Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 16 décembre 1834

(Moniteur belge n°351, du 17 décembre 1834)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Dechamps procède à l’appel nominal à une heure 3/4.

M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Van den Wiele demande un congé pour cause de maladie.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l'exercice 1835

Discussion des articles

Article 2 nouveau

M. le président. - La chambre continue la discussion de l’article nouveau présenté par M. le ministre des finances.

M. Pirson présente sur cet article un amendement ainsi conçu :

« Il sera en outre prélevé dix centimes à titre de subvention éventuelle de guerre sur le principal et les additionnels ordinaires et extraordinaires, au profit du trésor, de la contribution foncière et des patentes, qui produiront ; savoir :

« Foncier : fr. 1,826,122 50 c.

« Personnelle : fr. 814,000 00 c.

« Patentes : fr. fr. 253,499 40 c.

« Plus une contribution réellement personnelle répartie comme suit, sur la population numérique du royaume ; savoir :

« Un quart de la population paiera par tête, ci : néant

« Le 2ème quart, par tête un franc, soit : fr. 100,000

« Le 3ème quart, 1 fr. 50, soit : fr. 150,000

« Le 4ème quart, 2 fr., soit : fr.200,000

« Ensemble : fr. 450,000 00 c.

« Total : fr. 7,343,621 90. »

Motion d'ordre

M. Desmanet de Biesme (pour une motion d’ordre). - Vous sentez, messieurs, que des projets tels que celui que présente l’honorable préopinant, méritent d’être mûris par la chambre. Il est très possible que l’on présente encore des amendements dans la discussion.

M. Lardinois. - J’ai l’intention d’en présenter un.

M. Desmanet de Biesme. - Il me semble donc qu’il vaudrait mieux commencer par voter le budget ordinaire des voies et moyens, et si M. le ministre des finances persiste dans sa proposition, il conviendrait qu’il nous présentât un projet de loi séparé. Nous serions, si l’on suivait cette marche, plus à même de nous décider sur le meilleur mode à adopter pour percevoir la subvention éventuelle de guerre que demande le gouvernement.

M. Coghen - Messieurs, je viens appuyer la proposition de M. Desmanet de Biesme. Elle est d’autant plus utile que la discussion entamée sur l’article 2 du projet peut encore durer. S’il en était ainsi, le vote du budget des voies et moyens se trouverait retardé et nous ne pourrions envoyer ce budget à l’autre chambre que pour la forme.

Quelle garantie d’ailleurs avons-nous que le sénat adopte le subside éventuel de guerre ? S’il le rejetait, nous n’aurions pas de budget de voies et moyens pour le 1er janvier, parce que la proposition du gouvernement ferait corps avec ce budget.

Je crois donc qu’il y a lieu de prier les membres qui ont à déposer des amendements de les faire connaître, de les renvoyer à la section centrale du budget des voies et moyens, d’inviter les auteurs des amendements et M. le ministre des finances a se rendre dans le sein de cette section centrale. Celui- ci pourrait alors nous présenter un projet de loi qui n’exciterait pas les réclamations que je crains que la proposition actuelle n’excite dans le pays.

M. Pirson. - Je voulais faire exactement la même proposition que l’honorable M. Desmanet de Biesme. Si la chambre m’avait permis de développer mon amendement, elle aurait entendu que j’en demande le renvoi à la section centrale. Je désire seulement que la chambre veuille bien, avant de décider le renvoi des amendements, entendre les développements de leurs auteurs, lesquels donneront ainsi aux membres de cette section et à M. le ministre lui-même des éclaircissements préalables sur les motifs qui les leur ont fait déposer.

M. Gendebien. - J’allais précisément faire la même proposition que l’honorable M. Pirson. Je voulais demander que tous les membres qui ont à proposer ces amendements fussent entendus préalablement.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je demanderai à l’honorable M. Desmanet de Biesme ce qu’il entend par la motion d’ordre qu’il a présentée à la chambre. Je lui demanderai si son intention, en séparant l’article 2 nouveau du budget des voies et moyens, est d’en renvoyer la discussion après le 1er janvier prochain. S’il en était ainsi, ce serait renverser toute l’économie du projet. Que voulons-nous ? C’est d’imposer pour le 1er janvier les centimes additionnels jugés nécessaires pour la subvention de guerre. Il est donc indispensable qu’ils soient votés avant le premier janvier. Je ne vois pas que rien s’oppose à ce que la chambre continue l’article 2. Tous les arguments que l’on a employés pour le combattre ne me paraissent pas assez forts pour arrêter l’assemblée. Ils sont tous plus spécieux que justes.

Je déclare donc que le gouvernement ne peut se rallier à la motion de M. Desmanet. Il maintient son projet pour bon. Il persiste à demander que l’on passe outre sur la motion d’ordre et que l’on continue la discussion.

M. Desmanet de Biesme. - Je dois avoir été singulièrement mal compris par M. le ministre des finances pour qu’il puisse croire que je demande l’ajournement de la proposition du gouvernement. J’ai seulement demandé, comme l’honorable M. Gendebien vient de le faire, le développement préalable, le renvoi des amendements à la section centrale. Je vous avoue pour ma part que j’espère que ce délai pourra éclairer M. le ministre des finances sur la nécessité du subside qu’il nous demande. On dit que la section centrale a reçu des communications du gouvernement. Cela est possible. Mais jusqu’à présent elles ne sont pas parvenues à la connaissance de la chambre.

Le projet du budget des voies et moyens étant présenté, l’honorable M. Dumortier fit des interpellations à M. le ministre des affaires étrangères, qui répondit que rien n’annonçait des projets sinistres de la part de nos ennemis ; que si le gouvernement avait besoin du concours de la législature, il s’empresserait de s’adresser aux chambres. Quatre jours après, le ministre des finances est venu nous proposer une subvention de guerre. Le gouvernement avait donc reçu dans cet intervalle des communications particulières. Il faut que nous soyons éclairés à cet égard.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je désire que dans cette discussion l’on ne dénature pas les paroles que j’ai prononcées dans une séance précédente.

Il n’est pas exact de dire que j’aurais donné l’assurance qu’il n’y avait rien de changé dans la position de nos ennemis à notre égard. Mes considérations n’ont porté que sur la politique extérieure, sur la politique des cabinets de France et d’Angleterre. Mais d’un autre côté j’ai fait entendre à la chambre, je l’ai même dit positivement, que je croyais, d’après les renseignements parvenus au gouvernement, que la Hollande augmentait ses armements : j’ai ajouté qu’il était indispensable que nous augmentassions les nôtres dans la même proportion, afin de ne pas nous exposer à une surprise de la part de nos ennemis. C’était pour l’éviter que je trouvais que le gouvernement ne pouvait se dispenser de prendre des mesures.

Mon honorable collègue, M. le ministre de la guerre a demandé la parole. Je prie la chambre de vouloir bien prêter son attention aux considérations qu’il va développer, afin de passer au vote sur la motion d’ordre proposée par M. Desmanet de Biesme.

M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Messieurs, deux honorables membres de cette chambre ont parlé, dans votre séance précédente, du budget présenté par le gouvernement hollandais aux états-généraux, et l’un des orateurs a fait observer que le budget présenté pour l’exercice 1835 était moindre de 4,330,000 fl. que celui de 1834.

Le fait est vrai, et cette réduction se compose de :

fl. 1,110,000 sur le département de la guerre.

fl. 1,750,000 sur le département de la marine.

fl. 835,000 sur le département des finances.

fl. 645,000 sur les autres départements.

Total : fl. 4,330,000.

Cette assertion, toute réelle qu’elle est, m’a paru de nature à devoir être expliquée à la chambre, ainsi que la fixation des dépenses de la guerre, à la somme de fl. 11,000,000 pour l’exercice 1835.

Ayant aujourd’hui à ma disposition tous les budgets imprimés par ordre du gouvernement hollandais, depuis l’exercice 1831, jusques et y compris l’exercice 1835, je suis à même, après les avoir attentivement étudiés, de donner à la chambre des informations certaines sur la valeur que l’on doit attacher aux budgets annuellement présentés aux états-généraux ; mais, pour ne pas compliquer inutilement les détails que je puis présenter, je me bornerai à la seule spécialité qui me concerne, les dépenses réelles du ministère de la guerre.

Vous savez, messieurs, qu’une loi du 24 décembre 1829 fixa le budget décennal du royaume des Pays-Bas à la somme totale de fl. 60,750,000,

et qu’une autre loi de la même date fixa le budget annal de 1830 à celle de fl. 17,103,200.

Vous vous rappelez aussi que le budget décennal était fixé aussi pour les dix années de 1830 à 1840, et que le budget annal devait seul être discuté et arrêté pour chacun de ces exercices.

Dans le premier de ces budgets, le département de la guerre était compris pour une somme de fl. 16,580,000 et dans le second, pour celle de fl. 1,630,000.

Total, fl. 18,210,000.

Il résulte de l’examen attentif que j’ai fait de la discussion qui a précédé le vote de ces budgets, et de la décomposition que j’ai opérée des sommes allouées pour des troupes, que le nombre de celles de toutes armes à entretenir sous les drapeaux pendant l’année entière était de 32,000 hommes, et que le budget allouait en outre les fonds nécessaires pour réunir 30,000 miliciens pendant un mois sous les armes.

La dépense résultant de cette réunion momentanée et de la masse d’absence de ces 30,000 hommes peut être évaluée au plus à un million de florins, d’où il résulte que la dépense de 32,000 hommes de toutes armes pour l’année, avec les dépenses accessoires de l’administration générale, des services de l’artillerie et du génie, du service sanitaire, de l’école militaire, des haras, de la maréchaussée, etc., etc., s’élevait à la somme de fl. 17,200,000.

Remarquez, messieurs, que les dépenses de l’armée étaient calculées pour 1830 sur le pied de paix le plus absolu, et que si elles avaient été calculées sur le pied de guerre, avec vivres de campagne et autres allocations qui en dérivent, le montant de ces dépenses eût été d’un quart en sus de celles qui sont allouées sur le pied de paix.

Ainsi 32,000 sur le pied de guerre doivent coûter, d’après les tarifs de solde et d’allocations diverses, au moins fl. 21,500,000.

Or, la Hollande a eu sous les armes ; en 1831, de 60 à 70,000 hommes, et en l832 de 80 à 90,000 hommes ; et cependant le budget ostensible et public ne demande, pour chacun de ces exercices que la sommé de fl. 12,000,000

Le gouvernement hollandais a aujourd’hui 50,000 hommes sous les armes, et ne demande pour le budget du département de la guerre que fl. 11,000,000

D’où vient donc, messieurs, une telle disproportion entre les demandes faites par le gouvernement à la représentation nationale et les besoins réels du service ?

C’est ce que je vais tâcher de vous expliquer pour vous prémunir contre la comparaison de nos budgets respectifs, en apportant, dans ce rapide exposé, toute la bonne foi que je dois y mettre et que vous pouvez attendre de l’étude consciencieuse que j’ai faite, pour me rendre compte à moi-même d’une si énorme différence, quand j’apporte tous mes soins à diminuer les dépenses du département qui m’est confié.

En 1831, le gouvernement hollandais soumit aux états généraux le budget extraordinaire des dépenses du département de la guerre, montant à la somme de fl. 28,067,475, indépendamment du budget ordinaire fixé à fl. 12,100,000. Ce qui portait les dépenses de ce département à plus de fl. 40,000,000 pour l’année 1831.

Je possède ce budget extraordinaire imprimé en hollandais, et j’en ai fait faire la traduction : toutes les dépenses y sont bien calculées et bien établies, et présentent celles qui sont relatives à un surcroît de 30,000 hommes en sus du budget ordinaire qui n’accorde les fonds nécessaires pour l’entretien de 18 à 20,000 hommes au plus.

Ce budget extraordinaire fut soumis aux chambres à la fin de 1830. ou au commencement de 1831 ; mais je doute qu’il en ait été présenté de semblables pour les exercices suivants, car il m’a été impossible de me les procurer ; mais celui-ci peut servir de type pour ceux des exercices 1832, 1833, 1834 et 1835, en faisant varier son chiffre d’après l’effectif des troupes entretenues sous les armes par la Hollande ; et j’ai sur ce point des données suffisantes pour apprécier quel a été le montant réel des dépenses pour chacun de ces exercices.

A partir de l’exercice 1832 le gouvernement hollandais s’est borné à présenter des budgets des dépenses pour le service ordinaire de tous les départements, et jusqu’à concurrence des ressources ordinaires du royaume, non compris celles qui sont versées à la caisse du syndicat, et c’est ainsi que le budget général des dépenses ordinaires de l’Etat a été fixé :

- pour l’année 1832, à 48,693,643 florins.

- pour l’année 1833, à 49,385,849 florins.

- pour l’année 1834, à 53,892,828 florins.

