(Moniteur belge n°17, du 17 janvier 1836 et Moniteur belge n°18, du 18 janvier 1836)
(Moniteur belge n°17, du 17 janvier 1836)
Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. Schaetzen donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Dechamps présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« L’administration communale de Sart demande la construction d’une route de Francorchamps à Verviers par Sart. »
« Des gardes civiques de la ville de Tournay demandent l’organisation de la garde civique en trois bans. »
« Le sieur P. Bombeek, sous-officier pensionné, chevalier de la légion d’honneur, demande d’être admis à l’indemnité allouée au budget de l’intérieur pour les légionnaires nécessiteux. »
M. Doignon. - Je demanderai que la pétition des habitants de Tournay soit renvoyée à la commission à laquelle deux pétitions semblables ont été soumises.
M. le président. - Je ne connais pas cette commission. Il vaut mieux la renvoyer à la commission des pétitions.
- L’avis de M. le président est admis.
M. Verdussen. - Messieurs, mon intention n’est pas de passer en revue tout le budget de la guerre ; je n’en ai ni le talent, ni l’envie. Quand j’en aurais le talent, après la discussion assez longue qui a eu lieu, je m’abstiendrais de l’allonger encore. Toutefois, il est un point de finance sur lequel je prendrai la liberté de parler un moment, parce qu’il me paraît que dans les réponses faites hier par M. le ministre de la guerre à l’honorable M. Gendebien, il ne s’est pas expliqué avec assez de précision sur le malencontreux marché relatif aux couchettes en fer.
D’après la réponse faite hier par le ministre de la guerre, et que j’ai vue dans le Moniteur, on pourrait croire qu’il ne s’agit que d’une différence de 27,000 fr. ; mais on perd de vue qu’il s’agit de 20 fois 27,000 fr. Au reste, une différence de 27,000 sur 57,400 fr. est une différence énorme et sur laquelle je dois présenter quelques observations.
Et d’abord je conteste l’exactitude du chiffre de 27,000 fr. J’ai fait un calcul assez simple et d’après lequel je trouve qu’il s’agit d’une différence de 29,000 fr. au moins, et même de 32,000 fr., pour chaque année, quand le gouvernement pourrait obtenir des fonds au taux de 4 p. c., qui est aujourd’hui celui des bons du trésor à un an de date. Je ne présenterai que les résultats de mes calculs ; car, devant une assemblée délibérante, il serait inutile d’entrer dans plus de détails.
Je suppose qu’il s’agit d’un capital de 600,000 fr. ; ainsi j’abonde dans le sens du ministre et j’admets son chiffre. Cependant je le crois exagéré.
L’intérêt des bons du trésor n’est qu’à 4 p. c. Je suppose ensuite, gratuitement, il est vrai, qu’une augmentation de bons du trésor de 600,000 fr., faite aux 15 millions de bons du trésor dont l’émission est autorisée pour les dépenses générales de l’Etat, élève l’intérêt que le trésor paie, et le porte à 4 1/2 p. c. Je veux donc bien prendre cette base qu’il faudrait payer 4 1/2 pour cent pour faire l’achat des lits en fer.
600,000 fr. à 4 1/2 p. c. forment bien, 27,000 fr, ; j’y ajoute 1,400 francs pour la commission et pour le courtage, et de cette façon le chiffre s’élève à 28,400 fr.
Or, aujourd’hui, l’annuité donnée aux entrepreneurs de la fourniture des lits en fer et de 57,400 fr.
La différence est donc de 29,000 fr.
Eh bien, messieurs, ces 29,000 fr., que donnent-ils après 15 années, par l’intérêt composé ?
Messieurs, ils donnent précisément une somme capable d’opérer le remboursement du capital nécessaire pour l’achat des lits. J’en ai fait le calcul et j’ai pour résultat 602,647 fr.
Par conséquent, si le ministre de la guerre avait fourni pendant quinze années une somme égale à celle qu’il veut payer pendant 20 ans, il aurait d’abord acquitté les intérêts annuels du capital de 600,000 fr. à raison de 4 1/2 p. c. ; il aurait payé de plus les frais de courtage et il aurait ensuite opéré le remboursement des 600,000 fr. du capital primitif avec un excédant de 2,647 fr. De là il résulte qu’il y aurait encore eu un bénéfice de 5 années, bénéfice qui s’élève à 287,000 fr.
Ajoutez à tout cela que le gouvernement aurait été propriétaire des couchettes.
Mais le ministre nous a dit qu’après un service de 20 ans les couchettes n’auraient plus leur solidité primitive. J’en conviens, et je réduis leur valeur à la moitié ; ainsi je poserai le chiffre de 300,000 fr. qu’il faudra joindre au chiffre produit par les économies faites pendant les cinq dernières années, pour lesquelles on n’aurait plus eu à fournir les 57,400 fr., et nous aurons un bénéfice total de 587,000 fr.
Il suit de tous ces calculs que si les entrepreneurs de la fourniture des couchettes en fer peuvent se procurer à 4 1/2 p. c. le capital nécessaire pour en faire l’achat, ou s’ils peuvent par eux-mêmes faire ce déboursé, ils réaliseront un bénéfice de 587,000 fr. Ce qui fait un bénéfice annuel de 29,274 fr.
Je le demande, messieurs, n’est-ce pas là un marché excessivement onéreux ? Pouvait-il l’être davantage ? Ce bénéfice représente un intérêt de 51 p. c. du capital engagé !
Mon intention n’est cependant pas de repousser le budget de la guerre ; j’ai voulu seulement attirer l’attention de la chambre sur des bénéfices accordés aux entrepreneurs, et nous pouvons croire que le ministre aurait pu en économiser la moitié, ce qui aurait procuré une économie de 300,000 fr. au moins pour la durée du marché ; ceci mérite au moins d’être examiné.
Comme les observations présentées par M. le ministre de la guerre en réponse aux interpellations de M. Gendebien ne m’ont pas paru satisfaisantes, j’ai cru devoir attirer votre attention de nouveau sur cet objet, persuadé que M. le ministre a bien involontairement sans doute déguisé la vérité par la manière dont il a justifié un marché qui, je le répète, est à mes yeux très onéreux au pays.
(Moniteur belge n°19, du 19 janvier 1836) M. F. de Mérode. - Messieurs, j’entends toujours parler du peuple, lorsqu’il s’agit de quelque dépense à charge du trésor. Le peuple, pris en masse, est une puissance à laquelle on fait volontiers la cour, comme à toute autre ; mais lorsqu’il s’agit du peuple pris en détail, c’est autre chose ; alors il est négligé. Cependant, je ne connais pas de fraction du peuple qui mérite davantage la sollicitude du gouvernement que le soldat. Le soldat, c’est l’enfant de l’homme du peuple. Il est privé de sa liberté pendant plusieurs années successives, il est exposé aux dangers de la guerre, si elle a lieu, et les récompenses ne le surchargent pas. Eh bien ! l’Etat ne doit-il pas prendre le plus grand soin de la santé de ce soldat qu’il arrache à ses foyers, qu’il enlève à ses parents ? Croyez-vous que ceux-ci ne paieront pas volontiers quelques centimes de plus par année pour que leur fils, soldat, soit convenablement logé et couché ? Allez dans nos casernes, et vous verrez si elles offrent un aspect satisfaisant. Je ne manque pas de les visiter toutes les fois que j’en ai l’occasion, et je n’en sors jamais qu’avec mécontentement, non pas contre ceux qui les soignent et qui manquent des fonds nécessaires pour les rendre d’un bon usage, mais contre l’insuffisance des voies et moyens de notre budget, contre les critiques exagérées des mesures qui produisent des améliorations essentielles pour l’armée.
N’est-il pas déplorable de voir les soldats entassés dans leurs chambrées malsaines, trop peu spacieuses ; ayant pour lits de mauvais tréteaux, invention hollandaise sur laquelle je voudrais que couchassent pendant quelques nuits ceux qui viennent comparer le prix de ces grabats avec le lit de fer exposé dans une salle voisine de cette enceinte. Grâce à toutes les critiques et aux empêchements qui en résultent, un précédent ministre, M. de Brouckere, n’a pu réaliser son projet de couchage pour nos soldats. Ils sont depuis cinq ans aussi mal que si la civilisation et l’industrie n’avaient fait aucun progrès.
Comme le soldat appartient au pays, et non pas à telle ou telle ville du royaume, je voudrais que toutes les casernes fussent la propriété de l’Etat ou d’une entreprise en compte avec lui. Alors je ne manquerais pas, dût-on, sans rime ni raison, m’accuser de vouloir rétablir des impôts odieux au peuple, je ne manquerais pas de réclamer la construction des casernes nécessaires ; je voudrais que tout y fût de la plus grande propreté, et que l’homme qui les habite ne fût jamais suffoqué, comme il l’est aujourd’hui, pendant l’été ; mais pour en obtenir ce but, je repousserais de toutes mes forces les défaites comme celles auxquelles on a recours lorsqu’on vient vous parler de neutralité stipulée par le traité du 15 novembre, afin de persuader à la représentation nationale que 20 mille bons lits militaires seront inutiles à l’avenir.
Messieurs, il est un acte du gouvernement provisoire, dont le souvenir me sera toujours cher, et qu’aucun événement ne pourra me faire regretter. C’est celui qui a ordonné l’augmentation d’une demi-livre de pain pour la ration de chaque soldat, et je félicite M. le ministre de la guerre de la mesure qu’il a prise d’établir des boulangeries au compte du gouvernement ; j’ai goûté du pain provenant de ces manutentions, il est beaucoup meilleur que celui qu’on obtient par d’autres voies. Parlons moins du peuple, et faisons-lui du bien quand nous le pouvons. Je le répète, nulle classe parmi ce peuple n’est plus digne d’intérêt que la classe appelée par la loi sous les drapeaux de la patrie.
Messieurs, il est une considération que l’on n’a pas encore fait valoir en faveur du système d’adjudication adopté par M. le ministre de la guerre, et qui laisse la propriété des lits de fer à une société plutôt qu’au gouvernement, c’est qu’en cas d’invasion tout ce qui appartient au gouvernement est de bonne prise pour l’ennemi, tandis que d’après les principes généralement admis par les nations civilisées, les propriétés particulières sont respectées. Dans la circonstance que j’indique, des lits de fer, propriété de l’Etat, seraient en partie perdus pour lui, car ces objets sont de nature à être transportés au loin.
(Moniteur belge n°18, du 18 janvier 1836) M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Messieurs, on parle toujours de l’achat des couchettes en fer comme d’une chose isolée ; on oublie que leur fourniture doit être accompagnée de celle de tous les objets nécessaires au couchage. On paraît encore oublier que j’avais la latitude de faire fournir les couchettes par le gouvernement ou par les entrepreneurs.
Je crois vous avoir démontré que j’ai dû préférer le parti que j’ai pris. Dès lors il était indispensable que je donnasse la fourniture à la société qui demandait le plus bas prix. On prétend que le marché est très onéreux ; mais je crois pouvoir prouver que le marché ne sera pas si profitable qu’on le dit aux entrepreneurs.
Il est un fait constant, c’est que l’achat des fournitures du lit, y compris la couchette en fer, est, d’après le prix courant des marchandises et les prix payés par l’entreprise, de 133 fr.30 c.
En voici, du reste, le détail que je garantis authentique :
- Couchette en fer, y compris les frais de transport, montage sur place, peinture et vernissage, 30 fr.
- Sommier rembourré de 10 kil. de foin, 5 fr. 70.
- Sac à paille, 70 c.
- Matelas en laine et crin, 8 kil. de laine, 2 de crin, 37 fr.
- Traversin en laine, 2 kil. de laine, 7 fr. 90 c.
- Deux paires de draps de lit à 10 fr., 20 fr.
- Deux couvertures en laine à 16 fr., 32 fr.
Total,133 fr. 30 c.
Ainsi les 20,000 lits reviendront à la société à 2,666,000 francs. Elle a fait un fonds de 3,000,000 fr. pour pouvoir parer aux autres dépenses extraordinaires d’établissement, achat et location de bâtiments, travaux et frais d’administration.
Vous ne pouvez accorder à une société qui emploie un capital à un service publice un intérêt moindre que celui de 5 p. c. ; c’est l’intérêt que celle des lits militaires promet à ses associés : ainsi sur 3,000,000 fr., cet intérêt s’élève à la somme de 150,000 fr.
Il résulte, messieurs, d’un relevé très exactement fait, sur les charges de lavage, rebattage, foulonnage des effets de literie en usage, etc., imposées à la société, que l’entretien annuel d’un lit est de 5 fr. 14 c. (Ici le ministre fait connaître les éléments divers qui composent cette somme de 5 fr. 14 c.) Ce qui fait, pour les 20,000 lits, la somme de 102,800 fr.
La location des magasins, bureaux, logements des employés dans les dix places désignées et dans celles qui pourront l’être par la suite ne peut être moindre, ainsi que je l’ai déjà exposé, que de 1 fr, 75 c. par lit, ce qui constitue une dépense de 35,000 fr.
Enfin les frais de l’administration générale de la société et de l’administration dans les places ne peuvent être évalués à moins de 30,000 fr.
Ces quatre sommes font ensemble un total de 317,800 fr.
Maintenant la société recevra pour le loyer et l’entretien des 20,000 lits, à raison de 20 fr. 50 c. par lit, la somme de 410,000 fr.
Mais l’intérêt de son capital et les dépenses obligées font une dépense de 317,800 fr.
Reste donc 92,200 fr.
Somme que la société met, d’après ses statuts, annuellement en réserve pour faire face au remplacement successif des effets usés, et qu’elle doit renouveler à son compte, et pour représenter, avec la valeur de son mobilier après un usage de 20 années, le montant de son capital engagé. D’après le calcul que j’ai établi, les achats à faire par le renouvellement de ces effets pendant vingt ans, ne peuvent moindres de 1,600,000 francs, ainsi que je le prouverai d’une manière convaincante ; mais comme elle placera ses fonds à intérêt, le calcul fait connaître qu’il ne devra lui rester que 6 à 700 mille francs au plus pour couvrir la perte énorme qu’elle subira sur la reprise de ces effets à dire d’experts.
Je ne pense pas qu’on puisse opposer quelque chose de raisonnable à l’évidence palpable de ce simple calcul.
Et je ne vois réellement pas là matière à faire hausser les actions de la compagnie. Mais vous savez, comme moi, messieurs, comment se produisent ces hausses factices au moyens de quelques ventes partielles, et les funestes résultats qu’elles entraînent.
Maintenant, messieurs, en supposant, ce que je veux bien admettre un instant, quoique cela ne doive pas arriver, je l’espère, que la société ait 5,000 lits non occupés, elle n’aura pas à faire pour eux les frais de l’entretien, et comme ceux-ci sont de 5 fr. 14 c. par an, il en résulterait pour les 5,000 lits une économie de 25,700 fr., ce qui revient à 1 p. c. de bénéfice ; mais elle n’aura pas moins à payer les intérêts du capital engagé, les frais de location et d’administration générale et partielle.
Je suis donc en droit de dire et de maintenir que ce marché est loin de procurer les avantages qu’on lui suppose, et qu’il est également loin d’être onéreux à l’Etat.
(Moniteur belge n°17, du 17 janvier 1836) M. de Puydt, rapporteur. - Messieurs, hier quand j’ai dit que j’adhérais aux marchés relatifs aux couchettes en fer, j’ai entendu déclarer que j’approuvais la base de l’adjudication posée par le ministre ; mais indépendamment des chiffres, mon opinion à cet égard est tellement formée (on l’appellera systématique, si l’on veut), que quand bien même les chiffres eussent été différents de ce qu’ils sont, j’aurais encore adopté cette base. Il est inconvenant que le gouvernement devienne propriétaire de lits. Ce principe m’a guidé dans mon opinion, et le calcul n’y est entré pour rien.
