(Moniteur belge n°118, du 27 avril 1836 et Moniteur belge n°119, du 28 avril 1836)
(Moniteur belge n°118, du 27 avril 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
La séance est ouverte à une heure et demie.
M. de Renesse procède à l’appel nominal.
M. Schaetzen lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse fait l’analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« 25 bateliers et commissionnaires de Dinant demandent l’abaissement du droit de transit sur les ardoises provenant de Fumay, et transitant par la Meuse et la Sambre vers Maubeuge et Valenciennes. »
« Le sieur Ch.-F. Gaspar Alouise van den Busch, négociant en draps à Tongres, né à Aix-la-Chapelle, demande la grande naturalisation. »
« Les sieurs Pierre et Alexandre François van den Busch, nés à Tongres d’un père étranger et d’une mère belge, ayant négligé de faire en temps la déclaration prescrite par l’art. 9 du code civil, demandent la grande naturalisation. »
« Le sieur Arnould, bourgmestre de la commune de Vonêche, habitant la Belgique depuis 1803, demande la naturalisation pour lui et ses enfants. »
« Le sieur J.-B. Samain, propriétaire et cultivateur domicilié à Blangis, né en France et ayant épousé une dame belge en 1807, demande la naturalisation. »
« Plusieurs négociants de Tournay demandent que l’arrête royal du 7 septembre 1832, relatif à l’exportation des sucres, soit rapporté en ce qui concerne le bureau d’Hertain place vis-à-vis du bureau français de Baisieux, jusqu’à ce que le gouvernement français fasse fermer ce dernier ou propose une réduction de droits. »
« Le sieur Ignace Dutilleux, ex-volontaire, demande une récompense civique. »
« Un grand nombre de propriétaires et maîtres de forges de 27 communes des provinces du Hainaut et de Namur, demandent la suppression de tout droit de concessions du minerai de fer. »
« Un grand nombre d’habitants propriétaires des communes de Presles et autres communes du Hainaut réclame contre le projet de concéder l’exploitation des minerais de fer. »
« Cinq habitants de Bruxelles, demandeurs en concession de minerai de fer, adressent des observations sur le projet de loi relatif aux mines. »
M. Pirson. - Parmi les pétitions qui viennent d’être analysées, il en est une qui vous a été adressée par des bateliers et commissionnaires de l’arrondissement de Dinant, lesquels demandent une diminution de droit de transit sur les ardoises qui viennent de Fumay et qui doivent être transportées par la Meuse et la Sambre à Maubeuge et à Valenciennes.
Le droit de transit se monte, pour un millier d’ardoises, à environ 1 fr. 85 c. ; de manière que ce droit qui est fort élevé permet aux voituriers de terre qui vont directement de Fumay à Maubeuge et à Valenciennes, d’y transporter les ardoises ; et cette circonstance entrave la navigation de la Meuse et de la Sambre.
Vous le voyez, messieurs, c’est un objet d’assez haute importance, et comme le ministre de l’intérieur et son collègue des finances nous ont présenté un projet de loi sur le transit, et que le rapport est déjà fait et va être distribué aux membres de la chambre, je demande que la pétition dont il s’agit reste sur le bureau, annexée au rapport de la commission.
- La proposition de M. Pirson est adoptée.
- Les pétitions relatives aux naturalisations sont renvoyées au ministère de la justice ; celles qui ont rapport aux mines resteront déposées sur le bureau, pendant la discussion de la loi portant création d’un conseil des mines, et les autres sont renvoyées à la commission des pétitions, chargée d’en faire le rapport.
M. le président. - Nous avons à nous occuper d’abord de la proposition de M. le ministre de l’intérieur, tendant à ajourner l’art. 8 du projet, ainsi que les amendements qui s’y rapportent.
La chambre a décidé précédemment la priorité en faveur de la discussion de l’art. 8 et des amendements y relatifs.
M. Pirson. - Je demanderai à M. le ministre de l’intérieur à quelle époque il entend faire cesser cet ajournement.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je ne puis dès à présent fixer une époque précise à cet égard.
Aussitôt que le gouvernement jugera convenable de saisir la chambre de la question il le fera ; je crois toutefois que l’époque n’en sera pas éloignée. Mon opinion est que dans le courant de la prochaine session, le gouvernement pourra vous soumettre une proposition formelle, relativement aux mines de fer.
M. Gendebien. - Il me semble, messieurs, que le parti le plus sage que l’on puisse prendre, que le meilleur moyen pour parvenir à dissiper toutes les incertitudes, est de provoquer une enquête sur la question des mines de fer.
Que l’on veuille entendre tous les intéressés, et que dans la session prochaine le gouvernement nous fasse connaître le résultat de cette information, c’est là le seul moyen d’arriver à un résultat définitif.
Si une enquête avait été faite précédemment, nous aurions pu procéder hier au vote de la loi.
Je prie M. le ministre de ne pas perdre de vue l’observation que je viens de présenter à la chambre ; je ne ferai pas une proposition, mais une invitation.
- La proposition de M. le ministre de l’intérieur, tendant à ajourner l’article 8 du projet et les amendements qui s’y rapportent est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - La discussion est ouverte sur l’article 1er du projet.
Voici la rédaction du gouvernement :
« Article 1er. Les attributions conférées au conseil d’Etat par la loi du 21 avril 1810 seront exercées par un conseil des mines compose d’un président et de deux conseillers nommés par le Roi ; un greffier, également nommé par le Roi, sera attaché à ce conseil. Les trois membres du conseil devront être jurisconsultes.
« Le Roi pourra, en outre, nommer deux conseillers honoraires à l’effet de suppléer les membres effectifs en cas d’empêchement.
« Le conseil pourra réclamer le concours des ingénieurs des mines, lorsqu’il le jugera convenable. »
Voici la rédaction de la commission :
« Art. 1er. Les attributions conférées au conseil d’Etat par la loi du 21 avril 1810 sur les mines seront exercées par un conseil des mines, composé d’un président et de trois conseillers nommés par le Roi ; un greffier, également nommé par le Roi, sera attaché à ce conseil. Les quatre membres du conseil devront être jurisconsultes.
« Le conseil pourra réclamer le concours des ingénieurs, lorsqu’il le jugera convenable. »
M. le ministre de l’intérieur ne s’est pas rallié aux propositions de la commission ; elles seront donc considérées comme un amendement.
Voici un amendement qui vient d’être déposé par M. le ministre de l’intérieur, et qui rentre dans celui qui a été distribué aux membres de la chambre :
« Les attributions conférées au conseil d’Etat par la loi du 21 avril 1810 sur les mines, à l’exception des demandes en concession ou en extension de concession de mines de fer, seront exercées par un conseil des mines… » (Le reste, comme au projet.)
(Moniteur belge n°119, du 28 avril 1836) M. Milcamps. - Aux termes de la loi du 21 avril 1810, les mines ne peuvent être exploitées qu’en vertu d’un acte délibéré en conseil d’Etat (art. 5) L’intervention du conseil d’Etat est encore nécessaire lorsqu’il s’agit du partage ou de la vente par lots d’une mine (art 7) ; lorsqu’il s’agit de la préférence à accorder aux divers demandeurs en concession (art. 16) ; lorsqu’il s’agit de la remise en tout ou en partie à faire de la redevance proportionnelle pour les mines déjà concédées (art. 38). Telles sont les principales attributions du conseil d’Etat.
La constitution belge n’a dérogé en rien à ses attributions, seulement la loi de 1810 se trouve entravée dans son exécution par l’absence d’un conseil d’Etat.
Mais rien n’empêcherait l’établissement d’un conseil d’Etat, si la nécessité s’en faisait sentir. Sans doute, il ne pourrait être placé à côté du gouvernement considéré comme pouvoir exécutif ; il ne pourrait être appelé à juger des contestations portant sur des droits civils ; on ne pourrait lui donner l’attribution d’appliquer des peines pécuniaires, mais il aurait voix consultative pour éclairer la marche du gouvernement. Il pourrait avoir, par exemple, les attributions énoncées dans la loi de 1810 ; et le gouvernement, en venant vous proposer l’institution d’un conseil spécial des mines, vous demande en effet, en ce qui concerne les mines, le rétablissement du conseil d’Etat sous un autre nom.
Le conseil spécial des mines dont il s’agit n’est pas une commission, c’est une juridiction administrative, puisqu’elle peut être appelée tous les jours à délibérer, c’est-à-dire à juger des motifs ou considérations d’après lesquels la préférence doit être accordée aux divers demandeurs en concessions, à apprécier et juger s’il y a lieu d’autoriser la vente ou le partage par lots d’une mine, à apprécier et juger s’il y a lieu de faire la remise en tout ou en partie de la redevance proportionnelle. Mais il n’a pas à juger des questions de propriété qui peuvent s’élever entre d’anciens concessionnaires et des demandeurs en concessions ; dans ce cas c’est aux tribunaux à en connaître ; mais le conseil spécial des mines aura à examiner, en cas d’opportunité, des questions de fait sur la délimitation des mines, des questions de droit sur les difficultés relatives à la propriété, afin d’apprécier sa compétence administrative et voir s’il y a lieu de renvoyer les demandeurs en concession devant les tribunaux. L’opposant peut même saisir les tribunaux : telle est la jurisprudence de la Belgique. S’il arrivait même que le conseil des mines comprît dans la concession une mine déjà concédée ou indisponible, la concession enlèverait-elle l’action judiciaire ? C’est là une question qui se présentera d’après notre législation.
Le conseil spécial des mines, envisagé sous ces différents rapports, doit être une juridiction capable d’atteindre le but qu’on se propose, une juridiction ; j’emprunte ici les paroles d’un grand orateur, assez éclairé, assez indépendant, assez à l’abri des passions pour qu’on puisse lui confier ce genre d’examen.
Trouvons-nous toutes ces garanties dans un conseil spécial des mines qui, suivant le projet du gouvernement, doit être composé d’un président, de deux conseillers et de deux membres honoraires ; et, suivant le projet de la commission, d’un président et de trois conseillers ?
D’un côté, on dit que le conseil spécial des mines n’a à juger que des questions administratives. C’est vrai, et l’on peut ajouter que lorsque la responsabilité (et ici j’entends une responsabilité morale) se partage entre un grand nombre d’individus, elle devient nulle pour chacun. De l’autre, il faut savoir l’importance des concessions et des exploitations de mines, la gravité des questions que le conseil des mines aura à apprécier.
Pour ma part, j’adopterai le projet de la commission, et si je n’avais égard à notre situation financière, si je n’avais égard à la circonstance que le travail du conseil des mines diminuera dans quelques années, je demanderais de composer le conseil d’un président et de quatre conseillers, en maintenant toutefois la disposition du projet portant que le conseil ne pourra délibérer qu’au nombre de trois. On doit penser que malgré cette dernière disposition, tous les membres assisteront aux délibérations, sauf en cas d’empêchement légitime.
M. Fallon. - J’ai fait partie de la majorité de votre commission qui, sauf quelque modification dans la composition du personnel du conseil des usines, a adopté l’institution telle que le gouvernement la propose.
A défaut du rapporteur, je donnerai à la chambre quelques exploitations sur les motifs qui ont déterminé son opinion.
Ces explications serviront en même temps de réfutation aux objections qui ont été faites dans la discussion générale, et qui, sur ce point, sont communes au projet du gouvernement et à celui de la commission.
La question de savoir s’il était préférable de saisir les tribunaux des attributions qui étaient conférées au conseil d’Etat par la loi de 1810, ou si c’était dans le personnel des tribunaux qu’il fallait choisir les membres du conseil des mines, n’était pas nouvelle.
En 1831 et 1832, cette question avait été longuement débattue et résolue par la loi du 1er juillet 1832.
Tout ce qui a été dit dans la discussion générale, avait été dit alors, et les considérations sur lesquelles l’honorable M. Gendebien a insisté de nouveau ne furent accueillies ni par la chambre ni par le sénat.
Je pourrais donc me borner à dire qu’il y a chose jugée sur ce point ; ce n’est là, je le sais, qu’une fin de non-recevoir. Je reconnais qu’ici la chose jugée ne fait autorité qu’alors qu’elle repose sur des motifs que l’on puisse justifier ; aussi c’est ce que je vais essayer de faire.
On peut, me semble-t-il, sans méconnaître toute l’importance du conseil des mines, se borner à exiger qu’il soit composé d’hommes qui puissent inspirer autant de confiance et de garantie que les membres de l’ordre judiciaire, c’est-à-dire d’hommes propres et spéciaux.
J’ai peine à concevoir comment il se fait qu’alors que, pour la composition d’un tribunal, on n’exige que la probité et la science du droit, on ne trouve plus la même garantie dans un collège également composé de jurisconsultes instruits dans la matière et d’une probité également exempte de soupçon.
J’ai peine à me rendre compte de cette défiance que l’on manifeste pour un conseil composé d’un semblable personnel, alors que l’on veut bien accorder toute sa confiance dans un tribunal de première instance d’arrondissement composé de trois juges qui ne sont aussi que des jurisconsultes.
Sans doute, un tribunal, une cour, pourraient fort bien remplir la mission d’un conseil de mines si la chose était possible et convenable : mais pourquoi donc un conseil de mines ne pourrait-il pas inspirer la même confiance ?
Il me semble, quant à moi, qu’on doit trouver tout autant de garantie, si pas plus, dans un tribunal spécial qui, n’ayant à s’occuper que d’une matière spéciale, qui n’ayant que cette matière à travailler et à mettre en pratique, donnera bien autant de garantie sur la juste application du droit à cette matière.
Savez vous pourquoi, messieurs, on se laisse entraîner à cette pensée de renvoyer aux tribunaux les attributions du conseil d’Etat en matière de mines ?
