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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 19 avril 1836

(Moniteur belge n°111, du 20 avril 1836)

(Présidence de M. Raikem.)

La séance est ouverte à une heure.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Verdussen fait l’appel nominal.

M. de Renesse lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Verdussen fait connaître l’objet des pièces suivantes, adressées à la chambre.

« Le sieur Dierckx, à Bruxelles, adresse des observations sur le projet de loi relatif au mines. »


« Les membres du conseil charbonnier du bassin de Charleroy, représentant 60 sociétés, adressent des observations sur le projet de loi relatif aux routes. »


« Le sieur G. Collart, avocat, né à Nivelles de parents français, ayant omis de faire la déclaration voulue par l’art. 9 du code civil, demande la grande naturalisation. »


« Le sieur George-Alexandre Thompson, Anglais de naissance, habitant depuis 9 ans la ville de Bruges, demande la naturalisation. »


- Les deux premières pétitions resteront déposées sur le bureau, en attendant la discussion de la loi sur les mines. Les deux autres sont renvoyées à M. le ministre de la justice.

Projet de loi relatif au transit

M. Desmaisières, rapporteur de la section centrale chargée de l’examen du projet de loi relatif au transit, dépose son rapport sur le bureau.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. La discussion a été précédemment fixée.

Projet de loi modifiant certaines limites communales

Rapporteur de la commission

M. Simons, rapporteur de la commission chargée de l’examen du projet de loi relatif à la délimitation de quelques communes, dépose son rapport sur le bureau.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

M. de Renesse. - Messieurs, j’ai l’honneur de demander que ces projets de loi de délimitation, soient mis à l’ordre du jour entre le premier et le deuxième vote du projet de loi sur les mines, afin de pouvoir être discutés avant la mise à exécution de la loi communale, et ainsi éviter aux habitants de ces communes de devoir concourir, en peu de temps à deux différentes élections communales. Je crois en outre pouvoir appuyer ma demande sur les nombreuses réclamations faites depuis très longtemps, par tous les habitants de ces communes, contre leur réunion à d’autres administrations communales : réunion qui a lésé leurs intérêts les plus chers, et qu’ils ont toujours regardée comme une véritable injustice commise à leur égards même l’un des arrêtés de réunion n’a jamais reçu son entière exécution, et l’une des communes, celle d’Eccloo, a été privée, depuis 1813, de la jouissance de plus de 200 bonniers, qu’elle devait recevoir en compensation d’un hameau qu’elle a dû céder à une autre commune. J’espère que la chambre voudra bien prendre en considération les motifs que je viens d’énoncer, et déclarer l’urgence de la discussion de ces projets de loi, en admettant ma proposition, qui tend à faire redresser au plus tôt l’injustice dont ces communes ont été les victimes. Je pense d’ailleurs que ces projets de loi ne donneront lieu à aucune discussion.

- La proposition de M. de Renesse est mise aux voix et adoptée.

Projet de loi qui ouvre un crédit pour construction de routes

Motion d’ordre

M. d'Hoffschmidt. - Je remarque que dans le rapport de l’honorable M. de Puydt sur la question qui va nous occuper, il n’est pas formulé de projet de loi, mais seulement une proposition.

Je demanderai à M. le ministre de l’intérieur s’il n’est pas dans l’intention de nous présenter par lui-même un projet à cet égard.

Il me semble que pour un objet aussi important, c’est au gouvernement à présenter un projet lorsqu’il n’y en a pas de présenté.

Il est vrai que nous avons l’initiative ; mais dans le cas présent il me paraît plus rationnel que le gouvernement présente lui-même un projet ; par là, nous connaîtrons l’intention du gouvernement, non seulement sur le taux de l’emprunt, mais encore sur le mode de remboursement.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, vous vous rappellerez comment la chambre a été saisie de la proposition qui va nous occuper : c’est l’honorable M. de Puydt, qui, il y a deux ans, a présenté un projet de loi d’emprunt de 16 millions de francs,

La commission nommée pour examiner ce projet s’est mise en rapport avec moi, et je me suis empressé de lui communiquer mon opinion sur ce projet.

C’est en suite de ce rapport que la commission a adopté la proposition d’un emprunt de 6 millions de francs.

Sous ce point de vue, je me suis rallié à la proposition de la commission ; mais je ne puis adopter la proposition de la commission, en ce qui concerne l’institution d’une commission dont les membres seraient pris an sein des deux chambres.

Je déposerai sur le bureau, quand la discussion sera ouverte, deux articles qui, suivant moi, devraient constituer toute la loi.

Ces deux articles sont ainsi conçus :

« Art 1er. Il est ouvert au gouvernement un crédit de six millions de fr., à l’effet de pourvoir à la construction de routes pavées et ferrées. »

« Art. 2. La dépense sera couverte au moyen d’un emprunt qui sera ultérieurement réglé par une loi, et dont les intérêts et l’amortissement seront prélevés sur l’excédant du produit des barrières.

M. de Puydt, rapporteur. - Je ne puis qu’abonder dans le sens des explications que M. le ministre vient de donner à la chambre.

Au mois de mars 1834, j’ai présenté une proposition, tendant à faire contracter un emprunt de 16 millions de fr., dont le montant aurait été consacré à la construction de nouvelles routes.

Plus tard la commission des travaux publics, modifiant cette proposition première, vous a proposé, par mon organe, le projet d’un emprunt de 6 millions.

Le principe et le but de cette nouvelle proposition étant les mêmes que ceux de mon projet, je n’ai pas de raison pour ne pas m’y rallier.

Quant à l’absence du projet de loi, signalée par un honorable préopinant, je pense que ce n’est ici qu’une affaire de forme. La commission a formulé une proposition ; elle se trouve dans le corps du rapport ; je la considère comme un projet de loi.

Le ministre de l'intérieur vient de nous annoncer qu’il proposera un amendement à ce projet : tout cela est dans les règles ; la chambre discutera et prononcera.

Je ferai remarquer qu’à la suite du rapport il est fait mention de diverses pétitions sur lesquelles la commission avait été invitée à faire un rapport.

Il est arrivé à ma connaissance que des communes ou des particuliers qui avaient adressé des pétitions avaient fait la remarque qu’il n’étaient pas compris dans le rapport, et qu’ils avaient conclu de là que la commission avait l’intention d’écarter leurs pétitions.

Je dois déclarer que toutes les pétitions qui ont pu être examinées ont été consignées dans le rapport ; s’il en est arrivé d’autres depuis, et que la commission n’en ait pas été saisie, elle n’a pu en faire mention.

Je déclare dans tous le cas que, quelles que soient ces pétitions, s’il est formé une commission, comme cela est proposé dans le projet de loi, toutes seront renvoyées à l’examen de cette commission pour être prises en considération.

Il en est une entre autres de la commune de Wiltz, ayant pour objet d’obtenir la construction d’une route de Bastogne à Diekirch. Les intéressés ont pu croire qu’elle était égarée, je dois les rassurer. Quand le projet de loi sera voté, cette pétition trouvera sa place sans qu’il soit besoin de faire aujourd’hui de son contenu un examen particulier.

M. Dumortier. - J’ai demandé la parole, pour relever une observation de l’honorable M. d’Hoffschmidt.

Je suis étonné de voir cet honorable membre venir faire un reproche au ministre de ne pas prendre l’initiative : l’initiative est une des plus belles prérogatives que nous ayons ; et il serait assez singulier que nous nous en privassions nous-mêmes.

Je ferai remarquer que la commission a présenté un projet de loi ; il se trouve formulé à la page 3 du rapport ; dès lors nous avons tout ce que nous pouvons désirer.

Je demanderai maintenant que le ministre de l’intérieur veuille bien nous indiquer, avant le début de la discussion, quelle a été la moyenne du produit de nos barrières pendant les 5 années qui viennent de s’écouler.

Nous devons savoir quel a été l’excédant du produit de nos barrières, pour nous former une idée de ce que nous pouvons affecter au projet de loi qui va être mis en discussion, et auquel je me rallie en principe.

Il ne suffirait pas de raisonner, en prenant pour point de départ le produit de l’année dernière qui a été productive car il y a des années moins productives ; il est donc nécessaire de raisonner d’après une moyenne.

Je crois que le tableau indicatif des produits des barrières qui est peu considérable pourrait être imprime et distribué pour la séance de demain.

M. d'Hoffschmidt. - Je dois répondre à l’honorable M. Dumortier que je me suis toujours montré aussi jaloux que lui des prérogatives de la chambre.

Si j’ai demandé au ministre de l’intérieur s’il ne déposait pas un projet de loi, c’était dans le but de connaître quelles seraient les intentions du gouvernement (intentions qu’il n’avait pas manifestées jusqu’à présent) sur le taux de l’emprunt et sur le mode de remboursement.

Je dois dire quelques mots, relativement à la pétition de la commune de Wiltz. Cette pétition, dit-on, n’aurait pas été renvoyée à la commission des travaux publics, depuis qu’elle a fait son rapport ; je dois dire qu’on se trompe : la pétition a été renvoyée à cette commission par décision de la chambre, et même sur ma demande.

Cette pétition a été examinée, comme les autres ; elle s’est peut-être égarée, et l’honorable rapporteur de la commission la retrouvera, j’en suis sûr, dans ses archives.

Qu’il me suffise de dire que la pétition avait pour objet la construction d’une route de Bastogne à Diekirch.

Je demande que le dépôt en soit fait au bureau des renseignements.

M. Watlet. - Je demande la parole pour rectifier une erreur commise par le rapporteur de la commission, et partagée par l’honorable préopinant.

La pétition de la commune de Wiltz a été rapportée précédemment.

La commission des travaux publics a présenté deux rapports sur toutes les pétitions qui lui avaient été renvoyées ; L’un est du 8 décembre et l’autre du 18 février.

On ne fait pas mention de la pétition dans le rapport du 18 février, parce qu’on s’en était occupé dans le rapport précédent.

En effet, la pétition qui, sur la demande de l’honorable M. d’Hoffschmidt, avait été renvoyée à la commission des travaux publics, figure dans le premier rapport de cette commission sous le numéro 2.

(L’orateur donne lecture de cette partie du rapport ; il reprend ainsi :)

Il en résulte donc que la pétition n’a pas été écartée, mais qu’elle a été renvoyée à M. le ministre de l’intérieur.

M. de Puydt, rapporteur. - Il résulte de cette rectification que la pétition n’est pas égarée ; qu’elle a été renvoyée au ministre de l’intérieur comme toutes les autres qui sont mentionnées dans le dernier rapport. Quoi qu’il en soit, toutes ces pétitions sortiront leur effet, et il y sera fait droit s’il y a lieu.

Discussion générale

M. le président. - Voici le projet présenté par M. le ministre de l’intérieur :

« Art. 1er. Il est ouvert au gouvernement un crédit de six millions de francs à l’effet de pourvoir à la construction de routes pavées et ferrées. »

« Art. 2. La dépense sera couverte au moyen d’un emprunt qui sera ultérieurement réglé par une loi et dont les intérêts et l’amortissement seront prélevés sur l’excédant du produit des barrières. »

M. Pirmez. - Si l’idée de donner en gage le revenu des routes, pour se procurer les moyens de construire d’autres routes n’est pas nouvelle, l’opposition que je viens faire à ce projet ne l’est pas davantage. Pendant de longues années, le système qui vous est présenté aujourd’hui, fut l’objet des réclamations les plus constantes et les plus vives d’un grand nombre de députés des états du Hainaut. L’honneur de cette invention appartient aux Hollandais ; sans eux nous ne l’eussions jamais faite. C’est une de ces mesures financières qui leur étaient si familières et par lesquelles ils s’appropriaient d’une manière détournée les ressources de la Belgique. Le but de la conception d’un emprunt sur les routes fut de construire des routes en Hollande aux frais d’une partie de notre pays.

En effet la Hollande ne possédait que deux ou trois routes dont l’entretien était extrêmement dispendieux. L’ancienne république batave n’avait jamais employé ses ressources à cette sorte de construction, à laquelle la nature du sol paraissait d’ailleurs s’opposer. Tout le monde sait que la Hollande n’est pour ainsi dire qu’un vaste marais desséché, coupé de rivières et de canaux, où il ne se trouve pas une seule pierre, tellement que c’est en briques qu’on y pave la plupart des chaussées. Il est évident qui, dans peu de pays la construction des routes n’était plus difficile, c’est-à-dire plus coûteuse.

Et dans aucun pays le produit des péages ne devait être aussi faible. Le niveau du sol qui est presque partout celui de la mer avait permis de le diviser facilement en tous sens, par une multitude de canaux sur lesquels se transportaient, par un service régulier de messageries, toutes les marchandises sans exception et presque toutes les personnes. Le trajet par terre n’était pour ainsi dire qu’un voyage de luxe à l’usage de ceux qui, toujours peu nombreux, possèdent des chevaux et des voitures.

