(Moniteur belge n°344, du 8 décembre 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à 1 heure et demie.
M. Lejeune lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Sohet, aîné, à Frasnes, demande la naturalisation ordinaire, la grande naturalisation ne lui ayant pas été accordée. »
« Le sieur Gilbert frère demande que la chambre prenne des mesures pour mettre un terme à la vente des forêts domaniales. »
« Des négociations de diverses commues de l’arrondissement de Furnes comprises dans le nouveau rayon établi par la loi du 7 juin 1832, se plaignent des difficultés qu’ils rencontrent dans leurs relations avec leurs correspondants de Furnes. »
« Même demande des négociants de la ville de Furnes. »
« L’administration communale de Rumbek (Flandre occidentale) demande la construction d’une route pavée de Roulers à Yseghem pour joindre les deux grandes routes d’Ostende à Lille et de Bruges à Courtray. »
« Le sieur Ch. Rapp, receveur des contributions directes à Donderwindeke, demande à être nommé à la place de conseiller vacante à la cour des comptes. »
« Des légionnaires de Bruxelles adressent des réclamations contre les dispositions de l’article 3 de l’arrêté royal du 22 février 1835, qui les obligent à se déclarer indigents pour recevoir la pension de légionnaire. »
- Toutes ces pétitions sont renvoyées à la commission chargée d’en faire le rapport.
Sur la proposition de M. Gendebien, cette commission est invitée à faire son rapport sur la pétition des légionnaires avant la discussion du budget de l’intérieur, ou au plus tard lors de la discussion de ce budget.
Il est fait hommage à la chambre par MM. Ch. de Brouckere et Tielmans d’un exemplaire du Répertoire de l’administration et du droit administratif de la Belgique.
- Dépôt à la bibliothèque.
« Bruxelles, 6 décembre 1836.
« M. le président,
« J’ai l’honneur de vous informer qu’un Te Deum sera chanté le 16 de ce mois, à midi, dans l’église des SS. Michel et Gudule, à l’occasion de l’anniversaire de la naissance du Roi.
« Je vous prie, M. le président, de vouloir bien inviter la chambre à assister à cette cérémonie, et de me faire connaître si elle se propose de s’y rendre en corps, afin que je puisse faire mettre à sa disposition l’escorte de troupes d’usage.
« Agréez, etc.
« Le ministre de l’intérieur.
« De Theux. »
M. le président. - La chambre veut-elle se rendre en corps au Te Deum on y envoyer une députation ?
M. Dumortier. - Une députation suffit ; d’ailleurs ce que fait ordinairement la chambre en France.
Plusieurs membres. - En corps ! en corps !
M. Pollénus. - Si la chambre se déplace pour se rendre en corps à des cérémonies qui se renouvellent tous les ans, dans le cas d’un événement extraordinaire, la chambre ne pourrait faire que ce qu’elle fait pour les cérémonies ordinaires.
Je ferai observer d’ailleurs que les années précédentes, si la chambre a décidé qu’elle se rendrait en corps à cette cérémonie, le nombre des membres qui y assistaient était si petit, qu’on l’aurait pris plutôt pour une députation.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la question de savoir si la chambre se rendra en corps ou par députation au Te Deum du 16 de ce mois.
M. Dumortier. - Il n’y a qu’une proposition faite, c’est celle que la chambre envoie une députation au Te Deum.
M. le président. - Il y a une proposition de M. le ministre de l’intérieur. Chaque année la question a été mise aux voix, et si je me le rappelle bien, la chambre a toujours décidé qu’elle se rendrait en corps à cette cérémonie.
M. Gendebien. - Le ministre de l’intérieur ne fait aucune proposition, il se borne à annoncer qu’un Te Deum sera chanté, et à demander si la chambre entend se rendre en corps à cette cérémonie ou y envoyer une députation. M. Dumortier propose une députation. Aucune autre proposition n’a été faite.
M. le président donne une nouvelle lecture de la lettre de M. le ministre de l’intérieur.
M. Dumortier. - Comme l’a fort bien fait observer M. Pollénus, si un événement extraordinaire se présentait, auquel la chambre voulût s’associer par une démonstration en corps, elle ne pourrait faire que ce qu’elle fait dans toutes les cérémonies ordinaires. Il vaut mieux, je pense, comme le fait le sénat, se borner à envoyer une députation aux cérémonies ordinaires qui se reproduisent chaque année et réserver de se transporter en corps pour les grandes occasions. C’est aussi de cette manière que les choses se passent en France.
M. Lejeune. - Je fais la proposition formelle de nous rendre en corps au Te Deum qui sera chanté pour l’anniversaire de Sa Majesté. Je ferai observer que ce n’est pas chose nouvelle. On a cité les antécédents du sénat et ce qui se passe en France. Moi je me bornerai à citer les précédents de la chambre des représentants belges.
Si j’ai bon souvenir, elle s’est toujours rendue en corps au Te Deum du 16 décembre. Il n’y a pas lieu de revenir sur cette coutume. Si c’était la première fois que la chambre dût assister à cette cérémonie, on pourrait y aller en corps ou par députation indifféremment, mais aujourd’hui qu’il y a habitude contractée de se rendre en corps à cette cérémonie, je ne vois pas de motifs pour n’y plus envoyer qu’une députation.
M. Dumortier. - L’honorable préopinant invoque les précédents ; il est vrai que la chambre s’est rendue en corps au Te Deum, mais c’était une déférence qu’elle devait à la personne du Roi qui s’y rendait aussi. Je ferai d’ailleurs remarquer que dans les dernières occasions, le nombre de ceux qui se sont rendus en corps était si restreint que l’on pouvait croire que ce n’était qu’une députation, ce qui prouve que l’usage n’est pas d’accord avec le fait.
J’ajouterai que le ministère peut ainsi chaque année inviter la chambre à assister à quatre ou cinq Te Deum, tantôt pour la naissance du Roi, pour la fête de la Reine, pour l’anniversaire de l’inauguration des journées de septembre, etc. C’est ainsi qu’il y a deux ans, nous avons été à quatre cérémonies de ce genre dans le cours de quatre mois, et c’est ce qui arrivera toutes les fois que la chambre sera convoquée par anticipation.
Il n’est pas de la dignité d’une assemblée nationale de se transporter ainsi à travers les rues à des époques périodiques. Qu’elle se rende en corps pour la naissance d’un prince ou dans d’autres cas rares et extraordinaires, je le conçois, mais hors de là, je crois qu’une députation suffit. On finirait par ne voir que la chambre par les rues.
M. le président. - Je vais consulter la chambre.
- La chambre décide qu’elle se rendra en corps au Te Deum, qui aura lieu le 16 courant, à l’occasion de l’anniversaire de la naissance de Sa Majesté.
M. Donny. - Messieurs, ainsi que je l’ai dit au commencement de la discussion, je ne me proposais pas d’y prendre une part active. Mais j’ai entendu dire des choses tellement étranges, qu’il m’est impossible de les laisser passer sans quelques mots de réfutation.
L’honorable M. Smits s’est montré hostile au système des droits différentiels, et parmi les arguments dont il a fait usage pour nous combattre sur ce terrain, il nous a dit « que si l’élévation des droits différentiels pouvait prévaloir, il est incontestable que la navigation étrangère s’arrêterait aussitôt et que dès lors il y aurait un monopole établi en faveur de la marine nationale, qui deviendrait bientôt funeste aux intérêts généraux du pays. » Je ne sais si cet honorable membre a parlé sérieusement quand il nous a présenté ce raisonnement. Mais si son argumentation est sérieuse, je dois avouer que j’en suis extrêmement surpris. Comment ! la navigation étrangère s’arrêterait demain si aujourd’hui vous décrétiez une augmentation des droits différentiels, et les armateurs belges auraient aussitôt le monopole de l’importation et de l’exportation, eux qui n’ont à leur disposition que 136 navires ! Avec ces 136 navires ils effectueraient des transports pour lesquels il faudrait peut-être un millier de bâtiment !... Avec ces 136 navires ils importeraient toutes les marchandises nécessaires à la consommation du pays, et qui s’élèvent, d’après l’honorable M. de Foere, à 2,700 cargaisons par an ! C’est-à-dire que chaque navire belge importerait 20 cargaisons par an ou une cargaison tous les 18 jours ; et cela indépendamment des exportations !...
Je sais bien qu’on peut me dire que si, dans ce moment, la Belgique ne possède que 136 bâtiments et que si ce nombre de navires est insuffisant pour exclure la concurrence étrangère, il n’en sera bientôt plus ainsi lorsqu’une augmentation des droits différentiels aura accordé une protection suffisante aux constructions navales. Mais, en ce cas, je répondrais d’abord qu’il ne fallait pas nous dire que la navigation extérieure cesserait aussitôt que l’augmentation des droits différentiels serait décrétée. Ensuite, je demanderais à l’honorable membre à quelle époque il pense que la Belgique aura terminé la construction d’un millier de navires et formé les cinq à six mille matelots nécessaires pour monter ces bateaux, indépendamment des bateaux pêcheurs ; en un mot, à quelle époque ces bâtiments pourront être mis en mer, et faire cesser la concurrence étrangère. Je pense que ce n’est pas trop que de fixer un intervalle de dix ans pour obtenir ce résultat important. Ainsi, c’est en vous effrayant sur ce qui peut arriver dans 10 ans d’ici qu’on veut vous détourner de prendre des mesures d’une utilité immédiate et réelle.
Vous voyez que, sous ce rapport, le monopole dont on vous a entretenus n’est qu’une chimère. J’ajoute qu’il est encore une chimère sons un autre rapport.
Transportons-nous en idées dix années d’ici. Supposons que nous soyons en 1847 et que la Belgique trouve dans ses ports une flotte marchande de mille bâtiments. Voilà donc arrivé le moment d’établir le monopole : s’établira-t-il en réalité ? Non ; du moins je ne le pense pas, parce que la chose me paraît pour ainsi dire impossible.
Il n’est nullement probable, selon moi, que les propriétaires de mille bâtiments s’entendent pour monopoliser les frets : et quand la chose pourrait se faire, une coalition de cette nature ne saurait durer. Supposons cependant qu’elle se forme et qu’elle dure : ses effets seraient-ils aussi funestes à la Belgique que le prétend l’honorable membre ?
