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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 12 mars 1835

(Moniteur belge n°72, du 13 mars 1835 et Moniteur belge n°73, du 14 mars 1835)

(Moniteur belge n°72, du 13 mars 1835)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure.

M. Dechamps donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’analyse des pièces suivantes envoyées à la chambre.

« Trois fabricants de cotonnettes, calicots, etc., adhèrent à la réclamation des fabricants de Gand, en faveur de cette industrie. »

« Plusieurs propriétaires de terres et rivages sur les communes de Jemmapes, Mons, Cuesmes et Quarignon protestent contre la pétition adressée par différentes sociétés charbonnières du couchant de Mons, tendant à être autorisées à faire un chemin de fer, allant de leurs fosses au canal de Mons à Condé. »

« Les administrations communales de Fraise-Faroul et Yves-Gomezée demandent qu’il soit établi un tribunal de première instance à Philippeville. »

« Le sieur Deneufbourg-Rogy, membre de l’ex-conseil de santé de l’armée, demande à être employé dans l’armée ou à recevoir le traitement de non-activité. »

« Huit instituteurs du district de St-Nicolas demandent que la chambre s’occupe le plus promptement possible de l’organisation de l’enseignement primaire. »


M. le ministre de la guerre renvoie à la chambre la pétition du sieur Berckmann qui sollicitait son congé, attendu que ce congé est accordé depuis le 24 de ce mois.

Projet de loi communale

Second vote des articles

Titre I. Du corps communal

Chapitre premier. De la composition du corps communal et de la durée des fonctions de ses membres
Section I. De la composition du corps communal
Article 6

M. Desmet. - Messieurs, je tremble pour mon pays, quand je vois de quelle manière quelques-uns de nos hommes d’Etat traitent nos franchises communales.

L’un des deux qui ont parlé hier ne les considère pas plus que cette mauvaise monnaie qu’on ne reçoit qu’en appoint, et les compare à ces clinquants billons, par lesquels on trompe le public.

L’autre, et c’est l’honorable membre à qui j’ai cédé la parole, trouve ces franchises tellement insignifiantes, qu’elles ne valent point la peine qu’on en fasse quelque cas en ne les envisageant que comme une utopie politique, il en a parlé avec un dédaigneux mépris.

Je ne sais à quelle commune cet honorable député appartient, car j’ignore sa patrie : mais chose certaine, c’est que, s’il avait vu le jour dans une commune belge, il aurait eu plus de sympathie pour nos libertés municipales et ne les aurait pas traitées avec un tel délai.

Ne sait-il donc pas combien le Belge y a toujours été attaché et combien il est jaloux de les conserver dans toute leur pureté ?

C’est aux franchises municipales ou communales que les Belges doivent la prospérité de leur pays, c’est par elles que l’esprit d’industrie se ranima, que le commerce devint un objet d’attention et commença à fleurir.

La ville de Bruges est la plus ancienne de nos cités qui en ait ressenti les effets par l’extension de ses privilèges ; le commerce et l’industrie y prirent aussitôt un grand développement.

La ville de Gand doit de même sa splendeur à ses franchises communales, et c’est le motif pourquoi les bourgeois de cette cité furent aussi fermes dans le maintien de leurs privilèges quand le prince voulait les reprendre.

Louvain fut de même très attaché à ses franchises, qui assuraient aux fabricants de draps et à ses autres bourgeois une liberté dont ils avaient besoin pour leur industrie.

L’histoire de Liége n’est guère autre chose que le récit d’une lutte entre le prince et la ville ; sans ses franchises, la commune de Liège n’aurait jamais pu s’élever au degré de splendeur où elle parvint. Charles-Quint, en détruisant les franchises de la ville de Gand, en 1540 ; Philippe II, en anéantissant les franchises des autres villes autant qu’il le pouvait, portèrent un coup mortel à l’industrie et aux communes.

Et enfin, messieurs, je vous le demande, la révolution dite brabançonne est-elle autre chose que la lutte des bourgeois dont on voulait supprimer les franchises, et de l’empereur Joseph II ?

Les chartes de communauté étaient nommées par nos ancêtres leur loi d’amitié (lex amicitiae).

Le motif pourquoi ces règlements portaient ce beau titre était parce qu’à côté d’une profonde sagesse, on y trouvait l’amour de la bienfaisance et de l’humanité.

On ne doit donc pas s’étonner que nous soyons attachés à des institutions qui ont fait le bonheur et la prospérité de notre pays, et que quand on veut nous les enlever, nous ne ménagions aucun effort pour nous y opposer. Dans l’amendement du ministre, qui sera le juge pour apprécier que dans une commune il y a des motifs graves pour faire nommer un bourgmestre qui ne ferait pas partie du conseil communal ?

Qui consultera-t-on pour s’assurer que ces motifs graves existent réellement ?

M. le ministre, partie intéressée, sera le juge dans sa propre cause ; et ses propres agents seront ceux qu’il devra consulter.

Messieurs, il faudrait être aveugle pour ne pas apercevoir le piège que tend à la chambre M. le ministre de l’intérieur ; c’est un de ces petits moyens qu’on emploie pour atteindre son but.

On veut enlever à la commune le droit d’intervenir dans le choix de ses chefs administrateurs, de ceux qui doivent en gérer les affaires ; mais on n’a ni le courage, ni la franchise de le déclarer.

On veut détruire le pouvoir municipal et tout réunir dans le pouvoir central.

On désire avoir des maires comme le voulait Bonaparte, et sous le manteau d’une constitution qu’on dit la plus libérale du monde, le ministre cherche de toutes les manières à nous faire subir le régime de l’empire.

Mais sait-il bien ce qu’il demande ? Connaît-il assez ce qu’il veut ? Prévoit-il le résultat de toutes ses exigences et de cette soif immodérée de tout concentrer et de tout accaparer pour le gouvernement ? Je pense qu’il se trompe fortement si, en se mêlant de tout et voulant dominer partout, il croit faire le bonheur du pays et consolider le nouvel ordre de choses : il a l’expérience contre lui, et je m’étonne qu’il a déjà oublié pourquoi il a fait la révolution.

Que M. le ministre de l’intérieur se donne la peine de voir ce qui s’est fait dans un pays voisin, qui cependant est sans constitution et qui passe pour avoir un gouvernement absolu ; qu’il veuille étudier ce que le ministre prussien Stein a trouvé nécessaire d’opérer en Prusse, non pas certainement pour donner plus de liberté au peuple prussien, mais surtout pour rasseoir plus solidement l’état de son maître et le préserver des secousses que les progrès de lumières et de civilisation lui devaient faire craindre.

Cet homme d’Etat, très versé dans la connaissance des hommes, de leurs mobiles et de leurs intérêts, jugea que les temps étaient arrivés de songer à l’émancipation des communes, de diminuer la centralisation et de donner plus de pouvoir au peuple et commencer cette œuvre, certain qu’il était qu’il y avait une urgente nécessité ; il fit entrer pour la première fois le droit d’élection dans la vie privée des Prussiens. Il obligeait les habitants de choisir eux-mêmes leurs magistrats et leurs officiers publics, sans que le gouvernement pût s’immiscer dans ce choix et l’entraver.

Oui, messieurs, en Prusse on a l’élection directe, les magistrats y sont élus pour trois ans, la plus grande publicité est donnée aux actes des officiers municipaux ; on y affiche le compte de leur gestion, et le public est à même de juger jusqu’à quel point ils se sont rendus dignes des choix de leurs concitoyens ; quand un magistrat doit être révoqué, il ne l’est qu’à la demande du conseil de la commune.

N’est-ce pas là une mise en oeuvre bien franche et bien énergique de l’élément démocratique ? Le but du ministre n’était-il pas évidemment d’intéresser le peuple à la gestion des affaires, de lui donner une part active dans les mouvements politiques du pays ?

Ce profond politique sentait que les progrès de la civilisation réclamaient ce changement dans l’état prussien ; il était persuadé que désormais les Etats avaient besoin de l’appui des peuples pour se consolider et conserver les dynasties régnantes.

Il doit donc nous paraître extrêmement étrange que ce qu’on trouve utile en Prusse pour fortifier l’administration, on voudrait en priver la Belgique et méconnaître même sa constitution pour faire du mal au pays et affaiblir le gouvernement.

Je le dis encore, il paraît que l’auteur de l’amendement a bien vite oublié la révolution de septembre, pour montrer si peu de confiance dans ce peuple, à qui nous la devons et qui nous a si heureusement délivrés du joug de Guillaume.

Une telle ingratitude pourrait bien le tromper, et en se méfiant si imprudemment de ses concitoyens, on fait plus de tort à l’ordre actuel des choses que peut-être on le pense bien.

J’adjure l’honorable ministre de l’intérieur de faire un retour sur lui-même et de retirer son amendement. La disposition votée doit le contenter, il doit y trouver une concession assez forte en faveur du pouvoir central ; et qu’il veuille songer au danger qu’il y a de détruire ainsi le principe fondamental de notre constitution, ce principe de la libre élection populaire.

Et pour nous, messieurs, ayons foi dans la liberté, elle ne nous a jamais mal servis ; mais songeons aussi que ce n’est jamais sans un grand danger pour le bien-être et la tranquillité de son pays qu’on tolère la violation des principes constitutionnels. Prenez-y garde, on nous engage à abdiquer déjà ce que la révolution et le congrès nous ont garanti seulement depuis trois ans ; on veut enlever à la Belgique ce qu’elle a toujours eu de plus cher, son régime municipal et ses libertés communales.

On voudra bien vous laisser encore des villes, des bourgs et des villages, mais on ne veut plus que vous conserviez vos cités et vos corporations ; car les habitants, privés du droit d’élire leurs administrateurs, cessent d’exister en communauté. Qu’on ne s’y trompe point ! si vous adoptez l’amendement liberticide, vous enlevez à votre patrie ce que vos pères étaient si glorieux d’avoir, et vous le refoulez par votre vote dans les régimes tyranniques de Bonaparte et de Guillaume. Que le ciel m’en préserve !

J’ai dit.

(Moniteur belge n°73, du 14 mars 1835) M. Lebeau. - Je regrette que, dans une discussion aussi longue et aussi importante, je me voie obligé de vous dire quelques mots qui me sont personnels. Mais comme j’ai été, ainsi que plusieurs de mes honorables collègues, cité à la barre de cette chambre pour des opinions émises antérieurement, je pense que je ne ferai qu’user du droit de légitime défense en démontrant combien ces attaques sont mal fondées, combien elles sont dénuées de toute vraisemblance.

Messieurs, je ne prétends pas au privilège de l’infaillibilité, je ne prétends pas que, faisant exception à l’humaine faiblesse, j’aie toujours été conséquent dans chacune de mes paroles, depuis que j’ai pris part aux affaires publiques, soit comme journaliste, soit comme député, soit comme ministre ; je laisse cette prétention à quelques-uns de mes honorables contradicteurs. Mais il est, messieurs, une règle de conduite que je me suis tracée dès le début de notre révolution, et à laquelle je pense être resté constamment fidèle. J’ai pensé que, dans ces graves circonstances, l’œuvre d’un homme politique était double ; j’ai pensé qu’après avoir démoli, il ne fallait pas toujours démolir, mais qu’il fallait s’occuper de reconstituer tout aussitôt qu’on avait fait table rase.

Voilà, messieurs, l’explication des apparentes contradictions que l’on pourrait me reprocher sur certains bancs.

Aussitôt qu’un pouvoir nouveau a pris la place du pouvoir ancien, je crois l’avoir toujours défendu légalement ; et si par des exceptions rares je l’ai quelquefois attaqué, je l’ai fait avec mesure, par sentiment du devoir, toujours sans haine, sans aversion pour les personnes.

C’est ainsi que, dès l’installation du gouvernement provisoire, je me suis hâté de lui prêter mon concours, de répondre à la confiance qu’il avait placée en moi ; et si, sur certaines questions de politique extérieure où il m’a semblé manquer quelquefois de vues impartiales et sûres, je me suis trouvé en dissidence avec lui, du moins j’ai presque constamment appuyé le pouvoir. Dans le ministère comme en dehors du ministère j’ai été préoccupé de la même pensée de reconstruction. A toutes les époques de ma carrière parlementaire. redescendu de mon banc de député, loin d’avoir harcelé le pouvoir, en quelques mains qu’il fût placé, j’ai toujours cru faire oeuvre de bon citoyen et de véritable patriote en l’appuyant autant qu’il était en moi, en m’efforçant de diminuer les innombrables difficultés que les circonstances avaient semées sur sa route.

Voyons maintenant ce qu’il y a d’exact dans la prétendue contradiction où l’on a voulu me placer hier. Dans un discours où je faisais l’apologie de la monarchie constitutionnelle (je ne disais pas, moi, que la république était un gouvernement fait pour des anges, mais je soutenais que la république était une forme de gouvernement moins parfaite que la monarchie constitutionnelle), j’ai dit que, dans la monarchie constitutionnelle, le principe de l’élection dominait tous les mouvements du pouvoir.

En quel sens ai-je dit cela ? En ce sens que par cela seul que la chambre des représentants a l’initiative des lois de subsides, qu’en matière de responsabilité elle a le droit d’accuser les ministres, et que cette chambre est le produit de l’élection nationale, le principe de l’élection réagissait de toute nécessité sur la composition du ministère et sur la marche du gouvernement. Mais j’étais si loin de donner au principe de l’élection l’extension qu’on suppose, qu’avant même d’avoir porté la parole dans le sein du congrès national, j’avais proposé plusieurs exceptions notables au principe de l’élection.

Dans le projet de constitution que j’avais été chargé de préparer avec plusieurs honorables collègues, j’avais consenti à une exception au principe de l’élection, même pour une des deux chambres législatives car j’avais proposé que le sénat fût à la nomination royale ; et dans le congrès, lors de la discussion de la constitution, au titre des institutions provinciales et communales, remarquez-le bien, au titre des institutions provinciales et communales, j’ai fait admettre une exception formelle au principe de l’élection pour la nomination des chefs des administrations communales, à ce point que cette exception, telle que je l’ai formulée, a trouvé place dans la constitution, et que c’est mon amendement qui a introduit l’exception qui se trouve à l’article 108.

Voilà comment à cette époque j’entendais le principe de l’élection. Vous voyez comme on a exagéré, dénaturé même, la portée que je voulais lui donner, et que je n’étais pas si grand partisan des institutions républicaines, comme on les entend sur certains bancs.