C’est qu’on ne se rend pas assez compte de la nature des attributions et de la multiplicité des détails dans lesquels l’intervention du conseil d’Etat est requise.
Il est utile de rappeler ici quelques-uns de ces détails.
1. Avis sur la demande en concession ;
2. Il règle l’indemnité due au propriétaire de la surface. Il doit apprécier les garanties qu’offre le demandeur en concession ;
3. Il concourt au choix à faire entre les demandeurs en concurrence ;
4. Il apprécie et détermine les cas où il y a lieu de renvoyer devant les tribunaux les questions incidentes de propriété ;
5. Il statue sur les difficultés qui peuvent survenir entre le gouvernement et les exploitants sur la limitation des mines (art. 56) ;
6. Ce n’est que sur son avis qu’une mine peut être partagée ou vendue par lots (art. 7) ;
7. Ce n’est que sur son avis que des recherches peuvent être autorisées contre le gré du propriétaire ;
8. C’est lui qui règle l’indemnité due à l’inventeur, s’il n’obtient pas la concession ;
9. C’est à lui qu’il faut recourir lorsque l’administration provinciale prononce des interdictions de travaux ;
10. Une concession ne peut être changée ni modifiée sans son avis ;
11. Lorsqu’un abonnement pour la redevance proportionnelle excède trois mille fr., il doit être entendu ;
12. Il intervient dans nombre de cas sur la police des exploitations.
Vous voyez, messieurs, combien sont compliqués les détails sur lesquels la juridiction du conseil des mines, remplaçant le conseil d’Etat, doit s’exercer, et vous avez sans doute déjà remarqué qu’il ne s’agit dans tout cela que d’affaires purement administratives.
Or, il est un principe que nous ne pouvons pas franchir ; sans être écrit dans la constitution, il n’est pas moins constitutionnel au plus haut degré, parce qu’il est de l’essence du système constitutionnel lui-même.
Ce principe est écrit dans la loi de 1791 sur l’organisation judiciaire, et c’est aujourd’hui un axiome en matière de régime représentatif.
Les fonctions judiciaires doivent toujours rester soigneusement séparées des fonctions administratives, tout comme les fonctions judiciaires et administratives doivent être soigneusement séparées du pouvoir législatif.
Si l’on dévie de l’un ou l’autre de ces principes, il y a confusion et par suite violation, si pas directe, tout au moins indirecte, de la constitution.
Il n’est pas moins important d’éviter que le pouvoir judiciaire n’intervienne dans les opérations administratives, dans les actes que la constitution réserve au pouvoir royal, qu’il n’est important d’empêcher que le pouvoir administratif n’empiète sur le pouvoir judiciaire.
A part, messieurs, cet obstacle constitutionnel qui empêche d’attribuer aux tribunaux ou à un personnel pris dans le corps judiciaire, les attributions du conseil d’Etat en matière de mines, il est d’autres considérations qui devraient subsidiairement nous déterminer à former dans le conseil des mines un collège tout spécial et séparé du pouvoir judiciaire.
Une objection, ou plutôt une considération sur laquelle on est revenu à plusieurs reprises, c’est que la concession emporte l’expropriation d’une partie de la propriété d’une valeur supérieure souvent aux fruits que peut produire la superficie ; et l’on se demande comment il se fait qu’alors qu’il s’agit de l’expropriation de la superficie, le propriétaire trouve une garantie dans trois degrés de juridiction devant les tribunaux, et qu’on lui refuse ces garanties alors qu’il s’agit de l’expropriation de la mine.
La réponse à cette objection est facile ; il suffit d’indiquer l’erreur sur laquelle elle repose.
D’abord, il n’est pas exact de dire que lorsqu’il s’agit de l’expropriation de la superficie, expropriation qui entraîne naturellement l’expropriation de toute la propriété, le dessus et le dessous, ce sont les tribunaux qui sont appelés à décider s’il y a utilité publique, si l’utilité publique réclame ou ne réclame pas l’expropriation.
C’est le gouvernement qui apprécié administrativement si l’utilité publique exige l’expropriation ; c’est lui qui constate cette utilité ; les tribunaux ne sont appelés qu’à examiner si les formalités prescrites par la loi ont été observées, à régler l’indemnité, et à ordonner l’envoi en possession.
Lorsqu’il s’agit de l’expropriation de la mine, le même principe trouve son application. La mine est mise à la disposition du gouvernement, et c’est lui qui est appelé à apprécier le point de savoir s’il y a utilité publique à la concéder et à en exproprier le sol.
Dans un cas comme dans l’autre, c’est toujours la question d’utilité publique qui domine l’expropriation, et ce n’est qu’à la partie administrative et non aux tribunaux qu’il peut appartenir de résoudre cette question.
On ne pourrait du reste appliquer le système de procédure de la loi sur l’expropriation pour cause d’utilité publique à la loi sur les mines, sans renverser tout le système de cette loi. Il faudrait, pour en venir là, non seulement réviser entièrement cette loi, mais encore tous les règlements qui ont été faits pour en assurer l’exécution.
L’attention de la chambre ne cesse d’être appelée sur l’encombrement d’affaires dont nos cours et tribunaux se trouvent surchargés ; nous en sommes à chercher des expédients pour activer, s’il se peut, le jugement des nombreux procès qui restent en souffrance et que multiplie chaque jour le développement étonnant de l’industrie.
Déjà, comme on vous l’a dit avec raison, nos tribunaux se trouvent saisis, et resteront saisis, des nombreuses difficultés que suscitent les concessions de mines sur des questions de propriété, soit entre concessionnaires voisins, ou entre les concessionnaires et les propriétaires de la superficie ; et l’on voudrait surcharger encore les tribunaux de la multiplicité des détails administratifs qui constituent les attributions du conseil d’Etat en cette matière.
Cela ne me paraît nullement raisonnable, et c’est encore là un des graves inconvénients du système que je combats.
Cela serait-il utile d’ailleurs, si cela était praticable ?
Je ne le pense pas ; je crois tout au contraire que cela serait très préjudiciable.
Qu’a-t-on dit sur la question d’utilité ou de convenance ?
Le conseil des mines doit être entouré de considération et de confiance.
Cette considération, cette confiance on la trouve dans la magistrature.
J’en conviens, mais ce dont je ne conviens pas, c’est que la considération et la confiance ne seraient un apanage que pour les tribunaux.
Il serait bien malheureux pour le pays si l’on ne trouvait pas également de la considération et de la confiance dans nos collèges administratifs.
Ce sont les députations des conseils provinciaux qui instruisent et donnent leur avis sur tout ce qui a rapport aux mines, sur tout ce qui doit arriver au conseil des mines, et lorsque je considère l’origine élective de ces collèges leurs opérations ne m’inspirent pas moins de considération et de confiance.
On a dit, et c’est peut-être là l’objection la plus grave, qu’il était peu d’oppositions aux demandes en concessions qui ne soulèvent quelques questions de propriété, que le conseil doit renvoyer aux tribunaux, et l’on en a conclu qu’il valait dès lors tout autant les saisir de tout ce qui a rapport à ces demandes.
Ici, messieurs, on confond encore deux choses que la loi sur les mines a sagement distinguées, et on veut que ce soit l’accessoire, que ce soit l’incident qui entraîne le principal.
La loi a fait un devoir au conseil d’Etat de renvoyer à la décision des tribunaux toute opposition quelconque fondée sur un droit de propriété ; ainsi il n’y a pas à craindre que le conseil des mines empiète, à cet égard, sur la juridiction des tribunaux.
Mais, dit-on, c’est le conseil qui est appelé à apprécier si c’est bien sur une question de propriété que l’opposition est fondée ; il peut se tromper dans l’appréciation d’une semblable question, et c’est là un inconvénient qui n’est pas sans exemple.
Si, de la manière dont le conseil d’Etat était composé sous le gouvernement précédent, ce cas s’est rencontré, on trouvera d’abord plus de garantie dans la composition du conseil telle qu’on la propose, puisqu’il sera composé exclusivement de jurisconsultes tout aussi propres à apprécier des questions de propriété que les tribunaux, qui ne sont également composés que de jurisconsultes.
L’inconvénient n’est d’ailleurs pas à craindre, parce que les parties intéressées ont toujours à leur disposition le moyen de le prévenir.
En effet, si l’opposant est convaincu que son opposition est fondée sur une question de propriété, s’il a quelque défiance dans la perspicacité ou dans la loyauté du conseil, s’il craint que le conseil des mines n’apprécie pas la question de la même manière que lui, qu’a-t-il besoin d’attendre la décision du conseil ? Qu’a-t-il besoin d’en courir la chance ? Il n’est pas obligé d’attendre que le conseil renvoie lui-même aux tribunaux la connaissance des motifs de son opposition ; il peut prévenir ce renvoi s’il craint qu’il ne soit pas ordonné ; il peut en un mot saisir lui-même les tribunaux des motifs de son opposition, et il arrête ainsi l’action du conseil jusqu’à ce que les tribunaux aient prononcé.
De ce que les tribunaux sont appelés à prononcer sur les questions des propriétés incidentes aux demandes en concessions ; de ce que semblables questions pourraient être quelquefois mal appréciées par le conseil, on ne peut en conclure qu’il soit nécessaire de renvoyer aux tribunaux les nombreux détails administratifs qu’exigent les demandes en concessions et tout ce qui a en outre rapport à la matière des mines.
Cela serait non seulement inutile, mais cela serait en outre très préjudiciable aux parties intéressées, car il doit être évident pour tout le monde que si les tribunaux étaient appelés à se livrer à tous ces détails administratifs (j’ai fait remarquer combien ils étaient nombreux), l’instruction de ces sortes d’affaires traînerait nécessairement fort en longueur.
Je rencontre ici tout naturellement les scrupules de deux honorables collègues.
Ils ne trouvent pas, dans la manière de procéder devant le conseil des mines, les garanties des formes judiciaires ; il n’y a pas de débat, il n’y a pas de plaidoirie.
Dieu nous garde, messieurs, d’introduire dans les affaires administratives la procédure judiciaire ; nous paralyserions l’action de l’administration ; une semblable innovation, qui serait sans exemple, serait funeste.
En matière administrative, voici la seule garantie qu’il soit raisonnable d’exiger, c’est qu’il ne soit pas statué sans avoir complètement entendu les parties intéressées, sans leur avoir donné le moyen d’exposer leurs prétentions et de fournir toutes leurs observations sur celles qui leur sont opposées.
Cette manière de procéder n’est pas même étrangère aux tribunaux.
Le code de procédure leur permet d’ordonner, quand ils le trouvent convenable, l’instruction écrite, et alors il n’y a ni débats publics, ni plaidoirie. Il est même des matières qui ne peuvent s’instruire que par mémoires, sans débats, plaidoirie, ni aucune forme judiciaire ; et, jusqu’à présent, on n’a pas trouvé qu’il y avait là des inconvénients à redouter.
Je mets en fait, quant à moi, que les affaires des mines seront beaucoup mieux instruites, avec tout autant de garantie, et seront surtout expédiées plus promptement devant le conseil des mines que devant les tribunaux.
Voyez, messieurs, la filière que traversent ces sortes d’affaires.
C’est la demande en concession, qui est affichée pendant quatre mois au chef-lieu de la province, au chef-lieu d’arrondissement et dans la commune de la situation de la mine.
Ces affiches sont renouvelées à quatre reprises.
Elles sont insérées dans les journaux de la province. La députation du conseil provincial qui entend les parties, qui examine les rapports des ingénieurs, qui ordonne toutes les informations propres à l’échevin qui instruit complètement l’affaire et qui donne son avis.
Le dossier est ensuite transmis au conseil des mines avec les observations du ministre de l’intérieur, s’il croit en avoir à faire.
Le conseil des mines examine ensuite, procède par lui-même à toutes les nouvelles informations, enquêtes ou vue de lieux qu’il croit utiles, reçoit des parties les mémoires qu’elles trouvent bon de lui adresser, et statue ensuite.
Je le répète, je ne pense pas que les formes ordinaires de la procédure par avoués puissent offrir plus de garanties pour empêcher les surprises, pour qu’il soit prononcé en pleine connaissance de cause.
Observons, au surplus, que ce n’est pas là encore d’un jugement qu’il s’agit, mais d’un simple avis dont le mérite est encore à apprécier par le ministère avant que le Roi lui donne sa sanction.
Je pense, messieurs, que ces diverses considérations suffiront pour vous déterminer à ne pas renverser le principe fondamental de la loi de 1810, qui a si sagement séparé ce qu’il y avait d’administration et de judiciaire dans l’exécution de cette loi ; qu’en conséquence vous ne renverrez pas aux tribunaux ce que cette loi a attribué au conseil d’Etat, et que vous n’introduirez pas surtout dans l’instruction des affaires soumises à l’avis du conseil spécial des mines, les formalités prescrites par le code de procédure pour l’instruction des affaires ordinaires devant les tribunaux.
Il me reste maintenant à vous rendre compte des motifs qui ont détermine votre commission dans les modifications qu’elle a proposées à l’art. 1er du projet.
Elle n’a pas pense qu’il convînt d’adjoindre au conseil des suppléants honoraires, parce qu’elle a cru qu’il serait assez difficile, pour ne pas dire impossible, de rencontrer des personnes convenables qui voulussent bien se livrer, sans indemnité, à des travaux de cette nature, et auxquels une assez grande responsabilité se trouve attachée.
En écartant les suppléants honoraires, il était évident qu’en exigeant la présence de trois conseillers pour l’expédition des affaires, le conseil se trouverait souvent entravé dans sa marche par maladie ou juste empêchement de l’un des membres.
Elle a donc pensé qu’il était indispensable de composer le conseil de quatre membres au moins, entre lesquels l’examen des dossiers se répartirait, de manière que le membre qui n’interviendrait pas à la délibération sur une affaire, se chargerait, en attendant, de l’examen d’une autre affaire à la délibération de laquelle il serait appelé à son tour.
