(Moniteur belge n°343, du 9 décembre 1834)
(Présidence de M. Raikem.)
La séance est ouverte à une heure 3/4.
M. de Renesse procède à l’appel nominal.
M. Brixhe donne lecture du procès-verbal de la séance d’avant-hier.
M. de Puydt. - Je viens réclamer contre l’insertion de mon nom dans le Moniteur au nombre des membres absents par suite de l’appel nominal fait à la fin de la dernière séance.
Quand on a pris part aux travaux de la section centrale depuis 10 heures jusqu’à 5 heures et demie, et qu’on ne s’est absenté que momentanément, il serait injuste qu’on fût signalé comme n’ayant pas été présent à la séance.
Je conçois que l’on blâme les députés qui restent dans leur province et qui négligent de remplir leur mandat. Mais le blâme ne peut atteindre ceux qui ne s’absentent momentanément des séances que pour s’occuper des travaux de la chambre.
Je demande l’insertion de ma réclamation au procès-verbal.
M. Jadot. - L’observation que vient de faire l’honorable M. de Puydt m’est applicable en tout point : comme lui je suis entré en section à dix heures et n’ai quitté la séance qu’à trois et demie. Je puis assurer que depuis l’ouverture de la session je n’ai pas manqué aux travaux de la chambre pendant quatre heures. Je doute que M. Eloy de Burdinne puisse en dire autant.
Je proteste en outre contre une délibération prise par 45 membres pour signaler 55 de leurs collègues comme négligents. C’est un acte que la minorité n’a pu se permettre.
M. Cornet de Grez. - J’ai vu également mon nom dans la liste des absents insérée au Moniteur. Cependant j’ai assisté à la séance depuis 1 heure jusqu’à 4 heures et demie. Je ne me suis retiré que parce que j’ai vu que la chambre n’était plus en nombre et que j’ai pensé dès lors qu’aucune décision ne pouvait être prise. Je demande que mon observation soit insérée au procès-verbal.
M. F. de Mérode. - Je pense qu’il faut insérer toutes ces réclamations au procès-verbal et n’en plus parler. (On rit.)
M. Eloy de Burdinne. - Je demande la parole pour un fait personnel.
- Plusieurs membres. - L’ordre du jour.
M. Eloy de Burdinne. - Lorsque j’ai demandé l’appel nominal dans la séance d’avant-hier, mon intention n’a été nullement d’inculper les membres qui ne suivent pas exactement les séances de la chambre. Si M. Jadot assiste régulièrement aux séances, ce reproche, eût-il été fait, ne l’atteindrait pas. Quant à moi dont on a parlé, je puis assurer que je ne manque pas aux séances et moins peut-être que M. Jadot.
- Plusieurs membres. - L’ordre du jour.
M. le président. - Les observations qui ont été faites ne tendant pas à contester l’exactitude du procès-verbal de la précédente séance, s’il n’y a pas d’opposition, je le déclare adopté.
Les réclamations de MM. de Puydt, Jadot et Cornet de Grez seront insérées dans le procès-verbal de la séance d’aujourd’hui.
M. de Renesse fait connaître l’analyse de la pétition suivante.
« Le sieur de Mercx, général de brigade en non-activité, renouvelle sa demande de suppression de la haute cour militaire. »
M. Fallon. - Comme cette pétition se rattache au budget de la justice et que la section centrale s’en occupe, je demande qu’elle lui soit renvoyée.
- La pétition est renvoyée à la section centrale chargée de l’examen du budget de la justice.
Il est donné lecture d’une lettre de M. le ministre des finances, accompagnant l’envoi d’une expédition d’un arrêté royal du 26 du mois dernier, qui nomme M. Aldefonse Dujardin, secrétaire-genéral par intérim du ministère des finances, commissaire du Roi, à l’effet de soutenir devant les chambres la discussion des budgets et des lois des finances.
M. le président. - Par une lettre adressée à l’un de MM. les secrétaires de la chambre, M. Gendebien fait savoir que des motifs de famille l’empêchent de se rendre à son poste.
Dans cette même lettre, M. Gendebien fait ensuite connaître en le motivant le vote qu’il se proposait d’émettre sur l’objet à l’ordre du jour, et demande qu’il en soit fait part à la chambre. Comme il n’y a aucun précédent sur ce point, le bureau a cru devoir consulter l’assemblée à l’effet de savoir s’il y a lieu de donner lecture de cette partie de la lettre de notre honorable collègue.
M. de Robaulx. - Y a-t-il du danger à cette lecture ? Si elle n’offre pas de danger, je ne vois pas pourquoi l’on s’y opposerait.
M. de Brouckere. - Personne ne s’y oppose.
M. de Robaulx. - Jamais l’on n’a refusé la lecture d’une pétition, à moins que ses termes ne fussent irritants, inconvenants, et qu’il ne fût par conséquent impossible de la lire. Dès lors comment supposerait-on à la lecture de la lettre d’un député, à qui l’on doit rendre cette justice qu’il ne se sera pas écarté des convenances à l’égard de ses collègues, comme l’observation de M. le président pourrait peut-être le faire supposer ?
M. le président. - Je ferai observer à M. de Robaulx que je ne suis dans cette circonstance que l’organe du bureau qui se charge de consulter la chambre.
M. Liedts. - Je suis loin de m’opposer à la lecture de la lettre de M. Gendebien ; mais je conçois fort bien les scrupules de M. le président et du bureau. La question est de savoir si un membre de la chambre peut lui faire connaître son opinion par écrit, si par suite les membres de la chambre qui ne se rendent pas à leur poste, pourront de leur province nous envoyer des discours écrits. Je trouve que le bureau fait fort bien de consulter l’assemblée sur ce point.
M. de Brouckere. - Je pense ainsi que l’honorable préopinant qu’il n’y a pas le moindre reproche à adresser à M. le président ; je pense qu’il a agi avec prudence, avec circonspection, en consultant l’assemblée. Mais je ferai remarquer qu’à moins de dire que la lettre est inconvenante, ce que je suis loin de penser, on est obligé d’en donner lecture. Je crois au reste que cette lecture ne rencontre aucune opposition.
M. Jullien. - Je demanderai si la lettre est adressée à l’un de MM. les secrétaires.
M. de Renesse. - La lettre m’est adressée en ma qualité de secrétaire de la chambre.
M. Jullien. - Dès lors il ne peut y avoir de difficulté. On adresse une lettre à l’un de MM. les secrétaires pour qu’il en soit donné communication à la chambre. A moins de considérations particulières, je ne sais donc pas ce qui peut empêcher qu’on donne lecture de la lettre de l’honorable M. Gendebien. Je suis néanmoins de l’avis des honorables préopinants, et j’approuve comme eux les scrupules qui ont porté M. le président et le bureau à consulter l’assemblée.
M. Dubus. - Les scrupules du bureau ne sont pas venus de ce que la lettre a été adressée à l’un de MM. les secrétaires, au lieu d’être adressée à M. le président ; le bureau a eu bientôt passé sur cette question de forme. Mais la question soulevée est une question de règlement. Il s’agit de savoir si un membre de la chambre, outre le droit qu’il a de voter quand il est présent, a celui, lorsqu’il est absent, d’adresser à la chambre son opinion écrite et d’exiger qu’elle soit lue à la chambre. Comme il n’y a pas à cet égard de précédents, le bureau n’a pas voulu trancher la question, et a cru devoir la soumettre à la chambre. Maintenant que l’on sait quels ont été les motifs des scrupules du bureau, et que l’on voit qu’ils ne sont nullement fondés sur ce que la lettre lui aurait paru rédigée en termes inconvenants, l’on trouvera sans doute que le bureau a eu raison.
M. de Brouckere. - Oui, certainement.
M. Dubus. - La question ne s’était pas présentée et par conséquent n’avait pas encore été décidée par la chambre. Ce que vous déciderez formera un précédent. Dans le cas où la lecture de la lettre sera ordonnée, les députés sauront qu’ils ont le droit d’adresser à la chambre leur opinion écrite pour qu’il lui en soit donné lecture.
M. Jullien. - J’aurai l’honneur de faire observer que le préopinant se trompe lorsqu’il dit qu’il n’y a pas de précédent. Je me rappelle que dans une discussion importante qui a eu lieu dans le cours de la session dernière, M. Seron a envoyé à M. Gendebien son opinion écrite, et que celui-ci en a donné lecture à la chambre sans que cela ait souffert aucune difficulté. Voilà un précédent. Personne d’ailleurs ne s’oppose à la lecture de la lettre, elle doit donc avoir lieu.
M. F. de Mérode. - S’il n’y a pas d’inconvénients à ce que l’on lise la lettre de M. Gendebien, je ne m’y oppose pas. Mais voici le résultat que cela peut avoir : il arrivera peut-être que des membres de la chambre, trouvant plus commode de s’absenter, nous enverront des lettres exprimant leur opinion, et se dispenseront ainsi de l’exprimer eux-mêmes, en venant assister aux séances.
M. de Brouckere. - L’honorable M. Jullien vient de dire qu’il y a des précédents, et il a eu, ce me semble, raison. Je demanderai à la chambre la permission de lui citer un exemple ou deux qui prouvent que déjà des membres absents ont fait connaître à l’assemblée leur opinion par écrit.
L’an passé, l’honorable M. Corbisier a dû quitter la séance ; il m’avait confié un discours qu’il avait préparé ; la chambre m’a engagé à lui en donner lecture ; c’est ce que j’ai fait.
Dernièrement M. Davignon, n’étant pas présent à une discussion, a envoyé par lettre son opinion motivée, et l’on n’a trouvé aucun inconvénient à ce qu’il fût donné lecture de cette lettre.
Maintenant l’on parle des inconvénients que ce procédé peut offrir plus tard : quand il en sera ainsi, nous cesserons de lire les lettres que l’on nous adressera. Mais puisqu’à cette manière de faire n’a jusqu’ici présenté aucun inconvénient, je ne vois pas pourquoi nous nous refuserions à entendre la lecture de la lettre dont il s’agit.
Je ne sais pas même si ce ne serait pas manquer à notre honorable collègue que de commencer par lui, et à propos de la lettre qu’il envoie, de refuser pour la première fois d’entendre la lecture de l’opinion écrite d’un membre de la chambre. Ce serait presque supposer que sa lettre manque aux convenances, tandis qu’assurément personne de nous n’a pu croire qu’elle contient rien d’inconvenant. Je pense donc qu’aucun de mes collègues ne voudrait qu’une telle mesure fût prise vis-à-vis de l’honorable M. Gendebien ; et je vois avec plaisir qu’aucun d’eux en effet ne s’est opposé à ce qu’on donnât lecture de sa lettre.
M. A. Rodenbach. - Je ne veux pas m’opposer à la lecture de la lettre ; mais puisqu’on a parlé d’antécédents, j’ai quelques observations à présenter.
Les antécédents que l’on rappelle sont relatifs à des discussions de projets de loi ; il n’y a pas d’exemple qu’on ait rien envoyé à la chambre sur des lois votées.
La lettre, objet du débat incident, peut donc être lue ; je le répète, je ne m’y oppose pas ; mais je demande que cette lecture n’établisse pas un précédent, un droit. Ici, nous ne votons pas, comme en Angleterre, par procuration.
M. de Robaulx. - On n’examine pas assez attentivement la question relative à l’établissement d’un précédent ; je veux présenter quelques réflexions sur cette question. De ce qu’on lira la lettre de M. Gendebien, ce n’est pas une raison pour qu’on lise toutes celles que pourraient nous envoyer nos collègues. Vous pouvez faire ou ne pas faire tout ce qui ne vous est pas interdit par votre règlement, donc vous pouvez lire ou ne pas lire la lettre d’un membre de la chambre. Les pétitionnaires, en vous envoyant leurs mémoires, courent bien, eux, la chance de les faire lire ; pourquoi nos collègues ne courraient-ils pas aussi la chance de faire lire leurs lettres ?
Je demanderai surtout pourquoi on ne lirait pas la lettre d’un homme à la loyauté duquel tous les partis rendent justice ? Si M. Gendebien envoyait un vote dans cette lettre, je serais le premier à déclarer qu’il n’en a pas le droit. En admettant la lecture, je déclare que la chambre n’est pas liée par ce fait pour un fait semblable qui se représenterait. Si d’autres membres, partant de cet antécédent, envoyaient des lettres contenant des expressions inconvenantes, je réclamerais qu’elles ne fussent pas lues… (Assez ! assez ! aux voix ! aux voix !)
