(Moniteur belge n°121, du 1er mai 1834 et Moniteur belge n°122, du 2 mai 1834)
(Moniteur belge n°122, du 1er mai 1834)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal.
M. le président. - Y a-t-il réclamation contre la rédaction du procès-verbal ?
M. Pirson. - Je demande qu’il soit fait mention au procès-verbal de mon vote en faveur de la proposition de MM. Ernst et Dubus.
M. Angillis. - Je fais la même demande : j’ai votée contre la clôture et j’ai voté en faveur de la proposition de MM. Dubus et Ernst : le procès-verbal doit en faire mention.
M. Lardinois. - Que on mette aussi que j’ai voté contre.
M. Nothomb. - Insérez le mien aussi.
- Plusieurs membres. - Mettez le nom de tout le monde.
M. le président. - S’il n’y a pas d’opposition, le procès- verbal énoncera tous les votes.
- De toutes parts. - Oui ! oui ! tout le monde sera content.
M. de Renesse fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.
« Les habitants des communes de Fronville, Noiseux et Baillonville demandent à être circonscrits dans le canton judiciaire de Marche. »
- Renvoyé à la commission chargée d’examiner le projet de loi sur les circonscriptions des justices de paix.
« Les notaires de la ville de Louvain réclament contre le projet d’abroger la distinction qui existe dans la loi de ventôse an II, entre les notaires des tribunaux de première instance, et ceux des justices de paix. »
- Renvoyé à la commission chargée d’examiner le projet de loi sur la circonscription des justices de paix.
« Plusieurs habitants de la paroisse d’Hemvillecappelle, demandent : 1° que leur commune soit séparée de la ville de Furnes, dont elle fait actuellement partie ; 2° qu’elle soit administrée séparément des justices de paix ; et 3° que dans la nouvelle organisation des justices de paix elle fasse partie du canton de Nieuport.
- Renvoyé à la commission chargée d’examiner le projet de loi sur la circonscription des justices de paix.
M. Desmaisières, organe d’une commission spéciale, est appelé à la tribune. Mais comme son travail est d’une certaine étendue, la chambre en ordonne l’impression et dispense l’honorable membre d’en donner lecture.
(Note du webmaster : Le Moniteur ne précise pas l'objet de ce rapport. La date correspond à celle reprise sur le document n°96, session 1833-1834 de la chambre des représentants. Cette pièce est disponible sur le site officiel de cette Chambre (www.lachambre.be))
M. le président. - Hier, M. Dumortier a déposé sur le bureau la proposition suivante :
« La chambre, sans se prononcer sur les rapports des ministres de l’intérieur et de la justice, et sans reconnaître la force légale des dispositions de la loi de vendémiaire an VI, passe à l’ordre du jour. »
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il l’a retirée.
M. Pirson. - M. Dumortier n’est pas ici ; il est parti.
M. le président. - Puisque la chambre considère la proposition comme étant retirée, nous ne nous en occuperons pas.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, la chambre se rappellera qu’elle était sur le point de clore la discussion générale sur le projet de loi que j’ai eu l’honneur de soumettre à ses délibérations lorsqu’elle l’a ajournée, et que je m’étais réservé de combattre quelques-unes des objections par lesquelles on avait attaqué, et le principe du projet, et les conséquences qui en découlent. Je viens présenter à la chambre les réflexions par lesquelles je voulais répondre aux adversaires du système du gouvernement.
Messieurs, on a dit que jamais les législatures antérieures, soit en France, soit dans le royaume des Pays-Bas, ne s’étaient occupées d’une manière spéciale de la législation sur les enfants trouvés. Le fait est exact, et ce n’est guère en effet que transitoirement qu’en France et pour la première fois, dans la discussion du budget sous la date du 12 floréal de l’an X, a été décidé que les enfants trouvés seraient mis à la charge, dans une proportion déterminée, et des départements et des hospices communaux.
Le gouvernement est d’accord avec beaucoup de membres de cette assemblée, qui ont tour à tour combattu ou défendu le projet, sur un principe d’économie politique, sur un principe fondamental en matière de charité publique : c’est que les hospices d’enfants trouvés sont par eux-mêmes un mal ; que la conséquence naturelle de la multiplicité d’hospices trouvés, c’est la multiplication des naissances illégitimes et de l’abandon des enfants. Il est évident encore que le développement que prendrait ce système de charité publique aurait pour résultat de favoriser dans les classes inférieures l’esprit d’imprévoyance. Or, dès que les institutions favorisent dans cette classe l’esprit d’imprévoyance, nous arrivons (et tel est le résultat de la taxe des pauvres en Angleterre), nous arrivons directement au paupérisme. La taxe des pauvres crée et multiplie les pauvres ; les hospices d’enfants trouvés créent et multiplient les enfants trouvés.
Ces principes n’ont pas cessé d’être enseignés depuis M. Necker jusqu’au célèbre Malthus. Les hospices d’enfants trouvés, non seulement multiplient les naissances illégitimes, l’abandon des enfants même légitimes, mais ce qui peut paraître paradoxal au premier aspect, c’est que la multiplicité des hospices d’enfants trouvés multiplie les infanticides.
J’ai dit que cette énonciation, qui heurte beaucoup d’idées reçues, semble au premier aspect un paradoxe. Pour peu, cependant, qu’on veuille y réfléchir, on se convaincra que cette conséquence est rigoureuse. Et d’abord, messieurs, la principale cause de la multiplicité du crime d’infanticide, c’est évidemment le nombre croissant des enfants illégitimes ; or, si les hospices d’enfants trouvés provoquent la multiplicité des enfants trouvés, ils engendrent la première, la principale cause de la multiplicité des infanticides.
Il faut considérer le véritable caractère de la faiblesse qui amène une naissance illégitime : au moment où l’acte de faiblesse a été consommé, il se peut que la victime de la séduction ait compté sur un facile accès aux hospices d’enfants trouvés, qu’elle se soit dissimulé les obstacles qui viendraient détruire tous les effets des précautions qu’elle pourrait prendre pour ensevelir sa faute dans le mystère.
Lorsque le moment de la naissance arrive, les obstacles que l’on s’était dissimulés se représentent, et souvent l’exposition à l’hospice ne pouvant avoir lieu sans dévoiler la honte de la fille mère, elle est amenée, dans l’égarement du désespoir, à commettre un infanticide.
Il y a encore un fait matériel, bien qu’il ne soit pas accompagné de crime, qui est cependant meurtrier pour les malheureuses victimes des faiblesses dont j’ai parlé tout à l’heure : je veux dire la mortalité.
Il est reconnu, en France, par les statistiques officielles, que la mortalité dans les enfants trouvés est en général double de ce qu’elle est pour les enfants élevés chez leurs parents. A Paris, en 1825, sur 33 mille enfants déposés dans les hospices, il en est mort 20 mille ; tandis que dans la même période il a été constaté que la mortalité des enfants élevés chez leurs parents ne s’élevait qu’à 10 mille. Et encore on n’est arrivé à ce résultat dans les hospices que par de grandes améliorations, car en 1784 le transport annuel des enfants des communes voisines à Paris était de 2,000. Savez-vous, messieurs, combien il en mourait, soit pendant le transport, soit pendant les quelques jours qui suivaient l’arrivée à l’hospice ? 9 sur 10. Ainsi, si nous envisageons la question sous le rapport de la mortalité je vous demande ce que sont quelques infanticides de plus sur lesquels les amis de l’humanité doivent gémir sans doute, ce que c’est à côté d’un régime qui moissonne les enfants dans cette effrayante proportion.
On a parlé ici de l’Angleterre, et on a dit que dans ce pays il n’y avait guère d’enfants trouvés : cet exemple ne peut nous conduire à rien, car cela s’explique par des causes étrangères à notre pays ; cela s’explique par l’existence de la taxe des pauvres. Elle est distribuée entre ceux qui sont appelés à y prendre part en raison du nombre de leurs enfants, de sorte que là, loin de chercher à abandonner les enfants, il n’est pas sans exemple qu’on en recrute tout exprès pour figurer plus favorablement dans les contrôles de la taxe des pauvres.
Les exemples que l’on aurait voulu tirer des Etats-Unis sont également inapplicables : là il n’y a pas excès de population ; celle-ci, au contraire, n’y est pas en rapport avec les besoins du sol et de l’industrie.
On a prétendu que la multiplication des enfants trouvés en Belgique résultait du mauvais système qui attaque directement, a-t-on dit, la subsistance du malheureux. On a prétendu qu’en Belgique le système d’impôt conduisait au célibat, et que dès lors il donnait naissance à une foule d’enfants illégitimes. On a surtout attaqué l’impôt personnel et l’impôt des patentes. Je fais remarquer que ces causes n’ont pas l’effet qu’on leur attribue ; car, en France, où la contribution personnelle est assise sur des bases différentes, où l’impôt des patentes est encore perçu selon l’ancien système que l’on réclame ici comme un perfectionnement, le nombre des enfants trouvés a été croissant, tandis qu’en Belgique il a été décroissant.
C’est encore une erreur de prétendre que le célibat soit la cause première de l’augmentation des enfants trouvés ; les statistiques recueillies prouvent que ce sont en grande partie les enfants abandonnés par des parents pauvres qui constituent la population des hospices.
Ce principe, que j’ai franchement reconnu, que les hospices d’enfants trouvés sont par eux-mêmes un mal, doit-il nous conduire à une conséquence logique, à cette déduction rigoureuse qu’il faut les supprimer, les supprimer brusquement ? Non, messieurs ; c’est ici qu’il faut savoir concilier les principes de l’économie politique avec les devoirs de l’humanité. Il faut tendre à diminuer les hospices ; il faut tendre à diminuer le mal par tous les moyens qui peuvent conduire à ce résultat ; mais il ne faut rien de brusque ; il ne faut pas oublier qu’il est des maux avec lesquels la législature doit transiger.
Loin de chercher à diminuer le mal, loin de chercher à l’attaquer dans sa source, le système de la section centrale qui veut mettre à la charge de l’Etat les enfants trouvés est un nouveau pas, un progrès fatal, dans un système dont il faut à tout prix nous éloigner. Le système de la section centrale non seulement n’attaque pas le mal dans sa source, mais il en développe le progrès ; c’est une aggravation de tout ce qu’il y a de défectueux dans l’ancien régime ; car le premier résultat d’un tel système, c’est de désintéresser les provinces à la recherche des causes du mal ; de les désintéresser dans la recherche de ces causes et des moyens d’y remédier. Non seulement vous ne désintéressez pas les provinces et les communes, mais dans le système de la section centrale vous les engagez à aggraver le mal.
En effet, comme les enfants de parents pauvres sont nécessairement à la charge des bureaux de bienfaisance communaux, il en résulte que, loin de retenir dans la commune les enfants que des parents pauvres voudraient abandonner, les communes verront avec plaisir une manœuvre qui les déchargera de contribuer à l’entretien de ces enfants, en mettant ceux-ci à la charge de l’Etat. Ainsi, vous les conviez à favoriser l’abandon d’enfants légitimes appartenant à des parents indigents. Les provinces également désintéressées tendront au même but ; tandis que si la charge pèse sur la province, la province aura un grand intérêt et une grande facilité à exercer une surveillance sévère sur chaque commune : en effet, les éléments dont se composeront les conseils provinciaux seront pris dans les cantons, et la plupart de leurs membres feront déjà partie de l’administration municipale.
Je sais que si on voulait poursuivre ce système, il ne faudrait pas s’arrêter à la province, et que, pour être logique, il faudrait l’étendre à la commune. Je conviens que ce serait et plus juste et plus moral, mais j’aurai l’honneur de vous soumettre des objections tirées des difficultés que ce système rencontre dans la pratique. Mon opinion n’est pas cependant complètement arrêtée sur ce point : si la discussion démontrait que ces difficultés ont été exagérées, je donnerais volontiers les mains à l’adoption de ce système qui n’a contre lui, je le répète, que les difficultés de l’exécution, car en principe il est le plus juste, le plus économique, le plus moral.
Si, dit-on, on proclame que l’existence et surtout la multiplicité des hospices d’enfants trouvés est un mal, comment se fait-il qu’on puisse sans contradiction flagrante augmenter le nombre de tours ? A cela la réponse est facile. Une conséquence de la disposition de la loi qui met la dépense des enfants trouvés à la charge des provinces, c’est ou d’établir un tour dans chaque province ou de supprimer tous les tours. Or, on ne peut pas arrêter inopinément la suppression des tours dans toutes les provinces. Cette mesure ne peut être prise sans gradation, sans précautions. Nous devons prendre en considération les mœurs sous lesquelles nous sommes encore ; nous devons respecter les lois de l’humanité. Il est impossible que sans transition aucune, on supprime tous les tours.
Si donc vous ne pouvez partout supprimer les tours, il faut qu’il y en ait un pour chaque province ; il est impossible qu’il y ait un tour pour telle province, et qu’il n’y en ait pas pour la province voisine ; car l’enfant exposé dans la province qui n’aurait pas de tour serait presque toujours porté au tour de la province voisine. Cette conséquence me paraît inévitable. Dès lors l’équilibre qui fait la base d’une répartition équitable entre les provinces viendrait à manquer.
Nous ne proposons pas de changer beaucoup le nombre de tours qui existe aujourd’hui. Déjà il y en a sept ; mais la répartition n’en est pas équitablement faite. Il y a des provinces qui n’en possèdent pas ; dans d’autres il y en a deux ; dans celles-là nous proposons d’en supprimer un. Ainsi il y a deux tours dans la province d’Anvers, deux dans la province du Hainaut et deux dans la province du Brabant. Si le projet est adopté, on pourra supprimer un tour dans chacune de ces provinces. L’augmentation totale ne sera que de deux tours. Et ce n’est pas là un système permanent ; dans l’opinion de l’administration il ne doit pas avoir une durée perpétuelle ; elle pense que si les conseils provinciaux lui offrent un concours actif et éclairé (car ce sont surtout les lumières et les principes d’économie politique qui doivent diriger l’action de la charité publique), le temps n’est pas très loin où on pourra supprimer les tours sur tous les points.
Les enfants abandonnés, mais dont les parents sont connus restent à la charge de la commune. Ici il n’y a aucun doute sur le domicile. Il faut donc appliquer les principes de la loi qui indique le domicile d’origine comme domicile de secours. Les enfants abandonnés par de parents connus et indigents, seront à la charge des bureaux de bienfaisance, et à leur défaut, à charge des communes.
Le nombre de ces enfants est assez considérable. Sur 8263 enfants trouvés et abandonnés en Belgique (année 1833), il y en a 1834 dont les parents sont connus. Sur la somme de 655,133 fr. qu’a coûté l’entretien des enfants trouvés abandonnés en 1833, la somme de 145,409 fr. est consacrée à l’entretien des enfants abandonnés dont les parents sont connus. C’est environ le quart. Des recherches ont été faites en France pour séparer les enfants abandonnés dont les parents sont connus de ceux dont les parents sont inconnus. On est arrivé à peu près au même résultat.
On a prétendu que le système actuel condamnait l’administration à suivre le système déterminé par la loi d’août 1833, pour l’entretien des mendiants. Mais le mendiant dont le domicile est inconnu est une exception, et il n’y a pas pour lui de présomption possible. Lorsque l’enfant est abandonné sur le territoire d’une province, il y a présomption que les parents de l’enfant appartiennent à cette province. Il n’en est pas de même pour le mendiant vagabond ; pour lui pas de présomption de domicile ; il n’y a pas d’analogie. Le gouvernement ne peut donc pas, comme on le voudrait, faire de ce cas exceptionnel une règle pour les enfants abandonnés.
Les hommes qui meurent de faim, a dit un honorable membre dans la discussion, doivent être secourus par l’Etat ; je n’admets pas cette maxime ; elle est contraire à la législation qui dirige la charité publique ; elle est contraire à la loi du mois d’août 1833, au vrai principe de l’économie politique qui font de la charité un devoir de la commune et de la province, avant d’en faire une obligation pour l’Etat.
