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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 27 février 1834

(Moniteur belge n°59, du 28 février 1834 et Moniteur belge n°60, du 1er mars 1834)

(Moniteur belge n°59, du 28 février 1834)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.

M. Dellafaille lit le procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre ; ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions.


M. Eloy de Burdinne. - Parmi les pétitions dont on nous fait connaître l’objet, il en est une qui se rapporte à la proposition de loi sur les céréales que j’ai présentée à la chambre ; je crois qu’il conviendrait de renvoyer cette pièce au rapporteur de la commission d’industrie.

- La pétition sera, en effet, renvoyée à la commission d’industrie.

Motion d'ordre

Emprisonnement d'un fonctionnaire belge par la garnison fédérale de la forteresse de Luxembourg (incident Hanno)

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, dans votre séance d’hier vous avez fixé la discussion du rapport que le ministre des affaires étrangères vous a présenté il y a quelques jours après le vote du budget de l’intérieur : il importe, dans une question aussi grave pour le pays, d’avoir tous les documents relatifs à l’affaire pour laquelle le rapport a été fait. Depuis que ce rapport a été soumis, j’ai été informé positivement que le général Tabor a reçu le 24 de ce mois une dépêche du général Dumoulin, par laquelle ce dernier signifie qu’il va occuper le rayon de quatre lieues autour de la forteresse. Ce fait est d’une haute gravité. Je demande que le ministre soit invité à déposer cette pièce, et les autres qu’il aurait reçues postérieurement au 24, sur le bureau de la chambre, afin que tous les députés puissent en prendre connaissance avant la discussion qui doit avoir lieu.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Il me semble que la chambre ne peut prendre de résolution à cet égard ; il faut d’abord savoir si la pièce existe réellement ; quand la discussion sera commencée, la chambre pourra demander les pièces qui pourront l’éclairer. Il me semble que toute demande est maintenant prématurée.

M. d’Hoffschmidt. - Je sais d’une manière certaine que la lettre a été adressée au gouvernement le 25 au plus tard, que le gouvernement l’a dans les mains. Je ne vois pas pourquoi il se refuserait à déposer une pièce aussi importante qui se rattache directement aux débats qui vont s’ouvrir. J’insiste pour avoir communication de cette pièce.

M. Gendebien. - Messieurs, je ne crois pas qu’il y ait aucun motif raisonnable dans ceux allégués par le ministre de l’intérieur, pour refuser la communication des pièces que l’on indique : si le ministre de l’intérieur disait qu’il n’est pas compétent pour faire la communication, je le comprendrai. Je ne puis pas attribuer au ministère l’intention de surprendre la chambre ; il me semble qu’il est dans toutes les convenances que les communications aient lieu.

Je saisirai cette occasion pour demander au ministère communication d’un autre document important ; c’est le traité qui a réglé les relations entre l’autorité militaire de la confédération germanique vis-à-vis de l’autorité civile, vis-à-vis du chef de l’Etat. J’ai fait des recherches pour me procurer ce traité, il m’a été impossible de le trouver. Il serait utile que le ministère le communiquât à la chambre par la voie du bureau.

Je prie le ministre de l’intérieur de prendre note de ma réclamation, et je ne crois pas que son collègue des affaires étrangères refuse d’y faire droit.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs je ne pense pas que le gouvernement refuse de fournir à la chambre tous les documents propres à éclairer la discussion qui doit avoir lieu ; mais il me semblerait très irrégulier qu’on exigeât dès aujourd’hui du gouvernement qu’il déposât des pièces isolées. Si un nouveau rapport est nécessaire pour instruire la chambre de ce qui passe depuis le premier rapport, qu’on le demande et il sera fait, mais on ne déposera pas séparément des documents qui, par cela seul qu’ils seraient isolés, pourraient avoir une signification différente de celle qu’ils doivent avoir en les rapportant à ceux qui les ont précédés ou suivis. Le meilleur moyen pour obtenir toutes les pièces, c’est de les demander le jour de la discussion

M. Gendebien. - Alors on ne pourra pas se pénétrer de leur contenu.

M. le comte Vilain XIIII. - Je crois qu’il est inutile d’insister sur la demande faite par M. d’Hoffschmidt parce que, si la lettre existe, il est impossible que le gouvernement ne nous la communique pas ; mais j’appuie la demande de M. Gendebien relative à la communication du règlement qui a fait penser au général Dumoulin que le rayon stratégique est de quatre lieues autour de la forteresse dont il est gouverneur. Nécessairement, un règlement, un traité, une pièce quelconque sert de prétexte aux prétention du général Dumoulin.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - J’ignore si un pareil document est en la possession du gouvernement.

M. Pollénus. - J’avais demandé la parole pour vous faire une proposition qui rentre dans celle que vient de faire M. Vilain XIIII.

J’insiste d’autant plus sur la nécessité de la communication des pièces relatives au rayon stratégique de la place de Luxembourg que, lors d’une première communication faite par l’un des ministres du Roi, j’ai été frappé d’un aveu échappé à une improvisation chaleureuse qui m’a paru n’être pas sans danger pour la conservation de nos droits dans le Luxembourg ; il nous importe de connaître les documents sur lesquels le général prussien pourrait s’appuyer pour étendre le rayon militaire en dehors des limites qu’il a reconnues jusqu’à présent. Cette pièce, je le répète, est indispensable pour la discussion qui probablement demain va s’ouvrir sur le rapport du ministre des relations extérieures.

Mes recherches m’ont fait découvrir un document portant pour titre : Recès général de la commission territoriale de Francfort du 20 juillet 1815, qui règle l’exercice du pouvoir militaire fédéral dans la forteresse de Luxembourg. Une lecture rapide que j’ai faite de ce document, qui se trouve dans le recueil des traités de Martens, porte que le pouvoir fédéral n’altère en rien la souveraineté ni l’administration du grand-duché, mais je ne me rappelle pas d’y avoir rencontré les dispositions qui fixent le rayon stratégique. Il est donc nécessaire de connaître ces dispositions, à l’effet de pouvoir apprécier les prétentions de la diète tant à l’égard du Grunwald qu’à l’égard de l’exécution de nos lois sur la milice.