Serait-il vrai que les armateurs belges, dégagés, comme on l’a dit, de la concurrence étrangère, pourraient fixer à leur gré le taux des frets ? Evidemment non ; car toute la marge que les monopoliseurs auraient, ne pourrait jamais aller au-delà du taux des droits différentiels. Supposons qu’à l’époque dont j’ai parlé, les droits différentiels soient parvenus au double de ce qu’ils sont maintenant : il y aurait pour les monopoliseurs une marge de 10 p. c. sur les droits de douanes en sus des droits différentiels d’aujourd’hui, et si le monopole élevait ses prétentions plus haut, il se détruirait lui-même, car alors l’étranger importerait ses produits nécessaires à notre consommation comme il les importe aujourd’hui. L’industrie belge se passerait du secours des monopoliseurs et recevrait, par des bâtiments étrangers, les matières premières dont elle a besoin. Elle en serait quitte alors pour payer un droit d’entrée de 12 fr, là où elle en paie 11 aujourd’hui, puisque le droit différentiel actuel, qui est d’un sur dix, serait doublé.
Il est donc évident que le monopole ne pourrait s’assurer tout au plus qu’un bénéfice de 10 p. c. sur les droits de douanes. Mais un bénéfice semblable est-il assez grand pour nous faire craindre un monopole, surtout lorsqu’il est difficile à établir et à conserver ? Je ne le pense pas.
L’honorable membre nous a engagés à méditer s’il ne serait pas utile à la Belgique de faire avec l’Angleterre un traité de navigation d’après lequel nous abandonnerions de notre côté les droits différentiels actuels, et d’après lequel l’Angleterre, en maintenant intact son acte de navigation, nous permettrait d’emporter chez elle nos produits sur le même pied sur lequel ils sont importés par les navires anglais. Déjà l’honorable rapporteur de la commission vous a fait voir combien étaient illusoires les avantages que nous offrait l’Angleterre, en compensation des droits différentiels dont nous lui ferions le sacrifice.
Aux observations qu’il a faites j’en ajouterai une autre, pour vous signaler le préjudice que l’acte de navigation qu’on veut maintenir cause à notre commerce et à notre industrie.
Je suppose qu’un industriel belge veuille envoyer en Amérique une cargaison composée de produits belges, et qu’à cet effet il s’adresse au capitaine d’un navire belge. Si le capitaine part avec la presque certitude d’obtenir en Amérique un fret de retour pour la Belgique, il est certain qu’ayant en perspective un double fret et n’ayant que les mêmes frais à supporter, il pourrait n’exiger de l’industriel belge qu’un fret peu élevé. Il en serait de même si, au lieu d’espérer trouver en Amérique une cargaison destinée pour la Belgique (chose malheureusement assez rare dans ce moment-ci), il pourrait espérer en trouver une destinée pour la France ou pour l’Angleterre. Mais loin de pouvoir espérer une cargaison pour cette destination, il est d’avance certain qu’il n’en trouvera pas, parce qu’en France il est repoussé, comme étranger, au moyen des droits différentiels, et qu’en Angleterre il est repoussé d’une manière plus péremptoire encore par l’acte de navigation, qui défend aux étrangers d’importer dans les ports anglais les produits de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique.
Vous voyez que l’acte de navigation qui semble n’intéresser que les armateurs cause cependant aux produits belges un préjudice réel.
Je bornerai là mes observations.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, si avant la discussion, j’avais des doutes sur l’opportunité qu’il y aurait à accorder des primes pour la construction des navires je suis aujourd’hui complètement convaincu qu’il serait dangereux d’en accorder. Cette conviction est le résultat de la discussion qui a eu lieu dans la séance du 6, jour du patron des bateliers (St-Nicolas). (On rit.) Selon moi, les partisans du système l’ont soutenu bien faiblement, et un de nos honorables collègues, homme spécial dans la matière, m’a donné la certitude, par son discours, que mes prévisions se réaliseront un jour. Ces prévisions sont que le sacrifice à faire pour encourager la navigation maritime qui est réclamé aujourd’hui, ne suffira pas ; en d’autres termes, que si on n’accorde pas l’établissement du tarif des droits différentiels comme en France, ou si on ne crée pas un acte de navigation comme en Angleterre, dit l’honorable membre, on n’encouragera pas puissamment la construction des navires nationaux, par quelques milliers de francs.
Comme dans mon opinion les accessoires demandés ne seront pas accordés, il en résultera que l’année prochaine on viendra vous prier de doubler, peut-être même de décupler la somme pétitionnée aujourd’hui.
On ne manquera pas d’arguments pour vous démontrer que qui veut la fin doit vouloir les moyens ; et la législature ayant reconnu l’immense avantage de créer une marine marchande, elle doit, par des primes suffisantes, parvenir à ce résultat. On aura soin d’ajouter que ce serait tromper l’attente des armateurs qui, sur l’espoir de voir la législature bien disposée à réaliser ce beau projet, ont fait des dépenses en constructions dont l’achèvement ne peut avoir lieu que par des primes plus fortes, et on viendra vous dire que la dépense que l’on a faite sera perdue, si on n’augmente pas le chiffre des primes ; nous avons des antécédents qui prouvent que mes prévisions ne sont pas dénuées de fondement.
Ce n’est pas par quelques milliers de francs, vous a-t-on dit, qu’on parviendra à encourager la construction des navires ; nous le savons très bien ; l’industrie aujourd’hui ne compte plus par des milliers de francs, c’est par millions qu’elle compte au 19ème siècle ; je prévois une autre demande de subside toujours en faveur de la navigation marchande. Une fois établie sur une grande échelle, on viendra vous demander la protection nécessaire, toujours en vous disant que qui veut la fin doit vouloir les moyens, et cette protection, messieurs, ce sera la construction d’une marine militaire. Déjà dans cette enceinte on en a parlé, et voyez à quelle énorme dépense vous vous exposez en entrant dans une voie aussi coûteuse ; si vous adoptez la loi qui vous est proposée, vous entrez dans un labyrinthe d’où vous ne sortirez pas sans catastrophe que vous déplorerez un jour.
Que la France, l’Angleterre et les autres nations qui possèdent des colonies, encouragent la marine marchande, la pêche et autres espèces de navigation, cela se conçoit : la marine marchande et la pêche sont des écoles pour former des marins pour la marine militaire ; mais que nous qui n’avons pas de colonies, nous voulions marcher sur les traces de ces nations, c’est, selon moi, le comble du ridicule.
Bornons-nous, messieurs, à ce que nous avons. Cherchons à améliorer notre position sous d’autres rapports que celui de la navigation. Améliorons notre sol sous le rapport de l’agriculture ; occupons-nous de nos industries, particulièrement de l’espèce dont la matière première est le produit de notre sol : telles sont la forgerie, nos sucreries indigènes et tant d’autres.
Et je dirai, avec notre collègue M. Dequesne, que qui trop embrasse mal étreint. On a fait d’autres observations en faveur du projet que je crois devoir combattre ; un honorable membre vous a dit que la construction des navires en 1829 et 1830 donnait à vivre aux constructeurs qui gagnaient de fortes journées, et qui aujourd’hui doivent se contenter d’un salaire misérable (ce sont ses expressions), devant vivre dans un état voisin de la misère.
Je répondrai que ces belles phrases n’ont aucune influence sur moi, parce que je considère les faits comme inexacts : il en serait autrement s’il y avait du vrai (je m’intéresse autant que mon collègue à la position de la classe ouvrière), mais on a induit en erreur l’honorable membre auquel je réponds.
Les ouvriers manquent en Belgique, et particulièrement les hommes de métier ; le charpentier qui sait construire une charpente de navire, peut fort bien construire la charpente d’une maison : et certes, on bâtit assez en Belgique pour occuper les ouvriers de l’espèce. Je dirai plus, on en manque dans le moment actuel ; les ouvriers qui étaient si heureux en 1829 et 1839, en construisant des navires, s ils ne le sont pas actuellement, c’est de leur faute ; il ne manque pas d’ouvrage, ils n’ont qu’à travailler, l’homme y est assujetti !
On n’a pas été, selon moi, plus heureux lorsqu’on vous a dit que nos bois de construction étaient enlevés pour construire des navires à l’étranger, ou il faut que, sous ce rapport, les choses soient changées depuis bien peu de temps.
Il y a deux ans, on se plaignait de l’arrivée de bois étrangers, et, entre autres, des chênes introduits à vil prix, ce qui dépréciait les arbres de même essence provenant de notre sol.
L’année dernière encore on nous a adressé des pétitions relativement à l’interdiction de l’entrée des bois étrangers. Pour mon compte je suis très tranquille sur la position des propriétaires de bois en Belgique ; car depuis quelques années les bois de construction sont doublés de valeur ; s’il y a une chose à craindre, c’est que nous en manquions un jour.
Par les considérations que j’ai exposées dans la séance d’hier, et par celles que je fais valoir dans celle-ci, il n’est pas douteux que mon vote sera négatif :
1° Parce que je crains d’exciter toutes les branches d’industrie à venir réclamer la même protection que nous accorderions d’abord à une seule ;
2° Parce que je ne suis pas certain que le sacrifice que nous allons imposer au trésor produise un résultat utile :
3° Parce que je ne veux pas accorder de privilège en faveur de quelque industrie que ce soit, on plutôt en faveur de quelques individus au détriment de la nation ou du trésor ;
4° Parce que je ne veux pas voir rétablir le million enchanteur qui a été contre l’ancien gouvernement, un des griefs qu’on lui a le plus reprochés.
M. le rapporteur a bien voulu m’interrompre tout à l’heure ; il a dit que l’on avait accordé des faveurs aux céréales et qu’ainsi on pouvait en accorder à la marine. Je lui ferai observer qu’on n’a accordé aux céréales que les mêmes avantages que l’on accorde à la plupart de nos produits manufacturés. Vous avez imposé les céréales étrangères quand les nôtres tombent à un certain taux ; de plus vous avez porté une loi qui prohibe la sortie des céréales dans certain cas ; mais avez-vous accordé des primes aux laboureurs pour les stimuler à faire des charrues ?
Si vous accordez des primes pour la construction des navires, moi j’en demanderai pour la construction des instruments aratoires ou des machines employées dans les manufactures. Jusqu’ici j’ai cru que les lois qui protégeaient nos produits agricoles ou industrielles étaient suffisantes ; je n’ai jamais pensé qu’il fallût encore encourager la construction des charrues, des chariots, et de toutes sortes de machines semblables.
M. Coghen - Je demande la parole pour répondre quelques mots à l’honorable préopinant.
J’ai entretenu la chambre, dans la séance précédente, de l’état misérable dans lequel se trouvaient les constructeurs de navires, et en cela j’ai avancé un fait fort exact. L’honorable M. Eloy de Burdinne élève des doutes à cet égard ; cela n’est pas étonnant ; il est tout étranger à ces sortes d’industrie, il ne s’en occupe jamais. (On rit).
Il ignore que le charpentier qui construit des navires gagne quatre à cinq francs par jour, alors est-ce un bon conseil à leur donner que de les engager a s’occuper de la construction des maisons, parce que l’on en fait beaucoup, mais où ils ne retireraient qu’un salaire de deux francs, à deux francs cinquante centimes ? Cette observation suffit pour prouver l’exactitude de la situation que j’avais présentée.