M. le président. - Lecture de la lettre sera faite s’il n’y a pas d’opposition.
M. de Renesse, l’un des secrétaires, procède à cette lecture :
« A M. de Renesse, secrétaire de la chambre des représentants,
« Bruxelles, 8 décembre 1834
« Monsieur et honorable ami,
« Rentré samedi soir à Bruxelles, tout exprès pour assister à la discussion générale du budget des voies et moyens, je me vois forcé aujourd’hui de manquer à mon mandat de député, pour satisfaire aux plus impérieux devoirs de famille. Je ne serai de retour que dans deux ou trois jours.
« Afin de ne laisser aucun doute sur les motifs de mon absence, j’ose vous prier de donner lecture de ma lettre à la chambre et de la faire insérer au Moniteur.
« Je déclare que je ne puis accorder ma confiance à un ministère qui a maintenu l’arrêté inconstitutionnel d’expulsion et retenu M. Béthune en prison sous le poids lettre de cachet. Je ne puis accorder ma confiance à des ministres qui ont destitué brutalement MM. de Puydt et Hennequin, les plus honorables administrateurs que je connaisse, pour les remplacer par M. Lebeau qu’on disait usé et taré, et par M. le comte Charles Vilain XIIII qui a épouvante la Belgique entière par le cynisme de ses doctrines liberticides ; à des ministres qui violent scandaleusement la constitution.
« Je refuse l’épithète de montagnard lancée si insolemment par le ministre de la justice contre mes honorables amis et moi dans le sens injurieux et calomnieux qu’il semble y avoir attaché. Il n’aurait pas dû oublier que la montagne a sauvé la France et que le marais l’a déshonorée. Si le marais avait eu le courage de s’interposer entre les girondins et les montagnards, puis entre ceux-ci et les thermidoriens ; s’il n’avait pas flatté et encouragé par un vote complaisant les partis qui ont successivement dominé dans la convention, la révolution française partout glorieuse et triomphante n’eût pas été souillée du sang de tant d’honorables victimes.
« Si notre révolution a été maculée et exploitée, si la Belgique a été décimée et déshonorée, si elle est destinée à périr, ce n’est pas sur les bancs de la montagne qu’on trouvera les coupables, mais sur les bancs du marais belge.
« Je proteste contre les hommes qui sont au pouvoir, je méprise leurs injures, et je leur refuserai tout subside.
« Veuillez, mon cher et très honoré collège, agréer l’assurance de ma parfaite estime et de mon entier dévouement.
« Alexandre Gendebien. »
M. Helias d’Huddeghem, organe de la commission spéciale chargée d’examiner les élections qui ont eu lieu à Malines, monte à la tribune et s’exprime en ces termes. - Par arrêté royal du 13 novembre, le collège électoral de Malines a été convoqué le 2 décembre à l’effet de procéder à la nomination d’un membre de la chambre des représentants en remplacement de feu M. Boucqueau de Villeraie.
Il résulte des procès-verbaux des quatre sections dans lesquelles les électeurs ont été répartis, qu’au premier tour de scrutin le bureau principal a constaté que, sur la généralité des votants au nombre de 328, M. Adolphe-Charles Vanden Wiele avait obtenu quatre-vingt-quatre votes ; M. Mast de Vries, bourgmestre de Lierre, 102 suffrages ; M. le duc d’Ursel, 20 votes ; M. l’abbé de Ram, quatre voix, et que les autres suffrages étaient partagés entre vingt autres candidats.
Personne n’ayant réuni plus de la moitié des voix conformément aux articles 35 et 36 de la loi du 3 mars, le bureau central a procédé à un deuxième tour de scrutin.
La liste faite par le bureau se composait de MM. Adolphe-Charles Vanden Wiele, conseiller de régence à Malines, et Mast de Vries, bourgmestre de Lierre, qui avaient obtenu le plus de voix.
Le recensement de votes émis a donné pour résultat que, sur 272 votants, M. A.-Ch. Vanden Wiele a obtenu 137 voix, et que M. Mast de Vries a réuni 135 suffrages ; en conséquence M. A-Ch. Vanden Wiele a été proclamé membre de la chambre des représentants.
Votre commission a trouvé que toutes les formalités prescrites par la loi du 3 mars 1831 avaient été observées, et qu’aucune réclamation ne s’était élevée à cet égard : en conséquence, elle a l’honneur par mon organe de vous proposer l’admission de M. A-Ch. Vanden Wiele comme membre de cette chambre.
- Les conclusions de la commission sont admises sans opposition ; en conséquence M. Vanden Wiele, est proclamé membre de la chambre.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je demanderai la parole pour présenter des modifications à la loi sur les voies et moyens.
M. de Robaulx. - Je la demande aussi pour faire une motion. Cette motion est toute simple. Le ministère demande des impôts ; mais comme la situation de l’Europe est changée, comme elle est grave pour nous, avant de discuter si nous accorderons les impôts, il faut savoir si l’administration nouvelle qui nous les demande mérite notre confiance, si elle a la confiance du pays. Voilà ce qui est très clair et très explicite. Ainsi, avant la discussion du budget des recettes, je demande la parole pour développer les motifs de ma motion d’ordre.
M. le président. - Je dois donner la parole aux ministres quand ils la demandent.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - J’ai à faire à la chambre une communication ; j’ai à lui présenter une addition au budget des voies et moyens ; on ne peut empêcher un ministre de parler ; M. le président doit me maintenir la parole.
M. le président. - La parole est à M. le ministre des finances.
- M. le ministre des finances monte à la tribune.
M. de Robaulx. - A la bonne heure ; cela annonce une communication ministérielle.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs ç’a été avec le sentiment d’une bien douce satisfaction que le Roi, en ouvrant la session, a annoncé au pays des réductions dans les charges publiques. Confiant dans la situation politique où nous nous trouvions il y a un mois, le gouvernement avait compté que des économies notables dans les dépenses de la guerre seraient possibles, et que, par suite, nos voies et moyens pourraient être restreints.
Le changement de ministère chez une nation qui nous a donné, depuis quatre ans, des preuves non équivoques de sympathie, a causé, à tort sans doute, de l’inquiétude. Tout annonce que la politique européenne n’éprouvera point de modification. Toutefois, on ne doit pas se dissimuler que cet événement a pu rendre une lueur d’espoir aux ennemis de notre indépendance.
L’attention du gouvernement a été éveillée sur ce qui se passe autour de nous.
Quoique nos forces militaires soient en ce moment organisées et combinées de manière à ce que le pays puisse se tenir dans une parfaite sécurité, néanmoins il importe que nos moyens de défense puissent être augmentés, si les circonstances l’exigeaient : il importe surtout que le gouvernement belge ait par-devers lui les ressources suffisantes pour renforcer sur-le-champ l’armée, s’il était reconnu que le gouvernement hollandais fît des dispositions pour augmenter la sienne.
Il n’y a certes rien d’urgent à majorer dès maintenant, pour 1835, le budget réduit du département de la guerre ; le gouvernement, je dois le dire, avait même pensé que l’on pourrait attendre quelques semaines avant de s’y décider, afin d’être plus à portée de juger si cela était indispensable ; mais des craintes ont été manifestées dans cette enceinte ; elles peuvent avoir du retentissement dans le pays ; il est donc devenu prudent de créer, dès à présent, un fonds de réserve.
Décidé par suite à vous soumettre un budget supplémentaire et extraordinaire pour les dépenses qu’éventuellement les circonstances peuvent nécessiter au département de la gouvernement, le gouvernement vient, par mon organe, proposer à la chambre un article à introduire dans la loi du budget des voies et moyens, par lequel dix centimes additionnels extraordinaires seraient à titre de subvention uniformément appliqués à tous les impôts en principal et additionnels, tels qu’ils sont renseignés au tableau annexé au projet en discussion ; ce qui augmenterait les revenus du trésor d’environ 7 millions pour l’année.
En suivant cette marche, nous prouverons à l’Europe que la Belgique va au-devant des sacrifices, lorsqu’ils sont destinés au maintien de son indépendance et des droits qu’elle a conquis ; que si, alors qu’elle était confiante dans les traités, on a pu une fois l’attaquer à l’improviste, elle sera désormais en garde contre de nouvelles surprises.
Le budget supplémentaire et extraordinaire dont il s’agit, ne sera qu’éventuel, si, comme nous devons l’espérer, la paix n’est pas troublée. De toute manière, le gouvernement n’en fera usage qu’en cas de nécessité et sous sa responsabilité. Messieurs, si le premier soin des mandataires d’un peuple est de veiller à la conservation de sa nationalité et à préserver l’honneur du pays de toute atteinte, le gouvernement regarde aussi comme un devoir impérieux d’alléger autant que possible les charges du contribuable, car le bonheur des Etats dépend essentiellement de l’aisance des habitants, et cette aisance est d’autant plus grande que les impôts sont moins lourds. Vous pouvez donc être convaincus, messieurs, qu’aussitôt que l’horizon politique permettra d’apercevoir l’inutilité de nos armements extraordinaires, le gouvernement s’empressera spontanément de les supprimer et un projet de loi serait présenté à la législature à l’effet de réclamer l’abolition des dix centimes additionnels de subvention, s’ils étaient reconnus inutiles.
En proposant de répartir uniformément ces dix centimes additionnels extraordinaires sur tous les impôts, le gouvernement croit agir équitablement ; en effet, dans l’état actuel du pays il n’y a aucune raison d’exiger davantage d’une sorte d’impôt que de l’autre ; la justice distributive demande que l’équilibre entre eux ne soit point rompu.
D’après ce que je viens d’avoir l’honneur de vous exposer, je remets sur le bureau un projet d’article dont je vais donner lecture. J’y joins, comme conséquence, une annexe à insérer dans le tableau du budget général des voies et moyens entre les recettes effectives du trésor et les recettes pour ordre : je proposerai en outre d’ajouter à la fin de l’article 3 du projet de loi, qui deviendra l’article4 ; après la somme de 84,042,519 fr., les mots suivants : « et la subvention éventuelle de guerre, à celle de 7,238,121-90. »
- M. le ministre dépose sur le bureau de la chambre le tableau indiquant les sommes que produirait chaque nature d’impôt par la perception de ces centimes additionnels
L’impression et la distribution du discours du ministre, et des documents qui l’accompagnent est ordonnée.
M. de Robaulx. - Messieurs, ainsi que j’ai eu l’honneur de vous le faire pressentir tout à l’heure, mon intention est de mettre en pratique, autant que possible, ce qu’il y a de bon dans les gouvernements représentatifs ; et, à mon avis, la dose en est petite.
Le doctrinarisme français s’infiltre chez nous ; il passe la frontière ; mais si nous sommes condamnés à subir ce qu’il y a de mauvais dans le gouvernement français, conservons au moins les garanties que l’on conserve dans ce pays : il serait pénible que le gouvernement représentatif fût chez nous totalement anéanti dans ses formes les plus utiles, dans celles par lesquelles les ministres sont obligés de rendre compte à la nation de sa situation tant intérieure qu’extérieure.
Messieurs, au moment où le torysme triomphe en Angleterre, où il menace votre chère nationalité, car il la menace en donnant peu de sécurité relativement au maintien de la quadruple alliance, il faut que le ministère nous fasse connaître les moyens que nous avons pour soutenir nos droits. Je n’ai pas grande confiance en quelques paroles doucereuses échappées à lord Wellington : Je me défie des Grecs et de leurs présents ; je me défie des espérances fallacieuses qu’on voudrait nous faire concevoir. Quand la quadruple alliance est dissoute, quand le lien par lequel elle était formée est rompu, ne devons-nous pas concevoir des craintes ? Il faut savoir si, à cet égard, le ministère n’a pas de renseignements à nous donner.
La quadruple alliance, malgré la présence des torys au pouvoir en Angleterre, existe-t-elle encore ? Notre position est-elle ou non changée ?
Indépendamment de ces questions dont la solution est importante, il en est d’autres qui ne sont pas d’un moins haut intérêt, et qui doivent aussi nous faire concevoir des craintes.