Du reste, trois considérations que vous aurez à apprécier ont déterminé la majorité de la commission à restreindre le personnel du conseil à quatre membres :
Considération d’économie, attendu qu’il convient de ne pas lésiner sur les indemnités, si l’on veut appeler au conseil des hommes qui, par leur position, seraient dans le cas de faire le sacrifice d’une clientèle productive.
Difficulté de rencontrer les spécialités désirables, si l’on augmente le nombre.
Et enfin célérité que l’on obtient plus facilement lorsqu’il y a moins de personnes délibérantes.
On a considéré au surplus que les tribunaux de première instance étant appelés à juger au nombre de trois juges et en dernier ressort sur des intérêts souvent non moins graves que des demandes en concessions, on pouvait également adopter ce chiffre.
(Moniteur belge n°118, du 27 avril 1836) M. Jullien. - Je commence par féliciter M. le ministre de l’intérieur d’avoir restreint sa proposition aux mines de charbon ; car, de la manière dont se fait actuellement l’exploitation du minerai, suivant les explications lumineuses de plusieurs honorables membres de cette assemblée qui se connaissent dans cette matière ; de la manière, dis-je, dont se fait cette exploitation, il est à présumer que la chambre n’aurait pas donne son assentiment au système de concession, même avec les modifications que la commission y a apportées.
Quant à la question d’ajournement pour ce qui concerne les mines de fer, je pense, messieurs, que le parti le plus sage à prendre, c’est de laisser faire au temps et à l’industrie des propriétaires ; et je crois que cette expérience vaudra mieux que toutes les enquêtes que l’on pourrait établir, à l’effet de savoir de quelle manière on exploitera le minerai plus ou moins bien : c’est là une question qui sera résolue d’une manière bien plus satisfaisante lorsqu’elle sera abandonnée à l’industrie particulière éveillée par l’intérêt de propriété.
Quoi qu’il en soit, nous sommes appelés maintenant à discuter l’article 1er du projet de loi. On se propose de remplir la lacune qui existe, par suite de l’absence d’un conseil d’Etat ; on se propose, dis-je, de la remplir par un conseil des mines, composé de trois jurisconsultes.
Messieurs, remplacer le conseil tel surtout qu’on l’a connu en France, par trois jurisconsultes, c’est déjà une substitution extraordinairement maigre ; remplacer de cette manière un conseil d’Etat, composé de plus de 30 individus, choisis parmi les hommes les plus marquants de la France, vous contiendrez que ce n’est pas donner aux intéressés une grande garantie ; et si ceux-ci viennent à comparer les garanties qui leur étaient offertes précédemment, avec celles que leur assure le nouveau projet, certes cette comparaison ne sera pas à l’avantage du conseil des mines, tel du moins qu’on se propose de le créer.
D’un autre côté je trouve que la création d’un conseil des mines établit un préjugé contre la création d’un conseil d’Etat.
Vous savez, messieurs, qu’il existe un projet relatif à la création d’un conseil d’Etat ; et l’on vient précisément vous demander la création d’un conseil des mines destiné à remplir la lacune d’un conseil d’Etat ; ne serait-il pas plus rationnel d’examiner s’il n’y a pas lieu de procéder d’abord à l’institution d’un conseil d’Etat, auquel on donnerait les attributions dont l’ancien conseil d’Etat était revêtu ?
Car si vous créez aujourd’hui un conseil des mines, et que plus tard on vous propose et que vous établissiez un conseil d’Etat, vous aurez un conseil d’Etat qui s’occupera du même objet que le conseil des mines.
Messieurs, je ne connais rien de plus pitoyable que toute cette marqueterie en matière législative.
Si vous voulez avoir un conseil d’Etat qui présente les garanties convenables, créez votre conseil d’Etat ; mettez-y vos trois jurisconsultes, qui aient les connaissances spéciales nécessaires, et voilà une garantie suffisante offerte aux propriétaires, tandis que maintenant ils n’ont rien ou peu de chose.
On a perdu cette objection de vue, et le ministre de l’intérieur croit y avoir répondu par quelques observations qui se trouvent dans l’exposé des motifs de son projet de loi. Je pense, messieurs, que ces observations sont très insuffisantes pour justifier l’existence d’un conseil des mines, au préjudice d’un conseil d’Etat.
Voici ces observations :
« Toutefois, nous devons convenir, messieurs, que dans l’exécution de cette loi, l’on a rencontré quelques inconvénients ; et d’abord les demandes en maintenue et en concession devaient être délibérées en conseil d’Etat, et quelque distingués qu’aient été la plupart de ceux que Napoléon appelait à l’honneur de siéger dans le conseil, l’on ne peut se dissimuler qu’ils étaient en général étrangers à la partie des mines ; de là, lenteur dans l’expédition des affaires, et quelques mauvaises décisions…»
Et c’est là, messieurs, une raison pour ne pas instituer un conseil d’Etat ; parce que celui auquel on a fait allusion a rendu quelques mauvaises décisions ! Oh ! alors, messieurs, je ne sais pas quelle institution pourrait être créée, ou même pourrait exister ; car, je n’en connais aucune qui ne soit exposée à prendre une mauvaise décision, lorsqu’elle est appelée à en rendre beaucoup.
Je suis persuadé, par exemple, que MM. les ministres rendent de très bonnes décisions ; mais je suis persuadé aussi qu’ils en rendent quelquefois de mauvaises ; cependant ce n’est pas une raison pour supprimer l’institution des ministres ; et quand on n’a que ce motif pour passer outre à un conseil des mines et laisser de côté le conseil d’Etat, je ne trouve pas que cela soit une très bonne décision, mais que c’est une très mauvaise raison.
La matière est importante et il est urgent de pourvoir à cette branche utile de l’administration publique.
Mais peut-on donner les attributions qui appartenaient autrefois au conseil d’Etat à un conseil spécial ; ou bien faut-il concéder ces attributions au pouvoir judiciaire ? Sur cette question M. Fallon m’a laissé très peu de chose à dire. J’avoue que je partage son opinion relativement à la décision des pouvoirs.
Je regarde comme un grand bienfait de la révolution française la ligne infranchissable qu’elle a tracée entre le pouvoir administratif et le pouvoir judiciaire ; et comme je reconnais le caractère administratif aux affaires dont il s’agit, je ne les conférerai jamais au pouvoir judiciaire.
Une observation très juste, faite par mon honorable ami M. Gendebien, est celle-ci : Vous aurez beau faire, a-t-il dit, avec vos matières administratives et judiciaires, vous n’empêcherez pas que dans les questions de concession il ne se mêle des questions de propriété ; et puisque des questions de propriété se mêlent aux questions de concession, pourquoi ne pas renvoyer d’abord toutes les questions aux corps judiciaires qui décident les questions de propriété ?
Messieurs, quelque difficiles que soient les questions de propriété pour un conseil des mines, il est toujours facile de les reconnaître : avant de prononcer sur la concession il faut savoir à qui appartient la propriété ; eh bien le conseil des mines regardera cette question comme préjudicielle ; il exigera qu’elle soit décidée par les tribunaux ; il ne restera saisi que de la question relative à la concession ; et il ne la décidera qu’après que les tribunaux auront prononcé. Avec cette distinction le conseil des mines verra facilement ce qui est du ressort des tribunaux et ce qui est du ressort de l’administration.
Mais qu’obtiendra-t-on d’un conseil composé de trois personnes et de deux suppléants honoraires ?
Je pense que la chambre est assez éclairée par ce qui a été dit par M. Fallon pour rejeter les suppléants honoraires. On ne les prendrait que dans la ville de Bruxelles, où siégerait le conseil des mines. Indépendamment de cet inconvénient, quel intérêt voulez-vous que portent à leurs fonctions des hommes qui ne recevraient aucune espèce de rétribution ? Messieurs, je crois qu’il n’y a pas de fonctions qui coûtent plus cher que les fonctions gratuites, en envisageant cette question sous tous les points de vue.
Trois jurisconsultes seront membres du conseil ; mais qu’est-ce que l’on appelle jurisconsultes ! Ce sont des hommes qui ont vieilli dans l’exercice du droit ; ce ne sont pas seulement des avocats, les jurisconsultes sont des anciens ; dès lors, ils sont plus sujets à des maladies ; ainsi vous aurez des affaires qui seront à la merci des membres honoraires, et, dans ce cas, quelles garanties offrira le conseil des mines ?
Là-dessus j’approuve assez les défiances qu’a manifestées M. Gendebien : Il faut donner des garanties aux intéressés, et on ne leur en donnerait pas de suffisantes avec des conseillers honoraires. La commission offre les garanties nécessaires en composant le conseil de trois membres et d’un président. On pourrait mettre quatre membres, et je crois que ce ne serait pas trop.
D’un autre côté le conseil des mines manque d’une garantie que présentent les tribunaux, l’inamovibilité ; les membres du conseil des mines sont à la disposition du gouvernement ; et j’avoue que je tremble quand il faut que je confie ma fortune à des individus révocables à volonté, quel que soit le caractère de probité qu’on leur reconnaisse d’ailleurs.
Ce sont ces défiances que la chambre devra peser avant de voter définitivement l’établissement d’un conseil.
Vient encore à examiner la procédure devant le conseil des mines.
Je dirai que la procédure judiciaire ne convient pas à ces sortes d’affaires ; si on la suivait, avec tous ses moyens d’arrêter, elle entraînerait dans des embarras inextricables.
Ce serait une grave erreur que de l’adopter, et la chambre regretterait d’avoir jeté ce principe de désordre dans la société.
Cependant il y aura des précautions à prendre ; ces précautions seront indiquées dans d’autres articles de la loi.
Je ne sais pas pourquoi il n’y aurait pas d’avocats devant le conseil des mines. Si vous voulez remplacer le conseil d’Etat, eh bien, admettez les avocats devant le conseil des mines, et réglez leurs attributions. Que surtout ils prennent communication des pièces ; car c’est ce qui est le plus important dans ces sortes d’affaires. Il y a toujours une multitude d’apports de pièces dans les demandes en concession, et celles qui ne sont pas communiquées à la partie, peuvent entraîner des décisions funestes.
Il m’a été raconté il y a peu d’instants qu’un concessionnaire étant en difficulté avec un autre concessionnaire, fut appelé devant le préfet, qu’en présence de cet administrateur il passa une transaction avec son adversaire, et donna ensuite main levée d’une opposition qu’il avait pratiquée dans les mains du préfet ; eh bien, m’a-t-il dit, l’affaire envoyée au conseil d’Etat, on a seulement produit la main levée, mais on n’a pas produit la transaction ; et il en est advenu un décret qui dépouillait l’un des concessionnaires.
Ce fait, et une multitude d’autres, démontrent que dans les affaires relatives aux concessions il y a nécessité de donner aux parties en litige les moyens d’empêcher les surprises ; et ce sera à ces moyens-là que la chambre devra aviser. Je ne proposerai pas encore d’amendement sur ce point ; j’attendrai les lumières qui jailliront de la discussion pour savoir quels amendements conviendront le mieux pour donner les garanties désirables dans cette partie qui intéresse si vivement la fortune publique.
M. Pirmez. - J’ai quelques explications à demander aux honorables membres de la commission ainsi qu’aux ministres.
Pourquoi le conseil des mines doit-il être composé exclusivement de jurisconsultes ? Ce conseil n’aura point à s’occuper de questions de propriété, il n’aura à statuer que sur des questions d’utilité publique, et dès lors, on ne comprend pas la nécessité de le former uniquement d’hommes qui n’ont qu’une habitude, celle de traiter les questions de propriété. Je dirai plus, c’est que les jurisconsultes, hommes qui ont passé leur vie à disserter sur le tien et sur le mien, sont moins aptes que les autres hommes éclairés à traiter des questions d’intérêt général, des questions d’économie politique.
Ce n’est pas que je veuille en exclure les jurisconsultes de la composition du conseil ; mais jusqu’à présent je ne vois pas de raison pour le composer exclusivement de jurisconsultes.
M. Fallon. - La commission, en proposant, comme le gouvernement, de composer le conseil de jurisconsultes a été déterminée par un motif que j’ai déjà énoncé. Comme l’a déjà fait observer l’honorable M. Gendebien, le plus grave inconvénient que pourrait présenter la création d’un conseil des mines serait qu’il ne pût pas apprécier les questions de propriété que soulèveraient incidivement les demandes de concession. Si les demandes en concession soulèvent des questions de propriété, comme la loi fait obligation au conseil de renvoyer devant les tribunaux tous les incidents de cette nature, il faut composer le conseil de personnes capables d’apprécier si la question soulevée est une question de propriété. Les jurisconsultes sont seuls capables de cette appréciation.
C’est donc parce que des questions incidentes de propriété peuvent être soulevées par les demandes en concession de mines que le gouvernement s’est déterminé à vous proposer de ne composer le conseil des mines que de jurisconsultes.
(Moniteur belge n°119, du 28 avril 1836) M. Pirmez. - Il suffit que je signifie que la concession demandée est ma propriété pour que le conseil doive renvoyer devant les tribunaux. Nous sommes cinq ou six qui demandons une concession ; l’un dit : Cette mine m’appartient. Le conseil ne doit pas examiner son titre, ce titre en vertu duquel il fait son acte d’opposition ; il doit renvoyer devant les tribunaux. Le tribunal examine si le titre sur lequel on se fonde est valable ou non, et renvoie ensuite devant le conseil des mines qui accorde ou refuse la concession.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Il ne suffit pas de se dire propriétaire pour qu’il y ait réellement contestation sur la propriété, il faut qu’il y ait au moins une apparence de fondement dans cette prétention. Or, il faut être jurisconsulte pour décider s’il y a une véritable question de propriété. D’ailleurs, il est rationnel de composer le conseil des mines de jurisconsultes, pour que le choix tombe sur des personnes qui réunissent à la connaissance des lois la pratique des affaires et des questions de mines.
