(Moniteur belge n°319, du 15 novembre 1834)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
- MM. les représentants ne sont pas en nombre pour délibérer. La séance est ouverte à une heure moins un quart.
M. Dechamps donne lecture du procès-verbal. La rédaction en est adoptée.
M. de Renesse fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur N. Hemery renouvelle sa demande en naturalisation. »
« Le sieur le Prevost de Basserode propose quelques modifications à la loi sur le notariat. »
« La dame veuve Guillaume Claessens, propriétaire d’un terrain dans le polder d’Ordum (Anvers), qui a été occupé par les victimes des inondations par ordre de l’autorité, demande à être rétablie dans la possession de sa propriété. »
« Le sieur Poncin Casaqui, avocat, réclame la prompte exécution du canal de Meuse-et-Moselle et la production du rapport promis par le ministre sur cette affaire. »
M. de Puydt. - Parmi les pétitions qui viennent d’être mentionnées, il en est une qui est relative au canal de Meuse-et-Moselle et sur laquelle je crois devoir appeler l’attention de la chambre.
Le but que le pétitionnaire s’est proposé est suffisamment annoncé par l’analyse que vous venez d’entendre. La pétition tend à rappeler au gouvernement la promesse, faite à la fin de la dernière session, d’un rapport sur la suspension des travaux du canal de Meuse-et-Moselle et sur les moyens d’en continuer l’exécution ; je fais des vœux pour que ce but soit atteint.
L’affaire est plus importante qu’on ne pense, elle intéresse non seulement les deux provinces où le canal doit passer, mais encore le pays tout entier.
L’industrie charbonnière de Liége a souffert depuis la révolution, par la cessation de nos relations commerciales avec la Hollande qui la prive d’une partie de ses débouchés ; c’est un fait incontestable et prouvé par les discussions mêmes de la chambre : que le canal de Meuse-et-Moselle soit achevé, et les charbons de Liége trouveront de nouveaux débouchés par l’Ourthe canalisée dans toutes les Ardennes.
La province de Luxembourg n’a qu’une agriculture dans l’enfance, faute de communications faciles qui lui procurent des moyens d’engrais. Son industrie est presque nulle, faute des éléments les plus essentiels à cette industrie : que le canal de Meuse-et-Moselle soit fait, et la province de Luxembourg verra son agriculture fleurir, son industrie se développer, la valeur des terres augmenter, la population s’accroître, et ce pays, aujourd’hui pauvre et improductif au trésor, pourra dans un avenir peu éloigné rivaliser les provinces les plus riches du royaume.
J’ai parcouru récemment une partie de la ligne du canal dont il s’agit, j’ai pu apprécier le véritable état des travaux, et je donnerai à cet égard des renseignements à la chambre quand la question sera en discussion.
Pour le moment je me borne à demander que la pétition en question soit renvoyée directement à M. le ministre de l’intérieur.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ne m’oppose pas au renvoi : je promets à la chambre de lui faire sur cet objet un prompt rapport.
M. Gendebien. - Il me semble que la motion d’ordre est contraire à nos usages parlementaires. Je ne comprends pas les motifs de la demande du renvoi de la pétition au ministère, puisque le ministre de l’intérieur est remplacé. Je crois convenable de renvoyer le mémoire à la commission des pétitions, nous connaîtrons par ce moyen tout ce qui est relatif à la pétition. (Appuyé ! appuyé !)
- Le renvoi à la commission des pétitions est ordonné.
M. Ch. Vilain XIIII, proclamé membre de la chambre dans une des précédentes séances, est admis à prêter serment.
M. Devaux., au nom de la commission chargée de la vérification des pouvoirs des députés nouvellement élus, entretient la chambre de la nomination de M. de Troye pour le district de Thuin. - Lorsqu’il y a des membres nouveaux à admettre dans notre sein, dit M. Devaux, il ne faut pas mettre en oubli les conditions très simples de l’éligibilité que la loi exige. Parce que les conditions sont simples, il serait facile d’en abuser l’acte de naissance exigé ; celui de M. de Troye est fourni aujourd’hui ; il prouve que l’élu de Thuin est né Belge et a l’âge convenable. Les pièces de l’élection constatent que tout s’est passé régulièrement. En conséquence, la commission propose l’admission de M. de Troye.
- Les conclusions de la commission sont adoptées sans opposition.
M. de Troye est introduit et prête serment.
M. de Nef. - Le discours du trône si rassurant sur nos relations avec la plupart des puissances est de nature à nous faire envisager l’avenir avec calme et confiance ; le traité du 15 novembre est devenu notre droit ; son exécution nous est garantie ; jusque-là nous sommes placés dans une situation dont les conséquences fâcheuses sont toutes à charge de la Hollande ; pour le présent, c’est la Hollande seule qui est obligée de faire face au paiement de la dette ; pour l’avenir c’est elle seule qui certes devra supporter le surplus des dépenses de l’armée, sur le pied de guerre, et à cet égard nous avons heureusement dans nos propres mains une garantie certaine et efficace, savoir : les intérêts de la dette échus postérieurement au traité.
Le pays aura appris avec joie et reconnaissance l’annonce d’une nouvelle diminution de centimes additionnels et celle des modifications à apporter dans la répartition de l’impôt ; ces modifications jointes à l’achèvement du cadastre, qui nous est promis au renouvellement de l’année, feront enfin disparaître l’inégalité criante qui a existé jusqu’à ce jour dans la contribution foncière.
Je donnerai donc mon vote approbatif au projet d’adresse qui me paraît répondre convenablement aux résultats satisfaisants annoncés par le discours de la couronne.
M. Doignon - Messieurs, le changement de ministère est depuis quelques mois l’acte le plus remarquable de notre gouvernement. J’aurais désiré que le projet d’adresse exprimât la pensée de la chambre sur cet heureux événement.
Le pays a vu avec satisfaction le renvoi de presque tous les membres du précédent cabinet. Nous devons rendre grâce au pouvoir royal d’avoir compris qu’une demi-mesure est dangereuse en pareil cas et qu’il fallait totalement renouveler le cabinet.
L’impopularité qui poursuivait l’ancien ministère commandait cette mesure. Déjà, avant sa retraite, il était usé et perdu dans l’opinion générale. En Belgique, c’est une témérité d’attendre, pour la satisfaire, qu’elle se manifeste par des cris ou des scènes de désordre.
La chute d’un ministère doit servir de leçon à celui qui lui succède : je désire qu’elle ne soit point perdue pour nos nouveaux ministres, et qu’ils comprennent bien leur position.
Tel est l’aveuglement d’un mauvais ministère, qu’il se croit fort, qu’il se croit sauvé lorsqu’il est parvenu à se faire une majorité de chiffres dans la chambre, majorité factice que le pays et le pouvoir royal finissent par apprécier bientôt à sa juste valeur : au lieu de peser les voix, il les compte dans la chambre comme le joueur dans une maison de jeu compte les points qu’il a gagnés ou perdus.
D’où vient, messieurs, qu’en général ceux qui arrivent au pouvoir ne sont bientôt plus les mêmes hommes ? c’est que peu à peu ils ne reçoivent plus leurs inspirations de leur conscience. Une puissance occulte les environne, les circonvient et leur donne une impulsion opposée à leurs antécédents. Ainsi, par exemple, à l’égard de notre constitution qui est l’une des plus libérales de l’Europe, toute la diplomatie des puissances du nord et des princes allemands s’est soulevée contre elle ; tous voudraient la voir mutilée, déchirée. Eh bien, afin de flatter cette politique étrangère, des ministres oubliant bientôt leur serment ne craindront pas de se montrer hostiles à nos plus précieuses libertés, et d’abuser de leurs talents et de la bonne foi de la chambre pour lui surprendre de funestes concessions.
C’est particulièrement de la France que nos ministres ont à redouter et à laquelle ils résistent avec peine ; la gallomanie ne s’empare que trop souvent de nos têtes ministérielles. Comme si le Belge ne devait pas avoir une législation appropriée aux mœurs et au caractère qui le distinguent tout à fait du Français, c’est dans ce pays voisin où le nom sacré de la liberté est si souvent profané, où l’on maintient encore en vigueur des lois destructives des libertés, individuelle, de conscience, des cultes, d’association, d’enseignement, etc. ; c’est dans ce pays volcanique que nos hommes d’Etat vont trop souvent puiser leurs projets et leurs sophismes, pour les appliquer à notre Belgique si calme, si paisible, si digne au contraire de servir de modèle à la France ; à notre Belgique qui, sans se livrer comme sa voisine à de vaines jactances de libéralisme, parle peu de liberté, mais en connaît beaucoup mieux tout le prix et en jouit réellement dans la pratique comme il appartient à un peuple vraiment libre.
