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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 25 février 1836

(Moniteur belge n°57, du 26 février 1836)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Schaetzen fait l’appel nominal à une heure.

Il donne ensuite lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Des propriétaires de bois sapin et marchands de bois indigènes de l’arrondissement de Louvain demandent la prohibition des bois de construction étrangers. »


« Le sieur Dubosch, directeur des grandes wateringues du Capitalen-Dam, adresse un mémoire relatif au canal de Zelzaete, et sur les moyens d’en rendre l’exécution utile à la Flandre orientale. »


« Plusieurs curés et vicaires de Namur demandent que leur traitement soit à charge de l’Etat. »


M. Quirini. - Je demanderai que la pétition relative aux bois de construction étrangers soit renvoyée à la commission d’industrie. »

- Cette proposition est adoptée.


Les autres pétitions sont renvoyées à la commission chargée d’en faire le rapport.

Projet de loi relatif aux attributions des administrations communales

Discussion des articles

Titre II. Des attributions communales

Chapitre II. - Des attributions du collège des bourgmestre et échevins
Article 17

M. le président. - Nous en sommes à l’art. 17, ainsi conçu :

« Art. 17. Le collège des bourgmestre et échevins a la surveillance des hospices, bureaux de bienfaisance et monts-de-piété.

« A cet effet il visite lesdits établissements chaque fois qu’il le juge convenable, veille à ce qu’ils ne s’écartent pas de la volonté des donateurs et testateurs, et fait rapport au conseil des améliorations à y introduire et des abus qu’il y a découverts. »

M. le président. - Voici l’amendement de M. de Terbecq :

« Le bourgmestre est de droit président des administrations des hospices et des bureaux de bienfaisance ; il y a voix prépondérante. »

- L’honorable membre expose ainsi les motifs de sa proposition.

M. de Terbecq. - Messieurs, l’art. 17 donne au collège des bourgmestre et échevins la surveillance des hospices et bureaux de bienfaisance.

Je pense, messieurs, que ce serait ici la place d’ajouter que le bourgmestre est de droit président de ces établissements.

Et en effet ne doit-on pas reconnaître l’avantage qui doit en résulter pour ces établissements, lorsque le bourgmestre, en donnant une partie de son temps à leurs intérêts, peut en connaître mieux les ressources, veiller plus facilement à leur bonne administration, et apprécier avec plus de connaissance les sommes qu’il convient d’affecter annuellement pour cette destination sur le budget municipal ? car n’arrive-t il pas dans un grand nombre de localités que les revenus de ces établissements et principalement des bureaux de bienfaisance sont insuffisants, et le bourgmestre n’est-il pas l’homme le plus à même de concilier les besoins de ces mêmes établissements avec les ressources de la commune ?

Il me paraît, messieurs, que dans nombre d’occasions il doit en résulter des avantages très grands, surtout dans les petites communes.

Ce n’est pas, au reste, une innovation que je viens vous proposer, c’est la proclamation d’une disposition préexistante. Vous savez, messieurs, qu’aux termes de l’art. 2 du décret du 7 floréal an XIII, les maires sont chefs et présidents nés des administrations des hospices et des bureaux de bienfaisance ; si vous ne proclamiez pas cette disposition dans la loi en discussion, on pourrait peut-être argumenter de ce silence pour en induire l’abrogation de celle du 7 floréal an XIII.

J’ai en conséquence l’honneur de vous proposer d’ajouter au deuxième paragraphe de l’art. 17 l’amendement suivant :

« Le bourgmestre est de droit président des administrations des hospices et bureaux de bienfaisance ; il y a voix délibérative. »

Messieurs, dans la section centrale, en discutant cet article ainsi que le 70ème de la première partie, j’ai insisté sur la nécessité de consacrer ce principe dans la loi communale ; et de la manière que l’art. 70 précité a été adopté en séance du 18 de ce mois, par suite des soutènements heureux des honorables membres, MM. Legrelle et Smits, je forme l’espoir que mon amendement sera bien accueilli.

M. Lebeau. - Je crois qu’on pourrait ajourner cette proposition jusqu’à ce que nous en soyons aux attributions du bourgmestre.

M. Fallon. - Je ne prends pas la parole pour combattre l’amendement de M. de Terbecq, mais pour faire observer à la chambre qu’il faudrait mettre cet amendement en harmonie avec le système même qui a été proposé par le ministre de l’intérieur. Il s’agit ici d’une administration collective, dans laquelle chaque membre a des attributions ; je demanderai que la présidence soit attribuée à tous les membres du collège ; ce qui est déjà en exécution dans plusieurs localités.

A Namur, nous avons un hospice pour les orphelins, un hospice pour les vieillards, et un mont-de-piété ; eh bien, le collège du bourgmestre et des échevins a arrangé les choses de manière que la présidence de ces établissements y soit exercée par chacun de ses membres ; le bourgmestre et les échevins partagent ainsi la besogne.

Je proposerai la rédaction suivante :

« Le collège du bourgmestre et des échevins a de droit la présidence des hospices, bureaux de bienfaisance et monts-de-piété.

« Cette présidence est exercée par un de ses membres délégués à cet effet, et qui y a voix prépondérante.

« Le collège a en outre la surveillance de des établissements… »

Le reste comme au projet de loi.

- L’amendement est appuyé par plus de cinq membres.

M. Dubus. - Messieurs, je viens m’opposer à l’un et à l’autre des amendements. Je ferai remarquer à la chambre que la question est en quelque sorte jugée par le vote de l’art. 10 du projet de loi. Par le paragraphe 2 de cet article, vous avez décidé que le conseil communal nomme les membres des administrations des hospices et des bureaux de bienfaisance, et maintenant on vous propose de décider qu’un membre de ces administrations ne sera pas nommé par le conseil ; ce serait de cette manière modifier l’art. 10 que vous avez voté.

On nous a allégué que l’on ne faisait que demander la continuation de ce qui existe ; je crois que ce qui existe n’est pas conforme à ce que l’on réclame. Dans l’état actuel de la législation, il est manifeste que la présidence des bureaux de bienfaisance n’appartient pas au bourgmestre ni aux échevins ; tout au contraire, le droit de surveillance de ces administrations et le droit de visite sont attribués au conseil des bourgmestre et échevins, ce qui n’aurait pas lieu s’il en avait la présidence.

Il y a effectivement une disposition du gouvernement impérial qui a donné cette attribution aux maires, mais ce n’est pas conformément à la loi ; c’est en violation de la loi, car la loi du 16 vendémiaire an V contient une disposition tout à fait exclusive de cette prérogative de la présidence ; cette loi dit que les administrations municipales auront la surveillance des hospices civils établis dans les communes, qu’elles nommeront une commission de cinq citoyens qui éliront président.

Ainsi, vous voyez que c’était d’après la loi même que la municipalité nommait une commission de cinq membres qui choisissait son président dans son sein ; et, quand la loi ne l’aurait pas dit, de ce que la commission était nommée par l’administration communale, il résulte que le maire ne pouvait en être président.

La loi du 6 messidor an VII est encore conçue dans le même sens.

Ainsi, d’après l’une comme d’après l’autre loi, les cinq membres des commissions des hospices étaient nommés par les municipalités ; et il n’y avait pas de président né, de président de droit de ces commissions.

L’auteur de la proposition a cité un arrêté du gouvernement français qui aurait modifié cette disposition ; je n’ai pas trouvé cet arrête, mais j’ai pu me convaincre que l’on invoquait une loi antérieure à la réorganisation des hospices, une loi de 1790, loi abrogée par les lois de l’an X et de l’an VII, surtout par la loi de l’an VII, qui porte que les commissions nomment elles-mêmes leurs présidents.

Quoi qu’il en soit, toutes ces lois sont tombées devant les règlements des villes.

En effet, que porte l’art 68 du règlement des villes ? Il porte que « le conseil communal nomme les membres des administrations publiques des établissements de charité et de l’administration des pauvres de la ville, pour autant qu’il n’a pas décidé autrement par les actes de fondation. Cette nomination aura lieu sur une liste double faite par les bourgmestre et échevins… »

Le règlement des villes établit de la manière la plus générale que la nomination des membres de ces administrations vient du conseil ; donc la qualité de bourgmestre ne donne pas celle de membre de ces administrations.

Mais il y a une autre disposition du règlement des villes, qui me paraît prouver encore que dans le système de ces règlements le bourgmestre n’avait plus la présidence. C’est l’art. 93, dans lequel on trouve que les bourgmestre et échevins ont, en conformité des lois et des règlements, la surveillance des administrations publiques des pauvres, de charité, d’orphelins et de toute autre administration publique, ainsi que ce que reçoivent les caisses municipales, ou celle de l’Etat, pour ces établissements.

Ils font visiter ces établissements par des commissaires tous les trimestres ; ces commissaires font des rapports et proposent des améliorations…

Ainsi vous voyez que, dans cet article 93, on organise la surveillance qu’exercent les bourgmestre et échevins dans ces administrations ; mais si le bourgmestre et les échevins étaient de droit présidents de ces administrations, à quoi bon nommer des commissaires, à moins que l’on ne dise que c’est pour surveiller le bourgmestre et les échevins eux-mêmes ? Toutes ces dispositions ne pourraient pas aller ensemble, et je crois aussi que l’on n’a pas interprété les règlements des villes dans ce sens-là : ce sont les bureaux de bienfaisance et les bureaux des hospices qui nomment eux-mêmes leur président.

On propose de maintenir la surveillance et le contrôle par le bourgmestre et par les échevins. Alors l’amendement est inutile ; il ne présenterait aucun avantage ; le seul but raisonnable que l’on peut avoir, c’est que ces administrations importantes aux communes soient surveillées. Eh bien, vous organisez précisément le mode de surveillance ; s’il y a abus, vous pourvoyez aux moyens de réprimer les abus, et cela par l’article même que l’on veut amender.

Je vous prie de remarquer que les administrations des hospices et des bureaux de bienfaisance dans les villes, et notamment dans les villes un peu considérables, exigent des hommes qui se dévouent tout entiers à ces administrations, qui s’acquittent de leurs fonctions avec esprit de suite ; le présidents nés ou les présidents de droit, étant eux-mêmes chargés d’autres fonctions administratives, ne viendraient que de loin en loin, et la plupart du temps laisseraient leurs collègues privés de leur coopération. Il y a des bourgmestres à qui ces fonctions ne conviennent aucunement ; ce sont des fonctions spéciales qui exigent des hommes spéciaux.

Je voudrais savoir comment l’auteur de l’amendement entend sa disposition ; quel serait, dans sa manière de voir, l’effet de cette disposition, et quelle modification elle apporterait dans la législation existante.

Dans la législation existante, il y cinq membres ; le bourgmestre ferait le sixième, alors il y aura nombre pair de membres ; comment se videra le partage ? Mais si le bourgmestre ne fait pas le sixième membre, comme le plus souvent il ne pourra pas assister aux séances de l’administration, il n’y aura que quatre membres, et la loi en veut cinq.

Et remarquez, messieurs, que ce travail est tel dans ces administrations, et notamment dans les villes où il y a plusieurs hospices, que ces cinq membres sont obligés de se partager la surveillance ; chaque membre est délégué spécialement pour chaque hospice et est obligé de s’occuper tous les jours, et c’est ce que le bourgmestre ne pourrait faire.

