(Moniteur belge n°345, du 11 décembre 1834)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Dechamps procède à l’appel nominal à une heure.
M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est adoptée.
M. Dechamps fait connaître l’analyse des pétitions suivantes.
« Plusieurs exploitants et membres de diverses sociétés du district de Charleroy réclament l’intervention de la chambre pour qu’il soit établi des caisses d’épargne dans ce district. »
« Le sieur van der Smissen, adjudicataire de la fourniture du pain aux troupes des garnisons de Gand et de Termonde, demande qu’en suite de la loi sur les céréales, il lui soit alloué une indemnité. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Legrelle demande un congé.
- Accordé.
Les officiers de la garde civique mobilisée de Bruxelles demandent leur congé définitif ou la demi-solde de non-activité. »
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, je ne comptais pas prendre la parole sur l’ensemble.
Des opinions que je ne partage pas ayant été émises par plusieurs de nos honorables collègues, je crois devoir les combattre.
On a en quelque sorte fait un reproche à M. le ministre des finances d’avoir réduit les centimes additionnels sur l’impôt foncier. Je vais d’abord chercher à démontrer que loin de lui en faire, on doit lui adresser des éloges. Cet acte prouve que l’honorable M. d’Huart, à peine arrivé au ministère, s’occupe des intérêts du pays, je dirai pas seulement matériels, mais je dirai encore des intérêts moraux, et qu’il cherche à atteindre une justice distributive dans la répartition des impôts. S’il n’est pas parvenu à la perfection, au moins il est sur le chemin ; pour mon compte, j’aurais désiré plus. Je me réserve de traiter cette question lors de la discussion des articles.
L’honorable M. Seron ne veut pas de réduction dans les centimes additionnels sur l’impôt foncier, il applaudit à la charge énorme des 40 p. c. additionnels en 1833, de 20 p. c. en 1834, et observe que l’impôt personnel ne payait en additionnels que 13 p. c. en 1833 et 10 p. c. en 1834, tandis qu’en Hollande, pays d’industrie, et dont la propriété est peu considérée, on a traité la propriété comme les autres industries : on a porté, en 1833, l’augmentation des impôts personnel et foncier à raison de 40 p. c., c’est-à-dire que l’on n’a pas cherché à favoriser le rentier au détriment de la propriété. En Belgique, dont la principale industrie est l’agriculture qui paie au moins, tant directement qu’indirectement, les 13/16 des charges de l’Etat ; en Belgique, dis-je, où les 3/4 de la population est intéressée à la prospérité de cette branche si importante, M. Seron veut lui donner le privilège de payer des contributions énormes qu’il ne considère pas telles, mais que je tâcherai de lui prouver lors de la discussion des articles, tandis qu’il plaide avec tant de sollicitude la cause des patentables, des rentiers, des financiers et autres classes moins intéressées aux charges sur la propriété, à l’exception cependant de la propriété bâtie sur le rapport de l’impôt personnel
L’honorable M. Seron dit dans son discours du 9 : (Voir au Moniteur, supplément, troisième colonne : « Je ne m’apitoierai pas … » jusqu’à « en conviennent eux-mêmes.)
Mais, messieurs, des récoltes abondantes, depuis la révolution, pour mon compte, je n’en ai vu qu’une ; encore n’était-ce qu’une faible indemnité de l’année 1830, où la contribution a été payée d’avance et où la recette a donné à peine de quoi faire face aux frais de culture dans de nombreuses localités.
La récolte de 1831 a été nulle, celle de 1832 a été bonne ; celle de 1833 a été ordinaire, et celle de 1834 très médiocre.
Sans doute, les produits de la terre ne sont pas seulement des céréales, mais lorsqu’on s’adonne à la culture de produits étrangers, il en résulte un tel appauvrissement du sol que souvent on ne peut plus rien y faire produire.
M. Seron a prétendu que les cultivateurs tiraient de grands avantages de l’éducation des bestiaux. Pour moi, je ne me suis jamais aperçu de ces avantages si grands de l’éducation des bestiaux. Il a parlé beaucoup des moutons. Je répondrai à l’honorable membre que tous les cultivateurs n’en élèvent pas, qu’un dixième au plus des cultivateurs s’occupe de l’éducation de ces animaux. Depuis quelque temps, il est vrai, la laine est bien vendue, mais les moutons sont considérablement baissés de prix ; j’en ai vu vendre le premier choix dans une grande quantité, à raison de 9 fr. 50 c. et le second choix, à raison de 7 francs ; cette baisse provenait du manque de nourriture. On en avait mis en vente une masse considérable, parce qu’on prévoyait qu’on ne pourrait pas les nourrir pendant l’hiver.
L’éducation des chevaux est sans doute encore une branche importante de notre industrie agricole. Mais les cultivateurs sont surchargés de jeunes chevaux, à tel point que ce qui valait 200 fr. se vend aujourd’hui, pour la peau et la chair qu’on emploie à la nourriture des porcs, vingt-cinq ou trente francs.
L’orateur que je combats a parlé aussi de bêtes grasses ; je lui ferai observer que ces bêtes grasses ne sont pas des produits de l’agriculture, mais de l’industrie des distilleries.
Mais revenons sur les porcs gras. Ils se vendent de 25 à 27 centimes la livre ; c’est une branche d’industrie très importante dans certaines localités et particulièrement dans le pays que j’habite. (On rit.) Mais cette industrie est aussi en souffrance. Les élèves se vendent aujourd’hui à vil prix. On peut avoir pour 50 ou 60 centimes un cochon de lait qu’on payait autrefois dix francs. (On rit.)
Mais, messieurs, cela rentre dans l’industrie agricole ; l’éducation des animaux fait partie de l’industrie agricole.
Quant à l’allégation de M. Seron, que les propriétaires qui vous demandent une diminution d’impôt pour leurs fermiers ne seraient pas dans le cas de venir à leur secours dans un moment de désastre, en leur faisant grâce d’un sol de fermage, je répondrai que, sans doute, il y a parmi les propriétaires des êtres insensibles comme ailleurs, mais que la majorité ne mérite pas le reproche que leur adresse l’honorable membre que je combats.
Je ferai observer que tous les cultivateurs ne sont pas fermiers des propriétaires. La division des propriétés en Belgique est grande : il existe une masse de petits cultivateurs propriétaires qui, j’en suis persuadé, intéressent l’honorable M. Seron, et c’est leur cause que je plaiderai plus particulièrement.
Grand nombre dont la propriété est grevée ne pourront acquitter les charges, et se verront expropriés. Je le démontrerai lors de la discussion des articles. Je le répète, M. Seron ne veut pas leur ruine.
En cherchant à réfuter l’honorable député de Philippeville, je crois avoir suffisamment justifié M. le ministre des finances qui est jusqu’à un certain point au courant des intérêts des cultivateurs, et qui, j’en suis persuadé, a jugé que la réduction qu’il propose était insuffisante ; et j’en suis persuadé, s’il n’a pas proposé de dégrèvement des centimes additionnels intégralement, c’est pour le motif qu’il a cru qu’il était indispensable de les maintenir dans l’intérêt du service.
Lors de la discussion des budgets, nous pourrons peut-être, en ajournant certaines dépenses, aviser aux moyens d’établir les charges territoriales, si pas en rapport avec les produits, au moins les moins insupportables possible ; je prie la chambre de ne pas me juger avant que je n’aie développé mon opinion.
Si l’honorable député de Philippeville n’est pas d’accord avec M. le ministre des finances sur le rapport des centimes additionnels à la contribution foncière, au moins il a applaudi aux intentions du gouvernement de proposer une nouvelle loi sur la contribution personnelle ; sur ce point je suis heureux de me trouver d'accord avec l’honorable M. Seron, et je saurai infiniment de gré aux auteurs d’un nouveau projet qui doit faire disparaître les vexations et l’arbitraire auxquels donne lieu la loi qui nous régit encore, et qui n’apportera pas la perturbation non plus que des réductions dans les recettes, comme paraît le craindre l’honorable M. Dumortier.
Personne ne se plaint de l’impôt personnel, dit cet honorable membre ; il est dans l’erreur. J’ai encore remis une réclamation à M. Duvivier, alors ministre des finances, vers le mois de juillet, laquelle signalait des actes qualifiés d’arbitraires, exercés dans le canton de Waremme, relativement aux chevaux de labour accidentellement montés par des fermiers.
Il n’arrive pas de pétitions, nous a dit hier l’honorable M. Dumortier ; et il en conclut que tous les contribuables sont satisfaits, et que tout est pour le mieux dans le monde. Je réponds que si on ne pétitionne pas, c’est que tous les ans on s’attend à une nouvelle loi sur l’impôt personnel, Et M. le ministre des finances ne vous a-t-il pas dit l’an dernier que le projet était prêt ? Et la nation attend avec impatience la naissance de ce projet. Voilà pourquoi on ne pétitionne pas. En résumé, je déclare reconnaître ne m’être pas trompé sur les intentions du ministre actuel des finances, qui avisera à faire disparaître les abus, et cela dans le plus court délai possible.
J’applaudis donc à sa proposition d’une nouvelle loi personnelle, à une réduction dans les centimes additionnels sur l’impôt foncier, ainsi qu’à ses vues de réforme des abus encore existants. Je saisis aussi cette occasion pour déclarer que je reconnais avec l’honorable M. Liedts que de nombreuses améliorations ont surgi de la révolution, mais je crois pouvoir faire observer que dans les nombreuses réductions d’impôts l’agriculture et la propriété y ont peu ou point participé.
Pour s’en convaincre, il suffit de lire le discours de l’honorable M. Liedts : je vous ferai grâce de le rapporter en détail pour vous convaincre, et j’en suis persuadé, vous m’en saurez gré.
M. Duvivier. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Messieurs, je me rappelle que l’honorable préopinant m’a fait parvenir, pendant mon administration, des réclamations sur une des bases de la contribution personnelle. Après avoir eu toutes les peines du monde pour la déchiffrer, on a examiné cette réclamation dans tous ses détails, et il est résulté de l’examen le plus attentif qu’il était impossible de faire droit à aucune des plaintes consignées dans cette pièce. Je crois avoir fait connaître ce résultat à l’honorable M. Eloy de Burdinne.
Quant à la nouvelle loi sur la contribution personnelle, il me semble qu’on pourrait se dispenser de venir constamment en parler. Car non seulement on s’est occupé de cette loi, mais le projet est fait ; je l’ai communiqué à plusieurs membres de cette chambre qui s’occupaient de cette matière, en les priant de vouloir bien me faire connaître leur opinion. Ce projet n’a été perdu de vue ni par moi ni pas mon successeur. Au moment de quitter les affaires, je l’ai déposé entre les mains du chef de l’Etat qui l’a remis au nouveau ministre des finances, et je sais que M. d’Huart l’a envoyé à la commission de révision. Il n’y a donc pas lieu pour le moment, de s’en occuper davantage dans cette enceinte.
Quant aux réclamations dont on prétend que la loi actuelle a été l’objet, je dirai qu’elles ont été peu nombreuses, et même presque nulles, depuis la modification que cette loi a subie et qui a été portée au budget d’un des exercices précédents.
Voici en quoi consiste cette modification :
« Art. 5. Il est accordé aux contribuables soumis à l’impôt dit personnel la faculté d’établir leur cotisation en ce qui concerne les quatre premières bases de l’impôt, savoir : la valeur locative, les portes et fenêtres, les foyers et le mobilier, conformément à celle qui a été admise ou fixée en 1830, à moins qu’il n’ait été fait à leurs bâtiments d’habitation des changements notables qui en auraient augmenté la valeur. »
Dès lors, tout contribuable qui a voulu exécuter la loi dans ce sens, n’a eu qu’à dire que rien de nouveau n’avait été fait chez lui, pour rester tranquille dans son domicile. Il n’a vu les employés du fisc que quand il l’a voulu, afin de faire constater les changements qu’il avait introduits dans son habitation.
Je puis assurer la chambre que depuis cette modification, il ne s’est élevé aucune réclamation, du moins aucune réclamation fondée ; car, quelque bonne que soit une loi, il se fera contre elle des réclamations à tort et à travers, comme celle dont je viens de parler.
Je le répète, on ne peut que perdre un temps précieux à revenir en ce moment sur la loi relative à la contribution personnelle. Cette loi est maintenant entre les mains de la commission de révision. Elle ne tardera pas à être soumise à l’examen de la législature.
M. Eloy de Burdinne. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Messieurs, la loi relative à la contribution personnelle n’étant pas à l’ordre du jour, je ne répondrai pas à ce qu’a dit l’honorable préopinant, qu’elle ne donne lieu à aucune réclamation quoique je susse démontrer le contraire.
L’honorable M. Duvivier a dit que je lui avais remis une lettre indéchiffrable. Je suis vraiment fâché qu’on ait eu tant de peine à me déchiffrer au ministère des finances. Cette lettre me venait d’un bourgmestre du district de Wahlem, qui pourtant n’écrit pas mal.