Répondrai-je maintenant à ces insinuations fort peu parlementaires qui, par leur généralité, ne s’adressent pas à moi seul, et d’après lesquelles on a voulu faire entendre que les hommes qui exercent des fonctions publiques, ne votent pas toujours selon leur conscience ? Je croirais manquer à la dignité de cette assemblée, je croirais me manquer à moi-même, si je descendais à la réfutation de pareilles insinuations.

Messieurs, savez-vous ce qui arrive en Belgique, savez-vous quelle est la corruption des hommes politiques en Belgique ? Elle va à ce point que les hommes qui ont été deux ou trois fois au faîte du pouvoir, y ont tellement fait leurs affaires qu’ils sont obligés, en le quittant, d’accepter d’autres fonctions. Voilà comment l’espèce humaine est corrompue en Belgique. Il est consolant et honorable pour notre pays qu’à travers des accusations sans cesse renouvelées, jamais la probité de ceux qu’on attaque n’ait été mise en doute par le public ; et le silence forcé, gardé par la presse la plus exagérée, sur la probité des hommes appelés à exercer le pouvoir, au milieu d’une corruption assez générale ailleurs, est une exception bien honorable pour le pays auquel je me fais gloire d’appartenir.

Je vous demande pardon de cette digression ; je n’ai pas l’habitude de me livrer à des explications de cette nature, car je ne connais rien de plus fastidieux pour la chambre et pour le pays que les éternels panégyriques qu’on fait constamment de soi-même à cette tribune.

Je me prononcerai pour l’amendement du ministre de l’intérieur ; dans sa plus grande partie, il n’est que la reproduction de l’article proposé par l’ancien ministre.

Avant d’entrer dans les détails de cette discussion, on voudra bien me permettre de faire, à mon tour, quelques observations sur les prétendues franchises communales inscrites dans notre constitution, et qu’on regarde comme le palladium des libertés publiques.

En fait de franchises communales, messieurs, on a été jusqu’à citer Louis XI. J’avoue que l’exemple ne me paraît pas heureux. Ce n’est pas moi qui conseillerai de le suivre à ceux qui sont chargés de donner des conseils à la royauté belge.

Je crois, messieurs, qu’il n’y a pas de despote si absolu en Europe qui ne fût fort content d’octroyer comme Louis XI certaines chartes à des villes et à des communes, moyennant finances, si on voulait lui donner les prérogatives dont la couronne de France était alors dotée. Ne perdons pas de vue, d’ailleurs, qu’à cette époque l’émancipation des communes fut moins dictée par un esprit de progrès que par le soin de se défendre contre une noblesse oppressive.

On a cité dans le cours de cette discussion une autorité fort respectable. Elle a été invoquée par un des membres les plus distingués de cette assemblée, par l’honorable M. Dubus ; il s’est armé de l’autorité de M. de Barante qui a fait un excellent travail sur l’histoire communale ; cela m’a donné envie de revoir cet ouvrage. Voici, entre autres citations dont je pourrais vous donner lecture, mais dont je vous ferai grâce à moins qu’on n’insiste, voici ce que dit M. de Barante sur l’importance des libertés des communes :

« Maintenant ce n’est plus dans une représentation locale, ce n’est plus en faisant contrôler les agents d’exécution par des délibérations civiques qu’il faudrait chercher ou espérer les garanties positives des droits publics. La charte y a pourvu, ou doit y pourvoir. La liberté individuelle, la propriété, l’industrie, la loyale administration de la justice, l’économie des dépenses publiques, sont toutes la sauvegarde de nos formes centrales de gouvernement. Le libre vote de l’impôt, la discussion publique, la triple volonté nécessaire pour la loi, la responsabilité des ministres, le droit de pétition, la liberté de la presse, quand elle aura recouvré la publicité qui la rend efficace, composent un système de défense autour des droits des citoyens.

« Toutes les idées actuelles sont dirigées dans cette voie, et ce serait aller contre l’opinion le plus généralement accréditée que de confier aux institutions communales le soin d’établir et de conserver la liberté. En effet, dans cette sphère restreinte, le contrôle destiné à défendre les faibles contre les puissants, ou le citoyen contre les injustices de l’autorité, serait exercé par une délibération obscure et sans énergie, par une opinion peu éclairée et dont la voix ne retentit pas au loin ; tandis que, dans la sphère plus ample des intérêts généraux, le violateur d’un droit a au-dessus de lui toute la hiérarchie des magistrats publics, beaucoup moins accessibles aux partialités personnelles que les magistrats locaux ; puis, pour se garantir de l’erreur ou de l’injustice de ces magistrats, l’opprimé a pour recours une vaste publicité, l’opinion générale, et l’intervention directe et indirecte des chambres. » (Des Communes et de l’Aristocratie.)

Je vous le demande, messieurs, rentrez en vous-même, et demandez-vous bien sérieusement si c’est dans l’institution de la commune que vous croyez trouver les principales garanties de l’inviolabilité de vos propriétés, de l’inviolabilité de votre personne ?

Evidemment personne ne pense que l’inviolabilité de ses droits les plus précieux résulte, par exemple, de l’élection directe du bourgmestre ou des échevins. Cette inviolabilité, cette garantie, résultent de la forme de votre gouvernement. Si vous êtes l’objet d’une injuste accusation, vos regards se tournent-ils vers le pouvoir communal ? Non, ils se tournent vers une magistrature inamovible, vers le jury, vers la libre défense. Une arrestation arbitraire est-elle exercée sur vous, vers qui élevez-vous votre voix, vos plaintes ? vers des tribunaux inamovibles placés au-dessus de toute influence gouvernementale.

N’avez-vous pas ensuite la presse ? N’avez-vous pas en dernière analyse les chambres qui ne resteraient pas paisibles spectatrices de la violation des droits accordés par la constitution aux citoyens ? Personne de nous, s’il était blessé dans ses plus chers intérêts, dans ses droits les plus précieux, ne tournerait ses regards vers le pouvoir municipal, mais vers les grands pouvoirs établis par la constitution, sous la sauvegarde desquels sont placés les droits des citoyens.

Un orateur, à qui j’ai déjà répondu sous certains rapports, s’est efforcé hier de vous présenter le projet actuellement en discussion, et qui, je l’avoue, est en grande partie l’oeuvre de l’ancien ministère, comme ne pouvant soutenir un seul instant la comparaison avec les anciennes institutions dont le pays aurait été doté par le bon vouloir du roi Guillaume.

Déjà hier le ministre de l’intérieur et mon honorable ami M. Rogier ont tant soit peu éclairci le tableau qu’avait si fort rembruni l’imagination de l’honorable député. Mais ni le ministre de l’intérieur, ni M. Rogier n’ont tout dit sur ce point ; ils ne vous ont pas fait remarquer, ils n’ont pas rappelé à votre souvenir que le règlement des villes organisait le système d’élection le plus absurde, le plus inextricable, et le plus fait pour comprimer le vœu du peuple.

Ils ne vous ont pas fait remarquer qu’il y avait trois ou quatre degrés d’élection, que les industriels étaient en grande partie exclus du nombre des électeurs par le refus de comprendre la patente dans le cens électoral. Ils ne vous ont pas dit que le vote de l’ayant-droit devant être signé, ce vote, dans une foule de cas, n’était pas libre. Ils ne vous ont pas dit que, dans la manière de recueillir les bulletins, rien n’était plus facile que d’introduire une multitude de fraudes, puisqu’ils étaient recueillis à domicile, sans aucune espèce de contrôle, sans publicité.

On ne vous a pas fait remarquer qu’à Liége, par exemple, le nombre des électeurs s’élevait pour les villes de 18 à 44 ; Verviers, qui en avait 18, en aura 422 par le projet de loi actuel. Le nombre des électeurs pour toute la province était au plus de 152, et la moitié seulement concourait à l’élection, c’est-à-dire que là où il y avait 76 électeurs votants, il y en aura d’après le projet du gouvernement 1,800. Je ne parle pas des ayants-droit de voter, car on sent que c’était là un vote illusoire, un mécanisme absurde dont le congrès s’est hâté de faire justice en consacrant le principe de l’élection directe posé par le gouvernement provisoire dans son arrêté du 8 octobre.

On ne vous a pas parlé encore de cette disposition exorbitante, de cet arbitraire le plus pur, par lequel le pouvoir avait la faculté, en frappant les fonctionnaires d’une démission non honorable, de leur infliger une véritable dégradation politique.

En général il y avait un défaut absolu de garanties dans les opérations électorales. Si quelques difficultés s’élevaient sur les conditions de l’élu, il y avait recours au Roi ; si quelque difficulté se présentait sur l’interprétation des règlements, recours au Roi qui décidait comme il le voulait. Ajoutez à cela qu’un citoyen appelé à concourir aux opérations électorales ne pouvait guère espérer d’exercer cette mission deux fois dans le cours de sa vie ; car les conseillers municipaux étaient nommés à vie. Le collège des bourgmestre et échevins était seul renouvelé par tiers tous les deux ans, ce qui amenait, quant aux bourgmestres et aux échevins, la faculté implicite de les révoquer de leurs fonctions tous les deux ans.

Mais, messieurs, ce n’est pas seulement avec les règlements du roi Guillaume que le projet de loi peut soutenir la comparaison et en sortir triomphant. Je dis qu’il va plus loin sous le rapport de l’extension du droit électoral que l’arrêté du mois d’octobre 1830 pris par le gouvernement provisoire. En effet, d’après cet arrêté le cens à Liège, pour être électeur municipal, était de cent florins ; dans le projet du gouvernement il était pour la même ville de cent francs, plus de la moitié moindre ; et d’après le projet de la section centrale, il serait de 110 fr. De sorte qu’en retranchant les adjonctions, qu’on a bien fait, selon moi, d’écarter du projet de loi, il y aura dix mille électeurs de plus, rien que pour les villes, qu’il n’y avait sous l’empire de l’arrêté du 8 octobre 1830. Voilà comment le gouvernement a rétrogradé dans la dispensation du droit d’élection, par le projet actuellement en discussion.

Vous ferai-je remarquer que pour les communes rurales il y a une véritable émancipation, tandis que, soit sous le régime de l’arrêté de 1817, soit sous le régime des derniers règlements, il n’y avait pas pour ces communes ombre d’élection populaire.

Ensuite, messieurs, remarquez que sous le rapport des attributions il y avait aussi une immense différence. Dans les anciens règlements, l’approbation du roi était exigée, sans distinction de valeur, pour toutes les transactions ou aliénations, tandis que vous avez à cet égard singulièrement décentralisé. Des gratifications pouvaient être accordées sous l’autorisation du Roi, le traitement des receveurs était fixe par le roi, le cautionnement des mêmes fonctionnaires était fixé par le roi, le traitement des secrétaires était fixe par le roi, sans que jamais on pût y toucher sans l’autorisation du roi. Je pourrais pousser beaucoup plus loin cette énumération ; je pense que la plupart des dispositions de ces statuts sont encore récentes à vos souvenirs, et je craindrais d’abuser de vos moments en insistant davantage sur ce parallèle.

Il ne faut pas prendre le change, la question qui nous occupe n’est ni monarchique ni républicaine. Et si le gouvernement belge était constitué en république, je me prononcerais encore pour l’amendement du ministre de l’intérieur. Il se rattache à des considérations qui sont aussi puissantes dans une république que dans une monarchie.

Il s’agit, ici d’unité nationale, d’exécution prompte et sûre des lois générales et des arrêtés pris pour leur application ; il s’agit de savoir si le pouvoir central, responsable dans une république comme dans une monarchie, avec cette différence que dans une république la responsabilité, dans certains cas, remonte jusqu’au chef de l’Etat, il s’agit de savoir si cette responsabilité ne sera pas une absurdité et une injustice. Or, je dis que la responsabilité est une absurdité et une injustice, si le gouvernement n’a pas le libre choix de ses agents. Et, messieurs, quand je parle de responsabilité, je le dirai peut-être pour la vingtième fois, je n’entends pas du tout parler de cette responsabilité qui ferait asseoir un ministre sur les bancs de la cour de cassation ; on doit inscrire cette espèce de responsabilité ministérielle dans une constitution pour l’honneur du principe, et pour les grandes crises gouvernementales ; mais c’est un droit qui ne s’exerce jamais sérieusement dans un temps normal. Il est impossible, quand le contrôle des chambres est fortement organisé, qu’un ministre, quel que fût son mauvais vouloir, soit assez insensé pour se mettre dans une pareille situation. Les chambres ont mille moyens de faire tomber un ministre avant qu’il se soit mis dans le cas de subir une accusation judiciaire. Mais, une responsabilité réelle, efficace, une responsabilité de tous les jours, une responsabilité essentiellement pratique, c’est celle qui oblige le ministère à marcher continuellement de commun accord avec la majorité des chambres, qui l’oblige, sous peine de mort (je parle de mort ministérielle)… (On rit.)

M. Fleussu. - Je crois bien ; de celle-là on en ressuscite !

M. Lebeau. - … à avoir constamment l’appui de la majorité des chambres. Voilà la véritable responsabilité ; c’est votre contrôle, c’est votre appui, sans lequel le gouvernement ne peut faire un pas.

Eh bien, messieurs, telle loi est-elle mal exécutée dans une commune, y éclate-t-il une émeute, y voit-on des pillages : quel est l’agent du gouvernement chargé, pour maintenir l’ordre, de requérir la force publique ? Le bourgmestre ; qui est chargé de veiller pour le gouvernement à ce qui se passe dans la commune. Evidemment le bourgmestre ; et l’on veut en limiter, en circonscrire le choix !

Qui est-ce, je le répète, qui est chargé le plus souvent de requérir l’emploi de la force publique dans la commune ? Le bourgmestre. Et vous voulez que le gouvernement soit sans influence sur son représentant, qu’il n’ait pas le droit de le choisir là où il le croit convenable, parmi les éligibles ; vous voulez qu’il en soit au rebours de ce qui a lieu pour les gouverneurs, les commissaires de district, et les officiers du ministère public, qui tous, dans leur sphère, engagent la responsabilité du gouvernement ? Cela n’est pas rationnel.

