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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 13 mars 1834

(Moniteur belge n°73, du 14 mars 1834)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi..

M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait l’analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Le sieur F. Van Rossem, lieutenant au corps des partisans, réclame le paiement de l’arriéré de la pension dont il jouissait sous l’ancien gouvernement comme sous-lieutenant pensionné. »


« Le sieur Urban, ingénieur en chef des ponts et chaussées, signale des erreurs commises dans les évaluations du cadastre, notamment en ce qui concerne les propriétés boisées. »


« Les membres du bureau de bienfaisance et les marguilliers de Broffe demandent que la chambre proroge le terme fatal fixé au 24 mars prochain pour le renouvellement d’anciennes rentes. »


« Plusieurs propriétaires de bateaux et des bateliers naviguant sur la Lys signale l’abus qui résulte de la coalition des ouvriers haleurs comme nuisible à la liberté du commerce et de la navigation. »


« Six légionnaires de Bruxelles réclament le paiement de leur pension. »


« L’administration du mont-de-piété de Bruxelles réclame le paiement des intérêts échus de los-renten dont cet établissement est en possession. »


« La députation du conseil provisoire du Luxembourg adresse diverses réclamations contre le projet de loi relatif à la nouvelle circonscription des cantons de justice de paix. »


« La régence de Grammont demande que le lin soit prohibé à la sortie ou frappé d’une augmentation de droit. »


- La pétition concernant la circonscription des justices de paix est renvoyée à la section chargée de l’examen de la loi sur cette circonscription ; la pétition sur les lins est renvoyée à la commission d’industrie.

M. Bekaert. - Parmi les pétitions dont on vient de faire l’analyse, il en est une de la plus haute importance ; c’est celle adressée par les bateliers qui se plaignent des vexations qu’on leur fait éprouver dans l’exercice de leur profession. Je demande que l’on déclare l’urgence pour cette pétition et que la commission des pétitions la comprenne dans son prochain rapport.

- Cette demande est accordée.


M. Gendebien. - Je demanderai que la pétition sur les los-renten soit renvoyée à la section centrale chargée de faire un rapport spécial sur cet objet ; elle a retardé à nous faire le rapport dont elle est chargée, je demande que la pétition lui soit renvoyée directement.

- La demande est accordée.


M. de Puydt. - La pétition de M. Destombes ayant pour objet une demande de concession d’une route en fer de Bruxelles à Mons, a un rapport trop direct sur le projet de loi en discussion, pour que l’on ne s’en occupe pas immédiatement ; je demande que cette pétition soit lue actuellement.

M. le président. - La pétition sera lue aussitôt que la discussion sur le chemin de fer sera reprise.

- Les autres pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Bruxelles

M. Watlet. - La commission à laquelle vous avez renvoyé les pièces relatives à l’élection de M. F. Basse, le premier de ce mois, à Bruxelles, m’a chargé de vous soumettre le résultat de son travail.

Dans une première réunion des électeurs, MM. F. Basse et d’Elhoungne, avocat, eurent le plus grand nombre de suffrages, sans toutefois obtenir la majorité ; un scrutin de ballottage fut ouvert entre ces deux candidats : 477 électeurs se sont présentés à ce second scrutin. M. Basse a obtenu 261 voix ;t M. d'Elhoungne en a obtenu 216 ; en conséquence, M. Basse à été proclamé membre de la chambre des représentants.

Il est à observer qu’on n’a fourni à la commission qu’une seule pièce, le procès-verbal du bureau central, sans l’accompagner des procès-verbaux des autres bureaux ; la commission n’a pas pensé que cette omission pût invalider l’élection.

Une autre circonstance a aussi attiré l’attention de la chambre ; c’est une réclamation contre quatre électeurs ; mais en supprimant ces quatre voix à M. F. Basse et en les ajoutant à celles données à son concurrent, M. Basse a encore la majorité ; ainsi il n’y a pas encore ici de motifs suffisants pour invalider l’élection : en conséquence, la commission vous propose l’admission de M. F. Basse, comme membre de la chambre.

- Les conclusions de la commission sont adoptées sans opposition.

Projet de loi qui prescrit l’établissement d’un système de chemins de fer en Belgique

Discussion générale

M. le président. - Il y a une motion d’ordre de faite ; on demande que M. le ministre de l'intérieur réponde aux questions qui lui ont été adressées par MM. Dumortier et de Puydt. Auparavant, je crois qu’il faut lire la pétition de M. Destombes.

M. de Renesse fait cette lecture en ces termes : (Note du webmaster : Le Moniteur reprend ici le texte de cette pétition, lequel n’est pas inséré dans la présente version numérisée.)

M. le président. - Vous connaissez l’objet de la motion d’ordre faite à la fin de la dernière séance. La parole est à M. Gendebien.

M. Gendebien. - Je demande la parole moins sur la motion d’ordre que pour rectifier les allégations qui sont parties du banc ministériel, et qui tendaient non seulement à compromettre les représentants du Hainaut, mais cette province elle-même : je répondrai tout à l’heure aux allégations tant soi peu téméraires du ministre, et je prouverai qu’il a grand tort de recourir à des moyens qui peuvent être retournés victorieusement contre lui.

En m’occupant en passant de la motion d’ordre par laquelle on réclame une réponse à des questions qui, comme d’autres interpellations diplomatiques, sont restées sans réponse, je prendrai la liberté de lire ces questions à l’assemblée.

M. Dumortier a demandé hier l’impression de ces questions, et que le ministre soit invité à y répondre ; je me réunis à cette demande, ainsi qu’à celle de mon honorable collègue et ami M. de Puydt.

M. Dumortier a demandé des explications sur les points suivants :

1° Le gouvernement prend-il l’engagement que dans les conférences diplomatiques les droits de la Belgique seront conservés intacts tant sur la navigation des eaux intérieures par le tarif de Mayence que sur la liberté de l’Escaut sans droits ni entraves ?

Vous sentez tous l’importance de cette question.

D’une part, si nous avons la liberté de naviguer sur les eaux intérieures de la Hollande, nous avons à établir la différence entre le coût du transport de nos marchandises suivant la ligne qu’elles ont suivie avant la révolution, et le coût du transport des mêmes marchandises par un chemin de fer ; coût que l’on ne peut pas évaluer maintenant d’une manière exacte. En usant des eaux intérieures de la Hollande, nous avons pour nous l’expérience du passé ; en dix ou douze années notre transit est monté par cette voie de 1,900 à 16,000 tonneaux.

D’un autre côté, si l’Escaut doit cesser d’être libre, si nous devons éprouver des entraves sur l’Escaut, à quoi bon faire un chemin de fer partant d’Anvers ? Il est donc indispensable que le ministre s’explique avant que nous discutions et votions l’énorme dépense que l’on veut imposer au trésor.

Les autres questions sont accessoires.

Voici la deuxième proposée par M. Dumortier :

2° Le gouvernement peut-il donner l’assurance que le gouvernement prussien ôtera le droit de transit sur les marchandises qui parcourront le chemin en fer ?

Elle n’est pas sans importance. Voici la troisième.

3° Quelles assurances le gouvernement belge a-t-il que le gouvernement prussien continuera sur son territoire le chemin en fer d’Anvers à Cologne ?

Que répond le ministre à ces questions ? Il nous importe peu de connaître l’intention de nos voisins ; nous ferons toujours le chemin en fer, parce qu’il sera toujours utile au pays malgré nos voisins. Mais il me semble que vous nous disiez hier encore que l’objet principal était d’assurer un transit au pays, et aujourd’hui la seule réponse que vous ayez à donner aux questions qu’on vous adresse, c’est : Il nous importe peu.

Je veux bien qu’il vous importe peu pour vos voisins de Prusse ; mais pour vos voisins de Hollande, pour l’Escaut, mais pour les eaux intérieures, il nous importe grandement de connaître leurs intentions. En deux mots comme en mille, si on ne nous répond pas, c’est parce que nos droits sont déjà compromis.

Déjà le gouvernement a compromis nos intérêts, déjà il a consenti à ce que nous subissions un droit ; le traité n’en a pas été conclu sur les propositions de notre gouvernement, parce que le roi Guillaume a voulu que l’on allât plus loin ; il veut un droit ; on en offre la moitié, et Guillaume n’accepte pas. Et comme depuis le mois de mai dernier le gouvernement n’a pas montré plus d’énergie que précédemment, il n’en montrera pas davantage dans cette occasion, et vous n’aurez pas l’Escaut libre, nous avons au moins le droit d’en douter. Nous devons savoir cela, parce qu’il faut savoir si nous avons à délibérer sur un chemin de fer d’Ostende et Prusse ou d’Anvers et Prusse.

M. de Puydt a posé les questions suivantes :

1° Le gouvernement prussien ayant autorisé des compagnies concessionnaires à exécuter des chemins de fer de Cologne à Amsterdam et de Cologne vers la Belgique, le ministre connaît-il le maximum des tarifs de ces concessions ?

Il faut que nous connaissions ces tarifs. Veuillez bien remarquer qu’un chemin de fer se faisant de Cologne vers la Belgique et vers la Hollande, si nous ne connaissons pas le maximum du tarif du chemin dirigé sur la Hollande et vers nos frontières, il en résultera que, quand il s’agira de fixer les droits sur les deux chemins, on mettre le maximum sur le nôtre, et le minimum sur celui de nos voisins ; on favorisera ainsi les Hollandais à nos dépens, et plus nos sacrifices seront grands, plus les avantages seront faciles en faveur de la Hollande. A tout cela, le ministre répond qu’il nous importe peu de savoir quelles sont les intentions de nos voisins.

Voici la deuxième question :

2° Les compagnies exécutantes dont il s’agit, étant soumises aux conditions existantes pour les routes publiques, le gouvernement belge connaît-il ces conditions ?

Sans qu’il soit besoin de longs commentaire, on comprend l’importance de cette question.

Voici la troisième :

3° Le gouvernement belge a-t-il quelques garanties que la Prusse n’établira pas sur les routes en fer une taxe quelconque qui neutraliserait l’effet des sacrifices que, dans l’intérêt du transit, on demande aujourd’hui à la Belgique ?

Vous voyez qu’il s’agit de savoir si nous travaillerons pour donner un plus grand bénéfice aux concessionnaires prussiens, et pour leur donner le moyen de favoriser le transit hollandais ; et le ministre répond encore ? Qu’importe ; nous ferons toujours le chemin en fer.

J’insiste, messieurs, pour que les réponses soient faites par le ministère ; je demande qu’elles soient imprimées dans le Moniteur ainsi que les questions, et quelles soient imprimées dans le format des communications diplomatiques. Nous y puiserons un jour, comme dans les autres parties de ce recueil, d’utiles leçons.

Je ne suivrai pas le ministre de l’intérieur dans tout ce qu’il a dit hier au sujet de la motion d’ordre, et je ne serais pas entré dans la discussion du fond même de la question, parce que je dois reconnaître mon impuissance ; quelques-uns de mes collègues très instruits ont débuté dans cette discussion par des démonstrations lumineuses, et en ont annoncé d’autres, et je craindrais de compromettre la question par mon défaut de savoir en voulant la traiter après eux.

Ainsi, je me bornerai à relever quelques observations générales que nous a présentées le ministre de l’intérieur.

Aussi longtemps que les accusations d’intérêts de localité, d’esprit de province, d’esprit de district, d’égoïsme, ont plané sur les représentants, je me suis contenté d’y répondre par le mépris, attendu que ma vie publique et privée répond aux allégations de ce genre : je suis dans la position de n’être pas le représentant des intérêts de la province dont le suis le mandataire ; il y a 34 années que j’ai quitté cette province ; mais je sais en présenter l’intérêt général qui, comme le dit M. de Puydt, se compose des intérêts particuliers ; il n’y a pas de reproches à faire à un député quand il soutient dans ce but des intérêts de localité, et surtout quand il s’oppose au sacrifice d’une province au profit d’une ou de quelques autres.

A entendre les professions de foi que chacun fait, les protestations de dévouement et de patriotisme, il semble qu’il s’agit ici d’une levée de boucliers contre l’ennemi du dehors ; il semble qu’il s’agit d’une affaire qui intéresse la sûreté du pays : on n’est bon patriote qu’autant qu’on vote pour le chemin de fer ; on sera peut-être orangiste demain, si on est contraire au projet de loi ; telle est la manière dont on classe les députés. Messieurs, depuis trois ans notre ennemi est abattu, et s’il lève la tête encore, ce n’est pas la faute de ceux qui ont véritablement du patriotisme ; c’est la faute du gouvernement

On parle de désintéressement, et on dit qu’il est tout entier du côté des députés des provinces qui demandent le chemin de fer, c’est-à-dire, d’Ostende, d’Anvers, de Verviers ; que là le désintéressement est complet : je me trompe, il est un de ces députés, dont le désintéressement est conditionnel, car il ne votera le chemin en fer qu’autant qu’il ira jusqu’à Ostende.

Pour moi, messieurs, je déclare que j’accorderai le chemin, mais pourvu que toutes les localités y aient part comme elles en ont le droit, pourvu qu’il ne ruine point certaines localités au profit d’autres pour lesquelles seules on veut établir ce chemin de fer. J’ai le droit à cet égard d’entrer dans quelques spécialités.

