(Moniteur belge n°356, du 20 décembre 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à 1 heure et demie.
M. Lejeune lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée.
M. de Renesse fait l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les sieurs Cavenall et compagnie, fabricants de sucre indigène, demandent que les sucres raffinés étrangers soient prohibés à l’entrée en Belgique, et l’imposition d’un droit analogue à celui de France sur les sucres bruts. »
« Des cultivateurs de pâturages des communes du canton de Herve adressent des réclamations contre l’entrée en fraude du bétail hollandais et contre l’impôt du sel nécessaire à la préparation du laitage envoyé à l’étranger. »
« Le sieur C. Willems, à Waereghem, adresse des observations sur le projet de loi relatif aux sels. »
« Le sieur Serbruyn, à Desselghem, adresse des observations sur le projet de loi portant des modifications à la loi sur les distilleries. »
« Les fondateurs de l’école de médecine vétérinaire de Liége demandent qu’il soit forme un jury d’examen spécial pour cette branche de l’instruction publique. »
« Les conseils communaux de Bilsen et de Hoesselt du district de Maestricht, rive gauche de la Meuse, retirent leur demande d’obtenir la construction d’une route de Bilsen à Tongres. »
« La fabrique de l’église de St-Jacques, à Liége, demande qu’il soit alloué au budget une somme de 15,000 fr. pour réparer cette église. »
- Sur la proposition de M. de Renesse, la pétition des conseils communaux de Bilsen et de Hoesselt du district de Maestricht est renvoyée à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.
Même renvoi, sur la proposition de M. de Behr, pour la pétition de la fabrique de l’église de St-Jacques à Liége.
Même renvoi, sur la proposition du même membre pour la pétition des fondateurs de l’école de médecine de Liége, qui demandent qu’il soit formé un jury d’examen spécial pour cette branche de l’instruction publique.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux) annonce à cette occasion qu’un projet de loi tendant à combler cette lacune est prêt et sera sous peu présenté à la chambre.
- La pétition du sieur Serbruyn est renvoyée à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi sur le sel.
Les autres pétitions sont renvoyées purement et simplement à la commission des pétitions.
M. Heptia donne lecture de la proposition suivante, dont les sections ont autorité la lecture :
« Léopold, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, salut.
« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :
« Article unique. La quatrième classe des tribunaux de première instance est supprimée.
« Les tribunaux formant actuellement cette classe sont reportés à la troisième. »
- Cette proposition sera développée après le vote des budgets.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar) présente un projet de loi relatif à la fixation du contingent de l’armée, et un projet de loi de crédit provisoire de 5 millions de francs pour assurer le service du département de la guerre, en attendant le vote du budget de ce département.
- La chambre donne acte à M. le ministre de la guerre de la présentation de ces projets de loi et des exposés de leurs motifs, en ordonne l’impression et la distribution, et le renvoi à la section centrale chargée de l’examen du budget de la guerre.
M. Dumortier (pour une motion d’ordre.) - Messieurs, nous avons vu dans les journaux d’aujourd’hui que les soldats hollandais sont venus s’emparer de militaires qui étaient sortis de Maestricht et que la gendarmerie avait saisis sur notre territoire. Il paraît que pour se donner un grand air de triomphe, le général Dibbets est sorti avec 500 hommes d’infanterie, 150 hommes de cavalerie et 4 pièces d’artillerie, pour reprendre sur notre territoire les officiers hollandais qui avaient été arrêtés à défaut de passeports, à défaut de documents quelconques.
C’est une violation flagrante de nos droits.
Je demande quelles mesures le gouvernement a prises pour prévenir le retour de pareils abus.
Quand on fait une révolution, il faut savoir la faire respecter !
Il ne faut pas que le roi Guillaume s’imagine qu’il est notre maître et croire qu’il peut impunément humilier la Belgique.
Je demande ce qu’a fait le gouvernement pour venger le nom belge et la dignité nationale indignement outragés.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Il n’est que trop vrai qu’à la suite de l’arrestation de quatre officiers hollandais opérée par deux gendarmes à l’auberge dite « Tournebride, » commune de Lanaken, et à la suite du transport de ces officiers à Reckheim, un détachement de la garnison de Maestricht a fait une sortie pour les reprendre et s’est présenté dans ce but à la limite de la commune de Reckheim hors du rayon stratégique.
Ce détachement qui s’est montré en dehors du rayon stratégique était composé d’un escadron de hussards. En ce qui concerne l’infanterie et les pièces de canon dont l’honorable préopinant a fait mention, il semble, d’après le dernier rapport, qu’elle ne serait pas sortie du rayon stratégique. Quoi qu’il en soit, la violation du territoire n’en pas moins flagrante.
Le détachement ayant envoyé des parlementaires, et la gendarmerie ne se trouvant pas en force, elle a été dans la nécessité de laisser partir les officiers qu’elle avait arrêtés ; ils sont retournés avec l’escadron hollandais dans la ville de Maestricht.
Une réclamation a été adressée au général Diebbets par le chef de l’état-major général de l’armée belge ; et la réponse a été que le général Diebbets ne reconnaissait pas le rayon stratégique déterminé : cette prétention, messieurs, nous la considérons comme inadmissible, comme contraire au traité du 21 mai, je dirai même à la convention de Zonhoven. En effet, si une telle prétention pouvait être admise, il s’ensuivrait que réciproquement les troupes belges pourraient stationner sous les remparts de Maestricht, et ce que le traité du 21 mai, ce que la convention de Zonhoven ont voulu prévoir, serait mis en question : ainsi, selon que les troupes belges ou hollandaises seraient en force, telle ou telle commune serait occupée par les troupes belges ou hollandaises.
Dans cet état de choses, nous avons donc cru que la première démarche à faire était de s’adresser aux puissances signataires du traité du 21 mai, à savoir la France et la Grande-Bretagne. C’est par ce traité que les puissances ont mis fin aux mesures qu’elles avaient prises contre la Hollande pour amener l’induction du traité du 15 novembre, sous la condition bien expresse que le statu quo serait entièrement conservé et qu’aucun acte d’hostilité ne serait commis de la part de la Hollande contre la Belgique. La Belgique ayant adhéré à ce traité, notre premier devoir a été de porter cette atteinte à la connaissance des deux hautes puissances contractantes, pour réclamer leur intervention, afin d’obtenir une réparation proportionnée à l’atteinte et afin qu’à l’avenir de pareils faits ne se renouvellent plus.
M. Gendebien. - Ce n’est pas sur ce point que j’avais demandé la parole, mais puisque la question est soulevée, elle mérite discussion.
M. Dumortier a dit que quand on avait le courage de faire une révolution, il fallait savoir la faire respecter : heureusement, il ne s’agit pas de la révolution ici, ce n’est pas elle que l’on déshonore, c’est le gouvernement qui lui a succédé. Ce n’est donc pas pour défendre la révolution que je prends la parole, mais pour répondre au ministre que vous venez d’entendre.
Le ministre de l’intérieur convient de tous les faits ; il convient que le traite de Zonhoven a été violé, que le général Dibbets ne reconnaît pas de rayon stratégique déterminé ; et que ce général agit comme s’il n’existerait pas de traité ; et la conclusion que le ministre tire de là, c’est que nous nous en plaindrons à la France et à l’Angleterre ; c’est-à-dire que nous ferons comme les enfants qui molestés dans les rues et n’ayant pas le courage de se défendre, vont s’en plaindre aux grands parents. Voilà le rôle honteux que l’on fait jouer à la Belgique.
Puisque vous reconnaissez que le général Dibbetzs ne se croit pas lié par le traite de Zonhoven, ayez le courage de ne pas vous croire plus liés que lui ; ayez le courage d’intercepter les communications entre Maestricht et la Hollande et avec Aix-la-Chapelle : commençons par faire un acte de dignité nationale ; repoussons la violence par la force.
Recourons, si vous voulez, aux puissances étrangères garantes du traité ; mais mettons-nous d’abord dans la position de repousser les insolentes prétentions de notre ennemi, et faisons-lui sentir que nous ne recourons aux puissances étrangères que par déférence et nullement par pusillanimité. Messieurs, messieurs, ce n’est pas seulement d’une violation de traité qu’il s’agit ; jamais le territoire n’a été respecté. Savez-vous ce que l’on faisait pour faire respecter notre territoire quand nous avions cent dix mille hommes : pour éviter une collision, on envoyait quatre hommes avec un officier et un brigadier pour observer la garnison de Maestricht ; et quand l’officier avait le courage de faire son devoir et de signaler les insultes, on avait soin de l’éloigner.
C’est de cette manière que l’on donne à croire aux Hollandais qu’ils sont supérieurs aux Belges et qu’une nation de quatre millions d’habitants peut être impunément insultée, puisqu’après avoir été molestés, ses ministres viennent proclamer à la tribune qu’elle n’a d’autres ressources que d’aller se plaindre à ses grands parents de la conférence, et c’est à la veille de discuter le budget de la guerre et la loi sur le contingent de l’armée qu’on ose tenir un pareil langage ? Qu’avons-nous besoin d’une armée ? Est-ce pour l’exposer à toutes les avanies ? ne l’a-t-on déjà pas assez exposée aux affronts les plus humiliants ?
Notre armée est belle, elle est supérieure, sans contredit, à l’armée hollandaise, et on fait tout pour lui faire croire qu’elle lui est inférieure ; voilà du moins ce que penseront les hommes qui ne raisonnent pas, et il y a beaucoup d’hommes qui ne raisonnent pas.
La violation du territoire pas la seule chose que nous devions empêcher ; constamment la fraude se fait avec la plus grande impunité autour de Maestricht ; elle se fait à l’aide d’escortes militaires ; à chaque instant nos douaniers sont insultés, molestés, et nous le souffrons patiemment.
Je n’insisterai pas sur la question de dignité et d’honneur, il y a longtemps que l’honneur est compté pour peu de chose ; mais je dirai que le trésor public en éprouve des pertes considérables. Puisqu’on s’est jeté dans le matérialisme pur en fait de gouvernement eh bien ayons au moins le courage de défendre nos intérêts matériels ; repoussons les incursions que font nos ennemis pour soutenir les fraudeurs ; évitons de laisser intimider nos soldats et nos appuis, sinon dans l’intérêt de l’honneur, au moins dans l’intérêt de nos fabricants, de nos trafiquants.
Mais, croyez-moi, c’est un mauvais moyen de réprimer des actes de violence, et d’en empêcher le renouvellement pour l’avenir que de s’adresser toujours à la France et à l’Angleterre. Si la France et l’Angleterre vous disaient : C’est votre faute, si vous ne savez pas faire respecter le traité : quand on a fait les stipulations de Zonhoven, vous n’avez pas suivi les règles que nous avions tracées, vous avez abandonné les droits que nous vous avions reconnus. Vous avez eu la faiblesse, tout en stipulant au nom du Roi des Belges, de traiter avec un simple major, qui ne stipulait pas au nom du roi de Hollande, mais au nom du général Dibbets, dont il avait seulement une simple lettre, car il n’avait pas même un mandat direct spécial de son chef immédiat.
Voila pour la forme ; quant au fond, on a recouru deux fois à la conférence qui siégeait à Londres ; elle nous a donné deux fois raison, elle nous a donné deux fois gain de cause contre les prétentions du roi Guillaume, et cependant nous avons cédé sur tous les points, et au lieu du traité du 21 mai qu’il s’agissait simplement d’exécuter, vous l’avez en quelque façon abandonné pour vous contenter d’une position insolite, purement de fait et si mal définie que Dibbets, au dire du ministre lui-même, en méconnaît les bases aujourd’hui.