Je vous avoue que j’ai été fort surpris hier en entendant l’honorable député de Bruges dire, en substance, au ministre : « Mais vous avez bien tort de demander le libre choix des bourgmestres ; c’est une grave erreur de votre part vous n’entendez pas vos intérêts : il est bien plus avantageux pour vous qu’il n’en soit pas ainsi, et dans ma sollicitude pour le ministère, je lui signale les inconvénients auxquels il s’expose. Il sera bien plus avantageux pour le gouvernement de pouvoir dire aux communes : Je ne me mêle pas de vos affaires. Amusez-vous. On vous pillera, il y aura des émeutes, ce n’est pas mon affaire ; vous avez un magistrat que vous avez choisi, qu’il s’en occupe, c’est en lui que vous avez placé votre confiance. » Je n’ai pas la prétention de reproduire ici textuellement les expressions de l’honorable M. Jullien, mais c’est au moins le sens de ses paroles.

« Les petites communes s’amuseront à faire de la souveraineté, comme disait Machiavel, et s’il arrive des malheurs dans ces communes, le gouvernement se croisera les bras, et dira : Si j’avais eu le choix de mes agents, une véritable responsabilité pèserait sur moi. » Eh bien, ce n’est pas là ce que peut vouloir la chambre. Il ne faut pas que la répression du désordre, que l’exécution des lois soit abandonnée au hasard, au libre arbitre des fonctionnaires municipaux. Le gouvernement doit répondre partout de l’exécution des lois, du maintien de la paix publique, et conséquemment, par une raison toute logique, doit choisir librement ses agents.

Or, le bourgmestre est-il l’agent du gouvernement ? Evidemment oui ; car dans la plupart des communes le gouvernement n’est représenté que par le bourgmestre. La liste est longue des lois dont l’exécution est conférée aux bourgmestres sous l’autorité des gouverneurs des provinces, à des commissaires de district : Les lois de milice, la répression de la désertion, l’état-civil, la police, celle des étrangers, les mesures à prendre envers les forçats libérés, les garanties d’or et d’argent, les passeports, les poids et mesures, les livrets des ouvriers, etc. Il y a plus de 500 lois dont l’exécution est conférée aux bourgmestres. Il n’était pas question d’échevins alors qu’il n’y en avait pas.

Evidemment, messieurs, le gouvernement doit avoir son représentant dans toutes les communes. Les lois ne peuvent s’exécuter seules ; or, forcer le gouvernement à prendre son agent sur une liste de candidats ou dans le sein du conseil communal, c’est lui ôter la liberté du choix, c’est forcer sa confiance, c’est le contraindre à accepter un délégataire, fût-il incapable de le devenir. La seule restriction possible, c’est celle du projet amendé.

Ce ne sont pas là, messieurs, de simples hypothèses : il est des cas où nous avons vu des chefs d’administrations communales qui, loin de seconder les efforts du gouvernement, efforts auxquels le vœu formel des chambres s’était associé, donner le signal de la résistance ; nous les avons vus manifester l’intention non seulement de résister au gouvernement, mais encore au pouvoir législatif en taxant à l’avance d’excès de pouvoir, d’inconstitutionnalité, une loi soumise aux chambres et favorablement accueillie par vos sections, par la section centrale. Et vous voulez que le gouvernement soit responsable de l’exécution des lois dans une grande cité, du maintien de l’ordre public, alors que non seulement il n’aurait pas confiance dans le chef de l’autorité municipale, mais encore lorsque ce magistrat se trouverait à la tête d’une rébellion administrative. L’intérêt du pouvoir législatif, messieurs. est ici lié à l’intérêt du gouvernement lui-même.

On croit avoir répondu à toutes les appréhensions du gouvernement, en lui disant : On vous accorde une influence immense sur les actes, et dès lors la juridiction sur les personnes est une superfluité, elle créerait un arbitraire gratuit.

Je ferai d’abord observer qu’on a singulièrement restreint par des amendements l’influence que le projet primitif assurait au gouvernement sur les actes ; mais, quelle que soit l’influence que vous lui accordiez, comment triomphera-t-il d’une foule de cas où il n’y aura pas d’actes, mais le contraire d’un acte : de la force d’inertie, par exemple, de l’incurie, de la mauvaise volonté, de la négligence et de l’inconduite ? Comment voulez-vous qu’il le puisse, s’il n’a pas une force quelconque sur les personnes pour y parvenir ? Je fais, dira-t-on, le procès au pays, j’injurie en masse les administrations communales : où sont ces abus, me demandera-t-on ? J’en ai signalé déjà de fort graves tout à l’heure. Il en est d’autres.

Demandez à ceux qui sont, par leur position, en rapport avec les administrations communales, si dans beaucoup de cas, sans parler de la mauvaise volonté, la négligence, l’incurie ne sont pas poussées à tel point qu’il est impossible au pouvoir provincial d’obtenir des renseignements, si ce n’est après huit ou neuf lettres de rappel, et cela surtout dans le plat pays ? J’ai l’habitude de servir le peuple et non de le flatter. Je dis que la loi communale est attendue avec impatience ; que la nomination du bourgmestre par le gouvernement ne l’est pas moins ; que, dans un grand nombre de communes, on regarde cette loi comme le seul moyen d’être débarrassé d’hommes qui ont abusé de la confiance trop aveugle des électeurs.

On vous a cité l’exemple de la France, on vous a dit que le maire était nécessairement choisi dans le sein du conseil communal ; c’est vrai, et je ne sais si l’on s’en trouve très bien ; ce que je sais, c’est que cela a déjà donné lieu à des réclamations : je ne vois pas d’ailleurs qu’on ait bien le droit d’invoquer ici la loi française, quand on la répudie dans la plupart de ses dispositions.

Ouvrez la loi française, et vous verrez dans quel cercle étroit sont renfermées les attributions des conseils communaux, vous y verrez qu’ils ne peuvent se réunir qu’à de rares intervalles, et jamais sans l’autorisation du préfet ; vous y trouverez l’interdiction d’une foule d’actes que votre projet n’atteint pas ; vous y rencontrerez des peines sévères comminées dans plusieurs cas ; vous y trouverez la dissolution votée de toutes voix. Ce que vous n’y trouverez pas, c’est un collège échevinal qui, s’il est bien composé, condamnera toujours à l’impuissance la plus absolue le bourgmestre qui voudrait trahir ses devoirs envers la commune. Si vous vouliez de la loi française, je vous l’accorderais volontiers pour ma part, et je suis sûr que si vous proposiez cette transaction à M. le ministre, il y acquiescerait également, s’il ne consultait que les intérêts du pouvoir.

M. de Robaulx. - Voulez-vous la charte ?

M. Lebeau. - Je pense que la majorité de cette chambre est d’avis d’accorder au gouvernement la nomination du bourgmestre, même en dehors du sein du conseil ; remarquez que cette disposition n’a été rejetée qu’à la majorité de deux ou trois voix. Mais on fera peut-être des difficultés d’accorder au bourgmestre, pris hors du conseil, voix délibérative. Quelle sera la source de ces difficultés ? Des scrupules constitutionnels, ensuite des déductions logiques. On dira que l’article 108 exige une élection directe, qu’il n’est pas permis de laisser délibérer un homme qui n’est pas élu directement ; on dira qu’il n’est pas logique d’accorder le droit de délibérer à un homme à qui on n’a pas accordé de mandat.

D’abord l’article 108 ne renferme rien qui rende inadmissible l’amendement proposé par le gouvernement. En voici les termes :

« 1° L’élection directe, sauf les exceptions que la loi peut établir à l’égard des chefs des administrations communales et des commissaires du gouvernement près des conseils provinciaux ;

« 2° L’attribution aux conseils provinciaux et communaux de tout ce qui est d’intérêt provincial et communal, sans préjudice de l’approbation de leurs actes dans les cas et suivant le mode que la loi détermine. »

L’article 108 suppose donc la possibilité que le chef de l’administration communale ne soit pas le produit de l’élection : nous disons le chef, puisqu’il s’agit du bourgmestre ; mais comment sera-t-il le chef de l’administration communale, s’il a une importante prérogative de moins que tous les autres ? Remarquez que l’article 108 assimile le chef aux autres membres du conseil, à la seule différence que pour le conseil l’élection doit être directe, et qu’il peut y avoir dérogation à l’égard des chefs.

S’ensuit-il de là qu’il doive exister une différence dans l’étendue du pouvoir, de la prérogative ? Evidemment, non. Et ne serait-il pas absurde de prétendre que celui-là serait le chef de l’administration qui aurait moins de pouvoir que les autres, qui n’aurait pas voix délibérative ? Figurez-vous un président de tribunal qui n’aurait pas voix délibérative : l’assimilation est parfaite. Serait-ce là un chef ? L’article 108 a-t-il dit le contraire de ce que j’avance ? Il a dit, il a dû dire que le chef de l’administration municipale ne serait pas seulement l’agent du gouvernement, mais qu’il aurait des droits au moins égaux à ceux des membres du collège, sans quoi le chef serait à la queue.

Je crois avoir prouvé que la constitution ne met pas obstacle à ce que le bourgmestre soit assimilé à ses collèges, elle le suppose même. Reste la question d’utilité, de convenance. Ici nous pourrons citer la nécessité, l’utilité reconnues par la chambre dans une autre occasion. Quelle serait la situation d’un bourgmestre qui n’aurait pas le pouvoir de délibérer dans l’assemblée qu’il présiderait ?

On avait, il est vrai, dans le premier projet en discussion soumis à la chambre, tel qu’il était sorti des mains de la commission, consenti à ce que le bourgmestre n’eût pas voix délibérative ; mais il a été reconnu que c’était impossible dans la pratique, que le bourgmestre ne pouvait exercer utilement ses fonctions s’il n’était assimilé à ses collègues. On a pensé qu’il ferait auprès d’eux la plus pauvre figure, s’il n’avait pas une influence semblable à la leur.

Déjà, messieurs, vous avez préjugé la question à l’égard des gouverneurs ; vous avez autorisé le gouverneur à délibérer, avec la députation des états, sur les affaires provinciales, bien que le gouverneur ne tînt pas ses fonctions des électeurs ; et si je ne me trompe, non seulement la section centrale a admis pour le gouverneur le droit de délibérer et de présider, mais je crois me rappeler que l’honorable rapporteur de la section centrale aura été jusqu’à admettre que le gouverneur fût de plein droit président du conseil provincial avec faculté de délibérer ; je ne sais si je me trompe, mais M. Dumortier est là pour rectifier ce que je dis, s’il y a lieu.

M. Dumortier, rapporteur. - J’ai dit, pourvu qu’il fût élu par le peuple.

M. Lebeau. - Vous ne faisiez pas alors une grande concession. Or, messieurs, si l’on invoque, pour refuser voix délibérative au bourgmestre, l’article 31, on aurait été autorisé à l’invoquer également contre le gouverneur, car l’article 31 met sur la même ligne les intérêts communaux et provinciaux :

« Art. 31. Les intérêts exclusivement communaux ou provinciaux sont réglés par les conseils communaux ou provinciaux, d’après les principes établis par la constitution. »

Il y a identité de raison, utilité, nécessité même et précédent de la chambre pour établir que donner voix délibérative au bourgmestre nommé en dehors du conseil n’est pas plus en opposition avec la constitution que de la donner au gouverneur dans la députation.

J’ai souvent entendu dire, en dehors de cette assemblée à la vérité, mais par d’honorables collègues, qu’on avait fait une bien faible part au pouvoir exécutif dans la constitution de 1830, qu’on regrettait de n’avoir pu se soustraire à des idées de réaction bien naturelles quand on vient de renverser un pouvoir réprouvé par la nation ; j’ai vu se proposer d’accueillir toutes les occasions, où la constitution le permettrait, d’augmenter l’influence du pouvoir central évidemment trop restreinte ; j’ai entendu dire que, dans les lois organiques surtout, on saisirait l’occasion de fortifier un pouvoir, dont la libre action peut seule maintenir l’ordre, et avec l’ordre les libertés publiques ; l’occasion s’en est offerte plus d’une fois, mais je ne vois pas qu’on l’ait toujours saisie.

Il ne suffit pas cependant de vouloir l’ordre, de l’avoir dans le cœur ; l’ordre en politique est aussi une science : elle a ses règles, ses lois immuables qu’on ne transgresse jamais impunément, même avec intentions ; et c’est pour les avoir ignorées, pour avoir méconnu ce que près de cinquante ans de douloureuse expérience ont appris, que l’assemblée constituante, voulant de la meilleure foi du monde établir une monarchie, n’avait fait qu’un essai de république.

En décentralisant plus encore, depuis, le pouvoir exécutif, en donnant trop de prérogatives aux autorités inférieures, on exposa les citoyens à mille vexations. On les dégoûta de la liberté. Tourmentée, découragée, fatiguée, la nation était toute préparée à un 18 brumaire ; un homme vint qui l’accomplit. La France le reçut avec enthousiasme. Le 8 nivôse vint bientôt après immoler toute liberté communale, et personne ne réclama contre cette abrogation. On fit plus, on y applaudit.

Que de tels enseignements ne soient jamais perdus pour nous. J’aime la liberté autant que qui que ce soit ; je la désire, mais inséparable de l’ordre ; car je la veux durable. Or, le principe de l’ordre, dans un gouvernement constitutionnel, réside dans la dignité, dans la force du pouvoir exécutif.

(Moniteur belge n°72, du 13 mars 1835) M. Dechamps. - L’amendement de M. le ministre de l’intérieur est formulé dans le but de concilier le système du double mandat avec celui qui attribue au Roi le choix exclusif du bourgmestre. Dans son intention la nomination dans le sein du conseil forme la règle, la nomination hors du sein du conseil n’est que l’exception. Si cet amendement offrait la garantie que son application marcherait toujours de concert avec le sens tout exceptionnel que nous lui attribuons, peut-être serait-il utile de l’adopter ; mais l’inconvénient que j’y trouve est justement de ne nous offrir aucune garantie pour que l’exception ne devienne un jour la règle : son vague est trop indéfini.

Quand on fait une exception à une règle générale, il faut essentiellement que les cas en soient bien précises ; une exception illimitée me paraît un contresens.

Dans l’intention de M. le ministre, cette exception n’aurait lieu que dans des circonstances extraordinaires ; mais comme ce sera le gouvernement qui restera juge de ces circonstances, comment pouvons-nous savoir où finira la règle, où commencera l’exception ?

On vient d’objecter la responsabilité et l’intérêt même du pouvoir. Mais nous ne pouvons pas ainsi supposer pour l’avenir l’impossibilité d’un gouvernement à tendance rétrograde. Cette exception qu’on nous propose serait utile et sans danger, si tous les gouvernements qui se succéderont en Belgique restent dans l’ornière constitutionnelle ; mais les règnes sont éphémères.