L’honorable M. Eloy de Burdinne a parlé aussi des bois étrangers ; il n’a pas non plus, sur cet objet, des renseignements bien complets : s’il s’était enquis de nos exportations, il aurait vu que nos chênes sont exportés en Angleterre pour y construire les navires qui exploitent notre navigation, notre commerce.
Je laisserai à notre rapporteur le soin de répondre à M. Eloy de Burdinne relativement aux céréales ; mais, quoi qu’en dise cet honorable membre, il n’en est pas moins vrai que toutes les industries doivent être protégées : les lins, les houilles, les fers, les céréales, les constructions maritimes, et chaque localité, selon ses produits, ont droit à une protection sage ; il ne faut point en cela d’exagération, parce que l’exagération serait nuisible au pays.
Je ne suis guère étonné que M. Eloy de Burdinne s’oppose à ce qui l’on accorde des primes pour la construction des navires, primes qui cependant ne pourront produire aucune perturbation : on se souvient que lors de la discussion du chemin de fer il a été un des plus ardents adversaires de ce moyen de communication. Aujourd’hui, conséquent avec lui-même, il s’oppose encore à la possibilité d’augmenter de nouveaux moyens de communication : on pourrait induire de ces faits que M. Eloy de Burdinne n’aime pas le mouvement. (On rit.)
M. Eloy de Burdinne. - Je conviens de mon ignorance relativement à la marine ; je ne suis pas, comme M. Coghen, un homme spécial dans la matière ; je regrette beaucoup que cet honorable membre n’ait pas voulu prendre la parole pour traiter, ex professo, la question qui nous occupe ; il a mieux aimé s’en rapporter aux discours prononcés par M. Doignon et par le rapporteur ; quoi qu’il en soit, j’ai le droit de m’étonner des reproches qu’il m’adresse. Non, messieurs, je ne suis pas l’antagoniste du chemin de fer ; j’ai trouvé qu’on l’établissait sur une trop grande échelle, que cela était inutile, qu’un chemin de fer de Louvain à la Prusse était suffisant ; voilà le résumé de mon vote lors de la discussion de la loi portant établissement des chemins de fer.
Je ne suis pas ennemi du mouvement qui peut être utile a la prospérité de mon pays ; mais je suis ennemi du mouvement qui y porte le trouble et l’anarchie, et même du mouvement qui, ne profitant à personne, serait onéreux au trésor ; je ne suis pas partisan des faveurs que l’on voudrait accorder à certaines branches de notre commerce ; je ne veux pas de privilèges en Belgique, et que telle industrie plutôt que telle autre aille puiser dans les fonds de notre trésor. (Bien ! bien !)
M. Gendebien. - Mon intention n’est pas d’entrer dans les théories qui ont été développées depuis deux jours ; je pense que tout ce que l’on a dit à cet égard avance fort peu la question. Je ne ferai pas non plus une question d’argent de celle qui doit nous occuper : s’il m’était démontré qu’il serait utile à la Belgique de créer une industrie nouvelle, je n’hésiterais pas à accorder ce que l’on demanderait dans ce but. C’est à cette grave question qu’il faut en revenir : Y a t-il utilité ? en mettant à part toutes les théories, au plutôt en examinant si elles sont applicable à notre pays : or, je ne comprends pas de marine marchande, là ou il n’y a pas de marine militaire. Je pense que ce serait une imprudence pour la Belgique d’encourager des constructions navales ; aussi longtemps que nous n’aurons pas une marine militaire pour protéger une marine marchande, qu’arriverait-il ? C’est qu’au premier moment de crise en Europe notre marine marchande serait détruite ou confisquée au profit de nos ennemis.
D’un autre côté nous n’avons pas de colonies. Nous ne pouvons d’ailleurs avoir de marine militaire. Les traités des 18 et 24 articles nous refusent le droit de construire des navires militaires à Anvers. A Ostende il est impossible d’y entreprendre de semblables constructions ; nous ne pourrions non plus leur donner un mouillage à l’abri de nos ennemis ; nous sommes donc condamnés à n’avoir pas de marine militaire. Est-il bien prudent, messieurs, d’exciter, par des primes, nos concitoyens à créer une marine marchande alors que nous ne pourrons rien faire pour la protéger en temps de guerre ; alors qu’en temps de paix nous ne pourrons la soutenir qu’en lui accordant des primes, des privilèges au détriment de toutes les branches de notre industrie ? J’en reviens à une question que j’ai posée : cette marine marchande sera-t-elle bien utile au pays ? Il faut qu’on nous démontre cette utilité pour que le trésor public ou la généralité des citoyens intervienne dans la dépense.
Si cette industrie existait, si nous avions une marine marchande et qu’on nous dît : Elle est périclitante, beaucoup de nos concitoyens y ont placé leur fortune ; il faut empêcher une ruine trop prompte, il faut que le trésor vienne à leur aide ; peut-être que des chances favorables se présenteront... Alors je concevrais l’utilité de voter des fonds. Mais voter des fonds aujourd’hui pour créer une industrie toute nouvelle, c’est ce qu’il est impossible de faire. Je dis industrie toute nouvelle, car personne ne peut dire que nous avons une marine marchande ; les orateurs qui ont traité précédemment la question, ont eu soin de nous dire que toute notre marine marchande avait passé en Hollande ; et l’honorable M. Donny lui-même vous a dit, pour prouver que le monopole était impossible, il vous a dit que notre marine ne suffisait pas pour le vingtième de nos besoins. Il a ajouté qu’il faudrait plus de dix ans pour constituer notre marine marchande. Je pense même qu’elle sera encore fort incomplète dans 20 ans.
Pour protéger notre marine, on a reconnu la nécessité d’établir des droits différentiels ; on nous a dit que 10 p. c. étaient loin de suffire ; or, que produiraient-ils ? Les navires étrangers, au lieu d’arriver en Belgique, iront ailleurs ; ainsi nous perdrions tous les avantages de la navigation étrangère, tous les avantages du transit.
Cependant, on ne peut se dispenser d’avouer que le transit est important au pays, puisqu’il donne le moyen de compléter nos chargements pour les retours.
Si vous établissez des droits différentiels dont on vous menace et qu’on ne manquera pas d’exiger, nous nous priverons des avantages de la navigation étrangère et en pure perte, pendant dix ans au moins, suivant M. Donny, et pour toujours et sans profit, selon mes prévisions.
Ainsi donc, messieurs, vous allez exposer la totalité de l’industrie de tout le royaume, pour favoriser ou plutôt pour créer une industrie particulière.
Veuillez remarquer encore (et cela est digne d’attention) que si nous avons la liberté de l’Escaut, ce n’est pas en considération de la Belgique ni de la marine belge que nous l’avons. Non, messieurs, en aucune façon : si nous avons la liberté de l’Escaut, c’est parce que les étrangers trouvent leur intérêt à en user. Or, messieurs, si vous avez, comme vous le dites, l’espoir de naviguer pour votre compte, de faire par vous-mêmes tout le service qui se fait en ce moment par les étrangers, et si cet espoir se réalise, les étrangers cesseront d’avoir intérêt à protéger la liberté de l’Escaut ; je dis plus, ils seront intéressés à détruire ou à entraver cette liberté.
Je désire que vous trouviez les moyens de défendre cette liberté, que vous aurait assurée la possession de la rive gauche de l’Escaut ; mais je suis persuadé que, sans cette possession, il vous sera impossible de défendre la liberté de l’Escaut, du jour où les étrangers n’auront plus intérêt à la défendre. Il arrivera alors qu’au lieu de la défendre on poussera très probablement à la fermeture de l’Escaut. Et que deviendraient dans ce cas nos vaisseaux nationaux, notre marine nationale ? Mais, messieurs, nos vaisseaux pourriraient dans les bassins d’Anvers ou dans les ports où ils se trouveraient au moment où l’Escaut serait fermé.
Vous voyez donc bien, messieurs, que dans l’intérêt actuel de la Belgique, ainsi que dans l’intérêt de la prévoyance la plus simple, la plus vulgaire, dans l’intérêt d’une saine politique, il faut chercher à éviter la réalisation de l’utopie qu’on espère atteindre puisque ce résultat serait le coup de mort et de l’industrie particulière qu’on veut favoriser, et de l’industrie générale de la Belgique.
En écartant ces considérations, il reste toujours cette question à résoudre : Parviendra-t-on à nous créer une marine marchande ? Je ne le pense pas, et M. Donny vient de faire valoir un argument qui prouve qu’on ne l’obtiendra pas : « Lorsqu’un navire belge, a-t-il dit, se rend en Amérique et y prend une cargaison, il ne peut la conduire qu’en Belgique, car s’il va en Angleterre, il est repoussé ; en France, il est repoussé ; il est repoussé presque partout. » Eh bien, messieurs, dans cet état de choses, à moins d’établir des primes excessives, des primes destructives de toute concurrence, des primes qui équivaudraient au paiement des frais d’allée et de retour, vous ne parviendrez jamais à créer une marine marchande. Je crois donc, messieurs, que vous cherchez une utopie qui ne se réalisera jamais et qui, si elle pouvait se réaliser, serait une calamité pour le pays, puisque du jour où vous auriez atteint le but que vous vous proposez, vous perdrez la liberté de l’Escaut.
Voilà, messieurs, le peu de mots que j’avais à vous faire : non pas que mon opinion soit dès à présent arrêtée : non, messieurs, jusqu’ici je n’ai que des doutes à vous exposer ; mais j’ai voulu placer la question sur son véritable terrain, afin que les hommes qui comme moi ne sont pas versés dans la matière, puissent obtenir de nos savants théoriciens les éclaircissements qui leur sont nécessaires pour se former une opinion consciencieuse. Quant à moi je fais abstraction de toutes théories et je ne les écouterai que pour autant qu’on s’applique à prouver qu’elles sont applicables à notre situation toute particulière.
M. Smits. - L’honorable préopinant paraît douter s’il existe en Belgique une industrie pour les constructions navales ; je lui rappellerai que ce sont nos constructeurs qui ont fait la marine qui est considérée comme la plus belle du globe ; l’industrie dont doute l’honorable M. Gendebien existe donc bien réellement, et si, comme il le disait, vous voulez plus tard vous créer une marine militaire, il faut la maintenir, il faut la vivifier, lui rendre de l’activité, il faut surtout empêcher que nos constructeurs ne passent à l’étranger, ce qui arriverait infailliblement si la loi sur les primes n’était pas votée.
