Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 12 avril 1836

(Moniteur belge n°104, du 13 avril 1836)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Verdussen procède à l’appel nominal à 1 heure.

M. de Renesse lit le procès-verbal de la précédente séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Verdussen fait connaître l’objet des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Un grand nombre de bateliers demandent : 1° que le droit de patente soit déterminé, 2° que les bateliers soient divisés en trois classes, et 3° que les bateaux chargés de houille, venant de Charleroy, ne puissent aller plus loin que Bruxelles. »


« Le sieur H. van Troyen, agent d’affaires qui s’occupe de fournir des remplaçants aux militaires, demande des dispositions législatives pour favoriser les remplacements, aussi bien dans l’intérêt général que dans son intérêt particulier. »


« Le sieur van Lerberghe, ex-capitaine de la garde civique mobilisée, demande le paiement de la demi-solde depuis le premier janvier 1835 jusqu’au 31 août de la même année. »


« Les habitants de la commune de Jalhay (Verviers) demandent la construction d’une route de Verviers à la frontière prussienne. »


« La dame veuve de Berk, née Bigants, à Bruxelles, demande le paiement de l’indemnité qui lui revient du chef des pertes qu’elle a essuyées par suite de l’agression hollandaise. »


« Le baron van de Wardz d’Onzel, ancien receveur des contributions, demande le remboursement du cautionnement fourni par lui en 1823 par suite de sa nomination. »


« Le sieur van Dael, chevalier de l’ordre français de la légion d’honneur, demande que le crédit de 45,000 fr. alloué aux légionnaires nécessiteux soit majoré de la somme de 20,000 fr. »


- Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions.


« Le sieur Jean Stenmans, bourgmestre de la commune de Broeckhuysen (Limbourg), né à Capelle, en Prusse, demande que la naturalisation lui soit accordée gratuitement. »

- Cette pétition est renvoyée à M. le ministre de la justice.


« Le sieur van Waesberghe, à Bouchaute, demande la construction du canal de Blankenbergh à Zelzaete. »

« Même pétition des habitants de Bouchaute. »

- La chambre décide que ces deux pétitions seront déposées sur le bureau pendant la discussion relative au canal de Zelzaete.


« Par divers messages le sénat annonce avoir adopté, dans sa dernière réunion, les projets de loi suivants :

« - Le projet de loi contenant le budget des finances, celui des non-valeurs et remboursements, et les dépenses pour ordre pour l’exercice 1836 ;

« - Le projet de loi contenant le budget du ministère de l’intérieur pour l’exercice 1836 ;

« - Le projet de loi relatif à la répression de la fraude des céréales dans la province du Limbourg ;

« - Le projet de loi relatif à l’organisation communale ;

« - Le projet de loi relatif aux péages sur la route en fer ;

« - Le projet de loi relatif au traite conclu avec le Brésil ;

« - et le projet de loi relatif à la taxe des barrières. »

- Pris pour notification.


M. Desmanet de Biesme demande un congé de trois jours.

- Accordé.


M. Dechamps exprime ses regrets de ce qu’une affaire de famille l’empêche d’être présent à la reprise des travaux de la chambre.

Pris pour notification.


M. Rouppe annonce qu’une indisposition l’empêche de prendre part aux travaux de la chambre.


M. de Renesse. - Un rapport adressé à M. le ministre de l’intérieur, par l’ingénieur en chef des ponts et chaussées, chargé de la direction des travaux à exécuter à la Meuse, vient d’être communiqué au bureau de la chambre ; ce rapport pourrait éclairer la discussion de la proposition que j’ai eu l’honneur de faire pour l’entretien de la bonne navigation de ce fleuve ; je crois devoir demander son insertion au Moniteur.

- La proposition de M. de Renesse est adoptée ; en conséquence la chambre ordonne l’impression au Moniteur du rapport de M. de Sermoise, ingénieur en chef des ponts et chaussées à M. le ministre de l’intérieur, sur les travaux urgents à exécuter à la Meuse.

Ordre des travaux de la chambre

M. A. Rodenbach (pour une motion d’ordre). - Messieurs, lors de notre dernière réunion, j’ai demandé la priorité en faveur de la discussion du projet du canal de Zelzaete ; et je rappellerai que l’on a été en quelque sorte d’accord pour recommencer les travaux par cette discussion.

Je demande si l’intention de la chambre est d’aborder enfin cette question qui, depuis trois ans, est soumise à la législature...

M. Gendebien et d’autres membres. - On ne s’y oppose pas !

M. A. Rodenbach. - Puisque l’on est d’accord, je bornerai là mes observations.

M. Donny. - Il y a quelques mois que j’ai déposé sur le bureau une pétition des habitants d’Ostende relative au chemin de fer.

Pour abréger les délais de l’instruction, l’honorable M. Pirson et moi avons demandé que cette pétition fût renvoyée, non pas à la commission des pétitions, mais à la commission des travaux publics ; et la chambre a pris une décision dans ce sens.

Il paraît que cette décision n’a pas été exécutée ; car, d’une part, la commission des travaux publics n’a fait aucun rapport sur cet objet et d’un autre côté la commission des pétitions paraît s’en être occupée, puisqu’il en est parlé dans le feuilleton qui nous a été distribué.

Je désire qu’on puisse s’occuper le plus tôt possible de la pétition dont il s’agit, ainsi que de plusieurs autres plus ou moins urgentes qui sont également arriérées. Je demande à cet effet que la chambre veuille consacrer la séance de vendredi prochain au rapport des pétitions.

M. Gendebien. - Messieurs, avant de nous séparer, il avait été décidé que la loi sur les mines, ou plutôt la révision de la loi de 1810, serait immédiatement mise à l’ordre du jour après la discussion du projet du canal de Zelzaete et de celui de l’emprunt de six millions pour les routes.

Messieurs, la loi dont je parle est de la plus grande urgence. Depuis la révolution, le gouvernement ne peut plus faire des concessions de mines. On a suspendu un peu témérairement l’exécution de la loi de 1810 ; il est indispensable aujourd’hui de la remettre en vigueur.

Je désire que la chambre veuille bien s’occuper de cet objet immédiatement après la discussion du canal de Zelzaete.

Puisque j’ai la parole, je demanderai à M. le ministre de la justice de nous présenter les rapports sur les naturalisations. Depuis cinq ans et demi à peu près, un assez grand nombre d’étrangers sollicitent et attendent leur naturalisation, pour obtenir des fonctions qu’ils ont méritées par des services rendus au pays. Je reçois à tout moment des réclamations à ce sujet ; ces réclamations sont justes ; je désire que la chambre s’occupe de cet objet qui, au reste, sera terminé dans une séance.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, la chambre sait bien que le gouvernement n’est nullement en retard, pour ce qui concerne la question des naturalisations.

Une commission est saisie de l’examen d’une proposition qui a pour objet de régler la forme à suivre pour accorder les naturalisations. Mon travail est prêt ; je pourrais le déposer immédiatement ; mais je ne pense pas qu’il soit utile de faire ce dépôt dès à présent, puisque la chambre ne peut s’occuper des demandes de naturalisation qu’après le rapport de la commission. Je répète que je communiquerai les renseignements que la chambre m’a chargé de recueillir, dès qu’elle le trouvera convenable.

M. Gendebien. - Je ne sais pas jusqu’à quel point un règlement est nécessaire pour accorder des naturalisations. Que l’on dépose le rapport dans telle forme que l’on voudra, peu importe ; la chambre discutera ou prendra une décision.

Je ne veux rien préjuger sur la question. Si M. Lejeune croit devoir persister dans la proposition qu’il a faite, il agira en conséquence. Quant à moi, je ne crois pas à la nécessité d’un règlement spécial ; le règlement de la chambre suffit à tout.

Il est à désirer que nous en finissions et que la chambre s’occupe du projet, si le rapport est préparé.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Avant de prendre la parole, je prie M. le président de faire connaître à la chambre à quoi en est la proposition de M. Lejeune.

M. le président. - La proposition de M. Lejeune a été prise en considération, puis renvoyée à une commission spéciale.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je suis bien aise de pouvoir rappeler ici que le gouvernement n’est pas en demeure ; si l’honorable préopinant est molesté par de nombreuses réclamations, je suis dans le même cas.

Les étrangers pensent que c’est au gouvernement à accorder les naturalisations, tandis qu’elles ne peuvent être accordées que par la loi. Aussi, ne se passe-t-il guère de semaine que je ne reçoive des requêtes à cet égard.

Je le répète, le gouvernement n’est pas en retard, les rapports sont prêts et seront déposés dès que la question sera à l’ordre du jour.

M. Lejeune. - J’avais seulement à dire où en était ma proposition. M. le président vient de le faire connaître. Je n’ai pas à défendre actuellement cette proposition. Puisque la chambre a bien voulu la prendre en considération, il ne s’agit plus que de demander le rapport de la commission.

M. Gendebien. - Je prie le bureau de faire accélérer la présentation du rapport autant que possible.

M. le président met aux voix la proposition de M. Donny, tendant à consacrer la séance de vendredi prochain à un rapport de pétitions.

- Cette proposition est adoptée.

M. de Puydt. - Si la chambre décide la priorité en faveur du canal de Zelzaete, je pense que la proposition de M. Gendebien ne doit venir qu’après la discussion de l’emprunt pour les routes, et de la demande du crédit de 40,000 francs pour travaux aux rives de la Meuse.

M. Gendebien. - Je ne m’oppose pas à ce que ma proposition soit discutée après ces projets.

M. Dumortier. - Messieurs, je demanderai que la priorité soit accordée à l’emprunt pour les routes, et qu’on discute ensuite le projet du canal de Zelzaete.

Il me semble que rien ne s’oppose à ce qu’on procède ainsi.

Dans la dernière séance, la chambre s’est réservé d’examiner, lors de la reprise de ses travaux, si elle donnerait la priorité au canal de Zelzaete ou à l’emprunt sur les routes. Quant à moi, je pense, pour plusieurs motifs, que l’emprunt doit avoir la priorité.