Messieurs, à propos de cette discussion, il a été donné par le ministre de la guerre, dans la séance d’hier, des explications d’après lesquelles des personnes ont été pour ainsi dire traduites à la barre de cette chambre. C’est ce que j’ai vu ce matin en lisant le Moniteur. J’y ai lu, en effet :
« Si j’en crois une déclaration qui m’a été faite, et dont l’auteur s’engage à me fournir la preuve, M. Destombes fit des tentatives d’arrangement avec les compagnies ; mais les conditions qu’il voulait leur imposer, assure, disait-il, qu’il avait le pouvoir de faire accepter par moi l’adjudication sur la base qui lui conviendrait, ces conditions ne furent pas acceptées par les trois compagnies. »
Il semblerait, d’après ceci, que M. le ministre de la guerre aurait l’opinion que M. Destombes se fondait, pour arriver au but qu’il indiquait, sur des intelligences avec les agents de l’administration et sur des moyens de corruption. A moins que le ministre n’ait des preuves de ce fait, je dirai que ce n’est pas ainsi que M. Destombes entendait pouvoir faire donner la préférence à certaines soumissions. Il croyait employer, non la corruption, mais des moyens de forme, pour arriver à son but. L’adjudication n’ayant pas été consommée au jour indiqué, le 15, il pouvait avoir la faculté de se retirer, et ainsi il ne restait que les trois autres sociétés. Je ne veux être ni favorable ni hostile à aucun fournisseur ; mais j’ai la connaissance du caractère honorable de la compagnie Destombes, et je dois repousser des faits contraires aux renseignements qui me sont parvenus.
Je crois que le ministre de la guerre s’est mépris sur les intentions de M. Destombes, qui est un négociant honorable de Mons, et qui fait de grandes affaires dans le pays. Ce qu’a dit hier M. le ministre, étant mal interprété, pouvant porter atteinte à sa réputation, c’est par amour de la vérité que nous avons cru devoir faire les observations que vous venez d’entendre.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je n’ai parlé des arrangements qui ont eu lieu entre les sociétés rivales que parce que différents membres avaient soutenu qu’il y avait eu connivence. Lorsque l’adjudication fut faite le 16, je ne savais nullement que les trois compagnies s’étaient réunies et étaient convenues que la société F. Legrand aurait les deux tiers des actions, et que les deux autres se partageraient l’autre tiers. Ceci explique pourquoi M. Legrand a eu pour cautions les personnes faisant partie des autres sociétés. C’est quand l’adjudication a été faite que les sociétés ont déclaré qu’elles se réunissaient, et que les compagnies qui n’avaient pas obtenu l’adjudication serviraient de caution à celle qui l’avait eue.
Quelques jours après, j’ai dit que je regrettais que la quatrième compagnie ne fût pas aussi intéressée dans l’affaire. C’est alors que l’on m’a fait la révélation que j’ai rapportée. Je dois déclarer que M. Destombes, ni près de moi, ni près des agents de l’administration, n’a tenté des moyens de corruption.
Il est très vrai, comme on l’a avancé, que M. Destombes retirant sa soumission, il fallait bien que je choisisse la compagnie Félix Legrand.
M. Desmanet de Biesme. - Dans toutes les observations faites sur l’administration de la guerre, il en est une que je ne vois pas figurer : elle aura probablement échappé aux orateurs que nous avons entendus. Je veux parler des voyages que l’on fait faire en tout sens aux corps de notre armée. J’ai déjà signalé cet abus il y a deux ans. De ces voyages il résulte des charges exorbitantes pour les bourgeois, charges qui excitent les plaintes les plus vives, et, selon moi, les plus fondées.
Il serait déplacé que cette assemblée voulût tracer les mouvements stratégiques de notre armée ; et si nous étions au moment d’avoir la guerre, je ne me permettrais aucune réflexion ; mais, en temps de paix, il me semble assez extraordinaire de voir un corps changer de garnison quatre ou cinq fois par an. Notre armée paraît jouer aux quatre coins dans la Belgique.
En France, on n’est pas tenu à nourrir le soldat quand il arrive dans son logement ; quoiqu’il soit bien fatigué, on ne lui donne que de l’air dans sa chambre, un bout de chandelle quand il va se coucher, et le bonjour et le bonsoir : car on est très poli dans ce pays-là.
Ici, au moyen de 75 centimes donnés au bourgeois ou au paysan, celui-ci est obligé de nourrir le soldat. L’indemnité n’est pas suffisante, car nos soldats sont très exigeants et très difficiles. En France, lorsqu’on donne des légumes aux militaires, ils sont très reconnaissants ; mais ici, avec les 75 centimes, ils croient qu’ils sont dans une auberge.
Il y aurait moyen de porter remède à un tel état de choses, ce serait de suivre le mode adopté en France, c’est-à-dire, de ne faire passer les corps que d’une ville de garnison à une autre ville de garnison.
Il faut faire cesser les vexations qui résultent pour les bourgeois de l’obligation où on les tient de nourrir la troupe. A Bruxelles, ceux qui ne peuvent loger les militaires chez eux sont obligés d’ajouter un franc et demi au billet de logement pour héberger les militaires dans d’autres villes, il en coûte davantage. C’est pour tous un impôt fort lourd. Je prie M. le ministre de la guerre de veiller à ce que les troupes ne voyagent pas tant.
(Moniteur belge n°18, du 18 janvier 1836) M. Verdussen. - Je demande la parole pour ajouter quelques éclaircissements à ce que j’ai dit précédemment.
D’après la réponse de M. le ministre de la guerre, il semblerait que nos calculs n’ont aucun sens et ne signifient à peu près rien, car il dit qu’en portant l’intérêt à 6 p. c. au lieu de 4 et demi p. c. pour le capital nécessaire à l’achat des lits en fer, et qu’en ajoutant à cet intérêt 75 centimes par an et par couchette pour leur détérioration, il obtient une somme de fr. 2 55 pour chaque lit par année, tandis qu’il ne paiera à l’entrepreneur que fr. 2 53, d’où il conclut qu’il a fait un marché avantageux.
Cette manière, si simple en apparence, de défendre la transaction que le ministre a conclue, peut vous faire croire, messieurs, que la raison est toute de son côté et que je n’ai combattu que des chimères ; c’est surtout l’exiguïté de cette somme de 75 centimes par couchette qui est propre à vous persuader qu’il ne s’agit que d’une différence de chiffre peu importante ; mais il n’en est rien, et voici principalement où gît l’erreur dans laquelle M. le ministre est tombé en vous présentant les calculs de cette manière : c’est que la détérioration des couchettes après 20 années de service, en la supposant à la moitié de leur valeur primitive, ne sera supportée par les entrepreneurs qu’à l’expiration de ces 20 années, lorsqu’il s’agira de la revente, tandis que le ministre divise la valeur de cette détérioration par vingtième sur chaque année ; différence majeure, puisque 75 centimes sur 20,000 lits donne annuellement 15,000 fr. dont l’intérêt cumulé fait au bout de 20 ans un capital très considérable et suffisant pour offrir, à lui seul, un beau bénéfice ; mais il y a plus ; j’adopte pour un moment le taux de l’intérêt à 6 p. c., alors l’intérêt annuel s’élève à 30,000 francs, et l’annuité payée par l’Etat étant de 57,400 fr., il y a excédant de 27,400 fr. par an au profit des entrepreneurs, ce qui doit certainement au bout de vingt ans produire au-delà d’un demi-million, en adoptant le taux de l’intérêt composé à 6 p. c. comme le ministre désire.
Vous voyez donc, messieurs, que c’est égarer votre jugement que de vous présenter comme une bagatelle les 75 centimes, par lit et par an, à ajouter à l’intérêt annuel, et que cette seule erreur suffit pour prouver, comme je le soutiens, que le ministre a été très mal avisé d’adopter une base d’entreprise aussi préjudiciable au trésor.
M. Gendebien. - Mon intention n’était pas de prolonger la discussion générale ; mais puisque l’honorable préopinant paraît accuser ceux qui vont attaquer le marché onéreux conclu par le ministre de la guerre de tenir peu compte du bien-être du soldat et de ne pas lui montrer tous les égards qu’il mérite, je dois protester contre la conséquence que l’on veut tirer de mes paroles ; je ne veux pas qu’on croie que ceux qui désapprouve le marché Legrand ne veulent pas que les militaires soient bien couchés. Nul ne désire plus que moi que le soldat soit bien traité. Je suis un des premiers qui ont demandé que l’on ajoutât une demi-livre de pain de plus à sa ration quotidienne. L’insinuation que l’on dirige contre nous est donc injuste ; elle décèle l’impuissance de nous répondre et rien de plus.
Puisque l’on a traité de nouveau la question des lits de fer, je reviendrai sur l’objection que j’ai faite à M. le ministre et au rapporteur. Si je trouve quelque chose de mauvais dans la gestion du ministre, ce n’est pas qu’il ait amélioré l’existence du soldat, je l’en félicite au contraire, mais de ce que cette amélioration doive, sans motif, coûter si cher à l’Etat, sans plus grand bien-être pour le soldat.
J’ai fait une observation à laquelle personne n’a répondu, pas plus M. le rapporteur que M. le ministre de la guerre. J’ai dit, messieurs, (et je désire que l’on me donne une réponse catégorique, le cahier des charges à la main, puisque c’est le cahier des charges à la main que j’ai fait ma demande) j’ai dit que si le gouvernement avait fait lui-même l’achat des couchettes en fer, il n’eût dû payer pour le capital employé à cette acquisition que l’intérêt annuel de 22,000 francs. Je pense même qu’il ne serait pas difficile de prouver que l’intérêt annuel de 22,000 fr. aurait été moindre surtout si l’on considère que l’on peut négocier les bons du trésor à 4 et 4 1/2 p. c.
M. le ministre de la guerre a dit que le chiffre de 22,000 francs n’était pas assez élevé, qu’il fallait calculer l’intérêt des prix d’acquisition des lits à l’intérêt de 30,000 fr. Je suppose un moment que cela soit exécuté. Je veux bien ne pas le contester quoiqu’il soit absurde, selon moi, d’exagérer ainsi l’intérêt du capital employé à l’achat des couchettes ; mais, même en admettant ce chiffre il y a une différence de 27,400 fr. par an, sur la somme que le gouvernement paiera aux entrepreneurs pour fournir ces mêmes lits, puisqu’ils recevront 57,400 fr. Voilà 34,400 fr., selon mes calculs, ou 27,400 selon l’évaluation de M. le ministre, que l’on paiera pendant 20 ans aux entrepreneurs de plus que cela n’aurait coûté au gouvernement.
J’ai demandé que l’on voulût me dire pour quelle raison on avait consenti à faire cette dépense de 35,400 ou de 27,400 fr. de plus pendant 20 ans, que les lits fussent occupés ou non.
L’on m’a répondu qu’il y avait des frais d’entretien, de faux frais, des frais d’administration. J’ai prouvé le cahier des charges à la main, et par l’article 4 de ce cahier, qu’il résulte des dispositions mêmes de ce document rédigé par le département de la guerre que, soit que le gouvernement fournît les couchettes, soit que ce fussent les entrepreneurs, l’entretien des lits étaient à la charge de ces derniers.
Voici le paragraphe de l’article 4 que je cite :
« Dans le cas où le ministre opterait pour la deuxième base (c’est celle qu’il a rejetée), les couchettes seront fournie par l’Etat et resteront sa propriété. L’entrepreneur devra néanmoins les entretenir et les remettre en bon état à la fin de son service. Les frais de réparation et d’entretien seront à sa charge. » Remarquez bien, messieurs, l’entrepreneur est obligé d’entretenir les couchettes et de les délivrer à la fin de son service en bon état.
Vous voyez bien que, d’après cela, ni M. le rapporteur de la section centrale, ni M. le ministre, n’ont répondu à mon observation en disant qu’il y avait des frais d’entretien, de faux frais et des frais d’administration. Dans les deux cas, l’entrepreneur est tenu d’entretenir les couchettes, et dans le deuxième, à les remettre en bon état à la fin de son service.
Il y a des frais d’administration, nous dit-on. Mais ces frais d’administration sont les mêmes, soit que le gouvernement fournisse les couchettes, soit qu’elles soient livrées par l’entrepreneur.
Quelle est donc la dépense faite par l’entrepreneur et pour laquelle il recevra annuellement 34,400 francs selon mes calculs, ou 27,400 selon ceux de M. le ministre ? Ici il ne s’agit pas de dire que ce sont des calculs que l’on ne peut suivre à une lecture rapide. Voilà le cahier des charges. Les clauses en sont nettes et intelligibles. Il n’y a pas à équivoquer. Je demande donc une réponse catégorique. On a eu le temps d’y réfléchir, puisque hier j’ai présenté la même objection, et j’ai demandé une réponse à plusieurs reprises.
L’on me dira : Il faut que l’entrepreneur gagne quelque chose, et le gouvernement ne peut se charger de pareils détails. Je suis aussi de cet avis. S’il s’agissait de savoir si le gouvernement fournira les matelas, les draps de lits, les couvertures, etc., et s’il pourvoira à l’entretien de ces objets, je pourrais hésiter dans le parti qu’il y aurait à prendre, parce qu’il y aurait des calculs extrêmement détaillés et des frais infinis à faire entrer en ligne de compte. Le gouvernement est d’ailleurs fort mauvais administrateur et toujours mauvais économe.
Néanmoins, je crois que le gouvernement pourrait tout aussi bien se charger de ces détails que l’entrepreneur. L’excédant de frais qui en résulteraient en sa qualité de dupe par état n’atteindrait pas encore le bénéfice que les entrepreneurs feront sur cette partie. Je pourrais adopter la marche suivie à cet égard par le gouvernement. Je consens à ce qu’il ne se charge pas de ces détails ; mais pour les couchettes en fer, la chose est des plus simples. C’est pour ainsi dire un objet immobilier par la destination qu’un lit en fer, c’est une propriété qui n’exige aucune administration de la part du gouvernement, ce sont quelques barres de fer réunies ensemble par quelques écrous que l’on place dans une caserne.
Quels frais, quels soins d’administration cela peut-il coûter au gouvernement ? Dans 20 ans ces barres de fer existeront encore. Il y aura manqué peut-être quelques écrous. Mais l’entrepreneur étant obligé par les charges de les entretenir, les lits de fer au bout de 20 ans auraient conservé la même valeur qu’aujourd’hui, puisqu’il est obligé de les représenter en bon état à cette époque.
Oui, messieurs, au bout de 20 ans vous auriez retrouvé la même valeur qu’aujourd’hui ou peu s’en faut, si le gouvernement avait fait lui-même l’acquisition des couchettes en fer, tandis que, par le système qu’il a préféré, au bout de 20 années, il ne vous restera rien. Vous aurez pendant 20 ans payé 35,400 ou 27,400 fr. (ne disputons pas sur les chiffres), et au bout de cette période d’années, il ne vous restera plus rien dans les casernes, tandis que si le gouvernement avait consenti à payer 35,500 fr. ou 27,400 fr. de moins par an, il lui serait resté 20,000 lits en fer.
Vous perdez donc l’intérêt de 35 ou 27,400 fr. avec intérêt composé pendant 20 ans ; plus, vous perdez le capital représentant des lits de fer que vous n’aurez pas à cette époque. Je n’ai pas besoin d’entrer dans d’autres détails pour prouver ce que j’avance.
Maintenant l’on nous a présenté des calculs d’où il résulterait que la literie complète coûterait 133 fr aux entrepreneurs. Ces calculs sont complètement inexacts. Car aux termes du cahier des charges, page 13, le prix de chaque objet constituant la literie complète se trouve indiqué. Il en résulte, d’après le relevé que j’ai fait, que la couchette, en ce qui concerne les fournitures, coûterait, d’après les chiffres posés par M. le ministre lui-même, une somme de 77 fr. 20 c. ; ajoutez à cela 25 fr. 75 c. pour la couchette en fer.
M. le ministre a dit lui-même que des offres lui avaient été faites à ce prix. Il est vrai qu’il a ajouté que les frais de transport n’étaient pas compris. Mais il résulte de la lettre du fabricant lui-même que j’ai entre les mains que les frais de transport étaient compris dans ce prix. Il a même dit dans sa lettre que s’il avait été question d’une adjudication, il aurait entrepris à 24 fr. 75 c. chaque couchette transportée au lieu indiqué par le gouvernement, ce qui présente encore un avantage assez considérable, mais je néglige cette différence et je trouve :
Fourniture, 77 fr. 20 c.
Prix de la couchette, 25 fr. 75 c.
Total, 103 fr. 25 c.
M. le ministre de la guerre dit 133 francs. Voue voyez combien ce chiffre diffère de celui qui résulte de ses propres données. Je ne le suivrai pas dans d’autres détails. Cela me serait impossible ; mais vous voyez que nous différons déjà sur la base, c’est-à-dire que dès le premier pas, le ministre est en désaccord avec lui-même ; il en serait sans doute de même pour les détails, comme les chiffres que j’ai indiqués sont ceux du cahier des charges, et l’on sait bien que le gouvernement a dû faire la part du bénéfice de l’entrepreneur. (Dénégations de la part de M. le ministre de la guerre.) Je ne puis pas le prouver, mais je dirai tout à l’heure quelque chose qui m’a convaincu que cela devait être ainsi, et d’ailleurs il en est toujours ainsi. Je ne veux pas d’autres preuves que les rabais qui ont lieu dans presque toutes les adjudications.