Honte et malheur aux ministres qui, en matière législative, écoutent les insinuations de la France, ou se laissent séduire par l’exemple et l’ascendant de ce gouvernement étranger ! Jamais ils ne sympathiseront avec la majorité de la nation. Si quelques-uns de nos hommes d’Etat ne se sentaient pas le courage d’opposer une noble résistance à l’étranger qui voudrait nous imposer ses lois ou menacer notre constitution, je les en conjure, qu’ils veuillent se retirer plutôt que d’avilir à ce point notre belle patrie.
Nous avons beaucoup à espérer des ministres honnêtes hommes que le roi a appelés au timon de nos affaires : qu’ils n’oublient jamais que la véritable force est dans la justice et dans l’exécution franche et loyale du pacte social, qu’ils se souviennent que leurs prédécesseurs ont fait perdre au gouvernement une partie de l’affection du peuple, à cause de leurs violations flagrantes de la constitution et des lois. La chute du dernier ministère doit surtout leur apprendre que c’est se faire illusion que de croire que le gouvernement possède la confiance de la chambre et du pays, parce que celle-ci vote les budgets et plusieurs de ses propositions. Les plus hautes considérations politiques peuvent alors déterminer le vote des chambres.
Nos hommes d’Etat n’imiteront pas, je l’espère, leurs prédécesseurs, en se constituant les champions de toutes les doctrines qui tendent à l’absolutisme et à faire de notre constitution un mensonge. Sous le spéciaux prétexte que les chambres doivent accorder leur confiance au gouvernement, ils ne viendront pas non demander comme eux le sacrifice des droits constitutionnels du peuple ; comme leurs prédécesseurs, ils ne calomnieront pas sans cesse notre constitution, en s’écriant que le gouvernement ne peut marcher, lorsque l’évidence du fait contraire prouve à tous les yeux, depuis quatre ans, qu’il marche très bien avec nos institutions, lorsqu’enfin le discours du trône nous apprend lui-même que l’ordre le plus parfait règne dans le royaume.
Le nouveau ministère est sans contredit l’œuvre de la chambre des représentants de la nation ; mais, de ce qu’il est sorti de cette chambre, on se tromperait d’en conclure que les principes et les opinions de chacun de ses membres représentent ceux de la majorité. Le pouvoir royal serait donc dans l’erreur, s’il croyait voir réunis dans son nouveau cabinet tous les vœux et l’opinion du pays ; on ne peut ignorer les antécédents de chacun d’eux ; mais le renouvellement total du ministère était devenu un besoin si impérieux, que ce changement est dans tous les cas un événement dont la nation doit se féliciter.
Nous aurions désiré pouvoir faire l’éloge de tous les acte du nouveau ministère depuis son entrée en fonctions ; mais il est pénible pour nous de devoir blâmer les dernières nominations qu’il a faites à plusieurs gouvernements provinciaux. Je ne pense pas que l’esprit de justice ait présidé à ces actes du gouvernement, comme l’annonce cependant l’avant-dernier paragraphe du discours du trône. L’absence de toute réponse à ce paragraphe dans le projet de la commission nous autorise à croire que si elle-même n’improuve pas formellement ces nominations, elle ne leur donne pas non plus son approbation.
En vain, le ministère voudrait-il se retrancher derrière la prérogative royale pour échapper à la censure de la chambre. Certes on ne peut contester au Roi le droit de nommer à un emploi d’administration générale telle personne qui lui plaît ; l’article 66 de la constitution lui confère ce droit et la chambre ne peut y mettre aucun veto : mais, autant il est vrai qu’elle ne peut empêcher directement la nomination la plus impopulaire ou la plus nuisible au bien de l’Etat, autant il est incontestable que la chambre a le droit de censure sur cet acte du pouvoir exécutif comme sur tout autre.
Aucun acte du Roi, dit l’article 64 de la charte, ne peut avoir d’effet s’il n’est contresigné par un ministre qui, par cela seul, s’en rend responsable. Ainsi, la responsabilité ministérielle ne souffre aucune exception, et tous les actes quelconques du Roi y sont soumis : cette règle reçoit donc son application pour un arrêté royal de nomination comme pour tout autre. Or, la responsabilité emporte nécessairement avec elle le droit de critique. Celui qui répond d’un acte envers un tiers, reconnaît par cela même le droit d’examen de la part de celui-ci.
On ne concevrait plus de responsabilité, et elle ne serait plus qu’une véritable dérision, si le droit d’examen était interdit en pareil cas. La garantie que doit donner au pays la signature du ministre n’aurait absolument aucun effet, s’il pouvait fermer la bouche aux députés de la nation, en leur disant : « J’ai usé de mon droit et vous n’avez pas celui de me critiquer ».
Qu’il ait usé de son droit, c’est ce que nous reconnaissons avec lui, et il y a plus, les nominations étant des actes qui reposent entièrement sur la confiance personnelle, et la prudence ne permettant pas naturellement qu’on puisse toujours en divulguer les motifs, le ministre, eût-il même nommé un Libry-Bagnano, ne pourrait être tenu à rendre compte malgré lui des motifs de sa détermination ; car, s’il en était autrement, le Roi et ses ministres ne seraient plus libres dans l’exercice de leur droit constitutionnel relativement aux nominations de hauts et petits fonctionnaires.
Mais si, d’une part, ils sont dans leur droit lorsqu’ils veulent se renfermer dans un silence absolu, et alors eux-mêmes doivent accepter toutes les conséquences de ce silence ; d’un autre côté aussi, la chambre est dans son droit lorsqu’elle parle et exerce son droit de discussion et de critique à l’égard de pareils actes. Elle n’a pas le droit, il est vrai, de s’opposer à l’acte ministériel qui peut recevoir toute son exécution, malgré même tout le blâme dont elle peut le couvrir mais elle a incontestablement sur cet acte le droit de censure, et si elle ne peut arrêter le gouvernement dans sa résolution de donner suite à l’acte lui-même, il lui est libre de faire usage de ses autres droits constitutionnels, pour le forcer à rentrer dans la voie qu’elle croit la plus conforme au vœu et au bien du pays.
Supposons que le gouvernement nomme membre du cabinet un homme notoirement connu par ses antécédents comme ennemi de la patrie, qui oserait soutenir que la constitution condamne toute la représentation nationale au silence, tandis qu’il n’y aurait dans tout le royaume qu’un cri d’indignation contre une semblable nomination, tandis que cette nomination compromettrait elle-même le salut du pays ? La responsabilité ministérielle est sans doute, plus ou moins difficile à atteindre quand il s’agit de nominations ; mais ce n’est pas une raison pour soutenir qu’elle n’existe point, et que par suite le droit de blâme n’appartiendrait point à la chambre. En un mot, l’erreur de nos adversaires, c’est de confondre le droit de veto avec le droit de critique ; c’est celui-ci seul qui appartient aux chambres.
J’ai entendu professer par un membre du cabinet actuel l’opinion que la chambre pouvait intervenir à l’égard des arrêtés de nomination, lorsque leur ensemble annonçait une tendance qu’elle jugeait dangereuse ; mais comme la tendance ne peut se manifester et ne s’établit réellement que par un concours d’actes individuels, il faut bien, même d’après cette opinion, que la chambre puisse librement discuter l’esprit et les motifs de chacun de ces actes lorsqu’ils se présentent, et il serait absurde de prétendre que les représentants de la nation fussent tenus d’attendre que le mal soit arrivé au plus haut degré avant de pouvoir ouvrir la bouche. An surplus, il y a déjà ici un concours d’actes de nomination de certaine catégorie, puisque le gouvernement a nommé à presque toutes les provinces du royaume. Ainsi, dans le sens même de ce membre du cabinet, le droit de critique de la chambre est ouvert dès à présent.
Le discours du trône garde un silence absolu sur l’état des négociations de nos affaires extérieures ; je demanderai que le ministère nous donne sur ce point un mot d’explication. Nous le prions de nous dire si ce moment n’est point venu de mettre la Hollande en demeure, afin de faire cesser les intérêts de la dette pour l’avenir, sans préjudice à nos moyens de compensation pour les arrérages échus.
Le pays apprend avec joie qu’une économie sévère sera introduite dans les dépenses publiques. Nous attendrons avec confiance que M. le ministre des finances veuille bien faire connaître les dépenses sur lesquelles des réductions doivent être faites.
M. Dumortier. - Si personne ne demande la parole, je la demanderai. Je croyais que le ministère avait quelque chose à répondre à mon honorable ami.