En premier lieu, l’emprunt ne paraît pas devoir présenter d’aussi grandes difficultés que la confection du canal de Zelzaete, En effet, le projet de loi sur l’emprunt porte avec lui ses voies et moyens ; il n’en est pas ainsi du canal de Zelzaete. Vous devriez donc, après avoir admis le principe, si toutefois il est admis, créer des voies et moyens, pour assurer l’exécution de la loi.

Rappelez-vous, messieurs, que dans une séance précédente le ministre des finances a fait remarquer qu’il ne suffisait pas de porter les dépenses à un chiffre très élevé, mais qu’il faudrait y faire face, en votant de nouveaux moyens. M. le ministre a ajouté qu’il serait imprudent d’émettre actuellement plus de bons du trésor qu’il n’en a déjà été émis.

Vous le comprendrez facilement ; c’est que récemment encore l’intérêt des bons du trésor s’est élevé. Ainsi, indépendamment de la question de la construction du canal, il se présente une autre question qui n’est pas dans le projet ; c’est celle relative aux moyens de faire face à la dépense.

Je demanderai la priorité pour l’emprunt sur les routes. La question du canal de Zelzaete n’a pas été examinée par la chambre réunie dans les sections. Car cette question a été renvoyée à une commission : à l’exception d’un petit nombre de membres qui ont leur conviction formée, l’immense majorité de l’assemblée ne connaît pas la disposition dont il s’agit. Il faudra donc que l’assemblée soit éclairée sur plusieurs points. Pour mon compte, je demanderai à la chambre d’ordonner l’impression en petit des enquêtes qui ont eu lieu à cet égard, et spécialement l’impression du plan du canal. Il s’agit de voter une dépense de 1,800,000 francs pour la partie du canal qui va jusqu’au canal de Dam ; mais la dépense totale s’élèvera jusqu’à 8 millions pour les parties subséquentes. (Réclamations.)

En définitive, personne n’a encore sous les yeux le plan de la dépense à faire. Il faut cependant que la chambre vote en connaissance de cause.

Je demanderai également que la chambre ordonne l’impression des avis des chambres de commerce. Tout cela pourra se faire pendant que nous voterons l’emprunt de 6 millions pour les routes. Après le vote de cette loi nous pourrons aborder la loi relative au canal de Zelzaete.

Je ne pense pas que cela puisse donner lieu à aucune contestation.

M. Smits. - Il est certain que la chambre a accordé la priorité au projet de loi sur le canal de Zelzaete. Je pense qu’il n’y a pas lieu de revenir sur cette décision.

Les questions indiquées par l’honorable M. Dumortier seront prises en considération lors de la discussion du projet sur le canal de Zelzaete.

Indépendamment de ce projet, l’assemblée avait témoigné le désir de voir mettre ensuite à l’ordre du jour le projet de loi sur l’emprunt de 6 millions. Celui-ci ne devait pas être suivi de la loi sur les mines dont l’honorable M. Gendebien vous a entretenus.

Il est d’autres projets d’intérêt matériel également indispensables, qu’il serait important de voter pour la prospérité du pays. C’est ainsi qu’il serait nécessaire de mettre la loi sur le transit à l’ordre du jour. La Belgique aujourd’hui a un besoin indispensable de cette loi. Son commerce l’exige impérieusement. Ce n’est qu’alors que les nombreuses marchandises, entreposées dans ses ports, pourront être expédiées par le commerce belge et non par le commerce hollandais. Ainsi, il y a dans les entrepôts 30 à 40.000 balles de sucre qui ne peuvent être envoyées à leur destination que par l’entremise du commerce hollandais,

Je fais la proposition formelle de mettre la loi sur le transit à l’ordre du jour, immédiatement après la loi sur le canal de Zelzaete et la loi sur l’emprunt de 6 millions.

Après ce troisième projet, l’on pourrait s’occuper de la loi sur les constructions navales.

Vous avez tous connaissance des sinistres qui ont eu lieu en 1834 et 1835. La marine belge est presque totalement perdue. Si l’on laisse échapper la saison des constructions, nous serons sans ressources maritimes. Le rapport est prêt ; rien n’empêche qu’on s’en occupe.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il me semble qu’il est fort indifférent que la priorité soit accordée au projet de loi sur le canal de Zelzaete ou au projet d’emprunt sur les routes, pourvu que s’occupe des deux questions. Au fond c’est la même chose.

Je pense du reste, avec l’honorable M. Dumortier, qu’en considérant la priorité, prise rigoureusement en elle-même, elle n’a pas été accordée plutôt à l’un des deux projets qu’à l’autre. Mais, je le répète, il est tout à fait indifférent que l’on commence par l’un ou par l’autre.

J’ai quelques mots à dire sur ce qu’a avancé l’honorable préopinant en ce qui concerne la dépense du canal de Zelzaete.

L’honorable membre dit que quant à l’emprunt sur les routes, la question est plus simple ; que nous avons le moyen de faire face à la dépense par les revenus des routes. Je comprends bien cette observation, dans ce sens que les revenus des routes seront affectés a l’amortissement de l’emprunt.

Je lui ferai observer qu’en ce qui concerne le canal de Zelzaete, c’est par la même voie que nous arriverons à cette construction. Au moyen d’un emprunt de 1,720,000 fr., le canal pourra être exécuté de Dam à la mer. Nous amortissons ce capital emprunté de 1,720,000 fr. au moyen des revenus de nos canaux. C’est là que nous prendrons l’intérêt et l’amortissement de cet emprunt. Ainsi, en ce qui concerne la dépense des deux objets dont la priorité est en discussion, la question est la même.

Il est d’autres points touchés par l’honorable M. Dumortier, dont je ne m’occuperai pas en ce moment.

Un honorable préopinant a demandé que l’on substituât à l’ordre du jour proposé par l’honorable M. Gendebien, la loi des mines, celui qu’il a présenté en dernier lieu, la loi sur le transit. Ces deux objets sont également urgents. Il serait fort difficile de décider lequel mérite la préférence ; aussi, au lieu de fixer l’ordre de leur discussion, il suffirait que la chambre entendît discuter ces deux lois le plus tôt possible, n’importe dans quel ordre.

M. Smits a parlé ensuite de la loi sur les constructions navales. Je pense que la loi sur les mines devrait dans tous les cas avoir la priorité sur celle-ci. Des intérêts majeurs sont en suspens depuis cinq années à défaut d’un conseil d’Etat. Il faut pourvoir à cette lacune. Il faut mettre le gouvernement à même d’accorder des concessions à l’effet d’extraire les richesses minérales qui restent enfouies dans notre sol.

Dans mon opinion, il y a lieu de procéder à la discussion de ces diverses lois de la manière suivante : d’abord la loi sur le canal de Zelzaete et le projet de loi sur les routes ; puis la loi sur les mines, et enfin la loi sur le transit.

Je crois messieurs, qu’il est temps de terminer la discussion des questions de priorité qui peut nous faire perdre toute la séance, et d’aborder l’un des projets de loi à l’ordre du jour.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Il y a d’autant plus de motifs de ne pas décider la question de priorité qu’il y a encore d’autres projets dont l’importance et l’urgence ne sont pas contestées.

Il conviendrait de s’occuper d’abord des trois projets portés sur les bulletin de convocation. Ces projets épuisés, l’on fixerait ultérieurement l’ordre de la discussion.

M. Simons. - Je ferai observer que trois projets sont également à l’ordre du jour. L’un d’eux, le projet de loi sur les réparations à faire aux rives de la Meuse, aura été oublié par M. le ministre des finances.

Je demande que l’on maintienne l’ordre du jour adopté avant notre séparation, et que la discussion du dernier projet ne soit pas reculée par l’adoption de l’ordre du jour proposé par l’honorable M. Smits, adoption qui entraînerait l’ajournement de travaux reconnus urgent par le rapport déposé sur le bureau, et dont l’insertion aura lieu au Moniteur de demain.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - J’avais omis de parler du projet rappelé par l’honorable M. Simons, parce qu’aucun des orateurs n’en avait fait mention. Il est d’ailleurs d’une importance très petite quant à ses conséquences financière à côté des deux autres projets, il ne s’agit en effet que d’une dépense de 40,000 francs. Il me hâte de rectifier cette omission en reconnaissant que ce projet doit être discuté en troisième lieu.

M. Dubus. - Je désirerais qu’il fût possible d’accorder la priorité au projet de loi sur le canal de Zelzaete, si cette construction est nécessaire pour procurer un écoulement aux eaux des Flandres. Mais je demande d’abord quel est ce projet. Je voudrais qu’il fût déposé sur le bureau. Nous devrions d’abord nous assurer si la chambre est saisie réellement du projet de loi qu’il s’agit de discuter. Quant à moi, j’en ai fait inutilement la recherche.

J’ai demandé la parole quand j’ai entendu M. le ministre des finances parler d’un emprunt de 1,720,000 francs pour le canal dont il s’agit de voter la construction ; jusqu’ici il n’avait été question de voter que 550.000 francs.

On avait porté au budget de 1835 550,000 fr. pour commencer les travaux du canal de Zelzaete, et il se trouve que 550,000 fr. seraient peut-être la somme nécessaire pour les achats des terrains et les terrassements, et qu’une somme au moins équivalente sera nécessaire pour construire l’écluse de mer et plusieurs autres écluses et ouvrages d’art. Le ministre reconnaît qu’il faut pourvoir aux voies et moyens en même temps qu’on décrète la dépense, et il dit qu’on n’aura qu’à voter un emprunt de 1,720 mille fr. Mais il résulte de là qu’un projet doit nous être soumis, dans lequel on décrétera la dépense et on pourvoira en même temps aux voies et moyens.

Qu’on dépose ce projet sur le bureau, et la chambre décidera s’il y a lieu de s’en occuper sans examen préalable. Je suis de ceux qui regrettent qu’on ne nous ait pas distribué de documents qui nous missent à même d’apprécier le fondement et le quantum de la dépense, et ensuite le mode d’exécution qu’il convient d’adopter. Sur ce point, nous avons un rapport de trois pages. Ce rapport, je dois l’avouer, ne m’a mis aucunement à même de former une opinion. On n’a pas même songé à nous faire distribuer le moindre plan sur lequel fût tracée la ligne à suivre pour l’exécution des travaux dans l’une et l’autre hypothèse, car il s’agit d’opter entre la proposition qui a obtenu les suffrages de votre commission et une autre proposition qu’elle s’est présentée sous forme d’objection. Cependant le rapport ne nous met nullement à même de nous prononcer entre ces deux propositions.