Le conseil prendra tous les renseignements nécessaires auprès des gens de l’art. La loi dit expressément qu’il peut réclamer le concours des ingénieurs des mines pour s’éclairer au besoin sur des questions d’art ou d’utilité publique.
Vous réunirez donc, messieurs, dans le conseil des mines le savoir du jurisconsulte, la pratique des affaires et des connaissances spéciales en matière de mines. Cette institution me paraît présenter toutes les garanties qu’on peut désirer.
Puisque j’ai la parole, je demanderai la permission d’ajouter quelques mots au discours de l’honorable député de Namur. J’aurai peu de chose à dire. L’honorable rapporteur a donné toutes les raisons qui justifient la proposition de la commission sur la composition du conseil, proposition à laquelle le gouvernement se rallie, et il a réfuté victorieusement les objections faites dans les séances précédentes.
M. Jullien, sur les points les plus importants, a été d’accord avec l’honorable rapporteur.
Il ne consent pas à ce qu’on confonde les fonctions administratives avec les fonctions judiciaires. C’est une division de pouvoirs qu’il veut soigneusement maintenir. Suivant lui il faut un conseil administratif. Cet honorable membre tient aussi à ce que les formes judiciaires ne soient pas mêlées à une investigation purement administrative. Il suffit que toutes les parties puissent produire tous leurs moyens par écrit. L’instruction écrite présente ici autant de garantie que l’instruction orale, parce que chaque partie aura connaissance des moyens produits pas ses concurrents et pourra les connaître.
Il n’est pas nécessaire, comme le pense l’honorable M. Jullien, d’instituer des avocats spéciaux près du conseil des mines.
Laissons les parties choisir qui elles trouveront convenables pour faire valoir leurs droits. Il ne sera pas toujours nécessaire de charger un avocat de cette mission. Quelquefois un homme ayant des connaissances spéciales, s’il ne s’agit pas de questions de propriété, sera plus utile qu’un jurisconsulte. Il doit être libre aux intéressés de défendre leurs cause eux-mêmes.
L’honorable député de Bruges a fait une critique peu fondée des motifs qui ont été mis en avant par M. le ministre de l'intérieur.
Mon honorable collègue n’a pas prétendu avoir donné des raisons suffisantes pour supprimer le conseil d’Etat ; au contraire il a dit, en répondant à une interpellation de M. Verdussen, que le gouvernement n’entendait rien préjuger sur l’institution du conseil d’Etat, que cette question resterait entière.
En effet, c’est une matière vaste qui peut donner lieu à de longues discussions et sur laquelle il n’est pas urgent de statuer ; mais il est urgent de créer un conseil spécial pour les mines, et ce conseil pourra dans la suite se concilier très bien et se combiner avec l’institution d’un conseil d’Etat si on juge son existence utile.
L’honorable orateur s’est demandé s’il ne serait pas nécessaire de composer le conseil de cinq membres. Je ne puis partager son avis. Je crois que quatre conseillers suffisent. Un conseil composé de trois jurisconsultes recommandables par leur capacité et leur probité, et jouissant de la confiance publique, offre des garanties suffisantes. Cinq conseillers en donneraient-ils davantage ? Si le conseil doit siéger au nombre de cinq, il faudra encore augmenter le nombre des membres pour prévoir le cas où un des membres sera empêché par maladie ou autrement ?
Je préfère le système d’un conseil de trois membres avec un quatrième membre adjoint, qui pourra préparer les affaires et siéger à son tour ; tous les conseillers seraient utilement occupés, et il est pourvu à la nécessité de la suppléance.
Je ne puis admettre que ce soit une institution maigre qu’un conseil composé de trois membres, si j’y trouve trois hommes probes, capables, actifs dans l’expédition des affaires.
Ce n’est pas le nombre qui fait la force, tout dépend du personnel si les choix sont bien faits ; et par la certitude qu’ils le seront, le conseil sera entouré de la confiance et de la considération publique.
Les moyens de s’éclairer qu’on met à la disposition des conseillers par les ingénieurs qu’ils peuvent consulter, écartent toute espèce d’objection. Il ne faut pas perdre de vue que la députation provinciale fait le premier examen, la première instruction ; de plus, ainsi que l’a dit M. le ministre de l’intérieur, on adjoindra à son département un fonctionnaire supérieur chargé, sous la direction du ministre, des affaires concernant les mines et qui pourra donner au conseil des renseignements utiles.
M. Gendebien. - L’honorable M. Fallon a sur moi deux avantages très grands dans cette discussion. D’abord, il a recueilli toutes les objections qui ont été faites, depuis quatre jours, contre son système ; il a en le temps de les méditer et de préparer un discours écrit avec élégance et lu avec éloquence ; puis il a fait preuve d’une mémoire très robuste, car il vous a dit que depuis plusieurs jours on n’avait fait que répéter tout ce qu’on a dit en 1832.
Je viens de me faire remettre le Moniteur, j’ai vérifié ; et vous pouvez constater au n°139 de l’année 1832, qui rend compte de la discussion, que mon discours ne se trouve pas reproduit. Le sténographe qui l’avait recueilli était tombé malade, et je l’avais dispensé de le reproduire. Je n’ai pas la mémoire aussi robuste que l’honorable membre. Je ne me rappelle pas si j’ai répété ce que j’avais dit alors, et je dois avouer que j’ai complètement oublié ce que j’ai dit alors. Mais je sais que la question était toute différente, et c’est là l’essentiel ; car c’est une espèce d’exception de chose jugée, une fin de non-recevoir que l’honorable membre a voulu présenter pour écarter toute discussion. Il ne peut y avoir ici question de chose jugée, car il ne s’agissait pas en 1832 de concession de mines en général, mais uniquement de maintenue de concessions anciennes, c’est-à-dire de la vérification d’anciens titres, et pas autre chose. Ainsi pas de chose jugée, car la matière qui vous était soumise n’était pas la même que celle qui fait l’objet de notre discussion, Il n’y a pas eu davantage de chose jugée par le sénat : si nous devions procéder par analogie et que nous admettions qu’il y ait chose jugée, ce n’est pas dans le sens indiqué par M. Fallon, mais dans le sens de note opposition. La chose jugée est toute en notre faveur, et je m’empare, au profit de notre système, de l’observation faite par M. Fallon au profit de son système.
Messieurs, veuillez remarquer que la chambre a reconnu en 1830 la nécessité d’un conseil composé de sept membres, alors qu’il ne s’agissait que de maintenues de concessions anciennes, lesquelles ne présentent que peu de difficultés et n’offrent que peu de chances à l’intrigue. Il ne s’agit, en effet, que de vérifier d’anciens titres et de leur donner une nouvelle date. Cependant un conseil de 7 membres a été regardé indispensable, et il y a chose jugée à cet égard. Ces 7 membres devaient être choisis de la manière suivante : 3 conseillers de la cour d’appel : c’étaient MM. Petau, Joly et Garnier, un membre de la chambre des représentants, un membre du sénat et deux ingénieurs. Il y avait donc dans cette commission trois jurisconsultes des plus distingués de la Belgique, trois membres indépendants par leur position, par leur inamovibilité, et de plus, deux membres de la législature.
Je désire que le conseil des mines que l’on veut instituer, si tant est qu’on l’adopte, soit aussi bien composé que cette commission. Mais je crains que ces places ne soient encore un objet de faveurs, de récompenses pour des services rendus et à rendre ailleurs qu’au foyer industriel. Je me défie de ce conseil et à juste titre. Si l’on pouvait invoquer ici la chose jugée, elle ne pourrait qu’être favorable à notre système. Elle ferait crouler par sa base le système de ceux qui veulent un conseil composé de trois membres.
Ainsi, 3 conseillers vont juger de toute espèce de droit de propriété, de propriétés souvent difficiles à évaluer, qui deviennent aujourd’hui une source d’immenses richesses. Telle concession qui valait, il y a dix ans, 40,000 francs, en vaut aujourd’hui 400,000, et dans 25 années représentera peut-être une valeur de quatre millions. Vous voulez que trois conseillers amovibles décident de pareilles questions, privent les uns d’une richesse immense pour la donner à d’autres, et vous ne craignez pas que ces hommes, soumis aux caprices du pouvoir et à mille influences, ne cèdent à l’obsession, ne fassent pas quelques actes de courtoisie ; il faudrait commencer par changer la nature de l’homme ; il faudrait avoir oublié l’expérience du passé dans la matière même qui nous occupe... Car je pourrais citer des noms propres qui étaient tellement odieux et injustement odieux au roi Guillaume, que jamais aucune demande, même la plus simple, relative aux mines, n’a été accueillie, par la seule raison que le nom déplaisait, et les causes de cette disgrâce n’avaient d’autres motifs qu’une honorable rigidité de principes, qu’une conscience pure qu’on qualifiait du nom d’opposition systématique ; car cet honorable citoyen avait fait partie des états-généraux. Ces mêmes noms, transmis à une deuxième génération, pourront déplaire aussi, jusqu’à la troisième génération, au gouvernement actuel et éprouver le même sort. L’injustice est devenue si flagrante que les agents solliciteurs à La Haye ayant conseillé de faire disparaître le nom qui offusquait, et les mêmes demandes, ayant été faites moins le nom, tout a été accordé sans la moindre objection. Pourquoi le gouvernement n’en agirait-il pas de même ? On le voit suivre tous les jours les errements du gouvernement précédent. Si je voulais citer des exemples, je n’aurais pas besoin de les aller chercher bien loin.
Messieurs, il n’y a qu’une seule garantie pour les citoyens probes et honnêtes, pour les citoyens qui ne veulent pas s’humilier, qui ne veulent pas baisser la tête devant un pouvoir trop exigeant ; c’est l’ordre judiciaire. Quant à moi, je vous déclare que je considérerais comme ayant perdu 75 p. c. de leur valeur mes propriétés des mines, si elles étaient mises à la merci du gouvernement comme on veut le faire.
Cependant, l’on va jusqu’à prétendre que les propriétaires des mines trouveront plus de garanties dans la réunion de 3 hommes spéciaux qu’ils n’en trouveraient dans la magistrature.
Je suis loin de disconvenir que l’on peut trouver des hommes spéciaux intègres, qui n’ont pas besoin de l’inamovibilité pour être à l’abri de suggestions, de courtoisies ; mais ces hommes sont rares, et puisque pour toutes les affaires en général vous avez voulu un remède contre des erreurs volontaires, contre les abus que je signale ; puisque la constitution a décrété l’inamovibilité, pourquoi rendre amovible un corps spécial qui peut commettre plus fréquemment des iniquités, puisqu’il jugera des questions de la plus haute importance et des pins compliquées, et sur lesquelles le public ne pourra pas se prononcer, puisqu’il décidera à huis clos, sans appel, sans recours aucun, sans aucune des garanties jugées indispensables pour les affaires les plus simples et du plus mince intérêt.
Et vous voulez que nous ayons autant et plus de confiance dans un tel corps qui jugera souverainement, et j’ose le dire, arbitrairement ! Il faut, sinon avoir perdu l’esprit, au moins avoir une grande dose de confiance dans notre bonhomie, dans notre niaiserie, pour se permettre de pareilles allégations.
On a fait, messieurs, une assez longue énumération des attributions du conseil des mines pour nous faire sentir la nécessité de ne pas en saisir les tribunaux, parce que, dit-on, les tribunaux sont déjà surchargés de trop d’affaires. Il me suffira, pour renverser le projet de créer un conseil, de citer seulement cette même énumération. Comment voulez-vous qu’un conseil composé de trois ou même de quatre membres puisse, sans retard, sans préjudice pour les demandeurs en concession, pour tous ceux qui auront quelque relation avec eux, juger toutes les affaires relatives aux mines, alors que la première communication qu’on lui fera sera composée de 366 dossiers à examiner ? A ces 366 demandes, il pourra y avoir, terme moyen, deux oppositions (car il y a telle demande en concession qui est accompagnée de cinq ou six oppositions ou demandes en concurrence). Mais supposons qu’il n’y ait qu’une opposition par affaire. Voila donc un nombre double d’affaires, 800 affaires à peu près à examiner tout d’abord.
Il me semble que si, au lieu de confier toutes ces demandes à un seul corps, vous en chargiez les 7 à 8 tribunaux qui se trouvent dans les arrondissements où il y a des mines, vous auriez terminé huit fois plus vile la besogne.
Mais voyons l’énumération. On ne tient pas assez compte, nous dit-on, des attributions et des détails immenses dans lesquels doit entrer le conseil des mines. Il ne s’occupera pas seulement de concessions, mais il aura à s’occuper de mille autres choses qui sont nécessairement de la compétence administrative. D’abord il aura à régler l’indemnité due aux propriétaires.
On nous disait tout à l’heure que les fonctions du conseil étaient purement administratives, qu’il ne fallait pas les confondre avec les attributions de l’ordre judiciaire. Le premier point que je viens de citer doit rentrer évidemment, d’après notre constitution, dans la juridiction judiciaire. Régler l’indemnité due aux propriétaires ; il s’agit bien ici d’une contestation relative à la propriété, d’un droit civil. Dans un pareil cas, aux termes de la constitution, les tribunaux sont seuls compétents. Cependant vous voulez qu’un conseil de trois membres amovibles soit appelé à décider cette question.
Qu’on veuille concilier cette attribution que l’on donne au conseil avec le grand respect que l’on professe pour la constitution ; et c’est au nom de la constitution, et par respect pour elle, que l’on forme un tribunal spécial, un tribunal d’exception !