Il résulte des calculs auxquels je me suis livré que les entrepreneurs pourront établir toutes leurs fournitures pour deux millions deux cent mille francs au maximum. Je pose même en fait qu’ils ne dépenseront pas deux millions. Cependant, ils ont constitué une société au capital de trois millions. Ils commenceront par réaliser 50 p. c., car ils ne dépenseront pas deux millions pour établir leur société, et ils ont émis ou peuvent émettre pour trois millions d’actions, pour exploiter ce qui ne leur coûtera en réalité que trois millions de francs. Ces actions, bien que cette société ait un capital gonflé d’un million, sont à 35 p. c. Ainsi l’entreprise qui est seulement surchargée d’un million représente malgré cela un bénéfice de 35 p. c. sur le capital gonflé de trois millions. Jugez par là si l’affaire est aussi peu lucrative pour les entrepreneurs que le gouvernement vient de vous le dire.
Voyez aussi, d’après cela, s’il y a lieu comme le voudrait faire croire M. le rapporteur de féliciter le gouvernement sur le parti qu’il a pris.
Si, comme l’a dit hier le rapporteur, et je ne puis encore comprendre comment il pu se tromper sur ce point ; si, comme on nous l’a dit à la section centrale, le gouvernement avait été chargé de l’entretien des couchettes en fer, l’on aurait pu hésiter sur le parti à prendre. Mais depuis la découverte que nous a révélée le cahier des charges que, dans le cas de l’adoption de l’une ou l’autre base, l’entretien des couchettes était aux frais de l’entrepreneur d’après les deux bases du cahier des charges, dès lors il m’est impossible de ne pas reconnaître que l’honorable ministre de la guerre a été trompé. Oui, le ministre, je le crois, n’a été que trompé. Ce n’est pas lui qui est le trompeur. Il a cédé à des conseils intéressés, mais qu’il croyait loyaux et désintéressés. Notre devoir est de réparer cette erreur. Je ne citerai pas de noms propres, je m’arrête là.
Messieurs, un honorable membre a parlé du peuple qu’il est bon de courtiser ; je crois que, tout en ayant l’air de dédaigner de faire sa cour au peuple, il l’a faite ou voulu faire à l’armée, c’est-à-dire à une partie très honorable sans doute du peuple, et cela pour distraire votre attention du marché en discussion. Il s’agit non pas de décider si le soldat sera bien ou mal couché, tout le monde veut qu’il le soit au mieux possible. Toute la question est de savoir si, pour faire de bons lits à l’armée, on grèvera le bon peuple de 35,400 francs par an de plus qu’il n’aurait dû payer pour arriver au même résultat.
Que M. de Mérode trouve mauvais que nous critiquions, soit ; cependant c’est au profit de ce peuple qu’il plaint, que nous critiquons ; nous voulons la plus grande somme de bien-être au meilleur marche possible, et lui, inconséquent avec lui-même, il trouve mauvais que nous lui évitions des sacrifices inutiles.
Je n’ai nullement l’intention de faire ma cour à personne, pas plus à l’armée qu’à toute autre partie du peuple. Mais je puis déclarer que je veux aussi que le soldat soit bien couché et mieux, s’il est possible qu’il ne le sera d’après le marché conclu. Mais je regrette pour nos soldats qui font partie de la nation, et pour leurs parents qui seront, comme contribuables, appelés à supporter leur part dans la dépense ; je regrette, dis-je, qu’ils ne soient pas mieux couchés, et à moins de frais ; la fortune des entrepreneurs n’enrichira ni le soldat, ni le peuple, ni le trésor ; chacun y perdra et le soldat ne sera pas mieux couché. Le peuple et l’armée connaissent depuis longtemps ma pensée et les intentions ; il ne sera pas facile de leur faire croire que je veux des économies aux dépens de leur sommeil et de leur bien-être.
J’aurais désiré ne pas prolonger la discussion générale, mais il est d’autres points sur lesquels je dois m’expliquer.
On a parle du mécontentement de l’armée. Sans avoir l’intention de faire ma cour à l’armée, je dois déclarer qu’il règne en effet dans ses rangs un mécontentement. Il est même assez général, et ce n’est pas sans sujet légitime. L’origine de ce mécontentement date de 1831. A cette époque, immédiatement après la malheureuse campagne du mois d’août, on adopta un système qui paraît avoir été conçu et même préparé avant les événements du mois d’août ; on prit le parti de la contre-révolution comme on l’avait fait en France. De là nécessité d’élaguer de l’armée tous les hommes de la révolution, et on ne s’en fit pas faute comme chacun sait dans ce moment, où l’on accumulait injustice sur injustice à l’égard de ces hommes de la révolution, qui s’étaient bien battus même pendant la campagne de 1831, et qui se seraient mieux battus encore s’ils avaient été mieux conduits.
Sont arrivés des étrangers, tous très honorables personnellement, ou au moins pour le plus grand nombre que je connaisse, mais considérés à tort ou à raison comme chargés d’une mission, comme appelés par le gouvernement belge, ou envoyés par le gouvernement français pour l’aider à remonter la pente de la révolution, selon l’expression doctrinale de M. Guizot, devant la chambre des députés de France. Ils furent considérés comme des missionnaires de France, destinés à convertir notre armée aux principes que l’on s’efforçait d’inculquer à l’armée française. De là premier sujet de mécontentement, non contre ces individualités étrangères, mais contre les étrangers en masse et contre le système dont ils étaient considérés comme les représentants.
Parmi ces officiers étrangers, il y en avait qui détestaient la révolution belge aussi bien que la révolution française ; ils critiquaient la révolution belge d’une manière tout au moins inconvenante. Il y avait même des officiers supérieurs qui déclaraient, en présence d’officiers belges, que notre révolution était une absurdité, que nous étions parfaitement heureux sous le roi Guillaume, et que nous avions eu bien tort de nous insurger ; les hommes de la révolution n’étaient pas plus ménagés que la révolution elle-même. De pareils propos étaient faits pour accréditer l’opinion que leur mission était de pervertir la révolution belge ; ce qui était assurément de nature à jeter sur eux de la défaveur. La partialité du gouvernement en leur faveur devait avoir le même résultat. Les étrangers qui arrivaient recevaient une gratification pour s’équiper, tandis que les officiers de la révolution étaient traqués, destitués, calomniés, et rentraient dans leur corps ou s’ils en changeaient, ils ne recevaient pas la moindre somme pour se procurer leur uniforme.
Si je voulais mettre sous vos yeux d’autres sujets de mécontentement, je les puiserais dans le Moniteur du 2 du mois d’août 1834. Les reproches qui ont été chaleureusement adressés à M. le ministre de la guerre, par M. le ministre actuel des finances, y sont longuement développés. Il a cité plusieurs faits de partialité ; par exemple, a-t-il dit, un jeune homme entre dans un régiment, du premier saut, comme sergent-major, et au bout de 6 mois il est nommé sous-lieutenant, au détriment d’anciens sous-officiers et des officiers de la révolution qui ont obtenu l’épaulette, et qui aujourd’hui n’ont encore que le grade de sous-lieutenant provisoire et jusqu’à la paix. Il a cité un Français arrivé dans ce pays après avoir servi deux années en France ; nommé sous-officier, ses supérieurs avaient voulu le dégrader, dit M. d’Huart, mais le chef du personnel s’y est opposé ; on a trouvé moyen de pallier cela en le faisant passer d’un bataillon dans un autre, et il n’a pas tardé à devenir officier. Il a cité plusieurs autres cas particuliers, et a révélé une infinité d’autres abus. Voilà l’origine des dissensions qui existent dans l’armée. Et il est vraiment étonnant que M. d’Huart, qui connaissait si bien ces faits lorsqu’il était député, les ait oubliés depuis qu’il est ministre, puisque les mêmes abus existent toujours.
On a méconnu l’armée de la révolution, en donnant des grades, non pas aux officiers de l’ancienne armée qui ont combattu avec nous, mais à ceux qui sont restés en Hollande pendant la campagne de 1831. On a décoré de l’ordre de la légion d’honneur par l’intermédiaire du gouvernement belge, on a décoré de l’ordre Léopold des officiers qui ont servi en Hollande jusqu’à la fin de 1831, et qui nous ont combattus au mois d’août. Au lieu de chercher à établir l’union entre les officiers de l’ancienne armée et les officiers de la révolution, qui s’étaient mutuellement appréciés, on a jeté la division parmi eux en calomniant odieusement même dans cette enceinte, et au nom du gouvernement, les officiers de la révolution.
On a mécontenté l’ancienne armée, et l’armée de la révolution, en favorisant de toutes les manières les étrangers. D’un autre côté, les étrangers sont mécontents, parce qu’ils ont été mal vus dans l’armée. C’est ainsi que vous avez eu tous les termes de dissensions ; c’est ainsi que l’on a mécontenté tous les (manque un mot.)
Il est encore un autre sujet de plainte dans l’armée, qu’on a donné des grades supérieurs, des grades de généraux de brigade, de généraux de division à des hommes qui n’avaient rendu aucun service, ou fort peu de services. Qu’en est-il résulté ? que des officiers qui avaient servi trente ou quarante ans, ou qui, ayant servi moins longtemps, avaient rendu de grands services, se sont demandé : Pourquoi tel qui n’était que capitaine en 1830 est-il aujourd’hui général de division, tandis que nous qui sommes entrés au service vingt ans avant lui, ne sommes encore que capitaines, majors ou colonels ? Mais, sous l’empire, il fallait avoir fait vingt campagnes, avoir reçu vingt-cinq blessures ; il fallait, en un mot, avoir été assez heureux pour échapper à la mort pendant vingt ans ; il fallait s’être distingué sur cinquante champs de bataille, pour arriver au grade de général de division. Aujourd’hui, l’on donne le grade de général de division pour un voyage manqué.
Si encore il y avait nécessité, si les besoins du service l’exigeaient, je concevrais que quand on trouve un homme capable, on lui donnât un grade auquel il n’aurait pas droit si l’on ne considérait que son ancienneté ; car je ne dis pas qu’il faille toujours donner les grades à l’ancienneté de service. Mais il faut que la capacité supérieure de l’officier nommé par une espèce de passe-droit, soit incontestable. Il faut qu’elle captive l’assentiment de tous ses camarades ; il faut que cette nomination soit légitimée par la nécessité ; or, pourquoi donner au commandant d’une arme spéciale le grade de général de division ? Cet officier ne pouvait-il pas rendre les mêmes services avec le grade de général de brigade ?
Au commencement de la révolution, nous avions l’honorable M. Deghistelle qui était un des officiers les plus distingués de l’ancienne armée, et qui, dans les temps les plus difficiles, organisa parfaitement notre artillerie, quoiqu’il fût malade ; il mourut au commencement de septembre 1831. Il n’était que lieutenant-colonel et il rendit d’immenses services ; il se prononça de suite pour la cause nationale, et dès le 28 septembre 1830 il combattait les Hollandais. Eh bien, il n’était que lieutenant-colonel ; et voici l’avantage de sa position, il pouvait dire aux plus exigeants : Je commande l’artillerie, c’est moi qui l’organise ; et je ne suis que lieutenant-colonel ! Contentez-vous provisoirement de votre grade, plus tard nous avancerons ensemble.
Quand, au lieu de cela, on donne sans nécessité des grades supérieurs, ils deviennent un sujet d’envie, un point de comparaison très fâcheux qui semble légitimer toutes les ambitions, et si l’injustice et la partialité président à ces distributions de grades, elles ne peuvent manquer de mécontenter l’armée. Je suis loin de contester à l’armée aucun genre d’avancement, mais je désire qu’ils soient accordés avec discernement, qu’ils soient une juste récompense de services militaires et non d’antichambres.
J’invite M. le ministre de la guerre à s’occuper sérieusement de l’armée, à faire disparaître toute trace d’injustice. Je l’invite à être juste envers les étrangers comme envers les Belges, car s’il est des étrangers qui auraient dû, depuis longtemps, s’apercevoir de leur inutilité. Il en est d’autres qui nous rendent des services incontestables.
J’invite particulièrement le ministre de la guerre à ne pas autoriser et à ne pas se permettre de ces actes arbitraires qui pouvaient être de bon goût sous l’empire, mais qui sont passés de mode aujourd’hui, au moins en Belgique. Il est tel de ces actes que l’on peut considérer comme de véritables lettres de cachet.
Par exemple on a dit (et les journaux en ont retenti) qu’un colonel s’était arrogé le droit d’imposer un serment aux officiers de son régiment, ou au moins de leur faire subir un interrogatoire sous serment, tandis que la consultation dit formellement qu’il ne peut être exigé d’autre serment que celui prescrit par la loi, et dont la loi détermine la formule.
Si donc plusieurs officiers se sont refusés à prêter le serment qu’on leur demandait, ce sont d’honorables citoyens ; ils ont respecté et fait respecter la constitution : honneur à eux ! Ils étaient dans leur droit. Eh bien, on ne les a pas destitués, parce qu’on n’en avait pas le pouvoir ; mais on a fait l’équivalent, on les a mis à la demi-solde d’infanterie (ils étaient officiers de cavalerie), on leur a retranché les fourrages et on les a assimilés en tout point à des officiers d’infanterie en demi-solde.
Ce n’est pas tout encore : on ne s’est pas contenté de violer la constitution sur un point, on a voulu la violer sur un autre point : on a enfermé ces officiers dans des villes fortes, où ils sont considérés comme prisonniers de guerre, ne pouvant sortir de la ville, sauf du commandant de place, autorisation qui n’est donnée que de l’avis du chef du personnel du département de la guerre, ou peut-être du ministre lui-même.
Dans quel siècle vivons-nous donc ? Comment ! nous avons fait, il y a cinq ans, une révolution qui a garanti la liberté individuelle et la liberté de conscience ; nous avons poussé le scrupule jusqu’à léser le trésor de plusieurs millions pour écarter les abus du serment dans les déclarations de succession et dans une multitude d’autres actes ; et un colonel s’arrogera le droit d’imposer un serment aux officiers de son corps !
Et à quel propos encore ? A propos de critiques insultantes adressées à ce colonel par un journal. Il fera à ces officiers l’affront sanglant de les leur attribuer, et commettra une inconstitutionnalité en leur prescrivant de les désavouer par une déclaration sous parole d’honneur et même, dit-on, sous serment. Quand un chef respecte assez peu la délicatesse et l’honneur de ses subordonnés pour descendre à de pareils soupçons, il ne doit pas au moins aller au-delà du simple soupçon ; il ne devrait pas descendre jusqu’à des mesures inquisitoriales, il ne devrait pas chercher des preuves en demandant un serment ; car c’est violer la constitution. C’est également la violer que de retenir prisonniers dans des villes fortes et sans jugement des officiers dont le crime est d’avoir refusé de se soumettre à des investigations insultantes pour leur caractère et attentatoires à leurs droits de citoyens. C’est renouveler tout le despotisme de l’empire ; c’est rappeler le temps des lettres de cachet de Louis XIV et de Louis XV ; c’est enfin encore un pas dans la voie contre-révolutionnaire.
Et vous croyez après cela avoir fait un acte de vigueur, avoir fait un progrès vers la discipline. Mais si vous êtes de si grands amis de la discipline, pourquoi n’avoir pas réprimandé dans le temps certain colonel qui refusa de passer l’inspection d’un général de brigade ? Le général de brigade resta à Bruxelles, ne fit plus d’inspection, et le colonel ne fut pas réprimandé. C’est alors que vous deviez faire acte de vigueur ; car les chefs doivent donner l’exemple de la subordination, surtout lorsque ce soit des officiers supérieurs.
Cet officier, je le répète, ne fut pas réprimandé, tandis que d’un autre côté on n’a pas de peines assez sévères pour punir, sans les entendre, les officiers qui se sont refusés à un serment que la constitution défendait de leur imposer. On veut donc imiter le bon, l’excellent régime de Louis XIV et de Louis XV. On veut donc ressusciter le régime impérial ; mais ce régime ne peut pas revenir. Personne en Europe ne peut prétendre à la puissance qu’a exercée l’empereur, parce que personne n’a ce vernis de gloire qui faisait supporter son despotisme. Vous n’êtes pas de taille, messieurs, à jouer ce rôle. Sa puissance était fondée sur la gloire, et vous ne comptez que des défaites et des insultes.