L’avantage du système qui consiste à mettre la dépense des enfants trouvés à la charge des provinces, c’est d’abord d’opérer une décentralisation là où elle ne présente aucun avantage et où elle a au contraire beaucoup d’inconvénients. Ensuite il fera exercer la surveillance par ceux qui y ont intérêt. N’oubliez pas, messieurs, un des principaux avantages du système : les conseils provinciaux voteront et répartiront l’impôt destiné à faire face à la dépense, ce sera donc le contribuable lui-même, celui qui a intérêt à la diminution des charges, l’Etat n’a pas directement le même intérêt. Ce système établit en outre, entre chaque province, une sorte d’émulation dans la recherche des meilleurs moyens de faire face aux abus et d’attaquer le mal dans sa source. Vous détruisez cette émulation pour la voir remplacée, peut-être, par une fâcheuse apathie, si vous chargez l’administration centrale de faire face aux abus et d’extirper le mal. Avec notre système, l’intérêt de la province sera de multiplier les moyens d’instruction et de travail, d’ouvrir des écoles et des ateliers. Ces intérêts se rattachent plus directement à l’action de la province qu’à celle du gouvernement.
Maintenant, il me sera facile d’établir que les provinces, en faisant face aux dépenses des enfants trouvés, ne font qu’exécuter une sorte de contrat intervenu entre elles et le pouvoir législatif. Elles ont le droit de percevoir des centièmes additionnels destinés à pourvoir à leurs dépenses légales. L’article 14 de la loi du 12 juillet 1821 attribue, en retour, aux provinces, la tâche de pourvoir à des dépenses qui sont mieux et plus économiquement faites par elles que par l’Etat et la commune. Voici cette disposition :
« Art. 14. Pour couvrir les dépenses d’un intérêt provincial, ou de tels autres objets d’intérêt général qui, en raison d’économie et de simplification dans l’administration, sont confiés à la direction des états provinciaux, ou leur pourraient être confiés par la suite, il sera perçu six centièmes additionnels sur le principal des impôts sur les propriétés bâties et non bâties, et le personnel ; lesdits centièmes additionnels seront exclusivement affectés, dans chaque province, à ses dépenses particulières, sans qu’ils puissent jamais servir à former un fonds général. Les propositions concernant l’emploi desdits centièmes additionnels, qui nous seront faites par les états provinciaux, doivent être accompagnées d’un état indiquant les objets auxquels ces sommes sont destinées, et il sera rendu compte de cet emploi, suivant le mode qui sera déterminé par nous.
« Ces centièmes additionnels seront perçus par les employés de l’Etat, en même temps que le principal. »
Et, messieurs, savez-vous à quelle somme s’élevait pour toutes les provinces le produit des centimes additionnels en 1833 ?
Sur la contribution foncière, les centimes additionnels s’élevaient à fr. 952,759 62
Sur le personnel, à fr. 436,308 43
Total : fr. 1,389,068 05.
Dans la même année, les centimes extraordinaires, qu’il ne faut pas confondre avec les centimes additionnels dont je viens de parler, s’élevaient :
Sur la contribution foncière à fr. 182,181 27
Sur le personnel à fr. 71,746 25
Total : fr. 254,027 52
Total général : fr. 1,643,095 57
L’article 15 de loi du 12 juillet 1821 que je citais tout à l’heure, autorise également les communes à s’imposer sur les contributions directes. Voici cet article :
« Art. 15. Jusqu’à ce que d’autres dispositions aient été approuvées par nous, relativement aux impositions communales, il sera perçu, pour faire face aux dépenses des communes, cinq centièmes additionnels sur le principal des impôts, sur les propriétés bâties et non-bâties, et sur le personnel.
« Indépendamment de ces centièmes additionnels, il pourra également être perçu, sur le même pied et sur les mêmes impôts, deux centièmes au profit des communes, sous la condition expresse qu’ils devront être employés à la suppression, ou à la diminution des impositions communales, soit personnelles ou autres. Dans les communes qui n’ont pas besoin de ces deux centièmes additionnels pour couvrir leurs dépenses, ils pourront être ou entièrement supprimés, ou perçus en moindre proportion, de manière qu’en tout cas, il en résultera un avantage pour les contribuables.
« Ces centièmes additionnels seront perçus par les employés de l’Etat, en même temps que le principal. »
« Art. 16. En tant que nous accorderons à quelques communes des centièmes additionnels sur des accises qui en seront jugées susceptibles, ils seront perçus simultanément par les employés de l’Etat. En indemnité des divers frais occasionnés par cette perception, il sera remboursé au trésor, par lesdites communes, 3 pour cent du montant de ces centièmes additionnels. »
La plus grande objection que l’on puisse faire contre le système qui tendrait à rendre la dépense en tout point communale, c’est qu’il serait impossible de faire une répartition équitable de la dépense. Sur quoi serait basée cette répartition ? Serait-ce sur la population ? Mais ne tenez-vous aucun compte de l’aisance générale qui peut exister dans une commune, par des circonstances dues souvent à une administration éclairée, ou à la population ? Ne tenez-vous aucun compte du soin qu’une municipalité peut avoir pris d’éteindre la mendicité, première cause de l’abandon des enfants ? Ne tenez-vous aucun compte des efforts qu’une administration peut avoir faits pour attaquer le mal par tous les moyens ? Si vous prenez la population pour base, vous placerez cette administration dans la même position que celle d’une autre ville qui n’a rien fait pour empêcher que le nombre des enfants abandonnés augmentât progressivement d’année en année.
Ou bien mettrez-vous des tours dans chaque commune ? Etablirez-vous des hospices partout ? Les grandes villes surtout seront obérées dans votre système. Vous avez entendu dans la discussion qui a eu lieu précédemment, le bourgmestre de la ville de Bruxelles vous dire que les recherches auxquelles il s’était livré sur les enfants de l’hospice de Bruxelles lui avaient appris que les 5/6 de ces enfants étaient étrangers à la ville de Bruxelles. Voilà ce qu’a dit l’honorable M. Rouppe sans que personne l’ait réfuté.
Telles sont, messieurs, les observations que je me proposais de communiquer à la chambre sur le projet soumis à ses délibérations, lorsqu’elle en a interrompu la discussion pour s’occuper du chemin de fer, j’attendrai que des objections soient présentées sur le système du projet, et les différentes dispositions dont il se compose, pour prendre de nouveau la parole.
M. Cornez de Grez. - Messieurs, membre de l’administration des hospices et de l’établissement des enfants trouvés, à Bruxelles j’ai cru, messieurs, de mon devoir de vous faire connaître mon opinion sur la loi que vous discutez. Veuillez m’accorder votre indulgence. Je sais plus que personne que j’en ai besoin.
Déjà, sous l’ancien gouvernement, les états des provinces et les régences des villes où se trouvaient des établissements d’enfants trouvés, adressaient chaque année au roi leurs fortes réclamations, afin qu’il en fît supporter la charge par l’Etat. Jamais il ne voulut y avoir égard. La raison en était simple. Vous le savez, messieurs, à chaque session des états-généraux, le chiffre énorme du budget y était l’objet des attaques les plus vives, et souvent le gouvernement ne l’obtenait qu’à la simple majorité d’une voix. Il était donc intéressé à présenter des économies factices, et il ne pouvait y parvenir qu’en mettant à la charge des villes et des provinces tout ce qu’il pouvait rayer du budget de l’Etat. Singulière économie, je le répète ; car il importe peu au contribuable que son argent soit versé dans la caisse de l’Etat ou dans celle de la province, pourvu que sa bourse en fasse les frais.
Chargé en partie de l’administration des établissements des enfants trouvés, à Bruxelles, je suis à même de pouvoir vous certifier que le tiers des infortunés qui y sont déposés, a reçu le jour dans d’autres provinces. Il existe un trafic établi, par exemple, entre Liége et Bruxelles ; et nous savons positivement que, pour la somme de six francs, des femmes apportent jusqu’ici un enfant abandonné. Le voyage est plus lucratif pour elles lorsqu’elles parviennent à s’en procurer plusieurs à la fois.
On me demandera peut-être comment il est possible de savoir dans quelle province du royaume est né le malheureux du sort duquel la chambre s’occupe en ce moment. Il me sera facile de répondre à cette objection. Tous les jours, messieurs, des femmes, dont la position sociale a pu s’améliorer, se rappelant qu’elles ont été mères, s’adressent à nous pour nous redemander leurs enfants. Après que des informations positives nous ont mis à même de juger et de la véracité du fait et de leurs moyens d’existence, nous nous hâtons de rendre à sa mère un enfant que le besoin seul ou une première faute en avait séparé. Et je dois le dire, messieurs, pour l’honneur de nos mœurs, presque chaque jour se présentent de nouvelles demandes. C’est ainsi que nous pouvons juger du nombre d’enfants trouvés que nous envoient les autres provinces du royaume.
La loi nouvelle prescrit qu’il y aura dans chaque province un établissement pour les enfants trouvés. Peut-être, à l’avenir, l’abus que je viens de signaler cessera-t-il du moins en partie ; mais, messieurs, il n’en restera pas moins certain que, pendant douze ans encore, la province du Brabant et la ville de Bruxelles seront forcés d’entretenir un grand nombre qui n’y sont pas nés.
Chacun de nous n’ignore pas que pendant douze ans une pension annuelle est payée pour chacun d’eux, et que lorsqu’ils sont parvenus à cet âge, le nourricier reçoit une gratification de 50 francs en suite de l’engagement qu’il contracte d’en prendre soin jusqu’à ce qu’il puisse par lui-même pourvoir à son existence. C’est donc une somme énorme qui indûment tomberait à la charge de notre province.
Quelques personnes objectent que si le gouvernement portait cette dépense sur son budget, on en ferait un sujet de spéculation ; que des parents n’auraient pas honte d’y déposer leurs enfants, pour les reprendre lorsqu’ils seraient élevés. Messieurs, comme déjà j’ai eu l’honneur de le dire, c’est aux membres de l’administration que doit s’adresser toute personne qui redemande un enfant. Si cette personne possède quelques ressources, on ne le lui rend que lorsqu’elle a restitué la somme qui son éducation a coûté. D’ailleurs, que ce soit le gouvernement, que ce soit la province ou la ville qui en fasse les frais, vous ne sauriez empêcher qu’on ne vienne déposer des enfants dans le tour quand on le voudra ; et s’il existe des parents assez dénaturés pour vouloir en agir ainsi, quoi que vous fassiez, messieurs, vous ne pouvez l’empêcher.
Je suis loin de mettre en doute le chiffre de mortalité aux enfants trouvés quant à ce qui se passe en France, mais ici, messieurs, je ne puis partager l’opinion de M. le ministre de la justice. Je puis certifier comme membre des hospices, que les tableaux officiels constatant les décès nous sont envoyés chaque année, et le chiffre de mortalité parmi les enfants trouvés n’est pas plus élevé que celui qui existe parmi les enfants légitimes d’une même commune.
M. le ministre nous a dit qu’il y avait présomption que l’enfant déposé à l’établissement des enfants trouvés était né dans la province. Je suis d’une opinion tout à fait contraire ; presque toujours la naissance de cet enfant est le fruit d’une faute. Pour la cacher, que faut-il faire ? l’éloigner le plus possible ; et j’en tire la conséquence qu’au contraire il y a présomption que l’enfant est né dans une autre province.
Je me range donc de l’opinion de ceux qui pensent que l’Etat seul doit supporter les frais des établissements des enfants trouvés.
M. Soudan de Niederwerth, commissaire du Roi. - Messieurs, dans le cours de la discussion préalable qui a déjà eu lieu sur le projet de loi qui continue à occuper la chambre en ce moment, un discours remarquable a été prononcé par M. H. de Brouckere. Après les arguments qu’il a fait valoir, il devient difficile de justifier tout autre système que celui qu’il a défendu.
Il semble qu’il n’y a rien de mieux à faire que de laisser les frais d’entretien des enfants trouvés à la charge des communes où ces enfants sont exposés, et de donner force de loi aux arrêtés royaux qui ont établi ce principe. C’est le seul vraiment moral, a dit l’honorable orateur, parce que c’est le seul qui intéresse les communes à prévenir les causes de l’abandon.
Cette assertion serait péremptoire, messieurs, si le fait sur lequel elle repose était vrai ; mais il y a lieu de douter si le système introduit en 1822 a réellement eu pour effet d’intéresser toutes les communes ; il semble au contraire que les villes où un hospice destiné à recevoir les enfants est établi, auraient seules jusqu’ici été intéressées à prévenir leur abandon, si, prévoyant que tous les efforts qu’elles pourraient faire dans ce but seraient presqu’entièrement inutiles aussi longtemps qu’elles seraient le réceptacle inévitable des enfants exposés par les habitants de toutes les communes circonvoisines, la plupart de ces villes ne s’étaient décidées à ne prendre aucune mesure préventive ; elles se sont contentées de se plaindre, et elles se sont plaintes avec raison. Dans plusieurs provinces deux ou trois villes se sont trouvées chargées seules des frais d’entretien des enfants abandonnés, non seulement de toute la province, mais quelquefois aussi des provinces voisines. Ce que l’honorable M. Cornet de Grez vient de vous dire confirme entièrement cette assertion.
Si le gouvernement, afin d’empêcher cette affluence dans certaines localités, a proposé d’établir un tour dans chaque province, c’est aussi afin de faire disparaître l’inégalité de la charge qu’il a proposé de répartir la dépense des enfants trouvés entre toutes les communes d’une province ; car remarquez-le bien, messieurs, tel est l’effet de la mesure proposée par le ministère. Ce sont les communes qui contribuent à former la caisse provinciale. C’est une sorte de fonds commun créé à leur profit et qu’elles sont intéressées à épargner. Et bientôt, lorsque les conseils provinciaux, ces chambres des représentants cantonaux, existeront, les abus dont vous avez à vous occuper aujourd’hui seront combattus à leur origine.
Ils seront combattus avec d’autant plus de succès que ce ne seront plus les autorités communales agissant l’une contre l’autre dans le cercle droit de leurs intérêts individuels, mais une assemblée centrale qui les représentera toutes, à qui ce soin sera confié. Le gouvernement a supposé que dans ces assemblées provinciales, d’où doit naître tant de bien, la province et la commune s’apercevront que leurs intérêts se confondent et leur prescrivent de s’entendre pour empêcher par des mesures préventives la cause de l’exposition des enfants. Cette cause, il n’est pas encore bien démontré qu’on doive la placer dans l’existence des tours. Si le nombre des expositions est plus fort là où existe un tour, c’est que l’on y apporte les enfants des endroits où il n’y a ni tour ni hospice. Est-ce à dire pour cela que si nulle part il n’existait de tour ni hospice, les parents pauvres et les filles mères n’abandonneraient plus leurs enfants ? II est permis d’en douter. Les expositions auraient seulement lieu d’une manière plus cruelle, plus scandaleuse, et dès lors plus immorale encore qu’aujourd’hui.
La suppression des tours seuls serait-elle efficace ? Il y a aussi lieu d’en douter, lorsqu’il arrive qu’à Namur, où il n’y a pas de tour, le nombre des expositions est très considérable, et qu’à Anvers au contraire, où il en existe un, le nombre des expositions diminue sensiblement d’année en année.
Quant à ce que M. de Brouckere a dit qu’il n’existe pas en Angleterre d’hospices d’enfants trouvés, et que le nombre de ces enfants y est très peu considérable, je dois vous faire remarquer que ces deux faits out une tout autre cause à laquelle, je pense, l’honorable orateur n’a pas réfléchi ; c’est qu’en Angleterre les pauvres reçoivent des secours en raison du nombre de leurs enfants. C’est un droit que leur donne la loi qui a établi la taxe des pauvres. C’est là aussi une des raisons pour lesquelles il y a en Angleterre moins d’enfants illégitimes. Les indigents gagnent à se marier et à avoir beaucoup d’enfants. Permettez-moi de vous citer à ce sujet un dialogue inséré dans un article d’économie politique récemment publié en Angleterre même, et qui prouve l’exactitude de ce que je viens d’avancer.
Un inspecteur des pauvres faisait observer à une indigente « qu’elle était portée sur sa liste comme ayant droit à trois rations d’enfants et à la sienne. » Avec cela et de l’économie, lui dit-il, vous aviez de quoi vivre. « Oui, répondit-elle, M. l’inspecteur, si j’avais eu un enfant de plus je me serais trouvée à mon aise. « Un enfant de plus, malheureuse, s’écria l’inspecteur ? » « - Pardon, monsieur, d’avoir dit naïvement ce que je pense.»
