts avant que cette proposition n’ait été développée et appuyée.

M. Jullien. - Ils sont articulés ailleurs.

M. de Jaegher. - Je crois, messieurs, qu’il faut distinguer dans la proposition de M. Liedts deux choses : d’abord la demande d’explications, et ensuite les faits sur lesquels devraient porter ces explications ; quant à ces derniers, que M. Liedts les ait articulés ou qu’il ne l’ait pas fait, je ne vois pas d’inconvénient à ce que M. le ministre mes rencontre ; ils sont la propriété de l’opinion publique, et M. le ministre peut les puiser ailleurs que dans la proposition de M. Liedts. Il n’est donc pas nécessaire que la proposition soit préalablement développée.

M. le président. - J’ai dit que M. le ministre de la guerre avait la parole ; ainsi il pouvait entrer dans l’examen des faits articulés ailleurs que dans la proposition de M. Liedts ; mais avant que M. le ministre de la guerre puisse examiner les faits, articulés dans la proposition de M. Liedts, il faut aux termes du règlement que cette proposition soit développée et appuyée. Du reste, il ne s’agit ici que d’une question de temps, et je crois que si M. le ministre de la guerre cédait la parole à M. Liedts pour qu’il développât sa proposition, cela ne présenterait aucun inconvénient.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je n’ai d’autre but que de chercher à éclairer la discussion, je céderai donc la parole à l’honorable M. Liedts, et je demanderai à pouvoir, immédiatement après qu’il aura développé sa proposition et qu’elle aura été appuyée, entrer dans l’examen des faits qui y sont articulés.

M. Liedts. - Je demande qu’on veuille bien m’écouter en silence ; je prends rarement part vos débats, et j’ai une bonne raison pour cela : quand je vois que des six mois que doit durer notre session, cinq sont absorbés par l’interminable discussion des budgets, je ne suis guère tenté de la prolonger encore par mes discours. Je n’ai d’ailleurs pas l’habitude d’être long.

Messieurs, mon intention n’est pas de discuter les avantages et les inconvénients de l’enquête, ni d’examiner jusqu’à quel point il y aurait possibilité, dans l’état actuel de notre législation, de procéder utilement à cette enquête ; mais je veux vous faire sentir que l’enquête qu’on réclame, aussi bien que le rapport que demande l’honorable M. Dolez, sont, dans l’état actuel de la question, des mesures prématurées.

Il est un principe, messieurs, sur lequel tout le monde paraît d’accord, c’est qu’il ne faut recourir à une enquête parlementaire que lorsque toutes les autres voies de découvrir la vérité sont épuisées ; l’on a même été jusqu’à appeler cette mesure la dernière raison des assemblées parlementaires. Eh bien, messieurs, voyons si nous sommes arrivés à ce degré d’instruction que nous n’ayons plus d’autre moyen, pour arriver à la connaissance de la vérité, que l’enquête qu’on réclame.

Messieurs, il faut faire deux parts à l’administration du service de santé, et séparer l’avenir du passé.

Pour assurer la bonne administration de l’avenir, il ne faut point d’enquête ; tout le monde en demeure d’accord aujourd’hui, et sous ce rapport la discussion a fait des progrès ; nous avons pour garantie de l’avenir la responsabilité du ministre actuel qui jouit de notre confiance, et qui nous donne l’assurance formelle que cette partie de l’administration marchera avec la même régularité que toutes les autres branches du service.

C’est donc pour le passé qu’on veut une enquête immédiate, c’est-à-dire qu’on veut à l’instant même instituer une commission chargée d’examiner s’il a existé dans le service sanitaire des abus avant l’entrée au ministère du général Willmar. Mais ces abus, messieurs, comment nous sont-ils révélés ?

Comment sommes-nous saisis de la question qui nous occupe depuis trois jours ? par la presse et uniquement par la presse ; car, vous le savez, aucun de nous n’est venu ici, les pièces en mains, signaler des abus qui fussent à sa connaissance personnelle ; aucun citoyen même, de quelque rang, de quelque condition qu’il soit, ne s’est adressé à cette chambre pour faire entendre ses plaintes : c’est donc uniquement par la presse, que je veux bien admettre un instant comme étant l’organe de l’opinion publique, que nous sommes saisis de cette question.