M. le ministre devra avouer que son amendement serait une arme bien dangereuse dans les mains d’un gouvernement qui voudrait faire invasion contre les libertés publiques. Or, nous faisons des lois non seulement pour le présent, mais aussi pour l’avenir, et comme les lois supposent l’abus, sans quoi il n’en faudrait pas, nous ne pouvons y introduire un vague aussi large, un vague qu’un gouvernement mal intentionné, si par malheur la Belgique devait en subir encore un, pourrait confisquer à son profit. Ainsi la responsabilité et l’intérêt bien entendu du pouvoir ne peuvent être allégués, puisque les lois organiques ne sont faites en partie que pour les cas où le pouvoir méconnaîtrait cet intérêt et cette responsabilité.

Ainsi le défaut essentiel que je trouve à l’amendement de M. le ministre, c’est de formuler une exception qui n’en est pas une puisqu’elle est illimitée, ce qui implique contradiction.

Maintenant je place la discussion sur le terrain des inconvénients. La question n’est pas de savoir, comme l’a dit l’honorable M. de Foere, s’il n’y pas d’inconvénients possibles dans le système de la section centrale, mais si ces inconvénients ne sont pas moindres que ceux qui résultent du système de la section centrale.

J’ai examiné avec attention et sang-froid les discours qui ont été prononcés dans la séance d’hier par les orateurs qui ont défendu l’amendement de M. le ministre de l’intérieur ; j’ai pesé attentivement tous les inconvénients qu’ils ont signalés et pour lesquels, selon eux, l’exception mentionnée dans l’amendement serait nécessaire ; je vais les examiner à la lumière d’un principe très clair et que M. le ministre a posé lui-même comme étant son critérium dans l’application. Ce principe est celui-ci : toutes les fois que l’emploi de l’exception proposée ferait injure au conseil et devrait exciter son mécontentement, toutes les fois qu’il en résulterait de l’opposition et de la discorde, la nomination du bourgmestre en dehors du conseil ne pourrait avoir lieu sans que le remède ne fût cent fois pire que le mal qu’on voulait prévenir.

M. le ministre lui-même a émis hier le même principe ; voici ses paroles : « Si la nomination d’un bourgmestre hors du sein du conseil pouvait amener des divisions dans le conseil, ou une résistance de sa part, le gouvernement étant le premier intéressé à ce que l’administration communale marche régulièrement, n’introduirait pas dans le conseil ce germe de dissension. »

Cependant, après avoir passé en revue dans les discours des orateurs favorables à l’amendement les différents inconvénients auxquels cet amendement remédierait selon eux, je n’ai pu découvrir ni deviner que deux cas, deux seuls cas, pour lesquels le choix en dehors du conseil ne serait peut-être pas cause d’une opposition, des discordes, et de l’anarchie dans la commune.

Ces deux cas sont : en premier lieu, celui où tous les conseillers refuseraient d’être bourgmestre, et en deuxième lieu, celui où le conseil serait lui-même le premier à réclamer l’emploi de l’exception ; je pense que M. le ministre n’a formulé que ces deux inconvénients.

Hors ces deux cas, messieurs, il m’est impossible d’en deviner un qui n’exciterait pas la discorde dans le conseil, et pour lesquels donc il serait impossible d’appliquer la mesure proposée par M. le ministre de l’intérieur.

Voyons les autres inconvénients signalés par un orateur favorable à l’amendement. L’honorable comte F. de Mérode s’exprime ainsi :

« Or, cette tyrannie (la tyrannie domestique) triomphera souvent dans les communes, parce que souvent dans les communes, il existe des divisions entre les habitants, et le parti le plus intrigant et le plus adroit l’emportera sur des hommes moins actifs et plus paisibles. Si le gouvernement a quelque latitude à l’égard des nominations des bourgmestres, il pourra en plus d’une occasion rétablir l’équilibre. »

Ainsi, messieurs, selon mon honorable ami M. F. de Mérode, quand une faction, une minorité peut-être sera parvenue par l’intrigue électorale à dominer exclusivement dans le conseil, le gouvernement, pour rétablir l’équilibre, nommera le bourgmestre hors du conseil. Mais, messieurs, évidemment dans ce cas c’est un acte d’hostilité à l’égard du conseil ; évidemment il y aura opposition, discorde dans son sein.

Je connais une commune où le bourgmestre était ainsi en opposition avec les conseillers ; eh bien, il éprouva de leur part tant d’opposition, tant de tracasseries, qu’il dût donner sa démission.

Ce serait là le résultat ordinaire de l’amendement de M. le ministre de l’intérieur.

On a fait une autre objection ; elle a été présentée, je crois, par l’honorable M. Rogier. Il peut arriver, a-t-il dit, que le conseil ne renferme aucun homme capable de remplir les fonctions de bourgmestre. Mais, messieurs, si le gouvernement, en alléguant ce cas, choisit hors du conseil, n’est-ce pas lui dire bien clairement : Je n’ai trouvé parmi vous que des imbéciles ou des hommes sans probité ? N’est-ce pas là faire un affront sanglant aux membres du conseil communal ? Et le bourgmestre qui sera la main avec laquelle le gouvernement leur aura donné ce soufflet, ne sera-t-il pas l’objet d’un ressentiment et d’une opposition continuels ?

Ici encore, vous le voyez, messieurs, ce serait introduire un germe de dissension et ce remède serait pire que le mal.

Ainsi, messieurs, parmi tous les inconvénients signalés il n’en existe que deux seuls, pour lesquels il n’y aurait pas impossibilité d’application selon la règle tracée hier par M. le ministre de l’intérieur ; et ces deux cas sont ceux où les conseillers refuseraient d’être bourgmestre, ou bien quand ils consentiraient eux-mêmes à ce que le gouvernement en choisît un en dehors du conseil. Là aucune opposition n’aurait lieu, parce que le bourgmestre ne serait pas imposé, mais consenti.

Si M. le ministre veut limiter l’exception à ces deux cas, je ne verrai pas d’inconvénient à l’adopter ; j’en vois d’autant moins que cette exception ne violerait pas même la règle qui est que l’élection doit précéder le choix du Roi, parce que le consentement du conseil est véritablement une élection. Je proposerai donc l’amendement suivant, quoique je préférasse que la chambre s’en tînt à l’article primitif de la section centrale :

Après les mots : « Le Roi nomme le bourgmestre ; il le choisit dans son sein, » je propose d’ajouter :

« Cependant si personne dans le conseil communal ne veut accepter les fonctions de bourgmestre, ou si le conseil demande que le Roi choisisse le bourgmestre hors du sein du conseil, dans ces deux cas le Roi peut le nommer hors du conseil parait les éligibles. »

M. de Robaulx (pour une motion d’ordre). - Messieurs, nous nous sommes livrés à des débats extrêmement longs sur l’amendement de M. le ministre de l’intérieur ; déjà la question préalable a été présentée sur cet amendement, et elle a été ensuite retirée par l’honorable M. Dumortier. Mais il me semble qu’il y a dans la loi une disposition qui n’est pas compatible avec cet amendement et qui est définitivement adoptée ; car c’est un article du projet de la section centrale auquel le ministre s’est rallié, et vous savez que chaque fois que le ministre s’est rallié à un article de la section centrale, il n’y a plus lieu d’y revenir ; c’est une chose admise, et il y a à cet égard mention au procès-verbal.

Eh bien, si vous trouvez dans la loi une disposition à laquelle vous ne pouvez plus toucher, parce qu’elle a été admise par le ministre, une disposition qui exclue l’amendement de M. de Theux, vous ne pouvez plus délibérer.

Voici l’art. 15 auquel le ministre s’est rallié... nota bene (on rit), et qui fera partie de la loi, je vous défie de l’empêcher :

« Le bourgmestre et les échevins sont également nommés pour le terme de 6 ans ; toutefois ils perdent cette qualité si, dans l’intervalle, ils cessent de faire partie du conseil. »

Qu’avez-vous décidé par là ? Que le bourgmestre et les échevins feront partie du conseil ; car dès l’instant où ils ne feront plus partie du conseil, ils perdront leur qualité de bourgmestre et d’échevins. Cet article est définitivement admis, car le ministre s’y est rallié. Comment donc, après cela, pouvons-nous délibérer si longtemps sur la question de savoir si le bourgmestre pourra être pris hors du conseil, puisque le contraire est formellement décidé ?

Je demande l’ordre du jour ; car si l’amendement du ministre de l’intérieur était admis, je défierais que votre loi pût être d’accord avec elle-même.

Je demande formellement que la chambre passe à l’ordre du jour sur l’amendement du ministre de l’intérieur.

M. H. Dellafaille. - L’honorable M. de Robaulx trouvera la réponse à ce qu’il vient de dire dans le dernier paragraphe de l’article 45 du règlement.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - J’ai peine à croire que ce soit sérieusement que l’honorable préopinant a présenté cette motion d’ordre, lorsque je vois que le ministère a défendu formellement, dans la première discussion, l’article qui a été rejeté par la chambre, lorsque ensuite dans la deuxième discussion le vote sur l’article premier qui préjugeait la question a été réservé jusqu’après décision sur l’article 16. Il est évident que, si même le ministère s’était rallié à l’article 15, ce n’était que conditionnellement, puisque cet article est subordonné à la décision sur l’article en discussion.

M. de Robaulx. - Si ce n’est que conditionnellement que le ministre se rallie, alors tout est douteux ; il n’y a rien de plus ridicule.

M. de Brouckere. - Je crois que la motion d’ordre que vient de présenter l’honorable M. de Robaulx n’est pas fondée ; mais je ne soutiendrai pas cette opinion par les mêmes motifs qu’à fait valoir M. le ministre de l'intérieur.

Selon moi, quelle que soit la décision que vous preniez sur l’amendement de M. le ministre de l’intérieur, l’article 15 n’y est nullement obstatif. Que porte l’article 15 ? « Le bourgmestre et les échevins sont nommés pour le terme de 6 ans. (Eh bien, quand le bourgmestre et les échevins seront pris dons le conseil communal, ils seront nommés pour 6 ans) ; toutefois, ils perdent cette qualité si, dans l’intervalle, ils cessent de faire partie du conseil. » Eh bien, s’ils étaient membres du conseil et qu’ils cessent d’en faire partie, ils cessent d’être bourgmestre ou échevins, mais s’ils ne faisaient pas partie du conseil…

M. de Robaulx. - Oh ! oh !

M. de Brouckere. - Comment Oh ! oh ! (On rit). Vous me répondrez.

S’ils ne font pas partie du conseil, ils conservent leurs fonctions pendant 6 ans.

Ainsi l’article 15 est compatible avec la solution quelle qu’elle soit que vous donnerez à l’article en discussion.

M. Dumortier, rapporteur. - Je ferai remarquer qu’il y a une autre disposition définitivement votée qui doit vous déterminer à admettre la motion de l’honorable M. de Robaulx.

L’article 2 du projet du gouvernement commençait par ces mots : « Lorsque le bourgmestre fait partie du conseil. » Vous avez supprimé ces mots ; et vous avez dit simplement : « le corps communal est composé de tant de membres dans les communes de telle population. » Par ce vote vous avez exclu la possibilité que le bourgmestre fasse partie du conseil communal. La question préalable doit donc être admise de toute nécessité. Je l’appuie ainsi que l’amendement de mes honorables amis MM. Seron et de Robaulx. Quant à l’amendement de M. le ministre de l’intérieur, il est incontestable qu’il est exclu par deux articles définitivement et irrévocablement votés.

- La motion d’ordre présentée par M. de Robaulx est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.

M. de Brouckere. - Messieurs, j’ai évité de prendre la parole dans cette discussion qui occupe la chambre depuis trois jours, parce qu’il m’avait semblé que la question avait été suffisamment débattue lors du premier vote, parce que aussi je l’avouerai, ne partageant pas l’opinion de quelques-uns de mes honorables amis avec lesquels j’ai l’habitude de voter, je me méfiais plus ou moins de moi-même.

Je me suis donc contenté d’écouter attentivement les différents discours qui ont été prononcés à l’appui de l’un et de l’autre système ; et je dois avouer à la chambre que je suis resté convaincu, comme je l’étais lors de la première discussion, qu’il peut se présenter des circonstances dans lesquelles il convient d’autoriser le gouvernement à prendre le bourgmestre hors du conseil communal.

Déjà vous avez entendu un honorable adversaire de l’amendement présenté par M. le ministre de l’intérieur reconnaître que de tels cas pouvaient se présenter ; c’est l’honorable M. Dechamps.

Je déclare que quant à moi j’hésite d’autant moins à accorder au gouvernement la faculté de prendre le bourgmestre hors du conseil, qu’il est impossible qu’il abuse de cette faculté, parce que jamais le gouvernement n’introduira dans le conseil communal un homme en désaccord avec la majorité du conseil. Tel ne sera jamais l’intérêt du gouvernement. Cependant je conviens qu’il faut prendre des précautions afin que le gouvernement ne puisse pas abuser de la faculté qu’il est nécessaire de lui accorder.

Eh bien, il faut, selon moi, exiger trois conditions : d’abord il faut qu’il y ait des circonstances extraordinaires qui exigent que le gouvernement prenne le bourgmestre ailleurs que dans le conseil.

En second lieu, il faut que le gouvernement prenne l’avis motivé de la députation des états ; car c’est la députation des états qui est, selon moi, le mieux à même de donner une opinion justifiée en de semblables occasions ; n’oubliez pas que la députation des états est composée d’hommes élus par le peuple.

En troisième lieu, il faut que le gouvernement ne puisse prendre le bourgmestre que parmi les éligibles.

Moyennant ces trois précautions, je ne vois pas le moindre inconvénient à donner au gouvernement la faculté qu’il demande. Je crois que, dans l’intérêt de l’ordre et dans l’intérêt de certaines communes, il faut le lui accorder.

Voici donc l’amendement que j’ai formulé. J’ai tellement hésité à le soumettre à la chambre, que je ne m’y suis décidé qu’après avoir obtenu la certitude que mon opinion était partagée par plusieurs de mes honorables collègues, et entre autres par MM. Dautrebande, Fallon, de Puydt et Corbisier.