- pour l’année 1835, à 49,562,134 florins.

Mais toutes ces dépenses sont, je le répète, pour le service ordinaire des départements ministériels et de la liste civile ; et toutes les dépenses extraordinaires ont été payées par la caisse du syndicat, dont la gestion et la comptabilité sont hors du contrôle des chambres représentatives, et même de la cour des comptes.

Et ne croyez pas messieurs, que ce soit le seul département de la guerre qui fasse des dépenses extraordinaires, et en dehors du budget patent : je vois, dans celui de l’exercice 1831, qu’indépendamment des 28,000,000 fl. alloués au département de la guerre, celui de la marine y est compris pour la somme de 706,442 fl., et celui des finances pour celle de 13,597,208 fl.

J’ignore si ces deux départements ont continué de figurer dans le budget extraordinaire des autres exercices, mais ce que je puis assurer, c’est que celui de la guerre a dû y figurer pour l’exercice 1832 pour une somme beaucoup plus forte que les 28 millions de florins portés à celui de 1831, et que les dépenses des exercices 1833 et 1884 ont dû également être couvertes par d’autres ressources que celles du budget ordinaire de 12,000,000 de florins.

Il en sera nécessairement de même pour l’exercice 1835 ; mais comme toutes les opérations de la caisse du syndicat sont occultes, il n’est plus possible de préciser le montant des dépenses extraordinaires du département de la guerre.

Cependant, par suite de quelques investigations que j’ai été à même de faire sur le budget de l’exercice courant de 1834, j’ai vu que le chiffre du budget ordinaire de 1834 avait été définitivement fixé par la loi du 21 décembre 1833 à la somme de : fl. 53,892,828

Mais qu’il avait été ajouté divers suppléments :

1°Pour dépenses imprévues, fl. 500,000.

2° Par la loi du 23 décembre, fl. 10,895,215.

3° Par la loi du 28 avril 1834, fl. 10,500,000.

Total : fl. 75,788,043.

Cet excédant de 22,000,000 fl. de crédits supplémentaires ne pouvait avoir d’autre objet que de mettre la caisse du syndicat, à laquelle ils étaient destinés, en mesure de couvrir une partie du moins des dépenses extraordinaires de l’exercice.

C’est à cette caisse qu’ont été versés les produits de tous les emprunts contractés depuis 1830. C’est elle qui est chargée de toutes les opérations relatives à la conversion des rentes, et des armements de fonds qui en sont résultés. Elle est propriétaire de capitaux considérables qu’elle fait nécessairement valoir, et elle a en outre un grand nombre de ressources et de produits spéciaux qui lui sont affectés.

Il est donc naturel de penser qu’elle a été en mesure de solder le montant des dépenses extraordinaires des quatre derniers exercices, et cela explique suffisamment pourquoi et comment le gouvernement hollandais peut réduire de 4 à 5 millions son budget patent soumis aux états-généraux, sans pour cela diminuer ses dépenses, et qu’il peut même les augmenter, en en réservant le solde à la caisse du syndicat, suivant les ressources qu’elle présente ou qu’elle peut réaliser.

Vous conclurez de là, messieurs, que le cabinet de La Haye peut augmenter ses forces, prendre des mesures de prévision pour ses futurs projets, faire des approvisionnements, former des magasins et des dépôts, etc., et généralement faire tout ce qui lui convient pour en assurer la réussite sans qu’il soit dans nécessité d’en prévenir les chambres représentatives, et encore moins de demander des fonds pour l’exécution de ses projets.

Comparez maintenant notre situation sous ce dernier rapport, et voyez quel désavantage offre notre position militaire, toute sur la défensive, et rendue publique par les discussions qui s’élèvent dans nos chambres.

Notre budget renferme et détaille toutes nos dépenses quelconques du département de la guerre ; il faut y calculer et supputer le nombre d’hommes de tous grades, de chevaux, les diverses allocations des masses, le chapitre des vivres de campagne, les frais des corps, s’il doit y en avoir, et une infinité de notions dont tout militaire versé en administration déduit, non seulement la force et la composition de nos troupes de toutes armes, mais encore qu’elle peut être leur organisation intérieure et quelle pourra être leur répartition.

Ajoutez à cela que le plus petit mouvement opéré dans la position de nos troupes est rendu public par la voie de la presse quotidienne, et que souvent même elle les annonce à l’avance ; que les actes administratifs qu’il serait sage de tenir secrets quand ils ont rapport aux opérations militaires, sont immédiatement divulgués par nos journaux qui se plaignent même qu’on ne les publie pas dans le Moniteur.

Et c’est, messieurs, dans une telle situation qu’on nous demande aujourd’hui quel est le but, quel sera l’emploi du crédit extraordinaire que demande le gouvernement ?

Vous sentirez qu’il n’est ni prudent, ni même convenable, de rendre publiques de telles informations, et qu’il suffit qu’elles soient communiquées à la commission que vous avez nommée pour l’examen du budget de la guerre.

Je mettrai sous les yeux de cette commission le projet de budget extraordinaire et éventuel que je propose, et il me suffira sans doute, de déclarer, messieurs, qu’il porte en entier sur des dépenses non prévues au budget ordinaire.

Cependant, messieurs, je me permettrai de vous faire observer que le secret est la première condition de toute opération militaire, et qu’il est le gage le plus assuré de sa réussite.

Un honorable membre de cette chambre a objecté que le budget ordinaire des dépenses du ministère de la guerre allait mettre à la disposition du gouvernement une somme égale à celle du budget précédent, et que je pourrais faire toutes les dépenses qui seront jugées nécessaires, sauf à demander un crédit supplémentaire pour les derniers mois de l’année.

Je lui répondrai d’abord que le budget ordinaire de 1835 ne sera pas de 45 millions, comme celui de 1834, mais bien de 38 à 39 millions, ce qui constitue d’abord, à très peu près, la différence qui sera couverte par le crédit extraordinaire demandé.

Et je lui ferai observer, en second lieu, que ce crédit extraordinaire est destiné à des dépenses non prévues au budget ordinaire, et que je ne pourrais faire sans exposer ma responsabilité, puisqu’il n’y a pas de crédits ouverts pour les dépenses de l’espèce dont il s’agit.

Je ne me rappelle qu’avec amertume les reproches qui me furent adressés, lors de la discussion des crédits supplémentaires au mois d’août dernier, quelque injustes qu’ils aient été, et je ne veux pas m’exposer encore à en recevoir de semblables.

Divers orateurs ont voulu mettre en opposition le langage tenu par M. le ministre des affaires étrangères et celui de M. le ministre des finances dans la même séance du 8 de ce mois : mais, en citant un passage du discours du premier de ces ministres, ils se sont gardés de reproduire ce qu’il disait sur la demande du crédit extraordinaire, et c’est à moi, messieurs, à vous le rappeler : « Appuyée sur une armée brave, disciplinée, et qui a le sentiment de ses devoirs, sur une armée dans laquelle, au besoin la nation tout entière viendrait se confondre, la Belgique n’a rien à redouter d’une lutte, corps à corps, avec la Hollande, Mais il faut se prémunir contre la perfidie et la surprise ; lorsque l’ennemi veille, il ne faut pas s’endormir dans une fausse sécurité.

« Ce serait une négligence bien coupable de notre part de laisser la Hollande donner de l’extension à ses armements, sans augmenter les nôtres dans la même proportion. Les droits d’une nation ne sont jamais plus religieusement respectés que lorsqu’elle a les moyens de les maintenir.

« Il en résultera, à la vérité, une augmentation de dépenses.

« C’est un mal, un grand mal, j’en conviens ; mais ce sacrifice, la Belgique n’hésitera pas à se l’imposer, s’il y va de son honneur et de son indépendance. Je ne puis donc qu’applaudir de tout cœur aux paroles prononcées par quelques honorables députes, paroles inspirées par une sage prévoyance et une vive sollicitude pour le pays. »

Je vous le demande, messieurs, est-il une concordance plus manifeste entre les motifs exposés par l’un et l’autre ministre et ces prévisions ne s’accordent-elles pas entièrement avec ce que je viens d’avoir l’honneur de vous exposer ?

C’est maintenant à moi, messieurs, à appuyer la demande de crédit extraordinaire sollicité pour assurer le service du département qui m’est confié : je vous rappellerai à cet égard que la même marche fut suivie au mois de juin 1832, quand le gouvernement vous demanda un crédit extraordinaire avec autorisation d’en disposer d’après les événements et sauf à vous rendre compte ensuite de son emploi.

Voulez-vous, messieurs, en votant un budget calculé sur le pied de paix, que le ministre mette cependant l’armée sur le pied de guerre, si un événement imprévu vient nécessiter cette mesure ? Mais ce serait vouloir l’impossible, et telle n’est pas sûrement votre intention.

C’est lorsque nous savons que le gouvernement hollandais augmente ses forces, rappelle ses miliciens en congé, lève les classes de schutters, envoie des renforts à l’armée active, approvisionne ses places, réunit des magasins, que son armée est toujours tenue sur le pied de guerre avec tous les services organisés pour pouvoir entrer en campagne au premier ordre ; c’est, quand nous savons qu’il fait tous ses préparatifs sans le concours des chambres ; c’est, messieurs, lorsque nous avons appris naguère que le vœu unanime des six sections de la seconde chambre des états-généraux sur la question de la dette belge a été que le pays ne pouvait supporter plus longtemps un tel état de choses, qu’il fallait promptement y mettre un terme, soit par un arrangement juste et raisonnable avec la Belgique, soit par la guerre ; c’est enfin lorsque vous connaissez aussi bien que nous dans quel but sont dirigées les opérations du cabinet de La Haye, que vous balanceriez à accorder le crédit éventuel qui vous est demandé, et que l’on accusera le gouvernement d’agir à la légère et même avec irréflexion ?

Non, messieurs, je ne puis croire que vous hésitiez un instant, après les explications que je viens de vous donner, et pour ma part, je dois vous déclarer que la sûreté du pays exige ce nouveau sacrifice, et que, sans le crédit éventuel et la faculté d’en disposer, je ne puis assumer sur moi la responsabilité des événements militaires et celle qui m’est imposée de me renfermer dans les limites du budget des dépenses ordinaires calculées sur le pied de paix le plus absolu.

M. Coghen - Messieurs, lorsque j’ai appuyé la motion d’ordre présentée par l’honorable M. Desmanet de Biesme, il me semble que M. le ministre des finances n’a pas compris mes intentions. Je n’ai pas voulu écarter la subvention que le gouvernement demande pour la guerre, la commission a été unanime pour l’adoption de cette mesure. Je n’ai appuyé la motion d’ordre que parce qu’il y a dans la chambre division, non sur le projet en lui-même, mais sur le mode de répartition des centimes additionnels. Aucun de nous ne reculera devant les sacrifices que l’on nous demandera pour soutenir notre nationalité.

J’ai d’autant moins envie d’écarter la subvention de guerre que je la crois nécessaire, non pas que je regarde la guerre comme possible, mais parce que cette subvention pourra servir à amortir notre dette flottante. La subvention rapportera 7 millions. Les corps de l’armée qui sont endettés envers l’Etat lui paieront, en 1835, quatre millions. Ce sont onze millions qui pourront effacer une partie de notre dette flottante. Dans tous les cas, je crois prudent de songer à ce paiement, parce que s’il arrivait que nos affaires fussent arrangées avec la Hollande, il faudrait penser à augmenter tous nos impôts. Il vaut mieux dès à présent les majorer.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je désirerais répondre aux observations que vient de présenter l’honorable M. Coghen.

Il serait très utile peut-être qu’une certaine somme fût consacrée à la réduction de notre dette flottante. Mais le gouvernement, en vous proposant une augmentation de 10 p. c. sur toutes les contributions, n’a eu nullement la pensée que lui prête M. Coghen. Je n’ai pas besoin d’expliquer l’accord parfait qui se trouve entre mes paroles et celles prononcées par M. le ministre des finances. M. le ministre de la guerre vient de s’acquitter de cette tâche.

Si je prends la parole, c’est pour faire remarquer à la chambre que le gouvernement, en demandant ce crédit éventuel, n’a eu qu’une seule intention, qu’une seule pensée qu’il a révélée de prime abord. C’est de mettre le gouvernement à même de pourvoir à certaines éventualités qui pourraient se présenter. Je demande si, après les paroles que vient de prononcer M. le ministre de la guerre, la chambre pourrait hésiter à voter le crédit réclamé par le gouvernement.

