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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 26 décembre 1834

(Moniteur belge n°360 et 361, des 26 et 27 décembre 1834)

(Présidence de M. Raikem.)

La séance est ouverte à une heure.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal.

M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; il est adopté.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’analyse des pétitions suivantes.

« Le sieur Ch. Vanderstraeten fils réclame le paiement arriéré de la pension de feu son père. »

« Plusieurs fermiers de la commune de Moorsele demandent que les droits à l’entrée sur les tourteaux de graine grasse soient supprimés. »

« Le sieur Th. Vrencop, ex-officier de la garde civique, adresse des observations sur le projet relatif à la réorganisation de la garde civique. »

« Le sieur Jos. Montigny, arquebusier, réclame l’intervention de la chambre pour faire adopter par le gouvernement son fusil et son canon pour le service de l’armée, il demande qu’ils soient soumis à une nouvelle épreuve.

- Ces pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.

M. de Puydt. - Je demanderai que la dernière pétition dont on vient de faire connaître l’analyse reste déposée sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre. Elle pourra être utile quand on viendra à la discussion du matériel de l’armée.

M. le président. - Puisqu’il n’y a pas d’opposition, la pétition du sieur Montigny, arquebusier, restera déposée sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre.


Il est donné lecture :

1° d’un message du sénat annonçant l’adoption du projet de loi allouant un crédit supplémentaire au budget du ministère de l’intérieur pour solder les dépenses de 1831 et années antérieures, restant à liquider.

2° d’un autre message du sénat annonçant l’adoption du projet relatif au traitement des auditeurs militaires.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l'exercice 1835

Discussion générale

M. Dechamps. - Je demande la parole.

M. le président. - M. Gendebien est inscrit pour la parole avant vous.

M. Gendebien. - J’avais demandé la parole à la fin de la dernière séance. Je la céderai volontiers à l’honorable M. Dechamps, s’il se propose de traiter la question diplomatique soulevée dans la dernière séance. Mais je crois que cette question dot être vidée d’abord afin que nous n’ayons pas à résoudre de front plusieurs questions à la fois.

M. Dechamps. - C’est sur ce point que j’ai l’intention de parler.

M. Gendebien. - Alors je vous cède la parole.

M. Dechamps. - Bien des membres de cette chambre paraissent suffisamment rassasiés de la discussion générale, et je conçois en effet que pour eux elle constitue une redite oiseuse qui ne leur apprend rien. Quoique n’ayant pas encore eu l’occasion de dire ma pensée sur notre position politique, j’avais l’intention de vous épargner l’ennui d’un discours de plus ; mais une réflexion m’est venue : c’est que votre ministère, selon toute probabilité, sera sous peu poussé de nouveau sur le terrain des négociations, et je le crois trop habile pour qu’il ne sache pas que le point où en sont arrivées les négociations est l’endroit le plus glissant peut-être, et par lui-même, et surtout par l’avènement du ministère tory en Angleterre.

Si donc, dans cette situation, où le ministère aura besoin de toute la force que donne l’appui et l’assentiment des chambres et du pays, si nous allions nous croiser les bras nonchalamment et laisser passer, sans paraître rien prévoir, cet événement que chacun, soit qu’il espère ou qu’il craigne, doit considérer comme très grave, la conférence nouvelle, dans le sein de laquelle nous aurons certainement moins de sympathie, n’aurait-elle pas le droit de penser que nous avons peu souci de ce qui peut advenir, et que notre apparente lassitude est une occasion favorable d’exiger de nous de nouveaux sacrifices ?

Cette réflexion m’a engagé à vous dire aussi mes espérances et mes craintes sur notre position actuelle ; je le ferai en peu de mots.

La première question que les précédents orateurs se sont posée, et qui est celle qui se présente naturellement à l’esprit, est l’appréciation de l’événement qui vient de se passer en Angleterre.

Cet événement peut être considéré sous deux faces. D’abord, par rapport à l’alliance de l’Angleterre et de la France, ou sous sa face générale ; en second lieu, par rapport aux détails de nos futures négociations.

Si l’avènement du ministère tory pouvait être une cause probable de la destruction de cette alliance qui assure, comme l’a très bien dit M. Nothomb, la suprématie politique à l’occident de l’Europe, je pense, messieurs, que nous serions sur le seuil du plus grand péril qu’ait couru jusqu’ici l’indépendance du nouvel Etat belge, et nous devrions recourir, comme on l’a dit, à une subvention de guerre bien autrement considérable que celle que nous avons allouée. Mais cet avènement est-il une cause probable de la rupture de cette alliance ? L’honorable M. Gendebien le craint, en se fondant sur les antécédents de ce même ministère tory en 1830.

Des sentiments et des dispositions à notre égard qu’il a manifestés alors, il argue de ses sentiments et de ses dispositions actuels.

Messieurs, il me paraît que c’est là faire une part bien nulle à tous ces événements si graves qui ont depuis quatre ans assis peu à peu l’Europe sur des bases nouvelles. Le lendemain d’une révolution qui compromettait le traité de 1815 et sapait ainsi les fondements de la politique générale, alors même que les chefs de l’opposition belge aux états-généraux doutaient presque encore si c’était d’une séparation complète ou bien sous une même dynastie qu’il s’agissait, vous trouvez étonnant qu’une des grandes puissances s’inquiète et montre le désir de conserver ces traités généraux sur lesquels le système européen a été établi ; vous trouvez étrange qu’elle parle de la révolte belge quand tous les jours vous vous décorez du nom de révolutionnaire !

Il est impossible d’assimiler raisonnablement ces deux époques, quand dans la première la question de fonder un Etat belge indépendant n’était pas encore posée entre les puissances, et quand, dans la seconde époque, cette indépendance est scellée aux bases du droit public de l’Europe par des traités, par la reconnaissance expresse d’un roi qui la couronne et par le fait d’une existence de quatre ans.

Nous ne pouvons donc apprécier le ministère Wellington par ce qu’il était en 1830. Et si je voulais le juger par ses actes je vous citerais en comparaison le discours du roi d’Angleterre du 2 novembre 1830, et le manifeste récent de Robert Peel ; il y a un siècle d’événements entre eux. Les hommes d’Etat ne peuvent agir que sur le fonds des circonstances réelles qui les entourent ; se placer en dehors, c’est travailler sur le vide. C’est donc d’après ces circonstances que nous devons présumer de la marche de ce ministère.

Or, est-ce bien le moment où l’Espagne et le Portugal sont entrés dans l’alliance qui n’existait naguère qu’entre l’Angleterre, la France et la Belgique, et quand ils en ont ainsi resserré le nœud, est-ce bien ce moment que le gouvernement tory irait choisir pour couper ce nœud, pour briser cette alliance ?

Messieurs si vous ne voulez pas accorder aux chefs de ce cabinet une haute intelligence politique, ce qui est un problème, vous ne lui refuserez pas du moins l’instinct de sa conservation et de l’intérêt de son parti.

Eh bien, la rupture de l’alliance de l’Angleterre et de la France, c’est évidemment la guerre continentale ; et tout aussi évidemment cette guerre est ce que l’Angleterre a le plus à redouter, à un degré plus grand encore que les autres puissances européennes.

En effet il existe, peut être heureusement pour la paix générale, dans le sein de chaque nation, une grande question intérieure qui absorbe les projets et l’activité des gouvernements, de manière à ne leur laisser presque rien pour la politique extérieure : dans les Etats monarchiques, c’est l’invasion de l’élément démocratique, sous le nom de réforme, de libéralisme ou de révolution ; dans les Etats constitutionnels c’est le malaise industriel qui se formule dans le paupérisme et dans le prolétariat, qui veut monter un échelon plus haut sur l’échelle sociale.

Or, une guerre générale allumerait tous ces ferments de guerre civile et bouleversements intérieurs, et l’Angleterre qui renferme dans son sein le plus de matière pour cet incendie, qui dès lors a pour premier besoin d’éloigner soigneusement tout ce qui pourrait y jeter une étincelle, l’Angleterre, pas plus que les autres puissances, ne peut vouloir la guerre, ni par conséquent la rupture de son alliance avec la France qu’elle entraînerait nécessairement après elle.

Et puis, messieurs, vous n’ignorez pas que depuis 1815 presque toutes les nations du continent se sont jetées plus ou moins avant dans le système des emprunts qui forment aujourd’hui la base du crédit national. Or, la guerre continentale, qui suppose un recours universel aux emprunts, suspendrait les opérations commerciales en même temps qu’elle amènerait une effroyable dépréciation dans les fonds publics, et la banqueroute universelle ainsi que la ruine de l'industrie en serait le dernier terme.

La rupture de l’alliance de l’Angleterre et de la France ne me paraît donc pas possible, autant que l’on puisse prévoir, et notre nationalité n’a pas dès lors de danger à courir par suite de l’avènement du ministère tory anglais, comme plusieurs semblent le craindre. Ce n’est pas sous la sauvegarde de la bienveillance et de la sympathie des puissances que notre nationalité est placée, mais sous la sauvegarde de leur intérêt à chacune d’elles et de leur propre conservation.

J’ai examiné notre situation extérieure sous sa face générale, et je n’ai rencontré aucun motif capable de justifier les craintes exagérées à cet égard ; mais si notre indépendance est garantie par l’intérêt même des puissances, en est-il de même, messieurs, à l’égard des détails de nos futures négociations ? Si les événements empêchent que la propension du ministère tory pour le roi de Hollande puisse se réaliser quant à notre nationalité, empêchent-ils que cette propension se manifeste dans les différentes clauses des traités sur l’interprétation desquelles on peut différer, nous a dit M. le ministre des affaites étrangères ? Je vous avoue, messieurs, qu’à cet égard ma confiance n’est pas la même, et c’est pour cela que je vous disais en commençant que nous étions arrivés sur le terrain des négociations au point le plus glissant peut-être.

M. Nothomb nous a démontré que la confédération germanique avait intérêt à maintenir les arrangements territoriaux dans le Limbourg et le Luxembourg, comme ils sont établis par le traité du 15 novembre. Ces considérations ont calmé à certain point, je vous l’avoue, mes inquiétudes à cet égard ; mais ces questions présentent tant de faces que plusieurs peuvent nous échapper, et il est difficile de savoir si la confédération se placera au même point de vue que M. Nothomb ; pour moi je l’espère. Mais il n’en demeure pas moins incontestable qu’on ne pourrait, d’après le terme des traités, rien nous ôter du Luxembourg sans nous en dédommager dans le Limbourg ; c’est là une de nos plus fortes positions dans le combat diplomatique, et j’ai trop de confiance dans l’habileté de notre ministère pour craindre qu’il ne sache s’y maintenir.

Nous avons vu, messieurs, que ni l’Angleterre, ni les autres puissances ne pouvaient vouloir la guerre, que toujours elles reculeraient devant elle, et que c’était là ce qui mettait notre indépendance hors de toute atteinte. Eh bien, messieurs, si cela est vrai, ne vous paraît-il pas que la ligne de conduite de notre gouvernement devient assez simple ? Ce serait de se cramponner au statu quo, et toutes les fois que la diplomatie tenterait de nous en faire sortir au prix de nouveaux sacrifices, ce serait par notre résistance énergique de résoudre toutes ces questions en question de guerre ; et certes, ce n’est pas pour un lambeau du Luxembourg, ni à cause de son amitié pour le roi de Hollande, que l’Angleterre risquera de se séparer de la France et d’allumer ainsi la guerre continentale.

Un orateur a fini par déclarer au nom de ses commettants que les hommes qui sont maintenant au pouvoir n’offraient pas les garanties suffisantes pour rassurer le pays. Messieurs, ne trouvez-vous pas ce jugement peu fondé et partial ? C’est une singulière manie de préjuger ainsi a priori de la conduite d’un ministère alors que vous n’avez pas d’actes pour étayer votre condamnation. Pour moi, si je devais me prononcer sur la confiance qu’il mérite par les antécédents et le caractère personnel de chacun de ses membres, je déclare aussi au nom de mes commettants que je la lui accorderais ; mais je ne veux pas ainsi me lier à l’avance sur le jugement à porter de sa marche dans les questions politiques où il n’est pas encore entré.

J’ai entendu parler de despotisme, de ruine entière de nos libertés. Mais, messieurs, je dois croire que c’est par réminiscence et par une certaine habitude d’opposition que des accusations vagues ont été portées, et je n’en veux pour preuve que les motifs mêmes de l’accusation. Il y a eu quelques destitutions dans l’armée ; j’ignore jusqu’à quel point il y a eu justice ou injustice dans des actes d’administration ; mais est-ce bien à propos de tels détails qu’on est en droit de parler de ruiné de nos libertés ?

Il est vrai que le sens du mot despotisme est relatif : un ministre constitutionnel est toujours un despote pour un radical, un roi sera toujours un despote pour un démocrate, et d’après les opinions connues et avouées d’un honorable orateur, que j’estime d’ailleurs pour sa franchise et sa bonne foi toute d’abnégation, il sera toujours difficile et même impossible qu’un ministère, quel qu’il soit, dans l’ordre de choses qui nous régit, ne lui apparaisse pas sous les couleurs du despotisme.

Pour moi, je ne voue un culte, ni aux doctrinaires, par la raison bien simple que je ne sais trop ce que ce mot désigne, ni à tel autre parti exclusif. Il me paraît que dans un siècle où tout tombe sans que l’on sache ce qui va s’élever, où les gouvernements et les peuples vivent au jour le jour, il est impossible, pour tout homme qui pense, de ne pas être un peu sceptique en politique. Nous devons tâcher de suivre de l’œil les flots des événements, sans tracer d’avance des voies fixes, comme le font les partis qui divisent notre société.

M. Gendebien. - M. le ministre des affaires étrangères et M. Nothomb ne m’ont pas répondu dans la dernière séance, et cela leur eût été difficile, puisque l’un des deux est venu me répondre par un discours écrit, alors que je ne pouvais lui avoir communiqué le mien dont je n’avais pas écrit un seul mot. Quant au ministre, il ne m’a répondu qu’en éludant la question, ce qui m’a porté à lui adresser une série de questions pertinentes ; je les lui ai envoyées, et comme il a eu vingt-quatre heures pour méditer ses réponses, j’espère qu’elles seront plus catégoriques.

Quant au préopinant, je crois avoir reconnu que son intention était de me donner des leçons : j’en reçois toujours et avec reconnaissance, quand elles me viennent d’en haut, c’est-à-dire d’hommes au-dessus de mon âge, qui, par leur expérience, peuvent avoir des titres à le faire ; je n’attribuerai qu’à son inexpérience l’espèce de légèreté avec laquelle il a traité des questions graves qui nous occupent depuis quatre ans, et l’espèce de dédain qu’il a montré pour l’expression au moins franche de mon opinion.