A Francfort il s’est établi un tribunal d’arbitrage, ou plutôt un tribunal d’arbitraire. Ajoutez à cela les conciliabules de Vienne et d’autres lieux, où les puissances absolues ont cherché à river les fers de l’Allemagne, et à faire tomber sur la Belgique quelques chances funestes à l’avenir de la révolution, parce que vous ne faites pas partie de la confédération, et vous verrez que la situation n’offre guère de sécurité.
Une partie de notre territoire est, dit-on, dans les liens de la confédération ; est-il vrai que le tribunal d’arbitrage comprend le Luxembourg tout entier dans ses attributions ? Si le tribunal de Francfort veut juger la question relative à ce territoire, il est évident que le roi Guillaume portera son différend, de la conférence de Londres, à l’arbitraire des décisions de Francfort.
Est-il vrai que les puissances signataires du traité du 15 novembre, la Prusse, l’Autriche, et toutes les puissances de l’Allemagne aient adhéré à l’institution de ce tribunal ?
Elles ont reconnu notre nationalité, au moins pour une partie du territoire ; il faudrait savoir si pour l’autre partie pour le Luxembourg, nos concitoyens ne sont pas menacés de passer sous la domination de la confédération germanique.
Quand je considère l’état de l’Europe, je dis qu’il est impossible qu’un nouveau cabinet ne vienne pas nous expliquer quelle est notre position relativement aux affaires étrangères.
Je demande donc que le ministre chargé de nos relations extérieures nous fasse le tableau de la situation du pays. Je demande également qu’il nous soit fait un rapport sur toutes les autres parties de l’administration. Les ministères qui ont précédé celui-ci se sont soumis à cette formalité ; ils nous ont présenté une situation plus ou moins véridique de l’état des choses ; je ne vois pas pourquoi les ministres actuels ne feraient pas de même. D’après le tableau qu’ils nous présenteront, nous verrons si nous devons augmenter nos contributions.
Je le répète, je demande un tableau de notre situation, tant intérieure qu’extérieure.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, dans la séance du 4 de ce mois, quand il s’est agi de fixer le jour pour la discussion du budget des voies et moyens, un honorable députe de Tournay fit observer à la chambre que les réductions annoncées dans le discours du trône pourraient bien ne plus pouvoir s’opérer aujourd’hui, et il demanda que le budget des voies et moyens fût renvoyé après celui de la guerre. Un de ses honorables amis, paraissant partager au fond cette opinion, n’a pas cru voir d’opposition à ce que la discussion commençât aujourd’hui. Rien n’empêchait, selon lui, que le ministère fournit à la chambre sur nos relations extérieures les communications nécessaires pour fixer son opinion. A ces observations il a été très judicieusement répondu par un honorable député de Dinant que le ministère serait fort embarrassé de faire un rapport sur les affaires extérieures, parce que, disait-il, le ministère n’a pas la faculté de prévoir l’avenir.
En effet, le présent n’offre qu’un seul événement plus ou moins remarquable pour la Belgique, c’est la retraite du ministre de lord Melbourne et l'avènement aux affaires d’un noble duc, avec mission de composer un nouveau cabinet.
Je ferai remarquer d’abord que ce cabinet n’est pas encore constitué ; dès lors, il est impossible de se former une opinion raisonnable, sur l’esprit qui dirigera ses actes.
Je me hâte cependant de dire que je ne partage pas personnellement les vives appréhensions qu’ont fait naître certains noms propres.
Quoiqu’il en soit, le gouvernement hollandais toujours enclin se faire illusion, croyant entrevoir partout des lueurs d’espérance, se flattant encore peut-être de l’idée de pouvoir reconquérir tôt ou tard des provinces qu’il a irrécouvrablement perdues ; le gouvernement hollandais, dis-je, pourrait bien envisager sous un point de vue plus favorable à ses projets hostiles contre la Belgique l’événement auquel je viens de faire allusion.
En pareille circonstance, il est d’un devoir impérieux pour le gouvernement du Roi d’avoir constamment les yeux ouverts sur la Hollande et de veiller à ce que la Belgique, par une confiance trop aveugle en son bon droit, ne devienne pas une seconde fois la victime d’une surprise.
Ce ne serait pas en vain, j’en suis sûr, que nous ferions un appel à la loyauté de nos anciens alliés contre une agression injuste et contraire à la lettre et à l’esprit des traités.
Mais la Belgique, heureusement, n’a pas besoin de secours étranger ; elle se suffit désormais à elle-même.
Appuyée sur une armée brave, disciplinée, et qui a le sentiment de ses devoirs, sur une armée dans laquelle, au besoin, la nation tout entière viendrait se confondre ; la Belgique n’a rien à redouter d’une lutte, corps à corps, avec la Hollande. Mais il faut se prémunir contre la perfidie et la surprise ; lorsque l’ennemi veille, il ne faut pas s’endormir dans une fausse sécurité.
Ce serait une négligence bien coupable de notre part de laisser la Hollande donner de l’extension à ses armements, sans augmenter les nôtres dans la même proportion. Les droits d’une nation ne sont jamais plus religieusement respectés que lorsqu’elle a les moyens de les maintenir.
Il en résultera, à la vérité, une augmentation de dépenses.
C’est un mal, un grand mal, j’en conviens ; mais ce sacrifice, la Belgique n’hésitera pas à se l’imposer, s’il y va de son honneur et de son indépendance. Je ne puis donc qu’applaudir de tout coeur aux paroles prononcées par quelques honorables députés, paroles inspirées par une sage prévoyance et une vive sollicitude pour le pays.
Je suis persuadé, messieurs, que vous tous, vous avez compris et apprécié ma pensée. Je crois néanmoins devoir protester dès à présent contre les inductions qu’on pourrait, hors de cette enceinte, tirer de mes paroles. Cette protestation est nécessaire dans l’intérêt du commerce et de l’industrie ; elle est nécessaire pour rassurer la nation contre les bruits faux, absurdes, ridicules même, qui circulent depuis quelques jours.
Je déclare qu’il n’est parvenu à ma connaissance, ni à celle du gouvernement, aucune parole, aucun acte, aucun fait, dont on puisse directement ou indirectement tirer la conséquence que l’administration tory, dont un noble duc serait le chef, répudierait aucun des antécédents de ses prédécesseurs, et ne se considérerait pas comme liée par tous les actes posés et accomplis sous le ministère de ces derniers. Je déclare que nulle parole, que nul acte, que nul fait ne peuvent faire supposer qu’il soit rien innové dans l’ensemble de la politique extérieure de l’Angleterre et de la France vis-à-vis de la Belgique.
Nous sommes en présence d’un événement que chacun peut diversement interpréter.
Mais notre position diplomatique, en elle-même, n’offre aucun incident nouveau qui puisse inspirer la moindre inquiétude. Toutefois, je le répète, la prudence nous fait un devoir de renforcer notre situation militaire, dans la même proportion que la Hollande renforce la sienne.
Je désire qu’on fasse attention à ces paroles : L’intention du gouvernement n’est pas de se livrer à de grands armements en ce moment. Son but est de veiller à ce qui se passe en Hollande, et de se tenir en mesure contre toute manifestation hostile. Il découlera de là un double avantage. D’abord vous serez prémunis contre un événement toujours possible, la rupture de l’armistice ; en second lieu, cette conduite de la Belgique produira cet heureux effet moral, qui ne peut résulter que de la coexistence des moyens politiques et militaires tout à la fois. C’est dans ce sens que je viens appuyer la proposition de mon honorable collègue M. le ministre des finances, qui a pour but un crédit éventuel dont le gouvernement pourra faire cesser l’effet dès que les circonstances le lui permettront.
M. de Robaulx. - Je n’ai que quelques mots à ajouter. J’ai remarqué que M. le ministre des affaires étrangères se saisissait avec quelque avidité d’une parole de M. Pirson, je crois, parole qui renferme ce sens, que le ministre serait bien embarrassé de donner des renseignements sur la situation des affaires extérieures, et qu’il glissait sur cette phrase dont il faisait une espèce de panacée universelle. Il s’est mis ensuite à discuter afin de savoir s’il est nécessaire d’augmenter l’armée et de se mettre sur la défensive. Ce n’est pas sur des indices vagues que la situation politique donne lieu à de véritables inquiétudes.
Vous, M. le ministre, vous pouvez n’avoir pas de doute ; peut-être même les révolutions qui se sont opérées dans certain cabinet sont-elles conformes à vos espérances et à vos désirs. Mais vos espérances et les nôtres peuvent n’être pas les mêmes. Il faut que la chambre apprécie et juge par elle-même jusqu’à quel point votre tranquillité, votre quiétude est fondée.
Que demandons-nous ? Un état de notre situation politique intérieure et extérieure : c’est une communication que dans tous les gouvernements constitutionnels, non seulement on ne refuse jamais, mais qu’on vient offrir au pays dès qu’il survient un événement qui peut plus ou moins troubler sa sécurité. Nous sommes étonnés que le ministère tout entier ne vienne pas nous donner les explications que nous lui demandons. C’est cependant lors du vote du budget que le gouvernement doit s’expliquer sur toutes les parties de l’administration.
Je n’ai rien entendu, dans ce qu’a dit le gouvernement jusqu’à présent, qu’ait pu démontrer l’inutilité du rapport que nous avons demandé.
Le ministre des finances vient de présenter un appendice au budget des voies et moyens. Il est impossible que l’on puisse voter à l’instant sur cette proposition.
Je ne crois pas d’ailleurs que l’intention du ministre soit de la faire discuter en l’affranchissant de l’examen des sections et de l’examen de la section centrale, qui a fait le rapport sur le budget des voies et moyens. Les uns penseront peut-être que la demande doit être rejetée, les autres qu’elle doit être votée d’une manière définitive. Vous ne pouvez donc pas discuter dans ce moment les voies et moyens. Nous devons attendre le rapport sur la proposition du ministre, afin de les discuter dans leur ensemble. Que le ministre, de son côté, profite du délai que ce rapport nécessite pour nous donner un exposé sur la situation politique du pays. Je le répète, je n’ai pas vu qu’on ait combattu d’une manière tant soit peu raisonnable la proposition que j’ai faite.
M. Dumortier. - Ce n’est pas sans raison que le ministère est embarrassé poux répondre aux interpellations qui lui sont adressées. Nous concevons qu’il ne puisse pas connaître les projets du ministère nouveau qu’on dit n’avoir été formé en Angleterre que dans le but de faire revivre les prétentions de la sainte-alliance, ce ministère n’ayant encore fait aucun acte et même n’étant pour ainsi dire pas encore constitué. Cependant nous ne devons pas méconnaître les dispositions du parti à la tête duquel se trouve placé le chef du nouveau cabinet anglais ; c’est assez vous dire que dans mon opinion la Belgique doit se prémunir contre tout événement.
Loin de moi la pensée de vouloir jeter des craintes dans le pays. J’ai toujours eu foi dans la nationalité et l'indépendance de la Belgique, et aussi longtemps que je verrai le drapeau brabançon flotter sur un seul de nos clochers, je ne craindrai pas qu’un changement de ministère en Angleterre vienne mettre en péril cette nationalité et cette indépendance. Mais, si j’ai confiance dans le pays pour conserver son indépendance, je n’ai pas la même confiance dans les conditions que voudra nous imposer la diplomatie nouvelle.
M. le ministre des affaires étrangères nous a dit que jusqu’ici rien ne pouvait faire présumer qu’il serait rien innové dans l’état de nos négociations ; que jusqu’ici aucune communication officielle ne lui avait été faite relativement à la Belgique. Je ferai une interpellation précise à M. le ministre des affaires étrangères, je lui demanderai si la formation du nouveau ministère tory en Angleterre a été notifié à notre envoyé à Londres.
Je voudrais savoir jusqu’à quel point ce nouveau cabinet reconnaît la Belgique dans la personne de son ambassadeur.
M. le ministre a dit qu’il était impossible de se faire une opinion raisonnée sur le système du cabinet anglais. Il a ajouté que rien ne pouvait faire présumer qu’il y serait introduit des modifications. J’ai sous les yeux la reproduction d’un article d’un journal tory qui passe en Angleterre pour être l’organe du chef actuel du cabinet anglais, et qui s’exprime de manière à ne laisser aucun doute sur ce que nous devons en attendre.
Les journaux anglais avaient avancé deux faits : d’abord que le ministère aurait maintenu le principe de la non-intervention ; en second lieu, que la politique étrangère de la Grande-Bretagne aurait été la même sous la direction de lord Wellington que sous le ministère de lord Palmerston.
