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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 18 mai 1836

(Moniteur belge n°140, du 19 mai 1836)

(Présidence de M. Pirson, doyen d’âge.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Verdussen fait l’appel nominal à 1 heure et demie.

M. Schaetzen donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Verdussen fait connaître l’objet de la pièce ci-jointe, adressée à la chambre.

« La régence de Ninove adhère à la demande de celle d’Alost, pour obtenir un quatrième arrondissement judiciaire, dont le chef-lieu serait à Alost. »

- Cette pétition est renvoyée à la commission des pétitions d’en faire le rapport.

Projet de loi concernant l’avancement des officiers de l’armée

Discussion des articles

Article 10

M. le président. - La chambre en est restée à l’art. 10, ainsi conçu :

« Art. 10. L’ancienneté pour l’avancement sera déterminée par la date du brevet du grade, et par le classement fait entre les officiers dont le brevet est de la même date. »

Un amendement a été proposé par MM. Dumortier, Doignon, d’Hoffschmidt, Liedts et A. Rodenbach, ainsi conçu :

« L’ancienneté pour l’avancement sera déterminée, savoir :

« Par la date du jour de leur entrée au service actif de l’armée nationale, pour les officiers qui n’ont pas obtenu d’avancement depuis leur première nomination à la suite de la révolution ;

« Par la date du brevet, pour ceux qui ont obtenu de l’avancement depuis cette époque.

« Dans le cas où plusieurs officiers du même grade auraient un brevet de même date, l’ancienneté sera réglée d’après celle du grade antérieur. »

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Messieurs, vous avez entendu hier l’honorable M. Dumortier attaquer les dispositions de l’instruction qui a été faite, pour parvenir au classement des officiers de l’armée. Je m’empresse de donner les explications que la chambre a paru désirer.

Un sieur Remacle de Gand, sans profession, sans mission et sans intérêt très probablement dans l’affaire du classement des officiers, a adressé au sénat une pétition qui dénote la plus complète ignorance de la question et des faits qui s’y rattachent, et c’est cette pétition qui a servi de texte à l’honorable M. Dumortier pour faire contre moi les plus violentes attaques que j’aie jamais entendues.

Pour éclairer la chambre à cet égard, je dois lui rendre un compte exact de l’affaire, qui a reçu une solution tout autre que celle contre laquelle l’honorable orateur s’est élevé avec tant de véhémence.

La base qui a été adoptée pour le classement des officiers de l’armée a été puisée dans l’arrêté dont je vais donner connaissance.

« Arrêté du gouvernement provisoire concernant le rang d’ancienneté relative des officiers de l’ancienne armée.

« Du 10 décembre 1830.

« Le gouvernement provisoire,

« Considérant que les circonstances dans lesquelles se sont trouvés plusieurs officiers de l’armée, les ont seules empêchés de rejoindre leurs corps et d’offrir leurs services en même temps que d’autres officiers moins anciens de grade ;

« Considérant que ces circonstances ne sont pas de nature à pouvoir priver ces militaires des rangs et de l’avancement auxquels ils ont droit par leur mérite, par leurs travaux antérieurs et de leurs services ;

« Considérant, d’autre part, que les grades accordés en récompense d’actions d’éclat ou de services éminents rendus pendant notre glorieuse révolution, ne peuvent être soumis à aucune révision, et doivent mettre les titulaires à l’abri de tout effet rétroactif ;

« Le comité de la guerre entendu,

« Arrête :

« Art. 1er. Le classement des officiers de chaque grade s’opérera, dans chaque arme, en prenant pour base l’ancienneté dans le grade antérieur ; c’est-à-dire que tous les officiers du même grade prendront rang suivant l’ancienneté qu’ils avaient dans le grade immédiatement inférieur, et par suite avant ceux qui auraient franchi un ou deux grades.

« Art. 2. Ne seront pas soumis à cette classification les officiers de l’ancienne armée qui ont été nommés en récompense d’actions d’éclat ou d’éminents services, et ils prendront rang à partir de la date de leur nomination.

« Art. 3. Les volontaires nommés officiers par suite de leur belle conduite dans les combats qui ont affranchi la Belgique, prendront également rang à partir de la date de leur nomination, à moins qu’il n’en soit disposé autrement dans l’arrête de leur promotion.

« Art. 4. Une commission nommée par le gouvernement provisoire, et présidée par un de ses membres, sera chargée de cette classification.

« Art. 5. Les officiers qui rentreront après le 15 de ce mois ne pourront invoquer le bénéfice du présent arrêté, mais prendront rang à dater de leur nomination, quelle que soit d’ailleurs leur ancienneté, si toutefois ils ne peuvent légalement prouver que des obstacles insurmontables se sont opposés à leur rentrée.

« Art. 6. Le commissaire-général de la guerre est chargé de l’exécution du présent arrêté. »

Il fut formé dans le courant de 1831 une commission chargée de l’exécution des dispositions formulées dans cet arrêté.

Cette commission, après plusieurs mois de travail, déclara qu’il lui était impossible de le terminer ; et le travail resta imparfait.

Une seconde commission fut nommée en 1832 ; elle aussi abandonna le travail sans l’avoir achevé.

Lorsqu’il fut question en 1834 de présenter à la chambre un projet de loi sur le mode d’avancement dans l’armée, je sentis l’urgente nécessité qu’il y avait de s’occuper d’abord du classement par ancienneté, parce qu’une partie des grades de lieutenant et de capitaine devait être donnée aux plus anciens officiers dans chacun de ces grades.

Après avoir mûrement discuté cette question dans plusieurs comités et pour arriver à une solution juste et équitable envers tous, je présentai au Roi un rapport qui a été imprimé dans le Moniteur du 22 mai 1835.

Voici en quoi consistait ce rapport :

« RAPPORT AU ROI.

« Sire,

« Votre majesté m’ayant ordonné de présenter aux chambres le projet de loi sur l’avancement des officiers de l’armée, et sur les droits qui doivent être accordés à l’ancienneté de grade pour remplir une partie des emplois vacants, il devient nécessaire de fixer, d’après les arrêtés existants, le classement définitif des officiers de chaque arme, afin que les dispositions de la loi à intervenir puissent recevoir leur application.

« Quoique l’arrêté du gouvernement provisoire, en date du 10 décembre 1830, renfermât les bases du classement des officiers la commission qui fut instituée pour faire l’application de ses dispositions, ne termina point son travail qui, par divers motifs, dut être ajourné à l’époque où le projet de loi sur l’avancement serait soumis aux chambres législatives.

« L’arrêté précité ne contenait d’ailleurs que trois catégories d’officiers ;

« 1° Ceux qui faisaient partie de l’ancienne armée du royaume des Pays-Bas, au 25 septembre 1830 ;

« 2° Les sous-officiers de cette armée, promus au grade d’officiers depuis cette époque ;

« 3° Les volontaires, nommés à des grades dans l’armée de ligne, par le gouvernement provisoire, depuis le 26 septembre jusqu’au 15 décembre 1830.

« Mais il existe actuellement catégories d’officiers, dont la position a dû être réglée par des mesures analogues à celles de l’arrêté du 10 décembre. Ces nouvelles catégories sont celles :

« Des officiers des corps volontaires et francs admis depuis dans l’armée de ligne ;

« Des officiers belges sortant des services étrangers ;

« Des officiers de l’ancienne armée, pensionnés, démissionnés ou en traitement de non-activité, à l’époque du 24 septembre 1830, et qui ont repris du service dans notre armée ;

« Des officiers belges revenus des Indes orientales ;

« Des officiers belges et étrangers admis au service pour la durée de la guerre seulement.

« C’est en appliquant les dispositions des arrêtés et des règlements existants, qu’il est juste de procéder d’abord à la fixation du rang d’ancienneté de tous les officiers dans leur grade actuel, et ensuite au classement à faire entre ceux qui comptent, du même jour, la date de leur ancienneté dans le grade dont ils sont pourvus.

« Ce travail de classement doit d’abord avoir lieu dans chaque régiment d’infanterie et de cavalerie, et ce ne sera qu’après qu’il aura été définitivement arrêté pour chacun d’eux qu’il sera possible de dresser la liste générale d’ancienneté par grade pour chacune de ces deux armes.

« Le classement des officiers de l’arme de l’artillerie aura lieu sur l’état-major et les officiers des troupes de cette arme.

« Celui des officiers de l’état-major du génie sera distinct et séparé de celui des officiers des troupes de cette arme.

« Le classement des officiers qui composent l’état-major général de l’armée et du corps d’état-major sera également établi d’abord entre tous les officiers généraux, quelle que soit leur destination spéciale, et ensuite pour les officiers supérieurs et subalternes qui font partie du corps d’état-major.

« Pour arriver au but important qu’il s’agit d’atteindre, en conciliant les principes de justice avec les bases fixées par les arrêtés existants, et pour donner à cette opération toutes les garanties d’équité qu’il est dans les intentions de Votre Majesté d’y faire apporter, j’ai l’honneur de lui proposer :

« 1° D’adresser aux commandants de chacun des régiments d’infanterie et de cavalerie l’instruction relative au mode d’exécution de l’arrêté du 10 décembre 1830, pour classer tous les officiers de l’armée par ancienneté dans chaque grade.

« 2° De former dans chaque régiment une commission composée de (Choisis par les officiers de leurs grades respectifs.)

« Le colonel, président ;

« Un major,

« Deux capitaines,

« Un lieutenant,

« Un sous-lieutenant,

« qui sera chargé de faire l’application de l’instruction à tous les officiers du régiment et de dresser en conséquence la liste d’ancienneté de classement dans chaque grade.

« 3° D’autoriser ces commissions à présenter les observations qu’elles croiront utiles, soit sous le rapport de l’équité, soit dans l’intérêt du service, ainsi que pour tous les cas exceptionnels qui peuvent avoir lieu, et à donner leur avis motivé sur les réclamations que pourront faire les officiers qui se croiraient lésés dans leurs droits acquis.

« 4° De former une commission spéciale d’officiers généraux et supérieurs, qui sera chargée de prononcer sur les cas prévus par l’art. 2 de l’arrêté du 10 décembre 1830, et d’émettre son avis sur les réclamations dont je lui ferai le renvoi.

« 5° De charger les inspecteurs-généraux de et du génie de faire le travail du classement des officiers de leur arme, ainsi que le colonel commandant la gendarmerie pour les officiers de ce corps, l’intendant militaire en chef pour le corps de l’intendance, et l’inspecteur-général du service de santé pour le classement des médecins, pharmaciens et vétérinaires attachés à l’armée.

« C’est après avoir reçu et examiné le travail et les observations des commissions, ainsi que les réclamations individuelles, que j’arrêterai définitivement les listes générales d’ancienneté des officiers de chaque arme, indiquant la date du grade dont ils sont pourvus, et le classement entre ceux dont la date d’ancienneté sera la même.

« Ce travail devra être terminé au 1er mai prochain, époque à laquelle il sera possible d’appliquer les dispositions de la loi sur l’avancement, qu’il est désirable de substituer aux règlements existants comme une des bases essentielles de la bonne organisation de l’armée, et voulue par notre constitution.

« Approuvé,

« LEOPOLD.

