(Moniteur belge n°123, du 2 mai 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
La séance est ouverte à une heure et demie.
M. de Renesse procède à l’appel nominal.
M. Schaetzen lit le procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse fait connaître l’objet des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Le sieur Jamotte se plaint d’une prétendue arrestation arbitraire et d’une violation de la liberté individuelle. »
« Le sieur Raikem (C.), praticien en droit, demande que la chambre adopte une mesure qui défende aux greffiers des justices de paix de défendre des cause, d’une justice de paix à l’autre. »
- Ces pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions chargée d’en faire le rapport.
M. Dubus, rapporteur de la commission chargée de l’examen de la proposition de M. Lejeune, relative au mode suivant lequel les naturalisations seront accordées, monte à la tribune et s’exprime en ces termes. - Messieurs, la commission chargée de l’examen de la proposition de M. Lejeune, concernant le mode d’après lequel les naturalisations seront accordées, m’a chargé de vous présenter le résultat de son travail.
Messieurs, la commission a adopté la proposition de M. Lejeune ; et pour les motifs qui l’ont déterminée à y donner son assentiment, je ne puis que me référer à ceux qui ont été présentés par l’auteur de la proposition.
Seulement il a paru à la commission que le délai fixé par l’article 3 du projet pour le vote sur la prise en considération n’était pas suffisant. Aux termes de cet article 3, il doit y avoir au moins trois jours, celui auquel le rapport a été fait, et celui auquel il sera procédé à la prise en considération.
Votre commission a pensé qu’un délai plus long serait nécessaire, pour que tous les membres de la chambre pussent prendre communication des pièces qui auraient été déposées au greffe aux termes de l’article dont il s’agit ; elle a donc cru qu’il fallait au moins un terme de cinq jours ; elle a du reste adopté toutes les autres dispositions du projet.
En conséquence, par mon organe, elle a l’honneur de vous proposer d’adopter les cinq articles réglementaires, présentés par l’honorable M. Lejeune, avec un amendement à l’art. 3, consistant dans la substitution du terme de 5 jours à celui de 3 jours, fixé par le deuxième paragraphe dudit article.
M. Gendebien. - Il me semble, messieurs, qu’il conviendrait de fixer la discussion de ce projet entre les deux votes de la loi sur les mines.
Vous le savez, messieurs, depuis 5 ans et demi, d’honorables citoyens qui ont rendu de grands services au pays, sollicitent la naturalisation ; il est temps de leur rendre justice.
Il est d’autres catégories de naturalisation qui ne souffrent pas non plus de retard, je veux parler des naturalisations réclamées par des capitaines de navires marchands.
Je demande donc que la discussion du projet de M. Lejeune soit fixée entre les deux votes de la loi sur les mines.
- La proposition de M. Gendebien est mise aux voix et adoptée.
M. Fallon, rapporteur de la commission chargée de l’examen des amendements proposés aux articles 2 et 4 de la loi sur les mines, monte à la tribune et s’exprime ainsi. - Messieurs, votre commission a examiné les divers amendements qui sont parvenus au bureau sur les articles 2 et 4 du projet de loi qui est actuellement en discussion, et elle m’a chargé de vous communiquer le résultat de ses délibérations.
Article 2
Sur l’article 2, il a été déposé des amendements par MM. Frison, Pollénus, Liedts, de Brouckere, Fallon, et le ministre de l’intérieur.
M Pollénus a proposé une addition au premier paragraphe de l’article 2, consistant dans ces mots : « Son avis sera motivé, » de manière que le paragraphe serait ainsi conçu :
« Le conseil ne pourra délibérer qu’au nombre de trois membres. Son avis sera motivé. »
Cet amendement a été adopté à l’unanimité de la commission.
Sur le paragraphe 2, deux amendements ont été proposés, l’un par M. de Brouckere et l’autre par moi.
La commission a adopté mon amendement à l’unanimité, sauf une légère modification dans la rédaction.
L’amendement serait ainsi conçu, et remplacerait le paragraphe 2 de l’art. 2 :
« Les membres du conseil ni leurs parents, en ligne directe, ne peuvent être intéressés dans une exploitation de mines ; ils cessent, dans ce cas, de prendre part aux délibérations.
« Ils sont censés démissionnaires si eux-mêmes ou leurs parents en ligne directe conservent pendant plus de six mois un intérêt dans une exploitation. »
Les paragraphes 3 et 4 sont maintenus.
M. Liedts a proposé un amendement qui devrait être intercalé entre le quatrième paragraphe et le cinquième.
L’amendement de M. Liedts était ainsi conçu :
« Tout membre du conseil des mines peut être récusé pour les mêmes causes qui donnent lieu à la récusation des juges, aux termes de l’art. 378 du code de procédure civile.
« La récusation sera proposée par acte signifié au ministre de l’intérieur, avant que le conseil n’ait émis son avis.
« Le ministre, après avoir entendu le membre récusé, statuera sans recours ultérieur. »
Cet amendement a également été adopté à l’unanimité, sauf la suppression du mot « mêmes », de manière que l’amendement serait rédigé ainsi :
« Tout membre du conseil des mines pourra être récusé pour les causes qui donnent...» (Le reste comme ci-dessus.)
M. Liedts a proposé un second amendement qui n’a pas été déposé sur le bureau de la chambre, mais qui a été communiqué à la commission.
- L’amendement est ainsi conçu :
« Si, par suite des récusations admises ou des abstentions, le conseil des mines se trouve en nombre insuffisant pour délibérer, il sera complété par des suppléants qui seront nommés par le Roi pour le temps de la vacance. »
Cet amendement, dont la commission a adopté les motifs, lui paraît rendre indispensable la création de suppléants, et elle propose, en conséquence, une addition à l’article 1er, laquelle consisterait dans les mots suivants : « et de deux suppléants ; » de manière que l’article 1er serait ainsi rédigé :
« Les attributions conférés au conseil d’Etat, par la loi du 21 avril 1810 sur les mines, seront exercées par un conseil des mines, composé d’un président, de trois conseillers et de deux suppléants nommés par le Roi. »
Les paragraphes 5 et 6 de l’article sont maintenus.
M. Pollénus a proposé l’article additionnel suivant :
« La fixation du rapport sera annoncée aux parties intéressées, qui pourront y assister de même que leur fondé de pouvoir spécial.
« Le rapporteur résumera les faits et les moyens sans ouvrir son avis. »
Cet amendement a été rejeté par 6 voix contre 3 pour le motif que cette disposition a paru inutile à la commission, par suite de l’amendement du ministre de l’intérieur qui a été adopté.
Cet amendement est ainsi conçu :
« L’avis du conseil sera précédé d’un rapport écrit fait par l’un de ses membres.
«Ce rapport contiendra les faits et l’analyse des moyens.
« Il sera déposé au greffe ; la notification du dépôt sera faite aux parties intéressées par huissier, en la forme ordinaire, à la requête du président ; les parties seront tenues d’élire domicile à Bruxelles. Les notifications seront faites à ce domicile.
« Dans le mois du dépôt les parties seront admises à adresser leurs réclamations. »
La commission a cru que cet amendement laissait quelque chose à désirer dans la formalité de la signification à faire aux parties intéressées par un huissier. Elle s’est demandé qui supporterait les frais de ces notifications ; elle pense que ces frais doivent être à charge du demandeur en concession.
En conséquence, elle propose d’ajouter à l’amendement ces mots : « et les frais sont à charge du demandeur en concession, en extension ou en maintenue de concession. »
Néanmoins cette modification, l’amendement a été adopte par six voix contre une.
M. Frison a également présenté une disposition additionnelle ; elle est ainsi conçue :
« Le conseil sera tenu de donner, par la voie du greffe, et sans déplacement, communication aux parties intéressées, de ses délibérations et de toutes les pièces qui concernent, soit les demandes en concession, en extension ou en maintenue de concession, soit les oppositions ou les interdictions. »
La commission a également adopté cette proposition à l’unanimité, avec la suppression des mots « de ses délibérations. »
La commission regarde ces mots comme inutiles, puisque toutes les pièces sans distinction, ayant rapport aux demandes en concession, devront être communiquées aux parties intéressées, aux termes même de l’amendement.
Tels sont, messieurs, les amendements qui ont été proposés à l’art. 2.
Article 4
Sur l’art, 4, M. Dubus proposé un amendement, tendant à supprimer ces mots : « et n’excèdera pas un franc ; » de manière que le paragraphe 3 serait réduit à ces termes :
« La redevance fixe sera déterminée par l’acte de concession, elle ne sera pas moindre de 25 centimes par hectare de superficie. »
Cet amendement a été rejeté par 4 voix contre 3.
Le motif qui a déterminé le vote de la majorité a été qu’il ne convenait pas de laisser au conseil la faculté d’arbitrer l’indemnité au-delà des limites qui seraient fixées par la loi même.
M. Dubus a proposé ensuite de porter la redevance proportionnelle à 4 p. c. du produit net de la mine ; mais cette proposition n’a pas été résolue, parée qu’il y a eu partage dans le sein de la commission, et qu’un membre s’est abstenu.
Un autre membre de la commission a proposé de porter la redevance à 3 p. c., et cet amendement a été adopté par 5 voix contre 2.
M. Jullien avait proposé de remplacer le dernier paragraphe de l’art. 4 par la disposition suivante :
« Les propriétaires qui se croiront lésés par les décisions du comité d’évaluation, pourront recourir au conseil des minés qui statueront définitivement.
« Le recours devra être déclare dans la huitaine du jour de la décision. »
Après une première discussion sur cet amendement, M. Jullien a changé la rédaction de la manière suivante :
« Les parties intéressées qui se croiront lésées par les décisions du comité d’évaluation, pourront recourir au gouvernement qui statuera définitivement sur l’avis du conseil des mines. »
- L’amendement ainsi rédigé a été adopte par 5 voix. Un membre s’est abstenu. Un autre membre avait quitté la séance.
Tel est le résultat des délibérations de votre commission sur les amendements déposés à la dernière séance.
(Moniteur belge n°125, du 4 mai 1836) M. le président. - La discussion continue sur l’article 2 du projet.
M. Gendebien. - Est-ce que l’on ne fait pas imprimer ce rapport ?
M. le président. - C’est un rapport verbal.
M. Gendebien. - Mais il est impossible de discuter les nombreuses propositions de la commission, si le rapport n’a pas été imprimé, si on ne l’a pas sous les yeux.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ne m’oppose pas à ce qu’on imprime le rapport comme document à conserver par les membres de la chambre. Mais je demande que la discussion continue. Chacun a présent à l’esprit les renseignements qui ont été produits dans la séance d’hier, et a entendu les renseignements donnés par l’honorable rapporteur. Je crois qu’en discutant et en décidant isolément chaque proposition, on arrivera facilement à une solution.
