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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 12 mars 1834

(Moniteur belge n°72, du 13 mars 1834 et Moniteur belge n°73, du 14 mars 1834)

(Moniteur belge n°72, du 13 mars 1834)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.

M. Dellafaille lit le procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse donne communication des pièces adressées à la chambre.

« Six légionnaires de Bruxelles réclament le paiement de leur pension. »

- Ces réclamations sont renvoyées à la commission des pétitions pour en faire le rapport.


« Trois notaires du canton de Furnes appuient la disposition du nouveau projet de loi de circonscription cantonale, qui a pour but d’abolir la distinction entre les notaires de seconde et de troisième classe. »

- Cette pièce est renvoyée à la commission chargée de l’examen du projet de loi sur la circonscription des justices de paix.


« M. Lemaire, procureur de Roi à Namur, fait hommage à la chambre un ouvrage sur quelques points de l’organisation judiciaire. »


Un message du sénat est adressé à la chambre des représentants pour l’informer de l’adoption du projet de loi relatif à la taxe des barrières.


M. le ministre des finances (M. Duvivier), satisfaisant à la décision de la chambre des représentants du 8 de ce mois, qui lui a renvoyé la pétition du sieur Pierre Dewindt, datée de Bouchaute (Flandre orientale) avec demande d’explications, retourne cette pièce à la chambre en l’accompagnant des renseignements recueillis près de MM. les directeur, inspecteur et contrôleur local de cette province.

Projet de loi qui prescrit l’établissement d’un système de chemins de fer en Belgique

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. de Foere contre le projet de loi.

M. de Foere. - Messieurs, quand un pays fait des dépenses, surtout des dépenses énormes, en travaux publics, la première question qu’il se pose est celle de savoir quels seront les revenus et les avantages qui compenseront ces dépenses.

Je comprends dans les termes de revenus et d’avantages non seulement le produit net des péages que nous obtiendrons sur la route en fer, mais même par l’emploi de nos capitaux, de nos matières premières, par l’emploi d’une foule de bras ; et c’est dans ce sens le plus favorable aux partisans des chemins en fer que je considère ses revenus. La question ainsi posée, je me suis demandé à qui ce chemin de fer profitera, alors que le pays en ferait toutes les dépenses ? Je suis arrivé à cette inévitable solution que le commerce étranger seul en recueillera les principaux avantages ; à moins qu’Anvers, et pour parler plus exactement, à moins que quelques maisons de commission d’Anvers ne doivent être considérées comme la Belgique tout entière.

De l’aveu des partisans du chemin de fer, il a particulièrement pour but le transit des marchandises étrangères ; ce serait donc des dépenses que vous feriez pour ouvrir une communication, non pour l’écoulement de vos propres produits agricoles et manufacturés, mais, en grande partie, pour faciliter le transit des produits étrangers.

Il nous manque deux éléments indispensables pour que le chemin de fer profite à nous dans la proportion des dépenses que sa construction, son entretien, ses machines et son administration entraîneront : ce sont des colonies et une marine marchande ; des colonies qui produisent les objets de consommation demandés par l’Allemagne, et une marine marchande qui transporterait ces produits de nos colonies à Anvers et à Ostende, pour les faire transiter de là en Allemagne.

Vous ne pouvez donc faire transiter vos propres produits coloniaux ; vous n’en avez pas : mais quand vous en auriez, vous n’avez pas de marine marchande pour les transporter dans vos ports ; et cette marine demanderait un quart de siècle pour être établie.

Ce simple exposé révèle les motifs sur lesquels repose mon opinion, que la dépense de la route en fer ne profitera en grande partie qu’à l’industrie et au commerce étrangers. Les nations étrangères, à la fois maritimes et coloniales, ont un intérêt direct à la construction de notre chemin de fer ; elles apporteront dans nos ports, par leurs propres navires, les produits de leur industrie coloniale, agricole ou manufacturière, pour les faire passer par notre sol dans les pays voisins du nôtre, et sans entrer dans d’autres frais que ceux de transit ; frais qui, d’ailleurs, leur seront remboursés par les consommateurs allemands.

Si l’Allemagne trouve que les prix des marchandises transitées par notre route sont trop élevés, et qu’elle puisse les acheter à un prix inférieur, quand elle sont transitées par la Hollande, par Brême ou par Hambourg, vous serez obligé de diminuer d’autant votre droit de transit, et, dans la même proportion, les produits de votre route, si vous ne voulez pas qu’elle devienne presque tout à fait stérile en revenus.

Déjà les prévisions du commerce du pays et de beaucoup d’autres partisans du chemin de fer sont telles que le droit de transit se réduira à un simple droit de balance. En effet, notre route en fer devra lutter contre les nouvelles communications que ces ports pourront encore établir avec l’intérieur de l’Allemagne. Ce serait une étrange illusion, messieurs, que de supposer que la Hollande et les villes anséatiques ne feront pas tous les sacrifices nécessaires pour conserver en Allemagne un commerce qui leur a été, depuis des siècles, une des plus grandes sources de leur prospérité.

Remarquez en outre que la masse de marchandises transitées des ports d’Anvers, d’Ostende et de Bruges, sera nécessairement limitée à la consommation de l’Allemagne occidentale ; que la vente sera, comme elle est toujours, mesurée sur la demande, et la demande toujours mesurée elle-même sur les besoins des consommateurs. L’Allemagne orientale continuera indubitablement à être fournie par la voie des villes anséatiques qui établiront aussi des communications par des chemins en fer avec l’Allemagne, si leur transit était compromis par notre chemin en fer.

Il est donc clair que votre produit de transit serait limité à la quantité de marchandises demandées par l’Allemagne occidentale, avec laquelle la Hollande cherchera, de son côté, à maintenir ses communications au prix des plus grands sacrifices. Le produit de votre droit de transit sera donc encore réduit de toute la masse de denrées coloniales que la Hollande fera passer dans la Basse-Allemagne.

Remarquez au surplus que, comme la Hollande produit elle-même dans ses colonies les denrées demandées par l’Allemagne, elle pourra toujours les lui vendre à un prix égal, sinon inférieur à celui des denrées des autres nations coloniales ; de manière qu’il est possible, peut-être même probable, que votre chemin de transit restera en grande partie sans emploi.

En considérant la manière dont les grandes affaires commerciales ont été conduites depuis nombre d’années, on peut prévoir sans encourir le reproche de témérité, qu’au moins durant les premières années pendant lesquelles les mouvements commerciaux s’établiront sur les routes en fer, la Hollande, dût-elle vendre en perte ou avec de légers bénéfices, n’hésitera pas à faire ces sacrifices. C’est ainsi que l’Angleterre fait des sacrifices, vend pendant quelque temps en perte, chaque fois que son commerce lui est disputé sur les marchés étrangers.

Il vous reste maintenant à comparer les revenus de la route en fer avec ses dépenses.

Il m’est prouvé, et c’est ma conviction intime, que les dépenses excéderont de beaucoup les revenus, sans faire entrer en ligne de compte une grande perturbation que vous jetterez dans une foule d’industries et d’existence, et sans compter encore un terrain immense que vous enlèverez à l’agriculture, et par conséquent à vos propres produits ; et pourquoi ? pour faciliter l’écoulement des produits étrangers.

Dans la supposition que notre chemin de fer puisse lutter avec les concurrents redoutables que nous avons à craindre, il ne serait, dans cette hypothèse même, qu’un bienfait offert à nos dépens, aux nations coloniales et maritimes, sans qu’elles eussent à supporter des charges équivalentes à leurs avantages et à nos dépenses.

L’Angleterre, malgré toute la puissance de sa diplomatie, a lutté pendant quinze ans contre le droit énorme que la Hollande imposait aux marchandises que le commerce anglais voulait faire transiter en Allemagne par la voix des eaux de la Hollande. La Hollande a été traitée d’obstinée ; mais elle a eu raison de servir ses propres intérêts, si tant est que les actes du congrès de Vienne ne lui imposaient le devoir d’ouvrir le passage, par des droits plus modérés aux marchandises étrangères, aux dépens de ses propres produits coloniaux et de sa propre navigation. Elle produit, dans ses colonies, presque toutes les denrées demandées par l’Allemagne, et elle emploie aussi ses propres capitaux, son commerce et sa navigation, pour transporter en Allemagne les denrées que ses colonies ne produisent pas. Pourquoi aurait-elle ouvert ses eaux intérieures au commerce étranger sinon pour lui faire partager, à son détriment, les bénéfices de son commerce et de sa navigation ?

Les colonies que l’Angleterre exploite dans les Indes occidentales, avaient souffert considérablement par la baisse des denrées, tandis que les frais de production étaient restés les mêmes. Cet état de détresse s’augmentait par l’impossibilité de transporter ces denrées en Allemagne par la voie de la Hollande, et par la redoutable concurrence dans laquelle devaient entrer les cotons anglais avec les colons et avec le commerce hollandais, qui fournissaient les marchés de l’Allemagne.

Les autres nations ont un intérêt semblable à l’exécution de notre chemin de fer, et par les mêmes motifs.

Pensez-vous, messieurs, que l’Angleterre ait soutenu notre révolution pour d’autres motifs que pour ses propres intérêts ? ce serait nourrir une étrange déception.

L’indépendance, la liberté des autres peuples ne lui valent pas une obole quand elle n’espère pas en profiter. Quand les révolutions lui présentent un côté favorable à ses intérêts matériels, alors elle fait étalage de principes de liberté et d’indépendance nationale.

Vous connaissez les faits qui se sont passés sous vos yeux depuis quarante ans. Interrogez ses dernières guerres sur le continent, les révolutions des colonies de l’Amérique méridionale, de la Grèce, du Portugal, d’Espagne, de Pologne, et la vôtre, et vous serez saturé de convictions.

C’est pour profiter de la libre navigation de l’Escaut que l’Angleterre a soutenu notre révolution ; et pour que ce débouché lui soit ouvert encore plus avantageusement, elle pousse notre gouvernement à lui ouvrir, à nos dépens, une communication avec l’Allemagne. Elle savait bien que nous-mêmes, dépourvus de colonies et de marine, nous ne pouvions en recevoir d’avantages directs. La détresse de son industrie coloniale retentissait tous les ans dans le sein de son parlement, et le gouvernement a répondu par les espérances, que présentait la révolution belge.

Remarquez en outre qu’afin que l’ouverture de l’Escaut ne pût devenir, dans aucun cas, nuisible à l’Angleterre, c’est encore elle qui a fait stipuler dans le traité du 15 novembre la neutralité du port d’Anvers ; quant à moi, je ne me plains pas de cette stipulation, je crois que cette neutralité est favorable à nos intérêts aussi bien qu’à ceux de l’Angleterre. J’en fais la remarque uniquement afin que vous puissiez pénétrer les desseins et les combinaisons de l’Angleterre relativement au grand débat qui nous occupe.

C’est aussi pour des avantages matériels qui devaient résulter de notre révolution que la Prusse, malgré ses liens de famille, ne s’y est pas opposée.

Il est évident que l’ouverture de l’Escaut et la concurrence que la Hollande rencontrera sur les marchés de l’Allemagne occidentale, feront obtenir à ce pays les denrées coloniales, même par les voies usuelles de la Hollande, à des prix inférieurs à ceux qu’elle a payés jusqu’à présent.

Je présenterai maintenant la question sous un autre point de vue, non moins digne de toute votre attention.

Le chemin de fer ne sera pas seulement le véhicule des denrées coloniales des nations étrangères ; mais il sera encore le moyen de transport de leurs produits agricoles et manufacturés, parmi ces derniers objets de commerce, il en est beaucoup que nous produisons nous-mêmes.

Plus vous offrez à l’étranger de facilités pour écouler ses produits, plus vous lui offrez en outre de moyens de transit et de transport économiques, et plus vous entravez le placement de nos propres produits chez les nations voisines, les seules qui nous offrent l’espoir de débouchés, attendu que nous n’avons ni colonies, ni marine marchande pour les placer en pays lointain. Au surplus, la conséquence nécessaire de la construction de la route en fer est l’établissement, chez nous, de la liberté commerciale.

Je suis persuadé que c’est là l’intention et le but du ministère actuel, trompé à cet égard, et sans doute de bonne foi, par les instigations de l’Angleterre ; un semblable état de choses ferait sans doute prospérer la ville d’Anvers ; mais aussi il porterait un coup mortel au commerce du pays, et je laisse aux députés de cette ville le soin de considérer si, en conscience, ils pourront donner eux-mêmes un vote favorable à la construction de la route. Aussi, il est difficile de comprendre que des députés d’autres provinces, consciencieusement opposés à la liberté du commerce, puissent voter pour le chemin de fer, je leur laisse également le soin de s’expliquer à eux-mêmes cette contradiction flagrante.

Je vais essayer de répondre à l’avance à quelques objections que, sans doute, l’on élèvera.

On objectera que nos propres navires pourront aller chercher des denrées coloniales, et qu’ainsi nous pourrons fournir, par notre propre commerce, les marchés de l’Allemagne. Ceux qui élèveraient cette objection prouveraient qu’ils n’ont pas consulté la législation coloniale et navale de la plupart des nations étrangères.

Les nations coloniales et navales protègent, par leurs lois, leur navigation, au point que la nôtre ne pourrait soutenir la concurrence ni sous le rapport des prix des marchandises, ni sous celui des frais de transport.

Il est vrai qu’il existe un petit nombre de colonies, telles que La Havane, où nous pourrions aller chercher quelques denrées coloniales sans rencontrer cette législation restrictive dont je viens de parler. Mais alors même notre commerce ne pourrait lutter de prix avec les nations qui cultivent ces denrées.

Celles-ci seront toujours en état de les apporter dans nos ports à des prix inférieurs à ceux auxquels nous pourrions les livrer. Ajoutez à cette observation que, pour faire le commerce maritime avec économie, avec avantage et avec succès, il faut qu’il consiste en envois et en retours. Toute autre opération commerciale maritime est ruineuse. Or, quels seront les envois de vos propres produits que vous ferez à la Havane ou aux autres colonies qui sont dans le même cas ? Quels seront les échanges que vous pensez pouvoir établir avec ces contrées ?

J’attendrai une réponse à cette question, afin que je sache à quoi répondre.

On objectera en second lieu que les navires étrangers, après s’être déchargés de leurs marchandises destinés au transit, prendre chargement dans notre pays, et que nos produits se trouveront ainsi exportés.

C’est encore là entretenir une autre illusion. Déjà vous avez pu vous en convaincre, en jetant les yeux sur le mouvement mensuel dans les ports d’Anvers et d’Ostende. Les navires étrangers n’exporteront ni plus ni moins de produits nationaux qu’il n’en exportent maintenant. La plupart des navires partent sur lest ou vont prendre charge ailleurs que chez nous, et les autres navires n’exportent que les produits indispensables à la consommation de leurs propres pays, soit parce qu’ils ne cultivent pas ces produits, soit qu’ils ne les cultivent pas dans la proportion de leur consommation. Vous verrez par le mouvement de nos ports que les navires étrangers n’exportent que nos écorces, nos lins, et quelques autres produits agricoles et manufacturés en petit nombre ; or, avec ou sans le chemin de fer vous exporterez toujours ces produits dans la même proportion dans laquelle le besoin s’en fera sentir en pays étranger, ou dans la proportion dans laquelle vous pourrez les faire exporter eu égard aux prix et aux qualités des marchandises étrangères.

Ce n’est donc pas au chemin de fer que vous devrez l’exportation de ces produits.

Vous n’appréciez donc pas, me dira-t-on, le commerce de transit que nous attirerons par notre voie de communication avec l’Allemagne.

Le commerce de transit est considéré par toutes les nations commerciales comme un commerce accessoire à leur commerce actif et direct. Je ne pense pas qu’il puisse entrer dans le calcul d’aucune nation qui s’entend aux affaires commerciales, de faire des dépenses énormes pour fournir aux nations étrangères le moyen de faire écouler leurs produits. C’est ici seulement qu’une conception aussi extravagante a trouvé des partisans. Remarquez, messieurs, que le commerce de transit, chez les autres nations, se rattache à leur commerce maritime et au commerce des produits de leurs colonies.

Ces nations font transiter leurs produits coloniaux, importés d’abord en partie dans la mère-patrie, et destinés ultérieurement à la consommation étrangère. Il est vrai qu’elles s’emparent, tant qu’elles peuvent, du transit étranger ; mais c’est toujours par les mêmes voies de communication déjà établies, et sans entrer dans des dépenses énormes pour en construire de nouvelles.

Ces simples réflexions effacent, en grande partie, le superbe tableau du commerce de transit, considéré en général, que vous a tracé hier l’honorable député d’Ostende. Comparez, en effet, les avantages que, par leurs voies de communication usuelles, les autres nations recueillent de leur commerce de transit avec les nôtres, et vous serez frappés de l’énorme différence que présente cette comparaison. Attendu que nous n’avons ni colonies, ni marine marchande, il est évident que le commerce de transit serait pour nous, non un commerce accessoire additionnel à un commerce actif et direct, mais un commerce principal, établi aux dépens mêmes de notre propre commerce actif et direct, c’est-à-dire aux dépens de l’exportation de nos propres produits.

C’est à vous, messieurs, à voir si les dépenses que vous ferez seront compensées par le produit de ce commerce, et si ce produit vous indemnisera des entraves que le travail apportera à l’écoulement de vos propres produits. Quant à moi, j’ai la conviction que ces dépenses excéderont de beaucoup les avantages que nous en recueillerons, et c’est pour l’étranger seul que nous ferions des sacrifices.

Je ne pense pas avoir à répondre à l’objection tirée des avantages qui résulteraient de la rapidité et de l’économie de la communication entre nos ports et les frontières de Prusse.

Puisque nous ne ferons que transiter, en grande partie, les produits étrangers, cette rapidité et cette économie ne pourront être avantageuses qu’au commerce et à l’industrie étrangers. L’honorable député de Verviers a donc raisonné en pure perte, lorsqu’il nous a vanté cette rapidité et cette économie, attendu que ces avantages doivent rester en grande partie pour l’étranger et non pour notre propre commerce.

Il est des membres qui pensent que le chemin de fer construit de Liverpool à Manchester a été établi pour rendre les communications plus rapides entre ces deux villes ; ce n’est pas là, messieurs, la raison principale.

L’immense mouvement commercial qui existait entre Liverpool et Manchester, c’est-à-dire de Liverpool pour transporter à Manchester les matières premières nécessaires à la consommation de ses manufactures, et de Manchester à Liverpool pour réexporter les objets manufacturés ; cet immense mouvement commercial exigeait, dis-je, des moyens de transport économiques. Le canal qui liait ces deux villes, appartenait à une compagnie. Les propriétaires n’ont pas voulu réduire le droit de péage, et c’est dans l’intérêt des manufactures de Manchester qu’on a établi la route en fer, pour faire passer de l’une à l’autre ville et les matières premières et les produits manufacturés. Remarquez de plus que cette route n’a point été faite pour faire transiter les produits d’une industrie étrangère, ni pour ouvrir des communications à un commerce étranger ; mais pour créer des avantages à une industrie et à un commerce propres.

Il n’y a donc nulle assimilation possible entre la route en fer de Manchester à Liverpool et celle qu’on veut construire chez nous en faveur du commerce et de l’industrie étrangers, alors surtout que nous devrions leur faire des sacrifices de tout genre.

Si le ministère actuel avait adopté un système commercial tout autre que celui qu’il suit actuellement, j’aurais peut-être pu hésiter dans mon opinion contre l’établissement d’une route en fer ; mais quel peut-être notre avenir avec une législation commerciale telle que la nôtre et telle que le gouvernement a l’intention de maintenir ?