Cet honorable membre a dit qu’il avait pris des renseignements sur le contenu de la réclamation que je lui avais remise. Je voudrais savoir à qui il s’est adressé. Si, quand on se plaint d’un fonctionnaire, le gouvernement prend ses renseignements auprès du fonctionnaire dont on se plaint, il est certain qu’il ne dira pas qu’il a eu tort, et ne sera pas si bête que cela.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, permettez qu’avant d’aborder ma réplique aux diverses observations que plusieurs honorables représentants ont énoncées dans les deux dernières séances relativement à notre régime financier, j’applaudisse au discours prononcé hier par le député d’Audenaerde M. Liedts, en rappelant d’une manière précise, je dirai même d’une manière mathématique, les immenses avantages de la révolution, que l’on se plaît souvent à méconnaître, a fait, selon moi, acte de civisme, parce que ses paroles ne peuvent que stimuler l’attachement de nos concitoyens au nouvel ordre de choses, en leur faisant bien comprendre tout le prix de leur émancipation.
Si fréquemment des expressions exagérées de découragement ont retenti dans cette enceinte, il est doux d’apprécier tout ce qu’il y a de consolant dans le langage plein de vérité de l’orateur auquel je rends hommage.
Après l’énumération qui vous a été faite des réductions notables introduites dans les charges publiques depuis 1830 ; après que l’honorable député de Tournay si bien connu pour ses vues d’économie, son excessive sollicitude pour le contribuable, est venu vous prouver que nos impôts actuels étaient très supportables ; après les judicieuses observations qu’il a exprimées pour la seconde fois sur l’ensemble du système financier qui nous régit, ma tâche est devenue bien plus facile.
Il n’est plus nécessaire, en effet, que je m’arrête à démontrer que la Belgique peut, sans s’épuiser, fournir au trésor les revenus que je suis chargé de réclamer pour lui ; je n’ai pas besoin non plus de vous fatiguer par de nouveaux arguments pour vous convaincre que les voies qui doivent procurer ces revenus sont très praticables. Je n’hésiterai pas, messieurs, à vous déclarer dès aujourd’hui que je partage à tous égards l’opinion de l’honorable M. Dumortier, relativement à notre système d’impôts ; je ne suis pas de l’avis de ceux qui voudraient bouleverser ce qui existe, pour substituer entièrement du nouveau ; introduire avec prudence dans les lois existantes les améliorations qu’indique l’expérience, c’est-à-dire faire en sorte que les répartitions soient plus équitables ; (erratum au Moniteur n°346, du 12 décembre 1834:) obvier à la fraude par des mesures sévères, sans être vexatoire, soumettre à l’impôt des objets qui en sont affranchis ou n’y sont pas suffisamment assujettis ; dégrever ceux qui sont surchargés : voilà, messieurs, l’exposé sommaire du système qui me dirigera.
Il est probable qu’il déplaira aux partisans d’innovations, et à ceux qui supposent qu’il est des moyens de pourvoir aux besoins de l’Etat, sans que l’habitant s’en aperçoive, ou sans qu’il en éprouve la moindre gêne. Je dois déclarer aux premiers que je ne me jetterai jamais dans des essais qui pourraient compromettre les ressources du trésor, alors qu’elles sont toutes nécessaires à ses besoins et au maintien de son indépendance ; je dirai aux seconds que le problème qu’ils posent, étant considéré jusqu’à présent comme insoluble dans tous le pays, je n’ai pas la prétention de le résoudre.
J’entrerai, après ces considérations générales, dans l’examen des diverses observations auxquelles il m’importe de répondre.
Deux orateurs ont critiqué la proposition du gouvernement tendant à dégrever la contribution foncière d’une partie des centimes additionnels extraordinaires qu’elle a dû supporter, depuis quatre ans, par l’impérieuse nécessité du moment ; ce dégrèvement, qui vous est demandé non seulement comme une réparation pour le passé, mais comme une justice pour l’avenir, a déjà été justifié par plusieurs préopinants ; ils ont rappelé cette vérité connue de tout le monde, que la propriété en Belgique est excessivement divisée : ce n’est pas en effet la classe riche qui possède seule, mais toutes les classes de la société ; on sait qu’à la campagne il est peu de familles qui n’aient à elles leur coin de terre et leur habitation ; ce n’est donc pas, comme on a voulu le dire, quelques grands seigneurs qui profiteront du dégrèvement de l’impôt foncier, mais bien la généralité des habitants.
On a allégué qu’il fallait tenir cet impôt à un taux élevé pour forcer les propriétaires à baisser le prix des baux ; mais ce moyen ne serait-il pas injuste, et n’est-il pas certain qu’il ne porterait ses effets qu’après avoir ruiné les fermiers ?
L’agriculture en Belgique est la source la plus féconde de richesses et de prospérité publiques, c’est elle qui dans les moments extrêmes doit pourvoir principalement aux besoins de l’Etat ; il serait imprudent de l’épuiser en lui ôtant les moyens de se refaire des privations qui lui ont été imposées. Je ne demande pas toutefois de la soulager aux dépens des autres branches de l’économie sociale ; le budget des voies et moyens ainsi que son annexe sont conçus de manière à frapper également toutes les bases imposables et à rendre ainsi la répartition générale d’autant moins onéreuse qu’elle sera plus juste.
La réfutation des reproches qui ont été faits par un honorable député de Namur aux évaluations du cadastre en ce qui concerne les bois trouvera mieux sa place lors de la discussion de la loi de péréquation qui sera incessamment présentée à la chambre. C’est l’exécution de cette loi qui fera cesser les inégalités de répartition dont on s’est plaint tant de fois et à si juste titre dans cette enceinte, et qui constituera une des principales améliorations de notre système d’impôt.
L’honorable député de Philippeville a cru devoir stigmatiser de nouveau la loi sur la contribution personnelle et celle sur les patentes. Je ne me poserai pas ici le défenseur absolu de ces lois, et ce qui prouve que je les crois susceptibles d’améliorations, c’est que la commission de révision dont M. Seron lui-même fait partie, a été saisie par moi d’un projet sur la première préparé par les soins de mon prédécesseur, et que j’ai pris les mesures pour qu’on continue sans relâche, dans mon département, à fixer les bases d’un meilleur système de patentes ; mais je répète à cette occasion ce que j’ai dit dans l’exposé des motifs du budget que nous discutons, c’est que ces lois ont été rendues très tolérables par les nombreuses modifications qu’elles ont subies depuis 1830 et qu’elles sont appliquées. avec modération et discernement.
Ces modifications, déjà indiquées par plusieurs préopinants, consistent, quant à la loi sur le personnel : 1° en l’autorisation, accordée par l’article 4 de la loi du 29 décembre 1831, de se référer aux cotisations des années précédentes hors le cas de changements notables aux bâtiments, disposition qui a aboli la partie odieuse et vexatoire de la loi ; 2° en l’exemption du droit sur les foyers à l’usage des usines et fabriques prononcée par l’article 7 de la loi du 30 décembre 1832, mesure tout entière dans l’intérêt de l’industrie ; 3° en la suppression, prononcée par le décret du congrès national en date du 28 décembre 1830, des 22 centimes additionnels perçus sur le principal de cet impôt.
En ce qui concerne les patentes : 1° en la réduction d’un quart du principal et des additionnels existants ; 2° en la réduction de 9 centimes additionnels, ce qui a ramené, en y comprenant les 10 centimes extraordinaires, à 104 ce qui se percevait à raison de 135.
Un nouvel adoucissement en faveur des bateliers vous est proposé ; il a pour but de faire droit à une réclamation fondée.
Après de semblables changements peut-on encore dire que le système hollandais continue à nous régir ? peut-on surtout crier à l’arbitraire des agents du fisc, alors qu’il est avéré qu’aucune plainte n’est adressée ni aux chambres législatives, ni au pouvoir exécutif contre l’exécution de ces lois, ou contre les lois elles-mêmes ?
On a relevé avec quelque aigreur ce que j’ai avancé dans mon discours de présentation relativement aux distilleries ; je crois cependant m’être exprimé avec circonspection. On a contesté le chiffre auquel était évalué le produit des distilleries avant l’introduction de la nouvelle loi. Afin de ne laisser aucune incertitude à cet égard, je vais indiquer le produit de cet impôt, additionnels et timbres compris :
En 1831, fr. 2,905,350
En 1832, fr. 4,560,238
(erratum au Moniteur n°346, du 12 décembre 1834:) Pendant les sept premiers mois de 1833 qui ont précédé la mise à exécution de la nouvelle loi : fr. 2,961,372, ce qui permet de supposer au moins cinq millions de recette pour l’année entière.
Est-on fondé à prétendre en présence de semblables résultats, que la nouvelle loi, dont le produit en 1834 ne sera que d’environ 1,900,000 fr., ne fera pas perdre annuellement trois millions au trésor ?
Je pense avec l’honorable M. Alexandre Rodenbach que toutes les distilleries sont favorables à l’agriculture, et que dès lors elles peuvent être toutes qualifiées d’agricoles ; il est juste de convenir cependant que celles qui se trouvent répandues dans les campagnes sont plus utiles aux travaux et aux produits de la terre que les grands établissements qui sont dans les villes ou à proximité, et dès lors on pourrait, sans absurdité, conserver aux petites distilleries une désignation sous laquelle elles sont généralement connues ; mais, au reste, ce n’est pas le nom qui est important, c’est le fait, et le voici tel qu’il résulte des éléments obtenus dans chacune des provinces.
Le nombre total des distilleries de grains et pommes de terre en activité a été comme suit :
En novembre 1832, 762.
En novembre 1833, 852.
(erratum au Moniteur n°346, du 12 décembre 1834:) Et du 15 au 31 octobre 1834, 706.
Ce n’est pas là, certes, le résultat que l’on se promettait de la loi nouvelle.
Quoi qu’il en soit, il n’entre nullement ici dans mes intentions de proposer des modifications au nouveau système, j’ai seulement voulu prouver à la chambre que ce n’était pas avec légèreté que je lui en avais signalé quelques effets.
Chacun de vous, messieurs, pouvant se rendre compte du danger que le bon marché du genièvre peut avoir pour la moralité des habitants, je ne m’appesantirai pas sur ce point.
A la séance d’avant-hier, le premier orateur que vous avez entendu dans cette discussion générale, s’est plaint de ce que les objets de luxe n’étaient pas assez directement atteints ; que cependant nous pouvions puiser à cet égard des exemples chez nos voisins.
Si, comme je le suppose, cet honorable représentant a voulu parler de la France, je n’y vois que les boissons, le tabac, les cartes à jouer et la poudre à tirer qui y sont soumis à des droits qui n’existent pas chez nous. Mais, messieurs, quel est celui de vous qui consentirait à améliorer la position du trésor au prix des vexations inévitables pour le recouvrement de semblables impositions ?
Les principes de nos institutions et de nos lois respirent un autre esprit ; le Belge, habitué à un régime libéral, ne saurait endurer l’exercice des droits réunis dans ses caves, sur ses terres, dans ses magasins.
Déjà, en matière de douanes, on a reculé devant l’établissement des recherches à l’intérieur, on s’est récrié contre l’expertise du mobilier, contre le dénombrement des foyers : comment voudrait-on essayer d’un système qui entraîne la visite domiciliaire ? Quant à moi, je vous l’avoue, je ne me sens pas le courage de vous proposer de semblables mesures.
Le même orateur vous a dit qu’il avait cru que nous allions entrer dans une ère d’économie et de probité. Je le prie de s’expliquer à cet égard, non par des généralités toujours faciles à énoncer, mais bien par des faits précis ; je le prie d’indiquer en quoi l’économie et la probité ne sont pas le guide du gouvernement. En ce qui concerne la probité surtout, je le supplie de parler franchement. Il ne faut pas laisser planer des soupçons sur une administration que je considère avec conviction comme pure de toute action contraire à la délicatesse, à la loyauté. Il serait trop douloureux pour les fonctionnaires publics qui travaillent avec le zèle le plus louable, avec le dévouement le plus absolu au bien du pays, de rester sous le poids d’accusation vagues que je porte le défi de justifier.
Le nouveau projet de loi sur les sels a été aussi l’objet des critiques de l’honorable député de Luxembourg, et pourtant ce projet ne lui est point encore officiellement connu ; la commission de révision en est seulement saisie, et s’il y a lieu d’y introduire des dispositions de la nature de celles qu’a signalées l’orateur auquel je réponds, on peut s’en reposer sur la sollicitude éclairée des membres de cette commission pour les intérêts du pays et des contribuable.
Quant à la libre sortie des charbons de bois, que réclame le même député, je la regarderais comme devant porter le dernier coup à notre forgerie déjà périclitante ; d’ailleurs le faible droit qui existe à l’exportation de cette marchandise constitue une protection en faveur de nos maîtres de forges qui est loin de nuire aux propriétaires ; car nul doute que si nos usines qui travaillent le fer au charbon de bois étaient une fois totalement abandonnées, ce qui ne manquerait pas d’arriver dès que ce combustible serait libre à la sortie, les maîtres de forges français, n’ayant plus de concurrence à craindre, s’entendraient entre eux et feraient baisser, plutôt que de l’augmenter, le prix de nos charbons.
