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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 17 mai 1836

(Moniteur belge n°139, du 18 mai 1836 et Moniteur belge n°140, du 19 mai 1836)

(Moniteur belge n°139, du 18 mai 1836)

(Présidence de M. Pirson, doyen d’âge.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Schaetzen fait l’appel nominal à une heure et demie ; il donne ensuite lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Projet de loi concernant l’avancement des officiers de l’armée

Discussion des articles

Article 6

M. le président. - La chambre en est restée à l’art. 6, ainsi conçu :

« Dans les corps d’infanterie et de cavalerie, le tiers de tous les emplois de sous-lieutenant vacants est dévolu aux sous-officiers des corps ; les deux autres tiers, au choix du Roi.

« Le choix aura lieu parmi les élèves de l’école militaire et parmi les sous-officiers. »

Voici l’amendement proposé par M. Gendebien :

« Dans les corps d’infanterie et de cavalerie, la moitié des emplois de sous-lieutenant vacants est dévolue aux sous-officiers et au concours ; l’autre moitié, au choix du Roi.

« Le choix aura lieu parmi les élèves de l’école militaire et parmi les sous-officiers. »

M. Gendebien. - D’après l’observation qui a été faite hier par M. le ministre de la guerre, il me semble que mon amendement n’a pas été bien compris.

Voici, messieurs, quelle a été mon intention en vous le proposant :

J’ai voulu d’abord assurer aux sous-officiers une part plus large dans l’avancement. D’un autre côté, j’ai voulu garantir des récompenses à ceux qui s’occuperaient avec zèle de leur état et qui acquerraient de l’instruction.

L’honorable ministre de la guerre a cru que je restreignais le concours dans les régiments ; il s’est trompé. Mon intention est que le concours ait lieu entre tous les sous-officiers de l’armée. Je vais rendre ma pensée plus sensible : par exemple, nous avons quinze régiments d’infanterie ; je désirerais que dans chaque régiment il s’établît un concours, à l’effet de désigner les plus capables dans les régiments, et qu’on envoyât ceux reconnus les plus capables dans chaque régiment, soit à Bruxelles, soit ailleurs, à l’effet de les faire concourir ensemble pour le nombre de sous-lieutenants qui leur est dévolu en vertu de la loi ; le résultat de ce concours général serait la promotion des sous-officiers qui ont le plus de capacité. Ce double concours serait un puissant moyen d’émulation dans chaque régiment et dans toute l’armée.

Je ne reviendrai pas sur les objections qu’on a élevées hier contre mon amendement, parce que je pense y avoir suffisamment répondu. J’aborderai cependant quelques observations auxquelles je n’ai pas été appelé à répondre, à cause de la clôture de la séance.

On vous a dit, messieurs, qu’il était très dangereux d’assurer un grade de sous-lieutenant à celui qui serait le plus capable, d’une part, parce qu’il ne suffisait pas d’être capable, mais qu’il fallait présenter d’autres garanties, celle de bonne conduite, par exemple.

Mais, messieurs, avec de pareils raisonnements, il faudrait écarter à plus forte raison l’avancement par ancienneté ; car l’ancienneté n’est pas non plus une garantie de bonne conduite, l’ancienneté n’est pas nécessairement compagne de la bonne conduite.

Le droit d’ancienneté est uniquement réglé par le temps de service, tandis que la nomination aux sous-lieutenances par concours assure une garantie d’instruction qui en est ordinairement une de bonne conduite.

Je ferai remarquer, en outre, que lorsqu’un sous-officier se conduit mal, on peut le casser ; un sous-officier qui serait reconnu indigne de devenir officier, par sa conduite, alors qu’il réunirait les autres qualités, serait également indigne de rester sous-officier.

Le système de concours pourrait devenir un moyen de discipline de plus parmi les sous-officiers de l’armée ; ce serait une raison de plus pour eux de se bien conduire, non seulement pour échapper à la cassation de leurs grades comme sous-officiers, mais encore pour ne pas se voir exclus des concours, pour les grades supérieurs.

Vous voyez donc, messieurs, que la seule objection spécieuse qu’on a faite tombe devant ces considérations.

En donnant la moitié des grades de sous-lieutenant aux sous-officiers, je laisse encore une part assez large au gouvernement pour réparer, envers les sous-officiers moins capables, le fâcheux inconvénient naissant pour eux seuls du résultat des examens. Mais tel n’est pas le but qu’il veut atteindre en s’opposant à mon amendement : ce n’est pas par sollicitude pour les sous-officiers moins capables, mais uniquement dans l’intérêt de ses prérogatives et pour mieux exploiter l’arbitraire, qu’il combat mon amendement. En un mot, mon amendement est tout en faveur des sous-officiers en général, et en particulier des sous-officiers qui voudront s’instruire. Mais l’abrutissement est aussi un moyen de gouverner.

M. Desmaisières. - Messieurs, quand il s’agit de l’avancement, il est deux principes que l’on ne doit pas perdre de vue : il faut d’abord que l’avancement soit mérité, et ensuite il ne faut pas sortir des limites tracées par les lois constitutives des grades de l’armée.

Sous ce dernier rapport, il eût été à désirer que nous eussions pu voter une loi d’organisation avant la discussion de la loi d’avancement. Telle doit être même l’opinion de M. le ministre de la guerre, puisqu’il nous a dit hier que dans le projet d’avancement il n’avait pas été proposé des dispositions relatives à l’avancement des officiers de santé, parce que ce service devait recevoir une organisation autre que celle qui existe actuellement.

Ainsi que je l’ai déjà dit, à l’occasion de la discussion du budget de la guerre, les braves militaires ne demandent pas d’autre avancement que celui qu’ils ont mérité ; et ils ne veulent pas de cet avancement mérité lui-même, s’il faut, pour le leur donner, créer de nouvelles charges par la multiplication de grades inutiles.

Qu’on interroge à cet égard toutes nos troupes, officiers, sous-officiers et soldats, et tous répondront : « Oui, nous désirons l’avancement, mais un avancement mérité et qui ne soit pas une charge pour le pays. »

Mais, quelles que soient les conditions à remplir pour que l’avancement soit mérité, la première, la seule indispensable sans contredit, c’est la condition de capacité ; et quand je dis capacité, je n’entends pas seulement parler de la capacité sous le rapport de la théorie, mais j’ai encore en vue la capacité de pratique

La capacité de pratique se constate par des faits ; mais la capacité de théorie se constate nécessairement par des examens.

Sous ce rapport, je crois qu’il serait bon d’introduire dans le projet de loi une disposition tendant à faire passer des examens pour obtenir de l’avancement. Je pense que telle a été, sans doute, l’opinion de M. Gendebien quand il a proposé son amendement.

Le concours ne peut pas être admis, parce que, comme on l’a dit hier, il est exclusif de sa nature, et il peut arriver qu’un sous-officier, qui se conduit on ne peut pas plus mal, et qui, par conséquent, ne mérite pas d’avancement, soit cependant tellement instruit qu’il obtienne l’avancement au concours.

Je crois donc que dans l’amendement de M. Gendebien il faudrait substituer à ces mots :

« Dans les corps d’infanterie et de cavalerie, la moitié des emplois de sous-lieutenant est dévolue aux sous-officiers et au concours, » ceux-ci : « Nul ne pourra être nommé sous-lieutenant s’il n’a satisfait à un examen dont les conditions seront établies par un règlement d’administration générale. »

Je crois qu’ainsi l’on aurait la garantie qu’il n’y aurait que des sous-officiers capables qui deviendraient officiers.

En ce qui touche la part attribuée aux sous-officiers et au choix du Roi dans le projet de loi, je pense qu’on peut admettre sans aucun danger, soit l’amendement de M. Gendebien, qui fixe la part des sous-officiers à la moitié, soit le projet de loi lui-même.

Mais lorsque nous serons appelés à discuter le projet de loi relatif à l’organisation militaire, nous accorderons probablement la faculté de passer des examens pour entrer dans l’école militaire jusqu’à l’âge de 25 ans.

Ainsi, si nous admettons le projet du gouvernement, les sous-officiers auraient d’abord un tiers exclusivement dans ces nominations de sous-lieutenant ; ils partageraient ensuite avec les élèves de l’école militaire les deux autres tiers qui sont donnés au choix du Roi ; et enfin ils auraient encore la faculté jusqu’à 25 ans d’entrer dans l’école militaire, en, passant les examens voulus ; et en conséquence, de passer d’une arme à une autre. De cette manière, un sous-officier d’infanterie pourrait passer, soit dans le génie militaire, soit dans l’artillerie.

On a parlé hier des écoles régimentaires. M. le ministre a dit qu’il songeait à améliorer cette institution. Eh bien, les examens que je propose de faire subir aux sous-officiers doivent nécessairement améliorer cette institution ; car un sous-officier ou un soldat, sachant que pour arriver à porter l’épaulette, il doit de toute nécessité s’instruire, fera tout ce qu’il pourra pour y parvenir. Par suite les écoles régimentaires seront mieux suivies, et les études iront beaucoup mieux. Je crois même qu’il faudrait à cet égard, dans les écoles régimentaires, plusieurs degrés d’instruction, selon les différents grades, est un officier, quelque grade qu’il ait ne doit jamais perdre de vue qu’il a toujours à s’instruire. Il doit mettre à profit le temps qu’il a à passer dans un grade inférieur pour être à même d’occuper un grade supérieur.

Ensuite le gouvernement doit veiller avec la plus grande sollicitude à ce que le militaire acquière de l’instruction, non seulement pour pouvoir être plus utile à son pays comme militaire, mais encore pour que sa position soit d’autant meilleure lorsque, couvert de cicatrices ou accablé par ses nombreux services, il sera obligé de rentrer dans la vie civile. S’il est instruit, ce sera pour lui un moyen d’ajouter à sa modique pension et d’assurer pour lui-même et pour ses enfants une position bien meilleure dans la société.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - L’amendement en discussion a deux objets différents. Le premier est d’accorder aux sous-officiers la moitie des emplois de sous-lieutenant d’infanterie et de cavalerie (car il n’est pas question des corps de l’artillerie et du génie qui font l’objet d’un article particulier) ; le second est d’accorder la moitié des emplois de sous-lieutenant aux concours généraux ouverts où les sous-officiers des régiments pourront se présenter pour passer les examens, d’après un programme adopté.

Quant au premier point, ainsi que j’ai eu l’honneur de le dire hier, les sous-officiers ont plus de la moitié de emplois vacants ; cela est facile à prouver.