Mais, soit qu’il y ait 5 ou 6 membres, je vous ferai remarquer qu’il y a toujours un grave inconvénient à adjoindre une espèce de président de droit qui assiste aux délibérations quand il le juge à propos, et qui le plus souvent s’en abstient. L’introduction ou l’intrusion du bourgmestre dans ces administrations amènerait dans beaucoup de cas l’exclusion d’un homme qui était tout à fait propre à ces fonctions. Je connais une ville où le président de l’administration des hospices devra céder le fauteuil au bourgmestre ; il faudra même qu’il sorte de l’administration, pour céder la place au bourgmestre, parce qu’il est son proche parent.

Je suis donc convaincu, messieurs, que l’amendement proposé ne présente aucun avantage, qu’au contraire il présente des inconvénients, et qu’il est en contradiction avec la loi. J’en demande le rejet.

M. de Terbecq. - Je ferai observer que le décret du 7 vendémiaire an VIl n’a pas été abrogé.

Je persiste dans mon amendement, et je crois que c’est ici sa place. On objecte qu’il rendra pair le nombre des membres des administrations des hospices, mais en cas de partage le président a voix prépondérante ; c’est ainsi que cela s’est pratiqué. (Aux voix ! aux voix !)

M. Dumortier, rapporteur. - Je demande la parole. (La clôture ! la clôture !)

Je demande la parole contre la clôture.

Je ne crois pas qu’il soit possible de clore la discussion sur l’article, sans avoir entendu des orateurs pour ou contre ; on n’a pas rencontré toutes les objections qu’on veut faire. L’amendement n’est pas en harmonie avec la loi ; il faut examiner la loi ; il faut examiner la question. Je demande que l’on continue la discussion.

M. Dubus. - J’aurais d’autres observations à ajouter à celles que j’ai déjà produites ; je crois que l’honorable auteur de l’amendement est dans l’erreur s’il croit que le décret de vendémiaire an XIII subsiste encore, et qu’il est encore mis à exécution.

Je ferai observer qu’à l’époque de l’an XIII, il y avait une autre manière de nommer les membres des administrations des hospices que celle que l’on suit aujourd’hui ; les membres des hospices étaient alors nommés par les préfets, tandis que maintenant ils sont nommés par le conseil communal.

M. de Terbecq. - Je tiens le Bulletin des lois à la main, et je vois que la disposition que j’ai citée doit être exécutée.

- La chambre consultée ferme la discussion.

M. Fallon retire son amendement.

- L’amendement de M. de Terbecq est mis aux voix et adopté.

L’article 17 est adopté dans son ensemble, avec cet amendement.

M. Dumortier, rapporteur. - Je demande si, par suite de l’amendement qui vient d’être adopté, le bourgmestre nommé par le Roi et qui présidera le bureau de bienfaisance, pourra y siéger avec ses parents ?

M. le président. - Cette question pourra être traitée au second vote.

M. Dubus. - Ce qu’on peut faire au second vote, on peut le faire au premier. Je demande que l’on complète la loi, que l’on dise de combien de membres se composera l’administration des hospices, si ce sera de 5 ou de 6 membres. Je ne suis pas de la majorité qui a adopté l’amendement. Je voudrai savoir comment cette majorité a entendu l’amendement.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - On a demande s’il y aurait incompatibilité entre les fonctions de bourgmestre et celles de membre de l’administration des hospices. Cette question se présentera à l’article des incompatibilités. Quant aux inconvénients que l’amendement adopté pourrait présenter, c’est au second vote qu’on pourra s’en occuper. On pourra également présenter alors les amendements qui seraient la conséquence de l’amendement adopté. Il est donc inutile d’insister davantage.

Article 18

M. le président. - La chambre passe à la discussion de l’art. 18 ainsi conçu :

« Art. 18. Les bourgmestre et échevins veillent à ce que dans chaque commune il soit établi un bureau de bienfaisance. »

« Dans toutes les communes dont la population agglomérée excède 2,000 habitants, ils veillent à ce qu’il soit établi, par les soins des bureaux de bienfaisance, des comités de charité pour distribuer à domicile les secours aux indigents.

« Dans les villes manufacturières, les bourgmestre et échevins veillent à ce qu’il soit établi une caisse d’épargne. Chaque année, dans la séance prescrite à l’art. 67, le collège des bourgmestre et échevins rend compte de la situation de cette caisse. »

M. Liedts. - C’est sur le dernier paragraphe de l’article que je demande la parole.

Je vois que l’on borne l’établissement des caisses d’épargne aux villes manufacturières. Tout le monde est convaincu que cette institution est un grand bienfait et qu’elle est de nature à propager les idées d’ordre, d’économie et de prévoyance. Je demande donc pourquoi on voudrait la restreindre aux villes manufacturières, et pourquoi on ne l’étendrait pas à tous les chefs-lieux d’arrondissement.

Il y a plus de motifs encore pour établir des caisses d’épargne dans les chefs-lieux des districts agricoles que dans les villes manufacturières ; car, dans les villes, la classe ouvrière trouve un travail permanent pendant toute l’année. Dans les districts agricoles, au contraire, l’ouvrier n’a du travail que pendant quelques mois de l’année ; il lui faut donc se priver de quelque chose afin de se créer des moyens d’existence pour la saison rigoureuse. Je crois donc qu’il serait très avantageux qu’il fût établi une caisse d’épargne dans chaque chef-lieu d’arrondissement.

Je ne pense pas que l’on puisse être retenu par les frais d’établissement ; car aujourd’hui qu’il y a plusieurs banques, je suis persuadé qu’en s’adressant à l’une ou l’autre banque, on obtiendrait l’établissement sans frais de caisses d’épargne.

Je demanderai donc au gouvernement s’il voit quelque inconvénient à dire dans le dernier paragraphe de l’article : « dans les chefs-lieux d’arrondissement, » au lieu de : « dans les villes manufacturières. »

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je pense qu’il faut se borner quant à présent à la disposition du projet, et que la proposition de l’honorable membre est prématurée. Du reste, l’extension à donner à l’établissement des caisses d’épargne fera l’objet de l’attention du gouvernement et des chambres ; mais je ne pense pas que l’on puisse dès à présent l’adopter sur des bases aussi larges que le propose l’honorable préopinant.

M. Dumortier, rapporteur. - Je partage entièrement l’avis de M. le ministre de l'intérieur. Je ferai remarquer à l’honorable député d’Audenaerde que nous n’empêchons pas les chefs-lieux de district d’établir des caisses d’épargne ; mais nous ne leur en faisons pas une obligation. En effet, dans plusieurs chefs-lieux de district, dans celui de Furnes par exemple, et dans la plupart des chefs-lieux de district du Luxembourg, ce serait impossible dans l’exécution. Il faut laisser cela à des localités plus importantes. Soyez sûrs que les administrations communales se hâteront d’établir des caisses d’épargne quand ce sera possible.

Je suis convaincu que la disposition du projet aura une grande extension dans le pays. Mais la proposition de l’honorable M. Liedts ne peut pas être adoptée. Il serait impossible, dans un grand nombre de villes, qu’elle fût exécutée.

M. Liedts. - Le seul motif pour lequel on voudrait faire rejeter ma proposition, c’est que, dit-on, elle serait inexécutable ; et on tire cette conclusion de ce que, dans plusieurs chefs-lieux d’arrondissement, il n’y aurait pas assez de dépôts pour couvrir les frais d’établissement. Mais veuillez remarquer que les dépôts ne viendront pas seulement du chef-lieu, mais de toutes les communes du district. De cette manière, il y aura toujours assez de dépôts pour l’établissement d’une caisse d’épargne.

D’ailleurs, je ne crois pas que l’on puisse être effrayé par les frais d’établissement. Des caisses d’épargne seraient établies presque sans frais par l’une ou l’autre banque. Je crois que le gouverneur de la banque de Belgique a présenté au gouvernement un projet pour en établi dans toutes les villes et villages.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Cela n’a pas eu de suite.

M. Liedts. - Il y a des personnes dans l’esprit desquelles l’établissement des caisses d’épargne rencontre encore des obstacles. Il ne faut pas cependant confondre cette institution avec les monts-de-piété. Les caisses d’épargne et de prévoyance sont un bienfait immense pour la classe ouvrière. Nous devons donc faire tous nos efforts pour répandre ce bienfait le plus possible.

M. Dumortier, rapporteur. - Je rends hommage aux intentions qui ont dicté l’amendement de l’honorable membre. Je suis convaincu comme lui que les caisses d’épargne présentent d’immenses avantages. Mais la question n’est pas là. Il s’agit de savoir si nous pouvons obliger les administrations communales à établir des caisses d’épargne là où nous ne savons pas s’il sera possible d’en établir.

Je conçois que la banque consente à établir des caisses d’épargne là où elle a des agents. Mais où elle n’a pas d’agents, cet établissement ne peut avoir lieu sans des dépenses considérables ; il faudra un agent, un secrétaire, enfin une administration tout entière. En deuxième lieu, ce que la banque voulait il y a quelque temps, le voudra-t-elle encore aujourd’hui ? Pouvons-nous imposer aux administrations communales une obligation subordonnée à la volonté d’une administration en dehors de nos lois ?

L’honorable M. Liedts dit que l’on peut compter sur des fonds de tout l’arrondissement A cet égard, il faut recourir aux faits. A Tournay où est la première caisse d’épargne (qui ait été établie en Belgique), comment s’y prit-on ? Quels sont les frais d’établissement ? D’abord il faut un secrétaire remplissant les fonctions de trésorier, pour recevoir les fonds à chaque instant. Ensuite considérez que dès qu’une somme, si minime qu’elle soit, est déposée à la caisse d’épargne, elle porte intérêt en faveur du déposant jusqu’au moment où on la retire, tandis qu’elle n’est pas placée de suite et ne produit pas intérêt ; de telle sorte qu’il y a nécessairement déficit.

Qui supportera ce déficit ? la ville où sera établie la caisse d’épargne. Mais si on peut attendre d’elle un tel sacrifice, lorsque la caisse d’épargne est établie dans l’intérêt de la ville, c’est impossible lorsqu’elle est établie dans l’intérêt de l’arrondissement.

A Tournay le roi Guillaume donna une somme considérable en rentes pour l’établissement de la caisse d’épargne. L’hospice fit un dépôt de fonds considérable ; malgré cela on eut beaucoup de peine à assurer l’intérêt aux prêteurs.

Je pense donc qu’il serait impossible d’établir de caisses d’épargne ailleurs que dans les villes manufacturières. Ainsi, tout en applaudissant aux motifs qui ont dicté l’amendement de M. Liedts, je crois que la chambre doit adopter la disposition du projet.

M. Gendebien. - Je ne partage pas l’opinion de l’honorable préopinant. Je crois qu’il faut généraliser autant que possible l’établissement des caisses d’épargne. Je ne comprends pas l’objection faite à l’amendement de M. Liedts ; elle se comprendrait si l’article imposait aux collèges des villes désignées l’obligation d’établir des caisses d’épargne. Mais le sens de la loi n’impose pas impérieusement l’établissement des caisses d’épargne.

« Ils veillent à ce qu’il soit établi une caisse d’épargne, » c’est-à-dire à ce qu’il soit établi une caisse d’épargne, pour autant qu’elle sera utile. (Dénégations.) La loi ne dit pas autre chose ; c’est à peu près comme si vous recommandiez aux bourgmestre et échevins l’établissement des caisses d’épargne. Mais si vous voulez imposer cette obligation aux bourgmestres de toutes les villes désignées, il faut vous servir d’un autre langage, car les termes du projet ne contiennent pas d’obligation formelle en termes impératifs.

