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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 26 août 1835

(Moniteur belge n°240, du 27 août 1835)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.

M. Schaetzen lit le procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse annonce que le général Niellon demande la grande naturalisation.

Projet de loi sur les naturalisations

Motion d'ordre

Sur la demande de M. Gendebien, il est donné lecture de la pétition du général Niellon et de la note dont elle est accompagnée.

M. Gendebien. - Je prie le bureau d’inviter la commission des pétitions à présenter un rapport dans le plus bref délai. Il est de toute convenance qu’il soit statué sur cette pétition avant que la chambre ne se sépare.

M. A. Rodenbach. - Je me joins à l’honorable préopinant pour demander que la commission des pétitions présente un rapport dans le plus bref délai. Le général Mellinet a présenté également une pétition. Elle pourrait être examinée comme celle du général Niellon car il a rendu comme celui-ci d’éminents services.

M. de Nef. - Les services que M. le général Niellon a rendus à ma connaissance sont tels, que je viens appuyer avec le plus vif plaisir la proposition de l’honorable M. Gendebien.

M. Dumortier. - Je n’ajouterai rien à ce qu’ont dit les honorables préopinants sur la pétition du général Niellon. Il me semble qu’il conviendrait que la chambre examinât bientôt la loi sur les naturalisations. Cette loi avait été votée par une précédente législature. Elle fut renvoyée au sénat qui y apporta quelques modifications. Elle fut renvoyée aux sections. La section centrale l’examina de son côté. La loi est donc prête à être soumise à votre examen. Si la chambre juge à propos de la discuter dans la présente session, rien ne peut s’y opposer. La chose est d’autant plus urgente, que si la loi sur les étrangers vient à être votée, il sera nécessaire de statuer sur le sort des étrangers qui ont rendu des services au pays. Je demande donc que la chambre s’occupe immédiatement de la loi sur la naturalisation.

Il me paraît qu’au lieu de renvoyer la pétition du général Niellon à la commission des pétitions, il conviendrait de la renvoyer à une commission de naturalisation. Vous savez qu’il y avait dans la session précédente une commission ainsi nommée. La chambre pourrait en former une nouvelle pour examiner les pétitions de la nature de celle de M. le général Niellon.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je ne m’oppose pas à ce que la chambre s’occupe immédiatement de la loi sur la naturalisation. Je ferai seulement une observation à l’honorable préopinant, c’est que la chambre a renvoyé au ministre de la justice toutes les demandes en naturalisation pour être instruites. Cette mesure a été prise en faveur des pétitionnaires, parce que le jour où la chambre s’occupera de la loi sur la naturalisation, je déposerai sur le bureau toutes les demandes instruites.

M. Gendebien. - J’ignorais que l’honorable général Mellinet eût adressé une pétition de la même nature à la chambre. J’appuie de toutes mes forces tout ce qu’a dit l’honorable M. Rodenbach. Je désire que les deux demandes marchent de pair, comme les deux honorables généraux ont marché de pair contre l’ennemi, et qu’ils ont délivré la Belgique du joug de l’étranger.

Je partage l’opinion de l’honorable M. Dumortier en ce qui concerne la nomination d’une commission à l’effet de s’occuper des demandes en naturalisation. Je désire que cette commission soit invitée à présenter un projet de loi pour donner la grande naturalisation à ces deux citoyens qui sont hors ligne. Nous avons voté un projet de loi spécial pour accorder la grande naturalisation au général Evain. Nous devons à plus forte raison en agir de même à l’égard de deux honorables généraux qui ont rendu des services tellement signalés que leurs noms sont devenus populaires en Belgique. Je demande donc que l’on nomme une commission de naturalisation avec invitation de présenter un prompt rapport sur les pétitions des généraux Mellinet et Niellon.

M. A. Rodenbach. - On m’annonce que la pétition du général Melinet n’est pas encore parvenue à la chambre. Je sais de bonne part qu’elle vous sera adressée sous peu. On pourra donc l’instruire en même temps que celle du général Niellon.

M. F. de Mérode. - Il y a dans l’armée beaucoup d’officiers qui peuvent se trouver aussi intéressants pour notre pays que le général Mellinet et le général Niellon. Je ne sais pas pourquoi l’on mettrait ces deux officiers généraux dans une catégorie spéciale. Il faut que l’on agisse de même pour tous ceux qui y ont les mêmes droits.

M. de Brouckere. - Ce que dit l’honorable M. de Mérode ne s’oppose nullement à la nomination d’une commission. C'est au contraire un argument de plus à l’appui de la nécessité de cette commission. S’il y a, comme le prétend l’honorable M. de Mérode, plusieurs personnes qui ont les mêmes droits que MM. Niellon et Mellinet à la naturalisation (ce dont je doute), c’est une raison de plus pour nommer une commission chargée de l’examen de leurs demandes. J’appuie donc la formation d’une commission de naturalisation.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Un des honorables préopinants a demandé que la chambre s’occupe au plus tôt de la loi sur la naturalisation. J’appuie cette proposition. Je demande que l’on mette cette loi à l’ordre du jour après le vote de la loi sur les étrangers. La chambre pourra ainsi statuer sur toutes les demandes dans le plus bref délai.

- La discussion de la loi sur les naturalisations est fixée après celle de la loi sur les étrangers.

La nomination d’une commission de naturalisation par le bureau, au nombre de sept membres, est mise aux voix et adoptée.

Proposition de loi relative au personnel du tribunal de première instance de Bruxelles

Rapport de la section centrale

M. de Behr, rapporteur de la section centrale chargée de l’examen de la proposition de M. Bosquet, monte à la tribune pour présenter son rapport ; la chambre en ordonne l’impression.

M. de Behr, rapporteur. - Comme le vote de cette loi ne durera que quelques minutes, je demande qu’il soit fixé avant la loi sur la naturalisation.

M. de Brouckere. - J’appuie la proposition de M. de Behr. Il est indispensable qu’un vice-président puisse être nommé avant le commencement de l’année judiciaire 1835-1836.

- La chambre décide que le rapport sur la proposition de M. Bosquet sera examiné avant la discussion de la loi de naturalisation.

Projet de loi concernant les étrangers résidant en Belgique

Discussion générale

M. le président. - M. le ministre de la justice se rallie-t-il au projet de la section centrale ?

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Nous attendrons la discussion.

M. Fallon. - La principale difficulté que le projet de loi livre à la discussion n’est pas de savoir si, sur le sol de la Belgique, le droit d’expulser l’étranger est constitutionnel, mais si ce droit peut être constitutionnellement livré à l’arbitraire du pouvoir exécutif sans aucun contrôle, sans aucune garantie contre les abus du pouvoir.

L’article 128 de la constitution veut que l’étranger qui se trouve sur le territoire de la Belgique y jouisse de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions établies par la loi.

Ainsi, dans le régime hospitalier de la Belgique, le droit d’asile n’est pas illimité. L’étranger n’y est pas en tous points assimilé au Belge dans sa personne et dans ses biens ; la loi modifie et peut modifier, à son égard, la protection qu’elle accorde aux régnicoles.

Déjà de nombreuses exceptions existent et attestent que, tant en droit politique qu’en droit civil et en droit criminel, la règle constitutionnelle est susceptible de toutes les modifications que la tranquillité, l’ordre et la sûreté du pays peuvent rendre nécessaires.

Sans la naturalisation, l’étranger n’est pas admis à participer au droit politique.

En droit civil, dans le régime des droits et des obligations, des actions et des garanties des particuliers entre eux, l’étranger est placé dans plusieurs cas exceptionnels.

En toutes matières autres que celles de commerce, l’action en justice lui est refusée s’il ne fournit la caution judicatum solvi, à moins qu’il ne possède en Belgique des immeubles suffisants.

En vertu de la loi du 10 septembre 1807, il peut être arrêté provisoirement dans sa personne.

Tout jugement est exécutoire contre lui par la contrainte par corps.

Si l’on considère comme peine la disposition de l’article 172 du code pénal, il y a également exception en ce qui regarde l’étranger.

Si on considère cette disposition comme mesure d’ordre administratif, c’est encore une exception au droit public.

Enfin, une exception plus remarquable et qui va même plus loin que le principe de la loi qui nous est proposée, c’est l’extradition.

On conçoit, en effet, que l’extradition est peu conciliable avec le droit d’asile. Il y a quelque chose de répugnant que de dire à l’étranger, dans notre programme constitutionnel : « Venez en Belgique, vous serez protégé dans votre personne et dans vos biens ; mais, quel que soit votre respect pour nos lois et nos institutions, si vous avez commis quelque délit ou crime ailleurs que chez nous, nous vous livrerons à vos bourreaux ; » tandis qu’il n’y a rien de contradictoire que de lui dire : « vous recevrez l’hospitalité chez nous, vous y partagerez la protection due aux régnicoles ; mais si vous y troublez l’ordre et la tranquillité publique, vous serez expulsé : libre à vous de sortir par où vous voudrez. »

La règle de l’article 128 n’a pas empêché l’exception résultante du droit d’extradition.

A plus forte raison elle ne doit pas empêcher l’exception résultante du droit d’expulsion, et il y a d’ailleurs chose jugée qu’elle ne l’empêche pas.

Quant à son principe, je n’hésiterais donc pas à admettre la loi proposée, et sur ce point aucun scrupule constitutionnel ne m’arrêterait.

Mais il ne suffit pas que le principe de la loi soit constitutionnel, il faut qu’elle soit opportune, et il faut surtout qu’elle reste constitutionnelle dans son action.

Son opportunité ne me paraît pas pouvoir être contestée.

Depuis quelques années nous avons vu des doctrines, s’entourant du prestige de la liberté et de l’égalité, enseigner les principes les plus subversifs de l’ordre social, remuer et exciter les passions, fomenter les émeutes et dans l’excès et le délire de son fanatisme, se faire aider dans ses projets liberticides par la dévastation et l’assassinat.

Il ne faut pas que de semblables théories, débordant du dehors, prennent le temps de germer en Belgique et viennent corrompre la sage confiance, la juste vénération des Belges pour des institutions garanties par la constitution la plus libérale de l’Europe.

Il ne faut pas que celui qui veut favoriser les ennemis de son pays ou qui veut favoriser les nôtres, vienne ici exciter des défiances et prêcher le mépris ou la haine d’une royauté constitutionnelle librement acceptée, et que les Belges considèrent avec raison comme étant la garantie la plus efficace de la stabilité de ses institutions, de l’ordre, de la tranquillité et de la prospérité du pays.

Dans la position que la Belgique occupe sur la carte de l’Europe, elle est exposée à voir refluer chez elle ces fauteurs de désordre et d’anarchie au moindre événement qui les chasse du voisinage.

Une loi d’expulsion est donc une loi opportune, et pour ma part, je l’appelais depuis longtemps de mes vœux.

Mais il ne suffit pas qu’elle soit opportune et constitutionnelle dans son principe, il faut encore, et c’est là ce qui manque à la loi proposée, il faut encore qu’elle soit constitutionnelle dans son exécution.

Lorsqu’en octobre 1831, le gouvernement proposa un projet de loi sur la sûreté de l’Etat, cette loi renfermait contre l’étranger des dispositions qui diffèrent peu de celles qui nous sont actuellement proposées.

Je fus du nombre de ceux qui s’élevèrent avec force contre cette proposition, parce que j’y apercevais le renversement complet de l’article 128 de la constitution.

Je disais alors, et c’est ce que dit avec moi le ministre de la justice, dans l’exposé des motifs du projet de loi actuellement en discussion, je disais que l’assimilation de l’étranger au régnicole, quant à la protection due à sa personne et à ses biens, est la règle constitutionnelle.

Je disais que si des exceptions sont abandonnées aux prévisions de la loi, une loi semblable ne peut avoir pour objet qu’une exception à la règle.

D’accord sur ce principe avec M. le ministre de la justice, j’en tirais les conséquences suivantes :

Je disais que là où la règle est constitutionnelle, il n’est pas permis à la loi de l’étouffer par l’exception ; que là où il n’est permis à la loi que d’établir des exceptions à la règle, il n’est pas permis de formuler l’exception de manière à corrompre le principe de la règle, en la livrant tout entier à l’arbitraire du pouvoir exécutif.

Je reconnaissais alors, comme je reconnais encore aujourd’hui, qu’il ne fallait pas ouvrir en Belgique un asile au crime ni permettre qu’on vienne y abuser de l’hospitalité au point de troubler l’ordre intérieur et de compromettre la sûreté de l’Etat, et je reconnaissais en même temps que l’on pouvait, par une loi exceptionnelle, restreindre la protection que la constitution garantit à l’étranger.

Mais je déniais aux chambres le pouvoir d’aller jusqu’au point de remplacer la règle par l’exception.

De ces vérités élémentaires pour moi, j’en concluais que la loi exceptionnelle devait être spéciale, qu’elle devait définir les cas, et les seuls cas, où il serait permis de refuser à l’étranger la protection que lui garantit la constitution ; qu’autrement ce ne serait plus une loi exceptionnelle que nous formerions, mais que ce serait le principe constituant que nous remplacerions par une loi ; qu’enfin si le gouvernement pouvait arbitrairement, et sans même devoir en faire connaître les motifs, repousser l’étranger du sol de la Belgique ou le parquer où il lui plairait, l’article 128 sortait tout entier de la constitution pour entrer dans les attributions du pouvoir exécutif, et que ce serait là donner l’exemple d’une violation contagieuse de la constitution.

Comme vous voyez, messieurs, alors comme aujourd’hui, j’étais bien moins préoccupé de l’étranger que du régnicole. Enlever à l’étranger directement ou indirectement toute garantie constitutionnelle, c’était pour moi poser un antécédent dangereux ; c’était mettre en péril les libertés mêmes du peuple belge pour les livrer au sort des majorités.

Vous connaissez, messieurs, quel était le projet de loi que je repoussais de la sorte et qui fut retiré par le gouvernement.

Il s’agissait alors de placer sons la surveillance du gouvernement tout étranger non autorisé à établir son domicile en Belgique, et d’autoriser en même temps le gouvernement à lui enjoindre de sortir du territoire ou de résider dans le lieu qu’il lui désignerait.

Je conviens que l’idée que je me fis alors d’une disposition aussi vague ne s’applique pas, en tous points, au projet de loi actuellement en discussion.

Je reconnais qu’ici la loi prend plus aisément la couleur exceptionnelle ; qu’il ne s’agit plus d’autoriser une expulsion en masse, sans limites et sans distinction ; qu’il ne s’agit plus, enfin que des étrangers qui compromettraient l’ordre et la tranquillité publique.

Je reconnais encore qu’il serait fort difficile, pour ne pas dire impossible, de faire une loi d’expulsion où tous les cas d’application se trouveraient précisés ; de spécifier toutes les circonstances où l’ordre et la tranquillité publique peuvent se trouver compromis, d’autant surtout que ces cas peuvent varier suivant les circonstances et les incidents politiques qui pourraient agiter ou menacer soit la Belgique, soit les Etats voisins, et que tel fait qui pourrait être inoffensif dans un temps donné, pourrait être fort hostile et dangereux dans tel autre.

Aussi, pour mon compte, dans l’impossibilité de faire mieux et en présence de la nécessite de faire une loi sur la matière, mes scrupules constitutionnels disparaîtraient si en laissant au gouvernement le pouvoir d’appliquer une exception aussi susceptible d’être débordée, j’obtenais quelques garanties contre toute exécution abusive.

Ce ne serait qu’à cette condition que je pourrais lui donner mon assentiment, parce que, sans cela, je me trouverais replacé dans la position où j’étais en face du projet de loi de sûreté de 1831 : la différence ne consisterait que dans des mots ; la chose, au fond, serait la même.

En effet, si le ministre est juge souverain de l’application de la loi, avec dispense d’énoncer les motifs de son jugement et sans que le contrôle des chambres puisse s’exercer sur les actes d’expulsion, vous pouvez effacer de la loi la seule condition qui la rend plus spéciale que celle de 1831. Car il ne sera pas de fait le plus innocent, le plus inoffensif à l’ordre et à la tranquillité publique, qui ne pourra donner lieu à l’expulsion, et je plains celui qui aura déplu, non pas à un ministre, je ne le crois pas capable d’aussi vil sentiment, mais à l’un ou l’autre agent en sous-ordre, mais à quelque rivalité, à quelque basse jalousie, si l’étranger l’offusque, par ses talents, par son industrie ou tout autrement, mais encore à quelque fanatique intolérant qui trouvera que c’est un scandale que de laisser dans le pays un étranger qui ne partage pas ses opinions ou sa croyance.

C’est un véritable leurre en législation que de dire que l’on ne pourra s’armer de la loi que contre celui qui compromettra l’ordre et la tranquillité publique, alors que celui à qui vous confiez cette arme est dispensé de rendre compte de l’usage qu’il en aura fait.

Une loi semblable consacre un arbitraire plus dangereux encore que la loi de sûreté de 1831.

Là du moins, il y avait de la franchise. On disait clairement que le gouvernement pouvait placer l’étranger hors du droit constitutionnel lorsqu’il le jugerait convenir, sans restriction ni condition, sans spécialité aucune.

S’il y avait là de l’arbitraire, l’arbitraire n’était que dans le fait du ministre qui exécutait la mesure, et la responsabilité restait au moins entière.

Ici c’est dans la loi même que nous plaçons l’arbitraire, et un arbitraire beaucoup plus complet, puisque le ministre qui aura exécuté pourra toujours échapper à toute responsabilité, en se bornant à vous dire : Vous m’avez constitué arbitre souverain des cas d’application ; et, bien ou mal jugé, la loi ne m’oblige pas à vous rendre compte de mes motifs.

Nous voulons une loi contre le désordre, et c’est une loi de désordre que nous faisons ; car l’arbitraire n’est pas autre chose que le désordre.