M. le président. - La parole est à M. Dumortier.
M. Dumortier. - Messieurs, lorsqu’un ministère nouveau succède à un ministère qui se retire, il est d’usage que celui qui accepte la dépouille de ses prédécesseurs, fait à la nation une profession de foi politique qui expose la manière dont il croira devoir marcher pendant son administration ; je m’attendais en conséquence à voir dans le discours du trône quelque chose qui se rapportât aux grandes questions qui ont été agitées pendant plusieurs années dans cette enceinte, et j’ai été étonné du silence qui a été gardé à cet égard.
A la vérité nous avons été charmées de voir l’indifférence avec laquelle le gouvernement a traité le roi Guillaume dans le discours de la couronne ; j’approuve cette indifférence, quant à la forme du moins ; je suis satisfait que l’on fasse voir au roi Guillaume que nous nous inquiétons peu d’être reconnus par lui, et qu'il parle ou non des révoltés, aux états-généraux de Hollande.
Mais quant au principe constitutionnel, lorsqu’un ministère entre aux affaires, il faut que les représentants de la nation sachent quelle pensée dirigera l’administration ; il faut que le ministère présente le programme de sa gestion, et c’est ce qui n’a pas été fait. Si je me lève, c’est pour avoir une réponse relativement aux grandes questions nées de la séparation de la Belgique d’avec la Hollande. J’aurais bien d’autres interpellations à faire sur l’adresse, mais pour le moment je me borne aux points principaux que j’ai indiqués.
Vous connaissez la convention du 21 mai ; elle est définie par la convention du 21 mai. Espèce d’arbre du bien et du mal, cette convention a porté des fruits précieux et des fruits amers ; des fruits précieux pour le présent, des fruits amers pour l’avenir.
Par la convention du 21 mai, nous restons en possession des avantages que nous avons conquis par la révolution ; par elle, nous conservons des frères qui, comme nous, ont secoué le joug de la Hollande, qui ont conquis par eux-mêmes et sans nous le droit de rester Belges à jamais ; par elle enfin, nous écartons l’obligation de payer sur-le-champ la dette hollandaise. Voilà les bons fruits de la convention du 21 mai ; c’est ce qui est relatif au présent.
Quant à l’avenir, elle laisse toujours subsister le traité du 15 novembre et place ainsi la Belgique dans la position la plus funeste ; elle nous lie vis-à-vis des puissances sans lier le roi Guillaume, de telle sorte qu’il est libre et nous ne le sommes pas ; enfin elle permet de supposer que le roi Guillaume pourra un jour exiger de nous les arriérés de la dette. Ainsi, du bien, beaucoup de bien pour le présent, du mal, beaucoup de mal pour l’avenir. Voilà la position bien nette où nous a placés la convention du 21 mai.
Si le ministère d’alors avait bien compris la situation de la Belgique, il aurait pu tirer parti de l’embarras de la France et de l’Angleterre lorsque ces puissances voulaient se débarrasser du blocus de la Hollande. Il aurait pu dire : Je n’ai accepté les conditions onéreuses du traité du 15 novembre que sous la condition formelle de son exécution immédiate. Alors, par suite de l’incurie du ministère, par le défaut d’organisation, par la trahison peut-être, la Belgique était dans une position funeste ; aujourd’hui cette position est changée, nous avons une armée forte, brave, bien disciplinée ; nous pouvons faire nos affaires par nous-mêmes, et puisque vous vous désistez de l’obligation de faire exécuter le traité, de mon côté je me désiste à mon tour des conditions onéreuses du traité du 15 novembre, relativement à la dette et aux cessions de territoire.
Voilà quelle aurait dû être la conduite du précédent ministère. Loin de là, il n’en a rien fait ; maintenant dans l’adresse actuelle on se tait encore sur un point si important, et cela lorsque le ministre du roi Guillaume déclare que la question de la dette est irrévocablement arrêtée.
Ce qui vient de se passer en Hollande est digne d’attirer votre attention : vous avez connaissance sans doute du discours prononcé par le ministre des finances du roi de Hollande dans la séance du 25 octobre dernier, lors de la présentation des budgets de l’exercice 1835. Que dit le ministre dans ce discours ?
Il déclare que l’obligation contractée par la Belgique de supporter une partie de la dette est établie dans l’opinion du gouvernement néerlandais aussi fermement qu’elle est reconnue par toutes les négociations. Le ministre dit ensuite que dans le budget de 1835, il n’y a pas d’allocation pour la partie de la dette à la charge de la Belgique et qu’un projet de loi chargera le syndicat du paiement de cette portion de la dette. « Je n’ai pas besoin, ajoute le ministre, de rappeler tout ce qui a eu lieu au sujet de cette dette depuis quatre ans. Cette partie qui est indivisible du total de la dette, la laisser en souffrance ce serait contraire aux vrais intérêts du pays, à la bonne foi que la nation a mise par-dessus tout et au crédit dont elle jouit en Europe ; charger les habitants de nouveaux impôts pour acquitter cette dette ne serait pas convenable dans les circonstances actuelles... ».
Pour bien apprécier toute la portée des phrases graves et importantes prononcées par le cabinet du roi Guillaume, il faut que nous nous rappelions la position où nous a mis le traité du 15 novembre,
Ce traité, vous le savez comme moi, messieurs, en mettant à la charge de la Belgique une dette que nous n’avions pas contractée, nous impose le paiement annuel d’une somme de dix-huit millions. Ce traité établit en même temps que la Belgique serait tenue de payer les arriérés de la dette jusqu’à l’époque de la signature du traité définitif entre notre pays et la Hollande par le roi Guillaume, époque, qui, remarquez-le bien, devait être très prochaine, puisque les puissances s’étaient engagées à assurer la prompte exécution de leur méditation. Mais si d’un côté une dette était imposée à notre pays, d’un autre il était établi en notre faveur un boni provenant des fonds du syndicat d’amortissement. Ainsi d’une part la Belgique était constituée débitrice de la moitié de la dette hollandaise, d’une autre part nous étions reconnus créanciers de la moitié des capitaux du syndicat d’amortissement, ce qui laissait à notre disposition une ressource très grande.
J’ai déjà dit, messieurs, que dans mon opinion nous n’aurions jamais rien retiré du syndicat ; l’événement prouve que je ne me suis pas trompé dans mes prévisions, car si les ministres du roi de Hollande se permettent d’entamer les fonds du syndicat d’amortissement à l’effet de payer la portion de la dette à la charge de la Belgique ; s’ils peuvent faire ce paiement sur nos domaines nationaux, notre part du produit du syndicat sera réduite à rien, et par conséquent la dette hollandaise considérablement augmentée.
Le ministre du roi Guillaume parle des domaines du syndicat. Quelles sont les possessions données au syndicat ? Ce sont les domaines de notre pays. Si la Hollande a le pouvoir de grever les domaines du syndicat pour faire face aux arriérés, nos domaines se trouveront ainsi frappés, malgré nous, d’une hypothèque légale, et nous ne pourrons les vendre. Cette considération me paraît digne de toute l’attention de la chambre. Car, remarquez-le bien, il ne s’agit pas ici d’une somme peu considérable. Ce sont de capitaux très importants qu’il s’agit ici, et qui, s’ils nous sont imposés, peuvent avoir une influence immense sur la situation financière de notre pays.
En effet, par le traité du 15 novembre la Belgique est constituée débitrice d’une somme annuelle de dix-huit millions sans jamais pouvoir dépasser ce chiffre. Appelés par notre mandat à faire face aux besoins de l’exercice prochain, nous aurions donc à apporter au budget, tous arriérés compris, une somme totale qui s’élèverait approximativement à quatre-vingt-quinze millions.
Les revenus ordinaires de la Belgique ne nous permettant pas de pourvoir à de telles dépenses ; il nous faudra nécessairement recourir à l’emprunt. En supposant les conditions les plus favorables pour la négociation de cet emprunt, j’admets, ce que certainement vous n’admettrez pas avec moi, que nous l’obtenions à 95, ii nous faudra donc emprunter 100 millions à l’effet de couvrir l’arriéré de la dette hollandaise.
Vous devrez donc vous créer une augmentation de dette de cinq millions par an. Vous établirez ensuite un fonds d’amortissement. Comme ce sera désormais votre propre dette, vous aurez intérêt à l’éteindre par un paiement successif, afin de ne pas la léguer à vos neveux. Ce fonds d’amortissement étant d’un million par an, voilà en tout une somme de six millions qu’il faudra chaque année porter en sus à votre budget. De sorte que la dette hollandaise qui devait primitivement être de 18 millions sans jamais pouvoir dépasser ce chiffre, montera à la somme énorme de 24 millions annuellement. Voilà le résultat positif vers lequel nous marchons, si on laisse croire à la Hollande qu’elle peut toucher à notre part des fonds du syndicat d’amortissement. Si nous sommes assez lâches pour lui laisser croire que nous paierons l’arriéré de la dette, alors que c’est par sa faute que le traité du 15 novembre n’a pas, jusqu’à ce jour, reçu son exécution ; si, dis-je, nous étions assez lâches pour laisser passer sous silence une pareille supposition, ce serait, je le répète, d’une dette de 24 millions et non de 18 millions, que notre état financier se trouverait désormais grevé.