J’accueille avec plaisir, messieurs, les vues et les opinions qu’un honorable député de Gand a exprimées dans la séance de lundi, en ce qui touche à l’avenir de notre situation financière ; j’ajouterai qu’il a pressenti le véritable sens de mes intentions relativement aux modifications à apporter à notre tarif de douanes. Ce sens du reste n’a point fait l’objet d’un doute dans son esprit, s’il eût pesé attentivement l’exposé des motifs du budget des recettes à l’égard de ce point ; en effet, je ne dis pas d’une manière absolue, comme il paraît le croire, qu’aucun changement même partiel ne doit être fait à notre tarif avant la fin des négociations de nos commissaires : cette opinion est précédée d’une réserve ainsi conçue, à moins de circonstances urgentes et spéciales ; or, on peut ranger dans cette catégorie la position des ouvriers auxquels l’honorable orateur a fait allusion et que j’ai eue moi-même en vue lorsque j’ai tracé cette réserve.
Au surplus, je persiste à penser qu’avant d’innover en général à notre tarification de douanes, il est essentiel d’arrêter des principes que la nature des relations commerciales de la Belgique avec les autres pays pourra seule faire apprécier.
L’honorable abbé de Foere a cru devoir prendre la défense d’un avis soulevé dans la commission d’examen du budget en discussion, avis qui tend à savoir s’il ne serait pas avantageux pour le trésor de créer des billets au porteur de l’espèce de ceux qu’émet la banque. J’ai déjà eu l’occasion de combattre cette proposition dans le sein même de la commission, et il m’a été facile de lui faire partager ma conviction.
J’ai déclaré que l’émission d’un papier à vue, portant intérêt on non, qui n’est appuyé sur aucun capital effectif, ou réalisable sur l’heure, était, à mes yeux, l’opération financière la plus dangereuse et la plus propre, non seulement à discréditer, mais à déconsidérer un pays.
On a cité la Prusse ; mais, messieurs, personne n’a pu nous dire sur quelle base repose la création du papier qu’on a signalé. Lui est-il assigné une hypothèque spéciale, est-il fondé sur un capital affecté à son amortissement, ou se base-t-il seulement sur la confiance dans les ressources et la foi du gouvernement ? Il serait nécessaire de connaître toutes ces choses pour porter un jugement certain.
Mais je dois demander à l’honorable député de Thielt ce que deviendrait le crédit de ce papier, s’il n’était établi que sur la confiance publique, dans un cas de guerre, ou simplement, d’apparence de guerre : croit-il que les porteurs ne s’empresseraient pas d’en exiger le remboursement ou de le verser dans les caisses du trésor, ce qui est la même chose ; et alors où serait l’avantage que sa circulation devait procurer à l’Etat ? Le gouvernement, obligé d’affecter toutes ses ressources à d’autres exigences du moment, se trouverait, malgré sa bonne foi, dans la nécessité de se refuser au remboursement de son propre papier, et le discrédit ne frapperait-il pas à l’instant même et les obligations et leur auteur ?
Tel doit être, messieurs, le sort de tout papier-monnaie des gouvernements ; le souvenir des assignats est encore trop récent pour en tenter une nouvelle expérience.
Qu’on ne vienne pas dire que les bons du trésor sont dans le même cas ; ils ont une échéance fixe combinée sur la rentrée des recettes ordinaires ; ils ne sont dans d’autres pays, en France et en Angleterre, qu’une jouissance des impôts par anticipation. Chez nous ils sont dans une condition meilleure, n’étant, à proprement parler, que le signe représentatif des crédits que nous accordons aux négociants pour des droits qui nous sont acquis par des prises en charge. Si, à l’instar de ce qui se fait en France, au lieu d’accorder purement et simplement des crédits, nous exigions des obligations à terme ou à ordre, négociables comme papier de commerce, les bons du trésor nous seraient presqu’en entier inutiles. Ainsi ces bons ne sont réellement en Belgique, ni un emprunt, ni même une anticipation d’impôts, mais le titre liquide d’une créance qui nous est due.
M. de Foere vous a dit : Mais la banque émet des billets au porteur sans intérêts, et cependant ils ont du crédit. Les billets de la banque, messieurs, ont un capital réel et effectif pour appui, l’article 5 des statuts de cette société lui en fait obligation. Elle doit toujours pouvoir payer, et même tous à la fois, les billets au porteur. C’est parce que le gouvernement est convaincu qu’il doit et peut en être ainsi, qu’il admet sans crainte ce papier dans ses caisses ; et cette confiance, qui n’est point légèrement accordée, n’est pas un privilège, car elle serait accordée à tout autre établissement qui offrirait les mêmes garanties.
Quant à un autre prétendu privilège en faveur du Roi, dont vous a parlé hier un honorable député de Bruxelles, celui-ci a sans doute peu réfléchi à ses paroles. Le gouvernement du Roi, messieurs, a des droits et non des privilèges ; il saura exercer les premiers en toute circonstance. Ces droits, il les tient de la constitution et non de la banque. Celle-ci, au contraire, a besoin du pouvoir exécutif pour prospérer.
Telle est la véritable position des choses, et s’il était de mon devoir de reconnaître et de déclarer hautement à cette tribune que la banque mérite la confiance que lui accorde le gouvernement en recevant son papier comme numéraire dans les caisses publiques, il m’importait également de classer cette institution à sa place qui est en dessous du pouvoir exécutif, sous l’approbation et la protection duquel elle existe.
L’honorable M. de Foere vous a dit aussi, messieurs, que j’étais en contradiction avec mes propres principes qui sont de niveler les recettes avec les dépenses, en vous demandant le maintien en circulation des 25 millions de dette flottante ; mais l’honorable membre a t-il pu penser qu’il faille procéder au remboursement immédiat de cette dette ? N’est-ce pas niveler les recettes et les dépenses que de pourvoir aux frais de tous les services de l’Etat, aux intérêts et à l’amortissement des emprunts ? Ce qu’il a dit à l’égard de la dette flottante devrait aussi, telle qu’il la considère, avoir son application quant au capital de l’emprunt Rothschild et plus tard à celui de la dette hollandaise.
D’ailleurs, la dette flottante n’a point atteint, comme l’a dit ce représentant, la somme de 25 millions. Chacun de vous sait, messieurs, que dix millions à émettre sont destinés à pourvoir à la confection du chemin de fer et seront amortis par l’emprunt spécial qu’il y aura lieu d’opérer à une autre époque pour achever cette communication.
Sur les quinze millions restants dont la création a été autorisée précisément pour porter les recettes à la hauteur des dépenses résultant des exercices antérieurs, onze millions sont nécessaires aujourd’hui pour faire face au découvert de la caisse ; d’où il suit que les économies dans les dépenses et les majorations dans les revenus ont déjà réduit la dette flottante de quatre millions.
Ce qui précède est établi sur des chiffres, dans la situation du trésor au 31 octobre 1834, que j’ai eu l’honneur de vous soumettre à l’ouverture de la session.
Un honorable député vous a signalé, comme une omission au tableau des recettes, le remboursement d’une avance faite à la caisse de retraite en vertu de la loi du 10 juillet 1833, remboursement qui, aux termes de cette loi, devait être effectuée par cinquième de deux ans en deux ans, à partir du 1er juillet 1835.
L’examen que chacun de vous, messieurs, a déjà pu faire du budget des dépenses, a dû vous convaincre que la caisse de retraite est hors d’état, non seulement de pourvoir à ce remboursement, mais même de faire face à ses charges au moyen de ses seules ressources. Placer de ce chef un article de 37,000 francs aux recettes, eût forcé de majorer d’une somme égale la demande du subside, ce qui n’eût apporté d’autre résultat que de grossir sans nécessité le chiffre des budgets.
Il entre dans mes intentions de vous présenter avant le 1er juillet prochain, terme de la première échéance, un projet de loi tendant à accorder un délai pour le remboursement de l’avance dont il s’agit, lequel ne pourrait être que fictif dans l’état actuel des choses.
J’espère que cette marche satisfera aux vues de l’honorable M. Verdussen.
Le même député vous a parlé aussi de l’absence sur le tableau des recettes du chiffre de l’avance portée chaque année au budget du département de la justice, et à faire, à charge de remboursement de la part des communes, au dépôt de mendicité des colonies agricoles.
Cette avance, messieurs, est le résultat d’un contrat passé en février 1823, entre le gouvernement précédent et la société de bienfaisance qui administre les colonies agricoles. Le premier s’est obligé à payer une somme de 35,000 florins, pendant seize ans, et depuis la révolution les chambres ont homologué chaque année ce contrat.
Quant au remboursement qui doit être fait par les communes, il s’élève seulement à environ 16,500 francs, parce que ces dernières ne reconnaissent que 200 mendiants qui y sont envoyés au lieu de 1,000 que le gouvernement pourra y placer après l’expiration des 16 années.
Une note fort explicite sur ce point se trouve jointe au deuxième projet du budget de 1833.
Je crois avoir répondu, messieurs, aux principales objections qui ont été présentées dans la discussion générale ; si mes répliques ne satisfont pas complètement l’assemblée, je pourrai y revenir lors de la discussion des articles.
Je ne veux pas toutefois quitter cette tribune sans dire un mot de la demande faite par l’honorable M. Doignon.
Je crois qui serait imprudent de remettre à d’autres moments la perception de la subvention qui fait l’objet de l’amendement que j’ai déposé sur le bureau au début de cette discussion. Les ressources qui peuvent être nécessaires ne rentreront pas en un jour, et la perte et le retard qui résulteraient pour le trésor d’une remise prolongée après le 1er janvier, seraient nuisibles à nos vrais intérêts.
Du reste, il est difficile de concilier cette demande avec l’opinion toute patriotique qui suit immédiatement dans le discours de cet honorable orateur, et par laquelle il engage le gouvernement à se prémunir pour user de vigueur au besoin.
Je me réserve de revenir, avec plus d’opportunité, sur cet objet, lors de la discussion spéciale de l’annexe au budget des recettes.
M. Rogier. - Messieurs, je demanderai la permission de présenter quelques observations générales sur le budget des voies et moyens, dont je ne veux cependant pas retarder le vote des articles.
Je commencerai par applaudir à l’esprit d’économie qui dirige le gouvernement. Toutefois je ne pourrai approuver complètement les mesures proposées qu’autant qu’il sera établi que la situation des contribuables exige, d’une manière absolue, la réduction des impôts, ou que les ressources de l’Etat sont au niveau des besoins actuels et éventuels, ou enfin que, pour parvenir à ces économies, on n’a pas retranché du budget de l’Etat des dépenses évidemment utiles. Si l’une ou l’autre de ces conditions venait à manquer, je déclare que je me prononcerais contre les réductions proposées.
Pour ce qui concerne la situation des contribuables, depuis hier de nouvelles et vives lumières ont été jetées sur cette question, principalement par le discours vraiment national de l’honorable M. Liedts. Déjà à plusieurs reprises, dans les discussions précédentes, on avait indiqué les nombreuses réductions, les adoucissements importants introduits dans la perception des impôts. Mais hier on l’a démontré avec une évidence qui a dû porter la conviction dans tous les esprits. Il en résulte que plus de vingt impôts ont subi des réductions notables. Il résulte même de tous les renseignements fournis par des hommes qui ont une connaissance spéciale de l’objet dont vous vous occupez, que plus aucune plainte digne d’être accueillie n’a été adressée soit au pouvoir exécutif, soit au pouvoir judiciaire, suit au pouvoir législatif, contre le mode de perception des impôts.
J’ai donc lieu de regretter de voir dans le rapport de M. le ministre des finances des phrases qui semblent s’associer, sans doute à son insu, à ces plaintes vraiment exagérées qu’on a fait quelquefois entendre dans cette enceinte contre les nombreux sacrifices que la révolution a imposés au pays, contre le poids accablant des impôts qui en ont été la conséquence.
J’ai déjà eu l’honneur de le dire, messieurs, jamais révolution aussi féconde en grands résultats n’a moins coûté au peuple sous le rapport fiscal.
Mais, dit-on, il y a des bases d’impôt qui ont été plus grevées que d’autres. La propriété foncière a particulièrement souffert, elle a eu à supporter le poids accablant de deux emprunts ; en 1833 on l’a imposée de 40 centimes additionnels, et en 1834 de vingt. Et déjà on s’empresse de dégrever la propriété foncière, parce qu’on trouve qu’elle a trop souffert.
Cependant, messieurs, la propriété foncière et plus spécialement la propriété agricole a obtenu aussi ses avantages, quoi qu’en ait dit l’honorable député de Waremme. Je ne parle pas de la loi sur les distilleries : je n’entends pas condamner encore cette loi d’une manière absolue. J’attirerai seulement votre attention sur la diminution énorme qu’elle a fait subir aux ressources de l’Etat, alors que celle qu’elle a remplacée était en plein rapport, et que par conséquent il ne semblait pas qu’elle renfermât des vices nombreux. Je ne parlerai pas de l’influence que la loi nouvelle peut avoir sur la moralité de la population, puisque ses résultats à cet égard ne sont encore que soupçonnés. Je vous rappellerai seulement jusqu’à quel point aux Etats-Unis la morale publique est compromise par l’abus des liqueurs fortes.
Il a été constaté que le nombre des pauvres a suivi la progression de l’usage des liqueurs spiritueuses. Visitez les dépôts de mendicité, et vous serez pénétrés de cette vérité que la plus grande partie des reclus n’y ont été amenés que par l’abus immodéré des liqueurs fortes.