Ce n’est point assez de n’avoir pas répondu à mes paroles, et cela était difficile puisqu’on leur a répliqué par un discours écrit ; on est encore venu, ce qui est plus étrange, me prêter une opinion que je n’ai pas émise, des suppositions que je n’ai pas faites.

En un mot tout ce discours n’est qu’une supposition tout à fait gratuite depuis le commencement jusqu’à la fin. C’est ainsi qu’on vous a dit que j’avais constamment nié la possibilité et l’efficacité d’une alliance entre la France et l’Angleterre. Cela n’est pas exact, et je rappellerai à M. Nothomb que dans la séance du 29 janvier 1831, appuyant la candidature du duc de Nemours, je démontrai que nous devions rechercher l’alliance de la France, parce que je regardais l’alliance de la France et de l’Angleterre comme une chose probable, et je supposais que c’était impraticable entre la France et la Russie, à cause du peu de sympathie qui existait entre ces deux peuples.

Vous voyez que loin d’avoir mis en doute la possibilité de l’alliance entre la France et l’Angleterre, j’ai un des premiers démontré l’intérêt que nous aurions à nous rapprocher de la France, à cause de ce qui semblait devoir s’opérer entre cette nation et l’Angleterre.

On nous accuse d’être en contradiction avec nous-mêmes, messieurs. Je répondrai à cette imputation que je porte défi à qui que ce soit de prouver que je me sois mis, une seule fois depuis 4 ans, en contradiction avec moi-même dans cette enceinte et hors de cette enceinte.

Je n’ai pas dit non plus que les traités de 1814 et de 1815 avaient été anéantis par celui de novembre 1831. Je ne vous ai pas dit que le ministère tory avait un système de guerre tout préparé, et que par conséquent c’était le système de guerre qu’il adopterait. Je n’ai pas dit un mot de cela : j’ai cité les paroles des lords Wellington et Aberdeen à notre envoyé M. Van de Weyer en novembre 183l. Je vous ai cité ces paroles ; je vous ai dit que lord Aberdeen avait déclaré que l’intention de l’Angleterre n’était pas de faire une guerre générale et qu’elle n’interviendrait que dans le cas où son intérêt et son honneur en démontreraient la nécessité.

Et j’ai ajouté que cela signifiait qu’elle était disposée à le faire aussitôt qu’elle pourrait compter sur les puissances du nord ; qu’il ne fallait par conséquent pas trop compter sur la résolution qu’elle avait prise en 1830, de ne pas intervenir à main armée dans nos affaires.

Qu’a-t-on dit pour établir que l’Angleterre ne voulait pas à cette époque intervenir à main armée dans nos affaires ? (Il était inutile de chercher à le prouver car je n’avais pas dit le contraire.) On a donné connaissance d’une correspondance entre M. de Falck et lord Aberdeen. Eh bien, je n’ai besoin que des paroles du député d’Arlon, pour prouver combien peu de confiance nous devons avoir dans le ministère tory. Car veuillez remarquer qu’à la demande faite par M. de Falck à Aberdeen, celui-ci a répondu que l’envoi de troupes dans les provinces méridionales devenait inutile parce qu’elles arriveraient trop tard, et qu’il valait mieux recourir à la diplomatie. C’est donc seulement parce qu’il était trop tard, que l’Angleterre n’a pas envoyé de troupes dans les provinces méridionales.

M. Nothomb a cité ces paroles sorties de la bouche ou plutôt tracées par la plume de lord Aberdeen, et adressées par lui à M. de Falck ; et de ce que lord Aberdeen, dès le mois de novembre, s’est abstenu d’envoyer des troupes dans les provinces méridionales, le député d’Arlon conclut que, dès le mois de novembre, et par conséquent avant l’avènement du ministère tory, le roi Guillaume était abandonné par le cabinet anglais. Eh bien, veuillez prendre pour exemples les discours prononcés en toute occasion par le ministère tory et les hommes de la même opinion. Lisez le discours prononcé à la chambre haute par le ministre Wellington et dans lequel il qualifie de haute trahison le siège de la citadelle d’Anvers, parce qu’il s’est fait sans qu’il y ait eu opposition de la part du cabinet anglais. Dans toute occasion on voit également que la véritable intention du parti tory n’était pas de donner à notre gouvernement l’appui qu’il lui demandait.

Le roi d’Angleterre, en renvoyant le ministère tory, a cédé à la peur qu’il avait que la tranquillité intérieure de l’Angleterre fût troublée. Mais, je sais qu’en toute occasion le roi d’Angleterre, comme roi de Hanovre, je ne dirai pas à fait preuve de peu de sympathie pour la Belgique, mais s’est toujours mis en hostilité ouverte avec la Belgique, avec les révolutionnaires de la Belgique, et même avec le roi que son ministère a conseillé à la Belgique.

J’ajoute qu’aujourd’hui que le ministère tory est arrivé aux affaires, le roi au lieu d’être contrarié comme il l’était par un ministère whig, trouvera un appui dans son ministère, et satisfera sa haine personnelle contre la Belgique révolutionnaire, et ses affections personnelles pour le roi Guillaume.

On a dit que de grand changements se sont opérés depuis le mois de novembre 1830 ; sans doute, mais ces changements se sont opérés sous le ministère whig ; nous avons proclamé la royauté, nous avons fait un roi sous le ministère whig et à son instigation, mais l’organisation de la Belgique, la nomination d’un roi ont-elles empêché les tories de fulminer contre la politique suivie à cette occasion pas le ministère whig ? N’y a-t-il pas eu en toutes occasions des accusations virulentes lancées par les tories contre la politique des whigs ?

Que vous a-t-on dit pour vous rassurer sur l’intervention de la confédération germanique ? On a dit que nous avions cédé tout ce qui pouvait être utile pour la défense de l’Allemagne et de l’Angleterre. La Belgique a abandonné les rives de l’Escaut, de la Meuse et de la Moselle ; elle a abandonné ces positions à l’Angleterre et à la confédération germanique. Ceci ne prouve qu’une chose, c’est que nous avons fait de grands sacrifices ; cela ne prouve pas qu’on ne nous en demandera pas d’autres ; au contraire, c’est précisément parce que nous avons cédé si facilement à toutes les exigences que la confédération germanique se montrera plus exigeante à l’avenir.

Voyez, messieurs, de quel côté est la contradiction. Quand on discutait le traité des 18 articles, nous disions qu’il y aurait simplement échange entre le Limbourg et le Luxembourg, que nous ne conserverions le Luxembourg qu’en cédant des équivalents dans le Limbourg, que la Hollande prendrait le plus qu’elle pourrait sur les rives de la Meuse pour son commerce et pour la défense de l’Allemagne, et qu’on prendrait une bonne partie du Luxembourg parce que la confédération germanique voulait une position dans le Luxembourg. Aujourd’hui qu’on offre une partie du Luxembourg aux dépens du Luxembourg, cela ne suffit pas à la confédération germanique qui réclame une partie plus étendue du Luxembourg, outre partie des rives de la Meuse qu’elle a acquise.

Voilà tout ce que j’avais prévu en juin 1831, qui s’est réalisé. Tous ces nombreux sacrifices n’ont pas satisfait la confédération germanique, et la preuve que toutes nos concessions ne doivent pas nous mettre en sécurité, c’est que si elles devaient désintéresser la diète et toute l’Allemagne il y a longtemps que le traité serait agréé.

Messieurs, pour vous prouver d’autre part que le ministère tory n’a rien changé au système du ministère wigh et qu’il doit s’engager dans la même politique on vous a rappelé que lord Aberdeen a signé les trois premiers protocoles. On a rappelé que lord Palmerston lui en avait fait le reproche dans plusieurs séances du parlement.

Oui, Aberdeen comme membre du ministère tory a signé les trois premiers protocoles. Mais à quelle occasion Palmerston le disait-il ? C’était pour répondre au reproche que les tories adressaient au ministère wigh d’avoir trahi les intérêts de l’Angleterre en suivant le système qu’il avait adopté ; il disait que si de la part du ministère whig il y avait eu trahison, le ministère tory avait jeté les bases de cette trahison par l’adoption des trois premiers protocoles. Je prie chacun de vous, messieurs, s’il en doute, de recourir à la séance indiquée par M. Nothomb ; il verra que c’est dans ce sens qu’a parlé lord Palmerston, et il y verra la preuve qu’en toute occasion les tories ont blâmé sévèrement la politique des wighs à notre égard.

Après cela, vous ne pouvez ignorer que les 3 premiers protocoles n’ont été acceptés que dans le but de la séparation des deux pays. Tout a été fait dans ce sens, sous le premier ministère tory et même sous le ministère whig. Ce n’est qu’après les vaines tentatives de février et de mars 1831 que l’Angleterre a changé sa politique, quand elle a cru pouvoir s’emparer de la Belgique au moyen d’une autre candidature que celle du prince d’Orange, c’est-à-dire lorsqu’elle nous a fait agréer la candidature du prince de Saxe-Cobourg.

Voilà quand la politique de l’Angleterre a changé ! mais la politique des tories n’en est-elle pas moins restée toujours la même ?

Eh bien, maintenant que le ministère tory dont nous connaissons la politique est au pouvoir, pourquoi voulez-vous qu’il change ? L’honorable député d’Arlon convient qu’il n’espère pas trouver la même bienveillance, la même sympathie dans le cabinet anglais, depuis l’avènement du ministère tory. Cet aveu me suffit de la part du gouvernement. Quand il s’est agi des prétentions de la confédération germanique, la France et l’Angleterre paraissaient soutenir nos intérêts ; nous ne trouvions chez ces deux nations que de la sympathie. Vous savez ce qui est advenu, vous savez ce qui est résulté de la sympathie du ministère anglais, de la sympathie de Palmerston qui, au dire de M. Nothomb, a rendu des immenses services à la Belgique ; nous avons fait, quoique soutenus par ce puissant patronage, des sacrifices tels, que la confédération a été complètement désintéressée dans la question. C’est M. Nothomb lui-même qui l’a dit.

Qu’adviendra-t-il lorsque nous trouverons peu de sympathie dans le ministère d’aujourd’hui ? Qu’il nous imposera des conditions plus dures que les précédentes, déjà si humiliantes, le ministère tory laissera agir contre nous, et bien loin de nous prêter appui, il favorisera très, probablement nos ennemis ; car, veuillez-le remarquer, le ministère tory favorise toutes les expéditions qui se font pour l’Espagne dans l’intérêt de la cause de don Carlos, il arrête au contraire dans les ports d’Angleterre les convois d’armes destinés au parti de la reine d’Espagne, aux constitutionnels d’Espagne. Eh bien, le ministère tory se conduira à notre égard comme à l’égard de l’Espagne.

(Ici l’orateur s’arrête un moment ; et une partie de l’assemblée paraissant croire son discours terminé se livre à des conversations particulières.)

Je prierai l’assemblée de vouloir bien faire encore un peu de silence. Je conçois que cette discussion fatigue d’honorables membres pressés de retourner chez eux ; mais comme toutes les fois que la chambre s’absente, nous avons à son retour quelque événement grave à déplorer, il m’importe à moi de provoquer des explications sur la situation du pays. Je crois avoir rempli l’obligation que je m’étais imposée, bien que j’abrège de beaucoup ce que j’avais à lui dire.

Pour ne pas fatiguer plus longtemps l’honorable assemblée, je me bornerai à lire les questions que j’ai adressées au ministre des affaires étrangères ; il répondra comme bon lui semblera ; je le préviens d’avance que je ne lui ferai pas la moindre réplique, je veux seulement prendre acte de l’expression de mes inquiétudes et des expressions du ministre.

Voici les questions :

1° Le ministère belge a-t-il reçu de la diète germanique ou de quelques-uns de ses membres des communications officielles ou officieuses concernant le Luxembourg ?

2° N’a-t-il reçu aucune communication de ses agents à Vienne ou à Berlin sur les dispositions de l’empereur d’Autriche ou du roi de Prusse, et sur les dispositions de la diète germanique à l’égard du Luxembourg ?

3° Le ministère sait-il quelque chose de positif sur les démarches du roi de Hollande auprès de la diète germanique et du tribunal arbitral, au sujet du Luxembourg, soit en totalité, soit en totalité moins le duché de Bouillon, soit seulement en ce qui concerne la partie allemande du Luxembourg, cédée par le traité du 15 novembre 1831 ?

4° A-t-il reçu soit par notre ambassadeur auprès du gouvernement anglais, soit directement du ministère anglais, des communications officielles ou officieuses depuis l’avènement du duc de Wellington au ministère ?

5° De quelle nature sont ces communications ?

6° A-t-il reçu soit directement soit indirectement, officiellement on officieusement, des communications du gouvernement anglais au sujet du Luxembourg ou de l’une de ses parties, et spécialement au sujet des événements dont le Luxembourg peut devenir le théâtre par suite et en exécution des démarches faites par le roi de Hollande auprès de la diète germanique et du tribunal arbitral ?

7° A-t-il reçu du gouvernement français, directement ou par l’entremise de notre ambassadeur, officiellement ou officieusement, des communications au sujet du Luxembourg ou d’une des parties de cette province, et spécialement au sujet des démarches du roi de Hollande auprès de la diète et du tribunal arbitral, et sur les dispositions de la diète ou du tribunal au sujet du Luxembourg ou d’une de ses parties ?

8° La France et l’Angleterre interviendront-elles de commun accord, ensemble ou séparément, dans le conflit qui semble menacer le Luxembourg ?

9° La France ou l’Angleterre interviendrait-elle seule alors même que l’une des deux s’y opposerait ?

10° Le ministère ne pense-t-il pas qu’il convient et qu’il est urgent de demander à la France et à l’Angleterre de s’expliquer catégoriquement sur la question d’intervention dans le conflit qui menace le Luxembourg ?

11° Le gouvernement belge prend-il l’engagement formel de se refuser à l’évacuation de tout ou partie du Luxembourg avant l’acceptation et l’exécution du traité du 13 novembre 1831 par le roi Guillaume ?

(Moniteur belge n°363, du 28 décembre 1834) M. F. de Mérode. - Je ne m’occuperai pas, messieurs, des longues et savantes dissertations de politique extérieure que vous avez entendues dans notre séance d’avant-hier et aujourd’hui encore, prononcées par deux membres de cette chambre, dont l’un n’est presque jamais de l’avis des ministres, dont l’autre au contraire a constamment soutenu les mesures du gouvernement. La première de ces dissertations occupe cinq colonnes du Moniteur, la seconde en occupe trois, et je dois le dire au risque de me trouver en désaccord avec le second des orateurs que j’indique, mon honorable ami M. Nothomb, sa réfutation du discours de l’honorable député de Mons ne m’a point paru plus opportune que ce discours lui-même.