Ces pièces dissiperont peut-être les doutes que l’on a élevés sur la portée de l’engagement provisoire résultant d’une correspondance entre le prince de Hesse-Hombourg et le général Goethals ; elles serviront pour apprécier les sentiments qui ont dirigé l’autorité fédérale et la commission dite grand-ducale, dans les événements du Luxembourg.

Pour l’avenir, je pense qu’il ne peut plus être question de l’arrangement du 20 mai 1831 : l’attentat de Bettembourg a déchiré ce pacte militaire ; vous vous rappelez au surplus que le général prussien, dans sa lettre au général Tabor du 3 février dernier, dit « qu’il considère tous les engagements pris de sa part comme levés. » Le gouvernement, je l’espère, aura l’énergie d’intéresser le commandant fédéral à consentir des garanties qui mettent la Belgique à l’abri de nouvelles agressions.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne vois pas le but du débat actuel ; on obtiendra les pièces nécessaires quand le débat sera commencé. On a fait allusion à ce qu’a dit le ministre de la justice relativement au Luxembourg ; le ministre n’a pas dit que le général Dumoulin était en droit d’étendre son rayon stratégique ; il a dit que le général Dumoulin menaçait d’étendre ce rayon ; il serait très imprudent d’attribuer au ministre des propos qu’il n’aurait pas tenus.

Je n’en dirai pas davantage aujourd’hui.

M. le président. - MM. Gendebien et d’Hoffschmidt ont déposé leurs propositions sur le bureau.

M. Ernst. - Qu’on requière la présence du ministre des affaires étrangères.

M. Fleussu. - Ce ministre dira s’il a reçu une pièce, ou s’il n’en a pas reçu ; et ce sera une affaire bientôt terminée.

- La chambre, consultée, décide qu’elle invitera M. le ministre des affaires étrangères à se rendre en séance.

Projet de loi portant le budget du ministère de l'intérieur de l'exercice 1834

Discussion du tableau des crédits

Chapitre IV. Instruction publique

M. le président. - la chambre a ajourné la discussion du chiffre qui serait destiné à l’achat de l’ancien hôtel du ministre de la justice.

M. Ernst. - Je fais à la chambre la proposition de continuer la délibération sur le chapitre de l’instruction publique.

- La proposition est adoptée.

Article 3

M. le président. - Nous en sommes restés à l’article 2 du chapitre IV. Cet article 2 formerait l’article 3.

« Art. 2. Frais de l’école industrielle à Gand : fr. 10,000. »

La section centrale propose 3,440 fr.

M. H. Dellafaille - Messieurs, j’ai vu avec peine la section centrale conclure au rejet de la majoration de crédit réclamée pour les frais de l’école industrielle de Gand. La résolution de l’assemblée, si elle était conforme à ces conclusions, me semblerait sacrifier à une économie mal entendue des intérêts bien autrement importants que la chétive somme dont il s’agit.

Je désire, messieurs, qu’il soit bien compris que mon intention n’est en aucune manière d’adresser le moindre reproche à la section centrale. Je tiens que, par le zèle qu’ils ont mis à s’acquitter de leur tâche, ses membres ont mérité toute notre gratitude, et que le rapport qui nous a été fait sur le budget de l’intérieur ira se classer avantageusement parmi nos documents parlementaires les plus remarquables. Je regrette même que, par une singulière fatalité, le plus beau travail qui nous ait encore été présenté sur cet objet soit précisément celui qui ait éprouvé le plus d’échec dans cette enceinte. Mais une section centrale n’est pas, après tout, infaillible. Il ne faudrait pas s’étonner de ce qu’une erreur lui fût échappée ; d’ailleurs, celle que je crois devoir signaler doit être principalement imputée à l’état incomplet ou même à l’inexactitude des renseignements qui ont été mis sous ses yeux.

Il paraît que, d’après les explications du ministre, la section centrale a considéré l’école industrielle comme un établissement d’instruction publique dépendant de l’athénée communal de Gand ; de plus elle semble partager l’avis d’une section particulière et envisager cette institution comme un objet d’intérêt purement local.

En supposant cette opinion conforme à la réalité, si j’étais partisan du système encore en vigueur de subsides accordés aux établissements communaux d’instruction publique, je ne serais pas embarrassé de faire valoir les titres de la ville de Gand à cette espèce d’encouragements. Je n’aurais qu’à vous citer quelques-unes des énormes dépenses qu’elle s’est imposées en faveur du commerce, de l’industrie, des sciences et des arts.

Je pourrais vous rappeler les 300,0000 florins que lui a coûté le nouveau bassin, dépense faite dans l’intérêt du commerce et dont les circonstances politiques lui ont, pour le moment du moins, enlevé presque tous les fruits.

Je pourrais vous dire qu’elle vient de rembourser un emprunt de 100,000 florins contracté en 1830, uniquement pour soutenir l’industrie dans un moment de crise.

Je pourrais vous rappeler le musée, le jardin botanique, la bibliothèque, l’académie, cinq écoles gratuites donnant l’instruction à 2,000 enfants pauvres, l’athénée de la ville qui lui coûte annuellement 25,000 fr. ; les nouveaux bâtiments de l’académie qui lui ont causé une dépense de 40,000 florins, le magnifique palais de l’université qui lui a coûté 1,100,000 fr.

Je pourrais vous faire remarquer, messieurs, que tandis que vous voyez figurer au budget les académies d’Anvers, de Bruges et de Bruxelles, les conservatoires de musique de Liége et de Bruxelles, le jardin botanique de Bruxelles, l’athénée de Bruxelles, et plusieurs autres établissements communaux d’instruction, la ville de Gand a créé et entretenu tous ces établissements, monuments de son zèle pour les lettres et les arts, à ses propres frais, sans vous avoir jamais importunés de ses demandes ; et que le seul objet pour lequel elle eût demandé votre concours doit, tôt ou tard, faire sentir son heureuse influence à toutes les manufactures du royaume.

Mais, messieurs, mon opinion sur le système des subsides vous est connue. Je m’en suis expliqué il y a cinq mois d’une manière assez claire. Je tiens que tout établissement communal d’instruction publique doit demeurer à la charge de la commune, et que nul subside ne doit être accordé que dans le cas de nécessité bien constatée et conformément aux lois voulues par la constitution. S’il y a des motifs plausibles de continuer à l’égard des établissements actuellement subsidiés, la marche peu régulière qui a été suivie jusqu’à ce jour, je me suis du moins opposé à ce que l’on donnât une nouvelle extension à cette déviation, peut-être quelquefois nécessaire, des principes constitutionnels. Cette opinion, que j’émettais au mois de septembre dernier, je la professe encore, et comme elle prend sa source dans une conviction profonde, ce n’est pas un misérable intérêt de localité qui m’en fera changer.

