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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 16 février 1835

(Moniteur belge n°48, du 17 février 1835 et Moniteur belge n°49, du 18 février 1835)

(Moniteur belge n°48, du 17 février 1835)

(Présidence de M. Raikem.)

La séance est ouverte à une heure.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal ; il donne lecture du procès-verbal de la précédente séance dont la rédaction est adoptée et fait ensuite connaître l’analyse des pétitions suivantes.

Pièces adressées à la chambre

« Les membres de l’administration communale et du bureau de bienfaisance de Grâce-Montegnée près Liége, demandent que la chambre adopte dans la loi communale une disposition qui attribue aux communes la nomination des receveurs communaux et des bureaux de bienfaisance. »

« Les notaires de campagne de l’arrondissement de Gand demandent que la chambre rejette la proposition d’augmentation des notaires. »

- Ces pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.


« Les officiers de la garde civique du 4ème bataillon de la Flandre occidentale demandent qu’en suite du vote de la chambre dans la discussion du budget de la guerre, il leur soit alloué le traitement de demi-solde. »

M. Verrue-Lafrancq. - Parmi les pétitions dont l’analyse vient de vous être lue, il en est une que nous ont envoyée des officiers de la garde civique de la Flandre occidentale qui soumettent à la chambre des observations sur ce que le ministre de la guerre, au lieu de payer leur demi-solde à tous les officiers de la garde civique en non-activité, se permet de faire une classification et de ne payer la demi-solde qu’à un petit nombre d’entre eux. Cependant le crédit alloué par la chambre pour faire face à cette dépense a été accordé pour le paiement de la demi-solde à tous les officiers qui n’y ont pas expressément renoncé. Je demande le renvoi de la pétition à M. le ministre de la guerre avec invitation de faire payer intégralement la demi-solde accordée par l’article premier, deuxième section, chapitre du budget de la guerre pour l’exercice 1835.

M. Dumortier. - Il est nécessaire que la chambre intervienne dans la réclamation des officiers du premier ban de la garde civique. J’ai reçu de Tournay, de Bruxelles et d’autres villes des plaintes foncées sur ce que les fonds votés au budget du département de la guerre sur la demande même de M. le ministre pour le paiement de la demi-solde des officiers de la garde civique ne sont pas employés selon l’intention de la chambre. M. le ministre de la guerre, malgré le vote formel que nous avons émis il y a un mois, se borne à accorder la demi-solde à quelques officiers que l’on a pris au hasard. Les officiers du premier ban de la garde civique sont encore dans les liens du ministre de la guerre sans jouir cependant des avantages assurés à l’armée.

A Tournay, où il y a un bataillon du premier ban de la garde civique, trois officiers seulement reçoivent leur demi-solde. De cette manière, cette demi-solde, au lieu d’être accordée à titre d’indemnité pour service militaire, se dénature en aumône que l’on n’accorde qu’à telles personnes plutôt qu’à telles autres.

C’est dégrader la garde civique. Je doute que M. le ministre de la guerre osât en agir ainsi vis-à-vis de l’armée.

Les mesures devraient être égales pour les cinquièmes bataillons de la ligne et pour la garde civique. On devrait les mettre également sur la même ligne. Je demande donc que la chambre intervienne pour que l’abus signale par la pétition cesse immédiatement.

C’est pour le faire cesser, c’est parce que nous avions reconnu qu’il ne devait exister aucune distinction injurieuse entre les cinquièmes bataillons et le premier ban de la garde civique, que nous avons voté une somme de 515 mille francs au budget de la guerre. Il faut que le vote de la chambre reçoive son exécution.

Si la chambre voulait renvoyer la requête en question à la commission des pétitions, comme cela a lieu en pareil cas, je demanderais que la commission fût invitée à nous présenter son rapport dans le plus bref délai.

M. Gendebien. - Je crois le renvoi à la commission inutile. Les pétitionnaires réclament un droit que personne ne révoque en doute. Il ne s’agit donc que de la vérification du fait dont ils se plaignent. C’est pourquoi je demande le renvoi de la pétition à M. le ministre de la guerre avec demande d’explications. La chambre verra alors ce qu’elle aura à faire. Il n’y a aucun motif plausible pour renvoyer la pétition à la commission. Celle-ci peut en quelque sorte être assimilée à celles où il s’agit de pensions alimentaires. Ces demandes se traitent d’urgence. Il y a urgence de prendre une décision à l’égard des officiers de la garde civique.

Je connais des officiers qui ont abandonné des positions lucratives pour contribuer à la défense du pays ; qui sont actuellement dans un état de gêne tel que si leurs amis ne venaient à leurs secours, ils se trouveraient peut-être dans la misère. Je repousse donc le renvoi à la commission des pétitions. J’insiste au contraire sur le renvoi à M. le ministre de la guerre avec demande d’explications, et invitation de nous les soumettre dans le plus bref délai.

M. F. de Mérode. - S’il s’agit dans la pétition dans l’analyse vient de vous être lue, d’officiers qui ayant perdu leur position antérieure, ne peuvent plus pourvoir convenablement à leur existence et qui ne reçoivent cependant pas de demi-solde, j’adopterai les conclusions de l’honorable préopinant. Mais s’il s’agit de faire payer la demi-solde a tous les officiers de la garde civique quand bien même ils se trouveraient dans une situation de fortune satisfaisante, je ne puis admettre ce système. Quand le moment sera venu d’agiter cette question, je me réserve de faire valoir les motifs de mon opinion.

Il me semble qu’il n’y a dans le cas dont il s’agit aucune raison de s’écarter de la filière ordinaire et de ne pas faire passer la demande des officiers de la garde civique de la Flandre occidentale par la commission des pétitions. Lorsqu’elle nous aura dans son rapport fait connaître le résultat de l’examen qu’elle en aura fait, vous jugerez s’il est convenable de renvoyer la requête à M. le ministre de la guerre. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de dévier de la route ordinaire dans cette circonstance. Si je parle dans ce sens, c’est dans un but d’économie des fonds de l’Etat.

M. Gendebien. - M. le comte de Mérode en parle à son aise, lui qui a de bons revenus. Mais il s’agit ici d’officiers qui ont perdu des positions lucratives en se consacrant à la défense du pays. Aucun délai ne peut être admis pour faire droit à leur demande. M. le comte de Mérode veut établir des catégories. C’est ce dont les officiers de la garde civique se plaignent. M. le ministre de la guerre n’a pas le droit d’établir des catégories. La question a déjà été résolue par la chambre. M. le ministre de la guerre a demandé des fonds pour le paiement de la demi-solde à la totalité des officiers de la garde civique. Je tiens en main le rapport de la section centrale de la guerre. Il est formel à cet égard.

M. de Puydt, rapporteur de la section centrale, vient de me dire que les fonds avaient été en effet alloués pour tous les officiers du premier ban de la garde civique. Il ne s’agit donc pas d’établir des catégories. Si le gouvernement accorde par une espèce de privilège la demi-solde à quelques officiers seulement, ce n’est plus qu’une aumône que l’on accorde au lieu de récompenser les officiers du premier ban des services rendus au pays.

Ce n’est pas une faveur que ces officiers réclament, c’est l’exécution d’un droit acquis. M. le ministre de la guerre s’expliquera sur les motifs qui l’ont porté à dévier de la marche que lui a tracée la chambre. Il faut donc qu’il soit mis en demeure de nous donner des explications le plus tôt possible. Il y a, je le répète, urgence à prendre une décision sur une pétition que l’on peut assimiler à une demande de pension alimentaire. Je persiste donc dans la proposition que j’ai faite à l’assemblée.

M. F. de Mérode. - J’ai demandé la parole pour une espèce de fait personnel. Il ne s’agit pas de savoir si j’ai des revenus ou non. Si j’en ai, c’est un bienfait de la Providence, qui ne me dispense pas de défendre les intérêts du trésor public.

Je ne suis pas d’avis que l’on accorde des traitements à des individus qui sont chez eux, qui ne font rien, et qui, en leur qualité d’officiers, ont été dispensés du service des soldats ; qui ont été pendant leur mobilisation mieux traités que les soldats, leurs égaux, lesquels sont pourtant retournés sans indemnité à leurs occupations.

Je ne sais vraiment pas pourquoi des officiers de la garde civique, qui ont été dispensés des fonctions plus pénibles de simples soldats, recevraient un traitement hors du temps de leur service. S’il en est qui soient dans le besoin, je consens à faire une exception en leur faveur. Mais je ne pense pas qu’on doive ici établir une règle générale. Mes observations sont uniquement présentées dans l’intérêt du trésor, et nullement de mes revenus, qui n’ont aucun rapport avec nos discussions.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Vous savez, messieurs, qu’à l’époque où fut discuté le dernier budget du ministère de la guerre, le paiement de la demi-solde des officiers du premier ban de la garde civique avait cessé d’avoir lieu. M. le ministre de la guerre ayant reçu plusieurs réclamations crut devoir présenter une allocation à son budget pour subvenir au paiement de la demi-solde aux anciens officiers de la garde civique.

Parmi ces officiers, il est diverses catégories. Il y a des fonctionnaires publics qui ont quitté momentanément leur poste, pour occuper des fonctions dans la garde civique. Il en est qui, après avoir abandonné l’industrie à laquelle ils se livraient, l’ont reprise en rentrant dans leurs foyers. Enfin, il en est qui, par suite du service momentané qu’ils ont fait dans la garde civique, ont perdu leur premier état.

Si je ne me trompe, dans la section centrale du budget de la guerre, lorsqu’on posa la question de savoir si le ministre de la guerre paierait indistinctement à tous les officiers de la garde civique leur demi-solde, je crois pouvoir assurer, quoi qu’il n’en soit rien dit dans le rapport, que plusieurs membres de la section centrale, si pas la majorité, furent d’avis que cette demi-solde ne devait être payée qu’à ceux qui avaient perdu leur premier état, qui avaient fait des pertes réelles, mais non pas à des fonctionnaires publics qui depuis le licenciement ont repris leurs fonctions précédentes, qu’il ne fallait rien accorder à ceux qui ayant repris leur ancienne industrie, leur ancien commerce, ne justifiaient pas que par suite du service momentané de la garde civique ils avaient éprouvé des dommages réels.

Vous sentez qu’en présence des observations faites par la section centrale, d’un vœu émis dans l’intérêt du trésor public, M. le ministre de la guerre n’a pas dû payer intégralement et sans distinction aucune, la demi-solde à tous les officiers de la garde civique. C’est dans ce sens que M. le ministre de la guerre m’a expliqué les divisions ou catégories qu’il a établies en cette occasion. Dans ce moment même, il s’occupe de régulariser ce qu’il pourrait y avoir eu d’inexact ou d’irrégulier dans la première distribution faite de ce fonds.

Il me semble dès lors, qu’il y a lieu de renvoyer la pétition des officiers de la garde civique, soit directement à M. le ministre de la guerre, soit à la commission des pétitions, en la priant de présenter son rapport le plus tôt possible. Mais, il me paraît que la chambre ne peut rien préjuger avant d’avoir entendu M. le ministre de la guerre, avant de connaître les motifs qui l’ont déterminé à agir comme il l’a fait. J’ai la conviction que sa seule intention été de se conformer au vœu de la section centrale ; il lui paraissait que c’était dans ce sens que l’allocation avait été votée par la chambre.

M. Dumortier. - Je ne pense pas non plus que la chambre doive préjuger la question. Mais mon intention est de repousser les catégories établies par M. de Mérode qui veut que l’on en fasse là où la loi n’en établit pas.