Commençons par faire oublier nos défaites, commençons par acquérir quelque gloire, et ensuite sachons imiter l’empereur dans ses qualités et non dans ses défauts ; car, ne l’oubliez pas, malgré sa gloire, il n’a régné que 10 ans ; il est tombé, il a succombé sous le poids de son despotisme. An lieu de songer à l’imiter dans son despotisme, tâchez de l’imiter de loin dans sa gloire et dans son génie.
Croyez-moi, changez de régime ; l’armée est aujourd’hui composée du peuple, comme le reste de la nation. L’armée pas plus que le reste de la nation n’est déshéritée de ses droits constitutionnels ; comme l’a dit M. de Mérode, elle n’est plus déshéritée des soins et du bien-être de la vie. De même la vie publique doit être respectée dans le soldat, comme elle est respectée chez les autres citoyens. Si vous ne respectez pas la constitution à l’égard de l’armée, si vous affaiblissez chez elle la confiance et le respect que chacun doit à la constitution, le jour où vous l’invoquerez pour maintenir l’œuvre de cette constitution, vous ne la trouverez plus, elle vous tournera le dos.
Que l’on ne s’imagine pas que je veuille ici faire de l’opposition, que je veuille faire tomber le ministre de la guerre. D’autres peuvent avoir autrefois parlé dans ce but. Pour moi je suis convaincu des bonnes intentions de M. le ministre de la guerre ; mais je répète ce que j’ai eu l’honneur de dire il y a 3 ans, M. le ministre de la guerre est faible, et souvent il est trompé. Je l’engage à regarder autour de lui, et à se souvenir qu’il est seul responsable ; je l’engage à respecter et à faire respecter la constitution, et je le prie de ne pas oublier qu’il n’y a de gouvernement durable que ceux qui marcheront sous l’égide de la constitution ; mais je le déclare encore, mon intention n’est pas de le faire tomber, pas plus que ses collègues ; car l’expérience nous a prouvé qu’il n’y a rien à gagner à changer de ministère. (On rit.)
Depuis longtemps nous sommes rentrés dans l’ancienne ornière ; c’est ce qui m’avait fait prendre, il y a cinq mois, la résolution de quitter la chambre. Le char de l’Etat est si bien embourbé dans l’ornière de la contre-révolution, que pour l’en tirer il faudra de toute nécessité un vigoureux coup d’épaule. Je désire éviter ce choc ; car, pour moi, j’ai assez d’une révolution ; mais cela arrivera nécessairement, par cette raison toute physique, que les mêmes causes amènent toujours les mêmes effets, A moins donc que le gouvernement ne change de régime, ne renonce à ces continuelles violations de la constitution, et des droits qu’elle consacre pour tous, soyez assurés que vous verrez se renouveler ces événements, ces révolutions dont nous avons été trop souvent témoins depuis 40 ans, et dont l’expérience semble perdue pour tous les gouvernements, même pour ceux qui en sont le produit. J’adhère donc le ministre de prendre garde à ne jamais se séparer de la constitution.
Je ne dirai plus qu’un mot : c’est un sujet de ces malheureux officiers de volontaires dont le sort est encore en suspens depuis cinq ans, et qu’on contraint à faire jusqu’à 30 ou 40 lieues pour subir des examens. On veut s’assurer de leurs capacités, pour leur conférer définitivement des épaulettes de lieutenant ou de sous-lieutenant qu’ils portent depuis cinq ans ! Quelle pitié. Rendez enfin justice à ces braves jeunes gens. Ils deviennent d’ailleurs rares ceux qui ont surmonté depuis cinq ans les dégoûts dont on les a abreuvés.
D’un autre côté, ce sont des officiers de tirailleurs-francs que l’on a engagés pour la durée de la guerre, et que l’on renvoie sans solde aucune au mépris des engagements pris envers eux par un arrêté formel du régent.
Il y en a qui demandent une année ou une demi-année de solde pour retourner en France ; il y a des Belges qui ont quitté la France, et qui font cette demande pour y retourner, on leur a répondu qu’on n’avait rien à leur donner, qu’on ne leur devait rien. Cependant un honorable député d’Audenaerde vous a dit, et le ministre a dit aussi, qu’à l’égard des officiers français qui ont pris du service en 1831, il y avait obligation contractée par le gouvernement de les conserver au service pendant toute la durée de la guerre. Si cet engagement a été pris, il faut sans aucun doute le respecter. Mais qu’on respecte alors pour tout le monde cet engagement pris ; qu’on le respecte pour les indigènes comme pour les étrangers, qu’on le respecte pour les hommes de la révolution comme pour les officiers qui sont arrivés après eux.
Je connais un de ces officiers belges, un malheureux père de famille, qui dès 1805 était attaché à ce qu’il y a de plus honorable en France ; il entra au service, parce qu’il n’avait pas le moyen de s’acheter un remplaçant. Il a servi honorablement pendant 14 ans ; la preuve que cet homme mérite des égards et que ce n’est pas un aventurier, c’est qu’en quittant le service il est redevenu le secrétaire d’une personne honorable à laquelle il avait été attaché en cette qualité avant son entrée au service. Je ne citerai pas le nom, mais M. le ministre de la guerre le connaît. En 1830, il se rendit à l’appel que lui faisait son pays ; il combattit les Hollandais ; il contribua à la prise d’Anvers où il entra un des premiers ; plus tard il fut incorporé comme capitaine dans les tirailleurs-francs jusqu’à la paix. Aujourd’hui il demande une année de solde pour retourner lui et sa femme à Paris, cette demande n’a pas été accueillie ; il a réduit sa demande à six mois de solde et il a encore été refusé.
Ainsi d’un côté on dit qu’il faut maintenir avec solde entière jusqu’à la paix les officiers étrangers qui ont pris du service à la fin de 1831, et les Belges qui ont pris du service, dès 1830, on les renvoie en leur refusant toute solde, toute indemnité pour un temps limité. Cependant qu’on y songe, les hommes de la révolution n’ont pas encore perdu toute sympathie dans le pays, et rien ne provoque l’indignation comme l’ingratitude et l’injustice. Dans cette chambre même, j’entends souvent des explosions de patriotisme ; comme je suis persuadé que ce n’est pas de l’hypocrisie, mais des sentiments réels, je prierai la chambre de parler moins de patriotisme à l’avenir et d’en donner quelque preuve.
Qu’elle exige que justice soit faite à tous les hommes qui ont fait un sacrifice à la révolution, et ses actes seront d’accord avec ses paroles avec ses sentiments.
Je n’en dirai pas davantage.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Lorsque j’arrivai au ministère de la guerre, il se trouvait 2 à 3 cents officiers qui, ayant servi comme volontaires dans les tirailleurs francs, ne furent pas admis dans l’armée de ligne lors de la fusion de ces corps dans les régiments.
Quelque temps après, la chambre, sur la proposition d’un honorable membre, accorda un crédit de 60 mille florins, pour qu’il fût payé à ces officiers le montant de la solde d’activité pendant 4 mois ; cette indemnité leur fut régulièrement payée. Mais quelques-uns ayant mis du retard à faire leur demande, je fus dans l’obligation d’arrêter les paiements. Je demandai alors 15 mille florins ; cette somme me fut accordée en un crédit extraordinaire. Ce sont donc 75 mille florins qui ont été accordés à ces officiers.
Quand, au mois d’août 1832, il s’agit d’organiser la réserve, je pris 220 à 230 de ces officiers, tous ceux enfin qui étaient susceptibles de servir, et je les fis successivement passer dans les régiments de ligne. Après les inspecteurs de l’année dernière, il y en eut 42 qui furent, sur le rapport des inspecteurs-généraux, définitivement admis dans l’armée. Il y en eut ensuite 103 qui, l’année dernière, subirent l’examen de commissions formées dans chaque quartier-général et présidées par le général commandant la division : les uns, ayant fait preuve de capacité et d’instruction, furent conservés dans leur grade pour la durée de la guerre ; d’autres, n’ayant pas assez d’instruction pour rester dans leur grade, furent maintenus dans le grade inférieur ; enfin il y en eut qui, en raison de leur conduite ou de leur manque d’instruction, ne durent plus rester dans l’armée. Ces derniers furent congédiés avec une indemnité.
Quant à l’officier dont a parlé l’honorable préopinant, je le connais personnellement. Il est très malheureux ; mais il n’est pas susceptible de servir dans l’armée. Il m’a demandé une indemnité ; je n’ai pas de fonds dont je puisse disposer à ce titre. Cependant, comme j’ai un crédit de 5 mille francs pour secours, je lui en ai accordé 2 ou 3 fois, et j’espère pouvoir lui donner l’indemnité qu'il demande pour retourner à Paris.
Quant à l’affaire des sous-lieutenants de cuirassiers, voici une note que j’ai rédigée sur cette affaire et qui indique exactement comment les faits se sont passés.
Messieurs, depuis quelque temps, des articles diffamatoires contre des généraux et officiers supérieurs étaient insérés dans quelques journaux ; ceux qui étaient dirigés principalement contre le colonel des cuirassiers se distinguaient par leur violence et contenaient des détails particuliers au régiment de cuirassiers ; ils portaient pour signature « un officier votre abonné, » et même « un officier de cuirassiers. »
Tout portait donc à croire qu’en effet l’auteur était un officier de ce régiment ; mais l’anonyme qu’il gardait, les mesures qu’il avait prises afin de ne pas être connu pour l’auteur de ces articles, pouvaient faire supposer que l’officier le plus inoffensif, le plus ennemi de ces intrigues, en était l’auteur ; et pour faire cesser ces odieuses machinations, qui soulevaient l’indignation de tous les militaires qui réfléchissaient et sur les sources et sur les motifs de ces attaques, les officiers qui se trouvaient à Tournay prirent spontanément, un jour de réunion pour le service, la résolution de parvenir à connaître le véritable auteur de ces diffamations en s’engageant mutuellement, et de leur pleine et libre volonté, à déclarer qu’ils n’avaient jamais écrit ou fait écrire dans les journaux rien qui pût être attentatoire à la réputation du régiment, ou rien qui attaquât la réputation ou l’honneur d’aucun officier de ce corps.
Plusieurs officiers donnèrent à cet effet, verbalement et sur leur honneur, l’assurance qu’ils n’avaient jamais fait insérer d’articles dans les journaux ; d’autres donnèrent une déclaration par écrit ; ce dernier exemple fut bientôt suivi par tous les officiers, qui se trouvaient à Tournay ; l’un d’eux se rendit à Mons où se trouvaient quelques officiers détachés, un autre se rendit auprès des deux escadrons détachés à Ypres ; les premiers imitèrent l’exemple de leurs camarades, mais plusieurs des officiers en garnison à Ypres refusèrent leur adhésion à la déclaration.
Cette divergence de manière de voir, ces investigations de la part de l’immense majorité des officiers, et le refus de la part de six autres, pouvaient entraîner les conséquences les plus funestes non seulement dans le régiment dont ces officiers faisaient partie, mais encore dans toute l’armée.
Le colonel, m’ayant fait connaître l’état des choses, reçut l’ordre de faire des efforts pour ramener l’union, l’esprit de corps parmi les officiers ; de nouvelles démarches furent donc une troisième fois tentées, mais infructueusement : six officiers persistèrent à ne pas vouloir suivre l’exemple de leurs camarades ; il devint alors urgent de prendre une mesure pour mettre fin à ces débats, et certes le seul moyen qui se présentait était d’éloigner des officiers qui, par le refus d’imiter leurs camarades, s’avouaient tacitement les auteurs des diffamations insérées dans les journaux.
Il est très possible, messieurs, qu’il y en ait parmi eux qui ne soient pas les auteurs de ces articles et qu’ils eussent pu, sans mentir à leur conscience, déclarer qu’ils y étaient étrangers ; mais pourquoi cette obstination à vouloir prendre parti contre la masse de leurs camarades ? Pourquoi vouloir, au nombre de six seulement, fausser le bon esprit qui anime les soixante et dix autres ? Pourquoi se dévouer pour un anonyme, le couvrir de leurs manteaux plutôt que d’imiter les autres officiers empressés de donner une preuve d’affection à leur colonel ?
Certes cette conduite est plus que blâmable et celui pour qui une partie des officiers s’est sacrifiée, quel qu’il soit, ne le méritait pas ; n’était-il pas de son devoir, de son honneur même de se faire connaître, d’assumer sur lui seul les conséquences de sa conduite coupable ou irréfléchie ?
Cette manière d’agir de ces officiers ne mérite donc pas l’intérêt qu’ils s’efforcent d’attirer sur eux. Car, ou ils sont coupables, et alors ils doivent être punis, ou ils ne le sont pas, et, dans ce cas, ils ont voulu braver la punition ; et personne ne dira qu’un officier qui se sert des journaux, qui, sous le masque de l’anonyme, calomnie ses supérieurs, porte atteinte à leur considération, peut rester dans l’armée ; la force morale, la discipline exigent son éloignement. Cette manière d’agir, disait M. le maréchal Maison, dans son ordre du jour, en date du 17 juillet, est subversive de toute hiérarchie, de toute subordination, de toute discipline. Il est donc de mon devoir, et ma responsabilité de ministre de la guerre me prescrivait, de ne pas laisser des faits pareils sans punition exemplaire.
Que deviendrait la discipline de notre jeune armée, tant admirée par la nation, qui met en elle toute sa confiance, et par l’étranger qui mesure, d’après elle, la puissance de la Belgique, que deviendrait cette discipline, si on voyait s’introduire, se propager dans l’armée ce genre de diffamation, dictée par la vengeance, dirigée souvent par l’être le plus vil contre l’officier le plus estimé ? Quant à moi, je ne le souffrirai pas, et je suis trop jaloux de ma réputation militaire pour mériter le reproche que sous mon ministère, de pareils excès ont été tolérés, et en cela, je ne suis que l’opinion de toute l’armée ; elle est fatiguée de voir quelques individus méconnaître leur position, leurs devoirs, les sentiments d’honneur qui doivent guider les militaires de tout rang, en se servant de la presse, et par voie anonyme, pour exercer leur vengeance personnelle ; elle demande que des mesures rigoureuses soient prises contre des abus qui finiraient par rejaillir sur elle-même tout entière, si on n’en découvrait pas les auteurs. J’ai compris ces désirs, et je saurai y faire droit.
Tout ce qui s’est débité contre le ministre, j’ai pu le mépriser ; mais je ne puis rester indifférent aux insultes prodiguées à des chefs qui ont toute mon estime, toute ma confiance ; je leur dois mon appui.
Dans l’affaire qui provoque ce débat, ce n’est pas au maintien de la discipline que s’arrête ma responsabilité ; n’était-il pas de mon devoir de prévenir toute collision qui aurait infailliblement eu lieu entre les officiers ? Les pères de famille ne m’auraient-ils pas demandé compte du sang de leurs enfants, versé dans des combats qui déjà trop souvent ont porté le deuil dans les familles, et ont privé l’Etat d’hommes dignes d’employer leur courage contre l’ennemi de la patrie, de mourir sur un champ de bataille ?
En me résumant, je dois déclarer que connaissant le prix de la discipline dans une armée, je fais tous me efforts pour conserver le dépôt sacré dont je dois compte au Roi et à la nation.
M. de Jaegher. - (Erratum inséré au Moniteur belge n°19, du 19 janvier 1836 :) Messieurs, je suis peiné de devoir prendre la parole sur l’objet de l’incident soulevé par l’honorable M. Gendebien. Je sens comme M. le ministre de la guerre la nécessité de maintenir par tous les moyens possibles une bonne discipline dans l’armée et même de l’introduire là où elle se fait regretter. Mais il a cité des faits ; et il est à ma connaissance que ces faits ne sont pas exacts. J’ai déjà fait une démarche officieuse auprès de M. le ministre de la guerre pour l’engager à terminer cette affaire de manière à assoupir les plaintes auxquelles elle a donné lieu. M. le ministre ne m’ayant pas répondu d’une manière positive, je me vois maintenant forcé de rétablir les faits tels qu’ils se sont passés.
Il parut dans certains journaux les articles dont M. le ministre a fait mention. Ces articles attaquaient personnellement le colonel du régiment de cuirassiers. Quelques officiers en témoignèrent hautement leur regret. Un jour le colonel envoya le capitaine adjudant-major pour réclamer des officiers du régiment une déclaration par écrit, portant qu’ils n’étaient pas personnellement les auteurs de ces articles. Ces officiers soupçonnaient d’être l’auteur des articles un officier qui venait de quitter le corps et de passer dans un régiment d’infanterie ; mais ils se refusèrent à déclarer sous serment et par écrit qu’ils n’en étaient pas les auteurs.
