(Moniteur belge n°77, du 17 mars 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure.
M. le président procède au tirage au sort pour le renouvellement des sections.
M. Dechamps donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Plusieurs propriétaires belges de biens ruraux, situés sur l’extrême frontière de la Flandre hollandaise, demandent à être assimilés, pour les produits de leurs récoltes, à ceux de leurs concitoyens qui ont leurs bâtiments d’exploitation sur le territoire belge et en deçà de la ligne de délimitation, et introduisent en franchise de tout droit leurs céréales en Belgique. »
« Des brasseurs et distillateurs de Bruxelles se plaignent de l’élévation du droit de ville sur leurs produits. »
« Des habitants notables de la commune d’Assenede demandent la prompte construction du canal projeté de Zelzaete. »
- Conformément aux antécédents de la chambre, cette dernière pétition restera déposée sur le bureau pendant la discussion du budget de l’intérieur et celle du rapport de M. de Puydt sur le canal de Zelzaete.
Les autres sont renvoyées à la commission chargée d’en faire le rapport.
M. de Behr. - Messieurs, parmi les pétitions dont on vient de vous présenter l’analyse, il en est une de plusieurs propriétaires belges de biens ruraux, situés dans la Flandre zélandaise, et qui par suite des inondations se trouvent dans une position malheureuse ; ils demandent à pouvoir importer sans droits sur notre territoire les produits de leurs récoltes pour lesquels ils n’ont aucun autre débouché. Je prie la chambre d’ordonner que la commission fasse un prompt rapport sur cette pétition.
- Cette demande est accueillie ; en conséquence la commission des pétillons sera invitée à faire un prompt rapport sur la requête dont il s’agit.
M. Van Hoobrouck (pour une motion d’ordre). - J’avais demandé la parole pour appuyer la proposition de l’honorable M. de Behr, car je pense comme lui que les pétitionnaires dont il vous a recommandé la requête sont dans une position vraiment malheureuse, et que nous devons, autant qu’il dépend de nous, y mettre un terme.
Je profite de cette occasion pour vous rappeler qu’un grand nombre de pétitions sont arriérées ; je crois qu’il faudrait fixer un jour pour en entendre le rapport.
Depuis longtemps, il n’a plus été fait de rapport de pétitions, tandis qu’auparavant l’on nous en soumettait un toutes les semaines. Je demande que la chambre fixe un jour de cette semaine pour entendre le rapport de la commission. On pourrait mettre cet objet à l’ordre du jour de samedi.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, je pense que la chambre doit se prononcer dans ce moment sur la question de priorité pour la discussion de trois projets de loi qui doivent passer avant tout autre objet : je veux parler du budget des finances, du projet de loi concernant le canal de Zelzaete et du projet relatif à un emprunt pour construction de routes. A mon avis, il y a lieu maintenant de faire droit à la proposition que j’ai soumise hier à la chambre, c’est-à-dire de décider que la discussion du budget de mon département suivra immédiatement celle du budget de l’intérieur, et en même temps de fixer pour vendredi ou samedi prochain une séance du soir qui serait consacrée à l’examen des deux autres projets. Si toutefois on ne voulait pas d’une séance du soir, voici un moyen de donner tout apaisement aux députés qui désirent que la question du canal de Zelzaete et celle de l’emprunt de six millions soient résolues avant les vacances de Pâques : on pourrait décider que ces deux objets seront discutés entre les deux votes du budget des finances. De cette manière on aurait la certitude que ce budget ne serait pas voté définitivement avant qu’il n’ait été pris une décision sur les rapports de M. de Puydt ; et d’un autre côté on n’entraverait pas la discussion du budget des finances, dont l’urgence est, je crois, assez appréciée par la chambre pour qu’il soit inutile d’insister à cet égard.
M. d'Hoffschmidt. - Messieurs, je ne viens pas m’opposer à la motion de M. le ministre des finances, puisqu’il dit que, dans le cas où l’on ne fixerait point une séance du soir, on pourrait discuter les projets relatifs au canal de Zelzaete et à l’emprunt pour construction de routes, entre les deux votes du budget de son département.
Je demande seulement qu’on veuille essayer de convoquer les membres de la chambre pour une séance du soir, pendant la discussion du budget des finances : si nous sommes en nombre, nous pourrons voter au moins un des projets dont il s’agit, et ce sera toujours un grand avantage ; si nous n’étions pas en nombre, nous pourrions encore nous occuper de ces projets entre les deux votes du budget ; mais je pense bien que si on fixe une séance du soir pour un objet aussi important que celui dont il est question, tous les députés seront à leur poste. Ce serait au grand détriment du pays que nous nous séparerions avant d’avoir voté sur le rapport de M. de Puydt : il faut absolument que la chambre s’en occupe avant les vacances de Pâques.
- La proposition de M. Van Hoobrouck, de fixer à samedi prochain le rapport des pétitions, est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.
La chambre décide ensuite que la discussion du budget des finances aura lieu immédiatement après celle du budget de l’intérieur.
M. le président. - Il y a encore la proposition relative à la fixation d’une séance du soir pour la discussion sur le rapport de M. de Puydt ; les membres qui ont fait cette demande devraient dire pour quel jour ils voudraient cette séance extraordinaire.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Si, comme je le crois, il est possible d’avoir une séance du soir, je demanderai qu’on la fixe à vendredi, ou même à lundi si on le préfère. Il me semble qu’il est assez indifférent que ce soit vendredi, samedi ou lundi qu’il y ait séance du soir ; l’essentiel est qu’on en fixe une. Si la chambre en décidait autrement, j’insisterais pour que les deux projets dont il s’agit soient discutés entre les deux votes du budget des finances ; mais le meilleur moyen d’obtenir tout avant les vacances, serait toujours de décider dès maintenant qu’il y aura une séance du soir, et je ne verrais pas d’inconvénient à ce qu’elle soit fixée à vendredi prochain. Je suis persuadé que chacun de nous se rendrait à son poste, et que nous ne devons avoir aucune crainte de ne pas nous trouver en nombre suffisant pour délibérer.
M. Gendebien. - Il me semble, messieurs, que cette proposition ne peut pas être mise aux voix, puisqu’elle a déjà été repoussée par la chambre ; tout le monde a reconnu qu’une séance du soir serait impossible.
Je ferai remarquer que si l’on venait à midi précis, on gagnerait tous les jours deux heures ; les séances qui sont annoncées pour midi ne commencent qu’à deux heures ; et avant que la chambre soit en nombre, les membres qui se rendent ici à l’heure indiquée sont déjà fatigués d’attendre les retardataires. Que chacun de nous prenne l’engagement d’être à son poste à midi, et nous n’aurons pas besoin de séances du soir.
Quand on a travaillé depuis sept ou huit heures du matin jusqu’a cinq heures du soir, je crois qu’on peut alors se reposer et pour ce qui me concerne, il me serait de toute impossibilité d’assister à une séance du soir, et si la chambre en fixe une, je serai obligé de manquer à mon mandat dans cette occasion ; si d’autres membres sont en état de travailler continuellement sans jamais prendre de repos, je les en félicite, j’applaudis leur zèle ; mais moi, je n’ai pas cette force-là.
M. F. de Mérode. - Messieurs, l’examen du projet d’emprunt de six millions n’est pas de nature à nous fatiguer beaucoup ; cela ne peut pas donner lieu à une de ces discussions ardues qui exigent une tension d’esprit continuelle ; il s’agit là d’une question toute d’intérêt matériel qui est facile à résoudre ; on peut donc fort bien s’en occuper le soir.
Si l’on veut se rendre ici à midi, je ne demande pas mieux ; mais on aura beau le promettre, les promesses qu’on fera à cet égard n’auront pas plus d’effet que n’en ont eu de semblables qui ont été faites plusieurs fois dans cette enceinte.
S’il y a une séance du soir pour un objet aussi important que celui dont il s’agit, chacun de nous voudra y assister, et nous déciderons les questions relatives au canal de Zelzaete et à l’emprunt pour construction de routes sans que le reste de nos travaux subisse le moindre retard.
M. d'Hoffschmidt. - Il n’y a pas précisément urgence pour fixer une séance du soir, mais il y a urgence pour décider avant de nous séparer les questions relatives au canal de Zelzaete et à un emprunt pour construction de routes.
C’est maintenant la vraie saison pour commencer les travaux, et si nous ne prenons une résolution avant les vacances de Pâques, il y aura toute une année de perdue. Si l’on veut commencer les séances à midi et discuter les projets dont il est question entre les deux votes du budget des finances, je crois qu’alors on peut se passer d’une séance extraordinaire ; mais voici ce que j’entends par discuter ces projets entre les deux votes du budget des finances : il doit y avoir d’après le règlement un jour d’intervalle entre les deux votes d’une loi ; mais si l’examen des projets concernant le canal de Zelzaete et un emprunt de six millions exigeait trois ou quatre jours, il faudrait toujours que la chambre prononçât sur ces projets avant d’en venir au second vote du budget.
Si l’on entend procéder de cette manière, je ne vois aucune difficulté à ce qu’il n’y ait pas séance du soir, d’autant plus que le budget des finances n’est pas de nature à nous prendre beaucoup de temps, puisqu’il consiste presque uniquement en traitements sur lesquels nous avons déjà délibéré cinq fois, et que nous avons déjà rognés les années précédentes.
M. Rogier. - Je crois que la chambre est plus à même de pouvoir fixer une séance du soir qu’elle ne l’a été dans aucune autre circonstance : le travail des sections est, je pense, peu important en ce moment ; nos séances ne commencent guère qu’à deux heures, de manière qu’au lieu de travailler depuis midi jusqu’à 5 heures, comme on a dit à tort que nous le faisons, nous ne sommes occupés ici que depuis deux heures jusqu’à cinq.
Si nous remettons l’examen des lois d’intérêt matériel dont il s’agit, et que je regarde comme fort urgentes, après la discussion du budget des finances, il est fort à craindre qu’elles ne puissent être votées avant les vacances. On dit que le budget ne demandera que deux séances, c’est possible ; mais il est possible aussi qu’il soit fait des propositions qui nous engagent dans de longs débats, et que le moment de nous séparer arrive sans que nous ayons pu nous occuper des projets relatifs au canal de Zelzaete et à l’emprunt de six millions.
Je n’ai jamais remarqué que des séances du soir aient manqué faute de membres présents ; chaque fois qu’il en a été fixé, elles ont eu lieu ; nous nous sommes toujours trouvés en nombre suffisant pour délibérer.
Messieurs, si nous voulons que la session laisse quelques traces cette année, il faut que nous nous occupions quelque peu des lois d’intérêt matériel ; nous n’avons pas fait beaucoup pour les intérêts matériels du pays ; cependant, ceux-là aussi ont droit à notre sollicitude.
A cet égard tous les membres de la chambre sont d’accord. Je crois donc que nous pourrions fixer quelques séances du soir. Ce n’est pas une règle permanente que nous voulons tous établir ; nous voulons seulement qu’on obéisse à une nécessité. Ce que nous demandons est motivé suffisamment par les circonstances.
Je ne crois pas que l’on puisse, sans compromettre le sort du budget des finances, mettre entre les deux votes de ce budget les lois dont il s’agit, car ces lois peuvent exiger six ou sept séances pour être examinées. Le canal de Blankenbergh et un emprunt de six millions pour les routes ne sont pas des choses d’une minime importance. J’insiste donc pour que nous fixions des séances du soir, Je demande qu’on les essaie vendredi.
M. Dumortier. - S’il est vrai que les projets de loi sur le canal de Blankenbergh et sur l’emprunt de six millions pour les routes exigent plusieurs séances pour être examinés, on ne doit pas en renvoyer la délibération à des séances du soir. Si on les examinait en séances du soir, il en faudrait dix ou douze.
Comment peut-on demander des réunions le soir quand nous devons nous réunir le matin dans les sections, et à midi en séance publique jusqu’à cinq heures ? Personne ne pourrait supporter un tel travail. Je demande que les projets dont il s’agit soient discutés en séances du jour. Au reste nous ne serions pas en nombre le soir : à peine sommes-nous en nombre à une heure et demie ; en indiquant des séances du soir, nous en serions pour notre courte honte, parce que le public apprendrait le lendemain que nous n’avons rien fait.
Si vous faites une séance du soir, comment voulez-vous que le Moniteur rende compte de vos travaux ? Le sénat va s’assembler et vous, vous feriez deux séances par jour ! Est-il possible que le Moniteur contienne dans chacun de ses numéros le compte-rendu de trois séances ?
M. Gendebien. - Je demande que la chambre décide que les réunions auront lien désormais, et à commencer dès demain, à midi ; que l’appel nominal sera fait à midi et un quart au plus tard, et que les noms des membres absents seront insérés au Moniteur. Si nous avions procédé de cette manière depuis quelque temps, nous ne serions pas en retard.
M. le président. - D’après le règlement, l’appel nominal doit être fait à midi et un quart ; ainsi ce que demande M. Gendebien, est un rappel au règlement.
M. Gendebien. - Oui ; mais avec l’insertion des noms des membres absents, au procès-verbal.
M. le président. - Ainsi on ne mettra pas au Moniteur les noms des membres présents, mais les noms des membres absents sans congé ? (Oui !)
- La chambre, consultée, décide par assis et levé que les séances seront indiquées pour midi, qu’à midi et un quart on fera l’appel nominal, et qu’on insérera au Moniteur les noms des membres absents sans congé.
M. le président. - Le projet de loi relatif à l’avancement des officiers a été renvoyé a la section centrale qui a examiné le budget de la guerre, considérée comme commission ; mais un membre de cette commission, M. Corbisier, ayant donné sa démission, il faut le remplacer : de quelle manière le remplacera-t-on ?
Plusieurs membres. - Que le bureau désigne le remplaçant.