En qualité de membre de la section centrale, je ferai connaître à l’assemblée ce qui s’y est passé. M. le ministre de la guerre a communiqué un rapport sur les officiers du premier ban de la garde civique. Je vous donnerai lecture de quelque passages de ce rapport. La première question qu’il traite est relative aux dépôts. La seconde aux officiers de la garde civique à demi-solde. (L’honorable M. Dumortier donne lecture du rapport de M. le ministre de la guerre.)

Vous voyez bien que M. le ministre de la guerre ne prétendait pas faire de catégories, ni établir des distinctions, qu’il ne s’en reconnaissait pas le droit. Il a demandé à la section centrale la demi-solde pour 312 officiers du premier ban de la garde civique. Le montant de ces demi-soldes montait comme il en avait établi le calcul à 515,000 fr., y compris les frais des dépôts. La section centrale a adopté cette somme sans faire mention de catégories. La chambre a confirmé la décision de la section centrale et a alloué pour 1835 la somme telle que M. le ministre de la guerre l’avait demandée, c’est-à-dire pour le paiement de la demi-solde à tous les officiers du premier ban de la garde civique.

Si vous voulez ne plus accorder leur demi-solde, vous le pouvez ; mais en restant dans les termes de la loi. Renvoyez le premier ban dans ses foyers. Mais aussi longtemps qu’il reste mobilisé, aussi longtemps qu’il est sous les ordres du ministre de la guerre, qu’il est soumis à toutes les conditions de la discipline militaire, exécutez la loi du 3l décembre 1830, qui met le premier ban de la garde civique sur la même ligne que l’armée.

Il s’agit de se conformer à la loi et non de nous parler d’économies, et de catégories. Tant que le premier ban restera sous les ordres du département de la guerre, vous devez assurer à ses officiers les mêmes droits qu’aux officiers des cinquièmes bataillons de l’armée. M. le ministre de la guerre n’agirait pas ainsi vis-à-vis de l’armée. Le dédain que l’on a montré pour la garde civique est vraiment déplorable. Lorsque le premier ban a été congédié, le gouvernement n’a pas daigné lui adresser des remerciements pour les services qu’il avait rendus à la patrie. L’on pouvait le faire cependant sans manquer aux lois de l’économie.

Je demande avec l’honorable M. Gendebien que M. le ministre de la guerre nous fasse un rapport sur tout ceci. Les officiers de la garde civique sont dans une situation précaire. Le ministre de la guerre après la décision dont on se plaint a agi sans avoir consulté un seul colonel de la garde civique. Les membres de cette assemblée qui ont des grades dans la garde civique pourraient l’affirmer. Cela s’est fait par la bureaucratie sans raison ni droit. Je connais plusieurs officiers qui ont abandonné leurs établissements, leur position, pour voler à la défense du pays, et dont l’avenir maintenant dépend des caprices de l’administration de la guerre.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il est vrai que primitivement M. le ministre de la guerre avait demandé une somme globale pour le paiement de la demi-solde à tous les officiers du premier ban. Mais je demanderai à l’honorable préopinant, ainsi qu’aux membres de la section centrale, s’il n’est pas vrai que l’on ait dit à M. le ministre qu’il n’était pas juste que des officiers rentrés dans leurs foyers, qui n’avaient plus aucun service à faire et qui avaient repris leurs occupations, reçussent leur demi-solde.

M. le ministre de la guerre a suivi les intentions de la section centrale. Si l’on n’en fait pas mention dans le rapport, c’est une omission. J’en appelle aux membres de la section centrale ; il faut rendre justice à M. le ministre de la guerre : il n’a voulu accorder la demi-solde qu’aux officiers qui en ont un besoin réel et a hésité à dilapider les fonds du trésor en payant un traitement à des officiers qui ont repris leur première industrie.

M. Jullien. - J’ai demandé la parole dans l’intention de dire à la chambre qu’il est à désirer que l’on mette fin à la discussion parce qu’elle est prématurée. Vous devez vous en convaincre par ce qui a été dit des deux côtés. D’une part, l’on prétend que le budget n’a établi aucune catégorie. De l’autre l’on attribue cette intention à la section centrale. Voilà deux faits qu’il s’agit de constater. Vous aurez beau discuter pendant une heure, vous serez obligés de voter le renvoi de la pétition à M. le ministre de la guerre avec demande d’explications. Quand ces explications nous auront été données, les mêmes questions que nous agitons maintenant sans être suffisamment éclairés se représenteront. La discussion est évidemment prématurée. Je me réunis à mon honorable ami M. Gendebien pour demander que la pétition soit renvoyée à M. le ministre de la guerre avec invitation de nous transmettre des explications le plus tôt possible.

M. Dumortier. - Messieurs, j’ai été interpellé. Permettez-moi de répondre : Ce n’est pas nous qui avons amené la discussion actuelle à propos de la pétition. C’est M. F. de Mérode qui l’a entamée.

M. le ministre des finances a demandé à nous membres de la section centrale si elle n’avait pas été d’avis d’établir des catégories. Je répondrai que les fonds ont été alloués pour tous les officiers du premier ban de la garde civique, que la seule exception que nous eussions faite était pour les officiers qui avaient renoncé eux-mêmes à leur traitement. Pour tous les autres la section centrale a vu qu’ils avaient droit au paiement de leur demi-solde. Je crois les intentions de M. le ministre de la guerre très pures. Mais j’ai la conviction qu’elles ne sont pas convenablement exécutées dans cette occasion.

M. de Puydt. - Comme ex-rapporteur de la section centrale je demande à m’expliquer sur le silence du rapporteur. Il est vrai que dans le sein de la section centrale des observations ont été faites sur des catégories d’officiers. Mais elles ont été très vagues et n’ont été produites que par un ou deux membres. Elles n’ont donné lieu à aucune discussion. Rien n’a été présenté au ministre de la guerre par la section centrale. Voilà pourquoi l’on n’en a pas fait mention dans le rapport.

M. Jadot. - Membre de la section centrale, je dirai que des observations ont été faites sur les catégories dans le sein de cette section ; mais on n’est pas tombé d’accord sur le résultat. La discussion n’a pas été aussi courte que l’honorable M. de Puydt le prétend.

- La chambre consultée renvoie la pétition des officiers de garde civique du 4ème bataillon de la Flandre occidentale à M. le ministre de la guerre, avec demande d’explications et en l’invitant à donner ces explications le plus tôt possible.


M. Corbisier demande un congé de quatre ou cinq jours.

- Accordé.

Projet de loi communale

Discussion des articles

Titre II. Des attributions municipales.

Chapitre II. Des attributions du collège des bourgmestre et échevins.

M. le président. - L’ordre du jour est la suite de la discussion de la loi d’organisation communale.

Article nouveau

(Moniteur belge n°49, du 18 février 1835) M. le président. - Deux rapports ont été faits, sur une proposition relative aux chemins vicinaux, l’autre sur une proposition du ministre de la justice, concernant les insensés et les fous furieux laissés en liberté.

M. Dumortier, rapporteur. - Occupons-nous du rapport le plus ancien, celui sur la proposition du ministre de la justice.

M. le président. - Voici comment était conçue la proposition de M. le ministre de la justice :

« Le collège des bourgmestre et échevins est chargé du soin d’obvier et de remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par les insensés et les furieux laissés en liberté. »

La section centrale propose l’amendement suivant :

« Le collège des bourgmestre et échevins est chargé d’obvier et de remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par les insensés et les furieux laissés en liberté.

« L’insensé ou le furieux pourra être placé dans un hospice, en vertu d’une ordonnance motivée, rendue par le juge de paix, sur la demande dudit collège ou des parents, lorsque ceux-ci offriront de subvenir à l’entretien de l’insensé ou du fou furieux.

« Cette ordonnance sera rendue sans frais et sans être soumise au timbre ou à l’enregistrement.

« Ce juge de paix en donnera avis dans les 24 heures au procureur du Roi. »

M. Pollénus. - Je demande la parole.

Messieurs, la proposition que vient de faire la section centrale me paraît incomplète. A différentes reprises, plusieurs collègues et moi avons appelé l’attention du gouvernement sur la situation des insensés pauvres abandonnés. J’ai fait sentir la nécessité de combler les lacunes que présentait la législation à l’égard de cette classe de malheureux. Je ne trouve pas que la proposition de la section centrale puisse s’appliquer aux insensés pauvres abandonnés, ils me paraissent au contraire en être exclus ; car, pour que l’on puisse prendre des mesures et provoquer l’ordonnance du juge qui autorise la séquestration des insensés dans un hospice, il faut que des parents offrent de payer les frais de leur entretien.

Il doit nécessairement résulter de cette disposition que les pauvres qui sont abandonnés et n’ont peut-être pas même des parents connus, ne seront jamais dans le cas de tomber sous l’application de cette disposition, et l’état d’abandon dans lequel ils se trouvent se perpétuera, parce que personne ne se présentera pour payer les frais d’entretien de ces malheureux.

Je ferai une autre observation. D’après la proposition de la section centrale, c’est le juge de paix qui est appelé à porter l’ordonnance de séquestration. Vous vous rappelez sans doute que sous le gouvernement précédent, c’étaient les tribunaux de première instance qui étaient appelés à autoriser la séquestration des personnes qui par perte d’esprit ou autres motifs pouvaient donner des craintes sur la conservation du bon ordre.

Le gouvernement provisoire jugea à propos de retirer aux tribunaux de première instance la faculté d’ordonner la séquestration des insensés, parce qu’il trouvait que la liberté individuelle n’était pas suffisamment garantie. Cependant, je ne crois pas qu’alors on donnât la faculté d’appeler des décisions des tribunaux de première instance. Aujourd’hui, on propose d’attribuer au juge de paix seul la faculté d’autoriser cette séquestration, et cela par ordonnance. On ne dit pas si cette ordonnance sera rendue avec publicité, si elle sera entourée de formes qui puissent assurer des garanties à celui qui en est l’objet, ni si elle peut être attaquée par la voie de l’appel.

Cependant, il me semble que la chose eût été nécessaire, puisque dans un dernier paragraphe, on ordonne la communication de l’ordonnance au procureur du Roi. A quoi peut servir cette communication, si l’ordonnance est portée en dernier ressort, si elle n’est pas susceptible d’être attaquée par voie d’appel, car on ne peut pas attribuer au procureur du Roi seul la faculté d’annuler l’ordonnance d’un juge. Ce renvoi ne peut servir qu’à éveiller l’attention du procureur du Roi, pour se pourvoir devant un autre juge.

D’après la proposition de la section centrale, le juge de paix ne peut non plus autoriser la séquestration que dans un hospice. Je crois devoir appeler l’attention de la chambre sur cette considération, car dans quelques provinces, et notamment dans celle du Limbourg il n’existe pas d’hospice approprié au traitement des insensés, et dans ces provinces la disposition de la section centrale ne pourrait recevoir son application, puisque le juge de paix ne peut autoriser de séquestration que dans un hospice approprié.

On m’objectera que ce n’est pas là un motif d’empêchement, parce qu’on pourra envoyer dans une autre province les insensés dont la séquestration aura été jugée nécessaire. Mais je répondrai que cela entraînera des frais considérables et que bien peu de parents voudront poursuivre une action en séquestration.

La proposition de la section centrale me paraît incomplète et je voterai contre, principalement parce qu’elle ne s’applique pas aux insensés pauvres et abandonnés.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Il y a d’autres dispositions.