Maintenant je crois qu’on pourrait modifier l’amendement de M. Liedts, de manière à atteindre le but qu’il se propose, sans imposer l’obligation à tous les chefs-lieux de district d’établir des caisses d’épargne ; il y a tel chef-lieu où je conviens que cela est impossible ou au moins inutile. Mais en revanche il y a telles communes qui ne sont pas décorées du titre de villes et où cet établissement serait d’une grande utilité. Il y a dans les Flandres des communes populeuses comptant un grand nombre d’ouvriers, où ce serait assurément très utile. Nous avons dans le Hainaut des communes de 8 à 10,000 âmes, peuplées presque exclusivement d’ouvriers et d’industriels, vivant de leur industrie, et pouvant faire des épargnes journalières et par suite verser, chaque semaine, une somme à la caisse d’épargne. Nous avons des communes près de Charleroy, et une infinité d’autres, où l’établissement d’une caisse d’épargne serait incontestablement utile ; et je vous garantis qu’il suffirait de donner aux autorités communales la faculté et quelques facilités pour établir ces caisses d’épargne pour qu’elles le fassent.

Je propose donc, au lieu de l’amendement de M. Liedts, de dire dans l’article : « Dans les communes manufacturières, les bourgmestres et échevins, etc. »

M. Lebeau. - Nous sommes tous d’accord sur le but. Il est certain que nous devons tous vouloir la propagation des caisses d’épargne. Mais nous différons sur les moyens. Je pense, moi, que l’amendement de M. Liedts, appuyé par l’honorable préopinant, n’atteint pas le but. Plus vous constituerez de caisses d’épargne, isolées, séparées entre elles, moins les conditions de placement seront avantageuses. Ce n’est que par un grand mouvement de capitaux que l’on peut parvenir à donner un intérêt assez important aux sommes déposées.

Il faudrait qu’il y eût une seule caisse d’épargne centrale, subsidiée par le gouvernement. Je pense même que c’est ainsi que l’on a conçu dernièrement en France l’organisation des caisses d’épargne : une seule caisse d’épargne, avec des succursales dans les différentes localités.

C’est ainsi que nous avons, dans tous les chefs-lieux de district, des caisses d’épargne ; car, chez tous les agents de la société générale, si je ne me trompe, il y a une caisse d’épargne. Il y en a une au moins dans chaque chef-lieu d’arrondissement ; et tous les jours les hospices, les bureaux de bienfaisance, les domestiques, les ouvriers peuvent y faire des versements. Les fonds déposés portent, je crois, un intérêt de 4 p. c.

Si, au contraire, vous voulez établir des caisses d’épargne isolées dans chaque chef- lieu de district, il sera très difficile de les organiser, parce que vous ne pourrez forcer les communes à faire des fonds. Ensuite, il pourrait, je crois, en résulter de grands dangers ; ces caisses pourraient être un piège tendu à la classe ouvrière ; car, malgré les bonnes intentions des administrations communales, elles pourraient faire faillite.

Je crois que, pour assurer les bienfaits qui peuvent résulter de l’établissement des caisses d’épargne, il faudra qu’un jour ou l’autre la législation intervienne ; il faudra que le gouvernement fasse un sacrifice annuel, sacrifice qui sera bien compensé par l’amélioration de la moralité du peuple. Pour moi je crois qu’il sera bien d’adopter une disposition législative dans ce sens.

D’après l’honorable préopinant, il ne résulterait de la disposition en discussion aucune obligation pour l’administration communale. Mais chaque fois que la loi dit que l’on « veillera, » elle ordonne ; sans cela elle ne ferait que conseiller. Or je ne crois pas que l’on donne des conseils par la loi. S’il se donne des conseils, c’est par l’administration supérieure à l’administration inférieure. Mais le législateur ne conseille pas, il ordonne ; c’est en ce sens que je comprends l’expression « ils veillent ; » et par analogie avec les autres dispositions des lois, c’est le sens qui se présente.

M. Gendebien. - Je ne sais pas pourquoi l’honorable préopinant a pris la peine de chercher à me réfuter.

M. Lebeau. - Parce que c’est mon opinion.

M. Gendebien. - Mais je ne crois pas que vous m’ayez réfuté, car nous sommes d’accord ; vous avez réfuté peut-être l’amendement de M. Liedts ; mais je ne le soutiens pas, puisque j’ai proposé un sous-amendement : vous ne m’avez donc pas réfuté, ni même compris.

M. Lebeau. - Soit !

M. Gendebien. - Nous sommes tous d’accord qu’il faut aviser aux moyens de propager l’établissement des caisses d’épargne

On vient dire, pour me réfuter, que les caisses d’épargne isolées n’offrent que des inconvénients. Mais qui demande des caisses d’épargne isolées ?

Les termes de la loi sont suffisamment impératifs, vous dit-on ; ils imposent l’obligation d’en établir.

Je ne suis pas de cet avis, messieurs ; nous prescrivons aux bourgmestre et échevins de surveiller les caisses d’épargne, quand il y en a ; nous leur imposons, si vous voulez, le soin d’aviser aux moyens d’en établir, et non pas l’obligation. La preuve, messieurs, c’est que la loi ne dit pas comment ils doivent en établir. Vous ne donnez d’ailleurs aucune sanction à la loi, preuve évidente qu’il ne s’agit pas de prescrire l’établissement de caisses d’épargne, mais que vous les recommandez aux soins des administrations communales.

Les bourgmestre et échevins pourront, en vertu de la disposition dont nous nous occupons, établir une succursale de caisse d’épargne. C’est ainsi qu’en Ecosse il n’y a pas une commune qui n’ait une succursale de caisse d’épargne.

Ne faites pas aux administrations communales une obligation d’établir une caisse d’épargne ; indiquez seulement ce qu’elles ont à faire, quand il y a une caisse d’épargne. Laisser à la loi spéciale sur l’établissement des caisses d’épargne le soin de prescrire les règles de leur constitution et le mode de les gérer, ainsi que les moyens de les doter et administrer.

En substituant le mot : « communes » au mot : « villes, » je ne vois pas de difficulté à adopter l’article proposé par le gouvernement et par la section centrale ; il ne peut s’élever une objection contre mon amendement, puisqu’en généralisant l’article proposé, il le laisse intacte.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je pense que le désaccord qu’il y a entre les deux honorables préopinants vient de ce qu’ils n’entendent pas de la même manière le dernier paragraphe de l’article en discussion. Pour moi, je l’entends de la même manière que M. Lebeau. Je crois même qu’on ne peut pas l’entendre différemment.

Il y a prescription d’établir des caisses d’épargne dans les villes manufacturières. Je pense avec l’honorable M. Lebeau que la loi ne se borne pas à donner un simple conseil. Si on avait le temps de compulser le texte de différentes lois, on verrait que chaque fois que le législateur se sert du mot « veille, » il entend par là ordonner ; ainsi quand on dit : Telle autorité veille à la répression des délits, etc., il n’est pas entendu qu’il soit facultatif à cette autorité de réprimer ou de ne pas réprimer les délits, elle doit sous sa responsabilité constater les délits lorsqu’ils existent.

Maintenant l’on me dira peut-être : Il n’y a pas de délai fatal fixé pour l’établissement de caisses d’épargne, il n’y a donc pas de sanction dans la loi ; mais je répondrai que la sanction est dans l’article 14 que nous avons voté. La députation du conseil provincial qui verrait dans l’article 18 une prescription aussi formelle que celle que l’on propose d y introduire, non suivie d’exception dans une ville manufacturière, enverrait, après l’inutilité reconnue de deux avertissements successifs, un commissaire sur les lieux qui ferait exécuter la loi.

En comprenant l’article comme l’entend l’honorable M. Gendebien, je conçois qu’il ait proposé la disposition qu’il défend. Il considère, lui, d’après la rédaction proposée, les caisses d’épargne simplement placées, dans les villes manufacturières, sous la surveillance de l’autorité communale. Si l’on pouvait ainsi envisager les termes de la loi, je ne verrais aucun inconvénient à adopter cette proposition. Mais si l’on maintient la rédaction telle qu’elle est proposée, il y a évidemment un ordre pour l’autorité communale de créer des caisses d’épargne ; et l’amendement de M. Gendebien tendant à étendre la mesure aux communes manufacturières, il pourrait y avoir du danger à ordonner l’établissement d’une caisse d’épargne dans ces localités ; car, ainsi que l’ont fort bien fait observer MM. Lebeau et Dumortier, comme l’établissement d’une caisse d’épargne est toujours onéreuse, ce serait une trop forte charge pour certaines communes. Il pourrait d’ailleurs arriver aussi des abus de confiance, et l’on pourrait bien contribuer à faire des dupes par les faillites d’administrations de caisses d’épargne qui seraient créées forcément par les autorités communales.

Déjà l’on a fait pressentir que si l’institution des caisses d’épargne était régularisée par la loi, il faudrait qui le gouvernement consentît à faire un sacrifice annuel pour soutenir ces utiles établissements. Cela indique assez que l’on ne les érige pas si facilement que quelques-uns de nous paraissent disposés à le croire.

Je me résume. Si l’on veut l’article comme impératif, il faut l’adopter comme la section centrale l’a proposé ; s’il doit n’être que facultatif, il n’y a pas d’inconvénient à admettre la proposition de l’honorable M. Gendebien, mais en modifiant la rédaction de manière à rendre l’établissement des caisses d’épargne incontestablement facultatif.

M. Gendebien. - Vraiment, il faut en revenir aux premiers éléments pour me faire comprendre. Si vous voulez des caisses d’épargne dans toutes les villes manufacturières, dites-le donc alors. Dites : Des caisses d’épargne seront établies dans les villes manufacturières sous la surveillance des bourgmestre et échevins ; alors vous aurez un langage impératif et par conséquent législatif. Mais quand vous dites : « veille à ce qu’il soit établi, » qu’est-ce que cela signifie ?

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Si vous disiez : Des caisses d’épargne seront établies, etc.., ces caisses d’épargne devraient l’être aux frais et au nom de la commune ; tandis qu’en disant : Le collège veille à ce qu’il soit établi, ces établissements peuvent être les succursales de la caisse centrale de la société générale ou de toute autre société.

M. Gendebien. - Vous voulez une disposition obligatoire, dites-vous ? Mais où est la sanction ? L’on enverra un commissaire sur les lieux, avez-vous dit ? Mais le bourgmestre dira à ce commissaire qu’il a fait tous ses efforts pour établir une caisse d’épargne et qu’il n’a pu y parvenir. Si donc vous voulez une disposition impérative, il faut que cela résulte de la loi

D’un côté il manque une définition de ce qu’on doit entendre par ville manufacturière ; de l’autre côté il manque la force exécutoire.

Je ne tiens pas à toute cette discussion. J’ai voulu seulement démontrer que mes premières observations étaient fondées.

- La discussion est close.

M. Liedts déclare retirer son amendement.

M. Gendebien déclare retirer également son amendement.

Article 18 (nouveau)

« Art. 18 (se rapportant à l’art. 32). Le bourgmestre, ou un échevin désigné à cet effet par lui, remplit les fonctions d’officier de l’état-civil, et est particulièrement chargé de faire observer exactement tout ce qui concerne les actes et la tenue des registres de l’état-civil.