Verviers, Ostende et Anvers sont désintéressées dans la question ! Oh ! mon Dieu oui, elles y sont désintéressées ; car je voudrais bien qu’on pût me dire à qui le chemin de fer profitera si ce n’est à ces localités, si ce n’est à quelques courtiers d’Anvers, d’Ostende et de Verviers, si ce n’est à quelques comptoirs qui feront le commerce de transit au profit de l’Angleterre et de l’Allemagne. Voilà à qui il profitera ; mais ce n’est pas une raison pour que je le rejette ; car cela peut être utile au pays. Mais lorsque j’entends vanter une mesure qui ne profite qu’à des intérêts exclusifs et isolés et aux dépens des intérêts généraux, aux dépens du trésor ; lorsque j’entends accuser le désintéressement et l’esprit de ceux qui la combattent, je dis que c’est une méchante palinodie.

Ainsi, il y a de désintéressés dans la question Ostende et ses députés, Anvers et ses députés, Verviers et ses députés. Liége y est aussi désintéressée. Liége, pour qui on construit une belle route qui ne lui coûtera rien et qui lui procurera l’avantage d’approvisionner les marchés que servait le Hainaut et d’empêcher le Hainaut d’y venir.

Un député de Verviers disait dans une précédente séance : « Vous voulez empêcher Liége de partager les faveurs des marchés exploités par le Hainaut. » Ce n’est pas la question ; nous permettons à la province de Liége de venir dans nos marchés ; mais nous ne voulons pas en être exclus, non par les efforts particuliers qu’elle ferait, mais par l’aide que lui prête le trésor public ; car si nous sommes disposés, aussi bien que vous pourriez l’être, à jeter nos capitaux au hasard, nous devons nous opposer à ce qu’il y ait pour vous, pas plus qu’il n’y a pour nous-mêmes, une chambre prête à combler les déficits résultant de vos fausses spéculations. C’est donc une véritable forfanterie, une déception, je dirai même une calomnie, de dire que nous ne voulons pas que Liége vienne à nos marchés. Nous demandons seulement à n’en pas être exclus, ou, si nous devons l’être, à n’être exclus que par ses propres moyens. Mais nous ne consentirons pas à fournir les fonds qui doivent contribuer à notre exclusion des marchés pour le Hainaut.

Après avoir fait parade de patriotisme, on a parle de désintéressement. On a parlé de l’opposition de Charleroy, de Mons et de Tournay qu’on a appelée de l’égoïsme, de l’esprit de localité ; de Mons et de Charleroy surtout qui ne sont pas disposés à se laisser assassiner, ruiner au profit d’autres localités. Si c’est là de l’égoïsme, c’est comme celui d’un homme qui défend sa bourse au coin d’un bois. Si c’est là de l’égoïsme, je désire que mes adversaires puissent ne mériter que le même reproche.

M. le ministre a dit, pressé par la vérité, que le gouvernement tenait à honneur d’attacher son nom à la construction du chemin de fer : je suis loin de l’en blâmer, qu’il le fasse ; mais qu’à côté de ce qu’il tient à honneur de faire, il prenne garde d’avoir, pour porter ombre au tableau, ce qu’il appelle les cris des provinces qu’il aura ruinées, les réclamations de détresse du commerce du Hainaut qui, en définitive, ne demande pas de faveur comme les autres provinces, mais demande simplement à concourir aux faveurs accordées aux autres provinces et auxquelles il a droit comme elles. Si le gouvernement veut que cette entreprise l’honore, il ne faut pas qu’elle soit entachée d’injustice et d’iniquité.

On a semblé faire allusion à moi en parlant du gouvernement provisoire ; on a dit qu’il avait aussi projeté la construction d’un chemin de fer. Oui, le gouvernement provisoire y avait songé, mais dans l’intérêt du pays et non pour une vaine gloriole ; le gouvernement provisoire était du peuple, et la gloriole n’était pour rien dans ses déterminations. Au reste, on a raison dans l’allusion qu’on a faite. Le 27 octobre, le lendemain de l’incendie d’Anvers, le gouvernement provisoire donna l’ordre d’explorer les terrains qui séparent l’Escaut de la Meuse, afin de vérifier s’il y avait possibilité de reprendre les travaux du canal du Nord, et en même temps un chemin de fer : il donna l’ordre aussi de faire le devis de la dépense. C’est moi qui ai parlé le premier de ce projet. Mon avis écrit de ma main doit se retrouver aux archives. Prétend-on pour cela établir que je suis en contradiction avec moi-même ?

Mais je suis loin de repousser le projet par lequel le gouvernement tient tant à s’honorer ; seulement la gloriole n’entre pour rien dans mes idées, seulement aussi je ne tiens pas à honneur de ruiner une province au profit des autres. Je repousse une pareille injustice.

Messieurs, on nous a adressé un reproche fort désobligeant, on a dit que si à l’étranger on jugeait la nation par la chambre dont les discussions et les disputes fréquentes sont si souvent sans résultat, on en aurait une bien mauvaise opinion. Je remercie M. le ministre de la leçon qu’il donne à la chambre ; mais elle n’en a pas besoin et peut avec raison la renvoyer au gouvernement et à lui-même en particulier ; pour autant qu’il serait disposé à profiter de ses leçons. Si nos délibération sont sans résultat, c’est que le gouvernement n’agit pas, c’est qu’il ne fait rien ; si nos paroles sont sans résultat, c’est que le gouvernement n’y fait aucune attention.

Qu’a fait le ministère en matière de finances ? En a-t-il changé le système odieux, et qu’il a lui-même qualifié tel depuis trois ans ? Qu’a-t-il fait sous le rapport de nos relations diplomatiques ? Qu’a-t-il fait pour l’amélioration du sort des peuples ? C’est en vain que nous lui avons crié d’agir ! A qui donc la faute si ce n’est au gouvernement ?

Pour moi, j’ai fait entendre sans doute bien des paroles inutiles, j’en ferai entendre longtemps encore et aussi longtemps que le gouvernement prendra pour unique loi sa volonté et son bon plaisir, et qu’il écoutera ses petites passions plutôt que la voix de la raison.

On a dit que l’intérêt privé ne ferait ni mieux ni plus vite que le gouvernement, qu’il ne ferait rien. « Je n’ai pas besoin d’autre gage, a dit M. le ministre, que l’insistance de ceux qui plaident en faveur des concessions, pour me convaincre qu’ils ne veulent pas de chemin de fer ; puis il a ajouté : Si vous pensez que la construction du chemin de fer doive ruiner toute une province, votez contre. Il y aura plus de franchise dans cette conduite. » Ainsi, d’après M. le ministre nous n’insistons en faveur de des concessions que parce que nous sommes certains que le chemin de fer ne peut être exécuté par concessions. Il me semble qu’avant de se permettre d’interpréter ainsi les intentions et de les interpréter aussi mal, il serait convenable d’attendre qu’elles se fussent manifestées. L’honorable M. de Puydt a présenté plusieurs observations auxquelles on a dit qu’il était jusqu’à présent inutile de répondre ; on se promet donc d’y répondre plus tard. Eh bien, en attendant, n’accusez pas ses intentions et les nôtres.

Messieurs, on nous reproche de manquer de franchise, ce reproche est nouveau pour moi. J’ai entendu souvent mes collègues me reprocher au contraire d’avoir trop de franchise : souvent ils m’ont dit après la séance ; « Nous pensons tous comme vous, nous parlons même comme vous entre nous, mais en séance publique… » Ce reproche est fondé ou il ne l’est pas ; mais toujours est-il qu’on m’a toujours accusé d’avoir trop de franchise et que jamais, à l’exception du ministère qui m’enveloppe dans la masse des bienheureux disposés à recevoir ses leçons, on ne m’a accusé d’en manquer.

J’ai mis de la franchise dans mes paroles. Alors on a crié au scandale. J’ai dit que la province du Hainaut et particulièrement le commerce de Charleroy ne souffriraient pas qu’on les ruinât au profit des autres provinces ; alors on s’est récrié contre ma franchise, on l’a appelée une menace. Si je me tais, on m’accuse de défaut de franchise ; si je parle on me reproche de faire entendre des menaces. Messieurs, soyez plus francs ; dites que vous n’avez pas de bonne réponse à nous faire, que c’est pour cela que vous appelez notre modération un défaut de franchise, notre franchise des menaces. Réfutez notre langage comme vous le voudrez, mais ne le dénaturez-pas ; et pour moi, je le réitère, la province du Hainaut ne souffrira pas qu’on la ruine au profit des autres provinces, alors que vous avez le moyen de faire participer chaque province aux avantages du chemin de fer, sans en ruiner aucune.

On a dit que le gouvernement avait essayé de faire exécuter des routes par voie de concession, non pas des routes de trente lieues, mais de deux lieues, d’une lieue même, et qu’il n’avait pas trouvé de concessionnaires. Je m’étonne qu’on n’ait pas craint de rappeler ce fait après la discussion qui a eu lieu dans la chambre à ce sujet, discussion à laquelle le ministre de l’intérieur et le directeur des ponts et chaussées ont pris part. Il a été démontré que d’après la rédaction des cahiers des charges, à moins d’être homme de mauvaise foi et de connaître la manière de se dispenser d’exécuter, ce à quoi on s’engageait, on ne pouvait pas se rendre adjudicataire. Une clause entre mille, c’est que l’entrepreneur ne sera admis à procéder au rabais qu’autant qu’il présenterait un certificat de capacité délivré par les ingénieurs et constatant que déjà il avait eu des entreprises.

Avec les clauses stipulées par les cahiers des charges, il est impossible de trouver pour concessionnaires des hommes disposés à en remplir les conditions. C’est ce qui a été démontré à satiété dans la discussion du budget de l’intérieur. Veuillez, messieurs, consulter le Moniteur et vous verrez si le ministre de l’intérieur, si le directeur des ponts et chaussées, qui étaient présents à la séance, ont répondu aux observations présentées à ce sujet. La pétition dont il vient de vous être donné lecture est une nouvelle preuve de ce que j’avance ; je prierai chacun de MM. les membres de vouloir bien y recourir.

Messieurs, j’arrive à une partie du discours du ministre, que je ne puis pas considérer comme sérieuse ; il a dit : « Chose étrange ! alors que d’un côté la députation du Hainaut blâme la construction d’un chemin de fer, d’un autre côté les chambres de commerce du Hainaut, celles de Tournay, de Mons et de Charleroy y sont en opposition directe avec la députation et approuvent hautement et projet. »

Pour l’avis de la chambre de Tournay, la dernière phase de ce rapport prouve suffisamment qu’elle n’adhère à la construction d’un chemin de fer que si elle est concessionnée par une société anonyme ouverte à tous. Quant à l’avis de la chambre de Mons, je me bornerai, pour vous le faire apprécier, à vous en lire quelques lignes :

« Cette route se présente comme une nécessité politique ; on la considère comme l’unique moyen de rendre à notre commerce maritime la prospérité qu’il a perdue, et partant comme une condition de l’indépendance nationale. Ce commerce s’alimentant surtout par le transit vers l’Allemagne, c’est ce transit qu’il importe de protéger contre la rivalité hollandaise ; et, loin de là, les auteurs du projet viennent sérieusement demander qu’il soit taxé au double du transport de charbon de terre ! A quel titre les houilles de Liége jouiraient-elles de cette faveur ? MM. de Ridder et Simons conviennent que malgré l’énormité du roulage, elles arrivent quelquefois jusqu’à Anvers (page 79) ; qu’elles pourraient y supporter la concurrence en payant 13 fr. 70 cent. de droit sur le chemin de fer (page 84) ; qu’aux lieux d’exploitation, elles ont sur les houilles de Mons un avantage de fr. 3-50 c.par tonneau, et même qu’elles ne coûtent pas plus que celles de Charleroy. Néanmoins ils voudraient que le péage fût réduit pour elles à deux centimes par tonneau et par kilomètre ; il en résulterait que le total des droits et des frais supportés par un tonneau de charbons de Liége rendu à Anvers ne s’élèverait qu’à cinq francs vingt centimes.

« Aujourd’hui, les houilles de Mons, qui acquittent également le péage à raison de deux centimes par tonneau et par kilomètre sur les canaux de Condé et d’Antoing, arrivées dans l’Escaut, ont encore plus de 150 kilomètres d’une navigation lente, difficile et frayeuse, à parcourir jusqu’à Anvers, et n’y parviennent que grevées d’un total de droits et de frais montant non pas à six francs, comme le supposent les auteurs du projet, mais à sept francs par tonneau. Ainsi, par l’effet de l’abaissement du tarif au profit des houilles de Liége, celles de Mons, ayant contre elles un excédant de prix de cinq francs trente centimes, devraient renoncer, non seulement au marché d’Anvers, mais encore au débouché de la Hollande.

« La chambre croit devoir observer que la route, en donnant au charbonnage de Liége un moyen de transport facile, économique.