Aussi, quelque intérêt que je porte à la ville de Gand, si les faits sont tels que se le figure la section centrale, messieurs, hâtez-vous de renvoyer cette ville à sa caisse communale. Je vous offre à cette fin le concours de mon vote. Mais, à mon avis, la section centrale a été induite en erreur sur le but et la nature de l’établissement dont il s’agit. Permettez-moi, messieurs, d’entrer dans quelques détails à cet égard. Lorsque l’état des choses sera mieux connu, je ne demanderai d’autre juge que cette même section mieux informée.

L’industrie a pris depuis quelques années un si grand développement dans tous les pays, qu’il devient impossible à nos fabriques de lutter contre l’étranger si on ne leur procure les moyens d’obtenir les deux résultats suivants :

1° Produire plus en moins de temps ;

2° Produire mieux à meilleur marché.

Pour parvenir au premier résultat, il faut perfectionner les mécaniques et simplifier les appareils sans augmenter les frais de production.

Pour parvenir au second, il faut trouver des ouvriers plus habiles qui joignent la théorie à la pratique.

Sous le premier de ces rapports, nous sommes de beaucoup en arrière des Anglais. La supériorité de cette nation en fait de mécaniques est universellement reconnue.

La comparaison ne nous a pas plus favorable quant au second point : cependant nous avons sous la main le fer et le charbon, nos populations sont aussi intelligentes et aussi laborieuses que celles de l’Angleterre ; la vie étant chez nous à bien meilleur marché, la main-d’œuvre y est moins chère. Comment donc peut-il se faire que nos produits aient de la peine à soutenir la concurrence contre les produits anglais ? Evidemment notre infériorité n’a d’autre cause que le défaut de connaissances qui se fait sentir chez nos ouvriers.

Le gouvernement des Pays-Bas le sentit et voulut y remédier.

Par arrêté du 13 mai 1825, il annexa à l’université de Gand, première ville manufacturière du royaume, une école industrielle. Il attacha à cet établissement deux professeurs, portant le titre de professeurs extraordinaires, à l’université, et chargés d’ouvrir des cours gratuits, l’un de géométrie et de mécanique, l’autre de chimie. Chacun des professeurs reçut aux frais du gouvernement, sur les fonds affectés à l’université de Gand, un traitement de 1,600 florins. La ville fournit les locaux, et construisit à ses frais, pour le cours de chimie, un magnifique laboratoire qui lui coûta 18,000 florins.

L’école répondit à son but, et produisait déjà d’heureux résultats lorsque vint éclater la révolution. A cette époque, le départ du professeur Bergsma pour la Hollande sa patrie, la nomination du professeur Lemaire à l’université de Liége, et la suppression de la faculté des sciences, vinrent ébranler ce bel établissement. Il resta subsister néanmoins, grâces à la faculté libre et à un subside de 3,000 florins, alloué par la ville pour l’année 1831.

Le 3 janvier 1831, le gouvernement provisoire substitua aux cours de géométrie et de mécanique, si éminemment utile aux industriels, un cours de physique qu’il confia au professeur Morren, et conféra la chaire de chimie au professeur Jacquemyns. Il réduisit les traitements de 1,600 à 600 florins.

Le cours de physique de M. Morren, moins utile à la classe industrielle que celui de géométrie et de mécanique de son prédécesseur, fut naturellement moins suivi. Celui de M. Jacquemyns, au contraire, le fut avec ardeur. Malheureusement ce professeur se mêla de bien d’autres choses encore que de ses leçons. Compromis dans l’échauffourée de Grégoire, il fut mis en jugement et subit une longue détention. Heureusement pour lui, la justice était cette année-là d’humeur douce et bénigne,et bien en prit au savant qui depuis fut acquitté. Il avait été remplacé vers la fin de l’hiver ; mais vous devez sentir, messieurs, combien ces interruptions et ces mutations successives ont dû nuire à l’établissement auquel d’ailleurs manquait le cours de géométrie et de mécanique supprimé par l’arrêté du 3 janvier.

Par des circonstances étrangères à l’administration de la ville, cette institution avait, dans les derniers temps, cessé de répondre à son but et devait être réorganisée pour ne pas mentir à la pensée de sa création. Cette réorganisation provoquée par le gouvernement a eu lieu vers la fin de l’année dernière : trois professeurs enseignent l’arithmétique, la chimie, la physique, la mécanique et l’économie industrielle ; un quatrième professeur est attendu pour donner des leçons de géométrie et de dessin linéaire. Telle est la cause de la majoration de subside qui vous est demandée.

Ainsi que vous le voyez, messieurs, cet établissement n’est point, comme on le suppose, une institution communale ; c’est une institution de l’Etat, une dépendance de l’université. Le gouvernement en a toujours nommé et payé les professeurs, et la ville n’est intervenue que pour fournir les locaux et le matériel, charges dont elle s’est acquittée avec une véritable magnificence.

Depuis sa réorganisation, l’école n’a point changé de nature. L’article premier du nouveau règlement confie sa direction au collège des curateurs de l’université, auxquels seront adjoints, pour cette école, deux industriels nommés par le gouvernement. Suivant l’article 3, les professeurs sont nommés sur présentation de la régence au gouvernement.

D’après nos principes constitutionnels, ce n’est certes pas là un établissement communal.

Je ne saurais admettre que l’école industrielle de Gand soit un objet d’intérêt local. Je vous ai exposé le but de sa création. Ce but n’est pas restreint aux manufactures de cette ville, il doit comprendre toutes celles du pays. La circonstance que cette école est placée à Gand ne signifie rien. D’abord la prospérité industrielle d’une ville manufacturière aussi importante n’est plus une affaire de localité ; elle intéresse tout le pays. Un Liégeois, un Namurois regarderait-il la ruine du port d’Anvers comme un accident local, indifférent au reste de la Belgique ? Le budget n’a-t-il pas alloué pendant six ans un subside annuel de cent mille francs pour simples améliorations du port d’Ostende ? Messieurs, le commerce et l’industrie, n’importe où ils sont placés, enrichissent tous l’Etat. Il n’y a de différence que du plus au moins. D’ailleurs, il fallait bien que cette école fût placée quelque part, et elle ne pouvait l’être mieux que dans le Manchester de la Belgique, où la pratique pouvait se joindre à la théorie, et où se trouvait en outre le siège d’une université.