Le conseil connaîtra, vous dit-on, des demandes en concurrence ; pourquoi les demandes en concurrence doivent-elles être soumises plutôt au conseil des mines qu’aux tribunaux ? Que l’on veuille bien me le dire.
Le conseil aura à apprécier les questions incidentes de propriétés. Mais cela regarde les tribunaux. Mais, nous dit-on, si le conseil jugeait la question de propriétés, bien certainement l’on aurait le droit de se plaindre. Mais il ne fait autre chose qu’apprécier sa compétence. Comme vous le disait tout à l’heure M. le ministre de la justice, le conseil examinera si l’opposition est fondée réellement sur la propriété. Il résulte de là, comme je l’ai dit, que c’est le conseil qui jugera à priori la question de propriété. S’il se trompe dans l’appréciation de la nature de vers qui l’opposition, aura-t-on recours ? Qui redressera l’erreur ?
Vous avez des exemples d’abus scandaleux qui ont été commis à l’aide ou plutôt en abusant de l’art. 28 de la loi de 1810.
Ce sera toujours la chose la plus facile, vous dit-on, de reconnaître si une opposition est fondée sur la propriété.
Eh bien, on ne le reconnaissait pas, on disait qu’elles n’étaient pas fondées sur la propriété quoiqu’il en fût ainsi.
Des décrets impériaux français et royaux hollandais ont consacré ces injustices ; et aux termes de la loi de 810, ces décrets sont invulnérables, sont inattaquables. Eh bien, on a consacré des injustices sans remède, et vous allez ouvrir une porte aux mêmes abus, aux mêmes injustices. Aux tribunaux seuls il appartient de prononcer sur de telles affaires. Nous ne sommes plus sous l’infâme régime des conseils d’attribution. Les questions de compétence doivent être résolues par les tribunaux, vous n’avez pas à vous en enquérir ; ils sont seuls juge constitutionnels de leur compétence.
Mais, a dit un honorable préopinant, si l’opposant n’a pas confiance dans le conseil, qu’il s’adresse directement aux tribunaux. Mais d’abord je demanderai s’il le peut. Il a déjà été décidé par la cour de Bruxelles qu’il fallait attendre le renvoi. Je sais que le contraire a été décide par la cour de Liége ? Mais connaissons-nous l’opinion de la cour de cassation ? Et il y a une raison qui n’est pas dénuée de tout fondement pour ce renvoi préalable, c’est que la loi de 1810 ayant accordé la faculté la plus illimitée d’accorder des concessions à qui bon semblera, laisser plaider les demandeurs et les opposants avant le renvoi, ce serait les exposer à des frais considérables et inutiles, car il peut se faire que ni l’un ni l’autre n’obtiennent la concession.
Mais je suppose qu’il soit sanctionné irrévocablement par la cour de cassation que le renvoi préalable n’est pas nécessaire les parties peuvent se présenter spontanément devant les tribunaux, cela arrêtera-t-il l’action administrative ? Cela empêchera-t-il l’administration, si elle se croit le droit de juger a priori une question de propriété, de décider a priori que c’est à tort qu’on a fondé une opposition sur un droit de propriété ? Ainsi il y aura conflit entre l’autorité judiciaire et l’autorité administrative. Ainsi l’administration pourra prononcer sur l’opposition dans un sens, et l’autorité judiciaire, saisie par les parties, pourra prononcer dans un sens contraire ; l’une des parties demandera que son jugement soit exécuté au nom du Roi, l’autre demandera aussi au nom du Roi que sa concession soit exécutée. Voilà un scandale administratif et judiciaire ! Que l’on veuille bien répondre à cette observation !
Le conseil des mines aura, vous dit-on, à statuer sur la limitation des mines. Mais pourquoi pas les tribunaux ! de quel droit l’administration s’ingérerait-elle dans la limitation d’une mine, plutôt que dans celle d’un champ ? Lorsqu’il y a eu concession accordée, le concessionnaire en a la propriété au même titre qu’on possède toute autre propriété. Et pour les concessions anciennes qui forment le plus grand nombre, c’est-à-dire au moins les neuf dixièmes des mines, il y a propriété par le seul fait de la publication de la loi de 1810. Il s’agit uniquement d’en décréter la maintenue. La délimitation appartient donc non pas au conseil spécial des mines, mais plutôt aux tribunaux. Au surplus, l’art. 56 de la loi le disait déjà ; et ne le dît-il pas, la constitution supérieure à toutes les lois devrait être respectée.
« Le conseil aura aussi à donner son avis sur la question de savoir si les concessionnaires pourront ou non effectuer la vente d’une mine par lots. » Mais quelle difficulté y a-t-il à ce que les tribunaux en jugent ? Est-ce là une question purement administrative ? mais ce n’est pas plus une question administrative que toute autre question de propriété, car les mines concédées sont une véritable propriété. Pourquoi l’administration pourrait-elle dire : « Vous ne vendrez pas par lot, » ou plutôt pourquoi les tribunaux ne pourraient-ils pas aussi bien que trois jurisconsultes donner leur avis sur cette question, qui tient plus à une question de propriété qu’à une question administrative ou d’économie politique ?
« Le conseil pourra forcer les propriétaires de la surface à souffrir les recherches dans leurs terrains. » Pourquoi encore une fois les tribunaux ne seraient-ils pas aussi capables de décider cette question ? C’est encore là une question qui touche à la propriété ; car c’est en quelque sorte exproprier ou au moins priver de l’usage momentané d’une propriété. C’est encore une question de droit civil qui touche à la propriété ; or toutes ces questions sont, je le répète pour la vingtième fois, déférées par la constitution aux tribunaux. Pourquoi répudieriez-vous leur avis ? Vous voyez que mon système est le seul qui soit d’accord avec la constitution.
« Le conseil réglera l’indemnité en faveur de l’inventeur. »
C’est encore là, vous dit-on une question purement administrative. Je ne puis partager cet avis. Vous savez qu’en cas de concurrence entre l’inventeur et le propriétaire de la surface, si le gouvernement ne juge pas à propos d’accorder la concession à l’inventeur, celui-ci a droit à une indemnité ; quelle inconvenance y aurait-il à demander sur cette question l’avis des tribunaux ? Mais pourquoi les tribunaux ne seraient-ils pas juges de la hauteur de cette indemnité ? Est-ce donc une question administrative que d’apprécier les résultats, la valeur des recherches et des travaux d’une industrie ? Pourquoi cet arbitraire ? Ah ! je plains bien nos hommes de génie et de capacité, qui auront, pour prononcer sur leurs travaux, sur les fruits de leurs méditations d’un quart de siècle peut-être, des juges amovibles, des hommes placés près de la cour, et plus disposés peut-être à rendre des services qu’à faire bonne justice. Quand ils seront devant les tribunaux, ils jouiront des garanties accordées aux autres citoyens par la constitution ; je ne sais pas pourquoi vous voudriez les dépouiller de ces garanties. Les propriétés de l’esprit et du génie seraient-elles donc moins sacrées que celles de toute autre espèce ?
Le conseil connaîtra encore de la répartition, pour l’impôt on plutôt pour la redevance proportionnelle au-delà de 3,000 fr. Mais dans toute la Belgique, il n’existe pas une mine imposée au-delà de 3,000 fr. La mine imposée le plus haut et qui est trop imposée, l’est, je pense, à 2.768 fr. ; et l’industrie prend un tel essor, que les mines même calamiteuses deviennent productives ; la matière imposable augmente tous les jours. Je doute donc que les contributions s’élèvent à un pareil taux. Il est par conséquent assez inutile de donner cette attribution au conseil des mines. Au surplus, je ne sais pas pourquoi les questions de répartition de contributions des mines ne seraient pas déférées aux tribunaux, comme les contributions de telle ou de telle autre association. Car ce n’est en réalité qu’une espèce d’assurance mutuelle.
« Le conseil sera chargé de la police des exploitations. » Mais l’art. 93 de la loi de 1810 y a pourvu et a déféré cette police aux tribunaux.
Dans la longue énumération qu’on vous a faite, il s’agit, vous a-t-on dit, d’affaires purement administratives. Je crois avoir prouvé au contraire qu’il n’y a rien d’administratif dans la plupart des cas qu’on a présentés, qu’il y a dans presque tous des questions de propriétés, or, ces questions, d’après la constitution, doivent être déférées aux tribunaux.
J’ai dit en commençant que l’honorable M. Fallon, après avoir trois ou quatre jours recueilli les objections, avait eu l’avantage d’y répondre dans un discours brillamment écrit et éloquemment débité. Pour moi, j’ai été obligé d’improviser mes réponses.
La chambre, j’espère, en conclura que mes observations sont fondées. Je pense qu’on peut et qu’on doit ajouter plus de confiance aux théories de celui qui improvise sa défense qu’à celui qui vient présenter un travail ou une réfutation longuement méditée et écrite à loisir et avec soin.
On a parlé souvent de la loi de 1790 sur les attributions et de la nécessité de toujours séparer l’administration judiciaire de l’administration civile. Mais il ne s’agit pas de confondre les attributions, il ne s’agit pas de faire juger des questions administratives par l’ordre judiciaire, il s’agit seulement de concilier la loi de 1810 avec la constitution.
Je ne m’occuperai pas de tout ce qui a été dit sur la loi de 1790. Je ne ferai qu’une seule observation. C’est que l’autorité judiciaire est aujourd’hui seule juge de sa compétence. Ainsi le veut la constitution. Et je conclus de là que le moyen le plus sûr de ne s’écarter ni du texte ni de l’esprit de la constitution, c’est de repousser le conseil spécial des mines et de conférer aux tribunaux les attributions qu’on veut donner au conseil spécial des mines.
On a ajouté une observation ou plutôt une objection qui ne me paraît pas très fondée ni très concluante.
S’il s’agissait de l’expropriation d’un champ d’une valeur de 1,500 fr., ce seraient les tribunaux qui en définitive auraient à prononcer ; et quand il serait question de ce même terrain renfermant une mine qui peut valoir une somme considérable, par exemple, 40 à 50,000 fr., ainsi que plusieurs de nos collègues vous l’ont dit, vous soustrairiez à la juridiction du pouvoir judiciaire le jugement des contestations que soulèverait l’expropriation de ce terrain.
M. Fallon a cru me réfuter en disant que ce que j’avais avancé est une grave erreur, que quand il s’agit d’expropriation pour cause d’utilité publique, c’est le gouvernement qui prononce sur cette utilité, et que, par conséquent, le gouvernement doit également prononcer sur ce qui concerne les mines : mais, messieurs, je ne conçois pas comment on peut considérer cela comme une réponse, attendu que, dans les questions relatives à l’expropriation, les tribunaux prononcent toujours en dernier ressort, chaque fois qu’il y a une opposition contre la décision du gouvernement : en effet, si l’opposant soutient, par exemple, que le chemin, le canal dont il peut s’agir, devait passer par une autre localité que celle qui a été indiquée, la contestation est renvoyée aux tribunaux, et ce sont eux qui la décident définitivement.
Ce sont donc les tribunaux qui prononcent en dernier lieu dans les questions d’expropriation ; mais pour mieux apprécier la différence, veuillez remarquer, et cela est essentiel, que ce sont aussi les tribunaux qui prononcent sur l’indemnité à accorder au propriétaire, qui trouve ainsi la garantie qu’il recevra l’équivalent de la propriété dont on le prive, ou plutôt qu’il recevra en échange une valeur double ou triple.
Ici, messieurs, vous allez exproprier des propriétaires de biens d’une valeur considérable, et quelle indemnité leur donnerez-vous ? Une indemnité de 25 centimes à un franc par hectare de terrain et un p. c. du produit net de la mine ! Et c’est en accordant une semblable indemnité que le conseil des mines croira avoir rempli ses devoirs, croira avoir remplacé très constitutionnellement les tribunaux ordinaires ! Vous voyez donc, messieurs, que l’argument que l’on a voulu tirer de ce qui se pratique en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique n’est pas du tout fondé ; car, d’un côté, le propriétaire exproprié reçoit plus que l’équivalent, lequel est apprécié par son juge naturel, tandis qu’en matière de mines, c’est un tribunal d’exception qui fait cette évaluation.
Pour répondre aux exemples frappants d’injustices commises par les conseils d’Etat de France et de Hollande, on a dit que ces corps étaient composés d’hommes qui, pour la plupart, sont complètement ignorants quant au droit et quant aux faits en matière de mines ; que ces injustices n’auront plus lieu avec le conseil des mines qu’il s’agit de former, parce que les membres dont on le composera seront des hommes spéciaux instruits, intègres. Et moi, messieurs, qui suis quelque peu intéressé dans les mines, je vous déclare que j’ai peu de confiance dans ce conseil, et que je suis, au contraire, très convaincu que les erreurs qui ont été commises précédemment le seront encore par la même raison pour laquelle elles ont eu lieu jadis.
Il y a même de plus fortes raisons que jamais de croire que de semblables erreurs seront encore commises à l’avenir, car si l’on a consacré des injustices évidentes alors que les mines avaient peu de valeur et présentaient peu d’appât à l’intrigue, comment voulez-vous que l’intrigue ne soit pas mille fois plus active maintenant que la valeur des mines est très importante, et comment croire que l’intrigue et l’obsession n’auront plus de succès ! Je veux bien admettre que cela arrivera moins souvent qu’autrefois ; mais des erreurs auront toujours lieu par la raison toute simple que les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets.
Quelle garantie, messieurs, présente le conseil des mines que l’on a proposé d’établir ?
Ce conseil jugera à huis clos ; il aura à prononcer sur un grand nombre d’affaires, et pour s’épargner des accusations de lenteur, il fera, comme font presque toujours les corps surchargés de besogne, il s’en rapportera de confiance au travail de son rapporteur, et ce sera, en définitive, le rapporteur qui jugera tout seul, à huis clos, et par conséquent, sans qu’il n’y ait personne pour le contredire.