Dans une autre séance, le ministre de l’intérieur a exprimé son étonnement de ce que j’avais traité son système commercial de romantique. Il a dit que le ministère ne s’était jamais expliqué à cet égard ; que jamais aucune déclaration n’avait été faite dans le sein de cette chambre relativement à un système commercial quelconque.

J’ai été obligé de m’absenter, et je n’ai pu lui répondre. Afin de dissiper son étonnement, je lui dirai que, pour former mon opinion sur son système, je n’ai pas besoin d’une déclaration du ministère ; j’interroge seulement les faits. Quels sont ces faits ? Comment le ministère a-t-il répondu à toutes les réclamations adressées tant à la chambre qu’au gouvernement, contre le système actuel de commerce que nous suivons, contre notre tarif de douanes ? Qu’a fait le ministère ? Quelles sont les modifications que de sa propre impulsion il a apportées à notre législation commerciale ? S’il a été apporté quelque changement aux tarifs, c’est par l’intervention de quelques membres de la chambre qui, par une espèce de violence parlementaire, en usant de leur droit d’initiative, ont présenté à la chambre, par pièces et par lambeaux, quelques propositions pour modifier les parties les plus urgentes de notre système douanier.

Je le demande, que peut-on attendre du gouvernement aussi longtemps qu’il suivra le système commercial adopté jusqu’à présent ? Vous avez jeté dernièrement aux constructeurs de navires, aux armateurs, quelques milliers de francs dans votre budget de l’intérieur, afin de les encourager à en construire ; mais lorsque ces navires seraient construits, trouveraient-ils de l’emploi ? ces armateurs se détermineront-ils d’ailleurs à en construire lorsqu’ils savent d’avance qu’ils ne trouveront pas d’emploi pour leurs bâtiments ?

Qu’a fait le ministre pour arrêter l’émigration de nos armateurs en Hollande, où ils ont transporté leurs capitaux et leurs bâtiments marchands, où des faveurs leur sont offertes, où des bénéfices certains leur sont assurés ? il n’a fait absolument rien. Ils sont abandonnés à leur propre sort, et on ne leur donne pas même le moyen de fournir nos marchés de denrées coloniales nécessaires à notre propre consommation. Le commerce maritime étranger approvisionne presque exclusivement la Belgique.

Le commerce étranger paie seulement 10 p. c. de plus sur les importations par navires nationaux. La législation commerciale des autres nations maritimes protège plus efficacement leurs intérêts de leur navigation.

S’il n’est porté remède à cet état de choses, il occasionnera la ruine des faibles débris de marine marchande qui nous restent encore ; cette ruine entraînera dans sa chute une grande partie de notre industrie.

Les étrangers qui placent, à notre détriment, sur nos marchés les produits de leur industrie sont loin d’entrer dans une juste réciprocité. Tous leurs efforts tendent à nous exclure chez eux, à protéger leur navigation nationale et à lui donner la préférence pour l’importation de marchandises brutes et fabriquées nécessaires à leur consommation intérieure.

La France, à quelques exceptions près, fait payer à nos navires un droit qui s’élève par tonneau à fr. 3-75 ; puis un droit de permis, d’acquis, etc., par dito, fr. 1-10 ; en outre, pour droit d’expédition, fr. 18 à 36 par bâtiment, droit progressif calculé sur la capacité des navires.

Cette nation repousse, en outre, quantité d’articles, tels qu’armes, coutellerie, fer forgé et ouvré, genièvres, fils de coton et de laine, verreries, tulles, voitures, cartes à jouer, chicorée moulue, etc. Quand elle admet d’autres marchandises, elle leur impose des droits beaucoup plus élevés lorsqu’elles sont importées par navires étrangers. Les importations par navires français se consomment presque exclusivement en France. Le café de l’Inde importé par navires français ne paie que fr. 60-00 pour cent kilogrammes, tandis que, par navires étrangers ou par terre, il est soumis à un droit de fr. 107-0.

En Angleterre, on peut porter la différence de protection navale, comparée à la nôtre, à 20 p. c.

La Hollande nous traite encore plus mal ; elle repousse l’entrée directe chez elle à toutes nos marchandises, tandis que actuellement elle mine notre commerce et nos ressources par les moyens que nous lui offrons, c’est-à-dire par les facilités que lui donne notre système douanier et par la faiblesse du pouvoir exécutif. Elle fait affluer à Bath une masse de marchandises coloniales et les produits de la pêche. De là ses marchandises s’introduisent à Anvers par petits bâtiments belges, lesquels, sous pavillon blanc ou sans papillon (faisant ainsi honteusement abnégation de nationalité), n’éprouvent aucun scrupule à les importer aux mêmes avantages que si elles provenaient de notre propre commerce d’outre-mer. Le poisson hollandais arrive également à Anvers sans droit, conséquemment au détriment de la pêche nationale et en dépit de nos lois.

Des pêcheurs factices d’Anvers s’entendent avec des pêcheurs hollandais, et ils sont assez éhontés pour déclarer le poisson qu’ils leur achètent comme le produit de leur propre pèche.

La masse des importations hollandaises est tellement importante, qu’elle excite l’étonnement même des étrangers. Ils ne conçoivent pas que la négligence du gouvernement soit portée à ce point de laisser ainsi dépérir notre marine marchande et notre commerce. Un tableau statistique publié récemment à Anvers prouve l’exactitude de ces assertions.

Les importations hollandaises en café, sucre, coton, grains, etc., en 1833, sans compter celles qui ont eu lieu à Ostende et à Bruges, se sont élevées à 8,171,921 kilogrammes. Ce pays qui ne veut rien recevoir de nous, qui nous a rendu impossible tout commerce avec ses colonies, est parvenu, par l’inconcevable négligence du gouvernement, par la coupable connivence du ministère, a introduire chez nous ses denrées coloniales sans payer un cents de plus que nos propres armateurs, et comme elles étaient importées par nos propres navires, et même à introduire chez nous les produits de sa pêche sans payer aucun droit, Cet état de choses est intolérable. Si nous voulons conserver les débris de notre marine marchande, il faut prendre des mesures promptes. Il y a péril en la demeure.

Est-ce du ministère qu’il faudra attendre ces mesures ? je ne le pense pas. L’arrière-pensée du ministère est le système de liberté commerciale, et si des modifications doivent être apportées à un état de choses qui ruine notre commerce et notre industrie, il faudra que des membres de cette chambre, usant de leur droit d’initiative, proposent encore eux-mêmes des mesures propres à arrêter cette ruine.

Il est urgent, messieurs, que nous nous mettions dans une position plus conforme aux systèmes commerciaux des nations qui nous environnent. Quand elles modifieront leur système, nous modifierons le nôtre. Nous n’avons à craindre ni entraves, ni représailles. Il serait difficile d’augmenter celles que notre commerce et notre industrie éprouvent à l’étranger. Hâtons-nous donc de nous mettre sur la ligne commerciale des autres nations. C’est le seul moyen de provoquer de leur part des concessions, si elles sont disposées à nous en accorder. La réciprocité a toujours été et sera toujours le commencement, le moyen et la fin de toute transaction commerciale, comme elle est le seul fondement de toutes les transactions sociales les plus minimes. Le pays qui sait maintenir le principe de la réciprocité finira par triompher, ou par faire reconnaître ses droits de réciprocité par l’étranger, tandis que celui qui ne veut ou ne sait pas faire reconnaître ce droit sacré, se laissera dépouiller de tous ses avantages, et amènera le dépérissement de son commerce et de son industrie.

J’ai dit ; et j’en ai dit assez pour faire connaître les motifs sur lesquels repose mon opposition contre la construction du chemin en fer. Si les arguments que j’ai produits contre cette construction ne sont pas détruits par des arguments plus puissants, je voterai contre le projet de loi.

M. Bekaert. - Messieurs, je n’entrerai point dans de longs développements pour prouver combien serait précieuse à la Belgique une communication directe et facile entre notre pays et l’Allemagne qui, en ouvrant de nouveaux débouchés à l’écoulement de nos produits, imprimerait un nouvel essor au commerce et à l’industrie. Les bienfaits qui en découleraient ont été suffisamment démontrés par toutes les chambres de commerce que le gouvernement a consultées sur cette importante question. L’opinion de ces hommes compétents qui, aux connaissances spéciales des besoins commerciaux de leur localité, joignent les notions générales qu’une longue expérience pratique leur a acquises ; leur assentiment unanime, simultanément donné de tous les points du royaume, sera pour nous tous une autorité, sinon décisive, au moins d’un grand poids dans la discussion qui nous occupe. Le système des chemins en fer, que l’on peut regarder, sous le rapport commercial, comme une des plus utiles inventions qui ont illustré le dernier siècle, a déjà produit chez des peuples rivaux d’immenses résultats en faveur de l’activité industrielle.

En effet, ce nouveau mode de voyage et de transport, en donnant aux exigences commerciales toutes les garanties qu’elles réclament, réunit d’inappréciables avantages sur le mode établi. En présence de nos voies de communication existantes, le commerce se trouve entravé ou forcément suspendu, pendant une grande partie de l’année. Les expéditions ne sauraient se faire en hiver qu’avec incertitude et danger. Par eau, elles sont sujettes à être surprises par la gelée. Celles par terre sont souvent arrêtées par la fermeture des barrières ; et ces arrêts imprévus, détériorant presque toujours la marchandise, et retardant l’arrivage de celles dont la livraison doit se faire à une époque limitée, sont très nuisibles au commerce.

De semblables contrariétés ne sont point à craindre avec le chemin en fer. La circulation sera toujours libre et sûre. Les expéditions pouvant se faire, sans inquiétude, en toute saison, il sera permis au spéculateur de profiter de toutes les occasions, qui lui paraîtront favorables, pour se livrer à d’industrieuses opérations. Si, à ces incontestables avantages, nous ajoutons ceux, plus précieux encore, d’expédier avec une étonnante économie de temps et de frais, il est évident que cette vaste communication sera, à la fois, un puissant élément de richesse nationale et de prospérité industrielle.

Ainsi, notre commerce d’exportation disposera de tous les moyens qui, en dehors de l’intelligence et de l’industrie, puissent contribuer au succès de la concurrence, qu’il aura à soutenir en Allemagne, avec celui des nations rivales.

A l’intérieur, cette grande voie vivifiera, en les transversant, certaines contrées, qui maintenant soit à défaut de routes, soit que celles qui existent soient impraticables en hiver, demeurent pendant toute une saison, pour ainsi dire, isolées entre elles. Une communication facile y fera naître des relations plus intimes et plus suivies. Il en résultera dans l’intérêt respectif des consommateurs et des propriétaires que les marchés y seront, en tout temps, abondamment approvisionnées, et que la valeur des terres y augmentera en raison des nouveaux moyens acquis à l’agriculture pour la vente de ses produits.

Au moyen du chemin de fer, les produits territoriaux ou industries de différentes provinces se trouveront en présence sur plusieurs marchés du royaume, où les voies actuelles de transport ne leur ont point permis d’arriver simultanément. Et ce conflit d’intérêt, en stimulant à la fois l’industrie productive et l’intelligence commerciale, aura des résultats au profit de la généralité.

Cette vaste entreprise si efficacement favorable au commerce d’exportation, si précieuse dans l’intérêt des communications à l’intérieur, ne bornera pas là ses bienfaits. En offrant une voie constamment sûre, prompte et à bas prix, aboutissant à nos deux ports de mer, elle acquerra à la Belgique, au moins pour les marchandises expédiées d’Angleterre pour certaines contrées du Nord, le transit dont la Hollande est en possession ; mais pour donner à la nouvelle route l’importance dont elle est susceptible, il est indispensable d’en accélérer la construction, non seulement pour ne point être devancés par nos anciens frères, les Bataves, qui alors conserveraient peut-être les avantages matériels qu’il est maintenant en notre pouvoir de leur enlever, mais aussi pour nous trouver en mesure de coordonner notre route avec celle que la Prusse se propose de construire.

Leur liaison qui établirait ainsi une communication non-interrompue de notre frontière occidentale jusqu’au cœur de l’Allemagne, serait aussi favorable au commerce d’échanges qu’à celui du transit, et certes ce n’est point pousser trop loin les prévisions ; chacun sait que c’est vers la confédération germanique que nous devrons tourner nos regards, si les négociations que nous allons entamer avec la France n’obtiennent point un résultat qui réponde à nos besoins et à nos vœux.

Je pense donc, messieurs, qu’il ne saurait exister aucun doute sur l’utilité du chemin en fer ; que notre conviction est unanime à cet égard, et s’il était vrai que des intérêts de localité dussent en éprouver quelque légère atteinte, rappelons-nous que, représentants de la nation, il nous incombe de ne voir que le bien-être général et la prospérité du pays.

J’applaudis au projet de la section centrale, de donner à la route deux embranchements à partir de Malines, qui en serait le point principal : l’un se dirigeant au nord sur Anvers, l’autre à l’ouest sur Ostende, par Gand et Bruges. En effet qui ne sent l’opportunité, je dirai même la nécessité d’étendre à la fois la communication à nos deux villes maritimes, qui ayant chacune ses arrivages et par suite ses réexpéditions à faire, offriront en marchandises et en voyageurs des sources puissamment contributives au succès de l’entreprise ?

D’ailleurs nous ne devons point perdre de vue que si, comme il en est question, la France se décide à construire un chemin de fer de Paris à Lille, il serait facile de joindre les deux routes au moyen d’une section additionnelle de Gand à Lille, distance très minime et dont le terrain, d’une nature toute spéciale, semble être prédestiné à l’établissement d’une semblable voie. Par suite de cette jonction, qui mettrait la France en rapport direct avec l’Allemagne, par la Belgique, notre chemin acquerrait une haute importance, non seulement sous le rapport du produit mais bien plus encore, parce que notre position intermédiaire nous constituerait infailliblement les entreposeurs et les commissionnaires pour les échanges qui par notre route s’opéreraient entre ces deux peuples.

J’insiste donc pour que les deux embranchements projetés soient simultanément mis à exécution ; car, j’ose le dire, une seule direction, laissant le système de grande communication incomplet, ne satisferait point aux besoins du commerce, et partant n’atteindrait point le but qu’on s’est propose.

Cependant si, contre toute attente, on inclinait à ne commencer que, par un seul embranchement, il en surgirait une importante question préalable, celle de savoir laquelle des deux villes, d’Anvers ou d’Ostende, on sacrifierait en faveur de l’autre ; car il ne faut point se le dissimuler, l’embranchement est pour chacune d’elles une question d’existence commerciale.

Anvers, dira-t-on, a pour elle sa nombreuse population, ses comptoirs d’assurance, et des relations sont établies dans plusieurs villes de l’Allemagne ; mais Ostende aussi possède de précieux éléments de prospérité locale, et, voisine des plus riches villes des Flandres, elle y trouverait des associés et des capitaux ; mais ce n’est point la question de localité, c’est celle d’intérêt général qui serait à résoudre et, sous ce rapport, Ostende a d’incontestables avantages sur son opulente rivale.

Le port d’Anvers est inaccessible pendant les fortes gelées, et la libre navigation de l’Escaut est sous la tutelle de notre ancien maître. Ostende au contraire, ayant un accès direct à la mer, hors de contact avec le domaine hollandais, conservera à toute époque de l’année, comme à tout événement politique, la libre communication au-dehors, que la jalousie de nos anciens frères enviera sans doute, mais à laquelle leur malveillance ne saurait apporter aucune entrave. Ainsi la route par Ostende serait préférable, parce qu’elle serait à la fois politique et commerciale.

Je passe au mode d’exécution, et c’est, me semble-t-il, le point le plus susceptible de rencontrer une divergence d’opinion dans cette enceinte.

Pour établir ma conviction, je me fais cette question bien naturelle et bien simple : Quel est le mode qui offre à la fois le plus d’avantages et le plus de garanties aux exigences commerciales ? Et je n’hésite point à me prononcer en faveur de l’exécution par économie.

Cette grande entreprise étant conçue dans le bien-être public, l’avenir de nos industries lui étant en partie subordonné, il serait par trop imprudent de l’abandonner à la merci de l’intérêt privé. Destinée à compter parmi les principaux éléments de la prospérité nationale, cette route ne saurait être soumise, sans danger, à d’autre influence qu’à celle du gouvernement.

Elle doit demeurer l’inaliénable propriété de l’Etat, non seulement afin de la faire fructifier au profit de la généralité, mais encore parce que les bienfaits que la nation a droit d’en attendre ne saurait se réaliser qu’au moyen de tarifs sagement combinés, et qui puissent, à toute époque, être modifiés suivant les circonstances et les besoins du commerce.

La concession, soit à perpétuité, soit même temporaire, par cela seul qu’elle lierait l’avenir, entraînerait, quant aux questions vitales les plus graves inconvénients. Elle porterait obstacle au développement du commerce. Elle froisserait à la fois tous nos intérêts matériels. Ainsi, le but ne serait pas atteint. Le chemin en fer ne remplirait pas ses destinées. Il importe donc impérieusement de rejeter le principe, afin de n’en point subir les funestes conséquences. Ne nous laissons point séduire par des propositions qui, favorables en apparence, ne seraient en effet que nuisibles au bien public.

Songeons bien que lorsque le mal se ferait sentir, il ne serait plus temps d’y remédier, qu’une fois engagés dans la voie de la concession, il nous serait impossible de revenir sur nos pas ; car ne nous y trompons point, quelles que fussent les réserves ou conditions que la prudence nous porterait à stipuler en faveur de la modification que devrait subir le péage dans tel ou tel cas donné, j’ose le dire, toutes nos prévisions seront mises en défaut, d’interminables contestations s’élèveront sans cesse et la réduction ne s’obtiendra pas.

Cependant, je vous le demande, messieurs, tandis que l’action du gouvernement serait ainsi paralysée, le commerce, ayant à se plaindre, vers qui élèvera-t-il la voix, lorsque par le fait de la concession, la représentation nationale aura abdiqué le pouvoir de le protéger ? Il est donc évident que le tarif par concession aurait le défaut d’être permanent, invariable, et l’on conçoit qu’il aurait aussi celui d’être plus élevé que le tarif du gouvernement qui, n’en faisant point un objet de spéculation, n’aurait en vue que le bien-être général. L’expérience n’a que trop démontré que les spéculateurs ne convoitent la concession que lorsqu’elle présente l’appât du bénéfice. Le bénéfice est la seule amorce qui les attire ; c’est l’unique but qu’ils se proposent. Or, leurs intérêts étant ici en opposition avec celui du commerce, il s’ensuit, que leur cupidité ne saurait être satisfaite qu’aux dépens du bien public.

Mais dira-t-on, les travaux par entreprise s’exécutent toujours avec plus d’ordre et surtout avec plus d’économie que ceux pour compte du gouvernement. Je ne partage point cette opinion que les spéculateurs ont intérêt à répandre et à soutenir. Eh ! messieurs j’en appelle à votre bonne foi, l’intelligence et la probité sont-elles exclusivement un service de l’entreprise ? Nous avons des ingénieurs qui nous inspirent une entière confiance, chacun se plaît à rendre hommage à leur dévouement, à leur zèle, à leurs connaissances que l’on peut envisager comme spéciales dans l’espèce ; ces hommes soigneront-ils les intérêts du pays moins bien qu’ils ne soigneraient ceux d’un spéculateur ? Leur talent s’éclipsera-t-il comme par enchantement lorsqu’il s’agira de l’utiliser au profit de l’Etat ?

Non, messieurs, un semblable phénomène ne saurait avoir lieu. La construction du chemin en fer, sera pour eux une affaire d’honneur, ils y consacreront tout leur temps, toute leur sollicitude, et, j’ose le dire, avec de pareils éléments le succès ne saurait être douteux ; mais j’admets un instant, contre ma conviction, que l’entrepreneur puisse en effet exécuter à moins de frais ; eh bien ! cela prouverait seulement qu’il dispose du moyen de faire un bénéfice plus grand que celui qu’on croit lui accorder ; mais pourquoi vanter cette science de l’entrepreneur, si elle ne profite qu’à lui-même ? n’est-il pas avéré que jamais le commerce n’a eu de part à cet excédant de bénéfice, puisque jamais le concessionnaire n’a baissé le taux de son tarif.