L’article dit :

« Dans les corps d’infanterie et de cavalerie, le tiers de tous les emplois de sous-lieutenant vacants est dévolu aux sous-officiers des corps ; les deux autres tiers au choix du Roi. »

Ainsi, sur trois emplois de sous-lieutenant vacants, il en est donné, de droit, un aux sous-officiers du corps, et les deux autres au choix du Roi.

Mais le deuxième paragraphe porte :

« Le choix aura lieu parmi les élèves de l’école militaire et parmi les sous-officiers. »

Si l’école militaire reste dans les proportions que nous avons établies, quelle que soit la réduction de l’effectif de l’armée sur le pied de paix, alors que nous ne recevrions, comme pendant ces quatre dernières années, que de 20 à 24 sujets par année, ces nominations feront à peine le tiers des vacances. Conséquemment, pour remplir le troisième tiers, il faudra de toute nécessité avoir recours aux sous-officiers.

Maintenant je suppose que les nominations des deux tiers des élèves de l’école militaire absorbent les deux tiers des emplois de sous-lieutenant vacants, ce ne sera jamais que la différence d’un sixième avec la proposition que l’on fait. Sous ce point de vue les sous-officiers auront encore près de la moitié des emplois vacants.

Et je dois ajouter encore qu’il est possible qu’un régiment puisse avoir beaucoup souffert dans son effectif d’officiers et présenter un grand nombre de vacances ; tandis qu’un autre régiment en présenterait beaucoup moins, quoique ayant de très bons sous-officiers ; dans ce cas la justice exigeait que l’on pût prendre des sous-officiers de ce dernier régiment pour les placer dans le corps où il y aurait le plus de vacances. Ainsi la justice répartit l’avancement sur tous les corps qui composent l’arme.

Pour qu’un sous-officier ait des droits à être nommé sous-lieutenant, il faut effectivement qu’il ait la capacité nécessaire pour bien remplir cet emploi. Il faut que sa conduite antérieure réponde de celle qu’il tiendra comme officier. Mais il faut en outre, lorsqu’un sous-officier a 20 ou 25 ans de service, qu’on puisse avoir égard aux droits que lui donne sa bonne conduite et son ancienneté. Il faut qu’on puisse lui assurer un sort à la fin de sa carrière.

C’est ainsi que de vieux sous-officiers sont nommés sous-lieutenants ; ils occupent ce grade pendant deux ou trois ans et ont alors une pension de retraite qui les met à l’abri du besoin. Les concours ne rempliraient donc pas le but que le gouvernement atteint en choisissant parmi les sous-officiers ceux qui doivent être nommés sous-lieutenants.

Cependant, il est essentiel que tous les sous-officiers qui peuvent être promus sous-lieutenants fassent preuve des capacités nécessaires pour remplir cet emploi. Il serait donc très convenable, quand les écoles régimentaires seront bien organisées, quand on aura pu, comme l’a propose un honorable préopinant, organiser deux degrés d’instruction, d’exiger des sous-officiers que, pour être proposés au grade de sous-lieutenant, ils subissent un examen dont les conditions seraient déterminées.

Déjà pour les sous-officiers de l’artillerie et du génie nous avons exigé qu’ils fassent preuve, par un examen, des connaissances nécessaires ; ce qui a été trouvé bien pour l’artillerie et le génie pourra être appliqué aux corps de l’infanterie et de la cavalerie. Mais il faut laisser au gouvernement le temps d’organiser cette institution dans ces corps, qui constituent la force principale de l’armée.

Dans la suite, quand on aura pu répandre l’instruction dans les régiments, on sera en droit d’exiger des sous-officiers qu’ils fassent preuve de la capacité voulue dans les examens qu’ils subiront.

En conséquence, je demande que l’article soit adopté purement et simplement tel qu’il a été proposé par la commission et par le gouvernement.

M. Gendebien. - On fait à ma proposition une singulière objection, à laquelle je pourrais peut-être me dispenser de répondre. Je veux néanmoins y répondre.

Pour écarter ma proposition qui tend à accorder la moitié des grades de sous-lieutenant aux sous-officiers, on me dit qu’il leur est accordé bien plus de la moitié de ces grades. Mais s’il en est ainsi, pourquoi ne pas le dire dans la loi ? Je crains toujours qu’on n’abuse un peu plus tard de la disposition du projet, qu’on n’en use dans toute sa latitude et qu’on n’accorde que le tiers des emplois de sous-lieutenant aux sous-officiers.

Au reste, pour ceux qui sont convaincus que plus de la moitié des emplois de sous-lieutenant est dévolue aux sous-officiers, je ne vois pas de difficulté à le mettre dans la loi.

Maintenant, je sais que toute innovation a besoin d’être proposée 50 fois avant d’être admise. M. le ministre de la guerre a reconnu que ma proposition était une amélioration. Seulement, dans son opinion, le moment n’est pas venu de l’introduire, il l’a dit hier. Mais, comme je le lui ai dit hier, quand donc croit-il que le moment sera venu d’introduire cette amélioration ? Nous faisons une loi. Il n’est pas probable que nous ayons à en faire une dans 5 ou 6 ans. Qu’on veuille donc bien fixer l’époque à laquelle cette amélioration pourra s’introduire,

Je ne comprends pas comment on pourrait repousser un stimulant parmi les sous-officiers. S’il y avait le moindre inconvénient, je retirerais mon amendement. Mais on n’en a signalé aucun. On vous a dit que quand les écoles régimentaires seraient bien organisées dans tous les corps, on exigerait des examens pour faire passer les sous-officiers au grade de sous-lieutenant. Mais en attendant qu’on établisse l’instruction obligatoire et qu’on oblige les sous-officiers et soldats à suivre les cours des écoles régimentaires, pourquoi ne pas chercher par tous les moyens à arriver au but qu’on se propose ?

Or, le moyen que j’indique dans ma proposition est plus certain que celui des écoles régimentaires ; car il est difficile de vaincre des répugnances ; il est difficile de rendre l’instruction obligatoire. On répandra plutôt l’instruction en établissant l’émulation, et en offrant de l’avancement comme récompense certaine des connaissances acquises.

M. le ministre de la guerre vous a dit que l’avancement devait s’accorder dans le même corps. Mais il a dit hier le contraire, en me répondant ; car c’est une objection qu’il a faite à mon amendement qui n’avait pas été bien compris et qui n’était pas alors complété.

J’entends que l’avancement des sous-officiers au grade de sous-lieutenant aura lieu dans l’arme tout entière.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je n’ai pas dit cela !

M. Gendebien. - Hier le ministre de la guerre m’a répondu : il arrive souvent que dans un corps les vacances sont peu nombreuses, quoiqu’il y ait beaucoup de sujets capables, tandis que dans un autre corps, en présence de vacances nombreuses, il y a peu de sous-officiers capables. Il faut donc bien, a-t-il ajouté, que l’avancement puisse être donné à tous les corps sans distinction ; et aujourd’hui M. le ministre de la guerre, répondant à M. Desmaisières, a dit qu’il entendait que l’avancement aurait lieu dans le même corps.

Quoi qu’il en soit, pourquoi établir d’une manière fixe le tiers, s’il est vrai que dans un corps il peut y avoir beaucoup de sujets capables et un petit nombre de vacances, tandis que dans un autre régiment il peut y avoir un très petit nombre de sujets et beaucoup de vacances ?

On dit que le gouvernement veut aussi se réserver le moyen de récompenser d’anciens sous-officiers ; mais le gouvernement jouira de cette faculté en accordant la moitié des vacances. Et veuillez bien remarquer que le gouvernement ne pourra pas être gêné pour les nominations qu’il aura à faire parmi les élèves de l’école militaire, puisque le ministre de la guerre a déclaré que l’école fournira à peine au tiers des vacances, et qu’ainsi les deux autres tiers devront être remplis par les sous-officiers.

Voici mon amendement :

« Dans les corps d’infanterie et de cavalerie, la moitié des emplois de sous-lieutenant vacants est dévolue aux sous-officiers et au concours dans toute l’armé ; l’autre moitié, au choix du Roi.

« Le chois aura lieu parmi les élèves de l’école militaire et parmi les sous-officiers. »

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, il me paraît que l’honorable préopinant est dans l’erreur sur le texte de l’art. 6. Il est dit dans cet article que le tiers de tous les emplois de sous-lieutenant est dévolu aux sous-officiers des corps, et l’honorable préopinant croit que ces mots « des corps » doivent s’entendre de l’arme tout entière ; mais le ministre de la guerre a nettement exprimé sa pensée dans l’exposé des motifs.

« Le tiers de tous les emplois de sous-lieutenant dans les corps d’infanterie et de cavalerie est dévolu aux sous-officiers du corps où ces emplois deviennent vacants.

« Les deux autres tiers sont au choix du Roi, qui répartira ces emplois entre les élèves de l’école militaire qui, étant restés deux ans à l’école, auront satisfait à leur examen de sortie, et qui seront proposés pour le grade de sous-lieutenant, et entre les sous-officiers des autres corps, pour égaliser, autant que possible, l’avancement dans tous les régiments. »

Il est évident que l’amendement de M. Gendebien s’écarte des bases présentées par le ministre. Au reste il ne peut être sérieusement question de concours en présence de l’art. 66 de la constitution (le Roi confère les grades dans l’armée), car il serait impossible de dire que le Roi confère les grades dans l’armée si le concours donnait les nominations. M. Desmaisières a bien senti cet inconvénient, car il a proposé de substituer un examen au concours ; mais l’amendement de M. Desmaisières ne serait pas lui-même sans inconvénient.

M. le ministre de la guerre vous l’a dit, le moment n’est pas opportun pour exiger que les sous-officiers répondent d’une manière satisfaisante à un examen ; il faut aussi motiver l’avancement des sous-officiers sur la bravoure, le zèle, l’expérience, l’ancienneté de service, la bonne conduite, toutes circonstances qui peuvent suppléer, jusqu’à un certain point à quelque défaut d’instruction.

S’il fallait satisfaire aux conditions d’un examen, le gouvernement se trouverait dans une position fâcheuse et ne pourrait récompenser de bonnes qualités militaires. Il vaut mieux abandonner cette matière à des règlements que le gouvernement introduira successivement suivant que l’instruction sera plus avancée dans l’armée et par lesquels le gouvernement pourra au besoin se réserver quelques exceptions.

Je crois que l’on ne pourrait sans inconvénient enlever cette facilité au gouvernement qui, après tout, est le plus intéressé à avoir des sous-lieutenants bien instruits, tout en récompensant de bons et d’anciens services.