Savez-vous comment l’organe du duc de Wellington répond à ces allégations ? Ecoutez cette réponse. Vous verrez si les intentions du chef du nouveau cabinet sont aussi favorables à notre cause qu’on semble le croire :
« Sans doute le ministère conservateur de la Grande-Bretagne ne sera pas assez imprudent, ni assez mal avisé (ce qui est absolument contre son caractère) pour chercher à troubler la politique et les arrangements des puissances étrangères. Mais bien certainement ce ministère ne fera pas ce qu’a fait le ministère whig. Il se gardera bien d’encourager de quelque manière que ce soit ceux qui incessamment s’efforcent de faire prévaloir la cause de la révolution, sous le nom spécieux de libéralisme. Il ne soutiendra point en sous-main ni ouvertement ceux qui font une guerre insidieuse à la paix et au bonheur des nations, tandis qu’ils ne prétendent les exhorter qu’à conquérir une honorable liberté. »
Et plus loin :
« Nous ne concluons point des traités avec des assemblées populaires, ni avec des troupes vagabondes de propagateurs d’opinions étranges, mais avec des gouvernements. »
Ainsi, messieurs, vous voyez dès aujourd’hui la tendance du ministère anglais. L’organe du duc de Wellington est hostile à toutes les révolutions qui ont eu lieu depuis 1830, à ces assemblées populaires, que l’on désigne sous le nom de troupes vagabondes de propagateurs d’opinions étranges. Nous savons que les gouvernements dont parle le journal tory sont des émanations de la sainte-alliance. Nous savons tous que le noble duc est lui-même actuellement encore feld-maréchal de la puissance avec laquelle nous sommes en guerre. Il ne faut pas nous fermer volontairement les yeux. Nous n’avons à attendre aucune espèce de justice de la part du chef actuel du cabinet anglais. C’est dans de pareilles circonstances que la Belgique doit savoir faire des sacrifices pour garder son indépendance, qu’elle doit répondre à l’appel qui lui sera fait par ses représentants, et répandre s’il le faut, jusqu’à la dernière goutte de son sang, pour le maintien de sa nationalité et l’intégrité de son territoire.
Maintenant, messieurs, il est un autre point sur lequel je dois appeler votre attention ; l’honorable M. de Robaulx l’a déjà touché tout à l’heure, c’est la question du Luxembourg. Vous n’ignorez pas les conférences qui ont eu lieu à München-Graetz, vous savez que ce congrès réglant les intérêts de l’Allemagne a constitué auprès de la diète germanique un tribunal arbitral ou plutôt arbitraire, pour mettre à la raison les peuples de la confédération qui useraient de leurs droits constitutionnels contrairement à la volonté des puissances despotiques de l’Allemagne.
Pour moi, je suis convaincu qu’un des buts principaux de cette création nouvelle a été de faire rentrer le Luxembourg tout entier sous la domination du roi Guillaume. Il ne faut pas qu’on s’y trompe. Toutes les fois qu’il y aura contestation entre un pays et un souverain, ce sera le tribunal arbitral qui prononcera.
Nous savons quel jugement nous devons attendre, si ce tribunal est appelé à juger la question du Luxembourg, en présence du ministère du feld-maréchal de la Hollande. Je désirerais savoir si le gouvernement a reçu quelque communication relativement à la confédération ; s’il a appris que dans les conférences de München-Graetz on se soit occupé de l’affaire du Luxembourg.
Messieurs, j’ai vu avec plaisir, dans les circonstances actuelles, le ministère nous demander une augmentation de recettes. Vous savez, messieurs, que je me suis toujours montré ennemi des impôts élevés, que toujours on m’a vu prêt à voter des réductions de dépenses ; mais quand la nationalité et l’indépendance du pays sont menacées, quels que soient les impôts, nous devons les voter spontanément et à l’unanimité.
Je répète donc que j’ai vu avec plaisir le gouvernement nous demander une augmentation de ressources pour augmenter l’armée. Je l’aurais blâmé s’il ne l’eût pas fait, et j’eusse donné un vote négatif au budget des voies et moyens.
M. le ministre des affaires étrangères a dit avec raison que nous devions nous tenir en garde contre les projets de la Hollande, que nous devions avoir l’oeil ouvert sur ses démarches et augmenter nos armements dans la proportion de l’accroissement que cette puissance donne aux siens.
M. le ministre des finances de son côté a déclaré que la Belgique serait désormais en mesure contre toute nouvelle supercherie. J’approuve en tout point ce langage, mais je désirerais que les faits répondissent ici aux assertions.
Personne de vous, messieurs, n’ignore la nouvelle donnée par les journaux belges d’un événement des plus extraordinaires qui s’est passé vers les frontières de la Hollande : un officier hollandais parlementaire, accompagné d’un trompette et de deux cavaliers, s’est avancé jusqu’au milieu du quartier-général d’un général de brigade sans rencontrer une seule vedette, et est venu trouver le général sans avoir rencontré aucun obstacle. Ce fait est d’une haute gravité dans les circonstances actuelles. S’il est exact, ce dont je ne puis douter, le gouvernement mérite de graves reproches pour avoir mis à la tête de notre armée des hommes qui surveillent aussi mal nos frontières.
Que diriez-vous si la Hollande, dont la mauvaise foi ne peut être révoquée en doute, surtout par nous après les tristes journées du mois d’août, si la Hollande envoyait par ce chemin que son parlementaire a si librement parcouru, un escadron enlever le quartier-général ?
Il est pénible, messieurs, de voir nos frontières si mal gardées, de voir l’ennemi s’avancer librement jusqu’au milieu d’un quartier-général, quand on pense que deux journées de marche suffiraient pour l’amener aux portes de la capitale.
De pareils faits déconsidèrent une armée et l’affaiblissent. Pour que sur un champ de bataille elle puisse répondre à l’attente du pays, il faut qu’elle ait dans l’activité et la prévoyance de ses chefs une confiance qui lui manquera si elle voit l’ennemi pénétrer jusqu’au sein du quartier-général.
Il est un autre fait sur lequel j’appellerai l’attention de la chambre. J’ai vu avec peine que l’avant-garde de notre armée fût placée à l’arrière-garde à Liége, à vingt-cinq lieues des frontières, alors qu’à chaque instant notre perfide ennemi peut avancer jusque sous les murs de la capitale.
Je désire que les actes du gouvernement répondent à ses paroles. En attendant, je prierai MM. les ministres de donner à la chambre des explications sur les faits que j’ai signalés.
Je sais qu’avant l’arrivée d’un noble personnage aux affaires d’Angleterre, nous n’avions rien à craindre de la Hollande ; qu’on pouvait dormir tranquille, surtout en Belgique.
- Une voix. - Est-ce que vous ne dormez plus tranquille ?
M. Dumortier. - Personne n’est plus tranquille que je le suis, mais cela ne me suffit pas ; je veux que les habitants des frontières puissent dormir aussi tranquilles que moi ; je veux que les bourgmestres puissent se coucher sans avoir à craindre d’être enlevés dans leur lit, je veux enfin assurer à nos fonctionnaires la sécurité dont on jouit sur les frontières hollandaises. J’espère que le gouvernement prendra des mesures pour faire cesser et empêcher de se reproduire les abus que j’ai signalés. Dans cette pensée, je voterai de bon coeur l’augmentation qu’il demande, tout en l’engageant à se prémunir contre la perfidie hollandaise.
La Belgique saura encore faire ce sacrifice, après ceux qu’elle s’est imposés déjà pour maintenir sa nationalité. Il n’est personne, j’en suis convaincu, qui s’oppose à l’augmentation demandée en présence des armements nouveaux de notre ennemi. Le pays consentira d’autant plus facilement au sacrifice qu’on lui demande, qu’il n’ignore pas que ce sacrifice est de beaucoup inférieur à la somme des impôts supprimés depuis la révolution.
Je voterai donc de grand coeur l’augmentation demandée par M. le ministre des finances.
Mais je demande auparavant que le gouvernement déclare ; premièrement si la nomination du nouveau cabinet anglais lui a été notifiée, et en second lieu si on lui a donné communication du congrès de München-Graetz.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je tâcherai de répondre d’une manière catégorique aux deux questions que vient de m’adresser l’honorable M. Dumortier.
Il a demandé d’abord si la formation du nouveau ministère tory en Angleterre avait été notifiée à notre ministre plénipotentiaire à Londres. Je répondrai que cette notification du nouveau ministère n’a pu avoir lieu, puisqu’il n’est pas encore complètement constitué. Le duc de Wellington qui, comme vous le savez, a été jusqu’ici le principal ministre de ce cabinet, a fait connaître au ministre plénipotentiaire belge, dans la même forme qu’il a employée à l’égard des ambassadeurs et ministres des autres puissances étrangères à Londres, qu’il le recevrait pour toutes les communications qu’il aurait à lui faire de la part de son gouvernement.
Indépendamment de ce fait, d’autres communications ont eu lieu depuis de la part du duc de Wellington, non seulement dans sa correspondance avec notre ministre plénipotentiaire à Londres, mais par une lettre adressée directement au Roi. Je fais allusion ici à l’événement malheureux qui vient de frapper la famille royale d’Angleterre par la mort d’un de ses membres.
Sur la deuxième question relative à la position du Luxembourg, je dirai que les conférences de München-Graetz n’ont pas été notifiées au gouvernement belge. Ces conférences n’ont pas même dû l’être. La raison en est toute simple. Vous vous rappelez tous, messieurs, qu’en 1830 le roi Guillaume lui-même s’était adressé à la diète germanique pour réclamer de cette assemblée les secours fédéraux.
Vous vous rappelez aussi que ces secours lui furent refusés par la diète, et qu’elle s’en référa pour la question du Luxembourg aux décisions de la conférence de Londres. Dès ce moment, le Luxembourg a été placé vis-à-vis de l’Allemagne dans une position particulière. Les mesures de sûreté intérieure, qui ont été prises à l’égard des Etats faisant partie de la confédération germanique, ne sont donc pas applicables au grand-duché de Luxembourg, par la raison qu’il est, comme je l’ai dit, placé dans une position exceptionnelle.
Telles sont les réponses que je crois devoir faire aux interpellations de l’honorable M. Dumortier.
M. Pirson. - J’ai demandé la parole pour donner quelques explications sur les paroles prononcées dans une séance précédente qu’a rappelées M. le ministre des affaires étrangères. Il s’agissait de savoir si la chambre attendrait le rapport du budget de la guerre pour discuter celui des voies et moyens, afin que nous pussions voir ce qu il y avait à faire dans les circonstances actuelles relativement à notre sûreté extérieure. J’ai objecté à cette opinion émise par l’honorable M. Dumortier que si effectivement nous nous trouvions dans une position telle qu’il nous fallût pourvoir à notre sûreté extérieure, il y aurait lieu lors de la discussion du budget des voies et moyens, de demander à M. le ministre des explications sur la situation de l’Europe.
Mais j’ajoutais que je ne croyais pas cependant que nos ministres fussent à même d’en connaître l’état politique. Je disais que les ministres même des grandes puissances n’étaient pas dans une position plus favorable que notre cabinet à cet égard. En effet, il n’est pas très certain que le ministère Wellington se consolide. Il n’est pas très certain que le ministère français reste au pouvoir. Il règne actuellement une grande incertitude sur l’avenir.
Il y a une conspiration des trônes contre les peuples. Les peuples doivent donc se tenir sur leur garde. Il ne faut pas que nous non plus, nous nous endormions dans une fausse sécurité. En Hollande, on n’est pas plus disposé que nous ne le sommes à revenir à la réunion dont nous avons brisé les liens. Les Hollandais ne veulent plus de cet amalgame ; c’était un mariage mal assorti. Les deux partis ne se conviennent plus.
Ils sont d’accord pour rester séparés, Il n’y a donc entre la Belgique et la Hollande qu’un intérêt dynastique en jeu. La dynastie que nous avons appelée marchera nécessairement avec le peuple belge puisqu’elle ne peut subsister sans lui. Je crois que les ministres feront leur devoir.