Je ne pense pas en effet qu’il soit utile au pays de traiter sans nécessité absolue dans cette enceinte des questions très délicates et qui sont de nature à réveiller des inquiétudes et des susceptibilités à l’intérieur comme à l’extérieur. Je ne m’occupe point de ce qui peut convenir à la confédération germanique ; je ne suis point membre de cette association princière, mais député du peuple belge. Je vois toujours avec un vif regret que tandis que les princes ne nous rendent nul compte de leurs opinions et de leurs projets sur notre avenir, des professions de foi explicites se débitent ici à l’égard des résultats qui appartiennent au futur contingent, et qu’on pousse trop souvent les ministres à des explications très intempestives toutes les fois qu’elles concernent des affaires de politique extérieure dont le temps n’a point encore amené la solution.

Convaincu des graves inconvénients que produisent ces conversations diplomatiques en plein air, certain que celui qui parle tout haut et sans réserve de ses intérêts ne peut que les compromettre tôt ou tard, je me suis constamment refusé à répondre à plusieurs questions dont on me pressait en certaines circonstances lorsque le portefeuille des affaires étrangères m’était confié.

C’est ainsi, messieurs, qu’à l’époque de l’arrestation de M. Hanno, je me suis tenu rigoureusement sur mes gardes ; j’ai annoncé ce que j’espérais sans déclarer comment je voulais atteindre mon but, et j’ose dire que cette affaire pénible s’est terminée à l’avantage du bon droit contre la violence et que le Luxembourg a joui depuis lors d’un état plus paisible que précédemment. Or, tel était le sens de mes vœux lorsque je disais à la chambre, le 3 mars 1834 : « Je pense que ce fâcheux événement se terminera par le règlement de notre position équivoque dans le rayon vis-à-vis du gouvernement militaire de Luxembourg, et qu’il en résultera, à l’avenir, plus d’ordre et de sécurité pour les habitants de la province qui porte ce nom.

Il est vrai, messieurs, que je n’ai pas obtenu d’amende honorable pour le fait qui avait si justement ému les chambres. Ce genre de réparation je ne l’ai point demandé, parce que je n’avais nulle certitude de l’obtenir et qu’en outre je m’occupe des choses, les mots étant pour moi de très peu d’importance. Il en a été de même pour le prétendu soufflet que la Belgique, suivant une expression aussi courtoise qu’heureuse, aurait reçu sur les joues de notre ancien collègue le général Goblet.

S. M. le roi de Prusse n’ayant pas trouvé bon d’agréer définitivement notre plénipotentiaire, nous avons pensé qu’il était inutile d’en envoyer un autre, et l’honorable général auquel d’éminents services rendus à la Belgique avaient valu l’animadversion particulière de la cour de Hollande n’a point été remplace à Berlin. La Belgique, si toutefois la Belgique était pour quelque chose dans cette affaire, peut recevoir mille leçons semblables sans en souffrir le moindre dommage.

Je plains ceux qui voient partout des monstres ; pour moi, je n’ai point l’œil microscopique, et avant de reconnaître une plaie dans une piqûre d’épingle, il faudra que mon rayon visuel change entièrement de direction. Les seuls monstres qui m’apparaissent et qui m’effraient tous les jours ce sont les immenses développements du journal officiel allongés d’une énorme queue, bouffis de milliers de lettres alphabétiques et de mots placés les uns au bout des autres, serpent dont la peau et les replis sans fin, noircis d’encre, attestent l’effroyable consommation d’un temps précieux englouti au préjudice des actes que ce temps devrait faire éclore, et dont il avorte chaque année. Craignant de donner pâture moi-même à l’éternelle polémique qui dévore la meilleure partie des sessions de cette assemblée destinée à produire autre chose qu’un flux de paroles, j’ai dit.

(Moniteur belge n°361 et 362, des 26 et 27 décembre 1834) M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, comme vient de vous l’annoncer l’honorable député de Mons, il m’a fait hier parvenir la série des 11 questions dont il a donné lecture. J’avoue qu’il n’est aucune de ces questions qui ne puisse devenir le thème d’une théorie politique plus ou moins brûlante, aucune qui n’offre un vaste champ aux conjectures et aux suppositions, mais je crois que la chambre me saurait mauvais gré de l’entraîner dans une voie qui l’éloignerait du projet actuellement en discussion, et d’abuser ainsi d’un temps précieux destiné à un objet aussi important que le budget de la guerre. Un double motif, d’ailleurs, me fait un devoir de répondre catégoriquement à l’honorable M. Gendebien. D’abord, c’est le reproche qu’il m’a adressé tout à l’heure, d’avoir par des digressions éludé les questions qu’il avait posées dans la séance de mercredi dernier ; ensuite, c’est que cet honorable orateur vient de déclarer lui-même que, quelles que fussent mes réponses, il n’adresserait plus d’observations à la chambre.

Dès lors, c’est en quelque sorte pour moi un devoir non plus de discuter, mais de donner des réponses catégoriques aux diverses interpellations.

Voici la première question : « Le ministère belge, a-t-il reçu de la diète germanique ou d’un de ses membres, des communications officielles ou officieuses concernant le Luxembourg ? » Je répondrai à cette question : Non, le ministère belge n’a reçu ni de la diète germanique, ni aucun de ses membres, des communications officielles ou officieuses concernant le Luxembourg.

Voici la deuxième question : « N’a-t-il reçu aucune communication de ses agents à Vienne ou à Berlin sur les dispositions de l’empereur d’Autriche ou du roi de Prusse, ou sur les dispositions de la diète germanique ? » Je répondrai également non, le ministère belge n’a reçu aucune de ces communications depuis la retraite du ministère Melbourne. Les dernières communications reçues par le gouvernement relativement à la question du Luxembourg, se rattachent exclusivement à la négociation de Biberich.

La troisième question est celle-ci : « Le ministère sait-il quelque chose de positif sur les démarches du roi de Hollande auprès de la diète germanique et le tribunal arbitral au sujet du Luxembourg, soit en totalité, soit en ce qui concerne le duché de Bouillon ? » Je doit encore répondre négativement à cette troisième question. Je ne connais à cet égard rien que des bruits de journaux, et je vous avoue que quant à moi, ils me paraissent inexacts ou du moins sont exagérés.

Quatrième question « Le ministère belge a-t-il reçu soit par notre ambassadeur en Angleterre, soit directement du ministère anglais des communications officielles ou officieuses depuis l’avènement de lord Wellington au ministère ? » Oui, depuis cette époque le gouvernement a reçu successivement des communications entièrement officielles.

Cinquième question. « De quelle nature sont ces communications ? » Messieurs, dans des séances précédentes, j’ai déjà eu occasion de m’expliquer à cet égard. Ces communications jusqu’à présent ont été parfaitement rassurantes. Non seulement, elles le sont pour la paix de l’Europe en général, mais encore pour l’indépendance de la Belgique. Toutes ces communications ne peuvent que faire supposer que le ministère actuel respectera les engagements de ses prédécesseurs vis-à-vis de la Belgique.

Sixième question : « Le ministère a-t-il reçu directement ou indirectement, officiellement ou officieusement, les communications du gouvernement anglais au sujet du Luxembourg en tout ou partie et surtout au sujet des événements dont le Luxembourg peut devenir le théâtre par suite des démarches du roi de Hollande près de la diète germanique ou près du tribunal arbitral ? »

Je me vois encore dans l’obligation de faire une réponse entièrement négative.

Septième question : « Le ministère a-t-il reçu du gouvernement français ou par l’entremise de notre ambassadeur officiellement ou officieusement, des communications au sujet du Luxembourg se rattachant aux démarches du roi de Hollande près de la diète germanique ? » Je répondrai encore non.

Huitième question. « La France et l’Angleterre interviendraient-elles de commun accord, ensemble ou séparément, dans le conflit qui semble menacer le Luxembourg ? »

Cette huitième question se lie à la neuvième ainsi conçue :

« La France ou l’Angleterre interviendrait-elle seule, alors même que l’une des deux s’y opposerait ? » Sur ces deux questions, je dois renvoyer le préopinant à la réponse que j’ai donnée mercredi à une question analogue. Je répèterai, que dans le cas d’invasion du Luxembourg, nous devons supposer (et je crois que nous pouvons le faire avec une entière confiance) que ni la France ni l’Angleterre ne manqueraient pas à la garantie donnée. Comme ministre du Roi il ne m’est pas permis de raisonner dans l'hypothèse d’une violation possible des engagements contractés par deux grandes puissances envers la Belgique. Non seulement l’invasion partielle ou totale, mais la tentative ou la menace réelle d’invasion, constitueraient, à mes yeux, un casus fœderis.

Dixième question. « Le ministère ne pense-t-il pas qu’il convienne ou qu’il soit urgent de demander à la France et à l’Angleterre de s’expliquer catégoriquement sur la question d’intervention, etc. »

Réponse : Non. Par les raisons que je viens de développer sur les deux questions précédentes.

Onzième question. « Le gouvernement belge prend-il l’engagement formel de se refuser à l’évacuation de tout ou partie du Luxembourg, avant l’acceptation ou l’exécution du traité du 15 novembre 1831 parle roi Guillaume ? »

Réponse. D’après la convention du 21 mai 1833, qui établit en faveur de la Belgique l’uti possidetis, et en vertu de l’acte de notification du 1er juin de la même année, la Belgique est maintenue jusqu’au traité définitif, dans l’occupation provisoire des districts du Limbourg et du Luxembourg, qui conformément au traité du 15 novembre 1831 doivent appartenir à la Hollande.

M. Nothomb. - Mon intention n’est pas de rentrer dans la discussion générale. J’ai d’abord à répondre à un fait en quelque sorte personnel.

Je n’ai pas cherché à réveiller des inquiétudes ; les inquiétudes existent, des circonstances que tout le monde connaît les ont fait naître. J’ai cherché à calmer ces inquiétudes, à prouver que le ministère anglais dont l’avènement excite tant d’alarmes, n’a aucun intérêt à être l’ennemi de notre nationalité ; que les puissances et notamment la confédération germanique n’ont aucun intérêt à détruire les arrangements territoriaux. M. le comte de Mérode trouve mon discours inopportun, je croyais que la réponse à une attaque n’était jamais inopportune ; c’est l’attaque qui serait inopportune ; or, je n’ai pas eu l’initiative de l’attaque. Si mon honorable ami pense qu’il ne règne pas d’inquiétudes dans le pays, pourquoi naguère par son influence dans le cabinet, par son vote dans cette chambre, a-t-il appuyé le subside de guerre des 10 centimes additionnels ? Je demanderai à mon tour à mon honorable ami, s’il n’y a pas là une double preuve de la réalité des inquiétudes qu’il paraît regarder aujourd’hui comme sans fondement.

J’ai à me disculper d’un second reproche ; M. Gendebien m’a reproché d’avoir répondu en partie par écrit, et d’avoir dans son discours prévu des objections qu’il n’avait point faites. Quand on répond à un orateur, on peut élargir le cadre ; on n’est pas obligé de s’en tenir servilement au discours que l’on réfute ; je n’ai trouvé dans le règlement de la chambre aucun article qui l’ordonne : on peut entreprendre de réfuter dans son ensemble un système dont un orateur est un des organes connus, et aller plus loin que lui, sans s’exposer au reproche de dénaturer ses paroles.

Bien que je ne me propose pas de m’occuper de nouveau de la question politique, je désire éclaircir un fait assez important, j’en demande la permission à l’assemblée. Depuis quelques jours on parle beaucoup d’un tribunal arbitral récemment institué en Allemagne ; on a semblé croire que ce tribunal était une espèce de congrès politique, chargé de résoudre les questions nées des révolutions déjà consommées dans un Etat fédéral ou à naître des révolutions à venir.

Eh bien, messieurs, c’est là une erreur ; vous savez qu’une grande question préoccupe l’Allemagne depuis deux ans surtout ; celle de savoir comment la diète qui représente l’ensemble de la confédération, et les chambres qui représentent les Etats fédéraux en particulier, peuvent coexister. Il s’agissait de concilier les droits de la diète et les droits des chambres constitutionnelles. C’est à cet effet qu’on a institué un tribunal arbitral, destiné, est-il dit dans le préambule du protocole du 30 octobre, à « vider les différences qui pourraient s’élever entre le gouvernement et les états dans les cas où les lois et la constitution du pays n’y auraient pas pourvu. »

L’article premier porte : « Le cas échéant que dans un Etat de la confédération il s’élève des différents entre le gouvernement et les Etats (c’est-à-dire les chambres), soit sur l’interprétation de la constitution, soit sur les limites de la coopération accordée aux Etats dans l’exécution de certains droits déterminés du souverain, nommément par suite du refus des moyens nécessaires pour gouverner conformément à la constitution et aux obligations fédérales, et que tous les moyens de conciliation offerts par les lois et la constitution aient été essayés sans résultat, les membres de la confédération germanique s’engagent réciproquement en cette qualité, à faire décider les différends par des arbitres et de la manière indiquée dans l’article suivant, avant d’invoquer l’entremise de la confédération.

Suivent les articles qui organisent le tribunal arbitral. Vous voyez donc que cette institution n’a pas le but politique qu’on lui suppose.

Je reviens maintenant au budget de la guerre, pour dire un mot des militaires étrangers admis au service belge par le gouvernement, en vertu d’une loi de l’Etat.

Si la séance d’avant-hier n’avait pas été trop avancée, j’aurais relevé ce que l’honorable orateur auquel j’essayais de répondre, a cru pouvoir avancer au sujet des officiers étrangers qui se trouvent au service belge. Il vous a représenté notre armée comme placée sous je ne sais quelle tyrannie organisée par des chefs étrangers ; je me fais un devoir de citer textuellement ses paroles, d’après le Moniteur : « Nous sommes fatigués du joug de l’étranger ; nous sommes fatigués de nous voir régenter par des hommes qui viennent de tous les pays. Je ne fais allusion à aucune nation en particulier. Je parle de tous les pays, et seulement de ceux qui oublient, en mettant le pied sur le sol de la Belgique libre, qu’ils ne sont pas dans un pays conquis, mais chez un peuple qui ne le cède à aucun autre sous aucun rapport. »

C’est une chose grave, messieurs, que de dire à l’armée qu’elle est sous le joug de l’étranger, et de le dire dans cette enceinte où ne se prononce aucune parole qui n’ait du retentissement au dehors. Depuis quelque temps, les étrangers au service belge sont en butte à beaucoup d’accusations ; mais il était à espérer que ces accusations resteraient sans organes dans cette chambre.