Cependant la loi sur les distilleries, comme on vient de le reconnaître tout à l’heure, a été votée pour favoriser la propriété foncière. Cet avantage n’a pas été le seul. La chambre lui a également accordé deux lois contre l’introduction des céréales étrangères : la première a rétabli un droit que la révolution avait aboli ; la seconde a augmenté l’effet de la première, que l’on a trouvé insuffisant. Notez que lorsqu’on réclamait cette dernière disposition législative, on ne manquait pas de s’apitoyer sur la situation de la propriété foncière, sur les charges accablantes que lui avait imposées la révolution.
Je citerai en outre le dégrèvement partiel qui a eu lieu dans trois provinces, celles des deux Flandres et lequel s’est élevé à plus de quatre cent mille francs. Je ne parlerai pas de la suppression du droit de sortie imposé sur le bétail, suppression qui a privé l’Etat d’une recette annuelle de plus de cent mille francs. Mentionnerai-je l’abolition du droit d’abattage, qui a tourné en grande partie, sinon en totalité au profit de l’industrie agricole et qui a enlevé au trésor une perception annuelle de trois millions de francs ? Je pourrais citer en passant la suppression de l’accise sur les vins indigènes. Cette faveur accordée également à l’industrie agricole a coûté cent mille francs annuellement à l’Etat.
Il faudrait que l’on mît également en ligne de compte les capitaux qui ont été appliqués à la construction de routes nouvelles et qui doivent l’être encore, et les améliorations que le gouvernement a cherché à introduire pour donner une impulsion nouvelle à l’agriculture, telles que l’établissement d’une école vétérinaire, l’introduction de bestiaux étrangers, et d’instruments achetés en Angleterre, pour faire entrer nos agriculteurs dans la voie des progrès.
Je soutiens donc, messieurs, que la situation des contribuables ne réclame pas pour le moment de réductions dans les impôts de l’Etat. Il restait une industrie qui avait, à ce qu’il semble, le droit de se plaindre. C’est celle des bateliers. Je vois que M. le ministre des finances s’est empressé de satisfaire aux réclamations de ces industriels qui avaient souffert, particulièrement les bateliers de la Meuse, des changements amenés par la révolution.
Nous pourrons examiner plus tard si une autre source des revenus publics ne pourrait pas disparaître du budget des voies et moyens, sans causer un préjudice notable au trésor public, tout en favorisant les intérêts commerciaux du pays, auxquels il faudrait bien permettre aussi de faire entendre leur voix dans cette enceinte.
Maintenant, messieurs, la situation de nos finances permet-elle de nouvelles réductions ? Nos ressources répondent-elles à nos besoins actuels et éventuels ? Je ne le pense pas. Depuis la révolution, il s’est, à la vérité, passé quelque chose d’admirable. L’on a considérablement dégrevé la plupart des impôts dans leurs bases, et cependant les revenus résultant de ces impôts dégrevés n’ont pas été inférieurs à ce qu’ils étaient sous le régime hollandais. De plus, nous avons vu d’année en année les recettes effectives, du moins les contributions les plus importantes, dépasser les prévisions du budget.
Il résulte de la situation générale du trésor qui vous a été soumise dernièrement, qu’après la liquidation de toutes les dépenses qui ont été faites pendant les années 1830, 1831, 1832, 1833, 1834, le trésor public se trouvera en possession d’un excédant de 3.742,809 fr. Mais il ne faut pas perdre de vue que l’emprunt ouvert par l’émission des bons du trésor jusqu’à concurrence de 15 millions n’a pas été couvert par les recettes ordinaires, et qu’en déduisant l’excédant que je viens de signaler, le trésorerie reste en présence d’un découvert de 11,257,190 fr.
Je ne parle pas de dix millions de bons du trésor que la chambre a mis à la disposition du gouvernement par la loi du 1er mai 1834 pour être affectés à la construction de la route en fer. Il a été démontré que les produits de cette route suffiraient pour couvrir et les intérêts et l’amortissement de ces bons du trésor.
J’émettrai en passant le vœu, et ce vœu sera partagé, je n’en doute pas, par la chambre, que le gouvernement se hâte autant qu’il sera en lui de livrer au commerce les parties, aussitôt qu’achevées de cette grande communication.
Revenant au découvert de onze millions que laisse le trésor, je dirai qu’il ne faut pas nous en effrayer, parce que ce déficit se trouve amplement comblé par la somme de treize millions que la banque a mise à la disposition du gouvernement. Nous félicitons M. le ministre des finances d’avoir porté au budget des voies et moyens l’intérêt de cette somme, et d’avoir ainsi sanctionné les opérations entamées par son devancier.
La chambre sera plus à même d’en apprécier les résultats, quand la commission, chargée d’examiner la situation de la banque vis à-vis de l’Etat, aura bien voulu présenter son rapport, et fournir ses conclusions. Je désire que cette commission qui, à ce que j’ai appris, s’assemble assez souvent depuis quelques jours, termine bientôt son travail, sans pourtant demander qu’elle y mette une précipitation qui pourrait nuire à l’examen des importantes questions dont elle est saisie, parce qu’il est à désirer surtout qu’elle nous présente un travail complet et bien mûri.
J’appellerai l’attention de cette commission sur deux points.
Le premier est relatif à la proposition faite dans la commission chargée d’examiner le budget des voies et moyens relativement à l’émission de billets de banque par l’Etat. Sans doute le gouvernement a eu ses raisons pour se prononcer, d’une manière un peu absolue, contre l’émission de ces billets de banque, dont on a des exemples ailleurs. Il me semble toutefois important d’examiner cette question.
Le second point porte sur les considérations remarquables que la cour des comptes a jointes à son cahier d’observations sur les comptes de l’Etat pour l’exercice 1830. On a examiné avec beaucoup de soin la question de savoir jusqu’à quel point il est juste de conserver la banque dans sa qualité de caissier-général de l’Etat.
La cour des comptes a discuté la question de savoir s’il ne conviendrait pas que le gouvernement fît lui-même ses recettes par ses propres agents. Loin de moi la prétention de décider actuellement ces questions. Mon seul but est de signaler leur importance à la commission, qui apportera, je n’en doute pas, à leur examen toute l’attention sérieuse qu’elles méritent.
Ainsi jusqu’ici je reconnais, messieurs, que les recettes et les dépenses se balancent. Il nous reste cependant des besoins éventuels, auxquels il faut pourvoir, contre lesquels la prudence nous ordonne de nous préparer, tels qu’un règlement de comptes avec la Hollande ; dans le cas où le solde définitif serait en faveur de ce dernier pays, et sans vouloir préjuger la question du paiement des arrérages, la prudence exigerait peut-être que l’on entretînt le trésor public, comme s’il devait faire face à une partie ou à la totalité de ces arrérages.
Nous avons également à payer des dettes à l’intérieur, des dettes provenues de notre révolution qui sont, à mon avis, sacrées pour l’Etat. Je veux parler des indemnités à payer à ceux qui ont souffert matériellement de la guerre révolutionnaire. Depuis assez longtemps un projet de loi vous a été soumis. Il serait urgent que la chambre s’en occupât, et que l’on mît fin à l’état d’indécision sur leur sort où sont ceux qui ont souffert pour la cause nationale,
Les combattants ont été récompensés. Il serait juste que ceux dont les maisons ont servi de retranchements, de forteresses, fussent également indemnisés.
J’appellerai également l’attention de la chambre sur la nécessité de venir au secours d’une partie de la population, alors que partout ailleurs l’ordre et la prospérité règnent. Une partie notable de la province d’Anvers est encore sous les eaux des inondations tendues par les Hollandais. Ces inondations dureront aussi longtemps que durera le statu quo. Comme ce statu quo est profitable pour notre pays, je ne crois pas que l’on s’empresse d’y mettre fin. Nous avons donc à examiner si ceux qui ne profitent pas du retour de la prospérité n’ont pas des droits à être indemnisés dans une juste proportion. Je sais que l’administration des ponts et chaussées s’est occupée d’un projet tendant à restreindre l’étendue de l’inondation. Par ce projet, 2,000 hectares de terres seraient rendus à l’agriculture, et par suite à l’impôt. Je réclame donc la sollicitude du gouvernement pour un projet dont l’exécution n’entraînerait pas une dépense considérable, mais dont le résultat immense mérite que l’Etat se charge d’y faire face.
Enfin, messieurs, je me prononcerai de nouveau contre les économies et les réductions, chaque fois qu’elles auront pour résultat de supprimer des dépenses que je regarde comme utiles, sinon indispensables.
Sous ce rapport, j’ai regretté de voir retranchée du budget du dépôt de l’intérieur une somme de 500,000 fr. dont je veux vous faire connaître en peu de mots l’utile destination. Je parle de cette dépense, parce que les sections étant saisies de l’examen du budget de l’intérieur, elles pourront prendre note de mes observations, je supplierai l’assemblée de vouloir bien prêter son attention à ces développements.
Le gouvernement avait proposé au budget de l’intérieur une somme de 500,000 francs destinée à l’assainissement de villes et communes, percées de rues et travaux de salubrité dans les quartiers occupés par la classe ouvrière, construction d’égouts, établissement de fontaines publiques, desséchements de marais et étangs reconnus insalubres, etc. Tel était le titre de cet article, et ce titre susceptible de développements n’en était que l’indication sommaire. Le gouvernement se réservait de prendre des renseignements à cet égard. Il faut que ces renseignements ne soient pas parvenus d’une manière complète, puisque l’article a disparu. Je le répète, j’ai le regret d’avoir vu disparaître cette dépense.
En règle générale, il faut bien le reconnaître, quand l’administration va trouver l’administré, c’est presque toujours pour lui imposer des sacrifices, pour lui demander des hommes et de l’argent. Cela a été même assez longtemps le sublime de l’administration de faire rentrer facilement argent et soldats. Vous avez encore des administrateurs de vieille roche qui pensent avoir tout fait quand ils ont opéré heureusement de pareilles rentrées. Mais, à mon avis, la mission du gouvernement est plus haute. Quand l’administration se fait sentir au peuple, il faut que ce soit d’une manière bienfaisante, de manière à se faire respecter et aimer. Il faut qu’elle soit la providence actuelle de tous les jours, des administrés. Il faut qu’elle s’applique à leur bien-être matériel. Sous le rapport du bien-être moral, le peuple, il faut en convenir, n’a rien à désirer. En secouant la domination étrangère, il a obtenu sa nationalité et une constitution qui lui garanti toutes ses libertés. Sans doute beaucoup a été fait, mais beaucoup reste encore à faire. Remarquez, messieurs, que ce sont surtout les améliorations matérielles qui sont directement senties par le peuple. Ses avantages politiques ne sont appréciés complètement que dans les classes plus élevées.
Je serais désolé que l’on pût croire à m’entendre parler ainsi du peuple, qu’il est dans mes intentions de m’associer à ces courtisans déclamateurs qui n’ont que des paroles pleines de bienveillance et de tendresse pour les classes pauvres, tandis que leur bouche ne peut envoyer au gouvernement que l’injure et le sarcasme. Je ne veux pas d’une pareille solidarité. Mais, sans m’associer à ces déclamations, je n’en ai pas moins la conviction que le devoir du gouvernement est de s’occuper activement des améliorations que les classes pauvres réclament et d’écarter les crises dont pourraient être menacées les classes élevées par la situation malheureuse, sinon dans notre pays, du moins ailleurs, de la population ouvrière.
Ne voyons-nous pas, dans certaines villes, les demeures du peuple former les quartiers les plus malsains. Là, messieurs, ni air ni jour, des habitudes de malpropreté, des maladies, des vices de toute espèce. Quel est leur avenir ? Quand ils sont sans ouvrage, les dépôts de mendicité ; quand ils sont malades, les hôpitaux ; quand la misère les a poussés au crime, les prisons. Dépôts de mendicité, hôpitaux, prisons : voilà à peu près les seuls remèdes que la philanthropie ait trouvés jusqu’ici contre la misère des populations ouvrières.
La dépense projetée par le département de l’intérieur avait pour but d’engager les autorités communales à s’occuper d’amélioration matérielle de concert avec les bureaux de bienfaisance, lesquels ont des revenus dont ils font souvent un très mauvais emploi, de concert avec les provinces qui auraient pu porter à leur budget des subsides de la même nature à l’effet d’aider les communes dans leurs travaux d’assainissement.
Il me paraît que l’on est trop préoccupé aujourd’hui de rendre la commune complètement indépendante ; ce système, trop absolu, la livre à l’isolement. Il est impossible que les revenus communaux suffisent à beaucoup de travaux de la nature de ceux que je signale. Si une allocation était portée au budget de l’intérieur, pour travaux d’assainissement dans les différentes localités du royaume, l’attention des autorités communales serait portée sur ce point. Les habitants pourraient leur rappeler qu’ils ont droit à prendre part à cette somme, et les engager à y ajouter, de leur côté, une allocation municipale pour l’exécution des travaux les plus urgents.
Beaucoup d’améliorations sont à faire dans différentes communes du royaume. Ce n’est pas même toujours le manque de fonds qui s’oppose à ce qu’elles soient entreprises. C’est l’inertie, c’est le manque de stimulant.
J’applaudis beaucoup aux beaux discours que l’on tient en faveur de l’émancipation communale ; mais je n’approuve pas toujours ce qu’on fait en faveur de cette émancipation. Leur isolement absolu en dehors du pouvoir central est un véritable malheur pour les communes. Je ne crains pas de l’affirmer, les laisser à leur propre force, c’est gravement compromettre le bien-être des administrés.