Il est impossible que nous nous prononcions en connaissance de cause, si on ne nous communique pas tous les documents relatifs à la question dont il s’agit.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’honorable préopinant ne tient pas compte de ce qui s’est passé. En 1834 une proposition a été faite au budget de l’intérieur. La section centrale, chargée d’examiner ce budget fit un rapport sur le projet du canal de Zelzaete à Blankenberg. La chambre décida que cette proposition serait distraite du budget. Dans l’intervalle un autre rapport a été fait sur ce canal, celui de M. Vifquain, qui évalue la dépense à 4 millions, Au budget de 1834 on ne demandait que 50,000 fr. pour les premiers travaux à faire. On pourrait se borner quant à présent à construire un canal de Dam à la mer. La chambre pourrait commencer par voter l’exécution de cette section qui est la moindre et se réserver lorsqu’elle sera terminée de prononcer sur l’exécution de l’autre section du canal, car ces deux sections sont tout à fait indépendantes l’une de l’autre et on peut fort bien construire l’une sans être pour cela obligé de construire l’autre.

La dépense de la section de Dam à la mer ne serait que de 1,720,000 fr., mais dans tous les cas, qu’on ne construise que cette section ou qu’on les construise toutes deux, il ne sera dépensé dans le courant de l’année que 550,000 fr.

Quant aux voies et moyens, il suffirait de statuer qu’il y sera pourvu par un emprunt comme on l’a fait pour le chemin en fer.

Quant à l’objection qu’on a faite que la chambre n’était pas saisie, je répondrai qu’elle l’est suffisamment, puisque c’est une proposition du budget de l’intérieur qui en a été distraite. C’est sur la décision de la chambre que la commission des travaux publics à été chargée de l’examen, et c’est par cette commission que M. de Puydt a été chargé de faire un rapport.

M. Gendebien. - Je ne m’oppose pas à ce que les projets dont vient de parler M. Simons soient discutés avant celui relatif aux mines, mais j’insiste pour que le projet qui concerne les mines soit discuté avant les autres projets dont on a parlé. La loi sur le transit va entraîner de longues discussions, la loi relative aux primes à accorder pour constructions de navires ne demandera pas moins de temps ; il est indispensable que vous donniez la préférence à la loi sur les mines, car depuis cinq ans et demi la loi de 1810 est suspendue.

Tous les exploitants de mines sont ainsi mis hors la loi. Il est de la plus grande urgence de fixer les relations des propriétaires de mines vis-à-vis de la société tout entière. On a suspendu, je ne sais pourquoi, la loi de 1810. On a eu toutes les peines du monde à faire comprendre qu’il fallait au moins laisser au gouvernement la faculté de continuer les concessions anciennes. Mais on a fait en cela très peu de chose, parce que les demandes en confirmation de concessions anciennes sont mêlées à des demandes de concessions nouvelles. Tel propriétaire qui avait une concession d’une certaine étendue a demandé une concession nouvelle pour s’arrondir ; le propriétaire de telle mine découverte a demandé avec la continuation de cette concession une adjudication d’autres veines ; le gouvernement se trouve dans l’impossibilité de faire droit à toutes ces demandes.

Depuis la publication de la loi de 91 en Belgique, c’est-à-dire depuis 1795, il y a des propriétaires qui attendent la confirmation de la concession de leur exploitation. Les propriétaires de ces exploitations sont hors la loi depuis qu’on a suspendu la loi de 1810.

Vous voyez donc que la matière dont il est le plus urgent que vous vous occupiez, c’est celle des mines.

Ensuite, je pense que de toutes les exploitations industrielles, les mines sont celles qui contribuent le plus à augmenter les richesses des nations.

A mesure que l’industrie fera des progrès, la houille et le fer deviendront de plus en plus nécessaires ; car sans houille et sans fer il n’y a aucune industrie possible. Et nous avons le bonheur de posséder en Belgique ces matières en assez grande abondance pour pouvoir, par ce moyen, rendre les autres nations nos tributaires.

Une exploitation de charbons ne s’établit pas comme toute autre industrie ; la plupart des industries peuvent se monter en peu de temps, tandis qu’il faut dix ans pour établir d’une manière complète et régulière une houillère. Pensez-vous qu’on exposera des capitaux à faire des recherches ou des exploitations de mines si on n’a pas la certitude d’avoir des contrat de concessions ?

Quant au projet de loi concernant le canal de Zelzaete, je n’ai pas voulu dire que je l’avais cherché toute la matinée et que je ne l’avais pas trouvé, de crainte qu’on ne pensât que je voulais faire ajourner la discussion ; mais je dois l’avouer, je ne comprends pas comment on puisse discuter une proposition cette nature sans un projet de loi formel.

Je demanderai néanmoins qu’on commence la discussion générale, persuadé qu’éclairé par cette discussion à la fin de la séance d’aujourd’hui ou de demain, chacun sentira la nécessité d’un projet de loi qui décrète en même temps la dépense, le mode de dépense et le moyen d’y faire face.

Songez que cette dépense peut aller jusqu’à 4 millions et même au-delà et, pour moi, je pense que si on juge à propos de faire quelque chose qui soit d’intérêt purement local, il faut faire le canal entier, car ce sera le moyen de rattacher l’intérêt particulier à l’intérêt général.

Il est une autre question à examiner. Les propriétaires des polders supportaient une charge pour toutes les terres qui profitaient des moyens d’écoulement créés par les wateringues. Si à ces moyens d’écoulement, pour lesquels chaque propriétaire payait une rétribution suivant le nombre de bonniers asséchés, le gouvernement en substitue d’autres, ces polders seront-ils soulagés des charges qu’ils supportaient ?

Je sais qu’on va dire : Mais il existait des travaux ; et c’est par le fait de la guerre ou plutôt par le fait du gouvernement que les travaux des wateringues ont été détruits et doivent être remplacés ; car c’est parce que le gouvernement n’a pas en le courage de faire exécuter les traités qu’il faut aujourd’hui créer de nouveaux moyens d’écoulement. Votez, nous disait-on en 1831 ; les traités seront exécutés : à la plus petite insulte de la part de la Hollande, nous lui déclarerons la guerre. Nous avions beau dire que la Hollande ne s’y soumettrait pas, que c’était un leurre, qu’on trompait le pays, on ne nous a pas crus ; on a même été jusqu’à nous présenter comme des hommes qui voulaient l’anarchie ; c’est un reproche banal qui a longtemps fait fortune. Cependant ce que nous avions prédit est arrivé. Les moyens d’écoulement naturels et stipulés par les traités nous manquent, nous sommes obligés de nous en procurer d’autres.

Mais s’en suit-il que les propriétaires des polders ne devront plus payer de rétribution pour l’assèchement de leurs propriétés ? Je ne dis pas qu’ils doivent supporter toute la dépense à faire ; sans doute il faut leur tenir compte des travaux qui avaient été exécutes à leurs frais et qui se trouvent détruits par les lâchetés de notre diplomatie. Mais ils ne doivent pas non plus être sublevés de toute charge. Enfin, ils ne doivent pas être victimes des événements de la guerre, mais ils ne doivent pas non plus en profiter. Il y aurait une ventilation à faire pour opérer une juste répartition. Il n’est pas dit un mot de cela dans le rapport.

Qu’on s’occupe donc de la discussion générale, toutes ces questions y seront examinées et à la fin de la séance d’aujourd’hui ou de demain, car la matière est assez importante pour qu’on lui consacre quelque temps, et ensuite on verra s’il est ou non nécessaire de présenter un projet de loi. Mais quant à présent il est exact de dire qu’il n’existe pas de projet de loi. Je déclare de nouveau que je n’ai nullement l’intention de retarder la discussion. Je désire seulement qu’on prenne mes observations en considération.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je pense que la chambre est saisie, comme elle doit l’être, de la proposition relative au canal de Zelzaete. En effet, messieurs, de quoi s’agit-il en ce moment ? Est-ce de la question de savoir si nous devons contracter un emprunt ? Non. Il s’agit de savoir si nous ouvrirons au département de l’intérieur un crédit destiné à la construction du canal de Dam à la mer. Voilà la proposition comme elle se présente à la chambre ; elle en est régulièrement saisie parce que c’est un article qu’on a détaché du budget de l’intérieur dans lequel le crédit avait été demandé, et il n’a été ajourné que pour en faire l’objet d’une discussion spéciale afin que le vote de ce budget ne fût pas trop retardé par une discussion qui s’annonçait comme devant être fort longue.

Maintenant, messieurs, si les moyens d’être suffisamment éclairés relativement au canal de Zelzaete manquent, c’est ce que nous verrons par suite de la discussion qui va s’ouvrir. Nous saurons en effet si le rapport présenté par la commission, si les développements des motifs sur lesquels on se base pour obtenir la construction, développements donnés par l’inspecteur Vifquain, sont assez concluants ; ou, n’étant pas suffisants, il faudra aviser aux moyens d’avoir d’autres renseignements.

Il s’agit donc simplement de discuter s’il sera ouvert un crédit de 1,720,000 fr. au département de l’intérieur pour la construction d’un canal de Dam à la mer ; lequel crédit sera couvert par un emprunt qui sera réglé par une loi postérieure

On conçoit que la loi réglant les bases et les conditions de l’emprunt ne saurait venir qu’après ; car, avant tout, il faut que nous sachions si pour ce canal et pour les routes il y aura ouverture de crédits et quel en sera le montant ; alors seulement nous présenterons, s’il y a lieu, un projet d’emprunt pour subvenir aux frais de ces constructions. Et nous saisirons cette occasion pour proposer également un emprunt comme conséquence de la loi du 1er mai 1834 pour rembourser les bons du trésor et continuer les travaux du chemin de fer. (Aux voix ! aux voix !)