Je suis, du reste, parfaitement d’accord avec l’honorable préopinant quand il dit que si vous écartez les étrangers de vos ports, vous courez risque de voir fermer l’Escaut : en effet, quel intérêt les puissances étrangères auront-elles à appuyer vos réclamations en faveur de la liberté des fleuves, si vous les repoussez de votre pays ? Elles vous abandonneraient alors, et dans ce cas vous gémiriez de la loi que vous auriez faite.
L’honorable M. Donny a contesté ce que j’avais dit hier à l’égard du monopole qui résulterait de l’élévation du droit différentiel ; mais l’honorable membre aurait dû remarquer que si le monopole n’existait pas immédiatement, mais seulement plus tard quand le droit différentiel aurait été majoré, il n’en produirait pas moins les mêmes résultats.
M. Donny. - L’honorable M. Smits vient de changer de terrain, et je crois que celui sur lequel il s’est placé maintenant est plus rationnel ; je vais donc l’y suivre.
L’honorable membre nous dit que si nous établissons une majoration des droits différentiels, il n’en résultera peut-être pas un monopole immédiat comme il le soutenait hier, mais qu’il en résultera toujours un préjudice marqué pour l’industrie nationale attendu que l’insuffisance du nombre des navires beiges met cette industrie dans la nécessité de recourir à la marine étrangère, et par conséquent ne lui permet pas d’éviter les droits différentiels.
Cet inconvénient est réel ; toutefois, messieurs, il est loin d’être aussi grave que l’honorable membre le prétend. Il est à remarquer que ni l’honorable rapporteur de la commission, ni moi, ni aucun autre membre de la chambre n’a proposé d’établir immédiatement et d’une manière absolue, des droits différentiels élevés. Ce qu’on a voulu, ce qu’on veut encore, c’est que insensiblement, et à mesure que notre navigation s’étendra et fera des progrès, elle soit protégée par des dispositions graduellement ascendantes ; et voici comment je conçois la chose : On pourrait, sans nuire aux fabriques, à chaque fois qu’il y aurait lieu de modifier le tarif des douanes, à augmenter ou à diminuer les droits d’entrée ou de sortie, établir une légère différence en faveur de notre marine : c’est ainsi, messieurs, que vous avez déjà procédé à diverses reprises ; car je pourrais vous citer plusieurs exemples où, en votant des lois qui modulaient le tarif des douanes, vous avez établi de légères faveurs pour le pavillon national. C’est en continuant dans cette voie qu’on arrivera insensiblement au point ou l’on doit arriver ; mais, je le répète, ni l’honorable rapporteur de la commission, ni moi, ni personne, n’a eu l’idée absurde de vouloir réclamer une protection qui dépasserait les besoins de notre navigation actuelle.
M. Smits. - Ainsi, messieurs, l’on voudrait dans tous les cas établir une augmentation graduée des droits différentiels. Je prie l’honorable préopinant de dire si cette majoration n’aura pas pour résultat l’exclusion de la navigation étrangère ; s’il peut me prouver cela, je changerai peut-être d’opinion mais jusque-là je persisterai dans ma manière de voir, car je soutiens que la concurrence étrangère est favorable à l’industrie et aux consommateurs.
On vous a dit, messieurs, que les navires étrangers n’emportent jamais aucun produit de notre industrie, c’est là une grave erreur ; je vais le prouver ; veuillez faire attention aux chiffres que je vais citer :
En 1835, il est sorti du port d’Anvers :
236 navires belges chargés et 29 sur lest.
557 navires étrangers chargés et 404 sur lest.
Du port d’Ostende :
139 navires belges chargés et 63 sur lest.
269 navires étrangers chargés et 110 sur lest.
Ainsi, sur un mouvement de 1,787 navires, 1,181 sont partis chargés et seulement 606 sur lest ; et on doit remarquer que sur ces 1,787 navires 806 sont étrangers et ont exporté, en raison de leur haut tonnage, au moins trois fois autant de produits belges que tous les nationaux ensemble.
Remarquez, messieurs, que ce mouvement deviendra encore beaucoup plus favorable qu’il ne l’a été en 1835, car alors la loi sur le transit n’existait pas ; et, quoique la Belgique produise beaucoup d’articles, elle ne produit pas cependant tout ce dont les pays étrangers ont besoin ; de sorte que jusqu’ici quelques navires ont quitté la Belgique sur lest pour aller s’approvisionner à Londres, à Hambourg, à Rotterdam et ailleurs où les grands assortiments se trouvent ; mais lorsque la loi du transit aura porté ses fruits lorsque les produits de l’Allemagne, de la France, de l’Angleterre, de la Hollande même se trouveront réunis dans nos entrepôts, alors il est évident, messieurs, que tous les navires étrangers emporteront de nos ports, soit des produits indigènes, soit des produits étrangers, et qu’aucun ne quittera plus nos côtes sans exporter des produits de notre sol, de notre industrie ou de notre commerce.
(Moniteur belge n°345, du 9 décembre 1836) M. Zoude. - Messieurs, M. Smits vient de faire valoir l’importance de la navigation étrangère ; il vous a dit que les navires étrangers ne sortaient pour la plupart de nos ports que chargés des produits industriels de la Belgique. Permettez-moi, messieurs, pour vous donner une idée des avantages prônés par M. Smits, de vous lire un passage du rapport que j’ai eu l’honneur de vous soumettre, relativement aux bois étrangers :
« On a dit que presque tous les bâtiments étrangers emportaient quelque chose de nos produits, le fait est qu’en 1835, sur 175 navires chargés de bois, 101 sont retournés sur lest ; que parmi les autres, il en et 10 au moins dont les objets exportés n’ont pas excédé une valeur moyenne de plu de 50 francs.
« C’est ainsi qu’on fait figurer comme sortis avec chargement, un navire de 267 tonneaux, qui a pris à bord de 700 kilogrammes de houille, un autre de 258, qui a emporté un hectolitre de genièvre ; d’autre, enfin, avec des étoupes, dont le poids a varié depuis 42 kil. jusqu’à 200. »
(Moniteur belge n°344, du 8 décembre 1836) M. A. Rodenbach. - Messieurs, il est évident que nous produisons plus que nous ne consommons, qu’il y a en Belgique son excédant de produits agricoles, manufacturiers et industriels ; il faut donc tâcher de les écouler, et pour cela il faut favoriser la marine nationale.
Il s’agit ici de faire un essai en faveur de cette marine, et cet essai il faut le tenter ; on ne vous demande d’ailleurs que 60.000 fr., et c’est là une bien faible somme, quand il est question de protéger l’industrie nationale. Si plus tard nous nous apercevions que l’allocation n’est point utile, nous pourrions toujours la refuser, lorsque de nouvelles demandes de fonds nous seraient faites pour cet objet.
Messieurs, nous sommes un pays constitué depuis six ans ; nous cherchons partout des débouchés. Naguère encore, la société de commerce de Bruges, dont le fonds social est de deux millions, a le plus grand intérêt à avoir des bâtiments pour tenter le commerce avec le Brésil ; eh bien, avec le léger encouragement de 30 francs par tonneau, vous allez peut-être ouvrir à nos toiles, à nos lins et à d’autres productions indigènes un débouché dans le Brésil.
Ainsi, avec une faible somme, vous pouvez peut-être créer de nouveaux débouchés ; je ne vois pas pourquoi on pourrait hésiter devant un pareil avantage.
On a parlé depuis plusieurs jours de droits différentiels dans cette chambre ; cette question me paraît étrangère au projet de loi qui nous occupe. Bornons-nous maintenant à discuter la loi ; plus tard nous examinerons la question des droits différentiels, quand il s’agira de régler nos intérêts commerciaux.
Nous sommes à la veille de discuter un projet de loi relatif à un crédit destiné à l’achat d’une bibliothèque ; ce crédit est de plus de trois cent mille francs ; or, je ne pense pas que nous employions 3 jours à la discussion de ce projet. Non pas que je sois opposé à cette loi, puisque très probablement je l’adopterai, mais je désire que la chambre ne refuse pas non plus un léger encouragement, alors qu’il s’agit d’une industrie importante qui existe dans le pays. Je concevrais les hésitations de la chambre, et moi-même j’hésiterais, s’il s’agissait d’un ou de plusieurs millions ; mais le gouvernement ne demande qu’une somme de 60 mille francs, et je ne pense pas qu’en la votant, nous compromettions la fortune du peuple.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je pense que l’on peut très bien adopter la loi actuellement en discussion sans s’exposer à préjuger en aucune manière la question des droits différentiels, ni celle d’une marine militaire
En effet, messieurs, en ce qui concerne la marine militaire, je ferai observer que les navires que nous possédons maintenant peuvent naviguer librement sans danger ; il en sera de même pour les navires qui seront construits pendant la courte durée que la loi est destinée recevoir, puisque le terme proposé par le gouvernement n’est que de 2 ans et celui qui est présenté par la commission de 3 ans.
En ce qui concerne la question des droits différentiels, je pense, messieurs, que quel que soit le système en faveur duquel la législature se prononcera, il est évident que le peu de navires que nous avons maintenant, et ceux qui seront construits pendant ce court intervalle continueront à trouver un emploi utile. Il est à remarquer, d’ailleurs, que les primes pour constructions de navires ont pour objet spécial de déterminer l’emploi de nos matières premières et d’un grand nombre d’ouvriers. Or, je pense qu’il est utile de fixer en Belgique l’industrie de la construction des navires ; et même je crois que l’on peut, sans témérité, prédire que cette industrie prendra de l’accroissement en Belgique qui offre tous les éléments de succès pour la construction de navires à vapeur autant qu’aucun autre pays de l’Europe, Je pense donc qu’il serait toujours utile de conserver les constructeurs existants, et même d’encourager un plus grand nombre de personnes à se livrer à cette profession.
Et remarquez que les charges pécuniaires qui résulteraient de l’adoption du projet de loi, ne seront jamais très importantes ; car d’après un relevé (que j’ai sous les yeux) des navires construits depuis 1830 jusqu’à présent, je pense que les primes qui devraient être appliquées, suivant le système de la loi, ne dépasseraient pas une somme de 60 à 70 mille francs. En admettant qu’une pareille somme pût être dépensée dans les deux années suivantes, les conséquences nécessaires ne seraient jamais très graves. Il est évident, au surplus, qu’en accordant des primes pour 2 ans, vous ne vous engagez nullement à les continuer pour l’avenir.
D’après ces considérations, je ne vois aucune conséquence fâcheuse qui puisse résulter de l’adoption de la loi ; au contraire, des avantages m’y paraissent attachés.
J’attendrai la discussion des articles pour me prononcer sur les divers amendements qui ont été annoncés.