Parcourez les communes du pays, vous y verrez en beaucoup d’endroits les bâtiments publics dans un état déplorable, dont il n’y a pas d’espoir de les voir sortir, si une main supérieure ne vient à leur secours. Ici c’est une maison d’école partagée de manière à contenir une classe et un corps-de-garde ; de sorte que les garçons et les filles passent par le corps-de-garde pour arriver au lieu de leurs études.
Ailleurs l’administration communale se trouve dans un grenier. Tout récemment, dans une tournée que j’ai faite, je suis entré par le moyen d’une échelle dans une salle communale. Et pourquoi, ? C’est que le secrétaire, comme j’en fis la découverte, avait trouvé bon de donner depuis 20 ans à l’administration communale un local dans son grenier, qui lui rapportait ainsi un revenu annuel de cent francs, si je ne me trompe.
J’aime à croire que lorsque les secrétaires seront nommés par les conseils communaux, ils ne feront plus de pareilles choses. Je déclare cependant que si semblable secrétaire était à ma nomination et révocable par moi, il ne tiendrait pas longtemps les réunions de l’administration communale dans un grenier : et notez que la commune n’est pas sans importance.
Ailleurs, depuis longues années, c’est un marais qui infecte une commune. Une somme de 1,500 francs serait nécessaire pour le dessécher ; la commune manque des ressources suffisantes pour faire les frais des travaux à exécuter ; mais des propositions sont faites et le gouvernement pourrait facilement aider les habitants.
Parlerai-je des prisons de passage ? Dans quelques-unes les malheureux qu’on y jette momentanément y suffoquent faute d’air.
Dans des presbytères il pleut, il neige. Une somme figure au budget pour les réparations de ces établissements ; elle est insuffisante.
Beaucoup améliorations peuvent être opérées ; je ne veux pas les signaler toutes ; je reviendrai sur cet objet.
Je sais bien que ces améliorations seraient considérées comme des innovations ; aussi je ne demande pas que la chambre précipite sa décision à cet égard : j’appelle seulement ici son attention toute particulière sur ces améliorations, dont l’examen doit être renvoyé à la discussion du budget des dépenses.
Je crois en avoir dit assez pour faire comprendre à l’assemblée dans quelles circonstances et sous quelles conditions je pourrais admettre de nouvelles diminutions sur les impôts, surtout quand la situation des contribuables ne les réclame pas. C’est dire que je voterai pour le budget des voies et moyens et pour les dix centimes additionnels.
Ces 10 centimes ne ramèneront pas les impôts au taux où ils ont été sous le gouvernement déchu ; ils fourniront une ressource au trésor, s’ils ne sont pas absorbés par la guerre. C’est surtout dans les temps prospères qu’il convient de se créer des réserves pour les jours mauvais qui peuvent survenir.
M. le ministre dés finances a touché dans son rapport à quelques questions concernant les douanes. Je dois le féliciter de la réserve avec laquelle il annonce devoir procéder dans cette matière délicate. Je dois également le féliciter de l’esprit de libéralité qui paraît le dominer, et de la déclaration qu’il a faite de s’opposer, en tout état de cause, aux mesures fiscales qui auraient pour but ou pour résultat des visites domiciliaires. Mais, tout en reconnaissant la nécessité de ne procéder qu’avec circonspection et ménagement dans les modifications à apporter au système des douanes, je crois devoir appeler l’attention du gouvernement sur une loi qui me paraît véritablement urgente et dont l’adoption n’entraînerait pour les recettes du trésor de ces réductions que je redoute.
Les divers industriels ont tour à tour fait entendre leurs voix dans cette enceinte. Plusieurs sont parvenus à triompher, en obtenant des mesures plus ou moins restrictives contre la concurrence étrangère ; mais le commerce a été rarement admis à faire connaître ses besoins ; peu de lois favorables au commerce ont été votées par la chambre, soit que le gouvernement n’ait pas été à même d’en proposer, soit que les représentants ou les commerçants n’aient pas cru devoir, à l’instar des représentants et des commerçants de certaines provinces industrielles, se réunir, s’entendre, se mettre d’accord (mesure que je suis loin de blâmer) pour réclamer en faveur du commerce des dispositions bienfaisantes.
Je veux ici, messieurs, attirer particulièrement votre attention sur le transit, question qui ne me semble pas de nature à exciter de bien vives et de bien longues discussions parlementaires.
Lorsque la question du transit s’est présentée à l’occasion de la délibération sur la loi concernant les céréales, tout le monde a été d’accord pour adoucir les droits perçus pour le transit. Messieurs, depuis longtemps les villes commerçantes ont senti la nécessité de lois plus libérales sur cet objet ; elles l’ont particulièrement sentie depuis qu’un peuple voisin, le Hollandais, a aboli pour ainsi dire toute espèce de droit de transit, et à rendu par cela seul plus difficile, pour la Belgique, la concurrence à soutenir dans les relations commerciales avec l’Allemagne.
Les droits actuels perçus au transit ne sont pas considérables en eux-mêmes, il faut l’avouer. Toutefois ils grèvent assez le commerce dont les opérations se composent en général d’assez petits bénéfices pour lui faire désirer évidemment une amélioration dans cette partie de la législation.
Je sais que l’on s’est occupé autrefois et même récemment d’un projet de loi sur le transit et sur les entrepôts libres. Il doit manquer peu de chose au travail préparé, et je demanderai avec instance que le gouvernement le présente promptement à la chambre. Un tel projet de loi qui réduirait les droits du transit, serait le complément indispensable du projet de loi sur les routes en fer. En Allemagne, on ne comprend pas ce qui se passe en Belgique : lorsque la Hollande abolit pour ainsi dire les droits du transit chez elle, comment, vous Belges, pouvez-vous en percevoir encore les droits, disent les Allemands ?
Et ce qu’il y a de plus singulier dans cette perception, c’est qu’elle est faite en vertu d’une loi hollandaise, de la loi du 26 août 1822. Le transit libre est d’autant plus nécessaire chez nous que les frais de transport y sont jusqu’ici plus coûteux qu’en Hollande ; en sorte que la conservation des droits de transit est un double non-sens commercial, surtout en présence des routes en fer.
Les produits du transit vers l’Allemagne se sont élevés à environ cent mille fr. ; il ne faut pas, pour conserver une aussi faible recette, perdre tous les bénéfices qui doivent résulter pour le commerce et pour le pays, d’une plus grande activité commerciale. Quand on a dégrevé tant d’impôts, peut-on maintenir celui qui est si préjudiciable aux intérêts commerciaux de la Belgique, intérêts qui sont liés à ceux de l’agriculture et de l’industrie ?
J’ai à regretter, à cet égard, que le budget des voies et moyens n’entre pas dans plus de développements sur les diverses sources de l’impôt, et que l’on n’ait pas suivi l’usage établi pour les budgets des dépenses, où l’on entre dans les plus grands détails. Dans les recettes on porte les sommes en bloc ; on annonce, par exemple, 18 millions pour tel impôt, sans qu’on puisse juger du produit de chacun des impôts qui entrent dans cette somme, de leur opportunité, et de la possibilité de les réduire.
J’émets le vœu pour que dorénavant le budget des recettes soit accompagné de développements convenables. Rien n’empêcherait que les recettes ne fussent indiquées dans des colonnes, par provinces, et par nature d’impôt. De pareils renseignements jetteraient beaucoup de lumières dans les discussions.
Je répète, messieurs, que l’on a suivi cette année la même marche que celle des années précédentes ; je n’entends donc faire aucun reproche à M. le ministre sur les développements qu’il a donnés à l’appui de la proposition du budget des voies et moyens.
M. Berger. - Messieurs, parmi les paroles que j’ai eu l’honneur de prononcer au commencement de la discussion générale relative au budget des voies et moyens, j’avais dit que je souhaitais de se voir établir un système d’économie et de probité.
Eh, messieurs, si je ne suis pas assez peu clairvoyant pour ne pas apprécier à leur juste valeur les progrès considérable faits depuis la révolution de septembre, je ne puis pas avouer non plus qu’il ne nous reste plus rien à faire à cet égard. Je déclare que ce n’est nullement aux personnes chargées de l’exécution des lois existantes que j’ai voulu faire l’application de ces mots, mais aux lois elles mêmes. Or, j’envisage comme contraires à ce système d’économie et de probité toutes les lois grevant d’une manière exorbitante les objets dont se nourrit le pauvre et qui ménagent le superflu du riche, j’envisage également comme éminemment contraires à ce système grand nombre de dispositions de notre tarif de douanes, qui, à raison des droits exorbitants qu’elles renferment sur plusieurs objets entraînent à la fraude et à la démoralisation.
Voilà, messieurs, des lois que je qualifierai toujours de contraires à un système d’économie et de probité en matière de finances, qualification que je crois pouvoir maintenir en protestant de toutes mes forces contre toute application aux personnes chargées de l’exécution de nos lois de finances à la probité et à la loyauté desquelles je suis le premier à rendre hommage.
Je désire, si M. le président veut me continuer la parole, ajouter quelques observations.
M. le président. - Comme il y a des orateurs inscrits, je ne puis adhérer à la demande de M. Berger. La parole est maintenant à M. Pirson.
M. Pirson. - Messieurs, je n’avais pas le projet de parler dans la discussion générale sur la loi des voies et moyens, parce que tout ce que l’on peut dire en pareil cas a été dit et répété à satiété depuis 4 ans. Par suite de notre séparation de la Hollande, de grands adoucissements ont été apportés à notre système de contribution, on ne peut le nier. Mais il s’en faut de beaucoup qu’il n’y ait plus rien à faire. Des adoucissements ne constituent point une juste répartition : une juste répartition, voilà la difficulté.
Mon honorable ami Seron a fait hier la part de la propriété foncière et celle de la propriété mobilière.
Il a traité la première avec une sorte de défaveur qui a déjà été combattue par notre collègue M. Desmanet de Biesme ; mais celui-ci n’a pas donné des explications suffisantes, selon moi, en ce qui concerne notamment les propriétés boisées.
Sans doute il y a des localités où le défrichement des bois procurera aux propriétaires plus que l’équivalent du revenu de ces mêmes bois : ils n’auront donc point de réclamation à faire quant au contingent de la contribution de ces bois défrichés ; peut-être même cette taxe sera-t-elle moindre qu’elle ne devrait être. Mon observation tombe principalement sur les bois qui se trouvent dans les Flandres, le Brabant, et sur la rive gauche de la Sambre et de la Meuse, pour les provinces de Hainaut, Namur et Liége. Nonobstant ce, je ne crois pas que les députés de ces provinces viendront nous dire : « Depuis que les estimations du cadastre sont faites, nous avons défriché telle masse de bois qui, convertis en terres excellentes, doivent supporter tel supplément de contribution. »
Notre ami Seron habite une localité où les bois ne sont point tombés dans la dernière dépréciation. Cette contrée se nomme l’entre Sambre et Meuse ; là il y a des forêts considérables dont partie en futaie avec raspe. Si le prix de la raspe est en baisse, dit-il, la futaie est en hausse : il y a donc compensation. Oui, si l’arbre de futaie abattu était de suite remplacé par un autre ; mais ne sait-il pas que tous les grands propriétaires de futaie, pour mettre leur recette annuelle au niveau de leur dépense, abattent outre mesure leur futaie, et que bientôt elle disparaîtra ?
Le prix de la raspe elle-même s’est soutenu à peu près à deux tiers dans le pays d’entre Sambre et Meuse, parce que cette contrée abonde en mines de fer excellentes, et qu’on n’a pas encore entièrement abandonné l’usage du charbon de bois pour la fusion. Les fontes de cette partie de notre territoire se vendent en France, qui repousse la fonte au coak.
Ce qui soutient encore le prix des bois dans cette contrée, ce sont les besoins des houillères ; mais que notre ami Seron visite les bords de la Meuse, et là il verra que le prix des bois est baissé des trois cinquièmes.
Ce serait trop exiger de lui de le faire voyager jusqu’au fond des Ardennes, contrée vaste, composée d’une grande partie des provinces de Namur, de Liége et de tout le Luxembourg wallon ; là on ne peut défricher ni vendre ; pays de montagne, de rocaille et sans route de communication.
C’est assez sur les bois ; parlons maintenant de la propriété foncière en général et de la propriété mobilière. M. Seron a paru croire que les proportions étaient mal établies entre ces deux espèces de propriétés.
Parcourons le budget des voies et moyens. Faisons la part de chacun des deux espèces de propriétés.
- Foncier et centimes. Propriété foncière : fr. 18,261,225
- Personnel. Propriété foncière : fr. 2,035,000 ; propriété mobilière : fr. 6,105,000. Ensemble : fr. 8,140,000.
On sait que la base pour partie de cet impôt est la valeur locative des maisons, et ensuite les portés et fenêtres ; c’est bien là du foncier, je crois. Je soustrais donc, un quart du chiffre total que je porte à la contribution foncière.
- Patente. Propriété mobilière : fr. 2,534,994.
- Douanes. Ce sont les consommateurs qui paient.