M. Pollénus. - La disposition porte : L’insensé ou le furieux pourra être placé dans un hospice en vertu d’une ordonnance motivée rendue par le juge de paix, sur la demande dudit collège ou des parents, « lorsque ceux-ci offriront de subvenir à l’entretien de l’insensé ou du fou furieux. »

J’en conclus que lorsque les parents n’offriront pas de subvenir à l’entretien de l’insensé, le juge ne pourra pas ordonner la séquestration.

Si je n’ai pas bien compris la proposition de la section centrale, je ne demande pas mieux que d’être éclairé. Mais si on ne me démontre pas que les lacunes que j’ai cru remarquer n’existent pas, je voterai contre la disposition.

M. Dumortier, rapporteur. - L’erreur de l’honorable préopinant provient d’une faute typographique. Il faut une virgule après le mot collège et il n’en faut pas après le mot parents.

Voici comment il faut lire la disposition :

« L’insensé ou le furieux pourra être placé dans un hospice, en vertu d’une ordonnance motivée rendue par le juge de paix, sur la demande dudit collège, ou sur la demande des parents lorsque ceux-ci offriront de subvenir à l’entretien de l’insensé ou du fou furieux. »

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, je ne viens pas justifier en tous points l’amendement de la section centrale. Je désire de m’éclairer par la discussion avant de prendre un parti définitif. Je crois devoir donner quelques explications sur les observations faites par l’honorable préopinant.

Il a commencé par dire que la disposition proposée par la section centrale était incomplète en ce qu’elle ne permettait pas de prendre des mesures à l’égard des insensés pauvres et abandonnés. L’erreur de l’honorable préopinant ne provient pas de ce qu’il n’aurait pas bien compris la proposition de la section centrale, mais de ce que pendant son absence on a adopté un autre article qui met l’entretien des aliénés pauvres ou abandonnés à la charge de la commune. Pour ceux-là c’est au collège à pourvoir à leur entretien. Voilà pourquoi le paragraphe 2 fait une distinction entre la mesure prise sur la requête des parents et la mesure prise sur la requête du collège.

L’honorable préopinant, comparant la proposition de la section centrale avec l’arrêté du 23 février 1815, abrogé par le gouvernement provisoire comme attentatoire à la liberté individuelle, a trouvé que cet arrêté offrait plus de garantie que la disposition de la section centrale.

En effet, dit-il, cet arrêté faisant intervenir le tribunal, la séquestration était ordonnée par quatre juges sur les conclusions du procureur du Roi, tandis qu’ici le juge de paix seul décide. Sous un point de vue, l’honorable préopinant a raison ; en ce qui regarde les aliénés, les mesures prescrites par l’arrêté de 1815 leur donnent plus garantie que celles proposées par la section centrale. Mais pourquoi le gouvernement provisoire a-t-il abrogé cet article ? C’est à cause des personnes à l’égard desquelles il permettait de prendre des mesures.

Cet arrêté de Guillaume permettait de prendre des mesures à l’égard des personnes qui par perte d’esprit, dissipation ou inconduite, compromettraient l’ordre public. Je ne crois pas que le gouvernement provisoire aurait abrogé l’arrêté, s’il n’avait contenu que les dispositions relatives aux aliénés. L’abrogation de l’arrêté en ce qui concerne ces malheureux n’a pas été sans inconvénients.

L’honorable préopinant a dit ensuite que la proposition de la section centrale laissait une lacune en ce qui regarde l’appel.

Je ne sais pas quelle a été l’intention de la section centrale, mais je crois qu’elle n’a pas pensé que l’ordonnance du juge de paix pût être soumise à appel.

L’honorable préopinant a trouvé extraordinaire de communiquer l’ordonnance au procureur du Roi si on ne lui donnait pas le droit d’appeler. Je ferai observer que c’est dans l’intérêt de l’insensé que cette communication est prescrite afin que le procureur du Roi puisse visiter l’individu privé de sa liberté, s’assurer si son état continue ou ne continue pas, et provoquer l’annulation de l’ordonnance et l’élargissement s’il y a lieu.

Je conviens que la disposition laisse à désirer en ce qui concerne la manière dont l’ordonnance devra être retirée. Procédera-t-on comme pour l’interdiction, où on suit les mêmes formes pour la lever que pour la prononcer ? Je suppose que telle a été l’intention de la section centrale, mais il ne serait pas inutile que l’article contînt une disposition à cet égard.

Enfin, l’honorable membre s’est plaint de ce que d’après l’article proposé, l’insensé devait être placé dans un hospice. Il a fait observer que dans plusieurs provinces, il n’y avait pas de maison pour les aliénés, et que dès lors, dans ces provinces, on ne pourrait pas exécuter la disposition, à moins de transférer les aliénés dans une autre province, ce qui offrirait de graves inconvénients. Il y a quelque chose de vrai dans cette observation. Cependant, je ferai remarquer qu’il n’est pas dit dans l’article que c’est dans un établissement spécialement destiné à la cure des aliénés que ceux qu’on croira nécessaire de séquestrer devront être placés. A défaut d’hospice spécial pour les aliénés, on pourra les placer dans un autre hospice, et il n’y a pas de province dans le royaume qui n’ait un hospice.

Du reste, il est malheureusement trop vrai que plusieurs provinces manquent d’hospice pour les aliénés. Il en est ainsi dans le Limbourg et le Luxembourg. Le Hainaut n’a qu’un seul hospice de ce genre et il est dans l’état le plus déplorable.

J’ai déjà fait observer que je croyais qu’il était nécessaire de venir au secours des provinces pour les aider à former des hospices pour les aliénés. Une partie du subside accordé au budget de mon ministère sera employé dans ce but. C’est une grave question que celle de savoir s’il ne faudrait pas former un établissement central où seraient traités tous les aliénés. Mais je ne veux pas me prononcer maintenant sur la formation d’un pareil établissement ; je reconnais que cela coûterait des sommes considérables.

Une chose à désirer, ce serait qu’on disposât dans les divers arrondissements un asile provisoire où on pût placer les aliénés, jusqu’à ce qu’on les transfère dans un hospice spécial.

Je ne pense pas qu’on puisse mettre à la charge de l’Etat la création de ces asiles provisoires. C’est un objet sur lequel il y aura lieu d’appeler l’attention des conseils provinciaux. Quant à moi, je ferai tous mes efforts pour faire préparer dans les hospices des locaux où on puisse mettre provisoirement les aliénés jusqu’à ce qu’ils soient transférés dans une maison de santé.

Après avoir fait ces observations que nécessitaient celles présentées par l’honorable préopinant, je ferai connaître les motifs qui m’ont dirigé dans la présentation de mon amendement. Au premier abord, il peut paraître incomplet.

Je dois faire remarquer que si la loi communale permettait d’insérer certaines dispositions sur les devoirs des autorités communales à l’égard des insensés, ce n’était peut-être pas dans cette loi qu’il convenait de développer les règles et les formes à suivre en cette matière. La disposition que j’ai eu l’honneur de proposer à la chambre pouvait-elle, par elle-même, offrir quelque résultat ? Pour répondre à cette question , il est nécessaire de rappeler de quelle manière a été exécutée la loi du 21 août 1790, titre 12, article 4, n°6, dont je n’ai fait que reproduire la disposition. Le texte est absolument le même que celui que j’ai proposé. Il est ainsi conçu :

« L’autorité communale est chargée d’obvier et de remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par les insensés ou les furieux laissés en liberté. »

Le bourgmestre est obligé de remédier et d’obvier aux événements fâcheux... De remédier : quand la divagation d’un insensé a lieu et qu’elle est imputable à des parents négligents, le bourgmestre prouve que, contre les personnes responsables, l’application des peines portées par l’article 475, n°7, du code de 1810.

Le bourgmestre est aussi chargé d’obvier aux événements fâcheux qui peuvent résulter de la divagation d’insensés ou de furieux, c’est-à-dire de les empêcher.

Comment les empêcher ? Lorsque la divagation d’un insensé ou d’un furieux compromet l’ordre public, le repos de sa famille, ou sa propre vie, un procès-verbal est dressé par un officier de police et envoyé à l’autorité communale. L’autorité communale charge deux médecins de visiter l’aliéné ; le rapport du commissaire de police, l’avis des médecins et les autres pièces s’il y en a, sont envoyés au procureur du Roi ; s’il y a eu nécessité de déposer provisoirement en lieu de survie celui contre lequel la mesure est provoquée, ce magistrat le déclare et le bourgmestre porte une ordonnance en vertu de la loi de 1790, et sur cette ordonnance, l’insensé est reçu dans un hospice. Voilà comment les choses se sont passées jusqu’à ce jour sans aucune plainte, aucune réclamation, sans qu’on ait signalé aucun abus. C’est afin que cette disposition de la loi de 1790 continue à être exécutée de la même manière, que j’ai présenté mon amendement.

Voici où ont commencé les difficultés dans la pratique. Les administrations des hospices ont eu des scrupules à retenir un insensé lorsqu’il n’existait pas d’acte émané de l’autorité judiciaire, et sous ce point de vue la section centrale a empêché la disposition de la loi de 90. Mais elle n’a pas fait disparaître la loi de 90 de manière qu’il y a deux dispositions de nature différente. La première mesure, que la nécessité réclame, le collège des bourgmestre et échevins pourra toujours la prendre. Ce n’est pas seulement pour lui un droit, c’est un devoir. La deuxième mesure est la séquestration de l’insensé pendant un temps plus ou moins long, pour laquelle la section centrale réclame une ordonnance du juge de paix.

On a souvent dit qu’il ne fallait pas prescrire des mesures particulières pour les insensés, parce que c’était le cas de l’interdiction prévu par le code civil.

Il importe, messieurs, de ne pas confondre la séquestration d’un insensé avec l’interdiction. Il suffit d’un simple accès de folie pour être privé de la liberté, parce qu’il peut y avoir nécessité absolue de priver un insensé de sa liberté, pour sa propre conservation et celle des personnes qui l’environnent. Il y aurait de graves inconvénients à entourer cette mesure d’ordre public de formes, parce qu’en observant ces formes, la mesure arriverait tardivement. S’agit-il de l’interdiction ? Pour cela il ne suffit pas d’un seul accès de folie, il faut un état habituel de démence, de sorte que les dispositions prescrites pour les cas d’interdiction ne peuvent pas s’appliquer à la divagation d’un insensé ou d’un fou furieux.

Voilà quelle distinction il faut faire entre l’interdiction et la privation provisoire de la liberté. L’interdiction frappe la fortune et la capacité de l’individu, il est dans l’impossibilité d’administrer sa personne et son patrimoine. Au contraire, celui qui est privé provisoirement de sa liberté ne sera mis ni sous tutelle ni sous curatelle ; il conservera tous ses droits quant à ces biens.

La disposition proposée par le gouvernement pour tracer les devoirs de l’autorité communale à l’égard des insensés est une mesure éprouvée par l’expérience et dont l’utilité est incontestable ; j’attends de la sagesse de la chambre qu’elle y donnera son assentiment.

Quant aux autres dispositions apportées par la section centrale je pense qu’elles peuvent être améliorées, et il est permis de douter si c’est bien dans la loi communale qu’elles doivent trouver leur place.

M. de Brouckere. - La disposition de la section centrale me paraît absolument inadmissible ; je vais justifier mon opinion.