« Le ministre de la guerre,

« Baron Evain. »

Toutes ces dispositions, messieurs, ont reçu leur exécution.

La commission supérieure m’a successivement présenté le travail de chacun des régiments qui composent l’armée ; elle m’a ensuite présenté le travail général pour chacune des armes.

Tout m’a paru parfaitement remplir les conditions de l’instruction ; j’y ai donné mon approbation, et l’on s’occupe aujourd’hui de l’annuaire de l’armée belge qui sera incessamment publié.

Maintenant, messieurs, je dois justifier les dispositions de l’instruction, et principalement celle sur laquelle l’honorable M. Dumortier a élevé des contestations.

Vous avez pu remarquer que l’arrêté du 10 décembre 1830 porte que tous les officiers promus en grade seront classés entre eux, d’après l’antériorité du grade qu’ils avaient avant la révolution.

Il fallait nécessairement, pour arriver à ce mode de classement, qui me paraît juste, il fallait, dis-je, prendre un seul point de départ, et voici les motifs qui m’ont fait fixer la date du premier novembre.

En étudiant le texte et l’esprit des dispositions de l’arrête du gouvernement provisoire en date du 10 décembre 1830, qui a dû servir de base au classement des officiers de l’ancienne armée, concurremment avec les volontaires nommés officiers dans l’armée, du 25 septembre au 10 décembre, on se convaincra que l’on ne pouvait prendre d’autre marche que celle qui est prescrite par les instructions pour l’exécution dudit arrêté.

En effet, pour que les officiers de l’ancienne armée fussent classés entre eux d’après la daté du grade antérieur qu’ils occupaient avant leur promotion à un grade supérieur, dans l’intervalle du 26 septembre au 15 décembre 1830, il fallait nécessairement donner à tous la même date d’ancienneté dans leur nouveau grade, car le mode de classement ordonné ne pouvait recevoir autrement aucune espèce d’application. Telle est la conséquence positive des dispositions de l’arrêté du 10 décembre 1830.

Il s’agissait donc de fixer cette date d’ancienneté pour tous les officiers qui ont concouru à la formation de l’armée du 26 septembre au 15 décembre, et c’était le point le plus difficile à résoudre, pour parvenir à concilier les droits des officiers de l’ancienne armée avec ceux des volontaires nommés officiers pendant la révolution.

On ne peut se dissimuler que le but de l’arrêté du 10 décembre était de donner l’antériorité d’ancienneté de grade aux volontaires nommés à des grades dans l’armée, et de classer ensuite, et entre eux, les officiers de armée, d’après la date de leur grade antérieur, en en exceptant toutefois ceux qui auraient été nommés par arrêté spécial, pour action d’éclat ou services éminents rendus pendant la révolution. Il en résulte nécessairement que tous les autres officiers de l’ancienne armée devaient avoir une date postérieure à celle de la durée de la révolution, sans cela les officiers qui se sont distingués pendant la révolution n’auraient eu aucun avantage sur les autres officiers. Il fallait donc déterminer quelle avait été la durée de la révolution.

L’état de guerre avec les Hollandais s’étant prolongé jusqu’à la fin d’octobre, et l’armée de ligne ayant commencé sa réorganisation pendant le mois d’octobre, plusieurs officiers ont reçu des brevets portant la date de ce mois ; mais cette organisation s’est prolongée pendant le mois de novembre et la première quinzaine de décembre, et la majeure partie des officiers ont reçu leurs brevets datés postérieurement au 1er novembre. Pour pouvoir appliquer avec équité les dispositions de l’arrêté du 10 décembre, il a fallu prendre un terme moyen entre le 26 septembre et le 15 décembre et en ayant égard à ce que les hostilités ont continué jusqu’à la fin d’octobre, la date qui m’a paru juste sous tous les rapports est celle du premier novembre.

1° Les officiers nommés à leur grade actuel, du 1er novembre au 15 décembre, n’auront aucun sujet de se plaindre, puisqu’ils dateront tous du 1er novembre ;

2° Quant à ceux nommés avant le 1er novembre, ils auront à faire valoir leurs droits devant la commission, pour conserver leur antériorité, conformément à l’arrêté du 10 décembre 1830 ;

3° La majeure partie des choix des volontaires a été faite avant le 1er novembre, et leurs droits sont maintenus. Mais un grand nombre d’entre eux ont déjà obtenu de l’avancement depuis cette époque, et ils sont classés dans leur nouveau grade ;

4° Ceux nommés depuis le 1er novembre jusqu’au 10 décembre sont moins nombreux, et n’ont pas les mêmes droits que les premiers, qui ont combattu pendant la révolution.

La fixation de la date au 1er novembre paraît donc juste et convenable sous tous les rapports. Elle est d’ailleurs la conséquence obligée des dispositions de l’arrêté du 10 décembre.

Il résulte donc de ce que je viens de prouver, que pour entrer dans les vues de l’arrêté du gouvernement provisoire, il fallait prendre une date certaine pour les officiers de l’ancienne armée, afin de les classer entre eux ; or, ce sont ces bases que nous avons suivies. Le classement qui s’en est suivi m’a paru parfaitement juste et fait avec toute l’équité que l’on doit mettre dans une pareille opération.

Il me reste deux mots à dire sur les exemples que le préopinant a cités pour appuyer ses observations.

Le premier officier qui a été cité était en garnison à Ath ; il était lieutenant depuis neuf années, et il fut nommé d’emblée major. Dans notre travail, nous avons dû classer les officiers qui sont dans le même cas après ceux qui avaient au 26 septembre, le grade de capitaine. Il n’y a d’exception que pour ceux qui ont obtenu des grades pour des actions d’éclat. L’officier dont il s’agit est compris parmi les 75 majors de l’infanterie ; il n’est pas le dernier ; il est le vingt-neuvième ; et s’il n’a pas un rang plus élevé, c’est qu’il n’avait pas le grade de capitaine quand il a été promu major.

Le second officier était sous-lieutenant de cavalerie depuis 1823, et fut nommé capitaine sans avoir été lieutenant,

Les dispositions de l’arrêté du gouvernement provisoire du 10 décembre sont donc entièrement applicables à ces deux officiers. Mais, dira-t-on, ils doivent profiter de l’avantage accordé par l’art. 2 à ceux nommes en récompense d’actions d’éclat ou d’éminents services. Les commissions qui, en vertu de l’art. 4, ont été appelées à statuer sur ces prétentions, ont cru que ces officiers étaient sans motifs suffisants pour réclamer cette application, que déjà ils avaient été fortement avantagés par les deux grades qui leur avaient été donnés à la fois, et qu’on ne pouvait y ajouter encore l’avantage de les classer avant leurs camarades qui étaient leurs supérieurs de deux grades.

Il y a inexactitude aussi dans le rang que M. Dumortier donne aujourd’hui à ce dernier officier. Il est le quinzième commandant d’escadron sur 94 capitaines-commandants et capitaines en second de cavalerie.

Je crois avoir suffisamment justifié, et les bases que nous avons prises pour le classement des officiers, et la rédaction de l’article que nous avons proposé et dont nous persistons à demander le maintien.

M. Dumortier. - Messieurs, je crois que la réponse que vient de faire M. le ministre de la guerre ne rencontre aucune des objections que j’ai faites hier. Il est hors de doute que le classement fait en conséquence d’une simple instruction du gouvernement porte atteinte aux droits des officiers de l’ancienne armée qui se sont réunis à notre armée révolutionnaire. Le ministre prétend que l’on a exécuté l’arrêté du gouvernement provisoire ; je prétends moi qu’il n’a pas été exécuté.

Trouvez-vous dans cet arrêté aucune disposition qui autorise le gouvernement à placer sous une seule et même date (celle de novembre) les officiers qui se sont réunis à la cause révolutionnaire depuis septembre jusqu’en décembre ?

Ceux qui étaient sous le coup de la mitraille hollandaise ont évidemment plus de mérite que ceux qui se sont réunis à la révolution quand tout était terminé, et dans leur propre intérêt et non dans celui de la révolution. Voilà ce qu’on ne peut méconnaître. Quand le gouvernement provisoire a statué, c’était pour les officiers qui étaient rentrés après la campagne, ou quand tout était terminé. Mais on a appliqué l’arrêté du gouvernement provisoire à tous les officiers sans distinction de ceux qui ont rendu des services et de ceux qui n’en ont pas rendu.

D’après l’arrêté du gouvernement provisoire, les officiers nommés pour actions d’éclat prendront rang à dater du jour de leur nomination : eh bien ceux des officiers qui sont venus dans les premiers jours de la révolution doivent être compris dans cette catégorie ; cependant le ministre de la guerre n’a pas fait cette application. C’était évidemment un service signalé que de se réunir à la révolution avant la fin de la campagne.

Que porte l’article 4 de l’arrêté du gouvernement provisoire ? « Une commission nommée par le gouvernement provisoire et présidée par un de ses membres sera chargée de cette classification. » Il y avait là une grande garantie, puisqu’un membre du gouvernement provisoire devait présider la commission ; et les officiers pouvaient être assurés que leurs services ne seraient pas méconnus.

Cette condition a-t-elle été observée ? Non ; aucun membre du gouvernement provisoire n’a été appelé. Vous voyez bien que le ministre de la guerre qui semble s’appuyer sur l’arrêté du gouvernement provisoire le méconnaît complètement.

En effet, il met sur le même rang ceux qui sont rentrés quand on se battait, et ceux qui sont rentrés quand on ne se battait plus. N’est-ce pas là une scandaleuse injustice ? Pour mon compte je ne saurais assez la blâmer.

Le ministre dit : Il fallait déterminer l’époque de la fin de la révolution, et j’ai cru que c’était au premier novembre 1830. C’est ici que l’arbitraire apparaît dans tout son jour, puisque ceux qui out coopéré à la prise de Venloo, du Luxembourg, sont placés avec ceux qui sont venus un mois plus tard.

Si on a fixé une date aussi arbitraire que celle de novembre, c’est que l’on avait des hommes à favoriser.

On aurait dû prendre pour date celle de l’ouverture du congrès, ou bien celle de l’armistice ; et on ne pouvait pas mettre sous le même niveau ceux qui ont combattu et ceux qui se sont présentés après la victoire.

Je le répète, si l’on a pris une date purement arbitraire, il est manifeste que c’est pour favoriser certaines personnes au détriment d’autres. Je pourrais citer des faits pour le prouver. Il est des hommes qui ont rendu de grands services à la révolution et qui se trouvent postposés, ou qui sont placés après ceux qui ont rendu les plus mauvais services à la révolution.

Pour les officiers supérieurs, dit le ministre, la question d’ancienneté est sans importance puisque c’est le Roi qui les nomme. Mais l’ancienneté leur importe beaucoup ; car le commandement, dans beaucoup de circonstances, appartient à l’ancienneté. Si on ne leur reconnaît pas ce droit, il en résultera que beaucoup de braves militaires qui ont primitivement commandé pendant la révolution, se trouveront maintenant être commandés par les hommes du lendemain. Tout ceci est souverainement injuste ; et pour faire disparaître cette iniquité choquante, il faut adopter notre proposition. Rien n’est plus facile que de constater l’ancienneté.

