(Moniteur belge n°21, du 21 janvier 1836)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Dechamps procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. Schaetzen donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Dechamps donne connaissance des pièces adressées à la chambre.
« La régence de Sittard réclame contre une mesure de M. le directeur des droits d’entrée, de sortie et accises de la province qui, contrairement à l’article 167 de la loi générale des douanes du 26 août 1822, permet seulement d’accorder la délivrance des passavants, pour le transport du sel, des vins et des boissons distillées circulant dans le territoire réservé vers l’intérieur, mesure qui anéantit tout le commerce de cette ville. »
« Le sieur Jacques-Michel Havard, né à Bayeux (France), demande la naturalisation. »
« « Des habitants de Bruxelles réclament contre les pétitions tendantes à diviser la garde civique en trois catégories. »
M. de Renesse. - Par pétition datée du 12 janvier 1836, la régence de la ville de Sittard réclame contre une décision de M. le directeur des droits d’entrée, de sortie, cadastre et accises de la province de Limbourg, qui ordonne de ne plus délivrer dorénavant des passavants pour le transport des vins, sel et boissons distillées, aux commerçants de Sittard, quelle que soit la destination desdites marchandises. Par un ordre ultérieur, la première division a été modifiée en ce sens, qu’on accorde seulement la délivrance de passavants pour le transport des denrées circulant dans le territoire réservé vers l’intérieur. La régence de ladite croit cette disposition diamétralement opposée à l’article 167 de la loi générale du 26 août 1822, qui permet la délivrance des passavants, sous la représentation des quittances, d’où il résulte que l’accise en a été payée. Elle assure que si cette disposition vexante de M. le directeur reste maintenue, elle anéantira tout le commerce de la ville, compromettra l’existence de beaucoup de pères de famille et rendra illusoires les dispositions formelles des articles 165, 166, 167, 178, 187 et 188 de la loi précitée.
Comme cette pétition dénonce un acte contraire à une loi générale encore en vigueur ; que M. le directeur des douanes du Limbourg paraît aller plus loin dans ses mesures fiscales que l’ont fait les Hollandais, puisque, sous ce gouvernement, jamais des passavants n’ont été refusés aux commerçants de la ville de Sittard, qui, conformément à l’article 178 de la loi des douanes, ont droit d’avoir chez eux du sel, des vins et des boissons distillées en magasin, je crois, messieurs, qu’il y a lieu de provoquer un prompt rapport. J’ai donc l’honneur de proposer à la chambre de vouloir ordonner son renvoi à la commission des pétitions, avec prière de faire un rapport à la séance de vendredi prochain, jour fixé pour la discussion des différents rapports de pétitions.
- La proposition de M. de Renesse est adoptée.
La pétition du sieur Havard est renvoyée à M. le ministre de la justice ; les autres, à la commission chargée d’en faire le rapport.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux) dépose les projets de loi suivants :
1° Un projet de loi tendant à régler les pensions des professeurs admis à la retraite par le gouvernement provisoire ;
2° Un projet de loi tendant à régler les pensions des professeurs admis à la retraite par le Roi.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux) dépose le projet de loi suivant :
3° Un projet de loi relatif aux chemins vicinaux pavés et ferrés ;
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux) dépose le projet de loi suivant :
4° Un projet de loi relatif à une délimitation de communes.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi ; la chambre en ordonne l’impression et la distribution et les renvoie à l’examen des sections.
M. Watlet. - Messieurs, le 21 juin 1833, le sieur Richard Wolter, propriétaire et fabricant de chaux à Strassen (province de Luxembourg), a présenté une pétition tendant à rendre applicable aux houilles prussiennes la modération de droits établis par le décret du congrès national du 29 juin 1831 en faveur des houilles françaises. Cette pétition a été renvoyée le 9 août suivant au ministre des finances et à la commission d’industrie.
Jusqu’ici cette commission n’a pas fait de rapport. Depuis peu de jours l’honorable M. de Puydt a présenté la même demande formulée comme proposition législative, avec cette restriction que la modération de droits ne s’étendait sur la frontière du Luxembourg que de Remich à Vianden. Comme ces demandes rencontreront sans doute une forte opposition chez les propriétaires de bois qui sont très nombreux dans la province, et comme elles tendent au même but, l’instruction de l’une doit nécessairement servir à éclaircir la question sur l’autre ; je demande donc que la commission d’industrie soit invitée à faire un prompt rapport sur la pétition du sieur Richard Wolter.
Il est d’autant plus nécessaire que ce rapport soit prompt que la proposition de M. de Puydt, si je ne me trompe, a été examinée dans les sections et que la section centrale aura prochainement à s’en occuper.
- La proposition de M. Watlet est accueillie ; en conséquence la commission d’industrie est invitée à présenter prochainement un rapport sur la pétition du sieur Richard Wolter.
M. Devaux. - Pour ne pas interrompre la discussion, je ferai, avant qu’elle soit ouverte, une observation qui se rattache au budget de la guerre.
Je lis dans le rapport de la section centrale :
« Une question a été agitée par grand nombre de membres des sections, c’est celle de l’emploi des troupes aux travaux publics. Le ministre de la guerre a promis de communiquer à la section centrale un rapport qui lui a été fait sur les expériences tentées en France. Ce rapport sera déposé sur le bureau. »
Je me suis informé si ce rapport a été déposé sur le bureau ; j’ai appris qu’il ne l’a pas été. Je demande donc que M. le ministre de la guerre exécute sa promesse. Je demande en outre que la chambre ordonne l’impression du rapport au Moniteur. Cette question est très importante ; il est à désirer que les éléments nous soient soumis, pour que nous puissions nous former une opinion sur la matière. Je pense que tous les membres de la chambre seront bien aises de pouvoir examiner ce rapport à tête reposée. Il est à désirer qu’il soit livré à la publicité pour que la discussion, ici ou ailleurs, ait lieu en connaissance de cause. Je demande donc le dépôt du rapport et son impression au Moniteur.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Lorsque la section centrale chargée de l’examen du budget de la guerre a fait imprimer son rapport, je n’avais pas encore pu faire copier le long travail qui m’avait été remis par l’honorable M. de Puydt. Mais deux ou trois jours après je l’ai transmis à la section centrale ; je crois que l’honorable rapporteur a dû le déposer sur le bureau. Du reste, je désire qu’il soit imprimé, afin que la chambre puisse prononcer sur une question dont, avec l’honorable préopinant, je reconnais toute l’importance.