Si l’on établit une école des mines, on la placera probablement dans une ville voisine des mines. En fera-t-on une dépense communale ? On a alloué, il y a quelques jours, des fonds pour une école de navigation, qui ne peut être placée qu’à Anvers ou à Ostende. Je n’ai pas entendu qu’il fût question de la faire payer par la commune. Tout au plus celle-ci sera invitée, comme Gand l’a été, à fournir le local et le matériel.

Il n’est pas exact de prétendre que cette école soit d’intérêt local, en ce qu’elle ne peut être fréquentée que par des ouvriers de la ville même. D’abord, rien n’empêche les ouvriers étrangers qui veulent se perfectionner dans leur métier de venir quelque temps travailler dans nos ateliers et de suivre le soir les cours de l’école. Ensuite nos ouvriers ne sont pas enchaînés dans nos fabriques, et du moment que la ville de Gand possédera des ouvriers instruits, soyez sûrs que les fabricants des autres villes du royaume en seront bientôt pourvus. Fiez-vous sous ce rapport à l’intérêt particulier, et si vous parvenez à posséder chez vous de bons ouvriers, qu’importe où ils se sont formés.

Enfin, messieurs, s’il est vrai que la ville de Gand profitera plus que toute autre localité de cette institution, il ne faut pas vous figurer cependant qu’elle en rejette tous les frais sur l’Etat ou qu’elle n’y contribue que dans une proportion insignifiante. Elle y a dépensé déjà plus de 40,000 francs, et ce n’est pas là qu’elle compte se borner. L’affluence des ouvriers qui fréquentent les cours est telle que la moitié à peine de ceux qui se présentent peuvent être admis, et que de nouveaux locaux sont devenus indispensables. Ils vont être construits incessamment, et cette dépense sera supportée tout entière par la ville.

J’ose espérer, messieurs, que vous aurez égard à ces considérations et à celles que plusieurs autres de nos honorables collègues se proposent de faire valoir, et que, mieux instruits du véritable état des choses, vous ne refuserez pas de reconnaître comme charge de l’Etat les frais d’une école connexe de l’université dont elle a fait partie dès son origine. En ce qui concerne l’accroissement de frais occasionnés par la réorganisation et l’augmentation du personnel, je vous crois trop amis de votre pays pour craindre que vous hésitiez un seul instant à voter un surcroît de dépenses de 6 à 7,000 fr. dans un but aussi utile à l’industrie nationale.

M. Desmaisières. - Messieurs, en venant ici soutenir la majoration de 6,560 francs demandée par le ministère sur le chiffre alloué au budget de 1833 pour subside à l’école industrielle de Gand, je dois commencer par avouer cependant que la note à l’appui de cette demande et contenue dans les développements du budget est rédigée de telle manière que, si les explications ministérielles données ultérieurement n’ont pas été autres, la section centrale a dû être dominée par l’idée qu’il s’agissait ici d’un établissement purement communal. Mais il n’en est pas ainsi : l’école industrielle de Gand est une institution d’un intérêt général, et j’espère être assez heureux, messieurs, pour faire passer dans vos esprits ma conviction à cet égard.

D’abord, comme vous l’a très bien dit le préopinant, c’est le gouvernement précédent qui a créé l’école industrielle de Gand. Je n’examinerai pas la question de savoir s’il a bien ou mal fait d’établir cette école à Gand plutôt que dans toute autre ville du royaume, et je suppose qu’il a pensé non seulement que c’était dans une ville à juste titre nommée la Manchester de la Belgique, qu’une école industrielle pouvait être utile au pays en général par les développements et les perfectionnements qu’elle devait faire naître dans l’industrie, cette source si riche de prospérité pour les peuples, mais encore que c’était dans une telle ville qu’il fallait nécessairement établir l’école industrielle, du moment qu’on était décidé à en établir une.

Quoi qu’il en soit, il est toujours de fait que c’est le gouvernement qui a institué cette école, et si la régence de Gand a été récemment chargée de la réorganiser, c’est qu’apparemment cette régence a fait au gouvernement des propositions si justes, si raisonnables et tellement bien conçues dans l’intérêt de l’industrie en général, que le gouvernement, jaloux sans doute de se montrer tout aussi favorable aux progrès industriels, s’est empressé d’agréer ces propositions et a cru ne pouvoir mieux faire que de charger ceux-là même qui les avait faites de les mettre à exécution.

Mon honorable collègue et ami M. Dellafaille vous a prouvé, par la seule lecture de plusieurs articles du règlement organique de l’école industrielle de Gand, que la plus petite part d’influence sur l’avenir de cette école n’est pas celle réservée au gouvernement, et que par conséquent il ne s’agit point là, comme on l’a dit, d’une institution essentiellement communale.

Permettez-moi, messieurs, d’ajouter ici quelques mots pour combattre les objections qui ont été faites dans les sections, et qui sans aucun doute se reproduiraient dans la discussion publique, si d’avance elles n’étaient pas réfutées.

Mais, a-t-on dit, la régence de Gand doit considérer elle-même cette école comme communale, puisqu’elle a fait de grands frais pour son établissement. Messieurs, la régence de Gand a aussi dépensé 400,000 francs pour l’établissement de l’université, et certainement on ne viendra pas dire pour cela que l’université de Gand est une institution communale. Tout ce que l’on peut dire à cet égard avec quelque fondement, c’est que l’établissement d’une université à Gand, quoique d’utilité générale pour le pays, est en outre particulièrement utile à la ville de Gand, et que par conséquent la régence de cette ville a très bien agi dans l’intérêt de ses administrés en dépensant 400,000 francs pour l’université ; de même, si l’école industrielle établie à Gand par le gouvernement précédent est d’intérêt général pour le pays, il n’en est pas moins vrai que la ville de Gand en profite en outre particulièrement, et sa régence a donc agi sagement en dotant cet établissement, aux frais de la ville, d’un beau et riche laboratoire de chimie, en fournissant les bâtiments nécessaires à cette école, et en indemnisant les professeurs des modiques traitements que permet seulement de leur donner le subside de 10,000 fr. payé sur les fonds de l’Etat, au moyen des cours rétribués qu’elle leur a accordés à l’athénée municipal dont la ville de Gand fait seule les frais sans subside aucun de la part de l’Etat.