Si la France et l’Angleterre nous tenaient ce langage, elles auraient raison. Ainsi, messieurs, envoyez deux escadrons et quelques bataillons à la frontière avec l’ordre de repousser les escadrons hollandais qui s’y présenteraient. Pendant la révolution, quand le brave Mellinet était sous les murs de Maestricht, étions-nous insultés ? non. Personne ne sortait de Maestricht sans la permission de nos volontaires ; quelle est la récompense qu’en a reçu ce brave général ? Il a été exposé à tous les genres de tracasseries, aux persécutions les plus ignobles. Aujourd’hui il est l’objet d’une proscription ; à son âge on le condamne à aller végéter, à mourir de chagrin dans l’exil, et pendant que vous l’envoyez sans lettre de cachet à Philippeville, vous laissez insulter notre territoire par un escadron de hussards ; vous voyez bien que ce n’est pas la révolution qui est déshonorée.
Quand on n’a pas le courage de faire usage de ses armées, il ne faut pas le montrer ; s’il y a de la honte pour tout homme qui, après avoir tiré l’épée, n’a pas le courage de repousser un affront, lorsqu’il est mis dans la position de le faire, il en est, à plus forte raison, de même pour une nation. Si vous n’avez pas le courage de défendre son honneur, au moins ne la ruiner pas par une ostentation ridicule.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, la comparaison que l’honorable préopinant vient de faire vous a dû paraître peu parlementaire. Il n’y a rien de contraire à la dignité de la Belgique, après avoir accepté les dispositions favorables du traité du 21 mai, passé entre la France et la Grande-Bretagne d’une part, et la Hollande d’autre part, de réclamer près des puissances signataires l’exécution des stipulations qu’il renferme à l’égard de la Belgique : une telle démarche est dictée par la raison et peut être avouée de chacun.
Mais, dit-on, prenez des mesures de représailles immédiates ! Ce n’est pas ainsi que l’on procède : on commence par réclamer satisfaction et ce n’est que quand cette satisfaction n’est pas donnée qu’il peut être question de représailles. C’est ainsi, messieurs, que l’on agit ordinairement lorsqu’on veut avoir le bon droit de son côté et continuer à jouir de l’appui qui nous a été, dans toutes les circonstances, aussi utile qu’honorable.
M. Dumortier. - Messieurs, je suis étonne de voir le gouvernement prétendre que ce n’est point par des mesures immédiates qu’il faut procéder lorsque la nation se trouve ainsi outragée dans son honneur, lorsque son territoire a été violé par son ennemi ; je m’étonne de voir qu’un ministère, auquel je reconnais du patriotisme, n’ait pas saisi aussitôt les armes pour faire respecter le territoire de la Belgique, pour défendre l’honneur du pays ; l’occasion était belle, c’était le moment de prouver que nous avons une armée pour nous opposer aux envahissements de la Hollande. Et à quoi bon, messieurs, une armée si ce n’est pour faire respecter le territoire ? On vous dit qu’il faut commencer par réclamer auprès des puissances signataires du traité du 21 mai, mais qu’a fait le roi Guillaume lorsque vos gendarmes ont saisis les officiers hollandais dont il s’agit ? A-t-il été demander aux puissances qu’elles interviennent pour lui faire rendre ces officiers ? Non, messieurs, il a employé des moyens plus énergiques, il a fait ce que vous devriez faire dans de semblables circonstances ; sans craindre de violer les traités, il a envoyé des troupes pour reprendre les officiers qui avaient été saisis, il a voulu montrer qu’il est plus fort que vous (car telle est son opinion), et vous, qui êtes les plus forts et qui avez le bon droit de votre côté, vous allez vous plaindre à la conférence,vous n’avez pas le courage de prouver votre force, vous ne savez pas faire respecter vos droits ! Lorsque votre territoire a été audacieusement violé, lorsque l’ennemi est entré à main armée dans votre pays, la seule mesure que vous osiez opposer à ses insultes, c’est d’aller vous plaindre et réclamer l’appui des puissances ; vous n’avez des paroles que pour crier merci vous n’en avez pas pour marcher en avant.
Prenez-y garde, messieurs, si vous adoptez un pareil système, qui vous dit où s’arrêteront les incursions des Hollandais, qui vous dit que, pendant que vous vous en reposerez sur les puissances pour la défense de votre territoire, les soldats du roi Guillaume ne viendront pas jusqu’à Bruxelles ? puisqu’il ne reconnaît pas de rayon stratégique, je ne vois pas ce qui pourrait l’arrêter, si vous n’avez pas le courage d’opposer la force à la violence. C’est donc par des mesures énergiques, et non pas en allant réclamer auprès de la conférence, qu’il faut répondre aux déclarations et aux actes d’hostilité du général Dibbets.
Nous avons toujours dit, messieurs, et nous le répétons encore aujourd’hui, si vous voulez que la Belgique se constitue en nation indépendante, il faut prouver qu’elle sait se défendre par elle-même, sans avoir besoin de recourir à ses voisins : voilà ce qu’il faut faire ; l’occasion en est belle, et nous engageons le gouvernement à la saisir pendant qu’il en est temps encore. Ce n’est pas six mois après que l’insulte a été commise, mais le lendemain même, qu’il fallait la repousser ; c’est par des mesures promptes et énergiques qu’il faut procéder ; c’est avec le fer et non avec la plume qu’il faut savoir maîtriser l’ennemi.
Si le ministère entrait dans une voie semblable, la chambre lui donnerait tout son appui, et s’il venait demander à cet effet fût-ce deux cent mille hommes, nous nous empresserions de les lui accorder ; mais s’il veut toujours donner à la conférence la défense de notre territoire, de notre indépendance, de notre honneur, alors je ne vois pas à quoi servent les 110 mille hommes auxquels on propose de continuer à fixer le contingent de l’armée : si cette armée ne doit être qu’une armée de parade, nous n’en avons pas besoin. Mais nos soldats n’attendent que l’occasion de se mesurer ; faites-les marcher sur nos frontières, ils vous prouveront que ce n’est pas en vain que vous aurez fait appel à leur courage et que leur cœur bat encore aux mots d’honneur et de patrie.
M. Desmet. - Messieurs dans l’affaire de la violation de notre territoire, aux environs de la place de Maestricht, par la troupe hollandaise, il y a quelque chose que je ne comprends pas bien, et que le ministre qui vient de parler n’a pas encore expliqué. C’est que les gendarmes, qui avaient fait l’arrestation des quatre officiers hollandais qui s’étaient enhardis à faire une excursion hors de la ligne stratégique, ont eu l’inconcevable maladresse de ne pas conduire leurs prisonniers dans l’intérieur du pays, pour les mettre à l’abri d’un coup de main, et les ont au contraire retenus sur la ligne ! Vraiment, la maladresse est telle, qu’on pourrait soupçonner qu’il y avait eu un compérage entre nos gendarmes et les Hollandais pour donner une occasion de la part de la garnison de Maestricht de violer notre territoire et d’ essayer si notre gouvernement aurait eu le courage de réclamer contre l’acte de violation ou s il l’aurait laisser passer comme inaperçu !
Je veux cependant croire que mon soupçon ne soit pas fondé, mais, je le répète, la chose est tellement étrange, que le gouvernement ne peut pas se dispenser de faire une enquête sur la conduite des gendarmes qui ont ainsi, par leur propre faute, laissé reprendre les prisonniers qu’ils avaient faits.
Dans ces circonstances je ne critique point les démarches que le gouvernement a faites près des puissances alliées pour faire connaître la mauvaise foi que le gouvernement hollandais met derechef dans sa conduite en observant peu les clauses de l’armistice de Zonhoven ; au contraire, je les approuve fortement, mais, d’un autre côté j’appuie ce qu’a dit l’honorable M. Gendebien, qu’on ne peut laisser sans troupes et même sans une force respectable le cordon de la place de Maestricht afin de repousser la force par la force, et pour que désormais, quand le général hollandais se permettrai encore d’exercer des voies de fait sur notre territoire et qu’on puisse bien recevoir ses soldats et le punir de sa hardiesse, soyez-en assurés, messieurs, quand nous aurons quelque force sur ce point, vous ne verrez plus reparaître les Hollandais, car leur poltronnerie est trop connue pour oser se montrer là où ils croiraient rencontrer quelques troupes belges. D’ailleurs, messieurs, la prudence impose l’obligation au gouvernement de tenir des troupes aux environs des places où se trouvent des Hollandais, car les brigandages et les actes de vandalisme de cette nation sont trop connus pour ne pas prendre des mesures pour les prévenir, et soyez-en assurés, au moindre signe de guerre leurs premiers actes d’hostilité seraient le renouvellement des terribles scènes de Calloo et environs.
Et comme l’a dit encore l’honorable membre que je viens de citer, les troupes que le gouvernement placerait au cordon de Maestricht pourraient très utilement y servir pour garder la ligne de douanes et arrêter la grande contrebande qui a lieu dans ces endroits.
Car, quoique, d’après le rapport très flatteur que M. le ministre des finances nous a fait samedi dernier sur l’excellent service que font les employés de la douane et la grande activité qu’ils mettent à surveiller la fraude, on devrait réellement croire que la contrebande est un peu diminuée, mais il n’en est rien, on pourrait peut-être dire et soutenir qu’elle est augmentée. Il est possible que M. le ministre le croie ainsi d’après les rapports qu’il reçoit de ses employés qui se trouvent sur les diverses ligues frontières ; mais quand on s’y rend en personne, et quand on consulte les habitants, on est bientôt convaincu du contraire, et tous vous disent que la contrebande est très forte ; mais la chose peut s’expliquer, surtout quand on peut donner foi à ce qu’on assure sur la ligne, c’est qu’on n’y doute pas qu’il y a connivence entre les grands contrebandiers et quelques employés des douanes. Je n’en dirai pas plus sur ce point.
Mais je demande encore que le gouvernement veuille informer sur la conduite des gendarmes qui ont laisse échapper les officiers hollandais, et j’insiste fortement pour qu’il envoie une force respectable de troupes sur le cordon de Maestricht, afin de faire respecter notre territoire et prévenir les excursions de l’ennemi.
M. F. de Mérode. - On vient de vous parler, messieurs, d’une affaire assez fâcheuse qui s’est passée aux environs de Maestricht ; mais avant de rien décider sur la nature de cette affaire, il faudrait savoir comment elle a réellement eu lieu. J’ai entendu dire que deux ou trois officiers de la garnison, qui étaient sortis de la place, non pas pour envahir notre territoire mais pour se promener, même sans armes, ont été arrêtées par nos gendarmes à une très petite distance de la ville de Maestricht, et que ces officiers ont été repris par les Hollandais. Je sais bien que si le général Dibbets voulait venir jusqu’à Bruxelles ou jusqu’à tel ou tel point intermédiaire, qu’il est inutile de déterminer ici, ce serait là une prétention tout à fait incompréhensible, et je n’admets pas la réponse de ce général, quand il dit qu’il n y a pas de rayon stratégique ; mais le fait est qu’il n’y en a jamais eu de bien déterminé, c’est du moins ce que m’ont dit des militaires distingués.
Il ne faut pas, messieurs, diminuer l’importance de l’affaire dont il s’agit, mais il ne faut pas non plus l’aggraver, or, vous voyez que tout se réduit à l’enlèvement de quelques officiers qui étaient sortis de Maestricht, non pas pour envahir notre territoire à main armée, mais pour faire une promenade, sans armes ; et qui avaient été pris par nos gendarmes et conduits à Reickem, ce que je ne conçois pas, car les faire passer aussi près de Maestricht, c’était s’exposer à les voir reprendre, c’était en quelque sorte provoquer la garnison.