M. de Puydt. - Le rapport que j’ai eu l’honneur d’adresser à M. le ministre de la guerre contient des observations générales sur les travaux exécutés en France. Mais la question de l’application possible de ces travaux à la Belgique ne s’y trouve pas traitée. Depuis lors j’ai fait sur la même question et sur mon voyage en France, au comité des fortifications, un rapport où est traitée la question de l’application de ces travaux au pays. Je demande que la chambre veuille bien ordonner l’impression de ce rapport comprenant aussi celui adressé au ministre de la guerre. De cette manière, la question sera traitée d’une manière plus complète. (Appuyé ! appuyé !)
M. le président. - S’il n’y a pas d’opposition, le rapport que vient d’indiquer M. de Puydt sera imprimé au Moniteur.
M. Verdussen. - Je demande l’impression séparée.
M. Devaux. - J’avais proposé l’impression au Moniteur, parce qu’elle présente cet avantage qu’elle porte le rapport en même temps à la connaissance de la chambre et du public.
M. Dumortier. - L’impression séparée n’exclut pas l’impression au Moniteur, puisque le Moniteur réimprime tous les rapports.
M. Devaux. - Dès lors, je ne m’oppose plus à l’impression séparée.
M. de Jaegher. - Je ferai observer que la question ne doit pas avoir une solution immédiate. Il suffira donc d’imprimer maintenant le rapport séparément pour la chambre. Le Moniteur pourra le reproduire, quand la chambre ne sera pas réunie.
M. le président. - Puisqu’il n’y a pas d’opposition à l’impression séparée, elle est ordonnée. L’impression au Moniteur pourra avoir lieu de la manière indiquée par M. de Jaegher.
M. le président. - La chambre est arrivée à l’article 4. « Masse d’entretien du harnachement, traitement et ferrage des chevaux. »
La section centrale propose le chiffre de 345,324 fr. 40 c., auquel M. le ministre de la guerre se rallie.
- L’article 4 est adopté avec ce chiffre.
« Art. 5. Masse de renouvellement du harnachement et de la buffleterie : fr. 201.454 60 c. »
M. Mast de Vries. - Vous avez vu dans le rapport que M. le ministre de la guerre proposait cette allocation sur le pied de 1 fr. par homme. Or, à 1 fr. par homme, d’après le nombre d’hommes présents sous les armes, la somme de 171,605 fr. 60 c. est suffisante. Je propose donc de réduire cet article à ce chiffre.
M. de Jaegher. - A titre de masse de renouvellement du harnachement et de la buffleterie, figure dans cet article une somme de 201,454 fr.
En vain ai-je cherché à me faire une idée de l’emploi de cette somme, et d’un moyen quelconque de contrôle.
J’ai feuilleté les aperçus de comptes que nous a remis M. le ministre de la guerre, et j’y ai trouvé des sommes globales qui ne m’ont rien appris ; j’ai visité des magasins de dépôts, et j’y ai trouvé des quantités d’effets hors de service, d’autres sont neufs ; mais m’y éclairer, impossible.
La section centrale a pu voir des contrats d’adjudication de fournitures ; elle a pu voir le prix de chaque article, mais quant au nombre nécessaire, néant ; force est donc à moi de chercher ailleurs les moyens de m’instruire.
Chaque objet de harnachement et de buffleterie, fourni à la troupe, doit servir un temps déterminé. Si le soldat le perd avant que ce temps soit expiré, il doit en bonifier la valeur dans la proportion du temps de service auquel il était encore destiné ; un contrôle doit donc être tenu, dans chaque corps, de l’âge de chacun des effets, si je puis me servir de cette expression. Si donc nous connaissions les quantités en service et en magasin, par nature d’objets et avec indication de la durée du service déjà expiré de chacun d’eux, le nombre d’hommes sous les armes nous étant connu, nous saurions annuellement quel est le chiffre des objets à renouveler.
Depuis la révolution, l’armée a dû être entièrement à peu près remontée à neuf. Chacun des objets de buffleterie et de harnachement doit servir un nombre déterminé d’années, de 16, 20 et plus d’années ; je ne comprends donc pas comment ce renouvellement annuel s’élève déjà à des sommes aussi fortes.
Je prie M. le ministre de la guerre de vouloir bien en conséquence me donner quelque explication à cet égard.
Je le prie aussi de me dire si l’on défalque de la durée obligée du service le temps que passent dans les magasins les effets de ce genre appartenant aux soldats en permission.
S’il ne me démontre pas qu’il y aurait inconvénient à le faire, j’émettrai le désir qu’il soit fourni dorénavant à la chambre, avec le budget annuel, un tableau conçu dans le sens sus-indiqué ; il devrait en être de même pour tous les effets qui sont fournis au soldat sans lui être portés en compte.
A l’occasion de l’allocation pour le harnachement, je me rappelle avoir fait en section centrale, à M. le ministre, une observation sur la sellerie, spécialement du corps des cuirassiers, et de lui avoir dit qu’au moment où ce corps revenait du camp, grand nombre de chevaux portaient des blessures plus ou moins graves que leur avaient faites leurs selles. J’ai fait remarquer alors au ministre que s’il en était déjà ainsi après un service pas trop pénible de quelques jours dans un camp, une entrée éventuelle en campagne serait bientôt suivie d’événements plus désastreux sous ce rapport.
J’ai depuis lors réexaminé la chose ; les chevaux étaient pour la plupart guéris dans le repos de garnison : mais qu’on les visite et il n’échappe à personne qu’ils portent en grand nombre, sur la partie du coffre que couvre la selle, des taches blanches plus ou moins grandes, et qui sont évidemment les marques de blessures cicatrisées.
J’ai visité la selle d’un cavalier rentrant, et j’ai trouvé que le défaut provient du bourrage.
Aux places les plus échauffées, l’humidité agit, soit sur le crin, soit sur le poil de vache, et forme de petites boules comme des pois, qui se durcissent à mesure que la course se prolonge. Le frottement de ces aspérités échauffe la peau du cheval, et en produit d’autres qui, à la longue, dégénèrent en blessures. L’objet me paraît assez important pour mériter d’être examiné de près ; je ne cite la chose aucunement à titre de reproche, mais comme pouvant amener une amélioration.
M. Jadot. - J’ai à présenter une observation analogue à celles qui viennent d’être faites. Comme vous le voyez par le libellé de l’article en discussion, les fonds dont il s’agit ici ne doivent être employés qu’en 8, 16 ou 20 ans ; car les objets doivent être renouvelés, pour la plupart, tous les 16 ou tous les 20 ans. Ainsi l’on verse à ce tire dans les caisses des régiments des fonds qui y sont réellement improductifs. Ne vaudrait-il pas mieux, si le ministre n’y voit pas d’inconvénient, laisser ces fonds au trésor, sauf à la chambre à les voter quand ils seraient nécessaires aux besoins des corps ?