J’en viens une autre objection. La section centrale dit qu’il résulte des explications données par le ministre que l’école industrielle de Gand est une annexe de l’athénée municipal. Vous venez de voir, messieurs, qu’il n’en est pas ainsi, et que seulement la régence de Gand a pris des mesures telles que son athénée municipal prête un puissant appui à l’école industrielle du gouvernement ; ce qui est bien loin de rendre cette école une annexe de l’athénée. Aussi, je crois qu’on est bien plus fondé à soutenir que c’est ici une annexe de l’université, et il suffit d’avoir fait attention aux articles du règlement organique qui ont été cités par l’honorable préopinant.

Une section, dit l’honorable rapporteur de la section centrale, considère cette école comme une institution essentiellement communale et d’intérêt local, puisqu’elle n’a pour objet que de former des chefs d’atelier et des ouvriers de fabrique. Si c’est là la définition d’une école purement communale, alors vraiment je ne connais plus d’écoles d’un intérêt général. L’instruction aux frais de l’Etat ne pourrait-elle donc être donnée qu’à ceux qui se destinent à devenir avocats ou médecins ? et faut-il donc absolument que l’Etat ne fasse rien pour les artisans, pour ces hommes laborieux qui à la sueur de leur front viennent à enrichir ce même Etat ? Non, messieurs, telle n’a pas pu être la pensée de la section qui a émis cette opinion, et ce qui le prouve, c’est qu’elle s’est empressée d’ajouter ces mots : « en sorte qu’elle (cette école) ne peut être, de fait, fréquentée que par des personnes de la ville même. »

Il est de fait, au contraire, messieurs, que cette école est fréquentée par d’autres personnes que celles de la ville même, puisque bon nombre d’élèves de l’université, étrangers à la ville, ne dédaignent pas d’en suivre les cours. En suite de cela, voudra-t-on prétendre, par hasard, que la population ouvrière de Gand, telle qu’elle existe actuellement, est composée entièrement de Gantois proprement dits ? Non certainement ; car il est de toute notoriété publique, et les registres des commissaires de police d’ailleurs en font foi, que, depuis l’établissement des fabriques de Gand, cette ville a vu s’accroître de beaucoup sa population ouvrière par de nombreux habitants des autres communes du pays, qui y sont venus chercher du travail et du pain qu’ils ne trouvaient pas chez eux.

Nous ne vous contestons pas ce fait, me répliquera-t-on peut-être ; mais toujours est-il certain que ce n’est pas là une école que l’on puisse dire fréquentable par les habitants des autres villes du pays : elle n’a aucune similitude à cet égard avec l’université, par exemple. Ici il s’agit, ajoutera-t-on, d’une institution qui ne peut être fréquentée que par des jeunes gens dont les parents savent payer les frais de déplacement ; et comment voulez-vous que des hommes, destinés à former des chefs d’atelier et des ouvriers de fabrique, puissent payer des frais de déplacement ?

Mais encore une fois, n’est-ce donc que pour les gens riches que l’on crée des établissements généraux d’instruction... ? Et le pauvre doit-il absolument rester privé de tout moyen de s’instruire ? Heureusement que non, messieurs ; car si le riche peut venir fréquenter les universités en payant ses frais de déplacement avec l’argent qu’il possède, le pauvre ouvrier peut venir fréquenter les cours d’instruction qui lui sont propres en payant ses frais de déplacement avec la monnaie qu’il bat au moyen de son travail. D’ailleurs il est déjà plus d’un chef d’atelier, plus d’un manufacturier même des autres villes du royaume, qui a envoyé ses fils à Gand dans le but seul de fréquenter les cours de l’école industrielle.

Une autre considération que peut-être l’on n’aura pas fait valoir dans la section à laquelle je réponds, messieurs c’est que bien certainement les chefs d’atelier, je dirai même les chefs d’établissements industriels que l’école de Gand est destinée à former ou qu’elle a déjà formés, ne resteront pas tous ou ne sont pas restés tous à Gand. Beaucoup, au contraire, s’établiront ou se sont établis dans d’autres villes du royaume.

Dans les diverses contrées manufacturières du pays, il existe beaucoup de chefs d’atelier que, faute d’une école industrielle, nous avons dû emprunter aux écoles industrielles de l’Allemagne et de l’Angleterre. Les traitements de ces chefs d’atelier varient de deux mille à huit mille francs. Vous avouerez avec moi, messieurs, que si l’on pouvait successivement les remplacer par des indigènes (et l’école industrielle en donne non seulement l’espoir, mais même l’assurance positive, par les résultats obtenus antérieurement), il en résulterait d’immenses avantages et pour nos fabriques et pour le pays en général.

Je ne terminerai pas, messieurs, sans vous démontrer qu’au fond il ne s’agit pas ici d’une majoration, mais bien plutôt de revenir à une allocation qui n’aurait jamais dû être diminuée.

Lorsque l’école industrielle fut instituée sous le gouvernement précédent, celui-ci lui accorda un subside annuel de 4,800 florins ainsi réparti : deux professeurs à 1,600 florins, 1.300 florins pour le matériel et 300 florins pour le chef des travaux chimiques. A la révolution, un des professeurs fut placé à l’université de Liége, et l’autre, qui en était en quelque sorte le fondateur, quitta le pays pour rentrer en Hollande.

Bientôt le gouvernement provisoire, vu les fruits que déjà on avait recueillis de cette belle institution, à peine alors née (de simples ouvriers étaient déjà devenus machinistes à 1,000 et 1,200 francs d’appointements), et sentant combien il était urgent de relever un établissement si éminemment utile aux progrès de l’industrie belge, prit des mesures de réorganisation. Mais il faut le dire, ces mesures furent empreintes de cet esprit d’économie plus que parcimonieuse, qui était alors à l’ordre du jour. Le subside fut bientôt réduit à 3,440 francs et on arriva ainsi au but contraire de celui qu’on s’était proposé ; on arriva à la décadence et à la ruine de l’établissement qu’on voulait réédifier.