Mon amendement est ainsi conçu :

Après les mots : « le roi nomme le bourgmestre ; il le choisit dans son sein, » je propose d’ajouter :

« Néanmoins, il peut lorsque des circonstances extraordinaires l’exigent (M. le ministre de l'intérieur propose de dire pour motifs graves. Je crois que ces mots ne suffisent pas) et après avoir reçu l’avis motivé de la députation des états, le nommer hors du conseil parmi les éligibles de la commune. »

M. Dumortier, rapporteur. - Messieurs, c’est une vérité constante qui nous est enseignée par toutes les pages de l’histoire, que les révolutions ne se terminent que par la réalisation des principes qui les ont amenées. Le jour où un conseiller de la couronne s’est posé pour dire : « J’arrêterai la révolution faite par le peuple, » ce jour il a été perfide envers la couronne, traître envers la patrie. Les révolutions ne s’arrêtent pas à la voix d’un seul homme ; et quand les chambres elles-mêmes le seconderaient, elles ne les arrêteraient pas ; on peut bien pour un temps en retenir la marche, mais les faire reculer, jamais. Et que les conseillers actuels de la couronne comme les conseillers passés se pénètrent bien de cette vérité, que tous leurs efforts produiront bien une halte momentanée, une halte dans la boue, mais qu’ils n’arrêteront jamais le char des révolutions.

Messieurs, j’ai dû prononcer ces paroles pour protester contre le discours que vous avez entendu sortir de la bouche d’un membre du cabinet ; pour protester contre les paroles imprudentes prononcées à l’instant par un membre du cabinet déchu. Je plains le gouvernement qui s’entoure de conseillers professant de semblables maximes et qui renient les maximes de la révolution au moyen desquelles ils se sont élevés. Si j’étais partisan d’un autre ordre de choses, je me réjouirais des avis que l’on donne à la couronne ; mais c’est parce que je suis partisan des doctrines monarchiques, des doctrines admises par le congrès, que je plains la couronne de la voir entourée d’hommes qui méconnaissent le principe de la révolution.

Hommes du pouvoir ! vous représentez les libertés communales comme de la monnaie de billon. Mais ignorez-vous donc que ce sont les franchises municipales que le peuple réclamait ? ignorez-vous que ces libertés sont la base de toutes les autres, et que sans elles il n’y a de liberté possible chez aucun peuple ?

Lorsque dans un pays il n’existe point de pouvoir intermédiaire entre les chambres et le peuple, le despotisme franchit facilement toutes les barrières pour arriver jusqu’aux citoyens. En l’absence d’un pouvoir intermédiaire, la marche du gouvernement devient chaque jour plus subversive, parce que les hommes du pouvoir, et l’expérience nous le démontre, s’irritent de la résistance, qu’ils renient, pour se maintenir, les principes qui leur donnaient une puissance morale, et abdiquent les doctrines qu’ils professaient avant d’arriver aux affaires ; alors la guerre est déclarée formellement aux libertés publiques, et il arrive que trop souvent on les voit abuser des moyens mis entre leurs mains et faire renaître les griefs qu’eux-mêmes reprochaient à leurs adversaires avant leur arrivée.

Ce qui s’est passé pendant ces derniers temps doit vous servir d’exemple. La Belgique se trouve maintenant en présence d’événements qui ressemblent jusqu’à un certain point à l’état de choses que présentait le gouvernement précédent pendant ses premières années. Je ferai un appel à vos souvenirs et je ne reculerai pas bien loin.

Lorsque le roi Guillaume mit le pied sur le sol de la Belgique, il promit beaucoup de liberté au peuple ; il promit les libertés provinciales, communales ; et dans les premiers moments le peuple jouit en effet de beaucoup de liberté. Bientôt les partis se divisèrent, le gouvernement chercha alors à profiter de cette division pour violer ses promesses, augmenter son pouvoir et établir une foule de mesures qui toutes tendaient au despotisme. Le malheur de tous réunit les partis pour combattre le gouvernement qui avait profité de leur désunion afin de les asservir. On réclama à grands cris ces libertés, et la révolution nous les fit enfin conquérir.

Messieurs, nous passons par les mêmes phases. Vous avez fait une révolution ; vous avez joui de la liberté provinciale et communale ; mais il est douloureux de l’avouer, il existe maintenant une division entre les partis, et le gouvernement cherche aussi à profiter de cette division pour vous faire voter des lois liberticides. Toutefois, qu’il songe au passé ; qu’il sache que si on sacrifie aujourd’hui les libertés communales et provinciales, le peuple, en peu d’années, pétitionnera en masse pour les obtenir.

Malheur donc au pouvoir qui méprise les enseignements de l’expérience ! Malheur au pouvoir à qui on conseille de marcher en sens inverse des révolutions, qui prétend opposer une digue aux volontés d’un peuple qui a su conquérir sa liberté ! Malheur aux conseillers perfides qui méconnaissant l’esprit de la nation qu’ils gouvernent, prétendent lui ravir les institutions auxquelles elle attache le plus grand prix !

Messieurs, lorsque le ministère actuel fut formé, nous le saluâmes d’acclamations unanimes quand il vint prendre place sur ces bancs réservés aux conseillers de la couronne. Pourquoi cette nouvelle administration fit-elle plaisir à la chambre et au pays ? C’est que l’on croyait voir dans les hommes qui la composaient la représentation de principes que le pays désirait voir mettre en action.

Je le déclare avec la franchise de mon âme, le motif pour lequel je voyais surtout avec plaisir arriver des hommes sur le banc des ministres, c’est que, la veille de leur nomination, je leur avais entendu professer à cette tribune que les échevins devaient être nommés par le peuple, que la liberté devait régner dans la commune. Mais, quand j’ai entendu hier d’autres doctrines que je dois considérer comme les doctrines du cabinet, j’ai été singulièrement déçu de mon attente ; quand j’ai vu que le cabinet actuel ne se contentait pas de la part bien large qu’on lui a faite pour la nomination des bourgmestres, et qu’il voulait davantage, j’ai eu la triste conviction que tous les hommes qui arrivaient au pouvoir se ressemblaient, que tous abdiquaient alors leurs antécédents et oubliaient leurs vertus et leurs votes de la veille.

Toutefois, j’espère que les honorables membres de cette assemblée qui ont rendu hommage à la constitution par la nomination des échevins dans les communes, resteront fidèles aux engagements qu’ils ont pris. Ces engagements formaient en quelque sorte le programme de la nouvelle administration et nous verrons bientôt si ces engagements sont une vérité ou un mensonge.

Que veut aujourd’hui le ministère ? Non content d’avoir obtenu la nomination des bourgmestres, il veut encore pouvoir les choisir en dehors du conseil de la commune, et cela sous le prétexte de motifs graves ; en second lieu, il paraît vouloir que ce bourgmestre ait voix délibérative an sein du conseil.

D’abord, que signifient ces mots proposés par le gouvernement : « pour des motifs graves, » ou ceux-ci, proposés par l’honorable M. de Brouckere : « dans des circonstances extraordinaires » ? Motifs graves, circonstances extraordinaires, sont pour moi des expressions vagues, sont pour moi comme si elles n’existaient pas. Le gouvernement, quand il aura fait une nomination dans des circonstances quelconques, pourra toujours invoquer les circonstances extraordinaires ou les motifs graves. Il ne faut pas que la chambre se laisse prendre dans de pareils pièges : je dirai que la proposition ministérielle est une déception, et qu’elle tend à voiler aux yeux des peuples le pouvoir absolu.

Voulez-vous voir combien sont perfides les expressions qu’on vous propose ? Appliquez-les aux diverses libertés que la constitution vous assure.

Messieurs, la liberté de la presse est écrite dans votre constitution ; supposez que le gouvernement vienne vous demander le droit de la suspendre pour des motifs graves ; ne verriez-vous pas dans cette proposition la destruction de la presse ? La liberté des cultes est également inscrite dans la constitution ; seriez-vous disposés à accorder au gouvernement le droit de supprimer cette liberté dans des circonstances extraordinaires ? L’enseignement est libre ; mais si le gouvernement venait vous demander de pouvoir, quand il le croira utile, établir pour des motifs graves le monopole de l’enseignement, ne verriez-vous pas dans cette prétention l’anéantissement de la liberté de l’enseignement ? L’élection libre des membres des chambres est la condition indispensable pour obtenir une représentation nationale ; mais si le gouvernement venait vous demander de nommer par lui-même les membres de cette chambre dans les circonstances extraordinaires, ne verriez-vous pas là la suppression de toute représentation nationale ?

Les juges sont inamovibles ; eh bien, que diriez-vous du gouvernement s’il venait vous demander de pouvoir dans des circonstances extraordinaires méconnaître ce principe, nommer d’autres juges, et par conséquent remplacer les magistrats par des commissaires et créer des cours prévôtales ?

Vous comprenez par là la valeur de l’amendement du ministre et la proposition de M. de Brouckere qui ne vaut pas mieux ; cet amendement est un leurre ; mieux vaudrait nous déclarer franchement ce que l’on veut, que de prendre des détours indignes de hauts fonctionnaires, indignes surtout de la représentation nationale.

Le bourgmestre, dit-on, ne pourra être pris que parmi les éligibles. Mais réfléchissez que dans les communes de 400 habitants (et c’est le plus grand nombre), les électeurs étrangers sont éligibles ; ainsi, le gouvernement pourra, à son gré, leur imposer un bourgmestre étranger, un homme que repousse la population ! imposer à une commune un homme qu’elle n’a pas choisi, qui ne lui convient pas, dont les électeurs ne veulent pas, c’est lui imposer un commissaire du gouvernement et non lui donner un bourgmestre.

Ce n’est pas tout : ce bourgmestre aura voix délibérative ! C’est ici que j’appelle votre attention pour vous montrer combien le despotisme a fait de progrès en peu de temps.

Sous le congrès un projet de loi avait été présenté pour donner au gouvernement la nomination exclusive des bourgmestres ; mais d’après ce projet le bourgmestre ne pouvait prendre part aux délibérations du conseil, parce qu’aux termes de la constitution les conseillers doivent être élus. Vous pouvez bien en effet donner au gouvernement le droit de faire un agent municipal, mais non de faire un conseiller. Cette vérité avait été sentie par la commission chargée de préparer le projet de loi communale que nous discutons en ce moment ; car elle proposait d’accorder au Roi la nomination du bourgmestre en dehors du conseil, mais sans lui attribuer voix délibérative dans ce conseil. Cela est écrit dans le projet qui nous a été distribué par le gouvernement lui-même.

Aujourd’hui on a moins de scrupules ; on ne recule pas devant les dispositions liberticides ; on marche d’abus en abus, et il y a loin du premier projet à ce que l’on veut obtenir. Je le demande, la proposition ministérielle n’est-elle pas évidemment opposée et au texte et à l’esprit de la constitution ? Vous l’avez si bien compris, que dans la loi d’organisation provinciale vous avez déclaré de la manière la plus formelle que le gouverneur, nommé par le Roi, n’aurait pas voix délibérative dans le conseil de la province ; or le conseil provincial est à la province ce que le conseil communal est à la commune : l’identité est complète. Vous ne pouvez donc autoriser le gouvernement à donner voix délibérative au bourgmestre dans le conseil, pas plus que vous n’aviez le droit d’accorder ce pouvoir au gouverneur dans le sein du conseil provincial.

Je vous le demande, messieurs, si le gouvernement venait vous dire : Les ministres que le Roi nommera en dehors de cette assemblée auront voix délibérative dans la chambre comme les représentants élus par le peuple, ne repousseriez-vous pas de toutes vos forces une telle prétention ? eh bien, ce que le ministre demande pour les bourgmestres est la même chose.

On a prétendu qu’il y avait de graves inconvénients à ce que le peuple pût donner l’institution aux bourgmestres ; que le peuple pourra choisir pour magistrats des gens qui ne savent ni lire ni écrire ; que le peuple ne ferait que de mauvais choix ; que le conseil communal lui-même demanderait un bourgmestre pris hors de son sein et désigné par le gouvernement ; ou bien on a prétendu qu’il se trouverait des bourgmestres qui ne sauraient ni lire ni écrire. Je déclare qu’une pareille assertion est une calomnie envers le peuple belge.

Un tableau statistique des communes vous a été présenté. Eh bien, sur les neuf mille bourgmestres et échevins qui existent en Belgique, il n’y en a que trois qui ne savent ni lire, ni écrire, et encore ce sont des échevins et non des bourgmestres. Est-il un pays en Europe qui puisse offrir de pareils résultats, et peut-on dire, d’après cela, que les communes manqueront d’individus aptes aux fonctions municipales ?

Qui mieux que le peuple connaît les hommes qui conviennent à ses affaires, qui sauront diriger les intérêts de la localité ? Si quelques doutes pouvaient exister à cet égard dans l’esprit de quelques membres, je les prierais de comparer les bourgmestres actuels élus par le peuple à ceux qui existaient sous le roi Guillaume, et ils verraient où sont les meilleurs choix.

Je ne disconviens pas que par l’élection populaire quelques mauvais choix ont pu avoir lieu ; mais tant qu’il existera des hommes, il y aura des abus ; il faudrait supprimer l’espèce humaine tout entière pour supprimer les abus. Quoi qu’il en soit, les nominations faites par le peuple sont meilleures que les nominations faites par le pouvoir. Si nous nous livrions à l’examen des choix faits par le pouvoir exécutif, dont on nous préconise l’infaillibilité, nous serions loin d’y trouver la garantie que les ministres prétendent nous présenter ; dans cette enceinte, que de mauvais choix n’a-t-on pas signalés dans les nominations ministérielles ? Sans parler des hommes incapables des emplois auxquels on les a promus, n’a-t-on pas vu des ennemis du gouvernement obtenir de préférence les faveurs de l’administration ?

Que l’on ne nous parle pas de l’omniscience du gouvernement comme on l’a fait. Toutes ses nominations sont loin d’être aussi bonnes que celles du peuple. S’il s’est glissé quelques abus dans les élections populaires, ils sont moins nombreux que les choix détestables faits par le gouvernement depuis la révolution. Et comme les gouvernements se corrompent davantage à mesure qu’ils s’éloignent de leur origine, plus vous vous éloignerez de la révolution et plus les nominations faites par le pouvoir seront mauvaises.