Si d’une part, comme le fait remarquer M. le ministre de la guerre, la date des brevets peut donner lieu à des erreurs, à cause que le général qui organisait l’armée ne pouvait organiser tous les régiments à la fois, la date de l’entrée au service actif peut se constater par les états de solde. Dès lors, vous devez rendre justice à tous les hommes en vertu de leur mérite. A chacun suivant ses œuvres. C’est un principe que vous ne devez jamais perdre de vue.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Il y a deux catégories d’officiers sur lesquels roule l’objet principal de la discussion ; ce sont d’abord les officiers volontaires qui ont offert leurs services au gouvernement provisoire dans les premiers moments du danger, quand il n’y avait pas d’armée de ligne organisée. Ceux-là ont reçu des brevets du gouvernement provisoire, soit pour prendre le commandement de corps détachés, soit pour entrer dans l’armée que l’on organisait. Ceux-là ont pour l’ancienneté la date des brevets qu’ils ont reçus. A cet égard, nous avons satisfait aux dispositions de l’arrête du 10 décembre 1839.

La deuxième catégorie comprend les officiers de l’ancienne armée qui ont offert leurs services au gouvernement provisoire, qui sont venus eux-mêmes à Bruxelles ou ont envoyé leur adhésion des villes de garnison où ils étaient, ceux qui sont revenus de la Hollande le plus tôt qu’ils ont pu ; ce sont ceux-là, nommés depuis le 28 septembre jusqu’au 1er novembre, qui pourraient réclamer. Mais quant à ceux qui, dans l’organisation successive, ont reçu leurs brevets depuis le 1er novembre jusqu’au 10 décembre, époque de la formation du dernier régiment, ceux-là sont désintéressés dans la question, attendu qu’ils gagnent même quelques jours, puisque leurs brevets étaient postérieurs à la date que je prends.

Restent les officiers de l’ancienne armée nommés depuis le mois de septembre jusqu’au mois de novembre. Ils sont au nombre de 70. J’en ai fait le relevé sur les brevets délivrés par le gouvernement provisoire. C’était sur leur conduite que, d’après l’art. 4 de l’arrêté du gouvernement provisoire, la commission nommée devait prononcer, devait examiner si effectivement les preuves de patriotisme données par eux étaient telles qu’ils dussent conserver leur date antérieure de nomination.

J’ai déjà eu l’honneur de dire que, sur 70, 20 à 25 officiers ont été reconnus avoir des titres. Ils ont conservé la date de leur nomination. Quant aux autres, la commission composée d’officiers généraux et supérieurs, et qui a prononcé en connaissance de cause sur les demandes individuelles adressées par les intéressés, a jugé que ceux qui ne devaient pas obtenir la conservation de la date de leurs brevets, devaient être classés comme les autres, et conséquemment être mis au 1er novembre et prendre rang d’après le grade qu’ils avaient auparavant. Vous voyez donc que la justice a été parfaitement rendue entre tous.

Je crois en mon âme et conscience avoir exécuté religieusement les dispositions de l’arrêté du 10 novembre.

M. Gendebien. - Il me semble qu’il nous est impossible de continuer la discussion de la mener à bonne fin, si nous n’avons pas communication des pièces. Je ne connais pas les instructions dont a parlé l’honorable M. Dumortier. Je désirerais que l’on distribuât à tous les membres de la chambre ces instructions afin que chacun pût les apprécier.

Après cette communication, nous pourrons reprendre la discussion très importante que soulève l’amendement de M. Dumortier. Il est impossible sans cela d’apprécier si M. le ministre a agi ou non avec justice.

Je sais qu’un grand nombre d’injustices ont été faites. J’en signalerai une. Au 30 mars 1831, le régent a pris un arrêté d’après lequel il a incorporé dans l’armée de ligne tous les corps de volontaires. Comment a-t-on agi à l’égard de ces officiers pont fixer l’ancienneté de leur grade ? A-t-on eu égards à leur ancienneté ? A-t-on fait rétroagir leurs brevets au moment où ils on pris du service ? Je n’en sais rien.

Il me semble que l’on devait les comprendre dans la mesure qui a fixé, au premier novembre 1830, les brevets accordés même le 15 décembre : si ce que l’on m’a dit est vrai, non seulement l’on n’a pas fait rétroagir leur nomination, mais on ne leur a pas même compté leur ancienneté à partir du 30 mars. Il est de ces volontaires des deuxième et troisième chasseurs et du douzième de ligne où ils avaient été incorporés et qui ont été non seulement privés de leur droit d’ancienneté, mais déshérités de leur grade, et renvoyés les uns dans la garde civique, les autres dans les bataillons de réserve, et dont l’ancienneté ne date que de peu de mois ; il y a beaucoup de ces officiers qui, à l’heure qu’il est, n’ont pas encore de brevet définitif, et quand on leur accorde un brevet, on ne leur reconnaît de droit à l’ancienneté qu’à la date de leur nomination.

Ces officiers volontaires étaient de braves patriotes qui combattaient dans les journées de septembre. Si la règle adoptée par M. le ministre de la guerre est équitable, si elle doit recevoir une juste application, pourquoi ne fait-on pas rétroagir leurs brevets jusqu’au 1er novembre ? il en est parmi ces officiers que l’on a fait descendre de deux grades avec la même précipitation que d’autres, qui n’avaient pas rendu les mêmes services, ont été promus à des grades supérieurs. Voilà la mesure de la justice et de la conscience dont on nous parle sans cesse.

Je le répète, il faut, avant de prendre une décision sur l’amendement de M. Dumortier, examiner les instructions de M. le ministre de la guerre. Il m’est impossible de me prononcer en ce moment. Je pourrais signaler un grand nombre d’injustices ; mais je crois qu’il est inutile dans ces détails afin de démontrer que pour arriver à une règle juste et équitable, il faut avoir auparavant les instructions du ministre sous les yeux.

M. A. Rodenbach. - Je pense comme l’honorable préopinant que nous devons connaître les instructions de M. le ministre de la guerre.

M. le ministre se fonde sur l’arrêté du gouvernement provisoire en date du 10 décembre ; mais, comme on l’a dit, cet arrêté ne concerne que des officiers de l’ancienne armée. M. le ministre a pris un point de départ. Il a donné à tous les brevets de la période de septembre à décembre la date du 1er novembre. C’est une date malencontreuse. Le gouvernement a voulu faire du juste milieu.

En prenant ce terme moyen, il a fait tort de leur ancienneté à des hommes qui se sont distingués dans la révolution, qui ont combattu aux frontières lorsque des intrigants ont sollicité et fait des bassesses pour obtenir des brevets. Ce sont des faits avérés.

Pour juger du tout, nous devons voir les instructions. Ce n’est pas ici le cas de dire : Les absents ont tort. Il ne faut pas que ceux qui étaient absents, parce qu’ils combattaient aux frontières, soient devancés par ceux qui étaient dans les antichambres.

M. Dumortier. - Si l’assemblée désire avoir sous les yeux toutes les pièces, je ne m’y opposerai pas. Il est incontestable que l’article en discussion est le plus important de toute la loi, parce qu’il s’agit de régler l’ancienneté de tous les officiers, et que cette ancienneté sert de base à leur avancement. C’est un article fondamental, et voter tel qu’il est, ce serait ouvrir la porte à de nombreuses injustices.

M. le ministre de la guerre a dit une chose que je ne connais pas et qui prouve combien il y a eu d’injustices dans tout ceci. Il y avait 70 brevets à examiner ; sur ces 70 brevets la commission a jugé que 25 devaient être admis. Voilà une commission qui a agi arbitrairement, qui s’est établie juge du gouvernement provisoire. Je ne sais de quel droit une commission nommée par un ministre peut se poser en arbitre du gouvernement provisoire.

Les nominations du gouvernement provisoire étaient faites pour des services rendus au pays. Il y a des nominations de deux catégories. Celles qui ont été faites par le gouvernement provisoire et celles qui ont été faites par les généraux qui organisaient l’armée. Celles-ci étaient des nominations de nécessité. Les autres l’étaient pour des services. Je ne comprends pas qu’une commission ministérielle ait pu s’arroger un pouvoir aussi exorbitant. Cela est scandaleux. La date arbitrairement choisie pour les brevets l’a été en vue de favoriser exclusivement certaines personnes. J’en ai les preuves en main. Nous devons donc examiner très sérieusement l’article en discussion.

L’observation de l’honorable M. Gendebien vient renforcer encore mon opinion. Voilà des officiers de volontaires incorporés dans l’armée, dont les brevets portent une date postérieure à leur nomination. Si vous votiez l’article 10 tel qu’il existe dans le projet, leur avancement en souffrirait d’une manière notable.

Ne décourageons pas les hommes de la révolution, messieurs ; montrons toute la sollicitude que nous éprouvons pour ces hommes qui nous ont faits ce que nous sommes. Lorsque le gouvernement s’est écarté des dispositions mêmes de l’arrêté qu’il invoque, nous devons lui refuser notre assentiment.

Je demande donc l’impression des pièces dont il s’agit.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - La mesure que l’on qualifie d’arbitraire ne l’est nullement. Elle est puisée dans la disposition de l’arrêté qui porte que la commission nommée par le gouvernement sera chargée de cette classification.

Or, messieurs, la chose a toujours été entendue ainsi, et c’est de cette manière que la commission a travaillé. Sur les 70 ou 80 officiers qui ont acquis leurs brevets avant le 1er novembre, tous ne s’étaient pas distingués et n’avaient pas des droits à les conserver. C’était pour examiner ce point que la commission était nommée. Comme je l’ai déjà dit, il y a 20 à 25 officiers qui ont été reconnus devoir conserver la date de leur nomination. Les autres ont été classés dans la catégorie générale des officiers de leur grade.

Je ferai observer que le nombre des officiers de l’ancienne armée est de 432 sur un personnel de 2,700 officiers dont se compose l’armée.

M. Rogier. - Je ne viens pas prendre la défense du travail de la commission, attendu que je ne le connais pas dans ses détails. Je n’entends pas l’attaquer non plus par la même raison.

Deux catégories de brevets ont été délivrés par le gouvernement provisoire à des officiers : aux une, parce qu’il fallait organiser l’armée et que le gouvernement provisoire ne pouvait refuser leurs services ; aux autres il a délivré des brevets avec avancement, parce qu’ils avaient rendu des services à la cause révolutionnaire. Le nombre de ceux-ci n’a pas été très grand. Il est possible qu’il ait été supérieur à 25. Mais la commission avait le droit d’examiner si parmi les brevets délivrés par le gouvernement provisoire, il y en avait qui l’avaient été pour des services signalés.

Très peu d’officiers de l’ancienne armée ont pu prendre du service à l’époque de la révolution. Ceux des garnisons des villes de Mons et d’Ath ont été favorisés par les circonstances. Sans doute, si l’occasion s’en était présentée, les officiers de l’ancienne armée se fussent distingués par le même zèle pour la cause de la révolution. Car tous ressentaient également l’injustice de l’ancien gouvernement leur égard.