Une pareille situation empêchait naturellement la construction des routes en Hollande.

La prospérité et la richesse inouïe où parvint la république n’autorisa jamais son gouvernement à entreprendre ces constructions.

Le bon sens public, le bon sens calculateur hollandais, qui ne se laissait pas égarer par des phrases, eût bientôt fait justice de dépenses extravagantes qui ne pouvaient être balancées par aucune recette, et qui, supportées par tous, n’auraient profité qu’à quelques-uns.

Quant aux particuliers dont l’intelligence dans l’emploi des richesses était proverbiale, ceux dont tous les gouvernements de l’Europe étaient débiteurs, ils n’ont jamais pensé, quel que fût leur patriotisme, à donner à leurs capitaux un tel emploi dans leur propre pays. L’opération était trop mauvaise pour qu’ils songeassent à les y engager.

Mais s’il était absurde pour le gouvernement et pour les particuliers de construire des routes en Hollande, alors que les Hollandais auraient dû payer ces constructions, il ne l’était plus dès que la charge en était supportée par des étrangers. En effet, qui ne voudrait voir son pays sillonné de communications faciles, alors que ce bien ne devrait être acheté par aucun sacrifice ?

Messieurs, toutes nos jouissances économiques ne peuvent être achetées que par du travail, ou, si on le préfère, par de la peine, de la difficulté. Eh bien, c’est du projet de donner aux Hollandais la jouissance de communications agréables, et de faire supporter par des Belges la difficulté, la peine que coûte cette jouissance, que sont nées les idées des emprunts sur le produit des routes, et toutes les argumentations que vous entendrez encore dans cette discussion.

Messieurs, les Hollandais étaient les plus forts, et lorsqu’on est le plus fort, le sophisme est facile ; mais c’est alors surtout qu’il est odieux à ceux qui en sont la victime. Je me trouve encore sous l’empreinte des sentiments d’indignation que soulevaient dans les états du Hainaut les arguments du gouvernement hollandais pour colorer l’œuvre de déraison et d’iniquité dans lequel il s’était engagé. Et cette indignation était bien légitime, car c’était surtout le Hainaut que cette mesure opprimait.

La nature a départi ses dons aux différentes contrées de diverses manières. A la Hollande, le voisinage de la mer, l’embouchure des fleuves et une grande facilité de construire des canaux. Au Hainaut, des mines de fer et de houille, des carrières de toutes espèces de calcaire et de grès. Cette multitude de matières pesantes, et leur circulation dans la province, y nécessita naturellement des routes pavées ; car le sol généralement montueux y rendait la construction des canaux très difficile.

A la chute de l’empire français, il n’existait pas de droit de barrière. Les Hollandais qui ne possédaient pas de routes, l’établirent dès leur entrée en Belgique. Ils l’établirent uniformément sur la distance à parcourir sur toutes les routes, sans égard aux frais de l’entretien d’aucune d’elles, mais de telle manière que le droit dépassait de beaucoup la dépense d’entretien. Il en résultait que cet excédant était pris sur les contrées qui ont beaucoup de matières pesantes à transporter par terre, et par conséquent sur le Hainaut.

Dans cet état de choses, l’idée hollandaise, d’établir une communauté, une solidarité entre toutes les routes pavées, ne nous a jamais donné le change sur son but. C’était prendre au Hainaut une partie de sa facilité d’opérer le transport par terre pour en gratifier la Hollande, ou si on l’aime mieux, c’était donner au Hainaut une partie de la difficulté qu’éprouve la Hollande pour la lui ôter, c’était donner de la jouissance à la Hollande, avec les produits de la peine du Hainaut. C’était prendre au Hainaut ses avantages naturels sans compensation, car la Hollande ne partageait pas avec le Hainaut la facilité de communiquer par eau qu’elle avait reçue de la nature.

J’ai cité le Hainaut, parce que c’est le Hainaut surtout qui souffre d’une association entre les routes, et j’ai dû dire aussi que cette association ne nous a été imposée que par la force. Les arguments du gouvernement, loin de nous convaincre, ne nous ont inspiré que de la haine pour lui.

En effet ces arguments n’étaient autre chose que la répétition fastidieuse de cet éternel lieu commun, l’intérêt général. L’intérêt général ! Qui possède une idée nette de l’intérêt général ? Qui a jamais défini l’intérêt général ? L’intérêt général, mot vague, indéterminé, employé dans les significations les plus contraires, est la constante ressource de celui qui pour atteindre un but, n’a pas d’idée à émettre. C’est au nom de l’intérêt général qu’une communauté de routes pavées fut établie.

Quant à ceux qui combattaient cette œuvre de spoliation, ils étaient les ennemis de l’intérêt général. On leur reprochait leurs vues étroites et mesquines, leur patriotisme de province et de paroisse ; leur esprit n’était pas fait pour apprécier ces mesures larges et belles qui allaient couvrir le royaume d’un réseau de routes depuis Groningue jusqu’à Luxembourg.

Messieurs, voilà ce que disaient les Hollandais, et nous leur répondions ce que je vais répondre aux partisans du projet ;

Nous ne comprenons pas votre intérêt général, ou ce que nous en comprenons, c’est que vous appauvrissez les localités qui construisent facilement des routes pavées pour enrichir celles qui les construisent difficilement.

Nous savons aussi bien que vous toutes les belles choses qu’on peut dire sur la facilité des communications, et là-dessus point de dissentiment entre nous. C’est sur la peine que coûte la jouissance de ces communications que nous ne nous entendrons jamais, parce que vous nous faites supporter cette peine sans compensation. Avez-vous une raison pour établir une solidarité entre les routes pavées plutôt qu’entre les autres communications ? Vous n’en avez d’autre que celle des Hollandais eux-mêmes, qui, par cette mesure, avaient tout à recevoir et rien à donner.

Nous n’entreprendrons pas plus de définir l’intérêt général que vous ne le définissez vous-mêmes ; mais nous dirons qu’une mesure s’éloigne d’autant plus de l’intérêt général qu’elle se rapproche davantage de l’intérêt local. Et quoi tient plus à l’intérêt local que la construction des routes ?

Comptez celles qui existent en Belgique, et dites-nous qui les a construites ? Elles ont été construites par la province, par l’arrondissement, par la commune, c’est-à-dire par la localité. Il n’y a guère que 20 ans qu’une communication existe entre la capitale du Hainaut et Charleroy. Et bien, qui l’a payée ? La localité qui en profile au moyen de centimes additionnels, et il ne vint, je pense, dans l’esprit d’aucun de nous, de charger d’autres localités de supporter la peine que coûtait la jouissance que nous nous procurions.

Le rapport cite des pétitions. Messieurs, les pétitions prouvent surtout que les routes sont d’intérêt local. Sont-ce les habitants de Diekirch qui demandent une route pour Thielt, ou ceux de Thielt qui demandent une route pour Diekirch ?

Est-ce la régence de Verviers qui demande une route pour Wavre, ou la régence de Wavre qui demande une route pour Verviers ? Non, messieurs, chacun réclame une route pour sa localité, parce qu’une route est éminemment d’intérêt local, parce qu’une route est un bien immense pour la localité, si elle peut l’acquérir sans sacrifices.

Et comment peut-on donner les pétitions pour un motif d’adopter le projet ? Ah, messieurs, si vous entrez dans ce système, les pétitions ne vous manqueront pas. Si vous ordonnez que des routes seront construites au moyen des sacrifices de ceux qui n’en profitent pas, vous pouvez compter que des voix innombrables réclameront un aussi facile bien-être. Et que réclament ces pétitions ? Donnez-nous de la richesse sans travail, de la jouissance sans peine, ou plutôt donnez-nous de la richesse et de la jouissance au prix du travail et de la peine d’autrui. Les pétitions ne disent rien autre chose.

Mais, dit-on, les routes augmentent la valeur territoriale des contrées qu’elles traversent, et par conséquent les ressources de la nation tout entière qui sont en grande partie basées sur cette valeur. Sous ce rapport au moins les routes sont d’intérêt général. Eh bien, admettons que les routes pavées augmentent toujours la valeur territoriale, admettons même que seules entre toutes les communications elles ont le privilège de l’augmenter. Quelle sera la part de la nation dans cette augmentation ? Toujours fort petite comparée à la part de la localité. Une faible partie des ressources particulières est seulement attribuée à la nation. Dans la contribution foncière, par exemple, elle ne prend que le dixième du revenu. Ainsi, sous ce rapport-là même, l’intérêt local est à l’intérêt général comme dix est à un.

Messieurs, nous avons en nous un sentiment du vrai, dont l’expression se fait jour presque à notre insu à travers tous les sophismes. Le rapport lui-même si favorable au projet ne contient-il pas l’aveu formel que les routes appartiennent surtout à l’intérêt local ? Il vous représente les différentes localités se disputant naguère avec avidité, dans cette chambre, pendant de nombreuses séances, l’excédant du produit des barrières ; et fort de l’expérience acquise, il vous demande d’ordonner qu’une commission prise dans toutes les provinces répartisse la somme que vous voterez, parce que chaque localité voudra grossir sa part et qu’il s’élèvera à cette occasion les débats les plus irritants. Peut-on, je vous le demande, reconnaître d’une manière plus expresse l’intérêt local ?

C’est donc à la localité à construire des routes, puisqu’elle seule en à tous les avantages. Faire supporter cette charge par la nation entière, c’est prendre plaisir à y jeter la discorde. Naguère vous avez réparti les contributions foncières. Les localités que frappe cette opération s’y soumettront sans murmure, parce qu’elles y verront une mesure d’équité ; mais pensez-vous qu’en gratifiant de routes pavées des localités quelconques aux frais de la nation entière, vous ne détruisiez pas vous-mêmes la mesure d’équité qui vous coûta tant de peine à établir ? C’est une erreur dans laquelle tomberont peut-être ceux qui doivent recevoir des routes, mais que ne partageront pas ceux qui doivent les donner.

En effet, toutes les ressources de la nation ne proviennent que des privations imposées aux localités. Dans la péréquation cadastrale, avez-vous fait autre chose que de décider qu’une certaine portion de richesse, ou si vous l’aimez mieux, qu’une partie de la facilité d’obtenir les choses utiles serait ôtée dans certaines proportions aux localités ? Et qu’est-ce qu’une route si ce n’est de la richesse, un bien-être, une chose utile, une chose absolument identique à celles que vous ôtez par votre loi de péréquation. Ainsi, en construisant des routes aux frais de la nation, vous détruisez avec une légèreté extrême les mesures d’équité qu’un demi-siècle de minutieux calculs ont cherché à établir.

Mais, quelqu’injuste et déraisonnable que soit la construction des routes aux frais de la nation, ce serait une oeuvre de sagesse et de justice, en comparaison de la mesure qui vous est proposée.

Nos lois sur les barrières ont établi un droit de péage uniforme sur la distance parcourir sur toutes les routes, quelle que soit l’origine de la route, la facilité ou la difficulté de l’entretien, la hauteur ou la faiblesse du produit, de manière que, dans certaines localités où le transport par terre est considérable, certaines routes rapportent quatre ou cinq fois ce qu’elles coûtent, tandis que dans d’autres contrées, elles ne fournissent pas leurs frais d’entretien.

Nous ne venons pas tenter de détruire cette uniformité, nous connaissons trop l’impuissance de nos efforts ; mais qu’il nous soit au moins permis de faire remarquer combien elle doit nous inspirer de répugnance. Le droit du gouvernement d’user et d’abuser des routes pavées nous apparaît vague et problématique, puisqu’une grande partie d’entre elles ont été construites au moyen de sacrifices locaux. Quant à la nécessité d’une uniformité de péage, nous ne la comprenons pas davantage ; les canaux, les rivières, les chemins de fer n’y sont pas soumis. Sans doute le péage ne peut être calculé avec une exactitude extrême sur les frais d’entretien d’une route ; mais lorsqu’il le dépasse de quatre, cinq et six fois, nous ne nous y soumettons qu’à contrecœur, car cet impôt n’est plus alors une juste compensation de la charge de l’entretien. C’est une entrave la circulation. C’est un abus du droit de péage, tout au plus tolérable de la part d’un concessionnaire qui aurait un titre formel de propriété.

Et cet abus on le pousse jusqu’aux dernières extrémités. Vous croyez peut-être, messieurs, que les routes qui fournissent l’excédant de recette sur la dépense sont entretenues dans un état parfait. Il n’en est rien. Les routes sont mauvaises à peu près dans la proportion du revenu qu’elles donnent à la nation.