Le monde entier connaît aujourd’hui quels sont les résultats déplorables d’un tel système ; et c’est cependant ce système propagateur du paupérisme qu’un des défenseurs du projet de la section centrale veut établir en Belgique, lorsqu’il demande que l’Etat se charge de l’entretien de tous les enfants pauvres. Ce sont là des sentiments bien généreux, sans doute, et auxquels je rends hommage ; mais ils conduiraient la société dans un abîme, si le législateur qui les partage n’écoutait pas plutôt la voix de la prudence et de la raison que celle de son cœur.
Je puis avoir l’honneur de vous dire, messieurs, qu’ayant récemment eu l’occasion de donner à des membres du parlement britannique des renseignements sur le système de charité publique en Belgique, ces hommes éclairés, délégués par leur gouvernement pour rechercher les moyens de délivrer l’Angleterre du fléau de la taxe des pauvres, ont conseillé à l’administration belge de persévérer dans la voie où l’a fait entrer la loi du 13 août 1833, relative à l’entretien des mendiants.
Ce sont ces conseils, messieurs, qui m’enhardissent à combattre aussi l’opinion du premier orateur qui a pris la parole contre le projet de loi présenté par le ministère, et qui a dit que c’est en vertu du principe que la société doit la subsistance à tous ses membres, que l’assemblée constituante mit à la charge de la nation la nourriture des pauvres et leur entretien.
C’est bien là le motif moral, il est vrai, de la loi à laquelle l’honorable député de Dinant a fait allusion, mais ce n’en était pas la cause directe.
C’était l’équité qui obligeait l’Etat à dédommager les établissements charitables de la confiscation de leurs biens opérée en vertu de la loi du 25 messidor an II. Mais bientôt on s’aperçut des inconvénients de cet état de choses. La loi du 16 vendémiaire an V rendit aux hospices leurs propriétés, en leur accordant en outre des privilèges justifiés par le but de leur institution.
Depuis lors l’Etat s’est considéré comme affranchi du devoir de pourvoir directement à la subsistance des pauvres. Je dis directement, messieurs ; car indirectement il contribue encore à les secourir, en cédant aux provinces et aux communes une part dans les impositions directes.
Si l’Etat était de nouveau chargé d’une part quelconque dans l’entretien des indigents, le taux des centimes additionnels cédés aux communes et aux provinces devrait par compensation être diminué à son profit, à moins d’augmenter le taux même des impositions générales. Ce serait là, messieurs, la conséquence immédiate et inévitable du système proposé par la section centrale.
Voilà ce que le gouvernement a voulu éviter. Mais il a désiré aussi d’empêcher que quelques communes ne continuassent à supporter presque seules une charge énorme. Dans cette alternative, il a cru sage de donner la préférence au projet aujourd’hui en délibération.
Si ce projet est plus ou moins imparfait, quoiqu’il soit le résultat de longues méditations, c’est qu’il est impossible d’établir un système parfaitement bien organisé pour l’entretien des enfants trouvés. Les changements continuels que la législation qui les concerne a subis depuis quarante ans le prouvent suffisamment.
L’institution successive dans toutes les localités de salles d’asile, ou écoles gardiennes, et des sociétés de charité maternelle paraît être le véritable remède que les progrès de la civilisation réservent à cette plaie sociale. Plus les mères recevront de protection et de soulagement, moins elles seront portées à délaisser leurs enfants.
M. Fallon. - La discussion générale, bien loi de concilier les opinions sur le régime qu’il convient d’adopter pour l’entretien des enfants trouvés, a agrandi le cercle de la difficulté, et nous nous trouvons maintenant en présence de cinq systèmes différents.
Ce résultat provient de ce que la question principale a été étouffée dans des questions secondaires, de ce que la question de principe a été confondue avec des questions d’exécution et d’économie.
Chacun des systèmes proposés n’était autre chose que l’application d’un principe différent, il faut nécessairement procéder dans un autre ordre. Si l’on veut abréger les débats, c’est sur la question de principe qu’il faut d’abord s’accorder.
En règle générale, l’entretien de l’enfant est la dette de la famille, et si la famille est indigente, la dette de la famille devient celle de la commune du domicile de secours.
Si les parents de l’enfant sont connus, il n’y a pas de difficulté ; l’Etat ne doit intervenir que pour forcer la famille à remplir ses devoirs ou pour contraindre la commune du domicile de secours à y suppléer.
Mais si les parents de l’enfant sont inconnus, on ne trouve plus ni famille ni domicile de secours ; la dette devient incertaine ; elle ne sait plus où se fixer ; ce n’est plus la dette de personne, c’est celle de l’humanité ; et, dans tout Etat civilisé, la dette de l’humanité est la dette de tous ; c’est celle de l’Etat.
C’est là, messieurs, une première vérité qu’il faut bien reconnaître ; vous la reconnaîtrez sans doute, puisque vous l’avez proclamée après une discussion approfondie dans la loi du 13 août 1833 relative à l’entretien des indigents dans les dépôts de mendicité. En déclarant, alors, que l’entretien de l’indigent était la dette de la commune du domicile de secours, vous avez déclaré en même temps que cette dette était celle de l’Etat, alors que l’origine de l’indigent restait inconnue, alors qu’aucun domicile de secours ne pouvait lui être assigné.
Si vous ne pouvez pas plus assigner un domicile de secours à l’enfant trouvé que vous n’avez pu en assigner un à l’indigent dont le domicile est inconnu, vous avez résolu la question que nous discutons aujourd’hui ; sinon il y aurait contradiction de principe, et la contradiction serait d’autant plus choquante, qu’il y a moins de moyens de rechercher l’origine de l’enfant trouvé qu’il n’y en a pour découvrir le lieu de naissance ou le dernier domicile de l’indigent.
Dans cet état de doute et d’incertitude on peut échapper à la difficulté en assignant pour domicile de secours à l’enfant trouvé soit la commune, soit la province du lieu où il a été trouvé exposé. Mais échapper à la difficulté, ce n’est pas la résoudre. Il n’est permis au législateur, sans manquer au premier de ses devoirs, de chercher à esquiver la difficulté qu’alors qu’elle est insoluble ; et encore, dans ce cas, faudrait-il tout au moins que le moyen de solution soit avoué par la raison, la justice et l’équité qui doivent être les bases de toute loi, quels qu’en soient le but et l’utilité.
Sur le point de savoir à la charge de qui il est juste d’assigner l’entretien de l’enfant trouvé, il n’y a ni absence de principe ni défaut de moyen de solution.
Lorsque, dans le mois d’août 1833, il s’est agi de savoir à la charge de qui devait être l’entretien de l’indigent dont l’origine était inconnue, la chambre, le sénat et le gouvernement ne se sont pas trouvés en défaut de principe, et la charge a été imposée à l’Etat.
Or, le cas de l’enfant trouvé et le cas de l’indigent dont le domicile de secours est inconnu, sont absolument les mêmes. Il faut donc reconnaître, sous peine d’inconséquence, que le principe à appliquer ne manque pas plus dans un cas que dans l’autre, et que s’il y a eu raison d’imposer à la généralité la dette de l’indigent dont le domicile de secours est inconnu, la même raison lui assigne la charge de l’enfant trouvé.
N’est-il pas vrai que, dans le cas où le domicile de secours de l’indigent est inconnu, nous pouvions nous mettre tout aussi à l’aise et décider qu’il serait à la charge de la commune ou de la province où il serait trouvé mendiant ?
Pourquoi avons-nous repoussé cet expédient ? parce que nous n’avons pas voulu être accusés de faire de l’arbitraire législatif, parce que c’eût été imposer arbitrairement la commune ou la province que de mettre à sa charge l’entretien de l’indigent sur la présomption seule qu’il devait être réputé appartenir à la commune ou tout au moins à la province du lieu où il avait été trouvé mendiant.
La question que nous discutons maintenant se trouve donc déjà résolue par un acte récent de la législature, et tout ce qu’il devrait nous rester à faire, ce serait d’appliquer au même cas le même principe.
Voyons toutefois, puisque c’est bien là le siège de la difficulté, et sans égard même à l’influence de cet antécédent, comment on combat et comment on cherche à justifier la règle posée par simple arrêté du roi Guillaume, qui a fait du lieu de l’exposition le domicile de secours de l’enfant trouvé ; en d’autres termes, qui a imposé l’entretien de l’enfant trouvé à la commune de l’exposition. Il est facile de découvrir dans cette lutte de que côté se trouvent la raison et l’équité.
L’exposition est un fait, et de ce fait ne résulte pas la preuve que l’enfant appartient à la commune de l’exposition ; cela est incontestable.
A défaut de preuve, peut-on recourir à des présomptions ? En règle générale, oui, sans doute, mais à défaut de preuve il n’est permis de s’aider de présomptions que lorsqu’elles sont graves, précises et concordantes. Le droit commun ne permet pas de remplacer la preuve du fait par des présomptions qui n’auraient ce caractère, et la loi use même d’une telle réserve en cette matière qu’elle n’admet les présomptions les plus graves que dans les seuls cas où la preuve testimoniale est admissible.
Les présomptions se puisent dans les circonstances qui précèdent, qui accompagnent ou qui suivent le fait.
Or, dans le cas de l’exposition de l’enfant trouvé, toutes ces circonstances échappent aux perquisitions. Le fait de l’exposition reste complètement isolé ; il n’est entouré d’aucun indice, ni sur l’origine de l’enfant, ni sur le lieu de sa naissance. Il n’existe aucun indice ni grave, ni léger, d’où l’on puisse conclure, sans hasarder un mensonge, qu’il appartienne plutôt à la commune de l’exposition qu’à tout autre commune.
Les présomptions d’ailleurs ne sont jamais admissibles, quelque graves qu’elles soient, qu’alors qu’elles ne se trouvent pas combattues par d’autres présomptions d’égale puissance.
Or, on est forcé de reconnaître que la mère qui expose ou fait exposer son enfant sans le déclarer, veut nécessairement éviter la recherche de la maternité, recherche qui serait facile si l’enfant était exposé dans le lieu qu’elle habite. Il est donc à présumer que l’enfant ne provient pas de la commune du lieu de l’exposition, mais bien de la commune voisine ou de toute autre commune plus éloignée, puisque c’est là le seul moyen de soustraire plus efficacement son origine à toute perquisition.
Placez, messieurs, cette présomption en présence de celle qui attribue l’enfant trouvé à la commune du lieu de l’exposition, et la raison vous forcera de convenir que l’une renverse nécessairement l’autre.
Le gouvernement et votre section centrale reconnaissent cette vérité. Ils reconnaissent l’un et l’autre qu’il n’existe pas de présomption suffisante pour imposer la charge de l’entretien à la commune de l’exposition.
Mais, en l’absence d’une présomption que la raison puisse avouer, existe-t-il quelque autre moyen légal de rendre la commune responsable du fait de l’exposition ?
Ici, ce sont d’autres principes qu’il faut interroger.
Quel que soit le dommage occasionné par un fait, soit à des particuliers, soit à la chose publique, il ne peut y avoir de responsabilité à la charge de quelqu’un, que pour autant qu’il y ait faute de la part de celui-ci, c’est-à-dire que pour autant que celui-ci ait eu le moyen d’empêcher le fait. C’est la un principe qu’on ne peut contester.
Or, voyons si les communes ont quelque moyen de prévenir ou de réprimer les expositions d’enfants.
Un moyen suggéré par quelques orateurs, et que je m’empresse d’admettre, c’est de perfectionner l’éducation morale du peuple. Mais on ne change pas les mœurs d’une nation du jour au lendemain. Il faut du temps et beaucoup de temps pour recueillir les fruits de ce moyen ; et dans l’entre-temps il ne nous est pas permis d’ajourner l’alimentation des enfants trouvés.
Au surplus, l’amélioration de l’éducation morale du peuple est tout autant l’obligation de l’Etat que de la commune, de manière que cette obligation serait dans tous les cas solidaire entre l’Etat et les communes, et qu’ainsi encore la responsabilité ne pourrait peser sur la commune de l’exposition que pour autant qu’il serait démontré que cette commune ne fait pas autant que toute autre commune les frais nécessaires pour le perfectionnement de la morale et de l’instruction.
Un autre moyen, ce serait d’exiger de toute fille mère, comme de toute femme mariée, une déclaration de grossesse avec obligation de représenter l’enfant à toute réquisition de l’autorité ; mais ce serait là reproduire une inquisition qui a justement été flétrie.
Un moyen encore, ce serait d’établir dans chaque commune, ou ce qui serait plus facile dans chaque ville, une espèce de cordon de douanes pour empêcher l’entrée ou la sortie de tout enfant nouveau-né sans certificat d’origine ; mais, outre que ce moyen ne serait efficace que pour autant que l’on empêcherait les femmes grosses de passer, une semblable conception serait par trop ridicule.
Quels sont donc les moyens que les lois et les règlements mettent à la disposition des communes, pour prévenir ou empêcher les expositions d’enfants venant du dehors ?... On n’en connaît d’autres que ceux dont l’administration locale se trouve investie à l’égard de tout autre délit ou crime.
L’assimilation est parfaite : l’exposition et le délaissement de l’enfant au-dessous de 7 ans sont des délits qui prennent même le caractère de crime si quelque mutilation ou la mort s’en est suivie.
Le décret du 19 janvier 1811, qui a ordonné l’établissement des tours aux hospices d’enfants trouvés, bien loin de déroger au code pénal sur ce point, réclame au contraire, dans l’article 2, l’application rigoureuse de ces dispositions pénales.
Le tour n’est ouvert qu’à celui qui a recueilli l’enfant exposé et non à celui qui l’a exposé.
Or, par quelle confusion d’idées et de principes veut-on rendre les communes responsables du délit de l’exposition, alors que l’on est forcé de renoncer à toute responsabilité du chef de tout autre délit ?
Dès lors que le fait de l’exposition reste qualifié de délit et même de crime en certains cas, le fait ne peut pas faire plus d’impression sur la commune du lieu de l’exposition que tout autre délit ou crime.
Une fois que l’ordre public s’empare du fait, les mesures, les frais et toutes les conséquences de la prévention comme de la répression, sont dans les obligations de l’Etat. C’est là une des premières conditions des impôts que le peuple lui paie. Obliger les habitants de la commune du lieu du délit à y suppléer, alors que vous n’en faites pas une règle commune à tout autre délit, c’est une contradiction, pour ne pas dire une vexation, qui outrage la raison et le bon sens.
Nous ne connaissons qu’un cas de responsabilité pour délit ou crime qui pèse sur la commune du lieu où le fait incriminé a été commis ; c’est celui prévu par la loi du 10 vendémiaire an IV. Mais c’est précisément dans cet exemple que l’on peut puiser le plus fort argument contre le système de responsabilité des communes dans tout autre cas ; et notamment dans celui de l’exposition de l’enfant nouveau-né.
Tout le monde convient que cette loi de l’an IV sur les pillages s’écarte du principe fondamental d’imputation des actions humaines, qui ne permet d’imputer à personne le fait auquel il n’a pas concouru et qu’il n’a pu empêcher.
Tout le monde convient que cette loi est en dehors du droit commun, qu’elle été déterminée et qu’elle ne continue à recevoir ses effets que par des considérations de haute politique, et bien plus en vue de renforcer l’action des autorités locales pour empêcher le développement du désordre par le concours des habitants, qu’afin d’assurer des indemnités à ceux qui en sont les victimes.
Veuillez au surplus faire attention, messieurs : si, dans le cas de pillage, la loi engage la responsabilité des communes, il est tout au moins vrai de dire que la commune n’est pas sans moyen pour prévenir et empêcher le mal ; puisque les habitants peuvent par leur concours comprimer l’émeute, tandis qu’à moins d’obliger les habitants à être sur pied nuit et jour pour être à l’affût d’une exposition d’enfant, la commune n’a pas plus de moyen de prévenir et d’empêcher ce délit, que le vol ou tout autre délit contre les personnes et les propriétés.
Une autre considération encore sur laquelle j’appelle également votre attention, messieurs, c’est qu’il ne s’agit pas ici d’un délit à la répression duquel, comme dans le cas de pillage, l’ordre politique de l’Etat peut se trouver intéressé. Nous ne le savons que trop ; les convulsions qui peuvent être la suite des pillages sont incalculables, et dès lors la dérogation au droit commun sur la responsabilité des communes est justifiée par la raison d’Etat.