M. de Brouckere. - Le but que s’est proposé M. Gendebien a été d’assurer aux sous-officiers au moins la moitié des sous-lieutenances vacantes dans l’infanterie et dans la cavalerie. Si une moindre part était réservée aux sous-officiers d’après le projet du gouvernement, je n’hésiterais pas à appuyer l’amendement présenté par M. Gendebien ; mais il me paraît résulter du projet du gouvernement, ou du projet de la commission, qu’une part beaucoup plus grande que la moitié est réellement réservée aux sous-officiers, et il est facile de le prouver.

Le choix du Roi ne peut tomber, pour les deux tiers des vacances, que sur les élèves de l’école militaire, ou sur les sous-officiers des corps ; eh bien, si les élèves de l’école militaire ne peuvent remplir qu’un tiers des vacances, il est clair que les sous-officiers auront à remplir deux tiers des vacances, et par conséquent plus de la moitié de ces vacances.

D’après l’amendement de M. Gendebien, les deux tiers des places de sous-lieutenant n’appartiendraient jamais aux sous-officiers des corps ; il me semble que la disposition présentée par le ministre est avantageuse aux sous-officiers.

L’honorable M. Gendebien désire que les places soient données au concours ; je ne sais quels avantages résulteraient de cette mesure ; cependant je ne puis admettre la doctrine émise par le ministre de l’intérieur pour repousser l’amendement. De ce que l’art. 66 dit que le Roi confère les grades dans l’armée, est-ce à dire qu’on ne peut établir aucune règle dans la collation des grades dans l’armée ? Cette prétention serait singulière, alors qu’on veut faire une part à l’ancienneté.

Là le choix du Roi est bien certainement limité. Vous décidez à l’art. 8 que la moitié des emplois vacants de lieutenant et de capitaine dans toutes les armes sera accordé à l’ancienneté. Vous limitez encore le choix du Roi, ou du moins vous le limiterez, car je ne pense pas que la chambre repousse cette disposition. Elle force le choix du gouvernement, mais il n’y a là rien de contraire à l’art. 66.

Ainsi, ce n’est pas la constitution qui s’oppose à ce qu’on établisse des concours pour la collation des grades. Mais M. le ministre de la guerre a donné d’autres motifs pour repousser ces concours. Je crois qu’il vaudrait mieux faire subir de simples examens aux sous-officiers que de les faire concourir pour le plus grand nombre de places de sous-lieutenant.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je persiste à soutenir qu’une disposition qui conférerait de plein droit le grade d’officier à ceux qui auraient mieux répondu an concours serait inconstitutionnelle. En ce qui concerne les grades réservés à l’ancienneté, je ferai observer que le plus ancien ne sera pas de plein droit nommé à un grade supérieur ; seulement le choix aura lieu parmi les plus anciens.

Mais, en admettant même qu’une partie des plus anciens aient de droit un titre à l’avancement, déjà celui-là a obtenu sa première nomination du gouvernement ; et c’est par une conséquence de cette première nomination qu’il arrive au deuxième grade. Quoi qu’il en soit je dis toujours que vous ne pouvez pas par un concours assigner un avancement. Car remarquez que les termes de l’art. 66 sont très positifs sur ce point.

« Il (le Roi) confère les grades dans l’armée.

« Il nomme aux emplois d’administration générale et de relation extérieure, sauf les exceptions établies par les lois. »

Pour les emplois d’administration générale, la constitution admet la possibilité des exceptions ; mais, en ce qui concerne les grades, il n’y en a aucune ; le Roi les confère purement et simplement. Je crois donc qu’il serait vraiment inconstitutionnel d’introduire dans la loi une disposition qui donnerait de l’avancement uniquement au concours.

M. Desmaisières. - Messieurs, les ministres de la guerre et de l’intérieur ayant reconnu le principe de mon amendement, j’aurai peu de chose à ajouter. Ces deux ministres ne l’ont combattu que sous le rapport de l’opportunité. C’est dans leurs propres arguments que je veux trouver la preuve de l’opportunité de ma proposition, car le ministre de la guerre vous a dit qu’il voulait laisser au gouvernement le temps d’organiser l’instruction dans les corps, d’organiser les écoles régimentaires sur un bon pied. Or, mon amendement fournira précisément le moyen de tirer un bon parti des écoles régimentaires, de leur faire produire réellement de bons résultats ; car, aussi longtemps que vous n’obligerez pas le sous-officier qui veut porter l’épaulette à s’instruire, les écoles régimentaires ne serviront à rien. Quand le sous-officier sera obligé, pour devenir sous-lieutenant, de passer un examen, il fréquentera les écoles pour acquérir l’instruction qui leur sera demandée.

Mais, dit-on, en ce moment les sous-officiers ne sont pas assez instruits pour pouvoir passer des examens. Il faut laisser au gouvernement l’appréciation du moment où il conviendra d’établir ces examens, lorsqu’il reconnaîtra que les sous-officiers sont capables de les subir.

On ne fait pas attention que je laisse une latitude convenable au gouvernement, car je dis que les conditions de l’examen feront l’objet d’un règlement d’administration générale. Si le gouvernement s’aperçoit qu’il n’est pas possible d’obtenir des sous-officiers autre chose que de savoir lire et écrire, il stipulera dans son règlement que, pour être officier, il faudra savoir lire et écrire et pas autre chose. Mais, s’il reconnaît que le corps des sous-officiers peut fournir des sujets ayant plus de connaissances, ayant, par exemple, quelques connaissances mathématiques et d’art militaire, il les comprendra dans les conditions de l’examen.

Je ne vois donc pas que ma proposition soit inopportune ni qu’elle porte obstacle à l’exercice plein et entier de la prérogative du gouvernement. (La clôture ! la clôture !)

M. Gendebien. - On a dénaturé et mon amendement et mon intention. Vous me permettrez bien de les rétablir dans toute leur vérité. On aura beau faire tous les efforts imaginables, on ne me prouvera jamais que la moitié soit moins que le tiers. C’est cependant ce qu’il faudrait prouver pour démontrer que mon amendement donne moins de chances aux sous-officiers d’arriver au grade de sous-lieutenant. D’abord mon amendement garantit la moitié des vacances aux sous-officiers qui voudront concourir, et l’autre moitié reste à la disposition du Roi ; le Roi les répartira entre les élèves de l’école militaire et les sous-officiers de toute l’armée.

Je ne vois ici de différence entre la proposition du gouvernement et la mienne, si ce n’est que j’ai porté du tiers à la moitié la portion des grades assurée aux sous-officiers. J’améliore donc leur position de la différence de 1/3 à la moitié et par conséquent d’un sixième. Je ne vois pas non plus comment en cela j’ai pu diminuer le nombre de places assurées aux sous-officiers. Veuillez remarquer que dans le paragraphe de l’article 6 que je propose de changer aucune règle n’est tracée pour la répartition des deux tiers des grades de sous-lieutenant attribués aux élèves de l’école militaire et aux sous-officiers. Le gouvernement peut donc les priver de toute participation aux deux tiers des vacatures.

Pour garantir aux sous-officiers une portion plus forte des vacances, il faudrait dire : Le choix aura lieu la moitié au moins parmi les sous-officiers. Ils auraient ainsi les deux tiers des vacances dans le système du gouvernement et les trois quarts dans le mien.

Si c’est comme cela qu’on entend la disposition, ils auront les deux tiers des emplois ; je retire, dans ce cas, mon amendement, tout en regrettant qu’on ne veuille pas comprendre la différence qu’il y a entre un concours et un examen, entre le concours et l’absence de concours, alors que le gouvernement met l’arbitraire et le bon plaisir à la place du concours.

Il y a une très grande différence entre l’examen et le concours.

L’examen n’est pas exclusif de la faveur et du favoritisme, lèpre des sociétés modernes. Un examen n’empêche pas de placer un ignorant de préférence à ceux qui ont fait preuve de capacité. Le concours n’est pas la même chose. Le favoritisme n’y peut rien ou très peu de chose. Je trouve encore à l’examen un autre inconvénient que ne présente pas le concours ; car l’auteur de cette proposition établir la nécessité de l’examen d’une manière trop absolue. Il voudrait qu’aucun sous-officier ne pût passer officier sans examen. Ainsi, un sous-officier qui aurait 20 ans de service, et qui serait très bon pour faire un porte-drapeau, ne pourrait pas même être élevé à ce grade sans passer un examen. Cependant, il ne faut pas plus de service pour porter un drapeau que pour porter un fusil. Vous voyez que, d’un côté, l’examen ne présente pas la même garantie que le concours, et que, de l’autre, il est trop exclusif.

Quant à la question constitutionnelle, l’honorable M. de Brouckere ayant demandé la parole pour répondre au ministre, je m’abstiendrai de le faire ; ce qui me serait, d’ailleurs, très facile.

Si on ne veut pas de concours, qu’on adopte l’amendement de M. de Brouckere avec le sous-amendement explicatif que je viens d’indiquer, car il garantit au moins ce qu’on semble d’accord de donner aux sous-officiers.

M. de Brouckere. - Je me rallie au sous-amendement de M. Gendebien. De cette manière, quand trois places de sous-lieutenant deviendront vacantes dans un corps, une pourra être donnée aux élèves sortant de l’école militaire, une seconde appartiendra nécessairement aux sous-officiers du corps, et la troisième pourra être décernée au choix du Roi ; bien entendu que le titulaire ne pourra être pris que parmi tous les sous-officiers de l’armée à laquelle appartient la place vacante.

Cet arrangement me paraît juste. Je ne pense pas qu’on puisse avoir de raison pour ne pas l’admettre.

M. le ministre de l'intérieur a prétendu qu’il serait inconstitutionnel de conférer les grades au concours.

Lorsqu’une semblable question est soulevée, elle ne doit jamais être traitée avec légèreté, parce que quand une allégation d’inconstitutionnalité est restée sans réponse, on vient argumenter du silence de la chambre comme d’un assentiment tacite, et je ne pense pas que l’opinion émise par M. le ministre de l'intérieur puisse obtenir l’assentiment de la chambre.

Voici comment elle se résume : L’honorable M. Gendebien demandait que les places de sous-lieutenant soient données au concours. Il a renoncé à cette partie de son amendement, il n’en est plus question ; mais le ministre lui a répondu : Vous ne pouvez pas mettre les place de sous-lieutenant au concours, parce que vous feriez chose inconstitutionnelle, attendu que l’article 66 de la constitution dit : « Lez Roi confère les grades dans l’armée. » Or, dit le ministre, puisque le Roi seul confère les grades, il doit faire son choix comme bon lui semble.