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Vous pouvez remarquer que, dans l’article qui nous occupe, la masse d’un franc par homme est calculée sur 53,354 hommes d’infanterie. L’observation d’un honorable préopinant est juste : nous n’avons que 25 à 26,000 hommes d’infanterie sous les armes, et à peu près autant en congé. Mais je dois déclarer que la durée des effets de buffleterie court du moment de leur délivrance, que les hommes soient ou non présents. C’est ainsi que les règlements le prescrivent ; s’il fallait défalquer le temps que les hommes passent en congé, cela embrouillerait beaucoup la comptabilité.
Vous remarquerez que pour la cavalerie je demande en tout 124,000 fr. Cette somme est presque en totalité applicable au harnachement des chevaux ; 112,000 fr. ont cette destination ; il ne reste donc que 12,000 fr. pour les hommes.
L’observation de l’honorable M. de Jaegher serait juste si effectivement les corps ont reçu leurs buffleteries, sur des fonds spéciaux en sus des allocations ordinaires pour l’entretien et le renouvellement partiel. J’ignore ce qui a eu lieu en 1831. Mais s’il n’en est pas aussi, les corps auront achetés, en 1831, au moyen des fonds qui leur avaient été alloués avec cette destination, les objets nécessaires à l’équipement et au harnachement ; et les versements que les corps font au trésor, l’auront couvert de cette avance s’ils n’ont pas reçu des fonds d’achat de première mise en 1831.
L’honorable M. Brabant, dans la dernière discussion du budget, a dit avoir pris connaissance de la situation des magasins et que dès lors on pouvait diminuer 100,000 fr. sur cette allocation ; et je donnai mon assentiment à cette proposition ; mais plusieurs effets doivent être renouvelés en 1836, et je réclame en conséquence la totalité de l’allocation que j’ai demandée. Ce sont notamment les couvertures des chevaux qui ont besoin de renouvellement. L’observation de l’honorable M. de Jaegher porte principalement sur cet objet. Les couvertures du régiment dont il a parlé étaient extrêmement mauvaises ; il y a nécessité de les renouveler, ainsi que ceux des autres régiments de cavalerie.
J’ajoute que 1,100 couvertures au prix de 20 fr. devront être achetées pour un seul régiment. Il en sera de même pour les autres régiments ; car les couvertures doivent durer 5 ans, et voici ces 5 ans révolus depuis la révolution.
D’après l’observation de M. Mast de Vries, je consens à une réduction de 18,000 fr. sur le chiffre de l’article en discussion.
M. Mast de Vries. - D’après le nombre des hommes sous les armes, il y a lieu à une réduction, non pas de 18,000 fr., mais de 28,949 fr. Je persiste donc dans ma proposition de réduire le chiffre de l’article à 171,605 fr. 60 c.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - La différence entre les calculs de l’honorable préopinant et ceux que j’avais faits à la première vue est de 4 à 5 mille fr. Je ne vois pas d’objection à y faire ; car il est rationnel de mettre le chiffre de l’article en rapport avec le nombre des hommes présents sous les armes. Seulement alors je ferai ce changement aux régiments que la durée des effets ne courra pas pendant que les hommes seront en congé.
- L’article 5 est adopté avec le chiffre de 171,605 fr. 60 c., proposé par M. Mast de Vries, et auquel M. le ministre de la guerre se rallie.
M. le président. - La chambre passe à la discussion de l’art. 6. « Masse de casernement. » La section centrale propose le chiffre 856,562 fr. 56 c., auquel M. le ministre de la guerre se rallie.
- Cet article est mis aux voix par assis et levé. La plupart des membres ne prennent pas part au vote ; l’épreuve est douteuse ; elle est renouvelée, et est également douteuse.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Puisqu’un grand nombre de membres s’abstiennent de voter, je soumettrai à la chambre quelques observations qui permettront à ces honorables membres de voter en connaissance de cause.
Tout en reconnaissant la puissance des chiffres en administration militaire et financière, et quoique je m’appuie souvent sur elle, je dois cependant vous déclarer que cette puissance ne forme pas toujours seule mon opinion, ne règle pas toutes mes décisions. J’y fais entrer aussi des considérations morales qui contrebalancent parfois ces résultats mathématiques, qui ne doivent pas être la règle unique de conduite d’un administrateur : celui-ci doit faire entrer en ligne de compte la moralité, base plus sûre encore que la perspective d’une réduction de prix dans l’exécution consciencieuse d’un service comme celui dont il est question.
Vous me comprendrez, messieurs, sans que j’aie besoin de donner plus de développements à ma pensée.
Je crois vous avoir convaincus que j’ai constamment recherché, dans mon administration, à concilier les intérêts de l’Etat avec les exigences du service important qui m’est confié, et qu’en toute circonstance, mais surtout dans l’affaire qui nous occupe, je n’ai pas dévié de ce principe.
Pourquoi donc, messieurs, pourriez-vous croire que j’aie faussé cette ligne de conduite ? que j’aie voulu m’exposer à toutes les conséquences dont on me menaçait ouvertement, et dont je prévoyais très bien les effets, si je n’avais eu dans mon for intérieur, dans le fond de ma conscience, une voix qui ne m’a jamais trompé, qui me disait que, malgré tous les désagréments que j’allais m’attirer, il valait mieux encore en faire le sacrifice à la patrie, pour servir les véritables intérêts de l’Etat, et surtout pour assurer un bon service, dût-il coûter un peu plus, fût-ce même 27,000 fr. par an.
Ce qui vient de se passer n’a que trop bien prouvé, et la justesse de mes prévisions, et l’étendue du sacrifice que je me suis imposé, je le répète avec assurance, avec conviction, dans l’intérêt de l’Etat.
Je m’attendais bien aux attaques dont ce traité a été l’objet, mais j’espérais qu’en vous faisant connaître les motifs qui m’avaient porté à le conclure, vous reconnaîtriez que je ne m’étais décide à l’adopter que par des motifs louables, et qu’en fait d’administration, ce qui peut paraître onéreux au premier abord, ne l’est plus quand on vient à connaître les raisons de la mesure adoptée et les résultats avantageux qui peuvent s’en suivre.