Si la commission a établi cette distinction, elle a agi conformément aux intentions du gouvernement provisoire. Quelques officiers ont-ils été élimines à tort de la première catégorie ? C’est ce que je n’examinerai pas. Quelque avant que vous poussiez cet examen, quelque disposition que vous preniez, vous ne pourrez jamais démêler la confusion qui a présidé à la formation de l’armée dans les premiers jours de la révolution. Jamais vous ne rendrez une exacte et complète justice, il restera encore des injustices personnelles.

Est-ce donc un motif suffisant pour attaquer d’une manière aussi rigoureuse les actes du gouvernement ? Je ne le pense pas. Je crois que l’on a tâché d’agir en toute équité. Il peut exister des injustices personnelles ; mais je ne doute pas que l’administration de la guerre n’y fasse droit dès qu’elles lui auront été signalées.

A la fin de la séance précédente j’avais demandé que l’on nous distribuât les instructions de M. le ministre de la guerre au sujet des nominations faites dans l’armée par le gouvernement provisoire. Ces instructions ont été imprimées. Il serait facile de les distribuer à chacun des membres de la chambre.

Je ne sais en ce moment sur quoi porte la discussion. Si c’est sur l’amendement de l’honorable M. Dumortier, je dirai que cet amendement soulève des questions immenses qui peuvent nous arrêter longtemps, et suspendre l’adoption de la loi en discussion. Dans tous les cas, si l’on veut une disposition qui règle le mode d’avancement des officiers nommés à l’époque de la révolution, il faut faire une loi à part et ne pas retarder plus longtemps les lois constitutives de l’armée, que l’armée attend avec une si vive impatience. Une loi sur le classement des officiers soulèverait dans ce moment les plus grandes difficultés.

Je vous demande s’il serait possible d’adopter une disposition conçue comme l’est l’amendement de M. Dumortier ?

« L’ancienneté pour l’avancement sera déterminée, savoir :

« Par la date du jour de leur entrée au service actif de l’armée nationale, pour les officiers qui n’ont pas obtenu d’avancement depuis leur première nomination à la suite de la révolution ;

« Par la date du brevet, pour ceux qui ont obtenu de l’avancement depuis cette époque.

« Dans le cas où plusieurs officiers du même grade auraient un brevet de même date, l’ancienneté sera réglée d’après celle du grade antérieur. »

Quelle sera la date de l’entrée au service actif ? J’entends M. Dumortier répondre la date de la solde. Mais il y a des officiers qui n’ont pas reçu immédiatement de solde en entrant au service, qui n’ont pas été payés avant le mois de décembre. C’est un hommage que je rends ici aux hommes qui ont servi gratuitement le pays. Vous allez punir ces hommes de leur désintéressement. L’exécution de l’amendement de M. Dumortier me paraît impossible, à moins qu’il ne survienne dans la discussion des lumières qui ne nous sont pas encore apparues.

Une grande justice a été rendue aux officiers de la révolution. Ils la méritaient. C’est que leur grade leur compte à dater de leurs brevets. Plusieurs d’entre eux avaient manifesté des craintes à cet égard. Ils craignaient que l’on ne prît pas en considération la date de leurs brevets. Il paraît que ce point a été reconnu par la commission tout à fait conforme à l’esprit de l’arrêté du gouvernement provisoire. Je considère cette mesure comme un très grand avantage pour les officiers volontaires en même temps qu’elle est conforme à la justice.

Il ne faut pas oublier non plus les officiers de l’ancienne armée qui se seraient empressés de rendre les mêmes services au pays que ces volontaires ou les officiers de certaines garnisons, mieux favorisés par le sort, ont pu rendre, si les circonstances les avaient placés comme eux en présence de l’ennemi. Ce que nous devons désirer dans l’armée avant tout, c’est l’union entre tous les officiers, quelle que soit l’origine de leur grade.

Je n’ai pas de profession de foi à faire sur les hommes de la révolution, Ils forment un élément essentiel, vital de notre jeune armée. Tant qu’ils y seront en grand nombre, elle sera la fidèle représentation et le palladium du pays.

La plupart des officiers de notre armée sont jeunes. Ils ont de l’ambition ; ils ont raison. Ils se sont signalés pendant la révolution et depuis par leur bonne conduite et leur amour du travail et de la discipline. Le pays peut se reposer avec confiance sur eux du soin de sa défense.

Mais ce n’est pas à dire pour cela que les officiers qui ont servi le pays avant la révolution n’aient pas les mêmes droits à notre confiance, et que justice ne doive pas leur être rendue. Le premier besoin de l’armée est l’union et la bonne harmonie entre tous les officiers, quelle que soit l’origine de leurs services. (Très bien ! très bien !)

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je désire ajouter une observation qui pourra, je crois, produire quelque effet sur votre esprit. Je vous prie de remarquer qu’il n’est question, en ce moment, que des seuls officiers nommés du 26 septembre au 15 décembre. Ce n’est que sur ces officiers que roule l’objet de la discussion. Depuis cette époque la plus grande partie des officiers ont obtenu un grade supérieur. Les officiers dont il est question ne composent que le huitième de la totalité des officiers de l’armée. Tous les officiers nommés depuis 1831 jusqu’en 1835 ont eu leur position fixée par l’arrêté même de nomination. La proportion même du huitième que j’ai indiquée est trop élevée.

M. Gendebien. - M. le ministre s’oppose-t-il à l’impression des instructions ?

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je ne m’oppose nullement à ce que l’on imprime les diverses instructions que j’ai envoyées aux corps. Je ferai imprimer, si l’on veut, ce travail.

S’il y a des réclamations, ainsi que j’en ai prévenu tous les officiers, une nouvelle commission les examinera. Si elles sont justes, on y fera droit. La classification qui a été faite n’est pas définitive.

M. Gendebien. - Nous demandons quelque chose de positif. Nous ne nous contentons pas des bonnes intentions des ministres. Nous sommes très disposés à croire que dans le moment où l’on fait les protestations de justice et d’équité, on est détermine à les tenir. Mais le lendemain on oublie ses promesses, et le troisième jour, survient le mauvais vouloir, puis une volonté contraire, et à la suite l’arbitraire.

Je demande donc catégoriquement, qu’on dépose toutes les pièces sur le bureau, afin que-nous puissions juger si l’amendement de M. Dumortier est utile, afin d’apprécier sa portée.

L’on parle toujours de la justice que l’on a rendue, des dispositions où l’on est de rendre justice. Mais je pourrais citer tel officier qui réclame depuis 5 ans, qui, ayant fait la campagne de la révolution comme major, et ayant été incorporé comme major dans un régiment en exécution de l’arrêté du régent du 30 mars 1831, après s’être distingué entre tous dans la campagne du mois d’août, a été destitué de son grade, est descendu au grade de capitaine après la campagne ; et il n’a été renommé major, dans un corps inactif encore, que depuis quelque temps. On lui refuse son droit d’ancienneté qu’il a mérité 10 fois. Il a fallu 5 ans pour le replacer, et il a perdu cinq années d’ancienneté ; et de plus il est en butte à tous les genres de tracasseries.

Je pourrais citer un sous-lieutenant qui a servi comme sous-officier pendant 8 ans sous le régime hollandais, il a commencé à se battre le 25 du mois de septembre. Il est arrivé à Bruxelles avec 47 volontaires, il a fait toute la campagne avec le grade de capitaine.

Il a été incorporé comme sous-lieutenant au deuxième régiment de chasseurs à pied, et puis, par un de ces caprices qui furent nombreux en novembre 1831, il a été renvoyé ; ensuite on l’a placé dans un bataillon de réserve, et enfin il y a six ou huit mois qu’on lui a donné un brevet de sous-lieutenant avec rang à la date du brevet. Voilà un homme qui a une vingtaine d’années de service, et qui est sous-lieutenant à la date du mois de septembre dernier.

Voilà la justice qu’on fait, voilà la justice que vous avez à attendre des promesses du ministre.

Il est indispensable d’insister sur l’impression et la distribution de toutes les dispositions prises relativement au classement des officiers.

Je ne sais pas si on peut jamais s’opposer à ce qu’une chambre s’éclaire pour voter en connaissance de cause.

L’amendement de M. Dumortier a une grande importance pour l’armée. Saisissons cette occasion de rendre justice à tous, c’est le seul moyen de ramener l’union dans l’armée.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ne vois pas ce qu’on gagnerait à retarder le vote de l’article ; car la chambre ne peut pas improviser de nouvelles règles de classement. Ce que la chambre peut désirer, c’est d’avoir communication de la marche suivie. Si, après avoir pris connaissance de cette marche, on juge qu’un projet de loi réglant la matière soit nécessaire, on pourra le présenter, l’initiative appartenant à chacun des membres de la chambre aussi bien qu’au gouvernement. Ce n’est pas un motif pour suspendre la discussion de la loi sur l’avancement.

Si la motion de M. Gendebien pouvait amener la chambre à prendre demain une résolution, elle serait dangereuse, parce qu’il serait hasardeux d’improviser ainsi un système de classement.

Je pense qu’il faut s’en tenir à la disposition présentée, sauf à chacun, après examen des pièces, à voir s’il y a lieu de présenter un projet de loi spécial.

M. Dumortier. - M. le ministre de l’intérieur a grand tort de s’opposer à la motion de l’honorable M. Gendebien.

Qu’est-ce qui est maintenant en discussion ? C’est l’art 10.

Cet article porte : « L’ancienneté pour l’avancement sera déterminée par la date du brevet du grade, et par le classement fait entre les officiers dont le brevet est de la même date. »

Nous votons donc maintenant précisément l’article dont le ministre veut écarter la discussion. Il veut, dit-il, que la chambre n’improvise pas un mode de classement. C’est pour cela qu’on doit adopter la proposition de M. Gendebien ; chacun de nous pourra examiner la question, et rien ne sera improvisé. Mais, si vous adoptez immédiatement la proposition qui vous est faite, vous improviserez uniquement dans l’intérêt du système du gouvernement.

Quant à l’observation que chacun de nous est libre de présenter un projet de loi spécial, la réponse est facile. Nous faisons aujourd’hui la loi qui règle l’avancement des officiers ; quand cette loi sera faite, on nous dira : Nous avons fait une loi qui règle cette matière, il n’y a aucun motif pour y revenir. Et quand une fois une loi a été sanctionnée par les trois pouvoirs, il appartient toujours au gouvernement d’empêcher qu’il y soit apporté des modifications, car il est toujours libre de ne pas donner la sanction au projet qui la modifie.

La disposition en discussion est exclusivement destinée à régler le classement des officiers, et le mode d’après lequel ce classement aura lieu.

Si nous la votons, le ministre devra recommencer tout son travail de classement car les dispositions de l’art. 10 sont tout à fait contraires à ce travail. Il faut qu’il pèse bien la portée de cet article.

On ne peut donc pas refuser son assentiment à la motion de M. Gendebien ; c’est la seule rationnelle. Il faut imprimer et distribuer les pièces, afin que chacun puisse prononcer en connaissance de cause.

M. Liedts. - Je ne comprends pas pourquoi le ministre s’oppose à ce que la chambre s’éclaire avant de voter une disposition aussi importante. Je pose en fait que dans toute la chambre il n’y a pas dix membres qui sachent de quoi il s’agit dans l’article 10. L’honorable M. Rogier a avoué qu’il ne connaissait pas l’instruction ministérielle à laquelle il s’agit de donner force de loi pour l’avenir.