Au moyen de la loi qu’on nous présente, le pouvoir exécutif pourra renverser la règle constitutionnelle sans qu’il en reste la moindre parcelle ; et, dans ma conviction, si le serment que j’ai prêté en entrant dans cette enceinte ne me faisait pas un devoir de la repousser, je la repousserais encore par la raison qu’alors qu’on s’occupe de l’ordre et de la tranquillité du pays, je verrais dans l’avenir de ma patrie un débordement de désordre, de défiances et de dissensions du jour où l’on se permettra de frauder la moindre disposition du pacte constitutionnel qui, pour moi, est le gage de la tranquillité du pays tant qu’on saura l’entourer d’un respect religieux.

Mais il n’y a pas d’inconstitutionnalité, dit le rapport de la section centrale… Si vous soustrayez de la règle la protection due aux personnes, la règle continue à subsister pour les biens ; ainsi, ce n’est là que soustraire une portion de la règle ; et du reste, en ce qui regarde les personnes, ce n’est que pour une classe d’étrangers que vous restreignez la règle, puisque vous la réservez à ceux qui sont autorisés à établir leur domicile en Belgique et puisque la loi ne s’appliquera, d’ailleurs, qu’à la catégorie de ceux qui compromettront l’ordre et la tranquillité publique.

Il y a messieurs, beaucoup de subtilité, mais il y a bien peu de jugement dans pareils arguments.

La protection qu’en règle générale la constitution garantit à l’étranger est la même pour la personne et pour les biens, il n’y a pas d’alternative. Vous ne pouvez donc pas la diviser ; vous ne pouvez pas plus faire disparaître de l’article constitutionnel les biens, au moyen de la confiscation ou du séquestre des biens, par exemple, (ce qui, comme vous le dites, laisserait la personne intacte), que vous ne pouvez confisquer ou séquestrer la personne en lui laissant les biens.

Je vous le demande, messieurs, peut-on venir sérieusement nous dire qu’une loi par laquelle vous déclareriez qu’aucun étranger, sur le sol de la Belgique, ne pourra plus respirer sous la protection que les lois garantissent aux personnes, ne serait pas une violation flagrante de la constitution, par la raison qu’on réserve cette protection à ses biens ?

Ce n’est que pour une classe d’étrangers, dites-vous, que vous restreignez la règle ; ce n’est que pour ceux qui compromettent l’ordre et la tranquillité publique : la règle subsistera pour tous les autres.

A la bonne heure ; ici je vais être d’accord avec le rapport, mais toutefois à une condition sans laquelle l’argument ne signifie rien.

Indiquez-moi quelque chose dans la loi qui me donne la garantie qu’en réalité la loi ne pourra être impunément appliquée qu’à cette catégorie d’étrangers, et je serai entièrement de votre avis.

Mais cette garantie, vous ne la donnez pas ; vous excluez même tout moyen de contrôle, et vous voulez que je ne voie pas dans une pareille disposition la ruine de la règle constitutionnelle, que je ne voie pas tous les étrangers quelconques livrés, sans moyen de redressement, à l’arbitraire du pouvoir !

Sans doute, je suis encore de votre avis, lorsque vous me dites qu’il ne faut pas désarmer le pouvoir devant le danger de l’Etat. Mais, est-ce donc le désarmer que de lui demander à faire connaître les motifs de son action à ceux qui représentent la nation, à ceux qui sont constitués les gardiens de la constitution ? Est-ce le désarmer que de se réserver les moyens de lui retirer cette arme, si l’on venait à s’apercevoir qu’il en abuse ?

Je demande donc, et ce n’est qu’à cette condition que je pourrai donner mon assentiment à la loi, je demande que la règle constitutionnelle ne soit point livrée à l’arbitraire du pouvoir, sans responsabilité et sans aucun contrôle.

Je ne demande pas que l’action du pouvoir exécutif, dans l’application de la loi, soit entravée le moins du monde. Les garanties que je réclame n’ont pas pour effet de le gêner d’une manière quelconque dans son exécution.

Je demande seulement que les arrêtés d’expulsion soient adressés aux chambres dans un bref délai.

Si l’on pense qu’un arrêté motivé, pouvant être livré à la publicité, pourrait dans certains cas être plus nuisible qu’avantageux à l’étranger, je pourrai céder à cette considération ; mais j’insisterai pour que l’envoi de l’arrêté aux chambres soit accompagné des motifs qui ont provoqué l’expulsion. J’insisterai encore pour qu’avant d’être communiqués aux chambres, ces arrêtés soient renvoyés à une commission permanente de sept membres au moins, nommée au scrutin secret pour tout le cours de la session et à l’ouverture de chaque session, commission qui sera chargée d’examiner ces arrêtés et de faire rapport aux chambres dans les cas où elle croira qu’il y a eu abus ; que la règle constitutionnelle a été violée ; qu’enfin l’expulsion a été ordonnée en dehors des limites de la loi exceptionnelle.

Cette mesure qui ne gênera en rien la liberté d’action du pouvoir exécutif, ne laissera pas au moins la règle constitutionnelle sans défense et la responsabilité ministérielle hors de toute atteinte. Elle facilitera et assurera le contrôle des chambres sur ces actes importants et exceptionnels de l’administration générale, et l’on pourra du moins faire rentrer le gouvernement dans les limites de l’exception s’il venait à les dépasser.

Si l’on veut franchement n’appliquer la mesure qu’aux cas où l’étranger compromet l’ordre et la tranquillité, si ce n’est réellement pas plus loin que l’on veut aller, je ne comprends pas comment ou pourrait se refuser à donner ces garanties à la règle constitutionnelle.

Dans un gouvernement représentatif, le ministère marche et ne peut marcher qu’avec la majorité des chambres, et, par conséquent, il ne peut avoir rien à redouter du contrôle d’une commission qui ne sera elle-même que l’expression de la majorité de la chambre. Le gouvernement n’a donc rien à redouter d’une semblable commission.

Dira-t-on que le contrôle de cette commission est une intervention directe de la chambre dans un acte du pouvoir exécutif ?

Ce n’est pas à coup sûr du banc des ministres que cette objection partira, car ils n’ont trouvé aucun inconvénient à faire intervenir la chambre dans l’exécution de la loi sur l’enseignement aux frais de l’Etat, et cela par égard pour la liberté constitutionnelle de l’enseignement, et c’est aussi d’une liberté constitutionnelle qu’il s’agit ici.

L’objection, du reste, ne serait pas fondée. Là, l’intervention est directe, et ici, je ne demande aucune intervention ni directe ni indirecte dans l’action du gouvernement ; je la laisse entièrement libre. Ce n’est qu’un moyen de faciliter le contrôle de la chambre que je demande, et comme le contrôle appartient constitutionnellement à la chambre, je ne demande rien d’inconstitutionnel, en demandant le moyen de rendre ce contrôle efficace.

Dira-t-on que mes défiances sont exagérées ; qu’il existe d’autres moyens de contrôle sans qu’il soit besoin d’entourer encore la loi de la garantie que je réclame ?

Voyons et examinons quels sont ces moyens.

Je lis, dans l’exposé des motifs du projet de loi, que l’on ne peut pas croire que le gouvernement abuserait du pouvoir que la loi lui donne, par la raison qu’il n’a aucun intérêt à opprimer l’étranger qui respecte l’ordre.

A cela je pourrais me borner à répondre que l’on ne peut pas croire davantage que la commission abuserait de son mandat, puisqu’elle ne peut aussi avoir aucun intérêt à entraver le pouvoir alors qu’il marche dans la voie légale.

Mais je réponds plus directement à cette considération en faisant observer que le gouvernement doit avoir bien moins intérêt à opprimer les régnicoles, ce qui ne serait sans doute pas une raison pour mettre leurs libertés à sa discrétion.

Je continue à lire l’exposé des motifs du projet de loi.

La presse, y est-il dit, la tribune, l’opinion publique, et la responsabilité ministérielle, sont des sauvegardes suffisantes.

La presse : mais elle est bâillonnée. Elle vous dira bien qu’un tel a été expulsé, mais voilà tout ce qu’elle pourra vous dire puisqu’elle ne peut connaître les motifs secrets de l’expulsion et que la loi l’empêche d’en savoir davantage.

La tribune : mais vous la rendez muette, puisque si elle vient vous demander pourquoi un tel a été expulsé, vous pourrez lui répondre que c’est parce que vous avez jugé que la loi lui était applicable et que c’est à votre discrétion que la loi a abandonné le jugement souverain, sans qu’il soit besoin de justifier les motifs.

L’opinion publique : mais vous l’égarez et vous la rendez impuissante. Comment voulez-vous qu’elle apprécie un acte dont la cause lui reste inconnue ?

La responsabilité ministérielle enfin : mais vous la couvrez de l’égide même de la loi. Cette loi, telle que vous nous la proposez, est précisément la sauvegarde de votre responsabilité. Elle vous laisse souverain arbitre de son application ; elle n’exige pas cette garantie (précieuse acquisition des temps modernes) ; elle n’exige pas que votre jugement soit motivé ; elle n’exige pas même qu’en dehors du jugement et de son exécution, vous rendiez compte de ses motifs ; elle ne réserve aucun moyen de contrôle, elle ne veut pas même que la prévention soit possible.

Je passe maintenant au rapport de la section centrale, et j’y lis que si cette section n’a pas cru devoir admettre les garanties que je réclamais au nom de la section que j’avais l’honneur de présider, c’est à raison que celles écrites dans la constitution sont tout aussi efficaces.

Je prends d’abord acte de ce raisonnement, parce qu’il me permet d’en conclure que la section centrale elle-même reconnaît qu’il faut des garanties, et qu’en conséquence, si elle n’avait pas pensé que l’on trouvait dans la constitution des garanties efficaces, elle eût fait droit à ma réclamation.

Or, si je prouve que ces garanties qu’elle a cru exister dans la constitution ne sont qu’illusoires, et je pense que cela me sera facile, je dois conserver l’espoir fondé que la section centrale se ralliera à la proposition que je lui ai faite.

Le rapport de la section centrale indique ces garanties dans les articles 21, 43 et 40 de la constitution.

En vertu de l’article 21, l’étranger jouit du droit de pétition.

Ce droit, pour lui, sera parfaitement illusoire ; il ne pourra vous apprendre autre chose par sa pétition que ce que vous saurez déjà, c’est-à-dire qu’il est expulsé. L’ordre d’expulsion n’étant pas motivé, il ne pourra pas vous dire quelle est la cause de cette mesure.

D’un autre côté, est-ce là agir en gardiens scrupuleux de nos institutions de ne nous occuper de l’étranger alors qu’il trouverait le moyen de nous faire parvenir sa plainte ?

Je le répète encore, ce n’est pas ici la cause de l’étranger que je plaide, elle n’est que secondaire dans ma pensée, c’est celle d’une liberté constitutionnelle que je défends ; et que l’on se plaigne ou que l’on ne se plaigne pas, je crois qu’il est de notre devoir de veiller à ce qu’il n’y soit porté aucune atteinte dans le silence même de la partie lésée.

En vertu de l’article 43, la chambre pourra renvoyer la pétition au ministre, et exiger des explications sur son contenu.

Je prends encore acte de cette concession de la section centrale, et j’en conclus qu’elle reconnaît que tout au moins le ministère pourra être tenu d’expliquer à la chambre les motifs de l’expulsion, lorsque l’étranger lui aura faire savoir officiellement qu’il est expulsé.

Or, s’il est vrai que la loi, telle qu’elle est conçue, n’empêchera pas que la chambre ne puisse user de ce droit lorsque l’exercice en sera provoqué par l’expulsé, il faut s’attendre qu’il n’est pas un expulsé qui, ignorant la cause de son expulsion, ne s’adresse à la chambre, et ainsi nos travaux se trouveront interrompus pour discuter des matières toujours fort irritables, et c’est là précisément ce que je désire d’éviter, en demandant que semblables requêtes soient renvoyées, sans discussion préalable, à la commission spéciale dépositaire des motifs de l’expulsion, et qui ne viendra en occuper la chambre que pour autant qu’elle croira qu’il y a eu abus.

Or, encore, si la chambre conserve le droit de demander les motifs de l’expulsion sur la pétition de l’expulsé, il faut bien reconnaître que je ne propose pas d’attribuer à la chambre un droit qu’elle n’a pas ; que la ma proposition est toute légale et qu’elle a, sur l’exécution de l’article 43 de la constitution, cet avantage incontestable que la chambre ne sera saisie d’une discussion sur l’application de la loi proposée que dans les cas rares, car j’aime à croire qu’ils seront peu fréquents, où la commission croirait avoir quelque abus à signaler.

Au surplus il ne faut pas se faire illusion. La section centrale se trompe lorsqu’elle pense qu’après l’adoption de la loi, telle qu’elle est formulée, l’article 43 de la constitution pourrait produire le résultat qu’elle nous promet.

Lorsque vous renverriez une semblable pétition avec demande d’explications, le ministre vous répondra, et il sera dans son droit, qu’étant l’arbitre de l’application de la loi, il a jugé d’après les renseignements qui lui sont parvenus, que l’ordre et la tranquillité du pays pouvait être compromis par le séjour prolonge du pétitionnaire. Voilà tout ce que vous en aurez, plus les discussions qui s’en suivront sans aucun résultat, pour tâcher d’en savoir davantage, plus la perte de temps ; et ce n’est sans doute pas là un remède efficace.

On ne me demandera pas sans doute si la chambre en aura davantage avec ma commission permanente, car la chose est évidente.

Cette commission pourra prendre et recueillir des informations ; elle pourra plus aisément et plus utilement se mettre en relation avec le ministre ; elle pourra obtenir de lui des communications qui seraient souvent de nature à ne pouvoir être livrées à la publicité et par conséquent à la chambre, et la chambre s’épargnera ainsi le soin de s’occuper des pétitions qui ne mériteraient réellement pas son attention.

Enfin la section centrale nous rappelle que l’article 40 de la constitution nous donne le droit d’enquête.

Je m’étonne que l’on vienne nous parler du droit d’enquête à l’occasion d’une pétition sur le sujet que nous discutons.

Aurait-on oublié ce qui est advenu chaque fois que nous avons fait l’essai de ce moyen ? Ne sait-on pas que ce moyen n’est pas même encore organisé ? N’est-ce pas d’ailleurs un moyen dont il ne faut faire usage qu’avec la plus grande réserve et dans les cas seulement où il s’agit d’un objet important d’intérêt général, d’un péril grave ? Enfin, n’est-ce pas là un moyen extraordinaire auquel il ne faut recourir qu’à défaut de tout moyen ordinaire ?

En nous citant ces trois articles de la constitution comme renfermant des garanties propres à remplacer efficacement celles que je propose, la section centrale n’a pas dit un mot de la responsabilité ministérielle ; et, en effet, elle ne pouvait en rien dire, parce qu’il est par trop évident que la loi, telle qu’elle est conçue, sans les garanties que je réclame, place la responsabilité ministérielle à l’abri de toute atteinte, ainsi que je pense l’avoir suffisamment démontré.

D’après ces diverses considérations, je ne pourrai donner mon assentiment à la loi, si je n’obtiens pas, en faveur du respect dont nous ne devons cesser d’entourer la constitution, les articles additionnels que je me réserve de livrer aux débats, si la discussion ultérieure ne me donne pas la conviction que mes scrupules ne sont pas fondés.

Il est toutefois un point sur lequel je ne crois pas pouvoir transiger ; c’est sur la durée temporaire de la loi.

Elle est bonne ou elle est mauvaise.

Si elle est bonne, pourquoi se placer en dehors des principes du droit commun en matière de législation ; pourquoi lui refuser le caractère de perpétuité ?

Si elle ne vaut rien ou si elle est inconstitutionnelle, ce serait un contresens que de la voter même pour vingt-quatre heures.

Une loi exceptionnelle est plus fâcheuse, dit-on, par sa durée que par sa rigueur.

Mais, quel que soit son objet, il ne faut pas sans doute qu’elle soit fâcheuse ni dans sa durée, ni dans sa rigueur.

Quant à moi, je ne vois rien de fâcheux pour le pays et non pas pour l’étranger, car ce n’est pas pour l’étranger, mais pour le pays que nous faisons la loi ; je ne vois rien de fâcheux d’en expulser celui qui vient troubler l’ordre et la tranquillité publique, et je désire bien sincèrement qu’il en soit ainsi à perpétuité et non pas seulement pour trois ans.

On n’abuse pas de la loi, dit-on, lorsque le terme est court et qu’on est soumis à l’obligation d’en demander le renouvellement.

Mais ce n’est pas non plus pour le ministère, mais pour le pays que nous faisons la loi.

Si elle est bonne pour le pays, que le ministre en abuse ou qu’il n’en abuse pas, cela ne fait rien à la chose ; car s’il en abuse, ce sera bien une raison pour expulser le ministre, et ce n’en sera pas une pour priver le pays d’une bonne loi.

L’extradition qui livre l’étranger à ses bourreaux est un droit bien plus rigoureux que l’expulsion qui lui laisse la liberté de se retirer où il veut, et toute rigoureuse que soit l’extradition, nous n’en avons pas fait l’objet d’une loi provisoire.

Quant à moi, je désire que le pays sache que ce n’est pas une loi fâcheuse, mais une bonne loi et une loi de durée que nous avons voulu faire, et je désire d’ailleurs d’éviter le renouvellement périodique de toute discussion ultérieure sur semblable matière.

M. le président. - M. Liedts a la parole.

M. Liedts. - Comme je parlerai contre le projet, je désirerai, savoir si parmi les orateurs inscrits, il n’y a pas un seul orateur qui se propose de parler en faveur du projet.

M. Dubois. - Messieurs, on ne s’attend guère à être écouté avec beaucoup de faveur, ni à inspirer de bien vives sympathies, quand on se lève parmi vous pour défendre une loi d’exceptions où domine essentiellement le vague et l’arbitraire. Jaloux de conserver dans leur acception la plus large les grands principes de liberté consacrés par notre constitution, fiers de notre antique renom d’hospitalité, la chambre et le pays ne céderont qu’avec peine et après beaucoup d’hésitation, à la triste nécessité de livrer aux mains du pouvoir le sort des étrangers qui viennent parmi nous pour s’établir ou pour implorer un refuge. Et cependant, messieurs, cette nécessité existe ; elle s’offre à nous fatale et impérieuse.