On me dira : Vous pensez donc que la guerre est prochaine, imminente ? Je n’en sais rien. Mais M. le ministre de la guerre vient de déclarer à cette tribune qu’il résulte de renseignements certains que la Hollande s’apprête à reprendre ses positions militaires, qu’elle renouvelle et augmente ses approvisionnements, qu’elle rappelle sous les drapeaux les miliciens et les schutters. Je vous demande si, en présence de ces renseignements qui paraissent certains, la Belgique ne doit pas se mettre en mesure de pouvoir, comme je l’ai dit dans une séance précédente, lutter corps à corps avec la Hollande ; si, dans une pareille position, son rôle est de rester simple spectatrice de ce qui se passe aux frontières ; si elle ne doit pas augmenter ses armements dans la même proportion que la Hollande.

Il me semble que la prudence la plus vulgaire conseille d’en agir ainsi. Il était du devoir du gouvernement de vous proposer les mesures à prendre dans de pareilles circonstances. Vous auriez le droit de l’accuser d’impéritie, de négligence, s’il ne venait pas vous rendre compte de ce qu’il sait, s’il ne venait pas vous demander les fonds nécessaires pour que le pays soit préparé contre tous les événements.

Il avait devant les yeux le souvenir de ce qui s’est passé en 1831. Il ne faut pas que la surprise du mois d’août se renouvelle en 1835. Si à cette époque on avait pris les mesures de précaution que nous vous demandons, si nos armements avaient été augmentés en proportion de ceux de la Hollande, si la Belgique n’était pas entrée avec tant de désavantage dans la lice ouverte par la Hollande, sans aucun doute les déplorables événements du mois d’août n’auraient jamais eu lieu. Rien n’avait été fait pour repousser une agression. Vous savez ce qui en est résulté.

Il me semble que, dans de pareilles circonstances, la Belgique doit s’imposer noblement les sacrifices que réclame son indépendance. Je suis persuadé qu’en émettant un vote favorable sur la proposition du gouvernement, vous remplirez les intentions de vos commettants, qui veulent que la nationalité belge soit maintenue, que les frontières de notre pays ne soient pas sans défense contre un envahissement subit. Vous n’attendrez pas, messieurs, que l’ennemi soit aux portes de la capitale. Vous n’attendrez pas qu’il ait menacé nos cités. C’est en temps utile qu’il faut agir. Tout doit vous montrer que le temps est venu.

Vous avez entendu M. le ministre de la guerre déclarer à cette tribune que si vous n’accordiez pas au gouvernement le moyen de prendre des mesures de précaution, il ne voudrait pas engager sa responsabilité, il ne voudrait pas répondre des événements ultérieurs. Il semble que la chambre ne doit pas hésiter à accorder sa confiance à M. le ministre de la guerre. Il la mérite, et il l’a obtenue de vous, dans d’autres conjonctures. Vous ne lui en refuserez pas aujourd’hui une preuve nouvelle, du moment qu’il vous donne l’assurance que les fonds qu’il réclame lui sont nécessaires pour défendre le pays contre l’agression étrangère.

Il à été fait à la vérité des objections contre le mode...

M. Fleussu. - C’est le fond.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je crois en avoir dit assez pour faire sentir que la motion d’ordre de M. Desmanet de Biesme ne peut être admise, et que la chambre doit se prononcer sur la proposition qui lui a été faite par M. le ministre des finances.

Lorsque la motion d’ordre aura été écartée, je demanderai la permission de présenter des observations sur le fond. Je tâcherai de prouver que ce mode de répartition de l’augmentation des impôts est peut-être le meilleur de tous, comme l’a fait observer un honorable membre dans la séance précédente, parce qu’il fait contribuer aux besoins du trésor toutes les ressources, toutes les industries, et que, partagée par le pays tout entier, l’augmentation de l’impôt sera moins onéreuse que si elle ne pesait que sur une classe de la nation.

M. Lardinois. - Je ne crois pas que l’ajournement proposé par l’honorable M. Desmanet de Biesme soit admissible, parce que la scission du projet de loi en discussion, qui en serait le résultat, n’étant pas appuyée par M. le ministre des finances, il s’ensuivrait que la subvention de guerre ne pourrait être votée pour le 1er janvier prochain. Je propose à la chambre que la discussion continue et qu’on entende les développements des amendements que les membres de cette assemblée croiront devoir présenter. Ces amendements pourront être renvoyés à la section centrale, et la discussion générale continuera sur le nouveau rapport qu’elle nous aura présenté.

M. de Brouckere. - Il est indispensable, messieurs, de remettre sous les yeux de l’assemblée le résumé de ce qui s’est passé dans le cours de cette discussion. Je l’ai déjà fait remarquer, entre le 4 et le 8 décembre une révolution s’était opérée dans la conviction du ministère. Mais depuis hier voici une révolution bien plus remarquable encore. Hier, à l’appui du projet de M. le ministre des finances, on ne parlait que de la possibilité d’une guerre. Ce qui rendait cette guerre possible c’était le changement de ministère arrivé en Angleterre. Aujourd’hui ce n’est plus cela. Aujourd’hui que l’on voit que la proposition du ministre des finances périclite, qu’elle ne reçoit pas un accueil général, que beaucoup de membres se prononcent contre son adoption, on a recours à un nouveau moyen.

Remarquez, je vous en prie, la tactique du ministère. Ce n’est plus le ministère anglais que l’on craint. Ce ne sont plus ni Wellington, ni les torys. Ce sont les armements de la Hollande qui ont éveillé les alarmes du gouvernement.

Je demanderai aux ministres pourquoi ils n’ont pas révélé ces choses dans les séances précédentes. Pourquoi nous abordez-vous aujourd’hui avec un langage qui semble annoncer la terreur, nous parler d’ennemi qui nous menace alors que rien n’est changé depuis hier ?

Ce n’est pas seulement chez M. le ministre des affaires étrangères que l’on peut observer ce changement dans le langage. Vous avez entendu M. le ministre de la guerre. Vous avez pu voir que les propositions du gouvernement sont tout à fait changées. On ne vous demande plus 10 centimes additionnels comme subside éventuel sur les contributions pour le cas possible de la guerre. Non, M. le ministre de la guerre, si je l’ai bien compris, a terminé son discours en disant que si l’on n’augmentait pas dès à présent les crédits alloués son budget, il ne répondait pas de l’avenir et de la sûreté du pays.

Ainsi, vous le voyez, tout est changé. Ce n’est plus une demande d’impôts qu’on doit mettre en réserve pour ce cas éventuel de guerre. On vient solliciter 10 p. c. d’augmentation sur les contributions, afin de mettre dès à présent notre armée sur un pied plus respectable.

Eh bien, messieurs, le changement de proposition nécessite selon moi, de la manière la plus impérative, le renvoi à une commission, parce que, je le répète, ce n’est plus la même proposition que nous avons discutée hier, mais une proposition toute nouvelle.

D’après ces motifs, j’appuie le renvoi à la commission, et de la proposition, et de tous les amendements qui seront présentés.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - L’honorable préopinant vient de dire que non seulement il s’est opéré une révolution complète dans l’esprit du gouvernement du 4 au 8 décembre, mais qu’il s’est opéré une autre révolution, plus considérable que la première, dans les 24 heures qui viennent de s’écouler. Et en effet, ajoute-t-il, il y a quelques jours on nous demandait un crédit ; pourquoi ? parce que le ministère anglais avait éprouvé des modifications. Il me semble que l’honorable préopinant ne se rappelle pas exactement les paroles prononcées dans cette enceinte.

Je n’ai jamais prétendu que la Belgique dût se mettre sur le pied de guerre parce qu’il s’était opéré une modification dans le cabinet anglais ; j’ai assuré, au contraire, que par suite de cette modification, il n’y avait rien de changé dans nos rapports avec l’Angleterre, et que j’étais persuadé que l’administration des torys respecterait les actes de la précédente administration, et se considérerait comme liée par les actes posés et accomplis sous le ministère précédent.

Ainsi, ce n’est pas parce qui s’est opéré une modification dans le cabinet d’un pays voisin que l’on a demandé un crédit ; mais le crédit a été demandé dès le principe, parce qu’on a compris que le gouvernement hollandais pouvait ne pas considérer sous le même point de vue l’événement arrivé en Angleterre ; et on vous a fait entendre que le gouvernement hollandais, toujours disposé à se faire illusion, pouvait croire que l’instant était favorable pour lui d’être hostile. Voilà ce que j’ai dit dans les séances précédentes ; si l’on en doute, je vais rappeler mes paroles ; elles sont presque mot pour mot dans le Moniteur.

- Plusieurs membres. - Il est inutile de lire le Moniteur, nous nous rappelons très bien ce que vous avez dit.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Les motifs que nous avions alors pour demander un crédit sont encore les mêmes aujourd’hui.

Mais, objecte l’honorable préopinant, je viens d’entendre des paroles effrayantes ; on représente l’ennemi comme étant à nos portes. Ce n’est pas là encore le sens des expressions que j’ai employées : j’ai demandé s’il serait prudent, dans les conjonctures, d’attendre que l’ennemi fût à nos portes, pour aviser aux moyens de les garder.

L’honorable préopinant, continuant ses objections, s’écrie : Pourquoi ne nous a-t-on pas donné plus tôt connaissance de ce qui se passe en Hollande ? Si on ne vous en a pas donné connaissance plus tôt, c’est parce que les faits sont récents, c’est parce qu’ils viennent de se passer ces jours derniers ; c’est parce que le ministre de la guerre vient d’apprendre à présent même que la Hollande augmentait le nombre de ses soldats, renouvelait ses approvisionnements, fortifiait ses places. Si le ministre de la guerre avait eu connaissance de ces faits plus tôt, il vous les aurait communiqués, il vous les aurait annoncés plus tôt.

Mais ce qui aurait pu être révoqué en doute, il y a quelques jours, paraît se réaliser aujourd’hui ; on n’est plus aux prévisions ; et peut-être que d’ici à très peu de temps M. le ministre de la guerre vous fera connaître encore d’autres faits ; car les motifs sur lesquels le gouvernement s’appuyait, pour demander un crédit, acquièrent chaque jour de nouveaux degrés de gravité et d’importance.

M. Meeus. - Je viens appuyer la motion d’ordre faite par M. Desmanet de Biesme. C’est principalement depuis que j’ai entendu le discours prononcé par M. le ministre de la guerre, discours qui se corrobore par les paroles prononcées par M. le ministre des affaires étrangères, que je suis disposé à appuyer la motion d’ordre.

Hier, lorsque j’ai émis mon opinion, bien certainement je n’étais pas convaincu qu’il y eût nécessité, qu’il y eût seulement opportunité que le ministre de la guerre obtînt de la législature un supplément de crédit ; mais après les communications qu’il vient de faire, après nous avoir déclaré positivement qu’on armait en Hollande, il n’y a pas de doute que la législature doit accorder les crédits que le gouvernement juge nécessaires pour faire face aux dépenses qu’exigent des préparatifs de guerre, soit qu’elle soit probable, soit qu’elle soit imminente. Et c’est précisément parce que cette nécessité ou opportunité semble démontrée qu’il est essentiel que la section centrale s’occupe de nouveau de la proposition du gouvernement et des amendements présentés par nos collègues.

En peu de mots, je crois pouvoir vous prouver la nécessité de ce renvoi.

Le projet du gouvernement est principalement appuyé sur les ressources que doit procurer la subvention de dix centimes ; mais cette subvention ne devant procurer que douze millions six cent quarante mille francs ne produira que deux cent mille francs par mois. Cette ressource est assez faible ; indépendamment de cette considération, il faut aussi remarquer que si la guerre est probable, l’enregistrement, les accises, les douanes, ne vous procureront pas le montant de l’évaluation du produit des dix centimes de subvention, et ne vous donneront même pas les produits ordinaires.

Nous sommes aujourd’hui dans la situation où il faut appliquer la maxime tant de fois répétée que la propriété doit être ménagée, doit être mise en réserve pour les circonstances extraordinaires, pour les dépenses qu’un cas de guerre pourrait exiger. Nous avons donc besoin de méditer sur notre situation avant de prendre un parti.

Je ne m’étendrai pas davantage : ces réflexions me paraissent assez puissantes pour justifier la motion d’ordre qui a été faite, et pour déterminer à l’adopter.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - M. le ministre des affaires étrangères vous a démontré l’accord qui règne sur les bancs des ministres relativement à la question qui vous occupe. Il n’y a pas de dissentiment entre eux à cet égard. Et c’est parce qu’il n’y a pas dissentiment que le projet a été présenté par le ministre des finances de l’avis du conseil, qu’il a été appuyé immédiatement par M. le ministre des affaires étrangères, et que M. le ministre de la guerre a donné aujourd’hui de nouveaux développements aux motifs qui ont déterminé le cabinet à vous soumettre la loi. Ainsi, elles tombent devant cet accord, toutes les accusations de tergiversations adressées au gouvernement ; et sans donner plus d’étendue à ces réflexions, je vais examiner la motion d’ordre.

Quelles questions devons-nous agiter ? Je crois que nous avons à résoudre celles-ci : Est-il nécessaire d’accorder un crédit ? Les bases proposées à l’impôt subventionnel sont-elles fondées ?