Cependant cette instruction peut consacrer des injustices, et si vous la sanctionnez, remarquez que ce ne sera pas une injustice temporaire que vous sanctionnerez, mais une injustice permanente pour tout le temps qu’il y aura en Belgique une armée composée d’officiers de la révolution.

Prenez l’art. 1er de cette instruction, vous verrez que pour les officiers de la révolution on a fixé au 1er novembre 1830 la date de leur brevet.

Si vous lui demandez pourquoi il a pris cette époque, il vous répond qu’il l’a puisée dans l’esprit d’un arrêté du gouvernement provisoire. Nous ne connaissons pas cet arrêté, nous n’avons pas eu le temps de comparer ses dispositions avec celles de l’instruction.

Dans ces circonstances personne n’étant assez éclairé pour voter en connaissance de cause, il est du devoir du gouvernement de ne pas s’opposer à ce que la discussion de cet article soit renvoyée à demain ou après-demain. Cela n’empêchera pas de continuer la discussion des autres articles. Je pense donc que la chambre doit adopter la motion de M. Gendebien.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’arrêté du gouvernement provisoire a posé des règles sur le classement des officiers. Le ministre a pris des dispositions pour l’exécution de ces règles. Voilà de quoi il s’agit. Toutes les explications données par le ministre de la guerre depuis le commencement de cette séance le prouvent à l’évidence. Maintenant le ministre est disposé à justifier par la communication des instructions données à cet égard, qu’il ne s’est pas écarté de l’esprit de l’arrêté du gouvernement provisoire.

Il ne s’agit donc pas d’improviser à l’égard de ces instructions un projet de loi. Lorsque les instructions et règlements auront été communiqués, si l’on peut démontrer qu’il y a eu des erreurs commises par le ministre il s’empressera naturellement d’en revenir au texte de l’arrête du gouvernement provisoire. Mais comme il vous l’a dit, ces règlements étant conformes à l’arrêté, il n’y aura pas lieu de revenir sur les dispositions prises.

S’il était nécessaire de présenter un projet de loi renfermant des dispositions plus favorables à certains officiers, rien n’empêcherait que le gouvernement ne prenne l’initiative à cet égard. Car le gouvernement n’a aucun intérêt à ce que les officiers ne soient pas placés convenablement, chacun suivant les droits qu’il a à faire valoir. Il a au contraire intérêt à ce que bonne justice soit rendue à chacun des officiers de l’armée.

Je pense qu’en ajournant l’article on ne ferait que mettre de la confusion dans la discussion et en retarder la marche sans aucune utilité.

M. Desmaisières. - Il est évident qu’il y a une lacune dans le projet de loi tel qu’il est rédigé. L’article 10 porte que l’ancienneté pour l’avancement sera déterminée par la date du brevet du grade, et par le classement fait entre les officiers dont le brevet est de la même date.

D’abord, qui vous dit que le classement qui a été fait par la commission nommée par le ministre de la guerre a été fait régulièrement et en se conformant strictement à l’arrêté du gouvernement provisoire que l’on invoque ? Rien ne nous l’assure. Ainsi, si l’on adoptait l’article tel qu’il est rédigé, et si des brevets avaient été accordés injustement, si par exemple on avait avancé un officier au préjudice de l’autre, l’article de la loi, s’il était voté tel qu’il est, sanctionnerait cette injustice, alors qu’on voudrait réparer l’injustice, car l’officier qui aurait profité de cette erreur, se présenterait avec son brevet d’une date antérieure à celui de l’officier au préjudice duquel il a été nommé, et invoquerait sur lui un droit, l’art. 10 de la loi à la main.

Ensuite on dit que l’ancienneté sera déterminée par le classement fait entre les officiers dont le brevet est de la même date. Mais d’après quelles règles ce classement se fera-t-il ? on ne le dit pas. Est-ce d’après le travail de la commission ? Mais ce travail nous ne le connaissons pas, nous ne pouvons pas le sanctionner. Cependant il résulterait des termes de l’article que ce travail se trouverait sanctionné.

Je pense donc qu’il y a lieu d’ajourner la discussion de cette disposition, jusqu’à ce que nous ayons pris connaissance de toutes les pièces et faits qui s’y rattachent. Les brevets ne portent pas la date de l’arrêté de nomination. L’expression de l’article : « la date du brevet » n’est pas exacte. Je croyais que c’était cette inexactitude que l’honorable préopinant allait relever. Un brevet est quelquefois délivré deux ou trois mois après la nomination. Il faudrait dire : « L’ancienneté est déterminée par la date de nomination au grade portée au brevet. »

Les sept huitièmes des officiers ont obtenu un grade depuis le 15 décembre 1831. S’ils n’ont pas de brevet, ils ont des lettres de nomination tenant lieu de brevet. Ce sera donc quand la loi sur l’avancement sera votée qu’il sera délivré des brevets au nom du Roi.

Quant au classement, en France, il a toujours été fait par l’autorité ministérielle. Tous les ans, les inspecteurs-généraux recueillent les réclamations qui sont faites contre le classement, et les présentent au ministre. Il en sera de même ici, s’il se présente des réclamations fondées.

Mais s’il y a des réclamations fondées, les inspecteurs généraux sont autorisés à les recueillir et à les soumettre au ministre. Je désire déposer sur le bureau les instructions que j’ai données ; la chambre les fera imprimer ; mais, en attendant leur impression, il n’est pas nécessaire de suspendre la discussion pour quelques rectifications qui resteraient à faire.

M. Pollénus. - Les réponses faites par M. le ministre de la guerre ne se rapportent pas à ce qui est en discussion ; car ce qui est en discussion, c’est la motion présentée par M. Gendebien ; il semble que l’on cherche à tourner la difficulté au lieu de l’aborder.

M. le président. - Il y a deux motions de faites, celle de M. Gendebien et celle de M. Rogier qui demande le renvoi de la proposition à une autre loi.

M. Rogier. - Je n’ai pas fait de proposition formelle.

M. Pollénus. Il n’y a donc qu’une seule proposition. Et si j’ai bien compris la proposition de M. Gendebien, elle tend à avoir communication des instructions ministérielles ; mais elle n’est pas complète. En effet, M. Desmaisières nous a fait observer qu’il ne suffisait pas de connaître les instructions ministérielles, qu’il fallait encore savoir comment les classements auraient été exécutés en conséquence de ces instructions.

Si la chambre adoptait l’article en discussion elle donnerait son assentiment à un classement qu’elle ne connaît pas ; ainsi je crois qu’il ne fait pas se borner à demander communication des instructions, et qu’il fait demander en outre le travail des classifications qui ont été adoptées.

Plusieurs membres. - Assez ! assez !

M. Pollénus. - Toutes ces interruptions laissent subsister le mystère qui enveloppe les classements que vous proposez de ratifier ; mais si vous croyez que la chambre ne doit pas connaître le classement, alors ne lui demandez pas qu’elle l’approuve. Si l’on veut une homologation, que le ministre de la guerre dépose ce travail sur le bureau. La communication n’exigera pas grand temps ; le travail est achevé, il est donc susceptible d’être présenté dès aujourd’hui. Je ne vois pas d’inconvénient à faire ce dépôt sur le bureau, ou au moins à faire communication des pièces à la section centrale qui pourra nous faire un rapport sur les classements que la dignité de la chambre ne permet de ratifier qu’en connaissance de cause.

J’ai aussi un mot à dire sur les observations faites par M. le ministre de l'intérieur. La loi en discussion est une loi d’union, dit-on ; mais n’oubliez pas que pour qu’elle soit une loi de réparation pour ceux qui ont à se plaindre, il faut qu’elle ne frappe pas les officiers qui ont combattu pendant les journées de notre révolution, qui ont rendu des services signalés à la cause de la Belgique, et qui, à ce titre, pourront toujours compter sur notre sympathie.

Je me résume. M. Desmaisières a signalé une lacune dans le projet.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Quelle lacune ?

M. Pollénus. - On n’indique par les lois d’après lesquels a été exécuté un classement qu’on veut nous faire ratifier.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - On vous a cité ces règles ; elles sont imprimées.

M. Pollénus. - Mais ont-elles été communiquées ? Non, cette communication peut seule justifier la proposition du gouvernement. Je ne conçois rien au refus de communication dans lequel on persiste.

L’exposé des motifs qui a accompagné le projet de loi aurait dû contenir quelques indications à cet égard ; j’ai beau parcourir ce document, et je n’y trouve rien qui y ait trait. Je demande pourquoi le ministre de la guerre s’oppose à une communication qui doit justifier son projet, et qui, comme telle, aurait dû être relatée dans l’exposé des motifs.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je ne m’y oppose pas.

M. Pollénus. - Il me semblait que le ministère tout entier n’était pas d’avis de faire des communications ; une déclaration claire et précise aurait prévenu ce long débat. Je le répète, si vous voulez faire une loi qui agisse efficacement sur l’esprit de l’armée et je désire qu’elle produise cet effet, dans ce cas, il faut la faire juste ; il faut que les officiers puissent être convaincus que nous avons pesé leurs droits, et que ce n’est qu’après un mûr examen que vous avez définitivement fixé leur position.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Vous le voyez, messieurs, l’on fait des progrès. Ce ne sont plus seulement les instructions ministérielles que l’on demande ; on veut avoir en outre le travail matériel fait par la commission, en conséquence des instructions données par le gouvernement ; bientôt on arrivera à vous propose de constituer la chambre elle-même en commission, pour faire un classement.

Messieurs, les instructions données par le gouvernement n’ont rien de secret, de mystérieux ; elles sont consignées dans le Moniteur du 22 mars 1835 ; elles ont de plus été publiées dans le journal de l’armée, qui est très répandu et que les officiers lisent.

Quoi qu’il en soit, je pense qu’il y a erreur dans l’esprit de quelques membres de cette assemblée, s’ils croient qu’ils vont donne leur sanction au classement exécuté en votant la loi en discussion : ce n’est pas cela que l’on demande.

Il y a deux catégories d’officiers : ceux qui ont des brevets de dates différentes ; pour ceux-là, le classement résulte des brevets ; et ceux qui ont des brevets de même date ; pour ceux-ci il y a lieu à classement pour déterminer la priorité. Ce classement difficile a été opéré par une commission d’après des règles qu’on a crues les meilleures possibles pour procéder à un pareil travail ; mais ici on ne vous demande pas de sanctionner par le vote de la loi le travail effectué par le ministre, on vous demande uniquement de reconnaître comme titre à l’avancement la date portée dans le brevet, et un classement, soit celui qui existe, soit tout autre pour les brevets de même date. Afin d’arriver à ce résultat, rédigez ainsi l’article 10 :

« L’ancienneté pour l’avancement sera déterminée par la date portée au brevet du grade, et par le classement entre les officiers dont le brevet est de même date. »

Par cette rédaction, il ne restera pas le moindre doute qu’on ne veut pas obtenir la sanction du travail de classement effectué. S’il s’élève des réclamations contre ce travail, c’est au ministre de la guerre à prendre des mesures pour exécuter les rectifications.