La proposition de M. le ministre des finances, qui n’est que provisoire, prouve qu’ils l’ont compris. Nous aurons soin de stimuler leur zèle. Mais s’ils ne faisaient par leur devoir, ce n’est pas par un refus du budget qu’il faudrait les en punir. La chambre aurait à se rendre autour du trône, et les représentants de la nation diraient au monarque qu’elle a choisi : Demandez-nous de l’argent, des soldats, nous vous les donnerons.
Il y a donc lieu, messieurs, de passer à la discussion du budget des voies et moyens. Il me semble que la proposition de M. le ministre des finances devrait être renvoyée aux sections. Il s’agira d’examiner si les 10 centimes additionnels provisoires que l’on vous demande pourront être perçus sur toutes les contributions. Il y a des impôts qui courront à partir du 1er janvier, tels que le droit d’enregistrement, les impôts des accises ; tout cela se paie comptant. Comment pourra-t-on rendre plus tard ce qui aura été perçu ?
Il y a à examiner s’il ne vaudrait pas mieux établir 20 centimes sur telle espèce de contributions, 5 centimes sur telle autre. Car il ne faut pas que le mot de provisoire soit un leurre jésuitique et qu’il ne serve qu’à remplir sans motif les caisses de l’Etat.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la motion d’ordre de M. de Robaulx. Elle consiste à demander à M. le ministre des affaires étrangères un rapport sur la situation extérieure de la Belgique.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je vous avoue que je ne puis donner d’autre rapport que celui que je viens de communiquer à la chambre.
M. de Robaulx. - Reste à savoir si la chambre se contentera de vos explications. Si elle s’en contente, il est inutile de mettre aux voix ma motion d’ordre.
M. de Brouckere. - La chambre décidera ce qu’elle voudra à l’égard de la motion d’ordre de l’honorable M. de Robaulx. Quant à moi, je déclare que je ne suis pas plus instruit sur la situation de notre pays que je ne l’étais avant que le ministre des affaires étrangères eût pris la parole.
Si vous analysez les deux discours qu’il a prononcés, vous verrez qu’ils se résument à ceci : que M. le ministre ne sait plus rien. Si la chambre est satisfaite de renseignements aussi positifs, il est certain qu’il n’y a plus rien à demander. Mais si elle croit qu’elle a le droit d’en exiger de plus détaillés, elle pourrait décider que M. le ministre eût à lui présenter un nouveau rapport.
J’ai un mot à dire sur la deuxième motion d’ordre présentée par MM. Pirson et de Robaulx. Elle tend à renvoyer la proposition de M. le ministre des finances à l’examen des sections, ou au moins à celui de la section centrale.
Evidemment il faut adopter cette motion d’ordre. Car nous ne pouvons voter ex abrupto une loi qui consiste à grever le pays de contributions supplémentaires qui montent à plus de huit millions. Le moins que l’on puisse faire, c’est de la soumettre à l’examen de la section centrale qui est saisie des budgets. En admettant que nous soyons d’accord sur la nécessité d’augmenter les voies et moyens pour le cas où nos armements devraient être mis sur un pied plus respectable, il reste un doute à résoudre sur le mode d’augmentation. Etablirons-nous comme nous le propose M. le ministre, 10 centimes additionnels sur toutes les contributions, ou bien le taux de ces centimes variera-t-il selon la nature des impôts ? Ce sont des objets qui me semblent mériter de la part de la section centrale un examen approfondi.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je déclare que mon intention n’est pas de m’opposer au renvoi du projet de loi que j’ai présenté à l’examen de la section centrale. Rien n’empêche cependant de continuer la discussion du budget des voies et moyens. Il est à remarquer que ma proposition peut être considérée comme indépendante de ce budget. Celui-ci pourra être voté avant que la chambre s’occupe de la question de savoir s’il y aura une augmentation de 10 centimes additionnels sur toutes les contributions, ou si cette répartition se fera d’une manière différente. Cet examen pourra se faire avec plus de maturité lorsque la section centrale aura soumis son rapport sur ma proposition à l’assemblée.
M. Desmanet de Biesme. - J’appuie la motion d’ordre qui consiste à renvoyer à l’examen des sections la demande de crédits que vient de nous faire M. le ministre des finances. Quant à l’autre partie de la motion, je pense que si les explications données par M. le ministre des affaires étrangères ne satisfont pas la chambre (et ces explications ont été si vagues que je doute qu’elles atteignent ce but), je pense, dis-je, qu’il nous sera toujours facultatif, selon les usages parlementaires, de déposer sur le bureau des questions formulées auxquelles M. le ministre des affaires étrangères sera invité à répondre.
M. de Robaulx. - Je n’ai point entendu faire, comme l’honorable M. Dumortier, des interpellations à M. le ministre des affaires étrangères. Ce que j’ai demandé, c’est qu’avant de voter le budget des voies et moyens, il nous fût soumis un état de situation de chaque département, du ministère des finances, de la justice, etc. Il faut bien, si l’on veut voter le budget de voies et moyens avec connaissance de cause, savoir quel est l’état de chaque branche administrative. Cela n’est pas assez clairement expliqué dans les rapports des budgets... M. Rodenbach m’interrompt pour dire qu’il n’y a pas de précédent d’une pareille demande. Je lui répondrai on plutôt je répondrai à la chambre, que sous le congrès, chaque ministre venait nous présenter un rapport spécial sur son département. Le gouvernement provisoire n’avait pas cru, dans les circonstances difficiles ou il se trouvait, devoir se soustraire à cette obligation, c’est le seul moyen d’apprécier exactement les besoins de chaque département.
Je prendrai pour exemple le ministère de l’intérieur. Il y a des encouragements à donner à l’industrie. Il faudrait que M. le ministre de l'intérieur nous dît ce qu’il a fait à cet égard. La chambre saurait dans quelle proportion les différentes industries ont été encouragées.
Un tel rapport était donc indispensable. Voilà quel était mon but en présentant ma motion d’ordre. Je n’ai pas voulu faire d’interpellations. La chose est inutile. J’en ai la conviction et le dégoût me gagne à tel point que, bien que je ne prenne que peu de part à la discussion, j’en prendrai moins encore à l’avenir, pour ne pas retarder en pure perte les travaux de la chambre.
M. Pollénus. - Parmi les observations qui ont été présentées sur notre situation extérieure, il faut avouer que le discours de M. le ministre des affaires étrangères à laissé des doutes sur l’état de Luxembourg.
Si j’ai bien compris ce discours, cette province se trouve dans une situation exceptionnelle ; c’est cette situation exceptionnelle qui a duré trop longtemps sur laquelle la chambre désirerait des éclaircissements ; cet état d’exception n’a pas encore été bien défini.
Si j’ai bonne mémoire, à l’occasion du triste événement de Bettembourg, il a été demandé un rapport sur la situation du Luxembourg et sur les prétentions exagérées du prince de Hesse-Hombourg. Ce rapport avait été promis, mais il n’a pas été fait que je sache. Je rappellerai donc à M. le ministre actuel des affaires étrangères la promesse de M. F. de Mérode son prédécesseur.
Je dois revenir sur une interpellation adressée par l’honorable M. Dumortier à un de MM. les ministres et à laquelle ce ministre n’a pas encore répondu. On a signalé un fait grave qui ne tendrait pas moins qu’à compromettre l’honneur de notre armée. J’insiste pour que M. le ministre des affaires étrangères veuille bien nous donner des explications à cet égard.
Le fait dont s’agit n’a pu échapper à M. le ministre ; tous les journaux en ont parlé ; c’est à Turnhout qu’il s’est accompli.
Je terminerai par une observation sur une partie de la motion d’ordre de M. Robaulx. Cet honorable membre désirerait que chacun de MM. les ministres présentât un rapport sur les affaires de son département. Ces rapports trouveront naturellement leur place dans la discussion des budgets de chaque ministère.
En ce qui concerne les affaires du Luxembourg et l’événement de Turnhout, je ne suis pas, je dois le dire, plus satisfait que l’honorable M. Dumortier.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Il est vrai qu’il s’est élevé un conflit sur les frontières entre Turnhout et Arendonck et qu’il a exigé l’échange de quelques parlementaires de part et d’autre : Un troupeau de moutons a été saisi par un détachement de dragons légers hollandais. Le général hollandais prétendait avoir la certitude que ce bétail allait être introduit en fraude de Hollande en Belgique, et c’est pour contravention aux lois de la douane qu’il avait fait opérer cette saisie. C’est pour éclaircir cette affaire que le général Langermann envoya par un parlementaire une dépêche au premier poste hollandais sur la frontière.
Il lui fut répondu par l’entremise d’un autre parlementaire. Comme de nouvelles difficultés s’étaient élevées dans cette négociation, le général belge insista de nouveau pour que le bétail saisi fût restitué à son propriétaire. C’est pour répondre à cette deuxième dépêche, que contre tous les usages de la guerre, l’officier parlementaire, au lieu de s’adresser au premier de nos avant-postes, traversa une espèce de lande immense, une bruyère inculte où il n’y a aucune habitation ni chemin pratiqué, et arriva à Turnhout, sans être aperçu. Le général belge se plaignit d’une conduite aussi inusitée au général hollandais qui fit droit à la réclamation, puisqu’ayant eu occasion de recevoir une dépêche nouvelle, le parlementaire qui en était porteur et son trompette s’adressa d’abord à un de nos avant-postes et fut conduit, selon l’usage établi en pareil cas, par un sous-officier et deux chasseurs jusqu’au quartier-général.
L’objet de cette dernière dépêche était d’informer M. le général Langermann que le troupeau était définitivement rendu au propriétaire, que les fonds provenant de la vente qui en avait été faite seraient restitués à ceux qui s’en étaient rendus acquéreurs, lesquels ordres avaient été donnés pour éviter à l’avenir toute collision semblable, en demandant la réciprocité.
M. Desmanet de Biesme. - L’explication de M. le ministre de la guerre ne me paraît pas très satisfaisante ; il en résulte, me semble-t-il, qu’une grande étendue de landes sur nos frontières est dégarnie et sans défense. La nature des lieux, disait-on, ne permet pas d’y établir des postes ; eh bien, ne pourrait-on pas y faire de patrouilles de cavalerie ? Si M. le ministre envoyait à la frontière du Nord les régiments qui stationnent à la frontière du Midi et qui semblent menacer la France, on éviterait des événements tels que celui qu’on a signalé, et qui est vraiment aussi désagréable que ridicule.
M. Nothomb. - Un des préopinants a manifesté le désir que les habitants d’une de nos provinces, de celle à laquelle j’appartiens, fussent rassurés sur leur situation politique ; je vous demande la permission de prolonger de quelques minutes la discussion. Je crois que M. Pollénus a mal saisi les expressions de M. le ministre des affaires étrangères, et qu’il s’est trompé sur le caractère du fait qu’il a rappelé et qui concerne l’administration de M. le comte de Mérode.
Le ministre des affaires étrangères vous a dit que le Luxembourg est par rapport à l’Allemagne dans une position exceptionnelle ; voici dans quel sens. Aux termes des traités de 1815, s’ils avaient été intacts, la diète aurait dû accorder les secours fédéraux au roi grand-duc ; elle les lui a refusés, en en référant à la conférence de Londres. De ce jour, la question belge proprement dite et la question luxembourgeoise ont été confondues ; la conférence s’est trouvée saisie de l’une et de l’autre, et a résolu l’une par l’autre. De l’aveu de la diète, le grand-duché a été, par rapport à elle, placé dans une position exceptionnelle ; l’exercice de la partie de souveraineté de la diète, a été et est resté suspendu et personne n’a songé à appliquer au Luxembourg les mesures prises postérieurement par la diète, relativement à l’Allemagne. Ces mesures eussent été en contradiction avec les actes de la conférence de Londres.
La convention du 21 mai, par son article explicatif, ajouté sur la demande du ministère belge, j’aime à le rappeler, est venue garantir à la Belgique la possession de fait de la province entière jusqu’à la conclusion de l’arrangement définitif, c’est-à-dire la suspension de la juridiction de la diète ; convention conclue par la France et l’Angleterre, et notifiée aux autres puissances.
Par rapport à la Belgique, notre possession de fait dans le Luxembourg n’est exceptionnelle qu’en ce qui concerne le rayon stratégique de la forteresse ; depuis l’attentat que M. Pollénus a rappelé, la situation du rayon est restée la même, situation fâcheuse, sans doute, et qui peut renouveler de graves embarras. Cependant, il semble que l’on considère tacitement les déclarations échangées entre le prince de Hesse-Hombourg et le général Goethals, le 21 mai 1831, comme en vigueur, en les interprétant néanmoins de la manière la moins avantageuse à la Belgique ; il serait à désirer que cet état de choses vînt à cesser, mais il ne compromet pas essentiellement la possession du reste de la province.