M. Gendebien. - Ce serait une chose fort extraordinaire et fort inusitée de faire imprimer, seulement comme document, le rapport d’une commission et les articles nouveaux présentés par cette commission. Mais ce serait quelque chose plus inusité encore que l’on n’accordât pas un instant pour l’examen d’une loi toute nouvelle avant de la mettre en discussion.
Comment ! nous avons discuté pendant 6 jours avant de faire sentir la nécessité de poser des garanties dans la loi. Maintenant on vient présenter un article composé de 7 ou 8 paragraphes. Mais ses dispositions sont-elles coordonnées avec les autres dispositions de la loi ? sont-elles coordonnées entre elles ? c’est ce qu’il est impossible de juger à une simple lecture.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Oui sans doute.
M. Gendebien. - M. le ministre de l’intérieur dit oui. Pour moi je n’ai pas la prétention d’avoir la science infuse ; quoique j’ai quelques connaissances en matière de mines, je déclare qu’il m’est impossible de me prononcer immédiatement sur les conclusions du rapport que vous venez d’entendre.
Il ne faut pas se le dissimuler, voici une semaine entière que nous discutons sur un projet de loi qui pèche par sa base. Je n’ai cessé de le dire. Les nouvelles propositions changeront-elles cet état de choses ? Je n’en crois rien ; mais au moins faut-il, avant de se prononcer, les juger dans leur ensemble ; et c’est ce qu’il est impossible de faire sans avoir le texte sous les yeux. Je ne sais pourquoi, au nombre de 50 ou 52 (car nous ne sommes pas en plus grand nombre, et dans un quart d’heure nous ne serons probablement que 45 ou 46), nous discuterions maintenant pour arriver lundi à un vote auquel prendront part 20 membres qui n’auront pas assisté à la discussion et qui viendront faire pencher la balance à droite ou à gauche, suivant l’impulsion qu’ils auront reçue en entrant dans la salle.
Il n’y a pas de loi plus importante dont la chambre ait été saisie. Je dirai même qu’elle ne sera jamais saisie d’une loi plus importante. Je crois donc qu’il conviendrait de faire imprimer le rapport et de renvoyer la discussion à lundi.
Si on veut discuter les autres articles, je ne m’y oppose pas. Je pense néanmoins qu’il serait plus sage et plus convenable de renvoyer la discussion à lundi.
(Moniteur belge n°123, du 2 mai 1836) M. Fallon, rapporteur. - Je me suis borné à faire connaître à la chambre les amendements proposés et le résultat des délibérations de la commission. Je crois que pour déférer à l’observation de l’honorable M. Gendebien, il conviendrait que je donnasse lecture de l’art. 2 tel qu’il résulte des amendements admis par la commission.
« Art. 2. Le conseil ne pourra délibérer qu’au nombre de trois membres ; son avis sera motivé.
« Les membres du conseil, ni leurs parents en ligne directe, ne peuvent être intéressés dans une exploitation de mines ; ils cessent en ce cas de prendre part aux délibérations.
« Ils sont censés démissionnaires, si eux-mêmes, ou leurs parents en ligne directe, conservent pendant plus de six mois un intérêt dans une exploitation.
« Ils ne peuvent exercer la profession d’avocat.
« Ils ne peuvent prendre part aux délibérations relatives à des affaires sur lesquelles ils auraient été consultés avant leur nomination.
« Tout membre du conseil des mines peut être récusé pour les mêmes causes qui donnent lieu à la récusation des juges aux termes de l’article 378 du code de procédure civile.
« La récusation sera proposée par acte signifié au ministre de l’intérieur, avant que le conseil n’ait émis son avis.
« Le ministre, après avoir entendu le membre récusé, statuera sans recours ultérieur.
« Si, par suite de récusation ou d’abstention, le conseil ne se trouvait plus en nombre pour délibérer, il serait complété par des membres suppléants.
« Les délibérations du conseil sont soumises à l’approbation du Roi.
« Aucune concession, extension ou maintenue de concession ne pourra être accordée contre l’avis du conseil.
« L’avis du conseil sera précédé d’un rapport écrit fait par l’un de ses membres.
« Ce rapport contiendra les faits et l’analyse des moyens.
« Il sera déposé au greffe ; la notification du dépôt sera faite, aux parties intéressées, par huissier, en la forme ordinaire, à la requête du président, et aux frais du demandeur en concession, maintenue ou extension. Les parties seront tenues d’être domicilié à Bruxelles. Les notifications seront faites à ce domicile.
« Dans le mois du dépôt les parties seront admises à adresser leurs réclamations au conseil.
« Le conseil sera tenu de donner, par la voie du greffe et sans déplacement, communication aux parties intéressées de ces délibérations et de toutes les pièces qui concernent, soit les demandes en concession, en extension ou en maintenue de concession, soit les oppositions ou les interdictions. »
Voici en quoi consisterait l’art. 2. Il est divisé, comme vous voyez, en plusieurs paragraphes dont on pourrait au besoin faire des articles, si on voulait.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Vous venez d’entendre, par la lecture même des différentes propositions que la commission a admises, que ce sont des propositions discutées hier que la commission a adoptées, telles qu’elles ont été présentées. Je ne vois donc pas pourquoi on ne pourrait pas voter sur ces propositions. Si on les abandonne pour délibérer sur d’autres articles, on ne fera qu’embrouiller la discussion. Il vaut mieux terminer une matière commencée et dont chacun de nous est pénétré.
(Moniteur belge n°125, du 4 mai 1836) M. Gendebien. - Je ne puis que répéter ce que j’ai dit. Nous avons discuté pendant 5 jours sur un texte qui était sous nos yeux. Il nous a fallu 5 jours pour faire comprendre à l’assemblée qu’il y manquait quelque chose. Que sera-ce donc si maintenant, dans une matière aussi grave, on discute sur un texte dont nous n’avons entendu qu’une simple lecture ? Il est évident que la discussion ne peut avoir lieu sans que le rapport ait été imprimé.
(Moniteur belge n°123, du 2 mai 1836) M. Liedts. - Je ferai une autre proposition. Il reste encore 9 articles à discuter. Dans ces 9 articles, il n’y en a que deux ou trois qui donneront lieu à une discussion. On pourrait commencer par ces articles. On aurait ainsi l’emploi de la séance d’aujourd’hui.
M. Gendebien. - C’est ce que j’avais dit en commençant.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je viens défendre la proposition de mon honorable collègue le ministre de l’intérieur.
Je ferai remarquer à l’honorable député de Mons qui s’oppose à cette proposition que si on a discuté pendant 5 jours, c’était sur une question fondamentale, la question de compétence des tribunaux ou d’un conseil administratif. Maintenant il s’agit d’un point sur lequel presque tout le monde est d’accord, la nécessité d’entourer les délibérations du conseil des garanties suffisantes : chacun s’est réuni à ceux qui demandaient des garanties. On vient de les formuler. Plusieurs propositions avaient été faites hier ; elles auraient été adoptées si on les avait discutées immédiatement. On a voulu plus d’ordre dans la discussion ; cet ordre vous le trouvez dans le travail de la commission. Plusieurs propositions ont été adoptées à l’unanimité. Mais si quelques difficultés se présentaient, nous pouvons compter, pour les faire disparaître, sur la complaisance du rapporteur et sur la lucidité de ses explications.
(Moniteur belge n°125, du 4 mai 1836) M. Gendebien. - Comment peut-on prétendre que l’on est d’accord sur un texte qu’on ne connaît pas ! Quel est celui d’entre nous qui peut dire, la main sur la conscience, qu’il comprend, dans leur ensemble, tous les amendements dont on a donné lecture ? Tout le monde, dit-on, est d’accord. Mais c’est physiquement impossible, puisque nous n’avons pas le texte sous les yeux. Quand nous aurons le texte sous les yeux, M. le ministre de la justice verra combien peu tout le monde est d’accord. Comment peut-il dire que ce sera la chose du monde la plus facile de se prononcer sur chacun des paragraphes ! a-t-il oublié qu’on ne peut juger des détails d’une loi qu’en l’appréciant dans son ensemble ?
Si l’on veut éviter la discussion, si on veut l’emporter d’assaut et par surprise, si cela convient à la chambre, je n’ai plus rien à dire ; il ne me restera plus qu’à protester.
Mais, si l’on veut arriver à quelque chose de raisonnable, d’acceptable, qu’on mette chacun en mesure de discuter et de voter en connaissance de cause. Tout ce que vous ferez avant d’avoir médité chez vous les propositions qui vous sont faites par la commission, ne servira absolument à rien : vous ne tarderez pas à vous en apercevoir.
(Moniteur belge n°123, du 2 mai 1836) M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Nous ne voulons rien enlever d’assaut ou par surprise. C’est au moment où chacun est pénétré des principes qui ont été discutés hier, où chacun a présentes à la mémoire les propositions faites, que nous demandons qu’on continue la délibération sur ces propositions. Quel intérêt le gouvernement peut-il avoir à étrangler la discussion ? Aucun. Pourquoi demandons-nous qu’on s’occupe des articles 2 et 4 avant de passer aux autres articles ? parce que nous pensons qu’il y aura plus d’ordre dans la discussion, et que c’est le moyen d’arriver à avoir une bonne loi. C’est, comme l’honorable préopinant, le seul but que nous nous proposons.
Il ne s’élèvera pas de difficultés sérieuses sur les propositions de la commission. Pour s’en convaincre il suffit de les reprendre une à une.
L’une porte que l’avis du conseil sera motivé et personne ne s’y opposera.
Dans l’autre il est dit que les conseillers ou parents des conseillers en ligne directe ne peuvent pas être intéressés dans les mines. On s’est borné à un léger changement de rédaction.
D’après une autre proposition l’avis du conseil des mines sera précédé d’un rapport écrit ; ce rapport sera déposé au greffe, notifié aux parties qui pourront en prendre connaissance et réclamer s’il y a lieu. De cette manière il a été satisfait à une observation de l’honorable préopinant. Qui pourrait s’élever contre une mesure aussi sage ?
On a craint que dans certaines circonstances le conseiller des mines ne conservât pas toute l’impartialité nécessaire, et on a demandé qu’il pût être récusé. Un texte adopté à l’unanimité par la commission a formulé cette garantie.