On a dit que les tribunaux ordinaires présentent aussi les exemples d’une semblable manière d’opérer, qu’ils jugent quelque fois d’après une instruction écrite ; mais l’honorable jurisconsulte qui a produit cet argument a donc oublié que, dans les tribunaux ordinaires, le rapport se fait toujours à l’audience, et que les avocats ont la faculté d’envoyer des notes pour rectifier ce qu’il peut y avoir d’erroné dans le rapport ; et il y a remède pour réparer les injustices ou les erreurs puisqu’il y a plusieurs degrés de juridiction. Ici, au contraire, l’instruction se fera à huis clos, le jugement se prononcera à huis clos, et il n’y aura personne pour défendre le citoyen dont les intérêts pourront être lésés. Et remarquez, messieurs, qu’une fois le mal fait, il sera irréparable, car lorsqu’on accorde une concession, il faut l’accorder définitivement ; il faut de la stabilité pour des entreprises qui exigent des capitaux considérables, qui exigent souvent l’emploi de plusieurs millions. Ainsi le conseil dont il s’agit jugera sans recours. Il jugera souverainement, c’est-à-dire arbitrairement, à la manière des despotes, qui opèrent toujours dans l’ombre.
L’honorable membre auquel je réponds a dit : « Le conseil des mines pourra faire ce que font les tribunaux ordinaires, il pourra opérer des enquêtes, des descentes sur les lieux. » Mais, messieurs, encore une fois, cet honorable jurisconsulte ne sait donc plus ce que c’est qu’une enquête, ce que c’est qu’une descente sur les lieux. Telle enquête dure souvent plusieurs jours, quelquefois plusieurs semaines ; une descente sur les lieux demande aussi beaucoup de temps ; or, le conseil des mines ne sera composé, au maximum, que de 4 membres, car le gouvernement regarde comme une grande concession d’avoir consenti à ce que le nombre en fût porté à 4 ; ainsi chaque fois que 2 membres seront absents, le conseil ne pourra pas juger ; comment voulez-vous donc qu’il procède à des enquêtes, des descentes sur les lieux ; surtout avec le grand nombre d’affaires sur lesquelles il aura à prononcer dans les premiers temps ?
Ainsi c’est vainement qu’on vient offrir un semblable remède aux maux qui ont été signalés comme devant résulter des attributions qu’on veut conférer au conseil des mines.
Et où sera tenue l’enquête qu’on met en avant ? Sera-ce à Bruxelles ? Mais alors il faudra y faire venir à grands frais, et avec grande perte de temps, des témoins des quatre coins du royaume. Les membres du conseil se rendront-ils au contraire sur les lieux pour procéder à cette enquête ? Eh ! dans ce cas ils seraient la plupart du temps en voyage, et les affaires resteraient suspendues pour ainsi dire indéfiniment. Cette enquête qu’on a présentée comme une garantie est donc une véritable chimère.
Ainsi, messieurs, vous voyez que le conseil qu’on veut établir est une institution vicieuse, que le système qu’on veut adopter est impraticable.
Je crois, messieurs, ne pas devoir en dire davantage ; mais je vous prie de réfléchir à l’anomalie qui existerait entre cette espèce de tribunal et les autres tribunaux. Je ne puis assez insister sur l’inconvenance qu’il y aurait à confier les graves intérêts dont il s’agit à trois hommes amovibles, dépendants du caprice d’un ministre, dépendants, pour ainsi dire, du bon plaisir d’un courtisan qui, pour avoir échoué dans une demande de concession ou dans une opposition, intriguerait sans relâche pour perdre l’homme consciencieux qui n’aurait pas fait céder les intérêts du pays ou la cause de la justice à ses prétentions injustes, Et n’est-il pas beaucoup de ces intrigants qui possèdent tous les moyens pour perdre le fonctionnaire fidèle à ses devoirs qui aurait contrarié leurs vues ? N’ont-ils pas même au besoin des journaux à leur disposition ? Ne sait-on pas qu’il est de vils étrangers qui sont payés par eux pour calomnier l’honnête homme qu’ils n’osent pas regarder en face ? L’homme qui aura agi selon sa conscience finira donc par succomber aux intrigues de tout genre qui seront dirigées contre lui, et quand on demandera à l’administration les motifs du renvoi de ce fonctionnaire intègre, l’administration répondra qu’elle n’a fait qu’user de son droit et qu’elle ne doit pas en rendre compte. Ainsi les membres du conseil des mines seront obligés de céder aux exigences dont ils seront obsédés, sous peine de perdre leurs fonctions.
Et vous croyez, messieurs, qu’on trouvera des jurisconsultes bien distingués, bien capables, bien probes, qui quitteront les tribunaux de Liège, Mons, Charleroy, Namur, Huy et autres villes dans les arrondissements desquelles il se trouve des mines ! Vous croyez qu’ils abandonneront leur demeure, vendront leur mobilier et viendront s’établir à Bruxelles pour y remplir, à raison de 6,000 francs, des places de membres du conseil des mines, qu’on pourra leur ôter au bout de six mois ?
Il ne faut pas vous faire illusion, vous n’aurez, pour remplir ces fonctions, que de piètres jurisconsultes ou des intrigants, qui quitteront leur arrondissement pour se pousser, qui n’auront d’autre but que d’arriver à des emplois plus stables, plus lucratifs, au conseil d’Etat par exemple, au ministère même, au moyen de quelques actes de complaisance exercés en faveur d’hommes haut placés, et au détriment des malheureux obscurs ; ou bien vous aurez de piètres jurisconsultes sans clientèle et n’inspirant pas assez de confiance pour s’en former une.
Je crains, messieurs, d’abuser de vos moments en m’étendant davantage sur les considérations que je viens de vous soumettre ; je bornerai donc là mes observations, mais je désire que vous les pesiez mûrement, car je les considère comme de la plus haute importance.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, la commission chargée de l’examen du projet de loi en délibération a longuement discuté le système qui consiste à soumettre les concessions de mines aux tribunaux, et l’a rejeté une assez grande majorité. Vous venez d’entendre les raisons qu’on fait valoir pour et contre, et vous êtes à même de juger en connaissance de cause si réellement il y a utilité, s’il y a possibilité, s’il y a convenance à soumettre aux tribunaux les questions de mines, et si la décision de ces questions par un conseil spécial présente réellement les inconvénients que l’honorable préopinant a voulu signaler.
Quant à moi, je suis convaincu que le conseil des mines, composé comme la commission le propose, peut très bien remplir la mission qui lui sera confiée par la loi. Je me bornerai en ce moment à relever les principales objections faites par l’honorable préopinant.
Les tribunaux seuls, dit l’honorable membre, peuvent juger leur compétence. Il ne peut appartenir, d’après nos institutions, à aucun conseil de soustraire les questions de propriété aux tribunaux, de dépouiller les citoyens des garanties qui leur sont assurées pour ces questions. Je suis complètement de l’avis de l’honorable préopinant ; mais je n’admets pas les conséquences qu’il a tirées de ce principe.
Le conseil aura des attributions déterminées par la loi, il ne pourra s’immiscer dans les questions véritablement judiciaires. S’il reconnaît une contestation sur la propriété, il la renverra devant les tribunaux, seuls compétents en cette matière.
L’honorable préopinant redoute l’amovibilité des membres du conseil. Il voudrait étendre au conseil l’inamovibilité que la constitution exige pour les tribunaux. Cette inamovibilité est sans exemple dans les fonctions administratives ; d’un autre côté il n’y a pas les mêmes raisons pour exiger que les conseillers des mines soient inamovibles, car ils ont à juger des questions dans lesquelles le gouvernement est constamment neutre.
La nécessité des garanties que les citoyens doivent avoir devant les tribunaux, n’existe aucunement ici. C’est le gouvernement, en définitive, qui accorde la concession.
La décision de ces importantes questions sera soumise, nous dit-on, au caprice du pouvoir, à l’arbitraire des intrigants qui occuperont ces places.
Je ne sais où l’on peut trouver des faits pour justifier ces assertions. Nous avons des fonctionnaires extrêmement haut placés dans l’ordre judiciaire, qui ne sont pas inamovibles. Je ne vois pas pourtant qu’ils méritent moins la confiance publique, qu’ils jouissent d’une estime moindre aux yeux de leurs concitoyens.
L’indépendance, l’intégrité, l’activité ne sont pas inhérentes à l’inamovibilité des fonctions.
Ce ne sera pas pour 6,000 fr. qu’on trouvera des hommes propres à remplir les fonctions de conseillers des mines, vous dit-on.
Mais, messieurs, les avocats-généraux qui occupent des fonctions assez élevées n’ont guère plus de 6,000 fr. de traitement. Je ne vois pas que des hommes de mérite, jouissant de la confiance publique sous tous les rapports, ne se trouvent pas lorsqu’il s’agit de conférer ces fonctions.
Remarquez encore que le nombre des conseillers n’est pas tellement grand qu’il soit si difficile de trouver des jurisconsultes réunissant toutes les conditions désirables. J’y trouve même une réponse à un argument de l’honorable préopinant contre le nombre restreint des membres du conseil. Si vous augmentez ce nombre, il y aura plus de difficulté de bien composer le conseil.
Serait-il donc impossible de trouver dans le Hainaut, dans la province de Namur, dans celle de Liége (je cite les provinces où il y a le plus d’intérêts engagés dans les mines), un ou deux conseillers réunissant les qualités nécessaires pour inspirer toute confiance à la société ?
Je ne puis partager les appréhensions de l’honorable préopinant ; je suis persuadé que lui-même, pour peu qu’il y réfléchît, trouverait bientôt des personnes auxquelles il confierait volontiers la décision de questions dans lesquelles il serait intéressé.
Quant aux caprices du pouvoir que craint l’honorable membre, permettez que je repousse toutes ces allégations. Où sont les exemples de révocation ? Où sont les fonctionnaires amovibles que le gouvernement plie à une volonté injuste et arbitraire, et qu’il sacrifie à ses caprices ?
D’autres raisons militent pour ne pas augmenter le nombre des conseillers. Plus le nombre sera élevé, moins la responsabilité sera grande pour chacun ; moins vous aurez de garanties de travail de la part de chaque conseiller, moins vous pourrez compter sur l’ordre et la célérité dans les délibérations.
Je ne parle pas de la question d’économie qui, quoique importante, n’est ici que secondaire ; il y a assez d’autres motifs sans invoquer celui-là.
Messieurs, l’on craint le huis clos. Je vous demande si aujourd’hui il y a un huis clos possible en réalité. Que les questions soient décidées ou non à huis clos, elles seront connues du public. Si le conseil commettait un acte injuste le citoyen lésé dans ses droits le livrerait à la publicité et en appellerait à l’opinion publique.
Un honorable préopinant avait dit que le conseil pourrait s’éclairer par des enquêtes. Mais, objecte-t-on, faudra-t-il que les témoins viennent dans la capitale de toutes les parties de la Belgique, ou forcerez-vous le conseil à se déplacer ? Rien n’empêcherait, messieurs, que pour les enquêtes on admît un système de délégation, si la chose était nécessaire.
M. Gendebien. - A qui ?
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - D’un autre côté, le conseil d’Etat était dans une position semblable. L’on n’a jamais craint qu’il ne pût s’entourer de tous les moyens nécessaires pour éclairer ses délibérations.
Je bornerai là mes observations.
M. Fallon. - L’honorable M. Gendebien se trouve sous l’impression d’une défiance profonde contre le conseil des mines tel qu’on propose de l’organiser. De là tous les efforts qu’il renouvelle pour que l’on renvoie aux tribunaux la juridiction dont est chargé le conseil d’Etat par la loi de 1810.
Quant à moi, je ne partage pas ses défiances que je ne crois pas raisonnables.
L’honorable M. Gendebien oublie toujours par quelle filière devront passer les demandes en concessions.
Nous venons, messieurs, d’organiser la province. Il est bien probable que les provinces ne manqueront pas d’administrateurs qui seront entourés de la confiance générale, et qui la mériteront.
Or, messieurs, lorsqu’une demande en concession est formée, la première chose que fait la députation, c’est de la faire afficher pendant 4 mois. L’affiche est renouvelée tous les mois et répétée dans les journaux de la province. Les opposants adressent à la députation leurs mémoires qui sont examinés par les demandeurs, lesquels envoient à leur tour leur réponse.
La députation, après le terme, examine les pièces, demande l’avis des ingénieurs, et procède à une information sur les lieux, si elle le juge nécessaire. Ce n’est qu’après que les moindres faits ont été examinés par la députation que la demande de concession arrive au conseil avec l’avis motivé de ce corps.
Comme vous le voyez, c’est bien plutôt la députation provinciale qui instruit l’affaire et la présente à la décision du conseil des mines. Ce conseil, s’il croit les informations insuffisantes, peut procéder à d’autres informations. Ainsi ce n’est pas seulement contre le conseil des mines qu’il faudrait concevoir de la défiance, mais contre les nouveaux conseils provinciaux qui vont être organisés en vertu de la loi que vous avez votée. Défendant l’opinion de la majorité de la commission, j’ai combattu le système de l’honorable M. Gendebien comme inconvenant et comme tendant à dénaturer le principe de la séparation des pouvoirs.
Comme inconvenant : il n’y a pas de doute que si vous renvoyez aux tribunaux toutes les demandes en concession de mines, elles subiront les retards qu’éprouvent toutes les autres affaires, puisque, de l’aveu même de M. Gendebien, il y a à la cour de Bruxelles des affaires qui sont pendantes depuis dix ans. Ainsi il faudrait attendre encore plusieurs années avant que le gouvernement pût accorder une seule concession.