Il y avait un escadron de cuirassiers détaché à Ypres. Les officiers de cuirassiers en garnison à Tournay donnèrent avis de leurs refus à leurs camarades d’Ypres. Leur lettre est parvenue à ceux-ci. Entre-temps, le colonel envoya un officier à Ypres, pour demander la même déclaration par écrit aux officiers qui y étaient détachés. Ces officiers ayant reçu la lettre de leurs camarades, refusèrent la déclaration qui leur était demandée, croyant en cela agir conformément à ce qu’avaient fait leurs camarades. Le colonel entre-temps avait fait retourner l’adjudant-major auprès des officiers en garnison à Tournay, et leur avait faire dire qu’il se contenterait d’une déclaration verbale sur l’honneur.
C’est alors que les officiers ne trouvant plus les mêmes motifs de refus dirent qu’ils étaient prêts à donner cette déclaration verbale, et qu’ils consentaient à ce qu’on en prît acte. Les officiers d’Ypres se trouvèrent donc les seuls à refuser, il ne leur fut pas adressé immédiatement une demande dans le même sens qu’aux officiers de Tournay. Si je suis bien informé, on se borne à demander aux officiers d’Ypres une déclaration formelle et non motivée, indiquant s’ils étaient oui ou non les auteurs des articles. Voulant au moins expliquer pourquoi ils reviendraient sur leur premier refus, ils ont décidé de ne pas vouloir donner cette déclaration, s’il ne leur était pas permis de la motiver.
Ce fut alors que ces officiers furent mis en demi-solde ; il y avait parmi eux un capitaine polonais ; ce capitaine fit le même refus. Mais ayant appris quelles seraient les conséquences de cette conduite, il fit parvenir au colonel une déclaration portant qu’il n’était pas l’auteur des articles, et il ne fut pas compris dans la mesure qui a frappé plusieurs officiers.
Je connais quelques-uns de ces officiers. Je dois déclarer que les regrets de tous leurs camarades les ont accompagnés. Leurs camarades se cotisent pour leur parfaire leur solde. Les officiers que cette mesure a atteints, ont le caractère le plus honorable et méritent à tous égards que M. le ministre revienne sur l’extrême sévérité dont il a usé envers eux.
M. Pirson. - Je connais un peu l’affaire des cuirassiers, par une très bonne raison, c’est que j’ai un fils officier dans ce régiment. Ce fils avait d’abord refusé aussi de signer la déclaration écrite qui lui était demandée, s’offrant à déclarer verbalement qu’il n’était pour rien dans la rédaction des articles en question. Je fus consulté par lui-même sur la conduite qu’il devait tenir. Il me rendit compte des articles écrits contre son colonel ; il en était lui-même un peu affligé ; néanmoins les officiers étant réunis, quelques-uns proposèrent de faire une déclaration par écrit de leur non-participation aux articles. Plusieurs voulurent bien faire cette déclaration verbalement, mais non pas par écrit ; il était de ce nombre.
D’un autre côté, plusieurs officiers proposaient une déclaration écrite. Je fus consulté par mon fils sur ce qu’il devait faire. Je lui ordonnai de signer cette déclaration écrite, quoiqu’elle ne fût pas parfaitement selon les principes de certaines personnes. Je lui dis que dans une pareille affaire on ne devait pas se conduire comme des écoliers ; je lui dis que si l’anonyme avait été complet, on n’aurait pas pu supposer que ce fût un officier de cuirassiers qui fût le coupable ; mais que l’article étant signé : « Un officier de cuirassiers, » il était naturel que l’on demandât une déclaration pour vérifier si l’article était ou non d’un officier de cuirassiers ; que dans une affaire aussi grave on ne devait pas hésiter à signer une telle déclaration ; que ce n’était pas le cas de se conduire comme des collégiens qui se concertent pour chercher à mettre à l’abri du châtiment celui qui a commis une faute.
Il me répondit qu’il suivrait mon conseil, mais qu’il n’irait pas au-devant de la signature ; qu’il ne se présenterait pas pour la donner, mais que si on faisait de nouvelles démarches pour l’obtenir, il signerait. Ces nouvelles démarches ont été faites par ordre du ministre de la guerre ; cette affaire avait déjà duré trop longtemps. Le ministre a ordonné que les officiers signassent une déclaration qu’ils n’avaient pas pris part aux publications dont il s’agissait. Plusieurs ayant refusé, il fallait en finir et empêcher les fâcheuses conséquences qui allaient résulter de la division que ce refus établissait entre les officiers du corps ; le seul moyen était d’éloigner ceux qui pouvaient en être cause.
Il y avait bien quelque raison de croire, ainsi que l’a dit M. de Jaegher, que l’auteur des articles était un officier sorti du corps, qui, soit dit en passant, passait pour un mauvais sujet. Pour moi je pense qu’il existe au ministère de la guerre des preuves à peu près certaines que c’est un des six officiers mis en disponibilité, qui était auteur des articles.
- Un membre. - Quelles sont ces preuves ?
M. Pirson. - Il y en a six qui n’ont pas voulu signer de déclarations, donc ce doit être un des six.
Mais, comme l’a dit le ministre de la guerre, c’est une lâcheté de celui de ces six officiers qui est auteur des articles de compromettre l’existence de ses camarades, de les faire sortir du corps pour se sauver. Il aurait dû dire : C’est moi, maintenant punissez-moi comme vous voudrez.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Messieurs, en confirmant les faits exposés par M. Pirson, je dois dire que je n’ai connu cette affaire que sept ou huit jours après qu’elle fut commencée. Aussitôt que les articles eurent paru, c’est par un moment spontané que la majorité des officiers qui se trouvaient à Tournay a fait parvenir individuellement la déclaration qu’ils étaient étrangers à la publication de ces articles. Mais ce n’est pas sous forme de serment que ces déclarations ont été faites ; je les ai toutes ici, et aucune n’est sous forme de serment.
Je dois dire aussi que ce n’est pas le colonel du régiment qui envoya un officier à Ypres, mais bien les officiers de Tournay qui détachèrent l’un d’entre eux. Je n’ai pas non plus envoyé d’officiers à Ypres.
Voici le rapport que m’a adressé le colonel :
« Tournay, le 28 août 1835.
« Monsieur le ministre,
« Je m’empresse de satisfaire d’une manière positive, et surtout conforme à la vérité, au contenu de votre missive en date du 27 courant.
« Je réponds successivement aux divers paragraphes de la lettre susmentionnée.
« L’affaire dont il est question est provenue de plusieurs causes : la première de la légèreté avec laquelle un petit nombre d’officiers censuraient, même en public, divers acte émanant de votre département ; entre autres, le mode d’avancement suivi pour les dernière promotions.
« La deuxième, de ce que, malgré mes demandes réitérées, la décoration de la croix de fer n’a pas été envoyée à ceux parmi les officiers qui l’ont obtenue.
« Et enfin troisièmement, de ce que MM. les officiers supérieurs, partageant le désir de la très grande majorité des officiers du régiment, ont fait une démarche dont le but a été de connaître ceux parmi les officiers du corps, qui, par des écrits anonymes, tendaient à introduire la désunion dans le régiment, ou à porter atteinte à la considération ainsi qu’à l’honneur des officiers qui le composent.
« Il est positif que les officiers supérieurs n’ont pas exigé un serment des officiers (Le rapport adressé en date du 16 août à M. le général chef de l’état-major général le prouve pour ce qui concerne les officiers des escadrons à Ypres), comme il conste de la déclaration ci-jointe, n°1, de M. le major Franckar, qui, à titre du major le plus ancien, a manifesté à ces messieurs le désir d’aviser aux moyens de connaître ceux qui, sous la dénomination générique d’officiers de cuirassiers, les faisaient participer à des opinions non émises ni partagées par eux.
« Vous remarquerez, en effet, M. le ministre, que parmi les déclarations que je vous soumets, il en est qui sont formulées de différentes manières, ce qui est provenu de ce que quelques officiers les ont eux-mêmes rédigées et que d’autres les ont copiées d’après leur choix ; d’autres enfin n’ont rien signé et ont fait leur déclaration verbale sur l’honneur, en présence du capitaine commandant de leur escadron. »
Je déclare de nouveau que ce n’est pas un serment qu’on a demandé, mais une simple déclaration sur l’honneur. Plusieurs n’ont pas voulu la donner par écrit, on s’est contenté de leur déclaration verbale.
Voici maintenant ce qu’écrivait le capitaine Somers.
« Tournay, le 6 août 1835.
« Mon colonel,
« Selon le désir de MM. les officiers du régiment composant la garnison de Tournay, je me suis rendu à Ypres, à l’effet de demander à chacun des officiers des 7ème et 8ème escadrons une déclaration constatant qu’ils n’avaient fait insérer dans les journaux aucun article qui fût attentatoire à l’honneur des officiers du régiment ; après avoir réitéré ma demande à plusieurs reprises, ces messieurs m’ont donné pour réponse un refus formel, par conséquent contrairement aux moyens pris par la masse des officiers du corps.
« Le capitaine commandant le 4ème escadron du régiment de cuirassiers.
« Somers. »
J’ai encore ici une déclaration.
M. Lardinois. - La clôture ! la clôture !
M. Dumortier. - Eh quoi ! vous demandez la clôture, quand il s’agit d’une violation de la constitution ; vous voulez empêcher qu’on examine la question.
M. Lardinois. - Vous désorganisez l’armée.
M. Dumortier. - Ce sont les injustices qui la désorganisent ; si vous voulez conserver l’organisation de l’armée empêchez les injustices. (Agitation.)
M. de Jaegher. - Je n’ai pas soulevé l’incident qui fait l’objet du débat actuel, par conséquent on ne peut pas me reprocher les conséquences de mes paroles. J’ai fait une déclaration, et cette déclaration, je la crois encore exacte. Le ministre a contesté ce que j’ai dit ; cependant je persiste à soutenir que la déclaration sous serment a été demandée. Sans doute, celles qu’il a entre les mains ne sont pas sous serment, ce sont celles que le colonel a acceptées au pis-aller ; mais on les avait d’abord demandées sous serment aux officiers de Tournay comme aux officiers d’Ypres, et ces derniers se sont trouvés pris dans une espèce de guet-apens.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il paraît que le point qui agite l’assemblée, est la question de savoir si le ministre a ordonné aux officiers de prêter un serment ou de faire une déclaration pure et simple. Or, il est constant qu’il n’a demandé aucun serment, mais purement et simplement la déclaration de la part des officiers qu’ils n’avaient écrit aucun article de journal contre leurs camarades ou leurs supérieurs. Je pense qu’il était important qu’il demandât cette déclaration et que les mesures qu’il a prises vis-à-vis de ceux qui ont refusé de la donner sont justes, elles étaient dictées par la prudence la plus ordinaire.
Alors qu’on leur eût demandé premièrement un serment, cela ne justifierait pas les réclamations dont la mesure du ministre de la guerre est l’objet, car ce n’est pas pour avoir refusé de prêter serment, mais pour avoir refusé de donner la déclaration qui leur était demandée par le ministre de la guerre, qu’ils ont été mis en disponibilité. En quoi consistait cette déclaration ? Qu’ils n’étaient pas les auteurs de l’article anonyme diffamatoire pour leur colonel et leurs camarades, Eh bien, y avait-il quelque chose de déshonorant à faire une semblable déclaration ?
M. Gendebien. - Oui certainement.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je dis que non. Ce colonel, messieurs, est un des officiers les plus honorables de l’armée belge. Pouvait-on permettre que sous le manteau de l’anonyme, un lâche vînt diffamer un officier aussi distingué ?
M. Gendebien. - Ce lâche, il faut le mettre en jugement !
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Qu’on le fasse connaître.
M. Dubus. - C’est aux tribunaux à chercher le coupable.
M. Gendebien. - Vous ne deviez pas punir cinq innocents pour un coupable, si tant est qu’un des six soit le coupable.
M. Dumortier. - C’est révoltant !
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - L’auteur des articles a été réprouvé par tout le pays.
- Plusieurs membres. - Oui ! oui !
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Le ministre de la guerre ne demandait qu’une chose fort simple : que les officiers déclarassent qu’ils n’étaient pas les auteurs de ces articles infâmes qui se renouvelait chaque jour, détruisaient la discipline et la subordination, et compromettaient l’existence de l’armée.
Eh bien ! qu’ont fait ces officiers ? le plus grand nombre a consenti à faire la déclaration ; et cinq, par un motif de fausse générosité mal entendue, pour cacher le coupable qui méritait une punition plus sévère que celle qui a été infligée, ont probablement refusé de donner la déclaration qu’on leur demandait. J’avoue qu’il peut y avoir dans ce refus un sentiment de délicatesse, mais il est puéril. On conçoit que, dans les collèges, des élèves s’exposent à une punition pour sauver l’un de leurs camarades coupables d’une petite faute ; mais quand il s’agit de l’honneur d’un officier distingué lâchement attaqué, de l’existence d’une armée mise en péril, pensez-vous que des officiers puissent se refuser à déclarer qu’ils sont étrangers à un pareil acte ? Non, certes, vous ne le pensez pas.
Il était donc indispensable de prendre des mesures pour empêcher que la division qui se serait établie entre les officiers n’amenât des combats singuliers. Déjà trop de familles ont été mises dans le deuil par ces lettres. La prudence la plus ordinaire commandait donc au ministre de la guerre d’agir comme il l’a fait ; et les officiers qui ont refusé de donner la déclaration si simple qu’on leur demandait, ont subi le sort qu’ils méritaient. Le ministre aurait peut-être dû prendre vis-à-vis d’eux des mesures, mais assurément il ne pouvait pas se dispenser de prendre celles contre lesquelles quelques membres s’élèvent ; il sait trop bien par sa vieille expérience que la discipline est l’âme d’une armée ; il sait trop bien les dangers qu’il y a d’en laisser relâcher les ressorts ; il sait que si les officiers pouvaient impunément attaquer leurs chefs, il n’y aurait bientôt plus d’armée.
Il était temps de mettre un terme à ces écrits anonymes, qui venaient attaquer les citoyens les plus honorables, et de prendre des mesures contre quelques lâches qui, cachés dans l’ombre, se permettaient d’attaquer leurs chefs.
- Plusieurs membres. - Très bien ! très bien !
M. Dumortier, M. Gendebien et plusieurs autres. - Très mal ! très mal !
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je ne me proposais pas de revenir sur la discussion générale ; mais je crois devoir dire quelques mots sur les paroles que j’ai prononcées avant d’être ministre et qu’un honorable membre a rappelées.
Je ne désavoue rien de ce que j’ai pu dire avant d’entrer au ministère. Si j’ai cru que des abus existaient dans l’administration de la guerre, j’ai dû les combattre ; et si je croyais qu’il en existât encore, je les combattrais avec autant de force.
Si je me rappelle bien, lorsque j’ai prononcé les paroles qu’on a rappelées, je traitais deux points : L’un était les sommes énormes dont les corps étaient débiteurs envers l’Etat. Eh bien, je n’avais pas tort de combattre cet abus, car il n’existe plus, les corps se sont libérés autant qu’il était possible, ainsi à cet égard il n’y a plus lieu à récrimination.
Le second point dont je m’occupais était la trop grande facilité avec laquelle on employait les étrangers dans notre armée.
Ce que j’ai dit, je le maintiens ; et s’il était vrai qu’on met de la partialité à placer des étrangers et qu’on les fît jouir de plus de faveur que les indigènes, je serais le premier à m’élever contre un pareil abus. Mais je suis convaincu, d’après les conversations que j’ai eues avec mon collègue le ministre de la guerre, depuis 18 mois que j’ai l’honneur de siéger dans le conseil avec lui, que jamais il n’a commis de partialité en faveur des étrangers. Si quelques abus ont eu lieu relativement à ces officiers, ils sont de peu d’importance, et c’est chose inévitable dans une grande administration, et surtout quand elle comprend des détails aussi compliqués que l’administration de la guerre.
Qu’on ne cherche donc pas à me mettre en contradiction avec les paroles que j’ai prononcées comme député. Si je voyais des abus, je les flétrirais avec autant de force que l’honorable M. Gendebien lui-même.
L’incident qui vient de s’élever, me paraissant devoir absorber toute la discussion, je crois qu’il convient de laisser terminer ce débat assez irritant, avant d’aborder d’autres points de la discussion générale.
M. Rogier. - Hier, en entendant le discours d’un honorable membre de la députation de Tournay, j’ai demandé la parole pour répondre à quelques-unes de ses assertions. Le ministre des finances dans la séance d’hier, ayant présenté plusieurs des observations que je me proposais de faire, il me sera permis d’être plus court aujourd’hui ; je dois m’en féliciter.