Tandis que la Belgique s’efforce à se constituer libre et indépendante parmi les nations, pendant qu’elle fait les efforts les plus généreux pour se donner de bonnes lois, et pour ramener parmi ses citoyens l’ordre, la confiance et la sécurité, seuls gages d’une liberté durable, il s’élève à côté de nous une génération d’hommes inquiets et dangereux, de prétendus réformateurs du monde, qui ne tiennent leur mission que d’eux-mêmes, et qui, aussi audacieux qu’ignorants, ont rêvé, avec le renversement des trônes, l’anéantissement de tout pouvoir, de toute croyance, de toute morale en Europe.

J’ose le dire, messieurs, malgré leurs protestations hypocrites, ces hommes ne sont d’aucun pays ; ils ont mis leurs haines personnelles, leurs passions, leur égoïsme, à la place de leur patrie. On les retrouve partout ; au fond de leurs clubs, conspirant la ruine de tout ordre social ; dans nos cités, prêchant au peuple le scepticisme et le découragement, catéchisant la classe ouvrière, la démoralisant, l’excitant au désordre et à la révolte. Secte infatigable et mystérieuse qu’on voit reparaître toutes les fois qu’on la croit anéantie ou comprimée, plus audacieuse, plus active, plus implacable qu’auparavant.

Ah ! messieurs, si la loi qui nous est présentée était dirigée contre ces étrangers qui parmi nous viennent exercer un commerce quelconque, viennent établir une industrie nouvelle, élever des manufactures, verser leurs capitaux dans le pays, porter en dot leur science ou leurs biens, je n’élèverais la voix que pour protester contre tant de folie et d’indignité.

S’il s’agissait de troubler dans leur sécurité certains réfugiés politiques que le malheur a conduits parmi nous, qui sont venus nous demander asile et protection contre leurs oppresseurs, qui pleurent la ruine et la perte de leur patrie et qui vivent résignés et inoffensifs à l’ombre de nos lois et de nos institutions protectrices, je protesterais encore, et nous protesterions tous. Nous nous sentirons tous offensés dans ce que nos cœurs renfermeraient de plus noble et de plus généreux. Ces étrangers, nous les avons accueillis, nous leur avons promis protection, nous les avons aidés de nos souscriptions, nous leur avons donné même des places honorables dans notre armée : qu’ils gardent leur foi donnée et nous ne leur retirerons pas la nôtre ; qu’ils restent parmi nous gens d’honneur et paisibles citoyens de leur nouvelle patrie, et ils n’auront jamais rien à craindre. Le mal n’est pas là.

Mais, ce serait de la folie aussi, ce serait une duperie qui n’est réservée qu’à un peuple stupide et ignorant que de transiger avec les amis du désordre, que de composer avec l’iniquité. Ce n’est pas un frère celui qui vient troubler le repos de sa famille, qui prêche la perversité, qui conspire sa ruine. Il n’a pas mérité l’hospitalité celui qui, délirant de haine et de vengeance contre son hôte, vient pour semer le trouble et l’anarchie parmi les siens.

Messieurs, le mal est grand ; il est imminent pour la Belgique. Sans limites naturelles, placés pour ainsi dire au centre du mouvement qui entraîne la société à sa ruine, nous avons tout à craindre des nouvelles doctrines qu’on répand parmi les hommes ; si elles triomphent, nous en serons les premières victimes ; si on les comprime ailleurs, elles déborderont chez nous ; notre patrie deviendra le centre commun de funestes opérations ; on s’en servira comme d’un point d’appui pour diriger le levier qui doit soulever les peuples et bouleverser l’Europe. Ce que je vous dis, messieurs, vous le savez ; vous les connaissez ces hommes de destruction, car vous les avez déjà vus préluder à leur œuvre.

Et qu’on ne dise pas, la Belgique est pure, elle est calme, elle est amie de l’ordre. C’est vrai, messieurs, mais il ne faut pas se laisser aller à trop de sécurité, l’ennemi est actif et vigilant, et ce serait tenter Dieu que de ne pas le surveiller.

Unissons donc tous nos efforts pour nous opposer à l’ennemi commun, pour sauver notre pays du naufrage, pour lui préparer un avenir tranquille et prospère, pour le placer en dehors des influences dissolvantes qui ont mené un royaume voisin aux bords du précipice et dont on a vu les effets se résumer dans une épouvantable péripétie.

Messieurs, je voterai pour la loi, mais j’attendrai la discussion des articles pour m’expliquer, si je le crois utile, sur certaines objections qu’on fait à l’article premier, et sur quelques dispositions nouvelles que la section centrale a trouvé convenable d’y introduire.

M. Liedts. - « Il faut donner au gouvernement des secours pour la sûreté publique ; il faut donner au gouvernement les secours nécessaires pour la sécurité de tous, mais il ne faut pas lui donner l’arbitraire. »

Ces paroles, messieurs prononcées dans la séance du 4 avril 1834, par l’honorable ministre de la justice, alors député, en parlant du droit d’asile que les étrangers avaient à réclamer en Belgique, ces paroles qui furent applaudies de tous les amis sincères du pays et de la constitution, sont aussi l’expression fidèle de ma pensée.

Oui, messieurs, on me trouvera toujours disposé à donner au gouvernement les moyens nécessaires pour la conservation de nos institutions acquises au prix du sang des martyrs de notre révolution ; mais ce ne sera aussi qu’à la dernière extrémité que je m’associerai par mon vote à des lois consacrant un arbitraire sans limites, ce ne sera qu’à la dernière extrémité que je confierai au gouvernement des armes aussi dangereuses pour celui qui les manie que pour les citoyens contre lesquels on les emploie.

Tout-puissant pour faire le bien, impuissant pour opprimer, voilà le gouvernement comme je le voudrais voir établi.

Lorsqu’au mois d’août 1834, M. Ernst fut appelé, par la confiance du Roi, à prendre le portefeuille de ministre, l’une des promesses qui entrèrent dans son programme fut de présenter à la législature un projet de loi ayant pour but de régler le droit d’expulsion des étrangers qui se rendent indignes de l’hospitalité dont ils jouissent en Belgique, et j’ose le dire, je me flattais à cette époque de l’espoir que nous verrions enfin sortir du cabinet un projet de loi qui fût en harmonie avec les principes que, comme député, il avait si noblement défendus à cette tribune, un projet qui conciliât l’hospitalité avec ce que nous avons le droit d’exiger de ceux qui viennent s’asseoir à nos foyers domestiques, un projet enfin qui garantit la sécurité de tous et fût en même temps une égide contre l’arbitraire.

Une année entière s’est écoulée depuis que nous avons recueilli cette promesse solennelle de la bouche du ministre, et quel est le fruit de ses longues méditations ? Un projet dont rien n’égale l’arbitraire, si ce n’est peut-être le défaut de franchise qui règne dans la rédaction. Lorsqu’immédiatement après la malheureuse campagne du mois d’août 1831, le ministère présenta à la chambre son projet de loi sur la sûreté publique, il avait au moins la franchise de dire que ce projet de loi était arbitraire ; il trouvait sa justification dans la position critique où était placée la Belgique.

« Les étrangers, portait ce projet de loi, non autorisés par le gouvernement à établir leur domicile en Belgique et qui se trouveront sur le territoire du royaume sans y avoir une mission des puissances neutres ou amies reconnues par le gouvernement du roi, sont placés sous la surveillance spéciale du gouvernement, qui pourra leur enjoindre de sortir du territoire belge ou de résider dans la commune, le canton, l’arrondissement ou la province qu’il leur désignera. »

Ce projet au moins avait le mérite d’être franc et loyal et ne laissait pas deviner le dessein de ses auteurs ; le projet qu’on vous présente au contraire sous une apparence trompeuse consacre identiquement la même chose.

Et, en effet, le ministère prétendrait-il que le projet actuel exige pour condition de l’expulsion que l’étranger trouble l’ordre et la tranquillité publique ? Mais pense-t-il que le ministère de 1831 tînt un autre langage ? Pense-t-il qu’en 1831 le ministre de la justice, dont le caractère personnel inspirait du reste tant de confiance, fût assez insensé pour solliciter la faculté d’expulser les étrangers sans motifs ? Et n’est-il pas au contraire présent à votre mémoire qu’alors comme aujourd’hui le ministère protestait de son respect pour le droit d’asile, et donnait l’assurance la plus positive de n’user de la loi qu’envers ceux qui troubleraient l’ordre et la tranquillité publique ?

« Le ministère, disait M. de Muelenaere, alors ministre des affaires étrangères, ne pourra se servir de cette loi que pour réprimer à l’intérieur les complots qui tendraient à compromettre la sûreté de l’Etat.»

Les autres ministres s’exprimaient de la même manière.

Qu’on ne s’y trompe donc pas, les deux projets de loi avaient le même but, la même portée, consacraient le même arbitraire.

Or, comparez les deux époques ! lorsque le premier projet fut présenté, la Belgique venait d’être surprise par un ennemi déloyal, dont les armées secondées par des intelligences à l’intérieur avaient pénétré jusqu’aux portes de la capitale ; l’or corrupteur de l’étranger, à en croire les ministres, soudoyait en Belgique des étrangers travaillant sans relâche au retour d’une dynastie proscrite à jamais !

Tous ces motifs ont disparu aujourd’hui, et personne, je pense, ne croira que s’il existe encore des songes creux qui rêvent le retour de leur ancien maître, leur présence soit dangereuse au repos du pays. Cependant, messieurs, le ministère de 1831 recula devant le vote de la chambre et retira le projet de loi pour le léguer à ses successeurs qui, quatre ans plus tard, sans pouvoir invoquer la gravité des circonstances de 1831, ne craignent pas de le reproduire sous une autre forme.

Que dis-je, le ministre actuel renchérit encore sur la rigueur de la loi d’amour de 1831.

« Le premier ministre du Roi ne présentant le projet actuel que comme une loi essentiellement passagère, bornez-en la durée, disait M. de Muelenaere, à la durée de la session, si vous le voulez, afin que le pouvoir soit chargé de son exécution sous la surveillance des chambres même ! »

La loi nous était donc présentée comme un mal dont le court passage ne devait laisser que peu ou point de traces.

Le ministère actuel au contraire veut qu’elle prenne place dans nos lois permanentes, qu’elle s’incorpore à nos institutions, et qu’elle serve à jamais d’écriteau aux frontières du pays reconnu de tout temps comme la terre hospitalière par excellence.

Ne faut-il donc aucune loi sur l’expulsion des étrangers ? Faut-il permettre que des personnes qu’aucun intérêt n’attache à la stabilité de nos institutions viennent impunément exposer la tranquillité publique ?

Je l’ai déjà dit en commençant, telle n’est pas mon opinion, et il m’est facile de faire voir que je suis plus sévère envers les étrangers que les ministres eux-mêmes, non pas d’après le langage qu’ils tiennent aujourd’hui, mais d’après celui qu’ils tenaient autrefois.

M. de Muelenaere disait, à l’appui de la loi de 1831, que dans des temps ordinaires, il repousserait la loi avec une profonde indignation.

Messieurs, je ne puis m’associer à cette opinion absolue, et je crois que même pour les temps ordinaires où nous sommes, il convient de régler le droit d’expulsion. Dans tous les temps on peut rencontrer des fauteurs de troubles, des hommes qui paient l’hospitalité de la plus noire ingratitude.

Je ne rejetterai donc pas la loi avec indignation, comme M. de Muelenaere devrait le faire, mais je tâcherai de l’améliorer.

« En temps ordinaire, disait le ministre d’Etat M. de Mérode à la séance du 14 octobre 1831, les étrangers, même les Hollandais, doivent trouver chez nous la plus large hospitalité. »

Et cependant, M. le ministre actuel demande à régler le droit d’asile, même pour les temps ordinaires, par de simples ordonnances, et à soumettre tous les étrangers sans distinction au bon plaisir de la police.

M. d’Huart, à la séance du 12 octobre 1831, prononça un discours pour prouver tout l’odieux de la loi arbitraire qu’on vous présente de nouveau aujourd’hui, et qu’on voulait alors arracher à la législature, en lui communiquant des terreurs paniques : il rejetait le projet avec effroi : « la police, disait-il, peut trouver assez d’aliments pour son inquiète et farouche activité en usant du pouvoir que leur confère le code pénal et au moyen de la stricte exécution des lois sur les passeports »

Messieurs, je suis moins rigoureux que M. d’Huart et je pense que la police, sans être farouche, peut réclamer d’autres mesures que l’exécution des passeports !

Je suis même moins rigoureux que M. Ernst, que M. Ernst attaquant son prédécesseur, que M. Ernst député. Ne s’écriait-il pas à la séance du 24 avril 1834 : « Comment ! ce sera un agent de police qui fera un rapport, et sur ce rapport un honnête homme sera expulsé ! Comment ! ce ne sera pas seulement pour avoir écrit qu’on chassera les étrangers, ce sera pour avoir parlé ! Ainsi un odieux espionnage servira de base aux expulsions des étrangers, et vous croyez, M. le ministre, que la chambre et la Belgique auront assez de confiance pour vous livrer un tel pouvoir discrétionnaire ? Oui ; en échange de la protection que nous lui donnons, l’étranger est soumis à nos lois de police et de sûreté. S’il les enfreint, vous pouvez le poursuivre en justice ! »

Vous pouvez le poursuivre en justice ! Non, messieurs, il ne faut pas, à mon sens, poursuivre tous les étrangers sans distinction, qui enfreignent nos lois de police, mais il ne faut pas non plus les abandonner à l’aveugle caprice, au pouvoir discrétionnaire d’un chef de police !

Je suis donc moins rigoureux, je le répète, sur les formes judiciaires que M. Ernst lui-même. Il semblerait, d’après tout cela, messieurs, que rien ne doive être plus facile que de nous entendre.

Je ne demande pas à nos ministres qu’ils soient tels aujourd’hui qu’ils étaient autrefois, ce serait exiger un sacrifice trop grand peut-être ; mais qu’ils fassent au moins quelques pas vers la route qu’ils ont parcourue, et ils sont certains de nous rencontrer.

Mais que craignez-vous ? nous diront les ministres ; le gouvernement n’a aucun intérêt à opprimer l’étranger ! Messieurs, c’est aussi ce que disent tons les despotes présents et passés qui, voulant régir toutes choses d’après leur bon plaisir, invoquent sans cesse leur intérêt à bien gouverner. Demandez aux despotes du nord pourquoi ils ne veulent pas que leur volonté soit bridée par des lois. A quoi bon, diront-ils, que craignez-vous, avons-nous intérêt à opprimer qui que ce soit ? Et l’intérêt de tous n’exige-t-il pas que, libres dans nos actions, nous puissions opérer le bien sans contrainte et sans formes ? Vous le voyez, messieurs, lorsque, pour vous arracher des lois arbitraires on n’a qu’à alléguer le défaut d’intérêt d’en abuser, on fait, sans le vouloir, l’apologie du despotisme.

La loi, ajoute-t-on, ne peut alarmer que les malveillants, car les lois pénales ont-elles jamais troublé le sommeil de l’honnête homme ?

Non, messieurs, l’homme de bien ne craint pas les lois pénales ; mais pourquoi ? Parce qu’il sait qu’il existe un juge impassible comme la loi même pour l’appliquer ; parce qu’il sait qu’il doit être entendu, confronté avant d’être frappé ; parce qu’il sait que si une accusation injuste venait à peser sur lui, la loi met à sa disposition tous les moyens de prouver son innocence ; mais s’il existait au monde un pays où il suffit d’un faux rapport pour être frappé dans sa fortune et ses affections ; où, sans vous entendre, sans la moindre instruction préalable, un chef de police pût vous arracher à jamais à votre famille et à vos affaires, pensez-vous que beaucoup d’étrangers seraient tentés d’y aller fonder des établissements de commerce ou d’industrie ? Et ne pensez-vous pas au contraire que même l’honnête homme craindrait de venir s’asseoir à l’ombre de ces institutions tyranniques ?

Et qu’on n’invoque pas les précautions dont les expulsions seront entourées : la police est aujourd’hui ce qu’elle était hier, ce qu’elle sera demain ; je ne l’appellerai pas farouche comme M. d’Huart, mais inquiète, ombrageuse ; et comme dans tous les temps son action s’exerce par les subalternes du plus vil caractère, elle est par cela même sujette à errer. Qui oserait en douter ? n’a-t-on pas vu le ministère précédent expulser comme dangereux pour la sûreté publique un homme mort depuis plusieurs semaines ; d’autres qui, de l’aveu de tous, ne s’étaient jamais mêlés des affaires politiques. Et c’est après des exemples semblables, stigmatisés alors par M. Ernst, qu’on nous propose une loi qui n’offre aucune garantie contre l’erreur ou la passion !

Je n’ignore pas combien il est difficile de faire une bonne loi sur les étrangers, une loi qui concilie l’intérêt public avec l’hospitalité que notre constitution assure aux étrangers ; mais entre les lenteurs judiciaires d’une poursuite ordinaire et l’expulsion brutale sans aucune forme de procès, la marge est énorme. L’humanité ne s’offense-t-elle pas de voir mettre sur la même ligne l’homme que des intérêts réels attachent à notre sol, avec l’intrigant sans aveu que rien ne lie à nos institutions ; de voir confondre celui qui, par une longue résidence et des établissements souvent très importants parmi nous, a pris racine dans le pays, avec des goujats débarqués d’hier, avec toute leur fortune de pacotille, et ne spéculant que sur la crédulité publique ?

Peut-on tolérer que les uns comme les autres trouvent à leur réveil un gendarme qui leur enjoigne de quitter la Belgique dans les vingt-quatre heures et de n’y plus rentrer ?

Si vous voulez, messieurs, faire une chose utile et agréable à tous les bons citoyens, soyez un peu moins en peine que le ministre des doctrines républicaines, et un peu plus de la fortune des citoyens. Permettez au juge régulier de condamner à l’expulsion ces étrangers qui, dénués de tout et arrivant parmi nous, abusant de la confiance des Belges, vivent d’escroquerie et de vols, et regardent notre pays comme un mine à exploiter.