M. F. de Mérode. - L’orateur ayant omis de vous citer un fait que je crois important, je vais le rappeler.
Le roi Guillaume a consenti lui-même à la réunion pure et simple du Luxembourg à la Belgique, lorsque les députés de cette province siégeaient au commencement de la révolution, avec les 52 députés belges. Il est important, je le répète, de rappeler ce fait.
M. Jullien. - Je demande la parole sur la motion d’ordre dans l’intention de mettre fin au débat qu’elle a fait naître.
Il y a bien longtemps que je n’ai fait des interpellations aux ministres sur la question extérieure, parce que je suis persuadé qu’ils n’y peuvent rien. Que le ministre garde bien la frontière hollandaise, qu’il observe si le vent souffle de la Seine ou de la Tamise, voilà tout ce que je lui demande.
Le ministre vient de vous dire sur les affaires étrangères tout ce qu’il pouvait vous dire : « Pas une parole, pas un acte, pas un fait ne sont venus à ma connaissance indiquant quelque changement, quelque dérangement dans ce qui existait avant la formation du ministère Wellington. »
Quant à l’affaire des moutons qui est arrivée pour se mêler aux affaires étrangères, j’avoue que je n’ai pas compris son importance (on rit), et j’ai été satisfait sur ce point des explications données par M. le ministre de la guerre.
Viennent enfin les demandes de l’honorable M. de Robaulx sur les questions relatives à la situation intérieure : à cet égard je crois qu’à l’occasion de la discussion des budgets des divers départements ministériels on pourra entrer dans les explications que réclame l’honorable membre. C’est aux budgets de la justice, de l’intérieur, etc., que se rattachent ces questions-là.
La motion d’ordre me paraît épuisée par la réponse du ministre des affaires étrangères et par la promesse faite par chaque ministre de répondre quand on en sera venu au budget qui lui est spécial.
Je demande donc que l’on passe à l’ordre du jour.
- La motion d’ordre, faite par M. de Robaulx, est mise aux voix et est écartée.
MM. Pirson et de Robaulx se lèvent pour son adoption.
M. Pirson, à M. de Robaulx. - Nous sommes deux de la même opinion. (On rit.)
M. le président. - A quelle commission renverra-t-on le projet de loi présenté par M. le ministre des finances.
- Plusieurs membres. - A la commission qui a examiné le budget des voies et moyens.
M. de Robaulx. - Je ne m’oppose pas à ce que l’on discute le budget ordinaire des voies et moyens, mais à ce budget il faut ajouter le budget extraordinaire que vient de présenter M. le ministre des finances. On vous a dit : « par le premier je dégrève la contribution foncière parce que c’est à elle qu’on a recours quand on a des besoins urgents. » Mais à présent on vous demande de pourvoir à une augmentation de l’armée ; il est donc possible que vous ayez besoin urgent, ou besoin de recourir à la contribution foncière.
Cependant elle aura été dégrevée comme si nous étions dans un moment de calme plat. Voyez, examinez les résultats que vous allez obtenir et la marche que vous voulez suivre.
- La chambre consultée décide que la proposition ministérielle sera soumise à la commission qui a déjà examiné le budget ordinaire des voies et moyens.
M. le président. - Nous passons à l’objet à l’ordre du jour, c’est-à-dire à l’ouverture de la discussion générale sur le budget des recettes pour l’exercice 1835.
M. de Brouckere. - Si, comme l’a dit M. Dumortier, nous pouvions avoir un rapport demain sur la proposition faite aujourd’hui par le ministre des finances, je demanderais que la discussion générale fût renvoyée à la séance prochaine.
Cela ne nous ferait pas perdre de temps, puisque l’heure est avancée.
M. Coghen - Messieurs, vous venez de renvoyer la demande de 10 centimes additionnels faite par le ministre des finances à la commission qui a déjà examiné les questions relatives aux recettes pour l’exercice 1835 ; malgré toute la bonne volonté dont cette commission sera animée, malgré son aptitude à traiter les questions concernant les voies et moyens, je leur défie de préparer pour demain un rapport sur la loi que vous connaissez par la lecture qui en a été faite. La nature de l’impôt qu’il s’agit d’établir mérite un examen approfondi et exigera peut-être plusieurs jours pour être bien étudiée.
Je crois qu’on peut passer immédiatement à la discussion générale sur le budget ordinaire des voies et moyens en attendant qu’on nous fasse un rapport sur le budget extraordinaire.
- Cet avis est admis.
M. Berger. - Messieurs, c’est toujours le gouvernement à bon marché vers lequel nous tendons avec tant d’ardeur, et cependant la destinée semble se jouer de tous nos efforts car, à peine nous voyons-nous près d’atteindre le but, que des accidents imprévus viennent de nouveau nous en séparer à de grandes distances. Selon les apparences, bien du temps se passera encore avant que nous puissions établir ce budget normal qui non seulement nivelle les recettes et les dépenses, mais qui, abaisse ces dernières au niveau des ressources des contribuables.
Toujours est-il que M. le ministre des finances débute dans la voie des dégrèvements ; et si les chambres eussent probablement forcé son concours à la réduction qu’il propose, on doit toujours lui savoir gré d’avoir pressenti cette nécessité à laquelle il n’aurait pu se soustraire et consommé de bonne grâce un sacrifice que les besoins de l’agriculture rendaient indispensable. A défaut de pouvoir espérer des économies ultérieures, jetons un coup d’œil sur nos lois de finances ; car en créer un bon système serait sans doute procurer les avantages d’un véritable dégrèvement.
Adopter un plus grand nombre de bases pour ne pas surcharger quelques-unes, chercher à atteindre toutes les fortunes pour ménager les ressources du pauvre, dégrever autant que possible les objets de première nécessité pour en reporter les charges sur des objets de luxe, protéger le travail du pays de préférence aux denrées étrangères, écarter surtout ces impositions dont la moitié du revenu est absorbé par les frais de perception et qui appauvrissent le contribuable sans satisfaire aux besoins du trésor ; tels sont sans doute les éléments dont tout bon gouvernement ne peut se départir et qu’il doit se hâter d’adopter. Cependant nos lois de finances sont loin d’avoir ce caractère, et le moindre examen suffit pour nous convaincre que chez nous et jusqu’à ce jour les choses se sont faites à rebours.
Je m’imagine donc que l’administration des finances eût fait de louables efforts tendant à parvenir par degrés à la réforme du système ; deux années de calme me parurent un délai suffisant pour nous dégager de ce cauchemar qui nous oppresse ; je regarde d’autant moins l’accomplissement de cette œuvre comme une impossibilité chez nous qu’elle se trouve réalisée chez des nations voisines.
L’urgence me paraît d’autant mieux établie que, d’après l’aveu même de nos hommes de finances, il fallait alléger les impôts grevés de surcharge jusqu’à ce jour ; que, dans les circonstances qui nous environnent, la question pécuniaire peut de nouveau devenir une question d’existence et de nationalité, et qu’en cas de sacrifices nouveaux il ne nous resterait d’autre ressource que de recourir à des emprunts onéreux et de sacrifier l’avenir pour sauver le présent ; en un mot, je crus réellement que nous allions entrer dans une ère d’économie et de probité.
Mais si, à cet égard, mon plus vif désir était de voir traduire en faits des vues applicables et utiles, je dois bien reconnaître mon erreur. En effet, en nous promettant une nouvelle loi sur le sel, ce n’est point de diminution qu’il s’agit sur cet objet de première nécessité, mais bien de faire produire davantage au trésor.
M. le ministre nous dit à la vérité que c’est sans surcharge pour le consommateur loyal mais comment s’y laisser prendre, quand nous voyons que ce projet tend à imposer de nouveau le sel destiné à l’agriculture, tandis qu’il a fallu tant de réclamations pour conquérir l’abolition de cet impôt sous le gouvernement précédent. Ce n’est donc pas comme un bienfait, c’est comme une véritable menace que je dois envisager la présentation du projet de loi annoncé par le ministre. Au lieu de voir disparaître les abus, nous verrions reparaître les anciens et grandir autour de nous.
Si donc je suis loin d’être convaincu des avantages du projet de loi nouveau sur le sel, je ne puis partager non plus l’opinion défavorable émise par le ministre sur les effets de la loi sur les distilleries. Et d’abord, est-il bien vrai de dire que son introduction ait notablement diminué les ressources du trésor puisque son produit actuel approche de deux millions par an, tandis que celui de l’ancienne n’a pas dépassé les trois millions, à moins qu’on ne prenne pour terme de comparaison cette année de consommation extraordinaire, pendant laquelle deux cent mille hommes sous les armes faisaient naturellement pencher la balance en sa faveur ? Qu’est-ce d’ailleurs que la perte d’un million pour le trésor et qui en fait gagner dix à notre agriculture ?
Si les perfectionnements de l’industrie exigent le remplacement des petites usines par de grands appareils, il ne reste pas moins avéré que la fraude a été anéantie et tout le travail de cette industrie acquis au pays.
Quand c’est de santé et de moralité que M. le ministre nous entretient, on pourrait sans doute trouver étrange que, sous ce rapport, les habitants de ce pays ne méritent point d’être placés à l’égal des Français et des Prussiens, chez qui ces liqueurs sont encore à plus bas prix.
Que ne faisait-on semblable observation sous l’ancienne loi, qui, au moyen de la fraude, inondait le pays de boissons véritablement empoisonnées, qui causa la ruine de tant de personnes, mais qui, en même temps, répandit de grosses amendes, véritable pluie d’or, sur les agents chargés de son exécution. Pour mon compte, je veux bien croire que la sollicitude toute récente du fisc à cet égard est un progrès éminemment conforme à la morale et à la science du gouvernement ; mais alors qu’on ne l’arrête point en si beau chemin, qu’il fasse disparaître de toutes nos lois de finances la fraude et l’immoralité, et si la tâche est difficile, la reconnaissance de ses concitoyens ne lui manquera pas.
Qu’avant de bouleverser notre tarif de douanes, il convienne de poser d’abord les bases du système, et qu’à cet égard il soit utile d’attendre les résultats des négociations entamées avec la France, je veux bien le croire : que notre tarif doive toujours être en rapport avec ceux de nos voisins, cela présente sans doute des questions graves à examiner ; mais que nous ne puissions y introduire même des changements partiels, avant de connaître le résultat des négociations avec la France, je ne puis y consentir.
Pourquoi, par exemple, ne pas faire disparaître dès ce moment tous les droits de sortie qui sous différents prétextes grèvent nos propres produits à la sortie du pays ? Si la législature, par l’abolition du droit de sortie sur le charbon de terre et le bétail, a pris l’initiative dans cette matière, pourquoi le gouvernement ne présenterait-il pas quelque mesure générale sur cet objet ? C’est ainsi que je considère comme de la dernière urgence l’abolition du droit grevant nos bois à leur sortie du pays, depuis surtout que nos forges au bois chôment complètement et que l’administration des finances semble vouloir poursuivre à outrance les nombreux acquéreurs des bois du domaine, et, par une exécution inutile et préjudiciable au gouvernement même, consommer la ruine d’un grand nombre de propriétaires !
En attendant la réorganisation de l’administration des monnaies, il importe sans doute de signaler les abus graves auxquels donnent lieu les dispositions existantes relatives à la vérification des poids et mesures. Leur extrême arbitraire, le défaut de disposition pour leur donner une publicité suffisante, et sans néanmoins que les intéressés puissent légalement s’en prévaloir en justice, en font une des lois les plus odieuses. Des centaines de condamnations ont dû être prononcées cette année par les tribunaux du royaume. L’odieux des vices de la loi rejaillit sur l’administration des finances, et elle encourt la réprobation d’une portion notable des habitants du royaume.
Somme toute, sans nous attendre à un véritable débordement d’améliorations et d’innovations financières, il était permis de croire que la prudence de M. le ministre des finances ne se renfermât point dans de si étroites limites. J’ai l’espoir qu’il ne tiendra pas quelques-unes de ses promesses, et que, sous d’autres rapports, il fera beaucoup mieux qu’il n’a bien voulu nous promettre, afin que chaque jour qui s’écoule ne vienne détruire une illusion. C’est à ce prix qu’il obtiendra sans doute notre appui et loyal concours.