« Organes légaux du commerce de l’arrondissement de Mons, nous protestons de toutes nos forces contre l’application d’un pareil système. Il serait aussi absurde qu’injuste de vouloir que le gouvernement vînt, entre certaines industries, non seulement niveler tous les avantages de localités, mais encore placer dans la meilleure position possible celles d’entre des industries qui se trouvent naturellement dans une situation comparativement moins favorable. »

Et plus loin :

« En résumé, M. le gouverneur, nous sommes d’avis qu’après avoir ordonné de dresser un état général de tous les embranchements qui doivent se réunir à la route de fer projetée, le gouvernement fasse de l’ensemble de ces travaux la matière d’une entreprise générale. »

Voilà comment s’exprime la chambre de commerce de Mons. Vous voyez, messieurs, que la députation n’est pas en contradiction avec cette chambre de commerce ni avec ses commettants.

Voici maintenant l’avis de la chambre de commerce de Charleroy qui est très concis, très nerveux, vous a-t-on dit :

« Nous avons examiné et lu en son entier le projet de route en fer d’Anvers à la Meuse et vers le Rhin, que vous nous avez communiqué, ainsi que le rapport de la commission d’industrie et de commerce sur l’utilité et l’urgence de cette communication nouvelle. Nous avons été tous unanimes pour y donner notre approbation et applaudir à la sollicitude du gouvernement pour le développement, sur une grande échelle, de toutes nos communications commerciales. »

Remarquez d’abord qu’il ne s’agit pas simplement de la route en fer, mais du développement sur une plus grande échelle de toutes nos communications commerciales. Mais qu’est-il arrivé au sujet de cet avis ? Pressé par une lettre de rappel et d’urgence, le vice-président de la chambre s’est réuni au secrétaire, et à eux deux ils ont voté à l’unanimité l’avis que je viens de vous lire. Vous ne devez pas l’ignorer. Vous n’ignorez pas non plus, M. le ministre de l’intérieur, la protestation qui a été faite, non par d’un membre, mais par l’unanimité réelle de la chambre de commerce de Charleroy tout entière.

Lorsque la chambre de commerce a appris qu’on s’était prévalu de son avis dans la chambre des représentants, elle s’est enquis sur la manière dont il avait été donné ; elle a appris qu’il avait été donné par le vice-président et le secrétaire seuls, ainsi que cela se pratique pour les affaires courantes et sans importance.

Elle a rédigé alors une protestation qu’elle a adressée aux chambres et au gouvernement, Une députation du commerce de Charleroy s’est rendue à Bruxelles, et a demandé à ce sujet une audience au Roi et au ministre de l’intérieur. Dans un tel état de choses, lire quatre lignes concises et nerveuses et passer sous silence la protestation, je le demande, est-ce agir de bonne foi ? Je vais avoir l’honneur de vous lire cette protestation qui, sans doute, vous paraîtra plus nerveuse que les quatre lignes si nerveuses et si concises qu’on a citées :

« Chambre de commerce de Charleroy.

« Charleroy, 24 juin 1833.

« Monsieur le gouverneur,

« Sous la date du 30 avril dernier, il vous a été adressé, au nom de la chambre de commerce, un rapport très concis sur le projet de chemin de fer d’Anvers vers la Prusse ; le rédacteur de ce rapport se borne à donner son approbation pure et simple au projet de cette communication nouvelle, sans examiner aucunement le fond de la question.

« Pressé par une lettre urgente de rappel, un membre de la chambre de commerce auquel toute la correspondance est remise, comme remplissant les fonctions de vice-président, n’a point fait assembler la chambre et ne l’a point consultée.

« Nous croirions manquer à notre devoir, nous organes légaux du commerce de l’arrondissement, si nous négligions de vous faire connaître que la chambre ne partage pas l’opinion qui vous a été remise en son nom.

« Réunie deux fois depuis à ce sujet, la chambre de commerce a mûrement examiné le projet présenté par MM. les ingénieurs Simons et de Ridder : unanime sur l’utilité de toute communication nouvelle tendant à procurer des débouchés à nos produits, elle approuve dans ce but l’érection d’un chemin de fer d’Anvers vers la Prusse ; mais il n’en est pas de même pour ce qui est des moyens d’exécution.

« La chambre à cet égard ne pense pas que ce chemin de fer puisse être établi aux frais de l’Etat ; elle proteste au contraire de toutes ses forces contre ce mode d’exécution. Quoi ! une communication commerciale se ferait aux frais de l’Etat pour établir les compensations que doit obtenir telle ou telle localité, vis-à-vis telle autre ? car voilà en peu de mots le résumé complet des raisonnements sur lesquels MM. les ingénieurs Simons et Deridder s’appuient : c’est la protection spéciale qu’ils jugent nécessaire aux houilles de Liége, et c’est parce qu’à leur sens il faut protéger les exploitations de cette province que l’Etat doit intervenir et que tous les citoyens doivent contribuer : admirable logique, qui ne tend qu’à surcharger la partie qui ne profitera pas, pour enrichir une ou deux provinces, ainsi que le dit fort bien la chambre de commerce de Mons, dont nous avons sous les yeux le lumineux rapport, auquel nous adhérons en tout point, sauf la légère modification que nous apportons à ses conclusions.

« Il est en matière de travaux publics, un principe dont il ne faut jamais s’écarter, c’est que le commerce qui fait usage d’une communication nouvelle, doit la payer. Vouloir qu’il en soit autrement, c’est vouloir consacrer une éclatante injustice, c’est d’ailleurs s’enfoncer dans un dédale inextricable de réclamations. Si le chemin de fer s’exécute aux frais de l’Etat, chaque localité voudra avoir son embranchement, et comment faire droit à toutes ces demandes, qui, suivant nous, seraient fondées et ne pourraient être rejetées ? C’est donc rendre l’exécution impossible, à moins que l’on ne veuille mettre l’arbitraire en plan de la justice.

« Si le chemin de fer projeté est réellement utile, qu’on laisse agir l’intérêt particulier ; qu’une adjudication publique ait lieu avec libre concurrence ; sans nul doute, il se présentera dans ce cas des concessionnaires, sinon le projet doit être abandonné, tel est notre avis ; car, nous le répétons, nous protestons de toutes nos forces contre son exécution aux frais de l’Etat.

« La chambre de commerce de Mons, ayant traité la question d’une manière étendue et sous toutes ses faces, nous ne pouvions que répéter beaucoup moins bien ce quelle a si clairement exprimé, en l’appuyant de raisonnements sans réplique, et nous sommes, ainsi qu’elle, d’avis :

« Qu’après avoir ordonné de dresser un état général de tous les embranchements qui doivent se réunir à la route de fer projetée, le gouvernement fasse de l’ensemble de ces travaux, la matière d’une entreprise générale.

« Que cette entreprise soit adjugée publiquement et avec concurrence, moyennant un péage qui serait mis au rabais et dont la perception se concéderait pour 99 ans.

« Que le tarif de ce péage soit fixé d’après une barre uniforme ; et enfin que dans le cas du prolongement de la route jusqu’à Cologne les objets destinés au transit soient exempts du droit dont le rachat s’opérerait comme l’indique la chambre de commerce de Mons.

« Telle est, M. le gouverneur, l’opinion de la chambre de commerce de Charleroy ; nous répudions celle qui a été remise en son nom ; elle est celle d’un membre isolé, qui l’a adressée, sans y être autorisé par la chambre.

« Nous savons malheureusement que l’on s’étaie déjà devant les chambres de l’avis que vous a été transmis le 30 avril dernier, et qu’on le fait passer comme un puissant argument en faveur du projet de MM. les ingénieurs Simons et Deridder pour repousser la juste demande de la chambre de commerce de Mons ; nous ne voulons pas, si l’exécution du chemin de fer a lieu aux frais de l’Etat, être en quelque façon solidaires de ce que nous regarderions comme une grande injustice, et nous espérons que les chambres ne la consacreront pas.

« Nous avons l’honneur de vous prévenir que copie de la présente est transmise à l’un de nos mandataires qui la déposera sur le bureau de la chambre des représentants pour information, et qu’une députation de la chambre de commerce se rend près du Roi.

« Nous avons l’honneur d’être avec une parfaite considération.

« Pour duplicata :

« Les membres de la chambre de commerce de Charleroy, soussignes.

« H. J. Warocqué, J. Frison, Pirmez, J.-B. Gendebien, M. Cossée. »

Vous voyez donc messieurs, que, je ne sais par quelle inadvertance, par quelle préoccupation, le ministre de l’intérieur s’est appuyé hier avec chaleur sur les quelques lignes que la chambre de commerce de Charleroy, à l’unanimité de son vice-président à lui seul, avait adressées au gouvernement, le 30 avril 1833, alors qu’une protestation énergique, votée à l’unanimité par la chambre de commerce entière, était venue l’éclairer sur l’erreur dans laquelle il était tombé et dans laquelle il a fait tomber la chambre dans la séance d’hier. Cette protestation aurait dû le faire revenir de son erreur, et l’empêcher de la faire partager par la chambre.

On vous a dit, messieurs, que le Hainaut ne gagnerait rien à ce que la route fût exécutée par voie de concession, que cette province y perdrait au contraire à ce mode d’exécution, qu’il amènerait sa ruine. Pourquoi, messieurs, prétend-on que la province du Hainaut sera ruinée si le chemin de fer était exécuté par voie de concession ? Parce que le concessionnaire pourrait faire voyager la houille de Liége pour rien, et qu’après avoir ruiné la province de Hainaut, il aurait un monopole qui lui permettrait d’élever son prix aussi haut qu’il voudrait.

Il n’y a qu’une chose qu’on a oubliée, c’est qu’il y aura tarif, si c’est le gouvernement qui est chargé de l’exécution du chemin et si c’est par voie de concession, vous trouverez des connaissances pour faciliter le transport des houilles de Charleroy et de Mons, les industriels des ces arrondissements savent aussi bien calculer que ceux des autres provinces et ne craignent point les adversaires qu’ils peuvent rencontrer, pourvu que les armes soient égales ; ils ne craignent qu’une chose, mais une chose qu’ils ne souffriront pas, que le gouvernement substitue ses armes, le trésor public, aux armes de leurs adversaires en industrie.

Si on pouvait trouver des entrepreneurs assez sots pour se ruiner afin de favoriser les houillères de Liége, on trouverait dans les arrondissements de Mons et de Charleroy des concessionnaires assez désintéressés, assez amis de leur pays pour en empêcher la ruine et pour fatiguer des concurrents avides autant que mal avisés.

Mais vous a-t-on dit : si le chemin ne se fait pas par la concession, si l’exécution en est abandonnée au gouvernement, le tarif sera réglé tous les ans, et si la province du Hainaut court risque de se ruiner, on pourra changer le tarif.

Mais vous mettez la province du Hainaut à la merci du gouvernement et des autres provinces. Vous allez soulever la même question qui a déjà fait perdre tant de temps à la chambre au sujet de la répartition des 6 à 7 cent mille francs à répartir entre les provinces pour l’amélioration des routes, avec cette différence que l’objet est beaucoup plus important ; mais vous allez, dis-je, soulever la discussion dont vous avez été si fatigué, quand il s’est agi de la répartition de 6 à 700 mille fr. pour la construction de routes nouvelles ; que déjà vous avez été oblige d’abandonner ce mode de procéder, vous avez laissé au gouvernement le soin de faire cette distribution ; il y aura une bien autre discussion quand il s’agira de l’existence de plusieurs localités. Vous pourrez perdre la première fois cinq ou six séances en discussions orageuses, mais à la session suivante, tout sera abandonné au gouvernement qui réglera la chose suivant son caprice, suivant le patronage que le ministère ou un ministère voudra accorder à une province, et afin d’en obtenir par exemple l’exclusion ou la nomination d’un représentant ou tel acte de condescendance ou de servilisme qu’il plairait au gouvernement d’exiger.

Et c’est dans un gouvernement représentatif qu’on admettrait de pareilles choses, qu’on consentirait à placer les provinces en présence les unes des autres ; à consacrer la ruine des uns à la fortune des autres, à mettre à la merci du gouvernement l’industrie particulière des provinces. Vous ne consentirez jamais à mettre entre les mains du gouvernement une arme aussi terrible. Le gouvernement lui-même, je pense, n’y a pas songé sérieusement.

Messieurs, on a entretenu la chambre d’un autre genre de facétie, car je dois croire que ce n’est qu’une plaisanterie. On a dit que le Hainaut avait toujours été privilégié et qu’il avait tort de se plaindre, que Liége ne s’était jamais plaint des faveurs faites constamment au Hainaut.

Savez-vous en quoi le Hainaut a été favorisé ? la première, cette province a eu la conception, et elle a eu la faveur d’entreprendre à ses frais, la première chaussée faite dans ce pays, et elle l’a entreprise et exécutée à ses frais. Eh bien, elle a été favorisée du vol de ses chaussées. Le gouvernement français lui a volé ses chaussées, le roi Guillaume s’est rendu complice de ce vol, et le gouvernement actuel l’a sanctionné. La province du Hainaut a pu souffrir ce vol, et elle l’a souffert, parce que la France et les autres provinces mettaient les chaussées en commun, et qu’on ne percevait de droit de barrière sur aucune.