Le collège des curateurs de l’université et la régence de Gand, ne pouvant voir ainsi tomber en ruines une aussi belle institution, ont proposé au gouvernement un nouveau travail de réorganisation, et ne lui ont pas dissimulé que si l’on voulait arriver à de bons résultats, il fallait remettre le subside donné par l’Etat à peu près (car remarquez bien qu’il ne l’est pas tout à fait) au taux auquel l’avait porté le précédent gouvernement, Eh bien, messieurs, au moment où le ministre a donné sa pleine et entière approbation au travail de réorganisation du collège des curateurs de l’université et de la régence de Gand, parce qu’il apprécie tout le bien qui doit en résulter pour la prospérité du pays en général ; c’est au moment où les cours de cette école, à peine ouverts, sont fréquentés par une foule de manufacturiers, élèves de l’université, chefs d’atelier et simples ouvriers, au nombre de plusieurs centaines ; au moment où, bien que la foule des auditeurs soit si grande que de vastes amphithéâtres ne suffisent plus pour les contenir, l’ordre et le calme les plus parfaits n’en règnent pas moins dans les leçons, ce qui prouve qu’il n’y a dans ces réunions que des élèves qui sont désireux de s’instruire ; c’est au moment, enfin, que cette école va soustraire le pays à l’espèce de dépendance où il est de l’étranger, que l’on propose déjà de porter la hache de la destruction sur un aussi bel établissement, et cela pour épargner au pays le paiement actuel de quelques mille francs qui doivent bientôt lui rapporter des millions dans l’avenir ! Non, messieurs, et votre amour sincère du pays m’en est garant, vous n’adopterez pas la suppression du subside qui vous a été demandé, et ce n’est pas alors que l’on reproche aux Flandres de rester stationnaires quant à l’industrie linière qu’on voudra leur refuser les moyens d’en venir aux progrès qu’on ne cesse de leur demander.

J’ai assez prouvé par mes votes antérieurs que je suis partisan de la liberté d’instruction ; aussi, s’il s’agissait ici d’y porter la moindre atteinte, vous ne me verriez pas prêter mon appui, quelque faible qu’il soit, à la demande de subside qui vous est faite. Mais lorsqu’il s’agit d’une école industrielle, où il n’est question que d’amener les progrès de l’industrie en général, en formant des artisans instruits ; lorsqu’il s’agit, par conséquent, et principalement de la classe pauvre, ce n’est nullement nuire à la liberté de l’instruction que d’accorder des subsides. Il y a plus, c’est alors, et peut-être seulement alors, qu’il faut accorder des subsides. Car si le gouvernement ne fait pas les frais de cette instruction, personne ne les fera, vu que personne ne s’exposera à des déboursés qui, bien qu’ils ne soient que minimes pour un Etat, n’en sont pas moins considérables pour de simples particuliers.

Je sais bien, messieurs, que dans les sommes dépensées par l’Etat en faveur des établissements de l’instruction publique, donnée en tout ou en partie à ses frais, il est nécessaire que l’on mette une certaine justice distributive à l’égard des diverses parties du royaume. Mais je n’ai besoin, pour prouver que la ville de Gand et les Flandres ne sont, à cet égard, pas particulièrement favorisées, que de vous citer quelques faits puisés dans le budget lui-même.

Les traitements des fonctionnaires et employés de chacune des universités de Gand et Louvain ne s’élèvent qu’à environ 69,000 francs, et les mêmes traitements pour l’université de Liège s’élèvent à 109,000 francs environ.

Gand ne reçoit rien pour son académie des beaux-arts ; Anvers reçoit 13,400 francs, Bruxelles 4,200 francs.

Bruxelles et Liége possèdent chacune un conservatoire de musique et reçoivent, la première de ces villes, un subside de 13,000 francs, et la seconde un de 9,000 francs. Bruxelles a une école vétérinaire qui coûte à l’Etat 21,500 francs.

Gand ne reçoit rien pour sa société d’horticulture, et Bruxelles reçoit de ce chef 12,000 francs.

Gand et toute la province de la Flandre orientale ne reçoivent aucun subside pour l’enseignement moyen, et les villes de Bruxelles, Tournay, Namur, Bruges, Liége, Ath et Chimay reçoivent ensemble la somme de 85.500 francs.

La province de la Flandre orientale ne reçoit que 10,231 fr. 09 c. pour subside aux écoles primaires, tandis que celle de Liége reçoit 27,083 francs 33., celle du Limbourg 21,408 francs 22 c. et celle de Namur 22,272 francs 59 c. ; et cependant ces provinces sont beaucoup moins populeuses que celles de la Flandre.

Loin de moi, messieurs, est la pensée de vouloir prétendre, en vous présentant ces comparaisons, qu’il faut refuser les secours donnés aux autres villes et provinces du royaume. J’ai seulement voulu prouver que puisque l’on accordait des secours à ces autres villes pour des établissements d’instruction publique dont l’intérêt général peut plus ou moins être contesté, on ne pouvait refuser à l’école industrielle de Gand, qui est si éminemment d’intérêt général, le faible subside dont elle ne peut se passer, alors surtout que la ville de Gand dépense déjà près de 100.000 francs par an pour l’instruction publique. (Aux voix ! aux voix !<)

M. Hye-Hoys. - J’ai des observations à présenter. (La clôture ! la clôture ! la clôture !)

M. Ernst. - Si personne ne s’oppose à la demande du ministre qui a déjà été appuyée par deux orateurs, je ne vois pas la nécessité de continuer la discussion ; il faut passer au vote.

M. Jullien. - Que M. le président fasse la liste des orateurs pour et contre ; il ne faut pas toujours entendre des orateurs parlant dans le même but.

M. Helias d’Huddeghem. - Je demande la parole.

M. de Brouckere. - Et moi aussi.

M. Jullien. - Et moi aussi.

M. A. Rodenbach. - J’ai une explication à demander. (La clôture ! la clôture ! la clôture !)

- La chambre ferme la discussion.

Le chiffre de 10.000 fr. mis aux voix est adopté.