Eh bien, que faut-il faire en semblable occurrence ? Consultons nos souvenirs. Est-ce la première fois depuis la révolution que la presse dévoile des abus vrais ou faux ? Evidemment non. Depuis que la Belgique existe comme Etat indépendant, cinquante fois déjà peut-être la presse a dénoncé l’existence de tel ou tel abus dans telle ou telle administration, Qu’avons-nous fait en ces circonstances ? Est-il entré dans la tête de personne de demander une enquête ? La première idée de ceux qui prenaient connaissance des abus signalés par la presse, n’a-t-elle pas toujours été de demander des explications aux ministres, au sein des chambres législatives ?

Or, pourquoi nous écarter maintenant de la marche usitée en pareil cas ? Pour moi, je n’en vois pas le motif. Comment ! le ministre vous dit qu’il a examiné lui-même, à fond, tous les griefs signalés par la presse, il déclare qu’il est prêt à donner communication de son opinion sur chacun des faits articulés, et nous irions accueillir cette déclaration avec défiance, alors surtout que nous ne connaissons pas les motifs qui ont déterminé la conviction du ministre ! et surtout qu’il se montre disposé à nous faire part de ces motifs.

Il me semble messieurs, qu’en cette matière, ainsi qu’on l’a fait depuis la révolution, il faut avant tout poser les faits que la presse a révélés, et entendre les explications du ministre.

Eh bien, messieurs, voilà la proposition que j’ai eu l’honneur de déposer sur le bureau. J’ai pris un à un tous les faits qui ont été énumérés dans une brochure qui nous a été distribuée. Quand on examine la nature de plusieurs des accusations que les rédacteurs de cette brochure ont lancées contre le chef du service de santé, quand on voit ces écrivains descendre jusqu’à reprocher à ce chef d’avoir livré des plumes d’une mauvaise qualité à ses subordonnés, on peut être bien certain qu’ils n’ont laissé échapper aucun grief, quelque minime qu’il soit, à charge du service sanitaire.

On peut donc considérer cette brochure comme l’acte d’accusation le plus complet à charge de cette administration. Tous les faits qui y sont allégués sont posés dans ma proposition.

Je ferai remarquer que les partisans mêmes de l’enquête sont intéressés à ce que ces faits soient posés ; car une chose qui ne peut échapper à quiconque a quelques connaissances en matière judiciaire, c’est que les enquêtes supposent des faits posés. Et l’honorable M. Gendebien en est si bien convaincu que quand au mois d’octobre 1831 il a proposé une enquête, il n’a pas demandé que l’enquête portât sur un fait global, mais bien sur des faits spécifiés par lui.

Quel sera maintenant le résultat de cette position de faits ? De deux choses l’une : ou M. le ministre de la guerre répondra sur ces faits, ou bien il refusera de s’expliquer. Evidemment s’il refusait de s’expliquer, nous aurions alors, nous mandataires de la nation, à rechercher les moyens qui nous demeureraient pour parvenir à la découverte de la vérité. Si, au contraire, M. le ministre s’explique, et s’il reste ensuite des faits sur lesquels il n’ait pas donné une satisfaction complète, nous aurons à examiner jusqu’à quel point ces faits peuvent faire l’objet d’une enquête parlementaire, s’ils sont de notre compétence, et s’ils méritent par leur gravité que la chambre ait recours à la voie extraordinaire d’enquête.

Jusque-là, la mesure préalable à prendre est celle de poser des faits. L’assemblée aura à demander des explications catégoriques sur ces faits ; chacun pèsera les réponses de M. le ministre de la guerre ; libre à chacun de nous de faire ensuite, pour s’éclairer, telle proposition qu’il jugera convenable. Mais, je le répète, j’ai pensé que pour ramener la question sur son véritable terrain il fallait d’abord poser des faits.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Je déclare que je suis prêt à entrer dans la discussion publique de tous les faits articulés par l’honorable M. Liedts. (A demain ! à demain !)

- La séance est levée à 4 heures et demie.