On trouva juste qu’elle ne continuât pas ses réclamations puisque les chaussées voisines lui étaient ouvertes. Mais depuis un droit de barrière a été rétabli par le gouvernement hollandais, et continue à être perçu par le gouvernement actuel, sans payer seulement les intérêts des capitaux employés à la construction de ces chaussées, soit aux villes, soit à la province qui les a construites.

Comme le Hainaut et le Brabant produisent par leurs routes plus que les autres provinces réunies, l’excédant du produit des barrières, que vous employez à construire des routes dans les autres provinces, est prélevé sur ces mêmes charbons qui ne pourront plus venir sur vos marchés.

Cependant le Hainaut souffre tout cela en patience. Ce sont là les seules faveurs dont on l’a comblé. S’agit-il de ses canaux ou s’agit-il de dire qu’il en a été pour ses canaux comme pour ses chaussées, qu’il les faits à ses frais ?

Le canal de Mons à Condé a été fait au moyen de centimes additionnels ; déjà on avait perçu 5 millions avant que le canal ne fût fait. Ce canal n’a coûté que trois millions, de sorte que la province a payé deux millions de plus que la valeur qu’on lui a procurée, et encore est-elle obligée de payer un droit de navigation de Mons à Condé. Voyez combien cette province a été favorisée par le canal de Pommeroeul à Antoing ; jugez de l’avantage immense qu’on lui a accordé ; on a réduit de 50 p. c, le droit de navigation, et le Hainaut se plaint.

Mais le ministre m’a donné, sans s’en douter, le moyen de prouver l’inexactitude de ses assertions et l’iniquité du gouvernement. On a, dit-il, diminué de 5 p. c. le droit de navigation, mais le canal rapporte encore 8 p. c. au gouvernement. Remarquez une chose, messieurs, la raison pour laquelle ce canal rapporte 8 p. c., c’est qu’il est un monopole odieux entre les mains du gouvernement.

Messieurs lorsqu’il s’est agi de faire le canal de Pommeroeul à Antoing, de la part du roi Guillaume ce ne fut qu’une spéculation politique et une spéculation commerciale dans l’intérêt du trésor ; une spéculation politique en ce qu’il établissait une frontière d’eau entre la France et les Pays-Bas ; une spéculation commerciale en ce qu’il lui fournissait les moyens de se procurer un gros revenu sans débourser un sol.

Ce canal a été fait par concession, on avait donné 21 ans pour le faire, et il y avait 18 ans de perception. Comme il a été fait en un peu moins de 21 ans, il y a eu, je crois, 6 ou 8 mois de perception de plus, il devait être remboursé en 18 ans ; la province devait fournir en 18 ans un revenu net, qui remboursait la dépense, l’intérêt et les bénéfices de l’entrepreneur. Qui devait payer cela ? Le commerce. N’était-ce pas là un leurre, une charge imposée au commerce, puisqu’on lui imposait l’obligation de rembourser en 18 ans, intérêts et frais de construction ? Mais on été bien plus loin, on a contraint le commerce de s’en servir. Remarquer qu’on avait dit qu’on faisait ce canal, pour éviter au commerce de passer par Condé et le soustraire à la mauvaise humeur et au caprice de l’administration française. Eh bien, aujourd’hui on contraint le commerce de Mons à passer par le canal de Pommeroeul à Antoing, et lorsqu’il passe par Condé, on lui fait payer le droit comme s’il passait par le canal de Pommeroeul.

Je demande si ce n’est pas là un infâme monopole, si ne n’est pas là le monopole d’un homme qui, ayant la force en main, abuse de cette force pour obliger qu’on se fournisse chez lui plutôt que chez ses voisins ; c’est un guet-apens d’une bande de brigands qui, l’escopette au poing, voudraient forcer les gens à prendre leur café dans telle boutique au lieu de telle autre. Si on agissait ainsi sous vos yeux, vous ne manqueriez pas de dire que nous sommes dans un pays de sauvages. Eh bien ! pour le canal d’Antoing on agit comme dans un pays de sauvages.

Savez-vous la différence qu’il y a pour le commerce de Mons à passer par le canal de Condé, plutôt que par celui d’Antoing ? Un bateau de Mons descendant l’Escaut par Condé, paie 82 fr. 38 c. de droit, et quand il passe par le canal d’Antoing dont on a favorisé la province du Hainaut, il paie 210,31, différence 127 fr. 93 c. Ainsi la province du Hainaut a la faveur insigne, par suite du monopole infâme qu’exerce le gouvernement, de payer 127 fr. 93 c. par bateau, de plus qu’elle ne paierait en passant par Condé. Ne croyez pas que ce soit là des calculs que j’ai faits au hasard, ou puisés dans des théoriciens comme on a l’habitude de faire ici. Je les ai pris dans une pétition adressée à la chambre par tous les exploitants du Hainaut en masse, et pour tout le commerce de Mons.

Voilà, messieurs, comment la province du Hainaut est favorisée ; elle est victime d’un monopole contre lequel elle réclame en vain depuis trois ans. Je vous défie de soutenir constitutionnellement et en droit civil le monopole que vous perpétuer dans cette province.

Pour le canal de Charleroy à Bruxelles, la faveur est la même. L’entrepreneur avait 29 ans pour faire le canal et se rembourser de ses capitaux et intérêts, et vous voulez pour votre route en fer qui, si elle est faite aux frais du gouvernement, ne doit rembourser que l’intérêt des capitaux et une légère prime de remboursement du capital ; car le gouvernement a eu soin d’assurer qu’en cas d’insuffisance il suppléerait ; vous voulez, dis-je, alors qu’il ne s’agit pas de rembourser en 18 ou 20 ans capitaux et intérêts, accorder une prime de 50 p. c. à la province de Liége. Ici ce n’est pas une jonglerie comme on fait pour le Hainaut, c’est une prime réelle. Comparez ce que paient les uns et les autres et vous verrez de quel côté sont les victimes.

La province de Liége a un fleuve qui ne lui coûte rien et pour lequel on nous demande de l’argent pour les travaux extraordinaires de réparations à faire à ses rives, Nous ne nous en plaignons pas, nous désirons que la province de Liége puisse trouver dans les progrès de l’industrie les moyens de faire arriver sur les marchés son charbon à 50 p. c. de moins qu’aujourd’hui ; tout le monde y applaudira et en profitera ; la province du Hainaut n’en souffrira pas, et si elle en souffrait, je dirais tant pis pour elle, mais je suis sûr qu’elle n’en souffrirait pas, parce qu’elle pourrait user des mêmes moyens, et son activité et son intelligence la mettraient bientôt de niveau.

Je n’ai pas besoin d’insister sur le canal de Charleroy, car à l’exception du monopole qui n’existe pas comme au canal d’Antoing, toutes les observations que j’ai faites sur le canal d’Antoing s’appliquent également au canal de Charleroy.

On parle de l’état de souffrance de la province de Liége. J’avoue que ce changement de langage m’étonne. Naguère, on disait que les houillères de Liège étaient dans l’état le plus prospère, que le traité du 21 mai, la convention de Zonhoven leur avait ouvert un débouché, que c’était pour cette province un moyen de fortune infaillible.

On a dit depuis que personne ne réclamait dans cette province, que les houillères étaient très florissantes, et quand cette province est dans un tel état de prospérité, on veut non pas lui faire partager notre marché d’Anvers, mais nous enlever ce marché pour le lui donner. Comme l’a fait observer mon honorable ami M. de Puydt, il y aura un avantage pour cette province non seulement pour les 90 mille tonneaux de charbon, que MM. Simons de Derrider leur octroient, mais pour la totalité des marchandises qui passent du Hainaut dans la province d’Anvers, du Brabant et des Flandres ; on lui enlèvera tout, et il faudrait que les Liégeois fussent de grands niais pour faire le contraire ; mais ils sont aussi actifs que partout ailleurs, ils useront du principe qu’on leur accordera, et ils auraient grand tort de ne pas en user.

Messieurs, je ne répondrai pas à l’espèce de contradiction qu’on a cherché à établir entre les orateurs qui n’ont pas trouvé assez de certitude dans les calculs pour que le chemin fût exécutable de manière à n’avoir que le tarif proposé par le gouvernement, et ceux qui disent que le chemin de fer procurera les moyens de transporter à si bas prix que l’industrie sera ruinée.

Je ne vois là aucune espèce de contradiction. Il y a un fait positif, c’est que vous n’avez rien donné de positif ; je vous défie de donner le coût du chemin de fer sous votre propre garantie. Si vous voulez faire comme ce magistrat de Louvain qui, ayant garanti que la dépense de ce beau canal de Louvain à Malines n’irait pas au-delà de l’évaluation du devis a préféré se ruiner que de manquer à ses engagements ; il a payé la différence du coût réel et du devis, et a payé sans se plaindre ; si, dis-je, le ministre et le corps des ingénieurs veulent présenter une surface responsable qui réponde de la différence en cas d’excédant de la dépense, afin qu’il n’arrive pas ce que l’on voit tous les jours en France, où les grands travaux des onze canaux coûtent 150 p. c. en sus des évaluations, nous accepterons les calculs qu’il nous propose. Mais peut-on, sans garantie qu’il ne sera pas demandé davantage que le chiffre fixé, établir un calcul quelconque ? Permettez-nous de rester dans le doute jusqu’à ce que la discussion ait établi une base sur laquelle nous puissions raisonner.

Il ne peut donc pas y avoir de contradiction entre un fait douteux et contesté, et un fait vrai et certain ; car il est certain.

Vous établissez un tarif sur un point donné ; il est facile de comparer ce tarif avec ce qui se passe dans une autre province et de dire si l’une pourra soutenir la concurrence avec l’autre. Il n’est pas de si petit commis de négociant qui ne puisse le dire à la minute. Le bas prix de l’un ne pourra rien, puisque c’est le gouvernement qui en supporte la perte tandis que la concurrence pour les autres s’établit à leurs dépens.

Je vous ferai une dernière objection. Nous supposons que vous puissiez exécuter le chemin au prix que vous fixez. Si vous pouviez le faire pour Liége, faites-le pour nous, autrement vous nous ruinez. Si vous ne pouvez pas le faire pour le Hainaut, comme pour la province de Liége, renoncez à votre projet et laissez opérer l’industrie, elle établira l’équilibre de localité à localité, n’oubliez pas que c’est en définitive des intérêts particuliers que se compose l’intérêt général.

Messieurs, j’aurais bien encore des observations à faire, mais vous devez être aussi fatigués de m’entendre que moi de parler. Je présenterai des observations non moins importantes que celles que je viens de vous soumettre, quand nous en serons à la discussion des articles. Je préfère laisser parler, quant à présent, les hommes qui connaissent mieux la matière que moi, car je déclare n’avoir aucune notion spéciale ; je me réserve de soutenir les intérêts du Hainaut, non pas comme député du Hainaut, car je me considère comme le député de toute la Belgique, mais parce que je ne veux pas plus souffrir qu’on sacrifie les intérêts du Hainaut, que je n’ai souffert naguère qu’on sacrifiât les libertés de la province de Liége.

M. le président. - Je vais mettre aux voix la motion d’ordre.

M. Donny. - Un honorable député de Mons a trouvé fort inconvenante la conduite de quelques députés qui, dit-il, parce qu’ils sont intéressés dans la question, se permettent d’accuser d’égoïsme ceux de leurs collègues qui ne partagent pas leur manière de voir.

En principe, je suis parfaitement de l’opinion de cet honorable orateur, mais pour l’application de ce principe je laisserai à la chambre le soin d’apprécier lequel de nous deux s’est rendu coupable de cette espèce d’inconvenance. ou du député de Mons qui m’a fait l’honneur de me citer nominativement à plusieurs reprises, d’une manière peu honorable, ou de moi qui n’ai accusé d’égoïsme ni le député de Mons, ni personne.

La chambre jugera d’ailleurs à la lecture de nos discours respectifs, lequel de nous deux s’est laissé dominer par des intérêts locaux.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - J’ai déjà répondu que le gouvernement ne croyait pas ces questions assez urgentes, assez importantes, pour mériter une discussion spéciale, une réponse immédiate.

Je n’ai pas dit, ainsi que l’a déclaré un préopinant, entre autres déclarations inexactes par parenthèse, que je refusais de répondre aux questions posées. J’ai dit que j’y répondrai dans le cours de la discussion comme à beaucoup d’autres de la même portée selon moi, qui pourraient m’être adressées.

Si la chambre juge à propos que je réponde maintenant à ces questions, qu’elle prononce, je suis prêt à déférer au vœu de la chambre.

M. Dumortier. - Il n’est pas besoin pour cela d’une décision de la chambre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne crois pas devoir interrompre une discussion pour déférer au désir de trois députés qui croient que des questions posées par eux dominent à ce point la discussion qu’on devrait y répondre immédiatement, alors surtout que je ne partage pas leur opinion sur l’importance de ces questions, Je demande que la chambre décide si elle juge à propos qu’une réponse immédiate soit donnée.

M. Gendebien. - Il ne peut y avoir de doute sur les questions de savoir si les membres de la chambre ont droit d’adresser des interpellations aux ministres. Chaque membre a le droit d’interpeller un ministre ; c’est au ministre à savoir ce qu’il a à répondre.