- La chambre décide que le bureau nommera le remplaçant de M. Corbisier dans la commission.
M. de Puydt dépose sur le bureau de la chambre un rapport sur un transfert au budget de la guerre.
- L’impression de ce rapport est ordonnée.
M. le président. - Nous en sommes à l’article 6 du chap. XI, lequel article est relatif aux haras.
M. Vandenhove. - Messieurs, l’année passée je m’étais imposé silence dans l’espoir que le gouvernement, s’éclairant de ce qui avait été dit dans cette enceinte et en dehors sur l’espèce de chevaux amenés d’Angleterre, aurait usé avec plus de discernement de la somme de 150,000 fr. votée au budget de 1835. Les achats qu’il a faits depuis n’étant pas plus heureux que les précédents, je crois de mon devoir d’émettre mon opinion sur la fausse route dans laquelle s’est jeté le gouvernement en s’attachant à la quantité plutôt qu’à la qualité des étalons.
Ceci est évident pour l’amateur qui s’est donné la peine d’étudier la construction du cheval destiné à la reproduction, et s’il était appelé faire un choix qui ne fût influencé par aucune considération humaine, il est permis de douter qu’il voulût conserver au-delà du tiers de ceux qui se trouvent au dépôt de Tervueren.
En effet, messieurs, à part les tares susceptibles de transmission et l’absence des qualités qui constituent un bon père, telles que du dessous, du garrot, de l’ensemble et de l’élégance dans les formes, etc. etc., la plus grande partie de ces chevaux pèchent par la taille, il semblerait qu’on les ait choisis pour créer une race de ponys en Belgique ; ainsi n’y aurait-il rien d’étonnant qu’à plusieurs de ces générateurs fût réservé le sort de ceux que l’on a refusés dans la province d’Anvers l’année passée.
C’est peut-être ce qui pourrait arriver de meilleur pour engager l’administration supérieure à ouvrir les yeux ; car si elle tardait à reconnaître son erreur, elle causerait un grand préjudice aux éleveurs qui par une confiance aveugle dans les mesures prises par elle pour l’amélioration de nos races chevalines et par la création d’une nouvelle auraient fait saillir leurs juments par des étalons si peu propres à produire de bons croisements, et des chevaux de luxe qui n’offriront ni taille ni résistance.
Ceux qui s’adonneront à l’éducation des derniers, commettront la même faute que nos anciens éleveurs, et comme eux, après avoir perdu beaucoup d’argent, ils quitteront la partie.
Depuis que les manèges sont déserts, on ne veut que des chevaux à deux mains et des carrossiers grands et fortement membrés ; tout ce qui est en-dehors de ces espèces est d’une défaite difficile : c’est ce dont nous avons été témoins aux ventes publiques qui ont eu lieu à Bruxelles depuis quelque temps ; tout ce qui était petit et grêle a été vendu à un prix qui était loin d’atteindre celui qu’il coûtait à l’éleveur à 4 ans, s’il l’avait élevé comme en Angleterre, où, dès l’âge de 6 mois, on nourrit les poulains abondamment avec de l’avoine, pour leur donner de la taille et du fond.
Aussi longtemps que le gouvernement n’est point intervenu pour améliorer nos espèces chevalines, l’éleveur n’a pu s’en prendre à personne qu’à lui pour ses mécomptes ; mais du moment qu’il y a intervention, il pourra lui reprocher de ne point avoir fait un meilleur choix de générateurs, et de n’avoir point renvoyé les juments pour défaut de taille, de conformation et de tares : et ces reproches ne seraient pas sans fondement ; il pouvait croire que le gouvernement était parti du point où sont parvenus nos voisins après bien des tâtonnements, qui tous les jours encore se modifient d’après l’expérience ?
Quand les plaintes éclateront, le mal sera déjà grand ; plusieurs centaines de poulains déposeront des vices du système, du peu de talent qui a présidé à l’achat des générateurs, et du tort que l’on a eu de n’être pas plus sévère sur l’admission des routinières que l’on présentait à la monte.
Le système du gouvernement pèche encore par la base, en ce qu’il ne s’étend point à des chevaux de trait, et qu’il offrira aux cultivateurs tout au plus la huitième partie des étalons qui leur sont nécessaires pour la reproduction, selon les renseignements fournis par la section centrale, qui disent que le nombre des étalons actuellement au dépôt est de 48, et que ce nombre devra être successivement augmenté jusqu’à 75 au moins pour le mettre en rapport avec les besoins du pays. Ces besoins ne seraient pas remplis quand même on les porterait à 90, et l’on pourra tout au plus atteindre cette quantité avec 150,000 francs par an, attendu qu’ils absorberaient 90 mille francs pour nourriture, et frais de palefreniers, etc., etc., que les 60 mille francs restants suffiraient à peine pour la remonte du dépôt.
Avec les documents que j’ai sous la main, il ne sera pas difficile de prouver qu’en supposant que le dépôt renfermât quatre-vingt-dix générateurs, ils ne représenteraient que la huitième partie des besoins du pays.
Nous lisons dans le rapport de la commission d’agriculture de la Flandre orientale, de 1834, que 3,167 juments ont été saillies par 76 étalons approuvés. D’après le tableau général des chevaux de trait qu’il y avait en 1830, et je ne pense pas qu’on en ait dressé un depuis, la Flandre orientale en possédait 23,568 ; ainsi les poulinières saillies par des entiers approuvés y figuraient pour plus d’un septième. Le même tableau porte le total des chevaux de trait dans les provinces à 213,512, dont le septième en juments poulinières ferait 30,000, auxquelles il faudrait au-delà de 700 étalons.
Après avoir posé en fait que les cultivateurs se plaindront de ce que dans l’espèce ils sont lésés dans leurs droits, nous allons tâcher de démontrer que c’est à tort que le gouvernement ne s’occupe plus de la reproduction des chevaux de trait, objectant le dégoût des éleveurs à cause du bas prix, du défaut de vente, et du peu d’utilité qu’auront les chevaux par suite de l’établissement des routes à ornières en fer.
Deux de ces objections sont déjà sans valeur ; depuis quelque temps on achète beaucoup de chevaux de trait, et les bons à des prix assez élevés.
Quant à la troisième objection, c’est un problème qu’il n’est donné à personne de résoudre, si, par la création des railways, la consommation des chevaux sera en souffrance ; ce qu’elle perdra dans la direction de ces routes, elle pourra peut-être le récupérer largement, en voiturant vers les points qu’elle traversera un plus grand nombre de voyageurs et de marchandises de l’intérieur du pays.
Il résulte de tout ceci que l’administration supérieure, loin d’être fondée à délaisser l’amélioration des chevaux de trait, devrait la reprendre au plus tôt, pour mettre les cultivateurs à même d’élever de meilleurs chevaux dont ils se déferont toujours facilement et à des prix avantageux. Un autre motif devrait la porter à ne point négliger cette branche importante de l’industrie agricole, c’est le perfectionnement des juments poulinières qui forment le noyau des races. En vain ferait-on intervenir à grands frais des étalons de la plus grande distinction, si l’on n’avait point à leur donner des poulinières de taille sans tares et avec de belles formes. L’Arabe est tellement convaincu de l’influence de la cavale sur ses reproductions, qu’il ne veut vendre sa jument à aucun prix.
Nos voisins ont compris toute l’importance du principe des Arabes ; dans plusieurs départements on a nommé des inspecteurs d’arrondissement, dont les fonctions sont gratuites ; les petites dépenses de voyage et les frais qui en sont inséparables sont remboursés par la satisfaction d’être utile à son pays. C’est ainsi que s’exprime l’un des inspecteurs d’arrondissement des étalons du département des Ardennes, qui a signé plusieurs articles dans le Journal des haras, articles attestant des connaissances hippiques de cet amateur zélé ; il ajoute que la mission de ces inspecteurs est de se rendre accompagnés d’un vétérinaire, de village en village, de porte en porte, pour désigner aux éleveurs les juments qui conviennent à tel ou tel étalon ; en même temps une carte de saillie, contenant le signalement de la poulinière, est délivrée au propriétaire ; celle-ci ne peut obtenir de saut que sur la remise qu’il en fait au détenteur de l’étalon.
Ces étalons anglo-normands, de demi-sang, d’une origine bien constatée, ont été accueillis froidement par les éleveurs ; mais quand ils en ont reconnu les qualités, ils les ont recherchés au point qu’ils sont venus ajouter six, sept et huit cents francs au prix du département ; c’est avec ce supplément que l’on a ramené depuis deux ans des pères de 2,000 à 2,400 fr., et quand on sait bien acheter, comme l’ont fait MM. les commissaires pris dans le sein du conseil général, on peut déjà dans ce pays avoir du bon pour ce prix. Cette année il ne doit arriver que dix étalons plus distingués encore que les précédents, et des sommes doivent être successivement votées pour de pareilles acquisitions.
Les résultats obtenus jusqu’ici ont dépassé nos espérances ; je viens de voir des poulains de deux ans, qui, s’ils ne se démentent pas, vaudront bien de mille à onze cents francs à quatre ans.
Vous voudrez bien observer, messieurs, que ces entiers sont donnés aux cultivateurs à certaines conditions pour le terme de six ans ; qu’alors ils en sont propriétaires, si on ne les remplaçait pas par un autre.
Ces détails prouvent qu’en France, indépendamment de la sollicitude du gouvernement pour la régénération des races chevalines, les départements ont cru devoir intervenir, les 1,200 à 1,300 générateurs qui peuplent les haras et dépôts, faisant à peine le huitième de ceux indispensables pour le service des juments.
Dans des notes que j’ai eu l’honneur de remettre au Roi, en novembre 1834, j’établissais la possibilité de parvenir au même but que nos voisins avec la seule action du pouvoir dans l’achat et la distribution des étalons, réservant le sacrifice à faire par les provinces pour donner un plus grand développement à la chose en ouvrant des courses au trot dans tous les chefs-lieux de canton pour les chevaux de trait seulement. Les vainqueurs de ces luttes se rendraient aux courses des chefs-lieux d’arrondissement qui enverraient les plus célèbres de ces coursiers sur l’hippodrome de Mont-Plaisir.
Parmi les divers moyens de pourvoir les cultivateurs de meilleurs élément de la reproduction que ceux qu’ils possèdent aujourd’hui, il en est deux auxquels j’accordais la préférence : l’on est d’acheter dans le pays de beaux poulains de trait de deux ans, dont on prendrait livraison en avril et mai, pour mettre en pâture pendant la bonne saison, et les offrir en vente publique au retour des herbages, avec un terme de crédit de six mois, en faisant une remise à l’acquéreur de la moitié du prix de vente comme prime d’encouragement, à la condition de garder l’étalon pendant trois ou quatre ans, et de faire saillir au moins vingt juments par année ou quatre-vingts au plus : ainsi cesserait la sortie de nos meilleurs entiers à l’âge de deux ans, ainsi on parviendrait à remédier en partie à l’abus de faire saillir les jeunes étalons avant trois ou quatre ans.
Ce mode a été indiqué par M. Lyon, ancien directeur de l’école d’équitation de Bruxelles, dans des notes assez curieuses qu’il a présentées à Sa Majesté ; il prétend que l’on trouverait facilement trente étalons de deux ans, dont la dépense pour achat et nourriture dans les pâturages de la Flandre, pendant une saison, ne dépasserait pas vingt-quatre mille francs.
Le second moyen consisterait à faire acheter dans la Normandie des générateurs anglo-normands, de demi-sang, de grande taille avec beaucoup de dessous, que le gouvernement exposerait en vente publique, aux mêmes conditions et obligations que les précédents.
En usant simultanément de ces deux procédés et faisant venir annuellement d’Angleterre deux ou trois chevaux de pur sang avec une somme de 150,000 francs,en 10 ou 15 ans, le pays se trouverait doté de 6 à 700 étalons dont une quarantaine de pur sang. Là ne se borneraient pas les heureux effets de ce système, il s’étendrait sur les productions que ne dédaignerait ni le luxe ni la cavalerie.
Disons maintenant comment on pourrait faire valoir ces 150,000 francs avec des chances de succès.
Supposons d’abord que l’on conserve quinze étalons de ceux qui sont au dépôt de Tervueren ; il en coûtera, pour leur nourriture, palefreniers, etc., fr. 15,000
On achètera 30 chevaux indigènes, de 2 ans, qui, d’après ce qui est dit plus haut, coûteront fr. 24,000
Vingt chevaux anglo-normands, à 3,000 l’un, fr. 60,000
Trois chevaux anglais de pur sang, fr. 48,000
Nourriture de ceux-ci, fr. 3,000.
Total, fr. 150,000.
La seconde année et les suivantes, la somme de 150,000 fr. étant enflée de 42,000 fr. au moins, moitié du prix de vente des chevaux indigènes et anglo-normands, on pourrait acheter un plus grand nombre de générateurs, et sauf événements extraordinaires, 10 à 12 opérations de l’espèce suffiraient pour donner aux éleveurs la quantité d’entiers nécessaires à leurs besoins.
Dans le système suivi par le gouvernement, et ne lui accordant que 150,000 fr. par exercice, il faudra encore 2 ans avant qu’il ait 90 étalons dans son dépôt, qui loin de pouvoir s’accroître, devra subir une diminution, à moins qu’il ne veuille le peupler de chevaux anglo-normands et du pays, ce que je ne pourrais admettre dans aucun cas, mais auxquels il faudra toujours finir par recourir pour la masse des éleveurs, car jamais on ne parviendra à leur faire goûter, pas plus qu’en France, des étalons sans taille ni membres ; le Journal des haras nous en fournit une nouvelle preuve pour ce dernier pays, dans son cahier du mois de février dernier ; voici ce qu’il dit : M. Henry d’Ottot, propriétaire de gros étalons, a la vogue, et bien qu’il fasse payer 30 et 40 francs, il attire les juments des propriétaires au détriment des étalons royaux.