J’aurai l’honneur de vous citer quelques exemples pris dans le mémoire de MM. Simons et de Ridder, qui ne laisseront aucun doute à cet égard.

Je lis page 97, qu’en France, près de notre frontière, des travaux dont la dépense totale ne devait point s’élever à 300,000 fr. ne furent pris en concession, malgré la valeur bien connue des péages, que sur une base qui, en moins de six années, produisit au concessionnaire un bénéfice d’environ 1,500,000 fr. J’y vois encore que dans le même pays, l’entreprise d’un chemin en fer, obtenue en adjudication publique, et après enquête préalable pour un péage basé sur une dépense de 10 millions, fut immédiatement après l’obtention de la concession, déclarée aux actionnaires par l’entrepreneur auteur du projet, n’exiger réellement que 4,160,000 fr., et en conséquence leur devoir rapporter un intérêt de 20 p. c. Certes, je dois l’avouer, il y a là de la part des spéculateurs un remarquable succès, cependant les péages consentis par le contrat ont été partout maintenus.

En Angleterre comme en France, les entrepreneurs ont eu le merveilleux talent de savoir calculer, et celui plus merveilleux encore de savoir réussir. Il y a des canaux dont les actions primitives de 100 liv. sterl. se vendent publiquement jusqu’à 2,300 liv. sterl. Voilà des faits : ils sont plus forts, plus concluants que tous les arguments que l’on pourrait faire valoir contre la concession. Eh qu’on ne vienne donc point s’étayer de l’exemple de la France et de l’Angleterre, pour plaider en faveur d’un système que l’intérêt bien entendu du pays nous fait un devoir de répudier. Représentants de la nation, il nous incombe du flétrir les abus et non de les imiter.

Mais par exception à la règle générale, les entrepreneurs en Belgique seraient-ils plus modérés, et partant se contenteraient-ils d’un bénéfice moins élevé ? Je laisse aux faits le soin de répondre. J’ai sous les yeux une soumission en concession perpétuité, pour l’établissement d’une route en fer, d’Anvers à Bruxelles. MM. les concessionnaires auront le monopole du transport dans toute l’étendue de la concession, et prélèveront par tonneau un péage de 8 fr. 50 c., que pour certaines marchandises, ils seraient autorisés à étendre progressivement jusqu’à 16 fr. Et veuillez-le remarquer, messieurs, d’après le projet des ingénieurs du gouvernement, on ne payerait pour toute espèce de marchandise que 2 fr. 75 c.

Chacun de nous se rappelle aussi à quelles conditions l’ancien gouvernement parvint à obtenir le rachat de la concession du canal de Pommerœul à Antoing. Il dut payer au concessionnaire l’énorme bénéfice d’un million de florins et rembourser les avances, qui furent évaluées à 2,300,000 florins, et il eut encore à s’applaudir du sacrifice, le marché était favorable. Le taux du péage fut réduit de moitié en faveur du commerce, et le produit suffit encore au service des intérêts. Voilà des faits que je livre sans commentaire à votre méditation ; je dirai seulement qu’il importe, dans l’intérêt public, de mettre à profit les leçons d’une expérience qui a coûté si cher au pays.

Mais disent les défenseurs de l’entreprise, si vous ne voulez point d’une concession à perpétuité vous pouvez accorder une concession temporaire ; elle sera sous tous les rapports avantageuse au pays. Vous établirez vos conditions de manière à garantir les intérêts communaux. L’Etat n’aura point de levée de fonds à faire et à l’expiration du contrat, il entrera en possession d’une propriété productive qui ne lui aura rien coûtée ; mais messieurs, cet argument spécieux ne saurait éblouir qu’un instant ; il tombe à la première réflexion. Je le demande à tout homme sensé et de bonne foi, le spéculateur n’aura-t-il pas aussi une mise de fonds à faire, et des intérêts à payer ? Incontestablement oui ; n’étant mu que par l’intérêt, fera-t-il l’entreprise pour ne rien gagner ? Evidemment non.

Eh bien, dépenses, intérêts, bénéfice, tout sera donc soigneusement calculé, et certes sur une échelle de large proportion, et toute cette somme devant nécessairement être couverte avant la fin de la concession, il est évident que le taux du tarif sera calculé sur la durée du contrat. Si le terme en est rapproché, le péage sera tel que le chemin en fer ne sera plus un bienfait. Un terme éloigné fera naître les plus vives inquiétudes, par la raison, que pendant ce long avenir, le commerce sera sans garantie contre les éventualités, puisqu’il n’aura point le gouvernement pour appui.

La concession temporaire, nous devons la rejeter, parce qu’ainsi que la concession à perpétuité, devant comprimer l’élan de l’industrie, elle serait loin de répondre à l’idée si généreuse, si libérale qui a présidé à la conception de la route en fer. L’exécution par économie, au contraire, inspirera une entière confiance. Les exigences commerciales seront complètement satisfaites, et sous le rapport de la protection qui leur est acquise et sous celui du péage qui sera mobile et modéré.

Or, tandis que le spéculateur serait tenu à des dépenses extraordinaires, de visite, de surveillance ou autres, tandis qu’il voudrait encore en recueillir un bénéfice en raison de l’importance de son entreprise, le gouvernement emploiera les ingénieurs qui sont à son service ; il ne lui faudra donc, à la rigueur, qu’un revenu pour servir annuellement les intérêts et former un minime fonds de réserve destiné à amortir insensiblement le capital. Tout est donc en faveur de l’exécution par l’Etat.

Je conçois que si le pays était réduit et sans ressource, il faudrait se résigner à subir le joug de la concession ; mais lorsque notre crédit public est immuablement consolidé, lorsque notre situation financière est peut-être la plus prospère de l’Europe, je le dis, avec le sentiment de l’orgueil national, nous trouverons des fonds à des conditions moins onéreuses que celles qui nous seraient imposées par les entrepreneurs.

Cependant, il est un terme moyen qui probablement ralliera les deux opinions, puisque d’un côté il offre une part assez large à la spéculation, et que de l’autre il ne préjudicierait en rien les intérêts du commerce : ce serait de mettre en adjudication publique la construction de la route par sections. En réduisant ainsi, par la division des lots, l’entreprise à la portée d’une active concurrence, on obtiendrait des conditions plus favorables, et les travaux s’exécuteront avec plus de promptitude ; mais je le répète, point de concession : il importe que le gouvernement conserve sur cette vaste voie de communication une entière liberté d’influence et d’action, afin de la rendre plus productive dans l’intérêt général ; il doit être en son pouvoir d’opérer, en temps opportun, de sages modifications au tarif, soit pour le tenir constamment en relation avec celui de nos rivaux, soit pour le baisser d’après les besoins industriels.

Je vais plus loin, je dis que le cas peut échoir où il serait utile d’accorder, à titre de prime d’encouragement, l’exemption momentanée de péage à quelques-uns de nos produits, pour en favoriser l’écoulement à l’étranger.

Il y a donc évidemment ici deux questions distinctes, quoique intimement connexes entre elles ; deux intérêts qui réclament impérieusement que la construction se fasse pour compte de l’Etat : l’un, qui se rattache à la mobilité du péage ; l’autre qui se lie à la prospérité industrielle. Eh bien ! messieurs, il en est un troisième celui de faire fructifier, au profit du pays, le bénéfice qui eût été dévolu au concessionnaire,

En effet, malgré l’établissement d’un péage qui par sa modération satisfasse à tous les vœux (condition première et indispensable), il est permis de croire que le produit sera immense, mais en supposant très modestement qu’il ne doive s’élever qu’à 10 p. c., il s’ensuit qu’après avoir servi les intérêts, fussent-ils même à 5 p. c., et fait un fonds d’amortissement de 2 p. c., il resterait 3 p. c. sur lesquels on prélèverait les frais d’entretien. L’excédant, qui monterait encore à une somme considérable, serait appliqué soit à la construction de nouveaux embranchements à l’extérieur, soit à d’autres travaux d’utilité publique.

Ce serait donc, à mon avis, commettre une faute grave, une faute irréparable, ce serait méconnaître les intérêts du pays, en abandonnant à la cupidité de quelques spéculateurs, étrangers peut-être, cette grande entreprise à laquelle se rattache un souvenir si précieux et qui par son importance fera époque dans les annales de notre nationalité et de notre indépendance.

Maintenant, convaincu, comme je le suis, de l’utilité de la route en fer et de l’indispensable nécessité de la construire aux frais de l’Etat, il me resterait deux importantes questions à examiner. L’une concernant la levée des fonds, l’autre relative au péage ; mais ces question ne sauraient être résolues pour le moment avec une entière connaissance de cause.

Le chiffre réel de la dépense ne sera connu qu’après l’exécution des travaux, et il faut au moins l’expérience d’une année pour avoir des notions certaines sur le produit des péages. Dans l’absence de ces données positives, n’ayant pour guides que des évaluations qui sont toujours plus ou moins inexactes et contestées, puisqu’elles ne sauraient être basées que sur des probabilités, je crois que ce que nous avons de mieux à faire pour ne rien donner au hasard, c’est de léguer au gouvernement le pouvoir de procéder immédiatement à l’exécution, en prenant toutes les dispositions que la prudence et la circonspection pourront lui suggérer dans l’intérêt du pays, sauf à provoquer ensuite de la législature une loi pour régulariser les opérations et établir définitivement les dispositions que comporte la nature de l’entreprise.

Je voterai pour la route en fer sans concession.

M. Desmet. - Messieurs, je ne traiterai point la question des concessions, je ne risquerai donc pas d’encourir le reproche de parler d’une matière que je ne connais pas ; je vais, messieurs, vous entretenir, sinon de ce que je crois bien comprendre, du moins de ce dont j’ai une intime conviction.

Et quoique je parlerai et voterai contre un projet qu’on a appelé hier patriotique, je ne crains point de perdre mon patriotisme ni de renier mes principes révolutionnaires. D’ailleurs, je ne vois pas grand patriotisme de faire contribuer tout le pays pour l’exécution d’un ouvrage qui ne se fait qu’au profit de quelques localités, et j’en vois encore moins de faire payer des provinces pour l’ouverture d’une nouvelle voie commerciale qui ne peut porter que de grands dommages à leur commerce et à leur industrie et qui ne sera réellement qu’au profit de nos généreux amis les Anglais, et de nos bons voisins les Hollandais.

Mais si je ne parle point des concessions, l’honorable député de Verviers ne pourra pas trouver mauvais que je lui copie un passage d’un livre qu’il a cité, « Considérations sur les chemins de fer, » par M. Cordier, et il ne pourra pas récuser une page de ce livre qui se trouve à côté d’une autre dont il a fait usage dans son discours.

C’est à la page LXXII que l’ingénieur français s’exprime ainsi sur la matière des concessions :

« Si on eût confié à des associations le perfectionnement des ports et de la navigation des fleuves et des grandes rivières, la France aurait déjà 200 bâtiments à vapeur faisant le service des ports et des grandes villes intérieures, 1° par tous les moyens d’opérer à moitié frais, rapidement et sûrement l’expédition d’Alger. On voit ainsi que, par un enchaînement de causes et d’efforts, toute erreur administrative entraîne de pertes incalculables... Encourager les associations, leur confier l’exécution des chemin de fer, des canaux, etc., est une condition pour ainsi dire d’existence dans ce moment où les Etat voisins acquièrent une si grande puissance, par les moyens refusés en France et adopté en Angleterre et aux Etats-Unis… »

Je dois encore le dire, ce passage se trouve sur la même page l’honorable membre a puisé hier des arguments.

A la page 2 du rapport de la section centrale, on trouve ce passage-ci :

« Malgré l’opinion généralement favorable sortie de l’enquête publique à laquelle ce projet avait été soumis par les soins du gouvernement. »

Je demanderai à M. le rapporteur de quelle enquête il veut parler, car je nie que le gouvernement ait jamais fait une enquête publique, qu’il l’ait faite en règle et de la manière qu’exigeait une si importante affaire.

Si par-ci par-là on a demandé un avis à quelque régence de ville, on a tellement posé les questions qu’on ne pouvait traiter la matière au fond, et que très souvent elles ne concernaient que le tracé du chemin ; vous sentez ce que pouvaient répondre les administrations auxquelles on faisait voir que le chemin aurait traversé leur localité, et aurait été fait aux frais de l’Etat ; pouvaient-elles contrarier de tels projets ?

Mais, je le dis, cette enquête n’a pas été générale, elle s’est bornée à quelques localités d’où on était assuré d’avoir une réponse dans le sens qu’on le désirait.

Et encore de l’enquête partielle qui a été faite, le rapport de la section centrale ne nous communique pas une ligne de ce qu’elle a produit, et cependant les chambres de commerce de Louvain et de Charleroy ont fait des observations très fondées et auxquelles je défie les ingénieurs de répliquer.

Mais si l’on avait fait une enquête générale et régulière comme tout gouvernement sage et prévoyant aurait fait en telles circonstances, alors la chambre aurait pu suffisamment s’instruire et ouvrir en connaissance de cause ses délibérations sur cet important objet.

Mais le gouvernement avait peur d’une telle enquête, et voulant faire passer son fameux et gigantesque projet sans que la chambre puisse avoir les renseignements nécessaires ; il craignait qu’on nous aurait fait entendre que la question des chemins de fer est encore loin d’être résolue, et qu’à part quelques enthousiastes et des intéressés à l’exécution, les chemins en fer, comme grande voie commerciale, sont jugés sévèrement, et leur utilité nullement reconnue ; qu’il serait donc par trop absurde de jeter tant de millions pour un objet incertain ;

Qu’on aurait démontré que dans un pays comme la Belgique, le système des canaux est de beaucoup préférable aux chemins en fer ;

Qu’on aurait demandé au gouvernement, si, dans un moment où déjà il a dû faire quantité d’emprunts pour subvenir aux besoins des frais de la guerre, il serait prudent d’augmenter si considérablement la dette publique, et surtout dans un moment que vous devez douter si la guerre n’est pas prochaine ;

Qu’on aurait objecté que le gouvernement qui sait mettre à la charge des contribuables, des entreprises de localités, se montre injuste et imprévoyant ; qu’il agit avec iniquité à l’égard des localités qu’il veut faire contribuer dans les dépenses d’un travail qui doit déplacer son commerce et faire préjudice à ses populations ;

Qu’on aurait objecté que si le nouveau chemin doit enrichir quelques villes, s’il doit rendre des intérêts élevés des fonds dépensés, il faut laisser à ces villes riches, qui le réclament avec tant d’instances, et aux capitalistes confiants, la liberté entière de l’exécuter à leurs frais et périls ;

Qu’on aurait objecté, qui$ a assuré le gouvernement que la Prusse liée d’affection, de parenté, d’intérêt et de politique avec la Hollande, ne vous imposera pas sur votre chemin de fer des droits très élevés comme Guillaume à l’entrée de l’Escaut, et de la manière que nous venons d’être traités par elle dans l’affaire du Luxembourg, nous ne pouvons y compter ; qu’au contraire il y a lieu de beaucoup craindre, qu’on aurait dit qu’au lieu d’ouvrir isolément des relations avec l’Allemagne, des affections et des intérêts réciproques et communs devraient déterminer la France et la Belgique à ouvrir une communication par la Meuse, la Moselle, jusqu’au Rhin ; qu’on aurait aussi objecté que les Belges ne sont pas assez ignorants de leurs intérêts pour jeter tant de millions pour ouvrir une voie commerciale uniquement vers l’Allemagne où nos productions agricoles et manufacturières ne sauraient entrer, vu que les toiles, les fers, les houilles, les grains, les bestiaux de Belgique ne peuvent être livrés à des contrées qui les ont en abondance et à meilleur marché que nous ; que le commerce maritime seul y trouvera son profit, ainsi que les négociants étrangers qui débarquent leurs cargaisons dans le port, sans sortir de deux Etats, qu’alors la Belgique deviendrait plus sûrement le grand entrepôt de l’Allemagne, de la Suisse et de l’est de la France.

Mais que les contribuables belges n’avaient certainement pas envie de verser tant de millions pour servir les Anglais et surtout les Hollandais, et leur ouvrir une voie de commerce vers l’Allemagne.

Et les Flamands diront surtout qu’ils ne veulent payer des contributions pour une route qui donnerait seule à l’idée exprimée par le ministre de la justice, d’adhérer au système des douanes prussiennes et de séparer entièrement nos intérêts de ceux de la France ; qu’ils ont trop de bon sens pour se laisser conduire ainsi par ceux, comme on l’a dit hier, qui avaient entre leurs mains les destinées du pays.

Voila, entre beaucoup d’autres les objections que l’enquête aurait produites, mais le gouvernement était certain qu’on les lui aurait faites, et c’est le motif pourquoi il a eu soin de faire une enquête a sa façon.

Si la chambre donc veut agir comme la prudence et la prévoyance l’engagent à le faire, elle doit ordonner cette enquête ; et si elle ne le fait pas, elle assume sur elle toute la responsabilité de la masse de millions qui vont être jetés.

Si jamais une occasion s’est présentée pour provoquer une enquête parlementaire, c’est bien certainement dans un moment qu’on doit voter les dépenses d’un ouvrage si monstrueux pour le pays, et qui vont enlever les voies et moyens de tout un budget, et quand on doit douter sur les conséquences fâcheuses que l’exécution du projet pourra produire…

En effet, je ne puis m’expliquer la légèreté avec laquelle nous allons procéder ; on crie partout au chemin de fer, et on ne veut avoir de renseignements pour connaître son résultat ; on ne s’informe point combien il coûtera pour son exécution, ni combien sera son produit ; deux ingénieurs jeunes au métier sont crus, quoiqu’ils soient souvent contredits et qu’ils ne répliquent jamais avec succès.

Cependant, celui qui a lu et médité les mémoires de ces ingénieurs en faveur de la route en fer aura probablement remarqué que ces messieurs pouvaient s’épargner une très grande partie de leur volumineux travail.

Il était en effet inutile de s’occuper des tracés et des plans, du mode d’exécution et de concession, des dépense et de l’emprunt, avant d’avoir établi par des documents recueillis de bonne foi les moyens de comparaison des chemins de fer aux canaux de grande navigation, dans une contrée où ces derniers peuvent s’exécuter sans exiger des ouvrages extraordinaires. Là était toute la question ! à côté de laquelle MM. Simons et Deridder ont adroitement glissé, c’est-à-dire dans leur premier mémoire, parce qu’ils savaient bien que des faits nombreux existent, qui sont peu favorables à la construction de leur chemin en fer ; mais que dans leur second mémoire, ils ont abordé tant soit peu, et n’ont pu le faire sans contredire ce qu’ils avaient écrit dans leur premier, et où ils ont été forcés de le reconnaître qu’en Belgique la voie par eau était préférable à celle en fer.

Contradiction remarquable ! qui fait voir quelle confiance nous pouvons mettre dans les écrits des ingénieurs-auteurs du chemin de fer.

Il est donc clair, il me semble, que la principale et première question qu’il faut traiter, est celle de savoir si en Belgique, où on peut facilement creuser des canaux, on ne doit pas les préférer pour voie de grande communication commerciale aux chemins en fer.

Et pour asseoir une opinion à cet égard, nous devons nécessairement consulter la vaste expérience de l’Angleterre, et on ne peut suivre d’autorité plus certaine que celle des ingénieurs de ce pays.

Tous ces ingénieurs soutiennent que, pour les grandes lignes de communication, dans les contrées où la construction des canaux est possible, on doit donner la préférence aux canaux, et que jamais les chemins à ornières ne peuvent soutenir la concurrence.