« Il peut avoir à cet effet sous ses ordres, et suivant les besoins du service, un ou plusieurs employés salariés par la commune, qu’il nomme et congédie sans en référer au conseil, qui doit toujours déterminer le nombre et le salaire desdits employés. »

M. Dubus. - Cet article a déjà été adopté par la chambre, mais j’ai à faire des observations résultant du système que la chambre a adopté, le système d’homogénéité.

Il s’agit ici d’une attribution de l’autorité communale conférée par la constitution, et qui, par l’art. 18 nouveau, appartient au bourgmestre. On ne peut pas dire qu’il y ait homogénéité ici dans le collège, puisque le bourgmestre serait chargé de l’état-civil, et qu’il pourrait se débarrasser des fatigues de cette attribution en jetant le fardeau sur un échevin que lui ne pourrait pas refuser. Voilà une différence remarquable entre les fonctions du bourgmestre et celles des échevins.

Je ferai en outre observer que cette disposition n’est pas en harmonie avec l’art. 109 de la constitution :

« La rédaction des actes de l’état-civil et la tenue des registres de l’état-civil sont uniquement dans les attributions de l’autorité communale. »

Le bourgmestre fait partie de l’autorité communale, mais il ne la conserve pas tout entière. Si l’on pouvait avoir des doutes sur le sens de ces mots : l’autorité communale, je pourrais citer le rapport de la section centrale dans lequel il est question de la rédaction de cet article. L’article 109 a été adopté tel que la section centrale l’avait présenté. Or, dans le paragraphe 10 de l’article 108, elle s’était également servie de cette expression : l’autorité communale ; l’élection directe dans les limites établies par la loi quant aux autorités communales. Elle entendait comprendre le conseil communal dans cette expression. Elle a dû avoir la même intention dans l’article 109.

Ainsi une attribution qui a été donnée à tout le conseil communal, vous la déférez au bourgmestre seul. Je ne crois pas que ce soit possible. Il me semble qu’il conviendrait de faire désigner par le conseil l’échevin chargé de l’état-civil. J’en fais même la proposition. Tous les membres du collège seraient absolument sur la même ligne.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’honorable membre pense que ma proposition n’est pas constitutionnelle. Cependant cette opinion n’a pas été partagée par la majorité de la chambre qui l’a déjà adoptée. Du reste, je ne regarde pas la proposition comme un privilège en faveur du bourgmestre. C’est une véritable charge que la rédaction des registres de l’état-civil, et dont le bourgmestre, d’après ma disposition, ne pourrait se débarrasser que sous sa responsabilité.

Du reste, si l’on préfère laisser au conseil la faculté de désigner l’officier chargé de l’état-civil, je n’ai aucune raison pour m’y opposer.

M. Dubus. - Voici l’amendement que je propose :

« Un membre du collège désigné par le conseil remplit les fonctions d’officier de l’état-civil, etc. » Le reste comme au projet.

Et ensuite j’ajoute :

« Le conseil désigne également le membre du collège qui doit remplacer l’officier de l’état-civil en cas d’absence ou d’empêchement. »

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il me semble que l’amendement de M. Dubus ne remplit pas le but que nous devons nous proposer. Il faut charger quelqu’un d’une manière impérative de tenir les registres de l’état-civil. C’est une fonction qui entraîne une grave responsabilité, qui expose celui qui la remplit à des peines d’emprisonnement et à des peines pécuniaires très fortes. Il faut bien désigner pour la remplir quelqu’un qui ne puisse pas se soustraire à cette besogne.

Je pense que l’honorable membre aurait mieux rendu sa pensée en ajoutant seulement à la rédaction du ministre de l’intérieur les mots : « désigné par le conseil, » et disant :

« Le bourgmestre ou un échevin désigné par le conseil, etc. »

Par la rédaction que propose M. Dubus, le membre du collège désigné par le conseil serait obligé de remplir les fonctions d’officier de l’état-civil ; si vous voulez qu’il soit obligé de le faire, il faut le stipuler dans l’amendement. Or, l’amendement ne prévoir que le cas d’absence ou d’empêchement, et non le refus de se charger de cette besogne.

Le bourgmestre ne sera pas jaloux de conserver la responsabilité des fonctions d’officier de l’état-civil ; il ne demandera pas mieux que de voir déléguer à cet effet un membre du collège. C’est au reste ce qui se fait dans la pratique ; car, dans les communes populeuses, là où l’état-civil a un grand nombre d’actes à faire, un des membres du collège échevinal est chargé de cette besogne. Il est délégué par le bourgmestre.

Je pense qu’il faut désigner le bourgmestre, sauf à laisser au conseil la faculté de désigner un autre membre du collège de régence. De cette manière vous imposez l’obligation au bourgmestre sans lui laisser la faculté de transporter sa responsabilité à qui bon lui semble.

Il me semble que l’amendement rédigé comme je le propose sera plus conforme à la législation existante.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je crois qu’il faudra apporter quelques changements à la deuxième partie de l’amendement proposé par M. Dubus.

Si je l’ai bien compris, il propose de dire qu’en cas d’empêchement ou d’absence, le conseil désignera celui qui devra remplacer l’échevin chargé de la tenue des registres de l’état-civil. Il y aurait danger à adopter cette mesure, car vous savez que la rédaction des actes de l’état-civil ne peut éprouver aucune espèce de retard. Il serait possible que non seulement l’échevin chargé de la tenue des actes de l’état-civil, mais aussi celui qui doit le remplacer, fussent absents ou empêchés de se rendre à l’état-civil pour faire l’office de leur charge.

Il serait plus prudent de dire qu’en cas d’absence ou d’empêchement, le membre du collège chargé de la tenue des registres de l’état-civil sera remplacé par le bourgmestre ou par l’échevin le premier dans l’ordre de nomination ; c’est-à-dire qu’on désigne tous les membres du collège pour remplacer celui qui est empêché ou absent. De cette manière, il y a certitude qu’il y aura toujours quelqu’un pour recevoir les déclarations qu’on viendra faire.

Il est important, comme chacun sait, que la rédaction des actes de l’état-civil n’éprouve jamais le moindre retard.

M. Dubus. - M. le ministre des finances a pensé que mon amendement n’était pas assez impératif. Cependant j’avais conservé les termes de la proposition de M. le ministre de l'intérieur. Voici comment est rédigé sa proposition :

« Le bourgmestre, ou un échevin désigné à cet effet par lui, remplit les fonctions, etc. »

M. le ministre des finances croit qu’il résulte de là une obligation. Eh bien, messieurs, quand je dis : « Un membre du collège désigné par le conseil remplit les fonctions, etc., » il résulte la même obligation de remplir ces fonctions. Comme c’est la même expression, elle emporte la même chose. S’il croit que l’article n’est pas assez impératif dans mon amendement, il ne l’est pas davantage dans le sien. S’il croit que dans mon amendement le membre désigné pourrait refuser, celui qu’il indique dans le sien pourrait également refuser.

Il y a un moyen de rendre l’expression plus énergique, s’il croit que de celle employée, il ne résulte pas obligation, c’est de dire, au lieu de « remplir, » « sera tenu de remplir. » Il n’y aura plus alors aucune espèce de doute.

Je rappellerai que la disposition finale que je propose est conçue en termes impératifs, car je dis : « Le conseil désigne également le membre du collège qui devra remplacer, etc. »

Quant à l’observation de M. le ministre des affaires étrangères qu’il pourrait arriver que le titulaire et le remplaçant fussent tout à la fois absents ou empêchés, et qu’il serait convenable de pourvoir à leur remplacement d’une manière qui n’oblige pas à recourir au conseil, parce qu’en cas d’urgence, il faut que quelqu’un soit là disposé à recevoir les déclarations, j’en reconnais la force et je me rallie à la modification de mon amendement dans ce sens.

On n’a qu’à dire que, dans ce cas, les fonctions appartiennent au bourgmestre et aux échevins les premiers en rang, et à défaut d’échevins, aux conseillers les premiers en rang.

M. Jullien. - Il y a un moyen très simple de faire disparaître la difficulté signalée par plusieurs honorables membres, relativement à l’obligation imposée à l’officier de l’état-civil désigné, soit comme titulaire, soit comme remplaçant, en cas d’absence ou d’empêchement du titulaire. C’est de poser le même principe que dans la constitution, et de dire :

« Le collège des bourgmestre et échevins est chargé de la tenue des actes de l’état-civil. »

Dès l’instant que vous acceptez la qualité de membre du collège, vous prenez toutes les obligations qui en cette qualité pourront vous être imposées.

Après avoir posé le principe que le collège des bourgmestre et échevins est chargé de la tenue des actes de l’état-civil, pour l’exécution, vous faites les désignations indiquées par l’honorable M. Dubus. Le conseil choisit dans le collège celui qui sera chargé de la tenue des registres, et vous pourvoyez en même temps au remplacement en cas d’absence ou d’empêchement.

Il est impossible alors de décliner l’obligation ; car, en acceptant la qualité d’échevin, vous vous êtes obligé à en remplir toutes les fonctions, et notamment à tenir les registres de l’état-civil, conformément au mode qui sera indiqué par la loi.

M. le président. - Je vais mettre les amendements de MM. Jullien et Dubus aux voix.

M. Legrelle. - Il me semble qu’il est impossible d’adopter ces amendements, car on retombe dans l’inconvénient signalé par M. le ministre des affaires étrangères. Je propose, après l’amendement de M. Jullien, de dire :

« Le bourgmestre, ou un échevin désigné à cet effet par le collège, remplit, etc. »

De cette manière toute la responsabilité serait au collège, qui réglerait cet objet d’administration.

M. Bosquet. - Je me proposais de donner mon assentiment à l’amendement de M. Jullien ; mais je ne puis l’admettre avec le sous-amendement de M. Legrelle. Ce sous-amendement pourrait avoir les conséquences les plus graves, il soustrairait les officiers de l’état-civil à toute responsabilité.

Ne perdez pas de vue que le code prononce, dans certains cas, contre les officiers de l’état-civil des peines d’emprisonnement et d’amende. Elles sont, il est vrai, appliquées très rarement, mais elles ont un effet très salutaire.

Comment poursuivre un collège pour des actes qui renferme des infractions à telle ou telle disposition du code civil ? Je crois qu’un collège peut bien veiller à l’exécution des lois relatives à l’état-civil ; mais qu’il se fasse collectivement officier de l’état-civil, c’est ce que je ne comprends pas.

Voici l’amendement que je proposerai :

« Le collège veille à la tenue des registres de l’état civil. Le bourgmestre ou l’un des échevins désigné par le collège remplira les fonctions d’officier de l’état-civil. »

Mais ce membre assumera sur lui la responsabilité des actes.

M. Legrelle. - C’est comme cela que je l’entends ; ce sera le membre délégué, celui qui signera qui aura la responsabilité.

M. Pollénus. - Je proposerai un sous-amendement ainsi conçu :

« En cas d’absence ou d’empêchement, l’officier délégué sera remplacé momentanément par le bourgmestre, un échevin ou un conseiller dans l’ordre des nominations. » (Aux voix ! aux voix !)

- L’amendement proposé par M. Jullien est mis aux voix et adopté.

M. le président. - Je vais mettre aux voix l’amendement de M. Dubus, qui propose de faire désigner l’officier de l’état-civil par le conseil.