M. A. Rodenbach. - Au commencement de la séance j’ai demande la priorité pour le canal de Zelzaete, pas une seule voix ne s’est alors élevée pour s’opposer à ma demande ; on disait au contraire que nous étions tous d’accord ; plusieurs membres disent encore qu’ils sont d’accord ; ainsi, je ne vois pas pourquoi la discussion continue.

Un honorable député du Hainaut a prétendu que le canal de Zelzaete coulerait plusieurs millions ; c’est une exagération ; le ministre vient de vous déclarer quelle serait la dépense. Il vous a de plus fait entendre que les travaux sont urgents ; que le commerce est anéanti dans les localités dont il s’agit. Actuellement on ne demande un crédit que pour les premiers travaux à effectuer entre Dam et la mer. Il faut absolument accorder l’écoulement des eaux aux Flandres, et ne pas continuer d’interrompre la navigation dans une partie de ces contrées. Il faut songer que les Hollandais, maîtres des eaux, peuvent inonder cent mille bonniers de nos terres ; un tel état de choses ne doit pas se perpétuer.

Si l’on est véritablement d’accord, commençons la discussion sur le canal de Zelzaete.

M. Dumortier. - Ne croyez pas, messieurs, que j’aie l’intention d’écarter la discussion sur le canal de Zelzaete ; la chambre a décidé qu’elle s’occuperait de ce projet ; cependant, avant tout, il faut que les choses se fassent dans les règles tracées par la constitution et le règlement. J’ai demandé la priorité pour l’emprunt de six millions relatifs aux routes, parce que le projet de loi sur cet objet est complet. Pendant que l’on s’occuperait des routes, le ministre des finances nous préparerait un projet résolvant toutes les questions que soulève le canal. Ce projet serait accompagné des documents nécessaires pour former notre conviction. La chambre, il ne faut pas l’oublier, n’est saisie d’aucun projet de loi ; nous allons discuter, sur quoi ? sur des propositions qui ne sont même pas formulées ?

M. A. Rodenbach. - On a présenté des amendements !

M. Dumortier. - On ne présente des amendements que sur un projet de loi. La chambre n’est saisie que d’une question, et non d’un projet de loi ; souvenez-vous en effet de ce qui s’est passé avant le renouvellement de la chambre en 1835.

Le ministre de l’intérieur avait porté dans son budget un crédit de 550,000 fr. pour le canal de Dam à la mer ; cette proposition fut faite en 1835 ; mais, en votant le budget de 1835, vous avez voulu que le canal de Zelzaete fût l’objet d’un projet de loi à part ; eh bien, êtes-vous saisis d’un projet de loi ? Non, vous êtes saisis de la question. Ce n’est pas une futilité que cette distinction, quoique je voie plusieurs députés sourire. Je prie les honorables membres qui sourient d’y faire attention : le budget des voies et moyens est épuisé par les dépenses, et il est nécessaire de créer de nouvelles ressources pour faire face aux dépenses du canal.

On nous a dit quelques mots aujourd’hui sur les moyens de subvenir à cette dépense. Mais c’est pour la première fois qu’on nous en parle, et qu’on nous fait entendre que pour payer la construction du canal de Zelzaete, on ouvrira un emprunt que paieront les canaux de la Belgique ! C’est pour la première fois que nous entendons parler d’hypothéquer tous les canaux de l’Etat afin de construire un canal provincial, un canal dont l’Etat ne percevra rien !

C’est de cette façon que l’on vent nous faire voter des travaux qui coûteront 6 à 8 millions. (Bruit.)

De Dam à la mer on demande 4,800,000 fr. ; en prolongeant ce travail jusqu’à Zelzaete la dépense ira à 4 millions ; une autre partie du même système de ce canal, et allant jusqu’à Ste- Marie, ne coûterait pas moins, et en tout la dépense sera bien, comme je l’ai avancé, de 6 à 8 millions.

M. A. Rodenbach. - D’après les rapports de M. Vifquain, le tout ne coûtera que 4 millions.

M. Dumortier. - Je reconnais autant que personne la haute capacité de M. Vifquain ; mais ce n’est pas la première fois qu’un ingénieur se soit trompé dans ses évaluations. Quoi qu’il en soit, si jamais demande de documents a été fondée, c’est celle qui a lieu dans la circonstance actuelle.

Une enquête a été faite relativement à l’ouverture du canal ; on a consulté les autorités de la province ; on a entendu la chambre de commerce de la contrée ; tous les intéressés ont été entendus, et on s’est appuyé de tous ces avis pour réclamer le canal.

Mais ce canal est-il indispensable ? Eh bien, je sais, moi, que des hommes de l’art, qui ont des connaissances hydrauliques et qui entendent cette partie mieux que les ingénieurs, ont déclaré que la dépense était inutile, qu’elle était même dangereuse. Je vous parle d’hommes de l’art des Flandres, et non d’hommes de l’art du Brabant, du Hainaut, du Luxembourg. Ils prétendent qu’une dépense de deux à trois cent mille francs peut suffire.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Vous traitez la question du fond.

M. Dumortier. - Quand je demande communication de documents, je peux appuyer ma réclamation.

Je disais, messieurs, qu’une enquête avait été faite ; pourquoi nous cache-t-on les faits révélés par cette enquête ? Veut-on nous faire voter une dépense de six à huit millions sans en connaître les motifs ? Une telle conduite n’est pas loyale. Si ce canal de Zelzaete est nécessaire, qu’on nous le démontrent.

M. Hye-Hoys. - Les inondations et l’état de la contrée le démontrent.

M. Dumortier. - Je prierai M. Hye-Hoys de ne pas m’interrompre ; il pourra me répondre. Les habitants de Tournay ne sont pas disposes à voir augmenter leurs impôts dans l’intérêt privé des Flandres.

Je reviens a la matière.

Je dis que l’on veut nous faire voter un projet de loi sans nous communiquer les éléments du procès. Je demande l’impression des documents relatifs au canal de Zelzaete. Je déclare que si l’on veut s’opposer à cette impression, c’est que l’on prétend enlever la loi sans éclairer la chambre. Les membres de cette assemblée sauront aussi à quoi s’en tenir, si on veut les faire voter un projet sans connaissance de cause.

J’en reviens donc à la proposition que j’ai eu l’honneur de faire. Je demande que l’on discute d’abord le projet de loi relatif à l’emprunt de 6 millions pour construction de routes, parce que ce projet est complet, puisqu’il présente les dépenses et les voies et moyens.

D’ailleurs, aux termes de la constitution, la chambre ne peut voter sur aucun projet sans qu’il existe article par article. Eh bien, je demande à ceux qui veulent que l’on vote sur le canal de Zelzaete où est le projet de loi relatif à cet objet, où sont les articles. Sur quoi voulez-vous que l’on vote ? Sur des questions ? Mais la chambre ne fait pas des lois avec des questions.

Nous ne pourrions procéder ainsi sans violer la constitution. Une simple question a été soumise à la chambre ; et à qui a-t-elle été soumise ? A la chambre existant avant le renouvellement par moitié.

Qu’il soit présenté un projet de loi ; que ce projet soit examiné par une commission qui donnera aux questions qui en dérivent telle solution qu’elle jugera convenable, Alors seulement la discussion pourra avoir lieu. Mais nous ne pouvons discuter, quand nous n’avons pas de projet de loi sous les yeux.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Le budget de 1835, ainsi que j’ai eu l’honneur de le dire, contenait une proposition formelle relative au canal de Zelzaete. L’art. 3 du chap. IX du budget de l’intérieur était ainsi conçu : « Canal de Blankersbergh à Zelzeate pour l’écoulement des eaux des Flandres. » Il est vrai que cette proposition se trouvait dans le budget. Mais nous avons décidé que cet article serait disjoint du budget. Que résulte-t-il de là ? Qu’il y a lieu à modifier un peu cet article ; mais il a fait l’objet de deux examens : le premier de la part de la section centrale du budget de l’intérieur, le deuxième de la part de la commission instituée pour examiner les projets de travaux publics. Il n’est donc pas exact de dire que cette proposition n’a pas été examinée.

Quant aux documents, j’aurai l’honneur de vous rappeler que le plan du canal a été communiqué à la chambre. Il est de même des devis. Le rapport de M. l’ingénieur Vifquain contenant tous les renseignements désirables, a été imprimé et distribué. Dès lors personne ne peut prétexter cause d’ignorance.

M. Dumortier. - Et les enquêtes !

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Il est bien certain que la chambre n’ordonnera pas l’impression de toutes ces enquêtes. Au reste tous les documents ont été communiqués à la commission, qui a fait imprimer ce qu’elle a cru nécessaire. Mais dans le cas présent les enquêtes n’ont pas besoin d’être imprimées, car elles ont toutes été favorables au projet ; et il ne pouvait pas en être autrement.

M. Gendebien. - Il me semble que nous ne serons jamais d’accord, si nous n’établissons pas un point de discussion où nous puissions nous arrêter.

Il y a une question bien simple et que l’on pourrait aborder comme objet de discussion générale : c’est celle de la nécessité et de l’utilité du canal. Après cette discussion, je ne doute pas que chacun de nous ne soit convaincu de la nécessité de rédiger une proposition en forme de projet de loi.

Il y a assez de personnes intéressées à ce projet, pour qu’on puisse craindre qu’il soit renvoyé à un ou à deux ans, comme celui relatif aux naines.

Je suis persuadé que, trois jours après la discussion générale, chacun sentira la nécessité d’un projet de loi. Mais je crois qu’il est impossible, dans l’état actuel, de formuler en loi toutes les questions qui se rattachent au projet. Je demande donc que l’on discute d’abord les deux points que j’ai indiqués. Sans cela, nous arriverons à 4 heures et demie sans avoir rien fait.

Sans doute personne ne peut méconnaître l’utilité du canal ; mais nous ne pouvons décréter une dépense de 540,000 fr., et un emprunt de sept cent et tant de mille francs, sans un projet de loi qui établisse le rapport entre les propriétaires et le gouvernement qui fera le canal. Car, je le disais tout à l’heure, les habitants des Flandres ne peuvent perdre du fait de la guerre ; par conséquent, il faut que l’on rende aux Flandres l’écoulement des eaux qu’elles avaient avant la guerre. Mais il faut que la situation de chacun ne soit ni aggravée ni améliorée, et par conséquent ils ne peuvent prétendre à se libérer des anciennes charges qu’ils supportaient dans leur association des wateringues.