Mais ici il s’agit d’un simple délit qui n’a absolument rien de politique, qui ne blesse pas plus l’ordre public et la morale que tous les autres délits, où par conséquent la dérogation au droit commun ne serait qu’un étrange arbitraire.
Dirigé par ces diverses considérations que je viens de résumer, considérations qu’il ne me semble pas possible de réfuter sans méconnaître les principes les plus élémentaires de la justice et de l’équité qui ne permettent pas plus d’imputer à la commune qu’à tout autre être collectif, comme à tout particulier, le fait dommageable qu’il n’a pas eu le moyen d’empêcher, le choix entre les différents amendements proposés ne me paraît pas difficile.
J’aborde en premier lieu celui présenté par l’honorable M. Doignon, auquel tout ce que je viens de dire est opposable et qui renferme en outre un vice qui, sans doute, n’aura pas échappé à sa première lecture.
Le gouvernement convient qu’en ce qui regarde la commune la présomption d’origine est trop faible, et il ne propose de l’appliquer qu’à la province. L’orateur n’admet pas cette distinction ; et, dans son sens, il raisonne très logiquement, car, fiction pour fiction, il n’y a pas en réalité plus de vérité à attribuer l’enfant trouvé à la province qu’à la commune du lieu de l’exposition.
En effet, l’expérience a prouvé en fait que les enfants trouvés sont aussi souvent transportes de provinces à provinces que de communes à communes. De là il conclut qu’en principe c’est la commune qui doit être chargée de la dépense, sauf son droit de réclamer des subsides de la province.
Dire qu’en principe c’est la commune sur qui la responsabilité doit principalement peser, et ajouter qu’en principe encore elle a droit de réclamer des subside de la province c’est chose très facile ; mais ce qui n’est pas aussi facile, c’est la démonstration de ces principes.
Voyons comment cet honorable orateur entreprend de justifier cette double assertion, car il ne suffit pas de nous dire : Voilà le principe.
Une raison très puissante, suivant lui, c’est qu’il faut nécessairement donner une famille à l’enfant trouvé, et que cette famille ne peut être autre que la commune elle-même.
Je cherche en vain la justification de cette raison si puissante, et je ne la trouve pas. Je conçois parfaitement qu’il faut nécessairement pourvoir à l’existence de l’enfant trouvé, mais je ne comprends pas la nécessité de lui donner une famille plutôt qu’à tout enfant naturel, alors que la preuve légale de son origine échappe aux recherches. Et dans le cas même où il serait indispensable, ce qui n’est pas, de donner une famille à l’enfant trouvé, je ne verrais pas encore pourquoi cette famille ne peut être que la commune du lieu de l’exposition.
Cette commune, dit l’honorable orateur, est le domicile du secours de l’enfant : il est de droit que l’enfant a pour domicile celui de son tuteur ; et il en conclut que c’est la commune qui lui tient lieu de père, et qui doit dès lors pourvoir aux dépenses.
Ce raisonnement n’est qu’une suite de pétitions de principes. Pour faire accueillir la conséquence, il faut commencer par justifier et faire admettre les prémisses. Vous annoncez, comme vérité démontrée, que la commune de l’exposition est le domicile de secours de l’enfant trouvé, et c’est précisément là la question qui est à résoudre.
Vous dites, en second lieu, qu’il est de droit que l’enfant a pour domicile celui de son tuteur, ce qui ne peut même aider en rien à la solution de la question, vu qu’en droit, si le domicile de l’enfant est celui de son tuteur, il n’en résulte nullement que le tuteur soit obligé de nourrir le pupille à ses frais.
Du reste, et en fait, il n’est pas exact de dire que c’est la commune ou l’administration communale qui se trouve chargée de la tutelle de l’enfant trouvé ; c’est là une erreur : cette tutelle est déférée exclusivement aux commissions administratives des hospices où ils sont recueillis.
L’honorable orateur auquel je réponds insiste. L’enfant, dit-il, a perdu sa mère ; aux yeux de la loi il n’a plus de mère, et par conséquent il doit suivre le domicile de sa nouvelle mère qui est la commune.
C’est toujours là, comme vous voyez, messieurs, résoudre la question par la question. Avant de raisonner sur les conséquences de la paternité ou de la maternité, il faut avant tout résoudre la question de savoir si, en équité et justice, cette paternité ou cette maternité doit être plutôt attribuée à la commune du lieu de l’exposition qu’à toute autre commune.
L’honorable M. Doignon touche à la vérité à cette question, mais voyez, messieurs, combien sont faibles ses moyens de solution.
L’enfant, dit-il, doit être considéré comme né dans la commune de l’exposition, parce que c’est là que l’on dresse son acte de naissance, parce que c’est là qu’il reçoit les noms qu’il portera, parce que c’est là qu’il acquiert son état social, parce que c’est là enfin qu’il a son principal établissement.
Mais la formalité de l’acte de naissance est une formalité d’ordre public tout à fait en dehors du ménage communal, et qui n’affecte pas plus la commune dans ses conséquences que les procès-verbaux des délits n’affectent la commune du lieu où ils sont rédigés.
Mais dire que l’officier de l’état-civil donne d’office un nom à celui qui n’en a pas, il est impossible d’en conclure qu’il engage la commune à s’approprier l’enfant, et on concevra encore moins qu’au moyen de cette formalité l’enfant acquiert un état social et un principal établissement.
Quelque soit le nom que l’officier de l’état-civil donnera à l’enfant trouvé, il n’aura jamais d’autre état-civil que celui d’enfant trouvé ; il n’aura pas de principal établissement, parce qu’on n’en a pas lorsqu’on est livré à la discrétion de la charité publique, et parce qu’enfin tout cela ne fait rien à la question de savoir à qui il convient, en principe, d’attribuer la charge de l’entretien de l’enfant trouvé.
L’un des derniers arguments de l’honorable M. Doignon est plus tranchant s’il n’est pas plus logique.
Le voici. En mettant l’enfant trouvé à la charge de la commune du lieu de l’exposition, c’est le moyen de prévenir et de diminuer le nombre des expositions.
D’abord et en fait, je conteste la conséquence.
Elle serait vraie s’il était vrai que les habitants d’une commune ont les moyens d’empêcher qu’on ne vienne nuitamment de la commune ou de la province voisine, ou même de tout autre lieu plus éloigné, déposer un enfant nouveau-né sur son territoire. Pour qu’elle puisse diminuer le nombre des expositions, il lui faut des moyens de prévention, et elle n’en aura pas davantage alors qu’elle sera chargée de l’entretien de l’enfant.
En droit, je conviens qu’il en serait du principe de cette disposition comme il en est de la loi sur les pillages, c’est-à-dire qu’on ne pourrait la justifier que par raison d’Etat, moyen exceptionnel qui n’est admissible qu’en matière politique, et encore je me trompe, car ici la raison d’Etat serait bien plus exorbitante encore. En effet, les habitants d’une commune ont les moyens de résister au pillage et ils ont aucun pour prévenir les expositions d’enfant.
Le système communal que propose M. Doignon n’est dont pas admissible lorsqu’il s’agit d’un fait qui n’est pas de nature à compromettre l’ordre public et le salut de l’Etat, et lorsque l’on doit dès lors se conformer dans le cercle du droit commun et des règles ordinaires de la justice.
Le second vice que je reproche à l’amendement proposé par l’honorable M. Doignon, c’est l’obligation imposée aux provinces de fournir des subsides aux communes dans la proportion à fixer par le gouvernement.
Je ne pourrais, quant à moi, consentir à grever les provinces d’une charge aussi indéterminée, ni les livrer de la sorte à l’arbitraire du pouvoir exécutif. Ce serait là au surplus le sujet de collisions permanentes entre les communes, les provinces et le gouvernement, et c’est là précisément ce qu’en bonne administration on doit éviter à tout prix.
L’amendement proposé par l’honorable M. Doignon ne me paraît donc admissible sous aucun rapport.
J’en viens maintenant à l’amendement proposé par l’honorable M. de Theux.
Le système de cet amendement pêche par les mêmes bases que celui présenté par le gouvernement. D’un côté et de l’autre, il s’agit d’une transaction de principes.
Quant à moi, je repousse toute transaction de principes qui n’est pas justifiée pas l’absolue nécessité, par la raison d’Etat. En administrant de la sorte, il n’est plus rien de stable, surtout dans un gouvernement représentatif. Ce qu’une majorité a fait aujourd’hui peut être changé le lendemain, et comme il est toujours très difficile de faire des transactions où les intérêts opposés soient parfaitement ménagés, il arrive souvent qu’on n’a fait que donner ouverture à de nouvelles réclamations, à de nouveaux sujets de plaintes, alors qu’on a pensé pouvoir étouffer les difficultés.
Tel serait le résultat inévitable de l’amendement proposé par l’honorable M. de Theux, s’il était adopté, parce qu’il est évident que dans cette transaction qu’il propose, les intérêts des communes se trouveraient par trop froissés, quoique dans un degré moindre que dans le système proposé par l’honorable M. Doignon. Mais, c’est encore toujours le mensonge qui prend la place de la vérité. C’est encore toujours en attribuant à la circonstance de l’exposition une conséquence d’origine que rien ne justifie, que l’on raisonne.
Comme je l’ai déjà dit, lorsque l’on est réduit à soumettre le raisonnement à l’empire des probabilités, il faut tout au moins respecter les règles généralement admises en matière de présomptions.
Il y a présomption, dites-vous, que l’enfant trouvé appartient plutôt à la commune du lieu de l’exposition qu’à tout autre commune, et je réponds par cette autre présomption que, pour éviter la recherche de la maternité, il est probable qu’il vient de plus loin et n’appartient nullement à la commune de l’exposition.
En ce qui concerne la province, la présomption n’acquiert pas plus de gravité à raison que le cercle s’agrandit. Tout au contraire et l’expérience le démontre.
Il est dans la nature des choses que l’on ira toujours à la commune où se trouve l’hospice le plus rapproché et c’est ainsi que l’enfant ne dans une commune frontière des provinces de Liège et de Brabant, qui ne sera qu’à 2 ou 3 lieues de Namur, viendra de préférence à Namur plutôt que de faire 7 à 8 lieues pour arriver à Liège, Louvain ou Bruxelles, de manière que, de ce que le cercle de la province est plus étendu que celui de la commune, il n’est pas logique d’en conclure que le transport d’enfants sera moins fréquent de province à province, que de commune à commune. A ce calcul ce sont les petites provinces qui seraient sacrifiées aux grandes.
Dans l’économie de son amendement, l’honorable M. de Theux reconnaît que ses présomptions sont insuffisantes pour faire peser la charge plutôt sur la commune de l’exposition que sur la province ou l’Etat, puisqu’il fait concourir chacun de ces êtres collectifs. Mais ici il se place sans raison hors des règles du droit en matière de confusion.
Je le répète, s’il y a incertitude sur le concours de l’obligation de la commune, de la province et de l’Etat, c’est aux principes du droit en matière de confusion qu’il faut recourir ; et c’est par conséquent l’égalité proportionnelle qu’il faudrait prendre pour base de la division de l’obligation.
Or, puisqu’il serait impossible, sans hasarder une injustice, de faire peser la charge dans une proportion plus forte sur l’une que sur l’autre, c’est la répartition par tiers qui serait incontestablement la plus équitable, et, ainsi la commune, la province et l’Etat interviendraient à la dépense, chacun pour un tiers.
Telle n’est pas la répartition que propose l’honorable M. de Theux ; il détermine la portion de la commune à une moitié, la portion de la province à semblable quotité, et celle de l’Etat à 1,000,000 francs au plus. On cherche en vain dans cette combinaison à se rendre compte de principes sur lesquels elle repose.
On ne connaît pas en droit de demi-présomption. Si, dans le fait de l’exposition, vous admettez une présomption suffisante pour en faire dériver une obligation de responsabilité à la charge de la commune, pourquoi cette obligation s’arrête-t-elle à la moitié de la dépense ? Pourquoi imposez-vous l’autre moitié à la province ? Est ce parce que cette présomption se trouve en opposition avec une autre présomption ? Est-ce parce qu’il peut se faire que l’enfant ne provienne pas de la commune du lieu de l’exposition, mais de la province à laquelle cette commune appartient dans l’ordre administratif ? Mais alors pourquoi y faites-vous intervenir l’Etat au moyen d’un subside ?
C’est sans doute parce qu’il peut se faire aussi que l’enfant ne provienne pas de la province où il a été exposé, mais bien d’une province voisine. Mais alors puisque vous êtes dominé par une triple présomption, pourquoi placez-vous ce troisième être collectif dans une tout autre condition que les deux autres ? Pourquoi bornez-vous ici le subside de l’Etat à une somme déterminée, tandis que pour la commune et la province, vous ne limitez pas l’obligation ?
Je ne puis, quant à moi, m’expliquer les justes motifs d’un partage de responsabilité dans des proportions aussi inégales alors que on n’a pour base de répartition que des présomptions d’égale portée.
Je m’explique encore moins cette complication de calcul dans la répartition du subside entre les provinces. Il est dit dans l’amendement que cette répartition sera faite en proportion de la population de chaque province et de la dépense des enfants trouvés.
Je comprends parfaitement la répartition du subside telle qu’elle est proposée dans le projet du gouvernement. Là, la répartition est assise sur sa véritable base, c’est-à-dire sur le chiffre de la dépense. Ici, le chiffre de la population concourra avec le chiffre de la dépense, ce qui pourra nécessairement produire des inégalités très choquantes, puisque la plus forte partie du subside se trouvera absorbée précisément par la province où la population sera la plus considérable, et où la dépense faite aura été la moindre.
Je ne puis trop le répéter. Dès lors qu’il est impossible d’empêcher le transport des enfants trouvés de province à province, transport qui serait bien plus fréquent encore si la dépense était à la charge de la province de l’exposition, vous ne pouvez établir aucun rapport entre la population de chaque province et cette nature de dépense.
Comme vous voyez, messieurs, cet amendement renferme une confusion de principes qui se heurtent et cela n’est pas étonnant puisque cet amendement s’est approprié tout à la fois ce qu’il y a de mauvais dans le système proposé par l’honorable M. Doignon et dans celui proposé par le gouvernement.
C’est sur la présomption que l’enfant provient de la commune de l’exposition que repose le système de M. Doignon ; dans le système du gouvernement, c’est sur la présomption que l’enfant provient de la province où il a été exposé. L’honorable M. de Theux trouve que l’une de ces présomptions n’est pas plus concluante que l’autre, et il a parfaitement raison. Mais alors pour être conséquent, il faut rejeter ces présomptions et ne point composer avec elles ni pour le tout, ni pour partie. Il ne peut pas y avoir tout à la fois vérité et erreur pour moitié dans une présomption quelle qu’elle soit.
Je sais bien qu’en l’absence de toute preuve et de présomption suffisante, sur l’origine de l’enfant, l’honorable M. de Theux a cherché une combinaison propre à appeler la surveillance des autorités locales sur l’abus des expositions, en les intéressant à la répression de cet abus.
Mais, messieurs, est-il bien juste de frapper ainsi une localité dans l’intérêt de l’ordre public ; alors que rien ne prouve que les habitants de cette localité soient les auteurs ou les complices du délit ; et alors surtout que vous ne donnez à ces localités aucun moyen d’empêcher le fait ? Ce serait là poser un antécédent plus pernicieux que l’abus même ; car il n’y aurait pas de raison, alors que nous arriverons à la révision du code pénal, d’intéresser de la même manière les communes à la répression de tout autre délit ou crime ; et c’est là, cependant, où vous pourriez en venir, pour être conséquents avec le principe de l’amendement que je combats.
L’amendement de l’honorable M. de Theux méconnaît donc tout autant que l’amendement de l’honorable M. Doignon, quoiqu’à un degré moindre, les principes de justice et d’équité qui doivent faire la base de toute bonne loi.
Je n’abuserai pas de l’attention de la chambre pour renouveler ce que j’ai dit du système proposé par le gouvernement. Ce système n’a pour appui que la présomption que l’enfant appartient à la province du lieu de l’exposition, et cette présomption n’est pas plus vraie en ce qui regarde la province qu’en ce qui concerne la commune, et enfin, ce n’est pas sur d’aussi légères présomptions que l’on peut se décider à établir des charges provinciales ou communales.
Quant à l’amendement proposé par la section centrale, j’ai déjà déclaré qu’il obtiendrait mon assentiment, si celui que j’ai présente n’était pas adopté.