Ce système dénature le principe de la séparation des pouvoirs. L’honorable M. Gendebien s’attache à démontrer que les attributions du conseil des mines devraient plutôt appartenir à l’autorité judiciaire. Je ne crois pas qu’il soit parvenu à vous convaincre.
Je présenterai très brièvement les différents objets sur lesquels le conseil est appelé à exercer ses attributions.
M. Gendebien a dit que le conseil des mines devait juger des propriétés et de leur valeur. Ceci ne me paraît nullement exact.
Le conseil des mines n’est nullement appelé à juger ni de la propriété, ni de sa valeur, la mine est mise par la loi à la disposition du gouvernement, le gouvernement en dispose.
Le conseil des mines ne juge qu’une chose, c’est la question de savoir s’il y a utilité publique à détacher la mine de telle propriété, pour la faire exploiter. Voyez la garantie que donne le projet au propriétaire. Il dit que quand le propriétaire demandera la préférence, il devra l’obtenir s’il justifie des moyens suffisants pour l’exploitation régulière et profitable de la mine. Le propriétaire ne doit avoir aucune espèce de crainte, car si le conseil juge qu’il y a utilité publique à concéder la mine, que le propriétaire ne peut pas exécuter les travaux nécessaires pour exploiter utilement la mine, parce que sa propriété n’a pas une étendue suffisante, il n’a qu’à se mettre en concurrence avec le demandeur et il est certain d’obtenir la préférence.
Pourquoi, dans tous les cas, dit M. Gendebien, ne pas donner l’inamovibilité aux membres du conseil ? La raison en est simple. Si nous considérons ce conseil comme purement administratif, nous ne pouvons pas accorder à ses membres l’inamovibilité. On ne conçoit pas l’inamovibilité dans les agents de l’administration ; ce serait là une anomalie dont le principe ne pourrait se justifier dans un gouvernement représentatif.
M. Gendebien a dit encore que la nomenclature que j’ai donnée des différents détails dans lesquels devrait entrer le conseil était de nature à faire concevoir de grandes craintes pour l’expédition des affaires, qui dans ce moment pouvaient être évaluées à 800. Je ne sais pas où l’honorable membre a été chercher ce chiffre. Si j’examine le tableau des demandes en concessions qui vous a été remis, j’y en trouve 366.
De ce nombre il faut déduire toutes celles qui ont rapport aux mines de fer ; ensuite, dans le nombre des affaires qui restent, nous devons faire la part de celles dont la décision ne demandera que 24 heures. Voyez après cela ce qui restera. Il est peu d’affaires qui soient réellement contentieuses ; pour la plupart, il ne s’agit que de les régulariser, d’accorder la concession, car il n’existe aucune espèce d’opposition.
Le conseil est donc, dit le même orateur, appelé à régler l’indemnité due au propriétaire du sol. Or, cela rentre dans les attributions judiciaires ; nous nous trouvons dans le même cas que dans les expropriations pour cause d’utilité publique, et dans ce cas on renvoie devant les tribunaux pour régler l’indemnité.
Le cas est différent. On renvoie devant les tribunaux en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique pour régler l’indemnité, parce qu’elle ne peut pas être réglée autrement. Mais remarquez que dans le cas où nous nous trouvons, le conseil n’a rien à faire, il n’a besoin que de dire dans l’acte de concession ce que la loi dit elle-même ; car l’indemnité à payer au propriétaire est déterminée par la loi. Le projet, s’il est adopté tel qu’il est proposé, dit que la redevance fixe sera de 25 centimes à un franc par hectare de superficie, et que la redevance proportionnelle est fixée à un pour cent du produit net de la mine.
Le conseil n’a donc rien à déterminer quant au règlement de l’indemnité ; elle est fixée par la loi et n’en fait que l’application.
Le conseil, a-t-il dit, statue sur la question de préférence. C’est encore là une question de propriété qui devrait être déférée aux tribunaux. Je ne puis pas partager cette opinion. Je pense que la chambre ne la partagera pas non plus. La question de préférence n’est pas une question ordinaire, c’est une question d’utilité publique. Convient-il d’accorder la préférence pour l’exploitation d’une mine à tel ou tel ? Elle doit être accordée à celui qui offre plus de garantie qu’il exploitera dans l’intérêt général, dans l’intérêt public.
On ne défère pas aux tribunaux les questions d’utilité publique. Toute question de cette nature doit être décidée par l’administration.
Sur la limitation des mines, c’est aussi le conseil qui est appelé à statuer ; pourquoi pas les tribunaux ?
En cas de contestation entre le gouvernement et un concessionnaire sur la délimitation de la concession, il est tout naturel de ne pas renvoyer devant les tribunaux et de faire résoudre le différend par le gouvernement, qui a fait le cahier des charges et dressé le plan, il sait mieux que personne le véritable périmètre de la concession qu’il a accordée.
Le conseil des mines décide encore, en cas de vente ou du décès du propriétaire, si le partage de concession sera autorisé. C’est là une question de droit commun qui devrait être renvoyée devant les tribunaux. Pourquoi la loi n’a-t-elle pas permis de diviser une concession sans autorisation ?
C’est que c’est une question d’utilité publique. La division d’une concession peut en rendre l’exploitation moins profitable. Avant de décider si une concession sera divisée, il faut savoir si cette division peut avoir lieu sans préjudice pour la bonne exploitation. C’est le conseil qui doit examiner cette question, puisque l’administration décide les questions d’utilité publique.
L’indemnité en faveur de l’écoulement, dit-on, devrait être réglée par les tribunaux. Faites attention que pour donner une indemnité à l’inventeur qui n’obtient que la concession d’une mine, il faut apprécier le mérite de la mine découverte ; dès lors il convient mieux de laisser décider cette question par ceux qui sont entourés de tous les renseignements nécessaires pour faire cette appréciation. Le conseil est plus à même de la faire que les tribunaux.
Il est un dernier point sur lequel j’appellerai votre attention. C’est celui qui présente le plus de difficulté.
C’est le cas où sur une opposition à une demande en concession il surgit une question incidente de propriété. Je me suis déjà expliqué à cet égard ; je crois que la loi donne toute garantie. Le conseil doit renvoyer les parties devant les tribunaux, Mais, a-t-on persisté à dire, le conseil peut se tromper, ne pas voir dans la question soulevée une question de propriété et passer outre à la concession. J’ai fait remarquer que les parties avaient le moyen de prévenir cet inconvénient ; et que si elles n’avaient pas confiance dans la décision que prendrait le conseil, si elles craignaient qu’il ne passât outre à la concession, elles pouvaient saisir de suite les tribunaux de la question de propriété, et arrêter ainsi l’action du conseil. Ce que j’ai dit est justifié par deux arrêts de la cour de Liége, dont je vais vous donner lecture.
M. Gendebien a dit que la question avait été jugée dans un sens contraire par la cour de Bruxelles. Je regrette que M. Brixhe ne l’a pas rapporté dans son excellent ouvrage sur les mines.
Mais les principes sur lesquels sont fondés les arrêts de la cour de Liége, sont tellement évidents qu’il est impossible qu’ils ne fassent pas jurisprudence.
Voici le premier arrêt :
« Attendu que l’objet de la contestation est une simple question de propriété, élevée entre deux particuliers qui prétendent l’un et l’autre être propriétaires des deux bures et des mines qui en dépendent ;
« Qu’indépendamment, soit du préfet soit du conseil d’Etat, une question de cette espèce doit, par la nature de son objet, être présentée à la décision des tribunaux et cours qui sont seuls compétents pour en connaître ;
« Que ces principes ne sont pas contraires à la loi du 21 avril 1810, qui ne contient aucune disposition qui défende aux particuliers qui se prétendent propriétaires de mines et de bures de porter, dans tous les temps, devant les tribunaux, leurs prétentions à cet égard ;
« Attendu qu’il n’est jamais indifférent ou inutile à un particulier qui se croit propriétaire d’un objet, dont on lui conteste la propriété, de savoir si effectivement la propriété de cet objet lui appartient ou non ; qu’ainsi la décision sollicitée par la partie appelante ne sera jamais oiseuse ;
« La cour met l’appellation et ce dont est appel au néant ; émendant, déclare que le tribunal de première instance était compétent pour connaître de la demande formée par la partie appelante. »
On prétendait que les parties devaient attendre que le conseil d’Etat eût prononcé avant de saisir les tribunaux de la contestation.
Voici le deuxième arrêt :
« Considérant que l’action des demandeurs tend à faire déclarer que les mines sous les terrains par eux désignés sont leur propriété, qu’aucune des parties n’en a obtenu la concession, qu’il s’agit d’un droit de propriété ; que les demandeurs ont intérêt à le faire reconnaître par le défendeur ou par un jugement, puisque cette reconnaissance peut être un motif de préférence pour lui faire obtenir la concession de l’autorité administrative ;
« Considérant que le renvoi par cette autorité à l’autorité judiciaire est facultatif, qu’il n’est pas nécessaire pour établir la compétence du tribunal ; que la loi du 21 avril 1810, l’arrêté royal du 18 septembre 1818, ne prononcent ni la nullité de l’action, ni l’incompétence de l’autorité judiciaire pour le défaut de renvoi ; que si la compétence du tribunal y avait été subordonnée, cette disposition importante eût été clairement et expressément énoncée dans la loi et l’arrêté ci-dessus mentionnés. »
Comme vous voyez, il est évident que la partie peut toujours saisir les tribunaux, si elle craint que le conseil passe outre sur une question de propriété qui serait opposée à une demande en concession.
M. Gendebien. - L’honorable préopinant a dit que j’avais pris la parole, dominé par un sentiment profond de défiance contre la juridiction du conseil des mines ; oui, messieurs, cette défiance est profonde et elle est justifiée par les injustices les plus palpables et les plus intolérables dont un homme honorable du Hainaut a été victime, et dont je ne veux pas que les fils et petits-fils continuent à être victimes et par les mêmes raisons et par les mêmes moyens.
On vous parle, messieurs, du conseil de mines, comme s’il devait être composé de divinités. Pour moi, je le repousse, me promît-on qu’il serait un conseil d’anges. Il y avait au conseil d’Etat de France, et même au conseil d’Etat de Guillaume, des hommes très probes, des hommes que l’on regardait comme au-dessus de tout soupçon ; cependant ces hommes ont commis les injustices les plus palpables, les plus révoltantes ; est-ce par corruption, est ce par ignorance ? Je n’ai pas besoin d’aller jusque-là ; je respecte trop leur caractère pour le supposer ; mais ils ont cédé à l’intrigue, et voilà tout. Quel est l’homme qui peut se flatter de se mettre toujours au-dessus de l’intrigue ? L’intrigue est si habile, elle a tant de ressources, tant de moyens, que le plus honnête homme se trouve enveloppe dans ses filets ; et souvent il n’y est enveloppé que parce qu’il est honnête homme, et qu’il ne peut pas supposer l’intrigue, son cœur se refusant à y croire.
Messieurs, je le dis, à moins d’avoir un conseil composé de trois anges, n’importe qui en fera partie, il ne présentera pas la garantie de magistrats inamovibles, jugeant publiquement, de magistrats ayant au-dessus d’eux des degrés de juridiction pour redresser leurs erreurs.
Mais, dit le ministre de la justice, le conseil trouvera un contrôle dans l’opinion publique qui signalera les erreurs : belle consolation pour ceux qui auront été spoliés ! Ils auront, comme le plaideur, droit de se plaindre pendant deux fois vingt-quatre heures ; toutefois avec cette différence immense entre eux, que l’un ne pourra se plaindre que pendant deux jours pour renoncer ensuite à toute espérance, tandis que le plaideur a un recours en appel et en cassation.
Je pense qu’on ne m’a pas réfuté. On n’a pas même essayé de répondre à mes principales objections ; j’ai démontré que le conseil des mines était impraticable ; et j’ai cité entre autres les enquêtes : on a dit que ce conseil s’entourerait de lumières au moyen d’enquêtes, et j’ai fait voir que cela était impossible. Mais, a répondu M. le ministre de la justice, le conseil fera les enquêtes par délégation. J’ai demandé assez haut pour être entendu : Qui déléguera-t-on ? Le ministre s’est bien gardé de me répondre. Eh bien je le demande encore : Qui déléguera-t-on ? Sera-ce une branche du pouvoir administratif ? Mais alors nous ne trouvons plus la garantie qu’on nous promet dans les trois hommes modèles du conseil, car ce seront des hommes étrangers au conseil introuvable qui feront l’enquête. Et si vous avez recours à l’autorité judiciaire, vous rentrez tout naturellement dans l’ordre judiciaire, comme je le propose ; mais alors vous vous mettez en contradiction avec vous-mêmes, car vous allez saisir les tribunaux de la connaissance d’une question administrative.
Vous voyez donc bien que votre conseil n’est pas praticable, surtout si vous le bornez à trois ou quatre membres.
Mais, a dit M. Fallon, on vous a effrayés d’un nombre de 800 affaires, et je n’ai trouvé qu’un chiffre de 366 affaires j’ai dit qu’il y avait 366 demandes, et qu’en supposant une opposition pour chacune (j’en connais pour lesquelles il y a sept oppositions et une demande en concurrence), cela fera environ 800 affaires.
Il en est une infinité qui seront décidées en 24 heures, a dit M. Fallon, et c’est le plus grand nombre. S’il en est ainsi, avant trois ans le conseil des mines n’aura plus rien à faire, et il sera une véritable sinécure.
Il est probable que d’ici trois ans on aura songé sérieusement à un conseil d’Etat, et on nous a fait pressentir que les élus au conseil seront sur le marchepied du conseil d’Etat ; on ne manquera pas de dire : Voilà trois ou quatre conseillers modèles qui n’ont plus rien à faire, il faudra les employer ; on leur adjoindra trois ou quatre hommes modèles et on fera un conseil d’Etat. Ainsi, ou vous aurez avant trois ans un corps de sinécuristes, ou vous aurez fait un pas immense vers le conseil d’Etat.