Quant à la question de savoir si la chambre décidera si le ministre répondra immédiatement, demain ou après-demain, je pense que c’est là une proposition insolite : il serait inconvenant que la chambre décidât que le ministre répondra de suite. En demandant que la chambre prononce sur ce point, le ministre reconnaît que la chambre a le droit de le sommer de répondre de suite. Cependant le ministre pourrait dire : Je ne suis pas prêt.

Mais le ministre ne devrait pas exagérer notre proposition, nous sommes dans des termes simples et nous voulons y rester.

Au reste, que le ministre réponde ou ne réponde pas, la chambre appréciera sa réponse ou son silence.

Ainsi je crois que la chambre n’a nullement à intervenir à cet égard. La seule demande que je fais, c’est que les questions soient imprimées. Quant à la demande de réponse, on a dit positivement et j’ai répété à plusieurs fois qu’on n’exigeait pas de réponse immédiate que le ministre pourrait prendre l’engagement de répondre ou demain ou après-demain.

C’est à lui à savoir ce qu’il doit faire. S’il oubliait nos questions, nous aurions soin de les lui rappeler.

M. de Robaulx. – Je ne conçois pas l’insistance que met le ministre à ne pas vouloir répondre aux questions que l’on a posées ; il reconnaît cependant qu’il pourrait leur donner une solution immédiate car il a déclaré que si la chambre l’exigeait, il donnerait les explications réclamées autant qu’il serait en lui. Je crois en effet que le ministre doit être prêt à répondre ; pour des questions aussi palpitantes d’intérêt pour tout le pays, posées depuis deux jours, le cabinet a dû se réunir et les examiner ; ces questions importantes doivent servir à établir une foule d’opinions, et le ministre aurait manqué à son devoir s’il ne s’en était pas occupé.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je demande la parole pour faire cesser ce débat.

M. de Robaulx. - C’est vous qui, en ne répondant pas, l’avez prolongé.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Pour faire cesser les incidents par lesquels ce débat important pourrait être interrompu, je vais tâcher de répondre aux questions qui nous ont été soumises ; mais je persiste à croire que cette marche a quelque chose d’irrégulier et d’insolite.

1° Le concessionnaire prussien ayant autorisé des compagnies concessionnaires à exécuter des chemins en fer de Cologne vers Amsterdam et de Cologne vers la Belgique, le gouvernement belge connaît-il le maximum des tarifs et de ces concessions ?

Le gouvernement belge, messieurs, ne connaît pas ce maximum des tarifs, attendu qu’il n’est pas fixé. Les concessionnaires par cette raison ne le connaissent pas eux-mêmes.

2° Les compagnies exécutantes dont il s’agit étant soumises aux conditions existantes pour les routes publiques, le gouvernement belge connaît-il ces conditions ?

Je ne vois pas le but de cette question. C’est une question de fait, et je ne connais pas les conditions existantes pour les routes publiques.

3° Enfin le gouvernement belge a-t-il quelques garanties que la Prusse n’établira pas sur les routes en fer une taxe quelconque qui neutraliserait l’effet des sacrifices que, dans l’intérêt du transit, on demande aujourd’hui à la Belgique ?

Il a été déjà répondu à cette question dans les deux mémoires publiés par les ingénieurs. Cette question se résout d’elle-même. Il me paraît évident. que la Prusse est tout aussi intéressée que la Belgique à ne pas grever le transit chez elle. Quand nous aurons amené l’Escaut et l’océan à la porte de la Prusse, elle ne voudra pas ne pas profiter des avantages que nous lui offrirons : la Prusse sera aussi libérale que la Belgique relativement au tarif sur la route en fer ; nous en prenons l’engagement formel,

Je passe maintenant aux questions posées par M. Dumortier.

1° Le gouvernement prend-t-il l’engagement que dans les conférences diplomatiques les droits de la Belgique seront conservés intacts tant sur la navigation des eaux intérieures avec le tarif de Mayence que sur la liberté de l’Escaut sans droits ni entraves ?

La construction de la route en fer d’Ostende à Cologne n’apportera aucun changement aux négociations relatives aux eaux intérieures, et même pour la route de Sittard, dont on a omis de faire mention.

2° Le gouvernement peut-il donner l’assurance que le gouvernement prussien ôtera le droit de transit sur les marchandises qui parcourront le chemin en fer ?

Le gouvernement ne peut pas répondre de ce que fera la Prusse ; nous pouvons seulement assurer que le gouvernement prussien est aussi intéressé que le gouvernement belge à ce que le transit se fasse librement chez lui. Le gouvernement prussien, messieurs, ne sera pas aussi disposé qu’on le pense à favoriser le commerce hollandais au détriment des commerçants du bas Rhin : lorsqu’il trouvera à côté du Rhin un Escaut en fer il engagera la Hollande à se montrer plus facile sur ses prétentions relativement au Rhin. Le gouvernement prussien auquel on reconnaît des lumières fera tous ses efforts pour favoriser le transit sur son territoire ; pour attirer le commerce chez lui.

3° Quelles assurances a-t-on que le gouvernement prussien construira sur son territoire le chemin d’Anvers à Cologne ?

Il a été répondu à cette question par la déclaration que le gouvernement prussien autorisait l’établissement d’un chemin en fer de la Prusse à Cologne.

Je n’ai rien de plus à dire sur ces questions ; mais je ferai une remarque générale, c’est que le commerce prussien a reconnu la nécessité de la route et que le gouvernement prussien a autorisé la construction de la route sans demander au gouvernement belge rien de semblable à ce qu’on voudrait que nous exigions du gouvernement prussien.

M. Dumortier. - Si le gouvernement prussien n’est pas aussi exigeant que le sont quelques députés de la Belgique, cela s’explique parfaitement : c’est qu’en Prusse les routes en fer se font au moyen de concessions, c’est qu’en Prusse le gouvernement ne vient pas demander au pays un emprunt considérable pour la confection d’une communication ; le gouvernement prussien déclare même qu’il ne garantira pas un intérêt de quatre pour cent à ceux qui feront un chemin en fer pour rejoindre la Hollande. Ces faits sont de la plus exacte vérité. Si le gouvernement venait aujourd’hui demander l’autorisation d’établir une route en fer au Rhin au moyen d’un système de concession, je ne pense pas qu’il s’élèverait ici un seul membre pour blâmer le ministère, nous nous lèverions tous pour le louer, ce serait un concert unanime de louange.

M. de Robaulx. - C’est vrai.

M. Dumortier. - Mais lorsqu’on vient demander 35 millions pour une route de fer ; lorsque le travail de la section centrale, adopté par le gouvernement, conduira à une dépense de 60 millions ; je le demande, en présence d’une dépense aussi énorme, qui grèvera l’avenir du pays, n’est-il pas du devoir des représentants du peuple de savoir que là seront les avantages qu’on tirera de cette dépense ? C’est pour ce motif que nous adressons des questions au ministre ; c’est parce que vous repoussez les concessions que nous voulons savoir si les avantages balanceront les dépenses.

Que répond le ministre aux questions que nous posons ? Il répond, le gouvernement belge ne connaît pas le maximum du tarif à établir en Prusse sur la partie du chemin qui sera sur le territoire de ce pays ; savez-vous ce que cela signifie ? Cela signifie que lorsque vous aurez fait les deux tiers de la route, depuis Anvers jusqu’à Verviers et que vous voudrez les utiliser, le gouvernement prussien pourra établir tel droit qu’il voudra sur la partie qui ira de Verviers jusqu’à Cologne ou sur l’autre tiers de la route. Si le gouvernement avait agi avec un peu moins de précipitation, il serait venu préalablement nous présenter un projet de traité avec la Prusse pour régler les communications commerciales entre les deux pays.

Alors il y aurait eu réciprocité complète ; alors les droits et devoirs de la Belgique eussent été de deux tiers dans les communications d’Anvers jusqu’à Cologne. Je suppose que le transport d’Anvers à Cologne soit de trois francs par 100 kil. par quintal métrique ; eh bien, si les droits de Belgique avaient été auparavant stipulés, il en résulterait que nous prélèverions un franc. Même proportion dans les dépenses. Mais ici, messieurs, rien n’a été stipulé. Nous ferons la dépense sur notre territoire, et lorsqu’elle sera faite, nous serons obligés ou de sacrifier nos propres intérêts ou bien de demander au gouvernement prussien l’autorisation d’achever la route jusqu’à Cologne. Voilà la marche que veut nous faire prendre le gouvernement belge.

En Prusse, le gouvernement a déclaré formellement qu’il ne ferait pas la route, qu’il autoriserait seulement les concessionnaires qui voudraient se présenter ; qu’est-il arrivé ? à Aix-la-Chapelle, à Cologne, chacun a bien reconnu les avantages de la route en fer ; mais les bourses se sont-elles ouvertes ; non ; elle se sont resserrées ; parce que le patriotisme ne va pas dans ces contrées jusque-là, jusqu’à délier les cordons de la bourse.

On a ouvert une souscription pour la concession de la route en fer ; mais jusqu’à ce jour la souscription n’a monté que jusqu’à un million et demi de francs…

- Plusieurs voix. - De thalers.

M. Dumortier. … que jusqu’à un million et demi de thalers ; ce qui est également insuffisant. Savez-vous encore quelle clause a été stipulée dans le contrat ? Il a été stipulé que les concessionnaires pouvaient tous se retirer jusqu’à ce qu’on eût donné le premier coup de pioche, jusqu’à ce qu’on eût ouvert la tranchée ; de telle sorte que nous ne sommes même pas certains que cette association fera le travail sur son territoire.

Que fera cette association en présence d’un gouvernement voisin, peu soucieux des intérêts publics, et qui est épris d’une idée grandiose, qui est enthousiaste de cette idée ; enthousiasme que j’ai partagé ; mais dont je suis dégrisé (on rit), et c’est parce que je suis revenu de mon enthousiasme que je puis en parler. (On rit de nouveau.) Oui, messieurs, il y a ici beaucoup d’illusion, et je le prouverai.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Prouvez-le sur-le-champ.

M. Dumortier. - Je n’ai pas besoin des conseils de M. le ministre je le prouverai quand le moment en sera venu.

En supposant que la société formée en Prusse, ait des capitaux suffisants pour terminer la route sur son territoire...

M. Devaux. (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. Dumortier. - Citez l’article du règlement, sans quoi vous ne pouvez m’interrompre.

M. Lardinois. - Vous n’avez pas la police des débats ; c’est au président qu’appartient cette police.

M. Devaux. - L’article 18 du règlement veut qu’aucun député ne puisse parler sans s’être fait inscrire, et sans avoir demandé la parole de son banc ; or M. Dumortier n’est dans aucun de ces deux cas pour prendre part à la discussion générale. Remarquez qu’il n’y a pas lieu à parler sur une question incidente ou a adressé des questions au ministre. Il a répondu ; ainsi il n’y a plus de motion d’ordre. Si nous suivions la marche qu’on nous trace il n’y aurait plus de règle. Certes, si je voulais prendre la parole dans une discussion, je ferai une question au ministre ; le ministre y répondrait, puis j’aurais la parole pour passer en revue toute la discussion, et de cette manière on n’entendrait pas les orateurs inscrits, les seuls qui aient droit à être entendus. Si vous ne rentrez pas actuellement dans la discussion générale vous n’en finiriez pas.

M. Dumortier. - L’article 18 du règlement ne justifie pas le préopinant de m’avoir interrompu ; on ne peut interrompre un orateur que lorsqu’il trouble l’ordre. Le préopinant fait simplement une motion d’ordre, mais il ne pouvait la faire qu’après m’avoir entendu. Il ne faut pas confondre une motion d’ordre avec un rappel au règlement ; un rappel au règlement doit être précis.

Je sais bien que les orateurs ministériels ne sont pas soucieux de m’entendre, parce qu’ils ne sont pas soucieux d’entendre la vérité, cela ne m’inquiète guère ; je sais ce que j’ai à faire pour remplir mon mandat. Je suis dans mon droit, et d’autant plus que c’est moi qui ai posé les questions au ministre. Vous n’avez pas le droit de m’interrompre, et en m’interrompant, vous manquez à l’assemblée, parce que vous ne pouvez ôter à aucun de ses membres la parole quand il doit remplir un devoir en parlant.

M. de Robaulx. - Il y a ici une question de convenance parlementaire. Le ministre a répondu d’une manière telle quelle aux six questions qui lui ont été posées ; puis il a ajouté une réflexion générale sur ces mêmes questions ; ces réflexion intéressaient tous les députés du Hainaut et tous les députés qui ne partagent pas l’opinion du ministre : il est certain, a-t-il dit, que le gouvernement prussien…

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Que le commerce prussien.

M. de Robaulx. - Je le veux bien : dictez les mots ; je vous y autorise ; quant aux pensées il n’en sera pas de même ; vous ne les dicterez pas.