Ottot est à une demi-lieue de Beuvron, où je crois qu’il a un haras ou dépôt.
En terminant, je prierai M. le ministre de vouloir revoir l’affaire des haras, qui est beaucoup plus importante que l’on ne pense. Il y va du succès de l’amélioration de nos races de chevaux, qui déjà est compromis par les éléments de reproduction que recèle le dépôt, et par l’abandon des saillies à la sagacité et à la probité des palefreniers. On peut l’envisager comme nul si l’on n’opère point de grandes modifications, et si cette année la somme destinée à acheter des étalons n’est point dépensée avec plus d’intelligence ; car je suis convaincu que le défaut d’entente est la seule cause de l’état actuel des choses, que je désirerais voir cesser au plus tôt pour ne point me trouver dans la triste nécessité de devoir refuser les allocations pour les haras que l’on demandera à la chambre après celle de 1836.
M. Desmanet de Biesme. - Vous aurez remarqué que le mémoire dont l’honorable M. Vandenhove vient de donner lecture contient certainement des vues extrêmement utiles ; mais il voudrait qu’à l’exemple de ce qui se fait en France, la province contribuât pour une certaine partie de la dépense ; car il a cité le département des Ardennes, qui est dans ce cas. Je crois que ce serait assez à désirer, parce que, comme il en a très bien fait l’observation, les haras portés à 90 chevaux ne représentent que le huitième des chevaux sur lesquels il faudrait opérer dans la Belgique. Mais je ferai remarquer que tant que nous avons été privés de l’organisation provinciale, la province n’a pu intervenir pour rien.
Je suis d’accord avec l’honorable préopinant sur ce point, que l’on ne doit pas faire venir de mauvais chevaux, mais seulement des chevaux de premier choix, Vous savez que dans le commencement il n’y avait que six chevaux ; on a voulu tout de suite en donner à toutes les provinces ; il y en a eu dont le choix était satisfaisant, mais je crois aussi qu’il y en avait qu’il aurait mieux valu ne pas prendre.
En définitive, je crois que les observations de l’honorable préopinant doivent être prises en considération par le gouvernement.
M. Vandenhove. - Je n’ai pas demandé l’intervention de la province ; car j’ai dit que dans le rapport que j’ai eu l’honneur de présenter à S. M. en 1834, j’ai proposé d’améliorer les races chevalines, au moyen de la seule action du pouvoir.
M. Desmet. - Messieurs, si j’ai bien compris le discours de l’honorable M. Vandenhove il m’a semblé qu’il a demandé le retour des anciens règlements pour la saisie des chevaux, et sur ce point je l’appuie de tout mon pouvoir ; l’exécution de ces règlements a toujours été un des meilleurs moyens qu’on ait employés chez nous pour l’amélioration de nos races de chevaux ; nous avons dans nos provinces de Flandre d’excellents règlements sur cet objet ; et je crois que si notre constitution ne s’oppose pas à cette police, le gouvernement les consulterait très utilement.
Messieurs, comme nous sommes sur la matière de l’amélioration de nos races de chevaux qui est de la plus grande importance pour la prospérité de notre agriculture, je me permettrai d’entrer dans quelques détails sur le dépôt d’étalons de chevaux d’étrangers qui existait en la ville d’Alost dans l’année 1770.
Le peu de temps que le dépôt a existé, il a produit d’excellents élèves, et même aujourd’hui la descendance de ces élèves se distingue encore.
Ce dépôt était principalement composé de chevaux anglais, napolitains, turcs, esclavons mecklembourgeois, et on a remarqué que c’était surtout le cheval napolitain qui, croisé avec des juments du pays, a produit les meilleurs chevaux de carrosse. Mais je dois observer que les directeurs du dépôt d’étalons d’Alost mettaient tout leur soin à faire acheter les meilleurs individus, et pour ces achats on n’épargnait aucune somme.
Un autre moyen que le collège administratif du pays d’Alost a encore employé avec beaucoup de succès pour améliorer la race des chevaux, fut la distribution de prix à ceux des éleveurs qui avaient conduit au concours les plus beaux élèves, et aussi à ceux qui avaient pour élèves les plus belles juments ; mais ces prix ne consistaient pas dans des médailles dorées sur argent et de la valeur de quelques francs ; c’étaient des prix de 5 à 600 fr. chacun, car il faut en donner qui puissent plus ou moins compenser les frais que les éleveurs ont dû faire pour obtenir un bon élève. Si l’empereur Joseph II n’avait pas brusquement et sans aucune bonne raison fait supprimer le dépôt d’étalons d’Alost, je suis certain que déjà la Belgique aurait vu des effets incroyables pour l’amélioration de nos races de chevaux, et que probablement nous serions déjà arrivés au point de ne plus envoyer tant d’argent à l’étranger pour nous procurer les chevaux de luxe et de cavalerie dont nous avons besoin.
M. Desmanet de Biesme. - Je partage aussi l’opinion de l’honorable préopinant, qu’il serait à désirer que les anciens règlements fussent remis en vigueur ; mais je ne pense pas que la constitution le permette.
Autrefois, l’administration pouvait empêcher les étalons qui n’avaient pas les qualités désirables de faire les saillies, et pouvait même les faire châtrer. Actuellement cela n’est pas possible, alors que tout est livré à la concurrence, à celui qui fait le mieux.
Il est donc impossible de remettre en vigueur les anciens règlements du temps du gouvernement hollandais ; on l’a essayé dans la province de Namur ; même alors il y eut une grande opposition de la part des états provinciaux, et jamais l’on n’a pu parvenir à ce but.
M. Gendebien. - Si je n’entre pas dans la discussion, c’est pour éviter de faire perdre du temps à la chambre. Je persiste dans l’opinion que j’ai émise l’année dernière sur le chapitre des haras, et je m’y réfère. On m’avait promis de prendre en considération les observations que j’avais présentées, on n’en a rien fait. Je ne parlerai pas, car on me promettrait encore, et l’on ne ferait rien. Je ne veux pas renouveler ce sujet de plainte. Au reste, je persiste à croire que l’amélioration des races est impossible, aussi longtemps qu’on restera dans le cercle vicieux où l’on est maintenant.
Je ne comprends pas ce système d’acheter exclusivement de prétendus chevaux de pur sang, qui sont le plus souvent de fort vilains animaux. (On rit.) Il faut commencer par avoir de bonnes juments pour améliorer les races du pays. Il s’agit bien vraiment de perpétuer les nobles races de chevaux de pur sang ! Un beau et bon cheval est pour moi un cheval sans défauts. Peu m’importe si, par son extrait baptistaire, il est établi qu’il descend en ligne directe d’un cheval fameux il y a 40 ou 50 ans. Pour les chevaux comme pour les hommes, je ne tiens pas du tout à la généalogie ; je ne tiens qu’au mérite personnel. (Rires d’adhésion.)
Je vois que l’on continue à faire venir, à grands frais, des chevaux de l’étranger. Mais ce n’est pas cela qu’il convient de faire. Il faut, je le répète, commencer par améliorer les matrices, par améliorer les juments indigènes, en les croisant avec des étalons moins nobles, mais mieux assortis à leur espèce. Si vous n’employez pas ce moyen, vous ne ferez que reculer l’époque des sacrifices ; ce sera vainement que vous ferez des sacrifices, parce que vous découragerez les éleveurs et que vous perpétuerez le préjugé qu’on ne peut rien faire par l’intervention du gouvernement pour l’amélioration des races chevalines.
Cependant si le gouvernement usait avec discernement des fonds qui lui sont accordés, il pourrait obtenir cette amélioration.
Je n’en dirai pas davantage, parce que je ne veux pas abuser des moments de la chambre. Je demande qu’on prenne mes observations de l’année dernière en considération.
M. d'Hoffschmidt. - L’article en discussion mérite toute l’attention de la chambre. Il est certain que la Belgique renferme tous les éléments désirables pour élever de bons chevaux. Nous sommes cependant toujours tributaires des étrangers pour les chevaux de cavalerie. C’est un grand mal. C’est ce qui fait que 3 ou 4 millions sont sortis du pays qui auraient fait un grand bien pour soutenir l’agriculture qui est loin de prospérer. Il importe d’améliorer l’espèce des chevaux propres au service de la cavalerie, afin que nous ne soyons pas tributaires de l’étranger.
Mais à cet égard je ne partage pas tout à fait l’opinion de l’honorable M. Vandenhove. J’aurais voulu qu’au lieu d’une administration très coûteuse qui absorbe une grande partie des sommes allouées chaque année, des subsides fussent accordés aux provinces, qui de leur côté consacreraient à leur budget une allocation pour le même objet. L’administration provinciale s’entendrait avec la commission d’agriculture, qui achèterait la race de chevaux étrangers qu’elle reconnaîtrait nécessaire pour l’amélioration des chevaux de la province.
De cette manière, vous auriez dans une province 15, 20 à 40 étalons, au lieu que par le moyen actuellement employé, vous n’avez dans chacune d’elles que deux stations de deux étalons, ce qui est insignifiant.
Ce moyen est trop long, trop dispendieux. Les sommes que nous allouons chaque année pourraient être employées d’une manière plus utile pour l’amélioration de la race chevaline, si nous en distribuions une partie aux provinces.
La députation des états de la province du Luxembourg a adressé l’année dernière une demande à M. le ministre de l’intérieur pour que sur les sommes allouées au budget il lui fût accordé un subside de 10 à 20,000 fr. La province offrait d’en donner autant.
L’on aurait, avec ces sommes réunies, acheté des chevaux qui auraient été distribués dans chaque canton et qui auraient été mis à la charge des particuliers, A charge par eux de faire saillir un certain nombre de juments. Le gouvernement a refusé cette somme parce qu’il veut appliquer l’allocation tout entière à l’organisation du haras. Si une pareille somme avait été accordée annuellement sur l’allocation aux provinces, vous aurez vu l’amélioration de la race chevaline aller plus vite que maintenant.
Les frais d’administration du haras absorbent une plus grande somme.
Il y a des personnes qui ont fait l’observation qu’il faut de l’harmonie dans un système ; mais ce n’est pas à propos de l’amélioration de la race chevaline que l’harmonie est désirable. Il y a dans chacune de nos provinces une race particulière de chevaux appropriée au sol, de sorte que les étalons qui conviennent dans une province ne conviennent pas dans l’autre.
Si l’on n’achetait que des chevaux de pur sang, l’on satisferait les fashionables, mais les agriculteurs n’en veulent pas. Dans ma province où l’on a l’expérience d’un haras, l’on a déclaré à la commission d’agriculture que l’on ne voulait pas de chevaux de pur sang, que l’on désirait des chevaux fortement constitués pour obtenir des chevaux de carrosse, de cavalerie et de labourage. Les chevaux fins ne peuvent convenir que pour le Brabant, pour les environs de Bruxelles où l’on vend beaucoup de chevaux de luxe.
Je dois cependant dire que, parmi les achats que fait le gouvernement pour le haras, se trouvent des chevaux de trait bien choisis. J’approuve, sous ce rapport, les achats qui ont été faits.
Je me résume en manifestant, le désir que, sur la somme de 150 mille francs, il soit accordé des subsides aux provinces qui en demanderaient, à la condition de ne pas profiter des bienfaits du haras.
Ce serait le moyen de contenter toutes les provinces. Il y en a peut-être qui préfèrent les stations établies par le gouvernement. Quant au Luxembourg, il serait préférable qu’il lui fût accordé une part de l’allocation au moyen de laquelle il pût acheter un nombre d’étalons assez considérable, afin que tous les districts de cette province fort étendue pussent en profiter, ce qui ne pourra pas avoir lieu au moyen du haras.
M. Desmanet de Biesme. - Messieurs, lorsqu’il a été question de l’établissement des haras, il y a eu une grande diversité d’opinions dans la chambre. Beaucoup de membres pensaient qu’il ne fallait pas de haras, qu’il fallait laisser cela à l’industrie particulière. Cependant l’établissement d’un haras a été résolu. M. le ministre de l’intérieur n’a pas dissimulé qu’un subside assez considérable serait demandé pendant plusieurs années, parce qu’il était impossible de se procurer tout le matériel dans le cours d’une seule année.
Si l’on ne voulait pas de haras, il fallait décider cette question la première année. Mais maintenant il ne faut pas que toutes les dépenses que l’on a faites pour cet établissement l’aient été en pure perte.
Je ne puis être d’accord avec l’honorable M. Gendebien pour l’amélioration de la race des chevaux. L’honorable membre dit : Commencez par avoir de bonnes juments. Mais ce n’est pas extrêmement facile. Il y a déjà en Belgique d’excellents chevaux de trait. Ils n’attendent que de bons croisements pour obtenir de grands produits.
Je dois le dire, le gouvernement s’est constamment rendu aux propositions de la commission ; s’il y a du blâme, nous sommes prêts à en assumer la responsabilité. Je le ferai bien franchement, en faisant connaître les motifs qui ont dirigé la commission. Nous n’avons pas cru que la Belgique dût agir autrement que les autres pays pour l’amélioration des races de chevaux. En France, en Allemagne, où déjà il y a une excellente race de chevaux, on en est revenu aux chevaux pur-sang.
On a reconnu que le cheval pur-sang, qui est l’animal dont les qualités primitives n’ont pas dégénérées, était celui qui convenait le mieux pour les croisements. Ce n’est pas seulement à cause de la beauté des formes, c’est que l’on a reconnu que ces chevaux ont plus de vigueur que les autres ; ce n’est pas que l’on veuille n’élever en Belgique que des chevaux de courses. Mais pourquoi ont-ils des qualités particulières pour la course ? C’est à leur vigueur qu’ils les doivent.