Mais avant tout, si nous ne voulons pas perdre encore beaucoup de temps, je pense qu’il faut discuter la question de nécessite et d’utilité du canal.

M. Dumortier. - Je me rallie à cette proposition.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Pour éviter une double discussion, je crois qu’il est préférable de discuter la proposition dont la chambre est saisie, saut ensuite l’amender. Car de ce que la discussion est ouverte sur une proposition, il ne s’ensuit pas qu’elle doive être adoptée.

Je proposerai moi-même un changement de rédaction, il consisterait à formuler ainsi l’article unique du projet :

« Il sera exécuté, aux frais du trésor public, un canal de Dam à la mer. Les dépenses d’exécution seront couvertes au moyen d’un emprunt qui sera ultérieurement réglé par la loi. »

M. Devaux. - Je demande d’abord si l’on est d’accord pour ouvrir la discussion sur cette proposition.

M. Dumortier. - Mais cette proposition n’a pas été examinée par les sections.

M. Devaux. - Je maintiens mon tour de parole, afin que la discussion ne recommence pas de la même manière que tout à l’heure ; car deux honorables préopinants viennent, dans la discussion de la question de priorité, de traiter plusieurs questions dont l’examen aurait très bien trouvé sa place dans la discussion du fond.

Vainement objecte-t-on qu’il ne nous a pas été présenté de projet de loi. Il s’agit d’un article disjoint du budget de 1835 ; et ces disjonctions, régulières ou non, ont eu lien dans un grand nombre de circonstances, et notamment pour les travaux à exécuter aux rives de la Meuse.

Mais, dit-on, les voies et moyens ne permettent pas de faire la dépense dont il s’agit. Je réponds à cela que lorsque la discussion de cet article du budget a eu lieu, les voies et moyens étaient adoptés. Vous avez toujours discuté le budget des dépenses après celui des voies et moyens. Si vous adoptez l’article proposé, le gouvernement aura à voir s’il doit proposer une loi de voies et moyens.

Quant à l’objection résultant du renouvellement de la chambre par moitié, je ne crois pas qu’il y ait lieu de s’y arrêter. La chambre n’a pas été dissoute, elle a été considérée comme saisie des projets qui lui avaient été soumis avant son renouvellement.

M. Dumortier. - Je demande que M. le ministre de l’intérieur dépose les enquêtes ; car l’assemblée n’a pas le moindre document.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Il n’y a pas à cela la moindre objection. J’ai offert à la chambre de lui communiquer ces enquêtes ; je les déposerai sur le bureau avec plaisir.

M. Dumortier. - Je demande que l’on fasse lithographier et distribuer le plan réduit du canal. On nous a distribué un plan pour la construction de la route en fer, on peut bien en distribuer un pour des travaux qui entraîneront des dépenses aussi considérables.

- La chambre consultée accorde la priorité à la discussion relative au canal de Zelzaete.

M. le président. - Il s’agit maintenant de voter sur les questions de priorité soulevées par MM. Smits et Gendebien.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je demande que l’on ne fixe pas l’ordre ultérieur des travaux de la chambre. Il sera temps de le faire lorsque l’ordre du jour sera épuisé.

M. Gendebien. - De tous les projets dont la chambre est saisie, je déclare qu’il n’y en a pas de plus important, de plus urgent que celui sur les mines. Si l’on n’y prend garde, il pourra arriver que des établissements industriels chômeront à défaut de minerai. Il faut avoir une très faible idée des travaux immenses des exploitations houillères pour arrêter une discussion comme celle-là. Je ne conçois pas que M. le ministre de l’intérieur, qui doit cependant ne pas ignorer les inconvénients de l’état actuel des choses, s’oppose à la fixation de l’ordre du jour telle que je l’aie proposée.

Il y a 5 ans qu’il est question de ce projet. Il est antérieur à tous les autres. il est le plus urgent. J’insiste donc pour la proposition que j’ai faite,

M. Dubus. - Je vais appuyer la motion de l’honorable député de Mons. Je prie la chambre de considérer qu’il y a déni de justice. Depuis 5 ans il n’y a plus d’autorité compétente pour les demandes en concession de mines. Ce déni de justice emporte une injustice d’autant plus flagrante qu’il en résulte un monopole pour ceux qui ont obtenu des concessions ou qui ont demandé des maintenues. Il y en a qui sont à attendre depuis 6 ans, et même 10 ans, que l’on fasse droit à leurs demandes.

M. Gendebien. - Il y a des demandes et concession qui datent de 95 et sur lesquelles l’on n’a pas statué.

M. F. de Mérode. - Je ne m’oppose pas à la discussion de la loi sur les mines. Mais je ne vois pas la nécessité de régler dès à présent un ordre du jour que l’on pourra intervertir.

Discutons d’abord les trois projets de lois à l’ordre du jour. Quand ils seront terminés, nous pourrons examiner alors les questions de priorité que l’on vient de soulever. Je ne vois aucune nécessité à mettre à l’ordre du jour une liste aussi nombreuse de lois.

- L’ajournement proposé par M. de Mérode est mis aux voix et n’est pas adopté.

La chambre décide, sur la proposition de M. Gendebien, que la loi sur les mines sera discutée après les trois projets à l’ordre du jour.

M. Smits. - Puisque la chambre a écarté la question d’ajournement, je demande également que l’on mette à l’ordre du jour la loi sur le transit. Cette loi est d’une plus grande importance que l’on ne croit. Car il s’agit ici non pas de l’intérêt d’une ou deux provinces, mais dans l’intérêt de tout le pays.

M. F. de Mérode. - Quoique je n’aie pas réussi dans ma demande d’ajournement, je ne crains pas de la renouveler. Il me semble qu’il est absolument inutile de fixer l’ordre du jour si longtemps d’avance.

M. Devaux. - J’appuie la proposition de l’honorable M. Smits. La loi sur le transit est encore plus importante que celle sur les mines, car il ne s’agit pas ici de créer de nouvelles richesses, mais bien de conserver celles que nous avons. Je ne sais pas si la chambre n’a pas de reproches à se faire de ne pas avoir voté de loi sur la transit : c’est beaucoup en matière de commerce qu’une année de perdue. Les habitudes commerciales des peuples avec la Belgique se perdent au profit de la Hollande. Il n’y a pas de loi d’intérêt matériel plus urgente que celle sur le transit, c’est le véritable moyen de renouer nos relations avec l’étranger en attendant l’achèvement de la route en fer.

M. Dumortier. - Depuis plusieurs années nous avons fait peu de chose pour l’industrie. Je pense que nous devons saisir l’occasion qui se présente d’adopter un projet dont chacun de nous reconnaît l’urgence. Je ne pense pas que ce soit perdre du temps que de fixer d’avance l’ordre du jour. De cette manière les membres absents, prévenus longtemps d’avance, peuvent se rendre à leur poste pour discuter les travaux qui les intéressent le plus.

J’appuie la proposition de l’honorable M. Smits.

M. Desmet. - Je demanderai à M. le ministre des finances si l’on s’occupe d’une loi sur le sel.

M. le ministre des finances (M. d'Huart) fait un signe affirmatif.

M. Desmet. - Vous aurez un bénéfice de deux millions sur cet impôt.

M. Hye-Hoys. - Je demanderai si les chambres de commerce ont été consultées sur la loi du transit. (Oui, oui.)

- L’ajournement proposé par M. de Mérode est écarté.

La discussion de la loi sur le transit est fixée après la loi sur les mines.

Projet de loi relatif au canal d'écoulement dans les Flandres, de Zelzaete à la mer du Nord

Discussion générale

M. Verdussen donne lecture de la pétition du sieur van Waesberghe, relative au canal de Zelzaete.

- La chambre, consultée, ordonne l’insertion au Moniteur de la pétition dont il vient d’être donné lecture. (Suit le texte de cette pétition, non reprise dans la présente version numérisée).

M. le président. - Nous passons à la discussion de la proposition relative au canal de Zelzaete.

La parole est à M. van Hoobrouck de Fiennes.

M. Van Hoobrouck. - Vous n’ignorez pas, messieurs, qu’une partie des Flandres a été originairement conquise sur la mer. Par suite de cette circonstance, ces terrains ont conservé une position relative fort basse, de sorte qu’ils constituent comme un immense bassin où viennent se réunir toutes les eaux de ces provinces. Ainsi, messieurs, il a fallu se garantir non seulement contre les efforts de la mer, qui tend incessamment à reconquérir son ancien domaine, mais peut-être plus encore contre la surabondance d’eaux pluviales que la pente naturelle du terrain y amène de tous les côtés. Vous comprendrez que les moyens individuels étaient impuissants pour atteindre ce double but, et les propriétaires ont compris la nécessité de se constituer en associations à l’effet de créer un système général d’écoulement.

Mais veuillez bien le remarquer, messieurs, les seules obligations de ces associations étaient de recevoir sur leurs propriétés les eaux supérieures pour les conduire vers les grandes écluses de mer, qui toujours ont été établies aux frais de l’Etat. Il existait autrefois plusieurs de ces écluses mais, par suite des événements de 1830, elles sont toutes passées au pouvoir de la Hollande, à l’exception de deux qui nous sont cependant devenues presque inutiles, parce que des atterrissements très considérables se sont formés devant leurs radiers. Mais quand bien même la Zélande n’aurait jamais été séparée de la Belgique, et que toutes ces écluses eussent restées à notre entière disposition, il n’en aurait pas moins été nécessaire de tracer d’autres voies d’écoulement aux eaux, parce que les bras de mer où elles se perdaient jusqu’ici se comblent successivement ; de sorte que, là où cinglaient naguère des vaisseaux d’un certain tonnage, vous apercevez aujourd’hui, à la marée basse, d’immenses lagunes qui elles-mêmes seront probablement livrées à l’agriculture dans un temps peu éloigné. C’est donc pour remplacer ces écluses, dont l’expérience a prouvé l’insuffisance toujours progressive, que la pensée du canal de Zelzaete a été conçue. Ce projet, du reste, n’est pas nouveau ; il avait déjà été agité sous l’ancien gouvernement, et même sous l’empire. Mais sa nécessité est devenue aujourd’hui imminente, si vous n’avez pas résolu de vouer à une ruine certaine toutes ces belles propriétés, jadis les plus fertiles de l’Europe, aujourd’hui frappées d’une désolante stérilité.