Ceci, messieurs, est de la plus haute importance. Vous savez comme moi que dans un pays comme le nôtre on n’augmente pas aisément l’impôt d’une somme de six millions. Six millions, c’est le total du budget du ministère de l’intérieur, et, à coup sûr, il n’est pas facile de majorer tout d’un coup un budget de toutes les dépenses d’un seul département. On ne peut élever les contributions d’une manière indéfinie. L’impôt n'est pas une substance élastique. Il arrive nécessairement une limite où l’on ne peut plus tendre la corde et où elle éclate dans vos mains. Ce sont de semblables crises qui amènent les révolutions.
Il est donc pour nous du plus haut intérêt de savoir si le ministère actuel, plus sage que ceux qui l’ont précédé, a pris des mesures pour faire connaître à la conférence que jamais la Belgique ne consentira à payer un arriéré, accumulé par la seule obstination du roi Guillaume à ne pas ratifier un traité, de l’exécution duquel les puissances s’étaient portées garantes.
Je demande que le ministère s’explique à cet égard.
Ce point n’est pas le seul sur lequel j’appellerai toute la sollicitude de la chambre. Il est une question qui nous touche encore plus que celle de la dette. Je veux parler de la cession des provinces du Limbourg et du Luxembourg, dont les généreux habitants ont coopéré à notre œuvre révolutionnaire, et dont nous avons consommé le sacrifice dans un moment de désespoir. Quelle sera la conduite du ministère à cet égard ? Je désire qu’il nous dise s’il aura l’énergie de déclarer à la conférence que le traité du 15 novembre, comme tout contrat synallagmatique, ne peut être obligatoire pour l’une des parties contractantes, dès l’instant que l’autre l’a violé ; que s’il ne lie pas le roi Guillaume, s’il ne force pas les puissance à exécuter leurs promesses, il ne peut, il ne doit point nous lier. Nous devons avoir la force de déclarer hautement que si nous perdons une seule des garanties qu’on nous avait données, nous cesserons de consentir au malheureux abandon du Limbourg et du Luxembourg.
M. de Brouckere. - Si j’ose réclamer pour quelques instants votre attention, ce n’est pas que je compte suivre les orateurs qui m’ont précédé dans leurs développements. L’honorable députe qui a parlé le premier paraît avoir eu pour but de lancer un acte d’accusation contre l’ancien ministère.
Je n’ai pas été l’un des admirateurs du précédent cabinet, j’en ai souvent attaqué les membres. Mais aujourd’hui qu’il n’est plus au pouvoir, je ne vois pas l’utilité qu’il peut y avoir à lui reprocher ses fautes. Le même orateur a reproché au ministère nouveau plusieurs actes qu’il croit dignes de blâme. Si j’exprimais ici toute ma pensée, j’aurais peut-être aussi quelques reproches à adresser à ce nouveau ministère. Je préfère ne pas entrer à cet égard dans une discussion qui pourrait se prolonger au-delà des désirs de la chambre.
Le second orateur s’est particulièrement occupé de la politique étrangère. Je ne vois pas de nécessité à ce que nous passions notre temps à discuter ces sortes de questions. Je passe à l’objet immédiat de nos travaux.
En lisant attentivement le projet que nous a présenté la commission qui l’a rédigé, on y voit percer le désir de ne se prononcer sur rien ; on devine aisément qu’elle a voulu se borner à s’acquitter du devoir de répondre au discours de la couronne, sans s’expliquer sur aucune question importante. Je veux bien m’associer à ce désir. J’y vois un moyen de gagner du temps et de passer immédiatement à l’élaboration des lois que le pays réclame. J’ai dit que la commission semblait avoir eu en vue de ne s’expliquer sur aucun point. Je le prouve :
Le discours du trône commence par quelques phrases sur la politique étrangère. La commission vous propose de répondre à cet égard de la manière suivante :
« Si nos rapports politiques s’étendent de nations à nations, il faut attribuer cet heureux résultat à la justice de notre cause. Toujours le bon droit dirige la conscience des peuples, et finit par triompher des prétentions injustes. Il serait difficile de comprendre la raison pour laquelle la Belgique, trop longtemps sacrifiée aux exigences étrangères, ne pourrait gouverner, comme autrefois, ses propres intérêts, tout en observant les règles que les devoirs internationaux lui prescrivent. »
Je ne crois pas qu’aucune opinion dans la chambre puisse se trouver offensée par ce paragraphe, qui contient beaucoup plus de mots qu’il n’exprime de choses.
Le discours du trône nous annonce que l’armée continue à mériter nos éloges.
La commission propose de répondre que le pays a une armée digne de sa confiance.
Je suis de l’avis de la commission ; je ne voudrais donc pas que ce paragraphe fût modifié.
Quand le discours du trône nous dit que nos finances sont dans un état satisfaisant, que l’ordre qui préside à leur gestion permettra d’entreprendre successivement de grands travaux d’utilité générale, la commission ne répond pas : Nous sommes heureux de savoir que nos finances sont dans un état satisfaisant, et que l’ordre qui préside à leur gestion permettra d’entreprendre successivement de grands travaux d’utilité générale. Elle répond de la manière la plus vague ; elle dit que la nation apprendra avec plaisir que les finances sont dans un état satisfaisant, et que l’ordre et l’économie qui règnent dans les dépenses publiques, permettront de diminuer les centimes additionnels.
Je suis encore ici de l’avis de la commission ; j’apprendrai avec le plus grand plaisir que les finances sont dans un état satisfaisant, car je ne suis pas convaincu que la chose existe. Je n’ai encore rien à objecter à ce paragraphe de l’adresse.
Quand le gouvernement annonce que la Belgique a toujours été hospitalière, mais qu’il ne faut pas que cette hospitalité tourne contre elle-même, la commission sent très bien qu’il s’agit encore de la loi de vendémiaire et des mesures acerbes prises contre les étrangers. Dans le temps, la chambre s’est assez expliquée sur ces mesures, tout le monde a fait connaître son opinion : la plupart des membres de cette chambre persistent dans l’opinion qu’ils ont émise. La commission a cru inutile de renouveler les discussions qui ont eu lieu et a gardé le silence. Je conçois cela, je persiste dans l’opinion que j’ai émise pendant la dernière session, mais je crois inutile de répéter cette opinion dans une adresse au Roi.
Continuons. Le discours du trône annonce que l’ordre le plus parfait règne dans le royaume. La commission n’a pas pu proposer de dire : La chambre voit avec plaisir que l’ordre le plus parfait règne dans le royaume, parce que dans le moment actuel l’ordre n’est pas troublé.
Mais la commission, qui n’a pas oublié que depuis les dernières communications l’ordre n’a pas toujours régné, a voulu éviter de rappeler des souvenirs cruels ; mais elle a pensé que ce serait une dérision, une dérision amère que de faire dire à la représentation nationale qu’elle félicite le gouvernement de ce que dans un instant donné l’ordre règne dans le royaume, alors que tous les cœurs sont encore pleins de ce qui s’est passé il y a peu de mois.
Ici encore je veux bien observer la réserve de la commission, je veux bien ne rien dire des troubles d’avril, mais je ne veux pas qu’on regarde comme une chose dont on puisse s’applaudir, que l’ordre règne en ce moment dans le royaume. Après tout cela, ce que nous avons de mieux à faire, je pense, est de voter l’adresse telle qu’elle est, parce qu’elle est vague, pâle, qu’elle n’exprime aucune opinion, tout en remplissant le devoir de répondre au discours du trône.
Plus tard, nous pourrons revenir sur quelques-uns des points dont il est question dans ce discours et particulièrement sur cet ordre si parfait qui règne en Belgique ; car il faudra que le gouvernement nous rende compte des mesures qu’il a prises pour empêcher le retour des troubles qui ont désolé la Belgique. Il faudra qu’il s’explique sur la manière dont il s’est comporté vis-à-vis des fonctionnaires convaincus de n’avoir pas rempli leur devoir pendant le mois d’avril, il faudra qu’il nous fasse connaître s’il s’est mis en mesure d’empêcher ces pillages de se renouveler, car l’ancien ministre de l’intérieur a dit en propres termes (j’ai ici son discours sous les yeux) que, sur cinq à six cents individus qui pouvaient être désignés à la colère du peuple, dix-sept seulement avaient été victimes.