Si nous voulons, comme on le demande, établit autour de Maestricht une force armée suffisante pour empêcher que pareille chose se renouvelle, il faudra une force considérable, car sans cela elle ne pourrait rien faire contre la garnison, qui est parfaitement logée à l’intérieur de la place ; un escadron ou deux seraient très mal placés là, et ils pourrait subir le sort qu’ont subis les gendarmes. Il faudrait que le gouvernement eût beaucoup de maladresse, qu’il entendît bien mal l’honneur national pour agir avec autant de précipitation qu’on lui conseille de le faire, et pour compromettre ainsi quelques escadrons sans autre perspective que la honte ; si l’on veut envoyer des troupes autour de Maestricht, il faut y envoyer un corps d’armée qui ait au moins la même force que la garnison, et non par l’éparpiller dans les villages environnants, mais les placer dans une espèce de camp de manière qu’il soit assez fort pour résister à toutes les attaques. Quand on donne des conseils au gouvernement, il faut en donner des raisonnables et d’excusables, et non pas le pousser à des mesures qui ne pourraient que nous attirer de nouveaux désagréments. Je crois donc, messieurs, que nous devons jusqu’à nouvel ordre attendre le résultat des démarches qui ont été faites par le gouvernement.
M. Dumortier. - J’entends avec le plus grand étonnement un ministre venir chercher à justifier les officiers hollandais qui, selon lui, ne seraient venus sur notre territoire que pour se promener, sans avoir la moindre mauvaise intention ; peu importe, messieurs, le motif pour lequel ils sont venus ; j’engage l’honorable préopinant à aller se promener sur le territoire hollandais ; il prendra des leçons sur ce qu’il faut exiger dans des cas semblables à ceux dont il s’agit.
Quant à ce que dit l’honorable préopinant que les conseils que nous donnons au gouvernement ne sont pas exécutables, je réponds que ce sont les seuls exécutables, car lorsque le pays a été outragé dans son honneur, lorsque le territoire a été envahi par une armée ennemie, c’est de l’énergie qu’il faut employer, c’est par la force qu’il faut repousser la force si nous voulons nous montrer dignes de l’indépendance. Ce n’est qu’en défendant notre nationalité par nous-mêmes que nous pourrons la conserver ; en réclamant auprès de la conférence, nous ne ferons que prouver notre incapacité, nous ferons croire par là à l’Europe que nous ne sommes pas propres à former une nation indépendante.
M. F. de Mérode. - Il n’y a, messieurs, aucune comparaison entre une violation de territoire et ce dont il est question ; je sais bien que si nous allions nous promener en Hollande, nous pourrions fort bien, et moi tout le premier, ne pas en revenir ; mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ; remarquez que la position de Maestricht est tout exceptionnelle (position très fâcheuse, et j’ai toujours eu le plus grand regret que nous ne nous soyons pas emparés de cette place qui est une forteresse du premier ordre), car, je le répète, d’après ce qui m’a toujours été dit par les autorités militaires, le rayon stratégique de cette ville n’a jamais été déterminé d’une manière quelconque l’on ne peut donc pas considérer comme une violation de territoire le fait de quelques officiers qui en sont sortis sans armes pour se promener.
Quant aux autres observations que j’ai faites, l’honorable M. Dumortier n’a rien dit qui les fasse tomber, je persiste donc à dire que ce ne sont pas quelques escadrons qui, en cas de collision, pourraient résister à la garnison de Maestricht ; et, comme appartenant au gouvernement, je désire vivement qu’il ne suive pas les conseils de l’honorable préopinant.
M. le ministre de la guerre (M. Willmar). - Un des honorables préopinants a prétendu, messieurs, que l’honneur de l’armée belge se trouvait engagé dans l’affaire qui nous occupe en ce moment ; c’est ce que je ne puis pas admettre : s’il s’était trouvé des troupes aux environs de Maestricht, elles auraient fait leur devoir, et les officiers hollandais, s’ils s’étaient trouvés en leur pouvoir, n’auraient certainement été rendus que sur les ordres du gouvernement du pays. Ce n’est pas de la faute de l’armée, si elle ne s’est pas trouvée en mesure de résister à la sortie d’une partie de la garnison, par suite de sa dislocation actuelle résultant de l’application franche du traité du 21 mai, qui a fait regarder comme inutile la conservation d’une force imposante autour de Maestricht.
On a dit encore que l’honneur national avait subi une forte atteinte en ce qu’on avait traité au nom du Roi des Belges, avec un simple officier hollandais ; ce fait, messieurs, est inexact : on n’a pas traité au nom du Roi des Belges, mais des officiers supérieurs de l’armée belge ont traité avec des officiers supérieurs de l’armée hollandaise relativement à une route militaire et en vertu de pleins pouvoirs délivrés par les généraux respectifs.
Et à propos de la route militaire, dont les limites stipulées dans la convention de Zonhoven ont religieusement observées par le général Dibbets, il y a une sorte de contradiction de sa part à prétendre qu’il ne reconnaît pas de rayon stratégique ; car il est de fait que les stipulations de ladite convention, en ce qui concerne les changements de garnison de Maestricht, ont été jusqu’ici observées par le commandant de cette forteresse ; d’où il suit qu’il ne se croit pas en droit de faire mouvoir arbitrairement ses troupes à une certaine distance de la forteresse.
M. Gendebien. - Messieurs, à entendre un honorable préopinant, le fait qui nous occupe ne serait qu’une promenade militaire, faite sans armes, autour des murs de Maestricht, par quelques officiers hollandais.
Mais, messieurs, ce n’est pas le fait dont nous nous plaignons ; nous nous plaignons de ce que le gouvernement de la Belgique permette aux troupes hollandaises de violer notre territoire. Un escadron de hussards, suivi d’un bataillon d’infanterie, arrive impunément au milieu du pays, pour reprendre des officiers hollandais retenus en Belgique, parce qu’ils avaient violé le territoire. Le gouvernement se borne à adresser une plainte au commandant de Maestricht, et s’arrêtant devant une réponse impertinente, se contente d’en écrire à la conférence. Voilà de quoi nous nous plaignons, et je pense que ce n’est pas sans motifs
Au lieu de nous répondre, on suppose que nous voulons qu’on envoie un ou deux escadrons sous les murs de Maestricht. Non, messieurs, ce n’est pas cela que nous voulons. Nous avons dit que puisque le général Dibbets méconnaissait le traité de Zonhoven, le devoir du gouvernement était d’ôter à nos ennemis les avantages que leur assure ce traité. Voilà ce que nous avons dit et ce que nous maintenons.
Lorsque j’ai parlé de l’envoi d’escadrons, j’ai seulement voulu dire qu’il ne fallait pas laisser notre frontière dégarnie comme elle l’est, et qu’on devait se mettre en mesure d’opposer la force à la force ; mais qu’on poussait la prudence si loin, que pour éviter un conflit, on ne permettait, pour les reconnaissances et la surveillance de la frontière, que la réunion de cinq ou six hommes au plus commandés par un officier.
Dans ma pensée, il ne s’agissait donc pas de faire marcher des escadrons sous les murs de Maestricht, pour les exposer aux affronts qu’ont reçus les gendarmes qui ont opéré l’arrestation des officiers hollandais ; mais il s’agissait simplement de prendre les mesures nécessaires pour faire respecter le territoire et le traité, sauf ensuite à s’adresser aux puissances alliées si on le croit utile, mais au moins après avoir fait une démarche qui rendît notre position honorable vis-à-vis de nos ennemis.
On a dit, messieurs, que ce n’était pas la faute de l’armée, si le territoire a été violé. Non, sans doute, ce n’est pas la faute de l’armée ; ce n’est pas plus sa faute que ce ne le fut lorsqu’on l’a condamnée à rester l’arme au bras, lors du siège de la citadelle d’Anvers. Aussi, personne dans cette enceinte n’a prétendu imputer cette faute à l’armée ; tout le monde, au contraire, dans cette assemblée, a toujours plaint l’armée du rôle qu’on lui faisait jouer. Si des témoignages de confiance ont été donnés à l’armée parmi nous, ce n’est pas par le gouvernement, mais bien par les députes qui ont constamment pris la défense de l’armée. Et personne, plus que moi, n’a de confiance dans l’armée ; personne, plus que moi, n’est convaincu que l’armée ne souffrirait pas d’affront ; personne, plus que moi, n’est convaincu de la noble impatience de l’armée, lorsqu’en 1832 on lui a infligé le triste et honteux devoir de rester spectatrice, l’arme au bras, du siège de la citadelle d’Anvers que venaient faire des étrangers.
On a dit que ce n’était pas au nom du chef de l’Etat que le gouvernement avait traité à Zonhoven. Messieurs, je ne reviendrai pas sur la longue discussion qui a établi le fait d’une manière incontestable.
Il y avait, il est vrai, deux espèces de stipulations à discuter dans les conférences de Zonhoven. Quand le gouvernement a traite des points stratégiques de la convention du 21 mai, l’affaire s’est passée, j’en conviens, par l’intermédiaire du chef d’état-major général ; mais, dans ce cas même, le ministre de la guerre et son délégué le chef d’état-major ne stipulaient pas moins au nom du gouvernement belge, et par conséquent ils auraient dû ne pas traiter avec un simple major hollandais qui n’avait reçu mission ni du ministre de la guerre hollandais, ni même du commandant Dibbets, son chef supérieur. Il traitait individuellement, sans avoir remis ses pouvoirs, ni même avoir été contraint à les exhiber.
Quand il s’est agi de réclamer l’exécution des clauses du traité autres que celles qui étaient simplement stratégiques, vous avez traité au nom du Roi, ou plutôt vous avez essayé de traiter au nom du Roi : vous en avez référé deux fois à la conférence qui vous a appuyés, et au lieu de consacrer par une convention en bonne forme des droits reconnus par la conférence, vous avez consenti à constater en fait, avec un simple major hollandais qui ne tenait son mandat, comme dans le premier cas, que de son chef immédiat, les stipulations arrêtées à Londres.
On vous dit : Nous avons obtenu des stipulations favorables par le traité de Zonhoven, donc nous devons recourir aux puissances étrangères pour le maintien de nos droits. Je dirai d’abord que personne n’a contesté que le traité de Zonhoven ne fût favorable à la Belgique dans certains points ; mais nous nous plaignons aujourd’hui, comme nous nous plaignions précédemment, de ce que les stipulations favorables à nos droits ayant été reconnues par les puissances à Londres, on ne profitât pas du moment opportun pour exercer nos droits dans toute leur plénitude, tels que ces puissances venaient de les admettre. Nous disions alors : Vous abandonnez un traite garanti par les puissances et vous ne faites plus qu’une stipulation de fait. Vous substituez le fait au droit, vous consentez à remettre en question ce qui a été décidé en notre faveur par la conférence.
Aujourd’hui donc, en présence des prétentions du général Dibbets qui ne reconnaît pas le traité, nous sommes en droit de renouveler nos plaintes et d’attribuer cet état de choses au défaut de perspicacité du gouvernement, lorsqu’il a exécuté le traité du 21 mai, pour tout ce qu’il avait de favorable à la Hollande, et sans stipuler aucune garantie en faveur de la Belgique. Nous recueillons aujourd’hui les fruits de notre pusillanimité en 1833.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, nous n’avons pas dit que le général Dibbets méconnaissait jusqu’ici en fait le rayon stratégique ; mais nous avons dit que dans les circonstances dont l’appréciation nous occupe, il l’avait méconnu ; et qu’a cette occasion il revenait sur la prétention qu’il avait déjà élevée précédemment de n’être pas restreint en droit à un rayon stratégique. Selon nous, c’est en vain que le général Dibbets se prévaudrait de son opinion, pour blâmer l’arrestation opérée par la gendarmerie belge sur quatre officiers hollandais, et pour justifier la délivrance de ces mêmes officiers.
Nous pensons, messieurs, que quoi qu’il eût pu être désirable, que l’arrestation n’eût pas eu lieu dans l’état des relations qui existent aujourd’hui entre le commandant de Maestricht et les autorités belges, en ce qui concerne les communications qui sont rendues de jour en jour plus faciles ; nous pensons, dis-je, qu’il n’en est pas moins vrai que l’arrestation a été faite légalement et avec droit ; et que l’invasion du territoire, par un escadron de hussards, constitue une véritable infraction au traité du 21 mai.
A cette occasion, on a demandé comment il s’était fait que les gendarmes eussent emmené les prisonniers hollandais à Reckheim, et qu’ils ne les eussent pas immédiatement transférés dans l’intérieur du pays.