Dans les questions de la nature de celles qui nous occupent, c’est toujours avec une certaine crainte que j’aborde la discussion, car je sais que ce que nous disons dans cette enceinte a un retentissement d’une haute importance, d’une grande portée. Ce retentissement devrait nous engager tous tant que nous sommes à mettre dans nos discours en ce qui concerne l’armée toute la modération et la réserve possible.
Quant à moi, je croirais avoir bien malheureusement rempli mon mandat, si de mes paroles devait naître aucune cause nouvelle de mécontentement, de désunion et d’indiscipline dans l’armée.
Ce n’est pas à nous qu’il appartient de nous associer à ces discussions irritantes, à ces animosités que la presse a si malheureusement soulevées, et qu’elle entretient d’une manière si peu patriotique au sein même de notre armée.
On a reproché au ministre de la guerre ce qu’on a appelé son despotisme. Pour moi, si j’avais un reproche à adresser à cet ancien et honorable militaire, je me permettrais plutôt de lui adresser le reproche contraire. Et c’est avec grand plaisir que je prends acte des dispositions dans lesquelles il a déclaré qu’il était de prendre des mesures vigoureuses pour faire respecter la discipline dans l’armée. Quant à moi, j’appuierai toujours de tout mon pouvoir le ministre qui saura maintenir la discipline dans l’armée.
La discipline, messieurs, est l’âme d’une armée, et elle a besoin d’être forte, surtout dans une armée naissante, où beaucoup d’ambitions ont été éveillées sans pouvoir être satisfaites ; là où une révolution, d’ailleurs si avantageuse sous tous les rapports, a laissé quelques germes d’insubordination, il est du devoir du gouvernement d’étouffer ces germes d’insubordination par tous les moyens légaux qui sont en son pouvoir.
Une des causes des dissensions qui existent dans l’armée, dit-on (car je soutiens que ces dissensions n’existent qu’à la surface et qu’elles font beaucoup plus de bruit dans la presse, et je dirai presque dans cette chambre, que dans l’armée même) ; une des causes de ces dissensions, c’est, dit-on, la présence des officiers étrangers dans ses rangs. C’est, je vous avoue, avec surprise et avec peine que vois encore revenir dans cette enceinte la question des officiers étrangers.
J’ai peine à m’expliquer ce singulier aveu de ceux qui s’en plaignent. Oui, disent-ils, il y a quelques années nous avons eu besoin d’officiers étrangers, parce que notre armée était désorganisée et sous l’impression d’une défaite ; il était nécessaire que des officiers étrangers vinssent remonter son moral et rétablir la discipline. Mais aujourd’hui que les dangers sont passés, que la discipline est rétablie dans l’armée, que son moral est excellent, nous n’avons plus besoin d’officiers étrangers, nous devons les renvoyer chez eux. Voilà, ce me semble, ce qui a été avoué très naïvement dans cette enceinte. Je ne comprends pas un pareil conseil et un pareil aveu. La nation belge n’a pas jusqu’ici mérité le reproche d’ingratitude. Ce n’est pas par là qu’elle devrait commencer jour un rôle qui ne lui convient pas.
On a beaucoup exagéré le nombre des officiers étrangers qui se trouvent dans notre armée ; et nous ne devons pas jeter le découragement parmi eux en montrant de la sympathie pour les attaques dont ils sont l’objet de la part d’un grand nombre de journaux.
Je suis heureux de voir par les rapports assez fréquents que j’ai avec des officiers de l’armée, que les rapports entre les officiers belges et les officiers étrangers ne sont pas tels qu’on les présente, que la plupart des officiers ne prennent pas part à ces débats scandaleux qui nous affligent, et que la plus grande intimité règne généralement entre les officiers belges et étrangers. J’espère que cette union continuera et que les officiers belges auront le bon esprit de ne pas s’associer à des haines suscitées par des jalousies ou des mécontentements particuliers, contre lesquels, je pense, le ministre de la guerre saura toujours se tenir en garde.
Messieurs, une autre chose qui pourrait faire naître le mécontentement dans l’armée, ce serait la perspective qu’un honorable orateur a donnée du rôle futur de l’armée, si le traité du 15 novembre était adopté, en disant que la neutralité de la Belgique entraînerait la dissolution de l’armée.
M. Dumortier. - Je n’ai pas dit cela.
M. Rogier. - Vous avez dit que ceux qui voulaient le traité du 15 novembre voulaient la dissolution de l’armée, tandis que ceux qui s’associaient à vous pour repousser ce traité en voulaient le maintien, parce que le refus d’exécuter le traité entraînerait la guerre et que ce serait le moyen d’avoir une armée forte et glorieuse.
M. Dumortier. - Ce ne sont pas là mes paroles.
M. Rogier. - Quant à nous, nous avons toujours senti, tout en applaudissant à cet état de neutralité, nous avons toujours senti la nécessité pour notre petit pays d’avoir une armée fortement organisée. Et nous espérons que tant que durera l’état de négociations où nous nous trouvons, elle sera maintenue sur un pied respectable autant que nos ressources le permettront.
Aussi ne m’associerai-je pas aux reproches qu’on a adressés à l’organisation d’une armée de réserve, qui en permettant à beaucoup de soldats de rentrer dans leur foyers, et de reprendre leurs travaux, met le gouvernement à même de mettre en peu de temps sur pied des forces formidables. Il faut rendre hommage au gouvernement de cette organisation d’une armée de réserve, ce sera un moyen pour le ministre de placer les officiers que leur âge ou leurs blessures rendent incapables de rester dans le service actif ; on les placera dans les bataillons de réserve. Dans ces cadres aussi pourront s’instruire les officiers nouveaux dans leurs grades qui n’ont pas encore les connaissances nécessaires pour commander des forces actives.
Je dirai encore que ce qui pourrait faire naître du mécontentement dans l’armée, ce ne serait pas l’avancement trop rapide obtenu par plusieurs officiers, ce serait au contraire l’exigence mise en avant par quelques membres de cette assemblée relativement à la faculté qu’aurait le gouvernement d’accorder de l’avancement. Je ne suis pas d’avis qu’on prodigue les hauts grades aux officiers. Je pense même que toujours on ne résiste pas avec assez d’énergie aux prétentions exagérées de certains officiers ; je sais jusqu’où va la prétention de certains hommes et qu’il faut nécessairement y mettre une limite ; mais de là à refuser de l’avancement à des officiers qui le méritent, il y a loin. Je n’entends pas fermer toute issue à ceux qui entrent dans la carrière militaire.
Si notre armée comptait dix généraux de division, je crois qu’il n’y aurait pas grand mal et que cela n’ouvrirait pas une large carrière aux ambitions ; cela supposerait une armée de 50 mille hommes. Or, nous n’avons pas 10 généraux de division dans notre armée, et cependant elle pourrait être portée en cas de guerre à cent mille hommes.
Il ne faut pas se dissimuler qu’il faut offrir à ceux qui entrent dans la carrière militaire une perspective d’honneurs et d’argent ; sans cela, il arrivera que les hommes les plus capables se décourageront de cette carrière et la quitteront pour en embrasser une autre plus avantageuse. Il ne faut pas se dissimuler non plus que déjà ce dégoût se manifeste. On a peine à trouver des caporaux et des sous-officiers, et parmi ceux qui occupent les grades de lieutenant et de sous-lieutenant vous en verrez beaucoup qui, trouvant peu de perspective dans la carrière, n’attendront que le moment de la quitter.
Il y aurait trop d’inconvénients à restreindre la faculté d’accorder de l’avancement aux officiers, vous les décourageriez ; tandis que la perspective d’un avancement plus ou moins rapide est un stimulant qui les engagé à s’occuper davantage de leur métier. C’est surtout pour ceux qui débutent dans la carrière que ce stimulant est nécessaire.
Je ferai d’ailleurs observer que notre armée est la seule en Europe où la hiérarchie militaire s’arrête au grade de général de division. Nous n’avons ni feld-maréchal, ni général de l’infanterie et de la cavalerie, ni maréchal.
Messieurs, en finissant je ferai des vœux pour hâter la discussion des projets de loi présentés par le ministre de la guerre. Je rappellerai la loi sur l’avancement dans l’armée ; je crois que c’est dans cette loi que pourrait être examinée la proposition faite par M. Brabant. Je rappellerai encore la loi sur les pensions qui depuis longtemps nous a été soumise ; enfin une troisième loi sur l’école militaire. C’est en nous occupant de pareilles lois que nous témoignerons à l’armée tout l’intérêt qu’elle doit nous inspirer. Nous lui rendrons par là plus de services qu’en discutant tel ou tel incident personnel, que pour ma part j’aimerais beaucoup ne pas voir discuter.
M. Dumortier. - Messieurs, vous vous êtes aperçus sans doute que les citations faites par l’orateur n’ont rien d’exact. Je n’ai pas dit que la neutralité annulerait notre armée. J’ai dit que si les puissances usaient du droit de la neutralité, et voulaient nous réduire à n’avoir plus qu’une armée pour le service de nos places, le marché serait onéreux.
Je n ai pas dit non plus que le traité des 24 articles amènerait la guerre. Il ne faut pas altérer mes paroles quand on veut me réfuter ; mais comme ce que j’ai dit peut être comparé à ce qu’on m’attribue, je n’hésiterai pas davantage et j’aborderai la question relative aux destitutions odieuses des officiers de cuirassiers.
Depuis trois mois je m’étais abstenu de prendre la parole sur cette matière, quoique je fusse porteur de pièces concernant l’affaire. Je gardais le silence, parce que je croyais que la chambre n’était pas assez énergique pour faire droit aux réclamations qu’on pourrait lui soumettre. Je gardais le silence encore parce que je craignais de faire tort aux officiers frappés. Toutes les fois qu’on se plaint le ministre trouve que le plaignant a tort. Mais puisque la question est soulevée, je la traiterai, et aux faits que l’on a allégués j’opposerai d’autres faits.
C’est d’abord une grave erreur que de soutenir que les officiers du régiment de cuirassiers ont offert spontanément leur adhésion à une déclaration quelconque, ou que c’est de leur pleine volonté qu’ils l’ont faite.
Mais examinons les faits, et nous saurons comment les choses se sont passées.
Des articles avaient été publiés dans des journaux de Bruxelles ; ils attaquaient jusqu’à un certain point le colonel du régiment des cuirassiers. Ces attaques ne consistaient pas en injures, mais en faits. Si ces faits sont exacts, ils constituent de graves abus. Quoi qu’il en soit, je ferai seulement observer qu’on n’y a pas répondu.
Les articles dont il s’agit étaient signés par cette phrase anonyme : « Un officier du régiment des cuirassiers. » Qu’est-ce que cette phrase prouve ? Est-ce qu’un individu ne peut pas signer ainsi sans être officier ? Il n’y avait là aucune preuve que l’article fût d’un officier du régiment des cuirassiers. Il y a plus : c’est que l’on savait de la manière la plus formelle de quelle main partaient les articles, et que leur auteur n’était pas officier du régiment. Cependant on exigea des officiers une déclaration sous serment, portant qu’ils n’avaient pas écrit d’articles attentatoires à l’honneur d’aucun officier du régiment. Ce ne fut pas le colonel qui exigea la déclaration, ce furent d’autres officiers supérieurs du même corps.
Voici comment était formulée la déclaration qu’on exigeait :
« Je soussigné déclare sous serment n’avoir à aucune époque écrit ni fait écrire dans les journaux, particulièrement dans celui intitulé Méphistophélès, rien qui pût porter atteinte à l’honneur du régiment ni à celui d’aucun de ses officiers. »
Lorsque les officiers virent que leurs supérieurs exigeaient d’eux un pareil serment, les plus faibles donnèrent leur adhésion conservant des craintes pour leur avenir. Ceux qui avaient de l’énergie refusèrent cette adhésion. Il en est qui ont persisté dans leur refus. Je connais le cas d’un membre de cette assemblée qui a déclaré qu’il se croirait déshonoré a jamais s’il consentait à la donner. Un très grand nombre d’officiers, enfin, ont déclaré ne pouvoir adhérer à ce qu’on leur demandait.
On employa les menaces, les promesses ; tout fut mis en jeu pour arriver au but qu’on se proposait, et de cette manière on eut en effet des adhésions. Tout ceci se passait à Tournay.
Mais un escadron de ce même régiment était en garnison à Ypres. On détacha un major afin d’arracher, à cet égard, des adhésions semblables à celles que l’on avait obtenues à Tournay.
Voici ce qui se passa à Ypres :
« Enfin, le 15 août nous arrive une commission militaire composée de M. … major, M. …, capitaine-commandant, M. … lieutenant, et M. … sous-lieutenant ; tous quatre officiers du régiment de cuirassiers. Cette commission nous assembla le même jour à 9 heures du soir au domicile de M. le major … (commandant à Ypres.) Dès l’ouverture de la séance le major ... (venu de Tournay) prit successivement à part, et dans une chambre contiguë non éclairée, les capitaines. A sa rentrée dans la salle ou nous nous réunis, le major … nous lut rapidement des ordres émanés du général Hurel et du ministre de la guerre Evain, ordres dont il sembla prendre soin comme à dessein de nous cacher l’écriture et la signature. Ces pièces nous firent savoir que cette commission était nommée par le ministre de la guerre, sur la proposition du colonel commandant le régiment de cuirassiers. Elle contenait des menaces d’user à son égard des mesures les plus sévères et les plus énergiques, si nous ne donnions les déclarations qui nous étaient demandées. »
En présence de ces faits, peut-on dire que c’est spontanément que les adhésions ou déclarations ont été données ? Si l’on ne voulait que des adhésions volontaires, pourquoi punir de la manière la plus brutale ceux qui ne les donnaient pas ? C’est violemment qu’on a demandé les déclarations.
Les officiers qui refusèrent de donner une semblable déclaration écrivirent des lettres à M. le ministre de la guerre ; l’une est du 15 août, l’autre est d’octobre dernier. Ils y donnent toutes les explications qu’on peut leur demander ; mais ils démontrent qu’on ne peut exiger d’eux un serment ; eh bien, ces hommes qui ne veulent enfreindre ni les lois divines, ni les lois constitutionnelles, ni les lois de l’honneur, on les destitue brutalement ; ces hommes auxquels il faudrait élever des statues pour avoir respecté la constitution et les sentiments les plus nobles, sont frappés comme s’ils étaient coupables.
Ils sont destitués parce que, disait-on, ils ne pouvaient rester en présence du régiment sans les plus graves dangers : à cette assertion je répondrai encore par des faits et voici une pièce, qui prouve que leur présence au régiment ne pouvait amener aucun désordre.
« Nous, soussignés, officiers du régiment de cuirassiers, déclarons que, confiant dans la capacité de MM. Herpst, Tombeur, Bouquelle, Schepmans, Zawisza, Mazurkiewiez, nous sommes persuadés que si ces messieurs n’ont pas cru devoir suivre l’exemple donné par la majorité d’entre nous dans une circonstance récente, ils n’ont pu être guidés dans cette résolution que par des motifs honorables. Nous verrions tous avec la plus grande satisfaction qu’il plût à M. le ministre de la guerre de rapporter son arrêté du 21 de ce mois qui met ces braves camarades hors de nos rangs.
« Tournay, 27 août 1835. »
« Signé par environ 60 officiers du régiment des cuirassiers. »
Voici l’ordre du jour qui annonce la décision prise par le ministre :
« Tournay, le 23 août 1835.
« Ordre du jour.
« Par arrêté ministériel du 21 de ce mois, MM. Herpts, Bouquelle, Tombeur, Schepmans. Zawisza et Mazucrkewicz sont mis à la solde de congé avec ordre de résider : le premier, à Namur ; le second, à Ath ; le troisième, à Charleroy ; le quatrième, à Hasselt ; le cinquième, à Audenaerde ; le sixième, à Bruges.
« Un second ordre du jour, modifiant le premier, met MM. Tombeur et Bouquelle en non-activité, et les quatre autres en disponibilité, en leur ordonnant de résider dans les villes désignées. »
Voilà ce qui amène dans un régiment la désorganisation, lorsque la voix de la conscience dit à tout un corps d’officiers que l’on a été injuste envers leurs camarades ; c’est l’iniquité qui révolte et détruit la discipline. L’on a disgracié injustement des officiers qui n’avaient pas forfait à leur devoir, qui ont refusé d’obéir par un scrupule constitutionnel. Il est de notre devoir de les faire réintégrer dans leurs grades.
- Une voix. - Nous n’avons pas ce droit.
M. Dumortier. - Je sais bien que la chambre ne le fera pas. Mais nous prouverions que nous en avions le droit si la chambre partageait notre opinion.