Avant la révolution, il existait un arrêté-loi du 25 février 1815 qui autorisait les tribunaux de première instance à faire enfermer dans une maison de correction les personnes qui par petite d’esprit, dissipation grave, ou mauvaise conduite notoire, ne pouvaient être conservées dans la société ou s’en étaient rendues indignes. Mais les tribunaux ne rendaient des ordonnances de cette espèce qu’après s’être livrés à une enquête. L’ordonnance était de plus soumise à l’appel, et dans aucun cas elle n’avait d’effet pour plus d’une année.. Le gouvernement provisoire s’empressa de révoquer cet arrêté-loi, et assurément le gouvernement provisoire a fort bien fait, parce qu’il était par trop facile d’abuser d’une disposition qui autorisait les parents à faire enfermer un de leurs proches pour fait de simple inconduite.

Mais si l’arrêté-loi de 1815 n’avait dû être applicable qu’aux insensés et furieux, cette disposition valait infiniment mieux que celle proposée par la section centrale. En effet, si vous admettez cette proposition, il résultera qu’il suffira à des parents, ou au conseil des bourgmestre et échevins, de signaler un individu comme étant insensé et furieux, de le signaler au juge de paix, pour que celui-ci, sans aucune espèce d’instruction, soit enfermé dans un hospice pour un temps illimité. Ainsi, au lieu du tribunal de première instance, c’est le juge de paix qui décide. Il y avait appel à la cour supérieure, aujourd’hui vous n’avez plus aucun moyen de faire annuler une ordonnance mal rendue.

L’ordonnance, confirmée même par la cour d’appel, n’avait lieu que pour un an, et l’ordonnance du juge de paix sera pour un temps illimité. Une semblable mesure ne peut être votée, messieurs, parce qu’il serait trop facile d’en abuser.

Vous verriez bientôt des parents, ayant quelque intérêt à se défaire de l’un de leurs proches, le faire passer pour insensé ou furieux, le faire enfermer, et le malheureux serait ainsi privé de sa liberté, sans savoir si jamais il pourra la recouvrer. Il faut donc qu’on augmente les garanties, et M. le ministre de la justice a paru lui-même être de cette opinion.

Je ne m’attendais pas qu’on discutât cette matière aujourd’hui, car j’aurais formulé un amendement sur la proposition qui vous est soumise. Voici, selon moi, les garanties qui devraient être obtenues, avant d’ôter la liberté à un homme qu’on dirait insensé ou furieux. Je n’ai rien à dire contre la première disposition du gouvernement : « Le collège… »

Toutes les personnes qui ont l’habitude des affaires savent qu’il est des cas tellement urgents qu’on est obligé d’arrêter un individu sans formes judiciaires. Mais entre une ordonnance qui prononce une arrestation provisoire, pour garantir la société de quelque attentat, et une détention illimitée, il y a une bien grande différence.

Voilà ce que je voudrais : d’abord, au juge de paix je substituerais la chambre du conseil du tribunal de première instance et je désirerais que le procureur du Roi fût entendu. Je voudrais que la loi ordonnât que la chambre du conseil, avant de statuer, fît examiner l’individu par deux hommes de l’art. Je voudrais qu’une enquête eût lieu dans laquelle on entendît les témoins à charge et les témoins à décharge ; de plus que l’ordonnance pût être attaquée par voie d’appel, et je fixerais un délai, de dix jours par exemple, pendant lesquels l’appel pourrait être interjeté, et en dernier lieu, j’exigerais que l’ordonnance dût être renouvelée au moins tous les ans, et que l’individu détenu pût exiger, avant la fin de l’année, qu’une enquête eût lieu sur son état mental. Un individu est atteint d’une aliénation momentanée, ou d’un accès de fureur passager : on ordonne son arrestation et on le fait détenir dans un hospice ou une maison de santé. il se rétablit ; il est juste alors que la liberté lui soit rendue.

Et vous n’indiquez pas dans la loi la voie qu’il doit suivre pour récupérer sa liberté. Vous n’ordonnez pas aujourd’hui de faire une nouvelle enquête sur l’état du détenu. Cela est pourtant indispensable, car quelle serait la position d’un malheureux qui au bout de trois mois serait guéri de son aliénation ? faudrait-il qu’il restât enfermé toute l’année ? Ce serait un véritable attentat à la liberté individuelle. J’ai exprimé mon intention. Si M. le ministre veut formuler une proposition dans ce sens, je l’appuierai.

M. de Robaulx. - Mais cela ne doit pas venir dans la loi communale.

M. de Brouckere. - Je le veux bien ; ce n’est pas dans la loi communale que doit venir une mesure d’autorité judiciaire. Alors il faut que vous fassiez marcher une loi spéciale de front avec la loi communale. Je le répète, quoi qu’on fasse, il est de toute nécessité que l’on ait toutes les garanties possibles.

Ne pourrait-il pas arriver que des individus, ayant intérêt à faire passer pour fou un de leurs proches, ne le poussassent à des actes de folie et ne saisissent cette occasion pour le faire détenir ? De pareils abus se présentent rarement dans un état calme.

Aujourd’hui, par exemple, un individu ainsi détenu pourrait faire des réclamations. Elles seraient entendues. Mais dans d’autres occasions qui peuvent se présenter, il serait possible que ces réclamations restassent ignorées. Il est d’autres circonstances où, soit par le fait du gouvernement, soit par celui des conseils communaux, on aurait intérêt de faire détenir un individu qui aurait été momentanément en état de démence. Veut-t-on une loi qui marche de front avec la loi communale ? J’y consens. Mais en tout état de cause, il faut et sans retard obtenir toutes les garanties possible contre les abus de la nature de ceux que je viens de signaler.

M. Dubus. - Les observations que j’ai à faire rentrent tout à fait dams celles que viennent de faire les honorables préopinants, et notamment M. de Brouckere. Je me bornerai donc à dire peu de mots.

L’un d’eux a critiqué la disposition proposée en ce qu’elle manque le but que l’on veut atteindre ; celui de faire détenir les aliénés indigents. Effectivement, il me semble que la rédaction de la section centrale laisse quelque chose à désirer. Car, quoiqu’il soit vrai que la détention en ce cas serait à la charge de la commune, il n’a pas été suffisamment pourvu à cette circonstance, précisément parce que cela serait à la charge de la commune. L’administration de la commune, économe des ressources de cette même commune, n’ordonnera peut-être pas les détentions nécessaires dans la crainte de grever son budget. Les parents d’un individu indigent sont assez indifférents d’ordinaire, et ne portent pas assez d’intérêt pour provoquer la détention.

Il me semble qu’il faudrait aussi que la détention pût être provoquée par le ministère public qui recevrait alors avis du danger que fait courir à la sûreté publique la divagation de l’individu appartenant à la classe indigente.

Sous un autre rapport on a critiqué la disposition parce qu’elle ne présentait pas assez de garantie. Je partage cette opinion. Il suffit de comparer l’arrêté du 23 février 1815 avec la disposition sur laquelle vous avez à prononcer, pour se convaincre qu’il manque ici des garanties suffisantes. Il est vrai que l’arrêté de février 1815 a une tout autre portée et qu’il est vicieux à cet égard.

Il est à remarquer que le plus fréquent usage qui en ait été fait est précisément pour le cas de perte d’esprit. Car il a été très rarement appliqué pour cause du dissipation grave ou de mauvaise conduite.

Je sais que le tribunal de l’arrondissement que j’habite n’a jamais prononcé de détention contre qui que ce fût sans avoir interrogé l’individu précisément pour qu’il ne fût pas fait abus de la disposition dont il s’agit. Les garanties qu’on demande consistent, en premier lieu, en ce que c’est au tribunal de l’arrondissement à prononcer après avoir entendu les conclusions du ministère public.

Je ne sais s’il est nécessaire d’aller jusqu’à désirer qu’intervienne le ministère de tribunaux ordinaires. Les mesures à prendre sont souvent des mesures d’urgence, et je crois qu’on peut attribuer ce soin aux juges de paix, pourvu que ce ne soit de leur part que des mesures provisoires et d’un temps très limité. Si dans un délai de 6 mois l’interdiction de l’individu n’est pas provoquée, il me semble que l’ordonnance doit cesser d’avoir son effet.

Il est possible aussi qu’après une détention de 6 mois, l’interdiction n’ait pas été prononcée, quoique l’aliéné soit encore en état de démence, et cela parce que les parents conservent l’espérance de faire cesser cet état et ne voudraient pas faire prononcer contre lui un jugement formel d’interdiction. Il conviendrait donc qu’on pût renouveler les mesures et proroger le délai. Alors on devrait exiger que le délai ne pût être provoqué que par les tribunaux ordinaires, et pour un terme après lequel le tribunal se livrerait à de nouveaux examens.

M. le ministre de la justice, à propos de la disposition actuelle, a dit qu’il manquait d’établissements pour recevoir les aliénés. Je crois avoir compris qu’il avait dit cela pour le Hainaut, et il a ajouté que ce qui existait en ce genre était dans l’état le plus déplorable. Je crois pouvoir assurer qu’il en existe dans l’arrondissement de Tournay, et près de cette ville, et que, loin d’être dans l’état le plus déplorable, il est dans la situation la plus satisfaisante et parfaitement bien administré.

il est à regretter, messieurs, qu’on ne se soit pas préparé à discuter l’article en discussion. Probablement l’un ou l’autre d’entre nous eût proposé un amendement qui eût concilié toutes les opinions.

Je ne crois pas, pour mon propre compte, que la rédaction de la section centrale soit purement et simplement inadmissible, mais je crois qu’elle peut être amendée. J’attendrai le cours de la discussion pour soumettre d’autres observations à la chambre.

M. Jullien. - La question qui nous occupe, messieurs, est une question extrêmement délicate, et je vous avoue que je n’y étais pas non plus préparé.

Cependant, je ferai quelques observations sur la proposition de la section centrale, et je proposerai un amendement.

Je trouve comme l’honorable M. Dubus que cette proposition n’est pas inadmissible, mais qu’elle est seulement incomplète.

Il existe un arrêté-loi de 1815. Cet arrêté n’a pas plus tôt été publié que tout le monde s’est récrié sur les abus graves qu’il entraînait, et surtout parce qu’il autorisait à faire détenir un individu dont la mauvaise conduite était réputée notoire. Ce mot notoire était tellement vague, il donnait tant de latitude soit à l’autorité ou aux familles qui auraient désiré se défaire d’un individu , que chacun s’est élevé contre cet arrêté. Mais la proposition de la section centrale, qui est renouvelée de l’arrêté-loi de 1790, me semble susceptible d’améliorations. Si on accueille l’amendement que je vais avoir l’honneur de proposer, je crois que la disposition de la section centrale sera très admissible.

En fait d’insensés et de furieux, et quand il s’agit de furieux, il est impossible de s’y méprendre : le furieux se fait toujours reconnaître par ses actes de fureur ; alors la tranquillité est troublée, il faut des moyens de répression, et c’est à l’autorité paternelle de la commune qu’il appartient, selon moi, de les employer. Quant aux insensés divagants, il est certain que ces malheureux sont plus en disposition de se nuire à eux-mêmes plutôt qu’à autrui ; alors ils sont dignes de pitié, et dans ce cas il y aurait abus si on laissait subsister la proposition de la section centrale ; car il serait fort dangereux que si quelque individu se trouvait atteint d’une démence momentanée, par un désir soit du conseil communal, soit de sa famille, il pût être détenu indéfiniment.

On a beaucoup critiqué l’ordonnance par juge de paix, parce qu’elle ne laissait pas la voie d’appel, et que la détention alors pouvait être illimitée.

Je crois qu’on pourrait parer tous les inconvénients en ajoutant au paragraphe 3 par forme d’amendement : « Elle sera exécutoire (l’ordonnance) nonobstant opposition ou appel, » et immédiatement on dira : « L’opposition et l’appel pourront intervenir aussi longtemps que l’interdiction n’aura pas été prononcée. »

Quand un homme attaqué d’aliénation mentale menace la tranquillité publique, il doit être immédiatement arrêté.