Le système de la section centrale repose sur le même principe que le mien :
Il n’est pas possible d’empêcher l’abus du transport de l’enfant d’un lieu dans un autre, et l’on est même forcé de reconnaître que, pour rendre illusoire la surveillance des autorités dans la recherche de la maternité, il est rare que l’enfant appartienne à la localité où il a été trouvé exposé. Il est donc impossible, sans hasarder une injustice, d’assigner un fondement à l’obligation que l’on imposerait, soit à la commune, soit à la province du lieu de l’exposition. Dès lors la charge de l’entretien devient nécessairement la dette de la généralité.
Ce sont là des vérités qui ont été proclamées lorsqu’elles ont été livrées aux débats parlementaires d’hommes d’Etat, dont la France s’honore, ce sont là des principes, dont on ne s’est relâché ensuite à l’occasion des budgets que pour se jeter dans des systèmes où l’on s’est successivement égaré.
Comme la section centrale, je respecte ces principes, ce n’est que dans leur application que je ne suis plus d’accord avec elle ; de cette dette de la généralité, elle en fait une charge du budget de l’Etat, et moi j’en fais une charge des budgets provinciaux.
De cette manière, j’ai été au-devant d’une des principales objections de mon honorable collègue M. Dumortier. La question, a-t-il dit, est une question de budget, une question d’ordre financier et répartie sur tout le territoire, la dépense sera supportée avec plus d’économie par les provinces que par l’Etat.
C’est précisément là ce que je propose, je décharge entièrement le budget de l’Etat de cette dépense, je ne lui demande même aucun subside.
Je pourvois à la dépense d’entretien des enfants trouvés au moyen d’un fonds commun à fournir par la généralité.
Je fais contribuer annuellement à ce fonds commun toutes les provinces en raison du montant des contributions foncière et personnelle de chacune d’elles, et je leur laisse le soin de pourvoir dans leur budget au paiement de leur contingent de la manière qu’elles jugent la plus convenable et la plus économique au ménage provincial.
On peut m’objecter qu’en résultat ce système ne diffère que dans la forme de celui de la section centrale. Cela est vrai quant à la question d’argent qui est résolue de la même manière, c’est-à-dire que, dans un cas comme dans l’autre, c’est toujours la charge de la généralité ; c’est toujours en résultat les communes qui paient, puisque ce sont les communes qui fournissent au budget provincial comme elles fournissent au budget de l’Etat. Mais il y a cette différence que je simplifie le régime financier de l’Etat ; que je débarrasse la législature du soin de s’occuper de cette dépense chaque année ; que je laisse à chaque province l’avantage de pourvoir à la dépense comme elle le trouve mieux convenir à ses ressources, et qu’enfin j’associe à l’économie et à la surveillance de cette branche, non seulement les administrations provinciales, mais encore les communes, puisqu’en définitive, et comme je viens de le faire observer, ce sont les communes qui fournissent à la dépense.
On m’objectera qu’en répartissant de cette manière le fonds commun, il y aura injustice à l’égard des provinces où il y aurait proportionnellement moins d’enfants, et nommément à l’égard de la province de Luxembourg, où il n’y a, dit-on, que 17 enfants trouvés.
Je puis répondre à cela qu’il n’y a pas moins d’injustice à grever les provinces dans la proportion du nombre d’enfants trouvés qui s’y trouvent, puisqu’alors ce sont celles où il existe des établissements d’enfants trouvés, et où l’on est dans l’habitude de porter ces enfants, qui se trouveraient obligées de fournir à l’entretien d’enfants qui, pour la plus grande partie, lui seraient étrangers.
Cette injustice serait évidente, elle est certaine, tandis que l’injustice, qui fait le sujet de l’objection, peut être contestée. Pourquoi certaines provinces, pourquoi notamment la province de Luxembourg ne compte-t-elle que peu d’enfants trouvés ?... parce qu’avant qu’un hospice destiné à les recevoir fût ouvert dans la ville de Luxembourg, ce qui ne date pas de longtemps, les enfants trouvés de cette province étaient refoulés à l’hospice de Namur, parce que, depuis la révolution, elle n’a même plus d’établissement d’enfants trouvés, et qu’elle s’en trouve déchargée par les hospices de Luxembourg et de Namur.
Si les provinces de Luxembourg et de Limbourg commençaient par se placer dans la même position que les autres provinces, si elles s’ouvraient chez elles comme ailleurs des hospices destinés à recevoir les enfants trouvés, je concevrais leurs plaintes si l’on voulait alors les faire contribuer à la dépense en disproportion avec la population de leurs hospices ; mais aussi longtemps que nous conservons dans les autres provinces les refuges qui existent, et je ne pense pas que personne ait proposé de les supprimer, ces refuges se trouveront nécessairement peuplés d’enfants étrangers à la province du lieu de l’établissement et dès lors, dans l’incertitude sur l’origine des enfants trouvés, dans l’impossibilité d’assigner à chaque province les enfants qui en proviennent, il faut bien répartir la charge sur la généralité sans prendre égard à des inégalités de répartition dont il serait impossible de saisir le chiffre.
La généralité enfin supporte les frais de répression des délits et crimes sans égard s’ils ont été plus on moins nombreux dans telle localité que dans telle autre. C’est là, comme dans bien d’autres dépenses d’intérêt général, affaire de nécessité administrative, ce n’est pas injustice.
Du reste, messieurs, le système que je propose n’est pas une nouveauté. C’est au fond le régime qui est suivi en France depuis plus de 30 ans, c’est celui proposé par le gouvernement avec cet avantage que le trésor n’intervient pas dans la dépense et que la législature n’a pas à s’occuper chaque année de grever le budget de l’Etat d’un subside.
Jusqu’en l’an X, la dépense des enfants trouvés se fit sur les fonds généraux de l’Etat ; la dernière loi sur ce régime est celle du 6 vendémiaire an VIII qui avait ordonné un prélèvement de sept centimes et demi sur les contributions directes pour satisfaire au service courant et arriéré des enfants trouvés.
Après cette époque, la dépense ne figura plus dans les dépenses générales de l’Etat ; elle fut classée dans les dépenses variables des départements et il y fut pourvu au moyen des centimes additionnels aux contributions foncière, personnelle et mobilière. C’est ce que prouvent les lois du 13 floréal an X, du 2 ventôse an XIII, du 26 mars 1817, du 16 mai 1818, du 17 juillet 1819 et du 31 juillet 1821.
Mais, comme vous le savez, messieurs, si chaque département fut appelé à fournir à la dépense de ses enfants trouvés au moyen de centimes additionnels aux contributions, le trésor fournissait, sur les fonds généraux, un subside dont profitaient les départements où les enfants trouvés étaient en plus grand nombre.
Je dois dire cependant que les lois que je viens de citer laissaient aux conseils généraux des départements la faculté de faire concourir en outre les communes, soit au moyen d’un prélèvement proportionnel à leurs revenus, soit au moyen d’une répartition proposée par ces conseils.
Mais, sauf cette réserve qui détruisait l’uniformité, qui compliquait les ravages, et qui plaçait chaque année les communes en état d’hostilité avec les conseils généraux, le système français est bien celui que propose le gouvernement.
Je le félicite d’y avoir apporté cette première amélioration, et j’espère qu’il concevra qu’on peut encore l’améliorer et atteindre le but qu’il se propose, en supprimant tout subside à la charge de l’Etat.
A quoi, en effet, ce subside est-il destiné ?
Il est destiné à venir au secours des provinces qui se trouvent surchargées, soit à cause des localités, soit à raison de leur voisinage d’autres provinces où il n’y a pas d’établissements d’enfants trouvés.
Or, qui fournit ce subside ?... C’est incontestablement toutes les provinces, au moyen des impôts qu’elles paient à l’Etat, de manière qu’outre les frais de ses enfants trouvés, auxquels chaque province pourvoit, elle fournit en outre indirectement, à la dépense d’enfants trouvés placés dans tout autre province que la sienne.
N’est-il pas plus simple et plus rationnel tout à la fois de supprimer ce concours indirect des provinces à la dépense générale des enfants trouvés en le remplaçant par le concours direct, c’est-à-dire en répartissant cette dépense sur chaque province en proportion de ses contributions et en lui laissant fournir à son contingent par le moyen qu’elle juge le mieux convenir à ses intérêts ?
C’est là ce que je propose et, comme vous voyez, messieurs, mon système repose sur le principe de l’amendement de la section centrale, avec cet avantage que le budget de l’Etat n’a plus à s’occuper de cette dépense et il ne s’écarte en résultat du projet du gouvernement, que pour y apporter cette amélioration, la suppression des subsides à la charge du trésor.
Entendons-nous toutefois. Je ne demande cette suppression que tout à fait conditionnellement, c’est-à-dire que pour autant que mon amendement soit accueilli ; car, dans le cas contraire, et en adoptant le système du gouvernement, il faudrait nécessairement conserver le subside, vu que c’est au moyen de ce subside seul que l’on peut tempérer l’arbitraire et les injustices inséparables de son application.
En effet, et c’est là une dernière considération qui ne doit pas vous échapper, messieurs, c’est que, quelque soit le système qui vous paraîtra le plus convenable, vous vous trouverez toujours en présence d’un grave inconvénient, d’un embarras sérieux que votre conscience ne vous permettra pas de dissimuler.
Si vous adoptez le système communal, que ferez-vous des enfants qui se trouvent actuellement existants dans les établissements qu’une loi formelle leur avait ouverts pour le compte de l’Etat ? les laisserez-vous à la charge de ces établissements ?... Cela n’est pas praticable, ils n’ont pas de ressources pour subvenir à cette dépense. Leur appliquerez-vous le système communal et les mettrez-vous en conséquence à la charge de la commune où ces établissements se trouvent, où ils sont censés avoir été exposés ? Mais ce serait une injustice révoltante que vous feriez aux communes de la situation de ces établissements.
Si vous adoptez le système provincial, que ferez-vous de ces enfants ? les mettrez-vous à la charge des provinces de la situation de ces établissements ? Mais ce serait encore là une mesure dont rien ne pourrait justifier l’arbitraire, puisqu’il est impossible de contester qu’en vertu du régime précédent, il est des provinces qui se trouvent surchargées sans qu’il soit permis de leur en faire un reproche, puisque la loi leur imposait le devoir d’accueillir ces enfants, quelle que fût la province de leur origine ou du lieu de l’exposition.
Pour introduire ce système provincial de manière à ne pas faire une injuste impression sur le passé, il faudrait commencer par répartir entre toutes les provinces à raison de leur population, les enfants trouvés actuellement existants, ou bien subvenir à leur dépense au moyen de subside sur le trésor, jusqu’à ce qu’ils soient parvenus à l’âge où ils n’ont plus droit aux secours de la charité publique. Mais ce serait faire concourir, pour un bon nombre d’années, deux régimes tout à la fois ; et c’est là un inconvénient qu’il faut nécessairement éviter.
Eh bien, messieurs, mon amendement écarte tous ces embarras. Il règle avec la même justice le passé et l’avenir, et si, ce dont je ne disconviens pas, il est des provinces qui, dans le concours que j’établis, fourniraient au-delà de leur participation réelle à l’objet de la dépense, ce qu’il serait d’ailleurs impossible de vérifier, ce sont là de ces inconvénients attachés à toutes les mesures d’administration publique, et qu’il faut bien souffrir alors qu’on ne pourrait les éviter sans prendre quelque autre mesure où l’inégalité de répartition serait bien plus injuste.
(Moniteur belge n°122, du 2 mai 1834) M. Pollénus. - M. le ministre de la justice, en examinant la question d’utilité des hospices d’enfants trouvés, convient qu’il ne peut s’agir ici de la suppression de ces établissements ; je n’en parlerai donc pas ; je n’examinerai pas non plus les cause de la mortalité dont M. le ministre nous a tracé l’effrayant tableau ; déjà M. Cornet de Grez nous a tranquillisé sur ce point pour ce qui concerne les hospices de Bruxelles ; la seule question qui s’agite ici, est de savoir à qui incombent les frais d’entretien.
Le système de la section centrale, tendant à mettre à charge de l’Etat et des hospices spéciaux l’entretien des enfants trouvés nés de pères et mères inconnus, a été l’objet de vives attaques, lors de la discussion du mois de mars ; cependant la disposition de l’article premier n’est autre chose, si ce n’est l’application du principe posé dans la loi du 28 novembre 1818, sur l’entretien des indigents en général ; principe que vous-mêmes, vous avez reconnu dans une occasion récente. Je veux parler de la loi du 13 août sur l’entretien des indigents dans les dépôts de mendicité.
D’après ces lois, l’entretien des indigents est reconnu comme étant une charge du domicile du secours. Il devient une charge de l’Etat, lorsque ce domicile ne peut être établi ; et l’application de ce principe à la matière qui nous occupe pouvait d’autant moins être douteuse, que l’article 2 de la loi du 28 novembre porte en terme exprès « que la commune dans laquelle un enfant est né fortuitement, ne devient point de ce chef son domicile de secours ; » tant la loi prenait de précautions pour éviter aux communes une charge qui ne devait leur être imposée qu’en dérogeant aux lois de l’association communale qui, par cela même qu’elle assure des secours aux associés, ne peut en accorder à ceux qui ne le sont pas sans détourner les fonds de l’association au détriment des associés : repousser la proposition de la section centrale, c’est repousser le principe de la loi générale de 1818, et celui posé dans la loi de 1833, c’est vouloir établir une contradiction dans la législation.
Aussi combien d’opinions et de sentiments différents chez les adversaires de la section centrale ! D’une part on soutient que l’entretien de ces enfants doit incomber à la commune ; les autres veulent que ce soit une charge provinciale, d’autres proposent un système mixte ; c’est là la conséquence de toute déviation des principes que les opinions divergentes ont toujours peine à se concilier, puisque les présomptions sur lesquelles elles se forment sont différemment appréciées et qu’il n’y a que les principes seuls qui puissent rallier les opinions.
L’honorable rapporteur a justifié nos propositions, je n’y reviendrai pas ; seulement je tâcherai de répondre à quelques-unes des considérations que l’on a fait valoir contre la proposition de la section centrale que je défends.
Les partisans du projet du gouvernement et du système mixte soutiennent qu’il faut de toute nécessité intéresser les communes si l’on veut diminuer les expositions d’enfants : là, dit-on, est la source du mal, c’est là qu’il faut l’attaquer.
La section centrale a procédé d’après cette proposition chaque fois qu’elle pouvait recevoir son application ; c’est ainsi qu’elle propose de mettre à charge des communes l’entretien de tous enfants nés de père et mère connus et domiciliés ; mais de quel droit mettrait-on à charge de telle ou telle commune des enfants qu’on ne peut prouver appartenir à telle commune plutôt qu’à telle autre ? Si vous ignorez la source du mal, pourquoi la supposez-vous plutôt dans telle commune que dans telle autre ?
La section centrale a cru que dans l’incertitude il était préférable de répartir également une charge à quelque localité déterminée qu’on ne peut prouver devoir incomber, et en cela elle a fait que rendre hommage aux dispositions de la loi générale sur les secours publics.
Veuillez donc faire attention aux conséquences qui doivent résulter du système contraire : je suppose une malheureuse, sans domicile de secours, sans moyens d’existence ; elle a un enfant qu’elle abandonne ; la mère comme vagabonde tombera à charge de l’Etat d’après l’article premier de la loi du 13 août, et vous voudriez que l’enfant tombât à charge de la commune ! Mais dites-moi donc quelle différence y a-t-il entre l’enfant et la mère ? où sont les motifs d’équité sur lesquels vous voulez fonder votre distinction ? quelle influence peut avoir dans ce cas l’intérêt de la commune que vous voulez activer ?
Vous voulez que la surveillance intéressée de la commune prévienne et diminue les expositions, mais vous voulez avant tout offrir à ces êtres malheureux des refuges qui les protègent. La question d’humanité est donc la première, la question financière ne vient qu’après.
Les témoignages d’hommes éclairés par une longue expérience dans les administrations de secours publics prouvent que les enfants sont rarement exposés dans les communes du domicile de la mère ; la présomption sur laquelle se fonde le système que je combats, est donc repoussée par l’expérience ; elle est donc inadmissible.