Je ne reviendrai plus sur l’exposé des motifs qui m’ont déterminé à adopter la première base d’adjudication ; je me bornerai aujourd’hui à répondre aux derniers arguments qui ont été employés par l’honorable M. Dumortier.
D’abord je vous dirai que je fus tellement étonné de l’annonce qu’il fit que, dans le tarif des prix moyens pour le remboursement des effets perdus, arrêté par moi en 1821, pour le marché français, j’avais fixé a 109 fr le total de ces effets, que comptant sur la véracité de ses calculs (et je devais y ajouter foi d’après ceux qu’il avait établis en détail.) Messieurs, je m’empressai de déclarer qu’en ce cas, ç’avait été une grande école de ma part d’avoir arrête un pareil tarif, si fort au-dessus des prix réels, et que ce qui pouvait me consoler de cette faute, c’était de l’avoir évitée dans le dernier traité.
Le même orateur annonça aussi, toujours le traité français à la main, que j’avais tort de faire valoir que, dans le traité belge, j’avais fait fournir deux couvertures, pesant ensemble 6 kilogrammes, puisque dans le traité français, s’il n’y avait qu’une seule couverture exigée, son poids était fixé de 9 à 10 kilogrammes.
Cette seconde assertion me parut si extraordinaire (20 livres pour le poids d’une couverture servant à une petite couchette de 2 pieds de largeur) que je voulus m’assurer si j’avais effectivement exigé une chose que ma raison me refusait à croire.
J’ai donc examiné le marche français, dont j’ai aussi un exemplaire, et j’ai vu que le poids de l’unique couverture à fournir était fixé de 3 à 4 kilogrammes ; et vous pensez bien que l’entrepreneur les fournit au poids de 3 kilogrammes puisqu’il en a la latitude.
J’ai également vérifié la première assertion sur le montant du tarif du prix moyen des effets, et j’ai reconnu, avec une véritable satisfaction, que si ces prix, qui se montaient, non à 109 fr., mais à 99 fr., avaient été augmentés au second marché passé le 5 mars, après que j’eus quitté mes fonctions, le gouvernement ne tarda pas à s’apercevoir que ces prix étaient exagérés, et rectifia en conséquence l’ancien marché. Substituant un sommier à la paillasse, il passa un nouveau traité où, malgré la plus-value du sommier et du couvre-pied, le prix total des effets, d’après le tarif des prix moyens, a été réduit à 85 fr. 53 c.
Ce nouveau marché a été conclu le 12 mai 1826, et c’est celui qui est en cours d’exécution jusqu’en 1842.
Les honorables orateurs devaient donc savoir, tout aussi bien que moi, que le montant total du tarif actuel est de 85 fr. 53 c., et non de 109 francs, comme ils l’ont avancé ; mais je trouve, malgré la plus-value du sommier et l’augmentation du couvre-pied (faisant ensemble 3 francs 10 cent.) que c’est encore beaucoup trop cher, et cela tout à fait au détriment du soldat, ce que j’ai voulu éviter en Belgique.
Quand j’ai dit que les honorables orateurs devaient le savoir, je veux dire qu’ils devaient attendre de la bonne foi de celui qui leur a remis des notes, de ne pas leur laisser ignorer les prix du marché actuellement en cours d’exécution.
Un dernier reproche qui m’a été fait et qui, je l’avoue encore, m’a causé quelque étonnement au premier abord, c’est celui qui est relatif au prix de détail de détail de la couchette en fer, et dont le montant dépasse de 3 fr. 30 cent, celui de 30 fr. que j’assigne à ces couchettes.
Je vous ferai observer que ces prix de détail ont été établis trois mois avant l’adjudication, et qu’alors les modèles que je faisais établir et essayer, revenaient de 34 à 36 fr.
Je chargeai le maître serrurier que j’employais de me dresser le devis exact de chaque pièce ; et comme je n’avais point d’autres données pour vérifier ces calculs, que le prix courant du fer confectionné par un serrurier, honnête homme d’ailleurs, et comme il fallait aussi que ces prix fussent préalablement établis au cahier des charges, je ne pus faire autrement que de les établir, comme ils l’ont été, et d’après les observations mêmes de l’ouvrier, que les réparations et remplacements de détails coûteraient et devraient nécessairement coûter, prises séparément, plus que dans une fabrication en grand, puisqu’il y aurait le prix du montage et du démontage, et celui de la pose à y ajouter.
Voilà, messieurs, la véritable cause de cette anomalie ; elle provient de ce qu’au mois de mars je supposais que le prix de la couchette devait être de 34 à 36 fr.
Et je sais maintenant pourquoi et comment me fut remise, le jour même de l’adjudication, la soumission de M. L’Hoeste de Liége, qui offrait de fournir les lits à 25-75 pris sur place. Je sais aussi quelle espèce de fer il prétendait employer à leur confection ; mais il me répugne d’entrer dans le détail des intrigues dont j’ai été entouré.
J’aborde maintenant la véritable question, et je le fais avec confiance, parce qu’éclairés comme vous l’êtes sur tous les détails qui se rapportent à ce marché, vous êtes enfin à même de juger avec connaissance de cause.
Si j’avais opté pour la seconde base d’adjudication, j’aurais payé, pour la location, sans y comprendre la couchette en fer, 17 fr. 97 c. ; mais faisant fournir la couchette en fer au compte du soumissionnaire, vous ne pouvez pas vous refuser à reconnaître que l’on doit payer un surcroît de prix.
L’honorable rapporteur de la section centrale, qui a scruté avec une grande impartialité, et avec la justesse de vue qui lui appartient, tout ce qui se rapporte à l’exécution du service des lits militaires, vous a fait connaître qu’il approuvait le parti que j’avais pris, de faire fournir les couchettes par l’entrepreneur.
Mais en les lui faisant fournir, vous ne disconviendrez pas, messieurs, qu’il était juste de lui allouer une augmentation de prix.
Ici, il y avait 600,000 fr. (écus) à débourser par lui, pour frais de confection, de transport, de montage et démontage, de vernissage et de peinturage et d’expertise.
Vous conviendrez encore que, pour un capital engagé pour 20 ans, le taux raisonnable de l’intérêt ne peut être moindre de 6 p. c. par an ; et je voudrais bien que les autres entrepreneurs bornassent là leurs prétentions.
Ainsi, 6 p. c. sur 30 fr. font 1 fr. 80 c.