Or, s’il y a six cents individus qui pouvaient être signalés à la colère du peuple et que dix-sept seulement aient été frappes par lui, il en reste encore beaucoup qui plus tard pourraient subir le même sort. Il doit entrer dans l’intention des ministres, et c’est un acte de bon gouvernement, de prendre des mesures pour que ces 583 individus qui peuvent encore être signalés à la colère du peuple n’en soient pas victimes et n’aient même pas à la craindre.
Je déclare que plus tard je demanderai des explications sur ce point, et je pense qu’en cela je ferai acte de bon et loyal député.
Je ne veux ni prolonger la discussion, ni m’opposer à l’adresse. Elle n’est pas contraire à mon opinion, puisqu'à mon avis elle n’en renferme aucune.
M. le président. - Si personne ne demande plus la parole sur l’ensemble de l’adresse, nous allons passer à la discussion des paragraphes.
M. Dumortier. - Il me semble que les interpellations que j’ai adressées aux ministres sont d’une nature assez grave pour mériter une réponse.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Si l’honorable préopinant avait posé des questions auxquelles il eût nécessaire et même possible de répondre, il n’aurait pas eu besoin d’insister deux fois. Mais l’honorable membre a demandé si le ministère aurait assez de courage et d’énergie pour déclarer qu’il n’abandonnerait ni le Limbourg, ni le Luxembourg ; en d’autres termes, qu’il ne se considérerait pas lié par le traité du 15 novembre.
Evidemment la demande du préopinant tend à remettre en question tous les actes accomplis, à nier l’existence même du traité du 15 novembre et tous les actes qui ont découlé de ce traité. Or, je vous demande si cette interpellation est de nature à pouvoir être faite incidemment dans une discussion d’adresse.
Si l’honorable membre insistait, je lui répondrais : Non, le gouvernement ne considère pas le traité du 15 novembre comme aboli, il le considère comme la base principale de ses droits ; mais les conséquences qu’on peut en tirer ne sont pas les mêmes pour toutes les personnes. Si on voulait en conclure que nous sommes liés par toutes les stipulations contenues dans ce traité, je dirais qu’il y a une distinction à faire et que le traité, pour être obligatoire dans toutes ses parties vis-à-vis de la Belgique, aurait dû être exécuté par la Hollande dans le délai fixé par un des articles du traité lui-même. Mais je le déclare, je ne puis sans danger donner d’autres explications quant à présent. Si on veut poser des questions plus précises, je verrai si je puis répondre ou si je dois persister à garder le silence.
M. Dumortier. - Je n’ai pas demandé si le ministère regardait le traité du 15 novembre comme existant ou aboli dans tous ses points. Je n’ai indiqué que deux points sur lesquels j’ai demandé des explications. Mais ce que vient de dire M. le ministre des affaires étrangères, et particulièrement que le traité aurait dû être exécuté dans un temps limité pour être obligatoire dans toutes ses parties, me rassure. Je n’insiste pas d’avantage.
M. le président. - Nous allons passer à la discussion des paragraphes.
« Le vif intérêt que le pays attache à son bien-être donne, à chaque ouverture de nos sessions parlementaires, une nouvelle impulsion à ses espérances. La nation attend, à juste titre, son bonheur de ses institutions et de ses lois. »
- Adopté.
« Si nos rapports politiques s’étendent de nations à nations, il faut attribuer cet heureux résultat à la justice de notre cause : toujours le bon droit dirige la conscience des peuples, et finit par triompher des prétentions injustes. Il serait difficile de comprendre la raison pour laquelle la Belgique, trop longtemps sacrifiée aux exigences étrangères, ne pourrait gouverner comme autrefois ses propres intérêts, tout en observant les règles que les devoirs internationaux lui prescrivent. »
M. Gendebien. - Je demande la parole. Messieurs, mon intention n’est nullement de prolonger la discussion ni même d’attaquer le ministère. Depuis trois ans et demi j’ai acquis la conviction que toute discussion est inutile. Cependant je crois devoir adresser une question à la commission d’adresse. Mais ce n’est qu’à titre de renseignement.
Je vois dans le paragraphe dont il vient d’être donné lecture, une phrase qui me semble avoir besoin d’explication.
« Il serait difficile de comprendre la raison pour laquelle la Belgique, trop longtemps sacrifiée aux exigences étrangères, ne pourrait gouverner comme autrefois ses propres intérêts, tout en observant les règles que les devoirs internationaux lui prescrivent. »
Messieurs, le vague de cette phrase en fait pour moi une énigme. Je désire que la commission veuille bien expliquer le sens qu’elle attache à ces mots. Il est constant pour moi que la Belgique a été longtemps sacrifiée aux exigences étrangères, c’est un fait trop notoire pour qu’il ait besoin d’être démontré. Mais je demanderai à la commission quel est le motif qui lui fait dire que nous cesserons d’être sacrifiés aux exigences étrangères et particulièrement de la France. Je considère cela comme étant d’une trop haute importance pour le pays, pour négliger de demander des explications dont j’espère peu, il est vrai, mais qui peut-être pourront verser quelque baume sur des blessures si profondes. Peut-être aussi cette réponse donnera-t-elle lieu à une controverse.
Je demande à la commission de s’expliquer. Si la commission n’attache aucun sens aux phrases de son projet d’adresse, elle dira : Ce sont des mots vides de sens. Dès lors mon pays saura quelle est l’importance qu’il faut attacher à un discours du trône ; mon pays saura qu’aujourd’hui comme hier, demain comme avant-hier, nous sommes soumis aux puissances étrangères. J’en suis fâché pour mon pays, puisqu’il ne pourra sortir de l’état de dépendance où il se trouve. J’en suis fâché pour la commission, si elle n’a rien à dire sur une phrase qui me paraissait significative.
M. de Brouckere. - Elle a cet avantage qu’on peut la comprendre de toutes sortes de manières. (On rit.)
- Le paragraphe 2 du projet d’adresse est mis aux voix et adopté.
« Nous aimons à reconnaître, Sire, que le pays doit à votre constante sollicitude d’avoir une armée digne de sa confiance. Si jamais notre indépendance était menacée, nous pouvons nous reposer sur la discipline, la bravoure et l’esprit national de nos soldats ; et la garde civique saurait alors acquérir de nouveaux titres à la reconnaissance de la nation. »
M. Dumortier. - Messieurs, le paragraphe 3 commence par ces mots :
« Nous aimons à reconnaître, Sire, que le pays doit à votre constante sollicitude d’avoir une armée digne de sa confiance. »
J’aime à reconnaître, de mon côté, que la commission d’adresse a eu des intentions bénévoles pour l’armée. Mais, en examinant cette phrase avec attention, on pourrait y découvrir une injure gratuite contre elle. Il me semble que la phrase a besoin de modifications ; on pourrait croire que ce n’est que depuis l’arrivée du Roi que l’armée belge est digne de la confiance du pays. Il ne faut pas qu’une pareille supposition puisse être faite. Le soldat belge par sa bravoure a toujours été digne de la confiance de la nation. Je désire que la phrase que j’attaque soit modifiée ainsi :
« Nous aimons à reconnaître, Sire, que c’est à votre constante sollicitude qu’est due la parfaite organisation de l’armée. »
Ce qui n’est que vrai. Avant l’arrivée du Roi, il y avait de la bravoure dans l’armée, mais il y avait aussi une très mauvaise organisation.
M. de Brouckere. - Je ne puis consentir à ce que l’on insère les mots de parfaite organisation. Tout en reconnaissant que l’armée est sur un pied respectable, je ne puis reconnaître que son organisation soit parfaite. La preuve en est dans les améliorations successives que l’on tente journellement d’y introduire. Et puisqu’il paraît convenu que l’adresse n’aura pas de couleur (hilarité), ne vaut-il pas mieux insérer ces mots :
« Nous aimons à reconnaître, Sire, que le pays doit à votre constante sollicitude d’avoir une armée de plus en plus digne de sa confiance. »
Cette rédaction aura l’avantage de ne pas mécontenter l’ancienne armée, et l’armée nouvelle aura lieu d’en être très satisfaite. (Hilarité.)
M. Dumortier. - Je ne m’oppose pas à ce changement.
- Le changement proposé par M. de Brouckere est adopté.