De deux choses l’une, messieurs, il faut renvoyer les militaires étrangers, ou, si vous les conservez, il faut leur faire bon accueil. Mais les garder dans nos rangs en les plaçant dans une position fâcheuse, en les désignant à l’animadversion de l’armée, ce serait agir de la manière le plus impolitique ; ce serait à la fin les décourager et les déconsidérer ; découragement qui doit leur ôter la volonté de nous être utiles ; déconsidération qui leur ôte le pouvoir de nous être utiles. Je le répète donc, il faut congédier les officiers étrangers, ou s’abstenir de les attaquer.

Je redoute, messieurs, les effets de la jalousie ; il faut nous garder d’entretenir par des discours inconsidérés la passion favorite des jeunes nations et des jeunes armées, Et y a-t-il de quoi être grandement jaloux ? M. le ministre de la guerre vous a communiqué à la fin de votre séance de mercredi, un tableau duquel il résulte que sur les 2766 officiers que comprend l’armée belge, il y a 91 officiers français, 37 officiers polonais, allemands, espagnols et italiens, en tout 128 officiers étrangers ; il est difficile d’admettre que ces 128 hommes épars dans les rangs, soient parvenus à mettre l’armée sous le joug.

A en croire certaines personnes, le quart au moins des officiers au service belge seraient étrangers ; et les ennemis de notre révolution s’empressent de proclamer que ce qui prouve que nous sommes indignes d’être une nation, c’est que nous sommes incapables de former une armée nationale ; la présence de 128 étrangers sur 2,766 officiers ne peut ôter à notre armée son caractère de nationalité.

En prenant la défense des officiers étrangers, je me montre fidèle à mes antécédents parlementaires ; c’est moi qui le premier, et j’aime à rappeler cet acte de ma carrière politique, c’est moi qui le premier ai proposé au congrès national, dans la séance du 8 avril, d’autoriser le gouvernement à employer des militaires étrangers ; de nombreuses restrictions ont été mises à la proposition primitive que dix-huit collègues avaient voulu appuyer, et le décret ainsi restreint est encore resté sans exécution par suite de réclamations qu’il a soulevées dans certains rangs de l’armée. Je range la non-exécution de ce droit au nombre des causes principales de nos revers du mois d’août.

J’ai eu longtemps en ma possession les réclamations assez menaçantes qui avaient été adressées au chef du gouvernement d’alors ; je les ai restituées à M. le régent, mais je me propose de les redemander ; c’est un fait historique important à constater : les réclamants répondaient du pays ; nous avons vu trois mois après comment cette promesse a été tenue.

(Erratum au Moniteur belge n°362, du 28 décembre 1834 :) Si je prends la défense des officiers étrangers, ce n’est pas que je veuille soutenir que la loi du 1er octobre 1831 n’ait donné lieu à quelques abus ; mais je les crois d’un ordre tout à fait secondaire : ce n’est pas non plus que je ne rende pleine et entière justice à l’habileté et au courage des officiers belges ; je veux seulement prévenir de funestes rivalités. M. le ministre de la guerre n’a pu se charger de défendre pour ainsi dire personnellement ceux qui naguères étaient ses compatriotes ; les devoirs de l’hospitalité et ceux de la reconnaissance exigeaient cette défense, et un député devait s’en charger. C’est à ce double titre que j’ai parlé. L’habile général Desprez est aujourd’hui universellement regretté et cependant ses derniers jours ont été affligés par de sourdes attaques : il aurait fallu être juste à son égard de son vivant.

M. Gendebien. - Je demande la parole pour un fait pour ainsi dire personnel. Messieurs, relativement à l’installation du tribunal arbitral, je prie la chambre de recourir au journal l’Indépendant en date du 16 novembre 1834. Je la prie de lire attentivement les considérants et chacun des membres de cette assemblée pourra se convaincre que ce tribunal est institué pour juger le cas échéant les différends relatifs au Luxembourg. Quant à moi j’ai lu que ce tribunal embrassait tout.

Je dois revenir en outre, messieurs, sur ce qu’on m’attribue au sujet des officiers étrangers.

Il serait assez extraordinaire qu’on m’accusât aujourd’hui d’hostilité envers les étrangers, envers les Français, surtout, alors que l’on m’accusait autrefois de gallomanie.

M. Nothomb. - Ce ne fut pas moi.

M. Gendebien. - Et aujourd’hui on me prête des sentiments anti-français.

Messieurs, quand j’ai parlé de despotisme, j’ai cité des faits et pour ne pas rentrer dans la question des personnes, ce qui me forcerait à prolonger la discussion sur ce point, et citer d’autres noms, je me bornerai à rappeler ce que j’ai dit, le voici :

Un général de division belge a fait un rapport sur des faits dépendants de son commandement, et on a envoyé pour contrôler ce rapport d’un général de division, un général de brigade qui se trouvait sous le commandement immédiat de ce général de division, et ce général de brigade était de plus étranger.

J’ai demandé si en France un officier supérieur souffrirait un tel affront, et j’ai dit que connaissant l’honorable susceptibilité des officiers français, je pouvais affirmer que non. Je suis persuadé qu’il n’y a pas un officier français qui me donnerait un démenti, que tout général de division considérerait comme un affront qu’on fît contrôler un de ses rapports sur des faits simples, par un officier immédiatement sous ses ordres et surtout alors que cet officier est étranger.

J’ai demandé ce que dirait un général de division français si on faisait contrôler ses rapports par un général de brigade belge qui fût sous ses ordres.

J’ai qualifié cet acte de despotisme intolérable ; J’ai dit que c’était se conduire comme en pays conquis. Je ne pense pas que jamais pareille humiliation ait été faite à un officier supérieur avant que son pays n’ait été conquis, je ne pense même pas que sous le grand empire on ait jamais fait un pareil affront à un général de division, alors qu’il appartenait à une nation conquise, s’il faisait partie de l’armée française, d’envoyer pour contrôler un rapport officiel, un général de brigade immédiatement sous ses ordres.

Loin d’avoir voulu me montrer hostile aux officiers étrangers qui se trouvent dans les rangs de notre armée, j’ai dit au contraire que beaucoup de ces officiers avaient mon estime : j’ai dit beaucoup, parce que je ne les connais pas tous, et pour ceux que je connais, j’ai une estime toute particulière. Je dirais peut-être la même chose pour la plupart de ceux que je ne connais pas ! Mais autre chose est d’avoir de l’estime pour plusieurs ou tous les officiers qui font partie de notre armée, et de montrer de la tolérance pour un acte odieux comme celui que j’ai révélé.

Et moi aussi, messieurs, je crains d’exciter l’envie dans notre armée, car j’en conçois tout le danger. Mais qui provoque cette envie si ce n’est des actes de la nature de celui que j’ai révélé. Quoi, un général de division belge sera considéré comme étant au-dessous, comme étant moins croyable qu’un général de brigade étranger immédiatement sous ses ordres ! Quand j’ai énoncé ce fait, j’aurais pu en énoncer d’autres. J’ai occasion de voir des officiers, je sais les plaintes qui s’élèvent, et puisqu’on me met sur la voie, j’en citerai un autre qui justifiera les reproches que j’ai adressés au ministre.

Un officier belge et un officier étranger avaient été chargés de la même mission, tous deux présentent la note de leurs frais de route et de séjour. L’officier étranger obtient de suite la liquidation de la sienne, l’officier belge ne reçoit rien. L’officier belge réclame, sa seconde demande est rejetée. Voilà un acte qui prouve que l’officier belge n’est pas traité avec la même faveur que l’officier étranger.

Le fait que je cite a été révélé à M. de Mérode, qui le sait aussi bien que moi.

M. F. de Mérode. - Il est vrai que le fait m’a été révélé.

M. Gendebien. - Je désire que la plus grande harmonie règne dans notre armée ; j’en sens autant que qui que ce soit la nécessité. Je serais fâché qu’il s’établît des motifs d’animosité et de jalousie entre la France et la Belgique, ce sont des peuples faits pour s’aimer et s’estimer, il y a même entre eux nécessité et d’affection. Mais cette affection ne peut pas exister alors qu’on voit tant d’officiers belges de tout grade en non-activité ou en disponibilité, tandis que des étrangers sont en possession des emplois de l’armée et ont toutes les faveurs.

On a dit un mot du général Desprez, je dirai quant à lui que jamais on n’a mis en doute ses capacités, et, moi tout le premier je lui ai rendu justice sous ce rapport. Une seule chose a fait l’objet des reproches qu’on lui a adressés, ce sont les sentiments carlistes qu’on lui supposait et dont il a donné quelques preuves par des imprudences.

J’ai reproché au général Desprez le peu d’égard et même le dédain qu’il montrait pour les hommes de la révolution ; mais je ne redoutais pas autant que d’autres les sentiments carlistes dont le général ne se cachait pas, je pensais qu’on pouvait très bien avoir été carliste et combattre pour la nouvelle patrie qu’on a adoptée ; la preuve que le ministre lui-même va plus loin que moi dans cette opinion, c’est qu’il a proclamé que les orangistes étaient des hommes qu’on pouvait employer, dès qu’ils renonçaient à leurs principes. Cependant il y a plus de danger à se fier aux uns qu’aux autres, car nous n’avons rien à démêler avec les carlistes, tandis que nous sommes constamment face à face avec la Hollande.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je dois une explication à l’honorable M. Gendebien. Vous verrez que l’affaire dont il vous a entretenus est loin d’avoir la gravité qu’il y trouve. Le général qui commandait la division de Mons, dont une partie devait entrer au camp de Castiaux, se plaignit au chef d’état-major de ce que les officiers du génie chargés de surveiller les travaux, n’avaient pas fait remplir exactement les conditions du cahier des charges pour du camp de Castiaux.

Le général de brigade qui devait prendre le commandement de ce camp, se trouvant ici malade depuis quelques jours, avait demandé l’autorisation d’aller voir le camp et la baraque qui lui était destinée. Cette autorisation lui fut donnée avant la réception du rapport du général. Cette visite ne précédant que de quelques jours l’arrivée des troupes, il examina si tout était en état pour les recevoir, et il profita de l’occasion pour se rendre auprès de son général de division afin de s’entendre avec lui sur ce qu’il y aurait à faire pour remédier aux inconvénients signalés. Mais on n’a eu nullement en vue de faire contrôler le rapport du général de division par un officier sous ses ordres. Il n’y a qu’une susceptibilité outrée qui ait pu faire dégénérer une affaire si simple en une espèce d’hostilité.

Quant à l’officier belge à qui on aurait refusé ses frais de route et de séjour, cela n’est pas à ma connaissance ; je me ferai rendre compte de cette affaire et s’il a les mêmes droits que l’officier français dont on a parlé, je puis assurer que justice lui sera rendue.

M. Gendebien. - Je maintiens dans toute son intégrité ce que j’ai dit relativement au général de division et au général de brigade. J’en ai une connaissance positive.

- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

M. de Brouckere. - Je ne désire pas que la discussion générale se prolonge ; mais si la chambre veut avoir quelques instants de patience, chacun de nous pourra présenter les observations qu’il compte lui soumettre. Quant à moi, je ne demande que trois minutes. Je n’abuserai pas des moments de la chambre.

Je pense que M. le rapporteur de la section centrale demande aussi la parole, il serait par trop insolite de fermer une discussion générale sans entendre le rapporteur.

M. de Puydt, rapporteur. - La discussion générale a été divisée en deux parties ; dans la première, M. le ministre de la guerre a fait des observations sur le rapport, la seconde a porté sur des questions politiques. Il est nécessaire que je réponde aux observations que M. le ministre a faites sur le rapport.

- La chambre consultée ne ferme pas la discussion.

M. d'Hoffschmidt. - Chaque fois qu’il est question de politique dans nos discussions, j’éprouve les plus pénibles sentiments, en entendant invoquer le traité du 15 novembre comme notre droit public, comme la base de notre existence politique, enfin comme le palladium de la Belgique.

Ah ! messieurs, en sommes-nous donc réduits à réclamer l’exécution d’un tel traité, d’un traité qui consacre l’abandon de 350 mille de nos frères, comme d’un bienfait de la diplomatie.

Je ne puis croire à cette triste nécessité ; et je proteste, je protesterai toujours, contre la politique du gouvernement à cet égard.

Les populations du Luxembourg et du Limbourg cédées par les 24 articles avaient depuis trois ans repris courage dans l’espoir que ce fatal traité ne serait pas mis à exécution, puisqu’il n’a pas été accepté par la Hollande. Mais ils viennent d’être replongés dans la désolation, et c’est M. le ministre des affaires étrangères qui les a désespérés de nouveau, en leur apprenant que le gouvernement de septembre, que le gouvernement qu’ils ont institué, s’obstine à vouloir les livrer aux réactions du despote qu’ils ont chassé, en invoquant un traité que nous seuls avons accepté.

Il est vrai que M. le ministre des affaires étrangères pourrait me dire qu’il a été forcé de répondre aux interpellations qui lui ont été faites, mais je crois comme M. de Mérode qu’il pouvait le faire sans étaler tout entier un système aussi déplorable que celui de l’exécution du traité du 15 novembre, sans replonger enfin des populations généreuses dans les plus cruelles inquiétudes.

Si le traité était un fait accompli, irrévocable, si enfin, il nous liait définitivement, je me contenterais d’en déplorer intérieurement la fatale existence.

Mais vous l’invoquez et il ne nous lie pas : l’honorable M. Gendebien vous l’a démontré avant-hier d’une manière irréfragable, vous n’y avez pas répondu ; il a soutenu que la France et l’Angleterre ne sont pas même engagées par ce traité ; je n’ajouterai que peu de mots à ce qu’il vous a dit à cet égard.

Le dernier acte politique émané de ces deux puissances dans la question belge, est la convention du 21 mai. Si vous avez bien fait attention, messieurs, à cette convention, vous aurez remarqué qu’il n’y est nullement question des 24 articles.

L’article 3, le plus important de cette convention, est ainsi conçu :

« Tant que les relations entre la Hollande et la Belgique ne sont pas réglées par un traité définitif. S. M. néerlandaise s’engage à ne point recommencer les hostilités avec la Belgique. » Vous voyez que loin de désigner le traité du 15 novembre comme le traité qui doit être définitif, il n’en est pas question et que c’est un traité qui n’est pas définitif, un traité quelconque qui doit régler nos différents avec la Hollande ; c’est cette convention, messieurs, qui est maintenant le droit public de la Belgique. La Hollande l’a accepté et nous nous y sommes conformés ; nous sommes maintenant sous son empire en attendant un traité définitif ; lorsqu’il s’agira de le négocier, si nos adversaires réclament l’exécution des 24 articles, nous pourrons leur dire : La Belgique a consenti en 1831 aux plus douloureux sacrifices pour éviter une guerre exterminatrice ainsi que les frais ruineux qu’entraînent toujours les armements ; mais nous avons dû, par suite de votre refus, faire ces frais depuis longtemps, et nous ne pouvons plus consentir à aucun sacrifice.