Où déposera-t-on cet insensé, ce furieux ? Où et comment le séquestrera-t-on ? On le séquestrera en vertu de l’ordonnance du juge de paix. Cette ordonnance rendue, l’individu arrêté ou sa famille pourra en appeler ; lorsque le juge de paix trouvera l’appel fondé, il rapportera son ordonnance ; et l’individu arrêté comme furieux sera remis en liberté, après avoir été séquestré pendant huit jours, quinze jours, peut-être d’avantage. Si vous déterminez une durée à la détention, vous vous exposez à faire subir une véritable peine, là où il n’y a lieu qu’à prendre une véritable mesure de protection, de précaution.

Je crois qu’avec l’amendement que je présente, on trouvera le moyen d’appliquer sans grand inconvénient la proposition de la section centrale.

Au surplus, j’attendrai que les honorables membres qui ont pris la parole veuillent bien formuler une autre proposition, si tant est que la chambre veuille finir aujourd’hui même sur l’objet en discussion.

M. de Brouckere. - Je demanderai à la chambre la permission de lire une proposition que je désire lui soumettre. Je dois déclarer à l’avance que sa rédaction se ressentira sans doute de la promptitude avec laquelle elle a été faite. La chambre décidera ensuite si ma proposition, dans le cas ou elle obtiendrait l’assentiment de la chambre, trouverait place dans la loi communale ou formerait une loi séparée.

Voici cette proposition :

« Considérant qu’il appartient au collège des bourgmestre et échevins d’obvier et de remédier, conformément aux lois, aux événements fâcheux qui pourraient être occasionné par les insensés ou les furieux ;

« Considérant que les mesures à prendre par ce collège ne peuvent être que provisoires et qu’il importe de tracer les règles d’après lesquelles la détention de ces individus pourra être ordonnée,

« Nous avons décrété, etc.

« Art. 1er. L’individu arrêté comme insensé ou furieux pourra être placé dans un hospice ou maison de santé, en vertu d’une ordonnance motivée, rendue par la chambre du conseil du tribunal de première instance, le procureur du Roi entendu, et ce sur la demande du collège, sur celle des parents lorsque ceux-ci offriront de subvenir à l’entretien de l’insensé ou du furieux, ou même sur celle du ministère public.

« Art. 2. Avant de rendre son ordonnance, le tribunal fera visiter l’individu signalé comme insensé ou furieux par deux médecins en présence d’un juge et du procureur du Roi. Il entendra les témoins qui lui seront indiqués par les parties.

« Art. 3. L’ordonnance du tribunal pourra être attaquée par la voie d’appel. L’appel sera interjeté dans les dix jours.

« Art. 4. La détention ne pourra être prolongée pour plus d’un an, sauf à la prolonger le cas échéant et après une nouvelle enquête, sans pouvoir en aucun cas outrepasser chaque fois ce terme.

« Art. 5. Si avant l’expiration de l’année l’individu détenu demande sa mise en liberté, soit par lui-même, soit par l’intermédiaire de ses parents, le tribunal procédera ou fera procéder à une enquête, et annulera son ordonnance s’il y a lieu. »

Telle est la proposition que j’ai l’honneur de soumettre à la chambre, pour être discutée maintenant si l’assemblée pense qu’elle doit faire partie de la loi communale, ou que je déposerai sur le bureau pour être discutée comme loi séparée, si la chambre juge préférable qu’il en soit ainsi. Je prierai M. le président de vouloir bien consulter l’assemblée à cet égard.

Dans le cas où ma proposition trouverait place dans la loi communale, elle formerait un seul article et viendrait à la suite du premier paragraphe de la proposition du gouvernement qui prendrait alors la place des considérants.

M. Gendebien. - Je crois qu’il est bien difficile que l’on puisse délibérer dès aujourd’hui sur la proposition de l’honorable M. de Brouckere…

M. de Brouckere. - Je demande le renvoi en sections.

M. Gendebien. - Sur une proposition d’une telle importance. D’un autre côté je pense, et l’honorable M. de Brouckere est de mon avis, que l’on puisse insérer dans la loi communale un amendement, une loi, si l’on veut, qui tient plus à la procédure qu’à la loi communale.

Je pense que tout en adoptant la proposition qui vous est faite, comme, je le pense, la chambre doit le faire, l’on pourrait pour aujourd’hui se borner à délibérer sur la proposition du gouvernement, sauf à réparer en même temps une omission que j’indiquerai.

Je regrette que la discussion ait été ouverte sur un objet aussi important, sans que nous en ayons été prévenus par le bulletin de l’ordre du jour. L’ordre du jour indique seulement les pétitions et la loi communale. Or, comme nous ne discutons plus la loi communale d’une manière régulière, puisque nous sommes arrivés à la fin des articles et que nous ne nous occupons que des articles arriérés, il était impossible de prévoir de quelle dispositions l’on s’occuperait. Si l’on eût indiqué la disposition à l’ordre du jour, on aurait pu se préparer à la discussion et peut-être présenter une rédaction telle que l’on eût pu l’adopter dès aujourd’hui.

Pour le moment, je crois que ce que nous avons de mieux à faire, c’est d admettre le paragraphe proposé par le gouvernement, en y ajoutant ce qui se trouve dans la loi de 1790 et que l’on a retranché ici, je ne sais pourquoi.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - La proposition du gouvernement contient tout ce qui se trouve dans la loi de 1790.

M. Gendebien. - Je crois me souvenir que la loi de 1790 contient quelque chose de plus. Il me semble qu’il y a dans la proposition du gouvernement une omission que l’on réparerait en ajoutant, à la proposition du gouvernement, après les mots : « événements fâcheux qui pourraient être occasionnes par les insensés et les furieux laissés en liberté » ceux-ci : « ou les animaux malfaisants ou féroces. »

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Cela se trouve déjà dans le code pénal.

M. Gendebien. - Oui, pour la répression de celui qui laisse ces animaux en liberté. Mais une disposition répressive se trouve également dans le code contre celui qui laisse en liberté des insensés ou des furieux. Si malgré cette disposition vous avez pensé que vous deviez imposer à l’autorité communale l’obligation d’obvier ou de remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnes par ces individus en liberté, à plus forte raison devez-vous le faire quand il s’agit d’animaux féroces ; car ici il ne s’agit pas, comme dans le premier cas, de priver provisoirement un citoyen de sa liberté. Je pense qu’il n’y a aucun inconvénient à faire à l’article du gouvernement l’addition que j’ai indiquée.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Quand j’ai dit que la proposition du gouvernement contenait tout ce qui se trouvait dans la loi de 1790, j’ai voulu dire seulement, relativement aux insensés ou furieux laissés en liberté.

Il est possible qu’il y ait dans la loi de 1790 une disposition relative aux animaux malfaisants ou féroces. Je suis même disposé à croire qu’elle s’y trouve ; car c’est je pense à la loi de 90 qu’a été empruntée la disposition du paragraphe 7 de l’article 475 du code pénal qui punit d’une amende « ceux qui auraient laissé divaguer des fous ou des furieux étant sous leur garde, ou des animaux malfaisants ou féroces. » Au reste, que ceci se trouve ou non dans la loi de 90, je ne vois aucun inconvénient à l’ajouter à la proposition du gouvernement.

M. de Robaulx. - Je demande le renvoi de la proposition de M. de Brouckere à la section centrale. M. le ministre ne s’oppose pas sans doute à ce que cette proposition forme une loi séparée de la loi communale. C’est une question de liberté individuelle, qui doit, ce me semble, être examinée mûrement.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je pense que la proposition du gouvernement en y ajoutant l’amendement de M. Gendebien pourrait trouver place dans la loi communale. Quant aux autres dispositions, il me semble qu’il serait mieux qu’elles fussent l’objet d’une toi spéciale.

M. Pirson. - Je n’ai pas l’honneur d’appartenir à l’ordre judiciaire ; je suis donc peut-être un peu hardi de proposer un amendement à l’article en discussion.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - N’êtes-vous pas bourgmestre ! Et l’article n’a-t-il pas évidemment plutôt trait aux bourgmestres qu’à l’ordre judiciaire !

M. Pirson. - La question qui se présente est celle de savoir si nous devons insérer dans la loi communale une législation complète relative aux insensés. Je ne pense pas que nous devions prendre cette marche-là. Il en est de cette question comme de celle qui s’est présentée lors de la discussion relative aux bois communaux.

Vous n’avez pas pu mettre tout un code forestier dans la loi communale ; vous avez donc ajourné. Ici, il ne s’agit pas d’ajourner ce que vous devez faire relativement aux insensés. Je crois qu’il convient d’adopter la disposition proposée, en la modifiant ainsi qu’il suit :

« Le collège des bourgmestre et échevins est chargé d’obvier et de remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par les insensés et les furieux laissés en liberté.

« L’insensé ou le fou furieux pourra être placé provisoirement dans un hospice, en vertu d’une ordonnance motivée, rendue par le juge de paix, sur la demande dudit collège ou des parents, lorsque ceux-ci offriront de subvenir à l’entretien de l’insensé ou du furieux.

« Cette ordonnance sera rendue sans frais et sans être soumise au timbre et à l’enregistrement.

« Le juge de paix en donnera avis dans les 24 heures au procureur du Roi, qui alors de son côté, ainsi que toutes parties intéressées, pourront poursuivre par-devant le tribunal de première instance les effets ou suites à la décision du juge de paix, conformément aux lois existantes. »

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je dois ajouter aux observations que j’ai faites que, lorsque j’ai proposé l’amendement en discussion, j’étais néanmoins dans l’intention de présenter prochainement un projet de loi relatif aux aliénés ; projet dont les matériaux sont préparés au ministère.

J’insiste de nouveau pour que la chambre adopte mon amendement avec la modification proposée par M. Gendebien et pour qu’elle renvoie les autres propositions à l’époque de la discussion de la loi sur les aliénés.

M. de Brouckere. - Je ne puis admettre avec M. le ministre de la justice qu’il convienne d’ajourner le vote de la proposition ou de toute autre proposition analogue. Il faut, je pense, ou que cette proposition soit insérée dans la loi communale, ou qu’elle fasse l’objet d’une loi séparée qui marche de front avec la loi communale. Sans cela, veuillez remarquer ce qui arrivera : vous aurez confié au collège des bourgmestre et échevins le soin d’obvier et de remédier en général aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par les insensés et les furieux laissés en liberté ; et vous n’aurez pas statué comment pour cela ils doivent procéder, vous n’aurez pas dit si l’ordonnance d’arrestation sera rendue pour un temps illimité ou un temps fixe.

Ainsi les bourgmestre et échevins pourront faire arrêter un individu aussi longtemps que bon leur semblera, si, en même temps que nous votons la loi communale, vous ne votez pas soit la disposition que j’ai eu l’honneur de proposer, soit toute autre disposition analogue, car je ne tiens pas du tout à ma proposition. Mais je pense qu’il ne faut rien insérer dans la loi ou y insérer une disposition complète, voter cette disposition dans la loi communale, ou en faire l’objet d’une loi séparée qui, je le répète, devra marcher de front avec la loi communale.