Article 4

« Art. 3 (qui deviendra l’article 4). Traitement et frais de l’inspecteur des athénées et des collèges, et de son commis : fr. 9,000. »

- Ce chiffre admis par la section centrale, est voté sans débat par la chambre.

Article 5

« Art. 4 (qui devient l’art. 5). Subsides aux athénées et collèges : fr. 83,300. »

M. le président. - M. Zoude a déposé sur le bureau un amendement tendant à accorder un subside de 6,500 fr. aux collèges de Bouillon, Virton et Diekirch.

M. Zoude. - Pour vous convaincre de la nécessité de venir au secours des collèges du Luxembourg, qu’il me soit permis de vous retracer l’état malheureux de notre province sous le rapport de l’instruction.

Avant la révolution nous possédions un athénée qui, par le mérite de ses professeurs et le bon marché des pensions, attirait de nombreux élèves : leurs progrès furent remarqués par l’honorable M. Ernst qui leur accordait quelques éloges dans cette enceinte.

Mais les choses sont changées : les étudiants qui étaient accourus se ranger sous les drapeaux de septembre ne furent plus admis à continuer leurs études à l’athénée, d’autres inquiétés pour opinion politique furent obligés de l’abandonner, et enfin tous ceux qui avaient un cœur belge s’enfuirent avec épouvante lorsque des jugements criminels furent exécutés, en effigie heureusement, contre d’honorables citoyens pour la part qu’ils avaient prise à la révolution.

Il en résulta qu’une jeunesse nombreuse se refoula dans nos collèges, qui durent augmenter non seulement le nombre de leurs professeurs, mais encore les choisir parmi les personnes les plus instruites, parce qu’il fallait soutenir les élèves à la hauteur à laquelle ils étaient parvenus à l’athénée ; mais on ne pût augmenter proportionnellement le prix des pensions, parce que nos facultés pécuniaires sont fort bornées dans le Luxembourg, et puis, disons-le franchement, on espérait que le gouvernement porterait quelque intérêt à une province aussi désavouée ; on comptait sur sa justice, et on n’hésitait pas à croire qu’il accorderait au moins à nos collèges une portion du subside dont avait joui l’athénée.

Mais il n’en a rien été, nos professeurs sont découragés, nos collèges endettés et peut-être à la veille de se fermer. Vous nous préserverez de semblables malheurs ; assez d’infortunes menacent déjà notre pays. Puisse la fermeté du gouvernement détourner l’orage qui gronde sur nos têtes !

Ce que nous réclamons pour trois collèges n’est que le tiers à peu près de la somme, qui était accordée à l’athénée ; ce que nous vous demandons, messieurs, c’est le pain de l’instruction ; vous ne le refuserez pas à nos enfants.

M. A. Rodenbach. - Avant de mettre en délibération l’amendement de M. Zoude, il me semble qu’il faudrait décider s’il y aura augmentation de subsides pour les athénées et les collèges : l’année dernière cette question préalable a été décidée à l’occasion de demandes semblables à celle qu’on l’on nous fait maintenant. Si une augmentation de subsides est accordée, plusieurs de nos collègues déposeront des amendements, car il y a plusieurs villes qui ont besoin de secours pour leurs établissements. Mais je ferai remarquer qu’il y aurait inconvenance à ouvrir un crédit plus élevé que celui demandé par le ministre, à la discussion d’un projet de loi sur l’organisation de l’instruction publique ; quand on discutera ce projet de loi, il me semble qu’on pourra voter les crédits qui seraient nécessaires.

M. Ernst. - Je crois qu’il est bien dans l’intention de ne pas insister sur la proposition de l’honorable préopinant ; en ce moment nous avons besoin d’union, et cette proposition ne pourrait que susciter des divisions. L’honorable préopinant veut qu’on examine une question de principe, c’est-à-dire qu’on écarte indirectement l’amendement du député du Luxembourg. Cette province est dans une position particulière ; elle est privée de son athénée ; on pourrait lui ouvrir un crédit sans craindre pour cela que les autres provinces réclamassent des augmentations qui seraient sans succès, parce qu’elles seraient nombreuses. Je pense qu’il y a lieu à discuter la proposition de M. Zoude.

M. Watlet. - Déjà l’année dernière, sur une proposition de M. A. Rodenbach, des demandes des subsides ont été écartées en masse ; on veut renouveler cette manière de procéder qui me semble peu juste. Ceux qui l’année dernière ont fait des demandes de subsides en ont démontré la nécessité cette année. M. Zoude prouve également la nécessité de secourir les établissements de trois villes ; on a fait, il est vrai, des demandes nombreuses qui n’étaient pas également fondées ; alors on devait faire une distinction. Les demandes nombreuses que l’on faisait de toutes parts n’avaient évidemment pour but que de faire tomber les premières réclamations relatives au Luxembourg. Cependant, cette province, comme vous l’a dit l’orateur que vous avez entendu le dernier, est dans une position particulière. Elle est très excentrique et ne peut envoyer ses enfants dans les villes où sont les plus beaux établissements d’instruction publique ; à raison du peu de fortune de ses habitants, elle aurait besoin de subsides. Depuis la révolution le gouvernement lui a retiré 9,000 fl. payés pour l’athénée de Luxembourg.

Le besoin d’instruction se fait sentir dans la province ; il serait équitable de reporter sur les établissements existants dans la province le subside qu’on ne peut plus donner pour Luxembourg que nous ne possédons pas. Un établissement pour lequel j’ai fait une demande ne subsistera pas pendant quatre mois encore si un secours ne lui est pas accordé.

Je ne reproduirai pas les détails dans lesquels je suis entré l’année dernière pour motiver mon amendement ; je ne veut pas faire perdre du temps à la chambre. J’ai démontré, pièces probantes en mains, que la ville ne pouvait fournir aux frais de son collège ; qu’elle n’avait établi ce collège que parce qu’elle comptait sur des subsides.

Plusieurs demandes semblables à celle qu’a faite M. Zoude seront sans doute déposées sur le bureau : que faire dans cette circonstance ? C’est de renvoyer les demandes à la section centrale, qui admettra celles qui sont fondées et rejettera les autres.

On s’appuie sur une espèce de statu quo pour rejeter toutes les demandes ; mais ce statu quo n’en est pas un ; car les établissements faute de subsides, seront nécessairement fermés.