Je ne puis, messieurs, supposer aucune espèce de connivence de la part des gendarmes avec les officiers arrêtés ; je puis tout au plus supposer de l’imprévoyance de leur part. En effet, ils ne pouvaient pas s’attendre à ce que des forces considérables se présenteraient à Reckheim, pour délivrer les quatre prisonniers.
M. de Brouckere. - Messieurs, si je n’ai pas pris la parole plus tôt, c’est qu’en expliquant ma pensée tout entière et sur la dislocation de l’armée, et sur la manière dont le gouvernement entend la défense du pays, j’aurais dû dire des choses que dans mon opinion il n’aurait pas été prudent de faire connaître aujourd’hui.
Cependant, ce que vient de dire M. le ministre des affaires étrangères (car je suppose que c’est en cette qualité que M. de Theux a parlé) ; ce que vient de dire ce ministre m’oblige à rompre le silence que je m’étais d’abord imposé.
Selon lui, le commandant de Maestricht reconnaît en droit les traités conclus entre la France et l’Angleterre d’un côté, et la Hollande de l’autre ; mais il me semble qu’il ne les reconnaît pas en fait. Or, que nous importe à nous que le gouverneur de Maestricht reconnaisse un traité en droit, s’il ne l’observe pas en fait ? Eh bien, je dis qu’il ne l’observe pas en fait ; car vous avez entendu que le gouverneur de la citadelle de Maestricht ne reconnaît pas de rayon stratégique.
Il s’ensuit donc que ce commandant s’attribue le droit de se promener dans la Belgique jusqu’à la limite où on l’arrêtera. Je demande : Où donc doit s’arrêter le gouverneur de la forteresse, s’il n’y a pas de rayon ? Est-ce ainsi que vous avez entendu et les traités des 24 articles et du 21 mai, et la convention de Zonhoven ? Avez-vous l’intention de lier la Belgique par ces traités, sans que le gouvernement hollandais n’eût aucune obligation à remplir ? Assurément, ce n’est pas ainsi que nous l’avons entendu. Sans prétendre que l’on doit à l’instant envoyer des forces sur les lieux, je pense qu’il est du devoir du gouvernement de prendre des mesures pour qu’à l’avenir de semblables violations de territoire ne puissent plus se renouveler.
Je dois dire deux mots sur le fait en lui-même. Je reprends les choses d’un peu plus haut, et je me dis que le gouvernement a peut-être quelques reproches à se faire en cette occasion.
On pourrait peut-être prétendre qu’il a donné lieu à cette violation de territoire. En effet, l’endroit où les officiers hollandais ont été arrêtés est une espèce de « guinguette » qu’on appelle Tournebride. Depuis longtemps des officiers de la garnison de Maestricht vont se promener jusque-là, sans que jusqu’ici on les ait le moins du monde inquiétés. On les autorisait donc tacitement du moins à fréquenter cet estaminet. Il n’est aucune des personnes qui habitent ou ont habité le Limbourg qui ne pussent attester ce fait.
Dans ces circonstances, quatre officiers de la garnison de Maestricht, dont un en bourgeois et les trois autres sans armes, se rendent à cette guinguette où, les jours précédents, d’autres officiers et eux-mêmes peut-être s’étaient rendus ; on les arrête.
Le gouvernement eût été plus sage s’il avait signifié au gouverneur de Maestricht qu’à l’avenir les officiers de la garnison ne pourraient plus sortir du rayon stratégique ; ou bien, s’il admet que les officiers de la garnison de Maestricht puissent venir jusque-là sans armes, pourquoi ses agents se sont-ils permis d’arrêter ceux qui y sont venus ? C’est un point sur lequel je prie le gouvernement de s’expliquer.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je dois dire que jusqu’à présent il ne nous avait pas été signalé que des officiers hollandais vinssent se rafraîchir à l’auberge du Tournebride. Je sais qu’il en était ainsi dans les premiers temps, mais je ne suis pas certain qu’il en fût de même dans les derniers temps. S’il en était ainsi, je serais surpris que les gendarmes se fussent avisés d’arrêter tout à coup des officiers hollandais qui avaient l’habitude de venir en cet endroit. Quoi qu’il en soit, je puis assurer qu’aucune instruction n’a été donnée à cet égard, et je n’hésite pas à déclarer que si j’avais été consulté, comme chargé de l’administration de la sûreté publique, ou je n’aurais pas voulu faire cesser sans motif une habitude de tolérance, ou j’aurais eu soin de prévenir le général commandant de Maestricht que ses officiers devaient à l’avenir s’abstenir de sortir du rayon stratégique. Il n’a nullement été dans l’intention du gouvernement de faire procéder à une arrestation de cette nature.
Quoi qu’il en soit, le général Dibbets aurait dû se borner à réclamer la mise en liberté de ces officiers, elle aurait été ordonnée comme il a ordonné lui-même la mise en liberté de deux douaniers saisis en armes aux portes de Maestricht.
Je le répète, il n’était nullement dans l’intention du gouvernement belge d’établir des mesures de sévérité vis-à-vis la Hollande, dans les circonstances où nos relations deviennent de jour en jour plus faciles.
M. de Brouckere. - Je ne conteste pas que rien n’autorisait le gouverneur de Maestricht à agir comme il l’a fait. Là-dessus il n’y a qu’une voix de la part des députés comme des ministres ; mais j’ai fait un reproche au gouvernement de n’avoir pas prévenu la collision. A cela que nous répond-il ? J’assure que les gendarmes n’ont reçu aucune instruction pour arrêter les officiers hollandais qui viendraient à l’estaminet du Tournebride. C’est précisément là ce que je lui reproche. Les gendarmes auraient dû avoir des instructions.
Ou le gouvernement voulait tolérer que les officiers hollandais vinssent sans armes à cette guinguette, et il fallait alors ordonner de les laisser en repos ; ou le gouvernement ne voulait pas tolérer cela, et alors il aurait dû signifier au commandant de Maestricht qu’il ne voulait plus permettre que des officiers en bourgeois ou sans armes sortissent du rayon stratégique
Quant à ce qu’il a dit qu’il ignorait si les officiers hollandais venaient encore à cette auberge dans ces derniers temps, je lui répondrai que tous les renseignements qui me sont parvenus attestent que de temps à autre des officiers de la garnison de Maestricht allaient à Tourne-bride.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Quant à la fréquentation habituelle de l’auberge Tourne-bride par les officiers hollandais, j’ai fait prendre des informations positives.
Quant au reproche qu’on me fait de n’avoir pas donné d’instructions, je pense que nous ne sommes pas en défaut, n’ayant pas été avertis de ce qui se passait.
M. Dumortier. - Je ne veux pas qu’on termine cette discussion en déplaçant, comme on paraît vouloir le faire, une question qui doit avoir du retentissement. Peu importe si des officiers hollandais avaient ou non l’habitude de venir à l’auberge du Tourne-bride, la question est de savoir si quand nos ennemis envoient un corps armé violer notre territoire, on doit ou non le repousser. Il importe que la discussion ne finisse pas en faisant porter, dans la circonstance dont il s’agit, le tort sur la Belgique.
J’aime trop mon pays pour le blâmer d’avoir arrêté les officiers ennemis qui viennent sur notre territoire ; si je le blâme, c’est de ne pas prendre des mesures énergiques pour faire respecter notre territoire
Il n’est pas question de Tourne-bride ni du fait des gendarmes.
Ce dont je blâme le gouvernement, c’est d’être allé se jeter humblement aux pieds de la conférence alors qu’il avait en main les moyens de venger l’affront qu’on lui faisait. Dans quelque temps on vous parlera de nouvelles négociations, si déjà on ne l’a fait, et c’est en présence de pareils événements qu’on les ouvrira. Vous aurez à l’avance confesser votre impuissance et votre incapacité. On vous fera de nouveau passer sous les fourches caudines.
M. Gendebien. - J’avais demandé la parole immédiatement après la lecture de la proposition de M. Heptia. Il vous a demandé une augmentation de traitement pour les magistrats. Je serai toujours disposé à accueillir une proposition de cette nature, car moi aussi je trouve que le traitement des magistrats n’est pas assez élevé ; mais, tout en songeant aux magistrats nous ne devons pas oublier le sort des justiciables. Je saisis donc cette occasion pour rappeler au ministre de la justice que la chambre attend un rapport sur la question de savoir s’il y a nécessité d’augmenter le personnel du tribunal de Charleroy et en lui rappelant l’engagement qu’il a pris de faire ce rapport, pour le prévenir que quand nous discuterons son budget, si ce rapport ne nous est pas présenté, si nous ne sommes pas mis en mesure de prononcer sur la demande des justiciables de Charleroy, je voterai contre le budget.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - J’ai déjà dit que cette question avait besoin d’être éclaircie et qu’elle ne pouvait l’être que par des tableaux statistiques établissant le motif et le nombre des causes arriérées dans les divers tribunaux. J’ai pressé autant qu’il était en moi la rentrée des documents dont j’ai besoin, et ce n’est pas ma faute si je n’ai pas encore pu les réunir tous.
J’ai eu connaissance que dans plusieurs sections on avait fait des propositions pour modifier les juridictions civiles, et j’ai désiré connaître l’opinion de la section centrale pour en tenir compte dans le rapport que je ferai la chambre le plus tôt possible. C’est pour avoir des renseignements plus complets que j’en ai différé la présentation.
M. Gendebien. - Il y deux ans et demi au moins qu’une augmentation de personnel du tribunal de Charleroy a été demandée. C’est sous le ministère de M. Lebeau que la demande a été faite, et M. Lebeau n’a pas hésité à dire que, d’après les renseignements qui lui étaient parvenus, le personnel du tribunal de Charleroy était insuffisant. La chose est palpable. Ce tribunal est encore constitué comme il l’était il y a quarante ans, et depuis cette époque, les affaires ont décuplé en nombre et en importance. Cependant on veut qu’il reste toujours composé de même.
C’est un fait de notoriété publique, que l’insuffisance du personnel du tribunal de Charleroy. Il n’est pas, à la rigueur, nécessaire de tableaux statistiques. Faut-il d’ailleurs si longtemps pour reconnaître le nombre des causes qui ont été introduites depuis 20 ans et de comparer ce nombre aux affaires que ce tribunal avait à juger auparavant ? C’est l’affaire de huit jours que de réunir ces renseignements sur lesquels on peut être facile attendu que la nécessité de l’augmentation demandée est de notoriété publique et que personne ne peut la contester. Qu’on en finisse, qu’on dise si l’on veut, oui ou non, que la justice soit rendue dans cet arrondissement si important qui paie un ample contingent dans les contributions, et ne mérite pas les mépris et les dédains du ministre de la justice.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je ne relèverai pas les dernières paroles de l’honorable préopinant. Je n’ai qu’une observation à faire. La chambre elle-même a cru que la question n’était pas suffisamment instruite ; elle est saisie d’une proposition tendant à augmenter le personnel du tribunal de Charleroy et de quelques autres tribunaux, elle pouvait prendre une résolution sans l’initiative, sans l’intervention du gouvernement ; mais elle n’a pas voulu se prononcer sans avoir sous les yeux un tableau comparatif des affaires et des travaux des divers corps judiciaires. Je fais tout ce qui dépend de moi pour vous mettre à même, messieurs, de décider en pleine connaissance de cause.
M. Gendebien. - Je demande que vous vous hâtiez de nous mettre à même de prononcer en connaissance de cause.
M. Dubus. - Les observations que j’ai à faire rentrent dans celles que vient de présenter M. le ministre de la justice.
A entendre l’honorable préopinant, il semble qu’il n’y a que le tribunal de Charleroy dont le personnel soit insuffisant, il y a un grand nombre d’autres tribunaux pour lesquels on a demande une augmentation de personnel. La chambre a l’habitude, avant de prendre une décision, d’examiner quelles en seront les conséquences. Car il faut de la justice distributive, et ce que vous ferez pour une localité, vous devez le faire pour toutes les autres localités dont les besoins sont les mêmes ou sont plus grandes.