Et bien, cela est tout à fait inexact. Oui, le Roi confère les grades dans l’armée, personne que le Roi ne peut faire une nomination d’officier. Il n’en résulte pas que le choix du Roi ne puisse être limité. Je trouve un argument dans la disposition qui accorde une partie des grades à l’ancienneté, ce qui veut dire que le plus ancien officier dans chaque grade obtiendra l’avancement dans le grade immédiatement supérieur. (Réclamations.)… cela est positif. Il ne dépend ni du Roi ni du ministre de frustrer l’officier le plus ancien de son grade. Voulez-vous une autre preuve que l’opinion de M. le ministre n’est pas admissible ?

Je n’argumenterai plus d’une disposition qui n’est pas encore adoptée, mais je prendrai pour exemple un article voté dans la séance d’hier ; l’article 3 dit : « Nul ne peut être lieutenant s’il n’a servi deux ans en qualité de sous-lieutenant, etc. » Voilà le choix du Roi borné. Bien que la collation des places lui appartienne, il ne dépend pas de lui de nommer comme bon lui semble lieutenant celui qui a été sous-lieutenant.

Il est donc bien certain, messieurs, que si la constitution donne au Roi et au Roi seul le droit de conférer tous les grades dans l’armée, il n’en résulte pas que son choix ne puisse être borné dans certaines conditions qu’il n’appartient pas au pouvoir du Roi de violer. Hier encore vous avez décidé que l’on ne pourrait être sous-lieutenant avant 18 ans ; voilà encore des bornes apportées dans le choix du Roi.

M. F. de Mérode. - Autre chose est de borner le choix du Roi, autre chose est de le forcer. Tous les exemples cités par l’honorable préopinant limitent le choix du Roi, tandis que le système de concours forcerait le choix du Roi. Je dirai plus, car je n’ai pas coutume de cacher ma façon de penser, la proposition d’accorder un tiers des grades à l’ancienneté, faite par M. le ministre de la guerre lui-même, n’est pas constitutionnelle, si l’on considère la constitution dans toute sa rigueur, parce que cette proposition force le choix du Roi. Mais le gouvernement ne s’arrête pas devant des difficultés semblables. Il y va de bonne foi. Il est établi partout que l’on peut donner un certain nombre de grades de capitaine à l’ancienneté.

Le gouvernement n’a pas cru devoir s’arrêter au sens rigoureux, absolu, de la constitution. Il a consenti à admettre un mode d’avancement établi dans d’autres pays. Ce que l’on vous propose aujourd’hui n’est établi nulle part. L’on veut augmenter le nombre des places réservées aux sous-officiers. Je ne demande pas mieux que les sous-officiers aient les deux tiers des grades si l’intérêt du service l’exige, si la bonne composition de l’armée le demande. Mais il ne faut pas se lier les mains de cette manière. Nous ne connaissons pas l’avenir. Nous ne savons pas s’il sera plus à propos de prendre les deux tiers des sous-lieutenants parmi les sous-officiers que parmi les élèves de l’école militaire.

Nous devons faire ce qui se fait partout. Nous n’avons pas la prétention d’établir notre armée d’une manière plus libérale qu’on ne le fait partout ailleurs. Nous serions inférieurs militairement aux autres nations. Chaque pays cherche à avoir une armée organisée aussi militairement que possible. C’est la base de toutes les bonnes armées.

M. Dumortier. - Je suis fort édifié de voir M. le ministre d’Etat Félix de Mérode prendre, avec autant d’ardeur, la défense de la constitution à l’occasion d’une prérogative royale. Je suis convaincu que, quand il s’agira d’une prérogative du peuple, il mettra le même intérêt et le même zèle à défendre la constitution. (Murmures.)

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - C’est ce qu’il a toujours fait.

M. Dumortier. - Je suis fort édifié, je le répète, de la chaleur avec laquelle M. le ministre d’Etat a défendu la prérogative royale. (Nouveaux murmures.)

M. F. de Mérode adresse quelques mots à M. Dumortier.

M. Dumortier. - Ne m’interrompez pas. Vous me répondre si vous voulez. Je dis donc que je suis fort édifié de voir M. le ministre d’Etat, comte Félix de Mérode, montrer un si grand respect pour la constitution ; mais je ferai une réflexion : MM. de Theux et de Mérode ont argumenté de l’article 66 de la constitution de manière à faire croire que nous ne pouvons rien prescrire quand à l’avancement. Mais l’on perd de vue l’article 139 de la constitution, qui dit que la loi déterminera les droits d’avancement et de retraite des officiers.

Or, si l’occasion se présente à la législature de régler les droits d’avancement et de retraite des officiers, c’est bien maintenant. Nous pouvons stipuler tout ce que nous jugeons convenable quant à l’avancement et à la retraite des officiers. Il est donc constitutionnel de poser des limites au droit qu’a le Roi de nommer exclusivement aux grades dans l’armée. Toute la loi que vous votez en ce moment est donc très constitutionnelle. Vous établissez des limites dans les cas que vous jugez convenables. Vous dites : Le Roi devra prendre un tiers des officiers parmi les sous-officiers, etc.

Il n’y a pas de différence entre les limites et les liens. Tout lien établi par la législature ne peut être enfreint par un pouvoir quelconque. Tout lien met des limites à ce pouvoir.

Quant à l’argument tiré par le ministre de l’intérieur de la différence qui se trouve dans les nominations aux emplois civils et les nominations aux grades militaires établie par l’article 66 de la constitution, je lui ferai observer que si l’art. 66 dit que le Roi nomme aux emplois d’administration publique, sauf les exceptions à établir par la loi, cela veut dire seulement que d’autres personnes que le Roi pourront nommer emplois civils. Voilà tout ce que cela signifie.

Il résulte de l’article 66 que le Roi seul confère des grades dans l’armée. Mais il résulte en même temps de l’article 139 que les droits des officiers à l’avancement et à la retraite seront fixés par la loi. La législature a donc le droit de déterminer dans quelles limites le Roi exercera un droit que lui seul peut exercer, celui de nommer aux grades dans l’armée.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je conçois que l’on invoque l’article 139 en ce qui concerne l’avancement par ancienneté. Evidemment, dans l’article 139, le droit d’avancement et de retraite signifie le droit d’avancement par ancienneté. Si donc l’on veut tirer parti de l’article 139, on ne peut l’appliquer qu’à l’ancienneté. Mais si on veut l’étendre au système de concours proposé par l’honorable M. Gendebien, je soutiens que cette doctrine est contraire au texte le plus précis de l’article 66 de la constitution. Du reste, j’ajouterai que l’honorable orateur ne m’a nullement rencontré. Je n’ai pas dit que l’on ne pouvait déterminer des limites au choix du Roi dans les grades des officiers. Mais j’ai dit que l’on ne pouvait forcer le pouvoir royal à accepter les officiers nommés par voie de concours.

M. de Brouckere. - Il n’est plus question du projet de concours mis en avant par l’honorable M. Gendebien. J’ai renoncé moi-même à son amendement. J’avouais moi-même que cette question de concours pouvait être une question de convenance. Je dis plus : Si l’on avait mis cet amendement aux voix, j’aurais voté contre. Mais je ne m’étais levé que pour combattre l’argument à l’aide duquel M. le ministre de l'intérieur avait repoussé cet amendement. Je ne voulais pas laisser sans répondre l’interprétation qu’il avait faite de l’article 66 de la constitution. Du reste elle a été réfutée jusqu’à l’évidence.

Il me reste deux mots à répondre à l’honorable M. de Mérode. Il prétend que l’on peut limiter, mais jamais forcer le choix du Roi. Nous allons voir avant peu si l’on ne peut pas forcer le choix du Roi. Si vous admettez que le tiers des grades sera accordé à l’ancienneté, vous allez forcer et non limiter le choix du Roi.

M. F. de Mérode. - A la rigueur c’est inconstitutionnel.

M. de Brouckere. - Je vous prie de prendre acte des paroles de M. le ministre d’Etat. Il vient de présenter la mesure proposée par le gouvernement comme inconstitutionnelle. C’est une mesure que l’on peut prendre très constitutionnellement. Tout ce qui résulte de la constitution, c’est que le Roi confère des grades. Quant aux droits d’avancement exigés pour obtenir un grade, c’est à la loi qu’il appartient de les déterminer. La loi que nous voterons sera donc très constitutionnelle.

M. F. de Mérode. - J’ai dit que le gouvernement ne faisait pas de raffinement de constitutionnalité. (Hilarité.) Le gouvernement comprend qu’il est utile qu’une partie des grades de capitaine soient donnés à l’ancienneté. Il se relâche, en faveur de cette considération, du sens rigoureux de l’art. 66 de la constitution. S’ensuit-il que l’on doive dépasser toutes les bornes en s’autorisant de cette licence (car c’est une licence, constitutionnellement parlant) ? S’ensuit-il qu’il faille imposer de nouvelles limites à l’exercice de la prérogative royale ?

Il est utile dans l’intérêt du service que les capitaines soient nommés pour une partie à l’ancienneté. Devant cette utilité je ne m’attache pas au sens absolu et rigoureux de la constitution.

M. Rogier. - D’après la discussion, il paraîtrait que le tiers des sous-officiers pris dans le corps même où les emplois seront vacants, ne prendront pas cette nomination à l’ancienneté. Cependant il paraîtrait d’après le rapport, que telle avait été primitivement l’intention de la commission.

Je dis dans le rapport :

« Une disposition beaucoup plus libérale encore, en faveur des sous-officiers, est introduite dans la loi à l’égard des troupes de l’artillerie et du génie. On leur abandonne à l’ancienneté un tiers des emplois de sous-lieutenant vacants dans ces armes, en ne réservant que deux tiers aux élèves de l’école, quoique à la rigueur on pourrait, dans une armée dont le personnel n’est pas très nombreux, prendre à l’école militaire tous les officiers nécessaires aux armes spéciales. »

L’article ne dit rien au sujet de l’ancienneté des sous-officiers. Il faut en conclure que le tiers des sous-lieutenances ne seront pas accordées aux sous-officiers par rang d’ancienneté. Il me semble que, pour que la position des sous-officiers soit fixée, il faut établi d’une manière précise si la commission a abandonné son projet.

Ensuite on s’est posé la question de savoir si le tiers des emplois de sous-lieutenant serait attribué aux sous-officiers du corps. Il me semble qu’à cet égard on ne s’exprime pas assez clairement. Je voudrais que l’on dît : « … est dévolu aux sous-officiers du corps où l’emploi est vacant. »

Ainsi il n’y aurait plus aucun doute sur la portée de l’article.