Quantité d’écrits sont sortis, en peu de temps, sur cette importante matière ; mais ils ont presque tous prouvé qu’il faut donner la préférence aux canaux ; pour le démontrer, ils ont pris pour exemple le fameux chemin de Liverpool à Manchester, qui est certainement le chemin de fer par excellence, mais qui porte avec lui la condamnation la moins douteuse des chemins en fer ; je vais avoir l’honneur de vous communiquer ce qu’ils ont écrit à cet égard.

La contrée qui s’étend de Manchester à Liverpool est unique dans le monde entier, par l’étendue de son commerce et l’activité de son industrie.

Elle possédait déjà plusieurs canaux, qui satisfaisaient à peine au transport des 500,000 tonnes de marchandises diverses qui se chargent annuellement entre ces deux villes et d’un million de tonnes de houille qui s’y consomme chaque année.

(Ces indications sont tirées du premier rapport fait au parlement anglais sur l’entreprise du chemin de Liverpool.)

Cette insuffisance des canaux et l’augmentation progressive des relations commerciales, donneront naissance à l’établissement d’un chemin de fer..

On ne craignait pas d’attribuer d’avance à ce nouveau chemin la totalité des transports du pays, ce qui aurait entraîné la ruiné des deux canaux en concurrence. Mais l’événement fut loin de répondre à cette prédiction, car les marchandises continueront à suivre la direction des canaux.

Il est notoire en effet, que le chemin de fer ne reçoit pas aujourd’hui plus de 200,000 tonnes de marchandises, dont 50,000 tonnes de houille provenant de Huyton et autres qui n’ont de débouché que par le chemin de fer ; et 150,000 tonnes formées de bestiaux et autres marchandises qui ne suivaient pas précédemment les voies navigables.

D’un autre côté toutes les entreprises de roulage et toutes les voitures publiques ont été renversées par la concurrence de ce nouveau chemin, et son influence a même élevé à 1070 par jour le nombre des voyageurs qui n’était que de 4 à 500 avant sa construction.

Il était donc fort heureux que ce prodigieux accroissement des voyageurs sur lequel on n’avait nullement compté d’abord, soit venu compenser le déficit des marchandises que l’on espérait enlever aux canaux.

De là vient que l’exploitation du chemin de fer présente un dividende annuel de 7 à 8 p. c. en laissant aux canaux en concurrence de celui-ci environ 20 et 24 p. c., qu’ils offraient précédemment.

Et ici je dois rectifier ce qu’a dit hier l’honorable député de Verviers sur le produit du chemin de fer de Liverpool à Manchester. Les données que je vais avoir l’honneur de vous fournir, je les ai prises dans les comptes rendus authentiques du chemin de Liverpool et des autres chemins de fer d’Angleterre. Voici ce qu’on y trouve :

En première ligne se présente celui de Manchester à Liverpool, dont les revenus s’élèvent de 7 à 8 p. c. par an, et qui doit sa prospérité non pas au transport des marchandises, lesquelles ont continué de suivre la voie des anciens canaux ; mais bien celui d’une immense quantité de voyageurs que l’on n’avait pas soupçonné dans l’origine.

Vient ensuite le chemin de fer de Stocton à Darlington, qui produit 6 à 7 p. c. par an ; mais il est favorisé par une circonstance toute locale ; c’est que la majeure partie de ses transports s’opérant sur une direction descendante, les frais de tractions y sont presque nuls.

Cinq autres chemins, deux de Waring and Newton, de Leycester ans Swanington, de Clarence, de Kenion and Leig et de Bulton and Leig, produisent un intérêt annuel de 5 p. c. ; et encore ne doivent-ils ce succès modéré qu’à leur situation particulière, comme de former la jonction de deux voies navigables, etc. Quant aux autres chemins de fer d’Angleterre, ils sont presque tous en pente : tels sont ceux de Chettedam, Severn and Wye, de Forest of Dean, de Peaw Forest, dont les actions sont tombées respectivement de 100 livres à 78, de 35 à 19, de 50 à 19, de 100 à 20 ; et ceux du Surrey, de Montmouth, Saint-Helen’s, Croydon, Canterbury, etc., dont les actions sont encore plus dépréciées, puisqu’elles ne sont pas même cotées à la bourse de Londres…

Tels sont les résultats fournis jusqu’à ce jour par les chemins de fer d’Angleterre, dans un pays si éminemment favorable à ce genre d’entreprise, par le bas prix, auquel y reviennent le fer et la houille.

Il semblerait donc que l’on dût renoncer à établir de nouveaux chemins en fer, du moins quand on les destine à ouvrir de grandes communications commerciales.

C’est ce que les Anglais reconnaissent eux-mêmes aujourd’hui. Ainsi quand ils se livrent à de nouvelles constructions de chemins de fer, ils ont soin de les établir dans des directions telles que « le transport des voyageurs y soit l’objet principal, et celui des marchandises l’objet accessoire. »

Cette expérience, j’espère, ne sera pas perdue pour nos délibérations présentes, et avant de jeter tant de millions dans une entreprise de chemin de fer, qui est vraiment plus que ridicule par sa grandeur, nous examinerons quel profit tout le pays peut en tirer et si les localités que les divers chemins vont parcourir se distinguent moins par l’abondance des produits du sol que par la multiplicité de leurs relations individuelles.

La rapidité de la circulation est dont la qualité particulière qu’ont les chemins à ornières. Mais cette grande vitesse, on ne l’obtient qu’avec d’énormes frais en combustibles et en matériel ; aussi ne l’applique-t-on ordinairement qu’au transport des voyageurs, car le faible tarif dont les marchandises sont susceptibles ne permettrait pas de tels sacrifices.

Je dois faire remarquer ici en passant, comme on l’a déjà fait, que des expériences authentiques ont constaté la possibilité de la navigation accélérée sur les canaux.

Une découverte non moins importante vient d’améliorer le service des routes de terre, en y appliquant les voitures à vapeur.

On voit par là que les anciennes voies de transport ne resteront pas en arrière des besoins de l’époque, et qu’elles peuvent atteindre à cette grande rapidité qui paraissait devoir être le partage exclusif des chemins en fer.

Mais l’économie dans le prix des transports est l’avantage inhérent aux canaux ; celui que ne peut balancer aucune autre voie de communication, et cela se conçoit sans peine, car d’un côté les dépenses de premier établissement d’un canal sont moindres que celles d’un chemin en fer, et de l’autre les frais d’entretien et de traction sont de même beaucoup moins élevés pour les canaux, où les transports se font sans frottement et sur lesquels un cheval peut traîner jusqu’à 150 tonnes, tandis qu’il n’en transporte que 7 à 8 sur un chemin de fer horizontal et beaucoup moins encore dans les parties en rampe.

Au reste, l’économie n’est pas le seul avantage qui puisse attirer les transports sur les canaux. Citons d’abord la faculté qu’ils ont d’être également accessibles par leurs deux rives et sur tous les points de leur parcours ; faculté précieuse pour les expéditeurs, qui peuvent ainsi charger ou décharger leurs produits le plus près possible du lieu de l’exploitation ou de la consommation, et qui procure à l’agriculture l’avantage d’en profiter pour le transport des récoltes et des engrais.

Il n’en est pas de même sur un chemin de fer, dont l’approche doit être sévèrement défendue par des clôtures, où tout stationnement est impraticable, et qui, composé de deux voies, spécialement affectées aux deux sens inverses de la route, ne peut être abordé indifféremment des deux côtés. « ces chemins, dit un savant ingénieur de France, ressemblent à un tuyau fermé, qui communique seulement par les deux extrémités. »

Ensuite un grand nombre de marchandises sont frappées d’exclusion sur les chemins de fer, qui ne pourront jamais se prêter comme les canaux au transport de toute espèce de matière.

En effet quant à la nature des transports, la forme et les grandes dimensions des bateaux mettent les canaux en état de recevoir toutes espèces d’objets.

Pour les chemins de fer au contraire les dimensions étroites et uniformes des chariots ou wagons exigent de la part des marchandises des dimensions et une uniformité analogues, en sorte que telles ou telles denrées sont exclues d’un chemin de fer, selon le système adopté pour ces mêmes wagons.

C’est pour ce motif que nos cultivateurs, qui contribueront pour la plus grande part dans les dépenses, ne pourront jamais profiter du chemin de fer, pour le transport de leurs récoltes où de tout objet, leurs charrettes n’ayant point les dimensions du wagon qu’on voudra y appliquer, tandis que sur un canal chaque riverain a un canot plus ou moins grand selon ses besoins par lequel il rentre toutes ses récoltes, et transporte tout ce qu’il désire sans devoir chercher un aide ou faire de grandes dépenses, car un homme seul peut facilement faire marcher ces petits canots.

Mais outre ces exclusions particulières, qui varient selon le mode de construction de chaque chemin de fer, il en est qui s’appliquent à tous en général et qui sont même reconnus dans les actes de concessions de ces entreprises, comme on peut s’en assurer en consultant le cahier des charges du chemin de fer d’Andrizieux à Roanne ; ici, on trouvera à l’article 8 : « Toutefois, le transport des masses indivisibles pendant plus de 2,000 kilogrammes, ou des marchandises qui sous le volume d’un mètre cube ne pèseront pas 500 kilogrammes, ne sera point obligatoire. »

Ce qui exclurait le transport dont on a le plus besoin en Belgique, tels que des blocs de marbre et de granit, des arbres et des masses de moulin, etc., et une quantité innombrable d’objets encombrants, qui proviennent de l’agriculture ou qui lui sont nécessaires, comme les pailles, les foins, les fumiers et tout ce qui entre dans les récoltes d’une exploitation agricole… Il résulte de cette nomenclature que les objets dont le transport est désavantageux ou même impossible aux chemins de fer, sont très nombreux et forment la majeure partie des expéditions du commerce agricole.

Une dernière observation en faveur des canaux, considérés non plus uniquement comme voies de transport, mais dans leur influence sur les localités qu’ils desservent, c’est que les canaux donnent naissance à des desséchements, à des irrigations et à des établissements d’usines par l’emploi de leurs chutes d’eau. Ils ne se bornent donc pas, comme les chemins de fer, à la stérilité d’une nouvelle voie de communication, ils assainissent encore le pays, ils font entrer de vastes terrains dans le domaine de l’agriculture et développement une foule d’exploitations agricoles et industrielles.

Nous en aurions un exemple frappant, si au lieu de faire la communication de l’Escaut à la Meuse par un chemin en fer, on le pratiquait, comme la nature l’indique, par le creusement d’un canal. Déjà on en a vu l’effet par la simple mise des échalons qu’on avait placés pour aligner le projet du canal à creuser, les bruyères, de 10 francs qu’elles se vendaient auparavant au bonnier, sont montées depuis à 40 francs ; et je crois que l’honorable député de Thourout rendrait un grand service à la contrée qu’il représente, s’il pouvait faire creuser ce canal.

Quoiqu’il y ait encore quantité de remarques à faire en faveur des canaux, pour rendre la question plus évidente, je comptais terminer ici. Cependant je ne peux me retenir à faire connaître à la chambre l’opinion d’un des plus savants ingénieurs de la Belgique sur cette importante question.

Voici ce qu’il dit dans un écrit publié au mois de juillet dernier :

« Lorsqu’on résume les écrits publiés par des ingénieurs du premier mérite, en Angleterre, en Allemagne, en Amérique, en France, sur la comparaison des chemins de fer et des canaux à grande canalisation dans une contrée favorable, on a peine à concevoir qu’il soit possible d’appeler la représentation belge à délibérer sur une question résolue en faveur des canaux à grande navigation, par les premiers ingénieurs des nations les plus avancées en ce genre de travaux.

« Voilà donc la Belgique menacée de payer, non pas 18 millions, mais au moins 40 millions (et alors il n’était encore question que de la première section), pour des travaux reconnus les moins avantageux par les hommes du métier, je répète 40 millions, parce que si le chemin est fréquenté, deux voies sont indispensables ; il faudra isoler cette communication de celles des chemins vicinaux, à l’exemple du parlement anglais, qui a fait de cet isolement, une des conditions de l’acte de concession du chemin de Liverpool à Manchester ; et malgré cette sage précaution, les journaux ne cessent de nous faire connaître quotidiennement les accidents qui arrivent sur cette communication.

« L’isolement reconnu nécessaire exigera de tenir constamment le chemin sur de très hautes digues ou dans de profondes tranchées en construisant des ponts afin de passer au-dessus ou au-dessous des chemins, des canaux et des cours d’eau existants ; encore ces nombreux travaux, dont ne font pas mention MM. Simons et Deridder dans leur mémoire, ne préviendront-ils qu’en partie les malheurs et les interruptions inhérentes à des communications qui se croisent avec des moyens de transports si opposés.

« Pour empêcher la nation de jeter tant de millions, ajoute ce savant ingénieur, je me trouve réduit à rappeler des faits que l’homme le moins instruit peut vérifier chaque jour par lui-même.

« Au canal de Bruxelles, la force d’un cheval traîne 150 tonneaux avec la vitesse d’une lieue à l’heure, le bateau fait sept lieues du matin au soir en se rendant de Bruxelles à Boom.

« Au canal de Condé, le halage par chevaux est défendu ; deux hommes traînent 12 tonneaux avec la vitesse d’une demi-lieue à l’heure, ce qui fait, pour la force d'un cheval 636 tonneaux.

« La Belgique est peut-être le pays le plus heureusement constitué pour la grande navigation par canaux, et je ne crains pas d’affirmer, d’après le travail d’un de nos bons ingénieurs belges, qui m’a été communiqué, que l’établissement d’un canal de grande navigation, entre l’Escaut et la Meuse, coûterait moins, soit de construction, soit d’entretien annuel, que le chemin de fer proposé, et qu’en outre la force motrice y serait employée avec plus d’avantage, en même temps que ce canal répandrait une grande richesse agricole et industrielle sur le pays qu’il traverserait ; nul doute que si le gouvernement, pour des motifs diplomatiques inconnus, n’avait pas écarté la concurrence entre ces divers projets, des sociétés concessionnaires se seraient présentées pour l’exécution d’un canal vraiment national ; puisqu’on est obligé d’escobarder à la nation 40 millions d’emprunt, qu’on sait bien ne pouvoir jamais lui rembourser, et cela pour une communication au Rhin sans avoir de traité avec la Prusse, communication qui permettra, dit-on, de faire arriver gratuitement par les retours, les charbons de Liége à Anvers au détriment de ceux des autres provinces soumis aux frais de transport de navigation et de barrières.

« On voit donc, ajoute cet ingénieur, que le chemin de fer est une absurdité sous le rapport de l’art, et une sottise sous le rapport commercial et diplomatique… »

Nous voyons aussi que M. l’inspecteur général Vifquain, qui certainement a un peu plus d’expérience que ses deux beaux-fils, dans son travail critique sur le projet MM. Simons et Deridder fait observer que la voie d’eau jusqu’à Bruxelles et Louvain est bien plus économique ; que d’Anvers à Bruxelles, à Malines, à Louvain, les transports sont bien moins frayeux que sur le chemin de fer ; qu’entre Bruxelles, Anvers et Louvain, le prix de transport sur le chemin de fer serait plus élevé de beaucoup qu’il ne l’est aujourd’hui sur les canaux.

Loin de contester la justesse des observations faites à cet égard par M. Vifquain, les auteurs du projet disent à cet égard, pages 10 et 48 de leur réplique, « que sans doute les canaux de Louvain, et de Bruxelles à Anvers, seront toujours préférés pour la masse des transports, parce qu’ils offrent une voie moins coûteuse, qu’ils n’ont compté que sur les transports de marchandises qu’on expédie journellement entre ces villes par essieu, et sur celles que l’on peut espérer pendant l’interruption annuelle des canaux, et qu’ils n’ont point compté transporter de concurrence avec les canaux. »

Cette réplique n’a pas besoin de commentaire, elle vous prouve à l’évidence combien on peut compter sur tout ce que les ingénieurs, auteurs du chemin de fer, ont avancé dans leurs mémoires. Ils ont commencé par établir que l’avenir commercial et industriel de la Belgique réclame des moyens de transport plus économiques, et pour satisfaire à ces besoins du commerce et de l’industrie, quels sont les moyens que proposent les ingénieurs ? Ceux de construire une route nouvelle qu’on déclare d’avance devoir être plus coûteuse que la voie de communication dont le commerce et l’industrie se servent actuellement, et laquelle on reconnaît devoir continuer à obtenir la préférence pour la masse des transports.

Il est difficile de se rendre compte d’une contradiction aussi palpable.

Mais il sera encore plus difficile de supposer que la législature belge serait assez légère et assez imprévoyante de charger le pays de 80 à 100 millions pour l’exécution des travaux d’une nouvelle espèce de routes sur le simple dire de deux jeunes ingénieurs qui paraissent être aussi peu certains de ce qu’ils publient qu’au premier choc, ils doivent faire amende honorable et reconnaître qu’ils n’ont pas su ce qu’ils ont avancé.

Mais les adversaires des canaux prétendent qu’on ne peut pas se servir de cette voie pendant deux mois de l’hiver, et c’est là leur grand cheval de bataille. Ceux qui font cette objection n’ont donc jamais vu la Hollande pendant l’hiver ? Alors tous les canaux sont devenus de larges ornières très unies, sur lesquelles des traîneaux ou wagons glissent avec la plus grande rapidité ; à aucune époque le petit commerce en traîneaux ou wagons n’est plus actif qu’alors !... Pourrait-on en dire autant d’un chemin de fer couvert d’un ou de deux pieds de neige ? car dans notre pays nous n’avons jamais de fort hiver qui tiendrait les voies d’eau longtemps fermées, sans que la terre soit couverte de neige ; et je leur demanderai aussi s’ils savent bien qu’on ne roule point pendant la nuit sur les ornières en fer ? tandis que sur les canaux on navigue la nuit comme le jour !

L’honorable député de Verviers s’est prévalu hier de l’autorité de l’ingénieur français Cordier, pour appuyer ses arguments en faveur du chemin en fer proposé.

Je demanderai à la chambre la permission de tirer quelque passages d’une lettre, que ce savant ingénieur écrivit à un de ses amis en Belgique en octobre dernier, en réponse d’une demande qu’on lui avait faite de vouloir émettre son opinion sur le projet du chemin de fer de l’Escaut à la Meuse. Voici comme s’exprime M. Cordier :

« Paris, ce 2 octobre 1831.

« Monsieur,

« Vous m’avez fait l’honneur de me demander mon opinion sur le projet de chemin de fer d’Anvers à Liége. J’ai souhaité, avant de vous répondre, de recevoir des renseignements certains d’Anglais fort éclairés en qui j’ai toute confiance.

« A part quelques enthousiastes, les chemins de fer, comme grande voie commerciale, sont jugés sévèrement et par les résultats de l’expérience.

« On a reconnu que les dégradations sont rapides ; que les bandes de fer s’usent et se déplacent ; que les machines locomotives ou à vapeur sont sans cesse à réparer et à renouveler en entier dans l’année ; que les accidents y sont fréquents, et enfin qu’on ne peut espérer un intérêt du capital que dans quelques localités privilégiées. Un seul chemin de fer en Angleterre donne des bénéfices, si on peut appeler bénéfice un intérêt de 7 1/4 p. c. par an. Celui de Liverpool.

« Mais il n’existe pas dans le monde deux grandes villes aussi commerçantes, aussi peuplées, aussi rapprochées ; ainsi le succès dans cette localité n’autorise pas à espérer partout ailleurs les mêmes revenus.

« Il est constaté que le transport seul du charbon et des marchandises ne paierait pas les frais d’exploitation et d’entretien de ce chemin. Il faut en même temps plusieurs centaines de mille voyageurs payant 6 schellings pour faire 12 lieues.