Aussi, messieurs, la nécessité de ce canal n’a pas été contestée par l’honorable M. Dumortier ; mais il s’est borné à croire que les frais devaient en être supportés par les particuliers ou tout au moins par les provinces. Mais c’est là une erreur fort pardonnable aux personnes étrangères à ces localités, mais qui ne résiste pas au plus simple examen de la question.

En thèse générale, les propriétés inférieures sont sans doute tenues de recevoir les eaux des propriétés situées sous un niveau plus élevé. C’est d’ailleurs là une servitude dont elles ne sauraient s’affranchir ; mais jamais les propriétés qui se trouvent au bas de ces grandes pentes que la nature a tracées ne sauraient être chargées de fournir des voies d’écoulement à toutes ces eaux, à moins que chaque propriété ne soit appelée à concourir aux frais qui en résultent, en proportion des avantages qu’elle en retire. Or, messieurs, la partie basse des Flandres reçoit les eaux non seulement de ces deux provinces, mais encore d’une partie du Hainaut et même du nord de la France. Pour répartir cette charge avec une égale justice distributive, il faudrait une opération cadastrale bien autrement compliquée que celle qui a suscité dans le pays de si vives réclamations : cela est impossible, cela serait absurde ; mais dés qu’une taxe échappe à une application individuelle, elle incombe à la généralité et par conséquent à l’Etat.

L’honorable député de Tournay croit que les frais du canal proposé devraient être supportés par les Flandres, parce que ces provinces lui paraissent plus particulièrement intéressées à sa construction. Mais c’est une autre erreur de croire que parce qu’un ouvrage est construit dans une localité, il ne se rattache pas à des questions d’utilité générale. Comme si les ports d’Ostende et d’Anvers, bien que fort avantageux sans doute à ces deux villes, n’aidaient pas encore puissamment au développement du commerce et de l’industrie de la Belgique tout entière.

Quoi qu’il en soit, ce ne serait jamais aux Flandres que l’on pourrait imposer cette charge. Ces provinces, en effet, ont construit le canal de Gand à Bruges et de Bruges à Ostende. Ces canaux doivent servir à l’écoulement des eaux et à la navigation, mais celle-ci ayant pris depuis une si grande extension, il a fallu les réserver exclusivement à cet usage. Si on les rappelait aujourd’hui à leur destination primitive, que deviendraient cette navigation et la nombreuse population qu’elle alimente ? Que deviendraient le commerce et l’industrie du Hainaut qui trouve par le moyen de ces canaux un si immense débouche à ses produits. Plus de cent vaisseaux chargés de chaux et de charbons descendant chaque semaine de Tournay vers Gand, je ne crois pas me tromper en disant que plus de la moitié prendrait la direction d’Ostende, si cette voie leur était interdite, par suite de la nécessité où l’on serait d’abaisser le niveau des eaux afin de faciliter l’écoulement. Je vous laisse à juger quelle perte il en résulterait pour les arrondissements de Tournay et de Mons ; et combien d’intérêts se trouveraient gravement compromis. Ainsi donc, messieurs, le gouvernement, en se chargeant d’assurer aux eaux pluviales d’autres écoulements, ne fait que rétablir l’équilibre entre tous ces intérêts et replacer les choses dans leur état normal.

J’ai entendu répéter que l’on pourrait atteindre le même but par quelques travaux à construire à l’écluse du Hazegras ; mais cette écluse, comme toutes les autres, se trouve sur un bras de mer qui se comble successivement et qui bientôt n’existera plus. Du reste, messieurs, il nous serait très indiffèrent, par quel moyen on nous débarrasse des eaux surabondantes qui causent un notable préjudice à notre agriculture ; nous serions les premiers à applaudir qui, en remplissant la même destination, épargnerait au gouvernement des frais considérables. Toutefois je pense que les ingénieurs qui sous les différents gouvernements ont étudié le question sur les lieux mêmes, ne se sont arrêtés au projet actuellement en discussion, qu’après avoir constaté l’insuffisance de tout autre moyen. D’ailleurs l’honorable M. de Puydt dont la compétence sur la matière ne sera récusée par personne, vous donnera à ces égards tous les apaisements désirables.

L’honorable député que j’ai déjà cité plusieurs fois, vous a exprimé dans une autre séance la crainte qu’il avait que le canal de Zelzaete ne portât atteinte à la souveraineté de l’Escaut. J’ai eu peine à comprendre le sens de cette objection. Mais si je saisis bien l’idée de M. Dumortier, qu’il a d’ailleurs manifestée plusieurs fois, il supposerait au ministère de renoncer à la libre navigation de l’Escaut, et de trouver dans le canal projeté une autre communication avec la mer. Mais si nous pouvions croire à une pareille intention dans le ministère, nous serions les premiers à nous y opposer, parce que nous avons l’expérience qu’un canal d’écoulement ne peut jamais servir à la navigation. Le gouvernement hollandais a commis cette faute dans l’établissement du canal de Terneuze qui devait également servir à cette double destination. Eh bien, messieurs, savez- vous ce qu’il en est résulté ? C’est que chaque fois qu’il arrivait un navire à la destination de Gand, les terres longeant le canal étaient inondées jusqu’à une distance de plus trois lieues. Du reste, qu’on se tranquillise, le canal aura vingt pieds de largeur sur quatre ou cinq de profondeur ; je ne pense pas que d’ici à longtemps on aura trouvé le moyen de faire passer par là les trois-mâts de la marine belge.

Au commencement de la séance, j’ai entendu, avec étonnement, M. le ministre de l’intérieur dire qu’on se bornerait à faire le canal de Dam à la mer, et qu’on ajournerait l’autre partie. Je pense qu’une partie du canal de Zelzaete est aussi important que l’autre, et je suis heureux qu’une pétition soit venue appuyer la partie du canal qu’on veut ajourner et que je me proposais de défendre. Je demanderai pourquoi on ajournerait une partie du projet quand on reconnaît que l’une est aussi utile, aussi indispensable que l’autre.

Dans la discussion qui a eu lieu avant le renouvellement de la chambre j’avais fais valoir quelques considérations publiques, j’avais dit qu’au moyen de ce canal nous écoulions notre surabondance d’eau, et en même temps nous mettions la Hollande dans l’impossibilité de nous inonder et d’inonder son propre territoire, que nous la privions aussi de son principal moyen de défense, et nous rendions illusoire les constructions qu’elle avait faites sur la rive gauche de l’Escaut. C’est un devoir pour nous d’adopter un projet qui doit avoir un pareil résultat.

Avant de terminer je dois une observation à ceux qui pensent que le canal en discussion sera sans aucun avantage pour l’Etat. Certes, messieurs, ce n’est pas une considération sans importance pour un législateur d’administrer et d’accroître la somme des richesses nationales, en augmentant la valeur des propriétés ; mais à côté de cela il est un autre résultat que le gouvernement atteindra par la construction de ce canal, et qui lui procurera une excellente ligne de douane, et fera ainsi cesser la fraude si facile et si active dans un pays entrecoupé de bois. Ainsi le trésor public recouvrera des sommes très considérables qui sont aujourd’hui détournées à son préjudice.

Il assainira considérablement les localités où de cruelles maladies sévissent avec tant de violence sur la plupart des personnes que leurs relations y appellent. Enfin, messieurs, une considération surtout vous déterminera, j’en ai l’heureuse conviction, c’est que ce canal mettra la Hollande elle-même dans l’impossibilité de renouveler ses inondations qui nous ont rendu son voisinage si onéreux pendant des siècles, et qui dans ces derniers temps ont occasionné des malheurs pour lesquels vous avez éprouvé une si généreuse sympathie. Il vous était réservé de cicatriser cette dernière plaie de nos discussions politiques. Lorsque le bien-être et l’aisance se répandent dans toutes les classes de la société belge, lorsque partout on ne ressent les heureux effets de notre émancipation, vous ne voudrez pas qu’il y ait une classe nombreuse de concitoyens qui se trouvent dans la plus cruelle des alternatives et qui ne connaisse notre révolution que par ses calamités inouïes qu’elle a fait peser sur leurs familles.

M. le président. - La parole est à M. Lejeune.

M. Lejeune. - Il serait convenable d’entendre un orateur contre.

M. Dumortier. - Si la chambre le désire, je prendrai la parole. (Parlez ! Parlez !)

Je ne veux pas laisser sans réponse ce qu’a dit l’honorable préopinant ; et quoique aujourd’hui nous soyons entrés à peine en séance, je présenterai quelques réflexions relativement à l’objet en discussion.

Messieurs, le projet du canal sur lequel nous sommes appelés à délibérer n’est pas nouveau. Il a été conçu en 1695, lorsqu’à la suite de la séparation de la Hollande et de la Belgique, l’Escaut étant fermé à nos provinces, on voulut créer une navigation nouvelle. A cette époque les états des Flandres et du Brabant formèrent le projet de construire un canal d’écoulement pour les eaux des Flandres, et pour remplacer la navigation de l’Escaut dont la souveraineté était perdue. Ce canal devait partir du fort Sainte-Marie, situé sur le bas Escaut, et aller jusqu’à la mer du Nord, en longeant la frontière de la Flandre Zélandaise.

A quelques différences près dans la direction, le projet actuel est absolument le même que l’ancien, et la section que l’on propose d’exécuter maintenant n’est que la première partie d’un système complet, d’un système commençant au fort Sainte- Marie et se terminant par la mer en allant par Zelzaete et par Dam. Ainsi il ne faut voir dans le projet que le premier pas vers une grande dépense ; car ne croyez pas qu’il suffise de 500 mille francs ni même d’un million 720 mille francs pour terminer tous ces travaux.