M. Rogier. - Messieurs, plus nous avançons dans cette discussion, et plus nous demeurons convaincus qu’il est indispensable que le gouvernement communique à la chambre les documents statistiques commerciaux qu’il a dû recueillir, Voilà, messieurs, plusieurs années que nous les réclamons ; et c’est toujours dans l’absence des renseignements officiels, que nous nous sommes occupés des lois concernant le commerce et l’industrie. Véritablement, la chambre devrait s’interdire sagement toute espèce de discussion sur des lois semblables, jusqu’à ce qu’elle fût en possession des documents qu’elle a réclamés. Ces renseignements, par exemple, nous seront indispensables, quand il s’agira d’aborder la question des droits différentiels.
D’après des documents statistiques qui m’ont été communiqués, il paraîtrait que beaucoup de marchandises sont exportées par navires étrangers ; cette circonstance, messieurs, doit nous faire insister avec plus de force pour que l’on nous distribue enfin les pièces officielles que nous sollicitons depuis si longtemps et qu’on publie partout. Nulle part, on ne s’avise de discuter des lois commerciales en l’absence de pareils documents.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, le désir de l’honorable préopinant a été aussi depuis longtemps celui du gouvernement ; nous n’avons pas cessé un instant de nous occuper à recueillir les éléments de la statistique commerciale L’impression en est commencée depuis près d’un an ; et je pense qu’elle sera terminée sous peu de jours. Des exemplaires en seront immédiatement attribués aux membres de la chambre.
M. Devaux. - Je demanderai aussi la communication des rapports des agents commerciaux qui ont été envoyés dans diverses parties du monde ; ces rapports doivent être d’un très grand intérêt.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Ces rapports n’ont pas été imprimés, à l’exception d’un seul. Du reste, je tiendrai note de l’observation faite par l’honorable préopinant. Si parmi les rapports il s’en trouvait qui présentassent des faits intéressants, dont la publication ne fut pas préjudiciable, je les ferais livrer à l’impression, et distribuer ensuite aux membres de la chambre.
M. de Foere. - L’honorable député de Mons a pensé qu’une marine militaire était nécessaire pour protéger la marine marchande contre les pirates de mer, et que, par le traité des 24 articles, la construction d’une marine militaire sur le chantier d’Anvers nous était interdite. Subsidiairement, il croit qu’une marine militaire ne pourrait être construite sur les chantiers d’Ostende. Je crois que la première question sera mieux résolue par les faits, lorsque notre marine marchande aura pris quelques développements. Je dirai seulement qu’aujourd’hui on parvient à armer les bâtiments marchands de manière à pouvoir résister aux attaques des pirates.
Je ne suis pas de l’opinion de l’honorable membre quand il pense que le traité des 24 articles nous interdit de construire les bâtiments de guerre dont nous pourrions avoir besoin pour protéger notre marine marchande contre les pirates de mer. Ce traité nous défend d’établir une marine militaire belligérante, soit pour faire une guerre maritime contre une autre nation, soit pour contracter une alliance avec une nation qui voudrait entreprendre une guerre de cette nature ; mais ce traité ne nous interdit pas de créer une marine militaire, destinée uniquement à défendre notre commerce sur mer. Comme puissance neutre, nous n’avons pas le droit de faire la guerre.
Cependant on ne nous conteste pas le droit de créer une armée pour défendre nos frontières, notre indépendance, et pour assurer l’ordre à l’intérieur. La possession d’une marine protectrice de notre marine marchande ne nous est pas davantage interdite par les 24 articles.
Ensuite, si cette défense existait dans les 24 articles, l’honorable membre se trompe quand il prétend que ni à Bruges ni à Boom ni à Ostende, on ne pourrait construire de bâtiments. Je ferai observer que deux ou trois bricks stationnaires, qui pourraient être construits sur tous nos chantiers, suffiraient pour protéger notre commerce sur mer.
Le même orateur doute qu’une marine marchande soit utile, et il ajoute que personne n’a défendu cette utilité. Pour être bref, je prierai l’honorable député de Mons de relire le rapport de la commission ; il y verra un grand nombre de raisons développées pour prouver que cette utilité existe à un haut degré.
Il pense avec M. Smits qu’en augmentant les droits différentiels nous éloignerions les navires étrangers des ports d’Anvers et d’Ostende.
Il est une vérité avérée par tous les faits commerciaux, qui prouve que la protection que nous demandons ne peut avoir le résultat qu’on prédit ; c’est qu’en tout la production est toujours en raison de la demande. Si donc nos navires ne suffisent pas à notre mouvement commercial les navires étrangers viendront suppléer aux besoins auxquels notre marine marchande n’aura pas satisfait.
Aussi l’honorable membre a confondu les droits différentiels avec les droits de transit. Je lui ferai observer que les droits différentiels n’affectent en aucune manière le transit. Le transit est libre de tout droit différentiel. Les navires étrangers qui viendront entreposer des marchandises pour les transiter en Allemagne ne seront pas arrêtés par les droits différentiels que la chambre pourrait plus tard voter car ces droits ne les atteindraient pas.
Cet honorable membre croit aussi que la marine marchande n’est pas chez nous une industrie, comme si l’histoire tout entière du pays ne prouvait pas que la Belgique a continué à donner l’impulsion à tous les autres pays maritimes pour créer cette industrie. Nous avons eu, bien avant l’Angleterre et de l’aveu de cette puissance, la plus belle marine du monde, c’est même notre marine et celle de la Hollande qui a provoqué son célèbre acte de navigation. Depuis lors, nous n’avons jamais cesse d’exercer cette industrie maritime. Au surplus, il n’existe pas de si petit pays ayant un littoral maritime qui n’ait une marine marchande proportionnée à son commerce, à sa population et à sa richesse. Même les villes souveraines qui n’ont qu’un seul port, ont eu toujours et ont encore une marine marchande.
Quelle que soit la quantité de marchandises belges exportées par navires étrangers pendant l’année indiquée par M. Smits, le lui répondrai qu’il ne prouve rien en établissant la quotité prise dans une seule année ; il aurait dû produire le terme moyen des exportations faites depuis la révolution jusqu’à présent, par navires étrangers ; alors son chiffre, si toutefois il est exact, aurait pu prouver quelque chose ; mais en établissant son raisonnement sur ce chiffre moyen, je crois pouvoir assurer que l’honorable membre serait arrivé à une conclusion toute contraire.
M. Smits. - Il m’a paru que l’honorable préopinant m’a prêté deux erreurs que je n’ai pas commise. Il a prétendu que j’avais dit que le droit différentiel affectait le transit. Je sais le contraire ; je sais que les marchandises qui arrivent pour être expédiées en transit sont déposées à l’entrepôt et que le droit différentiel ne frappera que sur celles qui seront livrées à la consommation. Je n’ai pas dit non plus que la construction de navires n’était pas une industrie. Je l’ai si peu dit que je soutiens la loi des primes.
Je prie l’honorable membre, quand il rappellera mes paroles à l’avenir, de le faire d’une manière plus exacte.
M. Gendebien. - Au lieu de répondre à mes observations, on a jeté en avant des possibilités, des sécurités. Si on peut nous garantir que l’état de paix actuel durera toujours, je serai de l’avis du ministre de l’intérieur qui a dit : Nos bâtiments naviguent avec sécurité ; ceux qu’on va construire naviguerons avec la même sécurité. Il ne manque à cela qu’une garantie contre une guerre future, et je doute fort que M. le ministre prît sur lui la responsabilité de garantir qu’il ne surviendra pas.
Or, je n’ai parlé que du cas de guerre, et j’ai dit, après avoir démontré le peu d’utilité des constructions pour les armateurs et pour le pays, qu’il serait dangereux de les encourager, parce que nous n’avons aucune espèce de marine militaire pour la défendre et qu’elle serait enlevée au premier événement. On n’a donc pas répondu à l’objection principale que j’avais faite.
On n’a pas répondu non plus à cette autre observation que si on pouvait réaliser les espérances que j’ai traitées d’utopies, il en serait bientôt de notre liberté de l’Escaut comme des autres garanties que nous tenons du bon vouloir des puissances étrangères.
La liberté de l’Escaut, ai-je dit, est plus utile aux étrangers qu’à nous ; la France, l’Angleterre, surtout, et les autres puissances sont plus intéressées que nous que nous à la navigation libre de l’Escaut ; quand vous aurez frappé leurs navires d’un droit différentiel qu’on ne manquera pas de réclamer très élevé pour protéger notre marine, ces puissances n’ayant plus intérêt à ce que l’Escaut soit libre, mais bien à le faire fermer, au moins momentanément, elles se contenteront de ne plus nous protéger, elles intrigueront contre vous et six mois de fermeture de l’Escaut suffiraient pour ruiner toutes les belles espérances qu’on conçoit du développement de la marine nationale.
On n’a rien répondu à cette observation qui méritait ce me semble, une réfutation. On a dit d’un autre côté : Nous cherchons des débouchés ; la société de Bruges nous en procurera au moyen de ses constructions.
Mais j’ai démontré que ces navires ne pouvant pas soutenir la concurrence dans les ports étrangers, ne trouveraient pas de retour et qu’alors nous serions obligés de les indemniser au moyen d’une prime pour compenser le défaut de retour. A moins qu’on ne soit décidé à aller jusque-là, tout ce qu’on fera pour la navigation sera sans utilité et pourra même être dangereux pour ceux qui se hasarderaient à entreprendre des constructions. On a déjà reconnu que le droit de 10 p. c. serait insuffisant et qu’il faudrait aller plus loin.
L’honorable M. de Foere a dit qu’une marine militaire était inutile et qu’il suffirait de deux ou trois bricks stationnaires pour protéger notre marine marchande. On dit qu’il a oublié un zéro. Je crois que quand il ajouterait un zéro et même deux, nous ne serions pas mieux protégés pour cela.
J’avais dit que d’après les traités des 18 et 24 articles il vous était défendu de faire aucune construction et même d’avoir aucune station de marine militaire à Anvers. L’honorable M. de Foere a paru contester ce fait.
Je ne puis que le renvoyer au texte des 24 et même des 18 articles ; il verra que cette défense se trouve textuellement dans les deux traités. Si je me suis trompé, je prie M. le ministre des affaires étrangères de rectifier mes allégations.
On m’a assuré que par un article secret, toute espèce de construction militaire nous était défendue. Il est possible qu’on n’ait pas poussé l’exigence jusque-là, parce qu’en fait, nous ne pouvons pas construire de marine militaire à Ostende. Nous ne saurions pas d’ailleurs où l’abriter.
Ainsi il est une chose bien constante, c’est que jamais nous n’aurons de marine militaire, aussi longtemps que nous resterons dans la position où nous nous trouvons ; dès lors, point de marine marchande possible. A moins que des primes et des privilèges exorbitants ne dédommagent les armateurs de tous les désavantages de notre position.