Messieurs, si je partage l’opinion de l’honorable M. Gendebien sur la nullité du traité du 15 novembre, je suis loin de partager ses tristes prévisions, lorsqu’il dit que nous n’aurons pas le Luxembourg et que nous aurons la dette. Et en effet sur quoi reposent ses sinistres conjectures qui ne sont propres qu’à répandre l’inquiétude qui résulte toujours de semblables opinions ? Il prétend que la confédération germanique enverra 25 ou 30 mille hommes dans le Luxembourg pour s’en emparer en entier, pendant que la Hollande nous attaquera d’un autre côté, et il se demande ce que nous ferons pour résister à cette double attaque ; je lui répondrai que nous déploierons toutes nos forces dans le Luxembourg ; messieurs, la population entière se joindra à nos braves soldats ; car, les Luxembourgeois soutiendront leur indépendance jusqu’à la dernière extrémité.

La France, messieurs, avec son gouvernement doctrinaire lui-même, croyez-vous qu’elle laisserait occuper 40 lieues de ses frontières par les Prussiens ? Croyez-vous qu’elle consentirait à une restauration dans le Luxembourg qui serait une demi-restauration en Belgique, et par conséquent un acheminement vers une restauration en France même ? Non, messieurs, elle ne le peut pas, elle allumerait plutôt une guerre générale.

D’ailleurs, messieurs, ces prévisions de guerre sont, selon moi, de vraies chimères, et je base mon opinion, à cet égard, sur la situation politique actuelle de l’Europe.

Croyez-vous que la confédération germanique, que les puissances du nord voudraient incendier l’Europe entière pour un coin de terre que réclame le roi Guillaume ? Non, messieurs, les puissances absolues ne veulent que nous inspirer des craintes pour obtenir des concessions.

Mais tout en armant, pour démontrer que nous sommes disposés à défendre notre indépendance les armes à la main, soyons forts de notre position ; que le gouvernement sache en profiter, car c’est là qu’est principalement notre force ; plus de concessions, et vous verrez qu’avec de la fermeté nous ferons céder nos ennemis.

La Belgique est une pomme de discorde à laquelle aucune puissance, amie ou ennemie, n’oserait toucher sans s’exposer à une guerre d’extermination.

L’on a toujours, dans cette enceinte, semblé méconnaître cette position de notre belle patrie, position qui la rend invulnérable si j’ose m’exprimer ainsi.

Que le gouvernement y fasse bien attention, qu’il s’arme, et au lieu de réclamer l’exécution du traite funeste des 24 articles, qu’il dise : « Vous nous avez entraînés dans des frais ruineux d’armement, au lieu d’accepter le traité du 15 novembre ; maintenant je ne puis plus consentir à aucune cession de territoire. »

Voilà, MM. les ministres, le langage que vous devrez tenir lorsqu’il s’agira d’un traité définitif entre nous et la Hollande, traité qui n’aura lieu probablement qu’après la mort du roi Guillaume, et ce langage serait soutenu par toute la nation.

Ce que je viens de vous dire, messieurs, suffit sans doute pour vous démontrer que je ne partage pas l’opinion du cabinet sur la question politique.

Cependant je suis loin de penser comme l’honorable M. Gendebien, que le gouvernement ne demanderait pas mieux que d’être débarrassé du Luxembourg. En effet, quels sont les actes du ministère actuel qui puissent donner lieu à cette pensée offensante pour lui ? M. Gendebien aurait peine à en citer un seul. J’espère, au contraire, que le gouvernement va montrer de la fermeté quant à la possession de cette malheureuse province, toujours ballottée entre l’espoir et la crainte ; j’espère qu’il y fera la levée de la milice, dût-il soutenir, protéger cette mesure par un corps d’armée, et je lui demande de montrer par là sa ferme détermination de soutenir nos droits.

L’honorable député d’Arlon persiste dans son système européen en puisant sa politique dans les anciens traités de 1815, c’est-à-dire en se reportant toujours aux temps où les despotes du genre humain disposaient des nations, des peuples, sans les consulter, comme l’on fait d’un vil troupeau.

Je demanderai à mon honorable collègue d’Arlon si le Luxembourg ne nous appartient pas aux mêmes titres que les autres provinces belges ? Les traités de 1815 avaient donné ces provinces au roi Guillaume, les mêmes traités lui ont donné le Luxembourg. En 1830 la Belgique a secoué le joug de la Hollande ; le Luxembourg a simultanément secoué le joug comme les autres provinces, et a fourni son contingent dans les combats qui ont eu lieu à cette glorieuse époque.

L’on ne peut donc reconnaître les droits à Guillaume ni à la confédération germanique, à la possession du Luxembourg, sans abdiquer ceux que nous avons à la possession des autres provinces. On ne peut pas plus invoquer les traités à l’égard du Luxembourg qu’on ne le peut, par exemple, à l’égard de la province de Liége ou de celle du Brabant.

Le traité des 24 articles est venu, il est vrai, stipuler la concession d’une partie de cette province, mais ce traité n’ayant pas été accepté par la Hollande est radicalement nul et je conçois difficilement que l’on puisse soutenir le contraire.

Que l’on ne vienne donc plus faire du Luxembourg une question à part ; je proteste, au nom de toute cette province, contre une semblable déception.

Puisque j’ai la parole j’en profiterai pour demander à M. le ministre de la guerre que, dans le cas où il augmenterait notre cavalerie, il veuille faire faire les acquisitions de chevaux qui seront nécessaires, en Belgique et non à l’étranger, comme on l’a fait jusqu’à présent, au grand détriment de notre pays où les chevaux sont tombés à si bas prix que les cultivateurs s’en défont pour rien, et c’est là un grand mal.

Napoléon ne tenait pas autant que nous aux formes élégantes de ses chevaux de cavalerie, il préférait la solidité et il aimait surtout les chevaux de ce pays où il en faisait acheter beaucoup et particulièrement dans les Ardennes qui possèdent des chevaux qui peuvent rivaliser avec avantage avec les chevaux allemands que l’on nous ramène à grands frais. Si le ministre de la guerre faisait ses remontes avec des chevaux indigènes, l’agriculture souffrante s’en trouverait bien, ainsi que nos soldats, qui n’ont pas besoin d'être montés comme des petits maîtres.

M. Gendebien. - Je demande la parole. Mais l’honorable M. d’Hoffschmidt vient me prêter des opinions erronées qu’il m’importe de relever. Il m’a accusé d’avoir dit que le Luxembourg serait abandonné par le gouvernement à la confédération germanique, dés que la confédération y aurait fait entrer vingt-cinq ou trente mille hommes. J’ai dit en m’adressant au gouvernement : si la confédération en exécution du jugement arbitral envoie vingt-cinq ou trente mille hommes dans le Luxembourg et qu’en même temps le roi Guillaume se présente par vos frontières du Nord, que ferez-vous ? J’ai ajouté : quelque difficile que me paraisse la position, ce n’est pas à dire pour cela que je désespère du pays et de la conservation du Luxembourg, mais il faut d’autres mesures que celles qu’on prend, et d’autres hommes pour faire tête à cette double attaque.

Il était donc bien loin de ma pensée que nous abandonnerions le Luxembourg et que nous ne pourrions pas le défendre. J’ai dit, au contraire, qu’il était urgent de prendre des mesures efficaces, parce que dans cette hypothèse d’une double attaque, nous serions probablement abandonnés à nos propres forces, que par conséquent les mesures devaient être prises dès à présent, afin de n’être pas contraint à abandonner le Luxembourg.

M. d’Hoffschmidt m’a prêté des paroles qui sont celles de son ami M. d’Huart et qui ont été prononcées par lui dans cette enceinte le premier ou le deux mars dernier à propos de l’enlèvement de Hanno. J’ai rappelé ce que M. d’Huart avait énoncé comme étant sa conviction et j’ai dit que je serais disposé à partager son opinion si le gouvernement ne prenait dès à présent des mesures vigoureuses.

La paroles de M. d’Huart étaient celles-ci : Le gouvernement recule devant l’insulte, et s’humilie devant la menace. Le gouvernement abandonne le Luxembourg, et il serait peut-être très content que la confédération germanique en fît la conquête par une espèce de coup de main. Après avoir cité ces paroles, j’ai dit que ce serait aussi mon opinion, et que je serais en droit de croire que c’est aussi l’opinion du ministère, s’il ne se hâtait de rendre des mesures vigoureuses.

L’honorable M. d’Hoffschmidt a donc eu tort d’abord en me faisant dire le contraire de ce que j’ai dit, et ensuite en m’attribuant les paroles de M. d’Huart, son ami.

M. d'Hoffschmidt. - J’ai lu dans le Moniteur ce que j’ai attribué à l’honorable M. Gendebien.

Voici ce que j’y ai vu : « Je crois comme M. d’Huart que le gouvernement ne demanderait pas mieux que d’être débarrasse du Luxembourg. »

J’avais moi-même pris note de ces paroles de l’honorable membre lorsqu’il les a prononcées.

J’ai donc en raison de dire qu’il croyait le gouvernement disposé à abandonner le Luxembourg.

M. Gendebien. - Lisez toute la phrase et vous verrez que vous l’interprétez mal. (Assez, assez.)

M. de Brouckere. - J’avais l’intention de présenter quelques observations sur plusieurs questions qui se rapportent à l’administration de la guerre, mais l’empressement de la chambre à terminer cette discussion, me détermine à renoncer à la parole et à la céder à l’honorable rapporteur de la section centrale. Je ne ferai qu’une seule observation sur un objet que je regarde comme d’une grande importance et en même temps d’une urgence incontestable. Je veux parler de la nécessité de poser des règles positives fixes, générales, sur le classement et l’avancement des officiers.

Les divers gouvernements qui se sont succédé depuis quatre ans, se sont, à diverses reprises, occupés du classement des officiers ; divers arrêtés ont été portés, mais ils n’ont jamais été mis à exécution. On a fait une espèce de classement provisoire, mais par régiment, et ce classement a été fait en quelque sorte sur la proposition du chef de chaque corps. Il en résulte que les mêmes règles n’ont pas été suivies pour tous les corps, et qu’un mécontentement général s’est manifesté parmi les officiers. Ils se plaignent d’avoir été lésés.

Je crois que ce qu’on pourrait faire de plus utile et de plus agréable à l’armée, ce serait d’établir des règles générales afin d’arriver à un classement définitif de manière que chacun connaisse le rang auquel il a droit et voie ainsi cesser les raisons qu’il croit avoir de se plaindre.

Je n’ai pas attendu jusqu’à ce jour pour appeler sur cet objet l’attention du ministre, je lui en avais déjà parlé, et il m’avait répondu qu’il avait un projet entièrement prêt. Je l’engage à présenter ce projet le plus tôt possible et je pense que la chambre fera bien de s’occuper après qu’elle aura terminé les objets à l’ordre du jour. M. le ministre de la guerre rendrait service à l’armée et à la chambre en faisant son projet aussi court et aussi simple que possible.

Je borne ici mes observations, me réservant de présenter dans une autre occasion celles qu’il me reste à faire.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je sens comme l’honorable préopinant la nécessité de présenter un projet de loi sur l’avancement et le classement des officiers dans l’armée, ainsi qu’un projet de loi sur les droits des officiers, dans les différentes positions où ils peuvent être placés, en se conformant aux dispositions de l’article 124 de la constitution. Ces projets sont prêts ; je n’attends que le moment favorable pour le soumettre à la législature. Je pourrais les présenter demain ou après-demain.

Ce qui a empêché jusqu’à présent de prendre des mesures pour le classement de officiers, ce sont deux arrêtés du gouvernement provisoire qui ont présenté de grandes difficultés aux diverses commissions qui ont été nommées pour aviser au moyen de faire l’application de ces arrêtés. Les difficultés ont été telles que trois commissions n’ont pu terminer le travail dont elles avaient été chargées.

Comme ces arrêtés étaient des arrêtés souverains ayant force de loi, j’ai pensé que ces arrêtés royaux même ne pourraient pas avoir force suffisante pour trancher les difficultés et permettre définitivement ce classement.

Le projet que j’ai préparé est très simple ; il est composé de 20 articles en quatre titres, et j’ai ajouté un cinquième titre, contenant des dispositions transitoires sur le classement des officiers. La semaine prochaine je pourrai le présenter à la chambre, je désirerais qu’elle pût s’en occuper de suite.

M. Dumortier. - Mon intention n’était pas de prendre la parole dans cette discussion, mais j’ai entendu sortir de la bouche des organes du gouvernement des expressions qui pourraient mettre en doute la conservation d’une partie du Luxembourg. Je ne puis en pareille circonstance m’empêcher de m’élever contre tout système qui tendrait à abandonner un seul des citoyens qui ont fait la révolution et qui ont acquis des droits inévitables à rester Belges comme nous.

Messieurs, dans la séance dernière, l’honorable député d’Arlon, qui comme vous le savez est attaché au département des affaires étrangères et y occupe un haut emploi, parlant du Luxembourg, a donné à entendre que si la cession du Luxembourg venait à être faite, la raison voudrait qu’elle n’eût lieu que moyennant une indemnité dans le Limbourg. Dans la même séance, M. le ministre des affaires étrangères, répondant à une interpellation de l’honorable M. Gendebien, a déclaré que suivant lui l’intervention des puissances signataires aurait lieu indispensablement, si les troupes de la confédération germanique envahissait tout le Luxembourg. Tout, entendez-vous ! Je vous avoue que quand j’ai entendu plusieurs fois ces paroles, j’ai été vivement frappé de crainte et j’ai cru voir...

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Si l’honorable orateur veut me permettre de dire un mot, cela simplifiera, je crois, la discussion. C’est que si je me suis servi des mots : Tout le Luxembourg, c’est que la question avait été posée comme cela.

M. Gendebien. - Si l’honorable M. Dumortier veut le permettre je répondrai deux mots. Dans la séance d’avant-hier j’avais dit : En totalité ou en partie, et le ministre n’a effectivement répondu qu’en ce qui concerne la totalité. Aujourd’hui j’ai posé la question catégoriquement pour la totalité ou pour l’une de ses parties. M. le ministre a répondu négativement sur tous les points.

M. Dumortier. - Je maintiens donc les paroles que j’ai attribuées tout à l’heure à M. le ministre des affaires étrangères, et je dis qu’elles sont de nature à jeter du doute, à inspirer de la crainte. C’est contre ces craintes que je m’élève aujourd’hui, je viens protester contre toute cession de territoire, contre tout abandon de nos frères. La Belgique est ce qu’elle doit être pour elle-même et pour l’Europe, et le jour où le gouvernement aurait la faiblesse d’abandonner une partie quelconque du pays, une partie du Luxembourg au midi de la Belgique, de manière à nous placer entre deux feux, le reste de notre territoire serait à la merci de nos ennemis.