Voilà, messieurs, les faits tels qu’ils se sont passés. J’en garantis toute l’exactitude. Maintenant que vient-on de répondre à l’honorable M. Gendebien qui a soulevé cette question ? On vient dire que l’on n’a exigé qu’une déclaration. La formule du serment que je viens de lire ne prouve-t-elle pas que c’est un véritable serment que l’on exigeait ? L’on vient dire que la discipline de l’armée n’existerait plus si vous preniez la défense des gens opprimés. Qu’est-ce que la discipline, si ce n’est le règne de la justice et de l’équité ? Les règlements ne lient-ils pas le supérieur vis-à-vis de l’inférieur, comme l’inférieur vis-à-vis du supérieur ? L’officier supérieur qui prononce contre un subalterne une peine que celui-ci n’a pas méritée forfait à la discipline. L’officier ainsi opprimé a le droit de réclamer devant la représentation nationale pour en obtenir justice.
Mais, dit-on, si les officiers pouvaient insulter impunément leurs chefs, il n’y aurait plus d’armée. Nous sommes d’accord sur ce point. Que l’on punisse les coupables. Rien de plus juste. Mais s’il paraissait dans un journal un article injurieux pour un des pouvoirs de l’Etat signé : « un membre de la représentation nationale, » aurait-on le droit d’exiger, sous serment, que nous déclarassions n’en être pas les auteurs ? (Réclamations.) C’est absolument la même chose. Que diriez-vous d’un juge qui siégeant au tribunal, exigerait d’un accusé contre lequel il y aurait présomption de délit ou de crime qu’il déclarât que ce n’est pas lui qui a commis tel acte, tel délit ? Ce juge ferait une chose immorale à l’excès.
Si l’on admettait en principe que la représentation nationale ne peut réparer les injustices du ministre de la guerre, chaque fois qu’il en commet, il en résulterait que le gouvernement ferait de l’armée ce qu’il voudrait, qu’il la convertirait en un agent servile de sa volonté ; que nous n’aurions plus mot à dire.
Notre armée a des droits communs à tous les citoyens, des droits que la constitution lui accorde, et qu’un ministre ne peut pas lui enlever. Il ne faut pas permettre que l’officier belge qui a défendu ses droits soit traqué comme une bête fauve. La chambre ne peut passer sous silence une pareille infraction aux droits constitutionnels des citoyens. Elle doit désirer ardemment que réparation soit faite de cette injustice. Et, je le dis avec conviction, depuis que je siège sur les bancs de la représentation nationale, je n’ai jamais élevé la voix contre une injustice plus forte, contre une iniquité plus flagrante. Je regrette au fond du cœur que M. le ministre de la guerre se soit rendu coupable d’un acte aussi odieusement arbitraire.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je suis extrêmement heureux de pouvoir faire connaître à l’instant le contenu des pièces dont un honorable orateur a demandé communication. Elles se trouvaient dans un dossier apporté à la séance par M. le ministre de la guerre. Ces documents termineront la discussion et serviront de réfutation la plus péremptoire à la discussion soulevée un honorable député d’Audenaerde. Ces pièces sont au nombre de trois :
Le rapport des officiers qui se sont rendus à Ypres pour exiger des officiers des cuirassiers, en garnison dans cette ville, la déclaration dont il est question, et les deux lettres des 15 et 19 août écrites par ces mêmes officiers. Vous verrez que ces trois pièces concordent parfaitement.
Voici le procès-verbal de MM. les officiers :
« Ypres, 19 août.
« Monsieur le ministre,
« Privés de tout autre moyen de vous expliquer sommairement notre conduite dans l’affaire qui vient de se passer au régiment de cuirassiers, nous avons recours à celui de vous adresser ces quelques lignes.
« La demande qui nous a été faite de jurer sur l’honneur qu’aucun de nous n’avait, à aucune époque, écrit ou fait écrire dans les journaux rien d’attentatoire à la réputation du régiment de cuirassiers et à l’honneur d’aucun des officiers, nous a paru injurieuse à notre caractère. Le soupçon qu’elle exprimait a blessé notre honneur, et nous avons cru de notre dignité d’hommes et d’officiers de ne point répondre.
« Quant aux écrits que les journaux peuvent avoir publiés d’attentatoires à la réputation du régiment de cuirassiers et à l’honneur de ses officiers, la loi fournit les moyens d’en faire punir les auteurs. Pourquoi ne pas y recourir ? Si, en effet, des écrits de ce genre existent, et que le corps d’officiers de cuirassiers veuille, en son nom, en attraire les auteurs devant les tribunaux, tous nous consentons à nous adjoindre à lui en tout ce qu’il fera légalement. Nous désirons, plus que qui que ce soit, que ceux qui ont été attaqués dans leur honneur, se justifient aux yeux de l’opinion. Le seraient-ils par nos déclarations ? …
« Ce nonobstant, nous déclarons dès aujourd’hui que quiconque présentera près de nous, un article de journal à la main, et viendra nous demander officieusement si les calomnies ou les injures qu’il contient sont notre œuvre, recevra officieusement toutes les explications désirables. Mais jamais, quoi qu’il puisse nous en advenir, aucun de nous ne donnera son adhésion à l’ordre qui nous a été intimé de répondre officiellement par oui ou par non.
« Ypres, le 19 août 1835. »
(Suivent les signatures.)
J’ai cité les noms parce qu’il n’y a rien de déshonorant dans la mission confiée à ces officiers.
Voici maintenant la lettre que les officiers opposants ont adressée le jour même à M. le ministre de la guerre ; vous verrez si c’est un serment que l’on a exigé d’eux, et si l’on a employé des manœuvres iniques pour les forcer à donner cette déclaration. Je vous prie de prêter la plus grande attention à la lecture de cette pièce. (Mouvement d’attention.)
« Ypres, 15 août,
« M. le ministre,
« Conformément à vos ordres, nous communiqués par l’intermédiaire de M. le major de Libotton, Geoffroy, capitaine-commandant, Selle, lieutenant Delecourt, sous-lieutenant au régiment de cuirassiers, nous venons d’être convoqués, à l’effet de donner collectivement une déclaration sur l’honneur qu’aucun de nous n’avait à aucune époque, écrit ou fait écrire dais les journaux rien d’attentatoire à la réputation du régiment de cuirassiers et à l’honneur d’aucun de ses officiers.
« Comme l’obligation absolue nous était imposée de répondre par oui ou par non, sans qu’on nous permît de motiver, en aucune manière, le refus ou l’adhésion à l’injonction qui nous était signalée, nous venons protester contre ce mode illégal et arbitraire de procéder, en vous priant de nous autoriser à nous rendre à Bruxelles, pour vous y soumettre, dans tous leurs détails, le commencement, la marche et l’issue de la sortie d’enquête à laquelle nous venons d’être soumis.
« Nous avons assez de confiance en votre justice pour croire qu‘on ne nous jugera pas sans nous entendre.
« Nous avons l’honneur de vous informer qu’une copie de la présente lettre vient d’être adressée par nous à M. le colonel commandant le régiment de cuirassiers.
« De Carlowitz, capitaine.
« Bouquelle, lieutenant,
« J. Herpst, lieutenant,
« Tombeur, lieutenant.
« Schepmans, sous-lieutenant.
« A. Zawicsza, sous-lieutenant.
« Mazurkiewitcz, sous-lieutenant. »
Voici maintenant la lettre du 19 août. Vous savez que c’est toujours dans les mêmes termes que l’on parle de la déclaration exigée et que jamais ces messieurs n’ont cru qu’il fût question d’un serment.
« Régiment de cuirassiers,
« Aujourd’hui, quinze août mil huit cent trente-cinq, les soussignés de Libotton, major, Geoffroy, capitaine commandant Selle, lieutenant, et Delcourt, sous-lieutenant ; d’après un ordre émané du ministère de la guerre, et à nous transmis par M. le major Frankar, commandant le régiment par interim, nous nous sommes transportés à Ypres, et ayant assemblé MM. les officiers des 7ème et 8ème escadrons, en présence de M. le major Muller commandant lesdits escadrons, M. le capitaine-commandant Collin, et M. Meuret, capitaine en second, nous leur avons demandé s’ils déclaraient sur leur parole d’honneur n’avoir jamais écrit ou fait écrire dans les journaux rien qui puisse être attentatoire à la réputation du régiment, ni rien qui concernât la réputation ou l’honneur d’aucun officier du corps. MM. les sous-lieutenants Bailleux, Lernite et Genotte ont donner leur parole d’honneur telle qu’on la leur avait demandée ; MM. le capitaine en second de Carlowitz, les lieutenants Herpts, Bouquelle et Tombeur, et les sous-lieutenants Schepmans, de Zawitza et Mazurkiewicz ont refusé.
« Fait à Ypres leur jours et au ci-dessus.
« De Libotton, major,
« Geoffroy, capitaine-commandant ;
« A. Selle, lieutenant ;
« Delcourt, sous-lieutenant ;
« Meuret, capitaine en second ;
« Collin, capitaine ;
« Pour copie conforme :
« Le général de division, chef de l’état-major général : B. Hurel. »
Ici, messieurs, ces mots : « jurer sur l’honneur, » n’ont d’autre signification que celle de « promettre sur l’honneur. » (Dénégation de la part de quelques membres.) Il y a une grande différence entre jurer sur l’honneur et jurer sur la divinité. Ce dernière mode de jurer est la seule qualité de serment en termes légaux. J’en appelle à tous ceux qui ont tant soit peu étudié la matière.
Remarquez que les officiers opposants ont dans leur première lettre écrite au moment même de leur protestation, c’est-à-dire sous l’impulsion de l’événement, écrit que l’on avait exigé d’eux une déclaration sur l’honneur. Ils savaient bien que l’on n’exigeait pas d’eux un serment avec invocation à la divinité, mais seulement qu’on leur demandait de donner leur parole d’honneur, selon les usages militaires.
Dans cette deuxième lettre, ils ne font pas mention du serment. Ils allèguent d’autres motifs qui les ont engagés à refuser de donner les déclarations qu’on exigeait d’eux.
Ainsi, messieurs, voilà toute cette question de serment qui a fait tant de bruit, réduite à rien, d’après la lettre même des officiers. Voyez après cela quelle importance on doit donner aux attaques dirigées contre l’administration supérieure. Je suis heureux dans cette circonstance d’avoir pu produire des pièces aussi péremptoires, pièces que M. le ministre de la guerre avait probablement perdues de vue lorsque M. Gendebien et de Jaegher ont pris la parole. Elles suffiront pour mettre fin à toute la discussion.
J’abuserais de vos moments si j’en disais davantage à cet égard. J’ajouterai cependant que l’on a parlé de démarches faites par d’autres officiers du corps des cuirassiers en faveur de leurs anciens camarades, après qu’ils eurent été punis par la disposition de M. le ministre de la guerre. Il ne faut pas, messieurs, attacher trop d’importance à cette démarche.
Quiconque a l’expérience du monde sait que l’on s’intéresse toujours à un homme qui est dans une position pénible. M. le ministre de la guerre ne pouvait pas avoir égard à des sentiments bons en eux-mêmes, quand ils n’ont pas pour résultat d’affaiblir la discipline militaire. Ce serait une faute grave de la part de M. le ministre s’il cédait à de pareilles influences. La chambre doit être rassurée par la déclaration donnée par M. le ministre de la guerre qu’il ne permettra jamais que la discipline ne s’affaiblisse.
Puisque l’on a parlé de discipline, je dirai que si la discipline eût été affermie dans l’armée au commencement de 1831, les désastres du mois d’août ne seraient pas arrivés. Vous vous rappelez les dispositions rigoureuses que le pouvoir législatif a dû prendre après ces événements pour rétablir la discipline dans l’armée ; C’est grâce à l’efficacité de ces mesures et à la fermeté des officiers supérieurs que la discipline de l’armée s’est sensiblement améliorée et qu’elle est parvenue au point où elle en est ; on ne peut qu’engager l’administration de la guerre à persister dans la voie où elle marche actuellement ; alors nous ne dépenserons pas en pure perte les sommes énormes qui sont portées annuellement au budget de ce département. Si tous les mécontentements individuels devaient trouver de l’écho dans cette enceinte, la discipline de l’armée serait à jamais relâchée et nous verrions se renouveler, au besoin, les mêmes malheurs qui ont frappé le pays au mois d’août 1831.
M. Dubus. - Je n’avais pas dessein de prendre la parole dans cette discussion. J’ai encore moins désiré qu’elle fût soulevée, convaincu que j’étais que tout ce que l’on pourrait dire, que les démonstrations les plus claires seraient parfaitement inutiles, attendu qu’il est admis en principe par le gouvernement que l’on ne peut revenir sur une mesure injuste sans affaiblir la discipline de l’armée. On aime bien mieux être injuste à plaisir que d’affaiblir la discipline. Quelques paroles prononcées dans cette enceinte par M. le ministre des finances m’ont fait croire que je ne pouvais me dispenser de parler, ne fût-ce que pour relever une expression qui lui est échappée dans la chaleur de l’improvisation.
A entendre M. le ministre des finances, les officiers qui, en refusant de prêter le serment exigé d’eux, n’ont donné selon moi qu’une preuve de délicatesse qu’il serait à désirer que beaucoup d’hommes imitassent, seraient suspects d’avoir écrit des dénonciations anonymes dans les journaux. M. le ministre des finances a dit que par leur refus de fournir la déclaration exigée d’eux avec menaces, ils s’avouaient indirectement les auteurs des articles. Il s’est livré alors à une sorte de mouvement véhément et s’est écrié qu’il était temps de prendre des mesures contre les lâches qui se permettaient des dénonciations anonymes dans les journaux. D’après l’ensemble du discours de M. le ministre, personne ne pouvait se méprendre sur les individus qui étaient ainsi désignés et en quelque sorte mis au ban du pays, au pilori de l’opinion par M. le ministre des finances.
Ces lâches, selon M. le ministre, ce sont les officiers récalcitrants.
M. le ministre des finances (M. d'Huart) (vivement). - Je n’ai pas dit cela.
M. Dubus. - C’est cette expression qui m’a déterminé à prendre la parole. Si ce n’est pas cela que vous avez voulu dire, il faut modifier vos paroles. Car elles ont le sens que je leur ai donné. Vous avez parlé d’une manière irréfléchie. Il était temps, avez-vous dit, de prendre des mesures contre les lâches qui sous le voile de l’anonyme insultaient les chefs de corps dans les journaux. C’est précisément contre ces lâches que l’on n’a pris aucune mesure, ce sont ceux-là à l’égard desquels l’on n’a rien fait, pas la moindre information juridique ; s’il y avait délit de presse, il y avait des moyens légaux de le constater. Il n’y a pas eu la moindre poursuite contre ceux qui devaient répondre des articles diffamatoires. Il y avait, dites-vous, calomnie contre un colonel. Cette calomnie subsiste. On n’a rien fait pour la réprimer.
Pourquoi dire qu’il était temps de prendre des mesures contre les lâches calomniateurs pour les atteindre et les punir puisque l’on n’a rien fait ? L’on s’est donné le plaisir de punir des innocents avec la conviction qu’ils étaient innocents.
En définitive, ce n’est pas un délit de calomnie commis dans un journal que l’on a voulu punir. Je ne pense pas que l’on osât dire que c’est cela que l’on a voulu punir, mais c’est le refus de donner la déclaration que l’on n’avait pas le droit de demander.
Des 6 officiers atteints par la mesure de M. le ministre de la guerre, je n’en connais personnellement qu’un seul.
C’est l’officier le plus brave, le plus digne de respect et d’admiration qui existe dans toute l’armée ; c’est un homme qui se battait pour nous à Bruxelles, quand la cause de la révolution paraissait désespérée. Lorsque les Hollandais furent mis en fuite, il ne manqua pas de gens ardents à les poursuivre. Mais au fort du danger il y avait peu d’hommes qui fissent face à la mitraille hollandaise. Il était un de ceux-là et un des chefs. Des hommes de cette trempe ne sont pas des lâches qui calomnient sous le voile de l’anonyme. Celui-là surtout a peut-être le défaut de dire ce qu’il pense avec trop de franchise. Tous ceux qui le connaissent pourraient lui rendre ce témoignage que je lui rends, que je me suis cru obligé de lui rendre, parce que les paroles prononcées dans cette enceinte pouvaient attaquer son honneur.