J’insiste fortement contre l’ajournement de ma proposition à l’époque de la discussion d’une loi relative aux aliénés. Je demande qu’elle soit renvoyée, soit en sections, soit à la section centrale, soit à une commission qui l’examinera ainsi que les nouvelles dispositions que le gouvernement pourra présenter à cet égard, mais dans un assez bref délai pour que ce projet de loi puisse être voté avant la loi communale.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Le gouvernement ne peut avoir aucun intérêt à ce que la chambre n’adopte que la première disposition de l’article 90 et renvoie les autres dispositions au moment où l’on discutera la loi relative aux aliénés.

Aussi que j’ai eu l’honneur de le dire, nous ne voulons rien changer à ce qui existe. La loi de 1790 est encore en vigueur ; il résulte des rapports des différents parquets que cette loi est appliquée journellement sans aucune espèce de contestation. Ainsi nous ne demandons aucune innovation ; et si nous proposons l’insertion dans la loi communale d’un article de la loi de 1790, c’est uniquement pour compléter les attributions communales.

M. de Robaulx. - Il me paraît que l’honorable M. de Brouckere a critiqué le premier paragraphe, si on l’acceptait seul ; il a dit en effet qu’il en résulterait qu’aucune règle pour obvier aux événements fâcheux occasionnés par des insensés ou des furieux laissés en liberté ne serait tracée à l’autorité communale que vous auriez néanmoins chargé de ce soin. Il est de fait qu’il en résulterait que les bourgmestre et échevins seraient armés d’un pouvoir arbitraire. Pour obvier à cet inconvénient, je proposerai de modifier la proposition du gouvernement de la manière suivante :

« Le collège des bourgmestre et échevins est chargé du soin d’obvier et de remédier, conformément aux lois, aux événements fâcheux, etc. » Le reste comme au projet.

Voilà une loi d’attributions.

A présent il s’agit de savoir si nous avons une disposition législative qui règle la manière d’obvier à ces événements.

On prétend que cette disposition n’existe pas. M. de Brouckere présente une proposition contenant cette disposition et qu’il convient, je pense, de renvoyer à la section centrale ou à une commission qui l’examinerait comme une loi spéciale ; car il ne faut pas faire de la loi communale une encyclopédie où il y aurait tout, et où il n’y aurait rien… de complet.

Tout ce qui a trait à la liberté individuelle doit être déterminé par le code ou par des lois spéciales, mais non pas une loi communale, loi administrative ou attributive. Il suffira de poser le principe : c’est ce que vous ferez en adoptant la proposition du gouvernement avec la modification que j’ai indiquée. C’est, je crois, ce qu’il faut se borner à faire maintenant. Quant à la proposition de l’honorable M. de Brouckere, j’en demande le renvoi à une commission.

M. Jullien. - Je pense que dans cette discussion on est trop préoccupé de l’idée que l’on ne pourrait pas faire arrêter les insensés ou les furieux, sans qu’il soit nécessaire de les mettre dans un hospice ou dans un lieu de dépôt. Cette idée fait que l’on se trompe sur la portée de la proposition du gouvernement.

En effet, quand un insensé devient furieux, s’il est laissé en liberté, l’autorité le fait prendre. Voilà comment l’autorité aura satisfait à son devoir, aura obvié aux événements fâcheux qui auraient pu être occasionnés par cet individu. Un insensé est rencontré divaguant, on sait où il demeure, l’autorité veille sur lui ; elle le fait reconduire chez lui. Il en est de même du furieux. Voilà en général comment se conduit l’autorité, et comme elle doit se conduire.

Je crois vraiment d’après cela qu’il suffira de poser le principe dans la la loi communale, que cela satisfera à tous les besoins.

Maintenant, faut-il renvoyer en sections la proposition de M. de Brouckere ? Quant à moi je n’en vois pas la nécessité. L’honorable M. de Brouckere convient lui-même que sa proposition est improvisée, qu’elle est susceptible d’amélioration ; M. le ministre de la justice dit qu’il a dans ses cartons un projet de législation complète relative aux insensés et furieux. Je pense donc qu’il convient de joindre les deux projets et se borner à insérer dans la loi communale la disposition de la loi du 16-24 août 1790.

L’honorable M. de Robaulx qui a parlé dans ce sens, voudrait que l’on insérât dans la proposition du gouvernement les mots : « conformément aux lois. » Il me semble que si vous chargez l’autorité communale d’obvier aux événements fâcheux que pourraient occasionner les insensés en liberté, c’est comme si vous disiez qu’elle ne peut agir que conformément aux lois. L’addition proposée me paraît donc inutile : Je ne m’y oppose pas si on insiste, mais je n’en vois pas la nécessité

Je crois qu’il convient de répéter seulement dans la loi la disposition de la loi de 1790.

J’invite M. le ministre de la justice à présenter le plus tôt possible la loi qu’il a promise sur les insensés et les furieux.

M. Dumortier, rapporteur. - De toutes les questions qui peuvent se présenter, la plus délicate sans doute est celle qui a trait à la liberté individuelle.

L’amendement de M. le ministre de la justice tend à reproduite la disposition de la loi de 1790. Mais veuillez remarquer que lorsqu’a été rendue la loi de 1790, la constitution belge n’existait pas ; il n’était pas alors stipulé que nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance du juge.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Et la charte.

M. Dumortier, rapporteur. - La charte n’existait pas davantage, elle est de 1814.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je veux dire que la loi de 1790 a été en vigueur en France sous l’empire de la charte.

M. Dumortier, rapporteur. - Cela ne prouve rien. C’est répondre à la question par la question. Il s’agit de savoir si un individu, sous le prétexte qu’il est insensé ou fureux, peut être arrêté autrement que dans les formes prescrites par la loi. Quant à moi, je crois que cela ne se peut pas, en présence de l’article 7 de la constitution ; il est ainsi conçu :

« La liberté individuelle est garantie. Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu’elle prescrit. Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance motivée du juge qui doit être signifiée au moment de l’arrestation ou au plus tard dans les 24 heures. »

On vient dire que l’on peut arrêter un furieux, un insensé qui se livre à des accès de fureur ; sans doute ; car il y a là cas de flagrant délit, et alors aux termes de la constitution l’arrestation peut avoir lieu.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Ce n’est pas un délit que d’être malade.

M. Dumortier, rapporteur. - Mais quand un homme ne fait que divaguer en balbutiant des mots sans suite qui ne font de mal à personne, vous n’avez pas le droit de l’arrêter, ce serait violer la constitution.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - C’est dans son intérêt qu’on l’arrête.

M. Dumortier, rapporteur. - Fort bien, arrêtez-le ; mais respectez les formes prescrites par la loi. Comme il n’y a ni urgence ni flagrant délit, sollicitez l’ordonnance du juge ; il ne pourra pas la refuser. Mais vous serez resté dans les termes de la loi ; vous n’aurez pas violé la constitution. Et s’il est quelque disposition de la constitution que nous devions considérer en quelque sorte comme plus sacrée encore, que les autres, c’est celle relative à la liberté individuelle.

Un événement qui ne date que de quelques jours doit nous montrer qu’il importe qu’aucune arrestation ne puisse avoir lieu que dans les formes légales : c’était dans les élections d’Angleterre. Un électeur radical se donnait beaucoup de mouvement en faveur de son opinion. Qu’a fait le ministère ? Il l’a fait arrêter comme furieux. (On rit.) Messieurs, c’est un fait constaté par les journaux et qui s’est passé il n’y a pas plus de 15 jours. Je dois ajouter que lorsque les élections ont été terminés, on a mis notre électeur en liberté en lui disant qu’il était radicalement guéri. (Hilarité générale.)

Cette anecdote peut être très facétieuse, mais il faut convenir qu’elle est faite aussi pour nous tenir en garde contre de tels abus.

Quand nous aurons des élections, on pourra aussi nous traiter de furieux, Si nous voulons traverser les projets du ministère, on nous dira que nous sommes des furieux (on rit), et l’on nous arrêtera. Remarquez qu’aux termes de la loi, les bourgmestres seront nommés par le Roi ils seront les gens du gouvernement. Qui les empêchera de nous arrêter sous le prétexte que nous sommes des furieux (L’hilarité continue). Qui empêchera ainsi l’élection des candidats de l’opposition ?

Messieurs, je ne pense pas qu’il faille rire de cela, quoique ce soir risible. (L’orateur, en disant ces mots, se livre lui-même à un accès d’hilarité que partage la chambre.)

Les arrêtés de 1815 sont présents à vos esprits, vous savez combien de fois l’on a réclamé contre l’abus qu’on en a fait.

Je maintiens que la proposition du gouvernement perpétuerait ces abus. C’est ce à quoi nous avons voulu obvier en présentant une disposition restrictive dans la loi communale.

Nous admettons avec M. le ministre que le collège des bourgmestre et échevins est chargé de prévenir les événements fâcheux qui pourraient provenir de la divagation des insensés. Maintenant viennent les moyens, et c’est en quoi nous différons avec le gouvernement.

Nous voulons que l’on reste dans les termes de la constitution. Nous voulons que le collège des bourgmestre et échevins s’humilie devant le pacte fondamental, et qu’il vienne demander au juge de paix le mandat d’arrestation qu’il n’a pas le droit de lancer de sa propre autorité. L’on ne peut contester que ce système ne soit très sage et en harmonie avec la constitution. L’on dit que nous n’avons pas établi des réserves assez fortes pour les personnes arrêtées. Améliorez notre rédaction, nous y consentons ; mais ne venez pas, par une disposition de 1790 qui tombe en présence de la constitution, introduire un article contraire à la liberté individuelle.

Il ne faut pas que le pouvoir exécutif puisse abuser du droit d’arrestation. S’il a flagrant délit, opérez l’arrestation. Rien n’est plus juste. La constitution le permet. Je demande que l’on n’adopte pas la proposition de M. le ministre sans y insérer une disposition semblable à celle de la section centrale. Si vous renvoyez le tout à la section centrale, je demande que l’on invite les auteurs des amendements à venir en présenter les motifs. Mais je m’oppose à ce que l’on introduise dans la loi communale une disposition qui donnerait aux communes un pouvoir que leur refuse la constitution.

M. Gendebien. - J’ai demandé le renvoi à la section ou aux sections de toutes les propositions. Je n’ai voulu préjuger sur rien. J’ai dit qu’il était indispensable de faire marcher de front les dispositions présentées par le ministre et les précautions nécessaires qui font l’objet de l’amendement de l’honorable M. de Brouckere. Toute la question se borne à savoir si l’on renverra le tout à la section centrale ou aux sections. il est donc inutile de discuter encore avant d’avoir décidé cette question. Si la section centrale est d’avis qu’il y a lieu de voter la proposition de M. le ministre, nous la voterons sauf à revenir sur notre première décision au second vote, alors le projet de loi de l’honorable M. de Brouckere aura été examiné. Mais je désire qu’il soit bien certain que l’on fera marcher les deux choses de front.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je ne puis m’empêcher de relever l’opinion de l’honorable M. Dumortier, qui, regardant la loi de 1790 comme contraire à la constitution, a avancé que le gouvernement s’était mis, dans la disposition qu’il présente, en opposition avec la constitution. Il n’y a pas de point de contact entre cette loi et notre pacte fondamental.

La charte française, d’accord avec notre constitution en ce qu’elle s’oppose à l’arrestation arbitraire, n’a jamais été un obstacle à ce que l’on arrêtât un insensé, un furieux dont la liberté lui était nuisible aussi bien qu’à la société.