Et n’est-ce pas se jouer des mots, messieurs, que de nommer les sommes qu’on prélève par de pareils moyens, un excédant du produit des barrières, car ce n’est dans la réalité que le prix du mauvais entretien des routes ? Rendez les routes du Hainaut, celle de Mariemont à Nivelles, celle de Charleroy à Genappe aussi bonnes que l’est par exemple la route d’Anvers à Turnhout, alors nous consentirons à regarder les sommes qui resteront en caisse commue un excédant sur le produit des barrières. Jusque-là elles ne sont pour nous qu’un impôt que l’on se procure par la destruction de nos chevaux et de nos chariots.

Et nous avons cité les routes de Mariemont et de Turnhout, parce qu’en moins d’une demi-journée chaque membre de cette chambre peut s’assurer de leur état.

Pourquoi le pavé de l’une est-il uni, et celui de l’autre, labouré par les chariots, entièrement impraticable ? Dans la discussion de la loi des barrières, on a dit que la dégradation provenait de la température ; mais vous savez bien, messieurs, que la température a été la même sur la route d’Anvers que sur celle de Mariemont. On a dit qu’elle provenait de la pesanteur et du nombre des chariots, mais les chariots paient en proportion de leur poids et de leur nombre. La vérité est que l’entretien n’est pas en proportion de la destruction, c’est-à-dire que la dépense n’est pas en proportion de la recette. Si votre dépense d’entretien avait été quatre fois plus forte, la route de Mariemont et toutes celles qui produisent beaucoup seraient aussi bonnes que celles que produisent moins que rien.

Mais alors vous n’auriez pas ce que vous nommez l’excédant du produit des barrières, et vous ne pourriez pas l’hypothéquer. C’est donc l’assurance que les routes qui produisent beaucoup n’obtiendront pas un entretien nécessaire. C’est que ces routes seront toujours inférieures à celles qui ne produisent rien que vous donnez à votre préteur. Vous ne pouvez pas donner d’autre garantie.

En effet dans un pareil système de communauté, comment ne pas comprendre que lorsque le nombre des routes qui coûtent plus qu’elles ne produisent s’accroît, les routes qui produisent plus qu’elles ne coûtent souffrent dans la proportion de cet accroissement, car ce n’est que sur leur dégradation que se prennent les frais de construction et d’entretien des routes nouvelles. Si les routes qui produisent beaucoup sont mauvaises, c’est qu’on leur refuse ce qui est nécessaire à leur réparation, et on le leur refuse, parce que la construction et l’entretien d’autres routes réclament les sommes qui auraient dû servir à cette réparation.

Il est donc évident que la construction de chaque route nouvelle, dont le péage ne suffira pas non seulement à couvrir les frais d’entretien, mais encore à payer la construction, est une véritable calamité pour les contrées qui ont beaucoup de matières pesantes à transporter par terre, c’est-à-dire pour les contrées où les routes produisent infiniment plus qu’elles ne coûtent d’entretien. Et, comme aucune de vos routes nouvelles ne produira les sommes nécessaires à ces paiements, votre système, ou plutôt le système hollandais, que vous reproduisez, n’est que la dégradation organisée des routes du district qui m’a honoré de son mandat.

Vous sentez, messieurs, qu’un emprunt hypothéqué sur les ressources de la nation entière serait une faible injustice comparée à celle-là.

Mais, avec ce dernier emprunt même, la distribution de la somme empruntée aura toujours de fâcheux résultats. Un emprunt doit être remboursé, on doit en payer les intérêts. Pour satisfaire à ces charges, il faut des impôts ; ils seront répartis sur tous en proportion des ressources. Et pensez-vous que ceux qui ne participeront pas à vos largesses seront satisfaits du mot intérêt général que vous ferez retentir ? Pour moi, je n’en crois rien.

Vous apprendrez à ceux qui s’apprêtaient à faire des sacrifices qu’il est un autre moyen de se procurer des richesses que par du travail, et vous ouvrirez à la nation une nouvelle carrière d’intrigues. Vous compliquerez les difficultés des fonctions des ministres, en ajoutant aux nombreux solliciteurs qui les entourent toutes les députations des localités qui viendront réclamer des routes au nom de l’intérêt général ; surcroît d’obsession qui ne fortifiera pas le pouvoir central ; car, pour qu’il soit fort, il faut qu’il soit juste, et il est impossible d’être juste dans cette question irritante.

Et nous disons que la distribution de ces faveurs sera faite par le ministre, car ce n’est pas sérieusement sans doute qu’on vous propose de la laisser à une commission nommée par les sénateurs et les représentants de toutes les provinces. Attend-on quelque bon effet d’une opération qui pourrait déverser, selon la composition de la commission, toutes les faveurs sur une seule partie du pays ? Mais cette proposition renferme au moins encore l’aveu le plus complet et le plus formel que la question est toute d’intérêt local. Vous avouez franchement que le pouvoir central ne saurait agir sans être accusé de partialité, et ne sentez-vous pas que plus sont grandes et nécessaires vos précautions pour le garantir de cette accusation, mieux vous établissez que l’intérêt de cette question, n’est pas général, ou si vous l’aimez mieux, national.

Mais ce qu’il résulte surtout de cette proposition de faire distribuer les routes par une commission, c’est qu’il n’y a que confusion dans les idées sur l’intérêt de la nation à construire des routes pavées. En effet vous allez voter six millions pour cette construction dans l’intérêt que vous nommez général, et la situation de ces routes est encore pour vous un mystère. Il ne sera éclairci qu’après le combat que les auteurs du projet établissent eux-mêmes entre tous les intérêts locaux et qu’après les transactions où les plus habiles auront triomphé. Quelle idée claire, je vous le demande, peut exister sur l’intérêt de la nation à construire des routes lorsque leur situation est remise à de pareils hasards ?

M. de Nef. - Ayant maintes fois appelé l’attention du gouvernement sur l’ouverture de nouvelles communications dans le royaume, et principalement dans les provinces qui en ont relativement le moins, je me trouve naturellement porté à appuyer les conclusions de la commission des travaux publics, au sujet d’un emprunt destiné au développement du système des routes nationales.

Personne de nous, je pense, ne contestera que le pays entier doit nécessairement profiter de la plus grande facilité acquise de cette manière dans les moyens de transport, dès lors c’est évidemment le pays entier et non certaines localités convient de charger de cette dépense.

Pour ce qui concerne le mode d’y faire face, je partage entièrement l’avis de la commission, qui propose d’autoriser le gouvernement à ouvrir un emprunt de six millions de francs, et d’appliquer au remboursement et au paiement des intérêts l’excédant du droit des barrières ; de cette manière il n’en résultera en réalité pas de charge nouvelle pour les contribuables ; car il est évident que la plus grande circulation, qui sera le résultat certain des nouvelles communications, va augmenter ce même excédant dans la même proportion, et peut-être même au-delà.

D’autre part, j’ai assez de confiance dans les lumières et la prudence du gouvernement pour croire qu’il ne contractera cet emprunt que dans un moment opportun, par exemple lors de l’emprunt à contracter pour le système des chemins de fer, ce qui n’empêcherait pas de faire déjà entre-temps effectuer les travaux préparatoires et d’en couvrir la dépense par le moyen des bons du trésor.

Finalement et pour ce qui regarde l’exécution matérielle et notamment le choix des localités où les routes seront tracées, loin de demander aucune faveur, je désire au contraire que les agents du gouvernement reçoivent pour instruction d’agir dans tout le pays avec la plus stricte impartialité, et d’avoir constamment pour but la prospérité des habitants en général et la création de nouvelles richesses territoriales et industrielles au profit de l’Etat.

M. Zoude. - Messieurs, il a été dit il y a longtemps, et il a été répété naguère à la tribune française, que toute la question des douanes était dans le perfectionnement des communications intérieures : il est en effet vrai, messieurs, que le tarif des douanes doit s’élever ou s’abaisser en proportion des facilités que les routes présentent à la circulation de nos produits ; cette vérité que l’expérience journalière confirme vous sera démontrée encore, mais d’une manière bien funeste au district que je représente, si vous adoptez les modifications au tarif que le gouvernement vient de vous présenter dans la séance du 14 de ce mois, avant que l’établissement d’une route ne nous ait mis en position de lutter avec certains produits français dont on propose de réduire brusquement le droit d’entrée de 3/8.

Je veux vous parler des ardoises ; les carrières qui les fournissent en France sont au bord de la Meuse ; une brouette les conduit au bateau, tandis que les autres sont éloignées de ce rivage de près de dix lieues dont plusieurs enfoncées dans les terres d’un abord difficile ; eh bien, au moyen du droit actuel, ces exploitations étaient en prospérité, elles procuraient de l’aisance à tous les ouvriers d’alentour ; un nombre considérable de voituriers étaient employés à leur transport ; maintenant la réduction que l’on vous propose et que nous aurions pu supporter si nous avions des routes, cette réduction, dis-je, va fermer immédiatement nos carrières qui seront alors à peu près réduites aux besoins du voisinage, et c’est ainsi que la Belgique perdra des ardoises d’une qualité supérieure à tout ce qui est connu. Jusqu’ici, et j’invoque à cet égard les témoignages de l’inspecteur en chef des ponts et chaussées Teichmann, celui du savant professeur, M. Cauchy, et enfin celui du premier chimiste de l’école de Liége ; j’invoquerai un témoignage plus frappant encore, celui du gouvernement français qui met en condition aux entrepreneurs des bâtiments de l’Etat dans les départements de la Meuse et des Ardennes d’employer les ardoises d’Herbeumont et de la Géripont qui sont celles de mon district, malgré l’élévation de leur prix à cause de l’éloignement, tandis que c’est au milieu de ces départements mêmes que se trouvent les riches ardoisières de Fumay, que le gouvernement vous propose de protéger au détriment des nôtres d’une qualité éminemment supérieure.

Ce que je dis ici des ardoises, doit s’appliquer à tous les produits du Luxembourg : nos forêts de chênes si nombreuses et si belles, qui pourraient fournir aux besoins de la marine, au moins pour la navigation de nos eaux intérieures, ces forêts sont pour nous des richesses presque stériles, parce que le défaut de routes ne nous permet de les produire sur les marchés du centre du royaume qu’après en avoir consommé la plus grande valeur en frais de transport.

Vous parlerai-je de la forgerie dont la nature nous a prodigué la matière première avec la plus grande libéralité : eh bien, elle ne fait que languir parce qu’elle n’emploie que des matières pondéreuses qui doivent être transportées à de longues distances à travers des chemins difficiles, et que ses envois pour Liége, qui est son débouché le plus ordinaire, sont ordinairement six mois en route avant de parvenir à leur destination, et il est un membre de cette chambre qui en a encore qui sont épars dans les campagnes depuis plus de 6 ans.

Les mêmes obstacles se présentent pour nos plombs, mais bien plus encore pour le plâtre que le pays possède en telle quantité qu’elle pourrait suffire aux besoins du monde pour plusieurs siècles.

La province de Luxembourg dont le sol n’est pas aussi ingrat qu’on se plaît à le croire, rendra avec usure les bienfaits qu’il aura reçus de l’Etat. Cette province dont l’étendue est de plus du cinquième de celle du royaume a toujours été négligée par les divers gouvernements qui l’ont régie, sauf celui de Guillaume qui y avait entrepris beaucoup de travaux que la révolution a arrêtés tout à coup, mais qui ne seront que suspendus, sans doute, et notamment ceux du canal de Meuse et Moselle, dont le projet gigantesque avait été déclaré d’une exécution impossible, lorsqu’un honorable membre de cette chambre en a démontré non seulement la possibilité, mais encore certaine facilité de construction, et c’est immédiatement après cette démonstration que les travaux avaient commencé ; nous espérons que le gouvernement les fera continuer, et que la reconnaissance donnera à ce canal le nom de son inventeur, comme la France a donne le nom de Riquet au canal du Languedoc qui est une des merveilles de France, comme celui de Meuse et Moselle le sera de la Belgique.

Je me bornerai à ce peu de mots pour motiver mon vote approbatif de l’emprunt proposé, et je prierai le gouvernement d’en employer une partie en faveur des deux provinces qui en éprouvent le plus pressant besoin, je veux dire le Limbourg et le Luxembourg.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, à entendre le premier préopinant, il semblerait qu’il s’agit constamment dans cette chambre de grever le Hainaut au profit des autres provinces : il est temps que cette plainte ait un terme, et pour cela il suffira de rétablir les faits tels qu’ils sont.

On ne perdra pas de vue les sommes énormes que le gouvernement a avancées pour la construction du canal de la Sambre, canal dont la législature a consenti la reprise aux frais de l’Etat ; on n’oubliera pas davantage les sommes énormes qui ont été avancées pour l’ouverture du canal de Charleroy, au sujet duquel une autre demande a de nouveau été soumise à la chambre.