M. Rogier. - J’ai déclaré que je n’avais pas connaissance des instructions données par le ministre de la guerre ; et d’après ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur, il s’ensuivrait que ces instructions auraient été insérées au Moniteur du 22 mars 1835 ; je tiens à la main ce numéro du il, et je n’y trouve qu’un rapport au Roi. Quoi qu’il en soit, ces instructions ont été imprimées, et rien n’empêche qu’on ne les imprime aussi au Moniteur.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - J’ai demandé à déposer sur le bureau de la chambre le rapport au Roi et le instructions ; il est vrai qu’il m’en reste assez peu d’exemplaires. D’après ces instructions, les droits des officiers ont été examinés dans leurs régiments, ce qui a produit pour chaque régiment un travail in-folio de 120 feuilles au moins ; puis on a examiné les droits des officiers par rapport à leur arme entière. Vous pouvez comprendre combien sont volumineux les documents résultants de semblables opérations.

Cependant il sera possible de vous faire connaître les tableaux dressés en conséquence de ces examens successifs. Ils seront publiés dans l’annuaire et paraîtront probablement dans une quinzaine de jours.

En France, en Prusse, en Hollande c’est ainsi que l’on publie annuellement les classifications des officiers.

M. Gendebien. - Je ne conçois pas la persistance d’une portion du ministère à s’opposer à la proposition que j’ai faite. On nous reproche de vouloir retarder la discussion ; mais en supposant que nous ne votions la loi que dans dix jours, il n’y aurait pas de retard dans sa promulgation ; car le sénat n’est pas assemblé ; il n’est pas même convoqué.

Il faut réellement avoir la volonté de contrarier la chambre pour s’opposer à une demande de communication aussi simple.

Que l’on dépose sur le bureau les instructions données à la suite du rapport au Roi (je dis « les instructions » car je crois que l’on en a donné plus d’une) ; qu’on les communique toutes. Elles pourront être insérées au Moniteur. Demain nous pourrons les lire. Si nous nous croyons suffisamment instruits, nous discuterons demain. Mais nous pourrons renvoyer à après-demain et même à une séance ultérieure. Je crois que le mal ne sera pas grand, puisque le sénat n’est pas réuni. Si nous avons nos apaisements, nous voterons, mais nous voterons alors en connaissance de cause. Nous pourrons alors admettre une modification telle que l’on ne préjuge rien sur les droits de l’ancienneté.

Je ne comprends vraiment pas comment on a pu faire perdre à la chambre une heure et demie sur une chose aussi simple que celle-là.

M. F. de Mérode. - Je ne m’oppose pas à l’impression des pièces. Mais je ne vois pas en quoi cela donnera des éclaircissements sur la question, puisque les instructions ont été communiquées verbalement par le ministre de la guerre, non pas une fois, mais 4 ou 5 fois, lorsqu’il a répondu aux orateurs qui l’ont interpellé.

M. Dumortier. - Je ne comprends pas plus que M. Gendebien comment on peut s’opposer à une motion si simple.

Quand vous aurez voté une disposition législative qui sanctionne le classement fait, alors on vous donnera tous les éclaircissements désirables sur ce classement. Voilà ce à quoi se réduit ce que dit le ministère.

Ne serait-il pas plus simple d’adopter la proposition de M. Gendebien, c’est-à-dire d’ajourner l’art. 10 et de continuer la discussion de la loi ?

La loi que nous faisons sera une loi de justice, comme a dit l’honorable M. Pollénus, ou elle sera une loi d’injustice. Si c’est une loi de justice, elle sera un élément d’union. Si c’est une loi d’injustice, elle sera un élément de désunion à tout jamais dans l’armée. Il importe donc que cette loi soit juste. Pour cela il ne faut pas que nous votions en aveugles ; or nous votons en aveugles si nous votons un classement dont nous ne connaissons pas les premiers éléments.

Je demande donc que la discussion de l’art. 10 soit remise à demain et que l’on continue la discussion de la loi.

Pour moi je suis convaincu que des injustices ont été faites. J’en ai la preuve dans ce qu’a dit le ministre de la guerre, dans des faits qui me sont personnellement connus, dans les faits dont a parlé M. Rogier, ex-membre du gouvernement provisoire. On veut vous faire sanctionner ces injustices sans vous faire connaître les bases du classement. Ce serait trop fort. Ce serait en quelque sorte se jouer de la chambre des représentants.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - L’amendement proposé par mon honorable collègue M. le ministre de l’intérieur me semble devoir faire disparaître toute difficulté, avec l’engagement que je prends de faire imprimer dans le Moniteur ou séparément, si la chambre le décide, le rapport au Roi, et les deux instructions pour l’exécution de l’arrêté.

Quant au mode d’exécution de l’arrêté dont il s’agit, si quelques honorables membres veulent étudier les dispositions antérieures des règlements et les instructions données, ils se convaincront qu’elles n’ont pas été données à la légère. Elles résultent de discussions approfondies par des officiers versés dans cette partie et de ceux qui ont pu le mieux m’éclairer sur la manière dont l’armée a été successivement organisée dans les premiers mois de la révolution.

Je pense donc que rien ne doit arrêter la chambre, moyennant qu’on efface de l’article le mot « fait, » et que l’on publie par voie d’impression les instructions et le rapport au Roi.

M. Devaux. - Si je comprends bien la discussion, il faut distinguer deux choses. D’abord il y a une règle générale destinée à régir l’armée à tout jamais, ou du moins tant que durera cette loi. De quoi se plaint-on ? Non pas de ce que cette disposition serait mauvaise. Mais, dans l’opinion de plusieurs membres il faudrait en outre une disposition transitoire, applicable à certaines catégories d’officiers. Je ne crois pas que personne soit opposé à l’art 10 comme règle générale pour l’avenir : sous ce rapport on pourrait adopter l’art. 10. et renvoyer au second vote la disposition transitoire dans le sens de la proposition de M. Dumortier. De cette manière la discussion ne se trouverait pas retardée.

Si l’on adoptait ce mode de procéder, je crois que cela concilierait les deux opinions.

M. Desmaisières. - J’ai quelques mots à répondre à MM. les ministres de l’intérieur et de la guerre.

L’amendement de M. le ministre de l'intérieur qui consiste à supprimer le mot : « fait, » remédie certainement à l’objection que j’ai présentée. Cependant je crois qu’il n’y remédie pas complètement ; car il ne remédie pas à la première partie de l’article portant : « L’ancienneté pour l’avancement sera déterminée par la date du brevet du grade. » Si l’on a retarde la délivrance du brevet, alors on pourrait avoir commis une injustice envers un officier. Je crois que, dans tous les cas, il faudrait plutôt dire : « la date de la nomination. »

Ensuite, comme vient de le dire l’honorable préopinant, l’article ainsi rédigé peut très bien remplir le but que nous désirons atteindre pour régler l’avenir. Mais il y a aussi un passé à régler. Des injustices, dans ce passé, peuvent avoir été commises. Je ne crains pas de dire même qu’indubitablement il a été commis des injustices, car il y a eu toute espèce de lois ; l’arrêté du gouvernement provisoire n‘a pas toujours été religieusement observé. Il y a donc eu des injustices, et pour pouvoir les réparer par la loi, il faudrait que nous eussions pu apprécier quelles ont été ces injustices par les documents que M. le ministre de l’intérieur aurait produits à la chambre.

Le rang de l’officier est tout aussi important pour l’officier que le grade même. Le rang est sa propriété tout aussi bien que le grade ; car dès qu’une partie de l’avancement est donnée à l’ancienneté, le rang mène au grade ; par conséquent l’officier doit y tenir. Ensuite, même pour l’avancement au choix du Roi, le rang est encore quelque chose ; car certainement, à mérite égal, le choix du Roi se portera sur l’officier le plus ancien.

Je crois donc qu’on devrait adopter l’art. 10 ainsi que je le propose, sauf à renvoyer à la commission l’amendement de M. Dumortier, et à le voter au deuxième vote ; d’autant plus que je crois qu’il sera nécessaire de déroger pour cette loi à l’habitude que nous avons de procéder au deuxième vote le surlendemain du jour où le premier vote est terminé ; car les lois que nous allons discuter après celle-ci, s’y rattachent essentiellement. Il est donc bon que le premier vote des projets de loi sur la perte des grades et sur la position des officiers ait lieu avant le deuxième vote de cette loi. Dans l’intervalle des deux votes, la commission aura tout le temps d’examiner à fond l’amendement de M. Dumortier et de formuler une disposition qui remplisse ses vues.

M. Gendebien. - Ce qu’a dit l’honorable M. Devaux rentre tout à fait dans mes intentions. Il est évident que comme règle générale on peut admettre l’article 10, bien entendu avec l’amendement un peu tardif de M. le ministre de l’intérieur. Sans cela on pourrait supposer que la chambre approuve le classement fait antérieurement à la loi. Les choses étant ainsi, on peut voter, et l’on statuera au deuxième vote sur les amendements.

Mais je demande, dans le cas où nous voterions l’article, si le ministre se refuse à donner communication des instructions.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il a offert d’en donner connaissance.

M. Gendebien. - L’un l’a offert, l’autre l’a refusé. (Dénégations au banc des ministres.)

Au reste, puisque maintenant on est d’accord pour donner communication des instructions, J’en suis charmé ; je regrette qu’il ait fallu autant de temps au ministère pour se mettre d’accord.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je dois faire remarquer à la chambre qu’il n’a pas été mis en question si les pièces seraient communiquées ou non ; dès le principe, les deux ministres qui ont parlé ont dit que les pièces seraient communiquées. Seulement ils ont ajouté que l’on pouvait adopter l’art. 10 sans la communication de ces pièces ; et M. Gendebien lui-même le reconnaît maintenant, car, sans avoir communication des pièces, il votera sans doute l’article avec nous, puisqu’il doit être admis, dit-il, comme règle générale pour l’avenir. Or, qu’a dit M. le ministre de l’intérieur ? Que si quelque membre croyait bon d’adopter une disposition spéciale, il pouvait user à cet égard de votre droit d’initiative ; que l’adoption de l’article tel qu’il est conçu ne préjugeait rien contre une semblable proposition. Je le répète, l’honorable M. Gendebien, ainsi que les autres adversaires de cette opinion, s’y rallient maintenant, puisqu’ils déclarent qu’ils voteront avec nous l’article dont il s’agit.

M. Gendebien. - L’honorable ministre des finances n’a pas compris la question. Ce n’est pas sur l’article 10, mais sur l’amendement de M. Dumortier que j’ai demandé l’ajournement jusqu’à ce qu’on nous ait fait communication des pièces ; la question était de savoir si on voterait sur l’amendement avant d’obtenir la communication que j’ai demandée.