Je calculai ensuite qu’après 20 ans de service, ces couchettes devant être reprises à dire d’experts, et la valeur intrinsèque du fer pouvant, comme tout me porte à le croire, subir une grande diminution de prix, ces couchettes ne pourraient valoir plus de 15 fr. ; répartissant cette perte en 20 annuités, je portai comme perte réelle le vingtième de ces 15 fr., soit 0 fr. 75 c.
Et je trouvai, au total, 2 fr. 55 c., comme prix juste, raisonnable, à accorder en sus du prix le plus bas demandé sans couchettes.
Ajoutant donc ces 2 fr. 55 c. à ce prix le plus bas qui était de 17 fr 97 c., j’eus pour résultat 20 fr. 52 c., et la soumission que j’acceptai ne portait que 20 fr. 50 c., c’est-à-dire 2 centimes de moins : il y avait donc avantage, même sous ce dernier rapport, abstraction faite de toute autre considération, d’accepter cette soumission.
Maintenant, messieurs, pour comparer le prix que j’ai accordé en 1835, avec celui du marché français qui est sans couchette, il faut nécessairement ôter du premier la partie relative à la couchette qui est, comme je viens de le prouver, de 2 fr. 55 c. Reste donc 17 fr. 95 c.
M. Destombes demandait fr. 17 97 (2 centimes de plus).
Ainsi la différence entre 17 fr. 95 et 15 fr. 24 c., n’étant plus que de 2 fr. 71 c., il me reste à prouver qu’elle est bien et dûment motivée ; c’est ce qui ne m’est que trop facile à établir. Les faits patents, positifs, les considérations les plus claires, les plus palpables, je les avais exposés avec clarté, avec conscience, dans mon rapport du 15 de ce mois ; mais les orateurs qui ont attaqué le marché n’en ont tenu aucune espèce de compte, n’ont voulu y porter la moindre attention, n’ont pas daigné, je ne dis pas les combattre, mais y faire la plus légère objection.
Ce n’est pas ainsi, messieurs, que s’établit une controverse raisonnable et juste : sans donc entrer dans tous les détails du rapport que je viens de citer, je me bornerai à vous dire que les clauses onéreuses et pécuniaires que j’ai imposées de plus au dernier marché, sont :
1° Le loyer, aux frais de l’entreprise, de tous les locaux, magasins, bureaux et logements des employés, qui lui sont fournis gratis en France, avec luxe même, et entretenus aux frais du gouvernement. J’ai prouvé que cette dépense devait être, pour les 10 places désignées et pour celles que j’ai la faculté de désigner, de la somme de 35,000 qui, répartis par lit, font une somme afférente de 1 fr. 75 c.
2° J’ai imposé le lavage annal des sommiers et le renouvellement du foin tous les deux ans, tandis que, en France, l’un et l’autre ne sont exigés que tous les cinq ans : je l’ai fait dans l’intérêt de l’hygiène du soldat : cela constitue une dépense annate et par lit de 55 c.
3° J’ai stipulé qu’il y aurait deux couvertures, tandis qu’il n’y en a qu’une en France, et qu’elles seraient lavées et foulonnées après 12 mois de service, ce qui constitue une autre dépense de 60 c.
Total, 2 fr. 90 c.
Voilà déjà, en ces trois articles, plus qu’il n’en faut pour établir la compensation, puisque la différence n’est que de 2 fr. 71 c. Mais ce n’est pas tout, messieurs, et deux autres clauses sont encore plus onéreuses pour l’entreprise.
La première est que je me suis réservé le droit de placer les 20,000 lits comme je l’entendrais, pour le bien du service et je puis les répartir dans nos 27 villes de garnison.
En France, la fixation des places est immuable ; si le gouvernement veut l’augmenter, s’il veut en créer une nouvelle, il faut qu’il avance les 2/5 de la dépense payable sur le vu des factures de l’entreprise.
La seconde clause, messieurs, est la plus importante de toutes ; c’est l’obligation imposée à l’entrepreneur de notre service de fournir tous effets neufs et de la meilleure qualité : le choix de la laine, qui compose le tiers du prix total des effets, lui est imposé en rejetant celle d’Odessa.
Vous pouvez vous assurer de la différence énorme des deux espèces mises sous vos yeux. Mais en France l’entrepreneur a repris le matériel de l’ancien service : il l’a trouvé sur place et tout rendu : il l’a eu à bas prix, à celui d’expertise contradictoire : il a eu six ans pour le payer ; il l’a employé pour les 2/3 de son nouveau service ; il a eu six ans entiers pour monter son service, et, d’après les notes qui me furent remises à cette époque, je ne crois pas, je le répète, que les effets de literie qu’il eut à fournir ne revinssent à plus de 60 fr. par lit à une place : mais, dans la crainte de me tromper, je porte ce prix au taux du tarif c’est-à-dire à 85 fr.
J’ai prouvé et je maintiens que les effets neufs de literie ont coûté ici la somme de 103 francs ; différence 18 francs.
Or, messieurs, dans un capital engagé et tout sujet à des détériorations et à des renouvellements successifs, le moindre taux annuel que l’on peut y assigner, y compris l’intérêt commercial, est de 6 p. c. ; c’est 4 p.c. de bénéfice. Ce qui porte à 10 p. c. du capital et fait 1-80 francs par lit, au détriment de notre entrepreneur et à l’avantage de l’entreprise française.
Vous voyez donc bien que sous ce rapport encore, comme sous tous les autres, j’ai su calculer les véritables intérêts de l’Etat.
Je tenais vivement, je vous le professe, à vous prouver que dans cette affaire, comme dans toute autre, j’ai su discerner ce qu’il était le plus convenable de faire pour assurer un bon service qui, concilié, autant qu’il a été en moi, avec les intérêts bien entendus de l’Etat, devait être l’unique objet de mes soins, en établissant ce nouveau mode de couchage de nos sous-officiers et soldats.
M. Dumortier. - A entendre les calculs de M. le ministre de la guerre, la Belgique aurait fait avec la compagnie française, pour les lits militaires, le marché le plus avantageux qui ait été fait depuis la révolution. Mais les bases des calculs de M. le ministre sont erronées, il me sera facile de le démontrer tout à l’heure.
M. le ministre ne m’a pas répondu, et il ne saurait me répondre. Mes calculs sont positifs. J’ai établi que les fournitures faites en France s’élevaient à la somme de 110 fr., et les fournitures faites en Belgique à 77 fr. 20 c. Dès lors, si pour ces fournitures on paie en France 15 fr. 24 c. et en Belgique 24 fr., il est évident qu’on paie en France 14 p. c. et en Belgique 24 p. c.