Indépendamment de ces faits il est bon de savoir que lorsqu’en 1819 plusieurs provinces ont été obérées par l’abandon que le gouvernement précédent leur fit de diverses rivières à charge de leur entretien dont les dépenses excédaient les revenus, le Hainaut, par une heureuse circonstance, obtint un accroissement de revenu considérable et qui s’élève de 60 à 80 mille francs par an environ : je n’ai pas le chiffre exact présent à la mémoire.

On ne perdra pas de vue non plus que lorsque le système de chemins de fer a été décrété, on a stipulé en faveur du Hainaut un privilège, car je dois le qualifier ainsi, par la diminution de péage sur les canaux et les rivières.

Ajoutez à tout cela que l’on a décrété pour cette province un chemin de fer à charge du trésor.

Je crois que ces faits parlent assez haut, et répondent suffisamment à toutes les plaintes faites dans cette chambre relativement aux pertes que la province du Hainaut éprouverait dans l’association belge.

Messieurs, j’en viendrai maintenant à l’objet qui nous occupe plus particulièrement, à l’emprunt pour la construction de routes nouvelles.

A en croire l’honorable préopinant, il semblerait que le revenu total des barrières serait affecté à la construction de nouvelles routes dans les autres provinces, à tel point que l’entretien des routes existantes dans le Hainaut aurait même été négligé. C’est encore par les faits que je vais répondre à ce reproche.

Les routes de première et de deuxième classe du Hainaut ont été adjugées, en 1835, pour 578,000 fr. Il a été alloué pour l’entretien de ces routes seulement 279.000 fr. ; et pour subsides, afin de construire des routes nouvelles dans le Hainaut, il a été alloué plus de 100,000 fr. : total, plus de 379,000 fr., sur un revenu de 578,000 fr. : vous voyez donc que les plaintes sont mal fondées de ce chef.

Il est inexact de dire que l’on alloue des fonds insuffisants pour l’entretien des routes du Hainaut ; je l’ai déjà soutenu lors de la discussion de la loi relative aux barrières. J’ai demandé au gouverneur et à l’ingénieur en chef de la province des rapports sur l’état des routes et sur les fonds nécessaires à leur entretien : il résulte des rapports qui m’ont été présentés et par le gouverneur et par l’ingénieur, que les fonds alloués sont suffisants et que les grandes dégradations de ces routes tiennent à des causes que j’ai signalées lors de la délibération concernant la loi des barrières.

L’honorable membre voudrait qu’il n’y eût pas de fonds commun pour les barrières ; il voudrait que chaque province fût isolée ; il voudrait même que chaque route fût isolée, et que partout il y eût une taxe proportionnée à la dépense pour l’entretien. S’il doit en être ainsi, j’irai plus loin dans le sens du système de l’orateur ; je dirai que sur une même route le prix des barrières devrait varier sur les divers points de son étendue. Ainsi, aux abords des villes les barrières produisent plus que dans les autres endroits, d’où il suit qu’il faudrait payer moins près des villes ; mais ce n’est pas sous un point de vue si étroit qu’il faut envisager la question.

Il est incontestable que dans un Etat, en fait de communication, tout se lie, et qu’on aurait beau entourer une capitale de routes très courtes, si on laissait les provinces dans l’isolement, on ne parviendrait pas à faire une grande ville avec ce système : si vous voulez que vos foyers de production et d’industrie prospèrent, il faut leur ouvrir des débouchés : ce sont les parties les plus délaissées du pays qui doivent venir s’approvisionner dans les centres des productions ; les parties les plus riches d’un royaume et les parties les moins industrieuses profitent également par les communications : les unes se procurent ce qui leur est utile, les autres placent leurs produits.

A part ces motifs, il en existe d’autres d’un ordre supérieur. Lorsqu’une nation est constituée il faut que l’on soigne les intérêts de tous ; il faut que le bien-être se répande dans toutes les parties du territoire ; c’est ainsi que l’on crée un esprit de nationalité, et que l’amour de la patrie va croissant jusqu’aux extrémités du pays. Aussi, je ne doute pas que le pays tout entier ne considère comme un grand bienfait le développement des communications. En suivant ce système, sous peu d’années nous ne verrons plus de contrées délaissées comme il en existe aujourd’hui, et végéter dans un état de détresse à côté d’autres qui nagent véritablement dans l’opulence.

L’honorable M. de Puydt, en 1834, nous a fait voir l’inégalité qui existe relativement aux communications entre les différentes provinces ; mais si cette inégalité existe pour les routes pavées et ferrées, elle est plus grande encore si l’on considère les communications par la navigation : ainsi l’on verrait précisément que les provinces qui sont les plus délaissées sous le rapport des routes, sont aussi les plus délaissées sous le rapport des voies de navigation.

Je dirai même que sous ce dernier rapport la disproportion est encore plus grande, car la construction des canaux est ordinairement dans la même proportion que celle des routes.

Le système des chemins de fer que l’on a décrété, vient de déranger encore davantage les rapports qui règnent pour les voies de communication ; il est donc temps de rétablir l’équilibre ; et je pense que vous n’hésiterez pas à sanctionner par votre vote la proposition qui vous est soumise, et qui est renfermée dans des limites véritablement tracées dans le cercle de modération.

M. Watlet. - Messieurs, trois propositions distinctes vous sont faites par la commission des travaux publics. Premièrement, l’ouverture d’un emprunt de 6 millions pour construire des routes nouvelles, en affectant au paiement des intérêts et à l’amortissement de cette somme l’excédant du produit des barrières.

Secondement, la formation d’une commission de neuf membres, laquelle serait chargée de repartir les 6 millions entre les diverses provinces.

Par la troisième on a demandé le renvoi au bureau des renseignements des pétitions, par lesquelles diverses localités demandent des routes.

Je viens, messieurs, m’opposer aux dernières propositions ; quant à la première, je demanderai des éclaircissements ; et le cas échéant je pourrai l’amender.

Je trouve que la création d’une commission pour répartir l’emprunt est non seulement inutile, mais encore dangereuse.

Elle est inutile en ce qu’il en existe une autre près du ministère de l’intérieur, et qui a à peu près les attributions analogues à celles qu’on voudrait donner à la nouvelle ; je veux parler de commission composée des ingénieurs du royaume, et qui soumet au ministre des propositions relatives à de nouvelles constructions : elle agit en parfaite connaissance de cause ; elle est nantie de tous les documents, de tous les plans, pièces, devis, marchés, qui peuvent la guider dans les conclusions qu’elle a à prendre ; c’est après que les parties ont été entendues, après que les autorités locales et provinciales ont émis leur avis, que cette commission commence son travail et en soumet le résultat à la décision suprême du ministre.

Je dis que la commission qu’on propose de créer ferait à peu près double emploi avec celle qui existe au ministère de l’intérieur, et qui est mieux à même de remplir ses attributions en connaissance de cause, précisément à raison des documents dont elle se trouve nantie. La commission qu’on propose de créer est dans une tout autre position : elle ne possède aucun des renseignements qui puissent la guider dans les propositions qu’elle aurait à faire au ministre.

Elle devrait toujours s’adresser à lui ou aux autorités subalternes ; et comme pour obtenir forcément ces renseignements, elle ne possède aucun moyen coercitif, il dépendrait du bon plaisir du ministre ou des autres autorités de lui faire parvenir ou de lui refuser les renseignements qu’elle demanderait. Cette commission peut donc être considérée comme inutile par la double raison qu’elle fait double emploi avec la commission d’ingénieurs, et qu’elle est incapable de donner de nouveaux renseignements au ministre qui en définitive doit décider.

Si c’est à cela que doivent se borner les attributions de la commission, à donner des avis. Je la trouve encore parfaitement inutile, parce que pour donner des renseignements au ministre, je suis persuadé que nous pourrons les donner et que le ministre les recevra avec plaisir de chacun de nous sans qu’il soit besoin que nous soyons membres d’une commission quelconque. D’après la proposition de la commission des travaux publics, ce n’est pas à cela seul que devraient se borner les attributions de la commission qu’elle veut instituer ; ce ne serait pas des renseignements qu’elle aurait, mais des décisions qu’elle aurait à prendre. Elle devrait soumettre au ministre des propositions desquelles il ne pourrait sortir et sans lesquelles il ne pourrait pas agir.

Sons ce rapport, je trouve que la création proposée est dangereuse. Elle aurait pour effet d’entraver la marche de l’administration des travaux publics, et un autre effet peut-être puis grave encore, de nous priver de la responsabilité ministérielle.

Or je dis que la création de la commission dont il s’agit retarderait la marche de l’administration ; je ne pense pas être dans l’erreur.

En effet, cette commission, comme je crois l’avoir démontré, ne possédant aucuns renseignements, ni documents, et devant toujours les demander au ministre à qui ils arrivent, si elle reçoit ces documents incomplets ou qu’elle ne les reçoive pas à temps, la voilà arrêtée dans ses délibérations. Quand les renseignements dont elle a besoin lui parviendront, il pourra encore se faire qu’elle ne puisse pas délibérer, par suite de l’absence ou de la maladie de quelques-uns de ses membres, et pendant ce retard le ministre ne pourra rien faire. Ce n’est pas en vain que je menace de retard ; je puis en citer un exemple bien frappant, c’est celui de la commission des travaux publics, à qui contre mon opinion et celle de quelques autres membres on a renvoyé la proposition de M. de Puydt et les propositions ayant le même objet. Ce renvoi a eu lieu au mois de janvier 1835.

Et tout ce qu’a fait cette commission a été de nous faire perdre quinze mois. Car elle a présenté son rapport le 18 février dernier qui ne tendait à rien autre qu’à proposer de contracter un emprunt, proposition qui avait été faite dès le principe ; et pour les questions incidentes, elle les laissait de côté. Vous vous rappelez qu’on avait voulu amalgamer, dans le projet de constructions de routes, les constructions de canaux et les directions à leur donner ; aujourd’hui tout cela est détaché du projet ; or, ne leur donne plus qu’une seule chose, c’est d’autoriser un emprunt pour construction de routes.

Tout ce que nous avons gagné au renvoi à la commission des travaux publics, c’est que l’année dernière on était à peu près d’accord pour voter un emprunt de 10 millions, et qu’aujourd’hui on propose de le réduire à six et que nous avons perdu 15 mois. Ce n’est pas que je veuille ici accuser la commission des travaux publics, mais je vois là l’histoire de toutes les commissions.

La commission des travaux publics ne manquait ni de talents ni d’activité, ni de bonne volonté. Cependant elle n’a fait que nous faire perdre du temps.

La commission qu’on propose, non seulement nous ferait perdre du temps, mais entraverait la marche de l’administration des travaux publics. En effet, il résulte de sa proposition que pour qu’une route puisse être construite, il faudra deux choses : d’abord que la commission propose la construction et que le ministre tombe d’accord avec elle, qu’il approuve la proposition. Or, si la commission et le ministre ne sont pas d’accord, si la commission propose une construction que n’approuve pas le ministre, ou si le ministre désire une construction que la commission n’approuve pas, il en résultera des entraves.

On me fait observer que l’on renonce à la création d’une commission.

Plusieurs voix. - Non ! non !

M. le président. - Il y a deux propositions : celle de la commission qui est ainsi conçue :

« 1° Le gouvernement est autorisé à contracter un emprunt de six millions de francs, destiné à l’exécution de routes à construire dans les différentes province du royaume.

« 2° L’excédant du produit des barrières est affecté au remboursement de l’emprunt et au paiement des intérêts.

« 3° L’application des fonds sera réglée, une fois pour toutes, par une commission de neuf membres, dont chacun sera nommé par les représentants et sénateurs réunis de chaque province. »

Ensuite le ministre a proposé un projet différent dans lequel ne se trouve pas le n°3 de la proposition de la commission.

M. Watlet. - C’est le projet de la commission des travaux publics que je combats. Je suis d’accord avec M. le ministre de l’intérieur qui ne veut pas de cette commission dont on propose la formation dans le projet.

La commission embarrasserait la marche des travaux publics parce que si elle n’était pas de l’avis de M. le ministre de l’intérieur, il en résulterait que la route ne pourrait être construite, attendu que le concours du ministre de l’intérieur et de la commission est nécessaire.

La commission, selon le projet, devra régler, une fois pour toutes, l’emploi des fonds provenant de l’emprunt. Si je comprends bien, il n’y aurait qu’une fois pour toutes une proposition à soumettre au ministre.