Ensuite, s’il est dans l’intention de la commission que les grades soient attribués de droit à l’ancienneté, il faut également le dire. Quant à moi, telle n’est pas mon opinion. Mais il était bon que cette remarque fût faite, pour qu’il fût bien établi que la chambre n’entend pas partager les opinions énoncées dans le rapport, qu’elle n’entend pas que le tiers des emplois de sous-lieutenant, attribué aux sous-officiers, soit donné de droit à l’ancienneté.

(Moniteur belge n°140, du 19 mai 1836) M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je me proposais également de relever l’inexactitude de l’assertion que par inadvertance on a laissée passer dans le rapport. J’ai vu l’honorable rapporteur, et je lui ai fait l’observation qu’il n’était nullement dans mes intentions que les promotions au grade de sous-lieutenant dévolues aux sous-officiers fussent accordées de droit à l’ancienneté.

Il y a parmi les sous-officiers quatre classes : les adjudants sous-officiers, les sergents-majors, les sergents, et les sergents-fourriers. Ces quatre classes ont leur tour d’avancement et leur tour d’ancienneté. Ce serait jeter la perturbation et tuer l’émulation dans la classe des sous-officiers que nous devons chercher à élever le plus possible, et dans laquelle nous devons encourager les moyens d’acquérir les connaissances et la capacité qui peuvent les rendre dignes de parvenir au grade d’officier.

En conséquence je prends acte que la rédaction du rapport est vicieuse, et n’était nullement dans les intentions de la commission ni même de l’honorable rapporteur.

M. le président. - Je vais mettre aux voix les divers amendements.

Un membre. - M. le ministre de la guerre se rallie sans doute à l’amendement de M. Gendebien.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je déclare au contraire ne pas m’y rallier.

M. Gendebien. - Mais, messieurs, mon amendement n’a pas fait autre chose que formuler la pensée de tout le monde ; car l’honorable M. de Brouckere, d’accord avec M. le ministre de la guerre sur ce point, avait dit que les sous-officiers étaient assurés d’un plus grand nombre de promotions que ne leur en attribuait mon amendement. C’est d’après ces observations que j’ai modifié ma proposition.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - A entendre M. Gendebien, on croirait que son amendement rentrerait dans les intentions de M. le ministre de la guerre, dans l’esprit de sa proposition.

Mais M. le ministre de la guerre a constamment soutenu qu’à la vérité, dans le moment actuel, le tiers des emplois de sous-lieutenant était plus que suffisant pour les élèves de l’école militaire, parce qu’il y a un grand nombre de vacances, tandis que dans quelques années au contraire il sera possible que ce tiers soit insuffisant. N’y aurait-il donc pas lieu de craindre que par le résultat d’une telle répartition, l’école militaire finirait par être déserte, et n’importe-t-il pas dès lors de réserver éventuellement aux élèves de cette école les deux tiers des emplois de sous-lieutenant, dans l’intérêt même du pays ?

Voilé ce qui a été constamment opposé par les organes du gouvernement aux limites restreintes que l’honorable préopinant voudrait poser par son amendement.

M. Gendebien. - Vous voyez que j’avais bien senti où l’on voulait en venir. Lorsqu’on disait que mon amendement était moins large, ce n’étaient que des paroles hypocrites. Car lorsque j’ai formulé ma proposition comme on désirait qu’elle fût formulée, on recule devant l’adoption de cette proposition.

- Le sous-amendement de M. Rogier consistant dans l’addition, après les mots : « les corps, » ceux : « où l’emploi est vacant, » est mis aux voix et adopté.

M. le président. - L’amendement de M. Gendebien tel qu’il l’a modifié est maintenant ainsi conçu :

« Art. 6. Dans les corps d’infanterie et de cavalerie le tiers des emplois de sous-lieutenant vacants est dévolu aux sous-officiers des corps ; les deux autres tiers, au choix du Roi.

« Le choix aura lieu parmi les élèves de l’école militaire et parmi les sous-officiers, par moitié au moins pour ces derniers. »

- L’amendement mis aux voix n’est pas adopté.

L’art. 6 du projet du gouvernement est mis aux voix et adopté.

Cet article est adopté dans son ensemble avec le sous-amendement de M. Rogier.

M. le président. - Le paragraphe additionnel, proposé par M. Desmaisières, est ainsi conçu :

« Nul ne pourra être nommé sous-lieutenant s’il n’a satisfait à un examen dont les conditions seront déterminées par un règlement d’administration générale. »

- Ce paragraphe additionnel est mis aux voix ; il n’est pas adopté.

Article 7

« Art. 7. Le tiers des emplois vacants de sous-lieutenant, dans les troupes de l’artillerie et du génie, sera donné aux sous-officiers de ces armes qui, après examen, auront été reconnus capables de remplir ces emplois, et les deux autres tiers seront donnés aux élèves de l’école militaire. »

M. de Brouckere. - Il résulterait de cet article que si, d’un côté, on attribue aux sous-officiers des corps du génie et de l’artillerie un tiers des places de sous-lieutenant, les deux autres tiers devraient nécessairement être donnés aux élèves de l’école militaire.

Il me semble (sans que je veuille toutefois blâmer le partage des grades entre les sous-officiers et les élèves) qu’il faudrait laisser au gouvernement la latitude de conférer plus du tiers des sous-lieutenances aux sous-officiers des corps. Il userait comme il le voudrait de cette faculté. Il suffirait de commencer ainsi l’article : « Le tiers au moins des emplois vacants, etc., » et des concurrences, le second paragraphe, par ces mots : « Les autres nominations pourront... »

Plusieurs membres. - C’est inutile.

M. de Brouckere. - Non, ce n’est pas inutile. Autrement le Roi pourra nommer au grade de sous-lieutenant des personnes qui n’auraient été ni sous-officiers ni élèves de l’école militaire.

M. Devaux. - En mettant le mot « pourront, » votre objection subsiste.

M. de Jaegher. - M. de Brouckere demande que le tiers au moins des sous-lieutenants soient pris parmi les sous-officiers et le reste parmi les élèves de l’école. Le deuxième paragraphe devient donc inutile.

M. de Brouckere. - M. de Jaegher a voulu exprimer ma pensée ; mais il ne l’a pas comprise. Je voudrais que le gouvernement ne fût pas restreint dans son choix pour nommer des sous-officiers aux places de sous-lieutenant. Je voudrais que si l’école militaire ne fournît pas assez de sujets capables pour les deux tiers des cadres, la lacune puisse être comblée par une nomination de sous-officiers en-dehors du tiers que la loi leur assure.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Vous aurez remarqué que dans les armes de l’artillerie et du génie, le tiers seulement des emplois vacants est accordé aux sous-officiers, tandis que dans les autres armes ils ont la chance d’être compris dans les deux autres tiers laissés au choix du Roi.

Ces deux corps, messieurs, sont très respectables sous tous les rapports. Il peut paraître étrange au premier abord que les sous-officiers du génie et de l’artillerie soient moins favorisés que ceux des autres corps. C’est que d’autres emplois sont ouverts à leur avancement.

C’est parmi les sous-officiers d’artillerie que nous prenons les gardes d’artillerie, les conducteurs, etc., et dans le génie les surveillants des travaux, les gardes du génie, etc. Cette mesure donne aux sous-officiers des deux armes des moyens d’existence quand ils ont bien et loyalement servi.

En conséquence vous voyez que ces corps de sous-officiers ont également part aux avantages réservés aux sous-officiers des deux principales armes. Dans ces corps nous avons senti la nécessité d’avoir au moins les deux tiers des grades conférés aux élèves sortis de l’école militaire. Il faut pour ces armes spéciales un grand fonds d’instruction, il faut des officiers studieux et qui s’occupent de leur état. Cependant il pourrait arriver que l’école militaire ne fournît point tous les ans les deux tiers des grades qui viendraient à vaquer. L’intention du gouvernement, dans ce cas, est, comme cela a toujours été, de prendre parmi les sous-officiers le nombre d’officiers dont les emplois ne pourraient être fournis par l’école militaire : Nous rentrerons donc ainsi dans les prévisions de l’honorable M. de Brouckere.

M. de Brouckere. - M. le ministre de la guerre est d’accord avec moi ; mais il faut que la loi porte les intentions de M. le ministre ; si vous laissez la disposition telle qu’elle est rédigée, les élèves de l’école militaire auront droit aux deux tiers des sous-lieutenances vacantes dans l’artillerie et dans le génie. Moi, je veux que la loi donne au gouvernement la faculté de dépasser la limite du tiers réservé aux sous-officiers toutes les fois que le bien du service l’exigera.

L’on pourrait rédiger les deux autres paragraphes comme suit :

« Les deux autres tiers peuvent être donnés aux élèves de l’école militaire. »

M. de Jaegher. - J’ai rédigé un amendement dans le sens de la pensée de l’honorable M. de Brouckere. Il serait ainsi conçu : « Un tiers au moins des emplois vacants, etc., sera donné aux sous-officiers de cette arme.

« Les autres nominations seront faites parmi les élèves de l’école militaire. »

M. Gendebien. - Il me semble qu’il faudrait changer peu de chose au deuxième paragraphe de l’article pour remplir les intentions de M. de Brouckere ; il suffirait de dire :

« Les deux autres tiers sont donnés aux élèves de l’école militaire et aux sous-officiers de cette arme. »

La clause ainsi sera facultative, tandis que si le texte conserve son caractère impératif, le gouvernement sera obligé de nommer aux deux tiers des grades vacants seulement des élèves de l’école militaire. Toute autre rédaction permettrait de nommer en dehors de l’école et du corps, ce qui n’est dans l’intention de personne.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - L’on veut que dans tous les cas l’on prenne un tiers des sous-lieutenants parmi les sous-officiers du génie et de l’artillerie ; les deux autres tiers sont réservés aux élèves de l’école militaire. Mais l’on veut en même temps que si l’école ne fournit pas assez de sujets capables pour remplir ces deux tiers, le gouvernement ait la faculté de nommer des sous-officiers. Aucun des amendements n’exprime cette pensée.

M. de Brouckere propose que les deux autres tiers puissent être pris parmi les élèves de l’école militaire ; mais il ne donne par là aucune garantie aux élèves de cette école, car les trois tiers pourraient être choisis parmi les sous-officiers, il n’y aurait aucune obligation de choisir parmi les élèves.