Je vote pour le projet de loi.
M. Desmaisières. - Si la balance entre les ressources et les dépenses du trésor public est une condition d’ordre, dont on ne saurait se départir sans compromettre gravement les finances d’un Etat et sans grever l’avenir d’onéreux sacrifices, il y a par cela même nécessité absolue, avant de créer les ressources, de commencer par arrêter le chiffre des dépenses, et les dépenses doivent absolument être réduites à celles dont on ne peut se dispenser sans risquer de compromettre à la fois l’état politique du pays, son administration intérieure, son commerce, son industrie et son agriculture, toutes choses qui, lorsqu’elles sont en péril, mettent est péril l’Etat lui-même, tant elles y sont intimement liées.
Pourquoi faut-il donc qu’aujourd’hui encore au moment de voter les lois de finances après quatre années de notre nouvelle ère politique, nous en soyons encore une fois réduits à arrêter le budget des voies et moyens avant même que le travail d’examen du budget général des dépenses ait été terminé dans les sections ? Pourquoi aussi n’avons-nous encore arrêté aucun compte ? Ce sont là, messieurs, de graves inconvénients que chaque année nous déplorons sans y avoir encore pu porter remède, et cependant tous nous reconnaissons que si cet ordre dans lequel nous votons les budgets se prolongeait encore pendant plusieurs années il en résulterait bientôt dans nos finances un désordre tellement grand que le remède ne serait plus possible.
Cette opinion a jusqu’ici trouvé en effet peu de contradicteurs dans cette enceinte, et nous avons entendu, il y a peu de jours, l’honorable membre de cette assemblée qui avait appelé cette opinion une hérésie financière, venir combattre pour elle, en vous demandant de renvoyer la discussion du budget des voies et moyens après qu’on connaîtrait positivement le chiffre du budget des dépenses du département de la guerre. Je regarderai donc comme démontré aujourd’hui pour tout le monde que si notre état politique, et mille autres causes qu’il est inutile d’énumérer, nous ont empêchés jusqu’ici de voter le budget des dépenses avant celui des voies et moyens, il n’en est pas moins de la plus grande urgence et du plus haut intérêt pour le pays qu’enfin nous en venions au seul ordre vraiment rationnel à suivre dans nos votes des lois de finances.
On a quelquefois comparé la comptabilité d’Etat à celle des particuliers ; on a même dit qu’il fallait que l’Etat imitât l’homme privé qui, avant de dépenser, commence par constater ses ressources et règle ses dépenses sur ses ressources ; et ainsi on est arrivé à dire que de même l’Etat devait régler ses dépenses sur ses ressources. Mais pour que cette manière de raisonner soit juste, il faudrait que l’Etat et le particulier se trouvassent réellement et identiquement dans les mêmes conditions, ce qui est loin d’exister.
D’abord, la fortune d’un particulier est d’une nature essentiellement restreinte, et celle d’un Etat ne l’est pas. Ensuite les dépenses d’un particulier peuvent être infiniment restreintes, et celles d’un Etat point. De ces différences-là seules, il résulte que le particulier ne peut dépenser annuellement que le montant que de son revenu annuel s’il ne vent compromettre l’avenir de la fortune, et que par suite, avant de fixer le chiffre de ses dépenses, il doit commencer par bien constater celui de ses revenus. Il n’en est pas de même d’une nation constituée en Etat indépendant. Il est pour celle-ci des dépenses qu’elle ne peut pas ne point faire sans risquer de porter gravement atteinte à la fois à son honneur, à son indépendance, à son crédit et à sa prospérité, en un mot à tout ce qui constitue véritablement sa fortune.
Dès lors, la première condition d’ordre pour elle, c’est celle de constater le chiffre de ses dépenses rigoureusement nécessaires, et la seconde, de réduire ensuite ou augmenter le chiffre de ses ressources de manière à ce que ces deux chiffres se balancent l’un par l’autre.
Mais, objectera-t-on sans doute, si cette nation est absolument hors d’état d’augmenter son budget des voies et moyens, et si cependant le chiffre de ses dépenses nécessaires et indispensables dépasse celui des ressources, comment fera-t-elle ? Messieurs, une pareille nation est fortement à plaindre, car elle est condamnée impitoyablement à périr. Heureusement, si telle était la situation du pays lorsque sous le régime déchu il était réuni à la Hollande, telle n’est pas la situation de la Belgique rendue à elle-même. Ses ressources, je dirai même ses richesses, quand elles sont bien régies, sont inépuisables. C’est là un fait tellement constaté, qu’il est passé en proverbe parmi tous les peuples qui ont eu occasion de connaître de près notre pays. Rien ne nous empêche donc de suivre dans notre comptabilité d’Etat les seules bonnes règles que tracent la saine raison et l’expérience de plusieurs siècles.
Plusieurs honorables membres de cette assemblée, messieurs, frappés qu’ils étaient des surcroîts de dépenses qu’entraînent toujours après eux les crédits provisoires, et de la grave atteinte portée par là à notre gestion financière, ont formulé des propositions qui tendaient à donner au cours de l’année financière des termes différents de ceux actuels et combinés de manière à coordonner l’exécution rigoureuse des articles 70, 111 et 115 de la constitution avec le vote des budgets dans le seul ordre rationnel qui puisse être adopté ; mais les auteurs de ces propositions eux-mêmes n’ont pas tardé, dès qu’il s’est agi de les discuter, à reconnaître qu’elles étaient inexécutables dans la pratique, que ce seraient là des remèdes pis que le mal qu’ils doivent guérir parce qu’ils ne tendaient à rien moins qu’à produire un bouleversement total, une révolution complète, si je puis m’exprimer ainsi, non seulement dans toute notre administration des différents départements ministériels, mais encore dans une foule de transactions entre les particuliers et l’Etat, et même entre des particuliers seuls. Car ces dernières transactions se rattachent presque toujours plus ou moins aux opérations financières de l’Etat lui-même.
Certes, en présence de l’article 70 de la constitution, qui fixe le deuxième mardi de novembre pour le commencement des sessions de la législature, il ne sera jamais bien possible d’avoir voté le budget général des dépenses avant le 1er janvier, et par suite on sera toujours forcé de voter le budget des voies et moyens avant celui des dépenses, vu que sans budget des voies et moyens, au 1er janvier, le gouvernement ne pourrait percevoir aucun impôt. Il est vrai de dire que le même article 70 de la constitution accordant au Roi le droit de convoquer extraordinairement les chambres, le ministère pourra toujours conseiller au Roi d’user de cette prérogative pour faire commencer les sessions de la législature un ou deux mois plus tôt, et qu’ainsi il sera entièrement remédié aux graves inconvénients que présente l’article 70 de la constitution.
Mais c’est là un remède qui dépend entièrement de la volonté du ministère, et cette volonté dans un gouvernement représentatif est souvent contrariée et maîtrisée par les fréquents changements des ministres, changements d’ailleurs qui, lorsqu’ils ont lieu, se font presque toujours entre deux sessions de la législature ; il faut alors aux nouveaux ministres un temps moral nécessaire pour se mettre bien au courant des affaires de leur département, confectionner des projets de loi, examiner, modifier et achever les projets préparés par leurs prédécesseurs.
Vous comprenez donc facilement, messieurs, qu’il ne sera pas toujours, peut être jamais, possible d’user de ce moyen. Cependant vous penserez comme moi, sans doute, qu’il est préférable à tout autre, et que le ministère devrait se faire un devoir de le mettre en pratique toutes les fois que les circonstances le lui permettront.
Il est encore un autre moyen qui, selon moi, peut être employé ici toutes les fois que celui dont je viens de parler paraîtra ne pas pouvoir l’être. Ce serait de présenter les comptes et les budgets à la chambre pendant le cours de la session qui précède l’exercice, mais toutefois assez à temps pour que l’examen puisse en avoir été fait en sections et les rapports des sections centrales avoir été présentés à la chambre avant la clôture de la session
On demandera peut-être si ce serait là bien observer ce que prescrivent, à cet égard, les articles 111 et 115 de la constitution qui veulent que les impôts soient votés annuellement et que chaque année les chambres arrêtent la loi des comptes et votent le budget. A cette question je répondrai d’abord qu’il est une de ces obligations, celle d’arrêter chaque année la loi des comptes, qui n’a pas encore été remplie une seule fois par la législature depuis que la constitution existe. Il y a plus, vous serez hors d’état de la remplir aussi longtemps qu’il n’aura pas de loi qui règle la manière dont les comptes de l’Etat doivent être rendus et arrêtés.
Je ne vois donc pas pourquoi on ne pourrait pas, pour les autres obligations, vu l’impossibilité qu’il semble y avoir de les remplir tout à fait à la lettre, se borner à ce que dicte l’esprit de la constitution. D’ailleurs, par le moyen que je propose, la discussion en public, ainsi que le vote qui le suit, auraient lieu pour chaque budget général de l’Etat, chaque année, dans les premiers mois de chaque session, et par conséquent on satisferait même pleinement à ce que veut la lettre de la constitution.
Il m’est arrivé plusieurs fois de dire qu’il est vraiment déplorable que nous n’ayons pas pu arrêter une seule loi des comptes. Car comment, plusieurs années après l’exercice pourra-t-on bien arrêter un compte de l’Etat ? comment alors pourrons-nous encore faire justice des abus commis ? Que seront devenus les crédits non employés ? Quel profit en aura-t-on tiré ? Comment pourrons-nous arrêter à la fois plusieurs comptes pendant le peu de temps que nos autres travaux législatifs laissent à peine pour en examiner à fond un seul ?
A coup sûr, il n’est ni dans l’esprit ni dans la lettre de la constitution d’arriver à un chaos de chiffre de toute espèce tel qu’il ne sera plus possible d’y rien comprendre, et par suite de juger avec connaissance de cause s’il n’y a eu aucun abus et quels sont les moyens d’arriver au redressement de ces abus. C’est là cependant où nous marchons, messieurs, en suivant la marche que nous sommes forcés de suivre, parce que, je le répète, nous n’avons pas de loi qui règle la manière dont les comptes doivent être rendus et arrêtés.
J’en viens à l’objection que l’on a faite contre les réductions proposées par le ministère lui-même sur le budget de la guerre, et par suite de laquelle on voudrait, à l’exception du dégrèvement proposé en faveur des bateliers, que je reconnais très juste et équitable d’ailleurs, voir figurer au budget des voies et moyens les principales contributions au même taux et avec le même nombre de centimes additionnels que l’année dernière. Je vous avoue, messieurs, que je n’ai pas très bien compris toute la portée de cette demande. A-t-on voulu dire par là qu’il ne fallait pas dégrever l’impôt foncier, qui a eu à supporter deux emprunts forcés, et d’abord 40 centimes et plus 20 centimes additionnels ?
Je ne le pense pas, car il y aurait, comme l’a très bien dit M. le ministre des finances injustice, et j’ajoute moi, injustice révoltante, à continuer d’accabler ainsi la propriété immobilière qui est, en Belgique où l’agriculture domine tous les intérêts, la principale source des richesses du pays, que dis-je ? la seule source sur laquelle l’Etat puisse compter dans les moments de guerre et de crise politique. Il faut certainement, comme on l’a dit, prendre l’argent où il se trouve, mais il faut aussi faire en sorte qu’il s’y trouve lorsqu’on en aura besoin, lorsqu’il s’agira de l’y puiser ; or, ce n’est pas en épuisant une source qu’on fera qu’il s’y trouvera encore quelque chose lorsqu’on devra y avoir recours.
Aussi sont-elles éminemment justes les considérations par lesquelles la section centrale s’est décidée à maintenir le dégrèvement de 10 centimes additionnels proposé par le ministre en faveur de l’impôt foncier. La législature a, par la loi sur les céréales, reconnu l’état de souffrance de l’agriculture ; et quelques mois après, lorsqu’à peine cette principale source de nos richesses nationales commence à ressentir les bienfaits de cette loi, cette même législature irait maintenir la surcharge qui pèse si fortement sur elle ! Non, la législature se gardera de rendre deux arrêts aussi contraires l’un à l’autre.