Après cela, rendez votre projet de loi supportable, et vous me trouverez prêt à l’appuyer ; entourez l’expulsion de quelques garanties contre l’erreur ou la passion de vos gens de police, en établissant des catégories d’après les liens plus ou moins forts qui unissent les étrangers à notre patrie : que si vous ne consentez pas aux amendements que j’aurais l’honneur de présenter dans ce but, si vous voulez l’arbitraire, dans toute son étendue, je voterai contre le projet de loi, en rappelant à M. le ministre de la justice ces mots, qu’il adressait à son prédécesseur à l’occasion des expulsions : « Il est difficile de croire à la bonne foi de celui qui ferait le libéral quand il était député, et qui fait le despote arrive au pouvoir. »

Voici les amendements que j’aurai l’honneur de déposer sur le bureau

L’article premier serait nouveau.

« Art. 1er. Les étrangers qui seront condamnés du chef de banqueroute frauduleuse, d’escroquerie ou d’abus de confiance, pourront par le même jugement ou arrêt être condamnés à sortir du territoire de la Belgique, après avoir subi leur peine et de la manière indignée aux articles 3 et suivants de la présente loi. »

Avant de passer à l’article 2, je dirai, pour le mieux faire comprendre, que je partage les étrangers en trois catégories, d’après le plus ou moins d’attachement qu’on peut supposer à chacun d’eux pour nos institutions.

« Art. 2. L’étranger résidant en Belgique qui par sa conduite compromet l’ordre et la tranquillité publique, peut, sur l’avis de la chambre du conseil du tribunal de sa résidence, être contraint par le gouvernement à sortir du territoire belge, ou résider dans la commune, le canton, l’arrondissement ou la province qu’il lui désignera.

« Le tribunal, d’après la notoriété publique et après avoir entendu le ministère public transmettra un avis motivé au ministre dans les huit jours de la demande qui lui en sera faite.»

Je demande la notoriété publique afin que l’étranger qui ne se mêle pas des affaires publiques ne soit pas expulsé arbitrairement par un agent de police.

« Art. 3. Si cependant l’étranger, après avoir atteint l’âge de 21 ans accomplis, a résidé en Belgique pendant 5 années consécutives, pourvu qu’il y paie une contribution directe, et qu’il y possède en outre un établissement d’agriculture ou de commerce, le gouvernement ne pourra lui appliquer la disposition précédente que sur l’avis conforme de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel dans le ressort de laquelle l’étrange a établi sa résidence ; dans ce cas le ministère public et l’étranger seront entendus en chambre du conseil, dans la quinzaine à dater de la réception des pièces ; elles seront renvoyées avec l’avis motivé au ministre de la justice. »

Je crois que cette disposition n’entoure pas l’étranger de trop de garanties. Vous vous rappellerez que sous l’empire de la constitution de frimaire an VIII, l’étranger dans la catégorie qui fait l’objet de mon article 3 obtenait, sur une simple déclaration faite à la municipalité, la jouissance des droits civils et la qualité de citoyen français ayant la plénitude des droits politiques, pourvu qu’il eût résidé 10 ou 5 ans et qu’il possède un établissement de commerce et d’agriculture en France avant d’avoir atteint l’âge de 21 ans.

Ce n’est donc pas trop exiger qu’une personne qui devenait, sous l’empire de la constitution de l’an VIII, citoyen de plein droit, ne soit pas expulsée sans aucune espèce de garantie.

Je consacre un paragraphe spécial de l’article 4 à l’étranger qui résidait en Belgique avant le 1er janvier 1814, et qui y possède un établissement de commerce ou d’agriculture. Si cet étranger n’avait pas négligé de faire la déclaration voulue par la constitution, il aurait été citoyen belge, jouissant de tous les droits politiques attaché, à cette qualité, et ayant par conséquent droit d’être appelé à siéger dans cette enceinte. Il ne peut être mis sur la même ligne que l’étranger nouvellement débarqué que rien n’attache à nos institutions.

« Art. 4. Les dispositions qui précèdent ne pourront être appliquées aux étrangers qui se trouvent dans un des cas suivants :

« 1° A l’étranger autorisé à établir son domicile dans le royaume ;

« 2° A l’étranger marié avec une femme belge, dont il a des enfants nés en Belgique pendant sa résidence dans le pays ;

« 3° A l’étranger décoré de la croix de fer ;

« 4° A l’étranger établi en Belgique avant le 1er janvier 1814, et qui a continué d’y résider ; s’il y possède en outre un établissement d’agriculture ou de commerce. »

« Art. 5. Dans la huitaine de la date de l’arrêté, si les chambres sont assemblées, et dans la huitaine du jour de la réunion des chambres, si au moment de l’expulsion les chambres n’étaient pas assemblées, le ministère rendra compte aux chambres des arrêtés portés en vertu des articles 2 et 3 de la présente loi. »

« Art. 6. L’arrêté royal porté en vertu de l’article premier sera signifié par huissier à l’étranger qu’il concerne.

« Il sera accordé à l’étranger un délai qui devra être d’un jour franc au moins. »

« Art. 7. L’étranger qui aura reçu l’injonction de sortir du royaume, sera tenu de désigner la frontière par laquelle il sortira : il recevra une feuille de route réglant l’itinéraire de son voyage et la durée de son séjour dans chaque lieu où il doit passer.

« En cas de contravention à l’une ou l’autre de ces dispositions, il sera conduit hors du royaume par la force publique. »

« Art 8. Le gouvernement pourra enjoindre de sortir du territoire du royaume à l’étranger qui quittera la résidence qui lui aura été désignée. »

« Art. 9. En cas que l’étranger auquel il aura été enjoint de sortir du royaume rentre sur le territoire, il pourra être poursuivi, et il sera condamné pour ce seul fait, par les tribunaux correctionnels, à un emprisonnement de trois mois à un an, et à l’expiration de sa peine il sera conduit à la frontière. »

« Art. 10. La présente loi ne sera obligatoire que pendant trois ans, à moins qu’elle ne soit renouvelée. »

M. Frison. - Messieurs, je ne prends point la parole pour vous faire part de toutes les réflexions que m’a suggérées le projet de loi soumis à vos délibérations ; assez d’orateurs distingués entreprendront la tâche d’en faire ressortir tous les vices.

Je vous dirai seulement que je suis étonné de voir la section centrale écarter quelques faibles garanties que vous présentait le gouvernement dans son article 2 :

« 1° A l’étranger autorisé à établir son domicile dans le royaume ;

« 2° A l’étranger marié avec une femme belge, dont il a des enfants nés en Belgique pendant sa résidence dans le pays ;

« 3° A l’étranger décoré de la croix de fer. »

A mon avis, le ministère avait raison d’accorder protection aux étrangers qui se trouvaient dans ces trois cas : le ministère avait pensé qu’un homme qui, aux jours du danger, était venu nous aider de son bras et de son courage, et auquel ses actions avaient mérité d’être décoré de la croix de fer, avait acquis assez de titres pour obtenir une certaine protection.

La section centrale proscrit ces trois catégories. Eh ! que lui a fait cette croix de fer pour ne pas lui donner au moins le mérite de protéger celui qui est naturalisé chez nous par le baptême du sang ?

Messieurs, l’examen même du rapport m’a convaincu que le projet était inconstitutionnel, et cela ressort, pour moi, de ce qu’elle propose une loi temporaire ; si la loi est inconstitutionnelle, qu’est-ce qui s’oppose à la rendre permanente ? Ces considérations et d’autres dont je m’abstiens pour ne point abuser de votre temps, me détermineront à refuser mon vote approbatif à la loi, à moins que les amendements ne la rendent meilleure.

A propos d’une loi d’expulsion, c’est bien le cas, messieurs, de vous dire quelques mots d’un fait qui s’est passe chez nous, et que certains journaux ont cherché à dénaturer.

Ma position deviendrait peut-être délicate si j’avais à justifier les opinions et les actes de la société des amis du peuple et des républicains. Mais je ne suis point chargé de cette tâche, et je puis déclarer à l’assemblée que dans l’arrondissement dont j’ai l’honneur d’être l’un des mandataires, tout le monde est fatigué des commotions politiques et voit avec plaisir notre avenir consolidé par une forme de gouvernement que nous considérons comme la meilleure des républiques, dès que l’on observe religieusement notre pacte fondamental.

Nous avons conservé un vif souvenir du temps pendant lequel nous avons été réunis à la France, parce que notre bien-être matériel date de cette époque. Mais il ne faudrait qu’un acte de justice, vivement réclamé, pour nous rallier invariablement à l’ordre de choses établi. Nous voulons le pouvoir fort, mais de cette force que l’on puise dans la constitution. Toutes les mesures inconstitutionnelles ne trouveront pas d’appui chez nous. Qui aurait cru que notre constitution, qui compte à peine cinq années d’existence, se verrai si promptement violée dans tant de parties ?

Nous avons appris avec horreur l’attentat qui n’a fait que trop de victimes à Paris et qui a failli frapper Louis-Philippe et sa famille ; mais pour l’honneur de l’humanité, nous croyons pouvoir ajouter foi à ces paroles que l’on prête à l’infâme assassin : il n’y a qu’un Fieschi en France.

Après cette profession de foi, messieurs, je viens au fait : le 20 juillet, l’un des évadés de Ste-Pélagie est amené dans les prisons de Charleroy ; nous n’avons vu dans la personne de M. Guinard ni la société des Droits de l’Homme, ni la république : nous avons vu un réfugié politique, cherchant une terre hospitalière, et nous l’avons mis par notre intervention sous la sauvegarde de nos lois.

Nous croyons fermement que le gouvernement ne pouvait, dans la position particulière de M. Guinard, prononcer son expulsion. Il n’avait pas troublé ni cherché à troubler la tranquillité publique, puisque à peine avait-il mis le pied sur notre sol, il ne trouva pas d’autre asile que la prison ; il offrait au gouvernement des garanties d’ordre, comme fils d’une mère belge, possédant des propriétés dans le pays.

Porteur d’un passeport délivré au nom du Roi, on arrête une seconde fois M. Guinard et on le force à s’embarquer pour l’Angleterre.

En moins d’un quart d’heure, messieurs, 17 citoyens honorables de Charleroy se sont empressés de cautionner pour M. Guinard, et si l’on n’avait pas craint de le retenir une heure de plus en prison, on aurait réuni plus de 200 signatures tout aussi honorables.

Pour ma part, dans un cas semblable, pour un réfugié qui offrirait à notre pays les mêmes garanties d’ordre que M. Guinard, je n’hésiterais pas à cautionner pour lui, afin de le laisser asseoir au foyer de l’hospitalité ; ou plutôt, instruit par l’expérience du passé, je lui offrirais l’asile de mon toit domestique.

Je vous livre ce fait, messieurs, sans autre commentaire ; vous aurez à apprécier la conduite du ministre qui a ordonné cette expulsion, et s’il ne s’est pas rendu coupable d’un acte arbitraire. Je n’ajouterai plus qu’un mot, c’est que M. Guinard n’a eu qu’à se louer des procédés qu’ont eus envers lui et les officiers du parquet et les agents de la force publique. Si je blâme la conduite du ministre qui s’est mis au-dessus des lois, il est juste de rendre hommage à ceux qui ont su adoucir la rigueur des mesures qu’ils avaient à exécuter.

M. Milcamps, rapporteur. - J’aurai peu de considérations à présenter. Car jusqu’à présent le projet de la section centrale ne me paraît pas avoir été attaqué. (Hilarité.)

- Une voix. - Il est pire que l’autre.

M. Milcamps, rapporteur. - Le reproche le plus grave, celui sur lequel l’honorable M. Fallon a particulièrement insisté, c’est que le projet ouvre un vaste champ à l’arbitraire. Mais votre section centrale, dans le rapport qu’elle vous a fait, a eu la franchise de convenir que par sa généralité le projet offrait des moyens préventifs, et elle vous en a donné la raison. Elle a reconnu l’impossibilité de poser les cas dans lesquels l’expulsion aurait lieu. Elle a pensé que dans aucun cas il ne fallait laisser le pouvoir désarmé.

Nous vivons, messieurs, dans un temps où le gouvernement a besoin de force physique et d’une grande force morale. Le projet de loi donne au gouvernement le droit d’expulser l’étranger qui compromet l’ordre. Le gouvernement est juge des cas d’expulsion.

Mais, dit l’honorable M. Liedts, sur quels rapports le gouvernement jugera-t-il ? sur le rapport de ses agents : ils peuvent concevoir de faux soupçons. De fausses apparences peuvent leur faire croire ce qui n’est pas. Tout cela est exact, et à cet égard, il faut bien s’en rapporter à la circonspection du pouvoir exécutif. Je dirai même, messieurs, que le projet de la section centrale, sous certains rapports, est plus sévère que le projet du gouvernement.

Celui-ci n’admettait l’expulsion que lorsque la conduite de l’étranger compromettait l’ordre et la tranquillité publique. L’honorable M. Liedts, dans l’amendement qu’il vient de vous présenter, exige aussi pour justifier l’expulsion que la conduite de celui qui en est frappé compromette l’ordre public.

Dans ce système il faudrait de la part de l’étranger une action actuelle quelconque qui compromît l’ordre et la tranquillité publique. Sa conduite en pays étranger, quelque dangereuse, quelque criminelle qu’elle soit, ne me paraît pas donner lieu à l’expulsion puisque les lois constitutionnelles et les lois de police et de sûreté d’un pays n’étendent pas leur empire dans un autre, qu’elles ne concernent pas les régnicoles en pays étranger. Ainsi, messieurs, la raison pour laquelle la section centrale a cru devoir admettre le principe que l’étranger qui compromet l’ordre et la tranquillité peut être expulsé, c’est qu’elle a voulu donner au gouvernement un grand pouvoir.

J’avais dit, messieurs, pour établir qu’il n’y avait pas d’inconstitutionnalité dans le projet :

« La règle est que tout étranger qui se trouve sur le territoire, jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens ; mais si une loi exceptait de cette protection les personnes, cette exception ne détruirait pas la règle qui subsisterait pour les biens. La majorité de la section centrale a pensé, en supposant que dans l’esprit de l’article 128 de la constitution il y eût quelques limites aux exceptions, quant aux personnes, qu’il appartient au législateur de fixer ces limites ; qu’en exceptant de la protection due aux personnes les étrangers non autorisés à établir leur domicile en Belgique, l’exception ne détruit pas la règle, qui subsiste à l’égard des étrangers autorisés à établir leur domicile dans le pays.

« Mais c’est ici de la théorie. Car la loi proposée ne doit pas et ne peut pas atteindre tous les étrangers qui se trouvent sur le territoire belge ; elle ne sera applicable et ne s’appliquera qu’à des étrangers qui compromettraient l’ordre et la tranquillité publique. Que si le principe de la loi peut paraître par trop général, cela vient de l’impossibilité de préciser tous les cas d’expulsion de manière à empêcher qu’on n’élude la loi, et parce qu’on a cru qu’on ne devait laisser, dans aucun cas, le pouvoir désarmé devant le danger de l’Etat. »

L’honorable M. Fallon a répondu : « Il y a beaucoup de subtilité dans ces paroles, et peu de jugement. » Il a ajouté : « il ne se présentera pas un cas où la règle ne soit pas détruite en entier. »

Cependant l’honorable M. Fallon lui-même adopte le principe, puisqu’il ne vient pas vous proposer des moyens tendant à détruire la règle. Il demande seulement que la chambre s’unisse au gouvernement pour prononcer les expulsions ; c’est-à-dire qu’il a proposé seulement la création d’une commission dans le sein de la chambre, chargée d’examiner les arrêtés royaux. Il espère qu’il ne se fera pas dans ce système autant d’expulsions que si on les abandonnait entièrement au gouvernement. Mais il n’en résulte pas moins que l’honorable M. Fallon adopte le principe de la section centrale, seulement il présente des garanties en faveur des étrangers ; mais nous aussi, nous avons indiqué des garanties en faveur de l’étranger, en sorte que j’ai eu raison de dire que l’on n’attaque pas le projet en lui-même mais seulement que nous sommes en désaccord sur la nature des garantie à offrir aux étrangers.

M. Seron. - Messieurs, parmi une foule de raisons qui me déterminent à rejeter les mesures proposées par le ministère, je me bornerai à en citer quelques-unes, suffisantes, me paraît-il, pour motiver mon opinion.

Il n’y a jamais d’ébranlement politique en France que nous n’en ressentions ici le contrecoup. Ainsi votre révolution de 1830 est venue un mois après les journées de Paris ; ainsi, quand à la suite de l’attentat du 28 juillet dernier, les ministres de Louis-Philippe, profitant des passions que cet événement a soulevées dans une population crédule, font adopter, par une majorité législative dévouée au pouvoir, des lois perfides d’exception et de réaction, non motivées par les circonstances, mais élaborées de longue main dans l’antre de la doctrine et de la tyrannie ; aussitôt, en Belgique, le gouvernement, soit qu’il agisse de lui-même ou par inspiration, s’empresse de dresser une loi qui semble faite pour repousser de notre pays les Français persécutés dans le leur, à cause de leur conduite politique et de leurs opinions.

Quel autre but pourrait avoir, en effet, le projet soumis à votre examen, dans un moment où tout est calme autour de nous, et où rien n’annonce que la tranquillité doive être troublée ?

Cependant s’il était vrai qu’en France le chef de l’Etat, reniant son origine, voulût tuer le parti qui l’a porté sur le trône ; qu’il eût conçu le dessein de détruire par une législation rétrograde et barbare le jury, la presse et la liberté, et de punir même, à l’imitation de certains empereurs romains, la pitié et la commisération ; s’il était vrai que, comme on le lui a souvent reproché, il eût fait avec la sainte-alliance un pacte impie pour courber de nouveau les peuples sous le joug de la monarchie pure, absolue et de droit divin ; je ne vois pas pourquoi nous favoriserions ses vues, nous, nation neutre et libre, protectrice naturelle de tous les amis de la liberté, parce qu’ils sont les nôtres.