On vous a dit, messieurs, que ma défiance ne portait pas seulement sur le conseil des mines, mais qu’elle portait encore sur la composition des députations des conseils provinciaux, qui seront tous formés d’hommes très probes ; ce que j’admets bien volontiers, puisqu’ils seront le résultat de l’élection : eh bien, dit-on, c’est cette députation qui fera toute la besogne, qui prendra tous les renseignements, instruira complètement et quand elle enverra le dossier au conseil des mines, celui-ci n’aura plus qu’à vérifier. Son travail se bornera à peu de chose.
S’il en est ainsi, si les demandes en concessions sont si bien instruites qu’il n’y aura plus qu’à vérifier, pourquoi ne pas les renvoyer à l’avis des tribunaux, et que devient l’objection que les tribunaux seront surchargés, puisqu’ils n’auront rien ou presque rien à faire de l’avis même de M. Fallon ?
On vous a dit, messieurs, que mon projet était inconvenant (je n’avais pas encore compris ce mot dans le sens que lui donne M. Fallon), parce que les demandes en concessions resteraient cinq ou six ans devant les tribunaux avant d’avoir une solution : mais je demanderai à M. Fallon quelle garantie nous aurons que le conseil videra les affaires plus promptement que les tribunaux ?
Dans les tribunaux il sera fait un rapport, et si une des parties n’est pas satisfaite du rapport, la cour d’appel pourra être appelée à faire à son tour un rapport en public. On traitera les affaires comme matières sommaires, comme matières urgentes, si l’on veut, et dès lors vous aurez bien vite une décision.
Ensuite, s’il est vrai de dire que des affaires complètement instruites, comme l’a dit M. Fallon, par les députations provinciales, doivent attendre cinq ou six ans devant les tribunaux, ce n’est pas une objection contre ma proposition, ce n’est pas elle qu’il faut attaquer, c’est le gouvernement qui abandonne les justiciables à une pareille incurie ; c’est à l’insuffisance du personnel des tribunaux qu’il faut s’en prendre et non à ma proposition. Qu’on augmente ce personnel. Depuis 15 mois le ministre de la justice est saisi de la réclamation du tribunal de Charleroy pour l’augmentation de son personnel, et le ministre ne s’occupe pas de cette demande.
On vous a dit, messieurs, que le conseil des mines n’était nullement appelé à juger une question de propriété, lorsqu’il règle l’indemnité à accorder aux propriétaires de la surface ; qu’il ne s’agit que d’appliquer la loi ; que la loi établit un chiffre. Or, messieurs, en supposant que l’article 4 soit adopté, il y a une échelle assez étendue. M. Fallon a parlé de 25 centimes seulement : il a passé sous silence l’autre extrême du tarif, un franc. Il aurait pu voir au troisième paragraphe de l’art. 4 que l’indemnité ne sera pas moindre de 25 centimes et ne surpassera pas un franc, quand il s’agira des mines de houille. Il y a donc une appréciation, une évaluation à faire, un jugement à porter sur la valeur d’une portion ou d’une dépendance de la propriété, et d’après la constitution les tribunaux seuls peuvent connaître de ces sortes de questions. Pour les mines de houille l’indemnité étant minime et l’intérêt du propriétaire étant presque nul, l’inconstitutionnalité est moins apparente. Mais pour les mines de fer, qui déterminera l’indemnité ? Sera-ce le conseil ? Il ne s’agira pas de donner 25 centimes ou un franc pour des propriétés qui pourront avoir une valeur de 40,000 fr. ; on a reconnu que cette indemnité n’était pas applicable aux mines de fer.
Saisirez-vous les tribunaux de cette question d’indemnité pour les minerais ? Vous serez donc obligés de faire une nouvelle loi, sur des bases toutes différentes. Vous arriverez à reconnaître la nécessité de concéder certaines mines de fer, et vous serez obligés de saisir les tribunaux, parce que alors l’intérêt sera immense, et l’inconstitutionnalité palpable et odieuse. Mais, en justice, ce n’est pas la somme qui règle les droits et la compétence, c’est la nature de l’objet lui-même et d’après la constitution, vous n’avez pas le droit de vous immiscer dans des questions de propriété ; vous n’avez pas plus le droit de décider si ce sera un franc ou 25 centimes qu’on paiera, que de régler des indemnités plus fortes, quand il s’agira des mines de fer. Dans tous les cas les tribunaux doivent donc intervenir.
On vous dit que d’ailleurs ce n’est pas exproprier les propriétaires, qu’ils ne sont pas forcés de se soumettre au règlement de l’indemnité, puisque si les propriétaires veulent exploiter, ils ont toujours la préférence. Mais non ; et encore une fois lisez le paragraphe 3 de l’art. 6, il porte : « Néanmoins le gouvernement pourra, de l’avis du conseil des mines, s’écarter de cette règle (la préférence), dans les cas où les propriétaires de la surface se trouveraient en concurrence soit avec l’inventeur, soit avec le demandeur en extension, ou bien dans tous autres cas (remarquez bien ceci, messieurs) où des motifs d’équité ou des considérations d’intérêt général exigeraient d’accorder la concession à tous autres. » Voilà une petite disposition qui me paraît très large, et qui donne toutes facilités de dépouiller impunément les propriétaires de la surface et de rendre complètement nulle la préférence que M. Fallon vous assure leur être toujours accordée.
Rien de plus arbitraire que l’interprétation de ce qu’on appelle l’intérêt général.
Quand il s’agit de se prévaloir de l’intérêt général, vous savez ce qui détermine le gouvernement ; c’est le poids de l’or près des uns, c’est le mérite de tel parchemin, les services rendus non au pays, mais à telle individualité. Voilà comment le gouvernement entend l’intérêt général. Pour moi, je ne veux rien de tout cela, parce que je ne veux point d’arbitraire et que je le repousserai toujours sous quelque forme qu’il se déguise. Je veux pour juges des hommes intègres et indépendants, ayant l’expérience des affaires. Ces garanties vous ne les trouverez nulle part mieux que dans les tribunaux,
Mais il s’agit d’intérêt général, de questions d’économie politique, nous dit-on sans cesse. Et qu’importe à l’intérêt général que ce soit Pierre plutôt que Paul, Paul plutôt que Jean, qui obtiennent la concession ; qu’il soit noble, qu’il soit comte, marquis ou duc, ou prolétaire, qu’importe ! l’essentiel, c’est que les mines soient exploitées, c’est que chacun puisse obtenir l’objet de ses recherches, le fruit de ses travaux. Nous pouvons nous en rapporter à son intérêt particulier des soins de faire valoir la fortune publique : la fortune publique n’est jamais mieux administrée que quand elle est d’accord avec l’intérêt particulier.
Pour les questions de préférence, pourquoi les tribunaux en connaîtraient-ils ? Je demande à mon tour pourquoi ils n’en connaîtraient pas ? Pourquoi ne pourraient-ils pas donner leur avis sur une question de préférence comme le feraient les 3 jurisconsultes composant le conseil ? Ces juges n’ont-ils pas toutes les connaissances que peuvent posséder les membres du conseil ? N’offrent-ils pas en outre bien plus de garanties de sécurité pour tout le monde ?
Mais, dit-on, les questions de préférence sont des questions d’utilité publique. Est-ce que les tribunaux ne sont pas à même de juger de l’intérêt public aussi bien que les trois jurisconsultes du conseil ? L’intérêt public se lie constamment à l’intérêt particulier.
Au sujet des délimitations entre les concessionnaires, on vous a dit qu’il était tout naturel que le gouvernement fît ces délimitations. Mais cette réponse ne signifie rien. Je répondrai, à mon tour, qu’il est tout naturel que les tribunaux fassent ces délimitations ; ce sera l’équivalent de votre assertion.
S’il s’agissait de délimitation de concessions nouvelles demandées par trois ou quatre personnes, je comprendrais que le gouvernement établît la délimitation et que le conseil fût appelé à donner son avis ; et, dans ce cas même, je ne vois pas pourquoi les tribunaux ne pourraient pas être appelés à donner leur avis. Mais les délimitations ne se borneront pas à cela, il n’y aura pas d’exemple de délimitation de concession qui ne soit bornée à deux ou trois ou au moins à une ancienne concession. Il s’agira donc de propriétés à limiter. Par conséquent, il est naturel que ce soient les tribunaux plutôt que le conseil qui donnent leur avis.
La question de la division par lots est une question d’utilité publique ; c’est encore la seule raison que l’on donne. Mais il est incontestable que les tribunaux d’arrondissement, ayant des notions sur les localités, pourront mieux connaître l’utilité ou l’inutilité de la division par lots que le conseil des mines siégeant à Bruxelles.
Quant à l’inventeur, on m’a répondu que pour régler son indemnité, il convenait mieux que ce fût le conseil que le tribunal. Mais en quoi cela convient-il mieux ? On n’a pas donné une seule raison !
Il est impossible, messieurs, que vous consentiez à ce que celui qui après 15 ou 20 ans de recherches et de travaux a découvert une mine et s’en est trouvé spolié par les intrigues d’un homme puissant, soit soumis à cette même influence, lorsqu’il s’agira de l’indemniser de ses travaux. A coup sûr, on ne viendra pas invoquer les grands mots d’intérêt public, d’économie politique, lorsqu’il s’agit d’indemniser un homme de génie ou un ouvrier habile. Après avoir privé cet homme du fruit de ses recherches, vous le soumettrez aux mêmes intrigues qui l’en ont privé lorsqu’il s’agit de l’indemniser de cette spoliation. Ce serait une injustice révoltante.
Ce serait dire que dans la Belgique régénérée, comme dans le grand empire et sous Guillaume, les intrigants, les hommes puissants obtiendront tout, l’honnête homme sera toujours dupe et l’homme industrieux, s’il est pauvre, sera toujours condamné à la besace ; les hommes gouvernementaux sont toujours les mêmes, les petites passions sont toujours dominantes chez les gens de cour.
On a essayé d’aborder la question de propriété. J’ai dit que le conseil peut se tromper sur la question de savoir si l’opposition est réellement fondée ou non sur la propriété ; et j’avais dit qu’en supposant que l’opposant pût déférer directement la question aux tribunaux, sans attendre le renvoi de l’autorité administrative, il y avait encore un très grand inconvénient, en ce que d’un côté il pourrait intervenir une décision administrative dans un sens, et une décision judiciaire dans un autre sens. Qu’a-t-on répondu à cela ? On a répété que si l’opposant a de la défiance sur l’impartialité du conseil, il se pourvoira devant les tribunaux. Mais cela ne répond à rien, cela ne détruit mon opinion sous aucun rapport. La première question est de savoir si l’on peut aller devant les tribunaux sans renvoi préalable. Il y a à cet égard deux arrêts de la cour de Liége qui résolvent cette question affirmativement, et deux arrêts de la cour de Bruxelles qui la résolvent négativement.
Je crois qu’il y en a deux, mais je garantis qu’il y en a au moins un ; je le sais pour avoir plaidé dans la cause. Cet arrêt a décidé que les tribunaux ne pouvaient pas être saisis sans renvoi.
Qui a raison des cours de Liège ou de Bruxelles ? Je n’en sais rien. On vous a lu les deux arrêts de la cour de Liége. Si j’avais ici l’arrêt de la cour de Bruxelles, je vous en donnerais lecture et vous venez qu’il est aussi parfaitement motivé. Au reste nous devons attendre la décision de la cour de cassation. Mais je suppose qu’elle décide que les particuliers peuvent ne pas attendre le renvoi et saisir les tribunaux, restera toujours mon observation à laquelle il était essentiel de répondre. Par le fait que l’exposant aura saisi les tribunaux, le conseil se considérera-t-il comme dessaisi ? S’il ne croit pas l’opposition fondée sur la propriété, il passera outre, il accordera la concession ; le mal sera fait, et cependant l’opposant aura saisi les tribunaux, il aura eu gain de cause devant eux. Qu’adviendra-t-il ? d’un côté, au nom du roi on exécutera la décision du conseil ; d’un autre côté, au nom du roi et de la constitution, on viendra exécuter la décision judiciaire.
Comment déciderez-vous ce conflit ? Je vous ai mis en demeure de répondre à cette observation, je vous somme de nouveau de le faire. Avez-vous dans la loi quelque disposition qui prévoie ce cas ? Cependant il peut se présenter, il se présentera. Vous éviteriez tous ces embarras en ne dérogeant pas aux règles sur la compétence, à l’esprit de la constitution.
Les deux honorables membres qui ont essayé de me réfuter n’y sont pas parvenus ; malgré tout le talent que je leur reconnais, ils ne m’ont pas répondu, et cela par une raison bien simple, c’est qu’il n’y avait rien de bon à répondre, et qu’ils ont adopté un système faux, erroné, inconstitutionnel.
Enfin, pour dernière observation, je trouve dans votre système même une anomalie qui en prouve la fausseté et l’erreur. Vous dites que tout ce qui concerne les concessions constitue des actes administratifs qui ne peuvent être soumis aux tribunaux, même pour un simple avis ; cependant vous reconnaissez à l’opposant le droit d’immiscer l’autorité judiciaire dans des actes que vous dites administratifs, puisque vous lui reconnaissez le droit de saisir les tribunaux d’une opposition, s’il a de la défiance pour les décisions du conseil des mines. Vous n’êtes pas conséquent, ou plutôt votre système est tellement erroné qu’il vous conduit de votre aveu à l’absurde.
Ainsi, s’il y a anomalie dans l’un des deux systèmes, ce n’est pas dans le mien ; c’est le seul qui soit conforme à la constitution.
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.