Au reste, il n’est pas exact de dire que tous les ministres aient offert la communication des pièces, car il n’y a qu’un moment que M. de Mérode disait que cette communication était inutile, que M. le ministre de la guerre en avait fait verbalement communication suffisante. M. de Theux s’y est opposé constamment sous le prétexte que c’était un acte purement administratif dans lequel la chambre n’avait nullement le droit de s’immiscer ; le ministre de la guerre seul y avait consenti d’abord et avait hésité ensuite d’après les conseils de ses collègues.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je dois rectifier un fait. C’est à tort que l’on prétend que je me serais constamment opposé à la communication des pièces. Pas le moins du monde ! Dés le commencement de la discussion, M. le ministre de la guerre a déclaré formellement que les pièces seraient communiquées. Je ne m’y suis nullement opposé. Mais j’ai dit que cela ne devait pas retarder le vote de l’article, que l’on pouvait le voter immédiatement et que les pièces seraient ensuite communiquées.

- La clôture est prononcée.

M. le président. - M. le ministre de la guerre a offert la communication des instructions qui a été demandée. Ainsi, il n’y a pas lieu de consulter la chambre sur ce point.

- L’article 10, avec l’amendement M. le ministre de l'intérieur, consistant à supprimer le mot « fait » après le mot « classement, » est ainsi conçu :

« Art. 10. L’ancienneté pour l’avancement sera déterminée par la date du brevet du grade, et par le classement entre les officiers dont le brevet est de la même date. »

- Cet article est mis aux voix et adopté.

Le renvoi à la commission de la disposition transitoire proposé par M. Dumortier est mis aux voix et adopté.

La chambre ordonne l’impression et la distribution aux membres des instructions déposées par M. le ministre de la guerre.

Articles 11 à 13

« Art. 11. Il ne pourra être accordé de grade sans emploi, ni de grade supérieur à celui de l’emploi : les grades honoraires ne pourront être accordes qu’aux officiers mis à la pension de retraite. »

- Adopté.


« Art. 12. Les officiers mis en non-activité, par suite de licenciement de corps ou de suppression d’emploi, auront droit, dans cette position, à l’avancement par ancienneté et seront en conséquence mis à la suite de l’un des corps de leur arme, en attendant des (emplois vacants) dans leur grade. »

- Adopté.


« Art. 13. Les officiers mis en non-activité pour toute autre cause n’ont pas droit à l’avancement par ancienneté, et le temps qu’ils auront passé dans cette position sera déduit de celui qui fixe l’ancienneté de leur grade, s’ils sont remis en activité. »

- Adopté.

Article 14

« Art. 14. Sera également déduit de l’ancienneté de grade, aux officiers rentrant en activité de service, le temps passé à un service étranger au département de la guerre : est excepté de cette disposition le temps passé :

« 1° Pour un service détaché dans la garde civique ;

« 2° Dans la marine militaire ;

« 3° Dans le corps des ponts et chaussées pour les ingénieurs militaires ;

« 4° En mission diplomatique.

« Sera déduit, dans tous les cas, le temps passé au service d’une puissance étrangère. »

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - La seule différence qu’il y ait entre la proposition que j’ai eu l’honneur de faire au nom du gouvernement et celle faite par la commission consiste dans l’addition du dernier paragraphe ainsi conçu :

« Sera déduit, dans tous les cas, le temps passé au service d’une puissance étrangère. »

Le rapporteur de la commission en a fait connaître le motif en ces termes :

« La commission, en adoptant l’art. 15 du projet, a cru devoir y ajouter une disposition additionnelle ainsi conçue :

« Sera déduite, dans tous les cas, le temps passé au service d’une puissance étrangère.

« Cette condition, qui se trouve textuellement dans la loi française, a paru plus applicable, et plus opportun surtout, que plusieurs officiers belges sont encore aujourd’hui au service d’une puissance étrangère en guerre avec nous. Il est tout à la fois juste et moral d’empêcher que, par oubli ou par toute autre cause, des officiers qui ont combattu contre leur patrie, ne parviennent à obtenir, aux dépens de notre armée, le prix de services que la Belgique ne doit certainement ni reconnaître ni récompenser. »

J’adopte entièrement le principe. Mais je pense qu’il serait possible que quelques-uns de nos officiers, à la paix surtout, demandassent l’autorisation du gouvernement pour faire la guerre sous les drapeaux d’une puissance amie.

Je proposerai donc de rédiger ainsi le cinquième paragraphe :

« 5° Au service d’une puissance étrangère : cependant ce temps pourra être compté, s’il a obtenu l’autorisation du Roi pour servir à l’étranger. »

M. Gendebien. - Il serait inconvenant et impolitique de ne pas autoriser quelques-uns de nos officiers à servir à l’étranger, non pas seulement en temps de guerre, mais même en temps de paix ; car quelque instruite que soit notre armée, on a toujours gagner à visiter les pays étrangers, quand ce ne serait que pour établir des points de comparaison.

On pourrait donc rédiger ainsi la fin de l’article :

« 5° Le temps passé au service d’une puissance étrangère, avec l’autorisation du gouvernement. »

On a fait allusion aux officiers qui servent en Hollande. Mais ceux-là n’ont pas l’autorisation du gouvernement, je pense ; au surplus ils ont été mis en demeure par l’arrêté du gouvernement provisoire. Ils seront d’ailleurs toujours obligés de se faire naturaliser pour obtenir des fonctions, puisqu’ils ont porté les armes contre leurs pays ; mon amendement ne présente donc aucun inconvénient, et il rentre tout à fait dans les intentions de ceux qui craignent le retour des officiers belges de la Hollande.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je proposerai, comme M. le ministre de la guerre, de rédiger ainsi la fin de l’article :

« 5° Au service d’une puissance étrangère. Cependant ce temps pourra être compté avec l’autorisation du Roi. »

Il ne faut pas parce qu’un officier a été autorisé à servir une puissance étrangère, que ce temps lui soit nécessairement compté ; car il peut arriver que cet officier, à l’étranger, se conduise mal, qu’il fasse le lâche, qu’il rende de mauvais services. Il faut donc pour ce cas rendre facultatif pour le gouvernement le droit de compter le temps passé au service d’une puissance étrangère.

M. Dumortier. - Il me semble que dès l’instant que le gouvernement accorde à un officier l’autorisation de servir à l’étranger, et comme il ne l’accordera jamais que pour servir une puissance amie dont la cause est identique à la nôtre, il est hors de doute que le temps pendant lequel cet officier servira ainsi doit lui compter pour parfaire son temps d’ancienneté. Il apprend la pratique du service, tandis qu’il ne l’apprendrait que par théorie en restant dans le pays. On ne peut donc pas déduire le temps de service passé à l’étranger.

Je rappellerai ce qui s’est passé dans diverses circonstances. Plusieurs officiers belges ont obtenu du gouvernement l’autorisation de servir le Portugal. Pendant cette guerre, ces officiers ont certainement rendu des services à la cause de la révolution belge, car les deux causes étaient identiques. La révolution belge a dû son succès en grande partie aux révolutions qui ont éclaté dans la péninsule ibérique.

Il est vrai qu’on a remercié ces officiers des bons et loyaux services qu’ils avaient rendus à une cause identique à la nôtre, en les faisant rentrer dans les régiments, mais avec la perte de leur temps d’ancienneté. L’arrêté qui leur accorde cette faveur, a paru à beaucoup de personnes un persiflage ; cette conduite n’est pas digne d’un gouvernement ; quand on reconnaît que des services ont été rendu au pays, il faut que la conséquence des services ait son cours.

Je pense qu’il faut admettre purement et simplement que quand le gouvernement autorise un officier à aller servir chez une puissance étrangère, il doit savoir si cette puissance est ou n’est pas une puissance amie, et il n’accordera l’autorisation que pour aussi longtemps que cette puissance restera notre amie. Mais alors il doit compter ses services à l’officier pour parfaire le temps d’ancienneté : remarquez que je ne dis pas qu’on doive lui tenir compte des grades qu’il peut avoir obtenus.

J’ai vu dans le paragraphe premier de l’article une exception pour le temps passé dans la garde civique ; c’est probablement de la garde civique mobilisée seulement qu’on a voulu parler. La garde civique sédentaire est trop distincte de l’armée pour qu’on puisse compter à un officier le temps qu’il y passe comme service actif. Il faudrait ajouter : « dans la garde civique active. »

Il ne faut pas que la nomination d’un officier en non-activité au grade de capitaine dans la garde civique puisse servir à établir son temps d’ancienneté s’il rentrait au service.

Je voterai pour la proposition faite par M. Gendebien.

M. Desmanet de Biesme. - Sans m’opposer à l’amendement de M. Gendebien, et appuyant le changement proposé par M. le ministre des finances, de laisser au gouvernement la faculté de compter ou de ne pas compter pour l’ancienneté le temps passé au service d’une puissance étrangère, je dois faire une autre observation. Quand un officier passe au service d’une puissance étrangère, c’est ordinairement en temps de guerre.

Ordinairement les campagnes comptent double pour l’ancienneté ; je pense que dans tous les cas un officier qui aura servi à l’étranger, ne pourra demander que ses campagnes lui soient comptées doubles, et que ce temps ne lui comptera que comme s’il était resté au service de la Belgique.

Si on ne s’expliquait pas là-dessus, un officier qui aurait servi pendant trois ans, pourrait dire : J’ai fait trois campagnes, cela doit me compter pour six ans de service.

Je ne pense pas que ce soit comme cela qu’on doive l’entendre.

M. Gendebien. - L’observation de M. Desmanet de Biesme ne peut pas être prise en considération, car l’article dit : « Sera également déduit le temps, etc. » Et ici on fait une exception, on dit qu’on ne déduira pas. Ainsi on ne peut pas mettre en doute si on comptera les campagnes double ; c’est seulement le temps qui sera compté.

Maintenant, je ne puis pas admettre l’amendement du ministre des finances, on ne peut pas supposer qu’un officier belge qui demande l’autorisation d’aller servir à l’étranger pour combattre aille s’y conduire mal, s’y conduire lâchement. C’est là une supposition injurieuse pour notre armée que le législateur ne doit pas faire.

J’ajouterai une observation. Je suppose que sous un ministère partisan d’une alliance avec le Portugal et l’Espagne on donne à un officier l’autorisation d’aller servir en Portugal ou en Espagne. Il arrive ensuite un revirement de politique et un changement de ministère.

Le nouveau ministre pourra refuser à cet officier de lui compter pour son ancienneté le temps passé à l’étranger, parce qu’il est d’une opinion contraire, d’un système opposé celui de son prédécesseur. Au lieu de savoir gré si cet officier d’avoir été combattre pour une nation amie et en même temps pour acquérir de l’expérience, par simple mauvaise humeur, par différence d’opinion, il pourra faire perdre ce temps de service à cet officier ; pour satisfaire un caprice, il pourra priver un officier d’un véritable droit. Il ne doit y avoir rien d’arbitraire dans une loi : dès que le gouvernement consent à ce qu’un officier serve à l’étranger, il faut qu’il ait le droit de réclamer l’effet de la loi. Si un officier pouvait se mal conduire à l’étranger, il tomberait sous les dispositions de la loi que nous allons voter demain ou après-demain. Il n’est pas nécessaire d’ouvrir une porte à l’arbitraire et de l’exposer aux chances d’un changement de politique et de ministère.

M. Desmanet de Biesme. - Je pense que la proposition du ministre des finances doit être admise. L’honorable préopinant dit que l’officier autorisé à servir à l’étranger ne doit pas subir les chances de changement de ministère. Je ferai observer qu’en tout état de cause, un ministre a le droit de rappeler cet officier, et que s’il refusait de revenir, il se trouverait dans le cas de perdre non seulement son droit d’ancienneté, mais même quelque chose de plus.