Comme je vous l’ai déjà dit, la première partie de ce système ou la partie de Dam à la mer coûtera un million 800 mille francs ; la seconde partie de Dam à Zelzaete coûtera au moins deux millions et, depuis Zelzaete jusqu’au fort Sainte-Marie, il en coûtera d’avantage encore, en sorte que la dépense entière montera à six ou huit millions. (Bruit.)

J’entends des personnes qui se servent d’expressions peu parlementaires ; je ne les relèverai pas, mais je les prierai du moins de ne pas m’interrompre.

M. le président. - Je ne les ai pas entendues.

M. Dumortier. - Je crois qu’elles n’ont pas été entendues, parce que M. le président n’aurait pu les tolérer. Je prie les honorables membres qui ne partagent pas mon opinion de ne pas m’interrompre ; qu’ils me réfutent, je les entendrai avec plaisir et me rangerais même à leur avis s’ils donnent de bonnes raisons, mais je pense que cela leur sera difficile.

Je dis donc, messieurs, que la proposition que l’on fait aujourd’hui n’est qu’un acheminement, n’est qu’une grande dépense, n’est que le commencement d’un grand travail : on fera d’abord un canal de Dam à la mer, on y joindra bientôt celui de Dam à Zelzaete, et de Zelzaete on voudra aller jusqu’à l’Escaut, près du fort Sainte Marie, et tout cela d’après le système de 1695 ; ce qui entraînera une dépense d’environ huit millions.

Je dois dire à la chambre dans quelles circonstances on a conçu le projet que l’on nous a présenté. Il faut que vous le sachiez ; il faut que le pays entier le sache. Ce projet a été conçu à l’époque où il s’agissait de priver la Belgique de la navigation de l’Escaut ; alors le gouvernement se trouvant engagé dans des négociations diplomatiques dont il ne prévoyait pas l’issue parce qu’il fallait en revenir au projet ancien pour suppléer à la souveraineté de l’Escaut : c’est dans ce dessein que le projet du canal de Zelzaete a été remis sur le tapis : c’est du moins dans ce sens que l’on m’a parlé de l’ouverture de ce canal.

Ceci entendu, si l’on examine l’objet en lui-même, trois questions se présentent relativement au projet en discussion :

1° Est-il nécessaire de faire le canal de Dam jusqu’à la mer pour l’écoulement des eaux des Flandres ?

2° Les dépenses du canal incombent-elles à l’Etat ou aux provinces au profit desquelles il serait fait ?

3° La construction d’un semblable canal n’aurait-elle pas pour effet de compromettre la souveraineté de l’Escaut ?

Je vais examiner successivement chacune de ces questions.

Vous savez que l’on présente le canal comme un simple moyen d’écoulement des eaux des Flandres ; on a même été jusqu’à dire : « Nous ne voulons pas d’un canal de navigation. » Je sais que quand le canal sera fait, on nous dira qu’il suffit de creuser pour le transformer en canal de navigation. Toutefois, j’admets l’hypothèse d’un canal d’écoulement, et je suis le premier à reconnaître que la Flandre est en droit d’exiger tout ce qui sera nécessaire pour l’écoulement de ses eaux. Ce droit ne lui a été contesté dans aucune occasion. En effet, quand il fut question du traité du 15 novembre, nous nous sommes tous levés pour demander s’il contenait des garanties suffisantes pour l’écoulement des eaux des Flandres ; et le gouvernement nous a assuré que nous avions toutes les garanties nécessaires relativement cet objet.

Si tel est réellement l’état des choses, pourquoi vient-on demander un canal d’écoulement ? Ou plutôt pourquoi viendrait-on demander un semblable canal, si on n’avait pas d’arrière-pensée sur ce qui concerne la souveraineté de l’Escaut ?

Messieurs, les eaux des Flandres s’écoulent par quatre points principaux : le canal du Sas, les écluses Isabelle et Capitalen-Dam, le canal de Dam à l’Ecluse et le canal d’Ostende. En examinant la constitution géologique de ce territoire, on y trouve deux versants principaux : l’un compris entre le bas Escaut et l’Ecluse, a pour centre le Sas-de-Gand ; l’autre commençant vers Maldeghem et allant jusqu’à la mer. Ainsi, dans l’état actuel des choses, il existe en Flandre quatre écoulements pour les eaux, savoir : le canal du Sas et les écluses d’Isabelle et du Capitalen-Dam pour le premier bassin, le canal de l’Ecluse et celui d’Ostende pour le second.

Le projet que l’on vous présente ne se rapporte qu’à l’écoulement des eaux du second versant, et ce projet ne donnerait aucune espèce d’écoulement au bassin qui a pour centre le Sas-de-Gand.

Il est vrai que dans la situation actuelle des choses un canal n’est pas nécessaire sur ce point, parce que la Belgique est en possession de l’écluse Isabelle par laquelle s’écoulent les eaux de cette contrée. N’allez pas penser, messieurs, que la Hollande pourrait à son gré s’opposer à l’écoulement des eaux de ce côté, car si la Belgique lâchait les eaux abondantes qui s’écoulent par Sas-de-Gand, toute la Flandre zélandaise serait la première à en souffrir. L’abondance de ces eaux est trop grande pour que Hollande puisse refuser l’écoulement dont il s’agit. En second lieu, nous sommes, je le répète, en possession de l’écluse Isabelle par laquelle s’écoulent aussi les eaux de ce bassin ; ainsi pour le moment actuel nous n’avons pas besoin d’écoulement par le Sas de Gand.

Reste donc l’écoulement des eaux du versant de Maldeghem jusqu’à la mer.

Comment s’écoulèrent aujourd’hui les eaux de cette partie de la Flandre ? par deux canaux, celui de Dam à l’Ecluse, et celui d’Ostende.

Les eaux du canal de Dam se dirigeaient vers la ville de l’Ecluse, mais cette ville se trouvant sur le territoire des Hollandais, ceux-ci sont les maîtres d’ouvrir ou de fermer le passage des eaux. Si ce passage est fermé, les eaux sont obligées de refluer vers Ostende. Aussi nous parle-t-on d’ouvrir un canal pour suppléer à celui de l’Ecluse à Dam.

Ici se présente une question : existe-t-il un moyen plus simple pour arriver au résultat que l’on doit se proposer ? Je le crois, et je puis en parler pertinemment.

A la suite du traité de Fontainebleau, sous Joseph II, le gouvernement autrichien ne tarda pas à reconnaître que la Hollande mettait entraves sur entraves à l’exécution du traité et qu’il n’y avait pas d’autre moyen que de faire la guerre à la Hollande pour la contraindre à tenir ses engagements ; mais considérant que la chose n’était pas assez importante pour déclarer la guerre, le gouvernement autrichien voulut suppléer au canal qui pouvait manquer, et construire sur le Zwyn une écluse pour cet écoulement. C’est ce qu’il fit en établissant l’écluse dite de Hazegras.

Pour bien comprendre l’importance de cette position, il faut remarquer que la ville de l’Ecluse, débouché actuel de nos eaux, est située sur un bras de mer nommé le Zwyn. Or cette ville est entourée par la frontière hollandaise qui rejoint le Zwyn environ demi-lieue plus bas que l’Ecluse, de sorte que, depuis ce point jusqu’à la mer du Nord, la rive méridionale du Zwyn appartient exclusivement à la Belgique, et c’est là qu’est située l’écluse dite du Hazegras.

Il suit de là que les eaux que nous écoulons par la ville de l’Ecluse passent pour se rendre à l’Océan, au pied de l’écluse de Hazegras qui nous appartient.

Les ingénieurs de l’époque de Joseph Il ont dû construire une écluse une demi-lieue plus bas que la ville de l’Ecluse et par conséquent dans une situation plus favorable que cette ville elle-même. L’écluse du Hazegras devait préserver à jamais le bassin occidental de la Flandre de toute inondation. Malheureusement elle ne fut pas faite d’une manière convenable. Le radier fut construit plus d’un mètre trop haut, de sorte que l’on ne put en jouir. Sans cela, nous ne nous trouverions pas aujourd’hui entraînés dans la dépense de plusieurs millions dont il s’agit maintenant.

Mais que faut-il faire maintenant pour faciliter l’écoulement des eaux des Flandres ? Faut-il créer un nouveau canal ? Faut-il faire une dépense de plus de deux millions ? Je ne le pense pas. Si la Belgique faisait, comme il y a 6 ans, partie du royaume des Pays-Bas, sans doute il ne serait pas question de construire un canal de Zelzaete ; on se serait contenté de l’écoulement des eaux par Ostende, et de celui qui se faisait par l’Ecluse.

Ce dernier est perdu pour nous ; pour cela que faut-il faire ? Etablir une écluse au Hazegras plus bas que la ville de l’Ecluse avec un radier d’un mètre au moins plus bas que celui actuel, et pratiquer une rigole d’écoulement pour y faire aboutir les eaux de canal de Dam à l’Ecluse ; vous aurez alors tout l’écoulement nécessaire pour les eaux des Flandres et au lieu de quatre millions, une centaine de mille fr. suffira à la dépense.

Messieurs, cette opinion n’appartient pas à moi seul ; elle est celle de beaucoup d’hommes instruits, d’hommes qui ont été à même d’étudier cette matière et qui en savent plus que les ingénieurs.

Je puis citer entre autres le savant directeur des wateringues des Flandres, homme d’expérience consommée, qui la partage entièrement et regarde le canal de Zelzaete comme à pure perte.