Accises. Ce sont les consommateurs qui paient. J’observe en passant que c’est la classe ouvrière et la moins aisée qui en souffre le plus. Il serait bien temps de renoncer à cette tartufferie financière dont le but est de soutirer du pauvre tout ce que l’on peut, sans qu’il s’en doute, tout en laissant sonner bien haut l’intérêt qu’on a l’air de prendre à la classe ouvrière.
J’indiquerai le moyen de prendre l’argent dans les bourses les mieux fournies. Ici j’espère que je serai d’accord sur le principe avec mon ami Seron.
- Timbre, enregistrement, hypothèque, successions : Propriété foncière : fr. 13,263,500 ; propriété mobilière : fr. 4,387,500. Ensemble : fr. 17,550,000.
On m’accordera sans doute le droit de dire que tout cet article à peu près tombe sur la propriété foncière, cependant je veux bien en soustraire un quart pour la propriété mobilière.
- Répartition globale : Propriété foncière : fr. 33,559,725 ; propriété mobilière : fr. 13,027,494.
- Les autres articles du budget sont étrangers à la propriété foncière et mobilière.
Quand on a dit que la propriété foncière payait à l’Etat environ le huitième du revenu, on ne calculait que d’après les 18 millions portés à l’article premier du budget des voies et moyens ; mais d’après mon relevé on voit que cette propriété paie bien près du quart.
Maintenant, quoi qu’en dise notre collègue Dumortier, je me hasarderai à vous présenter un nouveau système de finances, non pour être mis à exécution cette année, mais pour être médité et discuté à votre aise si un jour vous le jugez digne d’être pris en considération.
J’observe que, comme dans le commerce les spéculateurs s’adressent réciproquement des factures simulées afin de calculer à l’avance les bénéfices ou pertes qui peuvent résulter de tel ou tel achat, de même on pourrait essayer simultanément l’exécution de mon système en opérant sur une ou deux provinces. Le voici :
Il est basé sur le montant du budget des voies et moyens tel qu’il nous est présenté pour l’année 1835.
Contribution foncière 18,261,225, à répartir d’après la péréquation cadastrale. J’observerai, en passant, qu’on reconnaîtra bien de grandes erreurs dans les évaluations de commune à commune, de canton à canton, et surtout de province à province. Je sais bien qu’il y a eu des assemblées cantonales qui ont travaillé bien ou mal à établir des proportions entre les évaluations des différentes propriétés de chaque commune, mais je ne sais par qui ni comment on a mis les cantons, puis les provinces en rapport. N’importe : après quelques années de rectifications, suivies avec zèle et impartialité, on parviendra peut-être à un résultat satisfaisant.
Maintenant, je supprime les accises, droits odieux qui pèsent sur la classe ouvrière.
Je réunis la contribution mobilière, fr. 8,140,000
- aux patentes, 2,534,994
- genièvre, 1,500,000
- bière, 6,750,000
Total, fr. 18,924,994.
Les droits sur les liqueurs étrangères et le sel peuvent se percevoir à la frontière sous le titre de douane, en admettant des crédits payables par douzième.
Voici comme je répartis mes 18,924,994 :
J’opère d’abord sur la population numérique telle qu’elle est portée au tableau stratégique qui accompagne la loi communale. Cette population se monte à 4,061,782. Soit : fr. 4,000,000
Premier million. Il se compose, selon moi, de personnes qui ne doivent rien au trésor parce qu’elles ne possèdent rien ou tout au plus le strict nécessaire.
Second million paiera un franc par personne. Soit fr. 1,000,000.
Troisième million paiera deux francs par personne. Soit fr. 2,000,000
Quatrième million paiera trois francs par personne. Soit fr. 3,000,000
Total, 5,500,000
Je donne à cette contribution-là la dénomination de contribution personnelle. Cependant cette dénomination n’est point tout à fait exacte, puisque déjà j’opère d’après la fortune présumée.
Maintenant cherchons sous la dénomination de contribution mobilière à compléter notre somme.
Ici j’opère par catégorie ; je cherche la plus haute fortune et je descends jusqu’à l’aisance.
Ce que je veux atteindre c’est tout ce qui constitue les biens meubles, argent capitaux, profits présumés du commerce, de l’industrie et de toutes les professions grandement productives ; les revenus fonciers ayant déjà payé leur dette au trésor pourront cependant de nouveau être compris dans la contribution mobilière lorsqu’ils dépasseront une honnête aisance.
Je suppose avec vérité, je crois, que les plus grandes fortunes se trouvent dans les villes dont la population est la plus élevée.
En Belgique ce sont Bruxelles, Anvers, Gand et Liège ; la population de chacune de ces villes dépasse 50 mille individus.
Première catégorie à 1,000 francs.
La population d’Anvers est de 73 mille.
Celle de Bruxelles de 94 mille.
Celle de Gand de 80 mille.
Celle de Liége de 50 mille.
Total : 297 mille.
Je désigne un individu par mille de population, et cet individu je le taxe à mille francs, soit 297,000
2ème catégorie à 500 francs. Je reprends un cinq centième de la population d’Anvers, Bruxelles, Gand et Liége. Il me donne 594 individus, que je taxe à 500 francs, soit 297,000.
Je prends le millième de la population de toutes les villes ayant de 20 mille à 50 mille habitants ; ce sont : Malines, Louvain, Bruges, Mons, Tournay, Verviers, Namur. Ce millième me donne en tout 182 individus, que je taxe à 500 francs, soit 91,000
Total de cette catégorie : fr. 388,000
3ème catégorie. Je reprends un vingtième de la population d’Anvers, Bruxelles, Gand, Liège ; un centième de la population des villes de 20 à 50 mille habitants, et le millième des villes de 10 à 20 mille habitants : je trouve 16,833 individus, que je taxe à 250 francs, soit 4,203,250.
4ème catégorie. Je reprends un dixième de la population des villes de 50 mille et au-dessus, 29,700
Un dixième de la population des villes de 20 à 50 mille, 18,200
Un centième de la population des villes de 10 à 20 mille, 1,630
Et le millième de toutes les villes de 1,000 habitants jusqu’à 5,000, 43
Plus le millième des districts ruraux, 3,110
Je trouve cinquante-deux mille six cent quatre-vingt-trois, que je taxe à 120 fr., fait 7,902,450.
Récapitulation.
- Personnel.
1 million d’individus, néant.
1 million à 1/3, 1,000,000
1 million à 2, 2,000,000
1 million à 3, 3,000,000
- Mobilière
1ère catégorie : 297,000
2ème catégorie : 388,000
3ème catégorie : 4,208,250
4ème catégorie : 7,902,450
Total : 18,793,700
- Patente sur les débitants de liqueurs spiritueuses par mesure au-dessous du double litre : 131,294
Total général : 18,924,994
Somme égale au montant de la contribution mobilière, patente, genièvre et bière, demandé par le budget des voies et moyens.
Observation.
Je ne descends pas au-dessous de la catégorie taxée à 150 fr. parce que toute la population au-dessous ne peut être considérée comme ayant du superflu ; elle sera d’ailleurs taxée dans la contribution que j’appelle personnelle.
Moyen d’exécution.
Répartition par le ministère entre les provinces en suivant les bases et catégories indiquées ; répartition par la députation des états entre les communes en suivant également lesdites bases et catégories.
Répartition entre les contribuables dans les communes par une commission composée d’un membre du conseil renouvelé chaque année, six répartiteurs dont trois seront nécessairement renouvelés aussi chaque année.
Exécution dans les districts ruraux : une commission composée de l’inspecteur et des contrôleurs du district ; à eux joint cinq bourgmestres, tirés au sort chaque année entre les communes du district.
Cette commission n’aura à s’occuper que de classer dans chaque catégorie le nombre de citoyens tiré par la députation provinciale : elle prendra en considération tous les moyens de fortune de chacun et le nombre des ayants-droit directs à cette fortune, c’est-à-dire les enfants.
Le renouvellement annuel de plus de moitié de la commission sera une garantie contre toute partialité. S’il se commet d’abord quelques erreurs, elles pourront être rectifiées l’année suivante, et je soutiens qu’il ne faudra pas cinq ans pour obtenir une matrice de rôle aussi exacte que possible pour la contribution mobilière.
Sans doute, il y aura quelques objections à faire à mon système, mais toutes les questions qui naîtront pourront se résoudre facilement.
Ceci ne doit être considéré que comme un canevas sur lequel toutes les imaginations pourront travailler.
En attendant, je voterai pour le budget des voies et moyens qui nous est présenté par le ministre des finances.
M. de Brouckere. - Messieurs, mon intention n’est pas de passer en revue tous les actes de chacun des ministères, ainsi que j’en aurais le droit, à propos du budget des voies et moyens. Je préfère remettre cette inspection à l’époque de la discussion du budget des dépenses, parce que alors chaque administration se présentera séparément et successivement à notre examen et même chaque partie de ces administrations. Je me bornerai a quelques observations relatives au ministère de la guerre.
Si je me suis décidé à les faire, messieurs, c’est que deux considérations importantes m’y ont déterminé. La première, c’est que parmi les observations que j’ai à soumettre à la chambre, il en est qui concernent le système de comptabilité admis par ce département, et que ces observations seraient tardives, si elles arrivaient après le commencement de l’exercice prochain.
La seconde considération c’est que le ministère de la guerre absorbe la moitié de nos ressources à lui seul, et qu’il est question de nouvelles allocations de fonds à lui faire. Or, je suis fâché d’avoir à le dire, le département de la guerre est celui où il règne le moins d’ordre et d’économie.
Remarquez, messieurs, qu’en m’exprimant de la sorte je suis encore très modéré. L’honorable M. d’Huart a dit il y a 4 ou 5 mois, dans un discours qui fit grande sensation à la chambre, que dans ce ministère on jetait l’argent. Je ne dirai pas qu’on le jette, ainsi que l’a si formellement déclaré M. d’Huart, mais je soutiendrai qu’on en dispose avec trop peu d’économie.
Commençons par examiner le système de comptabilité du département de la guerre. Ce système, selon moi, est fautif ; il est entaché d’un vice qui rend impossible, ou du moins très restreinte, l’action de contrôle qui doit être exercée par la cour des comptes. Je vais m’expliquer.
Les dépenses générales de l’administration de la guerre, depuis le 1er janvier jusqu’au 30 novembre, s’élèvent à 40,770,639 fr. 38 c. Eh bien, seulement 2,470,105 fr. 78 c. ont été soumis à l’examen préalable de la cour des comptes. 37,973,000 fr. ont été dépensés par la voie des intendants militaires sans vérification préalable, et enfin 324,933 fr. 38 c. ont été demandés sans que cette demande ait été appuyée de pièces comptables.
Ajoutez à cela que, sur les sommes mandatées avec demande de visa préalable, il y en a trois quarts pour dépenses fixes non sujettes à changements : les traitements, par exemple ; il en résulte que presque toutes les dépenses du ministère de la guerre esquivent le visa préalable ou le rendent sans effet.
Je ne pense pas, messieurs, qu’il soit nécessaire de mettre sous vos yeux la différence qui existe dans la valeur de l’examen de pièces avant le paiement ou après qu’il a été effectué. Cet examen, dans ce dernier cas, ne tend plus alors qu’à régulariser une dépense et est bien loin d’avoir le même effet.
Vous serez surpris, messieurs, de voir les dispositions de la loi du 30 décembre 1830 ainsi éludées et l’esprit de la constitution ainsi méconnu. Pour ceux qui n’auraient pas souvenir de cette loi de décembre 1830, je vais donner lecture de l’article 4. Voici comme cet article est conçu : « Aucune ordonnance de paiement n’est acquittée par le trésor qu’après avoir été revêtue du visa de la cour. »
Ainsi, messieurs, pour récapituler en deux mots ce que je viens de dire, sur ces fr. 40,770,039-38, il a été dépensé 37,975,000 par la voie des intendants militaires.
Et, messieurs, pour citer encore les paroles de l’honorable M. d’Huart, toujours dans le discours qu’il prononça il y a 4 ou 5 mois, je rappellerai qu’il dit que la marche était très vicieuse, parce que les intendants militaires se montrent trop faciles dans l’approbation des ordonnances de paiement au profit des chefs de corps. On en délivre quelquefois qui montent de 60,000 à 100,000 francs. C’est énorme. Que l’on se donne au moins la peine de voir si ces sommes sont nécessaires, ajoute M. d’Huart ; « mais ce sont des recherches que l’on ne fait jamais. »
Je pense bien que la cause de tout ceci sera attribuée aux exigences de l’époque. On dira que si la cour des comptes avait voulu s’opposer à ce que l’on procédât ainsi, que si la constitution et la loi de décembre 1830 avaient dû être sévèrement observées, cela aurait pu entraver la marche du service militaire.
Il a pu y avoir quelque chose de vrai dans ces allégations, les deux ou trois premières années de la révolution ; mais aujourd’hui que l’ordre doit régner dans l’administration militaire, rien n’est plus facile que de rentrer dans l’esprit de la constitution et de soumettre les dépenses du ministère de la guerre au visa préalable de la cour des comptes. La solde du soldat est peut-être la seule dépense qui nécessite la présence des écus avant le moment du paiement. Les armes, les habillements, les soldes d’officiers, le matériel, tout cela peut ne se payer qu’après que les pièces ou les titres auront été constatés et soumis à vérification.