(Moniteur belge n°141, du 20 mai 1836). M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, je pense que la disposition de cet article doit être facultative. Lorsque le gouvernement accordera à un officier l’autorisation d’aller servir en pays étranger, ce sera dans l’intérêt du pays et du service, ou bien dans l’intérêt personnel de l’officier qui la sollicite. Quand il l’accorde dans l’intérêt du pays, ou dans l’intérêt du service militaire, il est juste que le temps que l’officier aura passé au service d’une puissance étrangère, lui soit compté pour son ancienneté. Mais si l’autorisation n’a été accordée que d’après des sollicitations de l’officier, plutôt dans son intérêt personnel que dans l’intérêt du pays et du service militaire, le gouvernement doit avoir la faculté de mettre une condition à l’autorisation et de dire : Je veux bien consentir à ce que vous alliez passer quelque temps au service d’une puissance étrangère, mais je ne puis vous compter ce temps pour votre ancienneté, au détriment des officiers de l’armée.

Je ne pense pas qu’il puisse y avoir là d’arbitraire. Ce n’est pas dans ce sens que je comprends la chose. Je pense que quand une autorisation semblable sera donnée, l’arrêté d’autorisation fera régulièrement connaître à l’officier qui l’obtient les conditions auxquelles il passe au service d’une puissance étrangère.

Le gouvernement doit avoir le droit aussi, dans tous les cas, de ne pas compter le temps passé à un service étranger, si la conduite de son officier n’a pas été honorable ou si elle a donné lieu à des plaintes fondées.

Il ne suffit pas de servir en pays étranger, il faut y servir avec honneur.

Il me semble que par ces motifs il faut nécessairement que l’article reste facultatif. L’arrêté d’autorisation s’expliquera sur les conditions et sur la réserve relative à la conduite que l’officier tiendra au service de la puissance étrangère. Mais c’est là une affaire qui n’a pas besoin d’être déterminée par la loi.

(Moniteur belge n°140, du 19 mai 1836) M. Gendebien. - L’honorable M. Desmanet a dit qu’il fallait laisser la faculté au gouvernement de compter ou de ne pas compter le temps passé à l’étranger à l’officier qui y serait allé servir avec l’autorisation du gouvernement, et pour appuyer son opinion, il a ajouté qu’on ne pouvait pas contester au gouvernement le droit de rappeler un officier au service de l’étranger ; que si ces officiers s’y refusaient, le gouvernement devrait bien avoir le droit de ne pas leur compter ce temps de service ; qu’il pouvait même faire quelque chose de plus.

Ce que M. Desmanet de Biesme a dit en terminant, pour appuyer son observation, doit la détruire ; car dès l’instant qu’il reconnaît que le gouvernement peut faire plus que priver de l’ancienneté, il est inutile de s’occuper de la question d’ancienneté.

Un officier qui se rend à l’étranger avec l’autorisation du gouvernement, et qui n’obtempérerait pas à l’ordre qui lui serait donné de rentrer en Belgique, serait passible des peines comminées par le code pénal et par une des lois que nous discuterons après celle-ci.

M. de Muelenaere vous a dit qu’il fallait établir une distinction entre l’officier qui, avec l’autorisation du gouvernement, se rend à l’étranger dans son intérêt personnel, et l’officier qui s’y rend pour le service du gouvernement et dans l’intérêt du service militaire.

Si l’on veut faire cette distinction, qu’on l’établisse au moins dans la loi. Quant à l’amendement de M. le ministre des finances, il faut le rejeter s’il n’est complété dans le sens des observations de M. de Muelenaere, car il exclut la distinction qu’il a proposée.

M. Rogier. - Messieurs, voici un amendement qui tendra peut-être à mettre d’accord les diverses opinions sur l’exception qui nous occupe.

Cet amendement est ainsi conçu :

« Est excepté de cette disposition :

« 1° …

« 5° Le temps passé au service d’une puissance étrangère, avec l’autorisation du Roi, sauf les conditions auxquelles cette autorisation aura été subordonnée. »

De cette manière, on satisfera à l’opinion de M. le ministre des affaires étrangères et à celle de son honorable collègue M. d’Huart.

Rien n’empêchera le gouvernement de poser la condition que si l’officier qui a obtenu l’autorisation se conduit mal, il n’y aura pas lieu de lui compter ce temps de service pour l’ancienneté.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je me rallie à l’amendement de M. Rogier.

M. le président. - M. Gendebien persiste-t-il dans son amendement ?

M. Gendebien. - Je me rallierai à l’amendement de M. Rogier, quoique le mien soit plus simple et prête moins à l’arbitraire.

- La partie de l’art. 4, ainsi conçue : « Sera également déduit de l’ancienneté de grade aux officiers rentrant en activité de service, le temps passé à un service étranger au département de la guerre, » est mise aux voix et adoptée.

M. le président. - Le paragraphe suivant est ainsi conçu :

« Est excepté de cette disposition le temps passé :

« 1° Pour un service détaché dans la garde civique. »

M. Dumortier propose d’ajouter le mot : « active. »

M. le président. - M. le ministre de la guerre se rallie-t-il à cet amendement ?

Plusieurs membres. - Il s’y est déjà rallié.

(Moniteur belge n°141, du 20 mai 1836). M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Il me semble, messieurs, que l’amélioration proposée par l’honorable M. Dumortier a une portée qu’on n’a pas bien comprise d’abord.

Il peut être d’une très grande importance de détacher momentanément un officier pour l’instruction de la garde civique sédentaire.

Il me paraît qu’il ne pourrait y avoir de motif pour ne pas tenir compte à cet officier du temps qu’il aurait passé dans son nouveau service, par l’ordre du gouvernement.

(Moniteur belge n°140, du 19 mai 1836). M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Messieurs, je vous avoue que je ne faisais pas d’abord la distinction entre la garde civique active et la garde civique sédentaire.

Les observations de M. le ministre des affaires étrangères sont justes en ce sens qu’il peut souvent être très utile de détacher momentanément un officier pour l’instruction de la garde civique sédentaire. C’est ainsi qu’à Arlon, où l’on organise actuellement une garde de ce genre on a réclamé une semblable coopération. De pareilles demandes ont encore été faites dans d’autres localités.

Il semble d’après cela qu’il est dans l’intérêt bien entendu de la garde civique, de pouvoir recourir à l’expérience des officiers de l’armée de ligne ; et je pense que cette considération est assez puissante, pour qu’elle vous engage à passer sur une espèce d’irrégularité dont les effets, au reste, ne seront que momentanés.

M. Dumortier. - J’ai une réponse à faire à ce qu’a dit le ministre des affaires étrangères.

La loi règle la nomination des officiers de la garde civique, et jamais aucun officier de l’armée ne peut être détaché dans la garde civique sédentaire.

Si vous admettiez une pareille disposition, elle produirait les plus graves abus : quand on aurait trop d’officiers et qu’on ne saurait plus qu’en faire, on les enverrait dans la garde civique, et vous auriez des traitements inutiles portés au budget. Que l’on introduise les officiers de la ligne dans la garde civique mobile, soit ; mais cela ne se peut dans la garde civique sédentaire.

Ajoutez à ces considérations que la garde civique sédentaire ne peut être astreinte que deux exercices par an ; peut-on placer des officiers pour deux exercices seulement ?

M. Gendebien. - Je crois que l’on peut rédiger ainsi l’article :

« Pour un service détaché dans la garde civique active et pour les officiers instructeurs détachés dans la garde civique sédentaire et à sa demande. »

On a dit que pour son instruction il serait bon que la garde civique sédentaire eût des officiers de ligne ; cela peut être utile en effet, et de plus on doit considérer qu’elle n’en aura pas besoin d’un grand nombre. Mais je propose qu’on ne lui en envoie qu’à sa demande, parce qu’on ne peut pas lui imposer d’officiers étrangers à sa composition, pas même des instructeurs, aux termes de la loi de 1830.

Au lieu de dire : « Et à sa demande, » je consens que l’on dise : « Et à la demande des autorités locales. »

- L’amendement de M. Gendebien mis aux voix est adopté.

Les paragraphes 1, 2, 3 et 4 sont adoptés.

Le cinquième paragraphe, proposé par. M. Rogier, est ainsi conçu :

« Le temps passé au service des puissances étrangères, avec l’autorisation du Roi, sauf les conditions auxquelles l’autorisation est subordonnée. »

- Ce paragraphe 5 est adopté.

L’ensemble de l’article est adopté.

Article 16

« Art. 16. Les officiers prisonniers de guerre conserveront leurs droits d’ancienneté pour l’avancement ; cependant ils ne pourront obtenir que le grade immédiatement supérieur à celui qu’ils avaient au moment où ils ont été faits prisonnier. »

- Cet article est adopté.

M. le président. - Comme la loi a été amendée, le second vote ne peut avoir lieu immédiatement.

Projet de loi autorisant un transfert de crédit au sein du budget du ministère de la justice

Rapport de la commission

M. Demonceau monte à la tribune et dépose sur le bureau, au nom d’une commission, un rapport sur un projet de loi relatif à un transfert de dépenses pour le ministère de la justice.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, l’objet de ce projet est très urgent, ainsi que peut le dire M. le rapporteur lui-même ; il ne peut présenter aucune difficulté pour son adoption ; je demanderai que la chambre en fixe la discussion immédiatement après la délibération sur les projets de transferts du ministère de la guerre.

- Cet avis est adopté.

Projet de loi concernant l'avancement des officiers dans l'armée

Discussion des articles

M. Gendebien. - J’ai une observation à faire concernant l’avancement des officiers de l’état-major de l’armée : il n’est pas fait mention des officiers de l’état-major dans la loi que nous venons de discuter, je pense que c’est une lacune, car dans la législation française il y a des règles particulières pour ces officiers ; je n’ai pas vu qu’on s’en soit occupé dans la loi sur laquelle nous délibérons.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Mais ces officiers sont soumis à la loi commune.

M. Gendebien. - Cela pourrait paraître douteux. Dans la loi on parle des officiers de toutes les armes ; l’état-major constitue-t-il une arme ? En France, on a porté une loi spéciale pour ce corps spécial ; on ne le considère donc pas comme une arme, mais comme un corps spécial ; on ne peut l’abandonner à l’arbitraire.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Ils sont soumis à la règle générale.

M. Gendebien. - On n’a pas pensé en France qu’il pût en être ainsi, puisqu’on a admis pour le corps de l’état-major des dispositions spéciales. Au reste la chambre pourra y revenir au second vote.

M. le président. - Je crois que la chambre est dans l’intention de ne procéder au second vote du projet de loi sur l’avancement qu’après le premier vote des projets de loi relatifs à la position des officiers et à la perte des grades ? (Adhésion.)

S’il n’y a pas d’opposition, je mettrai à l’ordre du jour de demain : 1° le projet de loi relatif à la position des officiers, 2° le projet de loi relatif à la perte des grades. Viendront ensuite les projets de loi de transfert. (Adhésion.)

- La séance est levée à 4 heures et demie.