Remarquez que dans les calculs que j’ai faits, je n’ai pas tenu compte d’un fond sanglé qui doit coûter 5 fr., et qui doit être fourni en France par l’entreprise.
Je n’ai pas tenu compte non plus d’un couvre-pied qui coûte 3 fr. 60 c.
Ici je dois rencontrer l’objection de M. le ministre de la guerre : il a fait observer que la couverture ne pesait pas 10 kil. Je reconnais qu’elle pèse 10 livres.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - 3 kil.
M. Dumortier. - Le cahier des charges porte : « 5 kil. »
« La couverture en laine pesant neuve 4 à 5 kilogrammes, ayant 25 décimètres de largeur sur 22 décimètres de longueur. »
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - C’est pour les lits à deux places.
M. Dumortier. - Il est question des lits à une place dans le marché que je tiens en main. Ajoutez à cela un couvre-pied qui doit peser un kilogramme et demi. En réalité le soldat belge est moins couvert au lit que le soldat français, puisque la couverture et le couvre-pied de celui-ci pèsent 13 livres, tandis que les deux couvertures du soldat belge ne pèsent que de 6 à 8 livres.
Du reste ceci n’influe en rien sur le prix de la valeur moyenne, puisque la valeur moyenne est, d’après le tarif français, de 24 fr., et de 20 francs d’après le tarif belge. L’entreprise française ne touche que 44 p. c. non compris le couvre-pied et le fond sanglé tandis que l’entreprise belge touche 24 p. c. du taux moyen.
Maintenant l’on peut faire ressortir les résultats du mauvais marché conclu par M. le ministre de la guerre en le comparant avec le marché conclu sous le gouvernement des Pays-Bas, alors que le soldat était aussi bien couché qu’il le sera maintenant, ou en le comparant avec le marché passé avec les villes. Sous quelque face qu’on l’envisage, le trésor est grevé par suite de ce marché.
Pour contester la vérité de ces assertions, M. le ministre de la guerre a établi des calculs d’où il résulterait que la société française qui doit exploiter le couchage des soldats, aurait des charges plus onéreuses que celles qui sont imposées en France à l’entreprise qui exploite le même service. J’ai mis à charge de la compagnie, dit M. le ministre, les frais de loyer des locaux. J’ai évalué ces frais à 35,000 fr., ce qui fait 1 fr. 75 cent. par lit.
Je répondrai d’abord que si ce calcul était exact, ce serait 35,000 fr. dont il aurait bien pu ne pas grever le trésor public. En effet, il n’y a pas, dans les villes de garnison, des établissements militaires qui ne contiennent un local pour le matériel du couchage des troupes. Les locaux qui existent aujourd’hui auraient donc pu suffire à l’entreprise, et nous n’aurions rien eu à donner à l’entreprise de ce chef. Mais le calcul présenté à cet égard par M. le ministre est encore établi sur des bases très fausses.
Il faut calculer, dit M. le ministre, que le loyer des locaux nécessaires à l’entreprise lui revient à 1-75 par lit. Je prends pour comparaison la ville de Tournay où il y aura 3,000 lits. Il faudra donc payer 5,250 francs pour le loyer du local destiné à contenir ces lits. Or, je le demande à ceux qui connaissent la ville de Tournay, est-il possible d’exiger à Tournay 3.000 francs pour le loyer d’un local, si vaste que vous le supposiez ? A Bruxelles il y aura 4,000 lits. Cela fera 7,000 francs de loyer d’après les calculs de M. le ministre. Cela est réellement exorbitant. C’est avec de pareils calculs que l’on croit repousser les justes attaques dont le marché en discussion a été l’objet. Tout cela ne sert qu’à prouver combien le marché est mauvais puisque l’on est obligé de recourir à de pareils moyens pour le défendre.
Ce que je viens de dire sur l’exagération d’une base du tarif, doit faire supposer que les autres bases sont également exagérées. Tout le monde sait qu’en France et en Belgique les compagnies qui font des marchés avec le gouvernement sous-traitent avec des entrepreneurs locaux pour l’entretien des fournitures.
Savez-vous combien ces compagnies donnent pour cet entretien ; 3 francs par lit, 4 francs tout au plus ; et, dans les localités les plus importantes, 5 francs. Les frais dont vient de parler M. le ministre de la guerre feraient déjà la somme que l’on donne aux sous-entrepreneurs. Vous voyez donc combien les calculs de M. le ministre sont erronés. Cela est incontestable.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je conteste cela.
M. Dumortier. - Je crois que notre devoir nous impose l’obligation de ne pas passer légèrement sur un marché aussi onéreux. J’ai établi par des chiffres que l’on ne pourra jamais contester qu’en Belgique le gouvernement paiera un tiers de plus par lit qu’en France, et pourtant tout devrait concourir à rendre le marché moins onéreux en Belgique qu’en France. Chez nous, nous ne payons pas 20 pour cent d’entrée pour la toile comme en France. On l’achète sur place. La laine est également à meilleur marché chez nous. Le prix moyen de la literie complète en France, comparé au prix moyen en Belgique, offre une grande différence, car il est de 110 francs dans le premier pays et de 75 chez nous.
Nous avions donc lieu d’espérer que M. le ministre de la guerre aurait obtenu un couchage aussi bon qu’en France pour le soldat, pour une dépense moindre d’un quart qu’en France. Bien loin de là, nous paierons un tiers plus de ce que l’on paie en France. Si vous multipliez par le nombre de lits, cela fait plus de 100,000 fr. par an indépendamment des réductions que nous avions le droit d’espérer si M. le ministre de la guerre avait pris des mesures pareilles à celles qu’il a prises en France. De plus, ce n’est pas une opération d’une seule année. C’est une opération de 20 ans ; ce qui forme, pour le trésor public, un préjudice de 2,000,000, bénéfice qui en résultat, sera plus considérable pour la société, car les sociétés commerciales calculent non seulement l’intérêt mais l’intérêt composé de toute opération.
Cette somme de 2,000,000 produira en définitive a l’entreprise un bénéfice de 4 à 5 millions, qui constituera une véritable perte pour le trésor public. Quant à moi, je ne puis donner mon assentiment au marché. Je ne veux pas présenter un amendement tendant à diminuer le chiffre demandé pour le casernement.