A la vérité, pour nous rassurer sur les conséquences de la loi des suspects, on nous dit qu’elle n’atteindra pas l’étranger paisible que des infortunes politiques auront amené parmi nous.

Dans ce cas, quel est donc son objet ? contre qui est-elle faite ? Ce n’est pas contre les étrangers accusés ou condamnés dans leur pays comme banqueroutiers frauduleux, faussaires, assassins ou empoisonneurs, que votre loi d’extradition autorise à livrer à leur gouvernement ; ce n’est pas non plus contre les étrangers coupables de crimes ou de délits commis sur votre territoire, car ceux-là ne doivent pas être expulsés, ils doivent être condamnés et punis en vertu de vos codes noirs, qui ont prévu tous les cas et n’ont pas oublié les peines.

Je l’avoue d’ailleurs, les belles promesses qu’on nous fait me touchent peu dans la bouche de ceux qui viennent d’expulser Guinard ; car ce prévenu politique, évadé de sa prison pour se soustraire au jugement de ses implacables ennemis, à une condamnation certaine et atroce, et réfugié sur la terre classique de la liberté, n’avait, en aucune manière, compromis votre tranquillité, ni blessé vos lois.

Je me défie de ces douces paroles lorsqu’elles sont la préface de dispositions en vertu desquelles le gouvernement pourra faire sortir du royaume les étrangers, dont la conduite compromet l’ordre et la tranquillité publique, c’est-à-dire tous les étrangers indistinctement qui lui déplairont, ou dont la présence ici, causerait quelque inquiétude à MM. les doctrinaires français ; car ces dispositions sont plus vagues, plus élastiques, elles favorisent plus l’arbitraire que l’article premier de l’arrêté-loi du 20 avril 1815, qui, d’ailleurs, devait être appliqué par un tribunal, au lieu que la loi projetée doit être appliquée par un ministre de la police dispensé de dire et de prouver en quoi et comment les personnes expulsées par ses ordres ont compromis l’ordre et la tranquillité.

On nous dit : « La sécurité publique réclame des garanties plus fortes envers l’étranger considéré dans ses rapports avec le pays qui lui donne l’hospitalité qu’envers les indigènes. Il peut avoir pour but de renverser le gouvernement, afin de faire triompher ses opinions ou d’amener dans sa propre patrie une révolution qu’il appelle de ses vœux. »

Avec de pareilles raisons, si elles étaient admises, il n’est pas de loi qu’on ne pût faire passer. Mais, je vous le demande, sur quoi jugerez-vous que l’étranger veut renverser le gouvernement de son pays ou le vôtre ? sur ses actes, sans doute. Eh bien ! si ses actes sont répréhensibles, vos lois sont là pour le punir : livrez-le aux tribunaux.

Vous avez peur des révolutions et, en vérité, on doit les craindre quand on envisage les résultats de celles de juillet et de septembre 1830. Mais s’il en éclate une nouvelle en France, l’impulsion, croyez-moi, ne sera pas donnée par la Belgique ni par quelques réfugiés, et toutes les lois de suspects n’y feront rien.

Au reste, je suis peu touché des motifs allégués par le rapporteur de la section centrale pour prouver la constitutionnalité de la mesure. La loi fondamentale a dit : « Tout étranger qui se trouve sur le territoire de la Belgique jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions établies par la loi. »

Des exceptions, je conçois qu’il en faut ; vous n’êtes pas tenus de donner asile aux faussaires, aux empoisonneurs, aux parricides. Mais jamais on ne me persuadera qu’il soit entré dans l’esprit du congrès l’expulsion des proscrits politiques d’aucune nation.

A Athènes, où les droits de cité avaient quelque importance puisque le peuple y votait la paix, la guerre, les traités et les lois, Solon admit au rang de citoyen les étrangers bannis de leur patrie par les ennemis du gouvernement populaire ; et nous chasserions de malheureux étrangers dont le seul crime est de détester et de fuir la tyrannie.

Quand, à Rome ; l’aîné des Gracques portait les mains à sa tête pour faire entendre au peuple assemblé que c’était à elle que ses enfants en voulaient, les aristocrates prétendaient qu’il avait demandé le diadème, et, sur ce prétexte, le firent assommer par leurs esclaves. Nous avons entendu à cette tribune accuser les républicains de complicité dans les pillages d’avril. Tout à l’heure sans doute on signalera avec autant de raison comme des ennemis de l’ordre, des anarchistes, ceux que l’humanité et la raison portent à plaider la cause des malheureux réfugiés.

Je n’en rejetterai pas moins la loi proposée comme inutile, favorable au despotisme et contraire à la constitution.

M. Jadot. - Messieurs, je voterai contre la loi, à cause de l’abus qu’on en peut faire, et parce que je ne veux pas être chargé de la plus petite part de l’odieux des mesures qui pourraient être prises par le ministère, si elle était admise.

La presse, la tribune, l’opinion publique et la responsabilité ministérielle, que l’on nous donne comme garantie contre ces abus, me touchent peu ; elles n’ont rien empêché jusqu’à ce jour ; d’ailleurs, la responsabilité ministérielle ne sera qu’un vain mot, aussi longtemps qu’elle ne sera pas réglée par une loi. Et, vraiment, je ne conçois pas comment le ministère n’a pas songé à la faire exciter, avant de la donner en gage.

La meilleure de toutes les garanties serait la probité reconnue de tous les ministres, mais cinq consciences individuelles (erratum inséré au Moniteur belge n°242, du 28 août 1835 :) ne formeront jamais une conscience, les gouvernements n’en ont pas.

D’un autre côté, je trouve dans l’exposé des motifs du projet ministériel le paragraphe suivant :

« Quant aux lois sur les passeports et aux autres dispositions légales concernant les étrangers, elles ne seront aucunement modifiées par le projet de loi. »

Mais quelles sont donc les lois dont le ministère se réserve de faire l’application aux étrangers, et quelle influence peuvent-elles exercer sur eux ?

Ces questions m’ont déterminé à examiner la législation sur les passeports et les étrangers.

Le décret du 28 mars 1792 de l’assemblée législative, qui a été rendu dans des circonstances où le salut de l’empire exigeait la surveillance la plus active, ordonne aux Français comme aux étrangers qui voudront voyager dans l’intérieur du pays, de se munir d’un passeport.

Il impose la même obligation aux personnes qui entreront dans le royaume, à peine pour les voyageurs qui n’en seront pas pourvus d’être conduits devant les officiers municipaux pour y être interrogés et mis en état d’arrestation, à moins que chacun d’eux n’ait pour répondant un citoyen domicilié.

L’arrestation ne peut durer qu’un mois.

L’assemblée nationale déclare, par le dernier article de ce décret, qu’elle l’abrogera aussitôt que les circonstances qui l’ont provoqué auront cessé.

On ne voit pas qu’en vertu de cette loi l’on puisse punir un étranger autrement qu’un régnicole, ni conséquemment le conduire à la frontière.

L’exclusion des étrangers n’a été autorisée que par des décrets de la convention nationale, d’horrible mémoire.

D’abord par le décret du 21 mars 1795 ; encore pouvaient-ils s’y soustraire en remplissant les conditions qu’il prescrit.

Ensuite par le décret du 6 septembre, même année, qui contient également des exceptions à résulter des justifications qu’il exige.

Enfin par la loi du 23 messidor an III, qui ne concerne que les étrangers non domiciliés en France avant le 1er janvier 1792, et qui sont nés dans les pays avec lesquels la république était en guerre ; encore contient-il des exceptions.

Ainsi, sous la législation de la convention nationale, sous le régime de la terreur, où il y avait à l’expulsion des exceptions légales, que les étrangers pouvaient invoquer ; sous le régime constitutionnel de la Belgique, patrie de la liberté, c’est le gouvernement qui fait des exceptions et les applique selon son bon vouloir.

La loi du 10 vendémiaire an IV que l’on doit également à la convention nationale n’a pour objet que la police intérieure des communes.

Elle prescrit à tout individu qui veut voyager hors de son canton, de se munir d’un passeport, à peine d’être mis en état d’arrestation et détenu jusqu’à ce qu’il ait justifié être inscrit sur le tableau de la commune de son domicile. Elle ne concerne en aucune manière les étrangers.

La loi du 28 vendémiaire an VI a pour objet :

1° De renouveler tous les passeports.

Il est à remarquer que cette mesure a été prise pour que les citoyens proscrits par la loi du 19 fructidor an V ne pussent se soustraire, à l’aide d’anciens passeports, aux recherches du gouvernement et au bannissement.

2° De mettre tous les étrangers, voyageant dans l’intérieur, sous la surveillance du directoire qui est autorisé à leur enjoindre de sortir du territoire français, s’il juge leur présence susceptible de troubler l’ordre et la tranquillité publique.

Cette loi est, ainsi que toutes les autres, une loi de circonstance.

Le décret impérial du 18 septembre 1807 semble n’avoir été rendu que pour déterminer la forme des passeports, le papier à ce employé et le prix que le trésor doit en retirer. C’est une véritable mesure fiscale. Son article 7 est ainsi conçu :

« Les contrevenants à ces dispositions seront soumis aux peines prononcées contre les individus qui voyagent sans passeport par les lois des 28 mars 1792 et 20 vendémiaire an IV. »

Il est à remarquer que la loi du 28 mars 1792, mentionnée dans cet article, n’a jamais été publiée en Belgique, et que si cette mention ne peut pas tenir lieu de cette publication, elle n’y est pas exécutoire aujourd’hui. D’un autre côté, je viens de démontrer que la loi du 10 vendémiaire an IV est étrangère aux étrangers.

Je le répète, quelles sont donc les lois sur les passeports qui resteront en vigueur après l’adoption du projet que nous discutons, si, comme je crois l’avoir établi, la loi de 1792 n’est pas exécutoire en Belgique, et celle de l’an IV n’est point applicable aux étrangers ?

Il n’était pas bien difficile de spécifier les dispositions maintenues, elles se trouvent nécessairement dans les lois que je viens de citer, ou, ce qui aurait mieux valu, il eût fallu en faire l’objet d’un article particulier.

En ne le faisant pas, on semble avoir voulu se réserver de faire, au moyen de lois que l’on maintient sans les désigner, ce que l’on n’a pas trouvé convenable d’insérer dans la loi proposée.

On s’est permis de viser un passeport pour rentrer ou aller en France, bien que l’intention du porteur fût de venir en Belgique. On le fera encore ; on n’expulsera pas, mais l’on ne permettra pas d’entrer.

Telles sont les considérations qui détermineront mon vote. Il sera négatif ainsi que je l’ai déjà dit, à moins que les ministres ne consentent à des amendements qui rendent la loi acceptable, car je suis loin de vouloir soutenir qu’aucune mesure ne doive être prise contre les étrangers.

M. Vandenbossche. - Qu’un étranger résidant en Belgique ou se trouvant par une cause quelconque sur son territoire, et jouissant ainsi de l’hospitalité d’un peuple généreux, n’y puisse point, par sa conduite, impunément troubler ou compromettre l’ordre et la tranquillité publique, est un principe que doit partager, je pense, tout ami de son pays.

Si donc un étranger profite de sa présence en Belgique pour exciter des dissensions, pour provoquer l’anarchie, servir les desseins de nos ennemis et troubler ainsi la paix entre les habitants et la sécurité générale, il se rend indigne du bienfait de l’hospitalité, et la moindre peine qu’on puisse lui réserver est la révocation du bienfait dont il abuse, la peine de se voir expulsé du pays.

Mais pour encourir cette peine, d’après la raison, et aussi d’après le projet de M. le ministre, il faut que l’étranger ait commis dans le pays un acte quelconque qui puisse avoir pour but ou constituer un des délits que la loi voudrait prévenir.

Un étranger, qui, soit par paroles, soit par des écrits, soit par un acte quelconque, a excité ou est censé exciter des dissensions en Belgique, a provoqué à l’anarchie, a servi ou tenté de servir les desseins de nos ennemis, a troublé ou tenté de troubler la paix entre les habitants ou la sécurité générale, qu’il soit expulsé du pays, je ne balancerai pas à adopter la mesure.

Mais je pense en premier lieu que ces délits devraient être consignés et spécifiés dans la loi.

Mais qui décidera de l’existence du délit ? D’après le projet ce serait le gouvernement ; et M. le ministre en prend sur lui la responsabilité ; j’ai toute confiance en lui, mais dans son propre intérêt je n’oserais jamais concourir à le charger d’une pareille responsabilité.

D’après le projet de la section centrale, l’étranger non autorisé à établir son domicile en Belgique ne doit pas avoir commis un acte répréhensible pour se voir expulser ; on pourra décider que sa simple présence compromet l’ordre et la tranquillité publique, et par un simple arrêté royal, même non motivé, obliger tout étranger, non autorisé à établir son domicile en Belgique, à sortir du royaume endéans le délai d’un jour franc. Cet article viole ouvertement, d’après moi, l’article 128 de la constitution.

Par cet article les étrangers sont mis sous la protection des lois du peuple belge, et notez bien que l’esprit de cet article ne s’applique pas aux étrangers qui ont obtenu l’autorisation d’établir leur domicile en Belgique, mais principalement à ces étrangers qui se trouvent simplement sur le territoire de la Belgique ; or, quant à ces étrangers qui résident, sans autorisation, en Belgique, la section centrale ne propose pas une exception à l’article de la constitution, mais par son article premier elle livre à la discrétion du pouvoir tous les étrangers de cette catégorie, sans aucune exception. La commission centrale annule l’article 128 de la constitution dans tout son ensemble. Or, voici ce que nous ne pouvons faire qu’au moyen d’une révision et conformément aux prescriptions de l’article 131 de la constitution ; si donc nous adoptions l’article premier proposé par la section centrale, la disposition que nous eussions adoptée ne pourrait même jamais avoir une existence légale.

Fidèle à mon serment d’observer la constitution, je me trouve donc forcé de voter contre le projet.

M. Gendebien. - Mon intention, messieurs, n’est pas de prolonger la discussion générale. Je serai aussi bref que possible.

Nous sommes bien loin de l’époque du congrès, il faut l’avouer ; veuillez-vous rappeler qu’à la fin de décembre 1830, M. van Meenen présenta, non pas une loi de suspects, mais une loi portant des pénalités moins fortes que celles du code pénal, et il en demanda l’applicabilité aux membres du congrès et au gouvernement provisoire. Quelle fut la réponse du congrès et de la commission du congrès ? Je ne puis me dispenser de vous le rappeler. Je vous prie de remarquer quelle était notre position en décembre 1830, comparée à ce qu’elle est aujourd’hui. C’est le 13 juin que la commission fit son rapport.

Nous étions, messieurs, dans le fort de la révolution ; nous étions environnés d’espions, d’agents de désordre de toute espèce et de toutes les couleurs ; les agents hollandais, je dis plus, les agents diplomatiques conspiraient ouvertement, distribuaient de l’argent pour agir contre nous, et allèrent jusque là, que l’un d’eux eut l’impudence de dire qu’avec de l’argent il nous ferait tous pendre et ferait sauter le congrès. Eh bien, l’on présenta au congrès une loi qui rendit applicable le code napoléonien, en faisant disparaître de ce code la peine de mort et tout ce que ses autres dispositions avaient de cruel. Qu’ont répondu MM. Beyts, de Behr, Raikem, Leclercq, Barbanson et Destrivaux ? (Car telle était la composition de la commission.)

« Que si dans les circonstances présentes, et dans le mouvement qui accompagne et suit une révolution, il est impossible de ne point rencontrer des hommes dont les intentions soient hostiles au bonheur du pays, et qui préfèrent l’agitation au repos, il est cependant évident que la nation, fidèle à ses devoirs, à son honneur, à elle-même, offre, par son caractère et sa moralité, la plus forte garantie contre tout danger de conflagration.»

Messieurs, je vous le demande, la nation est-elle changée depuis le mois de décembre 1830 ? Est-elle moins morale, est-elle moins calme qu’elle n’était alors ? Elle doit l’être davantage. Car voilà plus de 4 ans que le royaume est constitué. Vous le voyez : vous faites le procès au gouvernement, et en même temps injure à la nation, quand vous croyez à la nécessité de mesures exceptionnelles, au milieu du calme et de la paix publique. Vous calomniez la nation, vous faites la critique la plus amère à votre œuvre monarchique et nationale.

Je continue de lire quelques lignes :

« Que placés sous la sauvegarde nationale, le congrès et le gouvernement provisoire sont mieux protégés et seraient mieux défendus que par les lois répressives. »

Dans quelles circonstances parlait-on ainsi ? Au milieu de la révolution, au milieu des ambitions que font toujours naître les révolutions. Comme je le disais tout à l’heure, nous étions entourés des pièges de la diplomatie de toute l’Europe, des intrigants de toute l’Europe, quand MM. Beyts, de Behr, Raikem, Leclercq, Barbanson et Destrivaux tenaient ce langage, Qu’y a-t-il depuis lors de changé parmi nous ? Sommes-nous dans le même état ? Notre position, au contraire n’est-elle pas améliorée ? Ces améliorations ne sont-elles pas évidentes ? Vous calomniez le gouvernement si vous n’admettez pas cela, MM. les ministres.

Rappelez-vous quelle était la situation du pays à la fin de 1831. Nous n’avions ni industrie, ni commerce. L’agitation et l’inquiétude étaient générales. Et cependant, on disait « que placés sous la sauvegarde nationale, le congrès et le gouvernement provisoire sont mieux protégés et seraient mieux défendus que par les lois répressives. » Voilà quel était le langage de la commission.

Elle ajoutait : « Que si, ce que la commission ne doit pas supposer, un attentat venait à être commis, on pourrait, dans ce cas même, unissant la nécessité de l’exemple avec les besoins de l’humanité, adoucir la sévérité d’une condamnation, sans se livrer prématurément à la réforme du code pénal. »

Ce rapport fait au congrès d’une manière si franche, si digne, si loyale, dispense de toute discussion ; et il ne fut plus question du projet de M. van Meenen.