M. le ministre fera examiner, non pas la question de l’augmentation du personnel du tribunal de Charleroy, mais la question de toutes les localités qui réclament une augmentation de personnel pour leurs tribunaux.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - C’est juste, C’est ainsi que je l’entends.
M. Gendebien. - A entendre le préopinant, il semble que je réclame uniquement pour Charleroy et que je veux exclure tous les autres tribunaux qui auraient droit à une augmentation de personnel. Je proteste contre cette imputation.
Il faut, dit-il, de la justice distributive ! Il faut la même chose pour tous les tribunaux qui sont dans la même position que le tribunal de Charleroy. Mais ai-je dit le contraire ?
Ce n’est pas la première fois que le préopinant s’oppose à mes réclamations relativement au tribunal de Charleroy. Il a déjà fait la même observation ; et je lui ai toujours répondu, comme je lui réponds à présent, qu’il fallait faire pour tout le monde de même que pour Charleroy, si tout le monde a les mêmes besoins. Mais parce qu’un tribunal est en position de réclamer et parce que sa réclamation n’est pas en état de recevoir une solution, faut-il perpétuer la souffrance des justiciables de Charleroy ? Voilà la question. Y a-t-il un seul membre qui hésite à augmenter le personnel du tribunal de Charleroy, si la nécessité de cette augmentation est reconnue ? Quand la demande d’augmentation du personnel de Tournay sera en état, s’il faut une augmentation, on l’accordera ; de même pour tous les tribunaux, à mesure que la nécessité sera constatée.
Je répète, à cet égard, ce que j’ai déjà dit 5 ou 6 fois. Je n’ai nullement l’intention d’exclure les autres tribunaux de l’augmentation de personnel que je demande pour le tribunal de Charleroy. Lorsque la demande du tribunal de Tournay sera prête, si une augmentation est nécessaire je voterai également pour qu’elle soit accordée.
Je n’appartiens pas plus au district de Charleroy qu’à celui de Tournay. Si j’appartenais à Charleroy je me garderais bien d’imiter M. Dubus, et de combattre la demande d’une augmentation de personnel nécessaire à un autre tribunal, celui de Tournay par exemple ; je demanderai au contraire et je demande pour Tournay la même augmentation de personnel dont ce tribunal pourrait avoir besoin, et je n’hésiterais pas à le lui accorder alors même que l’instruction ne serait pas achevée pour statuer sur celle de Charleroy.
Plusieurs membres. - L’ordre du jour !
M. A. Rodenbach. - Je ne combattrai pas la nécessité d’augmenter le personnel des tribunaux de Charleroy et de Tournay, mais je demanderai à cette occasion où en est le projet de loi relatif à la compétence des justices de paix, projet qui a une connexité intime avec les questions d’augmentation de personnel dont il s’agit.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Le projet dont vient de parler l’honorable préopinant a été soumis à la chambre, il y a un an et plus peut-être, et a été renvoyé à l’examen d’une commission. Il a pour objet non seulement d’étendre les attributions des justices de paix, mais de donner encore un moyen de débarrasser les tribunaux de l’arriéré qui entrave leurs travaux ordinaires.
C’est pour ne pas répéter ce que dix fois aussi j’ai dit à la chambre, que je n’ai pas cru devoir rappeler que par l’adoption de quelques-unes des dispositions de ce projet on mettrait le tribunal de Charleroy à même de juger les procès qui sont en retard ; car, veuillez le remarquer, le tribunal de Charleroy peut suffire à la besogne courante. Des circonstances particulières, qu’il est utile de rappeler, sont cause de l’arriéré.
Je prie la commission à laquelle le projet a été renvoyé, si elle existe encore, d’examiner sinon tout le projet au moins les dispositions transitoires que j’ai indiquées. Il serait possible que leur adoption suffît pour donner au tribunal de Charleroy et aux autres tribunaux qui sont dans une situation analogue, le secours dont ils ont besoin, en autorisant la création de chambres temporaires.
Du reste, le gouvernement fait son devoir en ne consentant pas à imposer à l’Etat de nouvelles charges avant d’avoir reconnu qu’il n’y a pas d’autre moyen de faire donner prompte justice aux justiciables.
M. le président. - La parole est à M. le ministre des finances.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - J’ai fait dresser ce matin un tableau comparatif de l’importation et de l’exportation des sucres en 1835 et dans les 9 premiers mois de 1836. Je viens de déposer cet état sur le bureau. Les honorables membres qui voudront y prendre des renseignements verront qu’il est resté en consommation : en 1835, 7,663,771 kilog. sucre brut, dans les 9 premiers mois de 1830 9,980,821 kilog.
Le transit et le reste à l’entrepôt sont également indiqués dans ce tableau dont la chambre pouvait ordonner l’impression.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution du tableau déposé par M. le ministre des finances.
M. le président. - La discussion est ouverte sur l’article suivant du tableau joint au budget des voies et moyens :
« Sucres (26 centimes additionnels) : fr. 120,000. »
Et sur l’amendement de M. Lardinois ainsi conçu :
« Par dérogation à la loi du 24 décembre 1829 (Journal officiel, n°76), et à partir du 1er mars 1837, la décharge de l’accise sur le sucre, en cas d’exportation, est fixée en principal à 40 fr. par cent kilogrammes de sucres candi ou de sucres en pains ou en morceaux. »
M. Lardinois. - De tous les impôts c’est l’impôt indirect qui est le plus prôné par les gouvernements et les financiers. En effet, c’est la contribution plus facile à établir et qui rapporte le plus au trésor, parce qu’elle est répartir sur un plus grand nombre de contribuables.
Mais par la raison que cet impôt est facile et productif, il doit être établi avec discernement et de manière qu’il ne frappe que faiblement les denrées de première nécessité qui servent de fourniture à la classe la plus nombreuse de la société.
Le sucre, messieurs, ne sert pas à la consommation du peuple ; c’est, pour ainsi dire, un objet de luxe et par conséquent une matière très imposable. C’est, du reste, chose juge dans tous les pays de l’Europe
Il est évident qu’en frappant le sucre d’un droit d’accise élevé, le législateur a voulu procurer au trésor un bon revenu qui serait supporté principalement par la classe aisée des consommateurs. Et si cet impôt n’était pas détourné, il figurerait dans le tableau de nos recettes pour 3,500,000 francs au moins, en calculant le produit sur une consommation de 18 millions de kilogrammes.
Je pense que cette supputation n’est pas éloignée de la réalité puisqu’elle est basée sur une consommation de 2 1/2 kilogrammes de sucre brut par individu.
Ainsi cet impôt devrait procurer 3,500,000 francs environ, et il n’est porté au budget des voies et moyens que pour 120,000 francs. En comparant ces chiffres, messieurs, peut-on s’empêcher d’un sentiment pénible qui se révolte contre un pareil état de choses ? Je crois que vous entendez tous, comme moi que le droit d’accise sur le sucre ne soit pas illusoire et que vous prendrez, avec les ménagements que réclame l’industrie, les mesures que commande l’intérêt du trésor.
Je trouve qu’en 1828 l’accise sur le sucre a rapporté 1,115,000 fr. dans les neuf provinces de la Belgique, et en 1832, 1,842,084-54, mais la loi du 24 décembre 1829 avait augmenté cet impôt de 40 p. c. Depuis cette époque la production du sucre a considérablement augmenté, et le produit de l’accise a diminué chaque année, de telle sorte qu’il est à peu près annulé.
Deux causes principales concourent à éluder le droit d’accise établi sur le sucre : la réimportation frauduleuse et la décharge trop forte que l’on accorde à l’exportation du sucre raffiné.
Il est notoire que dans les années 1833 et 1834 la fraude du sucre a été considérable. Je sais que dans mon district la contrebande y était très active ; les négociants d’Anvers et d’autres villes dirigeaient leurs envois sur Aix-la-Chapelle, et au premier bureau prussien ils déclaraient que ces sucres étaient destinés pour la réimportation en Belgique, ce qui s’opérait effectivement dans les environs de Spa.
Vous savez que la loi accorde au fabricant 100 kilogrammes de sucre brut pour produire 55 kilogrammes de sucre raffiné ; aujourd’hui il est constaté que la fabrication a fait des progrès tels que de 100 kilogrammes de sucre brut on relire 85 kilog. de sucre raffiné, soit un déchet de 15 pour cent au lieu de 45 accordé par la loi.
Je dois vous faire observer que le même système régit la Hollande, qu’en France et en Angleterre une partie des droits perçus est remboursée à la sortie du sucre, et d’un autre côté, que cette industrie alimente en grande partie notre navigation.
D’après ce qui précède vous voyez, messieurs, que le problème à résoudre est de savoir si vous voulez maintenir la législation actuelle sur les sucres, ou si vous voulez y apporter des modifications c’est-à-dire si vous voulez continuer à accorder indirectement une prime en faveur d’une industrie particulière pour lui faciliter l’écoulement de ses produits, ou bien si vous êtes d’avis d’assurer au trésor public un revenu considérable à percevoir sur la consommation du sucre.
Loin de moi l’idée de vouloir nuire aux fabriques de sucres, mais aussi je repousse de toutes mes forces tout système qui tend à créer et à soutenir une industrie quelconque au moyen de primes ; car alors ce n’est plus favoriser l’industrie, c’est tout bonnement l’exciter en dilapidant les deniers de l’Etat.
Cependant, malgré l’abus que nous voudrions éviter, nous devons considérer que beaucoup de fabrique de sucre se sont élevées sous l’empire de ce privilège et qu’il y aurait injustice à vouloir l’anéantir tout à coup. C’est, animé de cette opinion, messieurs, que j’ai l’honneur de vous proposer l’amendement suivant :
« Par dérogation à la loi du 24 décembre 1829 (Journal officiel, n. 76) et à partir du 1er mars 1827, la décharge de l’accise sur le sucre en cas d’exportation est fixée au principal à 42 francs par cent kilogrammes de sucres candi ou de sucres en pains ou en morceaux.
Dans votre dernière séance vous avez entendu la lecture de deux pétitions qui vous ont été adressées par des fabricants de sucre de betterave, ayant le même but quoique formulant des conclusions différentes. Il est évident qu’elles sont dirigées contre la fabrication du sucre exotique : l’une demande que la décharge de l’accise à l’exportation soit réduite à 10 p. c. au lieu de 45 ; l’autre que le sucre brut soit frappé à l’entrée d’un droit de 60 à 80 fr. par cent kilogrammes, en alléguant qu’en France il est imposé à 120 fr. pour la même quantité.
Je ferai d’abord remarquer que la grande masse de sucre brut importé en France, provient des colonies françaises et paie seulement à l’entrée un droit de 38 fr. 30 c. par cent kilogrammes, ce qui est bien éloigné de 120 fr. D’autre part, je répète que si nous devons assurer au trésor un droit d’accise sur le sucre, nous sommes obligés d’y procéder avec ménagement et accorder aux raffineurs de sucre une transition qui ne jette pas cette industrie dans une crise certaine. Les fabricants de sucre de betteraves, dont l’industrie ne fait que de naître, commencent par pousser les hauts cris et demandent une protection qui doit détruire la fabrication du sucre exotique. C’est ainsi qu’on prélude à des faveurs et à des privilèges ; mais je pense que la législature sera assez sage pour abandonner à leurs propres moyens toutes ces nouvelles entreprises, fussent-elles même décorées du titre de nationales !
M. Legrelle. - Je ne crois pas qu’à l’occasion du vote du budget, on puisse, au moyen d’un amendement, venir changer une législation compliquée et dont toutes les parties sont si bien coordonnées que vous ne pouvez changer l’une sans changer l’autre, et venir jeter la perturbation dans une industrie si intéressante.
Veuillez remarquer qu’il ne s’agit pas de charger une industrie, mais d’anéantir une industrie du pays au profit de nos voisins.