Quant à la nécessité du crédit, je crois qu’elle a été suffisamment démontrée ; si ce qui a été dit sous ce rapport n’est pas suffisant, les ministres sont prêts à vous donner les preuves que vous pourrez désirer ; mais ce n’est pas en renvoyant le projet à la commission que la chambre acquerra de nouvelles lumières sur ce point.

Déjà le projet a été soumis à la commission et il a obtenu son assentiment unanime ; qu’est-il besoin d’un nouveau renvoi ? Les motifs que le gouvernement a présentés pour appuyer le projet, ont-ils été énervés ? Non, messieurs, et de nouveaux motifs au contraire viennent se joindre aux premiers ; des faits sont arrivés pour justifier la prévision du gouvernement. Le renvoi à la commission serait donc superflu.

Mais, dit-on, le renvoi à la commission pourrait être utile à la détermination des bases sur lesquelles la contribution sera établie.

De même que M. le ministre de la guerre a justifié la nécessité de l’allocation, de même M. le ministre des finances, dans la séance d’hier, a justifié les bases de la recette.

M. Pirson, il est vrai, propose un amendement, ou plutôt propose un système différent qui est la capitation ; et un honorable membre a demandé le renvoi de l’amendement et du projet à la commission. Mais cette proposition de capitation est-elle donc si compliquée que la chambre ne puisse la discuter sans suspendre ses délibérations ? Messieurs, nous nous sommes trouvés souvent dans le cas de voter des subventions extraordinaires ; le système de la capitation a été présenté, et n’a jamais obtenu de succès au premier aperçu, on est convaincu que la capitation proposée grèverait davantage les classes moyennes que les classes riches ; le projet du gouvernement n’a pas ce désavantage.

Quels sont les autres amendements qui ont été présentés ? Je n’en connais aucun ; mais s’il en est présenté, ils devront être développés et discutés avant de savoir s’il faut les renvoyer à une commission. Pourquoi les renverrait-on à la commission, comme on le demande, quand on ne les connaît pas, quand on ne sait pas sur quelles bases ils reposent ?

Messieurs, quittons un moment en pensée cette enceinte, allons en Hollande et voyons ce qu’on y pensera de la Belgique, de la marche de la législature ? Certes, il serait impossible de rien faire qui pût encourager davantage la politique du cabinet de La Haye, que la tergiversation dont nous faisons preuve en ce moment. Il faut que l’on sache en Hollande qu’en Belgique il y a des ressources, et que le gouvernement trouve dans la chambre l’appui qu’il doit en attendre. Vous éviterez la nécessité d’avoir recours à des mesures extraordinaires, lorsqu’on saura la Belgique prémunie contre toute tentative. Quand l’armée belge sera sur le pied où le gouvernement veut la mettre, toute attaque de la part de la Hollande sera inutile, et la Hollande le sentira.

« Mais, dit l’honorable député de Bruxelles, hier, je ne demandais pas le renvoi à la commission, aujourd’hui, que les motifs donnés par M. le ministre de la guerre me semblent plus concluants, je demande que ce renvoi ait lieu. »

Mais, si les motifs exposés déjà par mes honorables collègues les ministres des finances et des affaires étrangères n’eussent pas été justes, la commission vous eût-elle proposé à l’unanimité l’adoption du projet de loi ? C’est donc reculer que d’agir ainsi. « Mais s’il y a guerre, ajoute l’honorable député de Bruxelles, votre projet sera inefficace. Les impôts ne vous rapporteront plus rien. » C’est encore une erreur.

Si vous adoptez le projet de loi, ces graves inconvénients n’auront pas lieu. La Hollande, suffisamment avertie, ne se hasardera pas à nous attaquer. Si au contraire vous rejetez ce projet ou si vous adoptez des mesures de temporisation, alors vous aurez plus à craindre. N’est-ce point alors qu’il peut y avoir des probabilités de guerre ? Et dans ce cas, messieurs, si la guerre devient imminente ou si elle éclate, il faudra trouver des ressources soudaines. Une seule vous sera offerte par la propriété foncière. C’est d’elle seule que vous pourrez espérer toute prestation, toute ressource d’argent. N’attendez donc pas, pour vous créer des ressources, le cas éventuel de guerre ; dans ce cas, vous les compléterez en vous adressant aux contribuables fonciers. Alors aucun d’eux ne reculera pas plus que les autres contribuables ne reculeront aujourd’hui devant les sacrifices peu considérables qu’on leur demande de partager avec les premiers.

M. Gendebien. - Je demande la parole sur la motion d’ordre ! Vous avez entendu M. le ministre de l’intérieur vous dire qu’il n’y avait pas d’amendement et qu’il ne les connaissait pas. Mais qu’on veuille donc bien, avant même de s’occuper de l’amendement de l’honorable M. Desmanet de Biesme, écarter la motion d’ordre. Qu’on invite les membres qui ont des amendements à les déposer et à les développer, et nous verrons s’ils doivent être renvoyés à la commission. Nous sommes dans un véritable chaos.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Nous sommes parfaitement d’accord avec l’honorable préopinant. Nous demandons que la discussion continue, et c’est là continuer que de donner la parole à ceux qui ont des amendements.

- La proposition est mise aux voix et adoptée : en conséquence M. Pirson est admis à développer son amendement.

Discussion des articles

Article 2 nouveau

M. Pirson. s’exprime en ces termes :

« Amendement au projet du gouvernement intitulé : Art. 2 nouveau à introduire dans la loi des voies et moyens.

« Il sera en outre prélevé dix centimes à titre de subvention éventuelle de guerre sur le principal et les additionnels ordinaires et extraordinaires, au profit du trésor, de la contribution foncière, personnelle et des patentes, qui produiront :

« Foncier : fr. 1,826,122 50 c.

« Personnelle : fr. 814,800 00 c.

« Patentes : fr. 253,499 40

« Plus une contribution réellement personnelle de 4,500,000, répartie comme suit sur la population numérique du royaume :

« Un quart de la population paiera par tête, néant.

« Le second quart, par tête un franc.

« Le troisième, un franc cinquante.

« Le quatrième, deux francs.

« Total : fr. 7,313,621 90. »

Si ce mode ne convient pas à la chambre, ou si l’on ne propose point d’amendement plus opportun, je voterai pour le projet du gouvernement.

Mais ce que je préférerais, ce serait de voir l’honorable député de Bruxelles qui, dans plus d’une occasion, a énuméré les grands services que la banque a rendus à l’Etat belge, employer toute son influence auprès des directeurs pour les engager à payer, sans chicane, à compte de l’encaisse revenant au trésor, une somme égale à celle que le gouvernement nous demande comme subvention extraordinaire de guerre, et ce au fur et à mesure des besoins du service.

Messieurs, vous remarquerez que je ne mets point en question la nécessité d’un supplément au budget des voies et moyens. Je reconnais moi cette nécessité, non que je croie à une guerre générale, mais précisément parce que les grandes puissances, aussi bien celles qui ont paru nous protéger que celles qui nous ont toujours été défavorables, sont aujourd’hui dans une position telle qu’à moins d’être attaquées directement sur leur territoire, elles ne se résoudront point à la guerre. En effet, messieurs, tous les gouvernements absolus ou soi-disant constitutionnels marchent de conserve dans la voie de résistance, de résistance non envers les uns ou les autres, mais contre tout progrès des principes libéraux : ils sont tous d’accord.

Au milieu de ce guet-apens politique, nous sommes toujours un embarras. Eh bien, le roi Guillaume, aussi bon observateur que nous, ne peut-il pas, comme il l’a déjà fait une fois, rompre l’armistice et nous attaquer à l’improviste ? S’il obtenait d’abord des succès dus à notre imprévoyance, il faudrait, pour reprendre nos avantages, des efforts bien plus grands que ceux commandés par la prudence.

Sans doute le gouvernement qui en pareille circonstance est venu à notre secours, a encore intérêt à tenir éloignées de sa frontière les troupes de la vieille Sainte-Alliance ; il a même un intérêt dynastique ; mais il n’est pas certain que, dans sa position nouvelle, il lui soit permis de faire dépasser sa frontière à ses troupes.

Quoi qu’il en soit, ne comptons que sur nos propres moyens et n’en négligeons aucun.

Le budget des dépenses pour 1835, qui nous a été présenté par l’ancien ministre, s’élève à 87,622,122 fr.

Il n’avait pas joint le budget des voies et moyens. Son intention était sans doute de faire cadrer celui-ci avec celui-là. A cette époque tout était pacifique ; on prit des mesures économiques en délivrant des congés à partie de notre armée.

Mais au moment qu’on y pensait le moins, ce ministère se retire. La veille de sa chute, il paraissait aussi ferme que possible sur le banc ministériel, discutant avec nous la loi communale. J’observerai en passant que personne ne nous a donné d’explication à ce sujet. Si les motifs eussent été plausibles ou honorables, on n’aurait point manqué de nous les faire connaître.

Je dois encore faire observer en passant que M. le ministre de la guerre, membre de l’ancien et du nouveau cabinet, n’est pour rien dans tout ce que l’on peut dire de l’un ou de l’autre sous le rapport génériquement gouvernemental, puisqu’il n’est responsable que des actes spéciaux de son ministère.

Quoi qu’il en soit, l’ancien ministère a pris l’initiative des économies et celui-ci a continué ; économies toutefois qu’on ne pouvait trouver que dans le budget de la guerre.

Nous étions à nous applaudir de cet état de choses, nous avions sous les yeux un budget des voies et moyens dont le chiffre était inférieur à celui du budget des dépenses, lorsque la scène politique de l’Europe vient à changer : l’intrigue de la nouvelle pièce ne se fait point deviner, les acteurs français et anglais font une exposition claire et nette. Leur mot est résistance, il passe de bouche en bouche. Attendons-les au dénouement, et prenons aussi à notre manière une attitude de résistance. Pour cela il faut rappeler nos permissionnaires et mettre en activité les deux tiers du contingent de la milice de l’année 1834, restée jusqu’aujourd’hui dans ses foyers ; il faut exercer ces miliciens avant de les exposer au besoin devant l’ennemi. Ainsi tous nos projets d’économie s’évanouissent.

Mais pourquoi vous alarmer, dit-on ? aucun mot, aucun acte, aucun fait n’annonce de projet hostile contre nous. Cela est vrai, mais je l’ai dit et je le répète, c’est parce que les grandes puissances qui nous environnent, nous et la Hollande, sont décidées à maintenir la paix entre elles, c’est parce que le principe de non-intervention va être remis sur le tapis par le duc de Wellington qu’il faut nous tenir en garde contre la Hollande. La guerre avec Guillaume n’est tout au plus qu’éventuelle, dit-on. Je dis, moi, qu’elle est impossible si nous sommes bien en mesure, qu’elle est certaine si nous n’y sommes pas.

Maintenant examinons par quel moyen nous pouvons procurer au gouvernement la somme dont il a besoin en pareille circonstance.

Une taxe de 10 p. c. sur les droits de douanes et accises me paraît entraîner bien des inconvénients : déjà plusieurs orateurs les ont signalés. Je n’ajouterai rien à leurs observations ; je pense aussi que les droits de timbre, d’enregistrement et de succession sont assez élevés et ne peuvent supporter d’augmentation.

On a suffisamment parlé aussi de la contribution foncière avec plus ou moins de prévention. Il semblerait qu’ici on voudrait poser deux camps : d’un côté seraient les commerçants, de l’autre les propriétaires fonciers. je ne vois, moi, que des consommateurs ; ce sont toujours ceux-ci qui paient les avances faites par les premiers : commerçants ou propriétaires, en dernière analyse, tous sont réciproquement consommateurs. Le gouvernement doit chercher ses moyens d’existence là où la gêne se fait le moins sentir ; dans le cas de besoins extraordinaires, il y a lieu à réfléchir mûrement lorsque l’on n’est point poussé tout à fait l’épée dans les reins ; c’est pourquoi j’invite les membres de cette chambre à formuler leurs amendements ou propositions nouvelles sur l’objet en discussion, pour le tout être renvoyé à la commission du budget des voies et moyens.

M. le président. - La parole est à M. Lardinois, pour développer son amendement ; il est ainsi conçu :

« J’ai l’honneur de proposer l’amendement suivant sur le projet de loi pour une subvention de guerre :

« Sur le principal (montant par approximation)

« Foncier, 15 p.c., soit fr. 2,380,000.

« Personnelle, 10 p. c., soit fr. 740,000.

« Patentes, 10 p. c., soit fr. 182,000.

« Redevances, 10 p. c., soit fr. 10,000.

« Douanes, 5 p. c., soit fr. 400,000.

« Accises sur les vins et eaux-de-vie étrangers, 20 p. c., soit fr. 400,000.