La surveillance intéressée des communes, dont on se promet tant de résultat, devra donc s’exercer hors des limites de la commune ; elle sera donc bien difficile.
Je dois rencontrer ici une objection tirée de ce qui arriva à Maestricht, lors de la suppression du tour à l’introduction de l’arrêté de 1822, parce que tous les enfants, a-t-on, dit furent renvoyés à leurs familles dans la ville même.
J’habitais alors la ville de Maestricht, et voici ce que mes souvenirs me retracent des faits que l’on invoque.
L’administration locale était sans moyen pour faire face aux dépenses qu’un arrêté illégal venait d’imposer arbitrairement aux communes ; elle se livra dès lors aux investigations les plus actives à l’effet de découvrir les femmes soupçonnées d’être devenues mères ; des menaces de les dénoncer à la justice arrachèrent des aveux ; des enfants furent reçus par des femmes qui avaient trouvé des maris dont la foi n’avait été ébranlée que par des investigations intéressées de l’administration locale de Maestricht ; et je crois me rappeler fort bien que des restitutions de cette espèce ont été effectuées par ce moyen dans des communes qui se trouvaient à plusieurs lieues de distance de l’hospice qu’il s’agissait d’évacuer. Je n’affirme rien, je rapporte ce que j’ai entendu sur les lieux, en passant sous silence les scènes de scandale et de désespoir qui se passèrent dans les familles qui durent consentir à recevoir des hôtes aussi inattendus.
Mais, pour que la surveillance de la commune puisse être efficace, elle devra donc recourir bien souvent à des dénonciations et pour prouver l’exposition d’un enfant, il faut, avant tout, prouver l’accouchement. Les partisans du système communal doivent calculer d’avance tous les inconvénients qui peuvent en résulter ; et la section centrale ne peut-elle pas s’en tenir à invoquer des considérations de morale, pour repousser le système qu’on lui oppose ?
On paraît craindre que la démoralisation des grandes villes tombera a charge des autres communes, dans le système de la section centrale.
Je n’examinerai pas jusqu’à quel point le développement de la débauche est favorable à l’augmentation de la population que l’on paraît envisager comme la cause déterminante des expositions d’enfants, et l’on n’a point produit de documents pour établir que le nombre des enfants naturels est plus grand dans les villes que dans les autres communes, dans la proportion des populations respectives ; mais quand même cela serait, il n’en résulterait pas que, parmi les enfants abandonnés il y en a un plus grand nombre qui proviennent des villes que des campagnes.
Mais ce que je regarde comme démontré par l’expérience, c’est que le nombre d’infanticides est plus grand dans les communes du plat pays que dans les villes. Pendant une longue carrière dans le ministère public, j’ai dirigé un grand nombre de poursuites pour infanticides, et mes souvenirs ne m’en rappellent qu’une dirigée contre une personne habitant la ville ; c’est que l’isolement du village favorise le mystère dont la femme qui nourrit des projets criminels, enveloppe sa grossesse : j’ai même remarqué que les accouchements suspects avaient presque toujours lieu dans des maisons écartées des hameaux.
Mais, a-t-on dit, on a pu remarquer que les enfants avaient déjà vécu plusieurs jours lorsqu’on vint les déposer ; la vie de ces êtres malheureux n’est menacée que dans les premiers instants ; ceux-là passés, la nature a pris tout son empire sur le cœur de la mère ; l’infanticide n’est plus à craindre alors.
Cela est vrai, mais n’est-ce pas l’idée de l’hospice qui a détourné la pensée du crime, qui a retenu une main prête à s’égarer !
Je ne répéterai pas les moyens que le rapporteur a fait valoir pour prouver l’inexactitude des tableaux produits par le gouvernement, et les institutions des autres nations ne peuvent me rassurer que pour autant que je puisse les rapprocher d’autres institutions qui peut-être modifient ou contrebalancent celles qu’on nous oppose.
Les adversaires de la section centrale invoquent le petit nombre de condamnations pour infanticides depuis l’introduction du système de l’arrêté de 1829 : mais que peuvent prouver des jugements de condamnation pour des crimes dont la preuve est presque toujours au-dessus des ressources de la médecine légale et hors l’atteinte des investigations les mieux combinées ? Qu’on me dise combien de condamnations ont eu lieu en l’absence d’un aveu échappé au désespoir et aux remords du premier moment…
Je dis donc le tableau des condamnations ne prouve pas plus que les autres tableaux qui ont été produits dans cette discussion.
Si vous décidez que l’entretien des enfants trouvés nés de père et mère inconnus tombent à charge des communes, vous condamnez les vives réclamations qui surgirent des Etats des provinces contre l’arrêté arbitraire du roi déchu, et ainsi petit à petit se trouveront purifiés des systèmes qui furent condamnés à une autre époque.
Le système de la section centrale me parait seul fondé en équité, je l’appuierai de mon vote.
Il m’a paru que les considérations qu’ont fait valoir les adversaires du projet, frappent plus particulièrement sur le trop grand nombre de tours que l’on voudrait établir ; je désire aussi de les restreindre au strict nécessaire, et de les placer à une distance convenable de la frontière, et je voterai pour les propositions qui auront ce but.
M. de Theux. - L’importante question qui s’agite en ce moment a donné ouverture à la présentation de différents systèmes, totalement opposés.
D’après le système de la section centrale, l’entretien des enfants trouvés est à la charge de l’Etat ; déjà je l’ai dit, ce système, qui n’est pas fondé en droit, a été condamné par l’expérience. Né à l’époque de la révolution française, on l’a abandonné bientôt pour en adopter un autre. Le système présenté par l’honorable M. Fallon n’est autre chose que le déguisement du premier système. Ce premier système me semble avoir peu de chances de succès dans cette assemblée. Aussi l’honorable M. Fallon a-t-il eu le soin de déclarer que c’était en quelque sorte une charge provinciale qu’il proposait d’établir ; mais il faut convenir que c’est réellement une charge de l’Etat, puisqu’il s’agit de faire un fonds commun avec tous les fonds provinciaux. J’aimerais mieux qu’on adoptât franchement le système proposé par la section centrale ; au moins personne ne pourrait se tromper sur les conséquences de ce système.
Le deuxième système est celui présenté par le gouvernement. Celui-ci est véritablement provincial puisque chaque province est chargée exclusivement de l’entretien des enfants qui auront été trouvés sur son territoire.
Dans ce système, chaque province a un grand intérêt à diminuer autant qu’il est en elle les expositions d’enfants, et à rechercher autant que possible les parents des enfants, lorsqu’ils peuvent être connus.
Le système que je considère comme véritablement fondé en principe, c’est le système communal, parce que je pense que l’entretien des enfants trouvés est réellement une dette communale : ce système est celui présenté par l’honorable M. Doignon ; néanmoins, quoique je considère ce système comme fondé, je pense que l’équité commande de venir au secours des communes ; c’est pourquoi j’ai proposé, ainsi que l’avait fait la section centrale de la loi provinciale, de faire concourir les provinces à la dépense de l’entretien des enfants trouvés. J’ai été plus loin que la section centrale de la loi provinciale, en proposant d’accorder un subside à charge de l’Etat, tant aux communes qu’aux provinces.
J’ai tâché par là de pénétrer plus avant dans le système de l’équité, en ce qu’il est manifeste, d’après les documents qui nous ont été fournis, que quelques provinces, quelques communes sont particulièrement obérées du fardeau de l’entretien des enfants trouvés.
Je ne pense pas, messieurs, qu’il soit nécessaire de rentrer dans des détails de faits déjà signalés et qui ont déposé si hautement contre le système de l’entretien des enfants trouvés à la charge de l’Etat.
Je m’arrêterai plus particulièrement à combattre le système du gouvernement. Ce système tendrait à prévenir les abus remarquables qui résultent du système introduit à l’époque de la révolution française ; mais je ne pense pas qu’il y parvienne, et spécialement en ce qui concerne la multiplicité des expositions et l’admission dans les hospices d’enfants dont les parents sont connus.
Sous ce rapport, c’est l’administration locale qui aurait le plus des moyens d’obvier aux abus signalés.
Je ferai d’ailleurs remarquer que pour admettre le système provincial, le ministre de la justice a lui-même reconnu qu’il était nécessaire d’établir un hospice avec un tour dans chaque province. Or, il résulterait de cette mesure des inconvénients qu’il est facile d’apercevoir.
Dans l’état actuel des choses, il y a quatre provinces dans lesquelles il n’existe pas d’hospices. Ce sont les provinces de Liége, du Limbourg, du Luxembourg et de la Flandre occidentale.
Dans chacune de ces provinces, il y a peu d’enfants trouvés ; établissez-y un hospice et un tour, le nombre des enfants deviendra à peu près semblable à celui des autres provinces. Pourquoi ? parce que vous facilitez l’exposition des enfants en fondant des hospices ; c’est ce que le ministre de la justice a lui-même reconnu.
Que l’on ne pense pas que l’exposition des enfants diminuera d’une manière considérable à Anvers ou dans la province du Brabant, parce qu’il y aura des tours dans le Limbourg. Non, messieurs, et j’en tire le preuve de ce qui s’est passé à Maestricht lorsque l’administration a ordonné le renvoi de la plupart des enfants des hospices à leurs parents. Nous n’avons pas vu par suite de cette mesure que le nombre des enfants trouvés ait augmenté dans les provinces voisines ; au contraire, il y a eu décroissement, et ce décroissement a toujours continué jusqu’à aujourd’hui.
C’est dans les provinces d’Anvers et du Brabant qu’il y a le plus d’enfants trouvés ; eh bien, Anvers et le Brabant ont chacun deux hospices d’enfants trouvés. Je soutiens que dans chaque province où vous établirez des hospices, le nombre des enfants augmentera.
J’ai dit que je considérais l’entretien des enfants trouvés dans le strict droit comme une dette communale ; cette opinion, ainsi que je l’ai rappelé, était celle de la section centrale chargée d’examiner la loi provinciale. Il est impossible d’assigner à cette obligation une source autre que celle de l’humanité. En effet, un enfant est exposé dans une commune, sur un chemin public, à la porte d’un temple ; qui se chargera de l’entretien de cet enfant ? Ce ne sera point une famille déterminée, ce sera donc la commune.
C’est la commune que le bon sens, qu’une saine raison indiquent pour la mère nourricière de l’enfant trouvé. Cet enfant, accueilli par la commune, élevé aux frais de la commune, est une charge pour elle. Devra-t-elle recouvrer les frais de l’entretien de l’enfant ? Ces frais seront-ils mis à la charge de l’Etat ? Je demanderai comment la commune fonderait son recours. Résulte-t-il du droit naturel ou du droit civil qu’on peut accorder à la commune un recours contre l’Etat ? Assurément non.
Anciennement, et cela s’est pratiqué en Belgique, les enfants trouvés étaient à la charge des tables des pauvres et des établissements de bienfaisance du lieu où ils avaient été exposés, A défaut de bureau de charité ou d’établissement de bienfaisance, les communes devaient subvenir à l’entretien des enfants.
Dans d’autres pays cette charge était également locale.
Ainsi lorsque les enfants des pauvres étaient entretenus par la paroisse, c’était une charge locale ; lorsqu’ils étaient entretenus par les seigneurs, c’était encore une charge locale. Jamais cette charge n’a été considérée comme une charge générale.
Ce n’est qu’en France, au commencement de la révolution que l’on a mis l’entretien des enfants trouvés à la charge de l’Etat ; ce système, ainsi que je l’ai dit, fut abandonné par la loi du 15 floréal an X ; l’entretien des enfants trouvés devint une charge départementale. Bientôt, on s’arrêta encore à un autre système, celui de faire des enfants abandonnés une charge mixte, une charge départementale et communale.
En 1811, le gouvernement assigna, par un décret, une somme de quatre millions pour l’entretien des enfants dans toute l’étendue de l’empire. Ces quatre millions étaient pris sur les fonds départementaux.
Il résulte d’une instruction ministérielle, rendue à l’occasion du décret, que la Belgique n’aurait point part à la distribution du fonds de 4 millions, attendu que les établissements de bienfaisance en Belgique n’étaient pas expropriés par le gouvernement français ; qu’ils avaient reçu une nouvelle dotation ; que les communes n’étaient pas non plus expropriées ; qu’elles avaient leurs revenus propres, et que dès lors il n’y avait aucun motif à innover à l’état de choses existant. Cependant, malgré cette décision ministérielle, il est arrivé que, dans quelques départements de la Belgique, il a été fourni un subside aux communes pour les soulager de la charge de l’entretien des enfants abandonnés. Cette charge même est devenue dans le Hainaut une charge provinciale.
En général cependant, ce principe que l’entretien des enfants trouvés est une charge communale a été maintenu ; il a souffert seulement, par-ci par là, quelques déviations. Aussi c’est à tort qu’on a accusé le gouvernement des Pays-Bas d’avoir maintenu cette charge des enfants comme une charge communale. Il n’y avait aucune raison d’en faire une charge de l’Etat.
Je ferai remarquer que, par le système que je propose, il n’est rien innové aux résultats généraux tels qu’ils existent ; seulement il tend à rendre la législation uniforme pour toute la Belgique. Ainsi, j’ai proposé de faire supporter la charge de l’entretien des enfants trouvés, moitié par les communes, moitié par les provinces. La charge totale est de 655,000 francs, les provinces paient 322,000 francs, et les communes paient le reste, sauf un léger subside de 36,000 francs payé par les hospices.
La plus grande inégalité existe dans les provinces à l’égard de la charge des enfants trouvés ; dans le Hainaut, c’est la province qui fait à elle seule toute la dépense ; à Namur, au contraire, et dans le Brabant, ce sont les communes qui supportent la plus grande partie de la dépense. Il s’est élevé dans les villes de Namur et de Bruxelles, contre le régime actuel, des réclamations très vives ; si vous adoptiez ce système, il serait fait droit à ces réclamations.
Quant à l’article 3, je déclare que j’accepte la dépense pour base unique de la répartition.
Je me réserve de donner de plus amples développements lors de la discussion de l’article premier.
M. Polfvliet. - Messieurs, les enfants trouvés appartiennent évidemment ou à nos communes, ou à nos provinces, ou aux contrées limitrophes de notre royaume ; mais il ne peut jamais être prouvé que tels enfants appartiennent à telle ville ou à telle province, puisqu’on les transporte d’une commune à une autre, d’une province à une autre et même d’un Etat à un autre. Quoi qu’il en soit, on peut former trois classes d’enfants trouvés d’après leur origine présumée, et je voudrais que chaque ville contribuât pour les enfants trouvés qui selon les probabilités lui appartiennent ; que chaque province contribuât pour les enfants trouvés auxquels on ne peut assigner telle commune plutôt que telle autre pour origine présumable ; et enfin, comme il est des enfants qui nous viennent des Etats voisins et qui ne peuvent être attribues ni à telle commune, ni à telle province, je voudrais que l’Etat contribuât pour l’entretien de ces enfants. Je sais que si des enfants nous viennent de l’étranger, il en va de la Belgique à l’étranger, et qu’il peut s’opérer une espèce de compensation dans ces échanges que le désir de cacher sa honte au loin fait faire. D’après ces vues, qu’il est inutile de développer, je proposerai donc que les villes où il existe des établissements pour les enfants trouvés contribuent pour deux dixièmes de la dépense ; que la province contribue pour cinq dixièmes, et que l’Etat contribue pour les trois dixièmes restants.
Messieurs, j’ai l’honneur de vous proposer l’amendement suivant :
« A partir du 1er janvier 1835, les frais d’entretien des enfants trouvés nés de père et mère inconnus, seront supportés :
« 1° Pour 2/10 par la ville ou commune où l’enfant a été déposé ;
« 2° Pour 5/10 par la province ;
« 3° Pour 3/10 par le gouvernement. »
M. Verdussen. - Il me reste peu de chose à dire après les considérations qui ont déjà été présentées. Je trouve qu’il n’y a que trois systèmes en présence : celui qui met l’entretien des enfants trouvés à la charge des communes, celui qui met l’entretien à charge des provinces, et celui qui le met à la charge de l’Etat.