Si vous vouliez changer la loi sur les sucres (je crois, moi, que c’est impossible, vous discuterez ce point après le vote des budgets), vous ne pouvez prendre une décision dans une telle question sans vous éclairer des lumières des hommes spéciaux. Cela vous conduirait bien au-delà de l’époque à laquelle ce budget doit être voté.
Je demande donc l’ajournement après le vote des budgets.
M. Dumortier. - C’est une vérité connue depuis très longtemps que les abus vivent d’ajournements. L’honorable préopinant vient d’en donner une nouvelle preuve. S’il est un abus bien reconnu, bien constaté, c’est celui qui nous occupe, c’est cette prime de 4 millions de francs absorbée par 30 fabricants ! Et vous voulez perpétuer un pareil abus !
Comment, vous avez crié contre le million accordé à l’industrie, contre le million Merlin, et vous trouvez excellente une disposition législative qui enlève tous les ans quatre millions au trésor ! C’est par trop exorbitant ; on ne peut voir de pareilles choses ! Je m’étonne que l’honorable membre, qui est d’Anvers, il est vrai, se lève pour demander la continuation d’un pareil abus : mieux vaudrait défendre le million Merlin, ce million du moins s’appliquait à toutes les industries ; mais les quatre millions ne s’appliquent qu’à une seule industrie. Je repousse de toutes mes forces la proposition d’ajournement. Si jamais matière fût instruite, c’est celle dont il s’agit.
Il y a quelques années on voyait figurer l’impôt du sucre pour deux millions ; maintenant il figure pour 120 mille francs ; cela est par trop odieux ! Je préférerais détruire dès aujourd’hui toute espèce de droit que de maintenir la prime.
En supprimant l’impôt sur les sucre vous seriez utiles aux consommateurs, tandis qu’en maintenant l’impôt vous enlèverez au trésor public trois ou quatre millions pour enrichir vingt ou trente industries.
M. Eloy de Burdinne. - Je voterai volontiers un ajournement, mais non aux calendes grecques. Je voudrais qu’après nos travaux indispensables par leur urgence, on s’occupât de la législation sur les sucres. L’honorable M. Dumortier vous a fait sentir suffisamment la nécessité de modifier cette législation. S’il est une matière imposable, c’est le sucre. Le sel figure dans votre budget pour le chiffre de 3 millions 700 mille fr, et le sucre n’y figure que pour 120,000 fr., c’est-à-dire que le sucre ne rapporte rien au trésor ; cependant en frappant le sel on frappe sur le malheureux, tandis qu’en frappant le sucre on impose une matière qui n’est pas à son usage.
M. Lardinois. - Il ne faut pas adopter la proposition faite par M. Legrelle ; c’est une véritable fin de non-recevoir. On vient de vous le dire, vous avez voté 3,700,000 fr. d’impôts sur le sel, et le sucre ne rapporterait rien au trésor ; cela est intolérable. On vous a proposé une loi sur le sel ; nous pourrions diminuer l’impôt sur cette matière en faisant en sorte que l’impôt sur le sucre ne soit plus illusoire. L’honorable M. Legrelle dit que ce n’est pas dans un budget des voies et moyens qu’on peut examiner ce qui concerne l’assiette d’un impôt, mais mon amendement ne tend qu’à modifier ce qui existe, et à diminuer le taux d’une prime. Il y a des exemples de cette manière d’introduire des modifications aux lois fiscales. Si vous n’admettez pas mon amendement, c’est que vous voulez perpétuer l’abus et frustrer le trésor d’un revenu de 3 à 4 millions.
M. A. Rodenbach. - Je m’opposerai à la proposition faite par l’honorable député d’Anvers. Il est vrai qu’une bonne loi sur les sucres est difficile à porter, mais l’amendement de M. Lardinois ne détruit pas ce qui existe, c’est-à-dire la prime qu’on accorde aux raffineurs qui exportent des sucres ; on demande seulement une diminution de 8 p. c. sur cette prime. Si vous conserviez sans changement le chiffre de 120,000 fr. porté au budget par le ministre des finances, vous accorderiez un drawback de 1,500,000 francs aux raffineurs ; c’est précisément le revenu de nos chemins de fer en 1836 que vous leur donneriez.
Si vous alliez détruire entièrement le drawback vous fermeriez les usines ; car, sous le régime de la loi que nous attaquons, beaucoup de raffineries se sont établies il y en a environ cent ; il ne faut pas jeter la perturbation dans cette industrie. Procédons graduellement, cette année, faisons une diminution, l’année prochaine nous en ferons une autre, n’anéantissons pas nos raffineries, si l’année dernière elles ont fait de bonnes affaires, elles sont maintenant en stagnation. Elles sont frappées par le droit de 11 thalers que la Prusse a mis sur l’entrée des sucres. Quoi qu’il en soit, je crois devoir donner mon assentiment à l’amendement proposé par M. Lardinois.
M. Gendebien. - Je crois que la proposition faite par M. Legrelle est intempestive, je pense qu’il faut continuer la discussion, après avoir entendu les hommes spéciaux en cette matière, nous verrons s’il y a lieu à ajourner.
Je n’ose exprimer mon opinion dans une matière aussi grave sans examen approfondi. Mais je ne puis me dispenser de vous dire que je vois un abus grave dans la prime donnée aux raffineurs ; je vois un certain nombre d’industriels exploitant les consommateurs ; je les vois se partageant entre eux trois ou quatre millions ; nous ne pouvons pas faire un pareil cadeau à MM. les raffineurs. Si leur industrie ne peut se soutenir qu’à l’aide d’une semblable prime, j’aime mieux la voir tomber aujourd’hui que demain. D’ailleurs qu’ils se mettent en mesure de raffiner des sucres indigènes. Je pense qu’il faut diminuer la taxe de la prime afin de les mettre dans la nécessité de raffiner le sucre indigène de préférence au sucre étranger ; car la question n’est pas seulement de savoir si le trésor gagnera trois ou quatre millions ; elle est encore de savoir si les raffineurs seront encouragés à ruiner la production des sucres indigènes, pour favoriser la consommation des sucres étrangers. Car, messieurs, il me semble que le maintien de l’état de choses actuel, serait une véritable et très haute prime accordée aux sucres étrangers contre nos sucres indigènes.
Je désire que l’on continue la discussion afin que les hommes qui conçoivent des doutes puissent les exprimer. D’ailleurs le ministre des finances a dit, en présentant son budget, qu’il reconnaissait que l’impôt sur le sucre ne rapportait pas à beaucoup près ce qu’on devait en attendre ; mais que des raisons graves l’avaient empêché de présenter les moyens de faire cesser cet état de choses ; je prie le ministre de vouloir bien s’expliquer maintenant et de nous exposer quelles sont ces raisons.
Terminons la séance en nous éclairant sur la matière, et si nous reconnaissons après qu’il y a lieu à ajournement, nous n’auront pas perdu notre temps puisque nous nous serons éclairés mutuellement, et que nous aurons provoqué l’attention de tous les intéressés.
M. Verdussen. - Tous les orateurs, et ceux qui croient que ce serait jeter la perturbation dans une industrie que de modifier la loi, et ceux qui ne partagent pas cette opinion, conviennent de l’importance de la question. Cette question est en effet beaucoup plus grave que celle que nous avons ajournée dans notre dernière séance et qui était relative aux tabacs. Dans cette précédente séance nous avons dit qu’il ne fallait pas instantanément apporter des changements sur des produits intérieurs, et sur un commerce étrange. Le commerce à l’étranger est encore le point qui doit nous occuper dans la question des sucres : il faut savoir si nous n’allons pas céder à la Hollande ou à d’autres nations voisines le commerce intérieur du sucre exotique raffiné. Il me semble qui faudrait consulter les chambres de commerce et toutes les personnes qui pourraient jeter de la lumière sur la matière. Je pense que le rapport qui nous a été présenté par M. Jadot devrait être adopté.
Sur la présentation de M. David, relative aux tabacs, la section centrale a ajourné son rapport jusqu’à ce qu’on ait rassemblé tons les documents nécessaires ; je ferai la même proposition ; il faut au moins procéder avec autant de circonspection à l’égard des sucres qu’à l’égard des tabacs. Je ne recule pas devant la discussion ; mais je voudrais qu’elle fût raisonnée, mûre, qu’elle fût juste, en un mot.
M. Eloy de Burdinne. - Je suis assez d’avis de ne pas accorder d’ajournement pour la question des sucres ; il faut la traiter le plus promptement possible. Cependant je ne voudrais pas qu’elle fût décidée aujourd’hui, parce que plusieurs membres ne sont pas préparés. On nous dit qu’il ne faut pas improviser une loi ; que la proposition de M. David ayant été ajournée, on doit également ajourner celle de M. Lardinois ; mais il n’y a pas parité ; il ne s’agit pas de faire une loi nouvelle sur les sucres, il suffit seulement d’améliorer celle qui existe.
Un raffineur de sucre, en raffinant très superficiellement 100 kilog. de sucre, il en restera 65 kilog. pour livrer au commerce ; et comme il obtiendra la remise totale des droits pour l’exportation de 50 kilog., il s’ensuit qu’il pourra en livrer 45 kilog. à la consommation intérieure qui n’auront payé aucun droit, tandis qu’ils n’ont éprouvé qu’une perte de 5 p. c. La proposition de l’honorable M. Lardinois me paraît donc devoir être plus mûrement méditée ; plusieurs membres de cette assemblée ne l’ont examinée que d’une manière superficielle, étant occupés dans plusieurs commissions et dans la section centrale. Je demande en conséquence que la chambre remette sa décision à cet égard au moins jusqu’à demain ou après-demain.
M. Lardinois. - Je ne disconviens pas que la question que j’ai soulevée ne soit très importante puisque les raffineurs de sucre enlèvent annuellement au trésor 3 à 4 millions de fr. ; mais je ne suis pas d accord avec l’honorable député d’Anvers quand il dit qu’il ne doit pas y avoir deux poids et deux mesures et que la même marche qui a été adoptée pour la proposition de M. David doit être suivie pour la mienne ; je ferai remarquer à l’honorable membre que la proposition de M. David est relative au droit de douane ; qu’il s’agit là de faire payer un droit d’entrée à une marchandise étrangère, tandis que dans mon proposition il n’est question que d’un droit d’accise que vous pouvez modifier sans le moindre inconvénient par rapport à la loi générale sur les sucres. Rien ne s’oppose donc à ce que vous votiez immédiatement ma proposition.
M. Coghen - Je ne crois pas, messieurs, que nous soyons assez préparés pour pouvoir aborder avec fruit un sujet aussi important que celui de la loi sur les sucres que l’honorable M. Lardinois veut amender ; la question est d’une importance très grave ; d’abord le trésor public éprouve un déficit considérable par l’absence du revenu d’une matière qui est généralement reconnue pouvoir être imposée et qui doit l’être, puisque c’est un objet de luxe ; ensuite la navigation a le plus grand besoin de recouvrer du moins une partie de son activité, laquelle ne pourra lui être rendue entièrement que lorsque l’ouverture de toutes les sections du chemin de fer aura établi le commerce du transit ; vous avez, je crois, une centaine d’usines qui marchent assez bien mais dont la prospérité n’est pas durable, car la Russie, ainsi que l’Autriche, vient de prendre des mesures qui favorisent chez elles la culture de la betterave, industrie aussi nouvelle dans notre pays, et qui a droit à toute notre protection, car ce n’est que par elle que nous pourrons nous soustraire à un tribut de 10 ou 12 millions que nous payons tous les ans à l’étranger. Or, messieurs, lorsque tant d’intérêts se rattachent à la question qui nous occupe, nous devons procéder à sa solution avec la plus grande prudence, car quoi qu’on en dise, l’intérêt général du pays se compose de tous les intérêts particuliers.