« Sur le sel, bières et vinaigres, sucre, timbre collectif, 5 p. c., soit fr. 500,000

« Eaux-de-vie indigène, 20 p. c., soit fr. 300,000

« Successions, 15 p. c., soit fr. 400,000

« Timbre, enregistrement, greffe et hypothèques, 10 p. c., soit fr. 1,050,000.

« Total : fr. 6,362,700. »

M. Lardinois. - J’avais demandé hier la parole, pour répondre quelques mots à M. le ministre des finances, qui me semblait peu soucieux des intérêts industriels, tandis qu’il défendait avec une sollicitude toute particulière l’impôt foncier. Les honorables MM. Meeus et de Robaulx ont réfuté les arguments ministériels, et il me reste peu de choses à dire sur cet objet.

Je vous ferai remarquer d’abord que mon intention n’est pas de m’opposer à la subvention demandée, parce que je crois que c’est une mesure politique plutôt que financière. Nous pouvons nous rendre compte des motifs qui l’ont fait naître, et qui la justifient. L’événement survenu en Angleterre qui a remplacé un ministère libéral par un ministère tory, peut amener des réactions dans la politique de l’Europe, et je trouve qu’il est prudent de prendre ses précautions.

Mais si je ne m’élève pas contre la proposition en elle-même, je ne pourrai jamais consentir à la perception de cette contribution extraordinaire d’après l’assiette établie dans le projet du gouvernement.

En règle générale, messieurs, les impôts doivent être établis dans un rapport proportionnel avec la fortune de chaque citoyen. Ce grand principe est écrit dans beaucoup de constitutions, mais on le rencontre bien rarement appliqué dans les lois de finances. Cependant aussi longtemps que son application ne sera pas franchement adoptée, il est à craindre qu’il y aura toujours guerre en matière fiscale, entre le propriétaire et l’industriel, le producteur et le consommateur.

Un exemple récent de déviation à ce principe doit vous avoir frappés, messieurs. Le ministre des finances ayant trouvé, à son entrée au ministère, la situation du trésor satisfaisante, a eu la pensée heureuse ou malheureuse de diminuer les charges publiques. A cet effet il est venu vous proposer de réduire de dix pour cent la contribution foncière ; et lorsqu’on lui demande pourquoi il n’a pas fait également porter la réduction sur la contribution personnelle et les patentes qui sont aussi chargées extraordinairement, il vous répond sérieusement que c’est pour faire acte de justice distributive. Vous le voyez, messieurs, plus nous nous éloignons de la révolution et plus la puissance du propriétaire se fait sentir sur l’action du gouvernement lorsqu’il s’agit des bases de l’impôt. En 1831 et 1832 les intérêts du peuple étaient différemment compris. Deux emprunts ont eu lieu successivement l’un de 12 millions et l’autre de 10 millions : le premier a été acquitté par imposition sur les contributions foncière et personnelle, et le second par l’impôt foncier et 80 pour cent sur la contribution personnelle. Pour couvrir les besoins extraordinaires, on a demandé et alloué au budget de 1833 :

40 p. c. additionnels nouveaux sur la contribution foncière.

13 p. c. additionnels nouveaux sur la contribution personnelle.

13 p. c. additionnels nouveaux sur les patentes.

On exempta de ces additionnels les accises et les douanes, parce qu’alors on était d’avis qu’il fallait favoriser le commerce et que l’intérêt du peuple s’opposait aux droits sur les objets de consommation.

D’après qui précède, vous remarquerez que la contribution foncière supportait presque toute la charge des besoins extraordinaires : je ne veux pas conclure de ce fait que la proportion était juste ; au contraire, je crois que le propriétaire était sacrifié aux exigences du moment. Aussi la législature s’empressa-t-elle un peu plus tard à dégrever de 20 p. c. la contribution foncière.

Au moyen de ce dégrèvement, je dis que la proportion était rétablie entre les contributions foncière personnelle et les patentes ; la justice distributive commandait donc que pour l’année prochaine il y eût une réduction proportionnelle sur ces trois branches de revenus publics, et non pas uniquement sur la contribution foncière, car alors vous établissez un privilège.

A entendre M. le ministre des finances, la propriété foncière est surchargée. Attendez, s’écrie-t-il, que la péréquation cadastrale vous soit soumise, et nous verrons si la législature trouvera que le propriétaire foncier ne paie pas assez ! Je pense que M. le ministre prévoit juste, et que la contribution foncière sera plutôt diminuée qu’augmentée mais cela ne veut pas dire qu’une pareille mesure sera fondée ni sur la raison, ni sur la justice.

Vous n’ignorez pas que le système de la contribution est dû à l’assemblée constituante ; elle décréta, je crois, en principe que l’impôt foncier ne pourrait dépasser un cinquième du revenu net des propriétés foncières. D’après cette doctrine, la contribution foncière fut élevée en 1791 à 240 millions, et en 1830 elle était réduite à 154 millions, quoique les propriétés eussent augmenté de valeur.

Cette réduction s’explique par l’influence des propriétaires dans les assemblées législatives.

Dans mon opinion la contribution foncière n’est pas surchargée comme le prétend M. le ministre. Lorsque l’allivrement cadastral sera achevé, vous verrez que le revenu des propriétés foncières s’élèvera à une somme de 200 millions ; ainsi la contribution foncière en Belgique n’atteint pas le dixième du revenu net.

Lorsque le gouvernement a présenté le budget des voies et moyens, il ne pouvait s’imaginer qu’il y aurait un bouleversement ministériel en Angleterre et qu’il serait obligé de revenir sur ses pas. A propos de cet événement, des discours belliqueux ont retenti dans cette enceinte, et le ministère profitant de cette circonstance, et sachant qu’il peut tout obtenir de notre patriotisme, vient vous demander un nouvel impôt de 7 millions pour le cas éventuel de guerre.

Je le répète, je veux bien accordé cette subvention, mais je repousse de toutes mes forces la base que vous présentez dans votre projet.

Je ne reprocherai pas avec d’autres orateurs au ministre des finances que son projet n’est ni élaboré ni mûri, car je suis sûr qu’il avouera lui-même que ce travail a été fait avec précipitation. Je crains que le ministre actuel, se défiant trop de son inexpérience, ne s’abandonne légèrement à quelques faiseurs présomptueux, espèce de gens qu’il faut redouter quand on est à la tête d’une grande administration. Je me plais à croire que si M. le ministre s’était laissé aller à la rectitude de son jugement, il n’aurait pas frappé uniformément toutes les branches du revenu public.

Et je vous le demande ; est-il convenable, juste, opportun, d’imposer les douanes et les accises à l’égal des contributions directes ? N’y a-t-il pas aussi une différence à établir entre ces dernières, et assimilerez-vous les patentes et la personnelle à la contribution foncière ? Vous vous y refuserez, messieurs, j’aime à le croire, par sentiment de justice et par raison d’ordre public. Evitons d’exciter des plaintes fondées sur des griefs ; n’entravons pas davantage le commerce et l’industrie, car leur position n’est déjà que trop critique ; permettons que le prolétaire puisse vivre de sa journée déjà réduite par la détresse des manufactures.

Je ne me dissimule pas que l’agriculture a également ses souffrances, mais elles ne sont nullement comparables à celle de l’industrie manufacturière qui depuis les malheureuses affaires du mois d’avril se trouve dans une situation déplorable. J’appelle sur ce fait l’attention du gouvernement. Qu’il redouble d’activité pour nous ouvrir des débouchés à l’extérieur. C’est le moyen salutaire de sauver les manufactures du péril qui les menace !

En résumé le gouvernement a besoin d’une somme de 8,000,000, et pour se la procurer, il vous propose d’imposer extraordinairement tous les revenus publics de 10 p. c.

Le système des subventions de guerre n’est pas nouveau ; le gouvernement français a eu plusieurs fois recours à cet expédient ; mais il adoptait des bases d’impositions différentes, ce que l’administration aurait dû imiter.

La première subvention de guerre a eu lieu en mars 1793, et le décret portait qu’elle serait payée par les riches. Je sais qu’à cette époque on taillait dans le vif, et je n’approuve pas cette manière de faire.

En l’an VII, cinq lois furent décrétées le même jour pour la perception d’une subvention extraordinaire de guerre. Le rapport de la commission des voies et moyens ne mentionne qu’une de ces lois, et c’est sans doute par tendresse pour l’impôt foncier, car on a simplement cité ce qui est relatif aux droits d’enregistrement, de timbre, d’hypothèque, de douanes, etc. Je crois que ce n’est pas sans intention qu’on a rapporté textuellement l’article premier de la loi du 6 prairial an VII, parce qu’alors on vous mettait sous les yeux que les douanes n’avaient pas alors été exemptes de la subvention de guerre. Je vous ferai observer, messieurs, que sous l’empire on a levé aussi des contributions extraordinaires de guerre, mais jamais les droits d’accises et de douanes ne furent atteints de ce chef.

En examinant les lois qui ont imposé des contributions extraordinaires en France, on est obligé de reconnaître qu’on a eu la justice d’établir des différences dans la perception de l’impôt, et c’est toujours la propriété qui a été le plus fortement chargée. C’est pour obtenir le même résultat que je vous ai proposé mon amendement ; je suis loin de croire qu’il est bien établi, mais je suis d’avis qu’il vaut mieux que la proposition du gouvernement qui viole toutes les lois de l’économie politique.

Je ferai aussi observer que j’adopterai une réduction sur le taux de 15 p. c. pour les droits de succession, parce que je pense que je me suis écarté d’une juste proportion.

Il me resterait peut-être quelques mots de réponse à faire à M. le commissaire du Roi, car il me semble qu’il a préconisé hier le système prohibitif ; au reste, ce qu’il dirait à ce sujet ne peut être la pensée du gouvernement, et je me propose de revenir sur ce chapitre à la première occasion.

M. le président. - La parole est à M. Gendebien pour développer son amendement.

M. Gendebien. - Je crois pouvoir être bref dans le développement de ma proposition, puisque déjà l’année dernière, de concert avec l’honorable M. Jadot, j’ai présenté la même disposition. Elle tendait à reproduire le paragraphe 5 de la loi de l’an VII, qui établissait 2 1/2 p. c. sur tous objets mobiliers, bois, etc. Cette proposition avait été admise par la chambre à une immense majorité. Au sénat elle fut rejetée, parce que, dit-on, on ne pouvait la peser avec maturité, le budget étant arrivé au dernier instant. Il y a lieu de l’admettre aujourd’hui. Le ministre des finances d’alors avait dit qu’il proposerait de rétablir le paragraphe. Pourquoi son successeur n’a-t-il pas tenu cette promesse, au lieu de se lancer dans un système prohibitif qui doit tuer l’industrie ? Je n’ai pas ici l’article 5, je ne puis donc en donner lecture. Mais qu’on veuille bien l’examiner et lorsque la commission se sera convaincue de sa conformité avec la disposition que je propose, je donnerai de nouveaux développements à mon amendement.

M. le président. - Voici l’amendement de M. Verrue-Lafrancq ; il est ainsi conçu :

« Les 10 centimes de subvention éventuelle de guerre ne seront perçus sur l’accise du sel qu’après la mise à exécution de la loi à intervenir sur cet impôt. »

La parole est à M. Verrue-Lefranc pour développer son amendement.

M. Verrue-Lafrancq. - L’exception temporaire que je réclame en faveur de l’accise sur les sels est de la plus stricte équité ; la fraude est si patente en ce moment, que le sel raffiné se vend à un prix inférieur au montant des droits de l’accise ; d’ailleurs cette fraude est reconnue par le ministre des finances lui-même dans l’exposé des motifs accompagnant le projet des voies et moyens en ces termes :

« Ce serait donc le consommateur loyal, qui seul serait grevé du subside de guerre de 10 p. c., auquel se soustrairaient évidemment aussi ceux qui maintenant ne paient pas l’accise établie. »

Du reste l’adoption de l’amendement que je propose ne devra nécessiter en rien le changement du chiffre des produits présumés des accises et timbres collectifs. Que le ministre des finances ou la commission de révision s’empresse de soumettre le projet de loi sur le sel ; la législature, après l’examen convenable, l’adoptera, puisque ce projet rendra la fraude à peu près impossible, produira davantage au trésor et est vivement sollicité par un très grand nombre de pétitions adressées à cet effet à la chambre.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il vous a été facile, messieurs, de saisir la portée de l’amendement de l’honorable M. Gendebien. Vous ne pouvez vous dissimuler que son admission serait le rejet de la loi sur le budget des voies et moyens. Car le sénat qui a déjà repoussé cette proposition, à coup sûr ne changerait pas d'opinion, si on la déférait de nouveau à sa sanction. Ce ne serait pas incidemment en tous cas qu’il faudrait modifier une législation, ce serait par une loi spéciale.