Si M. le ministre de la guerre voulait suivre la marche que je viens d’indiquer, je crois qu’il remédierait par là à une foule d’abus, dont plusieurs, j’en suis certain, ne sont pas à sa connaissance et sont le fait de quelques-uns de ses subordonnés qu’il ne peut pas surveiller d’aussi près qu’il le désirerait.
Pour vous faire voir, messieurs, toute l’utilité du contrôle qu’exerce la cour des comptes, je vous dirai que bien que, dans l’état actuel des choses, ce contrôle soit très imparfait, les réductions faites par la cour des comptes depuis 1830 jusqu’à la fin de 1832 dans les revues générales de comptabilité des corps se sont élevées à la somme de 160 mille francs.
C’est une véritable économie que nous lui devons. Vous pouvez juger par là quelles eussent été les économies qu’elle eût pu faire, si toute la comptabilité du ministère de la guerre avait été tenue d’une manière régulière, comme le prescrivent les dispositions de la loi fondamentale et la loi organisatrice de la cour des comptes.
Messieurs, il est extrêmement essentiel de ne pas protéger l’art de faire des pièces.
Il faudrait que les soins les plus actifs fussent apportés par ceux qui sont appelés à gérer les finances, pour assurer la concordance des faits avec les pièces à l’appui. Dans la comptabilité de l’armée, il est presque impossible d’acquérir quelque certitude à cet égard. J’engage M. le ministre de la guerre à prendre des mesures, s’il le peut, avant le 1er janvier, afin qu’à l’avenir tout ce qui concerne la comptabilité de son administration marche avec la régularité introduite dans la comptabilité des autres départements.
Je passe à un autre objet toujours relatif au ministère de la guerre, et qui est d’une très haute importance. Passé quelque temps, l’on a signalé à M. le ministre des finances un abus extrêmement grave. Cet abus consiste en ce que la plupart des corps de l’armée sont redevables de sommes considérables envers l’Etat. J’ai sous les yeux le tableau de toutes ces dettes ; je vois qu’elles s’élèvent à une somme de plusieurs millions ; je vois un seul régiment dont la dette est de 558,107 fr. Les dettes de plusieurs autres corps s’élèvent à 300 mille et des francs.
L’on a fait voir à la session dernière, et M. le ministre des finances actuel lui-même, a montré tous les abus, ou du moins une grande partie des abus qui résultent d’un semblable état de choses.
Mais je crois pouvoir en signaler dont la chambre n’a pas eu connaissance jusqu’ici. Les régiments qui ont des dettes aussi considérables envers l’Etat, les remboursent au fur et à mesure qu’ils peuvent le faire. Mais toutes les sommes qui rentrent sont des ressources dont le ministre de la guerre dispose selon sa volonté, sans se soumettre à aucun contrôle préalable.
Comme la chose est grave et qu’on pourrait douter de sa véracité, je vais citer un fait qui prouvera combien il est urgent de faire cesser cet abus.
Le département de la guerre a transmis à la cour des comptes, depuis peu, deux demandes de paiement, montant ensemble à 75,794 fr. 75 c. émises au profit du conseil d’administration du premier régiment d’infanterie, en remboursement des avances de fonds faites par ce corps pour le service des troupes françaises de l’armée du nord pendant le siége de la citadelle d’Anvers. L’une de ces demandes est faite à l’effet de couvrir une perte résultant de la différence des prix auxquels les fourrages fournis à l’armée française ont été achetés, et de ceux auxquels ces fournitures ont été remboursées par le gouvernement français.
Je vais m’expliquer plus clairement. Le gouvernement belge, au moment où l’armée française est entrée en Belgique, a fait des avances pour que cette armée fût approvisionnée de tous les fourrages nécessaires. Cette somme devait nous être remboursée entière ; mais, je ne sais pourquoi, le gouvernement français ne l’a remboursée qu’en partie. Que fait le ministre de la guerre ? Une petite ordonnance de paiement sur le premier régiment d’infanterie, à qui il fait payer ce que n’a pas voulu payer le gouvernement français.
Le ministre de la guerre s’adresse ensuite à la cour des comptes pour faire régulariser cette ordonnance de paiement faite sur le premier régiment d’infanterie. Assurément c’est là une manière d’agir que je ne qualifierai que d’irrégulière, mais que la chambre entière trouvera très extraordinaire.
L’autre demande avait pour objet le remboursement intégral de prestations faites par des communes à l’armée française.
M. le ministre de la guerre était embarrassé pour rembourser aux communes le prix de certaines prestations faites à l’armée française. Au lieu de suivre la voie tracée par la loi organisatrice de la cour des comptes, de s’adresser à cette cour avant d’opérer aucun paiement, il mandate sur la caisse d’un régiment et s’adresse ensuite à la cour des comptes pour régulariser le paiement.
Je crois qu’il serait difficile de prouver que c’est ainsi qu’on doit procéder en bonne comptabilité. Et je suis persuadé qu’il me suffira d’avoir relevé ces irrégularités pour que le ministre de la guerre prenne des mesures afin qu’elles ne se représentent plus.
Mais il résulte un autre abus de cette habitude contractée de ne pas exiger des régiments le prompt remboursement de ce qu’ils doivent à l’Etat : les régiments traînent derrière eux des caisses contenant des sommes bien plus considérables que ce ne serait nécessaire à leurs besoins. La conséquence de cela a été que, dans la campagne du mois d’août 1831, un seul régiment a perdu une caisse contenant 62,000 fr., et cette somme a été perdue pour l’Etat. Je le demande, à quoi bon qu’un régiment ait en caisse une somme 62,000 fr. ? Une somme de 6 ou 8 fois moins grande ne suffirait-elle pas à tous les besoins imaginables ?
Je passe à un troisième objet dont il a déjà été question dans la chambre ; je veux parler des comptes des hôpitaux.
Vous savez, messieurs, que M. le ministre des finances, sur l’interpellation qui lui a été adressée, a reconnu que les comptes des hôpitaux n’étaient soumis à aucun contrôle. Le boni de ces administrations s’élevait, il y a 4 mois, de l’aveu de M. le ministre de la guerre lui-même, à une somme de plus de cent mille francs, somme dont on pouvait disposer au ministère de la guerre, sans qu’aucun contrôle, aucune critique même fussent possibles. M. le ministre de la guerre a reconnu ce vice ; il a promis d’y apporter un prompt remède : « Comme je désire par dessus tout, disait-il que mon administration soit contrôlée dans toutes ses parties, je ne m’oppose pas à ce que le boni des hôpitaux soit soumis au contrôle de la cour des comptes, non seulement en ce qui concerne la comptabilité de l’exercice courant, mais même pour l’exercice 1831. » Je rappelle à M. le ministre de la guerre sa promesse, en le priant de vouloir bien nous dire s’il l’a tenue. Dans le cas où il n’en serait pas ainsi, je le prierais de vouloir bien régulariser cette partie de son service, avant le commencement de l’exercice 1835.
Enfin j’arrive à un dernier objet qui concerne le ministère de la guerre : ce sont les gratifications et indemnités qui s’accordent assez fréquemment. Quand un officier se retire du service, on lui accorde, selon qu’on lui veut plus ou moins de bien, 2, 3 ou même 4 mois de solde comme gratification. Quand on pense que certaines troupes ont rendu des services plus ou moins particuliers qui ne rentrent pas dans les occupations journalières du soldat, on les récompense en les gratifiant de quelques journées de solde.
Nous avons vu il n’y a pas longtemps, une garnison entière recevoir une gratification de 5 jours de solde. Cependant je lis dans la constitution (art. 114 ) : « Aucune pension, aucune gratification, à la charge du trésor public, ne peut être accordée qu’en vertu d’une loi. »
J’ai recherché s’il existait une loi qui permît à M. le ministre de la guerre d’accorder des gratifications, des indemnités ; je ne l’ai pas trouvée. Il serait possible néanmoins que cette loi existât ; je prierai dans ce cas M. le ministre de la guerre de vouloir bien nous l’indiquer, parce que si cette loi accordait une latitude trop grande au gouvernement, il serait du devoir de la chambre de prendre des mesures afin d’empêcher le gouvernement d’abuser de cette trop grande latitude.
Je borne ici mes observations en ce qui concerne le ministère de la guerre ; ce n’est pas que je n’en aie encore à faire, mais je réserve de les présenter lors de la discussion du budget de ce département. Ainsi que je l’ai dit, je me suis restreint aux observations que je n’ai pas cru possible de différer, parce que la plupart portent sur des objets dont il est important de s’occuper avant le commencement de l’exercice 1835.
J’ai entendu plusieurs honorables membres qui ont déjà exprimé leur opinion quant à la demande faite par M. le ministre des finances de 10 centimes additionnels sur toutes les contributions. Pour moi, je ne m’expliquerai pas en ce moment sur ce point, parce que je ne le crois pas en discussion. Vous avez renvoyé cette proposition à une commission. La chambre ne pourra s’en occuper en connaissance de cause que lorsqu’elle aura entendu le rapport de cette commission.
Si la perception de centimes additionnels est nécessaire pour la défense ou pays, je les voterai sans difficulté ; mais il faudra cependant que le ministère donne des explications sur l’usage qu’il pourra en faire plus tard, il faudra que l’on dise à quelles conditions on pourra en disposer. Je ne pense pas que vous vouliez voter 7 ou 8 millions d’impôt extraordinaire, en donnant au gouvernement la faculté d’en user comme il l’entendra.
Ces observations ne sont que préalables, je m’expliquerai plus tard sur ce point. Si les explications données par le gouvernement me déterminent à voter cette somme, ce ne sera jamais cependant sans éprouver du regret que je consentirai à surcharger le pays d’une contribution extraordinaire.
J’ai vu avec plaisir le budget des voies et moyens diminué de trois millions, quoique les économies pussent, je crois, être poussées plus loin ; car dans un pays voisin, en Hollande, les économies vont presque au triple de cette somme ; en Hollande, où l’on prétend cependant qu’il se fait des armements extraordinaires, les économies montent à 4,030,000 florins ; elles se répartissent comme suit :
Affaires étrangères, fl. 170,000
Marine, fl. 1,750,000
Finances, fl. 1,000,000
Traitements d’attente, fl. 100,000
Guerre, fl. 1,000,000
Total, fl. 4,020,000.
Je n’abuserai pas plus longtemps des moments de la chambre ; je me réserve de m’expliquer ultérieurement, c’est-à-dire lorsque la chambre discutera le budget de la guerre.
M. Dumortier. - Si je prends la parole, ce n’est pas pour prolonger la discussion générale, déjà trop longue, du budget des voies et moyens, c’est pour répondre quelques mots à ce qu’a dit un honorable membre, l’honorable député de Turnhout que je regrette de ne pas avoir vu assister à la discussion de la loi communale, et qui a censuré les votes que la chambre a émis sur quelques articles de cette loi. Suivant cet honorable membre, on aurait eu tort de laisser à la commune la nomination du secrétaire.
M. Rogier. - Vous vous trompez, je n’ai pas dit cela.
M. Dumortier. - Vous l’avez dit ; vous avez dit plus fort que cela. Vous avez déclaré que nous avions tort de donner des libertés à la commune. Vous avez reproché à la chambre de donner une indépendance absolue à la commune. Eh bien, messieurs, il n’y a pas un membre dans la chambre qui veuille soustraire la commune à tout contrôle, qui veuille lui donner l’indépendance absolue. Les libertés de la commune se réduisent à bien peu de chose, puisque sur la demande de l’honorable préopinant lui-même la chambre a accordé au gouvernement le droit de nomination des bourgmestres et des échevins, le droit de destituer ad libidum ces fonctionnaires, tous votes sur lesquels la chambre reviendra, je l’espère.
C’est en présence de tels votes qu’on ose vous reprocher d’établir l’anarchie en donnant trop de libertés aux communes. Personne, je le répète, et je parle ici d’après mes propres sentiments, ne veut l’indépendance de la commune. Nous voulons que le pouvoir ne soit pas isolé. Nous voulons qu’il gouverne. Mais nous différons avec le préopinant sur la manière dont il doit gouverner.
Le préopinant ne trouve de garantie d’ordre que si l’on donne au pouvoir central le droit de nommer les fonctionnaires. Nous, nous voulons que le gouvernement soit fort sur les actes de la commune. Qu’il soit puissant sur ces actes ; mais qu’il n’ait pas de pouvoir relativement aux personnes.
Quant au fait cité par l’honorable préopinant contre le système que la chambre fait prévaloir dans la loi communale, il serait plutôt contre le système de centralisation qu’il préconise. Il a cité une localité où le bâtiment de l’école sert en même temps de corps-de-garde, de sorte que d’un côté sont les filles et garçons dans l’école, de l’autre les soldats dans le corps de garde. Personne ne peut s’empêcher de déplorer un tel système ; mais je demanderai quelle autorité approuve les dépenses communales. Les administrations communales font-elles donc ces dépenses sans contrôle ? Non ; le gouvernement autorise toutes leurs dépenses. Ainsi, le fait cité, au lieu de prouver contre la commune, prouve contre le gouvernement qui permet de tels abus.
On a dit que depuis 20 ans, dans une commune ; le conseil de régence tenait ses séances dans un grenier, de telle sorte que l’honorable préopinant a été forcé de monter par une échelle pour assister aux délibérations du conseil de régence. (Hilarité.) Il est parti de cette déclaration pour blâmer les libertés données aux communes. (Nouvelle hilarité.)