- Les paragraphes suivants sont successivement mis aux voix et adoptés :
« L’armée répond à ses devoirs. Nous devons assurer son avenir. Elle en trouvera la garantie dans de bonnes lois sur la justice, l’avancement et les pensions militaires. »
« L’organisation de l’armée, son contingent et le système de défense du pays méritent notre attention particulière. La sûreté de l’Etat d’un côté, l’économie dans ses dépenses de l’autre, réclament cette haute sollicitude. »
« La nation apprendra avec plaisir que les finances sont dans un état satisfaisant, et que l’ordre et l’économie qui règnent dans les dépenses publiques, permettront de diminuer les centimes additionnels et d’entreprendre de grands travaux d’utilité générale, sans imposer de nouvelles charges. »
« Les lois qui règlent les comptes des années écoulées justifieront de l’emploi légal des deniers publies. La publicité des comptes de l’Etat n’est pas une des moindres conquêtes de notre révolution. »
M. le président. - La discussion est ouverte sur le paragraphe 8, ainsi conçu :
« Le besoin d’une répartition plus équitable dans les impôts est, depuis longtemps, vivement senti. La chambre des représentants portera toute son attention sur les modifications que notre système financier doit nécessairement subir. »
M. Dumortier. - Vous avez pu remarquer comme moi, messieurs, que la commission d’adresse tranche une des questions les plus graves que nous ayons à examiner, celle de savoir si des modifications sont nécessaires au système actuel de la répartition des impôts. Cette question a assez d’importance pour que nous ne la tranchions pas aussi subitement dans une réponse au discours du trône.
Le sénat, organe de la propriété en Belgique, a été plus sage dans l’adresse qu’il a adoptée en réponse au discours de la couronne ; le sénat qui connaît fort bien les différences qui existent dans la répartition de l’impôt foncier, s’est exprimé d'une manière infiniment remarquable et patriotique, et ici je donnerai des éloges à la commission chargée de la rédaction de cette adresse.
Avant d’approuver le changement sur lequel on appelle l’attention royale, avant de dire : Cela est nécessaire, je voudrais que des pétitions adressées à la chambre nous fissent sentir le besoin réel de modifications dans la répartition dès impôts. Or, je ne vois pas ces pétitions ; je ne sache pas que l’on ait réclamé des changements dans l’assiette des contributions. Certes, si j’avais à voter une loi financière, je ne regarderais pas le système actuellement existant comme le meilleur. Mais quand un système est une fois en vigueur, avant d’exercer un changement, il faut y regarder à deux fois. Il ne faut pas dire à la légère qu’un besoin de chargement est vivement senti.
Je demande donc que la première phrase du paragraphe 8 soit supprimée et qu’elle soit remplacée par celle-ci :
« Si l’opinion publique demande des modifications dans la répartition des impôts, la chambre portera toute son attention sur les modifications dont notre système financier serait susceptible. »
Voici comment doivent s’exprimer les représentants de la nation.
M. Liedts. - Messieurs, je vous demande le maintien du paragraphe du projet d’adresse, et par conséquent le rejet de l’amendement de M. Dumortier. Il ne me faudra pas entrer dans de grands développements pour parvenir à ce but. A un article positif absolu, M. Dumortier propose de substituer un article conditionnel. Il me semble cependant que, n’y eût-il que l’impôt foncier dont la répartition inégale est généralement sentie, il faudrait modifier cette partie de notre système d’impôt, pour faire cesser cette inégalité. Mais, dit l’auteur de l’amendement, où sont les pétitions qui vous ont été adressées pour demander la réforme de notre système financier ? Ce n’est pas seulement par les pétitions que la nécessité des améliorations se fait sentir. Je rappellerai les plaintes qui se sont succédé tous les ans aux états-généraux depuis notre réunion à la Hollande, plaintes qui se sont renouvelées depuis notre séparation.
La majorité de la chambre a reconnu le vice de la répartition en accordant aux Flandres et à la province d’Anvers un dégrèvement de quelques centimes additionnels.
Je demande le maintien du paragraphe du projet.
M. H. Dellafaille. - J’ajouterai quelques mots à ce que vient de dire député d’Audenaerde. Nous vivons encore sous le régime de 1822, contre lequel toute la Belgique a protesté. On sait par quels moyens on est parvenu à faire adopter un pareil système. Je n’exprimerai pas mon opinion sur les Belges qui ont failli à leur pays dans cette journée, je dirai seulement qu’il est clair pour tout le monde que l’impôt foncier, l’impôt des patentes et la contribution personnelle exigent un prompt changement.
M. Dumortier. - Je ne conteste pas ce que viennent de dire les honorables préopinants, que l’impôt foncier est inégalement réparti, mais l’honorable membre qui a pris le premier la parole s’est chargé de se répondre lui-même, lorsqu’il a dit que la chambre avait accordé un dégrèvement aux Flandres et à la province d’Anvers. Certainement nous sommes disposés à continuer ce dégrèvement ; il n’est pas un seul membre dans cette assemblée qui ne soit de cette opinion. Voilà donc une inégalité en quelque sorte effacée. Avant d’opérer un changement dans notre système financier, il faut se pénétrer de cette vérité que les meilleurs impôts chez un peuple sont les plus anciens. C’est là une vérité que personne ne peut révoquer en doute.
Vous allez changer le système des impôts, dégrever une province pour surtaxer telle autre province. Quel sera le résultat de cette mesure ? Il est facile à prévoir. Ceux qui seront dégrevés ne vous en sauront aucun gré, et ce sera pour eux un véritable bénéfice, car ils ont acheté et loué avec les conditions existantes, et vous vous aliénerez tous ceux que vous surtaxerez. Ce sera là un résultat funeste pour la Belgique.
On a parlé de la loi sur les patentes, et de la loi sur la contribution personnelle. J’ai eu, autant que qui que ce soit, lieu de me plaindre de la loi des patentes, mais les choses sont bien changées depuis la révolution.
Ce qui rendait ces lois odieuses, c’étaient les mesures acerbes dont on entourait les perceptions. Ce régime fiscal contre lequel on s’est tant élevé, a cessé d’exister. Maintenant l’impôt des patentes est supportable, les réclamations auxquelles l’impôt foncier a donné lieu sous le gouvernement hollandais ont cessé. Si vous apportez de nouveaux changements dans le système des impôts, vous mécontenterez beaucoup de monde, vous les rendrez hostiles à la révolution.
C’est une chose des plus graves messieurs, que de toucher au système des impôts. Vous ne pouvez ignorer combien cela amène d’incertitude dans les finances d’un pays. A chaque changement de cette nature que le roi Guillaume voulut faire, il y eut un déficit de 10 millions dans le trésor public. Voulez-vous vous exposer à de pareils déficits, quand nous sommes à la veille de voir augmenter nos dépenses ?
Il faut bien réfléchir avant de soulever des questions aussi délicates. Je ne dis pas que les deux députés qui viennent de parler n’ont pas raison, mais ce n’est pas une raison pour trancher tout à coup la question. C’est pourtant ce qu’on ferait si on adoptait le paragraphe du projet d’adresse.
M. de Brouckere. - Ce qui offusque l’honorable préopinant, c’est la pensée que la commission, en rédigeant son paragraphe, n’aurait eu en vue que l’impôt foncier. Il en serait ainsi, que la majorité de la chambre l’adopterait. C’est parce que la chambre était frappée de l’inégalité de la répartition de l’impôt foncier qu’elle a consenti à faire tant de sacrifices pour les opérations du cadastre dont le travail est si lent, qu’on l’a comparé à l’ouvrage de Pénélope.
Je ferai observer que le paragraphe ne dit pas un mot de l’impôt foncier en particulier ; il parle des impôts en général, il demande une répartition plus équitable des impôts : c’est là une chose qui a fait l’objet de nos réclamations à tous depuis quatre ans. Nous avons toujours reproché aux ministres des finances qui se sont succédé de ne pas nous avoir présenté un système financier tout entier ; et ce reproche, l’honorable préopinant le leur a fait comme nous.
M. Dumortier. - Je n’ai jamais émis d’opinion semblable.
M. de Brouckere. - Alors vous êtes le seul. Moi, je désire que le ministère réalise des vœux si souvent émis, et nous présente un système complet de finances bien conçu. Nous voulons une plus juste répartition des impôts, soit qu’il s’agisse de l’impôt foncier, de l’impôt des patentes, ou de la contribution personnelle.
Je ne puis pas non plus être de l’avis du préopinant, qu’en principe les anciens impôts sont tous les meilleurs. Si cela était vrai, il faudrait rétablir l’impôt sur la mouture et celui sur l’abattage, et en remontant un peu plus loin, la gabelle et la dîme.
M. d'Hoffschmidt. - Je ne puis pas admettre que le besoin d’apporter des améliorations à notre système financier soit un problème pour les députés de la nation. D’après l’amendement de M. Dumortier, il faudrait attendre que l’opinion publique se fît entendre avant de toucher à nos finances. Mais l’opinion publique s’est déjà manifestée pour ce qui concerne l’impôt personnel et l’impôt des patentes qui frappe la classe pauvre comme les plus gros négociants. Nous connaissons assez l’opinion publique sur l’impôt personnel et l’impôt des patentes pour être convaincus de la nécessité de les changer.