Le préopinant dit que je me suis lancé dans un système prohibitif qui doit tuer l’industrie. Je ne sais où il a été puiser cette inculpation. J’ai dit, au contraire, qu’il fallait toujours agir prudemment et avec réserve en ce qui concerne la tarification sur les douanes et attendre le résultat de nos négociations commerciales avant de rien innover. Je crois avoir émis plusieurs fois ce principe. D’où vient donc l’étrange allégation de l’honorable M. Gendebien ?

Quant à l’amendement de l’honorable M. Lardinois, on conçoit qu’il est assez facile d’en proposer de semblables qui ont pour but de réduire la somme que demande le gouvernement. Mais cet amendement s’écarte tellement de la proposition que nous discutons, en ce que le chiffre se trouve éloigné outre mesure de celui qui est réclamé, que rien ne peut faire croire à la possibilité de son adoption-.

L’amendement de cet honorable membre paraît lui avoir été suggéré par l’idée de la prédilection qu’il suppose au gouvernement pour la contribution foncière. Il s’étonne qu’on l’ait dégrevée alors qu’on est obligé de surcharger tous les impôts. Je répondrai pour la vingtième fois que la contribution foncière n’a nullement été dégrevée, que seulement on l’a mise sur la même ligne que les autres taxes ; parce qu’on n’avait pas de raison pour traiter moins favorablement les propriétaires fonciers que les autres contribuables. Il y aurait partialité, injustice criante, quoi qu’on en ait dit, si on faisait peser sur la contribution foncière seule une augmentation que les autres impôts ne sont pas moins en état de supporter ; la situation du commerce et de l’industrie est tout aussi prospère que celle de l’agriculture, elle permet dès lors de faire concourir dans la même proportion à la surtaxe, toutes les branches de la fortune publique.

Au congrès, dit-on, lorsqu’il s’est agi de pourvoir à des besoins extraordinaires, on a ménagé les droits de douanes et d’accises, parce qu’on comprenait mieux alors le patriotisme et les vrais intérêts du pays.

Mais, depuis cette époque, les circonstances ont bien changé. Au commencement de la révolution, le commerce et l’industrie étaient morts ; on a eu raison de ne rien leur demander, parce qu’on pu rien en obtenir, tandis qu’aujourd’hui le commerce et l’industrie sont comme je viens de le dire, dans un état au moins aussi prospère que l’agriculture, et peuvent, aussi bien qu’elle, supporter les charges publiques.

Au reste, messieurs, si malheureusement la guerre éclatait et devait avoir quelque durée, les sept millions qu’on vous demande ne suffiraient pas ; au lieu de 10 centimes additionnels, ce serait peut-être 50 ou 60 que nous devrions vous demander ; alors vous seriez heureux de pouvoir trouver ces ressources chez les propriétaires fonciers ; alors vous vous féliciteriez de ne l’avoir pas épuisée lorsqu’il était possible de faire autrement

On a parlé de nouveau des patentes, et on a dit que les additionnels sur cet impôt étaient plus forts que sur la contribution foncière. Mais, messieurs, on semble avoir oublié que le principal a été réduit aux trois quarts, et qu’avec les centimes additionnels que nous proposons, les patentes sont encore beaucoup au-dessous de ce qu’elles étaient avant cette réduction. En effet, avec tous les additionnels, ce qui se paiera aujourd’hui à raison de 114, se payait auparavant à raison de 135.

On s’est appuyé de l’exemple d’une ancienne loi de subvention de guerre, semblable à l’article en discussion, en prétendant qu’on avait ménagé dans cette loi les impositions indirectes. D’abord je répondrai que la citation est erronée, et que les impôts indirects ont subi la même surcharge à cette époque ; ensuite je demanderai à l’honorable orateur qui a présente cet argument, s’il serait disposé à nous accorder les droits de douane et d’accises qui existaient à l’époque de la loi qu’il a citée.

Avec de semblables taxes, nous n’aurions pas besoin de recourir à des centimes additionnels, car le principal serait plus élevé que ne le seront vos droits actuels avec la subvention.

M. Lardinois prétend que nous n’avons pas mûri notre projet, et que nous n’avons rien trouvé de plus facile que de porter sur tous les impôts la même quotité de centimes additionnels. Je demanderai à cet honorable membre s’il a étudié davantage le projet qu’il vient de lancer dans l’assemblée. Celui du gouvernement offre du moins cet avantage, qu’il n’a de prédilection pour personne ; il frappe uniformément toutes les classes de contribuables qui peuvent et doivent concourir également aux besoins de l’Etat.

D’après ces considérations, je pense que l’amendement de M. Lardinois n’est pas admissible. D’abord, comme je l’ai déjà dit, il réduit de beaucoup la somme demandée par le gouvernement, et cette somme, loin d’être trop élevée, serait plutôt insuffisante. En second lieu, les combinaisons sur lesquelles il se fonde sont loin d’être préférables à celles du projet

En effet, on nous a beaucoup reproché de venir changer le tarif des douanes. Votre subvention, a-t-on dit, aura pour résultat de jeter la perturbation dans le commerce en changeant la tarification. Mais cela résulterait bien davantage du système de M. Lardinois, puisqu’il grève certaines denrées de 15 centimes additionnels, tandis qu’il n’en frappe d’autres que de cinq centimes. Certes, c’est là changer la tarification des douanes bien autrement que ne le fait la proposition ministérielle.

Quant à l’amendement de M. Pirson, il est facile d’en apercevoir tous les inconvénient et de reconnaître qu’il serait inexécutable. En effet, quels moyens aurait-on pour déterminer les quarts de la population qui devraient supporter telle ou telle partie de la capitation qu’il veut imposer ? En abandonnerait-on l’exécution au gouvernement ? Le gouvernement ne pourrait l’accepter, il faudrait donc régler cette exécution par une loi. Mai cette loi elle-même, il y aurait impossibilité de la faire, car je n’admets pas qu’on doive consacrer l’arbitraire dans les lois.

Le dernier orateur qui a pris la parole a proposé d’excepter le sel de l’augmentation du droit. Ce que j’ai dit hier de l’exiguïté de la surtaxe sur cet impôt suffit pour faire voir qu’elle ne peut influer sur la situation de la classe pauvre. J’ai démontré que pour une famille composée de dix personnes, la subvention n’augmenterait pas d’un franc sa dépense annuelle. Cette considération engagera, j’espère, l’honorable membre à ne pas insister sur l’exception qu’il propose. Quant à la fraude dont il a parlé, il est évident que la légère majoration que le droit sur le sel subira, ne pourra lui présenter un nouvel appât.

D’honorables membres s’opposent au projet que le gouvernement vous présente, le critiquent ; mais ils se gardent bien d’indiquer quelque chose de mieux. Je désirerais qu’ils voulussent nous éclairer de leurs lumières et proposer les modifications qu’ils croient dans l’intérêt du pays ; ce serait faire acte de bons citoyens que de proposer de meilleurs moyens pour faire face aux charges publiques.

En définitive, messieurs, que veut-on en critiquant en termes généraux le projet du gouvernement ? veut-on y substituer un autre système, veut-on nous conduire à des emprunts ? Qu’on le dise ouvertement et nous discuterons cette question. Toutefois, pour ma part, je le déclare d’avance, je serai opposé aux emprunts, tant que le pays pourra faire face à ses besoins par ses propres ressources ; je m’opposerai à ce qu’on grève son avenir, et la législature agira sagement selon moi, en n’ayant recours à cet expédient qu’à la dernière extrémité. Je l’ai dit dans une précédente séance, c’est par les emprunts qu’on compromet l’avenir et l’indépendance des Etats.

Je bornerai là mes observations. J’engage les honorables membres qui connaissent des bases plus avantageuses pour subvenir aux charges du moment, à nous les communiquer. Si ces bases n’affectent pas l’avenir du pays et sont moins onéreuses pour les contribuables que celles proposés par le gouvernement, je m’y rallierai avec empressement.

M. A. Rodenbach. - Je demande la parole contre toutes les propositions.

M. Dumortier. - Je la demande contre toutes les motions d’ordre.

M. Gendebien. - Je l’ai demandée pour un fait personnel, et je la demande en outre pour un rappel au règlement.

Messieurs, aux termes de l’article 19 de votre règlement, toute imputation de mauvaise intention, toute personnalité, toute approbation ou improbation sont interdites.

Or, M. le ministre des finances vient de m’adresser un reproche qui touche fort à l’imputation de mauvaises intentions. A entendre le ministre des finances, je n’aurais proposé mon amendement que dans le but de faire rejeter tout le budget des voies et moyens ou au moins sa proposition.

Est-ce bien à moi qu’un pareil reproche peut s’adresser ? moi qu’on n’accuse ordinairement que de montrer trop de franchise ; moi qui n’ai pas encore ouvert la bouche sur le mérite de la proposition, et dont, par conséquent, il ne connaît pas l’opinion ? Il ne se trompe pas cependant s’il croit que je ne lui donnerai pas mon vote, car je voterai contre tout ce que les membres actuels nous proposeront, parce qu’ils n’ont pas ma confiance.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Nous le savons, vous l’avez écrit.

M. Gendebien. - Oui, je l’ai écrit et je l’ai publié, et je le ferai toutes les fois que je le jugerai à propos, me souciant peu des critiques que les ministres pourront faire.

N’est-il pas étonnant, messieurs, que ce soit du banc des ministres que partent toutes les attaques ? C’est ainsi que l’autre jour on nous appelait la montagne ! Et c’est le ministre de la justice, en descendant de ce même banc, qu’il appelle la montagne, qui nous jette cette accusation !

Pour moi, j’ai vu une insulte dans cette parole du ministre de la justice. Oui, messieurs, il y avait une insulte dans cette parole par le souvenir d’une autre montagne. Mais est-ce bien à moi que vous deviez adresser un pareil reproche ; moi qui, pendant cinq mois, me suis trouvé au milieu de la tourmente révolutionnaire ; à moi qui, pendant cinq mois, fus à la tête du mouvement et ai conjuré les excès ; à moi qui, pendant cinq mois, ai dirigé la révolution ? Quel reproche peut-on donc m’adresser ? Le gouvernement provisoire, dont j’avais l’honneur de faire partie, a-t-il fait couler une seule goutte de sang, a-t-il commis un seul excès ?

Eh bien, vous M. le ministre de la justice, je désire pour votre honneur que vous ne vous trouviez pas dans de semblables circonstances ; car, à en juger par votre peu de respect pour la loi, maintenant que nous sommes dans un temps calme, on a peine à croire que vous en sortiriez aussi pur que nous.

Ne croyez-pas, messieurs, que mon intention soit ici de me justifier. Non. Depuis que l’ex-montagnard est descendu au marais, il a beau se débattre pour lancer ses éclaboussures jusqu’à moi ; ma robe, sans être virginale comme la sienne, n’en sera jamais souillée.

Je défie qui que ce soit d’y trouver ou d’y faire lala moindre souillure.

Je ne répondrai pas au ministre des finances, ce n’est pas le moment. Mais quand il s’agira de discuter ma proposition, je prouverai qu’elle n’a nullement été faite dans le but de faire rejeter la demande du gouvernement.

Il me semble que le ministre a fort mauvaise grâce à venir menacer la chambre du sénat. Quoi ! parce que le sénat aura rejeté une fois une proposition, il ne sera pas permis à nous représentants de premier ordre, de représenter un projet ! Mais vous le savez, d’ailleurs, la décision du sénat ne portait pas sur le fond de la proposition, elle ne portait que sur ce que cette proposition n’était pas arrivée à maturité. Eh bien, mettons-y la maturité. Depuis un an le sénat a eu le temps de mûrir la question ; il arrivera pour l’examiner avec ses méditations de onze mois. D’ailleurs, il est inconvenant et antiparlementaire de menacer une chambre de l’influence de l’autre chambre.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Si je n’étais pas naturellement porté à la modération, l’exemple de l’honorable préopinant me rappellerait à ce devoir. Je lui dois une explication, parce qu’il n’était pas présent à la séance dans laquelle je me suis servi de l’expression de la montagne dont on a fait un si grand bruit.

Je ne sais à, quel propos je me trouve lancé dans cette discussion ; quoi qu’il en soit, sans descendre à une justification dont je n’ai pas besoin, j’interpréterai sincèrement mes paroles d’après mes intentions.

En parlant de la montagne, je n’ai nullement entendu faire allusion à la fameuse montagne. Lorsque j’ai dit : « L’on riait sur la montagne », c’est que, vous le savez, l’honorable M. de Brouckere ne se trouvait pas au banc qu’il occupe d’ordinaire ; j’ai voulu dire : « L’on riait dans le petit coin tout en haut qu’occupe habituellement M. de Brouckere. » Voilà, messieurs, ce que j’ai voulu dire, et pas autre chose.