« Il est à remarquer que l’un des deux canaux ouverts, entre Manchester et Liverpool, quoiqu’empruntant la rivière exposée à la marée et aux chances de mer, quoique plus long d’un tiers que le chemin de fer rend, etc. »

« Les frais d’exploitation s’élèvent chaque année à plus de la moitié de la recette, en sorte qu’il n’y aurait que peu ou point de revenus, si le chemin était encore fréquenté, ce qui aurait nécessairement lieu dans toute autre localité d’Angleterre, et, à plus forte raison, sur le continent, où les populations sont moins riches et moins voyageuses.

« Mais avant de discuter les dépenses certaines et les produits douteux d’un semblable projet, il faut examiner une question dominante : par qui le chemin de fer d’Anvers à Liége doit-il être payé ?

« Le gouvernement, qui veut mettre à la charge des contribuables des entreprises de localités, se montre injuste et imprévoyant ; peut-il, dans le cas présent, demander sa quote-part de la dépense à la province du Hainaut et à la Flandre, pour un travail qui doit déplacer le commerce et porter préjudice à ces populations ? Peut-il faire payer les villages traversés par les grandes routes, les aubergistes surtout que le nouveau chemin ruinera ? Il s’exposerait à des plaintes fondées et à un général mécontentement.

« Si le nouveau chemin doit enrichir quelques villes, s’il doit rendre des intérêts élevés des fonds dépensés, il faut laisser aux populations qui le réclament, aux capitalistes confiants, la liberté entière d’exécuter à leurs frais et périls cette nouvelle voie. Ils ont droit d’obtenir l’autorisation du gouvernement, sa protection même, contre les oppositions puissantes et toujours actives. C’est aux autres localités à faire en concurrence des améliorations analogues. Le public profitera toujours de ces rivalités et choisira les voies les plus commodes et les moins chères.

« Qui vous assure d’ailleurs que la Prusse liée d’affection, de parenté, d’intérêts avec la Hollande ne vous imposera pas sur votre chemin des droits très élevés comme Guillaume à l’entrée de l’Escaut.

« Il me semble que des affections et des intérêts réciproques et communs doivent déterminer la France et la Belgique à ouvrir une communication par la Meuse, la Moselle jusqu’au Rhin, sans sortir des deux Etats ; alors la Belgique deviendra plus sûrement le grand entrepôt d’Allemagne, de la Suisse et des départements de l’est de la France.

« Si vous consacrez à perfectionner la navigation de la Meuse entre la frontière de la Hollande et celle de France, les fonds qu’absorberait votre chemin de fer, vous assurerez une prospérité plus grande aux villes de Liége, de Namur, à toute la population des bassins de la Meuse et de Sambre, comme aussi à vos villes maritimes

« Guillaume mettrait moins d’obstination à fermer ou dominer l’Escaut, si le commerce par Ostende remplaçait celui d’Anvers, et si la nouvelle ligne commerciale par la navigation française de la Meuse prolongée au Rhin, était reconnue plus prompte, plus courte, plus sûre et plus économique que celle du Rhin, exposée à tant d’avaries et soumise au caprice des petites puissances exigeantes et nombreuses des bords du fleuve.

« Je crois au succès d’un chemin de fer entre Bruxelles et Anvers, entre Bruxelles et Ostende, parce que Bruxelles est le grand centre du commerce de la Belgique, où toutes les marchandises comme les voyageurs doivent aboutir ; parce que le terrain se prête admirablement à ce genre de communication ; parce que les relations avec l’Angleterre, en hommes et en choses, seront de plus en plus actives ; parce que la Belgique doit prévoir le cas où les communications par l’Escaut seront encore ou interrompues ou imposées arbitrairement, et doit s’assurer d’une voie prompte et sûre, allant à Ostende.

« Mais je ne crois au succès de ces chemins que dans le cas où ils seraient confiés aux soins plus vigilants et très nécessaires des associations. Il est bien plus difficile d’exploiter un chemin de fer qu’une filature, qu’un fabrique, qu’une ferme ; un gouvernement est donc incapable de se charger de soins minutieux qui demandent l’œil vigilant du maître, et ce concours des hommes les plus capables travaillant pour eux-mêmes.

« Smith (Richesses des nations) fait remarquer que les fonctions des personnes qui veulent servir l’Etat gratis, tout diriger pour le compte du public, sont les plus chèrement payées, par les fautes sans nombre, par les prodigalités.

« Exécuter un grand chemin de fer aux frais des contribuables serait une entreprise aussi inutile et ruineuse que la construction d’une pyramide.

« Pour l’établissement des chemins de fer et toutes les améliorations, il faut s’en rapporter et se confier aux associations, les encourager, les aider même, les protéger surtout par de bonnes lois ; une prospérité générale et croissante sera le résultat de la prévoyance des législateurs !

« Agréez, etc.

« J. Cordier. »

Il est cependant vrai que le même ingénieur a publié en 1829 un petit ouvrage en faveur du nouveau système de routes, mais c’est parce qu’il s’est convaincu depuis des grands inconvénients que présentaient les chemins de fer qu’à présent il s’exprime si fortement contre, il fait comme font tous les ingénieurs anglais depuis que la fièvre de fer commence à se passer.

Il me semble donc qu’en Belgique, à quelques petites exceptions près on ne pourrait utilement faire usage des chemins à ornières, qu’il y faut donner la préférence aux canaux pour voies de grande communication commerciale. Qu’il serait extrêmement léger de notre part de charger le pays de tant de millions pour des travaux dont nous devons douter de l’utilité générale et surtout exécutée, comme on le propose, aux frais de l’Etat.

Je voterai donc contre le projet ; mais si on m’accorde de laisser exécuter le chemin par voie de concession, alors je n’ai plus un mot à dire et je consens à tout.

M. Simons, commissaire du Roi. - Messieurs, si nous n’avons pas encore demandé la parole pour combattre les objections soulevées dans cette enceinte, contre le projet dont la défense nous est confiée, c’est parce qu’en général la discussion s’est portée sur un terrain où notre tâche devient extrêmement difficile.

En effet, tandis que nous ne nous attendions à devoir soutenir ici que les détails de l’entreprise qu’on nous propose, la possibilité de son exécution, le choix des moyens, l’exactitude de nos calculs, l’évidence de nos prévisions, nous voyons avec étonnement remettre en question des principes que depuis longtemps nous avions lieu de croire adoptés.

Ce n’est point seulement l’opportunité du projet spécial soumis à vos délibérations que quelques orateurs croient devoir suspecter ; ils révoquent maintenant en doute la nécessité de perfectionner de plus en plus les moyens de communications et jusqu’au droit du gouvernement de provoquer les améliorations qu’il a reconnues utiles. On va jusqu’à nier les avantages dont le commerce et l’industrie indigènes jouiront par suite des facultés accordées au transit sur notre territoire.

Ces hautes questions d’économie politique nous semblent sortir du cercle de nos attributions ; d’ailleurs, du sein de la représentation nationale des voix nombreuses s’élèveront sans doute, pour démontrer s’il est nécessaire, la vérité des principes sur lesquels est fondé le gouvernement.

Nous bornerons nos premières observations relatives à la discussion générale, à la réfutation des objections qui nous sont faites dans le rapport de l’art. Et à cet égard, nous voyons avec regret que les diverses explications que déjà nous vous données dans les mémoires successivement publiés, n’ont pas été pesées avec toute l’attention que leur méritait l’importance qu’on avait attachée à ces objections.

Mais d’abord, qu’il nous soit permis de faire remarquer les contradictions manifestes dans lesquelles sont tombés les orateurs qui viennent de renouveler les objections dont il s’agit.

Le même qui, au commencement de son discours, a nié la préférence due aux chemins de fer sur tout autre moyen de communication, a déclaré refuser son vote à l’établissement de la route projetée, en déclarant que l’ouverture de cette voie ruinerait les provinces qui n’en possédaient pas encore de semblables.

En critiquant le tracé, dirigé à travers les localités industrieuses et populeuses, qui réclament, avec le plus d’instance, la nouvelle communication, un orateur demande, au nom de l’industrie, qu’on établisse la route sur des bruyères incultes et désertes.

Tantôt on craint des revenus (c’est-à-dire qu’on n’ose espérer qu’un tonnage minime), et en même temps, on exige que le chemin de fer soit construit avec une double voie ; et cependant, nous avons prouvé, à différentes reprises, qu’une simple voie à ornières suffirait pour un mouvement commercial double de celui sur lequel nous avons basé le calcul des revenus qui couvriront tous les frais d’établissement et d’entretien de la nouvelle communication.

L’honorable M. de Puydt a maintes fois proclamé l’urgence d’améliorer les communications existantes de la Belgique ; et lorsque le gouvernement demande notre concours, pour une entreprise éminemment de cette nature, il lui refuse son appui, sous prétexte que l’équilibre actuel des voies commerciales pourrait être rompu...

Mais lorsque nous fûmes chargés de l’exécution des deux principaux canaux dont le Hainaut jouit aujourd’hui, n’était-ce point pour détruire un équilibre existant alors ? N’est-ce point toujours dans le but de diminuer les frais de transports, que tous les perfectionnements de voies publiques se projettent et s’exécutent ?

En s’opposant à ce que l’Etat se charge directement de la construction de la route projetée, le même orateur a déclaré que son principal motif était d’empêcher une perturbation désastreuse dans les conditions d’arrivage que possèdent aujourd’hui ces différents centres de production ; mais, messieurs, quelle perturbation est-il permis de craindre par suite d’un projet qui laisse à la législature le droit de modifier les péages comme elle l’entendra pour l’équité, l’intérêt général et la conservation de la bonne harmonie entre les diverses provinces ?

Nous espérons, lorsque nous répondrons aux interpellations positives sur le projet en question ; nous espérons, dis-je, lever tous les doutes qui existeraient encore sur l’économie de la communication projetée, comparée aux voies existantes, ou aux autres moyens que l’industrie essaie encore en ce moment.

Notre guide dans les détails d’exécution, dans les dimensions des ouvrages, n’est pas une vaine théorie ; c’est l’expérience, l’idée des conseils du plus célèbre ingénieur de l’Angleterre, de celui qui a exécuté les chemins de Darlington, de Liverpool, et qui construit en ce moment la grande route en fer de Londres vers l’Irlande par Birmingham.

En ce qui concerne les calculs des revenus, nous devons rappeler qu’ils n’ont été combattus, jusqu’à présent, par les différentes chambres de commerce, juges naturels dans cette question, qu’en ce sens qu’ils sont de beaucoup en dessous du mouvement réel, et que, par conséquent, les recettes qui doivent couvrir tous les dépenses de l’entreprise sont pleinement assurées.

Quant à nos devis, tant pour l’établissement et l’entretien de la route que relativement aux frais proprement dits du transport, nous espérons que dans le cours de la discussion on nous fournira l’occasion de démontrer clairement pour chaque article de dépense l’entière suffisance de nos prévisions.

Comparez d’ailleurs avec nos projets, celui qu’une compagnie particulière avait rédigé pour l’entreprise, à ses risques et périls, d’une partie de cette nouvelle route ; comparez les travaux dont cette compagnie a reconnu la nécessité (et dont elle avait tant intérêt à n’omettre aucun article), et les travaux que le gouvernement propose de son côté, comparez également les ressources annoncées et par nous et par la compagnie ; les éléments des deux projets sont identiquement les mêmes.

Mais les résultats pour l’économie du commerce et de l’industrie, et pour la prospérité du pays diffèrent essentiellement… Nous sommes persuadés, messieurs, qu’entre les deux modes d’entreprises, votre choix ne peut rester longtemps douteux.

M. Helias d’Huddeghem. - Tout ce qui intéresse la prospérité du pays et le bonheur de ses habitants a toujours reçu un accueil favorable dans cette assemblée ; j’espère que vous voudrez bien, messieurs, m’accorder un moment d’attention eu égard à l’influence majeure que l’objet en discussion doit exercer sur l’avenir du pays.

Le seul but que je me propose en demandant la parole est d’appeler une discussion franche sur les difficultés et les objections qui se présentent contre le projet dans cet examen, les questions suivantes paraissent surtout devoir être prises en considération. Convient-il de changer tout à coup le système actuel des routes ordinaires et de la navigation pour former un vaste réseau d’ornières en fer qui envelopperait la Belgique dans toutes ses parties ? cette innovation ne sera-t-elle pas funeste à l’agriculture et à la population ? l’Etat doit-il faire la dépense, ou contracter des emprunts de plusieurs millions pour une entreprise qui sera peut-être bientôt dépassée par les inventions plus récentes ? dans tous les cas, l’exécution de ces travaux ne doit-elle pas être abandonnée à la concurrence au moyen des concessions ?

En Angleterre, messieurs, les villes manufacturières sont généralement peu éloignées de la mer, toutes ou presque toutes ont des canaux ou des rivières navigables qui y viennent. Les quinze à seize chemins en fer jusqu’à ce jour n’ont que quelques lieues d’étendue. Un des premiers qui a été construit a été celui de Stockson à Darlington, dont le succès a fait entreprendre celui de Liverpool à Manchester, qui n’est que de dix lieues à 25 au degré. Les Anglais n’ont pas songé jusqu’à ce jour à établir un chemin de fer de Newcastle à Londres.

Je veut bien admettre l’utilité des chemins de fer, je veux bien supposer que cette utilité sera durable pour le commerce, et même pour l’impatience des voyageurs qui parcourent le monde. Mais a-t-on bien considéré les conséquences de cette innovation par rapport à l’agriculture, à la population, à la tranquillité publique ?

Si l’on substitue pour les transports, les agents mécaniques à l’emploi des hommes et des animaux, qu’en résultera-t-il ? que beaucoup d’hommes resteront inoccupés, et qu’on élèvera beaucoup moins de chevaux, de là moins de ressources pour le laboureur, qui en hiver n’utilisera plus, par des charrois, ses chevaux dont l’oisiveté dans ses écuries ne le dispensera pas de les nourrir. De là beaucoup de contrées qui ne produisent que pour la nourriture des animaux, et d’autres contrées n’admettant après le blé que l’avoine pour alternat, subiront nécessairement une dépréciation telle qu’il faudra ou changer l’assiette de la contribution foncière, ou être injuste, alternative qui n’est pas sans de grands embarras.

On dira peut-être : Changez votre système de culture ; cela est aisé à dire, mais à faire c’est tout autre chose. Dans l’état de morcellement où est aujourd’hui le sol de la Belgique, les beaux systèmes des économistes sont à peu près impraticables ; des visionnaire seuls peuvent espérer rompre les vieilles habitudes, et faire admettre des méthodes incompatibles avec la distribution des terres et avec les besoins du plus grand nombre des propriétaires. On ne change pas en Belgique les formes de la culture aussi facilement que quelques personnes paraissent le croire. Les partisans de la route en fer ont-ils bien calculé les conséquences de cette innovation, par rapport au système actuel de nos routes et de la navigation de nos beaux canaux et fleuves ; car d’après le mémoire de M. l’inspecteur Vifquain, en général les communications sont plus favorables par les canaux pour les matières pondéreuses, encombrantes et susceptibles de s’avarier. Si le vaste projet de la route en fer est adopté, le cabotage, d’une si haute importance pour plusieurs provinces de la Belgique, ne sera-t-il pas entièrement détruit ?

En fixant mes regards sur cette quantité d’ouvriers, je demande ce que deviendront tous les bateliers de Louvain à Anvers, d’Anvers à Gand et à Bruges, tous les éclusiers, tous les conducteurs de chevaux et tireurs de bateaux ; enfin ces milliers d’ouvriers, à Louvain, à Gand, à Bruges, qui ne sont occupés qu’à décharger les bateaux et ceux qui ne font autre chose que de recharger les voitures ?

Les négociants, commissionnaires expéditeurs, et les propriétaires de toutes ces belles maisons et magasins qui avoisinent les canaux, ne pourront les laisser tomber en ruine.

Avant d’entreprendre un si vaste projet, le gouvernement a-t-il bien examiné qu’il s’agit de contracter un emprunt, d’abord pour l’exécution des travaux et qu’il faudra de plus des sommes considérables pour l’entretien du chemin, pendant que les revenus de l’Etat, des provinces et des villes seront diminués par la perte des produits des ponts, des écluses, et des routes dont l’entretien ne restera pas moins à la charge de l’Etat.

A Louvain, par exemple, on reçoit chaque année pour droit de canal environ 35,000 fr. Dans la Flandre orientale, le produit des ponts et des écluses s’élève approximativement à la somme de 69,688 francs, en prenant une somme à peu près égale pour la Flandre occidentale, le produit des ponts et des écluses s’élève à la somme de 140,360 fr.

Ces deux provinces ainsi que les villes que les différents canaux traversent, sont tenus d’entretenir les digues, les ponts et les écluses, de réparer les talus, les quais et le pilotage pour l’entretien des canaux, de subvenir aux gages des éclusiers privés de leurs revenu ; qui subviendra à cette dépense, laquelle maintenant se compense avec le produit des ponts et des écluses ?

Il en sera de même des routes ordinaires qui ne rapporteront pas assez pour leur entretien.

Le système qu’on veut introduire, doit encore être préjudiciable à un grand nombre d’industries et de métiers. En supposant que d’Anvers à Cologne, il y ait cinq à six cents voitures, voilà donc l’existence compromise de cinq à six cents voituriers et celle de leur famille ; ajoutez-y les aubergistes, maréchaux, charrons, selliers, etc.

On ne peut donc nier de bonne foi que les chemins de fer, excluant l’emploi de beaucoup d’hommes, en laisseront un grand nombre inoccupés et livrés par là même à la corruptrice influence de l’oisiveté et de la misère réunies : combinaison effrayante pour qui connaît les hommes.

Aurons-nous comme les Anglais une taxe de pauvres ? Elle serait insupportable au taux où se sont élevées les contributions ; en Angleterre les fonds de terre paient moins qu’en Belgique, et le commerce bien établi dans toutes les parties habitées du globe, offre des ressources qui nous manquent ; cependant les économistes anglais s’inquiètent de voir la partie secourue s’accroître d’une manière effrayante tous les ans, les progrès du paupérisme sous le règne d’Elisabeth ont d’abord été fort lents, mais le mal s’est développé avec l’abus des dépenses publiques, et la taxe des pauvres qui, au milieu du siècle dernier, ne se montait qu’à environ seize millions de notre monnaie, s’élève maintenant à plus de cent cinquante millions !

Il est un autre point de vue qui sans doute a échappé jusqu’à ce jour aux économistes ; c’est le rapport de la consommation du fer avec les moyens de l’obtenir. Ceci est grave et mérite les plus sérieuses réflexions.

Voici l’opinion de M. Rochet, maître de forges, dans un mémoire sur les routes en fer communiqué à l’académie d’industrie agricole et manufacturière de Paris :

« C’est une vérité devenue triviale, que le fer est le premier instrument de la civilisation ; qu’en multipliant les moyens de pourvoir facilement à tous les besoins, il a donné des loisirs qui ont développé l’intelligence humaine. Il n’est pas moins évident que c’est à cet état que les peuples doivent les armes qui protègent leur indépendance politique. D’où il suit qu’en épuisant sans nécessité ses mines de fer, un peuple compromet sa nationalité.

« Or, nos mines de fer sont, pour les neuf dixièmes, des mines d’alluvion qui ne se régénèrent pas. Depuis plus de soixante ans j’entends dire que les minerais s’épuisent, qu’il faut recourir aux anciens travaux, pour y prendre ce que nos pères ont dédaigné.

« Si donc nous abusons de nos ressources, si notre prodigalité réduit nos enfants à demander à la Suède et à la Russie le soc de nos charrues et le fer de nos baïonnettes ; qu’il survienne une guerre qui arrête ces importations ; que deviendra le peuple, privé tout à la fois de ses moyens de culture et de défense ?