En 1831, on est venu faire un tableau épouvantable des tentatives des orangistes et de tous les intrigants envoyés, disait-on, de tous les coins de l’Europe. Il semblait que si on ne prenait pas des mesures de précaution et d’urgence, l’Etat, la nation étaient perdus.

On proposa alors ce que l’on propose aujourd’hui, quant aux étrangers ; et le ministère eut le bon sens de céder aux représentations et aux argumentations de la chambre ; il retira la loi. Ce fut, notez-le bien, le 12 octobre 1831 que la discussion commença, et elle se termina le 14 ou le 15. Ainsi on était à la veille de la reprise des hostilités ; car l’armistice devait cesser le 25 octobre. Malgré cela, la chambre résiste à la demande du gouvernement, parce qu’elle était persuadée que ces mesures de précautions pouvaient devenir dans les mains du gouvernement une source d’abus, un précédent dangereux, et le ministère retira le projet, quoique la révolution fût encore très vivace, et la guerre imminente.

Aujourd’hui vous voulez précisément ce que la chambre n’a pas voulu en octobre 1831. Quelle nécessité, quel danger allègue-t-on ?

J’ai entendu dire à quelques orateurs qu’il y avait nécessité absolue, que c’était un mal nécessaire. Je déplore plus que qui que ce soit, dit un autre, la nécessité d’admettre une loi, où l’arbitraire le dispute à la folie et à l’iniquité. Ce sont là de pitoyables lieux communs.

Mais où donc sont les dangers, les circonstances extraordinaires d’où dérive cette nécessité ? Nulle part. Pourquoi donc ce projet ? Pour remplir la promesse faite par le ministre de la justice de nous présenter une loi sur les étrangers ? C’est possible ; mais à coup sûr, elle n’est pas telle qu’il la voulait comme député, en avril 1834 ; telle qu’il l’a promise aux premiers jours de son ministère, c’est-à-dire comme une garantie de ses bonnes intentions.

C’est cependant sous un tel prétexte qu’on vous présente un projet que la chambre a repoussé en 1831, et que le ministère a retiré, convaincu de son inutilité, et partageant sans doute les scrupules de la chambre.

Le peuple, dit-on, est calme ; mais dans un pays voisin, ajoute-t-on, des hommes pervers prêchent l’anarchie et le désordre et poussent à une révolution. Et que nous importe ce que l’on fait à l’étranger ? Voulez-vous que le peuple fasse ici ce que l’on fait à l’étranger ? faites ce que font les gouvernements étrangers.

Si, en 1831, on était venu à dire au congrès : « Des anarchistes, des républicains, des membres de la société des Droits de l’Homme, des saint-simoniens prêchent, dans Bruxelles, des doctrines liberticides, des doctrines infernales, » MM. Lebeau et Ch. Vilain XIIII se fussent empressés de prendre leur défense, ils eussent réclamé pour eux liberté entière de discussion. « Toute opinion (auraient-ils dit) est respectable et a droit à la protection du gouvernement, parce que toute opinion a droit de se produire librement, n’importe dans quelle forme. »

Messieurs, j’en parle pertinemment.

J’avais alors l’honneur d’être ministre de la justice, et je fus interpellé vivement par les deux orateurs que je viens de citer ; et si je n’avais pas été averti de ce qui s’était passé la veille au soir, je crois qu’ils m’auraient mis en accusation. Et pourquoi ? parce que j’étais suspecté d’avoir entravé les prédications des saint-simoniens (qui avaient des doctrines anarchiques, d’après les principes qu’ont aujourd’hui MM. Lebeau et Vilain XIIII, puisqu’ils prêchaient les partages des biens et la communauté des femmes.) (Hilarité.) En réclamant toute liberté pour ces doctrines, ces deux orateurs soutenaient leur opinion, et toute opinion est respectable pour moi en 1835 comme pour eux en 1830 ; aussi je ne les critique pas, et la preuve qu’il n’y a pas à les critiquer, c’est que du jour où les saint-simoniens ont eu la liberté entière d’émettre leurs doctrines, ils n’ont plus été écoutés que par quelques badauds dont quelques-uns sont aujourd’hui gratifiés de gros traitements qu’ils sont peu soucieux de partager.

Quelle était la cause des désordres dont j’ai parlé ? Les clameurs de quelques matrones du quartier et la susceptibilité de quelques maris qui trouvaient mauvais le système de la communauté des femmes. (On rit.) Voilà quel était le grave sujet des troubles et des vives réclamations de MM. Lebeau et Vilain XIIII.

Aussitôt que je connus les événements de la veille, je m’empressai de demander un rapport officiel à l’honorable M. Plaisant alors chargé de la direction de la police générale, et une demi-heure après, il vint faire au congrès un rapport circonstancié sur les événements. Voilà ce qui se passait en 1831, à une époque où on était loin d’être calme, où on était, au contraire, dans la plus grande effervescence. C’était, je crois, dans les 15 premiers jours de décembre. C’était toujours avant le 16 décembre car je suis parti pour Paris, le 16. Ainsi c’était bien peu après la révolution. C’était alors qu’on venait demander la liberté en tout et pour tous ; toutes les théories même les plus subversives pouvaient se faire jour.

Aujourd’hui, après quatre ans de gouvernement monarchique représentatif, après quatre ans de calme, sans l’ombre d’une raison, on voudrait mettre en interdit tous les étrangers. Mais, dit-on, des étrangers pourront prêcher des doctrines républicaines. Ah ! si vous croyez les bases de votre gouvernement si mauvaises, si faibles qu’il ne puisse pas résister aux discours et aux paroles de quelques saint-simoniens ou républicains, eh, mon Dieu ! qu’est-ce donc alors que votre gouvernement !

En général, on juge de la bonté et de la force d’un gouvernement par l’état de sa législation. Un gouvernement réellement fort n’a pas besoin de loi d’exception ; il n’a pas besoin de semer l’inquiétude, d’exciter les défiances ; il n’a pas besoin de la terreur pour se faire respecter. Le seul respect durable est celui qu’inspire la bonne foi et qui repose sur la confiance qu’inspire toujours la bonne foi.

N’allez pas imiter les doctrinaires de France qui, il y a 4 ou 5 jours, ont dit par l’organe de leur chef, le doctrinaire Guizot, que c’était la terreur qu’ils voulaient ; ainsi c’est la terreur qu’ils veulent. Voilà ce qu’a dit Guizot ; nous aurons donc la terreur monarchique !

Vous, vous voulez aussi la terreur, et vous n’osez pas le dire !

Je ne pense pas que le gouvernement veuille faire tomber des têtes ; pas encore, bien qu’en Belgique on ait relevé l’échafaud et qu’on semble avoir du goût décidé pour la guillotine. Je ne pense pas qu’un ministre se permît de faire exécuter pour opinion politique, fût-ce même des républicains. Mais c’est un autre genre de terreur qu’on veut. Il s’agit de mettre tous les étrangers en état d’interdit, afin de s’en débarrasser et de prévenir en même temps les régnicoles qu’on pourrait un jour se retourner sur eux quand on aura achevé l’œuvre anti-hospitalière à l’égard des étrangers.

Cependant on a soin de dire avec onction que les bons n’auront rien à craindre, que les méchants seuls auront à redouter le vague et l’arbitraire qu’on veut dans la loi.

Messieurs, ne croyez pas cela ; car il a été émis par certains hommes du gouvernement des doctrines qui ne doivent pas rassurer les bons. Vous n’avez pas oublié qu’en avril 1834, le ministre de la justice d’alors disait, pour justifier certaines expulsions, que certains hommes étaient d’autant plus dangereux qu’ils étaient irréprochables. Voilà une maxime gouvernementale bien morale à l’ordre du jouir en Belgique : « Les hommes sont d’autant plus dangereux qu’ils sont irréprochables. » C’est là ce que disait le ministre Lebeau, en avril 1834.

Jugez la sécurité que de pareilles maximes peuvent laisser aux honnêtes gens, puisque c’est précisément parce qu’on est irréprochable qu’on est expulsé ! car c’est là ce que l’on proclame à la tribune soi-disant nationale de la Belgique. La nation heureusement n’a rien de commun avec de telles maximes.

Maintenant un mot sur la loi ; et vous verrez si les maximes de l’ex-ministre de la justice n’ont pas guidé son successeur ; si l’on ne trouve pas dans la loi en discussion les mêmes errements

L’article premier de la loi porte :

« L’étranger non autorisé à établir son domicile en Belgique, qui compromet l’ordre et la tranquillité publique, pourra être contraint, par le gouvernement, à sortir du territoire belge, ou à résider dans la commune, le canton, l’arrondissement ou la province qu’il lui désignera. »

Ainsi, il suffira pour qu’un étranger soit expulsé qu’il soit jugé dangereux pour la tranquillité publique, par qui ? par M. le ministre de la justice, et même seulement par M. François. Ai-je besoin de vous rappeler ce que disait, de M. François, M. Barthelemy, ex-ministre de la justice ? Vous savez qu’il n’y a pas d’homme qui s’effraie plus facilement que M. François.

Il suffira pour justifier l’expulsion d’un étranger que M. François ait peur. Or, vous savez, au dire de l’ex-ministre, que M. François a toujours peur. (On rit.) Sera-t-il nécessaire pour être expulsé qu’on ait réellement compromis l’ordre et la tranquillité publique ? Non, il suffira qu’on ait fait peur à M. François ; dès lors on aura troublé la tranquillité, l’ordre public. Or, comme il est d’une nature très effrayable, il verra toujours l’ordre public menacé et fera signer nombre d’actes d’expulsion. Voilà ce qui arrivera très souvent et le plus souvent.

Mais parlons plus sérieusement.

Je suppose que le ministre s’occupe, comme il devrait le faire, des expulsions : qui jugera que l’ordre, que la tranquillité publique ont été troublés ? D’après quels faits, d’après quelles règles, d’après quels indices jugera-t-on ? Car l’expulsion est une peine. Pour un proscrit c’est la mort souvent ! Sur quoi basera-t-on la condamnation à l’expulsion ? Sur rien. La loi ne dit rien à cet égard. Il suffira que dans l’opinion du ministre de la justice l’étranger ait compromis l’ordre public ; il suffira même que dans l’opinion de M. François il en soit ainsi, et il sera expulsé : mais c’est là de l’arbitraire, mais c’est substituer, par forme d’exception, l’arbitraire d’un seul à la volonté de tous, c’est substituer la volonté ministérielle à la souveraineté de la nation. C’est en un mot abolir la constitution.

Comment ! on admettrait en 1835 de tels principes dans la loi, quand on les a repoussés dans le projet de loi Raikem en octobre 1831 ! Car, messieurs, veuillez comparer l’article premier du projet actuel avec l’article 3 du projet Raikem qu’on appelait la loi des suspects, et vous verrez qu’ils sont identiquement les mêmes.

L’art premier du projet de loi actuel porte : « L’étranger non autorisé à établir son domicile en Belgique, qui compromet l’ordre et la tranquillité publique, pourra être contraint, par le gouvernement, à sortir du territoire belge, ou à résider dans la commune du canton, l’arrondissement ou la province qu’il lui désignera. »

L’article 3 de la loi Raikem est ainsi conçu :

« Art. 3. Les étrangers non autorisés par le gouvernement à établir leur domicile en Belgique et qui se trouveront sur le territoire du royaume, sans y avoir une mission des puissances neutres ou amies reconnues par le gouvernement du Roi, sont placées sous la surveillance spéciale du gouvernement, qui pourra leur enjoindre de sortir du territoire belge ou de résider dans la commune, le canton, l’arrondissement ou la province qu’il leur désignera. »

Ainsi vous voyez que la seule différence qu’il y ait, c’est que dans votre article premier il est dit « qui compromet l’ordre et la tranquillité publique. » Mais cette condition ne signifie rien ; car ce n’est pas le juge, c’est le ministre seul qui apprécie cette condition, sans que la loi lui prescrive aucune règle.

Maintenant rapprochez l’article 128 de la constitution de ces deux articles du projet de loi d’octobre 1831, et du projet de loi en discussion, et vous verrez si l’un et l’autre n’absorbent pas l’article 128.

Voici cet article : « Tout étranger qui se trouve sur le territoire de la Belgique, jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions établies par la loi. » Eh bien, la règle, le principe, c’est que « l’étranger jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens. » Ensuite, d’après l’article 7 de la constitution, « Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance motivée du juge, qui doit être signalée au moment de l’arrestation, ou au plus tard dans les 24 heures. » Que deviennent maintenant ces dispositions ? Est-ce que d’un côté comme de l’autre, la règle n’est pas absorbée par l’exception ? est-ce que dans un cas comme dans l’autre le ministre n’est pas substitué au juge et que sa volonté ne remplace pas le droit ?

La loi a admis des exceptions. Sans doute ; mais seulement dans le sens de ce qui se passe en Angleterre. Là ce n’est que dans les circonstances jugées menaçantes et impérieuses par la représentation nationale que l’on peut prendre des mesures exceptionnelles. Mais, dans ces cas encore, je soutiens que les mesures actuelles ne peuvent pas être adoptées, même par les chambres. En effet que porte l’article 130 de notre pacte social ? que « la constitution ne peut être suspendue en tout ni en partie. » Or, c’est évidemment suspendre l’effet de la constitution que de soumettre même législativement au caprice d’un seul homme les garanties données par l’article 128.

Je n’en dirai pas davantage, quant à présent. Je vous prierai de remarquer seulement que votre article premier comme celui de la section centrale (car à peu de chose près, c’est la même chose) est textuellement copié de l’article 7 de la loi de l’an VI, loi faite dans d’autres temps, et 3 semaines après la révolution, ou plutôt la réaction, de fructidor.

Vous savez quelle était alors la situation de la France, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Menacée de toutes parts à l’extérieur, et tourmentée à l’intérieur non seulement par les factions, mais encore par des hommes soudoyés par l’or de l’étranger.

Eh bien, de cette disposition, on veut faire l’état normal de la législation belge.

Puisqu’on a proposé des amendements, j’en proposerai à mon tour, et cet amendement, ce sera le décret de la convention du mois de mars 1793.

Vous vous rappelez ce que disait en 1834, un orateur, l’honorable M. Nothomb. Il vous demandait si vous vouliez revenir à la législation de 93, si vous vouliez recourir à des peines telles que la peine de mort, dix ans de réclusion. Quant à nous, ajoutait-il, nous abhorrons le régime de 93 ; à ses continuateurs : Nous nous contentons de la loi de VI.

Eh bien, messieurs, voilà la loi de 93 ! Je vous prie de la méditer, puisque vous n’aurez à vous occuper que demain de la discussion des articles. Je la ferai insérer au Moniteur. Cette loi n’a jamais été publiée en Belgique et n’y a jamais été exécutoire. Le gouvernement révolutionnaire était de meilleure foi que vous, il ne considérait pas les lois d’exception comme survivant aux circonstances qui les avaient fait naître.

En 94, les Français sont entrés en Belgique ; et jamais la loi de 93 n’a été publiée en Belgique. Voici ce qu’a fait ce gouvernement tant calomnié en avril 1834.

La loi est du 21 mars 1793, époque où la France était envahie par toutes les armées de la coalition, où il y avait pénurie d’argent, disette de vivres, détresse générale. Voilà ce qu’ont fait ces hommes tant calomniés. Nous verrons ce que vont faire les Guizot et les Guizotins du jour. En 93, si la terreur était dans les faits, au moins elle n’était pas dans les lois.

Voici la loi de 93 :

« La convention nationale, considérant qu’à l’époque où des despotes coalisés menacent la république, plus encore par les efforts de leurs intrigues que par le succès de leurs armes, (l’Europe envahissait la France ! La France était vaincue. Jugez de sa modération !), il est de son devoir de prévenir les complots liberticides ;

« Considérant qu’ayant reçu du peuple français la mission de lui présenter une constitution fondée sur des principes de la liberté et de l’égalité, elle doit en redoublant de surveillance empêcher que les ennemis de l’intérieur ne parviennent à étouffer le vœu des patriotes et ne substituent des volontés privées à la volonté générale ;

« Voulant enfin donner aux magistrats du peuple tous les moyens d’éclairer le mal et d’en arrêter les progrès, décrète ce qui suit :

(Je ne fais que lire le décret ; je m’abstiens de tous commentaires ; ils viendront assez d’eux-mêmes.)

« Art. 1er. Il sera formé dans chaque commune de la république et dans chaque section des communes divisées en sections, à l’heure qui sera indiquée à l’avance par le conseil général, un comité composé de 12 citoyens. »

« Art. 2. Les membres de ce comité, qui ne pourront être choisis, ni parmi les ecclésiastiques, ni parmi les ci-devant nobles, ni parmi les ci-devant seigneurs de l’endroit et les agents des ci-devant seigneurs, seront nommés au scrutin et à la pluralité des suffrages. »

« Art. 3. Il faudra pour chaque nomination autant de fois cent votants que la commune et section de commune contiendra de fois mille âmes de population. »

« Art. 4. Le comité de la commune, ou chacun des comités des sections de commune sera chargé de recevoir, pour son arrondissement, les déclarations de tous les étrangers actuellement résidants dans la commune, ou qui pourront y arriver. »

« Art. 5. Ces déclarations contiendront les noms, âge, profession, lieu de naissance et moyens d’exister du déclarant. »

« Art. 6. Elles seront faites dans les 8 jours après la publication du présent décret ; le tableau en sera affiché et imprimé. »

« Art. 7. Tout étranger qui aura refusé ou négligé de faire sa déclaration devant le comité de sa commune ou de la section sur laquelle il résidera, dans le délai ci-dessus prescrit, sera tenu de sortir de la commune sous 24 heures, et sous 8 jours du territoire de la république. »

« Art. 8. Tout étranger, né dans les pays avec les gouvernements desquels les Français sont en guerre, qui, en faisant sa déclaration, ne pourra pas justifier devant le comité, ou d’un établissement formé en France, ou d’une profession qu’il y exerce, ou d’une propriété immobilière acquise, ou de ses sentiments civiques, par l’attestation de six citoyens domiciliés depuis un an dans la commune ou dans la section, si la commune est divisée en sections, sera également tenu de sortir de la commune sous 24 heures, et sous huit jours du territoire de la république.