Je demanderai donc que la question soit renvoyée à une commission spéciale pour être mûrement examinée ; car, dans ma pensée, l’amendement proposé par M. Lardinois n’atteindrait pas le but que l’honorable membre se propose. Il veut, en effet, que la loi sur le sucres soit réellement productive pour le trésor et réellement productive de l’industrie indigène ; or, le premier amendement qu’il a présenté et qui consiste à fixer à 11 fr. 20 c. le chiffre de la réduction que la loi accorde, serait illusoire, le second serait encore plus, l’expérience prouverait qu’après ces modifications-là, la loi ne produirait rien du tout.
M. de Jaegher. - L’honorable M. Verdussen a trouvé une identité entre la proposition de M. David et celle de M. Lardinois ; loin d’y trouver une identité, je trouve, au contraire que ces deux propositions sont diamétralement opposées l’une à l’autre. En effet, la première tend à établir un droit qui, à mes yeux, serait une prime offerte à la fraude, et la second tend à supprimer un autre droit que je regarde aussi comme un encouragement à la fraude.
Si la chambre n’est pas, en ce moment, suffisamment éclairée pour décider la question qui nous occupe, il n’en est pas moins vrai que les producteurs de sucre indigène se trouvent dans une position préjudiciable vis-à-vis les raffineurs de sucre étranger : il faudrait que, lorsqu’ils présentent leurs produits aux raffineries, ils pussent être admis à des conditions au moins aussi avantageuses que les sucres étrangers, mais il en est autrement ; les raffineurs leur répondent : « Nous ne pouvons pas admettre vos produits au même taux que les sucres étrangers, parce que sur les premiers nous ne jouirons pas de la restitution de droits, qui nous est accordée pour les autres, et que par conséquent nous commencerions par perdre 22 p.c. sur vos sucres. » C’est là, messieurs, un des motifs qui me feront voter pour l’amendement de Lardinois, que je serais même tenté d’étendre encore.
M. Dubus. - Il me semble, messieurs, que les honorables orateurs que vous venez d’entendre en dernier lieu ont perdu de vue que dans les observations qu’il vous a faites l’honorable député de Mons ne se prononçait ni pour ni contre l’ajournement, mais qu’il faisait seulement ressortir la convenance qu’il y aurait à méditer les raisons données par M. Lardinois de décider si vous pouvez adopter sa proposition sans examen ultérieur, ou s’il convient de la soumettre à cet examen.
Je crois que la grande majorité de l’assemblée est d’accord sur ce point : qu’il y a véritablement abus, et qu’il est urgent de prendre des mesures pour réprimer, ou, du moins, pour diminuer cet abus ; mais je pense aussi que si vous nous interrogiez chacun en particulier sur la question de savoir jusqu’où il faut aller, vous rencontreriez à peu près autant d’opinions que d’individus. Ainsi, messieurs, nous nous prononçons contre l’ajournement alors que, si nous devions voter immédiatement, nous ne pourrions pas nous trouver d’accord.
Il me semble donc qu’il serait convenable d’entendre des explications et notamment celles que M. le ministre doit nous donner, avant de nous prononcer sur l’ajournement de la proposition de M. Lardinois. Si réellement cette proposition ne tend à autre chose qu’à réduire la restitution ou décharge qu’on fait en cas d’exportation de 48 à 42 fr. du principal par 100 kilogrammes, elle me paraît au moins très modérée ; et je vous avouerai que je doute qu’elle contribue d’une manière sensible à la répression de l’abus dont on se plaint.
Il faudrait examiner, il faudrait, avoir des chiffres ; je voudrais, pour moi personnellement, avoir des explications sur un point ; je voudrais savoir s’il est vrai que ce qui donne lieu aux plus grands abus, c’est l’exportation d’une espèce de sucre qu’on appelle lumps, et qui est assimilée dans le tarif prussien au sucre brut ? S’il est vrai que ces lumps jouissent de la même restitution que les sucres les plus raffinés, quoique cependant ils soient à peine raffinés ; s’il est vrai encore que l’exportation des lumps est précisément ce qui donne lieu à une fraude qui consiste à les réimporter comme sucre bruts ; dans ce cas vous sentez, messieurs, que l’amendement de M. Lardinois ne laissera la plus grande partie des abus dont on se plaint.
Je me trouverai donc, si je ne suis éclairé par la discussion, dans l’impossibilité de me prononcer ; il me faut des explications, des chiffres avant que je puisse voter en connaissance de cause sur un amendement quelconque de la nature de celui dont il s’agit. J’appuie donc la motion de l’honorable député de Mons, tendant à attendre les explications des différents membres de l’assemble et M. le ministre des finances en particulier, avant de nous prononcer sur la question de l’ajournement.
(Moniteur belge n°357, du 21 décembre 1836) M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, tout le monde convient qu’il a un vice dans la législation actuelle sur les sucres. Je rappellerai que c’est moi qui ai le premier signalé ce vice il y a deux ans ; mais on n’est pas d’accord sur les moyens d y remédier ; il me semble que nous devrions adopter la proposition de l’honorable M. Gendebien et continuer la discussion au moins pendant la séance actuelle afin de nous éclairer. Pour mon compte je dois avouer à la chambre que je ne pourrais pas dans le moment même lui présenter une solution de la question, qui donnerait tous les apaisements nécessaires ; il est possible que quelques membres de l’assemblée présentent des observations qui éclairent la difficulté, et qu’après les avoir entendus, nous soyons à même de prendre une décision en connaissance de cause. Si vous jugez convenable, messieurs, de continuer la discussion, je vous donnerai volontiers, dans la séance d’aujourd’hui même, les éclaircissements que je suis à même de fournir.
M. Gendebien. - Messieurs, voici en deux mots ma proposition. Je demande que, sans rien préjuger sur la question préalable posée par l’honorable M. Legrelle, on continue la discussion de l’amendement de M. Lardinois et de toutes les questions qui s’y rattachent. Si, à la fin de la discussion, on se trouve asse éclairés, on pourra alors adopté l’amendement de M. Lardinois, ou en proposer un autre. Quant à moi, je déclare que mon intention n’est pas d’adopter l’amendement de M. Lardinois, parce que je ne le regarde pas comme suffisant ni efficace contre la fraude.
M. Fallon, vice-président, remplace M. Raikem au fauteuil.
M. le président. - Je vais consulter la chambre sur la question de savoir si la discussion continuera sur le fond.
- Cette question est mise aux voix et résolue affirmativement.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, il est incontestable que si la décharge des droits à l’exportation était équivalente à la prise en charge à l’importation, le droit de consommation établi par la loi serait perçu au profit du trésor, et par suite, il y aurait une protection de 37 fr. 2 c. par 100 kil. de sucre brut en faveur de nos sucreries de betteraves.
Mais cette industrie qui n’est que naissance, qui s’est établie sous l’empire de la législation actuelle, a-t-elle besoin du protection telle que celle-là, protection qui tournerait nécessairement au préjudice du consommateur et au détriment du commerce et de la navigation, en ôtant à ces deux branches de la fortune publique, dès que les sucreries indigènes produiraient suffisamment pour la consommation intérieure, les avantages qu’elles trouvent dans le mouvement du sucre exotique.
Les importations et les exportations des sucres sont très considérables. D’après le tableau que je viens de déposer sur le bureau, on voit qu’il s’opère un mouvement de plus de 30 millions de kil. de sucres par an ; 20 à 25 millions de kil. de sucres étrangers sont introduits annuellement en Belgique : or, pour aller chercher cette quantité considérable de sucre, on exporte nécessairement de nos produits dans le pays où le sucre se trouve.
Lorsque le sucre est raffiné, lorsqu’il a reçu la préparation nécessaire, pour être réexporté, nouveau mouvement de 10 à 12 millions de kil., nouveau produit pour la navigation ; et quand ce sucre est vendu dans des ports étrangers, les navires qui l’y ont transporté, ramènent nécessairement en Belgique les marchandises achetées dans ces ports.
Il s’opère donc un mouvement commercial très important, et qui va au moins de 60 à 80 millions de kilog. par an (30 à 35 millions de kilog. de sucre, et 30 à 35 millions de kilog. d’autres marchandises.)
Dans cet état de choses, serait-il juste, serait-il convenable d’établir une protection, telle que celle que je viens d’indiquer, à savoir 37 francs 2 centimes pour 100 kil. en faveur de nos sucreries de betteraves, industrie nouvelle qui, en s’établissant sous l’empire de la législation actuelle, a prévu sans doute qu’à ces conditions elle pouvait se développer ? Ne serait-ce pas assez faire que de placer sur la même ligne les raffineries de sucres exotiques et les sucreries indigènes et quel serait le moyen d’y parvenir ? Ce moyen serait, ou bien de supprimer toute espèce de droit sur le sucre étranger ; ou bien d’imposer le sucre indigène d’un droit de consommation équivalant à celui que l’on imposerait pour le sucre exotique, soit du droit actuel de 37 francs 2 centimes par 100 kil.
Ce dernier moyen, consistant à soumettre à l’impôt la production du sucre, serait actuellement d’une application difficile, et, d’ailleurs, de nature à arrêter l’essor des sucreries de betteraves ; l’autre moyen, qui tendrait à supprimer tout espèce de droit, serait à la fois nuisible aux raffineries de sucres étrangers, et désastreux pour les sucreries indigènes ; et ceci, messieurs, est facile à démontrer.
Supposons la prise en charge (ainsi qu’on l’a déjà supposé dans cette séance, et comme, au reste, la chose est en réalité), supposons la prise en charge sur 100 kil. de sucre brut à l’importation ; 55 kil. de sucre raffiné annulent à l’exportation cette prise en charge. Admettons que le déchet du sucre brut, transformé en sucre raffiné, ne sont réellement que de 15 p. c. ; il en résulte que 30 kil. de sucre sont restés dans le pays sans payer aucun droit au trésor.
Mais, messieurs, pour la législation actuelle soit avantageuse aux raffineries de sucres étrangers, il faut nécessairement, bien que ces 30 kilogrammes ne produisent aucun droit à l’Etat, que le consommateur paie cependant, à titre de droit supposé, une majoration quelconque que réclame de lui le raffineur de sucre étranger. La conséquence à en tirer, c’est que le prix du sucre est plus élevé qu’il ne le serait en l’absence de tout droit, puisque indépendamment de la valeur intrinsèque de la marchandise, le fabricant du sucre exotique fait payer au consommateur une espèce de supplément de prix motivé sur l’avance supposée qu’il aurait fait du droit. Par suite le prix du sucre exotique étant plus élevé, les sucreries indigènes peuvent vendre leurs produits à un meilleur marché que si la loi actuelle n’existait pas.
Mais que devient le supplément de droit payé au raffineur de sucre exotique, ainsi que je viens de le dire ? Il est appliqué par eux, selon toute probabilité, à diminuer le prix du sucre sur les marchés étrangers, à mettre ces industriels à même de soutenir la concurrence dans les pays où le raffineurs hollandais, qui sont régis par la même législation que les nôtre, expédient leurs produits.
Ainsi, messieurs, si l’on mettait le raffineur du sucre étranger en position de ne réclamer, à titre de restitution de droits, aucun prix supplémentaire du consommateur belge, il est présumable qu’il ne pourrait plus lutter que très difficilement à l’étranger contre la vente du sucre raffiné en Hollande ; de plus, nos sucreries indigènes devant concourir en Belgique pour la vente de leurs produits à des prix moins élevés, jouiraient évidemment de moins d’avantages qu’aujourd’hui.
Ce simple exposé indique suffisamment que la question est très grave et très délicate ; pour vous en persuader davantage, il suffit de tirer les conséquences qui découleraient nécessairement de l’adoption de l’amendement de M. Lardinois.
A mon avis, trois conséquences immédiates résulteraient de l’adoption de cet amendement.