Il est certain, a dit le ministre, que le commerce prussien n’est pas aussi exigeant que vous ; ainsi le ministre attaque par ses réflexions les auteurs des six questions de ceux qui partagent leurs opinions. Comment pourrait-il avoir le droit de leur parler ironiquement, quand ils exercent un droit véritable, quand ils remplissent le mandat qui leur a été confié, imposé par le peuple ? Nous sommes indépendants de la volonté du ministre ; nous avons le droit et le devoir de nous élever contre les paroles ministérielles. M. Dumortier a bien fait de répondre, et il est d’ailleurs d’usage que le ministre ne parle pas le dernier.

M. Dumortier. - Je n’ai pas parlé sur le fond de la question ; je n’ai parlé que sur la seule motion d’ordre. J’ai cru les renseignements donnés par les ministres insuffisants, surtout en ce qui concerne cette question : « Le gouvernement s’engage-t-il à ne pas abdiquer les droits de la Belgique sur les eaux intérieures et sur la route à établir par Sittard ou par Venloo ? J’ai montré cette insuffisance, et personne ne peut m’interrompre : ce serait niveler les droits de la minorité, que de ne pas m’interrompre ; mais je ne pense pas qu’il s’agisse de minorité ici, surtout dans une question qui peut grever notre avenir.

M. Gendebien. - Il me paraît bien extraordinaire que des questions reconnues importantes étant adressées à un ministre, et le ministre y ayant répondu, il importe comment, on soit obligé de prendre ces questions pour vraies, pour incontestables, et de considérer le tout comme un débat terminé. Quoi ! s’il plaisait au ministre de répondre une baliverne à chaque question, il ne nous serait pas permis de faire observer que la question a été éludée ? Prenez garde d’ailleurs que dans la circonstance actuelle le ministre lui-même est entré dans la discussion du fond ; que j’ai répondu à ce qu’il avait dit hier.

M. Devaux. - Je ne dis pas, messieurs, que paroles de ministre sont paroles d’évangile ou balivernes ; mais je dis que quand on a soulevé une motion d’ordre consistant en questions adressées au ministre, la motion d’ordre est épuisée par la réponse que le ministre fait à ces questions. Chaque membre a le droit dans la discussion générale de parler deux fois de tout ce qu’il voudra, il a le droit alors de présenter des observations sur les questions faites aux ministres ; les députés du Hainaut peuvent user de ce droit que nous avons tous. Mais on ne peut pas demander la parole uniquement sur la motion d’ordre ; s’il en était ainsi, l’ordre des orateurs inscrits serait continuellement interverti.

Je suis loin de vouloir empêcher les orateurs de revenir dans la discussion générale sur les questions posées, s’ils ne trouvent pas suffisantes les réponses du ministre ; mais je demande que ce soit à l’occasion de la discussion générale et non à l’occasion de la motion d’ordre ; sans cela la motion d’ordre n’aurait pas de fin, la discussion ne serait qu’un chaos, un labyrinthe, d’où on ne pourrait sortir.

M. Gendebien. - Tout le monde reconnaît que le fonds de la discussion se lie à la motion d’ordre ; or, si l’honorable M. Dumortier parlant sur la motion d’ordre a fait quelque excursion dans la discussion générale, on ne peut pas s’en plaindre ; le ministre de l’intérieur lui en a d’ailleurs donné l’exemple hier.

Mais voyez, messieurs, le résultat de ce qu’on propose ; on voudrait que chaque orateur inscrit pour la discussion générale interprétât à sa manière les réponses du ministre ; pour cela chaque orateur sera obligé de rompre le fil de ses idées et d’arrêter chacun à son tour la discussion générale. Ne serait-il pas plus logique et plus rationnel de se livrer d’abord à une discussion qui aurait pour objet de discuter si les réponses du ministre sont pertinentes, si elles sont ou non suffisantes, on rentrerait ensuite dans la discussion, sans avoir à craindre qu’elle fût interrompue par des divagations.

J’oubliais de dire que j’avais entendu avec peine l’honorable préopinant parler de députés du Hainaut. Je ne connais pas ici de députés du Hainaut. Je ne suis pas le député d’une province, je crois avoir l’honneur de représenter la Belgique tout entière.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - On a bien parlé de députés ministériels.

M. Gendebien. - Cela ne me regarde pas, les députés que cela concerne n’ont qu’à réclamer.

M. Dumortier. - Messieurs, l’article 21 du règlement est ainsi conçu ;. « Nul n’est interrompu lorsqu’il parle, si ce n’est pour un rappel au règlement. Si un orateur s’écarte de la question le président seul l’y rappelle… » Ainsi, M. Devaux pas plus qu’un autre membre n’avait le droit de m’interrompre. Ainsi, comme M. Devaux n’a pas l’honneur d’être le président de l’assemblée, il n’avait pas le droit de m’interloquer comme il l’a fait. Comme M. le président ne m’a pas rappelé à la question, j’avais le droit de continuer.

J’ajouterai que, si j’ai parlé de la motion d’ordre, ç’a été à l’initiative de M. le ministre de l’intérieur qui, a propos de la motion d’ordre, a traite longuement la discussion générale ; et encore n’ai-je parlé qu’indirectement de la motion d’ordre, et ne suis-je pas entré comme M. le ministre dans le fond de la question. Je continuerai donc à moins que la chambre ne veuille consacrer une violation du règlement.

M. Gendebien. - C’est à M. le président à décider.

M. le président. - Je vais consulter la chambre.

M. de Robaulx. - Il me semble que l’orateur avait obtenu la parole de M. le président sur la motion d’ordre et pour répondre à M. le ministre. M. le ministre venait de répondre aux cinq ou six questions qui lui avaient été adressées à l’ouverture de l’avant-dernière séance. M. Dumortier avait la parole pour répliquer ; il allait, je crois, avoir fini lorsqu’on a demandé son rappel au règlement. Si l’honorable M. Dumortier n’avait plus que peu de chose à ajouter, je l’adjure de ne pas continuer, de ne pas prolonger ce débat.

Mais si l’honorable M. Dumortier a l’intention de prouver que les réponses du ministre ne sont pas satisfaisantes, qu’elles ne sont que des mots vides de sens, qu’elles ne répondent à rien, que ce sont des réponses seulement pour pouvoir dire qu’on a répondu, mais qu’elles ne peuvent en rien éclairer la chambre, la parole doit être continuée à M. Dumortier, d’autant plus que ce n’est pas l’usage d’accorder en dernier lieu dans une discussion la parole à un ministre. Il n’y a donc pas lieu à délibérer ; et il faut entendre M. Dumortier s’il persiste à vouloir user de la parole qui lui a été accordée par M. le président.

M. Jullien. - Je ferai observer à la chambre que tout le monde convient que nous perdons notre temps. Toute la question est de savoir si le ministre a répondu aux questions qui lui ont été adressées ; or, il est incontestable que le ministre a répondu : il a fait des réponses telles quelles. Il me semble qu’on ne peut pas forcer le ministre à répondre autrement qu’il ne veut le faire ; il faut donc prendre les réponses qu’il nous donne.

Comme on l’a observé avec beaucoup de justesse, en reprenant la discussion générale chacun pourra examiner si ces réponses ne sont pas insuffisantes, on pour me servir d’un terme de droit, si elles ne sont pas impertinentes. (On rit.) Mais vouloir provoquer de nouvelles explications, provoquer réponses sur réponses, cela nous conduirait à une discussion interminable.

Il est de la dignité de la chambre de ne pas s’arrêter à un tel débat. Si l’honorable M. Dumortier, rentrant dans le fonds de la question, croit avoir quelque chose à dire qui doive faire plaisir à la chambre, je ne m’oppose pas à ce qu’il soit entendu, mais je l’adjure, je le conjure de renoncer à parler sur la motion d’ordre et de ne pas prolonger ce débat.

M. le président. - Je vais mettre aux voix le rappel au règlement.

M. d’Huart. - Il ne s’agit pas de mettre le règlement aux voix. La parole a été accordée à M. Dumortier ; il a le droit de continuer son discours.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il y a eu une confusion dans laquelle est tombé l’honorable M. Dumortier, et dans laquelle il a entraîné l’honorable préopinant. Le rappel à la question appartient à M. le président seul ; mais le droit de demander le rappel d’un membre au règlement appartient à tous les membres de l’assemblée. C’est ainsi que dans une séance récente le règlement a été appliqué par l’honorable président, que personne de nous assurément n’accusera de vouloir le violer. Il m’a accordé la parole pour un rappel au règlement, alors que l’honorable M. Dumortier avait la parole ; et immédiatement après, il a accorde également pour un rappel au règlement la parole à M. Dumortier, qui m’a interrompu. Ainsi, en faisant le procès à M. Devaux, vous faites le procès à M. le président et à toute l’assemblée qui a sanctionné sa conduite.

M. Dumortier. - Ce n’est pas cela.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Ce sont des faits ; vous y répondrez si vous le désirez.

Messieurs, si le temps était à nous, s’il n’était pas aussi précieux, s’il n’appartenait pas au pays qui nous faut un devoir de ne pas le dilapider, nous pourrions accorder la parole à l’honorable M. Dumortier et à ceux de nos collègues qui désireraient parler encore sur la motion d’ordre. Mais la chambre ne doit avoir aucun égard au plaisir qu’elle aurait à entendre certains orateurs, elle doit se rappeler que son temps ne lui appartient pas, qu’il appartient au pays et que le pays a soif de bonnes résolutions, de bonnes lois, mais non de discours, fussent-ils aussi éloquents que ceux de l’honorable M. Dumortier.

Pour prouver que vous vous engagez dans un labyrinthe sans issue, il me suffira de dire que M. Dumortier, sous la forme d’une motion d’ordre, cherche à établir que les réponses faites à ses questions par M. le ministre de l’intérieur ne sont pas suffisantes. Un autre orateur aura ensuite le droit de prouver que ces réponses sont satisfaisantes : car une opinion n’a point droit, par cela seul qu’elle est antiministérielle, à se faire seule jour dans l’assemblée. Qu’arrivera-t-il donc lorsque la chambre se croira suffisamment éclairée par cette discussion ? mettra-t-on aux voix la question de savoir si les réponses du ministre sont ou non suffisantes ? mais cela est impossible. Il vaut mieux continuer la discussion générale. Ceux qui trouveront insuffisantes les réponses du ministre, rejetteront le projet.

La discussion doit suivre son cours : d’abord la discussion générale, puis le vote des articles, puis l’appel nominal sur l’ensemble du projet. Si vous admettez la discussion incidente qu’on a soulevée, si vous accueillez le système préconisé par l’honorable M. Dumortier, vous établirez un précédent dangereux, vous ferez dévier la discussion de toutes les règles ; vous perdrez un temps précieux dont vous ne pouvez pas disposer par bienveillance pour vos collègues, mais qui appartient au pays.

Pour prouver que le droit de demander le rappel au règlement appartient à chacun des membres de l’assemblée, sauf le vote de la chambre, il me suffisait de lire l’article 23, si ce qui s’est passé dans une dernière séance n’établissait pas suffisamment ce droit :

« Art. 23. Il est toujours permis de demander la parole sur la position de la question, pour rappeler au règlement ou pour répondre à un fait personnel. » Je ferai remarquer que cette disposition n’est pas isolée, et que l’article 21 porte : « Nul n’est interrompu lorsqu’il parle, si ce n’est pour un rappel au règlement. » J’ai regret d’avoir autant insisté ; mais je m’y suis cru autorisé par la décision qui a précédé.

M. de Brouckere. - Messieurs, je désire non seulement voir cesser la discussion sur la motion d’ordre, mais même voir clore la discussion générale ; car il faut bien convenir qu’elle ne nous conduira à rien. Dans une matière aussi importante, nous avons tous une opinion formée ; tout ce qu’on pourra dire ne la changera point. Il faudrait passer à la discussion des articles, à la discussion des détails, la seule qui présente de l’intérêt. Mais quelque désir que nous ayons de voir clore la discussion, avant tout il faut être juste, et alors même que nous n’y trouvons pas notre intérêt personnel, or c’est parce qu’il est juste que la parole soit continuée à M. Dumortier qu’elle doit lui être continuée.

L’honorable M. Dumortier a déclaré qu’il parlerait sur la motion d’ordre ; eh bien, on doit le laisser parler à moins qu’il ne s’écarte de la motion d’ordre. L’orateur à le droit de parler fût-ce-même pendant une demi-heure ; lorsqu’il aura fini on pourra demander la clôture de la discussion.

M. Dumortier. - Messieurs, je n’ai que deux mots à dire. On demande le rappel au règlement mais je défie M. Devaux et son honorable ami M. Lebeau de citer un seul article du règlement sur lequel ils puissent fonder cette demande de rappel. Je leur en porte le défi de la manière le plus formelle. Si quelqu’un doit être rappelé à l’ordre ou au règlement, ce sont ceux qui troublent l’ordre, qui éternisent des discussions qui sans eux seraient depuis longtemps terminées, qui dilapident le temps de la chambre.

L’article 18 dit positivement que « aucun député ne peut parler qu’après s’être fait inscrire ou qu’après avoir demandé de sa place la parole au président et l’avoir obtenue. » Eh bien, est-ce vrai que j’ai demandé la parole et que je l’ai obtenue ? Si cela est vrai, on n’a pas le droit de m’empêcher de parler. Je vais donc continuer de parler sur la motion d’ordre.