Et en quoi, je vous le demande, messieurs, pouvais-je comparer à la montagne française les bancs où siège l’opposition, les bancs où moi-même j’ai longtemps siégé, et je crois pouvoir le dire, siégé avec quelque honneur ? Qui y a-t-il de commun entre les montagnards et mes honorables amis ? Pourquoi donc me supposer une pareille intention ? Pourquoi, messieurs, l’honorable M. de Brouckere est-il venu parler de la montagne française ? Il savait fort bien que ce n’était pas là ma pensée ; mais il était difficile de répondre à ce que j’avais dit. Cette interprétation était une tentative pour me séparer de mes honorables amis. Mais c’est en vain que l’on a eu recours à de semblables moyens.

L’honorable préopinant a parlé de mon peu de respect pour les lois. Qu’il n’attende pas de moi une réponse. Qu’il soit bien persuadé que je ne sortirai jamais des convenances, que jamais je n’insulterai à personne. Quant à lui, je lui rappellerai ce que je lui ai dit dans une autre circonstance, c’est que l’exagération de son langage a toujours plus servi la cause qu’il attaque que celle qu’il défend.

M. Desmanet de Biesme. - Je dois le dire, messieurs, j’ai éprouvé bien de la surprise en voyant le gouvernement combattre ma motion qui est si simple, et qui n’avait d’autre but que de gagner du temps.

Je savais que l’honorable M. Pirson avait proposé un amendement qui changeait totalement le système d’impôt ; que l’honorable M. Lardinois comptait également en proposer un. Je croyais qu’un autre membre présenterait aussi un amendement qu’il m’avait fait voir hier. Dans cette occurrence, j’ai demandé la discussion immédiate du budget des voies et moyens, afin d’assurer, dans tout état de cause, les ressources ordinaires. Mais elle a été bien loin de moi l’idée qui m’a été prêtée par un organe du gouvernement de vouloir retarder, pour ainsi dire indéfiniment, le vote sur la nouvelle demande qu’il a faite à la chambre, de le renvoyer à un temps presqu’illusoire, c’est-à-dire au-delà du 1er janvier. Non, messieurs, telle n’a pas été ma pensée.

Je conviens que dans mon opinion le discours de M. le ministre de la guerre a changé la question. Loin de m’opposer au subside, si la position le réclame, je suis disposé à l’accorder. Ma façon de penser est assez connue pour ne laisser aucun doute à cet égard. Je pense qu’il ne faut pas laisser le gouvernement dans l’embarras, lorsqu’il s’agit de répondre à l’agression ennemie.

Avec le mot magique de patriotisme on est sûr d’être accueilli avec faveur par cette assemblée, et c’est une gloire pour elle ; cependant, comme représentants de la nation, nous devons examiner mûrement les choses, quand il s’agit de demandes de cette importance.

Je dois dire ce qui s’est passé dans une circonstance analogue et qui doit nous rendre méfiants. L’an dernier, à propos de l’affaire d’Hanno, il y eut une demande de subsides, et M. le ministre des finances doit s’en souvenir comme moi, car comme moi il était membre de la commission à qui cette demande fut envoyée. Les fonds demandés furent accordés. Mais que fit-on ? Il y eut quelques semblants de démonstrations dans le Luxembourg ; mais ce que l’on fit se réduisit à rien. En définitive on apprit que les sommes votées étaient destinées à payer des corps de l’armée que l’on avait oubliés dans le budget de la guerre. Il ne faut pas se le dissimuler, l’esprit du pays est de s’opposer par tous les sacrifices possibles à l’invasion hollandaise ; mais l’esprit du pays est aussi que l’on doit examiner avec attention toute demande de nouveaux fonds.

Dans les propositions qui vous sont faites, il en est une qui mérite votre attention, c’est celle qui tend à donner au gouvernement la faculté d’avancer la rentrée des contributions en cas d’événement grave. Cette proposition aurait pour résultat de mettre de grandes ressources à la disposition du gouvernement, au cas où nous aurions la guerre au printemps.

D’après les explications que je viens d’avoir l’honneur de donner à la chambre, il est évident que mon intention était qu’on ajournât à un court terme, c’est-à-dire à 3 ou 4 jours, la discussion de l’article nouveau, et des amendements qui y sont relatifs, et que le gouvernement a très mal jugé s’il a cru que je voulais qu’on ajournât le projet indéfiniment.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je dois déclarer à l’honorable M. Desmanet de Biesme que je n’ai pas dit que son intention fût de faire renvoyer la discussion du projet après le 1er janvier ; mais j’ai tâché de démontrer que tel était le résultat de sa proposition. Comme il est nécessaire que les impôts et surtout les impôts indirects soient perçus avec les centimes extraordinaires à partir du 1er janvier, cette proposition apporterait la perturbation dans le trésor, porterait un préjudice réel au trésor. Mais je n’ai nullement voulu inculper l’honorable préopinant. Je me suis peut-être mal expliqué, ou il m’aura mal compris.

M. Dumortier. - A voir ce qui se passe depuis quelques jours dans cette enceinte, je serais porté à croire, si je connaissais moins chacun de vous, que la chambre a perdu de son patriotisme. L’an dernier on est venu vous demander des millions afin d’appuyer les réclamations de la diplomatie en notre faveur. Vous avez voté ces millions spontanément et à l’unanimité. Aujourd’hui le gouvernement signale d’une part la position de notre armée, de l’autre les armements de la Hollande, et j’entends une foule de discours tendant à écarter, à ajourner un vote qui aurait dû être spontané et unanime. Je le répète donc, si je connaissais moins chacun de vous, je douterais de votre patriotisme. Mais je sais que ce sentiment vous anime encore ; j’attends donc de vous l’adoption de la proposition du gouvernement.

Après tout, que sont toutes ces motions d’ordre ? Elles ne sont, je dois le dire, que des motions de désordre. (Réclamations.) Oui, messieurs, elles jettent le désordre dans la discussion ; elles retardent un vote qui aurait dû être spontané et unanime. Pour moi, je les considère comme des moyens dilatoires. Elles peuvent avoir pour résultat de nuire à notre crédit public, d’affaiblir l’esprit de patriotisme si nécessaire au pays.

A quoi bon proposer un nouveau système d’impôt, une innovation aux lois existantes, lorsqu’il s’agit de procurer des fonds au trésor public, de suppléer au déficit existant, de créer des ressources pour le cas éventuel de la reprise des hostilités ?

Déjà depuis plusieurs jours je l’avais déclaré ; la communication que le ministre de la guerre avait faite à la section centrale chargée de l’examen du budget de la guerre, ne laissait aucun doute sur la nécessité de l’augmentation des contributions. Quant à moi, je regrette que M. le ministre de la guerre ait cru nécessaire de communiquer à cette tribune des détails qu’il eût été plus sage de ne pas communiquer. Je le regrette (car chacun de vous doit sentir tout ce qu’il y a de délicat dans ces communications) ; et je ne doute pas que notre ennemi ne profite des révélations qu’a faites M. le ministre de la guerre.

M. de Robaulx. - Le ministre de la guerre n’a rien dit.

M. Dumortier. - Je prie l’honorable M. de Robaulx de vouloir bien me laisser parler ; s’il me fait ensuite l’honneur de me répondre, je l’entendrai avec infiniment de satisfaction.

Vous n’ignorez pas que le gouvernement demande au budget des dépenses 25 millions de bons du trésor, et que, d’après les comptes qui vous ont été présentés ces jours derniers, le trésor public est à découvert de 40 millions. Je demande si, en présence d’un tel état financier et des armements de la Hollande, c’est le cas de venir testicoter (on rit), si c’est le cas d’ergoter indéfiniment, lorsqu’il s’agit de sauver le pays et d’empêcher que le roi Guillaume ne se porte à un nouvel acte de désespoir.

Quant à moi, je repousse un tel système. Ce n’est pas quand il y a lieu à tirer l’épée, qu’il faut argumenter. Je sais qu’il y a des gens qui trouvent mon système mauvais ; mais l’intérêt du pays est mon guide par-dessus tout.

M. Lardinois. - Nous entendons le patriotisme aussi bien que vous.

M. Dumortier. - Alors votez l’article nouveau du projet du gouvernement avec autant de plaisir que je le ferai moi-même. C’est ainsi que vous prouverez votre patriotisme.

Je demande la clôture, car cette discussion ne servirait à rien ; toutes les opinions sont formées ; chacun sait s’il doit admettre ou rejeter le projet. Je demande que l’on termine cette discussion qui nous ridiculise et nous perd dans l’opinion du pays. Je demande que l’on procède à l’appel nominal sur le projet.

M. Desmanet de Biesme. - Quoique habitué que je sois aux incartades extra-parlementaires de l’honorable M. Dumortier, celle à laquelle il vient de se livrer m’a, je dois le dire, fortement surpris. Comment ! j’explique le but de ma motion d’ordre ; j’établis qu’elle tendait à assurer les ressources ordinaires du pays. Je déclare que mon intention était que l’on délibérât dans un délai de deux ou trois jours. C’est alors qu’on vient m’accuser d’être un artisan de désordres ! Je prie l’honorable M. Dumortier de croire que jamais et dans aucune occasion je n’ai été artisan de désordres. Je crois en avoir donné autant de preuves que lui dans cette assemblée.

M. Dumortier. - Je proteste contre ce que vient de dire l’honorable préopinant en prétendant que je l’aurais présenté comme un artisan de désordres. Je dis que les motions d’ordre amenaient un grand désordre dans la discussion, et que sous ce rapport elles étaient des motions de désordres. Personne ne peut avoir aucun doute à cet égard, d’après la discussion d’aujourd’hui.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Meeus. - Je demande la parole contre la clôture, afin d’avoir l’honneur de faire observer que la discussion, quoi qu’en dise l’honorable M. Dumortier, n’est pas assez mûrie. Il prétend que chacun a son opinion formée. Toutefois j’ai été le premier à avouer qu’hier j’aurais voté contre parce que l’opportunité de la demande ne me paraissait pas prouvée ; mais qu’aujourd’hui, après le discours de M. le ministre de la guerre, qui est entré dans tous les détails que l’on pouvait désirer, après les paroles de M. le ministre des affaires étrangères qui ont corroboré le discours de M. le ministre de la guerre, l’opportunité du crédit m’était démontrée. Que l’on s’occupe donc seulement de discuter le moyen proposé par M. le ministre des finances, d’établir le crédit demandé, que la discussion n’ait pas d’autre but, mais qu’elle ne soit pas fermée sur ce point. Je m’oppose à la clôture. Tous les amendements n’ont été ni lus ni discutés.

M. le président. - M. Meeus propose un amendement ainsi conçu :

« Je propose que la subvention de guerre soit portée à 30 centimes sur la contribution foncière en déduction des 10 centimes sur les patentes, douanes, transit, tonnage, accise et timbre collectifs. »

M. Jullien. - Voilà un amendement qui n’est pas développé.

M. le président. - L’amendement de M. Meeus va être développé. On mettra ensuite aux voix la motion d’ordre.

M. Meeus. - Comme je viens de vous le dire, je suis convaincu maintenant qu’il est urgent pour la sûreté du pays que le ministre de la guerre obtienne le crédit qui sera jugé nécessaire pour tenir notre armée sur un pied respectable. C’est parce que j’ai cette conviction qu’il me paraît logique d’exiger toute sécurité relativement à la rentrée des fonds qui doivent faire face à des dépenses d’une si grande utilité.

Or, j’ai eu l’honneur de vous dire hier que votre loi transitoire s’appliquant aux impôts indirects aurait cela de fâcheux que la plus grande partie des produits ne seraient perçus que l’année suivante. En présence de votre loi transitoire beaucoup de contrats qui auraient été passés en 1835, ne se passeront qu’en 1836 ; beaucoup de marchandises en entrepôt qui auraient été déclarées en 1835, ne le seront qu’en 1836 ; non seulement vous ne recevrez pas les dix centimes de subvention, mais vous n’opérerez pas la perception de vos revenus ordinaires.

Je suis tellement persuadé de ce que j’ai avancé que si, malgré les arguments qu’ont fait valoir plusieurs de nos honorables collègues, la proposition ministérielle est adoptée, j’ose prédire, et je n’aime pas à faire des prédictions, que pendant l’année 1835 on n’obtiendra pas les droits de tonnage, d’enregistrement et d’accises perçus pendant l’année 1834, que ces droits donneront un revenu inférieur à celui de 1834. Et telle est ma foi à cet égard, c’est que j’ose vous assurer maintenant que ma prédiction sera vérifiée par l’expérience.

Vous comprenez que dans cette foi, et dans la conviction que le gouvernement a besoin de sommes nouvelles pour satisfaire aux demandes du ministre de la guerre, force m’est de venir vous proposer de percevoir ce que dans tous les cas vous serez certains de toucher. Il y a là danger de guerre, il y a nécessité de se mettre en mesure de résister aux armements que fait la Hollande ; eh bien, assurons-nous de revenus qui ne peuvent manquer.