« Ce qu’on donne aux trop nombreuses superfluités du présent, on le dérobe à la nécessité de l’avenir.

« Il ne faut pas s’abuser sur l’exemple des Anglais, dans l’emploi étendu qu’il font du fer. Leur position diffère essentiellement de la nôtre. Par un traité, ils ont exclusivement les excellents fers de Roslagie. »

Examinons maintenant si l’Etat doit faire la dépense ou contracter des emprunts de plusieurs millions pour une entreprise qui peut être bientôt sera dépassée par des inventions plus récentes.

Une commission choisie dans le sein de la chambre des communes a été chargée non seulement de proposer les bases d’un nouveau tarif pour le péage des voitures à vapeur sur les routes, mais encore de faire une enquête générale sur l’état actuel des communications par terre, au moyen des voitures de toute espèce, afin d’éclairer la chambre sur les avantages positifs que le nouveau mode de transport à la vapeur, sur les routes ordinaires, offrirait au pays.

Dans le rapport de la commission d’enquête de la chambre des communes, fait en octobre 1831, on trouve énoncée l’opinion formelle que déjà l’art de construire des voitures mues par la vapeur, ou par d’autres moyens mécaniques, sur les routes ordinaires, avait fait assez de progrès, et avait été mis en pratique avec assez de succès pour justifier l’approbation que le gouvernement accordait à ce nouveau mode de transport. Suivant la commission, la substitution des moteurs inanimés aux moteurs vivants, sur toutes les routes, devait être considérée comme une amélioration immense dans les moyens de communication intérieure, amélioration qui doit finir par être générale, malgré la lenteur que les préjugés et les intérêts contraires pourront lui opposer. Je crois que ce rapport répond amplement à la note qui vous a été remise hier sur les voitures à vapeur destinées aux transports sur les routes ordinaires par MM. Simons et Deridder.

En conséquence, les mécaniciens les plus habiles de l’Angleterre se sont occupés de construire des voitures de ce genre.

On peut considérer, dès à présent, le système des voitures à vapeur sur les routes ordinaires comme étant en usage en Angleterre. M. Gordon a publié un traité sur cet objet important, où il prouve qu’on doit préférer les routes ordinaires aux chemins en fer ; il conclut par démontrer la supériorité des voitures à vapeur, appropriées aux routes existantes, à tout autre mode de transport ou de communication. On a senti, en Angleterre, toute l’importance d’une pareille invention : en conséquence, plusieurs habiles mécaniciens ont rivalisé de zèle et de talent pour la construction des voitures à vapeur qui eussent toutes les qualités requises pour rouler sur les chemins ordinaires.

Un premier essai, fait sur une grande échelle, a été celui de MM. Ogle et Summers, lequel a été rapporté dans le Courrier anglais du 7 septembre 1832, qui s’exprime ainsi : « Enfin, le désir du public de voir la vapeur appliquée aux voitures roulantes sur nos grands chemins vient d’être accompli. Lundi matin, la nouvelle voiture à vapeur de MM. Ogle et Summers est partie d’Oxford avec vingt-deux passagers et une grande quantité de bagage, conduite par M. Ogle, assisté de son associé. »

Cette voiture est enfin arrivée de Southampton à Oxfortd, en traversant un pays où il y avait de grandes difficultés à surmonter, à cause des mauvais chemins, et malgré les sinuosités de Sheptone. Elle a toujours roulé sans la moindre apparence de danger.

« Lettre adressée à l’éditeur du Morning Post. »

« Stratfort, 3 mai 1833.

« Il y a plus de six ans que j’ai commencé mes expériences de voitures locomotives par la vapeur, et j’ai poursuivi l’objet que j’avais en vue avec autant de zèle que de persévérance. Depuis quinze ans, j’ai fait rouler un omnibus par la vapeur sur la route de Paddington à Londres. Afin de constater le résultat de mes expériences, et d’éclairer la presse et le public, je vous envoie le rapport des courses de chaque jour faites par cet omnibus, si vous le croyez d’une assez haute importance pour l’insérer dans vos colonnes. Comme le public a été témoin des courses de cette voiture, soit dans les rues les plus peuplées et encombrées de monde, soit sur les routes les plus montueuses, dans les environs de la capitale, je suis persuadé que j’ai démontré la possibilité (practicability) d’appliquer la vapeur, d’une manière économique, aux transports par terre dans l’intérieur du pays. »

(Note du webmaster : le Moniteur publie ensuite la liste des courses effectuées par ladite machine, du 22 avril 1833 au 3 mai 1834, liste non reprise dans la présente version numérisée.)

« Le Globe, du 6 mai 1833, qui publie ce tableau, assure que c’est un rapport exact des courses faites par la voiture locomotrice par la vapeur, et que la quantité moyenne de coke, qui a été consommée chaque jour, est de trois boisseaux (bushels) anglais.

« Signé, H. Hancock. »

Ces essais, qui ont entièrement réussi, ont résolu le problème de l’emploi qu’on peut faire des voitures à vapeur sur les chemins ordinaires, c’est-à-dire sans la construction si dispendieuse des chemins de fer ; ce qui est un grand avantage, et donnera une plus grande facilité à se servir de ce mode de transport, à la fois économique et accéléré, attendu que l’établissement des routes en fer et leurs différents embranchements, auraient toujours été un grand obstacle qui n’aurait pas permis à tout le monde de faire une pareille entreprise.

Le Courrier anglais et le Globe, dans leurs derniers numéros, rapportent que sir Charles Dame, savant mécanicien, a fait construire des diligences à vapeur, destinées à parcourir les routes ordinaires. Après avoir établi ses voitures entre Londres et Brigton, il en a fait l’expérience sur la route très fréquentée de cette capitale à Greenwich. La diligence à vapeur de Dame part trois fois par jour pour se rendre de Londres à Greenwich, et retient, après une courte halte dans cette dernière ville. La longueur totale parcourue dans la journée, s’élève à 250 milles, ce qui fait 10 milles l’heure, en y comprenant le temps des haltes dans les diverses stations. Ainsi, messieurs, l’on reconnaît aujourd’hui la supériorité des voitures locomotrices à vapeur sur les routes ordinaires.

Ce sont les partisans des routes en fer qui se jettent dans les voies rétrogrades.

Enfin, messieurs, dans la supposition que le système du projet obtienne votre assentiment, l’exécution doit en être laissée à la concurrence au moyen des concessions. Si la loi rencontre de l’opposition, c’est surtout à cause que le projet s’écartant des vrais intérêts d’économie politique, propose de faire exécuter le chemin en fer sur les fonds du budget, ou sur un emprunt garanti par la nation. On commence à comprendre généralement les grands avantages qu’une nation peut retirer pour des entreprises d’utilité publique, de la réunion des intérêts et des capitaux d’un grand nombre de citoyens ; avant que l’Angleterre adoptât le système des concessions, ce système avait été créé en France.

Depuis que le corps des ponts et chaussées dirige exclusivement tous les travaux publics, le système large des concessions a été abandonné en France. L’Angleterre en s’emparant d’une institution dont la France méconnaissait si mal à propos les avantages, sut dès l’origine l’appliquer dans toute sa pureté.

Les succès obtenus en Angleterre par le système des concessions excitent l’admiration de tous ceux qui visitent les beaux ouvrages construits par des particuliers ou des associations. En un demi-siècle le public encouragé par ces institutions, a formé huit cents associations pour canaux, routes, docks, ponts, etc., d’un capital de plusieurs milliards ; en moins de trente ans, les revenus des particuliers ont augmente de deux milliards deux cents cinquante millions. Toutes les améliorations jugées utiles par les particuliers ou les compagnies sont exécutées rapidement, et toujours bien entretenues.

L’emploi des moyens, la promptitude dans l’exécution est la vie des entreprises industrielles ; elles languissent et meurent si aux difficultés naturelles qu’elles ont à surmonter, il s’en joint d’artificielles ; et si elles ont à vaincre l’incurie, et quelquefois l’intérêt contraire des agents du pouvoir, les capitalistes répugnent à engager leurs fonds dans des entreprises où l’autorité peut intervenir à chaque instant. En Angleterre, ces inconvénients ne sont pas à craindre.

Pour qu’une société d’actionnaires puisse construire une route nouvelle ou faire passer un canal dans la direction et sur les niveaux qui conviennent à l’eau, et pour qu’en même temps elle puisse vaincre la résistance qu’opposeraient certains propriétaires, il faut un acte de l’autorité souveraine. C’est le parlement qui statue par une loi qu’un canal de telle dimension passera dans tels et tels endroits.

La loi rendue, les droits de la compagnie sont acquis c’est une propriété, et nulle part même l’administration ne peut l’inquiéter dans la jouissance qui pour l’ordinaire est concédée à perpétuité. Les estimations des terrains, les indemnités qu’il faudra que la compagnie débourse, sont réglées par des arbitres à la nomination desquels le gouvernement n’a aucune part. Tout se passe entre particuliers ; les contestations sont jugées par des juges de paix et en dernier ressort par les tribunaux. Jamais rien n’est décidé administrativement, de sorte que nulle des parties ne redoute les effets d’aucune volonté arbitraire. La loi et les juges, voilà par qui l’on est gouverné. Toute réclamation, même de la part des gens en place et des autorités constituées, est jugée de la même manière ; le prétexte de l’intérêt public ne suffit point pour suspendre ou changer le cours des travaux entrepris en vertu d’une loi.

Voilà, messieurs, des exemptes à suivre. Propageons aussi l’esprit d’association et, à cet effet, changeons la législation des travaux publics ; et, pour fondement, établissons une loi de concession basée sur les principes larges admis en Angleterre. Je terminerai ici mes observations en me réservant toutefois de rencontrer les objections nouvelles qui se présenteront contre le système de concessions.

(Moniteur belge n°73, du 14 mars 1834) M. Davignon. - Messieurs, le congrès national avait pour premier devoir de satisfaire aux intérêts moraux et politiques ; il a doté la Belgique d’institutions très libérales. Une tâche non moins noble et élevée est réservée à la chambre des représentants. C’est celle d’établir sur des bases solides la prospérité matérielle du pays, en lui fournissant les moyens de développer toutes ses ressources tant agricoles qu’industrielles. C’est, comme l’a dit fort judicieusement l’honorable auteur d’une proposition tendant aux mêmes fins, le besoin le plus impérieux de l’époque.

Autour de nous, messieurs, tout est en voie de progrès ; dans le mouvement qui s’annonce de toutes parts, rester en arrière, c’est se constituer volontairement dans un état d’infériorité vis-à-vis des autres peuples.

Faisons donc en sorte que cette prospérité du pays ne soit pas pour nous un songe du passé. Il est temps de s’occuper à fonder son avenir, et de chercher à effacer la teinte sombre sous laquelle on a pu croire pendant quelque temps qu’il se présentait. J’en appelle aux hommes généreux de toutes les opinions de toutes les localités. Si nous voulons réellement être une nation, et une nation indépendante, est-il un autre moyen pour un peuple peu nombreux, mais brave, mais actif, intelligent, laborieux ; est-il un autre moyen, dis-je, d’y parvenir que par l’union en un seul faisceau, par une volonté ferme et sincère de concourir tous au même but. L’influence des communications publiques sur la civilisation, la richesse des Etats, sur le bonheur général et particulier, est maintenant une vérité incontestable.

Ce ne peut être avec le sentiment d’une véritable conviction que l’on vient nous dire que tout est bien, que notre situation est satisfaisante, prospère même, que des changements sont donc inutiles pour le moment ; que celui qui vous est proposé sera onéreux, ruineux même.

Messieurs, il ne faut qu’un peu d’expérience pour reconnaître que la situation commerciale d’un pays change par l’effet seul de causes extérieures. Ces variations sont souvent produites par des événements politiques, par des changements dans le système commercial des autres Etats, et surtout par les nouvelles communications qui s’établissent chez eux.

C’est donc un impérieux devoir de se mettre à l’abri de ces secousses, dès que le moyen s’en présente.

Notre position topographique toute spéciale nous impose l’obligation de nous tenir au niveau des nations voisines sous le rapport des améliorations et perfectionnements dans tout ce qui touche au commerce et à l’industrie.

Vous savez ce qui se passe dans la Grande-Bretagne ; Liverpool, Manchester, New Castle, Carlisle, Londres, Brighton, Birmingham, Edimbourg, Glascow, sont déjà unis ou le seront sous peu par des chemins de fer.

Aux Etats-Unis d’Amérique, 28 de ces routes sont existantes ou en construction ; elles parcourent au-delà de 500 lieues. Ce nombre sera doublé sous peu de temps au moyen des nouvelles concessions accordées récemment par la législature de ce pays.

Il est à remarquer que les divers Etats de l’union et même le pouvoir fédéral interviennent souvent dans ces travaux par des subventions dans le but de ne pas laisser soustraire à leur direction ou surveillance ces puissants agents de civilisation.

En Allemagne on va unir par ce même mode l’Elbe, le Weser et le Rhin.

Il existe plusieurs chemins de fer en Autriche ; ils seront multipliés sous peu, divers projets sont présentés.

En France 500 mille francs ont été votes pour les études préalables ; les journaux des derniers jours nous annoncent que les ingénieurs chargés des études des chemins de fer que l’on se propose d’établir sur plusieurs points de la France, ont achevé leur travail ; qu’ils l’ont soumis au conseil des ponts et chaussées qui doit en faire l’examen.

On n’en est donc plus à faire des essais ; les grands projets de canalisation, dont il est désormais inutile de faire ressortir les inconvénients, ont fait place à ceux des routes en fer.

Assuré que ce n’est plus en novice que l’on s’engagera dans cette carrière, on peut, malgré l’opinion contraire émise hier par un honorable orateur, laisser de côté l’invention et l’application des voitures à vapeur sur les routes ordinaires, et se borner à suivre, en curieux seulement, les essais, qui paraissent devoir rester encore longtemps incertains, des Gurney, des Hankock, des Mascerone et même du mécanicien espagnol.

Le gouvernement a donc agi dans l’intérêt général du pays en vous faisant, d’accord avec la section centrale, dont j’ai eu l’honneur de faire partie, la proposition maintenant soumise à votre examen.

Tout nous en fait espérer les plus heureux résultats ; car s’il est vrai de dire que la consommation augmente avec le bon marché et la bonne qualité des produits, jamais ce principe n’a trouvé une plus juste application que dans l’amélioration des moyens de communications.

Pour ne vous citer que des faits à ma connaissance, je vous dirai que les bateaux à vapeur établis sur le Rhin, le railway de Manchester à Liverpool, les diligences établies dans plusieurs localités, prouvent que lorsqu’on augmente la vitesse et la régularité des transports sur une ligne qui donne lieu à la fréquentation, la circulation décuple presque toujours en quelques années. Ce résultat est bien plus certain encore, lorsqu’à ces avantages on peut ajouter celui d’une diminution des prix. Mais l’histoire de tous les temps nous démontre que des changements de cette nature ne peuvent s’opérer sans exciter des plaintes et des réclamations.

C’est ainsi que lorsqu’il fut question des bateaux à vapeur, l’alarme se répandit sur toute la ligne du Rhin. C’était un véritable fléau, c’était la ruine des bateliers, des voituriers, des maîtres de postes, des loueurs de voitures, des aubergistes enfin. Tous, comme l’honorable orateur qui m’a précédé paraît croire que cela aura lieu bientôt chez nous, adressèrent leurs plaintes et leurs protestations à Berlin.

Vers cette époque, le roi vint visiter les provinces rhénanes ; quelques hommes clairvoyants et énergiques, se mettant au-dessus des clameurs, osèrent faire comprendre que les besoins du temps ne peuvent être satisfaits qu’avec les moyens que le temps présente ; qu’il faut donc suivre ses progrès.

La navigation à vapeur s’établit. Chaque année a vu s’accroître les profits de ses actionnaires dans une progression toujours croissante. Et chose remarquable ! les bateliers continuent à sillonner le fleuve, les voituriers ne se plaignent pas, les maîtres de postes ont dû augmenter le nombre de leurs chevaux, les loueurs de voitures sont devenus plus exigeants, et jamais enfin les aubergistes n’ont eu autant à faire.

Dans les derniers neuf mois de 1833, décembre compris, les bateaux à vapeur sur le Rhin, de Cologne à Mayence, ont transporté 80 mille voyageurs, indépendamment des diligences d’eau et des voitures publiques qui, entre Cologne et Bonn seulement, ont 10 départs, aller et revenir par jour.

Lors de l’établissement des bateaux à vapeur d’Anvers à Rotterdam, on crut le service des diligences par terre désormais à peu près inutile. C’était encore une industrie ruinée. Les bateaux prirent beaucoup de marchandises et de voyageurs ; mais leur accroissement fut tel, qu’indépendamment des bateaux à vapeur, un seul service de diligence par jour ne suffisant plus, on dût établir un second départ.

Pareille progression se montre sur la route de Liverpool à Manchester ; elle n’a d’abord rendu à ses actionnaires qu’environ 4 p. c. pour le premier semestre de 1833, il a été délivré à chaque action de 2,500 fr. un dividende de fr. 105-25 ; ce qui représente un intérêt de plus de 8 p. c. Ceci indépendamment d’une progression de dépenses auxquelles les concessionnaires sont engagés par les limites fixées aux revenus de la route par l’acte de concession.

Les effets de la multiplicité, de la concurrence des voitures publiques sont trop connus pour que je vous en entretienne. Permettez-moi, messieurs, la citation d’un seul fait ; Il n’y a pas très longtemps que le service de Verviers à Liége se faisait par une seul diligence, et elle suffisait. Une nouvelle communication a été ouverte ; depuis, il y a 6 ou 7 départs par jour, et il n’est pas rare de voir rentrer ces voitures chargées de voyageurs beaucoup au-delà du complet.

L’utilité de la route projetée ne peut être contestée que par ceux qui se laisseraient aveugler par des préoccupations qui ne sont pas toujours justes, ou par des craintes, dont l’événement prouvera, j’espère, l’exagération, que certaines localités ne pourraient participer à ses avantages.

Vous allez, nous dit-on, imposer une charge énorme au pays, qui déjà est prêt de succomber sous le poids de celles existantes. Mais sont-ils donc perdus ces millions contre lesquels on se récrie tant, et qui seront employés au paiement des travaux projetés ? Outre que les produits de la route doivent couvrir les intérêts et frais, par un écu ne sortira du pays. Cette somme va se subdiviser à l’infini, circuler dans toutes les classes, depuis le grand industriel jusqu’au petit boutiquier ; depuis les sommités financières jusqu’au dernier des ouvriers.

Si, ce que je suis loin d’admettre, le trésor public devait intervenir pour quelque chose, cette dépense, qui ne pourrait être que temporaire, ne serait-elle pas abondamment compensée par le développement de commerce et de civilisation qu’acquièrent les parties du pays que ces routes traversent, par la plus-value que gagnent les propriétés avoisinantes, qui en est toujours la conséquence, du revenu de l’impôt foncier, et des impôts sur la production et la consommation.

M. Ch. Dupin, parlant du canal qui avait été projeté du Havre à Hambourg, avant que les avantages des routes en fer ne fussent bien connus, s’exprime en ces termes :

« 210 millions de francs est la somme totale évaluée pour l’exécution complète de cette nouvelle communication, en exceptant la dépense des bassins et des entrepôts. Cette somme est égale au simple dixième de plus-value pour une lieue à droite et à gauche du territoire que traverserait la voie projetée.