M. Dumortier. - Un des honorables préopinants a dit que si on adoptait le principe que j’ai émis, il faudrait rétablir l’impôt sur la mouture et sur l’abattage. Si l’honorable membre avait voulu m’écouter, il aurait pu éviter de dénaturer ma pensée. J’ai dit qu’il ne fallait revenir que sur des impôts qui donnaient lieu à des réclamations. L’impôt sur la mouture et l’impôt sur l’abattage ayant soulevé des réclamations, il était du devoir de la représentation nationale de revenir sur ces impôts. C’est ce qu’a senti le gouvernement provisoire quand il les a supprimés. Dans cette circonstance comme dans tant d’autres, le gouvernement provisoire a rendu un véritable service au pays.
Où sont donc toutes ces réclamations que le préopinant prétend avoir été soulevées par notre système financier ? Avez-vous eu une seule adresse ? La chambre n’a pas encore été saisie d’une pétition contre l’impôt personnel ni contre l’impôt des patentes.
M. A. Rodenbach. - Vous êtes dans l’erreur !
M. Dumortier. - Si je suis dans l’erreur, il vous sera facile de le démontrer. Je sais que l’honorable membre a souvent fait entendre des réclamations contre notre système d’impôt, mais il a obtenu un dégrèvement pour les distilleries. Et nous avons fait là un beau chef-d’œuvre ! La consommation des spiritueux a quadruplé en Belgique. Aujourd’hui, à Tournay, la moyenne de la consommation du genièvre par an, en comptant les femmes, les enfants et les vieillards, depuis l’enfant qui naît jusqu’au vieillard qui descend dans la tombe, est de vingt pots par personne.
Voici le résultat des changements apportés au système de l’impôt ! Voyez si l’on peut se prononcer aussi légèrement en présence de faits aussi graves. Je conclus à l’adoption de l’amendement que j’ai eu l’honneur de proposer.
M. A. Rodenbach. - Je commence par dire qu’il est très possible que, comme l’a dit l’honorable préopinant, il se boive maintenant plus de genièvre dans sa province qu’avant l’adoption de la nouvelle loi sur les distilleries. Cela provient de ce que la fraude des eaux-de vie étrangères a diminué. On en boit moins et l’on boit de l’eau-de-vie indigène, de l’eau-de-vie faite avec le grain du pays. C’est là sans doute un bienfait réel pour notre agriculture.
On disait naguère en Hollande que la loi belge sur les distilleries avait porté un coup fatal aux distilleries néerlandaises. Lorsque nous portons un coup fatal à nos voisins, à nos ennemis, y a-t-il donc tant de mal à cela !
Du côté de la France, dans le département du Nord, du côté de la Prusse, dans la partie de ce pays qui nous avoisine, les distilleries ont cessé de fournir leurs produits à la Belgique ; et maintenant c’est l’industrie nationale qui fournit aux besoins du Hainaut, du Limbourg et du Luxembourg.
Ces faits sont tellement incontestables, et les bienfaits de la nouvelle loi sur les distilleries sont si évidents, que je croirais abuser des moments de la chambre en prolongeant une pareille discussion.
- L’amendement de M. Dumortier sur le huitième paragraphe est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
Le huitième paragraphe est adopté.
« Les autres lois, Sire, que votre sollicitude royale se propose de nous faire présenter, seront examinées avec toute la maturité qu’exigent les hauts intérêts qu’elles ont pour objet de régler. Il est urgent d’arrêter les abus auxquels donne lieu l’état incomplet d’une partie de notre législation. »
« Les vices de notre système commercial sont aussi généralement reconnus, L’exercice du droit de pétition ne cesse de les signaler. Le pays n’ignore pas, Sire, que ses intérêts industriels et commerciaux sont l’objet de la sollicitude particulière du votre gouvernement. Les progrès que fait chaque jour la science nous permettent d’espérer que le juste principe de réciprocité ne sera pas longtemps méconnu, et que nos négociations avec la France et avec d’autres Etats ne resteront pas sans succès. »
M. Smits. - Le premier membre du paragraphe en discussion porte que « les vices de notre système commercial sont généralement reconnus. » Si le rédacteur a voulu dire par là que ce système est susceptible d’améliorations et qu’il y a lieu de l’améliorer, surtout en donnant au pays un transit plus libre et un mode d’entreposage plus large, j’approuverai la phrase que je viens de citer ; mais si au contraire on a voulu dire que notre système commercial est complètement vicieux, et qu’il faut le renverser pour y substituer un système répulsif ou prohibitif, je m’opposerai formellement à la rédaction proposée.
Or, ce qui prouve que cette dernière idée a guidé les rédacteurs du projet, c’est que dans la phrase qui suit il est question du droit de pétition. En effet quelles pétitions relatives au commerce a reçues la chambre depuis quelque temps ? Des pétitions demandant des augmentations de droit et un système prohibitif plus avancé. N’avons-nous pas eu jusqu’à des fabricants de sabots demandant la prohibition, comme pour donner un coup de pied plus fort à notre système actuel ? (On rit.)
Je demande des explications aux rédacteurs du projet. Si le sens du paragraphe est celui que j’ai indiqué, j’en propose la suppression.
M. Dumortier. - Je voudrais bien savoir aussi ce qu’ont à faire dans un paragraphe relatif à nos intérêts commerciaux les progrès que fait chaque jour la science.
M. Rogier. - Je crois aussi qu’il importe que la commission explique ses intentions. L’honorable M. Dumortier a fait très bien ressortir à mon avis l’utilité de ne pas poser légèrement des principes absolus dans une adresse. Or, ici la commission me paraît avoir posé des principes absolus. Cependant les membres de cette chambre sont divisés quant à la manière d’envisager notre système commercial : les uns le trouvent trop libéral ; les autres le trouvent susceptible d’améliorations plus libérales.
Je demande que l’un de MM. les membres de la commission explique le sens de ce paragraphe qui à mon avis doit être retranché ; car si la commission veut lui donner une signification précise, il donnera lieu à une très longue discussion.
A défaut d’explications, je proposerai la suppression des deux premières phrases du paragraphe.
M. Dubus. - L’honorable préopinant a paru craindre que l’idée qui a dominé le paragraphe en discussion soit d’entrer dans le système prohibitif en matière de douanes ; or, c’est précisément l’idée que nous avons voulu éviter ; nous n’avons pas voulu trancher la question. Cela est si vrai, que nous avons retranché une phrase qui nous a paru avoir cette portée.
Toutefois, si on pense que le paragraphe en discussion indique une préférence pour un système plutôt qu’un autre, je suis le premier à consentir à ce qu’il soit modifié.
On aurait préféré, sans doute, à mes explications, celles de M. le rapporteur de la commission qui est le rédacteur du projet ; mais je remarque qu’il n’est plus dans la salle.
- La suppression des deux premières phrases du 10ème paragraphe est mise aux voix et adoptée. Le 10ème paragraphe est adopté dans son ensemble sans les deux premières phrases.
« L’expérience a prouvé l’intime connexité qui existe entre la prospérité des nations et l’exercice progressif des facultés intellectuelles. »
« Toujours, Sire, les Belges ont su apprécier dignement les vertus d’un bon prince ; toujours ils l’ont entouré de leur affection et de leur vénération. V. M., en visitant successivement les provinces du royaume, a recueilli les témoignages les plus sincères de leur vif attachement au trône. Ces nobles sentiments, manifestés par la nation tout entière, imposent à ses députés un devoir plus impérieux de concourir, avec votre gouvernement, à l’accomplissement de la régénération politique du pays. »
M. Dumortier. - Il est bien de dire au gouvernement que nous savons en toute circonstance concourir à la régénération politique ; mais il n’est pas bien de dire que nous ne l’aurions pas fait en toute circonstance.
Or, le projet dit : « Ces nobles sentiments, manifestés par la nation tout entière, imposent à ses députés un devoir plus impérieux de concourir, etc. »
C’est un comparatif. Nous aurions donc plus à faire que nous n’avons fait jusqu’ici. Il faudrait conclure de là que nous n’avons pas toujours fait notre devoir. Il me semble que l’on ne doit pas s’exprimer ainsi. Je proposerai de remplacer la dernière phrase du paragraphe par celle-ci :
« Mandataires d’un peuple généreux qui a su conquérir sa liberté, nous saurons en toute circonstance concourir avec votre gouvernement à la régénération politique du pays. »
- L’amendement de M. Dumortier est mis aux voix et adopté.