L’amendement de M. Gendebien ne remplit pas non plus le vœu de l’assemblée : il demande que les deux autres tiers soient pris parmi les élèves de l’école militaire ou les sous-officiers. Avec une semblable disposition il n’y aurait point de places assurées aux élèves ; les emplois pourraient être tous conférés aux sous-officiers.

Le texte entendu comme M. le ministre de la guerre l’explique vaut mieux que tous les amendements : on nommera des sous-officiers au tiers des emplois vacants, et si l’école militaire ne produit pas assez d’élèves capables pour les deux autres tiers, on choisira parmi les sous-officiers. Si la rédaction actuelle ne satisfait point, qu’on la rende plus claire, mais au moins que l’on n’ôte pas aux élèves de l’école la garantie à laquelle ils ont droit aussi bien que les sous-officiers.

M. de Brouckere. - L’explication de M. le ministre de la justice est très juste, et je suis de son avis quand il dit que ni l’amendement de M. Gendebien, ni celui de M. de Jaegher, ne rendent mes intentions. Mais l’article, tel qu’il est rédigé, ne rend pas non plus ma pensée.

Messieurs, tous ces amendements, formulés au hasard, sont souvent inexacts. Il vaudrait mieux s’entendre pour une nouvelle rédaction et voter demain.

Nous sommes d’accord au fond, c’est qu’en règle générale un tiers sera pris parmi les sous-officiers de l’arme, et les deux tiers dans l’école militaire. Mais comme il se pourrait que dans un temps donné l’école militaire ne fournît pas assez de sujets capables, et que cependant il fût important de nommer instantanément aux places vacantes, il faut bien que le gouvernement puisse prendre des sous-lieutenants parmi les sous-officiers. Remettons à demain ; la commission nous proposera une rédaction qui répondra aux intentions de tous, car jusqu’à présent ces intentions ne sont remplies ni par les amendements, ni par le texte du projet.

M. Gendebien. - Il est évident, quoi qu’en ait dit le ministre de la justice, que le texte est insuffisant ; car d’après le texte de l’article, si l’école ne fournissait pas de sujets capables pour remplir la moitié des places qui lui sont attribuées, on ne pourrait pas nommer sous-lieutenant un seul sous-officier au-delà du tiers qui leur est dévolu par la loi. Il faut donc modifier cet article de manière qu’on assure aux sous-officiers un tiers des emplois vacants, et que d’un autre côté, en assurant les deux autres tiers à l’école, on laisse cependant au gouvernement la faculté de dévier de cette règle, en disant que ces deux tiers seront donnés à l’école ou aux sous-officiers des armes du génie et de l’artillerie.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Mais s’il n’y a pas de garantie pour l’école.

M. Gendebien. - Ajoutez, si vous voulez : en cas d’insuffisance de sujets à l’école militaire.

Il est certain que le gouvernement favorisera toujours les écoles, puisqu’elles sont plus ou moins aristocratiques. Aussi je trouve cette addition inutile dans l’intérêt de l’école ou du gouvernement.

M. de Brouckere. - Voici la rédaction que je proposerai :

« Les emplois vacants de sous-lieutenant dans les troupes du génie et de l’artillerie ne seront donnés aux élèves de l’école militaire et aux sous-officiers de ces armes qui après examen seront reconnus capables de remplir cet emploi.

« Les sous-officiers participeront pour un tiers au moins dans ces nominations. »

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Vous n’avez pas de garantie pour l’école.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Voici une rédaction qui, je pense, satisfera tout le monde :

« Les emplois vacants de sous-lieutenant dans les troupes du génie et de l’artillerie seront donnés aux élèves de l’école militaire et aux sous-officiers de ces armes.

« Les deux tiers appartiendront aux élèves s’ils sont en nombre suffisant. »

M. Gendebien. - Il ne suffit pas qu’ils soient en nombre suffisant, il faut encore qu’ils aient les capacités nécessaires.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - C’est entendu.

M. Devaux. - J’aurai aussi l’honneur de proposer une rédaction à la chambre. La voici :

« Les emplois vacants de sous-lieutenant dans les troupes de l’artillerie et du génie seront donnés exclusivement aux élèves de l’école militaire et aux sous-officiers de l’artillerie et du génie qui après examen auront été reconnus capables de remplir ces emplois.

« Deux tiers de ces emplois seront donnés aux élèves de l’école militaire, à moins d’insuffisance de sujets capables. »

M. de Brouckere. - Vous n’assurez plus rien aux sous-officiers. Il faudrait ajouter :

« Un tiers au moins est réservé aux sous-officiers. »

Cette disposition vous a arrêtés assez longtemps.

On pourrait adopter l’amendement de M. Devaux avec mon sous-amendement, sauf à y revenir au second vote si on trouvait la rédaction vicieuse.

- L’amendement de M. Devaux, sous-amendé par M. de Brouckere, est mis aux voix et adopté.

Article 8

« Art. 8. La moitié des emplois vacants de lieutenant et de capitaine, dans toutes les armes, sera accordée à l’ancienneté dans le grade inférieur, sur la totalité de l’arme ; l’autre moitié sera au choix du Roi. »

M. Gendebien. - Messieurs, le gouvernement de Sa Majesté Louis XVIII, qui ne passait pas pour être très libéral, a été cependant plus libéral que le projet en discussion : il accordait à l’ancienneté une portion considérable d’avancement au grade de chef de bataillon, de major et même au grade de lieutenant-colonel. Et veuillez le remarquer : en 1818 l’ancienneté était au profit des vieux soldats de l’empire, qui ne devaient pas être très agréables aux Bourbons.

L’art. 28 de la loi du mois de mai 1818 contient cette disposition :

« Les deux tiers des grades et emplois de lieutenant, de capitaine, de chef de bataillon ou d’escadron et de lieutenant-colonel, seront donnés à l’ancienneté. »

Ainsi, vous voyez qu’au-dessus du grade de capitaine, il y en avait trois autres auxquels on parvenait par l’ancienneté ; mais maintenant vous vous arrêtez au grade de capitaine : il me semble qu’il fallait donner une part à l’ancienneté jusqu’au grade de major.

Cette loi a été modifiée en 1832. L’art. 13 de la loi de 1832 est ainsi conçu :

« La moitié des grades de chef de bataillon et de chef d’escadron sera donnée à l’ancienneté de grade, savoir :

« Dans l’infanterie, la cavalerie et le corps d’état-major, aux capitaines sur la totalité de chaque arme ; dans l’artillerie et le génie, aux capitaines susceptibles de concourir entre eux.

« Les emplois de major seront au choix du Roi. »

Eh bien, que ne rédigez-vous l’article du projet dans le sens de la loi de 1832 ? et pour cela il suffira d’ajouter a l’art. 8 les mots « et de major, » et de dire :

« La moitié des emplois vacants de lieutenant, de capitaine et de major, dans toutes les armes, sera accordée à l’ancienneté, dans le grade inférieur, sur la totalité de l’arme ; l’autre moitié sera au choix du Roi. »

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Messieurs, lorsqu’en 1818 le gouvernement français proposait à l’ancienneté les deux tiers des emplois vacants de chef de bataillon et de lieutenant-colonel, c’est qu’alors il y avait un très grand nombre d’officiers hors rang et hors cadre, et qu’on voulait éviter des abus qui auraient eu lieu sans cette disposition, qui convenait alors et qu’il fallait maintenir : elle a été suivie jusqu’en 1832. Mais à cette époque on a reconnu que la part faite à l’ancienneté était trop large, et on a dû la réduire. On a tout donné au choix pour les grades supérieurs en cas de guerre, et on a conservé la règle existante pour les grades inférieurs.

La loi de 1832 porte, en effet, que dans les cas de guerre toutes les nominations d’officiers supérieurs doivent être au choix du Roi.

Nous avons cru devoir suivre la même marche d’après la composition de notre armée.

Nos officiers ne sont pas aussi nombreux qu’en France. Ici nous avons réellement besoin de bons chefs de bataillon, de bons officiers supérieurs, et c’est par ce motif que la commission a limité au grade de capitaine les droits que confère l’ancienneté.

Il y a d’autres motifs encore qui l’ont déterminée à poser cette limite, et je demande le maintien de l’art. 8.

M. Gendebien. - Je voudrais connaître ces autres motifs qui ont déterminé le ministre et la commission à dévier de la marche suivie en France. Le ministre insinue qu’il en est d’autres que ceux qu’il a énoncés ; qu’il les dise donc, s’il veut que nous les apprécions.

Il s’est borné à dire qu’en France, dans le cas de guerre et en présence de l’ennemi, tous les grades d’officiers supérieurs sont au choix du Roi : soit, dites la même chose, si vous le croyez utile ; mais vous allez faire de l’état exceptionnel l’état normal de notre armée. Je ne sais pourquoi on s’écarte de la loi française, car le seul motif que l’on allègue est applicable en France comme ici. Il y a d’autres motifs, ajoute-t-on ; exposez-les ! On ne veut sans doute pas dire que nos capitaines sont moins capables qu’en France ; car je ne vois pas pourquoi il en serait ainsi. En donnant au choix la nomination de la moitié des majors, il me semble que la part du favoritisme serait encore assez grande. A moins de vouloir l’arbitraire complet, il faut rentrer dans la loi de 1832 qui est déjà elle-même plus restrictive que la loi de Louis XVIII.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je crois qu’on ne saurait mieux répondre à l’honorable préopinant qu’en lisant le court passage du rapport de la commission où elle parle de l’art. 8. Le voici :

« Par l’art. 8, les promotions aux grades de lieutenant et de capitaine se font moitié à l’ancienneté, moitié au choix, en faisant rouler l’avancement sur la totalité de chaque arme.

« Cette disposition ne blesse aucun principe. Tous les officiers sont certains d’arriver au grade de capitaine, soit par ancienneté, sont autrement, et c’est dans ce grade que beaucoup d’entre eux doivent trouver leur bâton de maréchal ; car il serait physiquement impossible que la totalité des capitaines passât aux grades supérieurs, même pendant une paix continue, en accordant à chacun la plus longue vie probable ; mais, comme au-dessus de ce grade il convient que l’avancement soit entièrement au choix, il faut bien, pour que cette faculté ne soit pas rendue illusoire, qu’une partie des lieutenants et des capitaines aient pu arriver à leur emploi par le mérite ; autrement le choix pour les majors se trouverait trop restreint, puisqu’il ne porterait que sur des officiers presque caducs. »

Messieurs, j’ajouterai à ce passage du rapport de la commission que dans une jeune armée comme la nôtre, où le plus grand nombre des officiers ne compte que quatre ou cinq années de service, il ne faut pas abandonner les grades supérieurs à l’ancienneté seulement ; il faut au contraire laisser les nominations au choix du Roi afin de donner de l’avancement aux plus capables. L’ancienneté n’est pas une marque infaillible de capacité ; donnez donc au gouvernement la faculté de discerner parmi nos jeunes officiers ceux qui annoncent pouvoir rendre un jour de grands services au pays et l’honorer par leurs talents.