« Les propriétaires, les manufacturiers riverains trouveraient plus qu’il ne faut pour former cette entreprise dans la simple plus-value de leurs maisons, de leurs ateliers, de leurs biens, et le revenu du canal serait un bénéfice absolu. L’augmentation de la propriété foncière et les progrès du commerce résultant de l’économie que produirait ce nouveau moyen de transport, cette facile communication, accroîtrait nécessairement le revenu du fisc. »

Un honorable membre a parlé de la route de la Vesdre qu’il a représentée comme un obstacle, comme un oubli dans les évaluations du coût du chemin de fer. L’argument qui est ici reproduit a été avancé dans un mémoire qui nous a été distribué. Je me réfère à la réplique faite d’une manière succincte dans le même document en regard de cette allégation, j’ajouterai seulement que je suis à même de donner en particulier à ceux de mes collègues qui le désireront des renseignements sur l’exactitude desquels ils peuvent compter, et que, pour des motifs que je leur ferai aussi connaître, je crois devoir m’abstenir d’énoncer ici.

Ce ne peut être sérieusement, je pense, qu’un honorable préopinant a critiqué le tracé actuel : d’après le premier plan, nous dit-il, la dépense aurait été moindre de près de moitié ; mais en admettant gratuitement la réalité de cette assertion, il sera permis de demander quels auraient été les produits. Or, en passant en revue, sans prévention, la ligne que la route aura traversée, on sera forcé de convenir qu’ils auraient été bien exigus. La réponse sera plus facile encore, si on demande quels avantages cette voie aurait procurés au commerce intérieur. C’est alors qu’on aurait pu dire avec beaucoup de justice que cette création d’une espèce toute nouvelle était faite en faveur d’une seule ville.

Enfin, messieurs, ce n’est pas le moindre inconvénient, on se rapprochait de toute la ligne du territoire hollandais ; à Visé, le passage de la Meuse était pour ainsi dire sous le canon de Maestricht. C’était donc mettre cette grande communication à la merci d’une nation jalouse, à toujours notre rivale, qui voudrait faire revivre les stipulations du traité de Munster de 1648, avec laquelle cependant, dans notre intérêt commun et bien entendu, nous parviendrons, j’espère, à vivre en paix et bonne intelligence.

Mais il est d’une saine politique dans un cas aussi grave, de se mettre à l’abri des éventualité les plus éloignées.

Le même orateur, tout en reconnaissance que nous étions ici les représentants du pays et non ceux de district ou localités particuliers, a fait beaucoup d’effets pour démontrer que la route proposée causera un notable préjudice au Hainaut. Mais, messieurs, le projet détermine un embranchement vers la frontière de France par la province du Hainaut, celui-ci n’est donc, ni lésée, ni mise en oubli.

Que l’honorable membre se rassure ; on ne veut pas de privilèges pour les houilles et charbons des exploitations de Liége, mais on demande que ces produits puissent prendre part à la consommation de l’intérieur du pays, avec les mêmes avantages que ceux de Mons et Charleroy, qui jusqu’à présent en ont eu la fourniture exclusive.

Tous les faits allégués se résument par ce peu de mots : Mons et Charleroy, indépendamment de leur écoulement considérable en France, ont été de tout temps en possession de fournir à Gand, Bruxelles, Anvers et leurs alentours ; c’est une haute, une criante injustice d’accorder aux exploitants de Liége, que la révolution a privés de leur unique débouché, de leur accorder, dis-je, les moyens de venir prendre part à cette consommation. Cependant mon honorable collègue l’a dit lui-même dans une récente occasion : c’est l’intérêt des consommateurs qu’il faut considérer.

L’utilité de la nouvelle route étant bien démontrée, on arrive naturellement au mode d’exécution ; ceci sera traité plus particulièrement lors de la discussion des articles, je me restreindrai dans quelques considérations générales.

Le cas présent (on ne doit pas le perdre de vue) diffère absolument de tout ce qui existe chez nos voisins ; on ne peut traiter la chose par analogie de position. Ce n’est pas ici l’intérêt d’une, ni même de quelques localités, c’est l’intérêt de tout le pays mis en question ; c’est une ligne de communication générale qu’il s’agit de créer. Cette ligne doit rester entière, elle est indivisible, une partie se rattache essentiellement à l’autre.

Un chemin de fer qui, en unissant la mer au Rhin embrassera toutes les communications du royaume doit être un monument national. Il ne peut, il ne doit pas être l’œuvre de l’intérêt privé. Si la centralisation peut avoir des effets utiles, c’est surtout lorsqu’il s’agit de grands travaux pour l’exécution desquels il faut une volonté ferme, un plan arrêté d’avance, une imputation unitaire. Dans cette question, la première chose à considérer est le besoin de nous affranchir de la dépendance de la Hollande. Le mode et les moyens d’exécution de la route doivent y être subordonnés.

Cet événement doit exercer une grande influence sur la question de la libre navigation de l’Escaut qui se traite à Londres. Nous associons à notre cause l’Angleterre, la Prusse, toute l’Allemagne, qui auront alors un intérêt direct et puissants au maintien de cette libre communication ; le passage par les eaux intérieures perdra de son importance pour la Hollande même, qui sera réduite à n’y voir qu’un objet d’intérêt secondaire.

L’arrangement de nos affaires politiques ne peut enfin qu’en recevoir une salutaire impulsion.

Ce n’est pas non plus sans motif que l’on considère cet établissement comme un puissant auxiliaire dans nos négociations commerciales avec la France.

On ne pourrait, sans inconvénient, donner de plus amples développements à ces arguments, qui suffiraient presque seuls pour déterminer le mode d’exécution par le gouvernement ; en usant toutefois des précautions et réserves qui sont l’objet d’un article spécial dans le projet et qui pourront être fortifiées, si la nécessité en est reconnue.

Le mode de concession particulière n’assurerait pas aux intérêts industriels du royaume tous les avantages qu’ils doivent attendre de communications nouvelles. Si même les conditions de la concession, sans intervention de l’Etat, étaient assez modérées pour satisfaire rigoureusement aux besoins actuels, elles ne présenteraient pas assez de garanties pour les exigences futures de notre commerce.

Les concessionnaires établissent leurs conditions sur les probabilités les plus défavorables. Ils comptent sur la possibilité de découvertes nouvelles ou d’améliorations qui pourraient survenir dans les voies de communication ; de là une fixation de péages, qui fait que l’entreprise n’atteint pas complètement le but proposé, tandis que l’Etat est engagé pour un temps plus ou moins long, peut-être même à perpétuité ; si donc le gouvernement ne peut se soustraire aux chances les plus désavantageuses, mieux vaut adopter le mode qui n’exclut pas celle de la bonne fortune, et qui ne l’expose pas, comme cela a déjà eu lieu, à la nécessité de faire de grands sacrifices pour obtenir la résiliation d’un contrat dont les effets sont de porter à l’intérêt général un préjudice personnel qui se renouvelle et s’augmente tous les jours.

Un honorable orateur, zélé partisan des concessions, prétend que la jalousie d’entrepreneur, l’esprit de monopole se sont emparés du gouvernement. Je ne sais trop si ces reproches ne pourraient pas être renvoyés à une autre adresse. Il exprime du reste des regrets qui ne seront pas partagés par tout le monde.

« Sans cette jalouse opposition, dit-il, depuis trois années nous posséderions une partie de cette route en fer qu’on est encore réduit à discuter maintenant. L’esprit d’association nous ferait déjà rouler en locomotives d’Anvers à Bruxelles. »

C’est vrai, messieurs, mais cette jouissance, qui, j’espère, ne sera pas longtemps différée coûterait un peu cher, et je pense que le public ne se plaindra pas du retard qu’il éprouve, lorsqu’il saura que d’après le projet actuel les frais de transport entre Anvers et Bruxelles s’élèveraient, droit de halage compris, à peine à 3 fr. par tonneau au lieu de 8 fr. 50 c. à 16 fr. 90 c. (4 à 8 florins) que la compagnie demande.

Il résulte en outre du texte de l’article 7 du cahier des charges proposé que la compagnie concessionnaire aurait ensuite le privilège d’effectuer ces transports dans toute l’étendue de sa concession, soit vers Anvers, soit vers Bruxelles, et en conséquence les convois expédiés du pays de Liége, pour l’une ou l’autre de ces villes, auraient été, à partir de Malines, entièrement soumis au monopole des transports de concessionnaires.

Il n’y avait en outre impossibilité de forcer ces derniers de réduire leur tarif lorsqu’une fois ils en auraient obtenu l’octroi ; et ce tarif s’élevait de 20 à 40 c. par tonneau et par kilomètres, y compris les frais de transport, tandis que 4 à 6 c. sont reconnus suffisants dans le projet du gouvernement. On voit qu’il y a de la marge.

On nous préconise sans cesse le système suivi en Angleterre ; mais là, messieurs, il y a surabondance de capitaux qui cherchent un placement ; l’esprit d’association s’y est développé depuis longtemps dans sa véritable acception et il ne serait pas difficile d’en assigner les causes ; la principale provient de l’impulsion donnée par une aristocratie prodigieusement riche et toute-puissante. Outre l’attrait des dividendes, ces grands propriétaires ont eu pour but et aussi pour résultat d’augmenter considérablement la valeur de leurs biens-fonds ou de leurs exploitations de mines. Lors même que l’entreprise ne couvre que l’intérêt des capitaux, elle est d’ordinaire pour eux une source de richesses. C’est cette considération qui a donné l’existence au premier canal navigable établi en Angleterre en 1758, par le duc de Bridgewater.

On sait que cette entreprise a été le prélude d’une quantité d’autres du même genre, qui ont donné et donnent encore à leurs actionnaires des bénéfices que l’on peut qualifier d’immodérés, leurs actions ayant acquis un surcroît de valeur extraordinaire. Pour la plupart de ces entreprises, cette valeur à plus que décuplé ; du reste l’industrie est régie en Angleterre par une législation fort libérale. Sous certains rapports le gouvernement a pu laisser faire, pour me servir du mot convenu ; mais on se tromperait si, comme on voudrait vous le faire croire, on admettait que cette règle est sans exception. Entre autres ouvrages exécutés entièrement par le gouvernement, on peut citer la route d’Irlande, le canal calédonien, le canal royal militaire ; et remarquez-le bien, messieurs, c’étaient des créations d’intérêt général.

En France le système des concessions particulières avait prévalu : actuellement on n’y est plus d’accord sur le mode d’exécution. Les uns prétendent qu’elle doit appartenir à l’Etat ; les autres sont d’avis, au contraire, que ce sont les compagnies qui doivent exécuter ; mais, notez-le bien, avec les subsides du gouvernement.

Il résulte de là que l’opinion la plus prononcée est que toute grande entreprise de travaux publics est bien difficile, si pas impossible, si elle est abandonnée aux seules ressources de l’intérêt privé.

La doctrine du laisser faire peut être bonne pour l’industrie particulière, encore sous certaine réserve ; dans les travaux publics elle n’est très souvent que d’une application improductive.

L’esprit d’association, mot bien sonore, qu’on prône tant, et qui souvent n’est mis en avant que par l’égoïsme de l’intérêt particulier, couvert du voile de l’intérêt général, ne s’est montré jusqu’à présent, et ne paraîtra, je le crains de longtemps, que dans les discours et dans les livres.

Nous pouvons attendre encore avant d’en voir les effets, et dans le cas présent, messieurs, la question de temps est l’une des plus importantes, on pourrait même dire, la plus décisive.

Nous sommes un Etat naissant qui se constitue ; il sera glorieux pour nous de prouver qu’à son aurore il a des éléments de durée.

Nos rapports politique et commerciaux avec nos voisins sont à établir.

Nous avons à assurer la libre navigation de l’Escaut.

Nous devons prendre des mesures pour éviter les suites d’une interruption, ne fût-elle-même que momentanée.

Nous devons chercher à nous mettre à l’abri des entraves que ne manqueront pas de nous susciter les Hollandais dans l’usage des canaux intérieurs, bien qu’il nous soit garanti par le traité.

Nous devons nous mettre en rapport direct avec l’Allemagne et recourir au seul moyen qui se présente de lutter avec avantage contre la concurrence hollandaise.

Il faut saisir avec empressement l’occasion peut-être unique qui s’offre de libérer en tout ou en partie notre commerce, les produits de notre industrie, même des matières premières, de l’onéreux fardeau du droit de transit.

Il résulte de documents semi-officiels que la Prusse est disposée à modifier fortement, si pas à abolir entièrement ce droit sur le chemin de fer. On a la certitude, et je l’ai entendu assurer par des personnages d’un rang très élevé, que les marchandises, provenant de la Belgique, jouiront dans l’entrepôt de Cologne de tous les avantages, de toutes les facilités qui seront accordées dans les entrepôts d’Anvers et d’Ostende aux provenances de l’Allemagne.

En résumé, messieurs, des motifs politiques et commerciaux doivent exercer une grande influence sur la décision que nous allons prendre. Quant à moi, après les avoir envisagés sous toutes leurs faces, après les plus scrupuleuses investigations, je n’ai pu hésiter un instant.

Si, comme il y a lieu de l’espérer, le projet est adopté, je m’estimerai heureux d’avoir eu l’honneur, dans une circonstance comme celle-ci, d’être mandataire du pays, pour coopérer par mon vote à une vaste entreprise qui sera pour l’avenir un immense bienfait. J’ai dit.

M. Dumortier. - Messieurs ; j’ai eu l’honneur de déposer hier sur les bureau des questions que j’ai adressées à M. le ministre et qui me paraissent dominer toute la discussion. Je m’attendais à ce que le ministère commençât par y répondre. L’honorable M. de Puydt a également remis des questions d’une haute importance ; le ministère n’y a pas non plus répondu. Je demande que le ministre veille bien à l’ouverture de la séance de demain ou à cette séance même, répondre à ces diverses questions ; car sans cela, il est impossible à plusieurs de mes honorables amis et à moi de prendre par à la discussion.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, jusqu’à présent, il n’a pas paru au ministère (et la chambre a semblé partager cette opinion) qu’il fût nécessaire de répondre aux questions qui lui ont été adressées par MM. Dumortier et de Puydt à l’ouverture de la dernière séance. La chambre n’a pas manqué d’orateurs qui aient défendu ou attaqué le projet ; le ministère n’a donc pas cru, ainsi que le pense l’honorable M. Dumortier, que les questions qu’il a bien voulu nous adresser dominassent toute la discussion ; aussi n’a-t-il pas cru devoir y répondre jusqu’à présent. Ces questions n’ont pas dans notre opinion la portée qu’on voudrait leur donner, nous les considérons comme de simples objections auxquelles nous répondrons en temps et lieu dans le cours de la discussion ; mais nous ne voyons pas qu’elles dominent la question à tel point qu’elles doivent amener les orateurs inscrits pour ou contre le projet.

Dans tous les cas, le gouvernement aurait une fin de non-recevoir à opposer à ces questions. Il pourrait dire que la route en fer doit être construite, alors même qu’elle ne serait pas continuée en un pays voisin.

Le gouvernement n’a compté dans son évaluation que le mouvement actuel du commerce et de l’industrie. C’est à ces calculs qu’il faudrait se rapporter ; il faudrait établir qu’ils sont exagérés, qu’ils sont inexacts, alors on ne nous verrait pas garder le silence ; mais tant qu’on se bornera à des attaques générales ; tant qu’on viendra répéter sans preuve que le gouvernement veut grever le pays d’une charge de 50, 60, 100 millions, sans établir que les devis sont inexacts, qu’il y a exagération en plus dans les recettes présumées, exagération en moins dans les dépenses, nous considérerons ces objections vagues comme à peu près indignes d’une réponse sérieuse ; mais nous déclarons à l’avance que nous sommes prêts à répondre à tout ce qui pourrait être dit pour contestez l’inexactitude des calculs des ingénieurs.

Nous n’avons pas voulu surprendre la chambre et le pays. Nous n’avons point établi notre projet sur des bases fictives qui soient en dessous de la réalité. Nous croyons avoir posé des bases assez larges et nous espérons même que l’adjudication des travaux nous fournira un excédant sur nos évaluations. Quant aux recettes présumées, s’il y a exagération, c’est en ce sens qu’elles sont au-dessous des recettes réalisables. C’est ce qui résulte de l’enquête. Plusieurs corps consultés ont dit que nos évaluations des recettes étaient en-dessous de la réalité. La chambre de commerce d’Ostende nous a même adressé de graves reproches à ce sujet. Voilà comment le gouvernement a procédé et dans quel esprit ont été faits les calculs des ingénieurs.

Puisque j’ai la parole, je répondrai, si la chambre veut bien le permettre, à quelques objections qui nous ont été adressées dans la séance d’hier et d’aujourd’hui.

On a cru voir dans la présentation d’un projet de loi qui a pour but de lier l’océan an Rhin, de réunir les quatre principaux centres d’activité intellectuelle et matérielle du pays, qui distinguera la Belgique entre toutes les nations de l’Europe, on a cru voir dans ce projet un misérable calcul d’amour-propre ; on n’a pas craint de rabaisser la question à d’aussi mesquines proportions.

Si on a voulu dire que le gouvernement tenait à l’honneur d’attacher son nom à cette entreprise, le gouvernement est trop franc pour ne pas répondre oui. Oui, le gouvernement tient à honneur de rattacher à son administration cette entreprise nationale, c’est un honneur qu’il met au-dessus de bien d’autres, de doter le pays d’un aussi grand bienfait. Mais, messieurs, le gouvernement est aussi trop vrai pour ne pas déclarer que la première idée de ce projet ne lui appartient pas.

Le gouvernement provisoire, à qui on doit un grand nombre de bonnes choses, dès les premiers temps de son institution, s’est occupé d’un pareil projet ; il est à regretter que l’état dans lequel était à cette époque le trésor public ne lui ait pas permis de l’exécuter par lui-même. Les ministères qui ont succédé à celui du gouvernement provisoire se sont aussi, je le présume, occupés de ce projet. Le ministère laborieux de l’honorable M. de Theux, avait préparé un projet ; je renouvelle le regret que j’exprimai alors qu’il n’ait pas été donné suite à ce projet.

Si le gouvernement avait été si pressé d’obtenir cet honneur, de se donner cette satisfaction d’amour-propre, il ne tenait qu’à lui depuis plus d’un an de mettre en adjudication la concession d’une route en fer : il pouvait, en vertu de la loi de juillet 1832, tenter l’établissement de la grande communication d’Ostende à la Meuse et au Rhin, avec la chance d’accaparer pour lui seul la gloire de cette entreprise, sans y associer aucunement les chambres. Le gouvernement ne l’a pas fait parce que, plus que les conseils de l’amour-propre, il a écouté les conseils du pays. Il a cru qu’il était de l’intérêt du pays qu’un travail de cette importance fût fait par le pays même et qu’il ne devait pas être livré au caprice ou à la cupidité de l’intérêt privé.

Nous demanderons de quel côté sont les illusions, ou du côté de ceux qui veulent que les travaux d’utilité générale soient livrés à l’égoïsme de l’intérêt privé, ou de ceux qui veulent qu’ils soient confiés au gouvernement, qui a la mission de défendre les intérêts généraux.

On a senti, messieurs, que si la révolution belge voulait se recommander aux yeux de l’Europe, elle ne devait pas se borner à opérer un grand fait politique et moral ; qu’il ne suffisait pas pour justifier son origine qu’elle eût donné au pays la constitution la plus libérale, mais que son œuvre devait être complétée par un fait matériel de la même portée. Ce fait, messieurs, ce sera la construction d’une route en fer ; cette entreprise sera aux intérêts matériels du pays, ce qu’est notre constitution à ses intérêts moraux. Nous le demandons : l’intérêt de tel ou tel arrondissement qui criera bien fort, ôtera-t-il au projet ce caractère de haute utilité nationale que chacun est obligé en âme et conscience de lui reconnaître ?