Vous savez quels ont été les heureux effets de ce système de croisements eu Angleterre. La bonne race que l’on y a dressée n’existait pas, c’est par les croisements avec les chevaux arabes qu’on les a obtenus.
L’honorable M. d’Hoffschmidt a dit que le haras de Walferdange n’avait pas produit de bons résultats. Cela tient-il à ce que l’on n’avait que des chevaux pur sang ? Non, sans doute, c’est qu’il se trouve parmi les étalons des chevaux russes, et un fait que je n’expliquerai pas, mais qui est positif, c’est que les chevaux du Nord transportés plus au Midi, y dégénèrent. On a obtenu dans le Luxembourg, de bons résultats pour les chevaux pur sang.
Du reste, ce n’est pas en deux ans ou trois ans qu’on peut s’apercevoir des bons effets d’un croisement. Le premier croisement n’améliore qu’imperceptiblement la race. Ce n’est que par des croisements successifs que cette amélioration devient sensible.
Quant aux chevaux de trait, nous avons vu en Belgique que l’espèce était bonne. Tout tend à diminuer le commerce de chevaux de trait que nous faisons encore avec l’étranger. On le conçoit. L’extension des nouveaux moyens de transport en est la cause. Nous avons donc dû porter notre attention sur l’avantage qu’il y aurait pour notre pays, s’il pouvait fournir de bons chevaux à la cavalerie.
Nous voulons que d’ici à quelques années, les Ardennes puissent fournir les chevaux nécessaires au moins pour un régiment de cavalerie légère. Cette espèce de chevaux nous manque absolument. Quant aux chevaux d’artillerie, nous en trouverons toujours.
Quant aux chevaux de gros trait, il suffit de conserver l’espèce que nous avons dans le pays.
Nous avons cru devoir donner la préférence pour l’amélioration des races aux chevaux de pur sang. Vous savez qu’en fait de chevaux les opinions varient à l’infini. Les rapports qui nous sont venus des différentes provinces présentaient chacun un plan différent. Nous avons pensé qu’il fallait faire ce que l’on fait dans les autres pays.
Nous avons à la vérité acheté des chevaux demi-sang. Mais ça a été pour éviter la dépense, tout en regrettant de ne pouvoir n’avoir que des chevaux pur sang.
Du resté, si nous nous trompons, je dois déclarer que nous partageons cette erreur commune à tous les gouvernements en Europe.
Quant à la demande d’une allocation pour la province de Luxembourg, en particulier, faite par l’honorable M. d’Hoffschmidt, je dois rappeler que ce mode de distribution des fonds proposé dans le temps, n’a pas été adopté. Il n’est pas probable qu’il le soit maintenant.
Je ne vois pas l’usage que l’on pourrait faire de tous les chevaux que l’on achèterait dans chaque province. L’on a peut-être déjà acheté trop pour le haras du gouvernement. Dans un transport considérable de chevaux on peut se tromper. Ainsi, toute l’attention du gouvernement doit se porter sur l’acquisition de chevaux de pur sang et de demi-sang de première qualité, qu’il faut qu’il se procure en Angleterre exclusivement.
M. F. de Mérode. - Messieurs, on parle toujours de chevaux de cavalerie, et il est impossible qu’on élève des chevaux de cavalerie en Belgique.
Il est une autre espèce de chevaux dont on pourrait favoriser l’éducation dans ce pays, je veux parler des chevaux de voiture.
Il en existe en Belgique et particulièrement à Bruxelles. Ces chevaux sont bons pour le labour, et plus favorables aux cultivateurs que les chevaux de selle.
Si l’on parvenait à engager les cultivateurs à élever cette espèce de chevaux, il me semble que ce serait pour eux une ressource ; et d’un autre côté il ne sortirait pas du pays des sommes assez considérables pour l’achat des chevaux destinées au labourage.
On pourrait offrir aux cultivateurs quelques facilités à cet égard, en diminuant un peu le droit sur les chevaux de voiture qui seraient élevés dans le pays.
Aujourd’hui ce droit est de 120 fr. pour la paire de chevaux, ou pourrait le réduire à 80 fr. On devrait augmenter en même temps le droit sur les chevaux étrangers, et le porter à 160 fr.
Il y a déjà à Bruxelles trois ou quatre paires de chevaux de l’espèce qui servent aux voitures, et ces chevaux, je le répète, sont plus propres au travail que les chevaux de selle.
Les facilités qui seraient accordées à cet égard n’entraîneraient aucun inconvénient pour le trésor public, et procureraient de grands avantages pour nos cultivateurs.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, l’on sait qu’il y a peu de matières sur lesquelles il y ait plus de divergence d’opinion que celle de l’amélioration des haras.
Aussi, quand il a été décidé que des fonds seraient alloués pour l’établissement d’un haras, le gouvernement s’est-il empressé de recueillir dans les divers pays les renseignements les plus circonstanciés sur les différents procédés suivis pour l’amélioration des chevaux, et sur les résultats qu’on avait obtenus.
Tous ces documents ont été communiqués à la commission des haras ; et cette commission a discuté les bases qui lui paraissaient devoir être suivies, pour obtenir de bons résultats en Belgique.
Elle a fait des propositions au gouvernement sur les qualités qu’elle croyait qu’on devait principalement chercher dans les étalons.
Messieurs, le gouvernement a accueilli ces propositions avec plaisir, parce qu’elles lui ont paru être conformes à ce que la pratique dans d’autres pays avait reconnu être le plus avantageux.
Ensuite, nous avons eu à choisir des amateurs qui eussent assez de connaissances en matière de chevaux, pour faire de bons choix ; et sous ce rapport, je crois que les choix du gouvernement ne peuvent pas être critiqués.
Comme l’a dit l’honorable M. Desmanet de Biesme, quelque connaissance qu’on ait en cette matière, quelque zèle qu’on y apporte, il arrive que l’on soit trompé dans ses choix.
Il s’agissait ensuite, messieurs, de prendre les mesures les plus propres à tenir les chevaux en bon état et à les répartir convenablement entre les provinces. C’est après avoir pris à cet égard tous les renseignements désirables que le gouvernement a adopté les mesures qu’on a exécutées jusqu’ici.
Je crois qu’il était impossible de faire autre chose que ce qui s’est fait.
M. Gendebien. - Je ne demande pas qu’on change le système actuellement adopté. Je conçois la nécessité de continuer pendant quelque temps le mode suivi aujourd’hui, c’est-à-dire, le système des haras permanents. Mais je prétends qu’on pourrait changer le régime de ces haras.
Si l’on se bornait à acheter trois étalons de pur sang, de la plus belle espèce, de première race, ces étalons pourraient procurer 240 saillies ; et l’on satisferait par là au désir qu’on a d’avoir des chevaux élégants.
Si maintenant vous appliquiez les 150,000 fr. à acheter cent ou cent vingt étalons, dont les qualités se rapprochent plus de nos chevaux indigènes, vous auriez en 2 ans ou moins 200 étalons ; ce qui procurerait 22 à 24 étalons par province, et améliorerait progressivement la race actuelle.
Vous avez des chevaux de pure race ; le premier produit de ces chevaux est tout à fait désordonné. Les uns ont le devant fort et le derrière faible ; d’autres réciproquement ont le devant faible et le derrière fort.
Vous avez ainsi une espèce bâtarde, une véritable anomalie, tandis que si vous achetiez de très bons étalons, d’une race meilleure dans l’espèce, vous obtiendriez des progrès successifs. Au lieu d’être découragés, par un premier essai infructueux, les éleveurs n’hésiteront pas à en faire un second.
En général, les éleveurs sont des hommes peu éclairés qui jugent d’après un premier essai, et qui se découragent lorsqu’ils ne réussissent pas ; et vous faites précisément ce qu’il faut pour les décourager.
Si vous preniez les chevaux plus forts, plus élégants dans l’espèce, il y aurait progrès, et au bout de dix ans vous auriez des chevaux susceptibles, par le croisement, de produire une race de la plus grande perfection.
Il faut commencer par faire disparaître le préjugé qui existe aujourd’hui. Ce préjugé ne date pas d’hier, mais il existe depuis 40 ans, depuis les essais malencontreux faits sous l’empire ; et les différents essais, tentés sous le roi Guillaume, n’ont fait que confirmer les premiers.
Faites d’abord de bonnes matrices, et si vous agissez autrement, vous tournez dans un cercle vicieux.
On a dit qu’il n’était pas facile de créer de belles juments ; ce qui me tranquillise, c’est que le même orateur a déclaré qu’il y en avait déjà beaucoup et de très belles dans le pays !
La difficulté de réussir peut donc être surmontée dans mon système, tandis que dans le système adopté, la chose me paraît sinon impossible, au moins beaucoup plus difficile.
Je ne prétends pas traiter ici de la science chevaline, mais je ne vois pas des chevaux de pure race dans ceux que l’on désigne sous la dénomination de pur sang. L’on dit que le cheval de pur sang est celui qui n’est pas dégénéré. Je ne suis pas de cet avis, et je crois qu’on serait bien embarrassé de me montrer un cheval type.
Dans mon opinion un cheval de pur sang est celui qui provient du croisement successif ; par exemple, un cheval arabe avec un cheval du Nord, et de ce premier produit avec les plus beaux sujets d’autres espèces, ce croissement, fait avec discernement, a eu pour conséquence de fortifier et d’améliorer l’espèce. C’est en donnant les plus grands soins aux élèves et particulièrement en leur donnant de bonnes nourritures, en les nourrissant au grain dès l’âge de 5 ou 6 mois ; voilà comment on parvient à en améliorer la race et à faire des chevaux qu’on appelle de pur sang.
Il ne suffit donc pas seulement d’amener dans le pays des chevaux de pur sang ; il faut encore instruire les éleveurs des moyens propres à perfectionner l’éducation, en changeant le système hygiénique des chevaux.
Je dirai, en me résumant, que je consens volontiers à ce que le gouvernement continue le système des haras permanents ; mais je désirerais qu’il arrêtât tout court le système d’acquisition des chevaux de pur sang ; je ne sais pas s’il y en a trois qui méritent cette qualification au haras actuel, mais je me contenterais provisoirement de ce qu’il y a ; c’est autant qu’il en faut pour contenter les amateurs qui ne visent pas aux profils.
Je conseillerais au gouvernement d’acheter 110 ou 120 étalons de belle forme ; par exemple, des étalons normands ou anglo-normands, comme le désire M. Vandenhove ; l’année suivante, il en achèterait un même nombre ; et dans cinq ans on serait étonné de l’amélioration qu’on aurait obtenue. Tout le monde voudra suivre l’exemple du gouvernement ; on prendra alors confiance, tandis qu’il y a défiance maintenant, ce qui est tout naturel, d’après les résultats obtenus depuis 40 ans.
M. le président. - Je vais mettre aux voix le chiffre de 150 mille francs demandé pour les haras.
- Ce chiffre est mis aux voix et adopté.
« Art. 1er. Lettres, sciences et arts. »
Littera A
M. Dechamps. - Je demande qu’on procède à la discussion de cet article par littera ; j’aurais à présenter des observations et des amendements sur plusieurs littera.
M. le président. - La division étant de droit, la discussion est ouverte sur le littera A : encouragements, souscriptions, achats. Le gouvernement propose 105 mille francs et la section centrale alloue 95,000 francs.
M. Dechamps. - Messieurs, le rapport de la section centrale nous apprend que la commission directrice de l’exposition des objets d’art avait jugé nécessaire d’allouer une somme de 70,000 francs pour être exclusivement consacrée aux acquisitions à faire par le gouvernement lors de l’exposition de 1836 et pour servir d’encouragement aux artistes.
Cette somme paraîtra à peine suffisante, si l’on réfléchit que le gouvernement ne doit pas user de lésinerie dans ces sortes d’acquisitions, à moins qu’on ne veuille que ces encouragements deviennent non seulement inefficaces, mais tout à fait dérisoires.
Il ne faut pas que le gouvernement ne puisse conférer que de mesquines aumônes, il faut que les encouragements qu’il donne soient véritablement dignes et efficaces ; sans cela, au lieu d’encourager, on découragerait les beaux-arts, et pour résultat final on dépopulariserait l’influence du gouvernement.
Le ministre de l’intérieur, pour ne pas augmenter les charges que les divers budgets font peser sut la nation, a réduit le chiffre de cette allocation à son véritable minimum. Il n’avait demandé qu’une majoration de 25,000 fr.
J’ai vu à regret que la section centrale n’avait pas cru devoir allouer la somme demandée et avait proposé une nouvelle réduction. J’ai cherché vainement les motifs qui avaient pu la porter à prendre cette détermination. Depuis la révolution, les circonstances politiques au milieu desquelles nous avons vécu ont empêché la législature et le gouvernement de faire tout ce qu’on aurait pu désirer en faveur des beaux-arts et de la littérature nationale. J’apprécie les motifs qui peuvent servir d’excuse à l’espèce de patrimoine qu’on a mise tous les ans au chapitre actuellement en discussion.
Je conçois que l’état de guerre que nous subissons encore, ayant nécessité d’énormes dépenses, on a été obligé d’opérer ailleurs des économies et là où il faudrait n’en apporter jamais. Je conçois aussi qu’après la crise politique de 1830 on ait eu autre chose à faire que de s’occuper de beaux-arts et de littérature.
Avant de songer à ces moyens d’embellir notre existence politique, il fallait créer cette existence, il fallait consolider notre indépendance nationale.
Aujourd’hui que notre existence comme nation est affermie, que le pays commence à jouir des lois d’organisation intérieure ; aujourd’hui qu’un mouvement littéraire, à peine aperçu les premières années de notre révolution, se manifeste à tous les yeux, il est temps de porter notre attention de ce côté et de fournir au gouvernement les moyens d’aider ce mouvement littéraire à se produire.