Je demanderai quand la commission fera cette opération. Si ce sera dans six mois, dans un an, dans deux ans, etc. Si c’est aujourd’hui que la commission doit faire son travail, elle ne pourra le faire en connaissance de cause, attendu que les plans et devis lui manqueront.

Elle ne pourra faire des propositions que pour les routes dont la construction a été complétée, tandis que les autres routes pour lesquelles les devis ne sont pas terminés, qui sont peut-être d’une utilité plus grande, devront rester en souffrance ; la commission ne pourra s’en occuper, car il lui serait enjoint de faire la distribution des fonds une fois pour toutes.

Si au contraire la commission fait les propositions que, dans un an ou deux ans, il en résultera qu’en attendant l’on ne pourra rien faire. Sous ce rapport, de quelque manière que l’on envisage la question, l’on tourne dans un cercle vicieux. Il en résulte toujours des inconvénients plus ou moins grands.

J’ai dit que la commission aurait pour résultat de mettre à couvert la responsabilité ministérielle. Je conçois bien qu’en droit le ministre restera toujours responsable, puisque c’est lui qui sanctionnera les propositions qui lui seront faites par la commission dont on propose la création. Mais je pense qu’en fait cette responsabilité se réduira presque à zéro. Car le ministre, pour se défendre, mettra toujours en avant les propositions qui lui auront été faites par une commission émanée des chambres. Il pourra toujours répondre qu’il a agi sous son influence.

Je sais bien que dans une autre enceinte, un honorable sénateur a beaucoup applaudi à l’idée de la création de cette commission. C’est qu’il voudrait voir établir auprès de M. le ministre de l’intérieur une commission des travaux publics qui ne fût pas présidée par un ingénieur des ponts et chaussées, en raison de l’influence qu’il peut exercer dans la décision à prendre dans la construction des routes.

Ce que cet honorable sénateur a dit du président de la commission, il aurait pu l’appliquer à chacun de ses membres. En effet, chacun d’eux pourra se trouver directement ou indirectement intéressé, soit par lui-même, soit par ses amis, dans la construction des routes sur lesquelles la commission aura à prononcer.

Je conclus donc, messieurs, que, sous tous les rapports, c’est une malheureuse idée que la création de la commission que propose la commission des travaux publics. Nous devons nous en rapporter au gouvernement sur la direction des travaux à exécuter.

Si j’insiste sur ce point, c’est que je trouve dans le rapport de la commission des raisons qui me semblent fort peu concluantes pour justifier son projet.

L’expérience de 1833 avait trop prouvé les inconvénients d’une discussion dans la chambre pour qu’il pût être conseillable d’attribuer à la législature cette distribution.

Oui, la chambre a senti les inconvénients de s’occuper elle-même de la distribution des fonds consacrés à la construction de routes nouvelles ; c’étaient des débats à n’en pas finir. L’intérêt local paraît partout ; la chambre a pris la résolution de ne plus s’occuper de cette distribution ; mais la commission est-elle l’organe des intentions de la chambre, lorsqu’elle dit :

« La commission n’a donc pas voulu prendre sur elle d’indiquer aucun emploi détaillé des routes ; mais comme elle est convaincue que la chambre désirera, à cet égard, certaines garanties, elle a été unanimement d’avis de proposer la formation d’un comité composé de neuf membres, qui réglerait une fois pour toutes l’application du montant de l’emprunt à des travaux déterminés, autant que les prévisions actuelles peuvent le permettre, en se concertant à cet effet avec le ministre de l’intérieur, à la sanction de qui les décisions du comité seraient subordonnées. »

Jamais l’intention de la chambre n’a été de charger une commission d’une semblable mission. Si je juge au contraire de cette intention d’après ce qui a été fait, il semblerait plutôt qu’elle a pris la résolution de s’en rapporter désormais au ministre.

Cette commission serait une chambre des représentants au petit pied, en ce sens que les mêmes inconvénients qui ont été signalés dans cette enceinte s’y renouvelleraient. Je pense même qu’ils seraient plus saillants encore. En effet, dans une assemblée législative l’intérêt local est plus divisé parce que chaque province est représentée par un plus grand nombre de membres. Ensuite, dans une chambre, on a beau plaider pour son clocher en présence du public et de la presse, il reste une certaine pudeur qui ne permet pas d’aller trop loin. Il n’en est pas de même dans une commission qui discute à huis-clos et qui ne présenterait que des conclusions au ministre de l’intérieur.

D’un autre côté, je trouve dans le même rapport des raisons très plausibles pour fonder mon opinion. La commission reconnaît elle-même que le ministre a réparti d’une manière équitable et tout à fait digne d’éloges le produit des barrières en 1834 et 1835. Puisque M. le ministre de l’intérieur s’est acquitté de cette tâche délicate à la satisfaction de la législature, je ne vois pas pourquoi il ne continuerait pas à en être chargé à propos de la loi en discussion. Cela est d’autant plus rationnel que M. le ministre, par sa position, est tout à fait en dehors des influences de la coterie et peut s’occuper exclusivement de l’intérêt général.

Je dirai quelques mots sur le montant de l’emprunt. Permettez-moi de prendre les choses d’un peu plus haut.

Dans le courant de 1834, l’honorable M. de Puydt avait proposé un projet de loi pour un emprunt de 16 millions. La section centrale, pour le budget de 1835, d’accord avec le ministre, avait proposé un emprunt de 10 millions. Lorsque nous en sommes venus à la discussion de cet article du budget, M. de Puydt s’est rallié au chiffre de 10 millions pour la construction des routes. Mais il proposa d’y ajouter 5 millions pour construction de canaux.

Quelques pétitions relatives à la construction de routes furent à la même époque adressées à la chambre. Toutes ces propositions et pétitions ont été envoyées à la commission des travaux publics.

Nous devions nous attendre d’après cela que la commission des travaux publics nous ferait un rapport, sinon sur les pétitions, au moins sur les propositions qui lui avaient été renvoyées. J’ai donc été fort étonné de ne pas trouver un mot sur ces propositions dans le rapport du 18 février. On dit bien que l’on propose un emprunt de six millions pour construction de routes nouvelles ; mais on ne dit pas un mot de la première proposition de M. de Puydt, de la proposition de la section centrale, non plus que de la deuxième proposition de M. de Puydt.

J’insiste sur ce point, parce que M. de Puydt lui-même a reconnu que la demande de 10 millions était insuffisante, puisqu’il calculait les besoins à cette époque à 27 millions, et que d’un autre côté la section centrale dont j’avais l’honneur d’être membre, a déclaré que si elle bornait le chiffre de l’emprunt à 10 millions, ce n’était pas qu’elle trouvât cette somme suffisante pour la création de routes nouvelles, mais parce qu’elle a pensé qu’il serait très facile, en bornant l’emprunt à 10 millions, d’opérer en peu d’années l’amortissement de cette somme.

La commission a proposé de réduire le chiffre de l’emprunt à 6 millions, sans faire connaître les motifs de cette réduction ; car de 16 millions, nous sommes descendus à 10 millions ; de 10 nous sommes descendus à 6 ; je suis heureux de ne pas voir renvoyer la proposition à une troisième commission ; car je craindrais qu’elle ne réduisit le chiffre de l’emprunt à 2 millions. (On rit.) Mais je demande qu’on fasse connaître les motifs de cette réduction. Est-ce parce qu’on trouve que l’amortissement serait trop difficile ou trop long ? Je ne crois pas que ce soit ce motif ; car l’amortissement s’opérera facilement et en peu d’années, même en admettant la chance la plus favorable, c’est-à-dire la diminution du produit des barrières.

Je demande donc quelques explications à la commission des travaux publics, me réservant de présenter un amendement pour l’amortissement de la somme proposée, si je la trouve convenable, après les explications données.

(Moniteur belge n°112, du 21 avril 1836) M. Gendebien. - Quelque irrégulière que soit la présentation du projet de loi déposé par M. le ministre de l’intérieur, il me semble que si la discussion continue, l’on ne doit s’occuper que de ce projet de loi lui-même. Or ce projet de loi ne dit pas un mot d’une commission spéciale à établir. Ainsi, tant qu’il n’aura pas été présenté un amendement proposant l’établissement de cette commission, il me semble que ce serait perdre du temps que de discuter sur cet objet ; car il n’est pas certain que cette proposition soit faite par amendement. Je pense donc qu’il n’y a plus lieu de s’occuper de cette commission spéciale dont parle le rapport de la commission des travaux publics.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - il dépend de la chambre de prendre pour base de la discussion, non le projet de loi présenté par la commission, mais l’amendement rédigé par M. le ministre de l’intérieur ; je dis l’amendement, car la proposition n’est pas un projet de loi, ce n’est pas une disposition toute nouvelle ; c’est un amendement véritable à un projet dont la chambre est réellement et régulièrement saisie : et en effet, si nous examinons le rapport de la commission, nous y trouvons que la commission, d’après ces dispositions (les raisonnements auxquels elle s’est livrée), a soumis à la chambre la proposition suivante : « 1° (ou art 1er.) Le gouvernement est autorisé à contracter un emprunt de six millions, etc. » Suivent les deux autres articles ; c’est bien là une proposition formelle de loi.

M. le ministre de l’intérieur, pour abréger la discussion, a fait connaître, dès le début, les intentions du gouvernement en présentant les deux articles dont il a été donné lecture, et qui doivent être considérés comme de véritables amendements au projet de la commission, puisque notamment il ne s’agirait plus, d’après ces articles, de la commission chargée de régler la répartition de l’emprunt de 6 millions comme il est demandé par le rapport de la commission des travaux publics, dont je viens de rappeler un passage.

Du reste il serait peut-être mieux de considérer les amendements de M. le ministre de l’intérieur comme proposition principale, et de ne discuter que sur cette proposition. Je pense avec l’honorable préopinant que cela abrégerait et simplifierait la discussion, parce qu’il m’a semblé reconnaître d’après la manière dont a été écouté le discours de l’honorable représentant qui vient de parler, que l’on est généralement d’accord pour ne pas admettre la création d’une commission spéciale chargée de faire l’application des fonds.

Quelle que soit donc la manière d’envisager la forme de la proposition de la commission des travaux publics et de la proposition du gouvernement, l’on pourrait prendre pour base de la discussion les deux amendements de M. le ministre de l’intérieur, puisqu’il y a du temps à gagner en procédant de la sorte.

M. Gendebien. - Il me semble qu’en définitive je suis d’accord avec M. le ministre des finances quant au but, c’est-à-dire l’économie du temps.

Il me reste à répondre à une observation qu’il a faite et sur laquelle je ne suis pas d’accord avec lui ; c’est que si la proposition du ministre de l’intérieur n’est pas un projet de loi, nous discutons comme avant-hier sans aucun projet, et la marche que nous suivons est irrégulière et contraire au règlement.

Je ne conçois d’amendement qu’à un projet de loi ; il y a un rapport avec trois propositions, et ces trois propositions ne sont pas un projet de loi. Il en résulte que, quand on aura discuté pendant 2 ou 3 jours, il faudra seulement songer à formuler un projet de loi. Mais cela est tout à fait irrégulier. Déchirez alors votre règlement et procédez comme bon vous semblera.

Pour moi je respecte la constitution ; je tiens à éviter qu’elle soit violée ; quant au règlement j’avoue que j’y tiens beaucoup moins : je ne suis pas de l’avis d’honorables membres qui tiennent beaucoup à l’exécution du règlement et sont toujours prêt à faire bon marché de la constitution.

Je suis tout disposé, quand il y a économie de temps, à négliger le règlement ; mais nous ne pouvons le négliger dans ses dispositions essentielles : la première condition pour toute discussion, c’est qu’il y ait un projet de loi en règle, que nous puissions voter article par article, et que nous puissions ensuite voter dans son ensemble.

Je demande à cet égard l’exécution du règlement, sans cependant ajourner la discussion générale.

M. Watlet. - L’honorable M. Gendebien a dit tout à l’heure que c’était perdre du temps que s’occuper de la proposition faite par la commission des travaux publics. Mais ce reproche ne peut pas s’adresser à moi.

M. Gendebien. - Ce n’est pas à vous que je l’ai adressé.

M. Watlet. - Depuis plusieurs jours nous avons à l’ordre du jour un projet de loi pour création de routes nouvelles ; or, évidemment il ne pouvait s’agir de la proposition du ministre puisqu’il n’y a qu’un moment qu’elle a été faite. Il ne s’agissait donc que de la proposition de la commission des travaux publics, à laquelle il ne manque, pour lui donner la forme d’un projet de loi, que l’en-tête : « Léopold, Roi des Belges, etc. » La chambre ne s’est pas arrêtée à cette omission, quand il s’est agi de mettre le projet à l’ordre du jour ; je ne devais pas davantage m’y arrêter pour le combattre.