M. Gendebien. - On ne peut pas attribuer au conseil la nomination de l’échevin qui sera chargé de la tenue des registres de l’état-civil. La responsabilité morale de la tenue de ces registres porte sur tous les membres du collège, et la responsabilité légale porte sur celui qui est chargé de la rédaction des actes. Vous ne pouvez pas sortir du collège pour la nomination du délégué.

M. Dubus. - Je retire mon amendement ; mais je demande qu’on substitue les mots : « sera tenu de remplir » à celui : « remplira, » si on trouve que cette dernière expression n’est pas assez impérative.

M. le président. - Je vais mettre aux voix le deuxième paragraphe :

« Le bourgmestre, ou un échevin désigné à cet effet par le collège, remplit les fonctions d’officier de l’état-civil et est particulièrement chargé de faire observer exactement tout ce qui concerne les actes et la tenue des registres de l’état-civil. »

- Adopté.

« Il peut avoir, à cet effet, sous ses ordres, et suivant les besoins du service, un ou plusieurs employés salariés par la commune, qu’il nomme et congédie sans en référer au conseil, qui doit toujours déterminer le nombre et le salaire desdits employés. »

- Adopté.

Amendement proposé par M. Pollénus : « En cas d’empêchement, l’officier délégué sera remplacé momentanément par le bourgmestre, un échevin ou un conseiller dans l’ordre respectif des nominations. »

- Adopté.

L’ensemble de l’article ainsi amendé est également adopté.

Article nouveau (correspondant à l’art. 29 du projet)

« En cas d’émeute, d’attroupements hostiles, d’atteintes graves portées à la paix publique, ou d’autres événements imprévus, lorsque le moindre retard pourrait occasionner des dangers ou des dommages pour les habitants, les bourgmestre et échevins pourront faire des règlements et ordonnances de police, à charge d’en donner sur-le-champ communication au conseil, et d’en envoyer immédiatement copie au gouverneur, en y joignant les motifs pour lesquels ils ont cru devoir se dispenser de recourir au conseil. L’exécution pourra être suspendue par le gouverneur. Dans les cas mentionnés au présent article, le collège des bourgmestre et échevins pourra délibérer, quel que soit le nombre des membres présents. En cas de partage, la voix du président est prépondérante. »

M. Dubus. - Je crois que cet article, qui est le même que celui qui a été adopté au dernier vote, présente une lacune. Il investit dans les cas extraordinaires les bourgmestre et échevins du droit de faire des règlements et ordonnances de police. D’après la loi communale c’est au conseil qu’appartient le droit de faire ces règlements et ordonnances. Ce n’est donc que comme suppléant le conseil dans les cas de danger où le moindre retard serait préjudiciable à la chose publique, qu’ils feront ces règlements. Aussi leur prescrit-on d’en donner immédiatement communication au conseil, et de faire connaître au gouverneur les motifs pour lesquels ils ont cru devoir se dispenser de recourir au conseil.

Mais ce que ne dit pas l’article, c’est ce que deviendront ces règlements, le moment du danger passé.

Je proposerai d’ajouter cette disposition : « Ces règlements cesseront immédiatement d’avoir leur effet, s’ils ne sont confirmés par le conseil à sa plus prochaine réunion. »

- L’article est adopté avec cet amendement.

Art. 18 ter (art. 29 du projet.)

« En cas d’émeute, d’attroupements hostiles ou d’atteintes graves portées à la paix publique, le bourgmestre pourra requérir directement l’intervention de la garde civique ou de l’autorité militaire, qui seront tenues de se conformer a sa réquisition.

« La réquisition devra être faite par écrit. »

M. Verdussen. Je propose de remplacer le mot « bourgmestre » par le mot « président. »

M. Dumortier, rapporteur. - Le changement ne peut pas être admis. C’est à cause de cette disposition qui donne au bourgmestre ou à celui qui le remplace le droit de requérir la force publique, qu’on a établi l’incompatibilité entre les fonctions de bourgmestre et le service de la garde civique. Il n’y aurait plus corrélation entre les dispositions de la loi si vous ne mainteniez pas ici le mot « bourgmestre. »

M. Gendebien. - Je crois que l’observation mérite attention ; il s’agit de requérir ; il ne faut pas le moindre doute sur le pouvoir de celui qui requiert ; il faut qu’il soit bien entendu que c’est le bourgmestre ou celui qui le remplace.

- Ces mots : « le bourgmestre ou celui qui le remplace, » mis aux voix, sont adoptés.

M. le président. - Nous passerons à la disposition suivante :

« Sur la sommation faite et trois fois répétée par le bourgmestre ou par tout autre officier de police, les perturbateurs seront tenus de se séparer et de rentrer dans l’ordre, à peine d’y être contraints par la force, sans préjudice des poursuites à exercer devant les tribunaux contre ceux qui se seraient rendus coupables d’un fait punissable suivant les lois. »

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je demanderai aussi que l’on mette : le bourgmestre ou celui qui le remplace.

M. Pollénus. - Je demanderai qu’au lieu d’« officiers de police, » on mette « commissaires de police. »

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Dans les communes rurales il n’y a pas de commissaires de police ; les échevins sont officiers de police ; l’officier de police dans les villes est un commissaire de police.

M. Pollénus. - Il n’y a pas d’inconvénient à indiquer le fonctionnaire ; l’article n’est pas fait pour les communes rurales, mais pour les grandes villes ; il faut prévenir les conflits.

M. Legrelle. - Je voudrais qu’on dît : « le bourgmestre, les échevins ou tout autre officier de police. » Il faut que la farce armée obéisse aussi bien aux échevins qu’au bourgmestre. Il est souvent nécessaire de se porter à la fois dans plusieurs endroits d’une ville ; alors il faut que les bourgmestre et échevins et tel autre officier de police aient les mêmes pouvoirs.

Nous avons été les victimes des attroupements ; il faut prendre tous les moyens pour les réprimer ; c’est un scandale qu’il faut repousser de toutes nos forces.

M. Fallon. - Si on laisse substituer le mot « officier de police, » attendra-t-on que les gardes champêtres puissent faire les sommations, car on leur a donné le titre d’officiers de police ?

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Il faut nécessairement mettre : par le bourgmestre, les échevins ou un commissaire de police.

M. Pollénus. - Je me rallie à cette rédaction.

M. Dumortier. - Je soumettrai une difficulté à l’assemblée : il n’y a pas que les bourgmestres, échevins et commissaires de police qui puissent requérir la force armée, il y a aussi les procureurs généraux.

M. Gendebien. - Cela ne préjudicie pas à leur droit.

- La rédaction proposée par M. le ministre de l’intérieur est adoptée.

Article 19

« Art. 19. Le collège des bourgmestre et échevins est chargé du soin d’obvier et de remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par les insensés et les furieux laissés en liberté.

« S’il y a nécessité de déposer la personne de l’insensé ou du furieux dans un hospice, maison de santé ou de sécurité, il en sera donné avis dans les trois jours au juge de paix ou au procureur du Roi. »

M. Lebeau. - Je ne veux pas proposer un amendement, mais un changement de rédaction à la fin du deuxième paragraphe de cet article 19.

Je voudrais que l’on mît à la fin de ce paragraphe :

« Il y sera pourvu par le collège, à charge d’en donner avis, dans les trois jours, au juge de paix ou au procureur du Roi. »

M. Dumortier, rapporteur. - Lorsque nous avons fait la loi, nous avons compris que c’était à l’autorité judiciaire à ordonner le dépôt définitif dans une maison de santé ; voilà comment nous avons envisagé la question.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’honorable préopinant est complètement dans l’erreur : il suffit, pour le prouver, de rappeler à la chambre ce qui s’est passé lors du premier vote.

Vous avez voulu, messieurs, que l’autorité municipale pût prendre les mesures que l’intérêt d’une bonne police rendrait nécessaires, tant dans l’intérêt des insensés que de leur famille et de la chose publique ; mais en même temps, on a voulu donner des garanties contre toute mesure abusive, en ordonnant d’avertir le juge de paix et le procureur du Roi du dépôt qui a été opéré, pour que ces magistrats puissent s’assurer si c’est véritablement un insensé qui est arrêté, et s’il n’y a pas atteinte à la liberté individuelle ; car ces magistrats, d’après l’article 616 du code d’instruction criminelle, sont obligés, sous leur propre responsabilité, de prendre toutes les mesures pour faire cesser toute arrestation arbitraire.

La discussion sur cet article a duré deux jours. Des amendements dans le sens indiqué par le préopinant ont été présentés et rejetés à une majorité de 56 voix contre 12. L’amendement de l’honorable M. Lebeau améliore la rédaction sans altérer la pensée de la chambre ; il n’y a aucune difficulté à l’accueillir.

- L’amendement de M. Lebeau, mis aux voix, est adopté.

L’ensemble de l’article mis aux voix est adopté.

Article 20

« Art. 20. Au collège des bourgmestre et échevins appartient la surveillance des personnes et des lieux notoirement livrés la débauche.

« Ils prennent à cet effet les mesures propres à assurer la sûreté, la moralité et la tranquillité publique.

« Le conseil fait à ce sujet tels règlements qu’il juge nécessaire et utile. »

Le ministre se rallie à la section centrale qui a propose cet article.

L’art. 20 mis aux voix est adopté.

Article 21

« Art. 21. La police des spectacles appartient au collège des bourgmestre et échevins ; ce collège veille à ce qu’il ne soit donné aucune représentation théâtrale qui soit contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public.

« Il peut même, dans des circonstances extraordinaires, interdire toute représentation, pour assurer le maintien de la tranquillité publique. »

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux) présente l’amendement suivant pour remplacer cet article :

« La police des spectacles appartient au collège des bourgmestre et échevins ; il peut, dans des circonstances extraordinaires, interdire toute représentation, pour assurer le maintien de la tranquillité publique.

« Ce collège exécute les règlements faits par le conseil communal pour tout ce qui concerne les spectacles. Le conseil veille à ce qu’il ne soit donné aucune représentation contraire aux bonnes mœurs ou l’ordre public. »

M. Vandenbossche. - Messieurs, disposé à voter la suppression de l’article 20 du projet relatif à la police des spectacles, je crois devoir motiver mon vote, d’autant plus que ses dispositions avaient déjà réuni la majorité de la chambre dans une précédente discussion, et que d’ailleurs quelques personnes semblent en faire une question de bonne morale, que je désire dans toutes les classes de la société, et même presqu’une question de catholicisme, auquel j’appartiens.

J’en demande la suppression, et en tous cas je voterai contre l’article :

1° Parce que je le regarde comme inconstitutionnel ;

2’ Parce que j’y vois un brandon de discorde ;

3° Parce que j’y aperçois une tendance liberticide ;

4° Parce que je n’y vois pas un moyen pour améliorer les mœurs, ce qui devrait être le but qu’on se propose.

Je m’explique. J’ai dit que je regarde l’article comme inconstitutionnel.

Toutes les mesures que l’article ainsi que l’amendement de M. le ministre consacrent sont préventives. Mais qu’est-ce qu’un spectacle ? Un spectacle est, à mon avis, un enseignement public, et, soit bon soit mauvais, toujours est-il vrai que c’est un enseignement. Mais en matière d’enseignement, d’après l’article 17 de la constitution, toute mesure préventive est interdite.

Donc l’article viole la constitution dans son article 17.