Et puis, vous qui nous parlez sans cesse des mauvais choix du peuple, répondez ! Ce peuple qui fait de si mauvais choix, n’est-ce pas lui qui vous a distingué dans la foule, qui vous a envoyé dans cette enceinte ? Si le peuple ne fait que de mauvais choix, c’est donc celui qu’il a fait de vous qui est mauvais, vous qui sacrifiez ici ses intérêts.

Si le peuple faisait de mauvais choix, que ferait donc cette assemblée qui est une émanation dus peuple ? Messieurs, c’est un véritable outrage à la représentation nationale que de venir dire devant elle que le peuple ne sait pas choisir ses mandataires. (C’est vrai ! c’est vrai !)

Ce que chacun de nous doit reconnaître, c’est que dans une commune, le premier besoin est l’harmonie entre les habitants et ses mandataires, et surtout l’harmonie au sein du conseil municipal ; or, n’est-il pas manifeste que si le gouvernement a la faculté d’imposer à ce conseil une personne qui n’a pas reçu le baptême de l’élection populaire, ou même que le peuple a repoussée, lors de l’élection, elle sera en hostilité constante avec le conseil ? J’en appelle sur ce point à ceux de nos honorables collègues qui sont bourgmestres ; j’en appelle au cri de leur conscience ; je leur demande si la position d’un bourgmestre serait tenable, s’il était imposé au conseil ? je leur demande si l’administration municipale y gagnerait quelque chose, et si au contraire une telle nomination ne serait pas une calamité pour la commune ?

Je vois que plusieurs bourgmestres font des signes affirmatifs. J’ajouterai que je connais des faits qui ne permettent aucune espèce de doute à cet égard et qui prouvent jusqu’à l’évidence le vice du système ministériel. J’en citerai un seul bien digne de votre attention.

Dans une des grandes villes de la Belgique le gouvernement hollandais crut devoir faire usage de la faculté qu’il s’était arrogé de choisir le bourgmestre en dehors du conseil communal ; la personne qu’il désigna était une des plus honorables de l’époque ; c’était un homme qui à la tribune nationale avait défendu les libertés publiques avec un talent supérieur ; un homme qui, plutôt que d’abandonner sa commune, avait refusé les premières fonctions de l’Etat ; certes on ne pouvait offrir plus de garanties à cette ville en lui donnant un tel bourgmestre : eh bien, cet homme qui jouissait de la considération de la Belgique entière et qui la méritait, fut loin de trouver de l’appui dans ses collègues ; il était regardé par eux avec défiance, et comme un intrus dans le conseil : on voyait en lui presque un espion. Quelques mois s’écoulèrent de la sorte : alors une place de conseiller vint à vaquer ; il se met sur les rangs pour l’obtenir ; il est élu membre du conseil ; il a passé par l’épreuve électorale, il a reçu le baptême de l’élection populaire ; dès lors toutes les difficultés disparaissent, il est regardé comme un des meilleurs magistrats qui aient jamais administré la cité.

Cet exemple est frappant et chacun de nous peut en connaître de semblables. Il prouve jusqu’à l’évidence combien est dangereuse pour la liberté et pour l’ordre la proposition que vient préconiser le ministère. D’ailleurs, je ferai remarquer que cette proposition qu’on vient soutenir avec audace devant une chambre sortie de la révolution, on n’a pas même osé la présenter en France, là, messieurs, où le peuple devait conquérir ses libertés communales.

En France où le peuple était en quelque sorte postulant au pied du trône les libertés qu’on voudrait bien lui octroyer, le ministère n’a pas osé présenter une semblable disposition et on veut la proposer à la Belgique qui n’a pas à solliciter ses libertés du pouvoir royal, car elle les avait conquises avant qu’il ne fût établi, à la Belgique qui lui en fait aujourd’hui le sacrifice.

La loi française porte que les maires et adjoints seront choisis parmi les membres du conseil municipal, et qu’ils ne cesseront pas pour cela d’en faire partie. Le ministère n’a pas craint de voir insérer cette disposition dans la loi communale, et nos ministres qui sont sortis de la révolution, qui représentent une couronne sortie comme eux de la révolution, sont occupés à pétitionner des concessions en faveur du pouvoir royal ; ils ne rougissent pas de demander au peuple belge la renonciation à cette liberté que le Roi a cru pouvoir octroyer de sa propre largesse aux communes de France.

Mais, dit-on, cela présente des difficultés immenses. Et quelles sont ces difficultés immenses ? les voici : Ou personne ne voudra accepter les fonctions de bourgmestre, ou le conseil fera la demande au gouvernement de choisir un bourgmestre hors du sein du conseil. C’est à cela que se réduisent les arguments du ministre de l’intérieur. Il est facile d’y répondre.

Si personne ne veut accepter les fonctions de bourgmestre, le premier échevin en remplira les fonctions.

- Un membre. - Si personne ne veut être échevin ?

M. Dumortier, rapporteur. - Je pourrais dire aussi : Si personne ne veut être député ?

M. Gendebien. - Et si personne ne veut être électeur ?

M. Dumortier, rapporteur. - J’ajouterai encore : Si personne ne voulait être citoyen ? (On rit.) Voilà où on arrive, à l’absurde, avec les théories ministérielles.

Pour moi, je prends les choses comme elles sont. Si personne ne veut être bourgmestre, jusqu’à ce qu’on en ait pu nommer un, le premier échevin le remplace aux termes de votre loi ; et à défaut d’échevin, toujours aux termes de cette loi, c’est le premier conseiller inscrit au tableau. D’ailleurs, c’est un fait qui n’est jamais arrivé. Cependant, durant dix années, nous avons été régis par une loi qui contenait la disposition présentée par MM. Seron et de Robaulx, et jamais nous n’avons vu qu’un conseil manquât de personnes qui voulussent accepter les fonctions de bourgmestre.

J’arrive à la seconde objection : si le conseil vient demander au gouvernement de choisir le bourgmestre hors de son sein. Un conseil viendra faire une pareille demande ! Eh quoi ! pouvez-vous imaginer un conseil assez stupide pour venir dire au gouvernement : Nous sommes tous des imbéciles, il n’est parmi nous personne de capable de remplir les fonctions de bourgmestre, nous vous demandons de le choisir hors du conseil ! Messieurs, c’est par trop fort ! Il n’y a pas à répondre à un pareil argument.

Voila cependant les grands arguments du ministre de l’intérieur, les grands mots au moyen desquels on veut effrayer la chambre ; c’est ainsi qu’on veut vous amener à sacrifier, à immoler les libertés publiques que le peuple vous a chargés de venir défendre. Quand on en fait si peu de cas, on peut dire, comme M. de Mérode, que c’est de la monnaie de billon.

Messieurs, à l’appui de la proposition du gouvernement on a invoqué la responsabilité ministérielle, comme si cette responsabilité ministérielle avec deux ou trois autres libertés devait suffire, comme si, lorsqu’on a des ministres responsables, une chambre exerçait un contrôle, car ce n’est qu’un contrôle qu’on lui accorde, des tribunaux inamovibles et la liberté de la presse, on avait tout obtenu, on n’avait plus besoin de rien.

Messieurs, il faut faire de la responsabilité ministérielle le cas qu’elle mérite ; il ne faut pas la répudier, parce qu’elle est nécessaire dans un gouvernement représentatif, mais seulement comme objet de crainte, car en réalité il y a bien peu d’exemples de cas de responsabilité ministérielle mis à exécution.Mais enfin, puisqu’on nous vante la responsabilité ministérielle, voyous quelle influence elle aura.

Vous nous citez des lois au moyen desquelles le gouvernement serait responsable, et vous vous écriez ensuite : Voulez-vous que le gouvernement ne soit pas responsable de l’exécution des lois ? Sans doute, le gouvernement ne saurait être responsable de la non-exécution de lois dont l’exécution n’a pas été déférée aux ministres. Les ministres ne peuvent pas être responsables d’un fait dont la loi les décharge. Si, dans l’organisation communale, la chambre décidait que les bourgmestres sont chargés de l’exécution des lois administratives, les ministres ne pourraient pas être mis en accusation parce qu’un bourgmestre n’aurait pas exécuté une loi.

Les lois énumérées par l’honorable M. Lebeau, et les quatre cents autres qu’il a dit exister, sont de simples lois de police. Prétendez-vous qu’aujourd’hui que l’autorité communale est nommée par le peuple, aucune de ces lois ne soit exécutée ? Comment donc les choses se passent-elles en Angleterre, aux Etats-Unis, en France ? Est-ce qu’en Angleterre les lois ne sont pas exécutées ? Cependant les maires et les aldermen sont nommés par le peuple sans aucune exception ; le gouvernement n’a pas même à choisir dans le conseil ni sur présentation du conseil, il n’intervient en rien dans les nominations. Aux Etats-Unis, la même chose. En France, le maire est choisi dans le sein du conseil. Eh bien, les lois sont-elles moins exécutées là qu’ailleurs ? Non certainement, et en France, et en Belgique elles n’ont jamais été mieux exécutées que depuis la révolution.

D’ailleurs à quoi s’applique la responsabilité ministérielle ? A des crimes, si les ministres peuvent être accuses de haute trahison ou de concussion. Si des ministres provoquaient à la non-exécution de la loi, alors il y aurait lieu à responsabilité.

Mais ce n’est pas quand des bourgmestres refuseraient d’exécuter une loi, qu’on pourrait invoquer la responsabilité ministérielle, pas plus leur responsabilité morale que leur responsabilité effective. Jamais on ne voudra invoquer pareille responsabilité ; on pourra dire : Vous avez fait de mauvais choix, mais jamais on n’ira dire : c’est vous qui n’avez pas exécuté une telle loi. Si la responsabilité ministérielle s’étendait jusque-là, comment pourriez-vous trouver une personne qui voulût accepter les fonctions de ministre ? Le ministre des finances, par exemple, a sous ses ordres six mille employés qui tous manient les deniers publics : eh bien, si un agent subalterne venait à se sauver avec sa caisse, pourriez-vous le rendre responsable de ce fait et lui dire : C’est vous qui avez volé les deniers de l’Etat ?

C’est pourtant à cela qu’aboutirait la doctrine professée par l’honorable M. Lebeau. En pareil cas, on pourra blâmer le ministre d’avoir négligé de surveiller cet employé, si toutefois il y a eu négligence de sa part ; on pourra le blâmer d’avoir choisi une personne qui ne méritait pas la confiance du pays, mais on ne pourra jamais le rendre responsable du vol commis.

Il faut prendre la responsabilité ministérielle telle qu’elle est et telle qu’elle doit être. Les ministres doivent être responsables des actes qu’ils commettent et non de ceux qui sont commis par d’autres. Rappelez vos souvenirs : quand nous eûmes occasion de parler de ces tristes événements qui ont signalé les premiers mois de l’an dernier, sommes-nous venus dire aux ministres : C’est vous qui êtes responsables des pillages de Bruxelles, c’est vous qui avez pillé ? Non, nous ne sommes pas venus dire cela.

Nous vous avons dit : Vous avez violé la constitution en ordonnant l’exclusion de divers étrangers malgré la constitution. Voilà l’acte pour lequel on vous a accusé, mais non pour des actes auxquels vous étiez étrangers. Nous avons blâmé votre inertie, votre incurie dans l’affaire des pillages, mais nous ne vous avons pas accusés de ce que vous n’aviez pas fait. L’accusation avait pour objet l’acte sur lequel vous aviez apposé votre signature. Jamais la responsabilité ne s’entendra d’une autre manière.

Au surplus la manière dont les accusations sont reçues dans cette chambre, alors que les lois sont violées de la manière la plus manifeste, ne donne pas une grande force au palladium de nos libertés qu’on appelle responsabilité ministérielle.

Mais dit-on, ne voulez-vous plus d’unité nationale, voulez-vous constituer chaque commune en petite république ? Où avez-vous vu cela ? Ces faits, c’est vous qui les imaginez pour démonétiser le projet de loi, pour jeter des terreurs et des craintes dans les âmes des hommes faibles.

C’est un système que depuis longtemps vous avez adopté. Jamais personne n’a voulu constituer les communes en autant de petites républiques, jamais personne n’a entendu rompre l’unité nationale. Ce qui constitue l’unité nationale, c’est la loi, et pouvez-vous contester que la chambre a pris toutes les mesures possibles afin d’assurer l’exécution des lois, et que quand elle a eu à se prononcer sur ce point, elle a fait une part assez large au pouvoir ?

Quant à l’unité nationale elle dépend des chambres et du pays. Tout à l’heure, il me sera facile de démontrer que le ministère tend à la fausser en confisquant les libertés communales au profit du pouvoir exécutif.

Mais écoutez parler l’honorable M. Lebeau : On a, dit-il, restreint la prérogative du gouvernement.

J’avoue que je n’aurais pu comprendre comment on peut avancer des faits aussi inexacts. Cette prérogative dont vous nous parlez, où est-elle ? La constitution ne donne aucune autre prérogative à la couronne dans les affaires de la commune. Il est donc inexact de venir dire que la chambre veuille restreindre la prérogative du gouvernement. Examinez les articles que nous avons adoptés. N’avez-vous pas admis que le gouvernement peut annuler tous les actes ? N’avez-vous pas admis par une disposition toute de violence, toute de rigueur, que si une commune refusait de porter telle on telle somme à son budget, le gouvernement pourrait l’exiger d’office ? que la députation provinciale ferait un mandat qui serait payé d’office par le receveur communal ?

Vous avez, dans vos prévisions de cas de force d’inertie, autorisé l’envoi dans la commune d’un commissaire pour forcer l’exécution de la loi. Voilà des droits monstrueux qu’on vous a donnés sur les actes. Jamais dans aucun pays du monde a-t-il existé un pouvoir aussi exorbitant contre les communes ? Cela n’eut jamais lieu autre part qu’ici. Les actes des communes sont tous exactement soumis à l’action du gouvernement. A quoi lui servirait aujourd’hui l’action sur les personnes qu’il vient demander ?

Ne voyez-vous pas que le but du gouvernement est de tenir dans sa main toutes les consciences des fonctionnaires, afin d’avoir le droit de révoquer tout fonctionnaire communal qui ne se conduirait pas servilement suivant ses instructions ?

On a dit que la première liberté d’un pays consistait dans la libre élection de la représentation nationale. En effet qui a fait jusqu’ici la force du gouvernement ? C’est que la représentation nationale était la parfaite image du pays. Mais le jour où le gouvernement aura obtenu le droit de nomination et de révocation des fonctionnaires communaux, le jour où il pourra leur dire : Si vous ne votez pas pour mon candidat, je vous destitue, ce jour-là le pouvoir électoral passera des mains du peuple en celles du gouvernement et de ses commissaires de district, et le gouvernement représentatif sera sapé par sa base.