Je sais qu’il existe un préjuge enraciné qui malheureusement est partagé par des Belges mêmes.
Ce préjugé consiste à croire que la Belgique n’est pas créée fertile eu productions littéraires. Ceux que ce préjugé a séduits en arguent que les fonds alloués pour encourager la littérature belge sont dépensés en pure perte, sont des encouragements improductifs. Il me semble qu’il faudrait tirer de là une conclusion toute contraire, car c’est justement parce que ce préjugé existe, que nous devons réunir tous nos efforts pour le déraciner.
Cette fausse idée, qui est une suite de notre long vasselage politique, est démentie par l’aptitude que la Belgique a toujours montrée pour les beaux-arts et la littérature quand le joug étranger ne pesait pas sur elle. Chaque page de nos annales en fournit la preuve. Vous savez que quand notre émancipation communale donna le signal de la liberté européenne, et sous le règne brillant des ducs de Bourgogne, non seulement notre prospérité industrielle s’est élevée au plus haut degré, mais nos savants, nos littérateurs et nos artistes s’illustrèrent au point de placer la Belgique à la tête du mouvement intellectuel de cette époque.
Toute cette prospérité et cette gloire tombèrent quand Philippe II fit passer la Belgique sous la domination de l’Espagne. Sous le règne d’Albert et d’Isabelle la Belgique a repris une nouvelle splendeur. Mais elle ne dura pas plus que notre nationalité, et une nouvelle décadence se remarqua du jour où l’Autriche commença à peser sur nous.
Vous voyez que chaque fois que la Belgique a joui de l’indépendance nationale, elle a acquis tous les genres de gloire et de prospérité.
Aujourd’hui que la révolution a fait de la Belgique une commune bien autrement belle et libre que celles que nos ancêtres ont fondées au 14ème siècle, aujourd’hui que la prospérité industrielle du pays rappelle l’époque des ducs de Bourgogne, que nous jouissons d’une indépendance nationale bien mieux garantie par les événements politiques que sous le règne d’Albert et d’Isabelle, je ne vois pas pourquoi le mouvement intellectuel qui s’est manifesté à ces trois grandes époques de notre histoire ne se reproduirait pas.
Je suis convaincu que notre nationalité politique ne deviendra forte et vivante que lorsque nous aurons une nationalité intellectuelle, une littérature à nous. Vous savez que ce qui nationalise le plus après les croyances, c’est la littérature qui est le véritable reflet des mœurs et de la civilisation du pays.
Je n’entends pas, par la protection à accorder par le gouvernement, une espèce de direction générale des travaux de l’intelligence ; je sais que le gouvernement n’est pas très compétent en matière de doctrines. Je ne veux pas en faire ici un pédagogue ni un chef d’école littéraire.
Je veux que cette protection soit positive, je veux que le gouvernement puisse débarrasser la littérature des obstacles qui souvent en ferment l’entrée. En Belgique, parmi ces obstacles il en est de particuliers à notre position et qui de notre part nécessitent une protection spéciale. Il en est un principal qui est celui que j’ai signalé tout à l’heure ; c’est le préjugé qui fait accueillir les ouvrages de littérature étrangère avec plus de faveur que les ouvrages nationaux. Vous savez que le plus mince pamphlet que Paris nous envoie avec ses modes est accueilli avec plus de faveur que les ouvrages les plus remarquables des auteurs belges.
Ainsi, au lieu d’encourager, d’applaudir aux essais tentes depuis quelques années, la presse le plus souvent déchire ces talents qui veulent naître, et cela au nom des partis. Pour vous citer un seul fait qui vous prouvera combien ce préjugé est enraciné parmi nous, je vous dirai que la Revue de Paris, que je puis qualifier d’assez pâle, compte en France seulement 800 abonnés, tandis que la réimpression en Belgique en compte 2,200 ; et cela, quand des recueils publiés en Belgique d’une plus grande importance et beaucoup mieux faits peuvent à peine se soutenir.
Ce fait est très déplorable. Il oppose un obstacle extrêmement grave au développement de notre littérature. Quand un auteur se présente à un éditeur un manuscrit à la main, c’est à peine si l’éditeur consent à y jeter les yeux. Cela se conçoit, car il est plus facile aux éditeurs d’imprimer des ouvrages en vogue à Paris qui leur promettent beaucoup de lecteurs et de bénéfices que de publier l’ouvrage d’un auteur belge peu on point connu.
La propriété littéraire est tout à fait nulle en Belgique ; et, pour remédier à cet inconvénient, je m’étais proposé de présenter un projet de loi, mais le manque de renseignements que j’attendais m’a empêché, jusqu’à présent, de le faire. En attendant, je crois que le gouvernement doit avoir les moyens de lever cet obstacle au développement de notre littérature. Il doit pouvoir aider les littérateurs à se produire, en se chargeant des frais d’impression d’un ouvrage quand il le croirait digne de cette faveur. Le gouvernement devrait aussi s’enquérir des ouvrages remarquables qui paraissent dans le pays, et avoir les moyens d’en doter les bibliothèques du pays.
Jusqu’à présent la somme de 80 mille francs a été presque exclusivement dépensée en faveur des beaux-arts. Je n’en veux pas faire un reproche au gouvernement, car je trouve que cette somme de 80 mille fr. n’est pas même suffisante pour protéger efficacement les beaux-arts. Il faudrait que le gouvernement fût mis à même de commander des tableaux d’histoire à nos peintres célèbres.
Si on ne laisse aux peintres que la perspective des acquisitions individuelles, ils ne pourront pas s’occuper de semblables tableaux, parce qu’ils n’auront aucune garantie d’en trouver le placement quand ils seront terminés. Il faut que le gouvernement remplace les anciennes associations, qu’il fasse des commandes, des acquisitions des chefs-d’œuvre qui paraissent aux expositions publiques.
Ce sont là des richesses nationales. Le gouvernement devrait pouvoir empêcher qu’on les aliène, qu’on en dépouille nos musées, pour en enrichie les musées des pays voisins.
M. de Mérode, dans la dernière discussion de ce chapitre, a jeté une idée heureuse sur laquelle je rappellerai l’attention de la chambre. Ce serait d’accorder aux villes des subsides pour élever des monuments aux grands hommes auxquels elles ont donné naissance. Non seulement cette idée est très favorable aux arts, mais elle est éminemment nationale.
Si j’approuve l’emploi qu’on a fait des fonds alloués au litt. A, en les appliquant aux beaux-arts, je ne veux pas qu’on oublie la littérature. Comme je trouve la somme insuffisante déjà pour les beaux-arts, je crois que nous ne devons pas hésiter à accorder l’augmentation déjà bien minime que demande le gouvernement, qui est de porter l’allocation de 80 mille fr accordée l’année dernière à 105 mille fr.
Je pense, messieurs, que la chambre partagera le regret que je manifeste ici, de ne pouvoir porter cette allocation à une chiffre beaucoup plus élevé, parce que je suis persuadé que le chiffre porté au budget sera loin de suffire à tous les besoins qui se présenteront.
M. H. Vilain XIIII. - Messieurs, je ne puis assez m’étonner de la chétive économie de 10,000 francs proposée par la section centrale au chapitre des encouragements à donner aux beaux-arts et aux sciences. Quoi ! au milieu des progrès toujours croissants de notre jeune école de peinture et de musique, alors que l’amour du vrai et du beau lui a fait produire des œuvres consciencieuses et remarquables, alors que cette impulsion vivifiante a passé des artistes aux particuliers et des particuliers au gouvernement, la commission de la chambre croit devoir ébrécher de quelques mille francs l’allocation déjà si minime du ministère. Il est nécessaire, dit-elle, de diminuer le plus possible les charges extraordinaires qui accablent la Belgique, et je vois que c’est aux artistes, à nos savants, à quelques littérateurs rares et peu répandus, que ce devoir incombe le plus rudement ; car c’est lorsqu’il s’agit d’encourager leurs efforts qu’on fait surtout valoir l’ordinaire considération de restreindre les dépenses. Le ministre a demandé des fonds pour la formation des pépinières, et on les lui a accordés ; pour l’achat des bestiaux et des graminées étrangères, et on les lui a accordés ; pour le soutien des sociétés d’horticulture, des fonds d’agriculture et de l’établissement des mûriers, ensemble une somme de 120 mille fr. adoptée sans difficulté.
Enfin, on n’a pas trouvé que la nécessité des temps s’opposât à la forte allocation de 150,000 fr. pour l’éducation des bons chevaux en Belgique, et l’on refuse 105,000 fr. pour l’éducation des artistes, pour l’achat de leurs ouvrages, pour l’impression de leurs livres et de leurs découvertes ; pour nos artistes, messieurs, qui plus que nos guerriers, qui plus que nos orateurs et nos hommes d’Etat, ont fait le lustre du pays, et à travers trois années de révolutions, de guerres générales et de misères intestines, ont à eux seuls transmis la glorieuse succession du nom flamand. J’attribue à la rapidité du travail de la section centrale le peu d’attention qu’elle a porté à ce chapitre si intéressant au pays. J’attribue aussi la parcimonie de ses encouragements à l’intérêt, pour ainsi dire tout matériel, qu’on semble porter à cette partie de l’éducation publique, et c’est pour rectifier à ce sujet quelques idées, que je prends la parole.
La vraie science du législateur est d’apprécier les mœurs et les besoins du peuple qu’il régit, et de fonder ses lois sur ces mœurs et ces besoins. Cette intuition est surtout nécessaire à l’égard des besoins moraux. Ainsi, dans la distribution de ses dépenses, dans la restriction de nos économies, il ne faut point, quoique gouvernement constitutionnel, suivre l’exemple des gouvernements constitutionnels d’Angleterre et des Etats-Unis, imiter leur mesquinerie toute puritaine pour tout ce qui a rapport aux institutions libérales, eux qui ne s’occupent que des intérêts matériels ; abandonner les beaux-arts, vu que les beaux-arts n’ont rien de directement commercial ; n’estimer enfin la civilisation que par la progression des richesses, et non par tout ce qui en fait le lustre et le charme. Appliquer ce régime étranger au pays qui nous a choisis, ce serait méconnaître son naturel et ses nécessités intellectuelles. Ce serait vouloir surbaisser l’esprit artistique des Belges au niveau uniforme et décoloré des Etats-Unis, ce serait leur ravir ce qui a fait leur joie et leur splendeur à toutes les époques. Le peuple, à ce prix, refuserait les économies ; on serait même très peu populaire à les lui proposer, Et pour s’en convaincre, ne suffit-il pas de voir avec quelle ardeur il se porte à nos concours de musique, à nos expositions publiques, avec quel empressement il quitte alors et ses jeux plus vulgaires et ses rudes travaux.
Ainsi, ne nous bornant point comme ailleurs à l’amélioration toute matérielle des masses, procurons-lui des jouissances plus nobles et cherchons ces jouissances dans ses goûts naturels, dans la culture des arts libéraux. Je vous rappellerai aussi comme M. Dechamps, que déjà à deux grandes époques les arts ont civilisé la Belgique ; au retour des croisades, alors qu’à la suite des comtes de Flandres, les arts de l’Orient se sont transplantés chez nous comme en Italie pour y régénérer la peinture et la musique, nos grandes villes de Flandres et du Brabant n’ont-elles pas secoué leur antique barbarie, et les Jean Van Eyck, les Hemelinckx n’ont-ils point part ? Plus tard, au sortir des troubles des Pays-Bas, après les régimes monstrueux de Philippe II, du duc d’Albe et des Iconoclastes, sous le gouvernement réparateur d’Albert et d’Isabelle, les arts de nouveau ne sont-ils pas venus rappeler les populations de leurs excès ; ne sont-ce pas eux qui par les merveilles enfantées sous le pinceau des Rubens, des Van Eyck et de bien d’autres maîtres, ont ramené les esprits vers des habitudes plus tranquilles, ont élevé les idées dans une sphère plus noble et plus féconde ? A ces deux grandes époques, on peut le dire avec justice, ce sont nos grands artistes qui ont fait rejaillir sur la patrie une éclatante renommée ; ce sont ceux-ci, je le répète, plus que toute autre illustration, qui ont conservé le nom flamand au milieu des temps obscurs du moyen-âge et des 17ème et 18ème siècles. On doit reconnaître enfin que c’est le type le plus caractérisé, et pour ainsi dire l’unique et constant témoignage de notre nationalité.
Aujourd’hui, à une troisième phase qui paraît derechef devoir produire l’école flamande avec éclat, irions-nous négliger et répudier ce beau titre de gloire et d’unité ? Nous venons aussi de traverser des temps pénibles et désastreux ; la première révolution française, l’oppression hollandaise ; et la culture des arts se prépare plus que tout autre à réparer ces plaies. Ce ne seront ni nos sèches discussions de tribunes, ni nos faits d’armes restreints par les traités, ni notre littérature comprimée par l’usage des deux langues, niais bien les arts industriels et libéraux qui feront cette gloire, d’autant plus que déjà tous les esprits s’y portent comme par instinct, comme par habitude native, et que depuis cinq années nos jeunes artistes ont relevé bien haut le nom belge dans toutes les capitales de l’Europe.
Que si plus scrupuleux, on veut soumettre à une froide analyse les rapports matériels des arts pour un pays, il sera facile de prouver que ceux-ci encore rendent plus que tout autre article de fabrication. La presse s’en est occupée, elle a fait voir à ces rudes économistes qu’aucun prestige qu’aucun sentiment idéal n’ont ému, elle leur a fait voir qu’avec quelques couleurs, des pinceaux et une toile grossière, la peinture a enfanté plus de richesses que toutes nos autres industries. Elle a prouvé que Rubens a peint près de 5,000 tableaux, vendus aussitôt dans toute l’Europe, valant en retour de 5,000 à 10,000 fr, chacun et portant ainsi à des millions la valeur créatrice d’un seul homme. On pourrait facilement supputer toute la somme de richesses que nos chefs-d’œuvre ont fait éclore, richesses qui ont finalement profité au pays, mais je crois, messieurs, que nos convictions pour se former n’ont pas besoin de ces considérations toutes matérielles ; vous êtes Belges aussi, et c’est vers un plus noble but que tendront vos encouragements.