A l’intérieur, la route en fer est destinée à réunir Liège, Bruxelles, Anvers et Gand, ces grands foyers d’intelligence et d’industrie qu’il serait dangereux de voir divisés et constitués en centres indépendants. A l’extérieur elle est destinée à rattacher à la Belgique des nations voisines qui ne connaissent de nous, il faut le dire, que des discussions parlementaires sans résultat. Il faut que l’Europe apprenne que les chambres belges savent faire autre chose que discuter, qu’elles savent agir à l’occasion et concourir avec le gouvernement aux travaux d’utilité publique.

Messieurs, on ne niera pas les avantages de la route en fer, mais on dira la route ne serait pas moins utile si elle était exécutée par voie de concession. On dira : « laissez le champ libre à l’intérêt privé qui fera mieux et plus vite. » L’intérêt privé, dans mon opinion, ne fera ni mieux ni plus vite, il ne fera pas ; et j’en aurais pour garant l’insistance même de ceux qui recommandent les concessions alors qu’ils ne veulent en aucune façon de la route en fer. Dans leur opinion ils ont raison ; à leur place peut-être je penserais comme eux. En effet on a représenté le projet comme consacrant une odieuse et scandaleuse injustice, ce sont je crois les expressions d’un honorable orateur auquel je réponds, on a dit qu’il entraînait la ruine de la province entière du Hainaut. Mais je dirai aux représentants du Hainaut : si en effet le projet consacre une telle injustice, s’il ruine toute votre province, votez contre le projet ; mais ne venez pas nous conseiller la construction par voie de concessions. Alors il y aura à la fois dans votre conduite et plus de franchise et plus de patriotisme local !

M. Dumortier et M. Gendebien demandent la parole.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je dis donc, que si la construction d’une route en fer devait ruiner le Hainaut, les représentants de cette province devront s’opposer à ce que cette construction eût lieu de quelque manière que ce fût. Mais les chambres du commerce du Hainaut ne sont pas tout à fait d’accord avec ses représentants sur les résultats que l’entreprise projetée doit avoir pour cette province. J’ai sous les yeux l’avis de la chambre de commerce de Tournay. Si je le lisais vous y trouveriez des arguments plus forts que ceux que je vous ai donnés. Permettez moi de vous en citer un passage :

« Nous venons, avec les autres chambres de commerce du royaume, applaudir au projet de construction du chemin de fer d’Anvers vers la Prusse.

« Multiplier le plus possible les voies de communication par terre et par eau, c’est, à notre avis, contribuer de la manière la plus efficace à la prospérité d’un pays ; commerce, industrie, agriculture, tout y trouve son avantage ; cette vérité est devenue presque triviale, aussi voyons-nous de toutes parts s’improviser en quelque sorte des entreprises qui eussent effrayé, il y a quelques années encore, les imaginations les plus hardies ; l’Angleterre a donné l’élan, la France songe à l’imiter, la Hollande même projette un chemin de fer vers Cologne.

« Dans cet état de choses, la Belgique ne peut rester en arrière ; elle le peut d’autant moins, que les circonstances dans lesquelles elle se trouve depuis deux ou trois ans viennent changer, sous plus d’un rapport, sa position commerciale. Anvers voit, par les entraves sur l’Escaut, l’importance de ses affaires considérablement diminuée ; elle craint, non sans raison, de voir tarir, sans retour, une des sources principales de sa prospérité, ses exportations vers l’Allemagne : Un chemin de fer seul peut tout sauver, en compensant les avantages que possède la Hollande à titre de ses eaux intérieures.

« Ce n’est là qu’un seul point de vue sous lequel nous envisageons l’avantage du chemin de fer dont il s’agit : il en est plusieurs autres sous lesquels il pourrait être présenté, notamment dans ses rapports avec l’industrie et l’agriculture ; nous nous en référons volontiers à cet égard aux considérations soumises à M. le ministre par la commission d’industrie et de commerce, dans son exposé du 8 mars dernier, exposé dont nous partageons presque entièrement les pensées. »

La chambre de commerce de Tournay donne ensuite d’excellentes raisons contre le mode de concession pour la construction de la route.

M. Dumortier. - Elle demande au contraire que les travaux soient faits par voie de concession.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Elle ne les demande pas à votre manière. Je vais lire comment la chambre de Tournay demande les concessions :

« Il nous reste à parler du mode d’exécution. Sans vouloir toucher la question de savoir si, jamais le gouvernement ne doit intervenir directement dans l’exécution de grands travaux à entreprendre ; en d’autres termes, s’il est toujours bien de recourir au mode de concessions, nous pouvons argumenter de circonstances toutes particulières contre l’application de ce dernier système dans l’espèce, d’un côté, incertitude sur le produit de la route, incertitude sur la liberté de l’Escaut, incertitude même sur les bonnes dispositions de la Prusse pour continuer les travaux jusqu’au Rhin, en voilà beaucoup plus qu’il n’en faut pour forcer un concessionnaire sage à porter ses prétentions extrêmement haut, et par suite, nuire par des péages trop élevés au succès de l’entreprise.

« A cela il faut ajouter une autre considération. que toutes les parties de la route à construire ne seront pas également lucratives : En faire un seul lot présenterait de graves inconvénients ; et en faire plusieurs, ce serait s’exposer à en voir plusieurs non adjugés. »

C’est mot pour mot ce que le gouvernement pourrait dire contre le système des concessions.

M. Dumortier. - La chambre de commerce de Tournay conclut contre les concessions.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Je serais fâché pour la chambre de Tournay de cette contradiction ; puisqu’on me force à lire ses conclusions, on verra qu’elle demande un système mixte, une sorte de juste milieu. Voici comment elle s’exprime :

« Dans cet état de choses il serait à désirer que le gouvernement pût traiter avec une société anonyme, en stipulant tout d’abord les intérêts du commerce, de l’industrie et de l’agriculture, pour obtenir des péages modérés ; mais il faut que cette société anonyme soit ouverte à tous ; c’est un grand œuvre national auquel toutes les existences doivent être appelées, et s’il y a bénéfice, il ne faut pas le monopoliser.

M. Dumortier. - C’est cela.

M. Gendebien. - Nous sommes d’accord.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Vous êtes d’accord. Voyez cependant comme la chambre de commerce de Tournay est sur ses gardes contre les inconvénients des concessions, comme elle engage le gouvernement à se tenir de même en garde contre des concessions isolées et désastreuses.

Ce qu’a dit à cet égard la chambre de commerce de Tournay, est parfaitement exact et me met à même de répondre à ce qui a été dit dans la séance d’hier par l’honorable M. H. Vilain XIIII. Il a fait un reproche au gouvernement de ne pas vouloir de concessions et d’étouffer des projets de route qui ne demandent qu’à naître. Nous reconnaissons que si l’adjudication n’avait lieu que sur certain point du tracé, elle trouverait des amateurs en assez grand nombre. Ainsi les adjudicataires ne manqueraient pas pour la route de Bruxelles à Anvers, qui offre de grands avantages surtout pour le transport des voyageurs. Mais si la route devait être continuée aux mêmes conditions jusqu’à Liège, Bruges et Ostende, je doute fort, quelque ardente que soit la confiance dans les concessions, je doute fort qu’on trouvât des adjudicataires.

J’ai oublié de citer l’avis de la chambre de commerce de Charleroy. Il est très court mais très significatif.

M. Gendebien. - Il faudrait lire les protestations qui sont à la suite.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Cet avis est ainsi conçu :

« Nous avons examiné et lu en son entier le projet de route en fer, d’Anvers à la Meuse, et vers le Rhin, que vous nous avez communiqué, ainsi que le rapport de la commission d’industrie et de commerce, sur l’utilité et l’urgence de cette communication. Nous avons tous été unanimes pour y donner notre entière approbation et applaudir à la sollicitude du gouvernement pour le développement, sur une grande échelle, de toutes nos communications commerciales. »

La chambre de commerce de Mons exprime aussi un avis favorable au projet ; à la vérité elle a émis le vœu très naturel, qu’il soit construit un embranchement vers Mons. Le gouvernement a déjà déclaré qu’il ne s’opposait nullement, du moment que la législature lui en donnerait les moyens, à ce que la Belgique entière fût couverte d’un réseau de routes en fer.

J’ai dit que l’intérêt privé ne ferait pas la route en fer. J’ai quelques raisons de le penser. Le gouvernement, depuis qu’une loi l’y a autorisé, a mis en adjudication la concession des péages sur un assez grand nombre de routes. Elles étaient vivement réclamées ; il s’agissait de communications d’une de deux ou trois lieues. Aucun adjudicataire ne s’est présenté. Si alors qu’il s’agissait d’entreprises peu considérables, exigeant peu de capitaux, l’intérêt privé ne s’est pas éveillé, s’éveillera-t-il davantage lorsqu’il s’agira d'une vaste entreprise dans laquelle devront s’engager de grands capitaux ?

On revient toujours sur ce que le gouvernement veut grever le pays d’un impôt énorme ; on ne sait pas, dit-on, où on veut nous conduire, on va peut-être charger la propriété foncière d’un emprunt de 40, 50, 100 millions, car on varie de 40 à 100 millions.

Nous avons établi, et j’espère que les documents que nous avons produits auront été lus par la plupart d’entre vous, nous avons établi que le premier projet du gouvernement n’exigeait qu’une dépense de 16 millions 500 mille francs. A-t-on trouvé que les évaluations du gouvernement, soit pour travaux d’art, soit pour achats de terrains, sont au-dessous de la réalité ? Alors qu’on le prouve.

Admettons que le gouvernement dans ses évaluations se soit trompé d’un quart, cela porterait la dépense à 20 millions au lieu de 16. Voilà de quelle somme le gouvernement entendait grever le pays, pour me servir de l’expression mise à la mode depuis l’ouverture de ces débats. Mais, messieurs, le gouvernement ne demande pas un sou aux contribuables, l’exécution du chemin de fer n’exige pas une nouvelle levée d’impôt, le gouvernement est convaincu que la route se suffira à elle-même et qu’elle présentera même un excédant de produits ; il pense que la route présentera assez de garanties aux préteurs, pour attirer les capitaux sans charges nouvelles pour l’Etat.

Qu’on démontre que les millions que nous voulons employer à la construction du chemin de fer seront dépensés en pure perte, seront jetés à la rivière, se dissiperont en fumée, alors ce sera avec raison qu’on pourra parler de charges accablantes pour le pays. Mais aussi, en fait de dépenses utiles que puisse faire un Etat, je demande s’il en est une dont l’utilité soit plus frappante, qu’une communication et une communication de la portée de celle que nous proposons.

On signale le bon marché auquel cette communication pourra effectuer les transports, et on prétend qu’elle tuera les routes du Hainaut. Ce n’est donc pas une si mauvaise spéculation ; on lui donnera donc la préférence, elle produira donc quelque chose, puisqu’on craint que cette route ne ruine celles des autres localités. C’est pour le bas prix des transports qu’elle obtiendra cette préférence. Je vous demande si une route qui transporterait à bas prix une grande quantité de marchandises peut être considérée comme une mauvaise entreprise pour le pays ; je vous demande si on peut considérer comme dépense en pure perte, l’argent employé à la construction d’une route au moyen de laquelle les produits de notre agriculture et de notre industrie pourraient être transportés plus vite et à plus bas prix.

Il y aurait préjudice pour les intérêts du pays, pour le commerce, l’industrie et l’agriculture si la construction de cette route était livrée à l’intérêt particulier, chacun de vous peut s’en apercevoir facilement. Le gouvernement pourra transporter à très bas prix, l’intérêt privé ne le fera pas, il s’inquiètera fort peu des intérêts de telle ou telle province, il cherchera à exploiter la route de toutes les manières.

Pour ce qui regarde le Hainaut en particulier, je demande ce qu’il gagnerait à voir faire la route par concession,. Voici ce qu’il gagnerait : si j’étais concessionnaire je ne serais pas obligé de considérer l’intérêt général, je chercherais à faire produire le plus d’argent possible à mon entreprise ; je saurais que le charbon de Liége, et en parlant les charbons de Liége, je cite un des mille exemples que peut présenter la question, car ce n’est pas le charbon qui fait la base du projet ; je saurais, dis-je, que le charbon de Liége à la concurrence des charbon de Mons à redouter, je commencerais par transporter à très bas prix ou même gratis le charbon de Liége à Anvers, sauf, quand j’aurais tué sur le marché d’Anvers et de Bruxelles la concurrence du Hainaut, à rétablir mon droit sur le charbon de Liége. Le Hainaut aurait beau crier qu’on le ruine, le cessionnaire le laisserait crier et dirait : Périsse le Hainaut plutôt que mes écus.

Le gouvernement ne peut faire un pareil raisonnement. Il a déclaré d’abord que chaque année le tarif des péages serait soumis à la législature ; C’est alors que les différents intérêts du pays pourront se faire entendre, c’est alors que la chambre sera appelée à établir les tarifs, de manière qu’une localité importante ne soit pas préjudiciée tandis qu’une autre serait favorisée outre mesure, c’est alors que la législature pourra examiner s’il n’y a pas lieu de faire encore pour la province du Hainaut ce qu’on a déjà fait dans diverses circonstances, sans que le commerce de Liége soit venu jeter les hauts cris.

Nous ferons l’histoire des communications du Hainaut, nous montrerons que le Hainaut a été plus favorisé que les autres provinces et que la province de Liége en particulier. Cependant nous n’avons pas vu que la province de Liége vînt jeter des cris d’alarme ou faire entendre des menaces. Ces faveurs de la province du Hainaut ne datent pas de l’ancien gouvernement mais du gouvernement actuel, c’est depuis la révolution que dans le Hainaut on a réduit le droit de péage sur le canal de Pommeroeil à Antoing. Là on payait un florin, on ne paie plus que 50 cents, c’est une somme de 150,000 francs dont le trésor belge s’est grevé annuellement en faveur du Hainaut.

Ce n’est pas tout : les concessionnaires du canal de Charleroy est aussi un canal du Hainaut, voyant qu’on avait réduit le taux du péage sur le canal de Pommeroeil, sont venus demander aussi une réduction ; elle a été accordée. Vous pensiez bien que ce ne sont pas les concessionnaires qui ont fait de la générosité, mais, voulant attirer plus de charbons sur leur canal, sans bourse délier, ils ont dit au gouvernement : nous allons réduire le taux du péage, mais vous nous en tiendrez compte. Le gouvernement a fait ce que les concessionnaires demandaient.

Par suite de cette réduction, une somme de 30,000 fl. a été payée par la généralité du pays, y compris le charbonnage de Liége, pour que le charbon du Hainaut arrivât plus facilement à Bruxelles. Eh bien, le Hainaut a joui de cet avantage sans que la province de Liége à qui pourtant la révolution avait enlevé de ses débouchés, ait songé à réclamer.

Si les canaux du Hainaut étaient restés entre les mains des concessionnaires, ou si le gouvernement, une fois la concession accordée, avait dit au commerce : arrangez-vous avec les concessionnaires, je ne m’en mêle pas ; le commerce du Hainaut aurait été condamné à payer sur le canal de Pommeroeul le double de ce qu’il paie aujourd’hui et sur le canal de Charleroy il paierait un florin 70 cents, tandis qu’il ne paie plus qu’un florin 45 cents. Voilà un des avantages que présentait le système des concessions.

Je bornerai là pour aujourd’hui mes observations. Je ne m’attendais pas à prendre la parole. J’aurais voulu les présenter avec plus d’ordre et d’une manière plus complète. Je pense néanmoins qu’elles suffiront pour détruire l’effet des objections présentées jusqu’ici contre le projet.

M. Dumortier. – Je demande la parole.

M. de Puydt. - Je la demande également : je me bornerai à parler sur la motion d’ordre ; je ne suivrai pas le ministre dans les divagations auxquelles il vient de sa livrer.

Les observations qui viennent d’être faites sur mes questions soumises hier à la chambre, prouvent que M. le ministre n’a pas compris la portée de ces questions.

Sans cela il n’y opposerait pas, quoique ce ne soit que trop sa coutume, ou des paroles ironiques ou un dédaigneux silence.

Ces questions sont fondamentales pour la discussion, la chambre ne peut en juger autrement.

En effet, de quoi s’agit-il ? de transporter des marchandises d’Anvers à Cologne à un prix qui détruise la concurrence hollandaise.

Or, comment peut-on apprécier la dépense de ces transports, si on ne connaît pas les charges qui peuvent peser sur eux. Je défie le ministre de faire des calculs sans résoudre une semblable difficulté.

C’est ici une affaire de chiffre ; tous les raisonnements politiques n’y font rien. Si vous ne pouvez pas produire les chiffres, vous êtes impuissant pour nous convaincre. Jusqu’à la victoire$ prussienne rien n’est plus facile que d’apprécier les dépenses de transports quand une fois la route sera faite et son matériel établi. Mais au-delà de cette frontière, non. Le ministre qui ne peut nous donner l’assurance que le gouvernement prussien n’imposera pas une taxe à charge des transports ; le ministre qui ne connaît pas le maximum du péage de la société concessionnaire prussienne, n’a donc aucun des éléments les plus indispensables pour le calcul. Il doit se taire s’il veut éviter de se tromper, s’il veut échapper à la juste défiance qu’inspireraient des paroles aussi tranchantes que hasardées.

M. Dumortier. - Je voudrais dire aussi quelques mots sur la motion d’ordre. Je ferai d’abord remarquer à l’assemblée que le ministre s’est jeté en-dehors de la question que j’ai soulevée. J’avais demandé que le ministre voulût bien donner les réponses aux questions que M. de Puydt et moi avons déposées sur le bureau : nous venons d’entendre le ministre dire que ces questions sont sans importance ; nous en jugeons autrement, et il faut qu’il prenne l’engagement d’y répondre, sans quoi la discussion ne peut continuer.

Puisque j’ai la parole je ferai une observation sur la discussion : vous venez d’entendre le ministre dire avec des paroles superbes et dédaigneuses, aux députés des provinces qui réclament contre l’établissement du chemin en fer parce qu’il serait une ruine pour elles, eh bien vous voterez contre le projet ; il s’agit de l’intérêt de l’Etat, et non de celui d’une province. Le ministre, par ces paroles, manque à ce qu’il doit à la dignité de la chambre.

Les députes d’une province qui réclament en faveur de ses droits, qui réclament en faveur de l’Etat, ne se borneront pas à un vote négatif silencieux ; on n’a pas le pouvoir de leur imposer un tel vote ; ils doivent remplir leur mandat et personne ne peut leur dicter ce qu’ils ont à faire.

Le ministre vient déclarer qu’il fait une question d’honneur du vote du chemin de fer ; Il veut sans doute qu’on dise la voie Rogerienne, comme on dit la voie Appienne ; et il semble exiger des voix plutôt que vouloir obtenir par conviction. On reconnaît qu’une province est lésée ; les mandataires de cette province le prouvent ; ils prouvent de plus que le projet est dangereux pour le trésor ; le ministre répond : qu’importe qu’une province soit lésée ; il me faut la loi, il me faut un chemin de fer ; mais il ne répond pas aux questions qu’on lui adresse sur les garanties qu’offre son projet.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne sais pas si la voie d’Ostende au Rhin est Dumortierienne ou anti-Dumortierienne ; mais je sais qu’elle est nationale. Nous n’avons pas, comme on le fait entendre, provoqué la division entre les provinces, nous avons fait allusion aux objections, aux menaces que l’intérêt local a fait entendre ici. Oui, j’ai dit que celui qui regarderait la route comme contraire aux intérêts de sa province, pouvait voter contre ; mais je n’ai pas provoqué dédaigneusement à voter contre le chemin en fer. La preuve que je ne dédaigne aucun vote, c’est que j’ai démontré que la construction du chemin par concession serait, particulièrement pour le Hainaut, plus onéreuse que la construction par l’administration ; et je ne puis ici que retourner à l’honorable préopinant les imputations qu’il nous adresse. (A demain ! à demain ! à demain !)

- La séance est levée à cinq heures.