M. A. Rodenbach. - Je trouve rationnelle l’observation de l’honorable M. Gendebien. Mais il me semble que pour donner à sa proposition la forme complète d’un projet de loi, M. le ministre de l’intérieur devrait y ajouter l’en-tête : « Léopold, Roi des Belges, etc. »

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il faudrait alors que le projet fût signé par le Roi.

Au reste tout cela est inutile puisqu’on est d’accord.

M. Jullien. - Si le projet de M. le ministre de l’intérieur n’est qu’un amendement comme on le dit, et si le projet de la commission n’est pas un projet de loi, je ne sais plus ce que nous avons à discuter.

M. le ministre de l’intérieur prétend que sa proposition ne doit être considérée que comme un amendement ; il considère donc la proposition de la commission comme un projet de loi. En effet, d’après la lecture de la proposition de la commission, il est évident pour moi qu’elle a entendu proposer un projet de loi.

M. Gendebien. - Tout à l’heure j’ai demandé que la chambre ne s’occupât plus de la question de savoir si l’on nommerait une commission composée d’un membre de chaque province. Attendu, disais-je, que M. le ministre de l’intérieur a déposé un projet de loi dans lequel il n’est pas question d’une semblable commission, il me semble que la discussion doit se renfermer dans les bornes tracées par ce projet de loi, et que pour économiser le temps il convient de ne plus parler de la commission dont il avait été d’abord question, que pour autant qu’un membre de la chambre vienne la proposer par amendement au projet du ministre. Si l’on veut à toute force continuer la discussion sur le terrain où elle a été établie jusqu’à présent, je n’insisterai pas davantage sur ma motion d’ordre, mais je vous répète qu’une pareille marche vous fera perdre beaucoup de temps.

Je dois répondre un mot à M. Jullien, qui soutient que c’est bien un projet de loi qui nous est soumis par la commission des travaux publics. Je lis dans le rapport de cette commission :

« D’après ces dispositions la commission me charge de vous faire les propositions suivantes... »

Ce n’est donc pas un projet de loi que la commission vous soumet : elle vous dit elle-même que ce ne sont que des propositions. On ne peut considérer comme un projet de loi ce qui nous est présenté sous une pareille forme, et la preuve que ce n’est pas un projet de loi c’est le doute qui s’est élevé sur la question de savoir si ce sont les propositions de la commission ou celles de M. le ministre que nous discutons, car il est hors de doute que, si la commission nous avait présenté un projet de loi, ce qui a été proposé par M. le ministre ne pourrait être considéré que comme amendement. On dit que c’est là une question de forme ; mais, messieurs, il faut tenir aux formes pour la régularité des discussions ; c’est un moyen d’économiser le temps, notre règlement tout entier n’est qu’une affaire de forme.

Ce n’est sans doute pas sérieusement que l’honorable M. Watlet a dit que j’avais voulu lui faire un reproche en me plaignant du temps que nous perdons en discutant la question de savoir si une commission serait nommée pour répartir le montant de l’emprunt ; plusieurs orateurs avaient parlé avant lui sur cet objet, et d’autres allaient probablement encore en faire de même ; ce que j’ai dit ne pouvait donc pas s’adresser à M. Watlet, pas plus qu’à aucun autre membre de la chambre ; j’avais uniquement en vue de simplifier la discussion.

M. de Puydt, rapporteur. - Messieurs, je n’ai jamais considéré les propositions que la commission des travaux publics a soumises à la chambre comme autre chose qu’un projet de loi et pour se convaincre qu’on ne peut pas les envisager autrement, il suffit de remonter à leur origine : elles datent du 6 mars 1834 ; à cette époque elles ont été prises en considération par la chambre et renvoyées à une commission spéciale pour être examinées par elle et recevoir une forme définitive ; le chiffre de l’emprunt, qui est l’objet de ces propositions, a été réduit à 6 millions de francs, et elles ont reçu la forme sous laquelle elles vous sont maintenant présentées.

On dit que cela ne constitue pas un projet de loi : mais je demanderai dans quels termes un projet de loi doit être proposé, s’il y a pour cela une formule sacramentelle ? Il me semble que toute proposition qui est présentée à la chambre devient, par l’effet même de sa présentation, projet de loi : elle est ensuite discutée et, si elle reçoit notre assentiment et celui des deux autres branches du pouvoir législatif, elle devient ainsi loi de l’Etat. Je ne puis donc voir dans les propositions de la commission des travaux publics autre chose qu’un projet de loi, et je ne vois pas de raison pour ne pas en continuer la discussion.

L’honorable M. Watlet a reproché à la commission d’avoir fait perdre 15 mois à la chambre pour réduire à six millions le chiffre du projet d’emprunt qui, dit-il, avait été de dix millions ; ce reproche me paraît peu fondé ; je dirai même qu’il me paraît inintelligible : en effet, je ne me souviens pas qu’on ait jamais proposé à la chambre un projet d’emprunt de dix millions ; je sais bien qu’il a été présente un projet d’emprunt de 16 millions, puisque je suis l’auteur de ce projet, que la chambre en a autorisé l’examen, et c’est en définitive sur ce projet qu’un rapport vous est fait. Mais que, dans l’intervalle, il ait été question d’un emprunt de 10 millions pour le même objet et que la commission des travaux publics ait été saisie d’un projet à cet égard, c’est ce dont je n’ai nul souvenir. Ainsi donc la proposition actuelle est celle de 1834, ramenée à un chiffre moins élevé.

M. Watlet a demandé le motif de cette diminution : ce motif, messieurs, est extrêmement simple. La somme de six millions a été considérée comme rigoureusement nécessaire pour travailler pendant quatre ou cinq ans à la construction de routes nouvelles dont les projets sont prêts ou sur le point de l’être. Pendant ce temps, on pourra faire faire les études d’autres routes qu’on jugera utile d’établir par la suite, et s’il est reconnu que l’emploi des six millions qui nous sont demandés aujourd’hui a produit un résultat avantageux, on pourra toujours en faire de nouveaux ; il est inutile de voter immédiatement un emprunt considérable.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, il me paraît qu’il y a lieu à fixer définitivement l’ordre de la discussion comme l’a proposé M. Gendebien. Je pense aussi que le moyen de simplifier la discussion serait de prendre pour base le projet présenté par M. le ministre de l’intérieur. Si après cela des membres voulaient engager les débats sur l’institution d’une commission, ils pourraient le faire par amendement,

M. Jullien. - Je m’opposerai à ce qu’on change l’ordre de la discussion, parce que je tiens à ce que la chambre n’abdique pas une de ses plus belles prérogatives, l’initiative pour la présentation des lois. La commission des travaux publics a fait une proposition, et cette proposition, quelque nom qu’on lui donne, je la considère comme un projet de loi ; car, si j’examine le règlement, je vois qu’il parle des propositions faites par les membres de la chambre sans faire aucune distinction entre ces propositions en raison de la forme dans laquelle elles peuvent être conçues.

Quant à la formule des lois : « Léopold, etc., » cette formule ne peut être appliquée que lorsque le projet a été adopté par les deux chambres ; ce n’est donc pas à cause de l’absence de cette formule qu’on peut dire que la proposition de la commission n’est pas un projet de loi.

Maintenant l’on propose d’intervertir l’ordre des débats parce que dans le projet de la commission il y a un article que l’on ne veut pas discuter à présent, c’est celui qui parle de l’établissement d’une commission pour la répartition des 6 millions qu’il s’agit d’emprunter ; je ne vois pas que ce soit un moyen d’abréger considérablement la discussion ; l’amendement de M. le ministre, qui à laissé de côté cette commission, subsiste toujours ; laissez donc les débats suivre leur cours, car vous ne ferez que perdre du temps en voulant leur imprimer une autre direction.

M. Gendebien. - Je renonce à ma motion d’ordre, car je vois que, loin de produire une économie de temps, on s’en empare pour prolonger une discussion oiseuse. Je dirai seulement que, dans le temps, l’honorable auteur de la proposition qui dédaigne aujourd’hui la forme, a senti lui-même la nécessité de donner à sa proposition une forme législative, pour qu’elle puisse être considérée comme un projet de loi : en effet le 4 mars 1834 il nous a présenté un projet précédé de plusieurs considérants et composé de cinq articles, que je tiens en mains ; je ne sais pas pourquoi ce projet ne nous a pas été proposé aujourd’hui sous la même forme ; je ne sais pas pourquoi la commission s’est permis de dénaturer un projet de loi que la chambre avait pris en considération et dont elle l’avait saisie ; je ne vois pas le motif de toute ces irrégularités qui se multiplient depuis quelques jours.

Je considère ces antécédents comme très dangereux, car il pourra en résulter que, dans un moment d’effervescence ou d’excessive complaisance, on vienne vous présenter telle ou telle proposition que l’on envisagera comme un projet de loi contrairement au règlement ; car si l’on ne tient aujourd’hui aucun compte du règlement, je ne vois pas de raison pour qu’on l’observe dans d’autres circonstances plus importantes.

M. Watlet. - D’après les paroles de l’honorable M. de Puydt il semblerait que j’ai été dans l’erreur quand j’ai dit qu’un projet d’emprunt de dix millions de fr., pour construction de routes, avait été présenté à la chambre et renvoyé par elle à la commission des travaux publics.

Je tiens à rectifier ce qu’a dit M. de Puydt, et à montrer à la chambre que j’avais raison en disant qu’un emprunt de 10 millions avait été renvoyé à la commission.

Le 6 mars 1834, M. de Puydt avait fait une proposition de 10 millions ; et la section centrale émit le vœu que le ministre présentât un projet d’emprunt de dix millions ; c’est alors que M. de Puydt soumit une nouvelle proposition d’après laquelle le gouvernement serait autorisé à contracter un emprunt de 15 millions de francs dont le montant serait affecté à l’exécution de routes et de canaux d’après un système général. Les intérêts de cet emprunt devaient être pris sur l’excédant du produit des barrières et des canaux. Dix millions auraient été affectés aux routes ; cinq millions aux canaux, etc. Cette proposition complétait celle que M. de Puydt avait faite à la section centrale relativement aux communications par terre, et la majorait puisqu’il proposait le chiffre de 15 millions au lieu du chiffre de 10 millions. C’est alors qu’on a renvoyé cette nouvelle proposition et les autres à la commission des travaux publics.

Le il dit en effet : « La proposition de M. de Puydt est renvoyée à la commission des travaux publics. Je n’entretiendrai pas la chambre des débats qui eurent lieu relativement à cette proposition ; le Moniteur en rend compte. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas sans motifs que je suis étonné de ne pas trouver les raisons de la diminution du chiffre dans les conclusions du rapporteur de la commission des travaux publics.

Si je voyais que l’on pût maintenir le premier chiffre de dix millions, je ferais un amendement dans ce but.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je me suis mis en rapport avec la commission des travaux publics quand la proposition lui a été soumise ; et je lui ai dit qu’un emprunt de six millions pouvait suffire. Indépendamment des fonds à provenir de l’emprunt, nous pouvons appliquer annuellement à la construction des routes une partie de l’excédant du produit des barrières, en sorte qu’en réalité on emploiera huit ou neuf millions pour les nouvelles routes. J’ai compté aussi pour beaucoup de constructions de routes sur la coopération des provinces ou des communes, et sur la construction de routes avec subsides ou sans subsides, et par concessions. Je ne doute pas que beaucoup de localités ne veuillent concourir à l’ouverture des communications qui les concernent.

M. de Puydt, rapporteur. - Il y a bien quelque chose d’exact dans ce que vient de dire M. Watlet ; mais la discussion dont il parle doit être mise au nombre de toutes celles qui n’ont eu aucun résultat ; car il n’y a pas eu de proposition signée et déposée sur le bureau ; par conséquent la chambre n’a rien renvoyé à la commission des travaux publics, et celle-ci n’est restée saisie que d’une seule proposition pour un emprunt de 16 millions, réduit ensuite à 6 millions par la commission elle-même.

M. Watlet. - Ce que vient de dire l’honorable membre est une espèce de démenti formel à ce que j’ai avancé ; c’est un démenti au Moniteur, c’est un démenti à mes souvenirs. Si je voulais faire perdre du temps à la chambre, je lui lirais le Moniteur, et elle verrait que les choses se sont passées comme je l’ai avancé.

M. de Puydt demandait sept millions pour les routes et 5 millions pour les canaux ; je lui ai démontré qu’il diminuait sa première proposition par laquelle il demandait 10 millions pour les routes seules ; alors il a demandé 10 millions pour les routes et 5 millions pour les canaux.

Il y a eu des débats relativement à la proposition de M. de Puydt, et en définitive elle a été renvoyée à la commission des travaux publics.