« Dans le cas contraire, il lui sera délivré un certificat d’autorisation de résidence. »

« Art. 9. Les étrangers qui n’auront pas en France de propriété, ou qui n’y exerceront pas une profession utile, seront tenus, sous les peines ci-dessus portées, outre le certificat de six citoyens, de donner caution jusqu’à concurrence de la moitié de leur fortune présumée. »

« Art. 10. Tous ceux que les dispositions des précédents articles excluront du territoire français, et qui n’en seraient pas sortis, au délai fixé, seront condamnés à 10 ans de fers, et poursuivis par l’accusateur public du lieu de leur résidence. »

« Art. 11. Les déclarations faites devant le comité, seront, en cas de contestations, soit sur lesdites déclarations, soit sur la décision, portées devant le conseil général, ou devant l’assemblée de la section, qui statueront ; et à cet effet, lorsque le conseil général ou les sections d’une commune suspendront leur séance, il sera préalablement indiqué sur le registre, l’heure à laquelle le retour de la séance sera fixé. »

« Art. 12. Hors les cas de convocation extraordinaire, desquelles l’objet, la nécessité et la forme seront constatés sur le registre, toute délibération, arrêtée dans l’intervalle de la suspension des séances, est annulée par le fait ; le président et le secrétaire qui l’auront signée seront poursuivis devant le tribunal de police correctionnelle, et condamnés à 3 mois de détention. »

« Art. 13. Tout étranger, saisi dans une émeute, ou qui serait convaincu de l’avoir provoquée ou entretenue par voie d’argent ou de conseil sera puni de mort. »

M. F. de Mérode. - C’est cela !

M. Gendebien. - Oui, c’est cela ! Ainsi, on appliquait la peine de mort aux étrangers qui pillaient ou qui excitaient au pillage. Toutefois je condamne cette peine ; je n’en veux pas et je ne vous présente pas la loi pour l’admettre telle qu’elle est, quoiqu’on soit peu scrupuleux ici quand il s’agit de verser le sang : on aime l’échafaud. Moi je vous dirai : supprimez la peine de mort, mise pour le pillage, l’un des crimes les plus infâmes que je connaisse ; substituez-y la peine de la réclusion.

Quoi qu’il en soit, vous avez dû voir que la peine de réclusion n’est pas prononcée arbitrairement par la loi, mais qu’elle est infligée à l’étranger récalcitrant qui ne veut pas faire de déclaration, et qui refuse de se soumettre au jugement par jury, car douze citoyens qui sont là pour l’entendre, forment bien un jury. Je pense qu’un homme qui n’a dans le pays ni établissements ni propriété, et qui ne peut trouver six citoyens pour répondre de ses sentiments civiques, n’a pas le droit de se plaindre quand il est condamné par douze citoyens.

Je n’en dirai pas davantage, méditez la loi que je viens de rappeler, et vous verrez si, dans les temps les plus malheureux, la France n’a pas donné plus de garanties aux étrangers qu’on ne veut lui en donner dans les temps calmes où nous sommes.

M. Nothomb. - Messieurs, ce n’est pas la première fois que je viens soutenir le principe de la loi qui nous est soumise : je l’ai défendu dans la séance du 17 août 1833, en appuyant le projet de loi sur l’extradition ; dans la séance du 23 du même mois, en repoussant l’acte d’accusation porté contre mon honorable ami, le ministre de la justice d’alors, M. Lebeau ; dans la séance du 25 avril 1834, en justifiant les mesures prises à la suite de déplorables excès.

J’éprouve aujourd’hui un embarras dont je dois me féliciter ; je n’ai rien à rétracter et rien de neuf à dire. Si je pouvais supposer que les discours que j’ai prononcés dans ces trois occasions ne fussent pas depuis longtemps oubliés, je n’aurais d’autre parti à prendre que celui du silence. La modestie ne me permet pas de croire que mes paroles aient laissé quelque souvenir, et je n’hésite pas à m’associer de nouveau à la discussion, sans craindre le reproche de me répéter.

Je ne m’occuperai pas de la question de savoir si la loi du 28 vendémiaire an VI est restée en vigueur, et en cas d’affirmative, s’il faut la remplacer par une nouvelle loi. Deux des membres du ministère actuel avaient, comme députés, nié l’existence de la loi de l’an VI : assertion qui met le cabinet entier dans la nécessité de proposer formellement une loi, et les chambres de la voter. Le maintien du ministère ne me semble possible qu’à cette condition, et je contribuerai volontiers par mon vote à la remplir.

Personne ne verra avec plus de satisfaction que moi le terme d’une situation fausse qui se prolonge depuis un an. Si je faisais un journal, ou si j’écrivais l’histoire, je pourrais m’attacher aux antécédents des membres du cabinet, et rechercher si les discours du député sont ou non conformes aux actes du ministre ; mais ces recherches biographiques me paraissent déplacées dans une discussion parlementaire. Ce qui m’importe, c’est l’opinion actuelle des membres du cabinet ; et si cette opinion est conforme à la mienne, cela me suffit. Je n’ai pas de pensée récriminatoire, et je prends les choses au point où elles sont arrivées.

Ce n’est pas cependant que je n’eusse préféré reconnaître purement et simplement la loi du 28 vendémiaire an VI, dont l’existence m’a paru incontestable. Obligé ou de maintenir une loi d’exception qui date de 38 ans, ou de porter une loi de ce genre, j’aurais opté pour le premier parti ; ce rôle passif, je l’avoue, m’eût convenu davantage. J’aurais voulu qu’on eût continué à dire : La révolution de 1830 a tué beaucoup de lois d’exception ; elle n’en a rappelé aucune à la vie ; si elle en a laissé exister quelques-unes, c’est que les malheurs des temps l’exigeaient.

Le principe de la loi a été faiblement contesté, et il n’est guère contestable, Demander pourquoi les étrangers ne sont pas assimilés aux indigènes, c’est demander pourquoi il a des nations diverses. La distinction entre les étrangers et les nationaux est écrite dans toutes les législations et elle n’en disparaîtra qu’avec la distinction même des peuples.

Nulle part on n’a accordé aux étrangers les mêmes droits qu’aux nationaux, et la raison en est simple : c’est qu’ils n’ont pas les mêmes devoirs à remplir ; c’est que ne remplissant pas les mêmes devoirs, ils n’offrent pas les mêmes garanties.

Cette distinction a été reconnue par notre constitution, qui a laissé à la législature ordinaire le soin d’en poser les conséquences suivant les temps et les situations : l’article 128 n’a pas d’autre sens.

La question de principe est donc résolue par la constitution même ; elle ne nous a réservé que la question d’application.

Si la constitution, en assurant aux étrangers la protection due aux personnes et aux biens, n’eût pas admis la possibilité d’exceptions, elle eût méconnu les conditions de la situation géographique de la Belgique. Quoique protégée par la situation insulaire, l’Angleterre s’arme d’intervalle en intervalle de l’alien bill ; et cependant son île est une maison fermée dont elle seule a la clé. La Belgique est continentale ; elle n’est point jetée dans un des coins de l’Europe, comme la Suède par exemple ; elle est presque centrale.

Les nécessités qui résultent pour la Belgique de sa situation géographique, peuvent s’étendre, et devenir plus impérieuses par les circonstances politiques, soit du dedans, soit du dehors.

La crise s’est déplacée. Il y a deux ans l’Europe était menacée d’une guerre générale ; les craintes de guerre générale ont disparu pour faire place à d’autres craintes ; c’est de révolutions nouvelles que l’Europe semble menacée aujourd’hui. Les législatures qui nous ont précédés ont su par leur conduite diminuer les chances de guerre générale ; vous saurez également diminuer les chances de révolutions nouvelles ; vous prouverez que vous avez compris cette seconde période de la crise que subit l’Europe. La situation générale vous est connue, et vous en faites partie. La Belgique essaierait en vain de s’isoler ; les factions l’attendent comme une proie à l’issue de la lutte.

Mais, nous a-t-on dit, la Belgique est calme ; pourquoi par de fausses alarmes la troubler dans son repos ? Où sont les factions qui la menacent ? Que nous fait ce qui passe en France, s’écrie M. Gendebien. Laissez la France se débattre entre la monarchie de Louis-Philippe, le carlisme et la république, crise qui n’a pour nous que l’intérêt d’un grand et terrible spectacle.

Je le sais, messieurs, la Belgique n’est pas directement en cause et nous ne sommes en apparence que spectateurs ; mais est-il vrai que la lutte à laquelle nous assistons de loin soit sans influence sur nos destinées ? La monarchie française restaurée aurait-elle plus de respect pour la Belgique que l’ancienne monarchie n’en a en pour les Pays-Bas autrichiens ou espagnols ? La république nouvelle respecterait-elle une nationalité qu’elle n’a point respectée en 1793 ?

Interrogeons les partis qui ont déclaré une guerre à mort à la monarchie de Louis-Philippe, que l’on attaque à cette tribune ? Leurs espérances publiquement avouées ne nous sont-elles point hostiles ? Je ne parle pas d’une hostilité menaçante pour la cause de l’ordre en général ; je prends la question dans un sens plus restreint ; je parle d’une hostilité dirigée contre la nationalité belge.

A la France restaurée ou républicaine on promet les limites du Rhin. Ce n’est pas là une conjecture de ma part : lisez les programmes de la légitimité ou de la république : un des griefs contre le gouvernement de Louis-Philippe c’est la nécessité où il se trouve de maintenir les traités de 1815 en ce qui concerne la séparation de la Belgique qu’avec la France ; la Belgique est la dot promise à la France par la république et par la légitimité. Souhaiter le triomphe de l’un des deux partis, c’est souhaiter l’extinction du nom belge : en tombant, la monarchie de Louis-Philippe entraînerait dans sa chute la nationalité belge.

Telle est, messieurs, la solidarité des destinées, tels sont les liens qui par la force des choses unissent le sort de la Belgique indépendante à celui de la France monarchique, de la France de Louis-Philippe. Et qu’on ne m’accuse pas de rabaisser la Belgique en la représentant comme annexée à la France, ou de céder à une aveugle admiration pour un homme ou une dynastie : la Belgique n’est point vassale de la France ; un rapport mutuel d’intérêts n’est pas de la subordination ; les deux monarchies sont nécessaires l’une à l’autre ; et dans cette nécessité réciproque est leur indépendance.

Pour les carlistes comme pour les républicains la nationalité belge est une transaction honteuse ; pour la France de Louis-Philippe c’est le gage de paix entre elle et l’Europe. Ne soyons donc pas indifférent à ce qui se passe en France ; les ennemis de la monarchie et de Louis-Philippe sont aussi les nôtres. Nous savons leur but, nous connaissons leurs promesses : nous avons le droit de nous prémunir contre eux.

Vaincus à Paris et à Lyon, échappés à la justice de leur pays, que viennent-ils nous demander ? Viennent-ils, comme en 1815 les vieillards de la convention, solliciter la permission d’achever de mourir ? Non, messieurs ; ils ne s’en cachent point ; et ceci honorerait leur cause, si leur cause pouvait être honorable : « L’avenir est à eux, nous disent-ils ; ils se sont donné la mission de refaire l’ordre social, ils ne manqueront point à cette mission, ils n’attendent que l’occasion de reparaître au combat. »

Lorsqu’en 1815, les hommes de la convention demandèrent l’hospitalité au royaume des Pays-Bas, il y avait plus de vingt ans que l’acte qu’on les forçait d’expier par l’exil, avait été accompli ; le parti était mort, ceux qui lui avaient survécu ne rappelaient que des souvenirs ; il y en avait même qui avaient conservé les magnifiques déguisements des antichambres de Bonaparte.

Ce ne sont point les derniers représentants d’un système purement historique qui nous demandent un asile aujourd’hui ; ce ne sont point des exilés qui, oubliés par le temps, surpris par les événements politiques, nous demandent un dernier abri : ce sont des factieux, des conspirateurs, des combattants qui se retirent de la mêlée, et qui veulent reprendre haleine. Ce sont des hommes qui, en retour de l’hospitalité que vous leur accorderez, se réservent de nous anéantir comme nation : accueillis parmi nous, ils espèrent revenir un jour comme proconsuls pour s’acquitter de la dette de la reconnaissance ; et il en est parmi vous, messieurs, qui ont conservé le souvenir des proconsuls de la république, précurseurs des préfets de l’empire.

Telles sont, messieurs les tendances des partis qui divisent la France, et en faveur desquels on nous demande une retraite au milieu de la lutte la plus acharnée dont l’histoire offre l’exemple. Accordez-leur cette retraite, on vous en tiendra compte au jour de la victoire. Aidez au renversement du gouvernement monarchique et pacifique de Louis-Philippe : l’édifice en s’écroulant vous couvrira de ses ruines.

Je ne refuse pas un asile à l’infortune, je n’en refuse qu’à l’esprit de faction. Je comprends, aussi bien que personne les devoirs de la philanthropie générale ; mais à force d’aimer le genre humain, on devient indifférent à sa patrie. Je désire que l’on reporte sur la Belgique une partie de cet amour que l’on avoué au monde entier.

La loi, messieurs, est une garantie non seulement pour le repos public, mais aussi pour toutes nos institutions nationales. Nous nous sommes donné une constitution qui dans tout autre pays serait une dangereuse utopie ; elle n’est bonne que pour nous. Livrez-la aux hommes que nous envoient les factions étrangères, et ils en feront sortir l’anarchie.

Vous avez écrit dans votre constitution trois grandes libertés qui nulle part n’existent ainsi illimitées : la liberté de la presse sans obligation de cautionnement, le droit d’association sans mesures préventives, le droit de pétition sans distinction d’objets. Dans chacun de ces droits les anarchistes étrangers trouveront des ressources que les Belges craignent d’y chercher : à l’aide de pétitions politiques multipliées l’on portera atteinte à la liberté de la discussion parlementaire ; au moyen du droit d’association, l’on constituera les classes inférieures en hostilité avec les classes supérieures et l’on opérera une scission dans la grande société nationale ; à l’aide de la presse on contestera, publiquement et chaque jour, non seulement à la monarchie et à la dynastie le droit d’exister, mais à la Belgique elle-même. Dans l’état actuel de notre législation, tous ces abus sont possibles, toutes ces tentatives seraient légales dans le sens rigoureux de ce mot.

Si j’étais ministre, je regarderais comme un devoir de faire, de la loi dont il s’agit, une condition d’existence politique ; armé du droit d’expulsion, je me croirais assez fort pour gouverner le pays dans la plénitude des libertés constitutionnelles ; je me croirais autorisé à donner un démenti à tous les hommes d’Etat qui, après avoir lu notre constitution, déclarent la Belgique ingouvernable ; confiant dans les mœurs nationales restées sans altération, j’oserais renoncer à l’avance à toute loi restrictive des libertés publiques.

Les droits exorbitants écrits dans notre constitution ont trouvé jusqu’à présent leurs limites dans notre bon sens national, ennemi de toute exagération : permettez aux factions de s’établir parmi nous, et ces limites, vous serez bientôt forcés de les poser dans les lois, lois dont chaque jour viendra vous attester l’insuffisance ; lois à qui manquera la sanction des mœurs publiques que vous aurez laissé pervertir.

Il faut nous attendre à être accusés de faire un premier pas dans un système de réaction ; selon moi, nous fermons pour longtemps, peut-être pour toujours, la voie à toute réaction. La loi protégera notre constitution en écartant du pays les étrangers qui auraient intérêt à en faire un instrument d’anarchie. Et en se retranchant dans nos libertés pour agiter la Belgique, les factions étrangères ne manqueraient point à leur but ; en remuant la Belgique, ils remueraient la France ; en affaiblissant la monarchie belge, ils affaibliraient le principe monarchique ; en empêchant le nouvel Etat belge de se constituer définitivement, ils contribueraient à rendre précaire la situation générale de l’Europe : le temps passé dans l’exil en Belgique ne serait point perdu.

Les mesures extraordinaires auxquelles la législature française croit devoir recourir donnent à la loi un caractère d’urgence que l’on ne peut méconnaître. Lorsqu’à la suite de la seconde restauration, la presse anti-bourbonnienne et bonapartiste fut rendue impossible en France, elle transféra son siège à Bruxelles, et longtemps le Nain jaune réfugié ne fut point inquiété par un roi dont le fils avait dans un de ses rêves entrevu la couronne de France Ce ne fut qu’en 1818 qu’une loi vint protéger les monarques étrangers contre les injures des étrangers dans les Pays-Bas.

Si la presse républicaine se sent mourir en France, peut-être essaiera-t-elle de vivre en Belgique. Si de fait Louis-Philippe devient enfin inviolable à Paris, peut-être transféra-t-on à Bruxelles les ateliers d’injures. Par votre loi vous préviendrez l’émigration de la presse carliste et républicaine, vous échapperez à l’obligation de renouveler un jour la loi du 16 mai 1818 pour protéger les royautés étrangères.

Juste dans son principe, nécessaire dans les circonstances où nous sommes, il ne faut pas que la loi devienne odieuse dans la pratique ; l’effet de la loi est avant tout préventif, et c’est sous ce point de vue qu’il faut la juger : considérée comme mesure de répression quotidienne, elle conduirait à une absurde tyrannie. En promulguant cette loi, la Belgique notifiera sous quelles conditions elle accorde l’hospitalité, et quiconque se sentira en dehors de ces conditions se gardera de s’exposer à l’expulsion. La certitude de l’expulsion rendra le fait de l’expulsion même très rare.

Je veux le dire en ce jour, un des torts du ministère actuel a été de faire douter de l’existence de la loi du 28 vendémiaire an VI ; par cela même l’application de la loi est devenue inévitable. Si les évadés de Sainte-Pélagie avaient cru que la Belgique leur fût fermée, ils ne seraient point venus y chercher un asile impossible.