Nous avons un devoir à remplir avant tout. C’est de nommer une commission pour examiner le marché, et vous présenter un rapport sur cet objet important. C’est dans ce sens qu’une proposition a été déposée sur le bureau. Elle ne me paraît pouvoir donner lieu à aucune discussion, ni aucune opposition de la part du ministre lui-même. Si ce marché est aussi avantageux qu’il l’assure, il doit désirer que l’évidence en soit démontrée à toute l’assemblée. Le moyen que nous proposons est le seul qui puisse être admis si l’on veut ne pas porter préjudice au trésor public. Car nous ne pourrions voter le chiffre demandé au budget, que pour prouver la confiance que nous avons dans M. le ministre de la guerre.
Il vaut mieux que nous suspendions toute résolution jusqu’à ce qu’il ait été fait un examen approfondi du marché même ; dans le cas où il serait reconnu, comme c’est mon opinion, que le marché est onéreux pour le trésor public, il y aurait lieu pour la commission de présenter des conclusions à l’effet d’aviser aux moyens de léser le moins possible les intérêts de l’Etat compromis par le mauvais marché qu’aurait passé M. le ministre de la guerre.
M. le président. - Une proposition a été déposée sur le bureau ; elle est ainsi conçue :
« Les soussignés, membres de la chambre des représentants, proposent à la chambre de nommer au scrutin une commission de 7 membres pour examiner la question des lits militaires et présenter des conclusions s’il y a lieu.
« Doignon, A. Rodenbach, Raymaeckers, Dubus, de Longrée, B…, Gendebien, (Erratum inséré au Moniteur belge n°21, du 21 janvier 1836) Scheyven, Mast de Vries, Bekaert, Beerenbroeck, Dumortier, Verdussen, Desmaisières, Quirini, Bernard Dubus, Jadot, Vergauwen.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - J’accepte avec grand plaisir toute investigation qu’une commission nommée par la chambre pour faire sur le marché. Je suis convaincu que j’ai agi avec la conscience des véritables intérêts de l’Etat. Cependant je dois dire que je ne puis laisser sans réponse les nouvelles observations de l’honorable préopinant.
S’appuyant toujours sur le taux moyen des deux marchés, il a raisonné de la différence qui existe entre le taux moyen de 77 fr. adopté dans le tarif du marché belge et celui de 110 fr. qui résulte du marché français. Mais c’est dans ce taux de 110 fr. que consiste le bénéfice de l’entrepreneur français ; la fixation de ce taux tient à des intrigues dont il serait trop long de dévoiler les menées.
Moi, pour ma part, j’aurais voulu pouvoir réduire le taux moyen en Belgique de 77 à 50. Mais en France, un ministre honnête homme, M. de Clermont-Tonnerre, voyant que la religion de son prédécesseur avait été trompée et que le taux moyen de la literie complète aurait pu être fixé à 80 fr., au lieu de 110, voulut diminuer les bénéfices de l’entreprise en l’obligeant à fournir le sommier et le couvre-pied, ce qui augmenta la dépense de la compagnie de 2 fr. pour chaque literie. C’est ainsi qu’il réduisit le taux moyen du marché du 21 mai 1826, au prix que j’ai indiqué, qui est de 85,35 c., taux encore trop élevé cependant.
L’honorable M. Dumortier a dit encore : mais pourquoi paie-t-on plus cher pour chaque lit, d’après le marché actuel, que l’on ne payait sous le gouvernement précédent ou dans les marchés passes avec les villes qui recevaient 10 centimes par lit ? Cela se conçoit. Autrefois les soldats couchaient deux à deux. Maintenant nous les faisons coucher seuls. Il faut plus de matière pour deux lits à une place que pour un lit à deux places. Ensuite, d’après nos conditions, les objets fournis doivent être de bien meilleure qualité que sous le roi Guillaume. De plus, il y a double blanchissage, lessivage, etc. Je pose un fait qu’en payant 20 fr. 75 c. pour une literie complète sur couchette en fer, nous payons moins que lorsque l’on payait aux villes 18 50 c. pour chaque lit à coucher deux. Il y avait dans ce marché plus d’avantage pour les régences qu’il n’y eu a pour l’entreprise actuelle.
Je bornerai là ma réponse aux observations de l’honorable M. Dumortier. Mais je termine en déclarant que j’adhère avec plaisir à la nomination d’une commission. J’espère pouvoir faire mieux partager ma conviction à cette commission parce qu’elle examinera et comprendra mes calculs avec plus de facilité que ne peut le faire une grande assemblée délibérante.
M. Dumortier. - J’ai peu de chose à ajouter. J’ai omis de présenter une considération qui me paraît très importante. M. le ministre de la guerre vous a dit qu’il avait exigé des entrepreneurs qu’ils fournissent des objets entièrement nouveaux, tandis que dans le marché français on a permis à la compagnie de reprendre une partie de matériel. Je demanderai ce que l’on entend faire du matériel existant. Il appartient à l’Etat. Il me semble que l’on aurait dû faire reprendre, au moyen d’une expertise, par la compagnie exploitante, tout ce qui aurait été reconnu en état de servir.
M. Gendebien. - M. le ministre pourra répondre au sein de la commission ; l’important maintenant est de la nommer.
M. Verdussen. - Après une discussion aussi longue que celle qui a eu lieu dans cette enceinte, à l’occasion du marché des lits de fer, j’avais été très étonné de voir que l’on allait passe aux voix sur le seul article où il fût permis de présenter des amendements par lesquels on pût retrancher au ministre quelque chose pour le mauvais marché qu’il avait conclu. Il avait été annoncé que des amendements seraient proposés. L’honorable M. Gendebien avait même dit formellement qu’il en présenterait un. J’avais attaqué le marche conclu par M. le ministre sous le rapport des lits de fer seulement ; d’autres membres ont traité la question des 20 années de durée, d’autres ont attaqué la fourniture du couchage, question que je n’ai pas examinée.
Lorsque l’on serait venu au vote, je me trouvais dans une perplexité extrême. Je voulais connaître la portée de mon vote. Je voulais savoir si en refusant le crédit demandé, je renverserais le marché ou si je renversais M. le ministre. Je dis franchement ma pensée ; je voulais savoir ce que je ferais en votant. Je voulais annuler le marché. Mais je ne voulais pas renverser le ministre. J’aurais été forcé de ne pas voter et de m’abstenir parce que je ne savais pas ce que je faisais.
Dans cette altercation je dois donc désirer qu’il ne soit pas voté sur le chiffre en discussion avant que l’examen de la commission n’ait eu lieu. En effet, dans l’opinion où je suis que le marché est mauvais, si mon vote négatif devait annuler le marché, je voterais à l’instant même dans ce sens. Mais j’hésiterais si mon vote devait compromettre l’existence au ministère d’un homme aussi capable que M. le ministre de la guerre. Je pourrais lui accorder le chiffre parce que les considérations morales qu’il a fait valoir ont pu être plus fortes pour lui que la question d’argent.