Le devoir du gouvernement est donc de prendre tous les moyens pour s’opposer à une cession quelle qu’elle soit de territoire, à toute espèce d’occupation, et si la confédération germanique voulait s’emparer du Luxembourg, malgré toute sa puissance, nous devrions nous y opposer à main armée. Soyez sûrs que vous ne manqueriez pas de citoyens prêts à se rendre à la frontière, s’il s’agissait de défendre l’intégrité de notre territoire. (Approbation.)

Quant à moi, je suis heureux de protester contre une cession quelle qu’elle soit de notre territoire ; je crois que dans les circonstances actuelles, le gouvernement ne pourrait y adhérer sans violer les droits inviolables des citoyens belges qu’il sacrifierait, et qui ont les mêmes droits que nous à jouir des bienfaits d’une révolution à laquelle ils ont coopéré comme nous.

Messieurs, vous avez encore présents à la mémoire ce qui s’est passé à l’une des premières séances de la session, lorsque j’adressai à M. le ministre des affaires étrangères une interpellation pour savoir si le gouvernement se croyait lié par les traités stipulés relativement à la Hollande, mais qu’elle n’a pas acceptés, s’il pensait que la Hollande pût invoquer ces traités. Montrez, lui disais-je, montrez de l’énergie, et puisque la Hollande n’a pas accepté les 24 articles, déclarez de votre côté que vous ne consentirez pas à une cession de territoire onéreuse au pays. Qu’a répondu M. le ministre des affaires étrangères ? Il a répondu que ces questions étaient très délicates, mais que le gouvernement convenait que pour que la Hollande pût jouir des bénéfices des traités il aurait fallu qu’elle les eût signés dans les délais fixés par ces traités et les annexes.

Cette réponse catégorique m’avait fait bien augurer de la volonté du gouvernement ; maintenant je dois déclarer que si le gouvernement était capable de changer de système, d’adhérer à une cession quelconque du territoire, il se rendrait coupable de trahison. Il manquerait à ce qu’il doit à la représentation nationale et au pays tout entier.

On invoque le traité des 24 articles que l’on représente comme la base de notre droit européen ; mais, je vous le demande, qu’est-ce en effet que le traité ? C’est un contrat synallagmatique. Or, tout contrat synallagmatique lie toutes les parties, un contrat synallagmatique qui ne lierait que l’une des deux parties, cesserait d’être un contrat. Si le gouvernement hollandais n’est pas lié par ce traité, comme il prétend ne pas l’être, qui oserait prétendre que la Belgique serait liée par le même traité ?

Qu’on le regarde si l’on veut comme la base du droit européen ; mais la Belgique ne peut être en vertu de ce traité obligée de céder une partie de son territoire, elle ne peut, je le répète, être liée par un traité qui ne lie pas la Hollande, autrement ce serait le comble de l’injustice et ce que l’on appelle diplomatie serait la plus amère déception.

Mais la France et l’Angleterre elles-mêmes se regardent-elles comme liées par ce traité du 15 novembre ? Non, messieurs, la convention du 21 mai en fait foi. Si ces puissances ne sont pas liées par les 24 articles, si elles ont pu se délier de ce que ces stipulations avaient pour elles d’onéreux, comment la Belgique ne serait-elle pas déliée de la stipulation onéreuse que ce traité renferme à son égard ? Le gouvernement ne pourrait adopter d’autres principes, d’autres systèmes, sans manquer, je le répète, à la représentation nationale et au pays tout entier.

D’ailleurs, la convention du vingt-un mai est devenue la véritable base du droit européen de la Belgique.

Et bien ! cette convention dit-elle que nous serons obligés de céder une partie de notre territoire, de payer la dette, d’abandonner nos frères ? Non, elle dit simplement qu’un traité doit intervenir. Voilà ce qui nous lie, voilà seulement ce que porte la convention du 21 mai. La seule qui ait reçu une exécution et à laquelle le roi Guillaume ait adhéré ; or cette convention n’ayant pas reconnu le traité des 24 articles comme existant, nous ne sommes plus liés par les stipulations onéreuses qu’il renfermait. Jamais donc nous ne devons consentir à abandonner nos frontières, à abandonner nos frères qui on fait la révolution avec nous et qui ont les mêmes droits que nous à secouer le joug du tyran. (Bien, très bien.)

J’ai entendu dans une dernière séance un honorable député d’Arlon prétendre qu’il n’y avait rien à craindre du ministère actuel qui vient de se former en Angleterre. Suivant lui nous ne devons attendre un appui que de ce qu’il appelle les hommes modérés des deux partis. Nous devons tout craindre des radicaux de France et d’Angleterre. Ce serait leur présence au pouvoir qui compromettrait la nationalité belge. Messieurs, cette proposition, quelque sonore qu’elle soit, ne peut avoir aucune influence sur vos esprits. Eh quoi ! pensez-vous que jamais vous pourrez nous faire accroire que nos ennemis sont devenus nos amis, que nos amis sont devenus nos ennemis ?

Comment ! On voudrait que nous attendissions un appui des Wellington, des Aberdeen, eux qui se sont toujours montrés hostiles à la Belgique, eux qui ont élevé de leurs propres mains le royaume des Pays-Bas comme un trophée de la sainte alliance ! Nous redouterions les radicaux. Mais répondez, n’est-ce pas aux radicaux que nous devons notre appui dans le sein du parlement britannique ? Ce n’était pas Aberdeen qui défendait la Belgique dans les chambres anglaises, c’était l’illustre lord Durham qui dans toute circonstance nous a prouvé sa sympathie ; C’étaient les patriotes Hume et O’Conell, qui toujours ont pris notre défense.

Messieurs, on ne gagne rien à se tromper sur les faits, nous ne devons point attendre même de la justice du gouvernement anglais actuel, parce que c’est le grand maréchal de l’armée hollandaise qui est à la tête du cabinet. La Belgique ne doit pas s’endormir. Elle doit plus que plus jamais faire ses affaires par elle-même, s’organiser forte et prête à une guerre imminente ; elle doit au besoin savoir prendre l’agressive si la diplomatie tentait d’exiger de nous le sacrifice d’un seul de nos frères.

Pour moi, je voterai toutes les dépenses demandées au budget de la guerre. Je veux que la Belgique puisse par tous les moyens soutenir son indépendance. J’appelle de tous mes vœux le jour où notre jeune armée pourra défendre notre territoire et nos libertés en danger. J’appelle de tous mes vœux le jour où l’armée hollandaise nous attaquera, où nous pourrons secouer la poussière du mois d’août. On verra alors ce que peut notre armée. Oui, si j’en crois le patriotisme et la bravoure dont elle est animée, bientôt elle ira planter le drapeau brabançon sur les bords du Moerdyck. (Mouvement dans l’assemblée et dans les tribunes.)

Quels sont les devoirs du gouvernement en cette circonstance ? C’est un devoir, c’est un besoin pour lui d’invoquer l’appui des citoyens qui ont donné des gages à la révolution et servi de drapeau au peuple au grand jour du danger, qui se sont mis à la tête du mouvement de septembre. Pour moi, je regarde comme un malheur réel pour le pays surtout dans la circonstance actuelle l’oubli qu’on jette sur les hommes de l’opinion appelée républicaine.

Où est-il donc ce républicanisme ? Son ombre même vous fait peur. Ceux que vous appelez des républicains, ce sont là les plus énergiques défenseurs du trône et de la nationalité belge. Ce sont ceux sur lesquels vous devez le plus compter. Ils n’ont jamais trahi le pays. Ces hommes de la révolution sont votre plus ferme appui. Vous voulez, dites-vous, l’oubli du passé, soit ; jetez un voile éternel sur les faits peu honorables de certains hommes, j’y consens ; mais oublier les services rendus à la révolution, l’honneur et le patriotisme : jamais.

C’est dans cette circonstance que je trouve important surtout, que la Belgique soit forte et unie. Messieurs, serrons les rangs, marchons comme un seul homme, c’est l’union qui déjouera toutes les tentatives de nos ennemis. Rappelons-nous que c’est la division seule qui perdit la révolution brabançonne ; soyons unis, soyons tout cœur et tout âme, et vienne le jour où on attaquera nos frontières, la nation saura les défendre. (Approbation générale.)

M. de Puydt, rapporteur. - Puisque je vois l’impatience qu’a la chambre (impatience que je trouve toute naturelle) d’aborder la discussion des articles du budget de la guerre, je supprime les trois quarts des observations que je comptais présenter ; je me bornerai à répliquer à la réponse qu’a faite M. le ministre de la guerre aux observations préliminaires de la section centrale.

On a parlé aussi d’une armée de réserve ; je crois que l’organisation de cette armée dans le grand-duché du Luxembourg, sur les bords de la Meuse à Namur, à Huy, à Dinant, et même à Marche serait utile pour la défense de cette partie de territoire particulièrement menacée ; cette armée serait aussi par cette position en mesure de secourir l’armée principale, si nous étions obligés de commencer la guerre contre la Hollande.

Un honorable député du Luxembourg a développé un plan de défense militaire de cette province. J’abonde entièrement dans son sens. Mais je pense que ces travaux de défense ne doivent pas être provisoires. La forteresse du Luxembourg a été construite pour être la sentinelle avancée de la sainte-alliance, qui existe toujours quoi qu’on en dise, et qui représente la coalition des puissances contre le système qui domine maintenant en France. Comme nous sommes liés par intérêt et par position avec la France, nous devons considérer la sainte alliance comme nous étant hostile. Dans cet état de chose, je crois qu’il serait extrêmement utile de construire dans le Luxembourg une forteresse qui pût former la trouée existante sur notre frontière méridionale.

Je livre ces considérations à la méditation du gouvernement. Je bornerai là mes observations.

La section centrale présente un budget où déjà une première modification dans la forme va conduire sans doute le ministre à adopter une disposition nouvelle et complètement différente de celle suivie jusqu’à présent. Il importait donc que la section centrale fît ressortir le principal vice du budget tel qu’il est pour établir la nécessité d’en changer la forme.

Tel a été le but de ses observations, et ce serait à tort qu’on les supposerait dictées par le désir de faire des reproches au moins inutiles.

La forme nouvelle donnée au budget n’est que l’exécution de ce que les commissions précédentes ont conseillé depuis longtemps : exécution très facile et que rien n’obligeait à différer davantage.

La section centrale avant d’en venir là, a voulu constater deux faits.

Que les allocations avaient jusqu’à présent présenté beaucoup d’incertitude dans leurs appréciations ;

Que le montant des transferts opérés d’un exercice à l’autre n’était pas toujours le résultat d’économies.

Ces faits sont établis par le rapprochement que nous avons présenté entre les diverses allocations accordées pour plusieurs exercices et les transferts dont il s’agit.

Les explications de M. le ministre tout en justifiant dans un certain sens ces irrégularités, n’ont pu que corroborer les faits. Il reste vrai d’abord qu’il y a eu des allocations en trop sur des exercices pour lesquels on a demandé des crédits supplémentaires ; ce qui engageait inutilement par une espèce de double emploi des fonds qu’on aurait pu utiliser ailleurs.

Il reste vrai surtout que les réserves ne provenaient pas entièrement d’économies.

En effet, messieurs, le ministre nous dit lui-même dans ses explications sur l’exercice de 1832 : C’est sur cet article (le crédit supplémentaire de fl. 4,400,000) qu’il a été fait une réduction de dépenses, qui ajoutée aux remboursements des avances effectuées sur la masse d’habillement, ont porté la quotité des fonds restant disponibles sur cet exercice à la somme de etc.

De quelque manière que le recouvrement des avances pour l’habillement ait été opéré, le montant de ces recouvrements n’en constitue pas moins un fond qui doit être porté en recette au budget des voies et moyens, tandis que par la méthode adoptée ce fond se trouve absorbé d’une manière inaperçue à l’aide d’un transfert.

Quand nous avons dit que la chambre avait ignoré le plus souvent l’origine des réserves employées à couvrir des dépenses nouvelles, nous avons également dit vrai ; car je suis convaincu qu’il n’y a pas un membre de la chambre qui ait su en août dernier que dans les 4,800,000 fr. de transferts votés en exécution du budget de la guerre, il se trouvait une partie des recouvrements sur les avances faites pour l’habillement.

Je ne pousserai pas plus loin cette réfutation, puisque M. le ministre s’est trompé sur l’intention qui a dirigé la section centrale ; je ne m’attacherai pas même à prouver que les commissions antérieures sont désintéressées dans la question, il me suffit de dire que plusieurs membres de ces commissions ont siégé dans la section centrale, et que ces membres reconnaissent toutes les irrégularités signalées, la nécessité d’en prévenir le retour et l’opportunité des observations qu’elles ont provoquées.

Si le budget sur le pied de paix était une fois arrêté irrévocablement, et qu’il fût fait d’année en année un budget supplémentaire pour les dépenses du pied de guerre, suivant la position que les événements nous obligent à prendre, il y aurait un véritable ordre dans l’arrangement des crédits ; les économies faites sur les budgets supplémentaires seraient facilement aperçues à la fin de chaque exercice, et pourraient être immédiatement utilisées sur l’exercice suivant.

Je vois peu de difficultés d’exécution dans tout cela, et l’on s’effraie en général trop vite à l’aspect du travail que des améliorations nécessitent ; de là cette manie de différer toujours les réformes, et le goût du provisoire qui se perpétue et se répand dans toutes les branches du service public : quand on a la ferme volonté de corriger les abus, il n’y en a pas de si enracinés qui ne cèdent à un travail opiniâtre.

Je ferai observer en terminant que d’après les nouveaux événements politiques, les chances d’arrangement amiable diminuent tous les jours, et les probabilités de guerre augmentent. Ce qui le prouve, c’est le cri de prévoyance jeté par les amis les plus déclarés de la diplomatie. Je crois donc qu’il serait imprudent de ne pas prendre les précautions les plus convenables à défendre le pays dans le cas d’une guerre prochaine.

On a voté des fonds supplémentaires pour le cas éventuel de guerre ; il n’y aurait pas, ce me semble d’inconvénient à faire connaître dès aujourd’hui l’emploi qu’on se propose de faire de ces fonds ; M. le ministre a parlé d’un budget supplémentaire de la guerre ; ce budget ne pourrait-il pas être soumis immédiatement à la chambre, qui connaîtrait ainsi les précautions prises dans l’intérêt de la défense du pays, et l’emploi des fonds qu’elle a votés.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Administration générale

Article premier

« Art. 1er. Traitement et indemnité du ministre : fr. 25,000. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Employés civils et gens de service : proposition de la section centrale : fr. 161,580. »

Le gouvernement propose 165,000 fr.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Messieurs, c’est après avoir examiné avec la plus sérieuse attention, et avoir pesé très mûrement les conséquences des réductions nouvelles proposées par la section centrale, réductions qui se montent à 598,072 fr., en sus de celles que j’avais consenties, que je me crois dans l’obligation de vous déclarer que je ne peux donner mon adhésion à la plupart de ces réductions, et que je vous en développerai les motifs à chacun des articles qu’elles concernent.