Ainsi un individu atteint subitement d’un transport furieux, d’une maladie cérébrale, ne pourrait être saisi par l’autorité communale. L’on ne pourrait prendre les mesures nécessaires pour empêcher de compromettre la sûreté des habitants. Il faut bien remarquer que la disposition concerne un malade, qu’il ne peut être question ici, comme l’a avancé un honorable préopinant, de flagrant délit. Il ne s’agit pas ici de délit. Quoi que vous fassiez, la loi de 1790 reste en vigueur. Je demande que les dispositions de cette loi soient maintenues dans la loi communale. Nous ne demandons pas un nouveau pouvoir, mais ce qui existe aujourd’hui. Je reconnais la nécessité de faire une législation plus complète sur les aliénés. Il m’importe peu que l’on renvoie la proposition de l’honorable M. de Brouckere aux sections ou que le gouvernement prenne l’initiative. Le gouvernement n’a d’autre intérêt que la chambre, que le pays, à avoir une bonne législation sur les aliénés.

M. Dumortier, rapporteur. - Je ne puis admettre que la loi de 1790 soit encore en vigueur.

- Un membre. - Elle est exécutée depuis quatre ans.

M. Dumortier, rapporteur. - Si depuis quatre ans une illégalité a été commise, ce n’est pas une raison pour ne pas la faire cesser.

L’article 7 de la constitution et la loi de 90 ne peuvent subsister simultanément. Or, toutes les dispositions contraires à la constitution sont abrogées par la publication de notre pacte fondamental. La loi de 1790 permet de faire des arrestations malgré le mandat du juge. Il est déplorable que beaucoup d’administrations abusent de leurs pouvoir et se permettent des arrestations sur des citoyens sans flagrant délit.

J’ai le cœur qui saigne quand je vois que l’on respecte si peu la liberté individuelle. On exerce des arrestations pour de simples querelles d’ivrognes. Les administrations communales n’en ont pas le droit. Elles n’ont que le droit d’intervenir pour ramener le bon ordre. Mais elles ne peuvent mettre en prison celui qui n’est pas dans le cas de flagrant délit.

L’on a parlé de la charte française. Il n’est pas question de la charte française. Il ne s’agit en Belgique que de la constitution. L’article 136 abroge formellement toutes les lois, arrêtés, décrets et règlements contraires à la constitution. Par conséquent, la loi de 90 est abrogée.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - L’honorable préopinant aura beau faire, il ne parviendra pas à détourner les autorités communales de l’exécution des mesures que leur prescrit l’intérêt de la sûreté des habitants. J’espère qu’elles rempliront toujours leur devoir comme elles l’ont fait jusqu’à ce jour, et qu’elles viendront au secours des malheureux dont l’état réclame leur sollicitude.

M. de Brouckere. - Je demande le renvoi à la section centrale de toutes les propositions. Elle verra s’il faut adopter la proposition du ministre et faire de la mienne un projet de loi séparé, ou s’il faut que celle-ci soit insérée dans la loi communale. Elle maintiendra ce qu’il lui conviendra, et au moins nous discuterons en connaissance de cause.

M. Jullien. - Je ne vois pas la nécessité de renvoyer à la section centrale la première partie de la proposition de M. le ministre qu’elle a déjà admise. Il est impossible de voir, dans la disposition soumise à votre examen, autre chose qu’une mesure de police ordinaire, indispensable. Nous respectons la liberté individuelle comme l’honorable M. Dumortier.

S’il fallait confier à l’administration municipale le droit de mettre en prison les furieux et les insensés, je concevrais les scrupules de M. Dumortier. Mais il ne s’agit que d’obvier aux résultats fâcheux qu’aurait la divagation ces furieux et des insensés. Quand un insensé ira se jeter à la rivière, qualifierez-vous d’attentat à la liberté individuelle l’acte de l’agent de police qui l’aura empêché de se suicider ? Quand un individu furieux se livre à des actions qui troublent l’ordre public, la société n’est-elle pas intéressée à ce que l’on se saisisse de lui ? Voilà tout ce que dit la loi. C’est une simple mesure de police.

Quant aux moyens de régulariser l’arrestation de furieux qui pourrait être trop longue, d’insensés qui ne serait pas réclamée, le ministre y a pourvu suffisamment. La chambre peut donc admettre les dispositions du gouvernement. C’est de ce que la section centrale y a ajouté quelque chose, comme en beaucoup de circonstances, qu’est née la discussion.

- Le renvoi à la section centrale n’est pas adopté.


M. le président. - Je vais alors mettre aux voix la première disposition de l’article de la section centrale qui est ainsi conçue :

« Le collège des bourgmestre et échevins est charge d’obvier et de remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par les insensés et les furieux laissés en liberté. »

A cette disposition deux amendements sont présentés :

L’un par M. de Robaulx, qui propose d’ajouter après le mot « remédier, » ceux-ci : « conformément aux lois. »

L’autre par M. Gendebien, qui propose d’ajouter à la fin de la disposition ces mots : « ou par des animaux malfaisants ou féroces. »

M. de Robaulx. - Pour ce qui regarde l’addition que j’ai cru devoir faire à la proposition du ministre, j’ai entendu dire qu’elle était inutile, que c’était de droit, que les magistrats municipaux n’exerçaient leurs fonctions que conformément aux lois. Je sais cela, mais vous avez entendu M. de Brouckere vous dire : Si le projet de loi que vous devez présenter est rejeté ou qu’il n’y soit pas donné suite, il en résultera qu’en l’absence de la loi régulatrice du principe que vous posez dans la loi communale, les autorités municipales auront le droit de créer arbitrairement les formes qu’elles jugeront à propos d’établir.

C’est pour cela même qu’il y a lieu et que je crois qu’il y aura lieu de discuter séparément et le principe et l’application qu’il faut que les mots : « conformément aux lois » soient insérés dans la disposition. Si cela n’est pas nécessaire, comme ce qui abonde ne nuit pas, il n’y a aucun inconvénient à le faire. Au moins cela tranquillisera ceux qui craindraient que la disposition sans cette restriction, ne met trop d’arbitraire entre les mains des autorités municipales.

M. Dubus. - Messieurs, le mode de délibération qu’on vous propose présente de graves inconvénients. Un amendement a été proposé par le ministre, la section centrale y a appliqué d’autres paragraphes et vous a proposé l’adoption de l’article précisément parce que ces nouveaux paragraphes affectaient la première disposition. Maintenant vous séparez cette première disposition des paragraphes ajoutés, et vous voulez la mettre aux voix sans faire droit aux amendements. Vous mettez dans l’embarras ceux qui ont à se prononcer sur la première disposition ; car, de limitée qu’elle était, elle va devenir tellement vague, tellement générale, qu’elle pourra prêter à beaucoup d’inconvénients.

Les bourgmestres ordonneront l’arrestation de l’insensé, et non seulement la séquestration aura lieu en vertu de la disposition que vous aller voter, mais cette séquestration n’aura pas de terme. L’individu arrêté demeurera arrêté ; il aura son recours, mais il sera détenu, et jusqu’à ce qu’il ait été fait droit à sa réclamation, sa détention se prolongera. Vous mettrez ainsi la liberté des citoyens à la discrétion des bourgmestres et des échevins. Cette disposition est dangereuse, surtout après la discussion qui vient d’avoir lieu.

M. Dumortier, rapporteur. - On ne peut pas procéder comme on propose de le faire. Aux termes du règlement les amendements doivent toujours avoir la priorité sur la proposition principale. Ici la proposition principale c’est la disposition présentée par le ministre. Les amendements de la section centrale et ceux des honorables membres qui en ont présenté, doivent d’abord être mis aux voix, ensuite viendra la proposition principale qui est celle du ministre. On ne peut pas procéder autrement. Si on persiste à mettre d’abord aux voix la première partie de l’article, je me verrai forcé de la rejeter, tandis que je l’adopterais avec les amendements de la section centrale et les autres amendements

Je demande donc que, conformément au règlement, on donne la priorité aux amendements sur la proposition principale.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je pense que M. le président a agi conformément à l’intention de la chambre et au vote qu’elle vient d’émettre. Deux systèmes étaient en présence : l’un de renvoyer la disposition et tous les amendements à la section centrale, l’autre de séparer la première disposition de l’article et de faire des autres dispositions l’objet d’une loi spéciale. La chambre n’a pas admis le premier système ; M. le président a dû séparer la première disposition de celles qui doivent être l’objet d’une loi spéciale. Des amendements ont été proposés pour modifier cette première disposition ; la chambre verra si elle doit ou non les admettre.

M. Gendebien. - J’ai demandé que tout fût envoyé à la section centrale, parce qu’il m’a paru qu’en adoptant les amendements de la section centrale on n’obvierait pas aux inconvénients que nous avons signalés. Le paragraphe 2 ne donne aucune garantie aux fous ou aux furieux arrêtés, ni aux citoyens arrêtés sous prétexte de folie ou de fureur, En effet que dit ce paragraphe ? « L’insensé ou le furieux pourra être placé dans un hospice, en vertu d’une ordonnance motivée, rendue par le juge de paix, etc. »

En attendant que cette ordonnance soit provoquée, en attendant qu’elle soit rendue pour faire placer le fou ou le furieux dans un hospice, où restera-t-il ? En prison. De manière qu’aussi longtemps que le collège des bourgmestre et échevins ne jugera pas à propos de provoquer l’ordonnance pour renvoyer l’insensé dans un hospice, cet insensé restera en prison.

Remarquez qu’il pourra y rester longtemps, qu’il pourra même y terminer sa vie, car il n’y a pas de terme fixé par la loi qui n’impose pas l’obligation de provoquer une ordonnance, mais donne seulement la faculté de le faire.

On ne peut pas voter des lois ainsi improvisées. Pour ma part je ne voterai aucune disposition autorisant la séquestration d’un insensé ou furieux, tant et si longtemps que je n’y verrai pas les garanties que tout citoyen a droit de réclamer en vertu de l’article 7 de la constitution.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Pour répondre à l’honorable préopinant, il suffira de faire observer que la disposition est exécutée depuis quarante ans en France et en Belgique, et que son exécution n’a présenté aucune espèce de difficulté.

M. de Brouckere. - La loi de 90 n’est pas exécutée en Belgique depuis 40 ans, puisque c’était l’arrêté-loi du 23 février 1815 qui réglait la matière dans ce pays. J’ai été pendant dix ans procureur du Roi, et jamais je n’ai vu appliquer la loi de 1790.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - L’arrêté de 1815 étant plus large que la loi de 90, tant qu’il n’a pas été abrogé, la loi de 90 n’a pas été appliquée. C’est ainsi que je l’entendais. Mais dès que l’arrêté-loi a cessé d’exister, depuis quatre ans elle est exécutée sans qu’on se plaigne du moindre abus, sans la moindre réclamation.

M. de Brouckere. - Des régences ont refusé de l’appliquer.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Les régences n’ont pas refusé d’exécuter la loi ; mais des doutes ont été exprimés sur le droit de conserver les insensés dans des hospices.

M. Jullien a fait avec raison une distinction entre les mesures prises dans l’intérêt de l’aliéné et de la tranquillité publique, et le dépôt de cet aliéné pendant un temps illimité dans un hospice.

M. Dubus. - Je ne peux pas être d’accord avec M. le ministre de la justice sur l’exécution que reçoit sans difficulté et sans abus la loi de 1790 dans les provinces, Je puis dire que dans le district de Tournay on n’exécute pas cette loi de 1790. Il est à ma connaissance qu’on y laisse divaguer des insensés furieux, parce que les autorités pensent qu’il n’y a pas de loi qui les autorise à lancer un mandat pour les arrêter.