M. Dumortier. - Je pense, avec M. le ministre des finances, qu’il faut appeler des hommes capables dans les rangs supérieurs de l’armée, mais je pense aussi qu’il faut faire une part aux bons et loyaux services. Si vous n’admettez pas l’avancement pour cause d’ancienneté, vous allez jeter le découragement dans l’état militaire.

Je ne crois pas que beaucoup de gens entrent dans la carrière militaire pour n’arriver qu’au grade de capitaine, et pour voir dans ce grade le bâton de maréchal.

Sans doute il faut que les gens offrent les garanties de capacité pour obtenir un commandement en cas de guerre ; mais alors dites, comme dans la loi française, que lorsque les hostilités sont ouvertes, le gouvernement a le choix de toutes les nominations. C’est l’exception posée dans la loi française que l’on veut ériger en principe.

Si parmi les officiers du grade de capitaine vous en supposez de tellement incapables qu’ils ne puissent remplir les fonctions de major, je dirai qu’ils sont par cela même incapables de remplir les fonctions de capitaine, puisque le plus vieux des capitaines doit commander en l’absence du major.

Mais si vous admettez que le plus vieux des capitaines est capable de commander en place du major, vous reconnaissez aussi qu’il est capable d’être major lui-même. Il se peut cependant qu’il y ait un vieux capitaine incapable, alors donnez-lui la retraite.

Je crois, avec le ministre de la guerre, qu’en cas d’hostilité il faut que le gouvernement puisse désigner tous les officiers supérieurs ; mais à quoi bon faire une loi dans cette prévision quand le gouvernement en est venu à ce point de dissoudre une chambre plutôt que de commencer les hostilités ?

M. de Brouckere. - L’article 8 dit que la moitié des emplois vacants de lieutenant et de capitaine, dans toutes les armes, sera accordée à l’ancienneté.

Cependant, il faut bien le remarquer, ce droit d’ancienneté que vous allez consacrer c’est une exception à ce qui se passe en général ; dans les administrations civiles, dans les fonctions judiciaires, on n’avance pas par ancienneté ; mais, je le répète, nous sommes tous d’accord pour l’approuver.

La seule question qui se présente est de savoir où cette exception doit se borner. Faut-il qu’elle se borne au grade de capitaine ; faut-il l’étendre aux grades supérieurs ?

Quant à moi, je suis de l’avis de ceux qui pensent qu’il faut s’arrêter au grade de capitaine, et que la capacité, mais la capacité bien constatée, doit seule pouvoir donner des droits à l’obtention des grades supérieurs.

Messieurs, si nous sortons de la règle tracée dans l’article 8 du projet, qu’arrivera-t-il ? Vous voyez déjà quelle difficulté nous aurons à nous arrêter. L’honorable M. Gendebien s’est borné à demander qu’une partie des grades des majors fût donnée à l’ancienneté ; eh bien, M. Dumortier va déjà plus loin et voudrait qu’une certaine quantité de places de lieutenants-colonels fût donnée à l’ancienneté. Mais, en suivant la même progression, rien n’empêcherait qu’on n’établît les mêmes règles pour les colonels et les généraux ; or, cela est impossible.

Messieurs, la raison qui a fait sur moi le plus d’impression et qui me semble militer en faveur de l’adoption de l’article tel qu’il a été présenté, c’est que le major, qui en vertu de son grade n’est appelé à commander qu’un bataillon, est assez souvent, dans notre pays, en position de commander un régiment, parce que, par mesure d’économie, le gouvernement nomme peu de lieutenants-colonels.

Et remarquez que ce que j’avance n’est pas une simple hypothèse ; car, au sortir des murs de Bruxelles, vous trouvez un régiment qui est très bien commandé, parce qu’à sa tête se trouve un homme très capable ; mais cet homme, c’est le major du régiment ; le régiment n’a, en ce moment, ni lieutenant-colonel, ni colonel ; le colonel a été appelé à d’autres fonctions depuis assez longtemps.

Il y aurait, selon moi, un grand inconvénient à établir dans la loi, comme une règle dont le gouvernement ne pourrait se départir, qu’un certain nombre de places de major serait donné à l’ancienneté. S’ensuivra-t-il pour cela que les capitaines anciens n’aient pas le droit de s’attendre à devenir un jour majors ? Mais non ; on n’exclut personne ; on ne dit pas que les anciens capitaines ne pourront pas être nommés ; seulement la loi ne doit pas forcer le gouvernement de les nommer uniquement du chef de leur ancienneté.

Un des motifs qu’a fait valoir M. Dumortier, pour faire passer un amendement qui accorderait aux capitaines et aux majors le droit de passer majors et lieutenants-colonels, c’est que nous n’aurons jamais une reprise d’hostilités.

Je répondrai que si M. Dumortier a voulu dire par là qu’on n’aurait pas une reprise d’hostilités par le fait de la volonté du gouvernement, cela est possible ; mais cette reprise d’hostilités peut dépendre d’une autre volonté ; et à cet égard je n’ai pas la même sécurité que l’honorable membre.

M. Gendebien. - L’honorable ministre des finances vous a dit que pour répondre à mon amendement, il suffisait de lire un passage du rapport. Je lui ferai remarquer que le rapport ne dit pas un mot pour justifier l’exception qu’on fait à la loi française. Voici ce qu’il dit sur l’art. 9 :

« Art 9. La nomination aux emplois d’officiers supérieurs et généraux est au choix du Roi. »

« La commission a retranché cependant de ce dernier article les mots suivants, par lesquels il était terminé : « sur la présentation du ministre de la guerre ; » cette condition, toute réglementaire, ne lui paraissant pas devoir faire partie d’une loi de principe. »

Voilà les explications données par la commission, celles que le ministre a lues se rapportent aux lieutenants et aux capitaines, et pas à autre chose.

A moins de dire que les capitaines sont moins éclairés, moins capables ici qu’en France, je dis que c’est leur faire injure que de les exclure ainsi de tout droit d’ancienneté.

Un major, dit-on, peut être appelé à commander un régiment. Mais en temps ordinaire quel mal y a-t-il qu’un major un peu plus âgé et même un peu moins capable, soit appelé momentanément au commandement d’un régiment ? D’ailleurs, on pourrait, par la même raison, écarter l’ancienneté aux lieutenants parce que les capitaines peuvent momentanément être appelés au commandement d’un bataillon, et même d’un régiment. Au surplus, pour le cas de guerre, le gouvernement nommera un lieutenant-colonel, un colonel.

Je ne pense pas que l’intention du gouvernement soit de faire marcher nos soldats à l’ennemi sans un colonel, sans un lieutenant-colonel qui remplace le colonel dans le cas où il serait tué ou blessé.

Ce qu’on a dit à cet égard n’est donc pas une raison. Ces raisons d’ailleurs existeraient en France comme en Belgique. Elles n’ont pas empêché qu’on ne donnât en France la moitié des grades de chef de bataillon et d’escadron à l’ancienneté. Je ne sais pas pourquoi il n’en serait pas de même ici ; il restera toujours au choix du Roi la moitié des grades de major. Si le gouvernement ne sait pas faire de bons choix pour la moitié des majors qui sont à sa nomination, s’il ne sait pas trouver de bons colonels, de bons lieutenants-colonels, à lui la faute ; mais il ne faut pas pour cela déshériter tout le corps des capitaines des droits par ancienneté au grade de major. Rien ne justifie cette dérogation aux règles suivies jusqu’à présent. Cette dérogation est non seulement injuste, elle est injurieuse pour tous les capitaines de notre armée.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il semblerait, d’après les observations de l’honorable M. Dumortier, et d’après ce que vient de dire M. Gendebien, que l’on déshériterait les capitaines de leurs droits au grade de major. La réponse à cette assertion se trouve dans le troisième paragraphe de l’article 3 de la loi, lequel porte :

« Nul ne peut être major, s’il n’a servi au moins 4 ans dans le grade de capitaine. »

Il me semble que cette disposition répond d’une manière péremptoire à tout ce qui a été dit.

Maintenant on prétend que la commission, en examinant l’art. 9, ne s’est pas occupée de cette question. Mais évidemment la commission s’est expliquée au sujet des majors dans les explications qu’elle présentée sur l’article 8. Il suffit de lire avec attention le paragraphe du rapport que j’ai eu l’honneur d’indiquer pour prouver que la commission a considéré que si on attribuait à l’ancienneté des droits au grade de major, il pourrait se faire que, dans beaucoup de cas, des hommes caducs, des hommes qui n’ont pas la force physique nécessaire pour commander un bataillon et au besoin un régiment se trouveraient appelés à ce grade de major.

Pour commander un régiment, comme l’a fait remarquer l’honorable M. de Brouckere, il faut des connaissances administratives étendues, il faut une force physique plus grande que pour marcher à la tête d’une compagnie.

Je pense que ces observations suffiront pour déterminer l’adoption de l’article en discussion.

M. Gendebien. - Le ministre se trompe quand il croit me répondre en citant l’art. 3. Il faut avoir servi quatre ans dans le grade de capitaine pour pouvoir être nommé major, dit cet article. Mais qu’est-ce que cela prouve ? Il n’en est pas moins vrai que vous voulez déshériter les capitaines des droits que leur donne leur ancienneté en France et partout. Vous voulez l’arbitraire le plus large. Cet arbitraire, nous vous l’accordons eu temps de guerre ; mais nous vous le refusons en temps de paix. Il ne peut être profitable qu’aux mauvais gouvernements et aux privilégiés ou favoritisme.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Il y a dans l’état militaire deux transitions d’état qui changent entièrement la position de celui qui en est l’objet. Celle du sous-officier qui passe officier, celle du capitaine qui passe officier supérieur. Si les capitaines avaient droit d’être nommés majors par ancienneté, il n’y aurait plus d’émulation dans les premiers rangs de la classe des capitaines. On entretiendra cette émulation en donnant au choix la totalité des emplois de major. On aura d’ailleurs toujours égard aux droits d’ancienneté. Les majors seront toujours choisis parmi les plus anciens capitaines. Je pense donc que sous ce rapport la proposition du gouvernement présente l’avantage d’entretenir l’émulation et de récompenser les plus méritants.