Je suis responsable, messieurs, envers la nation, ses représentants et le gouvernement, du service important qui m’est confié et dont dépend la sûreté du pays et le maintien de ses droits. C’est sur l’armée que la nation se repose du soin de les défendre.

Je regarde comme intempestives, dans les circonstances actuelles, de nouvelles réductions dans les dépenses de l’armée, quand vous venez de voter un crédit éventuel pour augmenter ces dépenses et qui devraient être nécessairement augmentées de toutes celles dont on propose le retranchement.

Ce sera à vous, messieurs, de juger dans votre sagesse si les motifs que je donne pour maintenir au budget les sommes qu’on a proposé de retrancher sont, comme je le dois croire, suffisants et assez clairement établis pour en démontrer la nécessité.

C’est par le seul désir de voir tous les services assurés que je demande l’allocation de ces sommes, et c’est dans l’intérêt bien entendu de l’Etat, dans l’intérêt de l’armée dont je suis plus spécialement chargé de faire valoir les droits à votre justice, que j’insiste pour qu’il ne soit pas opéré de retranchements portant sur l’effectif des troupes, ou sur les allocations que leur assurent les règlements militaires qui nous régissent, et auxquelles on ne peut porter atteinte sans causer une perturbation qu’il faut savoir éviter dans les circonstances où nous nous trouvons.

Quant au traitement des employés, le taux de ces traitements a été fixé par le budget de 1834 (et des années précédentes) à la somme de 135,570 fr.

J’ai fait quelques réductions dans le courant de l’année 1834, qui l’ont provisoirement réduit à 131,180 fr., et la section centrale demande une réduction de 4,420 fr. sur la somme de 135,600 fr. portée au budget de 1835.

Il faut enfin qu’il y ait de la fixité dans les allocations de cette nature pour permettre qu’en diminuant le nombre des employés, on puisse récompenser ceux qui, par leur assiduité, leur capacité et les services qu’ils rendent, méritent une amélioration dans leur sort.

Il existe des employés et plusieurs sont mariés et ont des enfants, aux appointements de 1,400 fr. 1,200, 1,000 et 600 fr.

J’avais ménagé cette réduction pour être en mesure de récompenser les bons services par une augmentation de traitement à ceux qui y avaient des droits.

Retrancher ces 4,420 fr, c’est me priver de rendre justice à ceux à qui je l’avais promis ; c’est décourager de bons sujets qui avaient droit d’espérer que leurs services étaient appréciés et seraient récompensés ; c’est éteindre toute espèce d’émulation dans cette classe d’employés de l’Etat, qui seront privés de l’espérance de voir leur position s’améliorer.

Au reste, messieurs, l’économie que j’ai faite par suppression d’emplois se monte sur l’article à 4,250 fr. pendant l’année 1834, et j’espère qu’il pourra en être encore de même pour l’exercice 1835 : mais, je le répète, il faut améliorer le sort des bons travailleurs, et cette modique somme de 4,420 fr. qui pourra probablement être économisée pendant 1835, m’est nécessaire maintenant pour rendre justice à tous.

M. de Puydt, rapporteur. - M. le ministre de la guerre a présenté à la section centrale un état nominatif des traitements des employés civils s’élevant à 161,580 francs. La section centrale a cru que M. le ministre n’entendait pas demander un crédit plus élevé que le montant de ces traitements, et elle a opéré la réduction.

L’explication que vient de donner M. le ministre de la différence entre le crédit demandé et l’état des traitements, me paraît satisfaisante. Je crois avec lui qu’il est utile qu’un fonds soit réservé pour gratification aux employés. Je crois que cette circonstance, si la section centrale l’avait connue, l’aurait déterminé à ne pas proposer de réduction.

- Le chiffre de 165,000 francs est mis aux voix et adopté pour l’article 2.

Article 3

« Art. 3. Employés militaires : fr. 126,345. »

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - J’ai déjà déclaré à la section centrale que je ne pouvais consentir à une telle innovation, qui entraînerait de très fâcheux inconvénients, et une complication de comptabilité tout à fait inutile.

Je vous avoue même que je n’en conçois pas le motif, si ce n’est celui de faire connaître qu’il existe 29 militaires employés au département de la guerre ; mais dans ce nombre figurent :

4 aides-de-camp.

4 gardés d’artillerie et du génie.

5 jeunes aspirants à l’intendance.

En tout 13.

Ainsi restent 16 officiers réellement employés, dont 5 au dépôt de la guerre, 3 intendants et 1 adjoint.

Voilà d’abord l’état réel des choses, ce qui réduit à 9 le nombre des officiers employés à mon cabinet, à la division du personnel et aux divisions de l’artillerie et du génie, où il faut nécessairement des officiers de ces deux armes pour les diriger.

Je pense, messieurs, que ce cadre, variable d’après les circonstances de guerre, ne peut être fixé par le budget, et j’invoque ici ce qui a toujours eu lieu dans le royaume des Pays-Bas et en France, où de tout temps il y a eu un grand nombre d’officiers de toutes armes et d’administrateurs employés au ministère de la guerre.

Dans le budget hollandais, ils ne figurent à l’article de l’administration centrale du ministère que pour le toelagen, qu’ils perçoivent sur les fonds de cette administration, et qui est de 1,000 florins par officier.

En France, ils ne figurent également à l’article de l’administration centrale que pour le supplément de traitement qu’ils perçoivent sur ce fonds, et je puis me citer en exemple : lorsque j’étais l’un des directeurs du ministère, je touchais mon traitement de maréchal-de-camp montant à 12,000 fr. à l’article de l’arme de l’artillerie, et je touchais en outre 15,000 fr. sur les fonds de l’administration centrale.

Ici, messieurs, il n’y a ni supplément de traitement, ni toelagen ; seulement 3 capitaines d’infanterie touchent chacun 850 fr., accordés par un arrêté antérieur, et qui a été confirmé par le gouvernement actuel.

Pendant les trêves qu’a eues l’empire français, j’employais près de moi 10 à 12 officiers que je chargeais de divers travaux. Quand la guerre se déclarait, je les envoyais à l’armée où les connaissances qu’ils avaient acquises étaient utilisées. Il en serait de même ici, messieurs, de mes collaborateurs, et déjà j’ai reçu la demande de plusieurs d’entre eux, qui préfèrent être employés à l’armée que d’être occupés 8 et 10 heures par jour à des travaux arides et qui exigent du dévouement pour les remplir.

Pourquoi donc vouloir fixer un cadre de 29 officiers, quand ce nombre est si variable de sa nature ? Pourquoi vouloir m’imposer l’obligation que je ne pourrai en avoir ni plus ni moins ? Et s’il y a une seule mutation dans l’armée, il faudra une loi de transfert d’un article à l’autre.

Pourquoi vouloir une catégorie d’officiers qui appartiennent à quatre armes différentes ? Pourquoi refuser qu’ils soient payés au titre de l’arme dont ils font partie ?

Il n’y a réellement aucun motif suffisant pour établir cette innovation, et il y a plusieurs inconvénients à l’admettre. Je demande en conséquence que les 126,345 fr. portés au chapitre premier soient rétablis aux articles du chapitre Il concernant les armes des officiers dont les 126,345 fr. forment le traitement.

M. Brabant. - Je viens appuyer les observations de M. le ministre de la guerre contre le projet de la section centrale. D’abord la proposition est jugée au fond en ce qu’elle n’apporte aucune économie ; mais je m’y oppose en ce qu’elle est de nature à gêner la comptabilité. L’honorable rapporteur a reconnu qu’il était possible qu’un officier attaché à l’administration de la guerre fût placé dans une autre situation et reprît un service actif ; il est très probable que le traitement du service actif ne serait pas égal à celui des bureaux. Je suppose qu’un général de brigade dont le traitement est de 11,600 fr. soit remplacé dans ses fonctions administratives par un colonel à qui il est alloué un traitement de 7,100 fr.

Il y aura une différence dans le chiffre de 4,500. L’état de traitement se trouvera en déficit de cette somme ; il faudra donc faire un transfert. L’honorable rapporteur à dit qu’il n’était pas apporté par là d’économie ; moi, je pense que de ces changements doit résulter un surcroît de dépense. Si vous admettez l’article de la section centrale, les employés militaires attachés à l’administration de la guerre, pour s’assimiler aux employés civils, prétendront n’être pas astreints au service militaire.

M. de Brouckere. - Je ne partage pas l’opinion de l’honorable préopinant et je viens appuyer la proposition de la section centrale. Toutes les années précédentes des orateurs se sont fortement élevés contre le système qui s’opposait à ce que personne ne pût connaître ce que coûtait l’administration centrale de la guerre.

Et ce chiffre on ne pouvait le connaître parce qu’il était des officiers dont les traitements figuraient dans des états différents. La section centrale y a fait droit. Elle a mis pour titre au chapitre premier : « administration centrale » et dans ce chapitre elle a placé un article séparé pour les officiers fixés près de cette administration.

Vous savez maintenant précisément le chiffre de ce que coûte l’administration centrale de la guerre, votre budget a plus d’ordre et de régularité. De plus le ministre n’a pas le droit de se plaindre puisqu’on ne lui demande pas d’économie, par conséquent pas de réductions. Mais l’honorable préopinant a fait valoir deux moyens pour s’opposer à la proposition de la section centrale.

Le premier, c’est qu’il peut arriver ou que le même nombre d’officiers ne soit pas envoyé à l’administration centrale ou que si les officiers ne sont pas de même grade ce chiffre ne soit exposé à changer. Cela pourrait arriver de même pour les employés civils. Le ministre de la guerre peut charger un chef de division du travail ordinairement fait par un chef de bureau ; et malgré cette substitution d’employés, il ne peut pas y avoir de confusion. La deuxième observation de l’honorable M. Brabant, c’est que les employés militaires pourront s’appuyer du vote de cet article pour dire qu’ils sont en même position que les employés civils et prétendre, s’ils vont en congé par exemple, à conserver leur traitement.

Ce serait une prétention absurde. Le ministre dira d’abord : vous n’êtes pas assimilés aux officiers civils. Par ces motifs j’appuie la proposition de la section centrale, parce qu’elle est régulière, parce qu’il n’y a pas de raison pour que nous ne sachions ce que coûte l’administration centrale ainsi que toute autre. Au ministère des finances, on n’a pas que des employés, on a aussi des directeurs, des contrôleurs, des vérificateurs, on porte les appointements de ces fonctionnaires sous le titre d’administration centrale, il dépend de même du ministre de remplacer un inspecteur par un vérificateur, ou un vérificateur par un contrôleur. Il y a peut être parfois une différence dans le chiffre, mais où est le grand mal ? Je le répète, je voterai pour la proposition de la section centrale.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je n’ai jamais voulu dissimuler la liste des officiers attachés au département de la guerre, j’en ai fait connaître dès qu’on l’a désiré, le nombre, les noms et le traitement ; la demande que j’ai faite, repose uniquement sur le maintien de l’ordre, de la comptabilité.

Comme c’est le ministre seul qui fait tous les mandats de paiement pour cette administration, s’il ne peut les donner, il y aura perturbation dans l’ordre établi. En conséquence je persiste dans les observations que j’ai eu l’honneur de faire à la chambre.

M. de Puydt, rapporteur. - Le mode de payement ne me paraît pas un inconvénient aussi grave qu’on veut bien le dire. Comment fait-on avec les officiers sans traitement ? On leur donne un livret ; ce livret est remis à l’intendant militaire, celui-ci fait le décompte et l’officier est payé par ce moyen. Je ne vois pas d’inconvénient à ce qu’il en soit de même pour le cas dont il a été parlé tout à l’heure, Quant au transfert, ce n’en est pas moins un inconvénient que dans le cas où l’officier quitterait le ministère. Si le ministre lui-même quittait ses fonctions, on lui donnerait son traitement de lieutenant-général.

M. Pirson. - Dans les deux systèmes il y a avantage et désavantage. Dans celui de la section centrale il y a un système d’ordre ; dans celui du ministre, le désir de ne pas changer le mode de comptabilité.

On mettra si on adopte ma proposition, employés militaires dans le chapitre premier, pour ordre et mémoire. Ceci servirait d’apaisement aux membres de la chambre chargés de s’occuper du budget de la guerre. Il y aurait donc pour ordre et mémoire dans le chapitre premier, la liste des employés militaires de l’administration centrale et leur traitement et le paiement de leur traitement réel serait porté au chapitre II.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je me rallie à l’amendement de l’honorable M. Pirson, cela n’apportera aucune perturbation dans le mode de comptabilité, chose que, j’en conviens, je crains beaucoup.

- La proposition de M. Pirson tendant à ce que les traitements des employés militaires ne figurent à l’article 3, que pour mémoire et qu’ils soient maintenus effectivement aux articles indiqués par M. le ministre de la guerre est mise aux voix et adopté. En conséquence l’article 3 : « Employés militaires, 126.345 fr. » est adopté pour mémoire.

Article 4

« Art. 4. Frais de route et de séjour : fr. 3,000. »

- Adopté.

Article 5

« Art. 5. Matériel du ministère : fr. 60,000. »

M. Brabant. - Je ne vois pas encore la nécessité de diviser en deux articles ce qui avait été passé pour le matériel. Le dépôt de la guerre fait partie du matériel. je ferai remarquer que cette année on demande 64 mille francs tandis que l’année dernière il n’en a été alloué que 52 mille. Je demande qu’on justifie l’augmentation de 12,000 fr.

M. de Puydt, rapporteur. - Cette augmentation résulte, 1° d’un nouveau local qu’on a été obligé de prendre pour le ministre de la guerre. M. le ministre en a produit les baux ; 2° d’une autre location d’une maison située boulevard du Régent. Quant à la division elle est le résultat de la proposition relative à une carte topographique. On avait considéré la dépense occasionnée par cette carte assez importante pour qu’on en fît un article séparé.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je viens appuyer les motifs donnés par l’honorable rapporteur de la section centrale à cet égard.

Je regrette vivement que la section centrale, après avoir donné son assentiment, à ce qu’il me semblait du moins, à la proposition que j’avais eu l’honneur de lui faire, d’accorder une somme de 50,000 fr. pour commencer les opérations qui peuvent nous donner une bonne carte du royaume, ait cru devoir ajourner ce travail qu’il est si nécessaire cependant d’entreprendre.