On a dit que j’avais confondu les droits différentiels avec les droits de transit ; on s’est trompé, car je n’ai pas établi de comparaison ni d’argumentation sur ces deux espèces de droits. Ainsi l’observation qu’on a faite à cet égard s’adresse sans doute à un autre préopinant. Cependant on a dit : « le député de Mons ; » je le répète, on s’est trompé ; car je n’ai pas fait le moindre argument de ce genre.
J’ai dit que déjà nous avions, en favorisant le transit, fait des sacrifices pour amener des navires étrangers dans nos ports ; j’ai dit que le transit, tout en amenant dans nos ports des moyens d’échange de nos produits contre des cargaisons étrangères ne nous coûtait pas moins des sacrifices pour attirer chez nous les navigateurs étrangers ; car nous transportons les marchandises étrangères dans des pays voisins où nos marchandises pourraient aller, si nous ne facilitions par l’arrivée par notre territoire des denrées étrangères. J’ai dit que ces sacrifices seraient inutiles si, par une protection trop forte accordée à nos bâtiments nationaux, nous écartions les bâtiments étrangers.
J’ai argumenté des droits différentiels et des sacrifices inutiles du transit pour constater une contradiction ; mais je n’ai aucunement confondu deux choses bien distinctes pour tout homme qui connaît la valeur des mots.
On m’a reproché d’avoir dit que la marine marchande n’était pas et ne pouvait pas être une industrie en Belgique. Je n’ai pas dit cela. J’ai dit que le nombre infiniment petit de nos bâtiments ne constituait pas une marine marchande ni une industrie proprement dite. J’ai dit que si nous avions une industrie telle que l’espère M. Donny, après dix années de persévérance et à grands renforts de primes, je comprendrais que l’on délibérât mûrement sur la question de savoir si le trésor doit intervenir pour soutenir cette marine et pour lui donner le temps d’améliorer sa position momentanément critique. J’ai dit que notre marine dans l’état où elle se trouve forcement réduite ne pouvait constituer une industrie proprement dite en Belgique. Je n’ai pas dit, je le répète, que la marine en Belgique ne pouvait pas être une industrie, mais qu’en cherchant à en faire une industrie, on compromettrait toutes les industries du royaume.
On vous a dit que nous avons eu la plus belle marine marchande du monde. Sans doute. Mais à quelle époque ? A une époque où nous avions de nombreux ports, des colonies et une brillante marine militaire pour défendre notre marine marchande ; en un mot avant la séparation des provinces unies par les guerres atroces de Philippe II.
Depuis lors tout est bien changé même pour nos voisins, et quant à nous nous n’avons plus eu depuis lors de marine marchande qui pût être considérée comme une industrie vraiment nationale. Nous sommes condamnés pour longtemps encore à vivre de fiction.
M. Donny. - L’honorable M. Gendebien paraît révoquer en doute que le port d’Ostende soit suffisant pour abriter une marine marchande, si elle était plus considérable, et une marine militaire. Quant à la marine militaire, j’en fais bon marché ; je n’en suis pas plus partisan que lui. Mais, quant à la marine marchande, je lui rappellerai l’époque de la guerre d’Amérique où le port d’Ostende servit d’abri à une masse de bâtiments marchands. Ce port, s’il y en avait l’occasion, présenterait le même abri au commerce que précédemment.
M. Gendebien. - L’honorable M. Donny ne m’a pas bien entendu, ou je me suis mal exprimé. Il fait bon marché de la marine militaire, vous a-t-il dit. C’est précisément de la marine militaire que j’ai parlé. M. Donny lui-même convient que le port d’Ostende serait insuffisant pour en contenir une. Or, je vous le demande, peut-on songer à construire une marine militaire alors qu’on ne saurait où la placer. Je reconnais que le port d’Ostende peut recevoir une marine marchande. Je ne l’ai jamais contesté ; seulement j’ai dit qu’il ne pouvait contenir une marine marchande et une marine militaire réunies. Je crois donc que l’honorable membre aurait pu se dispenser de relever une erreur qui n’existait pas.
Un grand nombre de membres. - La clôture.
M. de Foere. - Je ne dirai qu’un mot pour rectifier une erreur : c’est que l’honorable M. Smits s’est appliqué à tort la réponse que j’avais faite à l’honorable M. Gendebien.
- La clôture de la discussion générale est prononcée.
M. le président. - La discussion est ouverte sur l’article premier du projet du gouvernement, l’article premier du projet de la commission et l’amendement de M. de Roo.
Ces dispositions sont ainsi conçues :
« Art. 1er. (projet du gouvernement). Tout Belge qui, depuis le 1er janvier 1836 jusqu’au 31 décembre 1838, construira sur les chantiers du royaume, un navire de commerce à voiles, d’un tonnage de 100 à 400 tonneaux inclusivement, recevra, à titre de prime, si le navire est doublé et chevillé en cuivre ou zinc, une somme de trente francs (fr. 30) par tonneau de jauge d’un mètre et demi cube. »
« Art. 1er. (projet de la commission). Tout Belge qui construira sur les chantiers du royaume, un navire de commerce à voiles, ou un bateau à vapeur, d’une capacité de 100 à 500 tonneaux inclusivement, recevra, à titre de prime, si le navire est doublé et chevillé en cuivre ou zinc, une somme de trente francs (fr. 30) par tonneau de jauge d’un mètre et demi cube. »
Amendement de M. de Roo à l’article 1er du projet du gouvernement :
« Il en sera de même des navires et bateaux à vapeur, construits depuis le 1er octobre 1830, lorsque ces navires ou bateaux contiennent la capacité voulue par la présente loi, et auront navigué exclusivement sous pavillon national. »
M. Hye-Hoys. - L’art. 1er du projet de loi soumis à la chambre, tendant à encourager la navigation nationale, accorde une prime de 30 francs par tonneau de jauge d’un mètre et demi cube, pour les navires à voiles, d’un tonnage de 150 à 300 tonneaux, construits sur les chantiers du royaume, qui seront doublés et chevillés en cuivre ou en zinc ; l’art. 2 réduit cette prime pour lesdits navires à 24 francs, lorsqu’ils ne seront pas doublés en métal.
L’art. 4 élève, pour les bateaux à vapeur, la prime de 30 francs à 40 francs, et celle de 24 francs à 36 francs.
Je crois utile de faire remarquer d’abord qu’on n’aperçoit pas le motif qui fait élever dans l’art. 4 la prime à 30 francs d’un tiers, et celle de 24 francs de moitié, pour les bateaux à vapeur ; il semble que, si cette augmentation était justifiée, les deux primes devraient garder dans leur accroissement la même proportion, c’est-à-dire que si la prime de 30 francs est portée à 40 francs, celle de 24 francs ne devrait l’être qu’à 32.
On ne peut dès lors se dispenser de demander pourquoi l’art. 2 élève cette dernière prime à 36 francs.
Mais je vais plus loin, et je dirai que cette augmentation de prime, soit pour les bateaux à vapeur doublés en cuivre ou en zinc, sont pour ceux qui ne le sont pas, ne semble nullement justifiée.
Le but qui domine le projet de loi, but attesté par l’importance du tonnage des navires auxquels il accorde la prime, est d’encourager la grande navigation, la navigation de long cours, la seule propre à étendre au loin nos éclations commerciales et à créer des marins expérimentés. Or les bateaux à vapeur ne sont pas ceux qu’on emploie, ni qu’on puisse employer pour cette navigation ; ce n’est que pour le cabotage, la navigation fluviale et le transport des voyageurs qu’il en est fait usage, et dès lors ce n’est pas le but dominant du projet de loi, que leur construction réclame plus de faveur que celle des navires à voiles.
Il est à remarquer que l’arrêté du 5 octobre 1823 n’avait étendu le bénéfice de la prime de construction qu’il accordait qu’aux bâtiments à voiles ; ce n’est que par l’arrêté du 29 juillet 1825 que cette prime a été également stipulée pour la construction des bateaux à vapeur, mais sans aucune augmentation en faveur de ceux-ci ; cet arrêté reconnaissant ainsi formellement que si la construction des bateaux à vapeur méritait d’être encouragée, elle ne devait pas l’être toutefois à un plus haut degré que celle des bâtiments à voiles.
Je pense qu’il est, par ces considérations, dans l’intérêt bien entendu de notre grande navigation marchande, celle qui doit être placée en première ligne, de lui accorder au moins autant de faveur dans la construction de ses navires que dans celle des bateaux à vapeur, et de ne mettre par suite aucune différence, au profit de ceux-ci, dans la prime accordée aux premiers.
L’art. 3 du projet de loi dit que la prime ne sera accordée aux navires à voiles, mesurant au-delà de 300 tonneaux, que jusqu’à concurrence de ce dernier tonnage ; et l’art. 4, qu’elle sera accordée, plus l’augmentation qu’il stipule, « quel que soit leur tonnage, aux bateaux à vapeur. »
Ainsi la construction des bateaux à vapeur est exceptionnellement favorisée, non seulement dans la hauteur de la prime, mais encore dans celle du tonnage, qui reste, pour eux, sans limite aucune, dans l’application de la prime toute particulière dont les gratifie le projet de loi.
On en donne pour motif qu’une grande partie de la capacité des bateaux à vapeur est employée au placement des machines qui, par l’espace qu’elles occupent, diminuent quelquefois la charge du tiers à la moitié.
Si ce motif pouvait être déterminant, tout ce qui en résulterait, c’est que la prime à accorder aux bateaux à vapeur ne devrait s’appliquer qu’à la différence de la charge du tiers à la moitié, et nullement au-delà, sans aucune limite du maximum dans l’élévation du tonnage.
Mais ce motif, loin d’être déterminant, n’est pas même admissible, car le fret des bateaux à vapeur est de moitié plus élevé que celui des navires voiles ; ce qui est d’ailleurs une conséquence et une nécessité de l’espace qu’il occupe dans son tonnage, le placement de ses machines, autant que des frais de combustibles qu’entraîne cette navigation, qui récupère ainsi sur le prix du fret l’espace que le placement de ses machines lui fait perdre en tonnage disponible.
L’arrêté du 5 octobre 1823 accordait la prime, sans déterminer le maximum du tonnage auquel elle pouvait s’appliquer. L’art. 3 du projet de loi ne l’étend pas, pour les navires à voiles, au-delà d’un jaugeage de 300 tonneaux, parce que cette espèce de bâtiments convient le mieux, est-il dit dans l’exposé des motifs, à la Belgique, dans ses relations de commerce actuelles.
Je ne puis pas plus admettre ce motif que celui dont je viens de parler. Il me semble que nous ne devons pas nous borner à protéger notre navigation nationale dans les limites de nos relations actuelles, mais que nous devons chercher à les étendre jusque dans les contrées les plus lointaines, et, par une conséquence nécessaire, favoriser, dans cette expectative, la construction des navires, dont les voyages de long cours réclament un plus fort tonnage que celui de 300 tonneaux. C’est ce qu’on ne peut éviter de faire sans poser en quelque sorte des bornes à notre commerce maritime ; ce qui, certes, n’entre pas dans l’esprit du projet de loi qui nous est présenté.