On s’est prévalu de l’opinion des ingénieurs ; sans doute, j’ai beaucoup de confiance dans MM. les ingénieurs, mais j’en ai plus encore dans les hommes expérimentés. Rappelez-vous ce qui s’est passé lorsqu’il y a trois ans on nous présenta un projet de jetée au port d’Ostende : alors aussi les jugements étaient unanimes pour déclarer que cette jetée était un chef-d’œuvre de l’art et que son exécution rendrait ce port excellent et facile ; à les en croire une nouvelle ère de prospérité dépendait de l’exécution de ce projet. Nous fîmes remarquer que cette opinion n’était pas partagée par les marins ; l’on nous dit que nous étions les ennemis des Flandres, que nous nous opposions à leur prospérité, car c’est ainsi qu’on nous représente quand il s’agit de discuter une dépense relative à ces provinces. Eh bien, qu’est-il arrivé ? Le projet a été exécuté, et l’expérience plus que les raisonnements ont démontré que le corps entier des ingénieurs pouvait bien avoir tort. La jetée, loin d’être un chef-d’œuvre, est devenue tellement funeste au port d’Ostende, que la semaine dernière en deux jours quatre navires ont échoué à l’entrée du port contre cette jetée que l’on a voulu absolument obtenir, et j’ai en mains des lettres de Londres portant que non seulement on ne voulait à aucun prix assurer pour le port d’Ostende, lors des gros temps que nous avons essuyés, mais même qu’aucun capitaine ne voulait partir pour cette destination. Voilà des faits incontestables qui prouvent qu’il vaut mieux s’en rapporter aux hommes d’expérience qu’aux ingénieurs les plus habites et les plus entendus.

Vous voulez procurer l’écoulement des eaux du versant occidental des Flandres ; eh bien, si les intérêts du trésor public ne vous sont pas indifférents, faites-y ce qu’on a pratiqué en 1832 au versant central.

A la suite des événements de 1831, nous nous sommes vus privés de l’écluse de Capitalen-Dam. Vous savez qu’à la suite de la révolution, nous étions restés en possession de cette écluse importante. Malheureusement elle ne fût pas gardée. Lors de l’invasion hollandaise, elle n’était gardée que par quelques hommes, ayant seulement trois cartouches. Après qu’ils eurent tiré leurs trois coups de fusil, force leur fut de se retirer. Malheureusement la Belgique n’a pas invité l’armée française à reprendre cette écluse, comme elle aurait dû le faire, puisqu’on devait rétablir les choses dans le statu quo. A quelque temps de là, on s’aperçût de la faute que l’on avait commise ; il s’agissait de la réparer. Pour cela on fit une rigole qui amènerait les eaux jusqu’à l’écluse Isabelle dont nous sommes en possession, et par ce moyen l’écoulement des eaux n’a rien laissé à désirer.

A cet égard, voici comment les choses se sont passées. Nous avons fourni un subside de 30 ou 40 mille florins pour la construction de ce canal. Je ne me rappelle pas au juste la somme mais c’est à peu près celle que je viens d’indiquer. Voilà la subvention que nous avons fournie. Eh bien, ce que nous avons fait à cette époque pour le Capitalen-Dam, nous pouvons le faire encore aujourd’hui pour l’écluse en conduisant ses eaux au Hazegras, dont on approfondirait le radier ; ainsi les Flandres obtiendraient l’écoulement qu’elles désirent sans grever le trésor public de plus d’une centaine de mille francs.

Maintenant j’examinerai une seconde question. La dépense que l’on nous propose est-elle provinciale, ou appartient-elle à l’Etat ? Si vous dites que l’écoulement par l’écluse du Hazegras n’est pas suffisant, et que pour écouler les eaux des canaux des Flandres, il y a lieu de faire le canal projeté, il s’agit de savoir quel trésor doit faire face à la dépense : si c’est celui de l’Etat ou des provinces intéressées, et pour cela il suffit de savoir au profit de qui se perçoivent les revenus des canaux des Flandres.

J’ai entendu M. le ministre des finances dire qu’il fallait faire un emprunt, et qu’on devait l’hypothéquer sur tous les canaux appartenant à l’Etat en Belgique. Eh bien, je demanderai à qui appartiennent les canaux par lesquels se fait actuellement l’écoulement des eaux des Flandres.

Ils n’appartiennent en aucune manière à l’Etat ; ils ne vous appartiennent pas. Ils appartiennent exclusivement aux provinces des Flandres. Les Flandres sont en possession de ces canaux et en perçoivent les droits de péage, ces provinces en ont tellement baissé les droits de péage qu’il n’y a pas en Europe d’autres canaux dont les droits de péage soient si modérés. Si donc il s’agit de créer un canal pour améliorer une propriété privée des Flandres, c’est à ces provinces à en supporter la dépense.

Quels motifs allègue-t-on pour vous faire créer ce canal ? on vous dit qu’il est indispensable de créer le canal de Zelzaete parce que le canal d’Ostende doit chômer quelques jours par semaine, que dès lors il y a nécessité de procurer aux eaux un autre écoulement et de créer le canal de Zelzaete.

Je réponds à cela que, quoique vous fassiez, le canal d’Ostende devra toujours servir d’écoulement aux eaux du canal de Bruges. Car, c’est l’écoulement du canal d’Ostende qui a désensable le port d’Ostende ; et si ce canal ne chôme pas quelques jours par semaine, le port d’Ostende ne tardera pas à s’ensabler. (Dénégation de la part de M. A. Rodenbach.)

Ceux qui disent le contraire n’ont pas vu les choses ; s’ils les avaient vues, ils ne diraient pas le contraire.

On vous propose, messieurs, de construire aux frais de l’Etat un canal qui n’intéresse que les Flandres. Ces provinces ne sont-elles donc pas assez privilégiées ! Ne sont-elles pas assez bien loties au budget de l’Etat ! Ne profitent-elles pas des allocations considérables que vous votez pour constructions maritimes, pour digues de la mer, ouvrages aux ports, etc., etc. ! N’ont-elles pas en outre exigé qu’on leur construisit aux frais de l’Etat un chemin de fer d’Ostende à Gand, tout en avouant qu’il ne pouvait servir qu’au transport des moules. (On rit.) Tout cela n’est-il donc pas suffisant ! Faut-il en outre que l’Etat dépense plusieurs millions pour la construction d’un canal inutile.

J’ai entendu plusieurs honorables membres des Flandres dire : mais la province de Hainaut est la plus intéressée dans cette affaire.

Messieurs, je ne sais pas si l’on doit répondre sérieusement à de pareilles objections ; mais puisqu’on les a mises en avant, j’y répondrai.

C’est le Hainaut qui est le plus intéressé dans la question, parce que, dit-on, si l’on met des droits sur les canaux, ce seront les houilles et les chaux de cette province qui paieront ces droits. Je dirai aux honorables membres qui tiennent ce langage que le consommateur se trouve en Flandre, et que ce sera par conséquent le Flamand qui paiera l’augmentation. Qu’on ne s’y trompe pas, les provinces des Flandres sont trop habiles pour augmenter les droits sur les canaux, lesquels, en définitive, retomberaient sur les habitants de ces provinces.

Ainsi, laissons les Flandres gérer des intérêts qui leur sont particuliers, la question devient exclusivement provinciale, et ne concerne que deux provinces.

Si ces provinces veulent améliorer leurs canaux, qu’elles le fassent, mais l’Etat ne doit pas intervenir.

J’ai demandé au commencement de la séance que l’on nous communiquât tous les plans, les devis et autres pièces relatives au canal de Zelzaete ; je reproduis ici cette demande, et j’insiste particulièrement sur ce que ces plans soient lithographiés.

Messieurs, après les considérations que je viens d’avoir l’honneur de vous présenter relativement à l’objet en discussion, j’aurai peu de chose à ajouter ; cependant je ne puis m’empêcher d’appeler votre attention et votre sollicitude sur un objet de la plus haute importance, sur la souveraineté de l’Escaut qui sera compromise par la construction du canal dont il s’agit ; et c’est là le principal motif pour lequel je combats le projet.

Messieurs, du jour où vous aurez construit le canal qui avait été projeté en 1695 pour remplacer la souveraineté de l’Escaut, vous aurez donné au roi Guillaume une arme puissante pour obtenir la fermeture de l’Escaut ou des mesures équivalentes à cette fermeture.

Quand Joseph Il voulut réclamer la souveraineté de l’Escaut au nom de la Belgique qui était en droit de l’exiger, voici ce que la Hollande répondit : L’homme qui écrivait les lignes que je vais lire c’était Mirabeau :

Ainsi, messieurs, du jour où vous aurez construit ce canal, on viendra vous dire qu’il peut équivaloir à la souveraineté de l’Escaut, et l’on vous fera renoncer à cette souveraineté, qui est une question d’honneur pour la Belgique, parce que vous aurez un canal, qui pourra remplacer à la rigueur ce que vous perdrez. Car le port d’Anvers aura un aboutissant vers la mer.

C’est ainsi que par un vote imprudent et intempestif, vous aurez compromis la souveraineté de l’Escaut.

Si l’on venait demander la construction du canal de Zelzaete après la paix, peut-être ne m’y opposerai-je pas. Mais dans l’état d’hostilité permanente où nous sommes vis-à-vis de la Hollande, il faut laisser les questions dans toute leur intégrité. C’est une chose de la dernière importance, de ne pas faire un seul pas vers notre ennemi qui puisse bien faire croire que nous soyons disposés à abandonner nos droits.

Mais, voudra-t-on me dire, ce n’est pas un canal de navigation, mais un simple canal d’écoulement que nous nous proposons de construire ; j’ai déjà répondu à cette objection. Lorsqu’on voudra nous enlever la souveraineté de l’Escaut on nous dira : vous avez un canal d’écoulement, il ne s’agit que de l’approfondir pour le rendre navigable. Vous devriez renoncer à la souveraineté de l’Escaut, et vous ne serez pas même remboursés des frais de construction d’un canal que vous aurez payés.

La construction du canal de Zelzaete est donc inutile puisque l’on pourrait arriver à faire écouler les eaux des Flandres par un nouveau … au Hazegras. Elle est elle imprudente parce qu’elle compromet le sort d’une question de souveraineté.

L’écoulement des eaux des Flandres intéresse deux provinces. La souveraineté de l’Escaut intéresse toute la Belgique. Que serait la Belgique sans le port d’Anvers ?

Nous qui tenons à la gloire et à l’honneur de notre patrie, gardons-nous d’aller voter trop précipitamment une mesure qui compromettrait cette souveraineté ou l’avenir de notre pays dépend tout entier.

- La séance est levée à 4 heures et demie.