Je propose donc de commencer par nommer la commission et de ne voter le chiffre en discussion que quand elle aura présenté son rapport.
M. Gendebien. - J’avais en effet annoncé que je présenterais un amendement. Mais l’impossibilité de s’entendre sur le contenu de cette proposition m’a engagé à me rallier à la nomination d’une commission. J’aurais voulu combiner les éléments de mon amendement avec ceux de M. Dumortier. Mais l’honorable membre n’était pas présent à la séance. Je pense comme l’honorable M. Verdussen que nous ne pouvons adopter le chiffre demandé au budget, pour le casernement des troupes, avant de connaître les conclusions de la commission que la chambre paraît être d’accord à nommer.
J’adresse bien sincèrement mes félicitations à M. le ministre de la guerre sur son adhésion à notre proposition. Tout ministre doit se soumettre aux vœux de la chambre et ne pas reculer devant ses investigations.
Si au sujet du malheureux marché de Hambroek, un ministre belge avait montré une aussi louable condescendance aux désirs exprimés par l’assemblée, ce marché n’aurait pas acquis une triste célébrité et aurait été flétri à jamais dans l’opinion publique.
M. Verrue-Lafrancq demande la parole.
M. Gendebien. - Je ne m’oppose pas à ce que l’honorable M. Verrue-Lafrancq parle d’autant plus que, comme partie intéressée dans le marché, il est à même de nous donner des renseignements qui ne peuvent qu’éclaircir la question. Mais il me semble que nous pourrions, à moins qu’il n’insiste, suspendre les débats jusqu’à ce que la commission nous ait présenté ses conclusions.
M. Verrue-Lafrancq. - Je comptais parler non pas sur les chiffres (j’ai déjà dit que parce que je suis intéressé dans l’entreprise, je veux m’abstenir sur la discussion) ; je voulais seulement repousser des insinuations personnelles qu’on m’a adressées ; mais puisque la chambre paraît vouloir nommer une commission, je ne m’opposerai nullement à cette nomination et ajournerai ma réponse, et je serai toujours prêt à donner à la commission tous les renseignements qu’elle pourra désirer.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition de nomination d’une commission.
M. Liedts. - Si l’ai bien compris la proposition, elle consiste à faire nommer une commission au scrutin. Ne vaudrait-il pas mieux, pour éviter une perte de temps considérable, faire nommer cette commission par les sections ? Vous savez combien la nomination de 7 membres, à la majorité absolue, peut se prolonger.
M. Verdussen. - Pour éviter l’inconvénient d’une perte trop grande de temps, l’on pourrait nommer les membres de la commission à la majorité relative. (Non ! non !)
Je demande la division de la proposition.
- La chambre décide qu’une commission sera nommée à l’effet d’examiner le marché des lits de fer.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Puisque la chambre vient de décider qu’une commission sera nommée pour examiner le marché des lits de fer, il me semble qu’il conviendrait de faire nommer cette commission par les sections. Vous savez que, par la voie du scrutin, il faut qu’il y ait majorité absolue. Le reste de la séance peut être absorbé par cette opération. Je ne fais cette proposition que pour éviter une perte de temps à la chambre.
M. de Jaegher. - Je dois faire observer qu’en faisant nommer les membres de la commission par les sections, on s’expose à avoir des doubles emplois. Il pourra se faire que le même membre soit nommé par plusieurs sections.
-Plusieurs voix. - Non ! non !
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Chaque section devra nommer un membre pris dans son sein.
M. Dumortier. - Il ne faut rien changer à la proposition. La raison en est qu’il peut se trouver qu’une section ne renferme pas de spécialité qu’on puisse nommer membre de la commission et qu’une autre en en renferme trois ou quatre. Qui sait même si tous les membres qui se sont occupés de cette question ne se trouvent pas dans la même section ? Je demande que la commission soit nommée par la chambre. La question est assez grave pour occuper la chambre une demi-heure.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je persiste dans ma proposition. Je ne crois pas qu’il faille des spécialités pour composer la commission, mais seulement des personnes capables de comparer quelques calculs, ce qui est très simple quand on a les pièces sous les yeux. Ma proposition me paraît utile en ce qu’elle ménagera un temps précieux. Je demande, en conséquence, qu’elle soit mise aux voix concurremment avec celle de M. Dumortier.
M. le président. - La division ayant été demandée, je vais d’abord mettre aux voix la nomination d’une commission de sept membres pour examiner la question des lits militaires et présenter des conclusions, s’il y a lieu. Je mettrai ensuite aux voix le mode de nomination.
- La proposition de nommer une commission de sept membres, pour examiner la question des lits militaires, est adoptée.
La chambre décide ensuite que cette commission sera nommée par elle, que la nomination sera faite à la majorité absolue, et qu’il y sera procédé immédiatement.
On procède au scrutin dont voici le résultat :
Nombre des votants, 70.
Majorité absolue, 36.
M. Brabant a obtenu 52 suffrages, M. Fallon 49, M. Verdussen 37, M. Gendebien 32, M. Mast de Vries 31, M. Desmaisières 29, M. Desmanet de Biesme 22, M. Dubus aîné 18, M. Dubus sans autre désignation 18, M. Liedts 17, M. de Puydt 16, M. Lardinois 14, M. Coghen 14, M. de Behr 18, M. Dumortier 14, M. Raikem 12, M. Pirmez 11, etc.
MM. Brabant, Fallon et Verdussen ayant seuls obtenu la majorité absolue, sont proclamés membres de la commission
Il est procédé à un second tour pour la nomination des quatre autres membres.
Voici le résultat de ce scrutin :
Nombre des votants, 68.
Majorité absolue 35.
M. Dubus aîné a obtenu 51 suffrages, M. Mast de Vries 45, M. Desmaisières 42, M. Gendebien 40.
MM. Dubus aîné, Mast de Vries, Desmaisières et Gendebien, ayant réuni la majorité absolue, sont proclamés membres de la commission.
En conséquence, la commission se trouve composée de MM. Brabant, Fallon, Verdussen, Dubus aîné, Mast de Vries, Desmaisières et Gendebien.
M. le président. - J’invite MM. les membres de la commission qui vient d’être nommée, de s’entendre pour se faire convoquer quand ils le jugeront convenable.
- L’assemblée paraît disposée à lever la séance.
La discussion du budget de la guerre est renvoyée à demain.
La séance est levée à 4 heures et demie.