J’examinerai ces trois systèmes. Faire supporter l’entretien par la commune où l’enfant a été trouvé, et par conséquent le faire surtout peser sur la commune où se trouvent l’hospice et le tour destinés à les recueillir, c’est commettre une injustice de principe et de fait
Injustice de principe, parce que le principe équitable veut que chaque commune n’alimente que l’indigent qui a chez elle son domicile de secours désigné et fixé par la loi du 28 novembre 1818 : cette connaissance certaine du domicile est-elle acquise à l’égard de l’enfant trouvé ? Aucunement, Il n’y a que supposition, qu’une présomption bien faible. En effet, rien n’est plus naturel que de croire que ceux qui veulent se débarrasser de l’entretien de leurs enfants, et qui cependant ne poussent pas leur indifférence cruelle et dénaturée jusqu’à vouloir compromettre évidemment leur existence, les déposeront dans les tours, ou tout au moins aussi près que possible de l’hospice où ce petit malheureux doit recevoir la première nourriture étrangère. De là, ce grand nombre d’enfants trouvés dans les provinces où on trouve des tours et des hospices, comparativement au petit nombre indiqué au tableau que nous avons sous les yeux pour les provinces où il n’y a ni tour ni refuge.
C’est aussi une injustice de fait ; car, messieurs, personne ne peut disconvenir que les dépenses que fait une commune ne sont faites par elle que dans son intérêt local, et qu’en bâtissant un hospice, ou en votant annuellement des sommes pour le soulagement de ses pauvres, elle n’a point entendu prendre à sa charge les pauvres des communes voisines dans un rayon illimité.
Considéré sous ce point de vue, le système que je combats est encore immoral, puisqu’il tendrait à suggérer aux autorités municipale l’idée de laisser tomber en ruines l’édifice que la bienfaisance et la charité auraient naguère élevé, mais dont l’existence impose à la caisse communale des charges étrangères et disproportionnées avec ses ressources. Et qui s’arrogera le droit d’interdire aux communes la suppression d’un local construit et entretenu exclusivement à ses frais ? Je ne supposerai jamais qu’on veuille pousser l’arbitraire et la violence jusqu’à ce point ; et comment sans action contre la commune la forcer à une dépense étrangère qu’elle voudrait ne plus supporter ?
Enfin la mesure d’exiger des communes qui possèdent des hospices une part plus forte dans la dépense d’entretien est encore injuste, immorale et par conséquent odieuse, en ce qu’elle atteint et frappe plus spécialement les localités qui ont fait preuve de plus de philanthropie par l’érection de leur hospice, et qui par là mériteraient davantage le concours et l’appui de l’Etat.
Une réflexion trouve ici naturellement sa place. La constitution, qui par son article 110 défend d’établir aucune charge sur les communes ou sur les provinces, que du consentement du conseil communal ou provincial, légitimerait le refus de la commune qui possède un hospice et un tour d’en porter la dépense au sujet des enfants d’auteurs inconnus ; et la loi même resterait ici sans force, parce que victorieusement on pourrait la taxer d’inconstitutionnalité, eu égard à la disposition finale de l’article 110 précité, qui n’établit l’exception que pour les impositions communales et provinciales, et non pour des charges toutes spéciales et arbitraires. C’est pourtant une semblable mesure que l’honorable M. de Theux conseille d’adopter comme principe d’équité, et à laquelle M. Doignon donne aussi la préférence.
J’examinerai quelques assertions du ministre de la justice.
Il est fort indifférent pour celui qui dépose son enfant que ce soit la province ou la commune qui paie, pourvu que son enfant soit nourri. Mais, dit-on, les communes seront désintéressées à la diminution du nombre des enfants trouvés : on s’est effrayé d’une chimère. J’ai été attaché, pendant plusieurs années, à l’administration communale d’Anvers, et tout en donnant des instructions je n’ai vu, dans les administrateurs des hospices, que l’ardent amour de l’humanité ; c’était là leur guide, leur seule pensée ; et elle les absorbait tellement qu’elle ne leur permettait pas d’en concevoir d’autres.
M. le ministre de la justice a fait remarquer que si vous admettez à la charge des provinces les enfants trouvés, il faut en supprimer les tours ou en établir dans chaque province. Cette remarque me porterait à voter contre le système du ministre, puisqu’il faudrait augmenter les tours ; tandis que si c’est l’Etat qui paie, on pourra diminuer les tours progressivement. Il ne faut plus entre les communes et les provinces de ces antipathies que l’on voit surgir aujourd’hui, pour se décharger des frais de nourriture et d’entretien des enfants trouvés.
Je regrette que le ministre de la justice m’ait attribué une pensée que j’étais loin de concevoir. J’ai dit dans une précédente séance que l’Etat devait nourrir ses pauvres, quand ils ne pouvaient réclamer de secours d’aucune commune ; mais je n’ai pas dit que l’Etat devait nourrir tous les hommes qui meurent de faim.
On a prétendu que c’était là leur alimentation morale, l’éducation qu’il fallait surtout avoir en vue dans la question qui nous occupe. Je ne sais pourquoi on feint de croire que l’éducation morale des enfants sera différente parce que les frais en seraient faits par l’Etat, au lieu d’être faits par les communes. Dans tous les cas ils recevront les mêmes principes.
M. de Theux vient de dire que le système de la section centrale est condamné par l’expérience : la pratique n’a-t-elle pas condamné le sien ? son système est ce qui existe aujourd’hui, et l’on demande de changer ce qui existe.
Je regrette que cet honorable membre n’ait pas abordé les observations présentées par M. Fallon ; je n’ai rien entendu contre ces observations. Dans ces circonstances et par ces motifs je persiste dans la première idée que j’ai eue d’admettre l’opinion de la section centrale.
- La discussion générale est close.
M. le président. - La discussion sur les articles est ouverte.
Comme M. le ministre de la justice ne s’est pas réuni à l’avis de la section centrale, la discussion doit avoir lieu sur le projet de loi du gouvernement.
M. le président. - L’article premier de ce projet est ainsi conçu :
« Art. 1er. A partir du 1er janvier 1835, les frais d’entretien des enfants trouvés, nés de père et mère inconnus, seront supportés par les provinces sur le territoire desquels ils auront été exposés, concurremment avec les hospices qui ont des revenus spécialement affectés à cette dépense. »
L’article premier de la section centrale est ainsi conçu :
« A partir du 1er janvier 1835 les frais d’entretien des enfants trouvés, nés des pères et mères inconnus, seront supportés par l’Etat, concurremment avec les hospices qui ont des spécialement affectés à cette dépense.
M. le président. - Il y a plusieurs amendements proposés par MM. Fallon, de Theux, Doignon, Polfvliet, Pirson. L’amendement qui s’écarte le plus de la proposition du gouvernement est la proposition de la section centrale, puis la proposition de M. Fallon ; viennent après les propositions de MM. de Theux et Doignon.
Voici comment est conçue la proposition de M. Fallon : « Il sera pourvu aux frais d’entretien des enfants trouvés au moyen d’un fonds commun qui sera fourni chaque année par les provinces, en raison du montant des contributions foncière et personnelle de chacune d’elles. Le budget provincial pourvoira au paiement du contingent assigné à la province, soit par voie de centimes additionnels aux contributions foncière et personnelle, soit par tout autre moyen. »
Voici l’amendement de M. Doignon : « A partir du 1er janvier 1835, les frais d’entretien des enfants trouvés de père et de mère inconnus seront supportés par les communes où ils sont exposés concurremment avec les établissements de charité qui ont des revenus destinés à ces dépenses.
« La province est tenue de fournir chaque année des subsides à ces communes dans la proportion à fixer par le gouvernement. »
M. Doignon. - Déjà, messieurs, nous avons dans une séance précédente exposé les motifs de notre amendement ; nous y ajouterons quelques développements.
Il est un principe incontestable, c’est que les frais de nourriture et d’entretien de tout enfant sont à la charge du père de famille ou de celui qui le représente aux yeux de la loi. Or, sous l’ancien droit de la Belgique comme sous l’empire de toutes les lois existantes, l’enfant trouvé a toujours été réputé l’enfant adoptif de la cité sur le territoire de laquelle il a été exposé, et si même il y avait sur ce point absence de toute disposition législative, l’intérêt de la société, de la morale et de l’ordre public, comme celui de l’enfant, nous feraient un devoir de décréter ce principe.
Or, si l’enfant trouvé devient l’enfant de la cité, s’il est un membre de cette grande famille, c’est à elle qu’on confie la charge de le nourrir et entretenir.
Mais comme d’un autre côté l’exposition d’un semblable enfant sur le territoire d’une commune est un de ces cas fortuits qui lui causent quelque dommage, celle-ci doit attendre de l’équité du législateur qu’il intervienne en sa faveur pour obliger à venir à son secours ceux qui, selon toutes les probabilités, sont plus ou moins responsables de ce dommage. Or, comme il est moralement certain aux yeux de tout le monde qu’une partie au moins de ces enfants provient des autres communes de la province sans qu’on puisse les désigner, il appartient dans ce cas au législateur de déclarer par une présomption de la loi que la province est tenue de fournir un subside équitable à la ville qui recueille ces enfants. C’est ici une simple question d’équité qu’on ne peut balancer à résoudre en faveur de cette commune.
Il faut attribuer les difficultés et les plaintes en cette matière à la circonstance qu’aucune loi n’imposait d’une manière expresse à la province l’obligation de fournir un juste subside dans la proportion présumée de la charge qui lui incombe ; mais du moment que la commune peut obtenir de celle-ci une somme réellement suffisante et qu’il devient impossible qu’on la lui refuse, tous les intérêts avec celui de l’enfant et de l’ordre public se trouvent conciliés et satisfaits.
Il ne reste plus qu’à fixer la hauteur de cette espèce de dommages et intérêts ; le gouvernement doit être appelé à juger cette question entre la province et la commune. Le législateur ne saurait la décider lui-même sans faire de l’arbitraire puisqu’elle dépend toujours d’une foule de circonstances et de particularités qui varient pour chaque province, et qui par leur nature peuvent éprouver des changements d’une année à l’autre.
Nous avons dit que l’enfant trouvé devient l’enfant de la commune : en effet à peine a-t-il touché le sol de la paroisse, que la loi le confie aux soins de l’administration locale pour qu’elle lui tienne lieu de père. L’article 58 du code civil oblige toute personne qui a trouvé un enfant nouveau-né à le remettre aussitôt à l’officier de l’état-civil, ainsi que les vêtements et autres effets trouvés avec l’enfant, et de déclarer toutes les circonstances du temps et du lieu où il aura été trouvé.
Il est dressé du tout un procès-verbal détaillé qui énonce en outre l’âge apparent de l’enfant, son sexe, et les noms qui lui sont donnés. Ce procès-verbal est inscrit sur les registres de l’état-civil.
C’est ainsi que l’enfant entre dans la famille de la cité. Ayant perdu, aux yeux de la loi, et sa mère et son domicile de naissance, le législateur vient au secours de cet enfant malheureux et lui donne une nouvelle mère et un autre domicile en le plaçant immédiatement sous la tutelle et la protection de la commune.
Déjà l’article 9 de l’arrêté des représentants du peuple du 1er germinal an III chargeait expressément les municipalités et leurs commissaires, de veiller particulièrement à l’éducation physique et morale de ces enfants.
Mais l’article 4 de la loi du 27 frimaire an V déclare formellement que ces enfants seront, jusqu’à majorité ou émancipation, sous la tutelle du président de l’administration municipale dans l’arrondissement de laquelle sera l’hospice où ils auront été portés, et que les membres de l’administration seront les conseils de la tutelle.
L’article premier de la loi du 15 pluviôse an XIII confère leur tutelle aux commissions administratives de ces hospices, en ajoutant au surplus qu’elles jouiront, relativement à l’émancipation, des droits attribués aux père et mère par le code civil.
Enfin le décret du 19 janvier 1811 présente la même disposition.
D’une autre part, l’article 108 du code civil déclare que le mineur a son domicile chez ses père et mère ou tuteur.
L’obligation pour la commune de fournir des aliments dérive donc naturellement de ce que la volonté du législateur est que la paroisse prenne l’enfant sous sa tutelle et remplace sa mère naturelle, et que par cela même elle lui assigne nécessairement la commune pour domicile de secours. La loi, en chargeant la communauté même, malgré elle, de tous les soins et devoirs du père de famille envers cet enfant, oblige dès lors celle-ci à l’adopter, à le considérer comme un des siens et à le traiter comme tel : or quoi de plus naturel que l’enfant adopté soit nourri, entretenu et élevé aux frais du père adoptif ?
L’obligation de procurer des aliments est, comme l’autorité paternelle, indivisible par sa nature ; la commune doit donc supporter cette charge pour le tout, sauf son recours contre la province, comme nous l’avons dit, à raison du fait de l’exposition qui lui cause préjudice.
Mais si déjà, d’après la législation existante, l’enfant trouvé ne devait être considéré comme un enfant de la commune, comme un nouveau membre de la grande famille qui a droit conséquemment à tous les secours qu’exige sa position, et par suite à des aliments, les plus puissantes considérations devraient déterminer le législateur à l’admettre dans cette famille et à l’y attacher.
L’on a déjà démontré combien il serait dangereux pour la société d’y élever dans son sein une classe d’hommes qui n’y tiennent par aucun lien ; qui, quoique nés sur le sol de la patrie, s’y trouvent à peu près comme des étrangers, et forment une espèce de citoyens à part. L’expérience n’a que trop prouvé que justement parce que l’enfant trouvé reste isolé au milieu du monde, et qu’on ne lui a point inculqué un véritable attachement pour la commune, qu’on le voit souvent mener une vie vagabonde ou devenir un être vicieux et nuisible à la société. Or, un moyen sûr de rendre cet attachement vrai et durable, c’est de déclarer qu’il appartient à la commune et qu’à tous égards il est sur la même ligne que ses propres enfants : il doit sucer avec le lait les principes et les mœurs de la cité.
Mais, pour atteindre ce but, il faut que la communauté soit chargée envers lui de toutes les obligations du père de famille, et par conséquent de lui procurer à ses frais la vie morale et physique : sans cette première obligation les liens réciproques qui doivent les unir à toujours manquent de base, et ne peuvent être parfaits. Il faut que l’enfant sache qu’il doit tout à la commune, et qu’ainsi il doit se donner entièrement à elle. Plus la commune lui aura prodigué de soins et fait pour lui de sacrifices, plus il se verra obligé d’être un citoyen vertueux et utile à la cité. Le législateur doit veiller à rendre d’autant plus forts les liens qui doivent attacher l’enfant à la commune, que se voyant sans parents naturels, et sous ce rapport seul sur la terre, ces liens sont destinés à remplacer dans son cœur les liens de la famille si chers et si précieux pour tout homme.
On voit ici combien je diffère sur cette question de mes collègues qui proposent des amendements. Ils en font simplement une question d’argent, mais j’en fais avant tout une question d’ordre social et de morale publique.
Il me semble que ceux dont l’opinion est de mettre les frais des enfants trouvés à la charge, soit de l’Etat, soit de la province, n’ont pas mûrement réfléchi aux suites nécessaires de cette opinion.
Si vous décrétiez en principe que les frais de ces enfants sont à la charge de l’Etat, vous encourageriez évidemment l’immoralité en lui ôtant toute espèce de frein. Les habitants de chaque commune et de chaque province, persuadés d’avance qu’ils sont libérés de ces freins, vous apporteront des enfants en foule. C’est ce que l’expérience a déjà prouvé.
Mais, avec un pareil système, vous arriveriez peu à peu à des conséquences vraiment effrayantes. Une partie du peuple prévenue de l’idée que le gouvernement est obligé de pourvoir à ces frais de nourriture et d’entretien, ne donnerait bientôt plus d’enfants à l’Etat que pour les mettre à sa charge ; il fuirait le mariage, base de toute société civilisée, et avec le temps ce système devrait le conduire à la communauté des femmes.
Sans doute, les mêmes dangers ne sont pas aussi graves dans l’autre système qui met cette dépense à la charge de la province, mais ils n’en subsistent pas moins encore. Nous l’avons fait voir dans une autre séance, il n’y a que la surveillance directe de l’administration locale, intéressée elle-même à ce que les expositions soient le moins nombreuses qu’il soit possible, qui puisse offrir une garantie suffisante contre les abus. La vigilance de l’administration ne sera certainement pas aussi active si, au lieu de l’intéresser elle-même directement pour le tout sans son recours, vous ne l’intéresserez que pour une partie. Connaissant d’avance que le subside de la province peut lui même varier tous les ans, selon le plus ou moins de zèle qu’elle a apporté à prévenir les abus, on ne peut douter qu’elle mettra constamment les plus grands soins dans cette partie du service.