Un honorable collègue a demandé que toutes les pièces fussent communiquées aux parties. Tout le monde s’accorde à adopter la proposition qu’il a faite.
On a senti le besoin d’avoir des suppléants ; on les offre.
Où sont donc les difficultés ? Je prie l’honorable préopinant de m’en signaler une seule.
M. d'Hoffschmidt. - Je ne vois pas pourquoi le gouvernement attache tant d’importance à ce qu’on discute maintenant les articles sur lesquels il vient d’être fait un rapport. Je me rallie à la proposition de M. Liedts de passer à l’article 7 et d’ajourner à lundi la discussion de ce long article dont on vient de donner lecture. Les observations mêmes du ministre de la justice suffisent pour faire voir qu’il est extrêmement compliqué. Les dispositions séparées peuvent bien ne pas présenter de difficulté, mais leur ensemble être mal coordonné.
Je pense que nous devons prendre le temps de le méditer et l’ajourner à la prochaine séance ; si on persistait à le discuter aujourd’hui, je serais obligé de m’abstenir.
Rien n’empêche que nous nous occupions des articles 7 et 14 qui n’ont aucun rapport avec celui dont il s’agit. A la prochaine séance nous examinerons le rapport de l’honorable M. Fallon. Je rends hommage à la lucidité de ce rapport, mais tout le monde reconnaîtra qu’il y aune grande différence à discuter une proposition écrite, qu’on a sous les yeux, ou une proposition dont on n’a fait qu’entendre la lecture.
J’appuie donc l’ajournement des articles sur lesquels un rapport vient d’être fait.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Il est impossible de concevoir les difficultés qu’on trouve à discuter la proposition de la commission. On veut des textes ! Mais ils sont sous les yeux de chacun des membres. La commission admet les amendements qui ont été proposés et qui sont imprimés. Le rapport en rendra la discussion plus facile.
M. Smits. - En renvoyant la discussion à lundi, on ne sera pas plus avancé qu’aujourd’hui, car je pense que pendant que M. Fallon a fait son rapport, MM. les sténographes n’ont pas recueilli ce qu’il a dit. (Si ! si !)
Je croyais qu’on ne l’avait pas fait, pensant que le rapport était écrit.
Les amendements me paraissent clairs ; ce que vient de dire M. le ministre de la justice vous l’a démontré. Je ne vois pas d’inconvénient ni de difficulté à ce qu’on les discute maintenant. Tout le monde est pénétré de la discussion d’hier. Si quelque erreur se glissait, on pourrait y revenir au second vote.
M. Jullien. - S’il n’y avait à discuter que l’article 2, on pourrait, en s’aidant de la discussion qui a eu lieu hier, en reprendre la discussion aujourd’hui sans qu’on puisse prétendre qu’il y a surprise ; mais vous avez en outre l’art 4, et je suis persuadé que cet article 4 auquel des amendements ont été présentés va soulever de longues discussions ; il s’agira dans cet article de l’indemnité fixe et de l’indemnité proportionnelle. D’après les discussions qui ont eu lieu dans le sein de la commission, je m’attends à en voir s’élever de nouvelles dans l’assemblée.
Il n’y a donc pas de raison pour discuter maintenant l’article 2, si nous devons nous arrêter devant l’art. 4. Il est raisonnable de penser que la discussion des autres articles ne soulèvera pas les mêmes difficultés, et que lundi, après avoir médité le rapport de M. Fallon, il sera plus facile de s’entendre sur la rédaction proposée par la commission.
Pour moi qui étais membre de la commission, je pourrais aborder maintenant la discussion ; mais si je n’avais pas fait partie de cette commission, que je fusse à la place de l’honorable M. Gendebien et des autres membres de cette chambre qui ont l’habitude de se rendre compte de leur opinion, je serais embarrassé pour discuter maintenant l’article nouveau présenté par la commission.
- Le renvoi à lundi de la discussion des articles 2 et 4 est mis aux voix et prononcé.
M. le président. - L’art. 3 a été adopté dans une précédente séance.
Je ferai observer que l’art. 5 se rapporte aux principes posés dans l’article 4, et il me semble qu’il devrait également être ajourné.
- La discussion de l’art. 5 est également ajournée à lundi.
M. le président. - On passe à l’art 6 qui est ainsi conçu :
« Le propriétaire de la surface dont l’étendue est reconnue suffisante à l’exploitation régulière et profitable de la mine, obtiendra la préférence pour les concessions nouvelles, s’il justifie des facultés nécessaires pour entreprendre et conduire les travaux de la manière prescrite par la loi.
« Il en sera de même si cette surface appartient à plusieurs propriétaires réunis en société et qui offriront les mêmes garanties.
« Néanmoins le gouvernement pourra, de l’avis du conseil des mines, s’écarter de cette règle dans les cas où les propriétaires de la surface se trouveraient en concurrence, soit avec l’inventeur, soit avec le demandeur en extension, ou bien dans tous autres cas où des motifs d’équité ou des considérations d’intérêt général exigeraient d’accorder la concession à tous autres.
« En cas que l’inventeur n’obtienne pas la concession d’une mine, il aura droit à une indemnité de la part du concessionnaire ; elle sera réglée par l’acte de concession.
« Celui qui se trouve substitué aux droits du propriétaire de la surface, quant à la mine, jouira de la préférence accordée à celui-ci par le présent article. »
La commission propose la même disposition.
M. Raikem. - Je veux présenter quelques observations très courtes sur l’art. 6.
Le projet du gouvernement est conforme à celui de la commission relativement à cet article.
On reconnaît la préférence qui doit être accordée au propriétaire de la surface, et à tous les propriétaires qui parviennent à s’entendre à l’effet de demander la concession ; aussi, dans la première disposition de l’art. 6, la préférence est formulée en faveur des propriétaires de la surface. On y trouve ensuite des exceptions ; c’est lorsque le propriétaire de la surface se trouve en concurrence, soit avec l’inventeur de la mine qui, naturellement, a aussi des droits pour obtenir la concession, soit avec un demandeur en extension. Je conçois que quand il existe un demandeur en extension, des motifs très légitimes peuvent se présenter en sa faveur, et lui faire donner la préférence sur le propriétaire de la surface : l’intérêt de l’industrie, l’intérêt général par conséquent, peut dans ce cas réclamer la préférence.
Mais il y a encore une autre disposition exceptionnelle dans cet article 6 ; car, après les exceptions que je viens de rappeler, on y lit : « Ou bien, dans tous autres cas où des motifs d’équité ou des considérations d’intérêt général exigeraient d’accorder la concession à tous autres. »
Vous savez que la préférence en faveur du propriétaire de la surface avait été reconnue par la loi de 1791 ; dans cette loi, les plus fortes garanties se trouvent en faveur du propriétaire du sol ; mais, dans la loi de 1810, on a adopté d’autres principes ; car, dans l’article 16 de cette loi, on lit que le gouvernement a le jugement des motifs ou des considérations d’après lesquelles la préférence doit être accordée aux demandeurs de la concession, qu’ils soient propriétaires de la surface, inventeurs ou autres.
Voilà le gouvernement établi juge des motifs de préférence. Cette disposition valait-elle mieux que celle de 1791 ? C’est un point à décider. Toutefois, dans la discussion de la loi de 1810, on avait reconnu que c’était un motif que l’on pourrait faire valoir près du gouvernement que d’être propriétaire de la surface : mais, messieurs, dans le projet actuel, on commence par reconnaître un droit de préférence pour un propriétaire de la surface ; ensuite on dit que, par des motifs d’équité ou d’intérêt général, on pourra dévier de cette règle ; eh bien, sous une autre forme c’est admettre le principe de la loi de 1810 ; c’est en réalité déclarer que le conseil des mines sera juge des motifs de préférence.
Si l’on voulait établir une règle et faire des exceptions, il fallait préciser les cas dans lesquels les exceptions devraient avoir lieu. On en avait précisé deux, l’inventeur et le demandeur en extension ; mais ce que l’on ajoute fait disparaître la règle, et il n’existe plus de préférence en faveur du propriétaire de la surface.
Si l’on voulait adopter le système de la loi de 1810, il fallait conserver l’art. 16 ; si l’on voulait établir une autre législation, il fallait, je le répète, indiquer quelles seraient les exceptions que l’on mettrait à la préférence à accorder au propriétaire de la surface.
Je n’en dirai pas davantage, et j’attendrai les explications qui pourront être données.
M. Dubus. - Messieurs, tout en appuyant les observations présentées par l’honorable préopinant, j’en présenterai d’autres. Non seulement je m’opposerai à la disposition qui a fait l’objet des réflexions de cet honorable membre, mais je ne trouve pas qu’il soit convenable de méconnaître les droits du propriétaire de la surface, à moins qu’il ne justifie des moyens nécessaires pour entreprendre et conduire les travaux de la manière prescrite par la loi.
Cette restriction me paraît prêter à l’arbitraire et me semble inadmissible.
Toutes les fois que le propriétaire de la surface en possédera une étendue suffisante pour établir une exploitation régulière et profitable, il est certain qu’il trouvera des capitalistes qui lui fourniront les fonds nécessaires à l’entreprise, s’il ne les avait pas.
Il en est de ces entreprises comme de toutes les autres. Les capitaux abondent à la demande de celui qui veut entreprendre, et, maintenant moins que jamais, les capitaux ne manquent pas aux entreprises profitables : de sorte que cette disposition n’est mise là qu’afin de donner en quelque sorte un prétexte de plus pour méconnaître, en bien des circonstances, les droits du propriétaire. Si l’on reconnaît ce droit, d’une autre part on ouvre la porte à l’arbitraire, et on donne au conseil des mines le moyen de méconnaître le droit reconnu.
Je crois que l’on peut opposer à l’article 6 les motifs par lesquels le gouvernement l’a appuyé. Il est dit en effet dans l’exposé des motifs :
« Lorsque le propriétaire de la surface possède tous les moyens nécessaires pour exploiter d’une manière utile et conforme à l’intérêt général la mine qui se trouve dans son terrain, et qu’il veut le faire, il n’y a plus de raison pour accorder la concession à une autre personne. A différentes reprises l’ancien gouvernement s’est écarté, sans motif, de cette règle de justice et de convenance.