Le 12ème paragraphe est adopté avec l’amendement de M. Dumortier.
M. Devaux. - J’ai à signaler quelques incorrections dans la rédaction ; ainsi la première phrase est inintelligible ; plus loin je vois : « On ne sait pourquoi la Belgique ne pourrait gouverner comme autrefois ses propres intérêts. » Je ne sais à quelle époque la Belgique a gouverné ses propres intérêts. Est-ce sous la domination hollandaise, française, autrichienne, espagnole ou bourguignonne ? Il faudrait remonter au temps de Jules César pour trouver la Belgique libre de toute domination.
Plus loin encore je lis : « L’armée répond à son devoir. » Or, on ne répond pas à un devoir.
Je demande qu’un membre de la commission revoie l’adresse et fasse disparaître ces incorrections.
M. le président. - Il va être procédé à l’appel nominal.
M. Verrue-Lafrancq. - Je demande qu’auparavant on fasse les rectifications indiquées par M. Devaux.
M. Devaux. - Je ne demande pas le renvoi à la commission, j’engage seulement un membre de la commission à revoir le projet après que la chambre l’aura voté.
M. Dubus. - Les modifications qui ne tiennent qu’à la rédaction peuvent être faites après que la chambre aura voté. Mais il en est une proposée par l’honorable préopinant et qui, tenant au fond, ne peut avoir lieu sans la participation de la chambre ; c’est celle relative au deuxième paragraphe. Le préopinant demande quand la Belgique aurait gouverné ses propres intérêts. Selon lui notre indépendance ne daterait donc que d’hier, que d’aujourd’hui ?
Nous avons pu être gouvernés par un prince qui avait d’autres Etats, et néanmoins former, nous, un Etat séparé et indépendant, avoir nos lois, notre représentation, voter nos impôts : tel était l’état du pays. Notre indépendance ne date donc pas d’hier. C’est sur ce point précisément que la commission a voulu attirer l’attention. C’est un fait que nous avons cru politique de rappeler.
M. Devaux. - Je n’insiste pas ; mais je ne voudrais pas que la Belgique fût considérée comme ayant joui de son indépendance sous un gouvernement qui a fermé et qui a laissé occuper nos places fortes par les troupes étrangères. Je ne pense pas que ce soit là de l’indépendance.
- On procède à l’appel nominal sur l’ensemble de l’adresse ; en voici le résultat :
63 membres sont présents.
61 prennent part au vote et se prononcent pour l’adoption.
2 membres s’abstiennent.
La chambre adopte.
Ont voté pour l’adoption : MM. Bekaert, Berger, Coghen, Coppieters, Corbisier, de Behr, de Brouckere, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, de Muelenaere de Nef, de Puydt, de Renesse, Dechamps, Desmaisières, de Smet, de Stembier, de Terbecq, de Theux, Devaux, Dewitte, d’Hane, d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon, Dubois, Dubus, Duvivier, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Fleussu, Frison, Hye-Hoys, Jadot, Liedts, Meeus, Milcamps, Nothomb, Olislagers, Pirson, Polfvliet, Troye, Raikem, A. Rodenbach, Rogier, Schaetzen, Simons, Smits, Trenteseaux, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Ch. Vilain XIIII, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Watlet, Zoude
Se sont abstenus : MM. Gendebien et Dumortier.
Le projet d’adresse est adopté par les 61 membres qui ont répondu à l’appel nominal.
Deux membres, MM. Dumortier et Gendebien, se sont abstenus. Ils donnent en ces termes les motifs de leur abstention :
M. Dumortier. - Mon intention n’était pas de voter contre l’adresse puisqu’il en faut une. Mais je n’ai pas cru devoir y donner mon vote approbatif, alors qu’elle tranchait la question du changement de répartition de l’impôt.
M. Gendebien. - Nous entrons dans notre quatrième session législative. Déjà les discours du trône et les réponses des chambres ressemblent plus à des billets de faire part qu’à des actes constitutionnels. Mes commettants ne m’ont pas envoyé pour donner ma voix à des actes qui sont du ressort du code de la civilité puérile et honnête. Je n’ai pas l’habitude de voter des non-sens, je me suis donc abstenu de voter. Il me suffit que la nation sache maintenant que l’adresse n’est plus qu’un billet de faire part.
La chambre décide que la députation sera composée, comme les années précédentes, de 12 membres, y compris le président.
Il est procédé à la désignation des membres qui en feront partie par la voie du sort.
M. Gendebien, désigné par le sort, s’énonce en ces termes. - Je déclare ne pouvoir accepter la mission que le hasard me donne, par les raisons qui ont motivé mon abstention dans le vote de l’adresse.
Les membres qui feront partie de la députation chargée de présenter l’adresse au roi sont : MM. Félix de Mérode, Devaux, Fallon, Trentesaux, d’Huart, Coghen, Polfvliet, de Renesse, Vanderbelen, Smits et A. Rodenbach.
M. Zoude. - La chambre ayant décidé que les anciennes commissions seraient invitées à présenter les rapports de leurs travaux, j’ai l’honneur de soumettre à la chambre le rapport sur la question cotonnière. (L’impression ! l’impression !)
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - La session dernière a été close au milieu de la discussion de la loi communale. La chambre a reconnu l’urgence de cette loi, et dans la séance de ce jour on a de nouveau manifesté le désir de voir la Belgique dotées d’institutions communales. Je demande donc que la chambre veuille bien reprendre la discussion que la clôture de ses travaux a interrompue.
Les sections pourront néanmoins s’occuper de l’examen des budgets. (Appuyé.)
M. Dumortier. - Je ne puis appuyer pour ma part la proposition de M. le ministre de l’intérieur. Je veux que nous votions les budgets cette année-ci.
Si nous nous contentons d’examiner les budgets en sections pendant la discussion de la loi communale, le but tant désiré ne sera pas atteint. Comment pourra-t-on exiger que les membres de la chambre se rendent dans les sections à 10 heures du matin, et assiste à la séance jusqu’à 5 heures de relevée ? C’est impossible. On se lassera bien vite et l’on finira par ne plus rien faire. Ce qu’il nous faut éviter, ce sont les crédits temporaires.
Je demande que l’on consacre quelques jours à l’examen des budgets. 5 ou 6 jours suffiront. Les budgets une fois votés, rien ne s’opposera à ce que l’on reprenne la discussion de la loi communale. Comme depuis trois années j’ai eu l’honneur d’être rapporteur des budgets, je sais quel travail leur examen exige, et je vous garantis qu’en suivant la marche indiquée par M. le ministre de l’intérieur, la fin de l’année arrivera avant qu’ils ne soient votés. Je ferai observer d’ailleurs qu’une grande partie de nos collègues sont absents et qu’il conviendrait de les informer de l’ordre du jour.
M. de Brouckere. - Je crois que rien ne s’oppose à l’adoption de la proposition de M. le ministre de l’intérieur. Je crois que l’on pourrait faire marcher de front et la discussion de la loi communale et l’examen des budgets. Pour ne pas surcharger de travail les membres qui font partie des sections, il faudrait commencer les séances publiques un peu plus tard, à une heure, une heure et demie par exemple. Si au contraire vous cessez dès à présent toute séance publique, il arrivera que beaucoup de membres quitteront la ville et que les sections seront désertes. Ainsi nous ne ferions rien en séance publique au retour. Le seul moyen d’activer le travail, c’est qu’il y ait des séances publiques. Je ne finirai pas sans demander au ministère si la présentation du budget des voies et moyens se fera attendre.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il sera présenté demain.
M. de Brouckere. - C’est le budget le plus important. Je désire qu’on ne vienne pas cette année-ci nous mettre le couteau sur la gorge en nous montrant en perspective la cessation au 1er janvier de toute perception d’impôt.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Le gouvernement n’a attendu que le vote de l’adresse pour présenter à la chambre le budget des voies et moyens. Si j’avais prévu que l’adresse serait adoptée en une séance, j’aurais fait cette présentation aujourd’hui.
M. Dubus. - Je présume qu’il n’y a rien à l’ordre du jour pour demain.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - En demandant la continuation de la discussion de la loi communale, je n’ai pas préjugé la question de savoir s’il y aurait séance demain ou lundi.
- Plusieurs voix. - Lundi.
M. Milcamps. - Je demande qu’il y ait séance demain. Si la séance était fixée à lundi, le départ de plusieurs membres pourrait nous empêcher d’être en nombre.
M. Ullens. - D’ailleurs, les sections pourront s’occuper, dès demain, de l’examen les budgets.
- La chambre décide qu’il y aura séance demain.
La séance est levée à 3 heures et demie.