M. Fallon. - Je dirai comment il s’est fait que la commission n’a pas été saisie de la proposition faite par M. de Puydt : aux termes du règlement, un membre peut retirer, quand il le veut, la proposition qu’il avait soumise à la chambre ; or, M. de Puydt a retiré la sienne.

M. Watlet. - La commission aurait dû le dire.

M. Desmet. - Je pense que l’intention de M. le ministre de l’intérieur est de faire des routes par le moyen de sociétés concessionnaires là où il en trouvera, et qu’il fera les routes entières quand il ne sera pas possible de trouver de semblables sociétés. (M. le ministre de l’intérieur fait un signe affirmatif.)

M. Gendebien. - Je regrette d’avoir encore aujourd’hui à défendre la province du Hainaut contre des attaques sans cesse renouvelées. Je ne sais pas ce qui a donné occasion ou plutôt ce qui a fourni un prétexte au ministre de l’intérieur d’adresser des récriminations au Hainaut. Il lui reproche les sommes énormes dépensées par le gouvernement pour le rachat du canal de la Sambre ; mais, messieurs, la province du Hainaut profite-t-elle seule de ce canal ? Cette question ne peut vous étonner, à est juger par les théories qu’on oppose sans cesse à nos justes réclamations : lorsque nous demandons de conserver l’excédant du produit de nos barrières, on nous répond que l’on ne nous enlève rien parce que ce sont les consommateurs qui paient les barrières ; eh bien, je dirai au ministre que ce sont les consommateurs de toute la Belgique qui profitent du canal de la Sambre.

J’ai le droit, il me semble, de rétorquer contre le ministre ses propret arguments.

Mais venons au fond des choses et laissons de côté les théories du ministère pour ce qu’elles valent : croyez-vous que la province de Hainaut, ou plutôt et pour mieux localiser, croyez-vous que le district de Charleroy soit merveilleusement traité par cette canalisation de la Sambre ? Autrefois, il est vrai, les communications n’étaient pas aussi faciles qu’aujourd’hui ; mais les frais de navigation étaient bien moindres, ils sont excessifs aujourd’hui.

Quelle est en réalité la cause des sacrifices énormes faits par le gouvernement au sujet de la canalisation de la Sambre ?

Le gouvernement hollandais avait induit en erreur, par de faux calculs et des plans erronés, les concessionnaires du canal ; et c’est en conséquence de l’impossibilité physique de réaliser les promesses faites par le précédent gouvernement, qu’à titre de dommages-intérêts la société du canal de la Sambre a obtenu par jugement d’énormes sommes. Qui donc en a profité ? Ce n’est pas la province du Hainaut : seulement le gouvernement actuel a paye les sottises de l’ancien gouvernement, et il n’y a pas là de quoi faire des reproches au Hainaut, mais à l’ancien gouvernement et peut-être aussi au gouvernement actuel.

On a parlé du canal de Charleroy à Bruxelles ; je ne sais quel traité a été fait sur cet objet ; je ne puis en juger ; quand nous serons saisis du projet de transaction, il est probable que nous y verrons les mêmes choses que pour le canal de Sambre. Quoi qu’il en puisse être, est-ce que les habitants de la province du Hainaut navigueront gratuitement sur le canal ? ils paieront ; ou, si l’on aime mieux, ce seront les consommateurs qui paieront. Il n’y a pas encore là matière à adresser des reproches au Hainaut.

On a encore reproché à cette province d’avoir obtenu un chemin de fer et d’avoir obtenu un abaissement des péages sur les routes et les canaux au taux du péage sur les chemins de fer, c’est-à-dire, la promesse de chemins de fer et de droits proportionnels ; mais veuillez-vous-le rappeler, c’est après une lutte de quinze jours, après une lutte courageuse, acharnée, que nous avons obtenu cet acte de justice. Le projet de loi, d’après le rapport du ministre de l’intérieur, établissait une réduction des frais de transport de 50 p. c. pour toutes les marchandises provenant de la province de Liége, et une réduction de 75 p. c. pour le transport des houilles, et ces avantages devaient être procurés aux dépens de la généralité ; nous avons demandé et obtenu que la province du Hainaut fût appelée à jouir des mêmes avantages, et il n’y avait rien que de très juste, car c’eût été la ruiner pour enrichir d’autres provinces qui fournissent les mêmes produits ; en un mot nous n’avons pas voulu qu’elle fût déshéritée.

Nous avons combattu avec persistance ; et on a fini par nous comprendre.

Je sais qu’on a conservé de l’humeur, car M. le ministre de l’intérieur a dit naguère que l’on avait cédé à l’obsession. Cependant je vous demande s’il y avait rien de plus juste, alors qu’on construisait des communications nouvelles aux frais de la généralité, d’appeler toutes les localités qui se trouvaient dans la même catégorie à en recueillir les avantages. Nous n’avons demandé que ce que l’on accordait aux autres provinces, que l’on dotait de chemins de fer. Nous avons cependant dû faire une opposition de 15 jours ; on nous a prêté des idées rétrogrades, on nous a accusés d’être les ennemis du progrès, on a supposé que nous ne voulions pas des chemins de fer, on nous a supposé des idées étroites de localité, on nous a traités d’égoïstes. C’est ainsi qu’on a aujourd’hui encore traité les représentants du Hainaut d’égoïstes, parce qu’ils défendent dans cette discussion les droits de leur province, sans nulle intention de mettre obstacle au bien-être général : telles au moins sont mes intentions et ma volonté.

L’honorable M. Pirmez vous a dit que la plus grande partie de l’excédant des revenus des routes sur les dépenses pour l’entretien provient de la parcimonie que l’on met à l’entretien des routes, d’où résulte le très mauvais état des routes du Hainaut, précisément dans les parties les plus fréquentée, et qui rapportent le plus. Ceci est parfaitement exact. On n’a rien répondu à cela. Cependant il est très naturel que le produit des routes du Hainaut profite, en premier ordre, à cette province et aux consommateurs.

Il est de toute justice, je dirai même de toute nécessité, de maintenir ces routes en bon état ; car si elles sont en mauvais état, alors qu’on paie 4 fois le montant des frais d’entretien, il y a injustice à l’égard du Hainaut et du consommateur ; car celui-ci doit payer plus cher le transport qui se fait plus péniblement et à plus grands frais.

Il y a une autre observation non moins importante : c’est que dans notre malheureuse province, où il y a une circulation si active, les routes pavées sont tellement étroites que 2 chariots ne peuvent se rencontrer sans que l’on ne soit obligé de passer sur les accotements ; et il leur faut souvent des efforts infinis pour se remettre sur le chemin pavé ; ils sont obligés souvent de prendre des chevaux d’allège pour sortir de cette position dans laquelle ils sont à tout moment.

J’espère que M. le ministre de l’intérieur déposera le renseignement sur le produit des routes qu’a demandé au commencement de la séance l’honorable M. Dumortier. Il en résultera la preuve que la province du Hainaut fournit amplement les moyens d’entretenir convenablement les routes et d’en créer de nouvelles ailleurs.

Il est de fait que depuis que le gouvernement hollandais a fait au syndicat d’engloutissement la remise des routes, il ne s’est pas contenté de les exploiter au profit de la Hollande, il a spéculé sur leur largeur pour économiser les pierres à paver, il a pris sur leur largeur pour les réparer ; et depuis lors les routes sont restées dans cet état déplorable.

Je crois que les représentants de la province du Hainaut se sont montrés toujours aussi libéraux que qui que ce puisse être ; je vais en donner aujourd’hui une nouvelle preuve : on demande six millions, je suis prêt à en voter dix et même quinze. Je déclare d’avance que j’appuierai l’amendement de M. Watlet. La province du Hainaut n’est pas celle qui paie le moins d’impôts ; je consens néanmoins à ce qu’on prenne les intérêts et les moyens d’amortissement sur les revenus généraux ; je préfère ce mode parce qu’il est plus simple et plus facile, et qu’il évite des complications dans la comptabilité qu’il faut toujours éviter. Je ne conçois pas comment on décrète un emprunt de 1,700,000 fr. pour un canal et ensuite 6 millions pour les routes, et qu’on affecte d’un côté le produit des routes pour payer l’intérêt et amortir le capital. En définitive, ce sera toujours la bourse commune, ce sera toujours la caisse générale qui paiera. Pourquoi toute cette complication ? Il serait plus simple de se borner à demander un emprunt de six millions. Quant à moi, je déclare que je refuserai l’emprunt, si on y met une condition quelconque. Ce ne serait pas sans regrets, parce que, dans un pays comme le nôtre, les dépenses les plus utiles sont celles consacrées aux routes et canaux. Je le refuserai dans la forme qu’on le propose, parce que je ne veux pas donner les mains à une loi qui doit consommer la spoliation des revenus des routes du Hainaut.

D’un autre côté, nous pouvons espérer qu’un jour on comprendra assez notre position, on sera assez éclairé pour renoncer à tout droit sur les routes et les canaux. Dans un pays dont toute la vie repose sur l’industrie, et dont toute l’industrie repose sur l’exploitation des matières pondéreuses, je ne conçois pas que l’on maintienne ces droits. Ils sont l’obstacle principal, je dirai même le seul obstacle à l’extension de notre commerce extérieur.

Au moyen de quelques légers centimes additionnels aux contributions, ou plutôt de quelques économies de sinécures, et sur des parasites qui vivent aux dépens du trésor, on pourrait supprimer ces droits. Il en résulterait une augmentation dans les produits, ce qui mettrait un plus grand nombre de citoyens en position de devenir contribuables. Ils le seraient par les impôts de consommation et parce que, ayant plus d’aisance, ils supporteraient les contributions personnelles, des portes et fenêtres et foncière (cette dernière pour les maisons seulement, car les terrains la paient toujours). Les propriétés même en tireraient avantage et pourraient supporter une contribution plus forte ; car il est certain que partout où l’industrie s’implante, les propriétés augmentent beaucoup de valeur, et j’ose même affirmer que les propriétaires sont ceux qui retirent le bénéfice le plus grand et le mieux assuré.

Je pourrais citer telle propriété dont le développement d’industrie a porté la valeur de 450 fl. à 5,000 fl. Il n’en est pas ainsi pour toutes ; mais il est certain, je le répète, que l’industrie augmente toujours considérablement la valeur des propriétés.

Je connais une propriété louée à raison de 3 fl. C’était une très mauvaise prairie. Cette propriété a été vendue 6,000 fl. des Pays-Bas.

Je reviens à ma proposition. Je pense que dans l’intérêt du commerce, de l’industrie, de l’agriculture, en un mot de toutes les classes de la société, il conviendrait d’abandonner les droits sur les routes et les canaux. Je n’entrerai pas pour le moment dans de plus longs développements.

Je le déclare en terminant, je suis prêt à voter, soit dix, soit quinze millions, mais il faut que ce soit sans conditions, et surtout sans affectation de nos routes. Je ne sais pas même si cela est possible, car nos routes sont affectées à l’emprunt Rothschild, je pense.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Ce sera une nouvelle hypothèque.

M. Gendebien. - Mais à quoi bon surcharger nos routes de cette nouvelle hypothèque ? A quoi bon cette affectation spéciale ? Je crois qu’il y a bien peu d’hommes, je ne dirai pas seulement dans la chambre, mais dans le pays, qui contestent la nécessité des communications. Dès lors à quoi bon les détours et pourquoi déguiser la charge en affectant le produit des routes ? Car s’il n’est pas suffisant, il faudra le compléter, et si on affecte à une destination spéciale le produit des barrières, il n’entrera pas dans la caisse de l’Etat ; la réalité des choses restera toujours la même.

Voilà ce que j’avais à dire dans la discussion générale.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’honorable préopinant pense que j’ai attaqué le Hainaut ; c’est une erreur ; j’ai défendu les autres provinces contre les attaques du Hainaut ; pouvions-nous en effet laisser avancer dans cette enceinte que le Hainaut était victimé par les autres provinces, qu’il contribuait seul aux améliorations et que jamais il ne profitait des fonds généraux pour obtenir pour lui-même des améliorations ? C’est une erreur qu’il importait de rectifier.

J’avoue volontiers que le pays en général a profité de la canalisation de la Sambre et de l’ouverture du canal de Charleroy. Mais je dis aussi que le pays en général profitera de l’ouverture de nouvelles routes dans plusieurs provinces qui en sont particulièrement dépourvues.

M. Gendebien. - Nous sommes d’accord.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je dis donc que le gouvernement a bien fait de faire les fonds pour la canalisation de la Sambre et pour l’ouverture du canal de Charleroy, et qu’il fera bien de faire les fonds pour l’ouverture de routes nouvelles.