« L’art. 6 donne à cet égard l’assurance aux propriétaires de la surface que leurs droits seront respectés chaque fois qu’ils seront d’accord avec l’intérêt public. »
Eh bien, je crois que l’on peut dire avec assurance que si l’article passe comme il est rédigé, les propriétaires de la surface n’obtiendront aucune préférence, et que l’arbitraire le plus effrayant est ouvert pour donner les moyens de repousser leurs demandes.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je crois que si le conseil des mines voulait abuser des dispositions de cet article, il en aurait la faculté ; mais il est impossible, en matière de mines, d’empêcher toute espèce d’abus quand l’application de la loi sera faite par des personnes passionnées ou intéressées : c’est une chose qui est reconnue.
Dans l’exposé des motifs, on s’appuie sur ce que l’article 6 contient un principe fondamental en matière de concession, et, sur ce qu’il faut en laisser l’application à la bonne foi du conseil des mines : c’est ainsi qu’on peut comprendre que la rédaction de l’article est en harmonie avec l’exposé des motifs.
L’on a craint qu’en rédigeant une règle trop étroite le conseil des mines ne fût enchaîné contrairement à l’intérêt général, qui est toujours la base en matière de concession.
Au reste, messieurs, je pense, relativement aux observations faites par M. Raikem, qu’il n’y a pas de difficulté à supprimer dans le paragraphe 3 ces mots :
« Ou bien dans tous autres cas où des motifs d’équité ou des considérations d’intérêt général exigeraient d’accorder la concession à tous autres. »
Le paragraphe premier n’oblige pas d’une manière absolue d’accorder la concession aux propriétaires ; ils ne doivent l’obtenir que quand ils peuvent faire une bonne exploitation ; et hors le cas de concurrence avec un demandeur en extension, ou avec l’inventeur de la mine, il est assez difficile de prévoir que des considérations d’intérêt général exigeassent qu’on accordât la concession à d’autres qu’aux propriétaires, aux inventeurs, ou aux demandeurs en extension.
On peut faire droit à la demande faite par M. Raikem, sans craindre de trop resserrer le conseil des mines.
M. Raikem. - M. le ministre de l’intérieur vient de me donner apaisement, relativement aux observations que j’ai faites ; mais un honorable préopinant veut aussi faire disparaître de l’article ces mots :
« Le propriétaire de la surface aura la préférence s’il justifie des facultés nécessaires pour entreprendre et conduire les travaux de la manière prescrite par la loi. » Mais, de ce chef, je ne puis admettre la demande de l’honorable préopinant.
Mais, messieurs, une fois que le propriétaire justifie que les travaux seront bien conduits, qu’il y aura bonne exploitation, dès lors la disposition finale devient sans objet, comme l’a très bien fait remarquer M. le ministre de l’intérieur ; je demanderai donc la division.
J’ai déjà fait remarquer qu’il est bon qu’on puisse s’écarter de la règle qui accorde la préférence au propriétaire, pour donner l’exploitation à l’inventeur ou au demandeur en extension ; cela est en effet avantageux à l’industrie, car souvent l’exploitation qui serait opérée par le propriétaire serait plus restreinte, ne produirait pas des résultats aussi satisfaisants que celle qu’exécuterait l’inventeur on celui qui exploite déjà une mine adjacente
M. Fallon, rapporteur. - Messieurs, j’ai demandé la parole pour rendre compte à l’assemblée des motifs qui ont déterminé la commission à ne pas faire d’observations sur l’article 6, quoique je convienne qu’en examinant cet article de plus près, je l’ai trouvé susceptible d’être modifié.
La commission a cru que l’équité exige qu’on accorde la préférence pour la concession de la mine au propriétaire du sol, lorsqu’il justifie des moyens de diriger les tribunaux d’exploitation d’une manière bien régulière et profitable, mais que cependant, lorsque le propriétaire se trouve en concurrence avec l’inventeur ou avec un demandeur en extension, il peut aussi quelquefois être juste de donner la concession, soit à l’inventeur, soit au demandeur en concession, et que par conséquent le conseil doit avoir, dans ce cas, le libre choix de celui à qui il concédera l’exploitation.
Le premier paragraphe de l’art. 6 est ainsi conçu :
« Le propriétaire de la surface dont l’étendue est reconnue suffisante à l’exploitation régulière et profitable de la mine, obtiendra la préférence pour les concessions nouvelles, s’il justifie des facultés nécessaires pour entreprendre et conduire les travaux de la manière prescrite par la loi. »
Voilà une règle générale suivant laquelle, lorsque le propriétaire se trouve en concurrence avec un autre demandeur, il doit avoir la préférence si la concession qu’il demande a une étendue suffisante pour qu’il puisse établir une exploitation régulière et profitable. Il est de plus exigé dans ce paragraphe la justification à faire par le propriétaire qu’il possède les moyens nécessaires pour exploiter convenablement la mine ; cette précaution se trouvait dans la loi de 1810, et on a cru devoir également l’insérer dans le nouveau projet ; mais, messieurs, je ne vois pas qu’il soit bien nécessaire d’insister pour que cette condition soit exigée, et voici pourquoi : Tout acte de concession se fait d’après un cahier des charges, qui détermine de quelle manière les travaux de l’exploitation devront être dirigés, et il me semble qu’on peut s’en référer à cet égard aux précautions que le conseil des mines trouvera bon de prendre, et stipuler simplement que, si le concessionnaire ne se conforme pas aux conditions qui lui sont imposées par l’acte de concession, cette concession devient nulle.
Je pense donc qu’il est inutile d’insister pour que le propriétaire soit obligé de justifier qu’il a les moyens de conduire l’exploitation à bonne fin, moyens qu’il peut d’ailleurs acquérir après avoir obtenu la concession.
L’article dont il s’agit, porte ensuite :
« Il en sera de même si cette surface appartient à plusieurs propriétaires réunis en société et qui offriront les mêmes garanties. »
C’est-à-dire, des garanties de l’exploitation régulière et profitable de la mine.
Vient maintenant le paragraphe qui a été attaqué par l’honorable M. Raikem :
« Néanmoins, le gouvernement pourra, de l’avis du conseil des mines, s’écarter de cette règle dans les cas où les propriétaires de la surface se trouveraient en concurrence, soit avec l’inventeur, soit avec un demandeur en extension. »
M. Raikem reconnaît, je pense, qu’il peut y avoir des motifs d’équité pour donner la préférence à l’inventeur, qui aurait déjà fait de grands frais, ou au demandeur en extension qui aurait également fait des frais ; mais le paragraphe ajoute :
« Ou bien dans tous autres cas ou des motifs d’équité ou des considérations d’intérêt général exigeraient d’accorder la concession à tous autres. »
Je considère cette disposition finale comme destinée uniquement à rendre compte des motifs de l’exception, car ce n’est qu’en raison des motifs y mentionnés qu’on doit accorder la préférence à l’inventeur ou au demandeur en extension ; je crois donc que l’on pourrait sans inconvénient supprimer cette partie du paragraphe en question, et je ne m’opposerai pas à ce que l’article soit modifié dans ce sens.
M. Dubus. - Il me paraît qu’on est maintenant à peu près d’accord que le double retranchement qui a été proposé par l’honorable M. Raikem et pas moi ne présente pas d’inconvénient ; je dirai cependant quelques mots à l’appui de ma proposition. Je conçois que chaque propriétaire ne peut pas à lui seul créer les moyens d’exploiter la mine qui se trouve dans son terrain, et cela est d’autant plus impossible que les propriétés sont fort divisées en Belgique ; il faut que la propriété soit suffisamment étendue pour que les travaux puissent s’opérer d’une manière régulière et profitable ; il faut ou que cette étendue de propriété existe dans une même main, ou que différents propriétaires se réunissent pour l’exploitation, ou, enfin, que le propriétaire obtienne de ses voisins la permission d’exploiter sa mine dans l’étendue convenable ; et dans ces cas l’article reconnaît que la préférence est due au propriétaire, mais il apporte à ce principe une restriction qui me paraît tout à fait injuste, lorsqu’il exige, en outre, que le propriétaire justifie d’une fortune suffisante pour opérer l’exploitation de la mine, car est définitive, c’est bien là ce qui résulte de la rédaction de l’article. D’après l’explication qu’en a donnée un honorable préopinant, il semblerait que cet article n’astreigne le propriétaire à autre chose qu’à conduire les travaux de la manière prescrite par la loi ; mais il va de soi que tout concessionnaire devra conduire les travaux de la manière prescrite par la loi, et il n’est pas nécessaire de le rappeler par une disposition expresse.
Par la restriction que vous voulez introduire dans cet article, et qui ne concerne que le propriétaire, car vous ne l’introduisez pas pour les autres concessionnaires, vous placez le propriétaire dans une position exceptionnelle, vous ne demandez qu’à lui seul compte de sa fortune ; je trouve que c’est là une véritable injustice à l’égard du propriétaire, c’est une véritable inquisition. Dés que le propriétaire sera en mesure d’obtenir la concession, dés qu’il sera sous ce rapport placé sur la même ligne que les autres concessionnaires, il trouvera sans peine des ressources pour opérer l’exploitation, soit dans ses propres capitaux, soit dans ceux de ses amis ou des associés, et il n’est pas besoin de s’inquiéter à cet égard ; car, encore une fois, lorsqu’une entreprise est réellement profitable, les capitaux abondent ; on trouve alors dix capitaux pour un.
Il y a d’autant plus lieu à opérer le retranchement que j’ai demandé, qu’il s’agit d’une disposition qui ne se trouvait pas dans la loi de 1791, laquelle n’autorisait pas de semblables moyens d’inquisition.
Sans doute la loi établit des moyens de répression contre ceux qui s’écartent des conditions auxquelles ils ont obtenu une concession ? Eh bien, placez le propriétaire sur la même ligne que les autres propriétaires ; car, s’il y avait une exception à établir, ce devrait être en sa faveur, et non pas à son préjudice, puisque vous reconnaissez vous-mêmes qu’il mérite la préférence.
M. Raikem. - Messieurs, je répondrai d’abord quelques mots à l’honorable préopinant pour prouver que les mots : « S’il justifie des facultés nécessaires pour entreprendre et conduire les travaux de la manière prescrite par la loi, » doivent être conservés dans l’article. Ne placez pas, s’écrie-t-on, le propriétaire hors du droit commun ; mettez-le sur la même ligne que les autres demandeurs en concession. Mais, messieurs, il ne s’agit pas de placer le propriétaire hors du droit commun : d’après la loi de 1810, tout demandeur en concession doit justifier des moyens d’entreprendre, et de conduire les travaux de la manière prescrite par la loi. Voici ce que dit l’art. 14 de la loi de 1810 : (L’orateur donne lecture de l’article.)