Telles sont les modifications que je voudrais voir apporter, dans les intérêts réunis de l’industrie, du haut commerce et de notre grande navigation, à la rédaction du projet de loi qui nous est présenté.
Je voterai, par ces motifs, en faveur du projet de loi amendé par votre commission, comme renfermant les modifications et extensions que je désirais voir apporter, dans les intérêts réunis de la grande navigation et du commerce, à celui présenté par le gouvernement.
M. le président. - M. Rogier vient de déposer un amendement qui consiste à substituer le chiffre de 60 à celui de 100 comme minimum du tonnage.
M. Rogier. - J’ai déjà donné dans la discussion générale les motifs de cet amendement. J’ai fait observer que le commerce des marchandises de l’Europe se fait généralement par navires de 60 tonneaux. C’est ce que l’on voit dans la navigation de cabotage que font la Russie, l’Angleterre, la Suède, le Danemark, la France et l’Espagne. Il faut donc encourager la construction de navires de 60 tonneaux, puisque ces navires sont les plus avantageux au commerce. On doit tirer cette conclusion de ce qu’ils sont employés en plus grand nombre que ceux d’un tonnage plus considérable.
J’ai fait une observation assez importante pour prouver qu’il faut encourager la navigation de cabotage, c’est qu’elle emploie un grand nombre de marins ; et c’est aussi pour encourager la production des marins que nous encourageons la construction des navires.
Je sais que pour faire un navire de 60 tonneaux, il faut moins de dépenses que pour en construire un de cent tonneaux. Mais je demande s’il ne convient pas d’encourager autant les petits capitalistes que les grands capitalistes.
Je crois donc que mon amendement est utile. Du reste j’attendrai les observations qui pourraient être faites pour le retirer s’il n’atteignait pas le but que je me suis proposé.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Vous remarquerez, messieurs, que le gouvernement précédent n’accordait des primes que pour la construction des navires de 300 tonneaux et plus. Nous vous avions proposé d’accorder des primes aux navires de 150 tonneaux (minimum). Mais, depuis la présentation du projet de loi, les chambres de commerce ont désiré que l’on descendît pour accorder des primes jusqu’à 100 tonneaux. Je pense que c’est à ce chiffre qu’il convient de s’arrêter. Le commerce n’a pas demandé davantage. Il est certain qu’il est plus facile de construire des petits navires que des grands navires, parce qu’on y engage un capital moins considérable. En faisant cette observation, je ne crois pas qu’il s’agisse de protéger plus les petits capitalistes que les grands capitalistes ; car de grands capitalistes peuvent aussi bien que de petits capitalistes faire construire des navires d’un faible tonnage, s’ils les jugent utiles au commerce. Mais puisqu’il faut une limite, je crois qu’il faut adopter celle indiquée dans le projet de loi sur la demande des chambres de commerce.
Je pense qu’il est inutile d’accorder des primes jusqu’à concurrence de 500 tonneaux, et qu’il faut s’arrêter à 400 tonneaux. En effet notre commerce, n’ayant plus lieu avec les Grandes-Indes, n’a plus besoin de navires d’un tonnage supérieur à 350 ou 400.
Ainsi l’on pourrait, sans inconvénients, arrêter la prime à 400 tonneaux ; car, ce que l’on doit encourager, ce sont les bâtiments les plus utiles au commerce.
En ce qui concerne les bateaux à vapeur, je demanderai que cette question soit discutée séparément ; le gouvernement en avait d’ailleurs fait la proposition. Je désire que cet objet fasse un article à part. Il y a pour cela deux motifs, la différence de prime et la différence de tonnage. Je ne vois au reste aucun avantage à confondre ces deux sortes de navires dans un seul article de loi.
- La proposition de M. le ministre de l'intérieur, de faire deux articles des navires ordinaires, et des bateaux à vapeur, est mise aux voix et adoptée.
M. de Foere. - Je m’oppose aussi, comme l’honorable ministre de l’intérieur, à l’amendement de M. Rogier. Ce serait dépasser le but de la loi que d’accorder des primes à des navires de 60 tonneaux. Le but exclusif de la loi est de protéger la navigation de long cours. Aussi la Belgique n’a pas d’autre intérêt. Si vous protégiez la petite navigation ou le cabotage, vous dépasseriez donc le but de la loi. Aucune espèce de réclamation n’est parvenue à la commission à cet égard. Elle a reçu des réclamations de la part de la chambre de Louvain et de celle de Bruxelles, afin d’accorder des primes aux navires de 100 tonneaux ; la majorité de la commission a cru devoir abaisser le tonnage à ce chiffre. Mais tel n’était pas mon avis, parce que ces bâtiments ne sont pas destinés à la navigation de long cours. Si je ne pense pas qu’on doive accorder des primes aux navires de 100 tonneaux, à plus forte raison en refuserai-je à ceux de 60 tonneaux.
Je me proposais de présenter des observations sur les primes proposées pour les bateaux à vapeur ; mais puisqu’il a été décidé que l’on traiterait de cet objet dans un article séparé, je me réserve d’en parler alors.
M. Rogier. - En proposant le chiffre de 60 tonneaux, je n’ai fait, me semble-t-il, que suivre les principes qui avaient été adoptés par la commission, puisqu’elle a voulu favoriser les constructions maritimes utiles au cabotage en descendant à 100 tonneaux. Il résulte des tableaux statistiques que la navigation par le cabotage s’effectue par des navires inférieurs à 100 tonneaux. Si l’on ne voulait encourager que la navigation de long cours, il faudrait n’encourager que la construction des bâtiments d’un plus haut tonnage. La commission aurait dû manifester sa pensée à cet égard d’une manière plus claire.
J’ignore si les chambres de commerce ont réclamé ; mais je sais personnellement, d’après les observations des armateurs, que si l’on veut encourager le cabotage, comme il se fait ordinairement avec des navires entre 100 tonneaux et 60, il faut descendre le chiffre jusqu’à la capacité de 60 tonneaux, pour atteindre le but. Il est préférable d’avoir deux navires de 60 tonneaux qu’un seul de 100.
Au reste je n’insisterai pas trop sur mon amendement, pas plus que sur la loi tout entière ; je ne l’approuve pas beaucoup, et je ne serai pas très chagrin du rejet de ma proposition.
M. A. Rodenbach. - Il faudrait qu’on nous expliquât pourquoi on ne veut pas accorder de primes aux navires de 500 tonneaux. Pour la navigation du Brésil, il faut des bâtiments d’un haut tonnage. Autrefois, ceux que l’on construisait en Belgique pour Java et pour les Indes orientales étaient quelquefois de 800 tonneaux ; pourquoi maintenant ne croirait-on pas avoir besoin de navires de 500 tonneaux ?
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - J’en ai déjà donné la raison. Il faut encourager la construction des navires les plus utiles, c’est-à-dire les plus usuels ; or, d’après les renseignements qui j’ai reçus, les navires de 350 à 400 tonneaux sont le maximum de ceux que l’on peut employer dans nos relations commerciales actuelles.
M. Coghen - Il me semble qu’il n’y aurait aucun inconvénient à abaisser le jaugeage de 100 tonneaux ; car 100 tonneaux de jaugeage, font 150 tonneaux de poids.
Quant à la limite supérieure de 400 tonneaux, je crois qu’elle atteint en effet le maximum de capacité des navires qu’on peut employer dans ce pays, et que les besoins de notre commerce n’exigeront jamais davantage et rarement autant ; je ne crois pas enfin que l’on construise des navires de 500 tonneaux ; cependant on pourrait conserver ce chiffre de 500, parce que les constructeurs sauront toujours bien ce qu’ils doivent entreprendre.
Quelques membres demandent si l’on discute le projet de loi présenté par le gouvernement, ou celui présenté par la commission.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux) fait observer qu’il se rallie en partie aux amendements proposés par la commission et qu’il ne voit aucun but à discuter un projet plutôt que l’autre.
- L’amendement de M. Rogier, ou le chiffre de 60 tonneaux mis aux voix est rejeté.
Le chiffre de 400 tonneaux proposé par M. le ministre de l’intérieur, mis aux voix, n’est pas admis.
- Le chiffre maximum de 500 tonneaux, proposé par le projet de la commission, est maintenu.
M. le président. - L’art. 1er est ainsi conçu :
« Tout Belge qui construira, sur les chantiers du royaume, un navire de commerce à voiles ou un bateau à vapeur d’une capacité de 100 à 500 tonneaux inclusivement, recevra à titre de prime, si le navire est doublé et chevillé en cuivre, ou double en zinc et chevillé en cuivre, une somme de 30 fr.par tonneau de jaugeage d’un mètre et demi cube. »
M. Smits. - Je crois qu’il faudrait dire simplement dans l’article premier : « doublé et chevillé en métal, » parce que l’on ne cheville pas en zinc.
M. A. Rodenbach. - La commission a fait la même observation.
M. de Foere, rapporteur. - Messieurs, la commission a rectifié une erreur dans le projet du gouvernement : l’article premier de ce projet supposait des navires doublés et chevillés en zinc ; or, les navires ne sont pas chevillés en zinc. C’est pourquoi la commission a dit : « Si le navire est doublé et chevillé en cuivre ou doublé en zinc et chevillé en cuivre ; » cette rédaction me paraît préférable à celle de M. Smits, parce que nous disons à 1’article 2 : « doublés et chevillés en métal, » et que si nous adoptions encore le mot « métal » dans l’article premier, ce serait une répétition que nous pouvons très bien éviter à l’art. 2.
M. Verdussen. - Je crois, messieurs, que la rédaction proposée par l’honorable M. Smits est préférable à celle de la commission : il vaut mieux adopter le terme général de métal que les expressions limitatives de cuivre ou zinc.
- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.
L’ensemble de l’art. 1er. ainsi modifié est ensuite mis aux voix et adopté.
L’art. 2 est également adopté.
M. de Foere, rapporteur. - Nous avons, à l’art. 1er, adopté le maximum de tonnage de 500 tonneaux. Nous devons établir le même chiffre à l’art. 3.
M. Hye-Hoys. - Messieurs, il y a une omission dans cet article 3 ; il dit :
« Ces primes seront également accordées aux navires à voiles mesurant au-delà de 300-tonneaux, mais seulement jusqu’à concurrence de cette dernière capacité. »
Par cette rédaction vous excluez du bénéfice de la loi les bateaux à vapeur mesurant au-delà de 500 tonneaux ; je ne vois pas le motif de cette exception.