Nous devons dans tous les cas examiner la rédaction proposée, en elle-même, si c’est un bon article de loi. Car ce n’est pas ici une loi provisoire dont nous fixons la durée, c’est une loi d’organisation qui ne doit contenir que des dispositions dont nous ayons bien apprécié la portée.

On vous propose cette première partie de l’article de la section centrale qui est la proposition faite par le ministre, comme une espèce de disposition provisoire que vous voteriez, sauf à faire ensuite une loi séparée qui limiterait la trop grande portée de cet article. Mais cette loi n’est pas faite, elle ne sera pas faite de longtemps ; car, pour la faire, il faudra que les trois branches du pouvoir législatif tombent d’accord, et entre-temps vous iriez armer le collège des bourgmestre et échevins du droit de faire arrêter qui il lui plairait, sous le prétexte qu’il est insensé et furieux, et de le retenir aussi longtemps qu’il le voudrait. Vous l’armeriez là d’un grand pouvoir contre la liberté des citoyens, et vous ne placeriez pas à côté du mal possible le remède pour le faire cesser.

Alors qu’on signale les inconvénients de procéder de cette manière, on répond : Vous ferez une loi pour que ces inconvénients n’aient pas lieu. Mais c’est au moment où vous votez la disposition qui peut avoir des inconvénients que vous devez vous occuper des mesures qui doivent les prévenir.

Je pense que la disposition qu’on propose de séparer du reste de l’article a encore besoin d’être modifiée.

Il faudrait peut-être fixer un terme après lequel ces arrêtés ne pourraient plus avoir d’effet. En tous cas, je crois que nous ne pourrons voter aujourd’hui, et je demande le renvoi de la délibération à demain.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Il me semble que la discussion a déjà été assez longue ; demain cela sera à recommencer.

Je crois que les opinions sont suffisamment formées. L’honorable M. Dubus a dit que dans le district de Tournay on laissait les insensés divaguer en liberté. Il en résulte que toutes les autorités communales n’ont pas exécute la loi ; mais, pour juger de l’existence d’une loi ou de son utilité, il faut voir si son exécution a donné lieu à des réclamations ou à des abus.

Le même orateur a ajouté : Vous allez armer les bourgmestres d’une autorité qu’ils ne doivent point avoir. Mais ils ont actuellement cette autorité : nous ne leur donnons donc pas un pouvoir qu’ils n’ont pas. Si l’on veut m’en croire, ne perdons pas de temps : votons sur l’article premier ; dans tous les cas, la loi de 1790 est en vigueur, et je dois dire que pour ma part je la ferai toujours exécuter.

M. Dumortier, rapporteur. - Je m’étonne que M. le ministre de la justice tienne ce langage. Il a reconnu que la loi de 1790 n’existait pas pour le royaume des Pays-Bas, mais bien celle de 1814. Il est bien constant que quand une loi a été abrogée par une autre loi, elle ne peut être remise en vigueur que par une disposition nouvelle de la législature. L’arrêté-loi de 1815 vaudrait mieux que la loi que vous présente M. le ministre de la justice. Je m’étonne qu’un ministre de la justice vienne vous proposer ce qui est une atteinte au principe le plus sacré de la constitution, à la liberté individuelle. Je demande, comme mon honorable ami M. Dubus, que la délibération soit remise à demain ; quoi qu’en dise M. le ministre de la justice, le temps ne sera pas perdu. Nous avons d’autres objets à discuter qui attireront l’attention de chacun.

Dans tous les cas, nous ne pouvons voter la deuxième disposition sans la première. Je déclare que la question est tellement grave que l’on ne doit pas voter en faveur des bourgmestres et des échevins un pouvoir illimité sur les personnes. Un objet contre lequel nous nous sommes le plus élevés, c’est l’arrêté-loi de 1815, et la proposition de M. le ministre de la justice est cent fois pire. Il n’y a aucune mesure préservative dans cette proposition, et comme l’a fort bien dit l’honorable M. Gendebien, quand une personne sera incarcérée, il faudra attendre qu’il plaise à l’autorité de lui rendre la liberté. Je ne puis donner mon assentiment à une pareille mesure et j’insiste pour que la délibération soit remise à demain.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - L’honorable préopinant ne parle pas sérieusement quand il dit que l’arrêté de 1815 vaut mieux que la loi de 1790. Il prétend que l’arrêté de 1815 a abrogé la loi de 1790. C’est inexact. Dès que la loi de 1815 a cessé d’exister, la loi de 1790 a été appliquée. L’honorable membre a dit que je n’aurais pas fait ma proposition, si je n’avais pas cru cette loi abolie. Je n’ai eu d’autre but que de compléter les attributions communales, et je crois que la loi de 1790 est applicable en cette circonstance et d’ailleurs je tiendrai toujours la main à ce que cette loi reçoive son exécution.

M. Dumont. - Je trouve dangereux de poser le principe dont il s’agit dans la loi communale ; d’abord parce que je juge toujours dangereux d’admettre un principe quand je ne le comprends pas bien. Je crois que l’article dont il s’agit serait bien mieux placé en tête de la loi spéciale sur les insensés. Je demande donc à la chambre de ne rien décider sur cette matière et de tout renvoyer à une loi spéciale. J’appuie en tout cas la proposition de renvoyer la délibération à demain, d’autant plus que nous sommes privés du renvoi à la section centrale, puisque la chambre a décidé négativement sur ce point. Je demande donc subsidiairement le renvoi de la délibération à demain.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Quant au renvoi à la section centrale, la chambre s’est prononcée, et je pense qu’elle ne reviendra pas sur sa décision. Quant au danger d’introduire dans la loi communale un principe dont on ne sent pas la portée, cela n’est pas juste, puisque ce principe était dans une loi qui n’a jamais présenté d’inconvénients.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - L’honorable M. Jullien vous a fait observer avec raison qu’il ne s’agissait ici que d’une simple disposition de police municipale ; or une pareille disposition doit trouver sa place dans la loi communale. Un honorable préopinant a dit que dans certaines localités on a formé des doutes sur l’existence légale de la loi de 1790, et que là on laissait circuler librement les insensés et les furieux. C’est un abus grave qu’il importe de faire cesser. M. le ministre de la justice n’a reproduit d’ailleurs que les dispositions textuelles de la loi de 1790.

Un honorable préopinant a prétendu que cette loi avait été abrogée par la constitution ; il est en désaccord sur ce point avec tous les procureurs généraux, avec tous les officiers des parquets du royaume, avec l’immense majorité des bourgmestres et des administrations municipales. Ainsi donc, si l’honorable préopinant a raison, tous ces fonctionnaires ont eu constamment tort depuis 4 ans.

Je ne vois aucune difficulté dans l’amendement proposé, c’est une simple disposition de police municipale, réclamée dans l’intérêt de l’ordre public, dans celui des malheureux qui divaguent et qui sont exposés par leur divagation même à des accidents continuels. Si plus tard on veut régulariser ce principe, rien ne s’oppose à ce qu’il soit présenté une loi spéciale sur cette matière.

Je vous prie d’observer que de 1815 à 1830 nous avons été sous l’empire de l’arrêté de 1815. Les dispositions de cet arrêté étaient bien larges, bien élastiques ; il dispensait même de toute forme de procédure. Et cependant, messieurs, cet arrêté, en tant qu’on l’appliquait aux insensés, n’a donné lieu, je pense, pendant les quinze années de son existence, à aucune réclamation fondée.

Dès lors il n’y a aucun inconvénient à redouter de l’adoption de l’amendement de M. le ministre de la justice ; il est destiné à faire cesser le doute que conservent sur leurs attributions quelques autorités communales. Il en résulte que l’on n’aura plus dans certaines localités le malheur de voir en liberté des fous et des furieux.

M. Gendebien. - Ce que vient de dire M. le ministre des affaires étrangères ne répond nullement à l’observation présentée par l’honorable M. Dumont.

M. le ministre vient de dire que, par suite de l’insertion dans la loi communale de la proposition du gouvernement, les bourgmestres n’auront plus aucun doute sur ce qu’ils devront faire. Mais ce doute disparaît également d’après la proposition de l’honorable M. de Brouckere. Nous pouvons voter cette proposition demain, après-demain, dans dix jours. Alors on ne pourra pas nous reprocher d’avoir voté une disposition aussi importante, sans en connaître la portée.

Comme l’a dit l’honorable M. Dumont, et contrairement à ce qu’a dit M. le ministre des affaires étrangères, il ne s’agit pas simplement d’une disposition concernant l’autorité communale. Il résulte de la discussion et de l’observation de M. Dumont que l’autorité judiciaire intervient dans cette matière avec l’autorité municipale ; elle s’y trouve engagée par les instructions ministérielles. Il convient d’adopter une disposition complète qui règle les attributions de l’autorité judiciaire et de l’autorité municipale en même temps.

On veut détourner la chambre d’adopter cette disposition complète. Mais chacun de nous en sentira la nécessité ; car les attributions de l’autorité judiciaire étant déterminées par des instructions ministérielles, nous sommes précisément par cela même sans aucune garantie, nous sommes abandonnés au bon plaisir et au caprice des ministres. Eh bien, nous ne voulons pas être livrés à leur bon plaisir et au caprice des ministres, surtout quand il s’agit de liberté individuelle, parce que nous savons le respect qu’a le gouvernement pour cette liberté.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - L’honorable préopinant est dans l’erreur lorsqu’il parle d’instructions ministérielles relatives à l’intervention de l’autorité judiciaire. Aucune instruction n’a été demandée à cet égard. C’est dans la loi que les magistrats trouvent l’obligation de prêter protection et appui aux insensés et aux furieux et de protéger contre eux la société.

Ainsi toutes les observations présentées à cet égard croulent par leur base.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !


M. le président. - Il y a deux propositions. La proposition de M. Dubus qui demande le renvoi de la discussion à demain et l’impression des amendements, et la proposition de M. Dumont qui demande l’ajournement à l’époque de la discussion du projet de loi relatif aux insensés et subsidiairement le renvoi à demain.

M. Dubus. - Je demande la priorité pour ma proposition. Il est certain que l’on peut toujours adopter le renvoi à demain, sauf si demain la majorité de l’assemblée n’était pas assez éclairée, à ajourner la discussion à l’époque où l’on s’occupera du projet de loi relatif aux insensés.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je ne m’oppose pas à cette proposition. Je ferai seulement remarquer que c’est indirectement mettre à néant toute la discussion qui a eu lieu aujourd’hui.

M. Dubus. - Ma proposition tend au contraire à utiliser cette discussion.

M. Dumortier. - Je me bornerai à une seule observation. L’article 24 du règlement porte : « Les réclamations d’ordre du jour, de priorité et de rappel au règlement, ont la préférence sur la question principale et en suspendent toujours la discussion. La question préalable, c’est-à-dire celle qu’il n’y a pas lieu à délibérer, la question d’ajournement, c’est-à-dire celle qu’il y a lieu de suspendre la délibération ou le vote pendant un temps déterminé, et les amendements, sont mis aux voix avant la proposition principale, les sous-amendements avant les amendements. »

Vous devez donc de toute nécessité vous occuper des amendements de MM. de Brouckere, Gendebien et Pirson avant de vous occuper de la question principale. Ainsi il n’y aura pas eu perte de temps. On aura les amendements sous les yeux, et l’on en comprendra mieux la portée.

M. le président. - S’il n’y a pas d’opposition, la proposition de M. Dubus aura la priorité. (Adhésion.)

- La proposition de M. Dubus est mise aux voix ; elle est adoptée. En conséquence la chambre décide que la discussion est renvoyée à demain et ordonne l’impression des amendements.

La séance est levée à 4 heures 3/4.