Le gouvernement porte ces encouragements à une somme de 105,000 fr., et dans cette somme il dispose de 50,000 fr. pour l’achat des tableaux à la prochaine exposition. Cependant la commission directrice avait sollicité un subside de 70,000 fr., ce qui aurait porté la somme totale à accorder pour achat de tableaux, pour l’encouragement, secours, bourses à accorder aux artistes, souscriptions d’ouvrages de littérature nationale, à un subside de 125,000 fr. Je viens par amendement proposer cette somme, mais, si comme je l’espère, la chambre consent à cette allocation, je désire que la distribution en soit faite par le ministre avec discernement, avec goût. Qu’il se garde d’abord d’accorder tous ces petits subsides de cent ou de deux cents francs à une foule de jeunes artistes qui sont loin d’avoir fait leurs preuves et qui gaspillent ainsi sans résultat les ressources du trésor. Mieux vaut allouer deux et trois pensions de 1,200 fr. à 2,000 fr. à des lauréats, afin de leur faciliter des voyages de perfectionnement aux académies d’Italie et de France.
Il lui importe en second lieu de régulariser son système d’encouragement pour l’achat des tableaux modernes. Là aussi il doit réserver ses ressources aux grandes choses, et faire ce qu’il n’est pas donné aux fortunes particulières d’accomplir. Ainsi qu’il s’abstienne autant que possible de l’acquisition des petits ouvrages, des paysages, afin de consacrer ses subsides à relever le grand genre historique. Jadis, c’étaient les corporations, les abbayes, les métiers possédant de grandes ressources qui faisaient ces commandes ; de nos jours les fortunes se divisant à l’infini, c’est le gouvernement, ce sont les provinces et les villes à qui cette tâche incombe, et c’est par eux que le genre historique et la statuaire sauront reconquérir leur prééminence. Finalement il devient plus qu’urgent que la Belgique s’occupe de la création d’un musée national, qu’elle cherche par des sacrifices momentanés à recueillir dans un établissement central quelques-uns des chefs-d’œuvre de son ancienne école, épars en Europe. C’est la ville de Bruxelles, et non l’Etat, qui possède le Musée, et encore cette collection est-elle loin d’être complète. Les écoles française et italienne y sont à peine représentées, et peu de beaux modèles, peu d’ouvrages typiques y reposent pour l’avancement des arts. Cependant combien est indispensable une pareille création, servant de point de comparaison à tous nos jeunes artistes.
C’est maintenant à l’étranger qu’ils sont presque obligés d’étudier l’ancienne école flamande. Une autre nécessité de ce genre, c’est l’ouverture d’une école de gravure et l’achat d’une collection complète de gravures anciennes. Quoi ! dans la contrée qui lui a pour ainsi dire donné naissance, dans ces villes d’Anvers, de Gand, de Bruxelles, où au 15ème siècle la gravure sur cuivre et sur bois a fleuri avec tant d’éclat, aucune collection publique de ce genre n’existe pour le souvenir et la progression de cette branche utile d’industrie et de science. En cela, chose fort singulière, les Belges, créateurs de cette invention, si bons dessinateurs de nos jours, sont tributaires de l’étranger : même, on vous l’a déjà dit dans cette enceinte, pour les objets les plus usuels, pour embellir les ouvrages de nos éditeurs, pour buriner les dessins d’étoffes de nos manufacturiers, c’est au dehors qu’il faut chercher des graveurs. L’initiative de cette création appartient au ministre de l’intérieur, et maintenant que les plus graves questions politiques sont écartées, que la Belgique peut avec plus d’espérance envisager son avenir, c’est aux chambres aussi à se rencontrer avec les goûts du pays, à coopérer puissamment à sa régénération morale, à rechercher avec sollicitude tous les anciens éléments de sa splendeur et de sa prospérité.
C’est afin d’accomplir une partie de cette tâche que je propose une allocation de 125.000 fr.
Déjà, messieurs, un collègue que je regrette de ne plus entendre ici, et dont j’ai toujours secondé les efforts, M. H. de Brouckere, avait essayé, il y a deux ans, d’élargir la base de vos encouragements. Nous avons échoué ; j’espère qu’aujourd’hui, moins chargés d’impôts, moins préoccupés de guerre et d’invasion fortuite, la chambre et le ministère accueilleront ma demande, et des voix amies viendront la soutenir.
M. Milcamps, rapporteur. - Le budget, chap. XII, article premier, lit. A, porte pour encouragements, souscriptions,… la somme de 80,000 fr. Sur cette somme le ministre de l’intérieur destinait 25,000 fr. aux achats à faire à l’exposition de 1836 et aux encouragements à donner aux artistes.
Et indépendamment de cela il demandait une majoration de 25,000 pour le même objet. La section centrale, messieurs, n’a pas cru devoir adopter une majoration semblable ; mais elle a adopté une majoration de 15,000 fr., de manière que, suivant elle, une somme de 30,000 fr. serait destinée à l’objet dont il s’agit.
L’honorable M. Dechamps qui a reproduit, par un amendement, la majoration de 25,000 fr. demandée par le ministre, a cherché vainement, a-t-il dit, les motifs de la réduction faite par la section centrale, et l’orateur qui a parlé après lui ne conçoit pas la parcimonie de la section centrale. Messieurs, il m’importe de la justifier, et de faire voir qu’elle ne pouvait croire se montrer ennemie des arts et des sciences en proposant une réduction.
D’après les pièces qui lui avaient été fournies, il en résultait qu’en 1832 il n’avait été alloué pour l’exposition de peinture, c’est-à-dire, pour l’achat de tableaux, que 14,100 fr. ; et que 1,700 fr. étaient seulement destinés aux encouragements. De manière que la section centrale, en portant cette somme totale d’environ 16,000 jusqu’à 40,000 fr., a pensé faire quelque chose dans l’intérêt des arts. Elle a regretté de ne pouvoir faire davantage ; mais elle a considéré que le pays était encore dans un état de guerre ; que la législature était en présence de majorations considérables, nécessaires à divers services ; et voila les motifs pour lesquels elle a fait la réduction qu’on lui reproche, réduction qu’elle a votée avec regret, je le répète. Pour prouver que la section centrale n’a voté qu’à regret cette réduction, et pour mettre la chambre à même d’apprécier la nature de cette dépense, je pourrais lui donner lecture du rapport qui a été fait par la commission directrice de l’exposition ; elle verrait dans ce rapport si elle doit adopter l’amendement de M. Dechamps ou celui de l’honorable M. Vilain XIIII.
M. Dumortier. - Ce n’est pas lorsque l’on ne cesse de voter des augmentations de tous les genres dans les budgets, lorsque a écarté le système d’économies que nous demandions, que nous repousserons les encouragements à donner aux sciences et aux arts, et surtout lorsque les premiers moments de la crise révolutionnaire sont passés.
Je déclare que je voterai pour le crédit demandé par le ministre, et je voterai d’après cette considération qu’il doit y avoir prochainement en Belgique une exposition d’objets d’art ; car il faut mettre le gouvernement à même de faire des acquisitions.
Dans la répartition du crédit qui nous est maintenant demandé, je dois faire une première remarque ; c’est que depuis quelques années la très grande majorité du crédit alloué par la législature a été consacrée uniquement aux beaux-arts.
J’approuve beaucoup les encouragements donnés aux beaux-arts, mais je ne voudrais pas que ce fût à l’exclusion des sciences et des lettres. J’ai eu beaucoup de peine à obtenir des subsides pour des publications utiles au pays.
Un artiste qui produit un ouvrage, quand il n’est même que passable, est sûr d’en trouver le placement ; mais un littérateur ne peut jamais trouver le placement de son travail : si donc vous voulez avoir des publications scientifiques et littéraires, il faut que le gouvernement les encourage.
M. Dechamps vous a indiqué plusieurs des motifs pour lesquels nos productions littéraires ne sont pas recherchées ; le motif principal, messieurs, c’est la trop grande facilité des réimpressions des livres étrangers ; cette facilité est un grand malheur pour nous ; c’est un malheur réel ; un libraire, en Belgique, trouvant à réimprimer les ouvrages étrangers, ne prendra jamais la peine de publier l’ouvrage d’un Belge, quelque bon qu’il soit.
La Belgique ne pourra jamais acquérir de la gloire par les armes ; il faut donc acquérir une gloire nationale par un autre moyen ; il faut l’acquérir par les œuvres du génie. Nous, représentants, nous devons encourager les productions de nos artistes et de nos savants.
Je le répète donc, j’approuve de très bon cœur les encouragements donnés aux arts ; mais je ne voudrais pas que le gouvernement perdît de vue les encouragements à donner aux lettres et aux sciences.
On a parlé d’acquisition de tableaux à faire à l’exposition prochaine de peinture : ici je me permettrai de faire une recommandation au gouvernement : c’est qu’il veuille bien être sévère, très sévère sur les acquisitions, et qu’il ne veuille bien acquérir que les chefs-d’œuvre de l’exposition, afin que nous puissions présenter à l’étranger sans honte un musée de peinture et de sculpture.
Si le gouvernement laisse acheter les meilleurs tableaux par des particuliers, et qu’il n’achète que des ouvrages médiocres, vous n’aurez qu’un ramas de médiocrités dans votre musée, et il sera votre honte au lieu d’être votre gloire. Les élèves, n’ayant pas les beaux modèles sous les yeux, ne connaîtront pas le but de l’art, et s’égareront dans de fausses routes. Un bon système à suivre, ce serait de commander aux artistes des tableaux ou des statues, parce que l’artiste, sachant que son œuvre doit figurer dans un musée, voudra se surpasser pour soutenir la comparaison avec les œuvres des meilleurs maîtres.
Si avant l’exposition le gouvernement disait aux artistes : Je vous commande un tableau pour l’exposition, et il restera au musée ; certainement ils voudraient soutenir le parallèle avec les anciens tableaux.
J’appellerai maintenant votre attention sur un établissement dont a parlé M. Vilain XIIII.
C’est un fait bien pénible pour la Belgique de voir que chez elle il n’y ait plus de graveurs, tandis qu’aux 15ème, 16ème et 17ème siècles, elle était la terre classique de la gravure. A l’exception de deux ou trois graveurs, il n’y en plus chez nous ; il est indispensable de faire renaître cet art, et pour cela il faut créer une école de gravure.
Cette création n’est pas sans importance sous le rapport de l’industrie. On réimprime beaucoup de livres en Belgique ; aucune de ces réimpressions ne peut être mise en vente sans vignettes ; eh bien, on est obligé de les faire faire à l’étranger.
Pour les manufactures, l’absence des graveurs se fait sentir d’une manière encore plus pénible. Pour l’impression des étoffes, des tissus, nous devons avoir recours à l’étranger pour les planches, et cela nous porte le plus grand préjudice. Cependant nos artistes produisent des dessins charmants ; mais on ne peut s’en servir faute de graveurs.
Ce serait un véritable bienfait que la création d’une semblable école ; pour moi, je la désire vivement, attendu qu’il en résulterait de grands avantages.
Vous avez pu voir par les publications qui se font dans le pays, notamment par les publication de l’académie des sciences, dans quel degré d’infériorité est la gravure. Il est fâcheux qu’une publication qui honore le pays et parcourt l’Europe, représente aussi mal l’état des arts dans la Belgique.
Nous n’avons plus de graveurs ; je me trompe, un Belge possède une grande habileté dans l’art du graveur : eh bien, il a dû aller à l’étranger pour faire imprimer ses œuvres, parce qu’il n’y a pas en Belgique de presse pour imprimer en taille-douce.
Assurément une école de gravure produirait de grands avantages pour les publications de tout genre, et surtout pour les publications relatives aux beaux-arts.
Je me borne à ce peu de mots.
Je dis que le gouvernement doit être sobre d’acquisitions dans les expositions d’objets d’art ; il ne doit acquérir que des chefs-d’œuvre et donner des primes d’encouragement aux artistes qui, sans faire des chefs- d’œuvre, ont fait de bons ouvrages et ne les ont pas vendus.
Les encouragements aux jeunes artistes ne doivent être donnés qu’à ceux qui ont de grandes dispositions ; jamais à ceux qui, n’ayant pas de dispositions, feraient mieux de ne pas sortir de leur état, pour augmenter le nombre des mauvais artistes. (Approbation). Les journaux de France, arrivés hier, font l’éloge d’un jeune artiste belge, qui a exposé dans la capitale de France un tableau objet de l’admiration de tous les connaisseurs. Ce jeune homme n’aurait pu jamais sortir de sa ville natale s’il n’avait pas reçu du gouvernement un subside de 600 fr. Voilà a quoi mènent les subsides accordés avec discernement. Je voterai pour l’allocation proposée.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ne puis qu’applaudir aux sentiments généreux qui se manifestent dans cette enceinte au sujet des arts et des lettres. En effet, il est utile de faciliter leur développement qui se manifeste déjà heureusement en Belgique.
En ce qui concerne les arts, nous avons vu des villes rivaliser de zèle avec le gouvernement pour les protéger ; ainsi la ville de Gand a pris l’initiative pour réorganiser son académie sur des bases plus larges, le gouvernement s’est empressé de concourir à cet utile projet ; nous avons provoqué l’érection d’une académie dans la ville de Liége qui en avait été privée jusqu’ici, la régence a répondu à notre appel ; nous avons engagé la ville de Bruxelles à réorganiser son académie avec plus d’extension, la régence nous a répondu de la manière la plus généreuse ; il paraît que la dépense qu’elle aura à faire de ce chef ne s’élèvera pas à moins de 30,000 fr.