Mais, messieurs, la question dont s’agit se trouve décidée au moins implicitement par votre loi sur les frais des détenus aux dépôts de mendicité. Vous avez admis en principe que c’est toujours à la commune du domicile de secours à pourvoir aux besoins de l’indigent. Or, il est incontestable que l’enfant une fois exposé dans une commune et recueilli à l’hospice devient par le fait même un indigent de la commune, puisqu’à l’instant même il y acquiert de droit son domicile.
L’article 2 de la loi de 1818 invoqué par nos adversaires n’a aucun rapport avec l’espèce qui nous occupe ; il y est question d’un enfant né fortuitement d’une personne connue, et qui habite une autre commune que celle où il est né. Il est clair dans ce cas que l’enfant suit le domicile de sa mère, par la raison que cette mère et ce domicile sont connus.
Mais nous l’avons déjà dit, l’enfant trouvé, aux yeux de la loi, n’a pas de mère ; il ne peut par conséquent avoir le domicile de celle-ci ; il est si vrai qu’on le considère comme n’ayant plus de mère, que la tutelle passe immédiatement à la commission administrative des hospices du lieu où il est exposé.
La loi de 1818 a eu pour objet de décider plusieurs cas particuliers, où il y avait doute sur le domicile de l’indigent ; mais le cas dont s’agit ici ne pouvait présenter une difficulté sérieuse.
Au surplus, le roi Guillaume, en portant son arrêté du 17 juin 1825, relativement à la ville de Namur, décide lui-même que les enfants sont à la charge des communes où ils sont exposés.
Dans l’espèce il est question non d’un indigent ou mendiant d’un certain âge, qui a nécessairement eu et conservé un domicile quelconque dans le pays ; mais d’un enfant ordinairement nouveau-né, à l’égard duquel on a la certitude qu’au moment de son exposition comme durant toute sa majorité, ou jusqu’à son émancipation, il n’a et ne pourra jamais avoir d’autre domicile que celui de la commune où il a été trouvé.
Il n’y a nulle comparaison à faire entre cet enfant et le vagabond ou mendiant qui a toujours un domicile à lui connu, et que la paroisse peut répudier comme étranger. Cet enfant a été reçu comme membre de la cité ; il fait partie de la grande famille ; il y est donc nécessairement domicilié.
On dira qu’il est fâcheux pour une commune de devoir supporter toute une dépense, lorsqu’une partie a été occasionnée par des faits qui lui sont étrangers ; mais, dans notre système, un subside raisonnable de la province lui est dans tous les cas assuré. D’un autre côté nous avons déjà observé que l’exposition est un de ces cas fortuits de la nature de ceux que toute commune doit supporter, et en compensation celle-ci ne jouit-elle pas des avantages de l’établissement d’étrangers qui lui apportent leur fortune ou une riche industrie ?
Il n’est pas juste, a-t-on dit, que la commune soit responsable de faits qu’elle n’a pu empêcher ; mais si tel est l’intérêt de la société, de l’ordre et de la morale publique, ne doit-elle pas céder à de si hautes considérations ? et d’ailleurs combien d’événements n’arrivent-il pas chez elle et qu’elle est cependant tenue de souffrir, sans avoir pu y mettre obstacle ! Par exemple, peut-elle empêcher que ses habitants ou des étrangers domiciliés chez elle depuis 4 ans ne tombent dans l’indigence et ne deviennent ainsi une charge pour la cite ?
Au surplus, que chaque administration locale soigne comme il convient l’éducation et l’instruction de l’enfant trouvé, elle en fera de bons citoyens, de bons pères de famille qui, en ajoutant un accroissement à la population de la ville, pourront augmenter en même temps son industrie et sa richesse.
En reconnaissant, comme je crois l’avoir établi, que la commune est et doit demeurer chargée des frais de ces enfants sauf les subsides provinciaux, on évite par là tout reproche de rétroactivité contre l’article 6 du projet.
Enfin, lorsque l’on considère attentivement l’état de la législation sur la matière, on ne peut s’empêcher de reconnaître que dans ce pays cette charge a toujours premièrement incombé aux communes, sauf toutefois des subsides comme je le propose. C’est ce qui résulte assez clairement de l’article 28 de l’arrêté des représentants du peuple du 1er germinal an III, de l’article 11 de l’arrêté du 30 ventôse an V, de l’article 11 du décret du 19 janvier 1811. La Belgique n’eut même aucune part dans le subside de quatre millions accordé par ce décret. En France, les communes supportent aussi cette charge, mais en recevant des subsides sur les fonds départementaux qui sont de 6 ou 6 1/4 de centimes additionnels. Les ordonnances énoncent chaque fois que c’est sans préjudice au concours des communes.
En Belgique, de 1815 à 1822, les dépenses ont été prélevées sur les revenus des communes et fonds communs ; en sorte que le principe a toujours été admis. Enfin, l’arrêté de 1822 a consacré le principe en termes formels, mais avec cette différence par rapport à notre amendement que, dans tous les cas, la province est tenue de venir au secours de la commune dans une proportion telle que celle-ci ne pourra être lésée.
Au reste, il est entendu que s’il existe des hospices ou établissements de charité qui ont des revenus spécialement affectés à cette dépense, ils doivent d’abord y être employés.
Dans tous les cas, je ne pourrais admettre qu’on partage la dépense moitié par moitié entre la province et la commune, ainsi que le propose un honorable collègue. J’ai déjà déduit mes raisons contre ce système qu’il serait dangereux de déterminer d’avance une quotité fixe, que ce point dépend uniquement des circonstances et spécialement de la position des hospices ou des tours, et qu’à cet égard l’autorité supérieure peut, comme je l’ai fait voir à une précédente séance, recueillir assez de renseignements pour se former une opinion certaine sur la part de subside que peut devoir la province
Par exemple, s’il est certain que l’hospice d’une ville reçoit beaucoup plus ou beaucoup moins que la moitié des enfants du dehors, par le voisinage de certaines villes ou de certains endroits où il est connu de tout le monde qu’il naît tous les ans un grand nombre d’enfants naturels, ou par l’usage général où sont les mères de tenir ces enfants près d’elles. On voit donc qu’il y aurait du danger comme de l’absurdité à fixer d’avance une quotité.
Il est également préférable de ne point décréter en principe que l’Etat doit chaque année fournir un subside, principalement si, comme il le paraît, le nombre des tours doit aller en diminuant. Seulement il doit être entendu que toujours le gouvernement a la faculté d’en faire la demande dans son budget, s’il juge un subside nécessaire dans des cas imprévus et extraordinaires. J’ai déjà dit que la ville de Namur me paraît, à cet égard, dans une position exceptionnelle.
Il conviendrait encore moins de fixer d’une manière invariable ce subside de l’Etat à 100 mille francs. Je ne sais pourquoi on s’arrêterait plutôt à 180 qu’à 200 mille. Le gouvernement doit être seul à même d’apprécier ce point. Mais je le répète, il n’y a pas lieu d’admettre dans la loi aucune disposition à cet égard : j’ai rétabli que le principe serait extrêmement dangereux. S’il se présente une circonstance extraordinaire par rapport à l’une ou l’autre des provinces, le ministère en fera l’objet d’une demande spéciale dans son budget.
Enfin le système du fonds commun présenté par un honorable membre ne serait pas plus admissible. Il n’y a aucun rapport entre le montant des contributions de chaque province et le nombre d’enfants trouvés qui peuvent appartenir à chacune d’elles. Les provinces qui n’ont pas d’exposition seraient victimes de l’immoralité des autres : ce sont là des plaies dont il faut laisser le soin du remède à chaque province ou plutôt à chaque commune. Il est donc bien plus politique de les intéresser chacune directement dans la proportion du mal existant Chez elles.
Du reste, il est constant qu’en général les enfants trouvés, nés dans une province, sont envoyés aux hospices et tours établis dans la même province, et cela à cause de la grande facilité de pouvoir les y transporter. Il y a presque partout des agents connus qui se chargent de ces sortes de commissions. Sauf sans doute la ville de Namur, en général aussi, si des enfants passent d’une province à une autre, il y a réciprocité entre elles. Les subsides provinciaux doivent donc être accordés aux communes, et réglés par le gouvernement, en considérant la position de chaque province en particulier sans égard à quelques rapports entre elles.
M. le président. - Les amendements de MM. Fallon, Doignon, de Theux, Polfvliet, sont appuyés par plus de cinq membres et restent en délibération.
M. Quirini. - On a déjà longtemps et très longuement discuté sur le meilleur système à adopter pour pourvoir aux besoins des enfants trouvés et abandonnés, nés de père et mère inconnus : après avoir passé en revue les différents modes d’entretien qui ont été reproduits aujourd’hui par forme d’amendements, la section centrale a pensé qu’il était équitable de faire supporter cette dépense par l’Etat. C’était s’écarter entièrement du projet présenté par le gouvernement ; aussi M. le ministre s’est-il bien gardé de se rallier au nouveau projet de la section centrale.
Et cependant, messieurs, lorsque je réfléchis que le gouvernement lui-même et tous les adversaires de notre système sont tous d’accord sur cette vérité : que l’enfant dont les père et mère sont inconnus n’a à proprement parler ni parents ni domicile, je ne puis m’empêcher de m’étonner que l’on veuille repousser un système qui n’est que la conséquence de ce même principe ; cet étonnement est d’autant plus fondé, que tous les motifs que j’ai fait valoir dans les séances précédentes, soit pour justifier l’opinion de la section centrale, soit en repoussant les objections par lesquelles le ministre a voulu la combattre, sont demeurés jusqu’ici sans réplique.
D’une part, nous n’avons pas cessé de dire : Si l’enfant dont les parents sont inconnus n’appartient ni à telle commune, ni à telle province du royaume, il est tout naturel et conforme aux principes reconnus en matière d’impositions publiques, qu’il soit entretenu à la charge de l’Etat : et de l’autre, le ministre de la justice a répété constamment qu’en admettant ce mode d’entretien, on travaillait en sens inverse du but que le législateur doit avoir en vue dans l’intérêt de la morale publique, en favorisant le penchant qu’ont certaines mères à se débarrasser de leurs enfants ; qu’on s’expose à voir leur nombre augmenter tous les jours davantage, alors que tous nos efforts devraient tendre au contraire à le faire diminuer. Il est de toute nécessité, a-t-on dit, que la commune ne soit pas désintéressée à cette dépense, afin qu’elle emploie une surveillance plus active, plus efficace sur les expositions d’enfants, et recherche les auteurs de l’abandon.
Nous avons répondu à cette objection en demandant à M. le ministre en quoi pouvait consister cette surveillance des autorités communales, ou plutôt des administrations des hospices sur les expositions d’enfants, et comment elles pourront concourir à diminuer leur nombre. Il faut bien l’avouer, messieurs, jusqu’à l’heure qu’il est, M. le ministre n’a pas encore éclairci ce mystère, et la discussion n’a pas fait de progrès.
L’honorable M. Doignon, qui vient de vous présenter un système diamétralement opposé à celui de la section centrale, a aussi reconnu avec nous que l’enfant dont les parents sont inconnus n’appartient à personne ; il s’est attaché à nous démontrer que son entretien doit être mis à la charge de la commune où la loi aura fixé son domicile.
Mais, messieurs, ce n’est pas là la question qui nous occupe ; il ne s’agit pas de décider si, une fois que vous aurez décrété en principe que l’enfant né de père et mère inconnus appartient à la commune sur le territoire de laquelle il a été abandonné, il convient d’imposer à cette même commune la charge de son entretien. Mais nous avons à rechercher s’il est juste d’assigner arbitrairement pour domicile à cet enfant le lieu de son exposition, alors que toutes les présomptions se réunissent pour établir qu’il appartient à une commune étrangère.
M. le ministre a encore longuement insisté sur la nécessité de provoquer la surveillance des autorités communales, en les intéressant à la dépense d’entretien. Je conviens qu’il arrive quelquefois, quoique ces cas soient bien rares, que l’administration des hospices connaît la mère de l’enfant qui vient d’être déposé dans le tour. C’est ici que doit se montrer sa vigilance. Eh bien ! la mère dénie sa maternité. Que M. le ministre veuille bien me dire comment les hospices pourront parvenir à la constater.
Seront-ils recevables à intenter une action pour la recherche de la maternité ? Je veux bien l’admettre, bien que j’aie la conviction que cette action ne leur est pas accordée. Mais comment parviendront-ils à établir que la femme qui dénie sa maternité a donné le jour à un enfant ? Comment établiront-ils l’identité de cet enfant avec celui qui a été déposé ? Faudra-t-il se contenter de recourir aux preuves que le droit civil a admises en cette matière ? Où trouvera-t-on les témoins ? Qui fournira le commencement de preuve par écrit ? Changerez-vous l’économie de nos lois, en imaginant pour les établissements intéressés des moyens de preuve autres que ceux que la loi accorde à l’enfant lui-même qui veut établir sa filiation ? Non : à moins de tomber dans l’abus scandaleux dont l’honorable M. Pollénus vient de parler ; vous vous en tiendrez à cet égard aux règles que le code a sagement introduites en cette matière, et vous reconnaîtrez avec nous que cette surveillance de l’autorité municipale, que vous considérez comme si efficace, est absolument nulle, et ne peut produire aucun résultat.
En principe et de l’aveu même de tous les adversaires du système de la section centrale, l’entretien des enfants dont il s’agit ici, ne doit incomber ni à la commune, ni à la province. Or une charge de cette nature est bien réellement une dette de l’Etat ; il faut des motifs bien puissants pour adopter un autre système, et nous venons de voir que ceux qui ont été allégués ne sont pas fondés.
Mais admettons pour un moment que l’entretien des enfants dont il s’agit ici doit être mis à la charge de la commune ; quelle sera la conséquence de ce système pour la morale publique dont on n’a pas cessé de vous entretenir ? Comment pourra-t-il influer sur le sort des malheureux que l’on paraît avoir perdus de vue dans toute cette discussion ?
D’abord il s’établira une rivalité entre les communes qui seront chargées de la dépense, et cette lutte sera tout entière au détriment de l’être infortuné qui mérite toute notre sollicitude : au lieu de réveiller le sentiment de la pitié, d’intéresser en sa faveur ceux qui pourraient le secourir, vous ferez naître dans tous le sentiment de l’indifférence, du vil égoïsme : chacun devient intéressé à se débarrasser d’un malheureux qui peut devenir une charge pour un grand nombre d’années.
C’est ainsi que l’on a vu des enfants exposés dans une commune, portés dans une autre, et ainsi de suite, et entre-temps l’infortuné qui a besoin d’être promptement secouru meurt de misère et de froid. Tels sont les résultats de ces belles théories. Et puis vous perpétuez l’iniquité qui résulte de ce système pour certaines communes qui continueront toujours de recevoir le plus grand nombre d’enfants.
Pour diminuer l’injustice, vous pourrez peut-être augmenter le nombre des tours et des hospices, en placer dans toutes les communes du royaume. Mais alors qu’aurez-vous fait en faveur de l’enfant ? Vous aurez augmenté le scandale et perpétué les abus ; et l’enfant, vous l’aurez exposé à mourir.
On a parlé des inconvénients du système qui met l’entretien des enfants dont il s’agit à la charge de l’Etat. Mais ce système, messieurs, quoi qu’on en ait dit, n’est pas nouveau ; il a été constamment en usage en France, et déjà avant 1793 il était généralement suivi dans ce pays. Qu’on me dise comment il a porté atteinte à la morale publique, quels inconvénients il a produits, quelle influence il a eue sur le nombre des expositions. Examinez les deux systèmes, surtout n’oubliez pas ce que réclament de nous l’infortune et le dernier degré du malheur. Comparez les inconvénients de tout genre qui résultent du système proposé par le gouvernement et par quelques honorables membres avec le mode d’entretien que la section centrale a arrêté, et demandez-vous quel est celui qui réunit le plus d’avantages ; dites si c’est une question d’intérêt de localité que nous traitons ici, ou bien si c’est une question d’humanité, d’intérêt de conservation sociale.
Pour moi, messieurs, je persiste à croire que la proposition de la section centrale doit prévaloir.
- La séance est levée à 4 heures et demie.