D’ailleurs, que devons-nous rechercher avant tout, messieurs, lorsque nous votons un budget des voies et moyens ? N’est-ce pas d’établir un juste équilibre entre les divers impôts qui composent ce budget ? Or c’est à peine si cet équilibre sera rétabli lorsqu’on aura supprimé 10 des centimes additionnels sur l’impôt foncier : nous ne pouvons donc nous y refuser ; mais on avait des craintes de guerre, et par suite on voulait voir augmenter le chiffre de crédits de la guerre au lieu de les voir diminuer de trois millions, ainsi que le propose le ministère lui-même.
Je ne sais pas s’il est bien politique, bien dans l’intérêt même de l’augmentation de nos ressources, de faire croire ainsi à l’imminence de la guerre, lorsque cette imminence n’existe réellement pas. Car, lorsque la législature se montre animée de ces espèces de terreurs paniques, il en résulte aussi des terreurs paniques dans le commerce, sur les différentes bourses du pays, dans l’industrie et chez les contribuables. Bien que je me plaise à reconnaître que c’est par le plus pur et le plus sincère patriotisme que sont mus les honorables membres qui ont élevé l’objection qu’en ce moment je combats, je n’hésite pas à dire que l’objection tirée de l’imminence de la guerre nous fait marcher à un but tout contraire de celui que se sont proposé ces honorables membres : au lieu de produire l’augmentation réelle de nos ressources, son effet est de les diminuer ou plutôt de les rendre insuffisantes par suite d’augmentation dans les dépenses, sans augmentation proportionnelle dans nos moyens de guerre. Pour prouver la vérité de mon assertion,je n’as qu’à citer des faits récents.
Consultez, messieurs, le relevé des adjudications récemment faites ou tentées par le département de la guerre, et vous verrez que les prix ont tous dépassé les prévisions du ministre, prévisions qui cependant étaient très fondées et très bien établies sur les prix courants des céréales et fourrages, mais que les bruits de guerre qui ont accompagné le remplacement du ministère wigh par le ministère tory en Angleterre ont tout à fait contrariées en donnant des craintes de hausse dans les denrées à nos entrepreneurs qui ont alors dès ce moment demandé des prix élevés.
Notre organisation militaire, quant à l’armée de ligne, messieurs, est telle aujourd’hui qu’avec des soldats aussi instruits, aussi bien disciplinés, aussi valeureux et commandés par des chefs aussi expérimentés, aussi animés du désir de verser leur sang pour la patrie, nous n’avons rien à craindre de quelque espèce d’agression que ce soit de la part des troupes hollandaises : il y aurait donc folie de notre part à aller faire des dépenses dont l’utilité serait évidemment exagérée ; mais je serai tout à fait de l’avis des honorables membres auxquels je réponds lorsqu’il s’agira de faire les autres dépenses de guerre que l’on ne se décide à effectuer que lorsque la guerre est absolument imminente, parce que les faire avant, c’est risquer de surcharger les contribuables sans utilité réelle pour l’Etat.
C’est pourquoi je ne verrais nul inconvénient à ce que, conformément à la nouvelle proposition ministérielle, l’on ajoutât au budget des voies et moyens que nous discutons en ce moment, et qui est le budget ordinaire, un supplément extraordinaire pour le cas de guerre, au moyen d’un certain nombre égal de centimes additionnels à percevoir sur les principaux ou sur tous les impôts. Je dis un nombre égal, parce que, dès qu’il est reconnu qu’il y a équilibre, il ne faut pas surcharger l’un des impôts plus que l’autre.
Si plus tard alors le gouvernement jugeait ces centimes additionnels encore insuffisants pour mener la guerre à bonne fin, ils auront toujours été du moins plus que suffisants pour attendre qu’une convocation extraordinaire des chambres, dans la supposition où celles-ci ne se trouveraient plus réunies, vienne mettre le gouvernement à même d’obtenir de la législature des lois qui créent de nouvelles ressources extraordinaires en faveur du trésor. Toutefois, comme d’une part je ne crois pas à l’imminence de la guerre, et que d’autre part nous serons encore réunis assez longtemps cette année, je crois qu’il vaudrait mieux remettre le vote d’une loi de crédits extraordinaires pour le ministère de la guerre, en même temps qu’une loi de voies et moyens extraordinaires, destinée à faire face à ces dépenses, à la fin de la session actuelle, avant de nous séparer.
Vous serez peut-être étonnés, messieurs, que j’appelle le budget général des dépenses un budget ordinaire, tandis que celui du département de la guerre calculé sur un pied de quasi-guerre est encore plus élevé d’environ 16 à 18 millions que le chiffre auquel devra seulement s’élever ce budget en temps de paix ; mais il y a à observer qu’alors nous aurons à payer à peu près 18 millions pour notre part de la dette hollandaise, 18 millions que, pour les années écoules depuis le traité du 25 novembre jusqu’à l’acceptation de ce traité par la Hollande, nous sommes fondés à considérer comme acquitté par nous au moyen des dépenses de guerre que cette non-acceptation du traité par la Hollande nous force à faire. Le chiffre total de 84 millions est donc celui que nous devons considérer comme étant le chiffre total de toutes nos dépenses en temps ordinaire, et ce d’autant plus qu’à la paix il nous restera beaucoup de dépenses à faire en travaux publics impossibles maintenant, mais qui seront alors nécessités par et pour le développement et la prospérité de notre commerce et de notre industrie.
Car, messieurs, si nous n’avons plus alors la guerre politique pour puiser au trésor, nous aurons la rivalité, la guerre industrielle et commerciale des peuples. Il est vrai que celle-ci a cela de bon, au moins, que si elle nous force à dépenser plus, elle nous rend avec usure l’argent que lui prête le trésor, en travaux de routes et canaux, par l’accroissement de revenus qu’elle nous procure. Notre budget sera donc à peu près le même en temps de paix, mais les contribuables sauront mieux payer, alors que ce surcroît de dépenses ne fera que leur assurer une aisance plus grande, des revenus plus considérables, alors qu’en un mot dépenser ce ne sera plus, comme relativement à une partie de nos dépenses actuelles, dépenser sans espoir de retour, mais au contraire dépenser pour rendre notre travail et nos capitaux plus productifs.
D’ailleurs, messieurs, un budget ordinaire de 84 millions est-il bien réellement pour la Belgique éminemment active, industrieuse et agricole, une charge si élevée, que le pays ne présente pas assez de ressources pour la supporter ? La négation est de notoriété, je ne dirai pas seulement européenne, mais de notoriété universelle. Je n’entrerai donc pas, pour le prouver, dans des considérations tirées, comme l’a fait quelquefois l’ancien ministère, de la comparaison de ce que paie le contribuable dans notre pays, et dans d’autres pays soumis comme nous au régime constitutionnel. De pareils calculs ne peuvent jamais qu’être inexacts, parce que les données qui leur servent de bases sont toujours inexactes elles-mêmes, en raison de la difficulté insurmontable qu’il y a à apprécier exactement les charges et ressources provinciales ou communales des pays que l’on compare, ressources qui doivent cependant nécessairement entrer en ligne de compte si l’on veut établir une comparaison juste.
Mais alors, nous dira-t-on peut-être, pourquoi vous plaigniez-vous si amèrement sous le régime déchu ? Pourquoi toutes ces plaintes qui ont été jusqu’à amener une révolution ? A cela je répondrai que c’est moins en réalité du chiffre en général de la part d’impôt qui incombait aux Belges qu’on se plaignait vivement alors, mais bien plutôt de l’inégale et injuste répartition des impôts entre le Hollandais et le Belge, entre l’habitant de telle province et celui de telle autre province, entre telle industrie et telle autre industrie, entre le riche et le pauvre enfin. Aussi depuis la révolution, s’est-on hâté de faire disparaître de notre budget les impôts les plus mal répartis, et par cela même les plus odieux, les plus révoltants. Je rends cette justice à notre administration financière, nous la voyons entrer aujourd’hui dans une ère de réformes vivement désirée par le pays. Déjà l’impôt foncier va sous peu être reparti plus également, et le ministre des finances a institué une commission de révision de notre système actuel d’impôts qui s’occupe activement mais avec toute la maturité qui est de règle en pareille matière, des modifications à y introduire pour le rendre plus équitable et plus juste sans atténuer toutefois les revenus de l’Etat.
Je n’ai pas la prétention, certes, de donner de conseils aux hommes expérimentés et éclairés qui composent cette commission ; mais il est un principe dont elle doit surtout bien se pénétrer, c’est le principe que j’ai déjà cité, et qui consiste à faire en sorte que l’impôt puise dans la poche de chaque habitant proportionnellement à ce qui s’y trouve. Alors, aucune plainte ne pourra plus s’élever, alors on pourra payer en masse plus qu’on ne payait auparavant, parce que chacun ne paiera que ce qu’il sait payer, et que tel contribuable ne verra plus son voisin, gorgé de richesses, payer quelquefois moins que lui, réduit à se couvrir de haillons pour pouvoir acquitter l’impôt.
Je n’en disconviens pas, le problème est extrêmement difficile à résoudre, une solution mathématiquement exacte est même ici tout à fait impossible ; mais ce serait faire injure au patriotisme éclairé de notre ministre des finances et des membres de la commission, à leur zèle pour le bien public et à leurs lumières, que de douter un instant qu’ils tardent longtemps à nous présenter des solutions assez près de l’exactitude mathématique pour que nous puissions donner suite au désir ardent que nous avons tous ici au peuple cette satisfaction de justice distributive qui lui est due.
Profitons donc du statu quo, de l’espèce de quasi-paix du moment, pour améliorer notre système d’impôts ; hâtons-nous lentement, mais hâtons-nous d’arriver à des résultats ; ne nous laissons surtout pas bercer par des négociations que nos amis en politique, mais nos rivaux en fait d’industrie et de commerce, semblent vouloir exprès rendre interminables. Si la France ne veut pas traiter avec nous sur les bases que nous avons posées dans notre adresse au Roi, je veux dire sur les bases d’une juste réciprocité, tournons, oui tournons nos regards, comme on l’a dit déjà dans cette enceinte, vers l’Allemagne qui, aussi bien que la France, a intérêt d’établir avec nous des relations commerciales fondées sur le principe d’une juste réciprocité ; et surtout, si nous voulons arriver à une issue tant soit peu favorable et prompte des négociations entamées, ne proclamons point qu’il faut attendre cette issue avant de rien changer, même partiellement à notre tarif actuel, car la liberté d’introduction de marchandises étrangères qui domine presque tout notre système de douanes actuel n’est pas très propre à engager les autres nations à entrer dans une autre voie que celle suivie actuellement par elles.
En fait d’intérêt, les nations aussi bien que les particuliers sont égoïstes. Vous nous permettez d’arriver librement chez vous, nous diront-elles ; il vous est impossible de venir chez nous ; eh bien, tout est profit pour nous dans ce système de relations de commerce internationales ; pourquoi donc irions-nous y changer quelque chose ? D’ailleurs, messieurs, faut-il qu’en attendant l’issue de négociations qui durent déjà depuis quatre ans et qui n’ont pas l’air d’être bientôt terminées si l’on en juge par l’enquête commerciale et industrielle du gouvernement français ; faut-il, dis-je, que nous laissions périr notre industrie, notre agriculture ? Faut-il que nous disions au malheureux ouvrier qu’une faim pressante le pousse à nous demander du pain : Sois tranquille, mon ami ; prends patience ; nous négocions pour te procurer du pain ; et en attendant, vas où tu peux ?
Je me hâte de le dire, messieurs, tel n’est pas le sens qu’il faut donner aux paroles du ministère lorsque, dans son exposé des motifs du budget des voies et moyens, il nous a dit que nous ne pouvions pas faire de changements, même partiels, à notre tarif de douanes, avant que les démarches de nos commissaires à Paris aient amené un résultat. Je suis trop persuadé de la bonne foi et du zèle pour le bien du pays qui anime le ministre qui a prononcé ici ces paroles, pour croire que tel en a été le sens, et j’espère qu’il nous donnera, à cet égard, des explications pleinement satisfaisantes, faute desquelles je me verrai obligé, quant à moi, dans l’intérêt de nos nombreux industriels et ouvriers, de voter contre un budget des voies et moyens fait sur de tels principes de gouvernement.
- Plusieurs membres. - A demain ! à demain !
- Il est 4 heures et demie. La séance est levée.