- Cette observation n’a pas de suite, et M. le ministre de l'intérieur, ayant déclaré qu’il se rallie à la rédaction de la commission, l’art. 3 tel qu’il est proposé par la commission est mis aux voix et adopté.
M. le président. - L’art. 4, présenté par le gouvernement est conçu comme suit :
« Pour les bateaux à vapeur la prime sera de 36 ou 40 fr., quel que soit le tonnage suivant les différences établies par les articles 1 et 2 en ce qui concerne le chevillage et le doublage. »
M. de Foere, rapporteur. - La commission n’a vu aucun motif pour avantager la construction de bateaux à vapeur le but de la loi étant seulement de favoriser la construction de navires de long cours, et les bateaux à vapeur n’étant destinés qu’à transporter les passagers et quelques marchandises d’un port à un autre, elle n’a pas cru devoir accorder une faveur aux bateaux à peur. Quant à moi personnellement, quoique la loi mette les bateaux à vapeur sur le même pied que les autres, si quelque membre proposait un amendement pour n’accorder aucune prime aux bateaux à vapeur, je l’appuierais ; car je le répète, la loi n’a d’autre but que de protéger la navigation de long cours, et ce but sera dépassé si la protection s’étend aux bateaux à vapeur.
M. Coghen - Il y a, messieurs, un double motif pour avantager la navigation à vapeur : sous le rapport de cette navigation le pays est encore aujourd’hui exploité par l’Angleterre, et nous devons tâcher de nous réserver à nous-mêmes cette industrie et d’employer nos propres machines à vapeur, qui sont confectionnés par des bras belges et avec des fers de la Belgique, qui consomment des charbons provenant de notre sol. Nous devons, messieurs, assurer au pays cette nouvelle conquête sur l’étranger.
On ne se lance pas aisément dans des constructions de bateaux à vapeur qui exigent des capitaux considérables, et il faut les encourager si vous voulez qu’on les fasse à l’intérieur.
Si vous ne favorisez pas ces constructions, on continuera à recourir à l’étranger qui enlèvera par là des bénéfices qu’au moyen d un léger sacrifice vous pouvez réserver à la Belgique.
M. de Foere, rapporteur. - L’honorable orateur vient de dire que le pays est exploité par l’Angleterre en ce qui concerne la navigation à vapeur. Mais, messieurs, c’est un fait que la compagnie de navigation à vapeur de Londres a cru devoir confondre ses intérêts avec ceux de la société de navigation à vapeur d’Anvers à cause des droits différentiels, la société anglaise prévoyait qu’elle ne pourrait pas soutenir la concurrence avec nous. Comme il n’y aura que des sociétés qui exploiteront la navigation à vapeur. Je ne vois aucune raison pour les favoriser aux dépens du trésor public.
M. Verdussen. - Ce que vient de dire l’honorable préopinant se réfère à un discours qu’il a prononcé précédemment et dont je ne saurais admettre les principes. Il tend à donner des primes à une industrie particulière et non pas à la navigation nationale ; c’est, messieurs, ce que je ne saurais admettre.
L’honorable orateur dit que nous devons fixer cette industrie en Belgique ; mais comme le dit l’honorable rapporteur de la commission, ce serait là dépasser le but de la loi qui n’a en vue que la navigation nationale ; et il y aurait un grand danger à adopter les vues de l’honorable M. Coghen, car ce serait ouvrir la porte à toutes les industries souffrantes, qui viendraient alors réclamer des secours.
Je le répète, messieurs, je veux qu’on encourage la navigation de la Belgique avec l’étranger, mais nullement ses industries particulières, et je m’opposerai en conséquence à ce qu’il soit accordé des primes pour la construction d’autres navires que des navires de long cours et qui sont destinés à transporter des marchandises.
M. Smits. - Je vous ferai d’abord remarquer, messieurs, qu’il n’y a que deux pays au monde qui puissent exploiter le commerce maritime au moyen des bateaux à vapeur ; c’est la Belgique et l’Angleterre. Je vous dirai ensuite que c’est une erreur de croire que les bateaux à vapeur servent uniquement au transport des voyageurs : il y a en France et en Angleterre des bateaux à vapeur qui vont en Amérique, et le Portugal et l’Allemagne en établiront bientôt de semblables : nous en avons un sur Londres, Un sur Hambourg et un sur Lisbonne.
Remarquez que la navigation à vapeur mérite d’autant plus d’être encouragée qu’elle exige des dépenses considérables et qu’elle fait travailler une foule d’industries particulières. Je ne sais pas pourquoi on l’écarterait du projet de loi.
Et remarquez que si la prime est un peu plus élevée pour les bateaux à vapeur, c’est que la construction en est beaucoup plus coûteuse. Un navire à vapeur perd quelquefois la moitié de son tonnage par le placement des machines ; plus le navire est grand et plus il est exposé à faire des pertes.
Vous voyez donc, messieurs, qu’il existe des motifs pour que la construction des bateaux à vapeur soit appelé à participer aux primes, et même pour que nous augmentions un peu la prime en leur faveur.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, l’honorable préopinant ne m’a pas parfaitement convaincu. D’abord, je crois, comme lui, qu’à l’exemple de l’Angleterre et de la France, nous devons favoriser la construction des bateaux à vapeur. Mais remarquez, messieurs, que dans la loi on veut accorder à la construction de ces bateaux plus même qu’à celle des navires qui transporteront beaucoup plus de marchandises.
Rappelez-vous, messieurs, que le fret des bateaux à vapeur est le double de celui qu’on perçoit sur les navires ordinaires ; les bateaux à vapeur ont encore un autre avantage : c’est qu’en général les passagers leur donnent la préférence, à raison de leur vitesse, et parce qu’ils y sont beaucoup mieux traités.
En présence de ces avantages marquants, je ne vois aucun motif pour lequel on traiterait plus favorablement les bateaux à vapeur que les autres navires.
J’attends, au reste, que l’honorable M. Smits me réponde, pour présenter de nouvelles observations, s’il y a lieu.
M. Smits. - Messieurs, je ferai remarquer d’abord que la disposition de la loi qui nous occupe a mérité l’approbation de toutes les chambres de commerce ; en second lieu, le fret des bateaux vapeur est plus élevé que celui des navires ordinaires…
M. A. Rodenbach. - Il l’est du double !
M. Smits. - Soit !... Est plus élevé que celui des navires ordinaires, cela provient précisément de ce que les dépenses de la construction et de l’armement sont beaucoup plus considérables.
Si maintenant vous avantagez ces constructions par une prime, il est évident que l’armateur en tiendra compte dans son bilan d’armement, et qu’il réduira, en conséquence, et le fret des marchandises, et le prix de passage des voyageurs.
M. de Foere, rapporteur. - M. Smits est dans l’erreur, lorsqu’il s’appuie sur l’opinion des chambres de commerce. Je ferai observer que la lettre que le département de l’intérieur a adressée à ce sujet aux chambres de commerce, a eu pour but d’attirer spécialement l’attention de ces corps sur la question de savoir si nous déclarerions nationaux les navires que des négociants ou des armateurs à l’étranger.
Les chambres de commerce se sont particulièrement occupées de cette question. Elles sont ensuite entrées dans la discussion du principe et du but du projet de loi, et elles se sont fort peu occupées de l’examen des dispositions particulières de la loi ; par conséquent, on ne pourrait conclure de leur silence qu’elles ont approuvé l’art. 4 du projet du gouvernement.
M. Desmet. - Je ne puis qu’appuyer les observations de l’honorable préopinant ; M. Smits me paraît aussi dans l’erreur, en invoquant la prétendue approbation des chambres de commerce ; je ne vois nulle part qu’elles veuillent établir un privilège en faveur des bateaux à vapeur. Je demande aussi que ces bateaux ne soient pas plus favorablement traités que les autres.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, en appuyant également les observations du rapporteur de la commission, je dirai à l’honorable député d’Anvers que les négociants qui font usage des bateaux à vapeur s’y décident à raison de la vitesse de ce moyen de transport, qui est beaucoup plus grande que celle des autres bâtiments.
Aussi le nombre des passagers sur les bateaux à vapeur est-il considérable ; et les bénéfices que les armateurs en retirent compensent largement les sacrifices qu’ils peuvent faire. Je le répète donc, je ne vois aucune utilité à accorder une protection plus forte aux bateaux à vapeur qu’aux autres navires ; il me semble au contraire que c’est générosité de notre part de les traiter sur un pied égal.
M. Verdussen. - Messieurs, je ferai remarquer que l’on veut marcher en sens inverse du but de la loi. On a l’intention d’avantager les navires qui transporteront beaucoup de marchandises, et maintenant l’on veut donner des primes plus considérables pour des bateaux à vapeur qui, par leur nature, ne sont pas en état de transporter autant de marchandises qu’un bâtiment plus petit.
Ainsi, si des bateaux à vapeur atteignaient le maximum de 500 tonneaux, la prime que vous voulez élever jusqu’à 40 fr. par tonneau, pourrait aller à 20,000 fr., et cela en faveur d’une société ou d’un particulier, qui certainement ne fera jamais de semblables entreprises que par l’appât de gros bénéfices.
Les encouragements doivent être réservés, non à des industries qui trouveront toujours des exploitants, par les bénéfices qu’elles offrent, mais à celles qui périclitent et donc la conservation importe au pays.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition de la commission.
- Une double épreuve par assis et levé est douteuse.
M. le président. - Nous allons procéder à l’appel nominal.
M. Verdussen. - Je demande la parole sur la position de la question.
Messieurs, la proposition de la commission est complexe, elle admet l’existence d’une prime pour les navires à vapeur, ensuite elle assimile cette prime à celle des bateaux à voiles.
Voilà donc deux questions auxquels nous devons répondre à la fois. Ce qui est embarrassant pour les députés qui, comme moi, ne veulent pas accorder des primes pour les bateaux à vapeur. Toutefois si, lors du second vote, l’on peut revenir sur la partie de la disposition concernant les bateaux à vapeur, je consentirai à voter maintenant pour le projet de la commission.
M. Gendebien. - L’observation de M. Verdussen me paraît rationnelle ; on pourrait commencer par mettre aux voix la question de savoir s’il y aura une prime pour les bateaux à vapeur ; ensuite nous nous occuperons du chiffre.
- La chambre consultée décide qu’il y aura une prime pour la construction des bateaux à vapeur.
M. le président. - Je mets aux voix la deuxième question : celle de savoir si la prime sera la même pour les bateaux à vapeur que pour les bateaux à voiles.
- Après deux épreuves douteuses on procède à l’appel nominal.
Il en résulte que la chambre n’est en nombre pour prendre une décision.
51 membres seulement répondent à l’appel.
La séance est levée à quatre heures et demie.