Réfléchissez, messieurs, il existe en Belgique 3,000 communes environ ; vous donneriez donc au gouvernement la faculté de nommer, suspendre et révoquer 3,000 bourgmestres qui sont autant d’électeurs ; il existe en Belgique 6,000 échevins, conséquemment 6,000 électeurs. Voilà donc 9,000 fonctionnaires presque tous électeurs, que vous mettez à sa disposition, que vous inféodez au pouvoir. Ajoutez à cela les secrétaires, etc. Est-il encore après cela une élection possible ?

Faites-y bien attention, messieurs, cette question est peut-être la plus grave qui ait encore été traitée dans cette chambre. Le jour où vous accorderez au gouvernement de pareils droits sur 10,000 électeurs, ce jour-là il n’y aura plus d’élection libre possible ; le gouvernement représentatif sera un mensonge, et la constitution un vain mot, Ce jour-là, le palladium de toutes nos libertés sera détruit. Envisagez le gouvernement constitutionnel comme il doit l’être ; placez-vous sur le haut de la montagne, et voyez ce que sera alors la Belgique. Elle ne sera plus qu’un amas de bourgs-pourris, et cette chambre sera aussi une chambre-pourrie (Mouvement.)

Oui, voilà ce que vous serez quand le gouvernement pourra dire à chaque échevin électeur : Si vous ne nommez pas tel candidat, vous serez suspendu ou révoqué. Quel sera le but d’un pareil système ? Ce sera de maintenir au pouvoir les gens qui veulent gouverner le peuple malgré le peuple. Donnez au gouvernement le moyen de faire parti, il ne manquera pas de le devenir. C’est le système d’un gouvernement qui veut marcher contre le vœu public.

Voyez ce qui arrive en France. Le ministère ne peut parvenir à se former. En Angleterre, le parti tory veut lutter en vain contre le parti populaire. En Belgique pareille chose arrivera, parce que le gouvernement emploiera des agents serviles, indignes de la confiance publique.

Et c’est lorsque la France cherche à acquérir les libertés qui lui manquent, lorsque l’Angleterre procède avec force à sa régénération ; c’est lorsque l’Espagne et le Portugal combattent pour la liberté que vous, qui en jouissez dans toute sa plénitude, allez en faire le sacrifice au pouvoir. Fallait-il, grands dieux, que je dusse voir ma patrie donner un pareil exemple à l’Europe, fallait-il que la Belgique, à peine arrivée au seuil de la liberté, reculât par la perfidie du gouvernement qu’elle s’est créé ! Funeste leçon pour la postérité que celle d’une représentation nationale qui abdique aujourd’hui les libertés que le peuple a conquises hier au prix de son sang, qui tue cette liberté dans ce qu’elle a de plus cher et de plus sacré, qui détruit par sa base tout l’édifice de la constitution. Oui, si vous avez la faiblesse d’accorder au gouvernement ce qu’il vous demande aujourd’hui, avant deux ans vous n’aurez plus de représentation nationale en Belgique.

L’honorable député de Mons a avancé que le régime communal que le gouvernement veut introduire en Belgique est moins libéral encore que le régime hollandais. Cette assertion a paru chatouiller désagréablement les oreilles du cabinet. Ces messieurs veulent bien assassiner toutes les libertés, mais ils ne veulent pas qu’on le leur dise. Cependant je maintiens pour très exacte l’assertion de mes honorables collègues, et il me semble qu’il est facile de le démontrer. Voyons si le ministère actuel est moins favorable aux libertés publiques que le gouvernement de Guillaume.

Dans le projet de loi communale présenté par le gouvernement, il existe des dispositions de deux sortes : les unes prises de la constitution, les autres proposées par le gouvernement. Il importe donc de distinguer ce que nous devons au congrès et ce que nous devons aux ministres.

Que devons-nous au congrès ? Le principe d’élection directe, l’attribution au conseil de ce qui est d’intérêt communal, et cela vous l’avez singulièrement rogné. Que devons-nous au gouvernement belge ? C’est d’abord la demande de choisir le bourgmestre hors du sein du conseil tandis que, sous Guillaume, non seulement le bourgmestre était choisi dans le sein du conseil, mais encore sur une triple liste de candidats. Vous vous placez donc quant aux bourgmestres à cent pieds au-dessous du gouvernement de Guillaume. Les échevins devaient être nommés par le roi, sur présentation en liste triple par le conseil ; c’est là ce que nous devions à Guillaume. Que devons-nous au gouvernement belge ? de nommer les échevins sans présentation aucune du conseil.

Maintenant les anciennes lois de Guillaume autorisent-elles le gouvernement à suspendre ou à révoquer les fonctionnaires municipaux ? Je défie de trouver un mot de cela dans le règlement des villes, soit ailleurs. Ce que nous devons au gouvernement belge, c’est de révoquer ad libidum, sans justice, dans tous les cas, tous les fonctionnaires municipaux qui se trouvent sur la surface belge. A coup sûr, messieurs, nous devons plus au gouvernement de Guillaume qu’au gouvernement belge. Et s’il arrive que quelques débris de liberté échappent à la tempête, c’est que le congrès leur aura assuré une arrivée au port ; sans cela on serait venu vous demander la nomination de tous les conseillers municipaux.

On ne m’accusera pas, sans doute, d’aimer le régime hollandais ; j’ai fait mes preuves à cet égard. J’ai écrit contre le gouvernement hollandais, comme l’honorable députe de Bruxelles qui vient de parler tout à l’heure, avec cette différence que je n’ai pas dit depuis que « les anciens règlements attribuaient au roi une intervention exagérée dans l’administration des localités ; » car voilà ce qu’a dit formellement l’honorable M. Lebeau, dans son ouvrage sur le pouvoir royal.

M. Lebeau. - Je l’ai dit, et je le dis encore.

M. Dumortier, rapporteur. - Avant la révolution, M. Lebeau voulait que les personnes des autorités communales fussent, « jusqu’à un certain point, » sous la dépendance du pouvoir exécutif. Maintenant il demande qu’elles soient sous la dépendance absolue du ministère. Voilà les principes qu’a conservés l’honorable M. Lebeau, après quatre années de révolution !

M. de Robaulx. - Quels principes voulez-vous qu’ait conservés M. Lebeau ? Est-ce qu’il en avait avant la révolution ?

M. Dumortier, rapporteur. - Messieurs, rappelez-vous que l’organisation communale telle qu’elle existait sous les dernières années du gouvernement hollandais, et telle que le ministère la demande aujourd’hui, était un des griefs que l’on élevait contre le roi Guillaume.

Je vous ai cité tout à l’heure un passage d’un écrit de M. Lebeau, auquel on a tant applaudi quand il a paru, et dont j’ai moi-même fait alors un grand éloge, écrit dans lequel il signale comme un grief contre le roi Guillaume l’organisation communale. Permettez-moi de vous citer maintenant l’opinion de M. Van de Weyer, notre ambassadeur à Londres.

M. de Robaulx. - Il n’a changé non plus celui-là ! (On rit.)

M. Dumortier, rapporteur. - Dans sa lettre sur la révolution belge, en énumérant les griefs de la nation, M. Van de Weyer s’exprime ainsi :

« Le roi Guillaume usurpa la nomination des magistratures urbaines et introduisit et dans les règlements municipaux des dispositions diamétralement contraires à la constitution. »

Ainsi, vous le voyez, la conduite du gouvernement à l’égard des administrations communales est l’un des griefs énumérés contre lui.

Le même M. Van de Weyer s’exprimait ainsi dans sa lettre à lord Aberdeen :

« La nation batave n’était guère plus satisfaite que les Belges. L’aversion des véritables Hollandais ne fut pas moins grande et ils n’en virent pas avec moins de déplaisir les usurpations du pouvoir royal sur les libertés provinciales et communales. »

Voilà comment on s’exprimait ! Voilà les griefs que l’on alléguait contre le gouvernement de Guillaume. Ces griefs, moi-même je les ai signalés ; à cette différence des ministres que mes opinions sont restées les mêmes ; j’étais Belgicus alors.

Je le suis encore aujourd’hui ; et ces griefs je les combattrai aussi fortement, quand le gouvernement actuel veut les faire renaître ; car les mêmes causes ne manqueraient pas de produire les mêmes effets. Une révolution en serait encore tôt ou tard l’inévitable conséquence.

Que demandait-on sous le roi Guillaume ? Que l’on rétablît les premiers règlements, c’est-à-dire que l’on se conformât aux principes que tend à faire prévaloir l’amendement de MM. de Robaulx et Seron, principes seuls rationnels et les seuls que l’on puisse admettre.

Puisque le bourgmestre doit présider ses collègues, il doit être pris dans leur sein et avoir leur assentiment en étant présenté par eux ; autrement ce serait un intrus, un usurpateur. Ce système a régi la Belgique pendant ses plus belles années, et jamais l’ordre n’a été plus parfait, jamais les lois n’ont été mieux exécutées, jamais les institutions communales n’ont mieux répondu aux besoins des localités.

Quoi que vous puissiez dire, jamais vous ne persuaderez au peuple que la loi dont nous nous occupons soit une loi libérale. Si vous consentez à admettre les principes que le ministre veut faire prévaloir, si vous considérez que d’après son système le bourgmestre serait nommé par le Roi, sans présentation de la part du conseil communal, que les échevins seraient également nommés par le gouvernement ; si vous considérez. d’un autre côté que le gouvernement aurait un pouvoir illimité de suspendre et de révoquer les administrateurs de la commune, vous demeurerez convaincus que jamais on ne pourra faire croire au peuple que la loi communale est une loi libérale ; au contraire, il n’échappera pas à la nation que cette loi consomme le sacrifice de nos franchises communales.

Rappelez-vous, messieurs, que toutes les révolutions en Belgique, depuis un temps immémorial, ont eu pour cause des infractions aux libertés communales. Si vous avez la faiblesse de consentir à ce que le gouvernement vous demande, les mêmes causes, je le répète, auront les mêmes effets. Les ministres peuvent changer ; mais les peuples ne changent pas.

Comme on l’a dit, les révolutions ne se font pas, elles arrivent. Quand on veut s’opposer à leur marche, quand on veut arrêter le char des révolutions, on peut bien l’arrêter, le retarder un moment, mais il finit toujours par marcher.

Ainsi du vote que vous émettrez sur cette loi dépend l’avenir de la Belgique.

Si vous avez la faiblesse d’adhérer au sacrifice que l’on vous demande de nos libertés ne doutez pas qu’il n’y ait une réaction dans le pays, comme il y en a eu sous le roi Guillaume. Vous verrez renaître le même pétitionnement auquel pour la plupart vous avez coopéré ; avant quelques années un déluge de pétitions viendra inonder cette tribune et signaler les violations de la constitution et en demander le redressement.

Déjà plusieurs pétitions ont été adressées à la chambre pour demander le maintien des libertés communales ; je vous demanderai la permission de vous lire un passage de l’une de ces pétitions. Écoutez la voix du peuple…

(Moniteur belge n°73, du 14 mars 1835)- Un membre. - Quel peuple ?

M. Dumortier, rapporteur. - Le peuple de Verviers. (On rit.) Celui qui a versé son sang à Ste-Walburge pour la liberté.

Voici un passage de cette pétition : « Il est évident que de l’organisation communale émanent presque toutes les sources de liberté, car les communes étant vassales du pouvoir, la majorité des garanties consacrées par la constitution s’échapperait comme un vain fantôme. Au surplus, si le gouvernement nommait aux places de bourgmestres et échevins, les franchises, les libertés des communes seraient anéanties et les intérêts généraux détournés comme sous Guillaume au profit des spécialités. Nous osons croire, messieurs, que, fidèles à votre mandat, vous ne sanctionnerez pas par un vote affirmatif une loi qui tend à livrer pieds et poings liés l’autorité communale à la discrétion du pouvoir central, mais qu’au contraire, fidèles au peuple dont vous êtes les représentants, vous ferez tous vos efforts pour affranchir les communes de tout ce qui peut entraver leur marche libre et constitutionnelle, abandonnant au pouvoir judiciaire le soin de réprimer toute exaction de leur part. »

Voilà, messieurs, ce que l’on attend de vous ! Mais si vous êtes assez faibles pour accorder ce que l’on vous demande, il en résultera, ou que le gouvernement sera obligé de revenir sur son premier système, ou qu’il lui faudra dire : Je maintiendrai. Si le gouvernement revient sur ce qu’il a fait, c’est pour lui une position fâcheuse, mieux aurait valu pour lui qu’il n’empiétât pas sur les libertés publiques. S’il dit : Je maintiendrai, nous savons où conduit une pareille déclaration.

En finissant, je veux vous rappeler qu’avant deux mois vous paraîtrez devant les électeurs, devant ceux qui vous ont envoyés dans cette enceinte. Songez que le peuple vous demandera compte des libertés que vous paraissez disposés à sacrifier, qu’il vous demandera compte de chacun des votes que vous avez émis.

Songez que nous sommes cette chambre qui a passé sous silence une dissolution alors qu’en Angleterre on vient de stigmatiser une dissolution assurément plus motivée que l’avait été la nôtre !

Songez que nous sommes cette chambre qui chaque année a augmenté les dépenses d’une manière effrayante, qui a prorogé indéfiniment l’inamovibilité des juges de paix !

Songez que c’est nous qui avons eu la faiblesse de laisser passer sous silence la convention de Zonhoven, un des actes les plus humiliants du gouvernement ; qui avons passé sous silence les expulsions, les extraditions illégales ; qui avons passe sous silence les destitutions de mandataires du peuple à l’occasion de votes émis dans cette enceinte !

Voilà les votes dont les électeurs vous demanderont compte ! N’ajoutons pas à tout cela le sacrifice des libertés communales !

Que chacun de vous se félicite d’avoir voté selon son opinion personnelle, soit ; mais songez que les électeurs vous demanderont si votre opinion concorde avec la leur.

Avant peu de jours vous serez appelés à leur rendre compte de votre mandat ; après cela voyez, voyez, si vous voulez consommer le sacrifice des libertés publiques.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’honorable préopinant vient de finir d’une manière extrêmement pathétique ; mais heureusement pour cette chambre, déjà trois fois les électeurs ont eu de se prononcer sur le compte de la plupart de ses membres, leur opinion est donc suffisamment connue.