M. Gendebien. - Pourquoi donc alors n’en était-il pas ainsi alors même que M. Evain était employé au ministère de la guerre en France ?

- L’amendement de M. Gendebien consistant à dire : « La moitié des emplois vacants de lieutenant, de capitaine et de major dans toutes les armes, etc., » (le reste comme au projet), est mis aux voix. Il n’est pas adopté.

L’art. 8 du projet de la commission est mis aux voix et adopté.

Article 9

« Art. 9. La nomination aux emplois d’officiers supérieurs et généraux est au choix du Roi. »

- Adopté.

Article 10

« Art. 10. L’ancienneté pour l’avancement sera déterminé par la date du brevet du grade, et par le classement fait entre les officiers dont le brevet est de la même date. »

M. Dumortier. - L’article 10 est d’une haute importance. Il tend à déterminer l’ancienneté des officiers pour l’avancement. Vous sentez quel prix les officiers attachent à ce que cette ancienneté soit déterminée de la manière la plus équitable. Car elle ne sert pas seulement de titre à l’avancement. Elle donne le droit de prendre le commandement du grade immédiatement supérieur quand cet emploi est vacant.

J’ai eu occasion d’apprendre que l’ancienneté dans notre armée n’a pas été déterminée d’après les règles d’une rigoureuse justice.

Une pétition a été présentée au sénat à une séance à laquelle j’assistais. Le pétitionnaire se plaignait du mode de classement des officiers adopté par M. le ministre de la guerre. Il disait qu’une circulaire de ce ministre avait fixé au 1er novembre la date des brevets délivrés avant cette époque et jusqu’au 15 décembre. Plusieurs membres du sénat se sont élevés contre cet abus. Voici ce que dit l’honorable M. de Rouillé :

(Ici M. Dumortier donne lecture des paroles de M. de Rouillé.)

Le sénat a considéré la pétition comme méritant toute son attention, et il l’a renvoyée à M. le ministre de la guerre avec demande d’explications.

La chose est très sérieuse, en effet. Il y a une grande différence, en effet, entre avoir pris du service le 28, le 29, le 30 septembre, et même le 1er et le 2 octobre, et être venu sous les drapeaux le 1er novembre seulement. Les premiers ont fait un acte de grand courage, et en ont fait preuve, parce qu’il y avait du danger à se prononcer alors. Les seconds ont été ce qu’on appelait alors les hommes du lendemain.

Ceux d’entre nous qui ont fait partie du congrès national se rappelleront un reproche que l’on adressait au gouvernement provisoire. Ou lui disait : Vous accordez à chaque instant des brevets aux hommes qui viennent solliciter dans vos bureaux. Vous cédez à l’importunité, et vous oubliez les braves qui sont aux frontières, qui s’y battent pour la cause de la révolution et achèvent de repousser l’ennemi au-delà de nos frontières.

Le gouvernement provisoire se justifiait en disant qu’il lui fallait organiser l’année, qu’il devait bien accorder des brevets. Mais il ajoutait que, quand le temps en serait venu, l’on rendrait justice aux braves qui ont combattu pour notre indépendance.

L’on a bien dirigé des attaques contre le gouvernement provisoire. Mais ce reproche m’a toujours paru le plus sérieux. Ce n’est pas que je veuille dire que le gouvernement provisoire a été coupable. Je rends hommage au dévouement des généreux citoyens qui ramassèrent le pouvoir alors que personne n’en voulait. Il n’est pas étonnant que, forcés de tout organiser en Belgique, il se soit glissé quelques abus dans leur immense travail.

Mais le temps est venu de réparer les injustices. Le temps est venu de reconnaître les hommes qui se sont ralliés les premiers à la cause révolutionnaire.

Je me bornerai à citer deux ou trois exemples pour faire apprécier l’importance de l’article en discussion.

Un officier de l’ancienne armée, qui avait puissamment contribué à la reddition de la ville d’Ath, la première qui se soit soumise au gouvernement provisoire, en fut récompensé par le titre de major le 29 du mois de septembre. Il semblerait que, nommé le lendemain de la victoire du peuple, ce major devrait être un des plus anciens de l’armée ; eh bien, par suite de la classification adoptée par M. le ministre de la guerre, il se trouve être un des derniers majors. L’on a mis avant lui tous ceux qui sont arrivés en novembre et même en décembre.

Un officier de cavalerie qui s’était rallié l’un des premiers au gouvernement provisoire, alors qu’il y avait du patriotisme à le faire, avait reçu le grade de capitaine. Le gouvernement provisoire l’avait envoyé à Tournay le 27 ou le 28 septembre pour y organiser le premier corps de cavalerie que nous ayons eu en Belgique. C’est le corps organisé par cet officier qui stationna devant le palais de la nation lors de l’ouverture du congrès national. Cet officier fut nommé chef de bataillon. Le gouvernement provisoire était tellement surchargé de travaux, que quand il faisait une nomination dans l’armée, il ne délivrait pas au même moment le diplôme, et quelquefois il oubliait de le faire.

Ce brave partit pour l’armée où il se distingua. Il était chef d’escadron lors de la conspiration du mois de mars. Des propositions lui ayant été faites par son colonel pour entrer dans cette conspiration et venir vous faire expulser, vous qui avez voté l’exclusion des Nassau, il vint lui-même dénoncer les faits au régent et rendit par là un service immense au pays, sans craindre d’encourir la haine de son colonel. Qu’est-il arrivé ? Ce brave, qui n’avait pas eu sa nomination par écrit, a perdu son rang. Il se trouve un des plus jeunes de l’armée dans le grade qu’il occupe.

Je pourrais citer beaucoup d’autres faits de ce genre. Je crois que ceux que je viens de citer suffisent pour prouver qu’il est indispensable de prendre des mesures pour assurer aux hommes de la révolution les droits qu’ils ont acquis par leur entrée dans l’armée aux jours de danger. Qu’on ne s’y trompe pas, à l’époque de la révolution, les jours étaient des années. Ceux qui ont pris les armes en septembre ont rendu plus de services que ceux qui les ont prises en octobre, et ceux-ci en ont rendu davantage que ceux qui ne sont entrés dans l’armée qu’en décembre. Il est donc manifeste que vous ne pourriez, sans injustice envers les hommes de la révolution, sanctionner l’arrêté du ministre de la guerre qui a effacé d’un trait de plume tous les services rendus à la révolution. Vous ne pouvez pas abdiquer ceux qui vous ont placés où vous êtes aujourd’hui.

Voici la rédaction que je proposerai de substituer à l’article du projet. Cet amendement est signé par quatre de mes collègues :

« L’ancienneté pour l’avancement sera déterminée, savoir :

« Par la date du jour de leur entrée au service actif de l’armée nationale, pour les officiers qui n’ont pas obtenu d’avancement depuis leur première nomination à la suite de la révolution.

« Par la date du brevet, pour ceux qui ont obtenu de l’avancement depuis cette époque.

« Dans le cas où plusieurs officiers du même grade auraient un brevet de même date, l’ancienneté sera réglée d’après celle du grade antérieur. »

Si vous adoptiez le système du gouvernement, ce seraient précisément ceux qui ont rendu le plus de services à la révolution qui seraient le plus maltraités.

L’article du gouvernement ne stipule qu’une seule règle, celle de la date du brevet. Pouvez-vous exiger cela à une époque où on ne donnait pas de brevet ? On donnait un commandement, et celui à qui il était conféré allait payer sa dette à la patrie au milieu des balles et de la mitraille. Plus tard on a donné des brevets. Mais c’étaient les solliciteurs qui les obtenaient, tandis que ceux qui commandaient nos soldats qui chassaient l’ennemi de nos frontières n’en avaient pas.

Mon amendement aura votre assentiment, j’en suis sûr, car il est tout patriotique ; il consacre les droits des officiers de la révolution, et vous ne voudrez jamais oublier les services rendus à une époque aussi mémorable. Si vous pouviez oublier ces hommes, ils pourraient vous oublier aussi au jour du danger. Enfin c’est un acte de justice que je vous propose ; je suis convaincu que vous lui donnerez votre sanction.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Le règlement dont se plaint l’honorable préopinant n’est que l’exécution pleine et entière de l’article du gouvernement provisoire en date du 10 décembre 1830. C’est d’après le texte des six articles de ce décret que j’ai rédigé l’instruction que j’ai rendue exécutoire et publique, et qui a reçu l’approbation du chef du gouvernement. Une commission a été nommée pour appliquer les dispositions de l’arrêté du gouvernement provisoire qui voulu assurer à tous ceux qui se sont distingues dans les premiers jours de la révolution, la date des brevets ou actes de nomination qui leur ont été délivrés. Je pense que l’honorable membre n’a pas lu les règlements qui ont été faits à ce sujet, puisqu’il affirme qu’ils ordonnent le contraire de ce que réellement ils prescrivent.

Le gouvernement provisoire voulant tenir sa promesse à l’égard des officiers nommés du 28 septembre au 10 décembre décida qu’ils prendraient rang pour leur grade à dater du jour de leur brevet ; quant aux officiers de l’ancienne armée qui auraient donné des gages certains de dévouement du 28 septembre au 10 décembre, qu’ils conserveraient pour leur ancienneté de grade la date de l’arrêté qui le leur avait conféré ; nais que les officiers qui seraient venus du premier octobre au 10 décembre seraient tous classés dans leur nouveau grade suivant la date du grade inférieur qu’ils occupaient avant le 28 septembre.

Pour exécuter cette disposition, que fallait-il faire, puisqu’on les reportait tous, pour leur classement entre eux, à la date de leur grade inférieur ? Comme les onze régiments furent alors successivement formés, ceux qui composèrent les premiers régiments reçurent leurs brevets les 5, 15 et 22 octobre ; l’organisation continua, et les autres reçurent leurs brevets les 5, 10 15 et 20 novembre.

Cependant il fallait classer tous ces officiers entre eux d’après l’antériorité de leur grade inférieur, j’ai donc dû prendre un point de départ et les reporter forcément à la même date. J’ai expliqué cela dans l’instruction, J’ai pris un terme moyen ; j’ai pris le premier novembre, pour arriver à une classification. C’était un travail difficile, Il a duré plus d’une année, deux commissions précédentes n’avaient pas pu le terminer.

Je donnerai demain toutes les explications désirables. Vous verrez que l’esprit de justice et d’équité a présidé aux dispositions prises, et que les officiers qui se sont distingués pendant la révolution, ont conservé la date du brevet dont ils étaient pourvus. (A demain ! à demain !)