En premier lieu, amélioration des produits en faveur du trésor : résultat sans doute très important, et qu’en ma qualité de ministre des finances je dois appeler de tous mes vœux. Je dis qu’il y aurait d’abord amélioration des produits en faveur du trésor ; et ici, je dois aller au-devant d’une objection de l’honorable M. Coghen, qui a laissé entrevoir tantôt que dans son opinion l’amendement n’est pas propre à assurer au trésor le paiement de l’impôt sur le sucre, parce que, sans doute, la haute décharge serait encore trop forte.
Evidemment, si le déchet, si la remise du droit à la sortie était diminuée de 30 p. c., comme le propose M. Lardinois, le raffineur du sucre étranger, pour pouvoir livrer toute la marchandise nécessaire à la consommation sans qu’il rentre aucun droit au trésor de Belgique, devrait y importer et en exporter ultérieurement une quantité plus que double de celle qu’il y importe et en exporte aujourd’hui.
Je dis donc, messieurs, sans qu’il soit mathématiquement vrai que le trésor percevrait, au moyen de la proposition de M. Lardinois, l’intégralité du droit sur la consommation du sucre en Belgique, qu’il est incontestable au moins que le produit augmenterait d’une manière très notable ; il ne serait pas possible que les raffineurs de sucres étrangers allassent chercher une masse aussi considérable de sucre, pour en réexporter ultérieurement à peu près les 3/4.
La seconde conséquence de l’amendement de M. Lardinois est une protection en faveur des sucreries de betteraves, équivalente à l’augmentation de produits qu’obtiendrait le trésor, ainsi que je viens de le dire. Cet effet vous paraîtrait sans doute satisfaisant, mais il ne faut pas l’isoler de la troisième conséquence du même amendement, laquelle serait la réduction notable des avantages dont jouissent les raffineurs de sucre exotique, avantages qui produisent depuis plusieurs années un grand aliment au commerce et à la navigation.
C’est principalement entre ces deux derniers effets de la proposition de M. Lardinois que gît la difficulté ; car il importe, pour les concilier, d’établir une équation dont, je l’avoue, je ne possède pas les éléments assez positifs : Quel degré de protection est nécessaire au développement de nos sucreries de betteraves, et jusqu’où peut aller cette protection sans arrêter le commerce et la navigation qu’alimente le mouvement du sucre exotique ?
Pour répondre à ces questions, il est indispensable d’établir des prix de revient, de pondérer des choses dissemblables, et par suite d’une appréciation excessivement difficile. Peut-être que d’honorable députés qui ont étudié la matière, pourront nous donner à cet égard des éclaircissements qui me paraissent manquer jusqu’à présent, pour se prononcer avec assurance dans cette grave question. J’écouterai avec un vif intérêt les indications qui seront énoncées à cet égard.
Je pense, messieurs, qu’en tout cas l’amendement de M. Lardinois ne suffirait pas pour remédier à tous les vices de la législation existante : tel qu’il est conçu, il serait inefficace pour extirper la fraude qui se commet actuellement, indépendamment de la trop forte décharge des droits accordée à l’exportation : il faudrait une disposition bien claire qui déterminât que le sucre qui n’a subi qu’une légère manipulation, ainsi que cela arrive le plus souvent aujourd’hui (car parfois des sucres qui obtiennent la haute décharge n’ont pas eu 5 p. c. de déchet), ne jouirait pas de la décharge du haut droit à la sortie ; l’administration des douanes devrait être investie du pouvoir de refuser la décharge du droit sur toute espèce de sucre qui ne remplirait pas certaines conditions de raffinage.
Il faudrait au moins que l’administration pût déterminer la décharge partielle des droits que des sucres raffinés à moitié, ou à tel degré de perfection, pourraient recevoir. Voilà, messieurs, une dernière considération importante que je livre à vos méditations.
M. le président. - Voici un amendement que M. Dumortier vient de me faire passer :
« La prime de réexportation sur le sucre sera acquise sur le pied de l’accise de 100 kilog. de sucre brut introduit en Belgique, lors de la réexportation de 75 kilog. de sucre raffiné en pain ou candi, et pour les sucres dit lumps qui n’ont reçu qu’un raffinage, lors de l’exportation de 90 kilog. »
M. Dumortier. - Messieurs, mon amendement est basé d’abord sur la nécessité d’assurer la rentrée des droits du trésor, 2° de faire cesser la fraude scandaleuse qui se fait par certains ports au moyen de l’exportation de sucres lumps, 3° d’assurer à une industrie naissante une protection qu’elle n’aurait pas sans la disposition que je propose.
Le ministre des finances a parlé de l’existence des raffineries et de la nécessité d’examiner jusqu’à quel point on pouvait apporter des modifications aux lois sous l’empire desquelles elles s’étaient établies. Il craint que les modifications qu’on y introduirait ne portent la perturbation dans cette industrie et la navigation. Ma réponse est bien facile : l’an dernier l’impôt sur les sucres a rapporté un million et demi au trésor public. Si nous lui faisons rapporter cette année la même somme, il n’en résultera aucune perturbation puisque les choses resteront dans le même état. Voilà ma réponse, je la crois péremptoire. Je ne veux pas faire supprimer toute espèce de prime cette année, afin que la secousse ne soit pas brusque. Ce n’est pas que j’approuve les primes sur ce sucre ; au contraire, je les désapprouve formellement, et mon désir est qu’avant deux ou trois ans on les supprime tout à fait. Nous avons, nous tous hommes de la révolution, réclame contre le million Merlin. Aujourd’hui ce n’est plus un million qu’il s’agit de donner à toute l’industrie du pays, mais 4 millions à l’industrie du sucre seulement. Soyons donc conséquents avec nous-mêmes. Si nous avons été vrais en blâmant le million Merlin, nous serons conséquents en réprimant l’abus dont je me plains.
Messieurs, vous savez de quelle manière le trésor est frustré du droit que la loi lui attribue. Le sucres étrangers paient à l’entrée en Belgique un droit d’accise de 36 fr. par cent kilog., principal et additionnels. Lors de la réexportation de 55 kilog. de sucre raffiné, on rembourse les 37 fr. payés pour l’importation de 100 kilog. de sucre brut ; d’où il résulte une différence de 45 kilog. par cent entre le sucre importé et le celui exporté.
Maintenant, il est à considérer que cette proposition, qui a pu être juste quand on a fait la loi, est devenue un privilège, une prime en faveur des raffineurs, par suite des progrès qu’a faits cette industrie. C’est ainsi qu’aujourd’hui les sucres de bonne qualité représentant lors de l’exportation, environ de 80 à 90 p. c. du sucre brut ; c’est-à-dire qu’avec 100 kilog. de sucre brut, au moyen des nouveaux procédés, on est parvenu à tirer 80 à 90 kilog. de sucre raffiné.
Si donc vous remboursiez le droit payé pour 100 kilog. de sucre brut, toutes les fois qu’on exporte 90 kilog. de sucre raffiné, vous rembourseriez ce qui a été payé ; et ce que vous déduisez de ce chiffre est une prime que vous donnez au raffineur. Voilà pour les sucres ordinaires. Mais il est une espèce de sucres qu’on appelle lumps, qui n’éprouvent presque pas de déchet par le raffinage, car ils n’ont subi qu’une seule opération qui ne produit qu’un déchet de 3, 4 à 5 p. c. ; d’où il résulte que le négociant qui exporte ces sucres presque dans l’état où ils étaient quand ils sont entrés se trouve recevoir presque le double de ce qu’il a payé.
Comme ces sucres n’ont subi qu’un seul raffinage, ils conservent la couleur du sucre brut. Ces lumps sont en pain ; le négociant fraudeur les déclare en exportation ; on obtient la restitution du droit, c’est-à-dire que celui qui a importé 100 kil. de sucre brut obtient le remboursement du droit en exportant 55 kil. de lumps qui sont de véritables sucres bruts, car il n’y a au plus que 5 p. c. de déchet. Jusqu’ici, ce n’est qu’un abus provenant de la loi ; mais maintenant voici venir la fraude, et c’est principalement dans le port d’Anvers qu’elle se fait. Avant d’exporter des lumps pour lesquels on a obtenu le remboursement du droit, on pile les pains à bord, ensuite on fait un petit voyage de quelques jours en mer et on les réintroduit en déclarant que c’est du sucre brut ; et on gagne ainsi le droit. Voilà ce qui se passe ; c’est une chose infâme, odieuse de voir des négociants se livrer à un pareil trafic, voler ainsi le trésor public, car c’est là un vol manifeste. Voilà par quels indignes moyens le trésor s’est trouvé privé d’une partie de ses revenus.
Je désire que mes paroles arrivent jusqu’aux oreilles des députés d’Anvers qui ont demandé l’ajournement.
Lorsque nous sommes informés que des abus existent, notre devoir est de les réprimer. C’est pour parer aux abus que je viens de signaler que je demande qu’il soit nécessaire de réexporter 90 kil. de lumps pour avoir la décharge de 100 kil. de sucre brut. En adoptant cette disposition, vous ne verrez plus enlever au trésor public la majeure partie de son revenu.
C’est un fait reconnu que l’impôt sur le sucre devrait rapporter au trésor 3 ou 4 millions. En France on estime que chaque individu consomme annuellement 5 livres de sucre. Supposez qu’on en consomme autant en Belgique, vous arriverez à un revenu de 3 millions 800 mille francs, c’est-à-dire à peu près 4 millions, comme je le disais. Mais, remarquez que l’on consomme beaucoup plus de sucre chez nous qu’en France, parce que le pays est plus riche et que le sucre est moins cher.
Ce n’est pas trop évaluer le produit du sucre que de le porter à 4 millions.
Dans les deux premières années de la révolution, le droit était porté à 2 millions environ.
Il y a deux ans, il était évalué à 1,600 mille fr. ; l’an dernier, il n’a produit que 120,000 fr., et cette année, on évalue la recette à 120,000 fr.
Aujourd’hui, dit-on, l’industrie des raffineurs de sucre est prospère. Je le conçois ; avec une prime de quatre millions ! Si on donnait une pareille prime à une industrie quelconque, fût-ce une fabrique d’allumettes, elle serait bientôt dans un état prospère. Mais nous ne sommes pas des gens à donner des primes de 4 millions à une industrie. Car si on donnait une somme semblable à une industrie il faudrait également la donner aux autres. On ne peut pas accorder un privilège à Gand et à Anvers.
On a dit qu’il y avait cent raffineries dans le pays ; quatre millions font 40 mille fr. pour chacune. Il faudrait être bien dégoûté pour ne pas faire de bonnes affaires en sucre quand on trouve une pareille somme sous son oreiller. Mais quel est le but de cette prime ? Le voici : c’est de faire payer à la Belgique un droit sur le sucre afin de le faire manger à meilleur marché à MM. les Allemands et les Suédois. C’est en effet cela, car on vous demande la prime afin que les raffineurs puissent vendre leurs sucres à bon marché ; mais le vendre à bon marché, à qui ? Aux Allemands et aux Suédois.
Je ne veux pas que mon pays paie un droit sur le sucre, afin de favoriser les Suédois et les Allemands.
Voilà, en ses termes les plus simples, la loi des sucres. Je ne cris pas qu’elle ait besoin de longs commentaires.
Je crois que l’amendement que j’ai proposé met un terme à tous les abus. Je considère celui de M. Lardinois comme un vain palliatif.
J’aurais encore d’autres considérations à soumettre à la chambre ; mais comme l’assemblée me paraît disposée à lever la séance, je les remettrai à demain.
(Moniteur belge n°356, du 20 décembre 1836) M. le président. - M. le ministre de l'intérieur vient d’adresser à la chambre les pièces relatives à l’élection comme représentant de M. le général Willmar, ministre de la guerre, nommé par les électeurs de Bruxelles en remplacement de M. Rouppe, démissionnaire. Je vais tirer au sort la commission chargée de la vérification de ses pouvoirs.
- Cette commission se compose de MM. Raymaeckers, Dequesne, de Roo, Polfvliet, Milcamps, de Nef et Lardinois.
La séance est levée à 4 heures trois quarts.