L’article prescrit « de veiller à ce qu’il ne soit donné aucune représentation théâtrale qui soit contraire aux bonnes mœurs. »

Pour moi, je tiens la religion pour la source de toute morale ; ce que l’une condamne, une autre l’approuve. Ne trouve-t-on pas des religions qui admettent la bigamie, la polygamie, le concubinage, etc., mœurs que le catholicisme condamne, et regarde comme éminemment immorales ? Ceci posé, en face de notre constitution qui établit, article 14 : « La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties. », une loi peut-elle constitutionnellement parler de bonnes ou de mauvaises mœurs ? A mon avis, non. La loi peut établir des convenances sociales, punir leur infraction. Mais, pour des mœurs, un Etat constitutionnellement indifférent en matière religieuse ne peut point en avoir de déterminées, et sous ce point de vue, les dispositions sur la police des spectacles constituent aussi une violation de l’article 14 de la constitution.

J’ai dit, deuxièmement, que j’y vois un brandon de discorde.

Qui décidera si la pièce est contraire ou non aux bonnes mœurs ?

J’ai dit que je tiens la religion pour la source de toute morale. Conséquent avec ce principe, je crois le ministre de la religion communément le plus compétent pour en décider ; et comme la grande majorité du peuple belge est catholique, les curés ne manqueront pas d’être consultés et de décider sur la moralité ou l’immoralité de chaque représentation théâtrale. Or, si le curé la trouve attentatoire aux bonnes mœurs, et que la régence ne veuille point l’écouter, il les traitera pour des enfants rebelles ; s’ils l’écoutent, on pourrait fort bien voir fermer les théâtres, et alors le peuple criera ; et on aurait peut-être des émeutes à apaiser. Et voilà comme l’article serait continuellement un sujet de discorde.

J’ai dit, troisièmement, que j’y aperçois une tendance liberticide.

L’article prescrit, en second lieu, « de veiller à ce qu’il ne soit donné aucune représentation théâtrale qui soit contraire à l’ordre public. »

Mais quelle serait la pièce contraire à l’ordre public, qui ne le serait pas en même temps aux bonnes mœurs ? Ce sera toutes ces représentations, messieurs, que l’on croira pouvoir servir à exalter, dans le peuple, l’esprit de liberté et l’aversion du despotisme. Or, c’est cet esprit et cette aversion qui ont fait la révolution ; notre gouvernement, qui ne veut point devenir despote, n’aura jamais rien à craindre de ce chef ; pourrait-on donc convenablement, dans les circonstances où nous nous trouvons, vouloir étouffer cet esprit de liberté, que nous aurons peut-être besoin de ranimer encore là où il s’affaisse, pour repousser les despotes qui voudraient nous envahir ?

J’ai dit, quatrièmement, que je n’y vois pas un moyen pour améliorer les mœurs.

Je ne veux point contredire qu’une représentation théâtrale n’exerce un plus grand effet sur l’esprit de grand nombre de personnes que bien la simple lecture de la pièce dans un livre. Mais ce que la régence interdirait dans une ville, sera autorisé dans une autre, et les feuilles publiques en feraient un sujet de scandale.

D’ailleurs, ne fréquente le théâtre que celui qui le veut bien : tout homme a intérêt que les bonnes mœurs règnent dans sa maison. Que les pères et mères de familles surveillent leur enfants, qu’eux leur interdisent de fréquenter ces représentations qui pourraient porter atteinte à leur innocence ou à leur vertu : ce sont eux qui y ont le premier intérêt.

La corruption des mœurs est déplorable, messieurs, mais la police des spectacles ne les relèvera pas de leur dépravation ; le gouvernement doit y veiller par d’autres moyens qu’il a en son pouvoir.

Qu’il veille à ce que les employés qu’il a sous ses ordres, et dont il a le droit de disposer, ne donnent point l’exemple de la dépravation ; cette dépravation de mœurs, qui a pénétré presque dans toutes les villes et communes, se rencontre encore notamment dans l’armée. J’ai entendu plus d’un honorable membre se plaindre dans cette chambre de la démoralisation de la jeunesse partout où des militaires se trouvent ou se sont trouvés en garnison ou en cantonnement, et de la masse d’enfants naturels qui en sont les malheureux rejetons. A qui la faute ? Il est clair que si les chefs montraient une horreur pour ce libertinage, les simples ne s’y abandonneraient point. Mais ce sont les chefs que l’on trouve, communément, les plus indifférent envers la religion, et souvent les plus adonnés aux passions brutales. C’est au gouvernement à y porter remède ; il a le pouvoir d’arrêter tous ces scandales : qu’il les arrête, et à l’armée et parmi ses autres employés, et bientôt on verra les bonnes mœurs régner dans toutes les classes du peuple.

Je ne prétends pas que le gouvernement astreigne qui que soit à avoir de la religion ou de la morale. Mais je crois que le gouvernement est en droit de prescrire à tous les employés l’observance des convenances sociales. Or, il est de convenance sociale de respecter les personnes de la maison où l’on est reçu et notamment où l’on est forcé de vous recevoir et de vous loger.

Si donc un militaire logé chez un bourgeois en séduit ou prostitue la fille, il faut qu’on le punisse, fût-il un colonel même un général.

Il est de convenance sociale que l’on respecte la religion, ses rites et ses ministres, de l’endroit où on se trouve. Un militaire qui n’a pas de religion ne doit pas aller à l’église, à la procession ou converser avec les prêtres ; mais il doit s’abstenir d’aller à l’église, quand il ne veut y aller que pour y porter le trouble ; il doit s’abstenir de la procession, quand il ne veut que s’en moquer ; il doit s’abstenir de parler au prêtre, quand il n’a que des impertinences à lui dire.

Il est de convenance sociale, pour un chef militaire, de ne point contrarier ses subalternes dans leur croyance ou dans la pratique de leur religion, de les punir ou même de les ridiculiser par rapport à ces pratiques.

Il est de convenance sociale de ne pas jurer et blasphémer Dieu dans une société où ces termes pourraient choquer et servir de scandale pour quelques-uns des assistants.

Je n’entends pas refuser à MM. les officiers le plaisir de jurer et de blasphémer Dieu et ses saints ; mais je désirerais qu’ils jurent tout seuls, afin de ne point scandaliser les autres, ou qu’ils se réunissent, à cet effet, en comité secret, autant qu’il s’en trouve de la même opinion, et que là ils jurent et blasphèment autant qu’ils voudront.

Des prescriptions analogues aux officiers et militaires et employés du gouvernement serviraient merveilleusement à faire régner les bonnes mœurs, et même à améliorer le moral et l’esprit guerrier de l’armée.

Ceci pourrait recevoir des développements plus étendus ; mais comme je n’ai voulu que motiver mon vote, je n’entrerai point dans de plus longs détails. Je pense que le gouvernement peut seul par de pareilles prescriptions travailler efficacement à l’amélioration des mœurs.

M. Nothomb. - Messieurs, la proposition qui vous est soumise, a été incidemment présentée comme amendement par M. le ministre de l’intérieur, et votée presque séance tenante ; aux termes de notre règlement, ceux qui l’ont adoptée n’ont émis qu’un vote provisoire et peuvent aujourd’hui le réformer sans crainte d’inconséquence ; ils ne feront qu’exercer un droit qu’ils s’étaient réservé. Cette première observation m’a paru nécessaire pour mettre à l’aise tous les amours-propres. Le reproche d’inconséquence ne se serait adressé qu’aux députés individuellement. Il est un autre reproche plus grave qui aurait pu atteindre la chambre entière. De scandaleuses, de menaçantes manifestations ont suivi le premier vote ; si l’assemblée avait été appelée à procéder immédiatement au vote définitif, elle aurait pu, en revenant sur ses pas, être accusée de reculer devant des résistances du dehors ; une question de dignité aurait pu s’élever ; car il ne faut pas que de la rue, que du haut d’une borne, on puisse faire la loi à la tribune politique. Mais plus d’une année s’est écoulée ; cette assemblée a même été partiellement renouvelée ; les circonstances qui auraient pu compromettre la liberté parlementaire sont déjà loin de nous.

La nouvelle rédaction qui nous a été communiquée à l’ouverture de la séance, au nom de M. le ministre de l’intérieur, ne change rien à l’état de la discussion, et je dois en faire la remarque, le conseil entier est substitué au collège des bourgmestre et échevins : il ne s’agit que du mode d’exercice du droit ; mais l’étendue du droit reste la même.

La proposition soulève une première question : « Les représentations théâtrales peuvent-elles être soumises à des mesures préventives ? »

La constitution a affranchi la presse de toute censure, mais l’art dramatique n’est pas la presse ; le théâtre a existé et pourrait encore exister sans la presse. L’art dramatique participe à la liberté de la pensée, mais il l’exerce par un mode particulier qu’on ne saurait de bonne foi assimiler à l’imprimerie : autre chose est de distribuer un écrit à des lecteurs épars, qui se passionnent isolément et par eux-mêmes ; autre chose de parler à la multitude réunis, de l’électriser par tous les prestiges de la scène, de l’agiter, de l’entraîner, d’en disposer en masse. Sous ce rapport, la pensée périodique elle-même, bien qu’elle s’adresse presque simultanément à des milliers d’abonnés dispersés, n’égale pas en puissance l’art dramatique. Il y a ici plus d’une manifestation d’opinion, plus qu’un écrit : il y a mise en action de la pensée, avec toutes les illusions de la réalité.

D’ailleurs les mesures préventives à l’égard des représentations théâtrales laissent sauve la facilité d’imprimer, de publier et de vendre la pièce à laquelle on ferme seulement l’accès de la scène, et que l’auteur reste libre de communiquer au public dans les limites du droit de la presse.

Voilà ce qu’on peut dire sur la première question ; voilà ce qu’ont dit, il y a peu de mois, à la tribune de France, des représentants de tous les partis, M. Thiers comme M. Odillon-Barrot, M. Sauzet comme M. de Lamartine.

« Mais dans quels cas et pour quels motifs ces mesures préventives pourront-elles être autorisées ? »

Telle est la seconde question ; c’est ici que le dissentiment commence, et que, non sans regret, je suis obligé de m’éloigner de la rédaction proposée par M. le ministre de l’intérieur. Je me hâte de la mettre en regard de la loi votée récemment en France ; le projet qui vous est proposé autorise la suspension de toute représentation « contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public « .c ; l’art. 22 de la loi du 9 septembre 1835 n’autorise de suspension que « pour des motifs d’ordre public. » Il y a là deux systèmes bien différents dans leurs principes et leur but.

Fixons-nous d’abord sur la nature des dangers qui peuvent résulter, pour l’ordre public, d’une représentation dramatique ; en général, le danger n’est pas inhérent à la pièce même. Il naît des circonstances, il naît à ces époques où l’atmosphère, en quelque sorte électrique, vient s’enflammer aux illusions de la scène. Choisissons un exemple célèbre : rien de moins menaçant pour un gouvernement quelconque, que l’opéra de la Muette de Portici, qui nous retrace une révolution éphémère, qui nous la montre se précipitant vers une inévitable restauration : double leçon, et pour le peuple qui croit que tout est fait lorsque l’émeute a triomphé, et pour les démagogues qui voient ce peuple briser si vite ses instruments d’un jour.