En ce qui concerne le chemin de fer, l’honorable préopinant a dit que c’était à titre de justice que l’on devait donner une communication de cette nature au Hainaut. Plusieurs provinces n’ont pas obtenu cette justice que le Hainaut a obtenue. De ce nombre sont celles du Luxembourg, du Limbourg et de Namur.

Aucun chemin de fer n’a été décrété dans ces provinces aux frais du trésor ; ces provinces auraient eu même le droit de réclamer une section de chemin de fer. L’on n’a pas été aussi loin ; l’on demande aujourd’hui un emprunt pour des routes à ouvrir dans ces provinces, moins favorisées en fait de communications.

Je n’ai pas non plus reproché aux députés du Hainaut l’insistance avec laquelle ils ont demande un chemin de fer pour leur province. J’ai seulement voulu dire que le gouvernement n’admettait pas, comme principe, qu’il dût construire des chemins de fer partout, mais que deux sections lui avaient été imposées par la loi du 1er mai, celle d’Ostende et celle du Hainaut. Le seul principe que le gouvernement avait établi, c’est qu’il devait créer, aux frais du trésor, la grande communication vers l’Allemagne.

L’honorable membre dit qu’il faut entretenir les routes existantes. Sur ce point je suis d’accord avec lui. Les fonds alloués pour cet objet sont suffisants, et si cette année les routes se sont trouvées en mauvais état, c’est par suite de circonstances indépendantes des causes ordinaires de dégradation des routes. Une lettre de l’ingénieur du Hainaut, à même par sa position d’apprécier le véritable état des choses, me confirme ce fait.

L’honorable préopinant demande aussi, que, pour développer davantage l’industrie, l’on abolisse le droit des barrières. Certes, messieurs, s’il était possible de se priver de cette ressource, si l’on n’avait plus besoin de construire des routes nouvelles, l’on pourrait abolir tout droit de péage. Mais si l’on abolissait dès aujourd’hui ces droits, quelles en seraient les conséquences ? Vous tueriez l’esprit d’association : plus une seule route ne pourrait être construite par voie de concession.

D’autre part, vous désirez qu’on ouvre des communications nouvelles pour compléter le système des routes existantes. Mais ne craindriez-vous pas d’être obligés d’attendre un grand nombre d’années, si les travaux devaient être à la charge du trésor public ? Une telle mesure, je ne crains pas de le dire, serait impolitique ; si elle était prise en ce moment, au lieu d’être utile à l’industrie elle ne pourrait que lui nuire.

Il a été établi en principe que le produit des barrières doit former un fonds spécial pour l’entretien des routes et pour l’entretien des communications. Ce principe a été franchement consacré par la loi des barrières. La loi que nous proposons aujourd’hui n’est que l’application de la législation existante. Le projet est en tout conforme aux principes suivis dans la matière.

Du moment où il est reconnu que le droit de péage doit être maintenu dans l’intérêt général, je ne vois pas d’inconvénient à affecter ce produit conformément au projet en discussion.

M. d'Hoffschmidt. - Il serait superflu, je pense, d’entrer dans de longs développements sur le projet qui nous occupe ; nous sommes, paraît-il, généralement d’accord sur l’utilité de l’emprunt ainsi que sur le point qu’il faut laisser au gouvernement le soin de distribuer les fonds de cet emprunt ; c’est aussi ce que je demande, quoique j’aie fait partie de la commission qui a proposé d’établir un comité pour en faire la répartition. Cependant qu’il me soit permis, messieurs, d’appeler l’attention du gouvernement sur la situation toute particulière du Luxembourg, non que je veuille pour cela proposer un chiffre spécial pour cette province.

M. le ministre de l’intérieur vient de dire qu’il comptait beaucoup sur l’intervention des provinces et des communes pour créer des communications nouvelles, et qu’il n’aurait en grande partie que des subsides à accorder. Je dois prévenir M. le ministre que s’il compte sur ce concours dans toutes les provinces, il est dans l’erreur, et peut-être l’emprunt de six millions lui paraîtra-t-il trop faible s’il fait attention que dans le Luxembourg, où il y a le plus de routes à construire, il sera impossible d’obtenir des communes qu’elles contribuent à leur construction ; leurs faibles ressources ne le leur permettent pas : plusieurs communes des cantons les plus fertiles ont cherché à faire quelques lieues de routes les plus indispensables en s’imposant des sacrifices, et elles n’y sont pas parvenues.

C’est ainsi, par exemple, que dans le canton de Virton, les communes les plus aisées de ce pays ont tenté d’ouvrir, il y a six ans, une communications vers Arlon au moyen de fonds communaux et de souscriptions jointes aux subsides du gouvernement et de la province ; mais elles ont été obligées de l’abandonner, et les travaux sont restés inachevés, leurs ressources étant épuisées ; et si le gouvernement ne vient pas à leur secours, il est probable que ce petit bout de route ne sera jamais achevé ; les travaux exécutés se détériorent tous les jours.

Le défaut de communications se fait si vivement sentir dans le Luxembourg que le quart, que la moitié même de l’emprunt de six millions, serait nécessaire à cette province seulement. Il s’y trouve des étendues de plus de cent lieues carrées de territoire où il n’y a pas le moindre vestige de communications ; aussi, dans ces parties du pays, des terres immenses restent incultes, la population y est très faible et la gêne y règne parmi tous les habitants ; cependant, le sol y est susceptible des plus grandes améliorations, pour lesquelles il ne manque que des routes ou canaux qui, n’en doutez pas, vivifieraient bientôt un pays trop longtemps oublié quoiqu’il renferme beaucoup d’éléments de prospérité. Il s’y trouve, non seulement d’immenses forêts, mais des mines, des carrières de tous genres ; mais tous ces éléments doivent être développés.

Le gouvernement déchu était, vers la fin de son règne, si persuadé que l’ouverture de communications pouvait seule donner au Luxembourg l’importance dont il est susceptible et qu’il mérite, qu’il avait arrêté l’exécution, non seulement de plusieurs grandes routes se rattachant entre elles, mais encore du canal de Meuse et Moselle ; mais depuis la révolution ces communications sont restées sans exécution.

La grande part que l’on nous accordera, nous l’espérons dans l’emprunt, ne sera après tout qu’un dédommagement que nous avons bien le droit de réclamer : nous n’avons, comme dit M. le ministre de l’intérieur, ni chemins de fer, ni canaux, ni même, pour ainsi dire de routes ; et cependant l’on a voté ici des sommes de 40 à 50 millions pour ces sortes de communications, et il est vraiment étonnant que dans un pays riche composé de neuf provinces seulement, il y en ait une qui soit pour ainsi dire complètement privée de semblables avantages, ce qui offre un contraste aussi choquant que frappant. Heureusement l’honorable M. Pirmez, représentant d’une province sillonnée en tous sens de canaux, de chemins de fer et de routes, est le seul membre de cette enceinte qui ait combattu le projet destiné à rétablir une espèce d’équilibre.

M. Pirmez considère les routes comme étant d’un intérêt purement local, et ajoute que le Hainaut a construit à ses frais une grande partie de ses routes, d’où il conclut que l’on doit en agir ainsi dans toutes les parties de la Belgique, ce qui reviendrait à dire que des provinces qui sont dans l’impossibilité de créer elles-mêmes les communications les plus indispensables, doivent continuer à croupir dans le marasme commercial où elles sont plongées.

J’ajouterai, messieurs, que l’intérêt général réclame que l’Etat se charge de ces communications dans le Luxembourg surtout, car c’est le seul moyen de rendre des centaines de milliers d’hectares de terres productives, non seulement pour de pauvres habitants, mais encore pour le trésor public qui gagnera beaucoup à la plus-value de ces terres jusqu’à présent sans rapport.

Je ferai une autre observation afin de prouver qu’il est juste, sous d’autres rapports encore, d’accorder des dédommagements au Luxembourg. Tout le monde sait que le budget de la guerre est une espèce de lèpre financière pour la Belgique ; mais cette charge est bien moins lourde pour les provinces qui ont des casernes qui, et, par suite de cela et de leur position, jouissent des cantonnements des troupes qui dépensent dans ces provinces tout ce qu’elles coûtent à l’Etat, tandis que le Luxembourg, où il ne se trouve qu’un bataillon d’infanterie, contribue à payer cet énorme budget sans que ses contribuables en retirent le moindre dédommagement ; l’argent destiné aux frais de l’armée sort de notre province pour n’y plus rentrer, et c’est là une considération que le gouvernement ne doit pas perdre de vue. Ces différents motifs et bien d’autres m’auraient déterminé, messieurs, à vous proposer qu’un chiffre spécial soit assigné au Luxembourg ; mais je m’en abstiens quoique l’avenir de cette province dépende beaucoup des travaux urgents que sa situation réclame impérieusement, parce que je crains que, malgré sa position toute particulière, si je demandais qu’une partie de l’emprunt fût déterminée en sa faveur, mes collègues ne voulussent réclamer la même chose pour leur province, ce qui pourrait faire rejeter tout le projet ; je m’en repose d’ailleurs volontiers sur l’équité du gouvernement, qui s’entourera sans doute de tous les renseignements propres à lui faire distribuer les sommes qu’il aura a sa disposition où les besoins s’en font le plus vivement sentir.

M. Gendebien. - Je demande la permission de répondre un mot à M. le ministre de l'intérieur. Il paraît persister à croire que la province du Hainaut a obtenu un privilège en ce qu’elle aura un embranchement au chemin de fer, tandis que d’autres provinces, entre autres le Luxembourg et le Limbourg, n’en auront pas. M. le ministre voudra bien se rappeler que cet embranchement ne nous a été accordé que parce que la chambre a reconnu la justesse de nos réclamations. La chambre a vu qu’elles étaient fondées sur ce que, diminuant de 75 p. c. les frais de transport des houilles de Liége, on ne pouvait pas déshériter les bassins houillers de Mons et de Charleroy des mêmes avantages. Voilà pourquoi on a reconnu la nécessité et la justice d’accorder un embranchement à la province du Hainaut. Ce n’est pas un privilège, mais la réparation du tort que la province du Hainaut aurait éprouvé si les houilles de Liége avaient pu arriver sur le marche d’Anvers avec un avantage de 75 p. c. sur les frais de transport.

Voilà tout ce que j’avais à dire.

M. Eloy de Burdinne. - On a argumenté de ce que la province du Luxembourg ne devait être traversée par aucun chemin de fer. Je suis loin de combattre le besoin de routes qui manquent à cette province ; mais j’engagerai le gouvernement à faire une autre attention. C’est la suivante : avoir égard aux sacrifices que diverses provinces ont faits pour des constructions étrangères à leur province.

Un honorable membre a dit qu’il était dû au gouvernement hollandais l’idée d’association pour les constructions de routes.

Cette idée vient du gouvernement de l’empire français.

Vous pouvez vous rappeler que sous ce gouvernement, quand on faisait construire des canaux et des routes dans un département, les autres départements devaient contribuer. C’est ainsi que la province de Liège a contribué pour la construction du canal de Mons à Condé. Cette même province a encore contribué pour la somme d’un million à la construction du canal d’Anvers au Rhin qui n’a pas été achevé. C’est ainsi que la province de Liége a contribué pour une somme considérable, pour 425 mille florins, ce qui est bien près d’un million, pour la construction du canal de Maestricht à Bois-le-Duc. Cette province n’a rien reçu en compensation des dépenses qu’elle faisait pour les autres provinces.

J’appellerai là-dessus l’attention du gouvernement ; car il est certain que si une province a contribué pour améliorer dans d’autres localités, aujourd’hui qu’elle a des besoins, elle a des droits à ce qu’on vienne construire chez elle. Elle a d’autant plus des droits que les localités rapporteront beaucoup, si on leur donne des communications qui aboutissent au chemin de fer.

Un honorable membre a dit qu’en construisant des routes dans une localité, les avantages en étaient exclusivement à cette localité ; que les propriétés y augmentaient de valeur. Il n’a pas fait attention que l’Etat profitait de cette augmentation de valeur à raison de 10 p. c. de contribution, et qu’indépendamment de cela l’Etat percevait encore un péage.

Ensuite, si on construit de nouvelles habitations, l’impôt personnel est augmenté ; on consomme aussi plus de denrées sujettes à l’accise. Ainsi le plus grand avantage est pour l’Etat.

Sur le rapport de l’objection qu’on a faite qu’on devrait laisser à chaque province l’excédant du produit des barrières, comme on a dit qu’on présenterait un projet de loi, je m’abstiendrai de faire d’autres observations pour le moment.

M. le président. - Personne ne demandant plus la parole dans la discussion générale, je la déclare fermée. Nous allons passer à la discussion des articles. (A demain ! à demain !)

- La séance est levée à 4 heures et demie.