Ainsi nous avons généralement rencontré un concours zélé pour favoriser le développement des beaux-arts.
En ce qui concerne les établissements de musique, vous connaissez les heureux résultats des conservatoires de Bruxelles et de Liége. Indépendamment de ces grands établissements, il y a une infinité d’établissements de seconde classe, qui tendent en général aux progrès des arts.
Nous avons également régularisé les expositions des beaux-arts : c’est ainsi que d’année en année les artistes trouveront à exposer le produit de leur talent. Il ne reste plus qu’à faciliter le placement des productions des meilleurs artistes ; sous ce rapport il faut convenir que c’est plutôt à la richesse publique qu’aux faibles subsides du budget qu’il appartient d’encourager les arts.
Il est permis d’espérer que cette richesse qui se développe tous les jours davantage, y contribuera puissamment. Un honorable préopinant désire que la somme destinée à des acquisitions de tableaux ne soit consacrée qu’à acquérir les meilleurs ouvrages de l’exposition qui aura lieu cette année dans la capitale ; mais cela ne fait pas le moindre doute, la somme alloué à ce titre ne peut être employée qu’à acquérir des objets d’un véritable mérite.
A l’égard des 30,000 fr. alloués pour l’exposition de 1833, je dois dire que la moitié de cette somme a été absorbée par les frais ; il n’est reste que 14.000 fr. pour distribution de médailles, achat de tableaux et récompenses. Nous espérons que cette année nous pourrons consacrer à l’acquisition de tableaux une somme de 35 à 40,000 fr. ; mais notre opinion est arrêtée ; ce sont les meilleurs ouvrages dont il faut faire l’acquisition.
A propos de l’encouragement des arts, un honorable membre nous a engagé à concentrer les subsides sur quelques individus. Nous croyons qu’il a été satisfait au désir de l’honorable préopinant ; chaque fois qu’un jeune homme ayant fait de grands progrès dans les arts ou les sciences, a désiré se perfectionner à l’étranger, à Paris, en Italie, à Vienne ou à Berlin, il a obtenu du gouvernement des subsides pour compléter ses études.
Mais lorsqu’il s’agit d’études à faire dans le pays, il est évident que des subsides même faibles peuvent suffire ; voici ce qui se passe à cet égard : lorsqu’un jeune homme montrant de grandes dispositions mais dépourvu de fortune, s’adresse au gouvernement pour obtenir les moyens de faire ses études, le gouvernement prend des renseignements près des autorités communale et provinciale ; si les autorités appuient la demande, et que d’autre part le gouvernement, qui s’en assure auprès des chefs d’institutions, sache que ce jeune homme donne de grandes espérances, alors un subside est accordé concurremment avec la province et la commune.
Je crois qu’il est préférable d’admettre le plus de jeunes gens possible aux encouragements littéraires et artistiques, que d’en repousser un grand nombre et de concentrer sans nécessité la faveur sur quelques sujets.
En ce qui concerne les sciences et les lettres, vous savez qu’il y aurait un grand moyens d’encouragement possible ; il consisterait dans la réorganisation de l’académie royale de Bruxelles, sur des bases plus larges et dans l’allocation de subsides suffisants pour faire publier des ouvrages scientifiques et littéraires, qui seraient jugés dignes de l’impression par ce corps savant. J’ai à cette occasion oublié de dire que le projet de loi institue aussi une classe des beaux-arts auprès de l’académie, ce qui sera un nouveau moyen d’encouragement pour les artistes.
Je reviens à ce qui concerne les sciences et les lettres ; je dois répéter qu’un moyen efficace d’encouragement serait la réorganisation de l’académie et l’allocation de subsides suffisants pour l’impression des ouvrages qu’elle en aurait jugés dignes.
Indépendamment de ce secours, il ne faut pas perdre de vue que l’existence de nos établissements universitaires est un puissant d’encouragement pour les lettres et les sciences ; les acquisitions faites pour les diverses bibliothèques du pays concourent encore puissamment au même but.
Je n’ai pas eu l’occasion d’accorder de subsides importants pour des publications scientifiques et littéraires ; cependant quelques subsides ont été accordés à ce titre. Un honorable préopinant s’est plaint de ce que la somme de 75,000 fr. aurait été exclusivement appliquée aux arts ; cet honorable membre est tombé dans l’erreur ; dans le subside de 75,000 fr. il y a eu une somme de 18 à 20,000 fr. employée à protéger les sciences et les lettres et entre autres une somme pour la commission d’histoire, une somme notable également pour l’acquisition de manuscrits, de documents intéressants pour nos archives, toutes dépenses faites dans l’intérêt des lettres.
Un obstacle capital au développement de la littérature en Belgique, c’est le peu d’étendue du royaume, la diversité de langues, et il faut le dire, la difficulté de faire goûter nos ouvrages à l’étranger. Mais quant à ce dernier point nous pouvons espérer que notre nationalité se consolidant de plus en plus par le temps, notre littérature se développera davantage que quand nous étions réunis à d’autres pays, et que nos grands écrivains, si nous sommes assez heureux pour en avoir, verront leurs productions se répandre à l’étranger.
Un honorable préopinant a pensé que la facilité de la réimpression des ouvrages étrangers dans le pays pouvait être un obstacle au développement de la littérature nationale ; je ne partage pas cette opinion, je crois que cette facilité est un grand avantage pour l’extension et la prospérité de notre imprimerie et qu’il doit en résulter pour nos auteurs la possibilité de faire imprimer leurs œuvres à plus bas prix. Je trouve donc qu’il y aurait plutôt là un moyen d’encouragement pour notre littérature qu’un obstacle a son développement.
Mais, l’on vous a proposé une allocation nouvelle de 20,000 fr. L’on a eu en vue la création d’une école de gravure. Quant à moi, j’accueillerai volontiers cette majoration, et je pense qu’une partie considérable de cette allocation pourra être consacrée au développement de l’art de la gravure.
Il y a déjà une classe de gravure à l’académie d’Anvers. Il en aura bientôt une à l’académie de Bruxelles et à celle de Liége. Mais je crois que les leçons que l’on donne dans ces établissements ne peuvent suffire. Si l’on veut développer l’art de la gravure en Belgique, il faut que l’on s’entende avec un homme distingué qui puisse se charger des frais de l’établissement nouveau moyennant un subside, et qui tirant de cet établissement un avantage, dans l’intérêt de son industrie particulière, aurait besoin d’une somme moindre que celle qui serait nécessaire si le gouvernement prenait l’établissement à son compte.
D’après les renseignements qui m’avaient été donnés à cet égard, une somme de 130,000 fr. était jugée nécessaire pendant l’espace de dix années. Mais j’ai tout lieu de croire que cette évaluation est exagérée, et qu’elle pourrait être réduite de moitié.
Je sais qu’un honorable membre se propose de demander une majoration pour l’académie royale de Bruxelles. Si la majoration de 20,000 francs était allouée par la chambre, on pourrait trouver sur cette somme de quoi remplir le désir de l’honorable membre.
J’attendrai la suite de la discussion pour voir s’il est nécessaire de donner de plus amples détails.
M. Liedts. - Après tous les orateurs qui ont pris la parole dans cette discussion, il me reste peu de chose à ajouter.
Il est vrai, comme l’a dit M. le ministre, que ce sont surtout les fortunes particulières qui encouragent le développement des beaux-arts. Mais ce n’est pas un motif pour que le gouvernement reste insensible à leurs progrès et refuse tout encouragement pécuniaire.
L’on a applaudi, avant la révolution, à la mesure prise par le roi Guillaume, qui affectait une somme de 20,000 fr. à l’achat de bons tableaux nationaux.
M. le ministre semble décidé à sortir de l’ornière dans laquelle le département de l’intérieur est entré depuis trois ans, c’est-à-dire à ne plus acheter les productions des élèves.
L’achat des compositions des artistes qui ne font qu’entrer dans la carrière a ce double inconvénient : d’abord on encourage une foule de médiocrités sans avenir ; en second l’Etat fait l’acquisition de mauvais tableaux qui ne pourront figurer dans les musées. Si on les exposait dans nos musées, quelle idées les étrangers auraient-ils de l’art en Belgique ?
Les artistes eux-mêmes, s’ils parvenaient à se placer au premier rang, rougiraient de la publicité donnée aux essais de leur jeunesse.
Si quelque talent précoce annonce des dispositions remarquables, que le gouvernement lui accorde un encouragement pécuniaire.
J’applaudirai à sa sollicitude.
Mais que cet encouragement n’ait pas l’air d’une aumône. Que le gouvernement ne se borne pas à donner une misérable somme de 100 à 200 francs. Que le subside accordé au jeune artiste lui permette de continuer ses études.
Je ne parlerai pas de la littérature en Belgique. Tout ce qu’il y a à dire sur ce sujet a été dit par l’honorable M. Dechamps. La littérature renaît en Belgique. Je n’en veux pas d’autre preuve que les productions qui apparaissent depuis quelques années et qui toutes ont un caractère national.
Il serait déplorable de voir ces germes périr d’inanition. Je désire que la littérature nationale soit l’objet de la vive sollicitude du gouvernement.
Si j’accorde le subside demandé par M. le ministre de l’intérieur ainsi que la majoration proposée par M. Vilain XIIII, c’est dans l’espoir que l’allocation destinée aux beaux-arts n’aura pas été la pâture de quelques journaux, qu’elle n’aura pas servi à prendre des abonnements à des journaux tels que le Franc-Juge. S’il faut en croire les journaux, une somme aurait été prélevée sur le fonds des beaux-arts à l’effet de subsidier ce pamphlet connu à peine dans cette enceinte, que l’on nomme Franc-Juge.
La commission nommée pour l’achat des tableaux a été composée jusqu’à présent d’amateurs de beaux-arts et de quelques artistes. Je désirerais qu’on y adjoignît 2 ou 3 membres de cette assemblée. De cette manière les artistes auraient la garantie que leurs tableaux seront bien appréciés, et la chambre saurait que les sommes qu’elle alloue pour l’encouragement des beaux-arts auraient obtenu leur destination.
Messieurs, si je suis généreux envers les beaux-arts, c’est que je crois que l’intérêt du pays l’exige. La véritable économie ne consiste pas à dépenser peu, mais utilement. Nous avons fait et nous devions faire de grands sacrifices pour relever le commerce et l’industrie. Mais là n’est pas toute la vie d’une nation ; il lui faut aussi de la gloire. Que serait, en effet, une nationalité qui ne démontrerait dans le cœur de tous les Belges qu’une froide indifférence ?
Si vous voulez que la nationalité que nous avons fondée prenne racine chez nous, faites que le nom Belge, à l’intérieur et à l’étranger, ne se prononce qu’avec admiration et respect.
La grandeur d’une nation ne dépend pas de l’étendue de son territoire ni du nombre de ses habitants. Elle tient à ses institutions, elle tient à la prospérité de son industrie et de son commerce, elle tient aussi au règne des beaux-arts et de la littérature. C’est ainsi que la république d’Athènes occupe dans les annales du monde et dans nos souvenirs plus de place que les vastes empires de l’Asie.
Encouragez la littérature, les beaux-arts, et vous inspirerez à tous les Belges ce sentiment de l’honneur national qui doit être la sauvegarde de notre nationalité.
M. Gendebien. - Personne ne combat la proposition de M. Vilain XIIII. Je vois avec plaisir que cette fois l’on pas plaidé inutilement la cause des beaux-arts. Il ne me reste donc que fort peu de chose à dire.
L’on a répété dans cette occasion tout ce que j’ai dit l’année dernière. J’ai dit que c’était plutôt décourager les artistes que d’acheter de mauvaises compositions, et que d’un autre côté la vue de tableaux médiocres donnerait aux étrangers une opinion très médiocre du mérite de nos artistes. M. le ministre de l’intérieur paraît l’avoir senti. Car il vient de dire que l’on n’achèterait plus que des tableaux dont le mérite serait reconnu.
J’ai demandé l’année dernière que l’on encourageât seulement les artistes qui ont de l’avenir et que l’on ne décourageât pas ceux qui n’ont pas le talent de solliciter. J’espère que dorénavant les talents naissants seront seuls encouragés et que les médiocrités seront laissées de côté. Je désire aussi que le jugement que l’on portera sur les artistes ne soit pas le résultat des intrigues d’une coterie, mais qu’il soit fait par concours et avec contrôle.
Telles sont les idées que j’ai exprimées et développées l’année dernière, je m’en réfère à ce que j’ai dit à cette époque.
L’on a parlé de la nécessité d’encourager la gravure. Il existe actuellement à Bruxelles une collection aussi complète que possible de gravures, dont quelques-unes remontent au 14ème siècle. Il serait à désirer que le gouvernement en fît l’acquisition. Car, au dire des artistes qui l’ont vue, on ne pourrait pas en compléter une pareille en 50 ans.
Je voterai pour le chiffre le plus élevé, n’ayant qu’un regret, de ne pouvoir voter davantage.
M. Kervyn. - Je regrette que la section centrale ait cru devoir réduire la majoration demandée par le gouvernement au litt. A. de l’art. premier actuellement en discussion, et je suis sûr qu’en examinant la destination du crédit demandé, vous partagerez ma manière de voir à cet égard. En effet, de quoi s’agit-il, messieurs ? De majorer de 25,000 fr. la somme disponible pour achat de tableaux, et pour encouragements à donner aux artistes lors de l’exposition de 1836. Or, dans l’état actuel des choses, je crois cette majoration nécessaire, si nous ne voulons pas laisser dépérir en Belgique, l’une de nos gloires nationales, la peinture d’histoire.