Eh bien, je trouve cette disposition de la loi du 21 avril 1810 appliquée par l’art. 6 aux propriétaires de la surface. Je crois que ces observations suffisent pour justifier ce que j’ai avancé.
J’en viens à faire une observation sur la dernière disposition de l’art. 6 ; et cette observation se rapporte à un usage suivi dans le pays de Liége. Là le propriétaire, lorsqu’il aliénait sa propriété, se réservait souvent les mines qui sont dans le fond.
Ces propriétaires qui se sont réservé les mines ont incontestablement des droits préférables à ceux des propriétaires de la surface. Je crois qu’on devrait leur appliquer la dernière disposition de l’article ; et on pourrait le faire, en retranchant le mot « substitué, » et en disant : « Celui qui se trouve aux droits du propriétaire de la surface, quant à la mine, jouira de la préférence accordée à celui-ci par le présent article. »
Je fais cette proposition pour prévoir le cas que j’ai énoncé, où le propriétaire de la surface ne doit pas avoir la préférence pour la propriété de la mine.
Je bornerai là mes observations.
M. Gendebien. - Dès les premiers jours de la discussion générale, je n’ai accepté en aucune façon la solidarité ni la responsabilité de ce qui est dit dans le rapport. J’ai expliqué comment il avait été fait. Je lis dans le rapport que les articles 3, 4, 5 et 6 ont été adoptés sans partage. Cela n’est pas exact. Je le démontrerai, quand nous serons arrivés à ces articles.
Quand à l’art. 6 j’ai aussi élevé plusieurs objections. Je ne verrais pas de bien graves inconvénients à son adoption, si mon système avait été adopté sur l’art. 1er, si on avait renvoyé toutes ces questions qui touchent de si près à la propriété, aux tribunaux qui sont appelés par la constitution à juger tous les droits civils, tous les droits de propriété. Mais maintenant que vous avez substitue l’arbitraire à cette garantie constitutionnelle ; maintenant que vous avez saisi de ces affaires le pouvoir administratif, j’admets entièrement les observations des honorables MM. Raikem et Dubus. Aujourd’hui que les concessions sont livrées au caprice et à l’arbitraire, comme elles l’étaient sous l’empire et sous le roi Guillaume, je ne puis admettre une disposition qui fait revivre ce régime de bon plaisir.
L’honorable M. Dubus vous a fait remarquer qu’on ne peut exiger du propriétaire de la surface la justification des moyens d’exploiter. Dans le fait, je ne comprends pas en quoi il pourrait être utile que le propriétaire de la surface justifiât des moyens. Par le fait qu’il est propriétaire, il présente toutes les garanties nécessaires. On pourrait peut-être, dans le sens des observations de M. Raikem, exiger que le propriétaire justifiât qu’il n’a pas aliéné, soit directement, soit indirectement, sa propriété. Je dis « indirectement, » car si un propriétaire a grevé par hypothèque sa propriété d’une somme égale ou supérieure à sa valeur, il est certain qu’il ne présente pas plus de garanties que tout autre demandeur en concession. Mais on pourrait amender l’article en ce sens. Autrement je me joins aux observations de M. Dubus.
M. Raikem a dit que ce n’était pas mettre le propriétaire en dehors du droit commun que de le soumettre aux investigations dont se plaint M. Dubus ; qu’au contraire, dans le droit commun, le propriétaire de la surface devait être soumis comme un autre à l’investigation du gouvernement, quant aux conditions de solvabilité et à la justification des moyens d’exploitation. Il a cité à cet égard les articles 13 et 14. Je crois que ce n’étaient pas ces articles qu’il fallait citer, mais l’art. 5 de la loi de 1791. En effet, dans notre nouvelle loi, nous revenons au système de 1791, dont l’art 3 est ainsi conçu :
« Les propriétaires de la surface auront toujours la préférence et la liberté d’exploiter les mines qui pourraient se trouver dans leur fonds, et la permission ne pourra leur en être refusée, lorsqu’ils la demanderont. »
Voilà, messieurs, le droit commun à l’égard des propriétaires de la surface, dès l’instant qu’on les appelle à la préférence. Ce n’est pas dans la loi de 1810 qu’on peut trouver le droit commun à leur égard, puisque cette loi, ne leur reconnaissant aucun droit, n’avait pas à s’occuper des conditions de l’exercice de ce droit.
(L’orateur lit aussi l’art. 4 de la loi de 1791.)
Ainsi, vous voyez que, d’après la loi de 1791, le propriétaire de la surface est préféré, et qu’il n’a à respecter que les droits des anciens concessionnaires exploitant au moment de la publication de cette loi.
Maintenant, si vous jetez les yeux sur les articles 13 et 14, vous verrez que dans le système de la loi de 1810 cette précaution était nécessaire.
Ces articles portent :
« Tout Français ou étranger naturalisé ou non… »
(Ici l’orateur lit les articles 13 et 14.)
Vous voyez qu’on admet à la concession même les étrangers naturalisés ou non. Il était tout naturel d’exiger des étrangers la preuve des moyens d’exploitation pour éviter qu’ils ne sollicitassent et n’obtinssent du gouvernement des concessions que dans un but d’agiotage. Mais si on retranche de l’article 13 les étrangers, je ne comprends pas pourquoi on exigerait des autres concessionnaires la justification des moyens d’exploitation. Car, qui a plus d’intérêt que le concessionnaire à faire les frais de l’exploitation ? Il a dû faire des frais pour la recherche et les études préliminaires pour lever des plans, pour faire les publications, pour solliciter la demande de concession ; pour remplir, en un mot, toutes les nombreuses formalités administratives. Il est impossible, à moins de le supposer fou, de croire qu’il aura fait des démarches et des frais pour obtenir une concession, pour ensuite ne pas en tirer parti.
Quant aux propriétaires, ces articles leur étaient sans doute applicables, parce qu’ils étaient, quant à la libre disposition des mines, dans la même position que les autres citoyens. Cependant on ne peut disconvenir que cette disposition était exorbitante et qu’elle doit disparaître dès lors qu’on déroge, quant à eux, aux articles 13 et 14 pour revenir aux principes de la loi de 1791.
J’appuie les observations de MM. Raikem et Dubus.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Il ne faut pas perdre de vue que ce qui rend d’une grande utilité la disposition de l’art. 6 tendant à exiger que le propriétaire de la surface justifie des facultés nécessaires pour entreprendre et conduire les travaux de la manière prescrite par la loi, c’est la difficulté de révoquer les concessions, dans le cas où le concessionnaire n’exécuterait pas les conditions du cahier des charges, et que l’on s’expose à devoir entrer dans des procès, à moins que l’on ne déclare que le gouvernement, sur l’avis du conseil des mines pourra révoquer une concession accordée, si l’on ne s’est pas conformé au cahier des charges.
Si l’on admet ceci, je ne vois pas la moindre difficulté au retranchement de la disposition. Mais si on ne l’admet pas, il est indispensable de maintenir la disposition de l’art. 6.
Comme l’a fort bien dit l’honorable M. Raikem, il ne s’agit que d’arriver à l’exécution de la loi du 21 avril 1810. Or, d’après cette loi, pour obtenir la concession, que l’on fût propriétaire on non, il fallait justifier des moyens d’exploitation. Je ne pense pas qu’on abuse de cette disposition de la loi : elle tend à faire écarter les demandes qui n’auraient pour objet que de tracasser et d’empêcher un autre d’obtenir une concession.
M. Fallon, rapporteur. - J’ai demandé la parole pour répondre à la demande que M. Raikem a adressée à la commission, pour savoir si elle tenait à conserver dans le dernier paragraphe de l’article le mot « substitué. » La commission a adopté la disposition telle qu’elle a été proposée par le gouvernement, parce qu’elle n’y a pas attaché d’importance. Mais je crois qu’il vaut mieux retrancher le mot « substitué. »
M. Desmanet de Biesme. - Dans le cas où la chambre croirait devoir adopter l’amendement de M. Dubus, je crois qu’alors M. le ministre de l’intérieur devrait présenter un projet de loi sur les déchéances en matière de concessions ; car, dans la situation actuelle, le gouvernement est sans pouvoir pour faire déclarer un concessionnaire déchu d’une concession. Il faudrait cependant que le gouvernement eût ce pouvoir, pour le cas où un concessionnaire n’aurait en vue que les travaux de l’industrie.
M. Dubus. - Je dois répondre à l’objection présentée par l’honorable préopinant et par M. le ministre de l’intérieur. On signale une espèce de lacune dans la loi, consistant en ce que le gouvernement n’a pas le pouvoir de faire déclarer déchu de la concession le concessionnaire qui n’exécute pas les conditions du cahier des charges. Et pour cela il faut que le propriétaire de la surface justifie des facultés nécessaires pour entreprendre et conduire les travaux de la manière prescrite par la loi. Assurément, cela ne comble pas la lacune qu’on a indiquée. Car à quoi aboutit cette justification ? Je suppose qu’un concessionnaire l’ait fournie, et que cependant il n’exécute pas les conditions du cahier des charges : je demande ce que l’on fera. Quelle garantie aurez-vous que ces prétendues conditions seront exécutées ? Aucune. Ce n’est donc pas un argument sérieux que celui-là. De là il ne résulte qu’une chose : une espèce de loi de privilège, et un privilège pour le riche ; car celui qui ne sera pas riche aura seul des investigations à subir.
Avant qu’on aille aux voix sur l’article 6, j’ai une autre observation à faire sur l’avant-dernier paragraphe. Je ne demande pas qu’il soit modifié. Mais je prie la chambre de remarquer qu’au fond la question est la même ici qu’à l’art. 4.
Ici la chambre s’apercevra qu’en définitive, quoique les droits du propriétaire soient les plus positifs, l’inventeur lui est en quelque sorte préféré. Lorsqu’il s’agit du propriétaire, la loi fixe un maximum à une quotité tellement minime que la plupart du temps il ne se paie pas. C’est que ce n’est pas la peine ni de le payer ni de le recevoir. Mais lorsqu’il s’agit de l’inventeur, la commission peut donner une indemnité considérable calculée sur l’importance de la concession. Je ne demande pas que l’on modifie cette disposition. Mais je voudrais que l’on mît en harmonie avec elle la disposition de l’art. 4, relative à l’indemnité à accorder aux propriétaires dont les droits ne sont pas assurément moins sacrés que ceux de l’inventeur.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’honorable préopinant a fait observer que de ce qu’un concessionnaire aurait justifié des moyens d’exploitation, il ne s’ensuivra pas nécessairement qu’il exploite la concession. Dans ce cas vous conviendrez qu’il est impossible, sinon par la déchéance, de prévenir l’inaction du concessionnaire.