M. Rogier. - Je demande la parole.
M. Dumortier. - Messieurs, que prouve ce fait ? Il prouve que pendant que le gouvernement a eu le droit de nomination des bourgmestres, des échevins, des secrétaires, il a toléré des abus réels, puisque depuis 20 ans, un conseil de régence tient ses séances dans un grenier. Si le gouvernement a été impuissant pendant 20 ans pour empêcher l’abus qu’on signale ici, c’est que peu de gouverneurs montent à l’échelle pour assister aux séances des conseils communaux ; c’est que le contrôle de l’autorité supérieure n’est pas très grand : le contrôle qui vient d’en bas, le contrôle des citoyens de la commune sera, soyez-en sûrs, plus efficace que celui de l’autorité supérieure.
On a parlé d’autres abus encore. Mais ces abus existent depuis 20 ans. S’ils ont existé sous l’empire du système de centralisation que l’on préconise, alors que le gouvernement avait la nomination des bourgmestres des échevins et des secrétaires ; si le gouvernement a été impuissant pour faire cesser de tels abus, il devient nécessaire de recourir à un autre système, à celui que la chambre a adopté.
C’est donc à tort que l’on a critiqué le vote émis par cette assemblée, que l’honorable préopinant a critiqué le vote émis par cette assemblée dans une séance à laquelle il n’assistait pas. Je regrette qu’il ne s’y soit pas trouvé ; mais je crois qu’il aurait été impuissant pour changer le vote de la chambre, dont la décision a été patriotique, comme elle l’est presque toujours.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) - La séance est trop avancée pour que je puisse entrer dans les explications auxquelles doivent donner lieu les observations présentées par l’un des honorables préopinants. Je me bornerai donc à faire un simple résumé des quatre objets qu’il a traités dans son discours.
Le premier est relatif au mode de comptabilité suivi au ministère de la guerre, mode d’après lequel la majorité des dépenses effectuées par ce département ne serait pas soumise au contrôle préalable de la cour des comptes.
On suit à cet égard la marche prescrite par les règlements militaires, et je défie de faire autrement que l’on n’a fait jusqu’à présent : je donnerai, à cet égard, les explications les plus détaillées, pour prouver qu’il ne peut en être autrement, et la cour des comptes elle-même l’a tellement bien senti, qu’un des articles de son règlement sanctionne la marche suivie jusqu’à présent, marche tracée par les règlements, et dont la nécessité a été généralement reconnue par tous les gouvernements même constitutionnels.
Sur la somme de 45 millions à laquelle s’élève le budget de la guerre pour 1834, 38 millions sont affectés à la solde des troupes de toute arme ; 7 millions affectés aux autres dépenses de la guerre se paient sur des mandats spéciaux envoyés à la cour des comptes avec les pièces à l’appui des ordonnances.
Pour avoir toujours les fonds nécessaires à la solde de la troupe, les corps dressent le 15 de chaque mois un état approximatif des dépenses du mois suivant ; cet état est vérifié par l’intendant militaire chargé de l’administration du corps et de la tenue de ses contrôles. Cet intendant l’adresse au ministre de la guerre ; celui-ci le renvoie avec ses observations à la cour des comptes qui vérifie si la demande est fondée. La cour des comptes renvoie les pièces le 25 du mois avec ses observations. C’est d’après les observations de la cour des comptes, et son visa sur le quantum des crédits juges nécessaires, qu’il est ouvert des crédits aux intendants militaires pour assurer le service du mois suivant.
Ainsi la cour des comptes appose toujours son visa préalable sur les crédits qui sont mis à la disposition des intendants ; et c’est sur ces crédits que les intendants militaires mettent à la disposition des corps les fonds dont ils ont besoin pour le mois suivant, et dont ils ont fixé le quantum pour chaque nature d’allocation, ainsi que le ministre, ainsi que la cour des comptes l’eut aussi reconnu, d’après les demandes produites et la vérification qui en a été faite. Toutes les autres dépenses ne peuvent être faites qu’après avoir été soumises au visa de la cour des comptes, et jamais on ne s’est écarté de ces règles.
Quant aux paiements effectués aux corps par suite de leurs demandes et des crédits qui leur sont ouverts, ce n’est que sur les revues ministérielles des intendants, vérifiées au département de la guerre, et arrêtées par la cour des comptes que ces paiements entrent comme recette définitive dans l’établissement de ces revues, qui constituent les droits à toute espèce d’allocation fixée par les règlements militaires.
Lorsque je fus chargé de l’administration de la guerre en mai 1832, il n’existait pas de revue arrêtée sur les exercices précédents. Comme je savais que les revues trimestrielles sont la base de toute bonne comptabilité, et même qu’elles font la base unique de l’administration militaire, mon premier soin fut d’entreprendre ce grand travail et de nommer des intendants, qui en furent spécialement chargés.
Le résultat de l’organisation de ce service a été tel qu’il a surpassé mes espérances. Dans aucun pays, ni en France, ni sous le régime hollandais, le travail des revues n’a été fait aussi régulièrement. Toutes les revues trimestrielles ont été arrêtées par les intendants, vérifiées au ministère, contrôlées à la cour des comptes pour les exercices 1830, 1831, 1832 et 1833, non seulement pour toutes nos troupes de ligne, mais encore pour le nombre considérable des corps hors ligne, volontaires, tirailleurs, corps francs, gardes civiques sédentaires, gardes civiques mobilisés ; et tous les comptes sont définitivement apurés.
Pour l’année 1834, les deux premiers trimestres sont à la cour des comptes ; le troisième trimestre est prêt à y être envoyé.
Au 1er janvier 1832, les corps recevaient 13 millions à l’Etat. Dans les 15 premiers mois de leur organisation, ils ont touché du trésor 13 millions de plus qu’il ne leur revenait d’après les comptes qui ont pu être dressés depuis l’établissement des revues trimestrielles. La raison en est simple, et je vais vous l’expliquer ; mais je me hâte de vous annoncer qu’au moyen des retenues que j’ai opérées, et des versements volontaires que j’ai provoqués, cette dette se trouvait réduite au 1er juillet de cette année à la somme de 4.993,000 fr. J’espère qu’elle se réduira de 600,000 dans le second semestre de cette année, et que les corps, en 1835, auront remboursé la moitié de ce qu’ils redevront au 1er janvier de ladite année.
Je viens maintenant aux explications à donner sur les causes qui ont pu rendre les corps redevables envers l’Etat, de 13 millions au 1er janvier 1832 : c’est qu’en Belgique les règlements ne leur accordent aucune allocation pour l’habillement des hommes, tandis qu’en France, en Autriche on alloue 100 francs par chaque homme de recrue pour son habillement. Ici le corps habille et doit en être remboursé successivement par des retenues faites aux hommes. Quand on a organisé l’armée il a fallu dépenser onze millions pour l’habillement des recrues ; il y avait pour 2 millions 460 mille francs d’effets en magasin ; c’est là ce qui compose les 13 millions que les corps ont été obligés de dépenser en sus de leurs allocations, sauf à en tenir compte à l’Etat sur les exercices subséquents.
Sachant que cette question paraissait importante à plusieurs représentants, j’en ai fait l’objet d’un rapport circonstancié je l’ai présenté à la section centrale chargée de l’examen du budget de la guerre ; j’en déposerai demain le double sur le bureau de la chambre ; je désirerais que ce rapport fût imprimé et distribué afin que MM. les représentants aient les moyens de bien connaître et de bien juger cette question que je crois avoir présentée avec clarté et avec tous les éléments qui peuvent servir à son examen.
Je passe maintenant à une autre observation faite par l’honorable préopinant. J’ai pris envers la chambre l’engagement de soumettre à la cour des comptes les comptes des hôpitaux ; aussi après avoir fait cette promesse j’ai préparé tout ce qu’il fallait pour les mettre en état de passer au visa de la cour des comptes, et dans les premiers jours de novembre j’ai annoncé à cette cour que je pouvais fournir les comptes des hôpitaux sédentaires et temporaires, depuis le 1er octobre 1830 ; la cour ne m’a pas encore répondu ; j’ai appris que c’était dans sa séance d’hier mardi, qu’elle devait prendre une décision relativement à ma proposition. Je tiens à ce qu’elle veuille bien contrôler ces comptes qui sont établis avec beaucoup d’ordre, et dans lesquels on reconnaîtra le résultat des économies que j’ai apportées dans leur administration.
Je viens maintenant, messieurs, à un autre article qui exigerait plus de développement que je ne puis en donner en ce moment, et qui concerne la dette d’un des régiments, le 1er de ligne.
J’ai effectivement prélevé sur la caisse de ce corps qui est en garnison à Bruxelles, les fonds nécessaires pour compléter le payement des prestations faites par les communes à l’armée française, qui est venue en Belgique à la fin de 1832 pour faire le siège de la citadelle d’Anvers.
J’avais fait une convention avec l’intendant-général de cette armée pour lui faire fournir les vivres, fourrages, moyens de transport, etc., sous la condition expresse d’en être exactement remboursé et aux prix convenus dans cette convention en date du 16 octobre 1832 : les 5/6 de la dépense devaient être payés comptant sur la remise des pièces, et le dernier sixième, lors de la liquidation définitive qui devait avoir lieu au ministère de la guerre à Paris ; ce n’est qu’au mois de juin dernier que cette liquidation a pu être terminée.
La France redevait encore le sixième de la dépense montant à 300,000 fr. ; mais elle a fait entrer en compensation une somme de 44 mille francs à laquelle ont été évalués les effets du matériel du génie laissés après le siège. Ces effets trop lourds pour être transportés en France sont restés en place et j’étais loin de m’attendre, je l’avoue, que la France exigerait le remboursement de la valeur ou plutôt qu’elle la décompterait sur ce qui nous restait dû.
J’ai fait vendre une partie de ces effets, le prix en est entré dans les caisses de l’Etat. L’autre a été employé à la construction des nouveaux forts de l’Escaut, rétablis sur les anciens forts de Lacroix sur la rive droite, et de Ste-Marie sur la rive gauche de ce fleuve.
Relativement à l’autre somme de 31,000 francs que je réclame pour la différence du prix des fourrages je dois en indiquer le motif.
J’avais demandé le remboursement du prix des fourrages que je fournirais à l’armée française, au prix même où je les achèterais ; tout ce qui a été fourni à la troupe, entrée d’abord en Belgique, a été au prix convenu et remboursé au taux fixé, de sorte qu’il y a eu exacte compensation entre ces dépenses et leur remboursement. Mais, dans le courant du siège, il est arrivé une division de grosse cavalerie ; je n’avais pas passé de marchés dans le pays qu’elle vint occuper entre la Lys et l’Escaut, et les fourrages ayant augmenté de prix, ces troupes se sont fait fournir des fourrages par les régences. Dans quelques villes cependant, je pus passer des marchés, mais à des prix supérieurs à ceux que j’avais pu obtenir au mois d’octobre, par suite de surcharges de prix de denrée. Mais, sur un service de trois à quatre cent mille francs, le gouvernement français n’a voulu payer le montant de ces prestations, que conformément au prix des premiers marchés. Et la Belgique a perdu de cette manière 31 mille francs.
Ce sont ces sommes-là que j’ai demandées à la cour des comptes en lui donnant les plus grands détails sur cet objet, et qui la convaincront, je l’espère, de la nécessité de me couvrir de ces deux avances que j’ai fait faire pour satisfaire aux justes réclamations des communes qui, n’entrant pas dans les difficultés que j’éprouvai pour recevoir le solde dû par la France, me demandaient le payement de ce qui leur était si légitimement dû.
J’aborde, messieurs, le dernier article relatif aux indemnités et gratifications.
J’avoue que je ne connais pas de loi qui autorise un ministre à en accorder. Mais il est des circonstances où elles sont utiles et même indispensables. Des officiers pour des causes différentes demanderont leur démission. Ils doivent à leurs corps. Suivant la proposition des généraux ou de chefs de corps, on leur accorde un, deux ou trois mois de solde. Si ce sont de mauvais officiers, je ne le regrette pas, non plus que les un, deux ou trois mois de solde qui leur ont été donnés.
J’avoue encore que j’ai fait accorder une indemnité de cinq jours de solde pour les troupes qui sont venues extraordinairement à Bruxelles. Cette indemnité avait été sollicitée par les chefs de corps qui alléguaient le déplacement et les fatigues extraordinaires du soldat pendant le temps où sa présence a été nécessaire dans cette ville et les dépenses qui en étaient résultées à la charge du soldat.
Je me réserve lors de la discussion du budget de la guerre, d’entrer dans tous les détails qui pourront être relatifs aux objets que je viens de traiter sommairement.
- Plusieurs membres. - A demain ! à demain !
M. de Brouckere. - Je prie M. le ministre de la guerre de vouloir bien assister à la séance de demain ; car on reviendra nécessairement sur les objets traités aujourd’hui. Il n’entre pas dans ma manière d’agir de prendre la parole dans une discussion qui touche un ministre, quand ce ministre est absent. On se rappelle, qu’hier j’avais droit à la parole, et que j’y ai renoncé à cause de l’absence de M. le ministre de la guerre. J’insiste donc pour que M. le ministre veuille bien se rendre demain à la chambre.
- La séance est levée à 4 heures et demie.