Il n’existe plus d’abbayes riches et puissantes, de corporations largement dotées, de fortunes colossales, qui autrefois pouvaient acheter les grandes productions de l’art dès qu’elles sortaient des mains de l’artiste. Par l’effet inévitable de la division des richesses et du morcellement des fortunes, il n’y a que les ouvrages d’un moindre prix qui aujourd’hui trouvent facilement des acheteurs, Il est donc de notre devoir, messieurs, de mettre le gouvernement à même d’encourager la grande peinture, en lui accordant une place dans notre musée national.
Nous pouvons espérer que ces encouragements deviendront moins nécessaires dans la suite, lorsque nos fabriques d’églises, mieux avisées, retrancheront quelque chose aux badigeonneurs et aux doreurs, pour commander de temps à autre un bon tableau à de véritables artistes ; lorsque nos magistrats communaux, au lieu de consacrer nos fêtes nationales par des illuminations stériles et des mâts de cocagnes surannés, feront inaugurer quelque grande production de l’art destinée à retracer aux yeux de la postérité les événements de la patrie ; lorsqu’enfin nos corps provinciaux orneront le lieu de leurs délibérations de semblables productions.
Mais, pour obtenir ces résultats, messieurs, il faut que le gouvernement puisse donner l’exemple : il faut que nous concourions par le vote du crédit demandé à encourager la grande peinture en Belgique.
Je voterai contre la réduction proposée par la section centrale.
M. Dechamps. - J’avais l’intention de demander une allocation spéciale pour la formation d’une école de gravure mais comme l’honorable M. Vilain XIIII m’a devancé, je ne puis qu’approuver l’allocation qu’il a proposée.
Messieurs, je ne répéterai pas tout ce que MM. Vilain XIIII et Dumortier ont dit en faveur de cette école de gravure. Vous devez maintenant en sentir toute l’importance, non seulement sous le point de vue de l’art, mais sous le rapport industriel.
Vous vous rappelez, messieurs, que lors de la discussion de la loi sur l’industrie cotonnière, les défenseurs de cette loi nous ont donné comme un argument invincible, le manque de graveurs sur bois pour les impressions d’indiennes.
Je crois que la création d’une école de gravure remédierait à ces inconvénients ; elle donnerait naissance aussi à quelques industries accessoires qui n’existent pas maintenant, et fournirait à nos artistes le moyen de se placer convenablement.
Je veux ajouter une seule observation à celles qui vous ont été présentées par M. Dumortier.
Vous savez, messieurs, qu’il s’agit depuis longtemps dans le pays de créer un musée belge, c’est-à-dire, une publication destinée à reproduire les tableaux des grands maîtres de l’école flamande.
Vous savez qu’il existe un musée à Londres, à Paris, à Vienne et dans toutes les autres capitales de l’Europe ; et il est vraiment doléant que la Belgique, qui possède une des écoles de peinture les plus remarquables que l’on connaisse, n’ait pas un musée belge.
En 1819, le roi Guillaume avait songé à encourager cette sorte de publication. M. Odevaere en avait été chargé ; mais à cause du manque de graveurs, il a été forcé de faire imprimer ses livraisons à Paris, et vous concevez qu’en présence de pareils obstacles il lui a été impossible de continuer l’entreprise.
Aujourd’hui, il s’agit encore une fois de faire un essai, pour publier un semblable musée. Mais ceux qui s’en sont occupés m’ont affirmé que cette publication était impossible, sans une école de gravure, montée sur une grande échelle.
Il sera très facile, et M. le ministre de l’intérieur l’a dit, de s’entendre avec le chef de cet établissement, pour rattacher cette création du musée belge à l’école de gravure.
Si l’on parvient, comme je l’espère, à mettre ce projet à exécution, les tableaux des maîtres de l’école flamande pourront se faire connaître dans toute l’Europe.
Je pense aussi que l’école de gravure pourrait se charger de reproduire les tableaux les plus remarquables de nos peintres vivants ; ce serait un moyen de faire connaître les artistes à l’étranger et de procurer l’écoulement à leurs produits.
Ainsi, j’appuie de toutes mes forces le chiffre proposé par l’honorable M. Vilain XIIII, et spécialement la majoration demandée pour la fondation d’une école de gravure.
M. Rogier. - Messieurs, la proposition qui vous a été faite par M. le ministre de l’intérieur a cet avantage que pas une voix dans cette enceinte ne s’est élevée pour la combattre ; c’est un signe certain des changements qui se sont introduits, il faut bien en convenir, dans cette chambre, relativement aux dispositions montrées d’abord à l’égard des beaux-arts en Belgique.
Aujourd’hui but le monde est d’accord sur ce point, qu’il faut accorder aux beaux-arts, en Belgique, des encouragements considérables, en rapport avec les progrès qu’ils ont faits et avec l’éclat qu’ils répandent sur le pays.
Je ne m’étendrai donc pas sur la nécessité de rétribuer convenablement les beaux-arts ; mon opinion, à cet égard, est, je pense, suffisamment connue.
J’ai demandé seulement la parole pour répondre à quelques assertions émises dans cette enceinte, et qui peuvent plutôt concerner mon administration que celle de mon successeur.
L’on est revenu sur la manière dont les acquisitions ont été faites lors de l’exposition de 1833.
L’on s’est plaint de ce que le gouvernement a acheté des médiocrités et non des tableaux de grands maîtres ; mais on n’a perdu de vue qu’une seule chose, c’est que le gouvernement n’avait à dépenser qu’une somme de 14,000 fr.
Or, en supposant qu’il y eût eu de bons tableaux à acheter (ce qui n’était pas), combien en aurions-nous pu acheter avec les 14,000 fr. ? Aurions-nous pu en acheter un seul ? au moins très difficilement.
Si nous voulons payer convenablement un chef-d’œuvre de nos grands maîtres, les 14,000 fr. seront bien souvent une somme insuffisante.
Je pense aussi, messieurs, qu’il faut encourager les publications historiques. Nous avions autrefois des corporations civiles et religieuses qui s’occupaient de cet objet ; et dans l’absence de ces corporations, le gouvernement doit faire ce qu’elles faisaient.
Je ne pourrai donc qu’applaudir à toutes les augmentations de crédit qui auront pour but de mettre le gouvernement en état d’encourager les publications historiques.
Mais remarquez que pour pousser le gouvernement dans cette voie, il lui faut accorder aussi des subsides plus considérables que 20 à 30,000 fr.
Encore une fois, lorsqu’un artiste a dépensé deux ou trois années de sa vie à faire un tableau, ce n’est pas avec une somme de 12,000 fr. qu’on le rétribuera convenablement.
Les artistes trouvent dans l’exécution de petits tableaux des fortunes à faire ; c’est ce que plusieurs font aujourd’hui, et c’est encore un hommage à rendre au pays, ils sont accablés de commandes de tableaux de moyenne dimension qui leur rapportent de mille à six mille francs ; et quand ils en ont exécuté 10 ou 12 par an, je dis qu’ils ont facilement dépassé tout ce que le gouvernement pourrait leur donner pour un tableau historique. Je ne sais pas pourquoi le gouvernement se borne à acheter des tableaux historiques ; il peut se présenter des expositions où ces tableaux manquent. Ce mode a été mis en usage par le gouvernement. Qu’est-il arrivé pour certains artistes ? c’est qu’ils ont refusé l’encouragement pécuniaire, qui était une espèce de mauvaise note pour leurs tableaux.
Je crois, messieurs, qu’on pourrait donner une satisfaction à cet amour-propre d’artistes, que je comprends, quant à moi, en achetant leurs tableaux, mais on ne devrait pas les exposer dans un musée national.
Ces tableaux pourraient être répandus avec fruit dans nos petites villes et dans nos campagnes. Je suis pour la centralisation des beaux-arts ; mais il faut les répandre dans toutes les localités de la Belgique. Au lieu de donner de l’argent aux artistes en pure perte, il faudrait mieux faire l’achat des tableaux d’un mérite relatif et les distribuer entre nos petites localités,
Il y a encore un léger inconvénient à ces acquisitions de tableaux historiques destinés au musée national, c’est que dans l’état actuel des choses, il y a des obstacles matériels à la création d’un musée.
Je l’ai déjà dit, nous n’avons pas de local à cet effet. Les tableaux achetés jusqu’ici, où sont-ils placés maintenant ? dans un coin du musée de Bruxelles. Si un étranger demandait où est le musée national, je ne sais où il le trouverait.
Ce manque de local ne se fait pas sentir seulement pour tableaux, mais encore pour toutes les institutions qu’on réclame aujourd’hui.
Si l’on veut une collection de sculptures, de médailles, où la placera-t-on ? Les gravures, où les mettra-t-on ?
La nation belge s’est constituée ; mais, permettez-moi une expression familière, elle n’a pas monté son ménage. Nous n’avons aucune espèce de local ni pour les collections, ni pour les réunions nationales.
Je ne puis donc qu’insister, quant à moi, pour qu’on fournisse au gouvernement les moyens de se procurer un emplacement quelconque, pour y mettre les objets que je viens d’indiquer. J’appuierai aussi la création d’une école de gravure ; je ferai observer toutefois qu’il existe une semblable institution à Anvers. Rien n’est préjugé sans doute, a l’égard de la localité dans laquelle on établira la nouvelle institution. Ce sera au gouvernement à décider ce point.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je crois, messieurs, que nous n’avons pas besoin de sortir de l’ornière, parce que nous ne nous y trouvons pas.
Le peu de fonds dont nous avons pu disposer l’année dernière a été appliqué, sur l’avis de l’académie de Gand, à l’acquisition de quelques tableaux qui ont été exposés la même année dans cette ville.
Je ne pense pas que ces acquisitions puissent être critiquées.
Je ne répondrai pas à une assertion très légèrement avancée, que l’abonnement d’un petit journal serait payé sur les fonds des lettres, et je suis étonné que l’honorable député d’Audenaerde se soit si facilement laisse induire en erreur ; il n’y a pas un seul journal dont un abonnement soit payé sur ces fonds, si ce n’est le Messager des arts et des sciences.
L’honorable préopinant regrette l’absence d’un local pour le musée de l’Etat ; je voudrais aussi qu’il en existât un ; cependant ce n’est pas la dépense la plus urgente en ce moment, parce que nous ne possédons pas assez de tableaux pour garnir les salles du musée, si nous en avions un.
En vérité, je crois que tôt ou tard il faudra allouer des fonds pour l’acquisition d’un bâtiment dans lequel nous puissions disposer tous les objets d’art. (La clôture ! la clôture !)
M. Dumortier. - Puisqu’on demande la clôture, je ne parlerai pas ; je vais seulement faire une observation sur ce qu’a dit un honorable membre, que j’avais répété son discours. Je n’ai rappelé que ce que j’ai dit il y a deux mois. Ainsi, si quelqu’un a été plagiaire, ce n’est pas moi.
M. Gendebien. - Je demande la parole pour un fait personnel. M. Dumortier, ayant fait un reproche de plagiat en indiquant de la main le côté où je siège, je puis croire que c’est à moi qu’il l’adressait. Je crois devoir donner un mot d’explication.
En parlant de ce que j’ai dit il y a un an, je n’ai pas eu la prétention ridicule d’accuser quelqu’un de plagiat. Je n’attache pas à mes paroles assez d’importance pour croire qu’elles puissent être retenues et faire l’objet d’un plagiat. J’ai voulu seulement motiver mon abstention dans la discussion sur ce que j’avais développé mon opinion il y a un an et sur ce que les honorables membres qui avaient pris part à la discussion d’aujourd’hui, n’avaient fait que répéter ce qui avait été dit alors.
Je dois aussi un mot de réponse à un autre honorable membre qui a dit qu’il n’y avait pas un tableau de grand maître à la dernière exposition. Il y en avait cependant, il y avait celui de Verboeckoven et ce tableau seul suffirait pour immortaliser un homme, n’eût-il fait que celui-là.
M. Rogier. - Ce n’est pas un tableau d’histoire.
M. Gendebien. - Personne n’a dit que par tableaux de grands maîtres il n’entendait que des tableaux d’histoire. Et pour ma part, en disant que le gouvernement devait acheter des tableaux de grands maîtres, je n’ai pas voulu désigner le genre.
Je sais que M. Rogier était très restreint. Mais je répète que je suis comme l’année dernière d’avis qu’on a mal employé les fonds. Car je ne veux pas qu’on achète de mauvais tableaux pour les provinces plutôt que pour la capitale.
L’honorable M. Rogier vous a dit que les peintres refusaient des encouragements en argent ; quant à cela, je regrette que leur amour-propre les ait empêchés de les recevoir.
M. Rogier. - J’ai dit qu’il n’y avait que très peu de tableaux de grands maîtres et non qu’il n’y en avait pas du tout ; et j’ai fait observer que la somme de 14,000 fr. n’aurait pas suffi pour en acheter.
J’avais entendu parler de tableaux d’histoire. Et quant au tableau de Verboeckoven, il avait été acheté, je crois, avant d’entrer au musée. (Non ! non !)
Ce tableau a été l’objet de mon admiration, et je crois que l’artiste a reçu la récompense qu’il méritait pour ce tableau que le gouvernement n’a pas pu acquérir.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
M. le président. - M. Vilain XIIII, à qui M. Dechamps s’est rallié, propose le chiffre de 125 mille francs. M. le ministre propose 105 mille francs et la section centrale 95 mille.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je crois avoir suffisamment déclaré dans la discussion que la somme de 125 mille francs était nécessaire si on voulait donner un encouragement spécial à la gravure, et par conséquent que je me ralliais à cette proposition.
- Le chiffre de 125 mille francs pour le littera A est mis voix et adopté.
- La séance est levée à 5 heures.