M. le président. - Je vais consulter la chambre sur la question de savoir si la parole doit vous être continuée.

M. Dumortier. - On ne peut pas mettre le règlement aux voix. Si j’insiste autant c’est que je crains qu’à l’avenir les ministres n’usent du moyen qu’on veut employés pour empêcher les orateurs de parler. J’insiste parce qu’il s’agit des droits de la chambre, et que ce que l’on demande établirait un précédent dangereux.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je demande que la question soit mise aux voix. Je ne sais ce qu’on veut dire par motion d’ordre ; le règlement n’en parle pas. L’article 22 porte : « Nul ne parle plus de deux fois sur la même question, à moins que l’assemblée n’en décide autrement. » Or, si la parole devait toujours être accordée sur une motion d’ordre, le même orateur pourrait, par motions d’ordre, traiter vingt fois indirectement le fond de la question. Je demande donc comme député, car j’ai aussi l’honneur de siéger ici en vertu du mandat populaire, je demande que l’on mette aux voix la question de savoir si la parole sera continuée sur la motion d’ordre.

M. Dumortier. - Je demande en vertu de quel article du règlement on veut m’ôter la parole.

M. Devaux. - Mon but en demandant le rappel au règlement était d’abréger la discussion ; comme je vois que je suis loin par là d’arriver à ce résultat, je retire ma proposition.

M. le président. - La demande de rappel au règlement ayant été retirée, la parole est continuée à M. Dumortier.

M. Dumortier. - C’est sur les interpellations adressées à M. le ministre que je continuerai de parler. J’étais arrivé à ce point de dire que le ministre n’a fait aux interpellations qui lui ont été adressées que des réponses évasives. Qu’a-t-il répondu à la question positive et formelle qui a été faite relativement à la Prusse. Il a dit que la Prusse était aussi intéressée que la Belgique à ce qu’un chemin de fer fût construit sur son territoire.

Pour moi, je dis que préalablement un traité devait être fait avec la Prusse, au sujet de la partie de la route à faire à frais communs. J’ajouterai que, dans l’état où nous nous trouvons maintenant, il y a ce vice que si nous exécutons la route il y a des avantages assurés pour la Prusse, et que nous ne sommes pas assurés de la réciprocité. -

J’avais demandé si le gouvernement prend l’engagement de ne pas renoncer aux droits qui nous sont assurés par le traité du 15 novembre. Que dit le ministre à cet égard ? (J’avais adressé cette demande au cabinet et non à un ministre isolé.) Le ministre répond à cela que la route en fer n’aura aucune influence sur la décision du gouvernement. C’est vraiment une singulière réponse. Je demande si le gouvernement n’abandonnera pas nos droits relatifs à la navigation de l’Escaut, et à la route de Sittard. Ne devons-nous trouver dans les réponses évasives que fait le ministère, le gage qu’il consent à cet abandon. ?

Vous dites que cela n’exercera aucune espèce d’influence. Mais peut-être cette influence est-elle déjà tout exercée depuis longtemps, peut-être l’influence des cabinets étrangers est-elle plus grande que celle de l’utilité de la route ?

Je voulais que le gouvernement prît l’engagement formel qu’il ne consentira pas à abandonner les droits de la Belgique reconnus dans le traité du 15 novembre. Je demande une explication plus formelle sur ce point, car cela domine toute la question.

Quant à la question du transit, le gouvernement répond qu’il ne peut donner d’assurance, c’est-à-dire qu’il nous propose un chemin de fer pour effectuer un commerce de transit sans savoir si les droits existants à la frontière de Prusse cesseront d’exister, lorsqu’il est reconnu que ces droits seraient la mort de ce commerce. Il est évident que le gouvernement a présenté son projet avant que la question fût à un point de maturité qui permît de la discuter avec fruit.

Pour ce qui est de la troisième question, celle relative aux assurances, j’ai à demander au ministre s’il a d’autres assurances que celles contenues dans les articles déposés sur le bureau relativement à la part que le gouvernement prussien prendra à la construction de la route. S’il en a, je le prie de les déposer sur le bureau afin que nous puissions discuter en connaissance de cause. Il ne suffit pas que le ministre ait des assurances, nous n’avons pas moins besoin que lui d’en avoir.

Voilà à quoi je voulais borner ma motion d’ordre, et j’aurais terminé il y a longtemps, si je n’avais été malencontreusement interrompu.

M. le président. - Les questions seront imprimées dans le Moniteur. Nous allons continuer la discussion générale.

M. Brixhe. - Le chemin de fer dont le projet nous occupe en ce moment nous a été longtemps présenté comme un élément certain de haute prospérité pour la Belgique entière, par le fait de l’immense commerce de transit qui en procéderait.

Je laisserai à d’autres le soin de démontrer de manière à calmer tous les doutes s’il est possible, l’importance si considérable de notre commerce de transit et le parfait rapport qui est si sagement établi par le projet de chemin de fer entre les divers cercles d’industrie de la Belgique, que le gouvernement, dans sa sollicitude impartiale, doit embrasser tout en une seule et même pensée. Quant à notre commerce extérieur, je me bornerai à rappeler ce que chacun peut vérifier par les chiffres du projet ; c’est que dans les dernières années du gouvernement précédent, et ces années n’ont pas été nos plus mauvaises, ce commerce consistait en 48,000 tonneaux environ.

C’est donc est partant d’une circulation de 48,000 tonneaux, observée dans nos meilleures années et qui depuis s’est évanoui ; c’est pour ramener chez nous ce chiffre exigu, pour l’augmenter si possible, il est vrai, que le projet de chemin de fer avait été d’abord et uniquement conçu. Il vous est encore en partie reproduit aujourd’hui dans le même intérêt, mais comme la thèse ne paraît pas s’être trouvée convenablement soutenable sous un point de vue aussi nu, devant un chiffre aussi mesquin, on s’est hâte d’étayer la proposition de considérations d’un autre ordre, bien qu’on se fût toutefois, je le pense, bercé quelques instants de cet espoir, qu’une brillante amplification sur les chances de l’accroissement à venir du transit chez nous suffirait aisément et de trop à fasciner l’intelligence des trois districts charbonniers et à les aveugler sur la collision inévitable de leurs intérêts respectifs que le gouvernement refuse de mettre en harmonie.

Le tableau fortement coloré des futurs contingents de notre commerce extérieur, n’a pas paru d’un effet assez puissant sur la conviction de toutes les classes de contribuables, pour les amener à ouvrir spontanément leur bourse au gouvernement ou a prêter leur garantie au capital d’exécution.

En effet, comment consentir à grever la nation d’une dépense de 50 millions au moins, tandis qu’on ne présente pour point de départ qu’un chiffre de 48,000 tonneaux, chiffre qui ne répond pas d’ailleurs à l’état actuel des choses, mais bien aux dernières années du gouvernement précédent. Aussi l’on vous a fait remarquer que la route en fer, en même temps qu’elle vous est présentée comme communication politique et d’intérêt général d’une importance élevée, vous est aujourd’hui proposée tout à la fois comme un projet d’une admirable utilité intérieure, tendant à développer l’activité, à étendre la sphère d’action de nos divers foyers de production. « On veut ainsi, dit-on (page 32), améliorer considérablement une infinité de foyers commerciaux. »

Partageant, du reste, les doctrines exposées hier dans le discours remarquable de notre honorable collègue, M. de Puydt, sur la question du chemin de fer, qui embrasse des industries si diverses, soulève des intérêts si opposés, je m’attacherai à prouver que le projet est conçu dans un but tout intérieur, tout partial pour l’un, tout hostile pour les autres.

On me permettra de ne m’occuper exclusivement que de cette branche de la richesse publique, que l’on considère aujourd’hui comme la plus importante : c’est de la houille que je veux parler. Je m’attache d’autant plus volontiers à ce sujet seul, que les mines de houille sont, je le répète, la base de la force prépondérante des Etats qui s’en trouvent dotés ; parce que la houille est la seule et véritable force industrielle, celle enfin qui engendre la vapeur d’où dérivent tous les produits actuels du monde positif ; parce que dès lors une puissance aussi active, aussi vitale, doit être, dans toute conception d’utilité publique, l’objet constant de la sollicitude la plus vive et tout à la fois la plus circonspecte, la plus égale de la part du gouvernement.

Ce texte me servira à démontrer combien cette sollicitude du gouvernement est véritablement égale pour tous ; combien peu il entend enrichir une contrée par les dépouilles d’une autre, que dans ce but mal dissimulé, on voudrait frapper de mort avec une froide et parfaite préméditation, en accusant encore les victimes d’être imbues d’un esprit étroit de localité, d’être attirées d’un gain sordide et vile ; enfin même d’être orangistes, car tout cela a été dit plusieurs fois et même par des hommes réputés pleins de sens. Mais nous allons voir ce qui en est.

Le sort nous a dotés de trois grands bassins houillers, Charleroy, Mons et Liége. Or, à part et quels que soient les avantages locaux résultant ou du fait de la nature, ou de la position commerciale plus ou moins favorable de tel ou tel de ces trois bassins par rapport aux deux autres, le gouvernement doit les traiter tous trois sur le pied de la plus parfaite égalité en les livrant à la plus libre concurrence, et il doit surtout s’abstenir d’introduire l’ombre d’un privilège dans les rapports de l’un ou l’autre foyer avec ses compétiteurs sur les mêmes places de commerce. Voila ce qu’on est force de m’accorder.

Ces considérations établies (et je doute qu’on les réfute sainement en principe), examinons si la route en fer peut exercer une influence semblable et égale sur chacun des trois précieux centres de productions minérales, que l’Angleterre voit chez nous avec regret.

M. le ministre de l'intérieur veut laisser les généralités sans réponse bien que le projet ne se repose lui-même que sur des généralités, il veut qu’on lui parle chiffres. Eh bien ! soit ; je lui parlerai chiffres et je me renfermerai dans ceux du projet,

Le projet représente l’importance du foyer commercial de Maseyck et Harden par le chiffre 5 (voir page 32) ; le foyer de Moresnet page 5, Warem, Tongres, St.-Trond par 5, Tirlemont par 15, Diest et Arschot : 18, Verviers et la vallée. de la Vesdre, Louvain, Namur, Malines respectivement : 30 ; Bruxelles : 65 et Liège : 90. Quels seront donc dans cette échelle proportionnelle et comparée, les chiffres représentatifs de la consistance commerciale et industrielle des bassins minéralogiques de Charleroy et de Mons ? On se garde bien d’en mot dire et pour cause.

Considérés impartialement dans leur juste importance, ces foyers de productions minérales, Mons d’une part par ses exploitations de houille, de grès, pierres à bâtir, etc. ; Charleroy d’autre part aussi par ses exploitations de houille, ses mines métalliques, hauts fourneaux, usines à fer, ses verreries, ses poteries, ses marbres ses pierres de construction d’Arquennes et Feluy, etc. ; ces deux centres d’industrie minérales, disons-nous, peuvent être mis sur la même ligne que la localité de Liége ; et nous pensons que nul ne nous contestera cette proposition qu’il ne nous serait pas difficile de prouver par les développements nécessaires, en temps plus convenable si on le désirait. Ces trois districts ont, d’après ce que je viens de dire, un droit égal aux preuves matérielles de la sympathie du gouvernement.

Or, à la page 87 du projet, je trouve, mais pour les seules houilles de Liége, que le péage présumé est calculé à raison de 2 centimes par tonneau et par kilomètre et de 30 centimes pour le passage de chaque plan incliné et qu’ainsi un tonneau de houille de Liége serait transporté à Anvers au taux de 2 fr. 60 centimes. Ce tonneau de houille coûtant 17 francs à Liége (page 80 du projet), il reviendra à Anvers au prix de 19 fr. 60 c.

D’un autre côté, on voit à la même page 80, qu’un tonneau de houille de Charleroy revient sur les lieux à 17 francs, même prix qu’à Liége, et ne peut arriver à Anvers qu’au prix de 25 francs 50 centimes, différence 3 francs 90 centimes, c’est-à-dire, 16 1/2 p. c. à l’avantage de Liége et au préjudice de Charleroy ; ce qui résulte de l’exception faite en faveur des houilles de Liége en réduisant leur péage à 2 centimes au lieu du péage de 4 centimes commun à toutes les autres marchandises.

Il est inutile de poser ici la question de savoir si à 16 1/2 p. c. de différence la concurrence sur la place d’Anvers est tenable entre Charleroy et Liége. Nous verrons mieux encore tout à l’heure s’il est possible avec quelque pudeur de tenter je ne dirai pas de justifier mais seulement d’expliquer un privilège si exorbitant.