Si, il y a un an, à son avènement, le ministère avait publiquement reconnu l’existence de la loi de l’an VI, la loi ancienne ou nouvelle eût par son effet moral, par son effet préventif arrêté les étrangers prêts à franchir nos frontières.

Pourquoi le ministère actuel a-t-il été réduit à expulser ? C’est que les antécédents de deux de ses membres et les hésitations ou le silence du cabinet entier avaient fait supposer qu’on n’expulserait plus. Pourquoi le ministère précédent a-t-il été réduit à faire de nombreuses expulsions à la suite des journées d’avril 1834 ? Parce que depuis 1830 l’opinion s’était accréditée qu’en Belgique il y avait place pour tout le monde ; et peut-être, avant de commettre une mauvaise action s’est-on dit bien souvent : Je sais où me réfugier. Déplorable effet de l’absence ou de l’inexécution des lois d’extradition et d’expulsion qui ôtent aux crimes politiques et privés une chance d’impunité.

Quel sera le terme de la crise dont je vous ai indiqué les caractères principaux ? Nul ne le sait. Deux fois déjà on l’a dite terminée ; aux journées de juin 1832 ont succédé les journées d’avril 1834, et dans l’intervalle tout avait paru calme ; car nous avons acquis une merveilleuse facilité d’oublier. Le souvenir des journées d’avril 1834 s’effaçait déjà lorsqu’un attentat d’un autre genre est venu attester que les factions n’étaient point mortes : dans deux jours il y aura un mois seulement que cet attentat a été commis, et déjà l’événement nous apparaît dans le lointain à travers d’autres émotions politiques qui lui ont succédé.

Le ministère avait demandé une loi permanente, réservant à la législature de la modifier ou de l’abroger, selon les circonstances ; la section centrale vous demande une loi triennale, comme si la crise ne devait durer que trois ans. Je craindrais, messieurs, de réduire la loi à ce terme : lorsque les trois années seront écoulées, pour peu qu’il y ait du calme, l’on croira la loi inutile ; l’on craindra d’être impopulaire par un excès de prévoyance, et les événements pourront de nouveau nous prendre au dépourvu.

Je crois qu’il serait plus prudent de prolonger la loi jusqu’à la paix ; et j’appuierai tout amendement conçu dans ce sens. La mesure est surtout préventive, et il ne faut point légèrement se priver de l’effet moral qui en résulte. Si l’Europe d’ailleurs rentrait dans le repos le plus absolu, les étrangers seraient par cela même hors d’état de compromettre notre sécurité, et la loi qui suppose ce fait, serait sans application possible.

Deux honorables préopinants ont proposé des amendements qui portent sur le mode d’exécution de la loi : l’un, M. Fallon, exige l’intervention parlementaire ; l’autre, M. Liedts, l’intervention judiciaire. J’examinerai succinctement ces deux systèmes ; j’admets l’intervention parlementaire, mais sans aucun des moyens que M. Fallon croit nécessaires ; je repousse l’intervention judiciaire comme contraire à la division des pouvoirs.

L’honorable M. Fallon a regretté de ne pouvoir préciser et énumérer les cas d’expulsion ; je crois avec lui que cette énumération est impossible, et je n’y verrais pas de garantie. Il serait toujours facile au ministère de placer l’étranger, contre lequel il voudrait sévir, dans une des catégories, et dès lors sa responsabilisé serait à couvert. C’est la question de danger public qui domine tout, et cette question varie selon les circonstances.

Supposons deux cas d’expulsion comme ceux-ci : le gouvernement pourra expulser 1° l’étranger affilié à une faction étrangère, hostile à la nationalité belge ; 2° l’étranger, rédacteur d’un journal hostile à la nationalité belge. Eh bien, je dis qu’il y a des circonstances où l’expulsion de cet étranger sera nécessaire, d’autres où elle sera inutile : cela dépend d’un ensemble de faits que l’on ne peut déterminer à l’avance. La question de nécessité, d’ordre public, est de la compétence parlementaire, et là est la véritable garantie : il est inutile de l’exprimer dans la loi que vous faites, elle existe par la force de nos institutions.

L’établissement d’une commission de sept députés à laquelle on renverrait les arrêtés d’expulsion et les réclamations, consacrerait d’abord une usurpation de pouvoir. En second lieu, ce ne serait point une garantie, car, selon M. Fallon, cette commission serait juge de la question de savoir s’il sera fait un rapport à la chambre ou non ; elle pourra étouffer la réclamation.

Je crains moins l’action des ministres qui sont obligés, en tout état de choses, de répondre à vos interpellations ou de justifier leur silence. C’est dans ce sens que je maintiens l’intervention parlementaire ; je la maintiens, car elle existe déjà ; nous l’exerçons tous les jours ; nous l’exercerons pour les expulsions comme pour tout autre acte ministériel. Si cependant vous voulez ajouter à l’artocme 2 du projet de loi que la chambre aura le droit d’interpeller les ministres sur des mesures d’expulsion, je ne m’y oppose pas, mais vous ferez chose inutile.

Ai-je besoin de dire pourquoi je décline la compétence judiciaire ? Le système de M. Liedts livre la police du royaume aux tribunaux, les institue juges de questions de sécurité publique, en dehors de leurs attributions véritables. Ce serait faire descendre le gouvernement dans les tribunaux.

Je n’en dirai point davantage sur ces amendements, me réservant d’y revenir dans la discussion des articles.

Ne craignez pas, messieurs, d’assumer la responsabilité du vote qu’on vous demande ; la loi sera comprise par le pays. La Belgique n’a rien à acquérir ; elle ne demande qu’à conserver ; et la loi sera une grande mesure conservatrice. Les restaurations ne sont jamais immédiates lorsqu’elles s’accomplissent, les révolutions ont déjà disparu dans l’anarchie.

Appuyée sur la constitution qu’elle s’est donnée, sur la dynastie qu’elle s’est choisie, la Belgique ne demande rien à l’avenir ; si l’on vous dit que la révolution de 1830 n’a pas prononcé son dernier mot, ce n’est pas au nom de la Belgique que l’on parle, c’est au nom des minorités qui sont sans espoir de devenir des majorités nationales, mais qui peuvent être des instruments de troubles par leurs alliances avec les factions étrangères. Ces minorités, laissez-les dans leur isolément et leur impuissance.

Cette assemblée ne sera pas désavouée par les législatures à venir, le ministère actuel par les ministères futurs ; les mêmes nécessités pèseront sur tous. Déjà les différences qui ont pu exister entre les hommes successivement appelés à siéger dans les chambres ou le conseil du Roi, s’effacent, et les opinions extrêmes s’isolent. Hors de ces opinions extrêmes, tous les partis nationaux en entrant dans la carrière du gouvernement, perdront ce qu’ils avaient d’exclusif, renonceront à tout ce qui n’a été qu’un moyen, subiront les nécessités en dehors desquelles, comme je l’ai dit dans une autre occasion, il n’y a pas de Belgique possible pour l’Europe, ni de gouvernement possible pour la Belgique. Quiconque ferait sortir la Belgique de cette voie, détournerait la révolution de 1830 de son but national, et l’associerait à des destinées qui ne sont pas les siennes ; mais il sortirait seul de cette voie, car le pays ne le suivrait pas dans cette déviation.

Proposition de loi reconnaissant la nationalité belge à certains officiers nés Belges et ayant servi à l'étranger

Rapport de la section centrale

M. Dubus, rapporteur de la section centrale qui a été chargée de l’examen de la proposition faite par M. de Mérode, est appelé à la tribune.

- De toutes pars. - L’impression ! l’impression !

M. F. de Mérode. - Je voudrais que la discussion sur les conclusions du rapport eût lieu après le vote sur la loi actuelle. Il s’agit de Belges qu’il faut rétablir dans la position où ils étaient précédemment.

M. Gendebien. - Ce sera assez tôt après la loi sur la naturalisation.

M. Dubus, rapporteur. - Le rapport n’est pas long ; probablement il sera distribué demain matin et la chambre, après en avoir pris connaissance, pourra fixer le jour de la discussion.

- L’avis de M. Dubus est adopté.

Projet de loi concernant les étrangers résidant en Belgique

Discussion générale

M. Pirson. - Je ne peux pas laisser la discussion aller plus loin sans faire une interpellation au ministère. Le discours que vous venez d’entendre me paraît en quelque sorte annoncer que la loi relative aux étrangers n’est qu’un avant-coureur d’autres mesures.

On veut, dit-on, le maintien de la dynastie ; et moi aussi je veux le maintien de la dynastie belge ; je veux même le maintien de la dynastie française ; car l’une s’appuie sur l’autre. Mais il reste à savoir si les mesures que prend le gouvernement français soutiendront les deux dynasties ; il reste à savoir si les ministres de France travaillent dans l’intérêt de la France ou dans leur propre… Je n’examinerai pas ici cette question ; je la livre à la méditation de tous ceux qui lisent les journaux français et qui ont fait attention à ce que nous annonce M. Nothomb.

Je m’adresse donc au ministère, parce que le discours de M. Nothomb, homme qui connaît la pensée ministérielle, nous a fait sous-entendre que l’on nous proposerait d’autres lois. Le ministère aurait-il envie de nous présenter un projet liberticide, un projet contre la presse ?

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Non ! non !

M. Desmet. - On nous l’a fait entendre, cependant !

M. Pirson. - On sait que les gouvernements procèdent ainsi par des voies obliques afin de préparer les esprits : que le ministère s’explique à cet égard.

M. Gendebien. - Eh mon Dieu ! les ministres diront que non !

M. Nothomb. - Je regrette beaucoup que mes paroles aient été mal saisies. Je crois avoir dit formellement le contraire de ce qu’on m’attribue. Je vous ai dit que, selon moi, au moyen de la loi présentée, vous serez peut-être préservés de la nécessité de prendre d’autres mesures dans un avenir que je ne connais pas.

Je vous ai dit que les libertés publiques écrites dans votre constitution et livrées sans restriction aux Belges, ne conduiraient jamais à des excès qui rendissent nécessaires des lois répressives autres que celle dont il s’agit.

Après cette explication, si M. Pirson veut insister dans son interpellation, libre à lui.

M. Pirson. - Si la chambre ne s’oppose pas à mon interpellation, je persiste à la faire.

M. le président. - La parole est à M. Dumortier.

M. Pirson. - Vous voulez dire à l’un des ministres, car je maintiens l’interpellation.

M. Dumortier. - Je crois aussi que la proposition de M. Pirson doit être maintenue. Je pense comme beaucoup de mes collègues que les paroles de l’honorable député d’Arlon ont une grande portée, et j’ai cru entendre que d’autres lois menaçaient la Belgique.

Depuis plusieurs jours il y a quelque chose de singulier en Belgique. Vous vous êtes sans doute aperçu que certain journal, organe (erratum inséré au Moniteur belge n°242, du 28 août 1835 :) officiel du gouvernement, n’entretient ses lecteurs que de ce que l’on dit et l’on fait en France ; qu’il rapporte dans toute leur étendue les pièces, les rapports qui appuient les projets les plus liberticides. Ce fait mérite quelque attention de la part de la chambre. Avant de voter la loi en discussion, (erratum inséré au Moniteur belge n°242, du 28 août 1835 :) loi que je voterai peut-être parce que je n’aime pas que les étrangers viennent dominer en Belgique, il faut cependant savoir si elle est la seule mesure rigoureuse, la seule mesure exceptionnelle que l’on nous proposera d’adopter. Il est nécessaire que le ministre s’explique nettement sur ce point. Le Moniteur belge a annoncé qu’on élaborait une nouvelle loi sur le jury. En France, on vient aussi de modifier le jury, et de déclarer que les condamnations auraient lieu la simple majorité, et cette coïncidence avec l’annonce du il est fâcheuse.

(Erratum inséré au Moniteur belge n°242, du 28 août 1835 :) Ces circonstances, ces rapprochements sont graves, et on ne peut croire que les paroles de l’honorable député d’Arlon aient été prononcées en vain, lorsqu’on sait qu’il est aussi dépositaire de la pensée du gouvernement.

Il a dit : « Les mesures extraordinaires que l’on comprend en France exigent aussi chez nous des mesures promptes et extraordinaires. »

M. Nothomb. - Je n’ai pas dit cela.

M. Dumortier. - Je présume que la mesure que l’on vient demander n’est que le premier pas dans la carrière qu’on veut parcourir : on a une tendance à vous jeter dans une voie de réaction. Cependant les lois de réaction sont toujours pernicieuses pour les gouvernements. (Erratum inséré au Moniteur belge n°242, du 28 août 1835 :) Elles serviront momentanément à briser toutes les résistances qu’ils éprouvent dans leurs écarts. Alors ils se trouvent sur la pente d’un abîme où rien n’empêche plus qu’ils ne soient engloutis. On craint que les ruines de la France n’écrasent et n’anéantissent la Belgique, moi je vois le tombeau de la Belgique au milieu des ruines de ses libertés.

On ne peut pas se le dissimuler : la volonté des gouvernements qui nous entourent aura toujours un effet considérable sur nos affaires ; nous sommes une puissance faible, (erratum inséré au Moniteur belge n°242, du 28 août 1835 :) et si nous lâchons la bride au ministère, nous serons toujours exposés à rouler comme font les satellites des planètes, dans la sphère d’attraction d’une nation plus puissante.

L’orateur a vanté tout ce qui se fait en France ; il l’a fait comme une personne qui aurait reçu des faveurs de ce pays, qui serait affilié à son gouvernement ; mais moi qui ne suis attaché qu’à ma patrie, je dirai : laissez faire la France et conservez vos munitions.

Je demande que le ministre s’explique catégoriquement et qu’il nous dise si la loi actuelle n’est pas la première base d’autres lois.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je crois que l’interpellation qui vient d’être faite est peu parlementaire. Et d’abord le député d’Arlon a fait usage d’un droit qui appartient à tous les membres de l’assemblée ; il a émis son opinion individuelle.

Par ma position, et je m’en félicite, j’ai plus de rapports, des réunions plus fréquentes avec cet honorable député, que les autres ministres mes collègues ; mais je déclare que je n’avais pas connaissance du discours qu’il vient de prononcer et dans lequel il n’a exprimé, je le répète, que son opinion personnelle et non celle du gouvernement.

Pour ma part, j’attache la plus haute importance à l’adoption du projet de loi ; car en Belgique le danger ne vient que des étrangers ; et si le gouvernement pouvait réprimer leurs tentatives, il serait disposé à ne recourir à aucune autre mesure, je l’espère.

M. Gendebien. - Si dans la chaleur de l’improvisation le député d’Arlon avait laissé tomber de la tribune quelques paroles hasardées, je ne m’en étonnerais pas. Je sais par expérience qu’on va souvent beaucoup plus loin qu’on ne veut ; mais veuillez remarquer qu’il est venu lire un discours écrit, un discours médité dans le silence du cabinet, élaboré dans le voisinage du ministre des affaires étrangères ; peut-être même dans le cabinet de ce ministre.

Veuillez remarquer encore que ce discours n’a pas trait moins directement à la loi que nous discutons ; c’est une théorie qu’on a préparée à loisir, je ne sais dans quel dessein, je ne sais sous quelle influence ; mais cette théorie m’a effrayé. Et ce que vient de vous dire M. le ministre des affaires étrangères, ou plutôt ce qu’il n’a pas dit, me force à partager l’opinion de ceux qui pensent que nous sommes menacés d’autres mesures exceptionnelles.

Qu’a dit le ministre ? Tout le mal vient des étrangers ; si la loi est adoptée, j’espère qu’il ne sera pas nécessaire de recourir à d’autres mesures exceptionnelles. Eh bien, ces paroles m’effraient, et m’effraient à bon droit ; car jusqu’ici nous n’avons jamais vu les ministres hésiter à prendre d’engagements sans y manquer aussi facilement qu’ils les ont pris. J’aurais voulu une réponse plus catégorique.

Toutefois, nous avons un moyen de connaître ce qui nous menace : informons-nous de ce qui se passe en France. Ce qui se fera en France, se fera chez nous ; nous en avons l’expérience depuis 1830. Aussi longtemps que les hommes de la révolution de juillet ont été à la tête des affaires de la France, nous en avons reçu assistance, secours et sympathie ; nous avons été presque poussés en avant pour elle ; mais aussitôt que les Lafayette, les Odillon Barrot, les Laffitte et tous les hommes de juillet ont été éloignés des affaires, tout a changé en Belgique ainsi qu’en France.

Pendant le règne des hommes de juillet, nous ne recevions, de la tribune française, que des encouragements ; il n’est tombé de la même tribune que des calomnies, des injures, sous le ministère doctrinaire qui leur a succédé. Ce ministère a si bien marché à reculant qu’il est arrivé au point de faire cent fois pis que celui de Charles X, que le ministère Polignac. Alors, comment se pourrait-il, quand le gouvernement de France prend des mesures propres à satisfaire les puissances étrangères quand il agit dans le sens des despotes du nord, que nous ne recevions pas quelques éclaboussures de tant de boue que l’on remue actuellement en France.

Messieurs, nous sommes dans des circonstances telles que nous avons tout à craindre. Au reste, notre position n’est que la conséquence d’une première faute que l’on a faite en tuant notre révolution, au lieu de la continuer franchement et loyalement au profit de tous.

M. Pirson. - Je livre aux réflexions de la chambre le silence du ministre.

M. F. de Mérode. - Mais le ministre a répondu.

M. Pirson. - Je demande la parole pour présenter quelques amendements. Je voterai contre la loi, je voterai contre elle lors même que tous mes amendements seraient adoptés. (On rit.) Cependant, comme quelques membres pourraient être ébranlés par la peur qu’on nous inspire de loin, et se laisser entraîner à accorder tout ce que l’on demanderait, je veux faire quelques efforts pour que la loi soit le moins mauvaise possible.

- Plusieurs membres. - Déposez vos amendements sur le bureau, ils seront imprimés.

- La séance est levée à quatre heures et demie.