Cependant, voilà la pièce qui a servi de prologue à notre révolution ; voilà la pièce dont la régence de Bruxelles a sagement interdit la représentation pendant les déplorables journées d’avril 1834. Pourquoi ? parce que, dans l’une et l’autre occasion que je rappelle, le double dénouement, la catastrophe du tribun, la catastrophe du peuple, s’effaçait devant les préoccupations populaires ; tout le drame se résumait dans l’insurrection triomphante. Par elle-même, la pièce que je cite n’est donc pas de nature à troubler le bon ordre ; la représentation de cette pièce n’a pu avoir cet effet qu’accidentellement, et, ajoutons, passagèrement. J’en conclus qu’aucune suspension ne devrait être prononcée d’une manière indéfinie, qu’elle devrait l’être pour un certain temps, sauf à renouveler la mesure, si les circonstances extraordinaires se prolongeaient au-delà des premières prévisions.

Ce sont donc en général les circonstances qui déterminent s’il y a danger pour l’ordre public, ou non ; mais comment reconnaîtrez-vous s’il y a danger pour les bonnes mœurs ? Je conçois qu’il puisse y avoir des attentats si audacieux que l’indignation publique les proclame en quelque sorte ; mais dans ces cas, très rares, il y a également atteinte au moins indirecte à l’ordre public. Quand le fait ne se produit pas avec ce degré d’évidence et d’unanimité, par quel principe vous guiderez-vous, quelles limites poserez-vous ? Comment définirez-vous l’immoralité ? La tendance immorale ou irréligieuse, la simple allusion dans laquelle l’art se complaît, ne seront-elles pas recherchées ? Tout en votant pour la proposition, un honorable orateur l’a déclarée inapplicable.

« On parle de moralité, disait M. Dechamps dans votre séance du 30 novembre 1834, mais qu’est-ce ? Ecoutez les définitions, et vous sentirez combien l’amendement de M. le ministre est peu applicable malgré ses bonnes intentions. » La critique de la loi est dans ce peu de mots que je m’empresse de m’approprier. Il y a peu de représentations qu’un homme austère ne puisse incriminer. N’y a-t-il pas quelque chose de dangereux dans la haute conception du Misanthrope qui montre à la foule les ridicules de la vertu même ? Un seul vaudeville échappera-t-il à la proscription du rigoriste ? Et que ferez-vous du ballet ? Je ne parle pas des scrupules religieux ; pour proscrire le théâtre, on consultera les philosophes et les auteurs dramatiques eux-mêmes. On exécutera votre loi en invoquant Rousseau, qui anathématisa l’art dramatique en principe, et qui voulut en préserver sa cité natale comme d’un fléau ; on invoquera Racine qui finit par considérer ses premiers chefs-d’œuvre comme les péchés de son génie.

Essayons de placer la question plus haut. Quelle est aujourd’hui la mission du gouvernement ? A-t-il encore la direction intellectuelle, religieuse, morale de la société ? Non ; il est chargé de la conserver matériellement ; l’ordre public est son domaine ; hors de là, vous le frappez d’incompétence. La direction intellectuelle, religieuse et morale est en dehors de l’état politique ; vous l’avez ainsi voulu. A tort ou avec raison, car je cite un fait, la société s’est crue assez forte, assez éclairée, assez probe pour se diriger elle-même dans les voies de l’intelligence, la religion et de la morale. C’est là ce qui caractérise les peuples modernes, c’est là ce qui distingue spécialement la Belgique ; on pourrait résumer par ces mots le chapitre II de notre constitution : « Non-intervention du gouvernement dans la direction intellectuelle, morale et religieuse du pays. » Ne sera-ce pas dans l’ordre social, tel que vous l’avez fait, une inconséquence, une anomalie, que d’instituer une autorité chargée de prévenir le public que telle œuvre dramatique est contraire ou non à la religion et à la morale, d’investir nos régences du droit de dresser une espèce d’index dramatique ?

Je déplore comme vous la dégradation du théâtre, je la déplore au nom de l’art et des mœurs ; mais je ne partage pas vos craintes ; avez-vous perdu toute confiance en vos concitoyens ? Ceux que vous avez jugés dignes d’être électeurs et jurés, de jouir de la liberté de la presse, de la liberté d’association, de la liberté de l’enseignement, les jugez-vous incapables, soit par excès d’ignorance, soit par excès de corruption, d’apprécier une pièce de théâtre, sous le rapport du juste et de l’honnête ? Si vous avez cette défiance, vous n’aurez point assez fait en restituant à l’autorité le droit d’apprendre au public si telle pièce est morale ou non ; ce ne sera qu’une première restitution, il faudra rétablir une tutelle plus large plus générale.

Nous venons de traverser cinq orageuses années ; sur la scène comme ailleurs, on a tout osé, car le théâtre ne pouvait faire exception. Vous avez cité des drames fameux ; ils resteront comme monuments historiques d’une époque de désordre littéraire, d’une époque qui a connu tous les désordres ; combien de fois ces drames ont-ils été représentés sur les théâtres de Belgique ? Combien de spectateurs y avait-il, et quels étaient-ils ? Si la mesure que vous demandez est indispensable, c’est que durant ces cinq années de liberté théâtrale il y a eu sans doute d’affreux abus ? Enumérez-les. Pour moi, j’ai assisté, et même aux premières représentations de ces drames que vous redoutez, et c’était dans une salle presque vide ; les pièces se jouaient pour l’amusement de quelques oisifs qui auraient pu employer plus mal leur inutile soirée, pour l’instruction de quelques littérateurs qui veulent étudier l’art même dans ses excès. A part toute considération de principe, je repousserais cette partie de la disposition comme inutile ; si elle était nécessaire, il faudrait désespérer de tous les pères de famille.

Les événements sont loin de prouver que l’intervention du gouvernement soit nécessaire pour sauver l’art et la morale. Qui a provoqué la réaction littéraire qui s’opère en ce moment ? N’est-ce pas le public lui-même ? Les drames qui vous épouvantent ont disparu ou sont sur le point de disparaître du répertoire : il y a un moyen de les y maintenir, c’est de les proscrire par les lois ; il y a un moyen d’arrêter la salutaire réaction qui doit ramener la littérature aux sources du vrai et du beau, c’est d’intervenir violemment par les lois dans cette réaction qui veut être libre et spontanée.

On objectera sans doute que la législation civile et criminelle est restée gardienne des bonnes mœurs, que le code civil répute non écrite toute condition contraire aux bonnes mœurs, que le code pénal punit tout outrage public à la pudeur ; on présentera la disposition qui protège les bonnes mœurs sur le théâtre comme un complément du code civil et du code pénal. Il n’y a aucune contradiction entre ces codes et la mission toute matérielle attribuée au gouvernement ; il me serait facile de montrer que nos codes sont rédigés dans cet esprit : n’a-t-on pas écarté de la liste des crimes et délits un grand nombre d’actions immorales frappées de peines par les anciennes lois ? Le code civil refuse de reconnaître des droits qui auraient leur source dans l’accomplissement d’une condition contraire aux bonnes mœurs ; il ne s’agit point ici d’apprécier des doctrines, de préciser des tendances, de définir des expressions ; il s’agit d’actes, consommés ou à venir, que souvent la loi pénale ne punit plus et où la loi civile refuse de voir l’origine du droit.

Lisez la section IV, titre I, livre III du code pénal de 1810, et comparez-en les dispositions avec les anciennes lois faites dans des temps où le gouvernement exerçait une domination religieuse et morale sur la société ; une foule d’actes très répréhensibles moralement sont aujourd’hui soustraits à la répression pénale, et ceux qui s’en rendent coupables n’en répondent plus que devant Dieu et la conscience publique : tant il est vrai que le législateur moderne a restreint sa sphère d’action en voulant rendre le citoyen libre, il lui laissé jusqu’au droit de n’être ni religieux ni vertueux. On peut gémir sur cet état de choses ; mais il faut bien le reconnaître.

Mais, dira-t-on, le théâtre peut devenir un apostolat politique ; l’art ne sera pas le but des représentations ; il s’agira d’inspirer aux populations ouvrières la haine de toutes les supériorités sociales, le mépris de la religion et de ses ministres, le mépris du droit de propriété. Si ce prétendu enseignement par le théâtre va trop loin, usez des lois répressives, demandez-en de nouvelles ; vous aurez d’ailleurs une disposition préventive que la majorité de cette chambre, je le pense, ne vous contestera point, et qui vous permet de suspendre les représentations attentatoires à l’ordre public. Les larges mesures préventives séduisent facilement le pouvoir ; la prévention empêche indistinctement, et dispense de toute surveillance quotidienne et de détail.

Derrière de larges dispositions préventives, le pouvoir peut se reposer ; armé seulement de lois répressives, il faut qu’il sorte de l’inaction en déployant un certain courage politique. Peu de mesures préventives, de fortes mesures répressives et leur exécution rigoureuse, voilà ce que je veux. La mauvaise presse est devenue l’épouvante des honnêtes gens, et pourquoi ? Est-ce par le défaut de censure ? Non, c’est par l’inexécution des lois répressives.

Cette inexécution, en se prolongeant, finira par faire croire faussement qu’il n’y a d’autre remède que la censure, et ce serait un malheur que de laisser s’accréditer cette opinion. L’état de la presse ne prouve donc rien en faveur des mesures préventives, il n’atteste qu’une chose l’absence, des dispositions répressives ou leur inexécution.

Je me résume, messieurs ; j’appuierai tout amendement qui ramènera la proposition à de justes limites, en la bornant aux représentations hostiles à l’ordre public ; le reste, je l’écarte comme inutile en fait, et comme incompatible en principe avec l’esprit de nos institutions.

M. Seron. - Messieurs, lors de la discussion, en novembre 1834, de l’article dont vous vous occupez aujourd’hui pour la seconde fois, il s’est élevé des doutes sur la question de savoir si les lois de l’assemblée constituante et de la convention nationale, invoquées alors par le ministre de l’intérieur en faveur de la censure, ont jamais été obligatoires pour la Belgique. J’ai consulté le recueil des lois françaises publiées à Bruxelles, à dater du 21 messidor an II, et j’y trouve :1° les sept premiers articles, publiés le 25 ventôse an V, du titre 2 de la loi des 16-24 août 1790 sur l’organisation judiciaire, dont un seul, le quatrième, est relatif aux théâtres : ce quatrième article porte que les spectacles publics ne pourront être permis et autorisés que par les officiers municipaux ; 2° la loi entière des 13-19 janvier 1791, publiée le 25 ventôse au IV, où l’on lit, article 6, que les officiers municipaux ne pourront arrêter ni défendre la représentation d’une pièce, sauf la responsabilité des auteurs et des comédiens ; 3° la loi du 12 floréal an III, publiée le 21 brumaire an IV, laquelle charge le comité public de prendre tous les moyens d’encouragement pour diriger les théâtres vers l’unique but des travaux de la convention nationale, celui d’affermir la république.

J’y trouve, en outre, un arrêté du directoire exécutif, du 18 nivôse an V, ayant pour objet de faire jouer chaque jour au théâtre, avant le lever de la toile, les airs chéris des républicains, tels que la Marseillaise, Ça ira, Veillons au salut de l’empire et le Chant du départ ; de faire chanter entre les deux pièces l’Hymne des Marseillais, et d’empêcher de jamais chanter l’air homicide dit le Réveil du peuple.