Si la guerre éclate, les fonds ne vous manqueront pas. En effet, par une subvention foncière, une imposition de ce genre ne peut vous échapper. Je sais bien que les impôts indirects ne rentrent pas moins en temps de guerre qu’en temps de paix, mais ils rentrent plus lentement et peuvent se retarder presque d’une année.

Je vous fatiguerais si j’entrais dans de plus longs développements. Ma pensée est assez claire : elle est aussi patriotique que toute autre, et pour répondre à M. Pirson, je dirai que l’établissement auquel il a fait allusion, paiera quelques mille fr. si c’est la propriété foncière qui est frappée.

Il paiera comme tout autre propriétaire. On sait, dans cet établissement, que tous ceux qui ont de l’argent doivent en donner au trésor, quand il y a danger ou apparence de danger ; que ce ne sont pas des mesures incertaines qu’il faut prendre dans de semblables situations, mais bien des mesures dont le succès est immanquable. J’ai dit.

M. Coghen. - Messieurs, puisqu’il ne m’est permis de parler que pour proposer le développement d’un amendement, j’en dépose un et je pourrais en exposer les motifs. Permettez-moi toutefois de vous parler d’un objet d’une grande importance : du crédit public. Toujours je m’en suis constitué le défenseur, et cette tâche je la remplirai encore aujourd’hui. Qu’on médite la situation des finances du pays ; qu’on en présente la situation réelle ; c’est remplir son mandat ; mais aggraver cette position, entasser millions sur millions, vous conviendrez avec moi que c’est porter un grand préjudice au crédit public de l’Etat. Je me plais donc laisser sans réponse les assertions de M. Dumortier.

M. le président. - Développez les motifs de votre amendement

M. Pirson. - Laissez répondre ; ce qui est permis à l’un est permis à l’autre ; on a bien parlé d’autre chose que des amendements.

M. Coghen. - M. Dumortier prétend que l’on est obligé de créer des bons du trésor pour 25 millions, et qu’indépendamment de cette somme, il y a encore un déficit de 10 millions. Le fait est qu’on vous demande la faculté d’émettre 25 millions de bons du trésor, dont 11 millions doivent servir à balancer le découvert du trésor pour combler les déficits des budgets des exercices antérieurs, et le restant pour faciliter le mouvement de caisse. Les 10 millions que vous avez consentis pour la route en fer ont une destination spéciale, et l’émission ne s’en fait provisoirement qu’en attendant que le gouvernement trouve convenable de contracter un emprunt afin de couvrir la dépense de la route en fer, lorsqu’il jugera que le moment opportun sera venu.

Ainsi, messieurs, des 25 millions des bons du trésor, 10 millions ont une destination spéciale, 11 millions servent à égaliser le découvert du trésor, pour le déficit sur les exercices antérieurs, et 4 millions, si on trouve nécessaire d’en émettre pour anticiper sur les contributions qui doivent rentrer dans le courant de l’année 1835.

Laisser sans réponse les allégations de l’honorable député de Tournay, ce serait faire supposer qu’il y a un déficit bien plus considérable que les 11 millions.

J’arrive au projet de loi en discussion, et voici en quoi consiste mon amendement :

Je propose de supprimer les centimes additionnels extraordinaires que M. le ministre des finances présente comme subside éventuel de guerre, sur le droit de douane, de transit, de tonnage, sur les vinaigres et sur le sel, pour les porter sur les vins et eaux-de-vie étrangers, sur le sucre, que je considère comme objets de luxe, et 5 p. c. sur la propriété foncière, au-delà des 10 p. c. proposés par MM. les ministres.

Cette suppression s’élèverait ensemble à environ 1,430,000 fr., et le cens supplémentaire que je propose porterait à environ 1,500,000 francs.

Si je demande ces changements, c’est que le sel dont la valeur en entrepôt n’est que de 3 fr. 50 c. pour 100 kil. se trouve déjà être imposé par les lois actuelle au-delà de 17 fr. pour 50 kil., c’est-à-dire que l’impôt est cinq fois plus fort que le coût réel de la marchandise. La classe pauvre n’a d’autre assaisonnement pour les aliments dont elle se nourrit que le sel et le vinaigre ; déjà soumise à tant de privations, je ne crois pas qu’équitablement nous puissions la frapper davantage.

M. Jullien. - C’est le beurre du pauvre !

M. Coghen. - Puisque une majoration des impôts est nécessaire, frappez de préférence les vins, sucres, eaux-de-vie, qui ne sont que des objets de luxe consommés par le riche, et la majoration de 5 p. c. sur la propriété foncière se trouve suffisamment justifiée, tant par les discours de la séance d’hier que par ceux prononcés par les orateurs qui m’ont précédé aujourd’hui.

Cette contribution était avant la révolution frappée de 5 centimes additionnels ; ils n’ont pas été majorés en 1831 et 1832 ; mais en 1833 on a porté les centimes additionnels à 40 centimes extraordinaires ; en 1834 on les a réduits à 20, et pour 1835 vous avez voté provisoirement 10 centimes additionnels.

Si je ne propose pas de majorer la demande du gouvernement sur les patentes dont le principal et additionnel s’élevaient à 138 fr. 60 c. avant la révolution, et qui aujourd’hui s’élèveront à 114 et 94 p. c. d’après le projet de M. le ministre des finances, c’est que le commerce, qui a été si violemment froissé par les circonstances politiques, n’a pas encore repris généralement toute son ancienne activité. Il y a encore des branches en souffrance ; il est vrai, elles sont en petit nombre ; majorer davantage l’impôt, ce serait accabler.

La contribution personnelle est, à mon avis, assez élevé. Avant les événements du mois de septembre 1830, elle était frappée de 22 centimes additionnels qui ont été supprimés pour les exercices de 1831 et 1832 ; rétablies à l3 p. c. en 1833 ; à 10 p. c. en 1834 et d’après les budgets à 10 centimes additionnels pour 1835, plus les 10 cent. extraordinaires proposés par le gouvernement ; ce qui rétablit la contribution personnelle à peu près au même taux qu’elle était sous l’ancien régime ; toutefois la disposition qu’on a établie pour le budget de 1832 et suivants, en permettant de faire les déclarations sur les bases de celles de 1831, ont adouci cette loi, dont l’application se fait aussi d’une manière moins rigoureuse, parce que jamais on n’en force le sens ou on n’en interprète les dispositions contre les contribuables.

M. Dumortier. - Pour un fait personnel. Messieurs, il n’y a rien de plus facile, quand on ne sait que répondre à un orateur, que de dénaturer ce qu’il a pu dire. L’honorable M. Coghen prétend m’avoir entendu avancer que je voulais émettre 25 millions de bons du trésor. Je n’ai pas dit un mot de cela, messieurs. Voici exactement le langage que j’ai tenu : j’ai dit qu’il y avait au budget des voies et moyens une somme de 25 millions que le gouvernement demandait. Telles ont été mes paroles, je défie qu’on prouve le contraire.

Quant à ce que vous avez dit sur le chemin de fer, je sais qu’on a eu le plus grand tort de voter cette loi et vous avez tort de vouloir à cet égard me mettre en contradiction avec moi-même, car je pense être très conséquent sur ce point.

M. Desmanet de Biesme. - Je désire, d’après mon amendement, que tous les amendements soient renvoyés à la section centrale et que le gouvernement propose un projet de loi séparé.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, la proposition de l’honorable M. Desmanet de Biesme tend à diviser le projet en deux parties, à faire de l’article 2. nouveau un projet de loi spécial. Le gouvernement ne peut admettre cette proposition. L’article 2 nouveau a été présenté comme un amendement, et nous déclarons nous opposer à ce qu’il devienne l’objet d’un projet spécial.

M. Gendebien. - Quel inconvénient y a-t-il pour qui que ce soit en Belgique de voter le budget des voies et moyens aujourd’hui ou demain, et dans 3 ou 4 jours l’article dont il s’agit. Je ne conçois pas M. le ministre des finances dans la persistance qu’il met à s’y opposer. Je désire que dans le renvoi à la commission, il soit demandé un rapport sous 3 jours, afin que nous puissions aux yeux du pays nous disculper du reproche que l’on paraît vouloir nous faire de retarder les mesures que l’on juge à propos de prendre. Nous nous opposons seulement au mode que l’on emploie pour y parvenir. Il nous reste encore 15 jours d’ici au premier janvier. Admettons que nous nous occupions 7 jours encore de cette question. Il en restera 9 au sénat pour l’examiner et la décider.

M. Trentesaux. - J’ai demandé la parole pour vous dire ce que vient de dire l’honorable M. Gendebien. Le gouvernement a proposé d’abord le projet de loi, puis l’article 2 qui est aussi l’objet d’un projet de loi. Je ne vois pas pourquoi il s’opposerait à cette division ; il aurait déjà son budget sans cette opposition de sa part. Dans trois, quatre ou cinq jours vous pourrez voter le décime de subvention éventuelle.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, je n’accuse jamais les intentions de personne, je rends même hommage à celles de M. Desmanet de Biesme, qui a fait la motion d’ordre sur laquelle vous avez à prononcer. Mais il n’en est pas moins vrai que cette motion est de nature à reculer d’un temps plus ou moins long le vote que vous êtes appelés à émettre. Le gouvernement croit devoir se prononcer contre toute espèce de retard. C’est donc parce que la motion dont il s’agit doit amener un retard que le gouvernement demande qu’elle ne soit pas adoptée.

M. Desmanet de Biesme. - Je me rallie à la proposition de M. Gendebien.

- La motion d’ordre modifiée par M. Gendebien est mise aux voix. Elle n’est pas adoptée.

En conséquence la discussion continue.

- Un grand nombre de membres. - A demain ! à demain !

M. Coghen. - Je demande que tous les amendements soient imprimés et distribués.

M. le président. - L’impression et la distribution sont de droit.

M. Coghen. - Je demande en outre qu’ils soient renvoyés à la commission des voies et moyens ; les auteurs voudront bien se donner la peine de s’y rendre ainsi que le ministre des finances, et on pourra demain à l’ouverture de la séance présenter un projet qui réunisse à peu près toutes les opinions.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - La chambre vient de décider cette question. Il résulte de son vote que la discussion continuera demain. Chacun soutiendra l’amendement qu’il croira utile.

Je suis surpris de l’instance que met l’honorable préopinant à demander le renvoi à la commission, lui qui faisait partie de cette commission qui a été unanime pour proposer l’adoption du projet que nous discutons. Je ne sais pas, après tout, quel pourrait être le résultat de ce renvoi.

La commission s’est prononcée sur ce projet. Il est possible qu’un de ses membres ait changé d’opinion, mais je n’ai pas appris qu’aucun des autres membres soit revenu sur son vote. Le renvoi serait donc inutile, la majorité de la commission se refuserait à revoir un travail qu’elle a sans doute mûri, car nous ne pouvons pas lui faire l’injure de croire qu’elle l’ait fait légèrement. Les membres qui la composent sont trop éclairés, ont trop de patriotisme, ont trop à cœur les intérêts de la nation, pour passer légèrement sur un projet qui a pour but d’augmenter les charges du peuple. Nous pensons que la commission serait conséquente avec elle-même et ne voudrait pas revenir sur son travail. En conséquence, nous nous opposons au renvoi.

M. Coghen. - Je demande la parole pour un fait personnel.

Messieurs, le ministre des finances vient d’avancer un fait faux. Il a dit qu’il y aurait eu unanimité dans la commission pour adopter la proposition du gouvernement. Non, il n’y a pas eu unanimité. Voici comment les choses se sont passées : Nous avons été convoqués pour 10 heures, c’est-à-dire 10 heures 1/2.

Je me suis rendu à la commission exactement à l’heure. Je suis resté dans le bureau avec M. le président jusqu’à 11 heures trois quarts, heure à laquelle j’ai quitté la salle ; et quand je suis rentré, la décision était prise. Je l’ai approuvée quant au principe du subside, je l’aurais également approuvée quand la somme eût été dix fois plus forte, mais je n’ai pas approuvé les moyens de se la procurer.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, je suis étonné que l’honorable M. Coghen m’accuse d’avoir avancé un fait faux, quand je m’appuie sur le rapport de la commission que je tiens sous les yeux. Ce rapport dit formellement qu’il y a eu en tous points unanimité dans la commission pour adopter la proposition du gouvernement. Pour moi ce rapport fait foi, et ce n’est pas la parole de l’honorable préopinant qui pourra faire changer la foi que je dois avoir dans un rapport. (A demain ! à demain !)

M. Jullien. - Mais la commission n’a pas pu deviner les amendements qu’on présenterait.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Ils sont inutiles.

M. Jullien. - Décidément ces messieurs ont un trou à boucher.

- La séance est levée à 4 heures et demie.