Mais lorsque d’avance on sait que celui à qui on accorde la préférence n’a aucuns moyens d’exploitation, pourquoi exposer le gouvernement à intenter un procès toujours long ? Car s’il faut recourir aux voies judiciaires, un tel procès ne sera vidé avant 10 ou 15 ans peut-être. Je pense donc qu’il y a intérêt à conserver cette disposition dans la loi.
Je conviens qu’à la rigueur ce sera une porte ouverte aux abus. Mais je demande si ce système d’excessive défiance ne paralysera pas l’exécution de la loi. C’est ce que je redoute. Je crains plus des entraves à l’exécution de la loi que des abus de confiance de la part du conseil des mines.
M. Desmanet de Biesme. - Je pense que je n’ai pas été parfaitement compris par l’honorable M. Dubus, peut-être parce que je ne me suis pas très bien expliqué. Loin de combattre l’amendement de M. Dubus, je l’ai appuyé. J’ai seulement fait observer que s’il était adopté, il faudrait une loi pour que la déchéance des concessionnaires pût être prononcée. Je pense même que dans tous les cas cette loi serait nécessaire. Car si des propriétaires qui ont obtenu une concession ne font pas les travaux ou les font mal, il ne faut pas que le gouvernement soit sans action pour pouvoir faire exploiter ces mines, il ne faut pas que ces richesses soient perdues pour l’industrie.
M. Jullien. - Ceux qui voudront se reporter à la discussion qui a eu lieu à l’assemblée constituante sur les mines pourront s’assurer que le principe qu’elle a adopté était celui-ci : que les mines ne devenaient la propriété de l’Etat et ne tombaient dans le domaine public que là où le propriétaire ne pouvait ou ne voulait les exploiter. S’il ne le pouvait ou ne le voulait, alors dans une vue d’intérêt général, il est incontestable que le gouvernement avait le droit de concéder l’exploitation de ces mines, pour donner à l’industrie les moyens de faire aller les manufactures. Car si tous les propriétaires de mines de charbon ne pouvaient ou ne voulaient exploiter les mines, ce serait un obstacle au développement des manufactures et de l’industrie nationale.
Il en est de même d’une infinité de choses. Ainsi un propriétaire de marais s’opposerait vainement à ce qu’on le desséchât. Il aurait beau dire : « Je ne veux pas, » que dans l’intérêt de la salubrité et pour rendre à la culture des terrains improductifs, on dessécherait un marais situé dans sa propriété.
Si nous appliquons ces principes à l’article en discussion, nous verrons que nous devons adopter les observations de MM. Dubus et Gendebien.
On reconnaît ce principe que « le propriétaire de la surface dont l’étendue est reconnue suffisante à l’exploitation régulière et profitable de la mine, obtiendra la préférence pour les concessions nouvelles, s’il justifie des facultés nécessaires pour entreprendre et conduire les travaux de la manière prescrite par la loi. »
Vous voyez qu’il doit justifier des moyens d’exploitation. Mais il faut en outre être propriétaire d’une surface reconnue suffisante pour une exploitation régulière et profitable. Sans doute, c’est la meilleure garantie que l’on puisse demander à un propriétaire. Mais quelle surface est nécessaire pour une exploitation régulière et profitable ? Il ne faut pas moins pour cela de 260 à 300 hectares. (Dénégations.)
Messieurs, c’est M. Pirmez qui est mon auteur. (Hilarité.)
J’avais accueilli son renseignement, croyant puiser à sa source. Mais je suppose que, pour une exploitation profitable et régulière, il faille une moindre étendue de terrain, il faudra toujours une exploitation importante. Car, il a été reconnu dans cette discussion qu’il était impossible à un petit propriétaire d’entreprendre les travaux d’extraction de la mine, sans dépenser 10 ou 20 fois la valeur du terrain. Mais ceux qui ne peuvent exploiter seuls par eux-mêmes peuvent s’associer pour l’exploitation. La concession est due alors au propriétaire ou à l’association de propriétaires. Mais on n’a pas le droit de leur demander de justifier de leurs ressources. D’ailleurs, je ne sais trop comment cette justification se ferait, car on a vu des personnes justifiant de grandes ressources, n’ayant cependant pas le moyen de mettre les travaux à fin. On en a cité plusieurs exemples dans cette discussion.
Je n’ai pas pensé non plus ni trouvé juste, toujours d’après le même principe que le propriétaire de la superficie est propriétaire des mines, qu’on accordât pour la concession la préférence à l’inventeur sur le propriétaire qui veut et peut exploiter sa mine. Où trouvez-vous une raison pour donner à l’inventeur une préférence sur le propriétaire qui justifiera des ressources qu’il a et qui sont suffisantes pour assurer l’exploitation régulière et profitable ? Comment, dis-je, pouvez-vous accorder cette préférence à l’inventeur ? Mais après tout, quel est l’inventeur ? Dans la loi sur les mines, vous avez une disposition qui ne permet pas de fouiller dans le terrain d’autrui pour découvrir des mines, sans la permission du propriétaire.
Le propriétaire donnera la permission de fouiller sa propriété pour voir si elle ne recèle pas de mines et parce que, par sa bonne volonté, un individu aura découvert que dans le fonds de ce propriétaire, il peut y avoir une mine, il viendra à titre d’inventeur lui enlever le bénéfice qu’on peut tirer de sa propriété.
Je ne vois là aucune espèce de justice. Je voudrais qu’on laissât les propriétaires et les associations de petits propriétaires libres et maîtres de faire exploiter les mines qui se trouvent dans leur propriété, et que jamais on ne donnât la préférence à l’inventeur sur le propriétaire qui veut et peut exploiter sa mine.
Voilà mon opinion.
M. Pirmez. - On a demandé de combien d’hectares devait se composer une concession. Cela n’est pas réglé, mais d’après des ingénieurs je crois qu’on n’accorderait pas de concession de moins de 200 hectares. C’est une opinion très contestable.
M. Gendebien. - Je ne puis pas partager l’opinion de M. Jullien. Il est certain qu’on ne saurait trop encourager la recherche des mines. La mine non découverte est improductive, est inutile pour tous, tandis que la mine découverte et exploitée est une source de fortune pour la généralité, alors même qu’elle n’est profitable ni à l’inventeur ni à l’exploitant. Il faut donc encourager les recherches. Or, si vous ne donnez pas la préférence à l’inventeur, il ne fera pas de recherche ; il ne se donnera pas la peine de faire des recherches s’il a la certitude que quand il aura découvert une mine, on donnera de préférence la concession au propriétaire pour l’exploiter. Il n’y aurait nul inconvénient à accorder la concession de préférence à l’inventeur si on avait admis le système que j’avais proposé, qui était de soumettre toutes les questions de mines aux tribunaux.
L’honorable M. Jullien craint que l’inventeur en concurrence avec le propriétaire n’obtienne la préférence auprès du gouvernement, et que son invention ne soit que chimérique, ne soit qu’un prétexte à une faveur gouvernementale. Cela peut être ; c’est aussi une des raisons que j’ai invoquées pour demander le renvoi de toutes ces questions devant les tribunaux. Les tribunaux auraient jugé ces questions comme ils jugent toutes celles qui touchent à la propriété.
Il peut sans doute se présenter de très graves inconvénients à mettre en concurrence avec le propriétaire de la surface, alors que le pouvoir administratif doit prononcer et peut le faire arbitrairement, sans appel, sans recours à aucune autorité quelconque. L’honorable M. Jullien a raison.
Mais qu’on revienne à l’autorité judiciaire, et ces inconvénients disparaîtront, et on tirera un immense avantage de la disposition proposée par la commission. Le gouvernement encouragera les inventeurs en leur donnant la préférence, et les tribunaux tempéreront l’ardeur trop grande du favoritisme gouvernemental.
M. le président. - Je vais mettre aux voix l’article paragraphe par paragraphe avec les amendements qui s’y rapportent.
- Les deux premiers paragraphes sont adoptés tels qu’ils sont proposés par le gouvernement et la commission.
Le troisième paragraphe est ensuite adopté avec l’amendement de M. Jullien consistant à retrancher les mots : « ou bien dans tous autres cas où des motifs d’équité ou des considérations d’intérêt général exigeraient d’accorder la concession à tous autres.
Le quatrième paragraphe est adopté tel qu’il est proposé.
Le dernier paragraphe est adopté moins le mot « substitué, » dont le retranchement a été demandé par M. Raikem.
L’ensemble de l’article ainsi amendé est ensuite adopté.
M. le président. - L’article 7, présenté par la commission, est ainsi conçu :
« Sur la proposition du conseil des mines, et après avoir procédé aux enquêtes et aux autres formalités prescrites par les lois en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique, le gouvernement pourra déclarer qu’il y a utilité publique et établir des communications dans l’intérêt d’une exploitation de mines.
« Dans ce cas, on suivra, pour l’indemnité, l’art. 44 de la loi du 21 avril 1810.
« Lorsque les biens ou leurs dépendances seront occupés par leurs propriétaires, les tribunaux pourront prendre cette circonstance en considération pour la fixation des indemnités. »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, il est important de remarquer qu’il n’y a aucune loi qui, dans des circonstances semblables, prescrive une enquête. L’enquête n’est prescrite que pour les concessions de péages sur les chemins, sur les ponts et pour d’autres objets de même nature. Il s’ensuivrait donc que la rédaction de la commission est inapplicable puisqu’elle suppose une loi qui n’existe pas.
Si l’on exigeait une enquête pour l’ouverture d’un chemin dans les cas prévus, il faudrait une disposition spéciale ; mais, je le répète, l’article tel qu’il est formule est inexécutable.
M. Dubus. - Cet article me paraît d’une grande importance. La modification à laquelle le ministre s’oppose a été jugée nécessaire par la commission à l’unanimité ; il serait étonnant qu’elle pût être écartée. Je désire connaître les motifs pour lesquels la commission a cru devoir admettre cette modification. Je dirai, pour mon compte, que l’article me paraît très large, et mettre toutes les propriétés privées à la merci du gouvernement, sans garanties. Je ne sais pas si nous ferons sagement de n’exiger aucune garantie. La commission veut en donner ; M. le ministre de l’intérieur n’en veut pas.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je n’ai pas dit cela, j’ai dit que l’article était inexécutable.
M. Dubus. - J’espère que les membres de la commission s’expliqueront.
M. Fallon, rapporteur. - Voici les motifs qui ont porté la commission à présenter la modification à laquelle s’oppose le ministre de l’intérieur et qui commence l’article.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ne m’y oppose pas ; j’ai fait observer qu’elle était inexécutable.