Je crois que ce ne sont pas les défenseurs de l’ordre qui ont à redouter en Belgique le jugement des électeurs. (Aux voix ! aux voix !)

Je ne dirai que ceci sur le long discours de l’honorable préopinant ; je passe aux amendements qui ont été présentes, et sur lesquels je ne dirai que deux mots.

L’amendement de l’honorable M. Dechamps n’est pas admissible en pratique, parce que d’une part il est impossible que le gouvernement puisse constater que chacun des membres du conseil communal refuse d’accepter les fonctions de bourgmestre, et que d’autre part il serait fâcheux que le conseil municipal fût obligé à délibérer sur la nécessité de prendre un bourgmestre hors du conseil, alors que, dans son sein, un membre qui ne serait pas agréable au conseil communal viserait à ces fonctions.

Quant à l’amendement de l’honorable M. de Brouckere, il est à peu près le même que celui que j’ai eu l’honneur de proposer.

Il dit : « lorsque des circonstances extraordinaires l’exigent ; » je dis : « pour des motifs graves. » Je me sers de ces dernières expressions, parce qu’elles sont déjà employées dans la loi communale lorsqu’il s’agit de dispenses pour le cumul des places de secrétaire et de receveur communaux.

On propose de nommer le bourgmestre parmi les éligibles ; c’est ce que je propose aussi.

Quant à l’avis de la députation des états, il peut être envisagé de plusieurs manières : il peut être envisagé comme un moyen de couvrir sa responsabilité du gouvernement lorsque le choix est fait en dehors du conseil, de sorte que cette proposition n’affaiblit pas celle que j’ai présentée.

Si l’amendement de M. de Brouckere est mis aux voix, je déclare que j’en voterai l’adoption.

- De toutes parts. - Aux voix ! aux voix ! la clôture !

M. Dubus. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.

Je remarque que dans les trois amendements présentés par le ministre, par M. de Brouckere et M. Dechamps ne se trouvent pas les mots qui terminaient la disposition semblable qui était dans le projet du gouvernement. Vous savez que dans ce projet on proposait aussi la nomination du bourgmestre en dehors du conseil mais l’article se terminait ainsi : « Dans ce dernier cas il n’a que voix consultative au conseil. » Eh bien, je demande que les trois amendements soient mis aux voix avec l’addition de cette phrase. Remarquez que l’article 15, de l’aveu de tout le monde, est irrévocablement adopté et ainsi conçu :

« Le bourgmestre et les échevins sont également nommés pour le terme de 6 ans ; toutefois ils perdent cette qualité si, dans l’intervalle, ils cessent de faire partie du conseil. »

Au premier aperçu, l’idée dont on est frappé, c’est que cet article est exclusif des trois amendements ; mais M. de Brouckere pense le contraire. Si le bourgmestre, a-t-il dit, est nommé en dehors du conseil, il ne perd pas sa qualité puisqu’il ne peut cesser d’en faire partie. Dans le sens de l’honorable membre il faut que le bourgmestre n’entre pas dans le conseil quand il est pris en dehors de ce conseil ; mais selon la thèse du ministre de l’intérieur il en est autrement, et le bourgmestre aurait même voix délibérative.

Vous le voyez, si vous ne mettez pas aux voix les amendements avec la phrase que j’ai prise dans le projet du gouvernement, vous vous trouverez en contradiction avec l’article 15. Je crois que M. de Brouckere reconnait la nécessité d’ajouter cette phrase à son amendement. (M. de Brouckere fait un signe affirmatif.) J’attends la même déclaration de M. le ministre de l’intérieur et de M. Dechamps.

M. de Brouckere. - Je déclare que, dans mon opinion, lorsqu’un bourgmestre est nommé en dehors des membres du conseil, il ne doit pas avoir voix délibérative. Telle a toujours été ma pensée.

M. Dechamps. - J’accorde aussi qu’il faut ajouter la phrase.

M. Gendebien. - Mon intention n’est pas de m’opposer à la clôture. Je m’aperçois que la chambre est fatiguée, et je suis moi-même peut-être plus fatigué qu’elle. Je pourrais répondre à des faits personnels ; je pourrais prouver que le gouvernement, qui se qualifie hypocritement de libéral, est moins libéral que le gouvernement du roi Guillaume. En faisant cette preuve, on ne pourra pas se permettre de dire que je défends ce roi Guillaume ; j’ai coopéré à le chasser ; j’ai coopéré deux fois à l’empêcher de revenir ; j’ai droit de comparer son gouvernement au nôtre, pour montrer les vices de ce dernier, et je ne reconnais à personne ici le droit d’accuser mes intentions à cet égard.

Qu’il me soit permis de dire deux mots sur l’amendement de M. Dubus. Le ministère paraît révoquer en doute le fondement de la motion d’ordre de cet honorable membre : il me semble que l’article 108 de la constitution résout la question.

M. Rogier. - C’est rentrer dans la discussion.

M. Gendebien. - Je parle sur la motion d’ordre. Dans une discussion aussi longue que celle qui a eu lieu, personne n’a encore dit un mot pour savoir si le bourgmestre aurait voix délibérative. Et il ne peut y avoir que ceux qui veulent violer la constitution qui soient disposés à s’opposer à ce que l’on montre dans tout son jour le vice de la proposition ministérielle.

D’après l’article 108 de la constitution il y a élection directe pour les administrations communales, et cet article n’autorise d’exception que pour le chef de l’administration ; pouvez-vous en présence d’une telle disposition, donner au gouvernement la faculté de nommer un chef en dehors du conseil et de lui donner les mêmes prérogatives qu’aux membres du conseil ? Ce n’est que par l’élection que vous procurez les droits de conseiller ; nommer un bourgmestre en dehors du conseil est possible, mais il est impossible de donner à ce bourgmestre les qualités que l’élection donne seule.

M. de Robaulx. - C’est cependant l’opinion du gouvernement.

M. Gendebien. - Il me paraît que le ministre manque de franchise et qu’il veut enlever son amendement par une espèce d’escobarderie.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Le préopinant est tellement habitué à lancer des accusations contre les ministres et contre ses collègues que je crois inutile de répondre à celles qu’il vient de lancer encore. La chambre d’ailleurs fera justice de celle-ci comme elle a fait justice des autres. (Bruit.) Lorsque quelqu’un se permet des accusations, j’ai le droit de le faire remarquer et j’use de mon droit. (Le bruit augmente et nous empêche d’entendre distinctement quelques paroles prononcées par M. Gendebien.)

Après le discours de M. Seron, ajoute le ministre de l’intérieur, je me suis énoncé clairement sur les questions qu’on renouvelle dans le débat actuel, et je crois inutile d’y revenir.

Si la constitution n’avait pas consacré le principe de l’élection directe, il est évident que la loi d’organisation communale eût pu donner au Roi la nomination de tel fonctionnaire municipal que la législature aurait jugé à propos de lui accorder ; or, la constitution consacre le principe de l’élection en posant une exception à l’égard des chefs des administrations communales. Remarquez que, s’il avait été dans l’intention du congrès d’empêcher que le chef de l’administration communale fît partie du conseil, la constitution s’en serait formellement expliquée. Elle formule au contraire une exception, et elle dit qu’il sera ultérieurement statué par la loi à l’égard des chefs des administrations communales. Je ferai observer que cela n’a pas fait question lors de l’examen de la loi d’organisation provinciale.

Divers membres avaient proposé et on aurait pu déclarer que le gouverneur serait de plein droit membre et président du conseil provincial ; c’est par motif de convenance qu’on ne l’a pas fait, parce que le gouverneur, par sa position, ayant à soutenir les intérêts généraux, ne pouvait pas être tout à la fois président et orateur. Voilà pourquoi le gouverneur ne fait pas partie du conseil provincial ; mais jamais on ne s’est opposé à ce qu’il en fût membre et même président, à prétexte d’inconstitutionnalité. Comme je viens de le dire, l’article 108 est formel ; le chef de l’administration communale peut être membre du conseil, alors qu’il n’a pas été élu par les électeurs.

M. Gendebien. - Je demande la parole sur la motion d’ordre. Si l’article 108 ne suffit pas, je vous citerai l’article 31.

M. Rogier. - On a demandé la clôture.

M. Gendebien. - Je n’ai pas demandé la clôture sur la motion d’ordre, et c’est sur la motion d’ordre que j’ai la parole.

M. Rogier. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. de Robaulx. - Eh bien, moi aussi je demande la parole pour un rappel au règlement. Si vous voulez empêcher M. Gendebien de parler, vous ne parlerez pas non plus. (Agitation.)

M. Rogier. - La clôture a été demandée sur toute la question. Un incident a été élevé par M. Dubus, qu’on a voulu détacher de la question principale ; mais l’intention des membres qui ont demandé la clôture était de la faire porter sur toute la discussion.

M. Dubus. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. Rogier. - Je demande donc qu’on mette aux voix la clôture dont la demande porte sur l’amendement complet du ministre. Les membres qui ont suivi la discussion ont bien entendu que le bourgmestre pris hors du sein du conseil aurait voix délibérative. C’est si vrai que M. Dumortier a parlé pendant plus d’une heure contre cette prétention de vouloir introduire un intrus dans le sein du conseil.

C’est sur l’article en entier que la clôture a été demandée.

M. Dubus. - On vous a demandé le rappel au règlement pour vous en proposer la violation. Ma motion d’ordre est tout à fait dans le règlement. J’ai tout restreint à la proposition des articles 6 et 15. Toute la motion d’ordre est là-dedans.

On dit qu’on avait demandé la clôture : M. le président a fait observer justement que j’avais demandé la parole pour une motion d’ordre avant que la clôture eût été demandée. On mettra la clôture aux voix quand ma motion d’ordre sera épuisée. Je n’ai invoqué ni l’article 108 ni aucun autre article de la constitution. J’invoque seulement l’article 15 voté par la chambre et sur lequel on ne peut revenir, et ma motion d’ordre est que la chambre ne peut mettre aux voix un amendement en opposition avec un article irrévocablement voté.

J’entends dire que cet article n’a pas été irrévocablement voté. L’honorable M. Rogier a demandé lui-même qu’il fût décidé que les articles auxquels il se rallierait fussent considérés comme propositions principales. L’article 15 est dans ce cas, puisqu’il s’y est rallié, et d’après l’article 45 du règlement, on ne peut plus y revenir.

Remarquez qu’on ne pourra pas répondre que l’adhésion de M. le ministre de l’intérieur Rogier sur l’article 6 était conditionnelle et subordonnée à la décision que prendrait la chambre sur l’article 15 ; car, qu’il s’y fût ou non rallié, les deux dispositions étaient en harmonie l’une avec l’autre.

Mais, si maintenant vous adoptez l’amendement de M. le ministre de l’intérieur sans y ajouter cette clause : « Dans ce dernier cas il n’a que voix consultative, » comme le ministre soutient que le bourgmestre dans tous les cas fera partie du conseil, l’article 15 se trouvera absorbé. Que l’honorable M. de Brouckere veuille bien ajouter cette clause à son amendement.

- Un membre. - C’est le rappel au règlement qui est en discussion.

M. Dubus. - Ma motion est un rappel au règlement. J’invoque le règlement, j’invoque la résolution que la chambre a prise le 10 juillet dernier ; je m’oppose à ce qu’on mette aux voix l’amendement du ministre de l’intérieur parce qu’il est en opposition avec l’article 15, irrévocablement voté par la chambre.

Plusieurs membres. - La clôture !

M. Gendebien. - Je ne comprends pas que l’on élève ainsi constamment des incidents qui font perdre plus de temps que l’on n’en emploierait à présenter de observations qui mettraient fin à la discussion.

J’ai eu l’honneur de citer l’article 108 de la constitution ; si vous le combinez avec l’article 31...

M. le président. - La clôture est demandée.

- Plusieurs membres. - Laissez parler.

M. Dumortier, rapporteur. - Je crois que l’on aurait fini en très peu de temps, si...

- Plusieurs membre. - La clôture !

M. Gendebien. - Jugulez la constitution comme vous voudrez (agitation), mais au moins laissez parler les hommes qui ont conquis la constitution.

Je proteste contre une délibération à laquelle on m’empêche de prendre part.

- Plusieurs membres. - Parlez ! Parlez !

- D’autres membres. - Non ! non ! la clôture !

M. Gendebien. - Non, je ne veux plus parler.

Je déclare franchement que c’est sur la constitution que j’avais à parler ; je n’en avais que pour un moment. Vouliez-vous que je parlasse pendant un quart d’heure sur la motion d’ordre pour glisser les deux mots que j’avais à dire sur la constitution ? Non, j’ai mieux aimé dire franchement que je n’avais pas à parler sur la motion d’ordre.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Si la clôture est demandée sur toute la discussion, il faut que la clôture ait lieu ; il faut que la majorité de la chambre fasse respecter sa volonté. Il ne se peut que deux ou trois personnes empêchent l’assemblée de faire comme elle l’entend.

- Un grand nombre de membres. - A demain ! à demain ! (Agitation dans l’assemblée.)

M. Dumortier, rapporteur. - il faut savoir si le ministre se rallie ou ne se rallie pas ; tout subterfuge est indigne de la chambre. (Aux voix ! aux voix ! la clôture !)

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je n’ai pas fini... (L’agitation croit et le bruit qui en résulte détermine le ministre à se rasseoir.)

M. Fallon. - Il faut suivre la note prise par le bureau, Il y a demande de clôture, motion d’ordre, puis rappel au règlement. Il faut d’abord terminer ce qui est relatif au règlement. (A demain ! à demain !)

- L’assemblée est dans une grande agitation ; plusieurs membres se lèvent et quittent leurs places.

M. Rogier parle au milieu du bruit et ne parvient pas à se faire entendre.

M. Jullien. - Dans la situation où est la chambre, il faut renvoyer l’affaire à demain.

M. Desmanet de Biesme, au président. - Levez la séance, la chambre ne peut rien faire maintenant.

- Un grand nombre de membres quittent la salle. Ceux qui restent à leurs banquettes demandent que l’on fasse l’appel nominal.

Un de MM. les secrétaires procède en effet à l’appel nominal. 52 membres répondent ; mais plusieurs, après avoir répondu, se retirent, et la chambre ne peut délibérer.

La séance est levée à cinq heures.