Enfin, j’y trouve un autre arrêté du directoire exécutif du 25 pluviôse an IV, auquel M. de Theux donne le nom de décret et la date du 14 février 1796, bien que le directoire n’ait jamais eu le droit de faire des décrets et n’en ait jamais fait, et que le 14 février 1796 ne réponde pas au 25 pluviôse an IV. Cet arrête fait mention de la loi du 14 août 1793 ; il parle aussi de celle du 2 août, aux termes de laquelle on jouait, de par et pour le peuple, le jugement dernier des rois de Sylvain Maréchal ; et conformément à l’art. 2 de cette dernière loi, il ordonne aux municipalités de fermer les théâtres sur lesquels seraient représentées des pièces tendantes à dépraver l’esprit public et à réveiller « la honteuse superstition de la royauté. » Mais j’ai inutilement cherché dans le recueil ces deux lois révolutionnaires dont le ministre de l’intérieur étaie son opinion ; elles n’y sont pas, elles n’ont jamais été publiées ici.

Indépendamment de ces arrêtés et de ces lois, il existe encore dans vos codes deux décrets impériaux considérés sans doute par le ministère comme ayant force de loi ; l’un du 21 frimaire an XIV, l’autre du 8 juin 1800. Le premier attribue au commissaires généraux de police la censure des ouvrages dramatiques et confie aux maires la police des théâtres, en ce qui concerne seulement le maintien de l’ordre et de la sûreté. Le second veut qu’aucune pièce ne soit jouée sans l’autorisation du ministre de la police générale. Je ne parle pas d’un troisième décret impérial en date du 29 juillet 1807, parce qu’il me paraît s’appliquer uniquement à la bonne ville de Paris.

En mettant à l’écart, comme annulée, la loi du 13-19 janvier 1791, et, comme non publiées, celles du 2 et du 14 août 1793, il resterait encore dans la législation antérieure à votre révolution des dispositions suffisantes peut-être pour justifier la présentation de l’art. 21 du projet, si toutefois elles pouvaient s’accorder avec votre constitution. Il faut donc voir ce que veut cette loi fondamentale. Je l’ouvre et j’y lis, article 18 : « La presse est libre, la censure ne pourra jamais être rétablie. » Qu’il y ait là deux propositions distinctes ou que la seconde ne soit que l’explication ou la répétition de la première, il en résultera toujours que les œuvres dramatiques de tout genre, les opéras, les drames, les vaudevilles, les mélodrames, les comédies, les tragédies, sont affranchies de la censure avant l’impression et la publication.

Quant à la censure avant la représentation, la constitution n’en dit pas un mot. Au contraire, et je prie qu’on y fasse attention, elle consacre expressément « la liberté pour chacun de manifester ses opinions en toute matière. » Elle veut la répression des délits, mais elle interdit positivement les mesures préventives. Or, la censure est préventive, on ne peut le nier ; elle s’oppose à la libre manifestation des opinions, elle répugne donc également à l’esprit et à la lettre de votre charte ; vous ne pouvez donc, sans violer manifestement votre charte, adopter l’art. 21 du projet, puisqu’il confère aux municipalités une véritable censure, en les établissant juges de la moralité des pièces de théâtre et des cas où la représentation devra en être défendue.

Je sais, messieurs, qu’à force de sophismes et de subtilités on parvient à trouver dans les lois précisément le contraire de ce qu’elles ont voulu. Le principe du huis-clos substitué à la publicité des séances des administrations municipales en est un exemple tout récent. Mais quand même il serait vrai que l’acte constitutionnel ne défend pas la censure des pièces de théâtre, ce que je nie, vous ne devriez pas la consacrer par vos lois organiques. Vous ne siégez pas ici en qualité de théologiens, vous y siéger comme législateurs. Vous ne croyez pas avec Tertullien que la comédie soit une invention diabolique ; pénétrés de la nature de votre mandat, vous ne pouvez avoir l’intention de favoriser par une mesure rétrograde les vues des éternels ennemis de la raison et du progrès qui, trouvant dans l’ignorance l’abrutissement du peuple les moyens de le maîtriser plus facilement, voudraient proscrire toute pièce sensée et ramener les temps d’innocence où se célébrait la fête de l’âne, où l’on jouait les mystères et la passion.

Vous ne pensez pas que la scène moderne ait dépravé les mœurs et perverti la société, car vous avez lu et vous ne pouvez ignorer que nous valons beaucoup mieux que nos ancêtres. Si nous ne comprenons pas ce qu’on n’a jamais compris, nous comprenons du moins les devoirs sociaux dont ils n’avaient qu’une fausse idée ; nous comprenons nos devoirs d’hommes. Il est possible que nous ne soyons par d’accord sur le dogme et sur le culte, matières étrangères à la législation ; mais, n’en déplaise à l’honorable M. Dechamps, nous sommes tous d’accord sur le sens des mots « erreur » et « vérité, » toutes les fois qu’il s’agit de la morale.

Jamais les hommes n’en ont mieux entendu les véritables principes ; jamais ils n’ont eu des notions plus exactes du juste et de l’injuste ; j’en vois la preuve dans nos livres modernes, même dans nos lois, malgré leurs nombreuses défectuosités. Je le dis sincèrement, au risque d’être regardé comme infecté de la morale d’Epicure (car, après tout, Epicure et ses sectateurs étaient d’honnêtes gens ; Cicéron, Sénèque le moraliste et Diogène Laërte l’ont affirmé, et l’ouvrage de l’abbé Lebatteux n’a pas démontré le contraire), leur morale était pure ; ils croyaient que le méchant ne peut être heureux ; et, par méchant, ils entendaient celui qui observe la loi par crainte et qui la transgresse par goût. Ils recommandaient la frugalité ; ils disaient que le simple pain, l’eau simple sont des mets délicieux pour quiconque attend le moment de l’appétit. Suivant eux, le sage n’a aucun commerce avec la femme qui lui est interdite par les lois ; il aime les spectacles du théâtre et s’y plaît plus que les autres. Enfin, Epicure, accusé par ses ennemis d’être trop livré à la volupté, n’a de voix, dit Cicéron, que pour nous crier qu’on ne peut vivre heureux sans être prudent, honnête et juste, ni être prudent, honnête et juste sans être heureux.

On voudrait ressusciter le bon vieux temps : mais quel fanatique insensé pourrait préférer à ces préceptes la maxime d’un père de l’église enseignant que, de droit divin, tout appartient aux fidèles ; que les infidèles ne possèdent rien légitimement, qu’il faut persécuter les hérétiques et les contraindre à la foi orthodoxe, ou bien les exterminer ?

Maxime horrible, d’où naquirent l’inquisition et les guerres religieuses, et dont, à la honte de l’humanité, était imbu ce pape, ce père des chrétiens, qui rendit à Dieu de solennelles actions de grâce à l’occasion du massacre de la Saint-Barthélemy regardé, par lui comme une victoire signalée remportée sur les hérétiques. C’était la suite des idées du siècle, oui, et des siècles précédents, en remontant jusqu’au règne de Constantin. Mais ces idées n’avaient été puisées ni dans les philosophes de l’antiquité, ni dans Sophocle, ni dans Sénèque le tragique, ni dans Térence, ni dans Plaute, ni même dans Aristophane, le détracteur de Socrate.

Vous voulez que la révolution tourne au profit du peuple et surtout qu’il devienne meilleur, plus ami de l’ordre et des lois, en un mot plus vertueux. Faites donc qu’il s’instruise, car la vertu n’est autre chose que la raison développée ; favorisez les représentations théâtrales ; elles ne peuvent que l’éclairer, lui inculquer de bons principes, le corriger de ses défauts, de ses vices, adoucir ses mœurs, l’éloigner des cabarets et des lieux de débauche ; elles contribueront puissamment à son éducation. Ne permettez pas que des ignorants, des hommes à sots préjugés, proscrivent les chefs-d’œuvre de la scène. On a parlé de pièces immorales ! croyez que le public en fera lui-même justice si vous vous en rapportez à son bon sens. Mais en est-il auxquelles on puisse donner cette qualification ? En est-il une seule, sans excepter, même la Tour de Nesle, où le vice ne soit flétri ou blâmé et le crime puni ? Si, pour conserver la vérité des caractères historiques ou pour établir des contrastes, quelquefois l’auteur met dans la bouche de l’un de ses personnages des maximes qu’un honnête homme doit réprouver et détester, elles sont toujours réfutées par un autre personnage, et jamais le public ne les prend au sérieux ; on ne doit pas craindre qu’il les adopte : Qui pourrait, par exemple, approuver aujourd’hui dans le chef-d’œuvre de Racine ce discours d’un prêtre juif, fanatique, factieux et cruel qui s’adressant aux lévites ses confrères, les excite, au nom du ciel et de la religion, à se baigner, sans horreur, dans le sang infidèle des Israélites et des Tyriens ?

En confiant la censure aux administrations locales, il arrivera que la même pièce jugée morale dans telle commune sera trouvée immorale dans telle autre, suivant le degré d’instruction, le discernement et les préjugés des examinateurs. Ainsi la loi ne sera pas exécutée partout de la même manière. M. le ministre de la justice a beau dire : « Il n’y aura qu’une seule loi, » je croirai avec l’honorable M. Jullien qu’il y aura autant de lois que de municipalités, puisque la loi ne sera autre chose que la volonté de l’homme. Pour qu’il n’y eût qu’une seule loi, il faudrait faire partir la censure d’un point unique et central, comme du temps de Bonaparte, dont, au reste, je suis loin d’admirer et de vouloir faire revivre les institutions antilibérale.

Nous avons, j’en conviens, beaucoup trop de pièces dans le genre romantique et atroce. Les dévots feignent d’en avoir peur et de vouloir les proscrire. Mais au fond, ce qu’ils craignent, c’est le Tartufe de Molière, ce sont les pièces tendantes à démasquer les cafards, les hypocrites et les charlatans ; c’est de voir, dans un spectacle profane, des costumes qu’ils vénèrent comme sacrés, et devant lesquels ils se prosternent.

Quoi qu’il en soit, les goûts du public changent, et les pièces romantiques tomberont si le genre est mauvais, comme il est permis de le croire. Mais, en attendant, devez-vous, dans une loi durable de sa nature, vous occuper de leur existence éphémère ? Si les magistrats qui les jugeront contraires aux mœurs sont autorisés à en interdire la représentation, craignez que la défense de les jouer n’amène dans la commune le désordre que vous voulez prévenir.

Quant aux pièces politiques, les allusions auxquelles elles peuvent prêter ne causeront jamais de révolution. Personne ne croira sans doute que la représentation de la Muette de Portici, en août 1830, ait donné lieu à l’insurrection par laquelle les Hollandais ont été chassés de la Belgique. En général les rixes des théâtres sont le résultat d’intrigues et de petites cabales contre les auteurs ou contre les acteurs, mais qui n’ont jamais rien d’effrayant pour le pouvoir.

Il suffit donc de charger les officiers municipaux de la seule police de sûreté, comme l’avait voulu l’assemblée constituante par la loi des 13-19 janvier 1791, loi ayant pour objet de rendre nuls dans celle du 16 août 1790 les effets de l’article 4 du titre 2, que le gouvernement soutient être encore en vigueur à l’heure qu’il est. Ainsi, je laisserais subsister dans votre loi communale cette partie de l’article 21 du projet, portant : « La police des spectacles appartient au collège des bourgmestre et échevins, » et j’en retrancherais le surplus.

On ferait sur cette matière un long traité. Mais la question a déjà été discutée dans la séance de novembre 1834, et il me suffisait d’énoncer sommairement mon opinion et de dire quelques mots au sujet des assertions fort singulières avancées alors à cette tribune, et auxquelles personne n’avait répondu.

- La séance est levée à 4 heures 1/2.