M. Fallon, rapporteur. - Dans une concession de mines, il s’agit bien là de l’objet d’une concession toute particulière. Or, nous avons des lois, je pense, qui ont établi les mêmes formalisés que présente la constitution, lorsqu’il s’agit d’une concession faite à un particulier ou à une société, c’est-à-dire, qui demande une enquête avant que le gouvernement déclare l’utilité publique de construire une nouvelle voie de communication et fasse procéder à l’expropriation ; eh bien la commission croit que les mêmes règles doivent être suivies pour les expropriations qu’exigeraient les mines, à cause des nouvelles voies de communication qui leur seraient indispensables.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - La loi du 8 mars 1810 dit que l’utilité publique résulte du décret de l’empereur dans lequel elle est déclarée ; c’est après une telle déclaration qu’il y a des formalités à observer pour se mettre en possession des propriétés. Ainsi il serait inexact de dire que le gouvernement déclare l’utilité publique en vertu des lois, ou après avoir rempli les formalités voulues par les lois : mais pour lever cette difficulté, je proposerai la rédaction suivante :
« La déclaration d’utilité publique sera précédée d’une enquête.
« Les formalités prescrites par les lois en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique seront observées. »
M. Pirmez. - Je n’ai pas vu, dans l’exposé des motifs, les raisons pour lesquelles il fallait, dans ce cas-ci, sortir des règles de l’expropriation forcée. Que veut-on ? Ouvrir à la mine un chemin pour arriver sur la route, c’est-à-dire lui donner le moyen de sortir de l’enclave où elle est ? Mais elle a le droit de sortir de son enclave. L’article est inutile sous ce rapport.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Par quel chemin faites-vous sortir la mine ?
M. Pirmez. - Elle sort de l’enclave par sa propriété, pour aller jusqu’au premier chemin : on ne lui a jamais contesté ce droit. Mais ce que l’on demande ici ce n’est pas de sortir de l’enclave, c’est de faire pour cette mine un chemin a travers toutes les propriétés pour arriver à un canal, à une grande route, à un chemin de fer. Dans ce cas, le ministre veut-il une enquête ?
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Oui ! oui !
M. Pirmez. - Alors je n’ai plus rien à dire. Cependant, dans ce cas comme dans l’autre, l’article est inutile, puisqu’il dira que l’on suivra une loi. En effet, pour prononcer sur les causes d’utilité publique, on n’a pas besoin de nouvelles dispositions ; celles qui existent suffisent. S’il y a utilité publique dans le cas dont nous nous occupons, eh bien, que l’on exproprie suivant les lois ; rien n’est plus simple. L’article est donc inutile.
Il faut laisser les choses telles qu’elles sont et rejeter l’art. 7.
M. Gendebien. - L’intention de la commission a été de donner au propriétaire de la surface des garanties contre l’abus du droit d’expropriation ; abus qui, selon moi, ne peuvent se réaliser, eu égard aux conditions onéreuses de cette espèce d’expropriation.
Dans l’intention de la commission, je pense, ce sont les enquêtes exigées par la loi de concession et de péages qu’elle a prescrites dans son amendement. La proposition du ministre, qui tend au même but, a l’avantage de faire disparaître le vague de l’art. 7, et sous ce rapport je l’adopte.
M. Pirmez vous a dit que le gouvernement pouvant toujours ordonner l’expropriation pour cause d’utilité publique, l’article proposé est inutile et doit être supprimé.
J’admets l’observation de M. Pirmez, mais je ne puis admettre la conséquence qu’il en tire ; car il s’est élevé des doutes sur le point de savoir si le gouvernement pouvait ordonner pareille expropriation.
Il faudrait, d’après les observations très judicieuses de M. Pirmez, retrancher de l’art. 7 le deuxième paragraphe : « Dans ce cas, on suivra pour l’indemnité l’art. 44 de la loi du 21 avril 1810» ; car dès l’instant qu’il y a utilité publique à autoriser l’expropriation, il ne faut pas faire payer les terrains expropriés au double de la valeur, il faut rester dans les termes généraux du droit commun, qui n’exige que l’indemnité de la valeur simple de tous les concessionnaires de routes, canaux et autres entreprises d’utilité publique.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Ainsi que je viens de le dire, je n’ai jamais été opposé à ce qu’on établît une enquête sur cet objet. J’avais même l’intention de l’établir par voie administrative, de même que je l’ai proposé au Roi en 1832 pour l’ouverture des routes, alors que l’enquête n’est prescrite par la loi que quand il s’agit d’une concession de péages. C’est la preuve que je désire éviter toute espèce de surprise. Mais j’ai dit que la proposition de la commission reposait sur une erreur, parce qu’elle suppose des dispositions qui exigent une enquête avant la déclaration d’utilité publique, dispositions qui n’existent pas.
On sait qu’aux termes du code civil un propriétaire peut demander un passage pour profiter de sa propriété, lorsqu’il y a enclave. Mais ici ce n’est pas le cas. On ne suppose pas qu’un propriétaire de mines soit enclavé, mais que, pour le transport de la mine, il lui soit plus utile d’avoir un chemin plus direct vers un canal ou un chemin de fer.
L’honorable M. Gendebien voudrait que, dans ce cas, l’on s’en tînt à l’indemnité stipulée dans les cas ordinaires d’expropriation pour cause d’utilité publique. Je ne pense pas qu’il puisse en être ainsi. En effet, la loi du 21 avril 1810 accorde toujours le double de la valeur des terrains, lorsqu’ils sont occupés dans l’intérêt d’une exploitation de mines. Or, c’est véritablement le cas. Il s’agit d’occuper une propriété privée dans l’intérêt d’une exploitation de mines. Il faut rester conséquent avec les principes de la loi de 1810 ; et accorder au propriétaire obligé de céder sa propriété une indemnité double de la valeur.
Je pense donc que cette disposition ne peut être sérieusement contestée.
M. Pirmez. - L’honorable M. Gendebien n’a accepté qu’une partie de la proposition que j’avais faite. J’ai proposé de retrancher tout l’article comme inutile et parce qu’il tend à changer les idées que l’on a ordinairement sur l’utilité publique. Jusqu’à présent on n’a pas accordé à des exploitants de mines et minières le droit de faire des chemins, sinon pour sortir de l’enclave. Maintenant cet article autoriserait le gouvernement à changer ce mode d’agir. Armé de cette disposition législative, le gouvernement pourrait couper les propriétés en faveur des houillères comme bon lui semblerait, parce que les idées d’utilité publique seraient modifiées par cet article : jusqu’à présent cela n’a pas eu lieu. Déjà on a prétendu faire de tels chemins mais la cour de Bruxelles a rendu là-dessus un arrêt très remarquable.
Je crois donc que si on veut accepter ma proposition, il faut l’accepter tout entière, et retrancher non pas un paragraphe comme le propose M. Gendebien, mais l’article tout entier.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ne ferai qu’une seule observation, c’est que dans mon opinion cette disposition est fort utile en ce qu’elle tend à maintenir l’équilibre et la concurrence entre les diverses exploitations de mines. Je crois même que, sous ce rapport, il serait difficile d’introduire dans la loi une disposition plus utile.
M. Fallon. - L’honorable M. Pirmez reproche à l’article du projet de changer les idées qu’on avait jusqu’à présent sur les expropriations pour cause d’utilité publique. Si cet honorable membre veut faire attention aux clauses des concessions de mines, il verra au contraire que nous ne faisons que demander l’application aux concessions de mines des moyens accordés au gouvernement dans tous les cas d’utilité publique. Pourquoi concède-t-on les mines ? Par motif d’utilité publique, pour pouvoir livrer à la consommation, à l’industrie les richesses enfouies sous le sol. Pour qu’une exploitation puisse soutenir la concurrence avec d’autres, il importe de lui donner les moyens de communiquer avec un canal, avec une grande route, avec un chemin de fer. Il y a encore là motif d’utilité publique. Dès lors vous devez déclarer applicables aux concessions des mines les moyens d’expropriation pour utilité publique que vous avez admis dans d’autres cas.
M. Jullien. - Il me semble, ainsi qu’à l’honorable M. Pirmez, que l’article du projet donne une extension très large au principe qui permet au gouvernement d exproprier pour cause d’utilité publique.
Dans le principe, le droit d’expropriation admis par l’assemblée législative, en France, était restreint au cas de nécessité publique ; c’était le terme de la loi, c’est-à-dire qu’on ne pouvait exproprier que pour la défense du pays. Dans le code civil, on a substitué à cette expression celle de « utilité publique, » pour appliquer le droit d’expropriation à l’ouverture de routes et de canaux ; ce qui doit être considéré comme des cas d’utilité publique. C’est encore donner de l’extension au principe qui permet de sacrifier à l’intérêt général les propriétés particulières.
Mais maintenant que propose-t-on ? On vous propose de donner aux exploitants des mines de charbons les moyens d’exproprier des propriétés particulières pour établir dans l’intérêt de ces exploitations des communications plus faciles. Mais y a-t-il là intérêt général, utilité publique ? En vérité, si vous admettez une telle extension au droit d’expropriation forcée des propriétés particulières, je ne sais plus où ce droit s’arrêtera.
On dit qu’on ne veut pas donner d’extension aux cas prévus par l’art. 44 de la loi du 21 avril 1830. Mais ce ne sont pas là les cas prévus par cet article de la loi. Je vais le prouver en en donnant lecture. Il est ainsi conçu :
« Art. 44. Lorsque l’occupation des terrains pour la recherche ou les travaux des mines prive les propriétaires du sol de la jouissance du revenu au-delà du temps d’une année, ou lorsqu’après les travaux, les terrains ne sont plus propres à la culture, on pourra exiger des propriétaires des mines l’acquisition des terrains à l’usage de l’exploitation. Si le propriétaire de la surface le requiert, les pièces de terre trop endommagées ou dégradées sur une trop grande partie de leur surface devront être achetées en totalité par le propriétaire de la mine.