Mais M. le ministre de la guerre me paraît n’avoir été guère adroit, lorsqu’il a insisté à diverses reprises sur cette circonstance que la déclaration des officiers de Tournay aurait été spontanée ; il a semblé reconnaître que l’affaire aurait un tout autre caractère si cette déclaration n’avait pas été spontanée, si elle avait été exigée des officiers de Tournay par leur colonel. Or, je le demande, quelle différence y a-t-il entre les officiers de Tournay et ceux d’Ypres ? Si ces derniers avaient fini par céder, on vous aurait dit que leur déclaration était aussi spontanée que celle de Tournay. Seulement les officiers d’Ypres ont résisté plus longtemps. Mais veuillez remarquer qu’à Ypres il y avait un ordre du ministre de la guerre pour exiger d’eux, paraît-il, une déclaration spontanée.
Je ne pense pas que le ministre de l’intérieur ait répondu à tout ce qui avait été dit en faveur de ces officiers lorsqu’il a produit le rapport de la commission militaire, le procès-verbal et les lettres des officiers frappés par la mesure dont on se plaint, et lorsqu’il a fait remarquer que l’on ne parlait dans une de ces lettres que d’une déclaration sur l’honneur et non d’un serment.
Déjà l’honorable député qui a parlé le second dans la discussion sur cet incident a fait remarquer que c’était la même chose au fond qu’un serment et la déclaration que l’on voulait avoir ; qu’on avait d’abord exigé un serment ; et si le ministre vent s’en assurer, la moindre enquête lui en donnera la preuve. Après avoir exigé un serment, on a cru heurter moins le texte de la constitution qui était invoquée par les officiers, en ne demandant qu’une déclaration sur l’honneur. Mais ils ont refusé cette déclaration, parce qu’à leurs yeux il n’y avait pas de différence entre un serment et une déclaration sur l’honneur.
La constitution défend qu’il soit exigé d’autre serment que celui prescrit par la loi et dont la loi a déterminé la formule. Ainsi, en changeant la formule du serment, on était toujours en opposition avec l’article de la constitution.
Voulez-vous savoir la portée que le congrès donnait à cet article ? Lisez les développements du rapport de la section centrale ; il en résulte formellement que dans l’esprit des législateurs du congrès une déclaration solennelle est dans le sens de la loi civile un serment et ne peut-être exigée sans que la loi l’ait prescrite et en ait déterminé la formule.
Voici comment s’exprime le rapporteur de la section centrale :
« Il existe des sectes qui rejettent le serment ; mais elles admettent l’affirmation solennelle, pour attester la vérité d’un fait ou prendre l’engagement d’exécuter une promesse ; or, dans le sens de la loi civile, le serment n’est qu’une affirmation qui lie solennellement celui qui l’a prêtée. »
Ainsi, que voulait-on par cet article de la constitution ? Qu’on ne pût exiger qu’en vertu d’une loi et suivant la formule prescrite par elle, une affirmation qui liât solennellement la personne qui l’aurait prêtée.
Vous voyez donc que la conduite des officiers d’Ypres était parfaitement en harmonie avec les motifs qui avaient dicté l’article de la constitution lorsqu’ils disaient : Si on nous demande une déclaration officieuse, nous ne la refuserons pas ; mais officiellement, et sous le coup d’une menace, nous ne donnerons pas la déclaration qu’on exige.
Quand ils ont dit cela, ces officiers étaient évidemment dans leur droit. Et pour faire mieux apprécier l’article de la constitution, je demanderai à ceux qui défendent la mesure prise par le ministre de la guerre, ce qu’ils penseraient d’un arrêté du Roi qui, pour éluder l’article 127 de la constitution, prescrirait à son gré des serments déguisés sous la forme de déclaration sur l’honneur ? Le pouvoir exécutif ne peut pas prescrire un serment formel, mais il dira qu’il n’admettra à telle ou telle fonction que des individus qui auront déclaré sur l’honneur, et avec telle ou telle solennité, telle ou telle chose. Et dans cette déclaration il comprendra toutes les garanties qu’il voudrait insérer dans un serment. Cela ruinerait de fond en comble l’article de la constitution. Je vous demande si un militaire n’est pas aussi lié par une déclaration sur l’honneur que par un serment ? Cela revient au même. On avait demandé un serment, mais quand on a senti la difficulté contre laquelle on se heurtait, on a changé la formule sans rien changer au fond. La chose au fond est restée la même, et la constitution se trouvait toujours violée.
Messieurs, je crois que personne de nous ne niera qu’une promesse faite sur l’honneur est pour un militaire et dans le sens constitutionnel, un véritable serment. Or, cette promesse ne peut être exigée qu’en vertu d’une loi et suivant la formule que cette loi aurait prescrite. Il n’y avait moyen d’excuser les démarches faites qu’en supposant les déclarations spontanées. Dès que ces démarches n’étaient pas spontanées, il y avait inquisition arbitraire contraire à la loi, même en mettant à part l’article de la constitution. Non seulement ici il n’y a pas eu de loi, mais il n’y a pas même eu d’ordonnance du Roi. Il n’appartient à personne d’exiger, sous quelque peine que ce soit, une déclaration qui lie solennellement un habitant du royaume, hors des cas qui sont déterminés par la loi.
Si on soupçonne un individu d’un délit, il y a des formes tracées par la loi pour le forcer à venir s’expliquer sur ce délit ; il y a des magistrats investis par la loi du droit de l’interroger, et la loi a déterminé aussi dans quelles formes cet interrogatoire se ferait. Vous n’y trouvez rien de semblable au mode suivi dans le cas actuel. Non seulement on était en dehors des prescriptions de la loi, non seulement la commission n’avait aucune qualité pour interroger les officiers, mais eût-elle eu cette qualité, dans quel code de procédure trouverez-vous qu’on peut obliger un accusé à répondre sous serment sur son fait, ou à faire une déclaration sur l’honneur pour être déclaré innocent ?
Pensez-vous que parce que la constitution ne s’est servie que du mot serment, on pourrait obligé un accusé qui est sur la sellette, et qui n’a pu y être mis que par suite d’un commencement de preuve ; pensez-vous, dis-je, qu’on pourrait l’obliger à faire une déclaration sur l’honneur qu’il est innocent ? Si un magistrat se permettait de le faire, il aurait forfait à son devoir.
Je pense donc, messieurs, que les officiers qui ont refusé la déclaration qu’on exigeait d’eux étaient dans leur droit. Mais n’y eussent-ils pas été, qu’est-ce que leur refus prouvait ? Un excès de délicatesse. C’était précisément parce qu’ils étaient trop chatouilleux sur l’honneur qu’ils refusaient la déclaration. Mais ils ont dit qu’ils ne la refusaient que parce qu’elle était exigée avec menace, et qu’officieusement ils étaient disposés à faire toute déclaration qu’on désirerait.
Je pense qu’un ministre qui aurait voulu comprendre cette délicatesse bien louable de la part de ces officiers, leur lettre lui aurait suffi ; car il en résultait clairement qu’ils déclaraient autant qu’ils pouvaient le faire sans manquer à l’honneur, qu’ils n’étaient pas les auteurs des articles dont on se plaignait. Mais on n’a pas voulu y avoir égard ; on a voulu punir malgré ces lettres. On voulait un prétexte pour mettre ces officiers en non-activité.
A cette époque où les faits étaient tout récents, j’ai eu une explication sur cette affaire avec le ministre de la guerre. J’ai appelé son attention sur les lettres écrites par ces officiers, lettres que je suis aise de retrouver dans le dossier que M. le ministre a apporté à la séance. Eh bien, savez-vous de que m’a répondu M. le ministre ? Qu’il ne faisait pas attention à des lettres. Il a donc condamné ces officiers sans s’être donné la peine de lire leurs lettres. Voilà la réponse que j’ai reçue. Ainsi, loin d’avoir cherché à trouver une excuse dans les explications données par ces officiers, on a jeté leurs lettres à l’écart comme papier de rebut ; on a procédé comme on prétend qu’on doit le faire pour ne pas compromettre la discipline, c’est-à-dire que quand un officier est inculpé par son chef, on lit l’inculpation, et si les officiers écrivent pour se disculper, on n’a aucun égard à leur justification, on les condamne sans vouloir les entendre.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je pense que sur la manière dont on doit interpréter les paroles que j’ai prononcées tout à l’heure, je pourrais me dispenser de donner aucune espèce d’explications. Vous avez tous compris que je n’ai pas taxé de lâches les officiers de cuirassiers que le ministre de la guerre a mis en disponibilité.
M. Dubus. - Vous avez dit qu’il était temps de prendre des mesures contre ces lâches qui sous le manteau de l’anonyme calomniaient leurs chefs.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - M. Dubus m’a mal compris. J’ai dit au contraire que c’était probablement un sentiment de délicatesse mal entendue qui avait porté les officiers d’Ypres à refuser la déclaration qu’on leur demandait. Cela seul prouve que je ne voulais pas les taxer de lâcheté.
J’aime à penser que le brave officier dont vous a parlé M. Dubus n’est pas celui qui a écrit la lettre injurieuse pour son régiment et pour son chef.
Mais l’honorable préopinant regarde comme le point important de cette discussion la question relative au serment ; du moins c’est celle à laquelle il s’est particulièrement attaché. Or, il m’a paru démontré qu’on n’avait demandé aux officiers aucune espèce de déclaration sous serment ; cela a été prouvé positivement par la lettre écrite par les officiers eux-mêmes.
Du reste, pour quels motifs ces officiers ont-ils été mis en disponibilité ? Est-ce pour des faits antérieurs à la demande de déclaration qui leur a été faite par le ministre de la guerre ? Non, c’est uniquement pour avoir refusé cette déclaration. Ainsi, alors même qu’on leur eût demandé une déclaration sous serment avant la déclaration pure et simple que leur a demande le ministre, cela ne signifierait rien pour la mise en disponibilité. Mais j’ai lieu de croire qu’on n’a jamais demandé de déclaration sous serment.
J’en trouve la preuve dans les déclarations faites le 4 août ; c’est-à-dire 11 jours avant celle demandée par le ministre. On s’est contenté alors de déclarations dans lesquelles il n’était pas question de serment. On demandait aux officiers de répondre purement et simplement à cette question : Avez-vous écrit les articles signés « un officier de cuirassiers, » qui ont été publiés contre le colonel et contre le régiment ?
(Le ministre donne lecture d’une déclaration du major Muller du 4 août.)
C’est un des officiers d’Ypres. A-t-il été mis en disponibilité parce qu’il n’a pas voulu donner de déclaration sous serment ? Non ; il est resté très tranquille à son corps.
Je vous demande si les officiers pouvaient se croire déshonorés en faisant la déclaration que leur demandait le ministre, qu’ils n’avaient pas écrit une lâcheté ? Non certainement ; et ces officiers auraient dû s’empresser de donner cette déclaration ; car il est toujours honorable de dire qu’on ne veut pas s’associer à une action déloyale.
On a contesté la spontanéité de la déclaration. Cependant le ministre vous a dit qu’à Tournay elle avait été faite spontanément par les officiers, et que sur les 10 sous-officiers qui se trouvaient à Ypres, quelques-uns n’avaient pas tardé à suivre l’exemple de leurs camarades de Tournay. On peut donc dire que la déclaration a été spontanée, puisqu’elle a été signée de suite par les officiers de Tournay, tandis que dix seulement se trouvaient à Ypres.
On a dit que le ministre de la guerre voulait ce refus, afin d’avoir un prétexte pour mettre ces officiers en disponibilité. Mais, messieurs, est-il besoin d’un motif quelconque au ministre de la guerre, d’un fait précis, d’une pièce écrite pour mettre un officier en disponibilité, s’il est convaincu, par quelques indices, par quelques circonstances, qu’il ne peut pas avoir confiance dans cet officier ? Mais à l’instant même il pourrait le mettre en disponibilité.
Voyez donc combien le ministre a mis de modération dans cette affaire.
S’il avait voulu nuire à ces officiers, il n’aurait pas insisté près d’eux pour avoir la déclaration qu’on leur demandait ; usant de la prérogative du chef de l’Etat, il les aurait mis de suite en disponibilité. Cette mesure, il ne l’a prise que parce qu’il y a été forcé. Il fallait rétablir l’harmonie dans le corps d’officiers de ce régiment. Assurez-nous, leur disait-il, que vous n’avez attaqué ni le colonel, ni vos camarades, ni le régiment en masse, et il ne sera pris aucune mesure contre vous.
Le refus de ces officiers pouvait amener des querelles, c’est ce qu’il fallait empêcher. On ne peut pas vouloir d’ailleurs que le ministre conserve dans l’armée des officiers malgré la défiance que lui inspire leur refus de faire une déclaration qu’il était en droit de leur demander.
Dans toute cette affaire je vois qu’on a agi avec beaucoup de modération et que l’on a fait ce qu’il fallait pour maintenir la discipline si nécessaire dans une armée. (La clôture ! la clôture !)
M. Pirson. - Je demanderai la parole pour un fait personnel.
M. Dumortier a dit que le fils d’un représentant n’avait pas fait la déclaration voulue : j’ai déclaré que mon fils n’avait pas signé, et j’ai ajouté qu’il ferait des déclarations verbales autant qu’on en voudrait.
On rapporte des faits ; voici comment les choses se sont passées ; et mon exposé prouvera l’exactitude de ce qui a été dit par le ministre de la guerre.
Dans une réunion d’officiers on parla des articles des journaux dirigés contre le régiment ; plusieurs s’écrièrent que c’était une indignité et qu’il fallait repousser les injures par une démonstration ; qu’il fallait que les officiers du régiment déclarassent qu’ils étaient incapables d’écrire de semblables articles.
D’autres officiers ajoutèrent que contre des écrits il fallait des écrits ; et en conséquence ils rédigèrent une déclaration qu’ils signèrent ; mais les autres officiers ne voulurent pas signer en disant qu’une telle démarche, tendant à faire croire que les articles venaient du régiment, serait déshonorante.
Il y eut donc partage dans les opinions. Ceux qui avaient signé passèrent pour des hommes serviles ; ceux qui n’avaient pas signé pour des hommes indépendants. Une scission déplorable régnait dans le corps des officiers.
Informé de tous ces faits, j’ai été trouver le ministre de la guerre et l’ai engagé à prendre une détermination, Il m’a répondu que puisque l’on avait commencé par des déclarations écrites, il fallait continuer. C’est moi qui ai provoqué la mesure, et si j’ai un reproche à faire au ministre, c’est de n’avoir pas agi avec assez de sévérité.
J’ai ordonné à mon fils de signer ; il m’a répondu qu’il ne prendrait pas les devants pour faire cette démarche et qu’il signerait quand on lui présenterait la déclaration.
Je n’ai plus qu’un seul mot à dire. M. de Jaegher a dit qu’il avait été trouver M. le ministre de la guerre pour l’engager à pardonner à ces officiers. Je déclare que je lui ai fait la même demande. M. le ministre de la guerre était tout à fait disposé à rétablir ces officiers ; mais cependant il ne l’a pas fait, parce qu’il y a lieu de soupçonner qu’un auteur des articles se trouve parmi les officiers mis à la demi-solde. (Dénégations, interruption.)
M. Gendebien. - Pourquoi vous constituez-vous accusateur ?
M. Pirson ajoute quelques mots ; les mots « la clôture ! » couvrent sa voix.
M. Verrue-Lafrancq. - Je demande la parole.
- Un grand nombre de membres. - La clôture !
M. Dumortier. - Je demande la parole contre la clôture. (Réclamations.)
Il est impossible de clore la discussion générale. La question des lits militaires n’est pas vidée ; elle est assez grave pour mériter toute votre attention. Je m’oppose à la clôture.
M. le président. - Il y a dans le budget de la guerre un article « Lits militaires. »
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - On pourra à cet article reprendre la discussion au point où elle est restée.
M. Dubus. - Il me semble que certains orateurs se sont abstenus de continuer la discussion sur les lits militaires, parce qu’il leur a semblé que l’incident relatif aux officiers devait être vidé avant tout. Je ne pense donc pas que ce soit le moment de prononcer la clôture, d’autant plus que les bancs de la chambre sont à présent dégarnis.
M. Gendebien. - Je ne veux pas m’opposer à la clôture ni prolonger la discussion sur cette matière délicate. Mais je ne veux pas que l’on prenne mon silence pour une adhésion aux principes avancés par le ministre ni par qui que ce soit. Je proteste donc maintenant, comme je l’ai fait au commencement de cette discussion, contre ces actes arbitraires, contre la mise à la demi-solde des officiers de cuirassiers, et leur réclusion dans une ville forte. Je proteste contre ces illégalités. Maintenant vous pouvez aller aux voix !
- La chambre est consultée sur la clôture de la discussion générale par appel nominal.
Elle n’est plus en nombre suffisant pour prendre une décision.
La séance est levée à 5 heures moins un quart.