Le tonneau de houille de Charleroy ne pouvant arriver à Anvers qu’au prix de 23-50 fr., tandis que Liége y viendrait à raison de 19-60 fr. ; nous croyons avoir quelque droit de demander pourquoi il faut accorder aux houilles de Liége cette prime de 50 p. c. sur le péage, puisque supportant le péage tout entier, c’est-à-dire 4 centimes au lieu de 2, le tonneau de houille de Liége arriverait encore à Anvers au prix de 22 fr. 20, ou autrement dit à 5 1/2 p. c. de moins que de Charleroy. (Voir à la page 84 du projet.) Cette seule différence de 5 1/2 p. c. détruit déjà toute concurrence au moins près des grands consommateurs, et je dois faire remarquer en outre que cette prime de 5 p. c. en faveur des houilles de Liége ne peut s’obtenir ni se compenser dans l’économie de l’opération, que par une majoration du péage sur les autres marchandises qu’on a dû ainsi coter à 4 centimes et sur les voyageurs.

Mais ce n’est pas tout : Il y a dans le projet une candeur, je dirai même une naïveté d’aveu rarement égalée. En effet veut-on enfin savoir pourquoi il faut que le chemin de fer imaginé d’abord dans un but tout politique et de transit, passe absolument et à tout prix par Liége, et pourquoi, passant par Liége, le péage de 4 centimes pour toutes les marchandises, doit être réduit à 2 centimes pour les houilles de Liége sous une prime de 50 p. c. Je vais le dire, et le projet m’en fournit la grande facilité avec une franchise vraiment absolue.

A la page 86, il est dit qu’Anvers et sa banlieue consomment 40,000 tonneaux de houille, dont 2,000 sont fournis par Mons, 7,000 par Charleroy, 25,000 par Mariemont et 5,000 par Liége. Or, l’injustice flagrante que j’ai signalée tout à l’heure dans le péage n’a pour but que de changer cette répartition en une autre dont le projet calcule au plus juste la proportion : c’est pour que le Hainaut qui fournissait 35,000 tonneaux n’en fournisse plus que 16,000, tandis que Liége qui n’en livrait que 5,000, en livre au moins 24,000 (Voir page 84).

Est-ce en provoquant par de sages opérations, une libre concurrence qu’on veut arriver à renverser les rôles, Non, c’est directement à la faveur d’un privilège d’une prime de 50 p. c. sur les péages qu’on vous engage à favoriser les houilles de Liége en chassant celles de Charleroy, et l’on trouverait étrange que le Hainaut ne bénît pas la main qui a osé formuler de pareilles conceptions en projet avoué, et c’est en invoquant des principes de justice ou de justesse, comme on le voudra, qu’on prétendrait ajouter à ce qu’il nous sera permis de considérer comme une cause des désastres pour le Hainaut en particulier pour Charleroy, ajouter, dis-je, en invoquant l’utilité générale, l’utilité politique, la consolidation de notre indépendance et autres grands mots consacrés, l’obligation de donner encore nos fonds ou notre garantie pour l’exécution d’un projet, qui, à travers les oripeaux dont on le recouvre, ne sera visiblement qu’un gouffre dissimulé, pour mieux nous abuser et engloutir l’un de nos trois grands foyers minéraux en assurant la prospérité toute factice d’un autre.

Je vais poursuivre ma démonstration toujours d’après les termes du projet : l’arrondissement d’Anvers, Braeschaet, Westwezet, Potte, Contich, St-Antoine consomment 12,000 tonneaux, dont Mons fournit 1,000, Charleroy 3,000, Marimont 8,000 et Liége zéro ; donc le Hainaut fournit tout et Liége rien. Eh bien d’après le projet et en vertu des développement factices qu’on vous fait l’honneur d’attendre de votre injustice, ou de votre simplicité, il faut que le Hainaut ne fournisse plus que 2,000 tonneaux ou rien et Liége 10,000 tonneaux ou tout.

Malines, son arrondissement Lierre, Duffel, etc. (voyez toujours page 86) consomment 17,600 tonneaux dont Liége fournit 3,000 tonneaux et dont 14,600 sont fournis par le Hainaut, Charleroy y étant pour 4,100. Eh bien, il faut que le Hainaut descende de 14,600 à 8,600, et que Liége triple ses expéditions dans les localités que je viens de désigner.

Veuillez, messieurs, appliquer les mêmes recherches aux autres localités citées à la même page 86, et vous vous convaincrez que partout où l’on peut atteindre les houilles du Hainaut, et plus particulièrement celle du foyer de Charleroy, on ne laisse à celle-ci qu’un tiers de leurs débouchés pour doubler aussitôt les débouchés des houilles de Liége.

Encore cette concession tant généreuse d’un tiers pour Charleroy n’est-elle qu’une apparence vaine, destinée à vous rallier au projet ; car je crois avoir prouvé tout à l’heure, d’après les propres chiffres du projet même, que les houilles de Liége portassent-elles même la totalité du péage, c’est-à-dire 4 centimes, elles arriveraient encore à Anvers à 5 1/2 p. c. meilleur marché que les produits des houillères de Charleroy. Que devient devant cet aperçu le tableau de la page 86, où l’on cherche à nous prouver qu’on ne veut nous prendre qu’un tiers de nos expéditions vers Bruxelles, Anvers, etc. ? Il est visible que ce n’est point le tiers, mais la totalité, qu’on veut nous enlever.

Voyez à la page 80 : Liége consomme et exporte 370,000 tonneaux, dont 81,000, ou moins d’un quart, pour la Hollande ; or, c’est pour remplacer ce quart, qui reviendra cependant à la paix, qu’on veut actuellement doubler les autres expéditions et annihiler Charleroy.

Répondra-t-on que nous avons encore des marchés en France ? Mais les Liégeois savent bien qu’ils en approvisionnent exclusivement les principaux et que dans ce moment il n’y a pas assez de bateaux sur la Meuse pour satisfaire aux commandes de Givet, Sedan, etc., ce qui rend tout à fait fautive la 4ème colonne du tableau, page 79, où Liége est côté comme zéro vers la France.

Et c’est sérieusement et en conscience qu’on s’étonnerait de notre refus de prêter notre argent ou notre garantie pour exalter les houillères de Liége et frapper celles de Charleroy de stérilité. C’est bien sérieusement qu’on voudrait nous démontrer qu’une sage administration de la richesse publique, que l’intérêt général enfin, réclament impérieusement le sacrifice d’un et même de deux de nos trois districts houillers au plus grand bien-être de Liége ?

Et c’est devant une proposition aussi illibérale, devant une proposition circonscrite dans une aussi étroite pensée de localité, qu’on vient avec assurance nous taxer de patriotisme de paroisse ! Mais, je le demande, où est ici le patriotisme, l’égoïsme de paroisse ? Est-il chez celui qui ne veut pas prêter les mains, qui proteste contre un projet dont la destruction est le but avoué, ou bien est-il chez celui qui veut nous sacrifier à son profit en nous obligeant à aider et sourire à la cause de notre ruine ? Le Liégeois se pose aisément libéral et généreux, car il a tout à gagner au projet ; mais n’oubliez pas, messieurs, que nous, égoïstes sordides, nous avons tout à y perdre.

Je terminerai en vous répétant ce principe d’économie publique cité fort à propos à la chambre de commerce d’Ostende et dont je réclame en tout et de toutes mes forces l’application simultanée pour Charleroy, Mons et Liège ; c’est que : « L’intérêt bien entendu d’un pays veut que la somme des avantages matériels y soit également répartie entre les différentes localités, et non concentrée dans une seule ou dans un petit nombre. »

J’attendrai la fin de la discussion, pour former, s’il y a lieu, mon opinion sur les propositions qu’il peut me rester à soumettre à l’assemblée pour atteindre, si possible, un but réellement d’utilité commun à tous, car le projet du gouvernement n’y atteint guère.

Du reste, je voterai, je protesterai de toutes mes forces contre ce projet, parce qu’il consacre des primes injustes et odieuses qu’il veut attribuer au district houiller de Liége, à l’exclusion du Hainaut tout entier.

M. Hye-Hoys. - Messieurs, la création des chemins de fer en Belgique, est particulièrement déterminée par notre position topographique, et la nécessité de rivaliser avec la Hollande dans la célérité des expéditions maritimes en transit, spécialement vers l’Allemagne.

Il est donc de la plus haute importance de nous placer, dans ce but rationnel, hors de toute atteinte possible de la part du gouvernement commercial qui domine les bouches de l’Escaut.

Quelle que soit la confiance qu’on puisse avoir dans les traités, on ne peut se faire illusion au point d’admettre qu’ils présentent une garantie équivalente à celle d’une liberté physique de navigation, qu’aucun mauvais vouloir ne pourrait entraver.

Cette garantie nous la trouvons dans le port d’Ostende, et par suite c’est là aussi que doit complétivement aboutir le chemin de fer.

S’il est prudent de nous prémunir contre toute entrave éventuelle de la navigation de l’Escaut, il ne l’est pas moins aussi d’obvier à celles qu’apportent les rigueurs de l’hiver, la débâcle d’un fleuve et le charriage des glaçons qui suspendent temporairement les arrivages.

Il est essentiel qu’ils puissent alors s’opérer par Ostende, afin de conserver ainsi, pour les expéditions commerciales en transit, les avantages et l’usage non interrompu d’un chemin de fer.

Mais, indépendamment de ces considérations, qui seules suffiraient pour donner une double issue maritime au chemin de fer, il en est plusieurs autres qui commandent non moins impérieusement de faire aboutir un de ses embranchements au port d’Ostende.

Il faut placer ici au premier rang la prospérité de la pêche nationale, qui ne saurait manquer de prendre un accroissement rapide, lorsque les produits pourront être apportés avec célérité sur tous les points populeux que parcourra le chemin de fer, non seulement à l’intérieur, mais à l’étranger jusque sur les marchés de Cologne même.

De l’extension de la pêche nationale naîtra celle de notre marine et de toutes les industries qu’elle alimente, en même temps qu’elle créera pour la navigation marchande et militaire, une pépinière de marins expérimentés.

C’est par Ostende que la Belgique se lie à l’Angleterre, comme la France s’y lie par Calais, où s’embarquent et débarquent les voyageurs des deux royaumes ; motif qui a été reconnu suffisant pour lier aussi Calais à Paris par un chemin de fer.

Il suffirait de ce seul motif, nécessairement fécond dans ses résultats, pour lier également chez nous Ostende au chemin de fer qui doit traverser la Belgique.

Ostende, d’ailleurs, reçoit de nombreux arrivages, principalement en manufactures ; il est notoire que le commerce d’Anvers lui-même les fait souvent arriver de Londres par les paquebots à Ostende, pour plus de célérité dans les expéditions ; il n’est pas douteux que la liaison d’Ostende au chemin de fer projeté, ne fera qu’ajouter à l’importance de ces arrivages, et qu’il y attirera même toutes les expéditions qui se font aujourd’hui de Hull, de Goole et de Londres pour l’Allemagne méridionale, par Rotterdam et par Hambourg. Des renseignements certains qui m’ont été transmis, élèvent pour 1833 les expéditions par la première de ces villes à 170 ; et par la seconde à 140 navires, d’un port moyen de 100 tonneaux, ce qui présenterait seul aux péages du chemin de fer, une exploitation de 31,000,000 de kilogrammes de marchandises manufacturées.

Il en serait de même des denrées coloniales et de beaucoup d’autres produits dont l’ensemble présentera indubitablement un chiffre élevé, et qui portera les revenus de la route à un taux qui couvrira, et au-delà, son entretien, et l’intérêt des capitaux qui y seront employés.

Il faut ajouter à ces avantages éminents l’accroissement de prospérité et de bien-être qui résultera de l’embranchement du chemin de fer vers Ostende pour les deux Flandres, et notamment pour les villes manufacturières et commerçantes de Gand et Bruges. Si l’on considère que ces deux provinces forment à elles seules le tiers de la population du royaume, on n’hésitera pas à reconnaître qu’elles doivent essentiellement et simultanément participer aux bienfaits d’une entreprise formée par la nation dont elles représentant une si imposante fraction.

La section centrale dit dans son rapport, page 10, présenté à la chambre le 18 novembre dernier, qu’en attendant l’achèvement des projets relatifs aux embranchements complémentaires, il convenait de stipuler que l’exécution commencerait par les parties de routes dont les plans et devis se trouvaient déjà arrêtés.

Depuis, les plans et devis de l’embranchement de Malines à Ostende ont été dresses et établis en exécution des ordres de M. le ministre de l'intérieur, par MM. les ingénieurs Simons et Deridder. Ils font l’objet du mémoire qui a été communiqué à tous les membres de la chambre.

La confection de cet embranchement doit ainsi, dans la pensée de la section centrale, recevoir son exécution en même temps que celle de la route principale. Je vois d’autant moins ce qui pourrait s’y opposer, que l’emprunt qu’elle propose de contracter comprend la dépense présumée que réclament les travaux de cet important embranchement.

C’est donc appuyé de cette pensée et de la proposition de ses moyens d’exécution immédiate, que j’insiste pour qu’il y ait simultanéité de travaux dans l’embranchement de la route en fer vers Ostende, qui ne pourrait que souffrir beaucoup d’un retardement qui mettrait son port hors de toute concurrence avec les avantages que l’embranchement de la route aboutissant au port d’Anvers présenterait exclusivement à celui-ci.

Mon vote sur le projet de loi qui nous est soumis sera déterminé par cette considération.

M. le président. - La discussion est continuée à demain.

- La séance est levée à 4 heures.