« L’évaluation des propriétés se fera, quant au mode, suivant les règlements établis par la loi du 16 septembre 1807 sur le desséchement des marais. Mais les terrains à acquérir seront toujours estimés au double de la valeur qu’ils avaient avant l’exploitation de la mine. »
Vous voyez qu’il s’agit de terrains rendus impropres à la culture pendant plus d’une année. Dans ce cas le concessionnaire est obligé d’acquérir les terrains au double de la valeur. Ce n’est là que justice. Ce n’est pas ce dont il s’agit dans l’article du projet. Je crois qu’il y a lieu de le rejeter.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, l’honorable préopinant ne demande pas que l’on abolisse l’article 44 de la loi du 21 avril 1810, ni les autres articles qui autorisent l’exploitant des mines à occuper la propriété d’autrui pour des travaux d’exploitation ; en ce cas il veut que la propriété privée soit cédée, en vue de l’utilité publique de l’exploitation.
Messieurs, à quoi servirait d’obtenir une concession de mines, de faire de grands travaux, s’il n’est pas possible à l’exploitant de soutenir la concurrence avec les autres propriétaires de mines ? et c’est cependant ce qui va arriver très fréquemment.
L’on a déjà établi plusieurs chemins de fer ; ceux qui se trouvent à proximité de ces chemins peuvent livrer le produit de leurs mines à un prix beaucoup plus bas que les propriétaires dont les mines en sont éloignées.
Eh bien, si vous voulez que ces derniers puissent soutenir la concurrence avec les autres exploitants, il faut bien que le gouvernement après avoir constaté les faits, puisse permettre aux premiers d’ouvrir un passage sur les propriétés de leurs voisins ; c’est la une conséquence directe, en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique.
Je n’hésite pas à dire que c’est une des dispositions les plus utiles dans l’intérêt des exploitations.
M. F. de Mérode. - Je ne puis qu’appuyer les observations présentées par l’honorable M. Jullien. Je ne m’oppose pas aux expropriations pour cause d’utilité publique, lorsqu’il y a réellement utilité publique dans un sens large. Ainsi, par exemple, s’il s’agit d’un canal, comme celui de Charleroy à Bruxelles, d’un chemin de fer, comme celui de Bruxelles à Anvers, je conçois que l’on procède à des expropriations pour cause d’utilité publique.
Mais je ne puis être d’accord avec M. le ministre de l'intérieur, quand il applique cette cause d’utilité publique à des entreprises qui concernent plus particulièrement l’intérêt privé.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, il n’y a pas lieu de craindre que la disposition dont il s’agit puisse être étendue aux usines et à d’autres établissement industriels, puisque le siège de ces établissements n’est pas obligé, comme celui de l’exploitation d’une mine, que l’on ne peut pas déplacer ; et il ne faut pas non plus croire que, parce que cet article se trouverait dans la loi, le gouvernement autoriserait tout propriétaire à faire des chemins à travers les propriétés de ses voisins ; ce n’est pas ainsi que la loi sera appliquée. Quand il s’agira d’exproprier quelqu’un dans l’intérêt de l’exploitation d’une mine, on établira d’abord une enquête, où les parties seront entendues ; on prendra en considération l’importance de l’exploitation et l’importance de l’expropriation, et, après avoir bien mûrement tout pesé, et avoir pris l’avis du conseil des mines, le gouvernement prononcera. Il ne sera donc fait aucun abus de l’article dont il s’agit, et qui n’est destiné qu’à combler une lacune que présente notre législation.
M. F. de Mérode. - Malgré les observations que vient de présenter M. le ministre de l'intérieur, il n’en est pas moins vrai, messieurs, que, si l’on peut considérer comme un objet d’utilité publique l’exploitation des mines, on peut envisager de la même manière d’autres exploitations, celle des carrières, par exemple ; car, dans les pays où les pierres sont rares, les carrières sont aussi extrêmement utiles. Si donc deux carrières sont placées l’une près d’une route et l’autre loin de toute voie de communication, il s’en suivra que pour rendre l’exploitation de la dernière aussi avantageuse que celle de l’autre, pour maintenir, comme on dit, l’équilibre entre les exploitations, l’on pourra de suite établir un chemin et exproprier à cet effet une foule de propriétaires.
M. le ministre de l’intérieur a dit que l’on place les usines où l’on veut et qu’il faut exploiter les mines où elles se trouvent ; mais les carrières ne peuvent pas non plus se transporter, il faut également les exploiter la où elles se trouvent ; ce qui est applicable aux mines l’est donc aussi aux carrières.
Il me semble, messieurs, que l’on étend beaucoup trop la signification des mots : « utilité publique. » C’est pourquoi je voterai contre l’article en discussion.
M. Gendebien. - Messieurs, il me reste bien peu de chose à dire, mais je dois ramener l’attention de la chambre au point d’où nous sommes partis dans la discussion de l’article dont il s’agit.
L’honorable M. Pirmez a soutenu que l’article est inutile, parce que, quand il s’agit d’utilité publique, le gouvernement peut toujours la déclarer et ordonner l’expropriation. Je ferai d’abord remarquer à l’honorable membre qu’il s’agit de stipuler que l’exploitant devra payer aux propriétaires la double valeur des propriétés dont il aura besoin pour son exploitation, obligation qu’on ne pourrait pas lui imposer, si elle n’était prescrite par la loi.
Puisque l’honorable préopinant a reconnu au gouvernement le droit de proclamer l’utilité publique, je ne conçois plus quel inconvénient il peut trouver dans l’article auquel il s’oppose, car dans son système même la loi fait une faveur, un véritable don aux propriétaires, et elle n’a pas même d’autre but d’utilité. Il est certain, d’ailleurs, que l’exploitant n’usera qu’à la dernière extrémité de la faculté de demander l’expropriation, puisqu’il devra payer la double valeur de ces propriétés, double valeur qui est souvent la triple et la quadruple valeur. Car toutes les expropriations qui sont faites pour le compte du gouvernement, et dont les évaluations ne doivent être qu’à la simple valeur, sont faites souvent au double et même au triple de la valeur ; et pour les particuliers les évaluations se font peut-être dans une proportion plus exagérée encore, de manière que le propriétaire reçoit non pas le double, mais souvent le quadruple de la valeur de la propriété dont il est privé. Et comme, lorsque la propriété est occupée par le propriétaire lui-même, les tribunaux sont autorisés par le projet à prendre cette circonstance en considération, cela élève encore, dans ce cas, le taux de l’évaluation. Ainsi toutes les observations doivent tomber, et l’exploitant seul aurait peut-être le droit de se plaindre.
Dans les expropriations ordinaires, lorsque le propriétaire ne recuit que la simple valeur, je conçois qu’on puisse considérer comme un sacrifice l’expropriation pour cause d’utilité publique ; mais lorsqu’il reçoit le double de la valeur, peut-on considérer sa dépossession comme un sacrifice ?
L’honorable M. F. de Mérode dit qu’il y aurait la même raison pour donner le droit d’exproprier aux concessionnaires de carrières. D’abord les carrières ne se concèdent pas. Mais je ne verrais aucun inconvénient qu’on appliquât ces principes aux exploitants de carrières. Car si vous amenez sur les marchés dix propriétaires de carrières au lieu de cinq, vous diminuez le prix d’un objet de première nécessité, et par conséquent d’utilité générale. Si tout le monde y gagne, pourquoi ne pas autoriser ces expropriations ? car alors il y a utilité publique.
M. de Mérode dit qu’il faut entendre l’utilité publique dans un sens large. Il faut, vous a-t-il dit, un intérêt national. Je prierai M. de Mérode de nous citer la loi qui a défini l’utilité publique l’intérêt général dans le sens qu’il l’entend. En fait d’intérêt général, on doit considérer si telle mesure sera utile à tous. Mais, en admettant la distinction dont a parlé M. de Mérode, il y serait satisfait ; car, en supposant que l’utilité des expropriations pour ces exploitants ne fût pas générale dans le sens large qu’il entend, la loi fait de son côté une exception qui compense, puisqu’elle accorde une valeur double de celle accordée pour les expropriations d’un intérêt général plus large. L’honorable M. Jullien a dit que l’on devait continuer d’exploiter comme on a toujours fait. Mais veut-on que l’on exploite comme il y a 50 ans dans le district de Charleroy, où il n’y avait pas alors une seule route ? Depuis, des canaux, des routes ont été établis, qui ont changé complètement la situation des exploitants. Ils doivent arriver à ces routes ; d’autres moyens de transports généraux viennent à s’établir. On établit, par exemple, un chemin de fer dans un sens opposé aux anciennes voies ; ce chemin établit une diminution de 50 p. c. sur les frais. Empêcherez-vous les exploitants d’établir des communications vers ce chemin de fer ? Mais vous allez diminuer la concurrence au grand détriment des consommateurs ; mais vous privez ce chemin de fer de ses moyens de transport et d’exploitation. C’est encore une question d’utilité publique à satisfaire.
On a parlé de chemins de deux lieues, mais y a-t-on bien réfléchi ? des chemins de deux lieues, pour lesquels l’industrie exproprierait au double de la valeur ! Soyez bien assurés, messieurs, qu’il n’y a pas d’abus à craindre, et que les industriels ne sont pas assez fous pour faire des chemins inutiles à d’aussi grands frais ; ils en feront toujours le moins possible, ils ne les feront que lorsqu’une nécessité impérieuse les y forcera. Assurément les communications ainsi établies par les exploitations auront tout au plus 10 minutes de parcours, et toujours le moins qu’ils pourront.
En un mot, il n’y a pas le moindre obstacle à ce qu’on consacre le droit d’expropriation ; cal il y a évidemment utilité publique, sous quelque rapport qu’on envisage la question.
Un grand nombre de membres. - La clôture !
M. F. de Mérode. - Je demande la parole contre la clôture, parce qu’il s’agit d’une question très importante et que l’on ne peut pas trancher légèrement. J’aurais encore quelques mots à dire sur cette question.
M. Jullien. - Je m’oppose à la clôture, parce qu’ici le droit sacré de propriété est en question, et que ce droit est incontestablement la base de toute société. Pour exproprier un citoyen de sa propriété, il fallait, avant le code, nécessité publique, et comme ces mots emportaient uniquement la défense publique, on a jugé à propos d’y substituer ceux de utilité publique, mais en expliquant, dans le rapport sur la loi, qu’on n’en devait pas moins de respect au droit de propriété.
Si on adopte l’opinion de quelques préopinants, je ne sais où s’arrêtera l’utilité publique.
Encore une fois, le droit de propriété est en question. C’est pour cela que je crois qu’il ne faut pas clore la discussion. Je demande, au contraire, que la discussion continue.
- La clôture est mise aux voix ; l’épreuve est douteuse. L’épreuve est renouvelée et est également douteuse.
M. le président. - Aux termes du règlement, dans le doute, la discussion continue.
- MM. les représentants quittent leurs places.
La séance est levée à 4 heures.