Je le regrette d’autant plus que je viens de recevoir l’assurance du lieutenant-général Pelet, directeur général du dépôt de la guerre en France, qu’il se ferait un plaisir de mettre à ma disposition tous les matériaux qui existent à ce dépôt, et je crois devoir, messieurs, vous donner connaissance de cette dépêche.

Il n’est personne de vous qui puisse contester l’utilité d’une telle opération, et la convenance de l’entreprendre ; mais attendu la communication qui nous est faite des points de repère pour les opérations secondaires de trigonométrie, je me borne à demander pour l’exercice 1835, une somme de 30,000 fr.

Je dois faire observer que les premiers travaux consistent en études du terrain, qui exigent moins d’officiers que les opérations du lever, et qui donneront des renseignements utiles, même dans l’intérêt de la défense du pays.

J’ajouterai que le travail de la carte sera avantageux aux officiers qui y seront employés, en leur donnant l’occasion d’acquérir une expérience qu’ils ne peuvent encore avoir, d’une partie très importante de leurs fonctions.

Ces officiers pourront toujours être rappelés aux divisions de l’armée si leurs services y devenaient nécessaires ; mais dans l’état actuel des choses ils peuvent en être détachés sans inconvénients.

Il résulte enfin de l’allocation de la somme demandée que les travaux de la carte ne seront pas entravés par le manque de fonds lors même que leur opportunité viendrait à être reconnue de tous.

Les cartes en Belgique ne répondent pas à l’attente des militaires comme le fonds les nouvelles cartes de France. Je crois que la chambre fera un acte utile au pays en accordant l’exécution de cette opération. Attendu l’offre que fait le directeur du dépôt de la guerre, pour le commencement de l’exécution, il est demandé une somme de 30,000 fr.

M. Brabant. - Je refuse toute allocation pour la carte. Je parlais même contre une somme de 4,000 fr. affectée à cette opération et elle se trouve tout à coup majorée de 30,000 fr. Je ne veux pas allouer un liard et je dirai tout à l’heure mes motifs.

M. de Brouckere. - Il me semble qu’on pourrait discuter sur la proposition du ministre sauf à examiner si l’article doit être divisé en deux ou non. M. le rapporteur s’appuie en faisant deux articles, de ce que l’article premier aura un but spécial, si on admet la proposition de M. le ministre pour faire cette carte. Je crois qu’il faudrait mettre aux voix la proposition du ministre de la guerre.

M. de Puydt, rapporteur. - Messieurs, la proposition de la carte avait été fait à la section centrale par M. le ministre de la guerre. La section centrale l’avait d’abord adoptée. J’ignore les motifs qui depuis l’ont fait revenir sur cette adoption. J’ai été forcé, par une indisposition, de m’absenter pendant quelque temps.

Je présume qu’on a soulevé la question d’opportunité. On aura prétendu que l’on ne devait pas se livrer à une dépense accessoire de 50,000 fr. quand on était peut-être sur le point de dépenser des millions pour faire la guerre. On a dit sans doute que les officiers d’état-major, occupés à faire la carte, seraient plus utilement employés sur la frontière. Je ferai observer que les premiers travaux de la carte ne nécessitent pas beaucoup d’officiers. Il s’agit d’abord d’opérations d’astronomie, de triangulations, et quand ces opérations préliminaires s’exécuteront, elles ne pourront être que très utiles à l’instruction des officiers d’état-major.

Une fois toutes ces dispositions préliminaires faites, quand on aura arrêté l’instruction générale pour le levé des cartes, au moyen de cette instruction, on pourra utiliser les opérations actuelles de l’état-major. Les officiers d’état-major sont divisés sur toutes les parties de notre frontière, et attachées aux diverses divisions et brigades d’avant-garde, ils sont chargés de la reconnaissance de la levée des études du terrain sur lequel on pourrait être appelé à combattre. Ces travaux n’ont qu’une utilité du moment et sont perdus pour l’avenir. Si les bases de la carte générale étaient arrêtées, on pourrait encadrer les travaux spéciaux des officiers d’état-major, et de cette manière les utiliser.

Qu’on ne me dise pas que ce n’est pas en temps de guerre qu’on peut faire les travaux nécessaires pour établir une carte. Car j’ai sous les yeux des exemples qui prouvent le contraire. La grande carte d’Egypte fut faite pendant l’expédition de l’armée française. Cette carte a 47 feuilles sur une grande échelle, on peut la considérer comme un monument topographique ; elle a été faite pendant la durée de la guerre des Mamelouks dans la haute Egypte, en Syrie, pendant l’invasion des troupes turques, à l’époque de la bataille d’Héliopolis et pendant l’invasion des Anglais qui a précédé l’évacuation de l’Egypte par l’armée française. Les officiers du génie, ingénieurs géographes, ingénieurs des ponts et chaussées, membres de la commission, chargée du levé de la carte, étaient dispersés dans le pays et partout exposés aux coups de l’ennemi, ce qui ne les empêchait pas de faire sur le terrain toutes les opérations nécessaires pour établir ce bel ouvrage. Nous pourrons imiter cet exemple, utiliser les travaux de nos officiers d’état-major, en les régularisant et en adoptant le projet du ministre de la guerre.

Tous ceux qui ont eu occasion de se servir de la carte de Ferrari sont convaincus qu’elle est très incomplète et qu’elle renferme de graves erreurs. Ceux entre autres qui ont été chargés de faire des reconnaissances de terrain pour l’établissement de tracés de routes ou de canaux, ont pu apprécier ces erreurs. Quand on considère comment cette carte a été faite on conçoit ses défauts. Elle a été rédigée en 74, elle n’est qu’une compilation des plans seigneuriaux et autres documents aussi incomplets ; elle ne repose sur aucune base, il n’y a eu ni triangulation, ni opération astronomique.

Quand le gouvernement français a voulu rattacher la carte de Cassini à la carte hollandaise, il a chargé l’astronome Perny de cette opération. Ce dernier dut prendre pour intermédiaire la carte de Ferrari, et put juger combien cette carte est défectueuse, car, il trouva jusqu’à deux degrés d’erreur dans un seul angle.

Je parle par expérience, j’ai eu occasion de reconnaître qu’un ruisseau indiqué dans la carte de Ferraris, comme coulant sur un versant et affluant à une rivière, allait se jeter dans une rivière et à l’opposé. Cette carté fit faire de grands écarts et empêche de reconnaître la véritable direction qu’on doit suivre.

Je ne pense donc pas qu’on puisse regarder la carte de Ferraris comme pouvant suffire. Je crois qu’il est indispensable de continuer la carte française sur notre territoire. Nous aurons l’avantage de profiter de la base qu’on a établie en France en prolongeant les lignes principales qui arrivent à notre frontière.

M. Desmaisières. - Je ne viens pas contester l’utilité de la nouvelle carte de la Belgique. Je reconnais avec l’honorable rapporteur de notre section centrale, que cette utilité est très grande, mais je viens combattre la mesure préposée comme inopportune et comme pouvant être inutile. Elle est inopportune : En effet, l’honorable rapporteur vient de dire qu’on ne pourrait cette année commencer tout au plus que les travaux de triangulation. Or notre état-major a besoin sous certains rapports d’instruction acquise par l’expérience.

Permettez-moi de lire l’article 6 de l’arrêté du 29 août 1826, arrêté organique du corps d’état-major sous l’ancien gouvernement.

(L’honorable membre donne cette lecture, puis il ajoute :)

Ce n’est pas au moment où on parle de guerre qu’on peut s’occuper de cette dernière partie de l’article 6 dont je viens de donner lecture.

Cette mesure est donc inopportune.

Elle peut devenir inutile. Car vous savez que pendant la domination hollandaise, le génie hollandais à fait des travaux pour la confection d’une carte de la Belgique ; eh bien, lorsque nous aurons la paix, et j’espère qu’enfin nous y arriverons, nous aurons un traité avec la Hollande et dans ce traité le gouvernement stipulera que tout le travail relatif à la rédaction de notre carte nous soit remis. Or, ces dépenses qu’on vous propose, et pour lesquelles on ne vous demande maintenant que 30 ou 50 mille francs, mais pour arriver plus tard à des millions, ces dépenses, dis-je, pourraient devenir inutiles, si la paix était conclue.

Par ces motifs, je voterai contre l’allocation.

M. Brabant. - Je ne contesterai pas le mérite et l’utilité de la carte dont s’occupent les ingénieurs géographes. Cette carte fait honneur à l’autorité qui l’a entreprise. Mais remarquez que c’est un travail de longue haleine. Avant de vous engager dans une entreprise semblable, vous devez voir jusqu’où vous vous engagez. Jusqu’à présent vous ne le savez pas. On vous avoue que vous devrez voter des sommes énormes pendant longtemps mais on ne vous donne aucun aperçu sur le chiffre total auquel pourra s’élever la dépense.

Pendant longtemps, pour une grande partie de la France, on a dû se contenter de la carte de Cassini qu’on reconnaissait comme défectueuse. On a entrepris une autre carte. Je ne vous donnerai pas sur cette entreprise mon opinion personnelle. Je reconnais mon infériorité, mes occupations sont tout à fait étrangères aux travaux topographiques. Mais je citerai deux hommes compétents pour décider pareille question, c’est le général Demarcay, ancien général d’artillerie, et M. Victor de Tracy, ancien lieutenant-colonel du génie. Je tiens en mains des fragments des discours prononces par ces honorables députés dans la discussion du budget de 1830. Je vous les lirai. Puisqu’on veut travailler sur l’échelle de la France, ce que je trouve fort bon, on pourrait aussi travailler sur son échelle de temps et sur son échelle pécuniaire.

(L’honorable orateur donne lecture des discours de MM. Demarcay et de Tracy, qui pensent que la carte de France ne sera pas faite en cent ans et coûtera plus de cent millions, puis il ajoute :) Il en sera probablement de la carte belge, comme de la carte de France, voyez si avant d’entreprendre un travail pour lequel on demande 34 mille francs, cette année, vous voulez vous engager dans le même dédale que le ministre de la guerre de France.

M. de Puydt. - Ce n’est pas à 30 mais à 600 mille fr. que le dépôt de la guerre a estimé que s’élèveraient les dépenses de la carte. Elle sera composée de 23 feuilles gravées, en tout semblables à celles de la carte française, de sorte que notre carte serait le complément de la carte française.

L’expérience a prouvé que chaque officier attaché à ce travail pouvait faire dix lieues carrées par campagne. En employant 15 officiers, en moins de douze ans, y compris deux années pour les travaux de grande triangulation et les travaux préparatoires, la carte de la Belgique serait terminée. Ce temps est très peu considérable, comparé à l’importance du travail. Ainsi, en 12 ans, la dépense s’élèverait à 600 mille francs.

Quand on considère que l’on pourra tirer parti des opérations trigonométriques commencées par la France, on conçoit la grande facilité que nous devrons avoir pour les travaux préparatoires.

L’honorable préopinant a parlé des travaux des officiers hollandais et il a dit que si la Belgique venait à s’arranger avec la Hollande, on pourrait les réclamer et les utiliser, qu’en conséquence, il y avait lieu d’attendre pour ne pas s’exposer à faire un double travail. Je lui répondrai que pour mon compte je doute que la Hollande rende jamais ce travail. Il lui sera toujours possible de dire : il est perdu, il a été détruit au siège d’Anvers, ou de donner tout autre motif pour ne pas le rendre. Mais si ce travail était rendu, on pourrait toujours l’utiliser, ce n’est pas un motif pour ajourner les projets.

La première année on n’aura pas besoin d’opérer sur le terrain où les officiers hollandais ont travaillé ; on pourra commencer par les parties dont ils ne se sont pas occupés, afin de pouvoir utiliser leurs travaux si les documents nous étaient rendus.

Quant aux officiers d’état-major dont l’instruction n’est pas complète, il est possible qu’il s’en trouve qui n’aient pas encore une grande expérience, je l’ignore, ou plutôt j’en doute, mais le directeur du dépôt de la guerre sera assez judicieux pour ne pas employer des officiers qui n’auraient pas les connaissances théoriques et pratiques nécessaires pour opérer avec certitude.

Je crois en avoir dit assez pour vous démontrer l’utilité de l’allocation.

M. de Brouckere. - Comme les préopinants, je reconnais l’utilité d’une bonne carte topographique, mais je conteste l’utilité de porter une somme pour cet objet au budget de cette année. S’il ne s’agissait que de 30 ou 50 mille fr. je pourrais l’accorder. Mais avant mon vote, j’ai besoin de calculer jusqu’où il m’engagera. Vous venez d’entendre que déjà on calcule le coût de cette carte à 600 mille fr. Je vous prie de remarquer que dans cette somme ne sont pas compris les appointements des officiers d’état-major employés à la levée de cette carte.

Si maintenant vous considérez que nous n’aurons l’usage de cette carte que dans douze ou 15 ans et que vous calculiez les intérêts des sommes payées chaque année, vous verrez qu’avant de pouvoir profiter du travail, les dépenses auront dépassé un million et demi. Je crois être loin de dépasser le chiffre de ce que coûtera réellement la nouvelle carte. Croyez-vous que nous puissions dès aujourd’hui ainsi prendre l’engagement de voter pendant dix ans des sommes aussi fortes. Je ne prendrai pas sur moi d’engager ainsi le pays.

Je refuserai quant à présent toute espèce de fonds pour cet objet. Si plus tard nous sommes en position de faire la dépense qu’on nous propose aujourd’hui, je verrai si je dois revenir sur le vote que j’émets. Ce n’est pas quand on est obligé d’augmenter de 10 p. c. toutes les impositions pour des éventualités de guerre, que j’accorderai une somme aussi forte sans nécessité. (Aux voix ! aux voix !)

J’entends crier : Aux voix ! Je suppose que la chambre partage mon opinion. (Oui ! oui !)

Alors je n’ai plus rien à ajouter.

- Le chiffre de 30 mille francs proposé par le ministre pour travaux relatifs à la confection d’une carte est mis aux voix.

Il n’est pas adopté.

« Art. 5. Matériel du ministère de la guerre, 60,000 fr. »

- Adopté.

Article 6

« Art. 6. Art. 6. Matériel du dépôt de la guerre : fr. 4,000. »

M. Brabant. - Je ne pense pas qu’il y ait lieu de mettre l’article 6 aux voix, car dans les développements du budget, il est dit que cette somme est destinée à l’achat d’instruments et de cartes pour le dépôt de la guerre.

M. de Puydt, rapporteur. - Cette somme est destinée à l’achat de cartes pour le dépôt de la guerre, mais cela n’a aucun rapport avec la confection de la nouvelle carte.

- L’article 6 est mis aux voix et adopté.

- Plusieurs voix. - La réunion des deux articles !

- La réunion des deux articles est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.

En conséquence les articles restent séparés.

La séance est levée à 4 heures et demie.