M. Legrelle. - Je pense avec M. Ernst que ce n’est pas le moment de soulever la question qui, l’année dernière, a partagé la chambre en deux camps. La distinction que demande l’honorable préopinant, n’amènerait aucun bon résultat. La loi sur l’instruction publique est presque terminée, et, dans le cours de l’année, en votant cette loi, on votera en même temps les allocations que l’on jugera nécessaires. Beaucoup de provinces ont des réclamations à faire, on ne saurait y faire droit maintenant. Il y a trois ans, M. le ministre de l’intérieur, comme gouverneur de la province que j’habite, avait demandé à la régence d’Anvers si elle voulait un subside pour l’athénée. Ne sachant pas trop à quelles conditions le gouvernement accorderait ce subside, la régence préféra attendre la discussion du projet de loi sur l’instruction publique que de se mettre dans la dépendance de l’administration.

Plus tard, le gouvernement a accordé des subsides à d’autres villes, qui montrèrent que les craintes conçues par la régence n’étaient pas fondées ; car le gouvernement, fidèle aux principes de la liberté de l’enseignement, ne s’est pas immiscé dans les affaires des établissements. La régence voyant qu’il en était ainsi, a demandé un subside ; il lui a été accordé. Depuis il ne lui a plus été donné. C’est ce subside que je serais obligé de demander pour la régence d’Anvers, si l’on admettait l’amendement présenté par M. Zoude.

M. Jullien. - Messieurs, je ne pense pas que vous puissiez adopter l’opinion de l’honorable M. A. Rodenbach, et décider en principe s’il y aura ou s’il n’y aura pas de majoration. Adopter cette marche ce serait commettre une criante injustice.

L’an dernier, le gouvernement proposa de 22 à 25 mille francs pour douze ou quinze établissements, parmi lesquels le collège de Bouillon était compris pour un subside. Alors de toutes parts on vint demander des subsides, chacun pour le collège de sa ville, de son canton, de son district ; toutes ces demandes écartèrent la proposition du gouvernement. Quand il fallut délibérer sur ces demandes devenues exorbitantes, on mit aux voix la question de savoir si en principe il serait accordé des majorations. Naturellement, il était impossible d’admettre toutes ces propositions ; aussi vous avez vu les auteurs mêmes de ces propositions déserter les demandes qu’ils avaient faites et voter pour qu’il n’y ait pas de majoration. Vous ne pouvez agir de même cette année. L’honorable M. Zoude a demandé un subside pour le collège de Bouillon. Si cet amendement est adopté, je proposerai par amendement que l’allocation demandée l’an dernier par le gouvernement, allocation qui, autant que je me rappelle, était de 25,000 fr. environ, soit rétablie au budget de cette année.

Ainsi vous serez justes envers tout le monde : le gouvernement sera le premier à reconnaître les besoins des établissements pour lesquels l’an dernier il avait fait une demande ; chaque établissement prendra part aux subsides suivant ses droits, et obtiendra aujourd’hui ce qui lui aurait été accordé dès l’an dernier, si le grand nombre des demandes qui vous furent adressées ne vous avait pas déterminés à rejeter le crédit proposé par le ministre.

M. de Theux. - Il est manifeste, par ce que vient de dire l’honorable préopinant, que la discussion qui eut lieu l’an dernier en pareille circonstance va être reprise cette année ; cela ne laisse plus de doute après ce qu’ont demandé plusieurs orateurs en suite de la proposition de l’honorable M. Zoude.

On a voulu isoler la question pour le Luxembourg en raison de ce que cette province se trouve, dit-on, dans une situation particulière et exceptionnelle. Mais l’exception qu’on oppose pour la province du Luxembourg n’est pas unique ; dans le Limbourg il y a également des collèges qui ont un intérêt subsidié. Ces deux provinces sont dans la même position, et ont des collèges subsidiés ou par les communes ou par des particuliers qui les ont fondés. Cette situation est celle de la généralité du pays. Si, sous prétexte qu’un collège ne peut se soutenir par lui-même, il obtient un subside, il y en a une infinité qui réclameront. Déjà votre section, lorsqu’elle a examiné la loi provinciale, a proposé de rendre obligatoires pour les provinces les dépenses pour subsides à accorder aux collèges communaux qui en ont réellement besoin. Si la chambre adopte cette disposition de la loi provinciale, les subsides pourront être distribués avec équité aux établissements qui les méritent ; car les provinces sont les meilleurs juges dans cette matière.

Je pense que les objections qui ont prévalu l’an dernier contre toute majoration pour subsides accordés pour les collèges aux frais de l’Etat peuvent être reproduites cette année avec autant de succès que précédemment.

Le but que vous vous êtes proposé en adoptant la motion d’ordre de l’honorable M. A. Rodenbach a déjà reçu un commencement d’exécution : c’est ainsi que dans votre adresse en réponse au discours du trône vous avez demandé une loi sur l’instruction publique : elle a été promise par le chef de l’Etat ; on s’en occupe, et elle pourra bientôt être présentée aux chambres si le gouvernement adopte les principes posés par la commission.

Maintenant il s’agit de savoir si vous reviendrez sur la décision que vous avez prise l’an dernier à la suite d’une discussion de 3 jours, si vous renouvellerez aujourd’hui cette discussion ; je n’en vois pas la nécessité ; car rien n’est changé dans l’état de la question.

M. d’Huart. - Bien que je sois persuadé qu’il est nécessaire d’accorder des subsides aux établissements d’instruction publique dans la province du Luxembourg, je n’aurais pas songé à présenter un amendement dans ce but ; j’ai trop présente à l’esprit la discussion de l’année dernière ; je suis découragé par l’accueil que reçut ma demande et celle de plusieurs de mes honorables collègues, et je n’ai point envie de subir un nouvel échec. D’ailleurs, je ne disconviens pas que cette discussion ne soit de nature à jeter de la division dans l’assemblée, et ce n’est pas dans un moment où nous avons tant besoin d’union que je soulèverais une question propre à nous diviser.

Cependant, si je ne m’oppose pas explicitement à la motion de l’honorable M. A. Rodenbach, je ne me dissimule pas l’état réel des choses. Cette proposition s’appuie sur ce qu’une loi qui doit organiser l’instruction publique doit être présentée prochainement ; mais je vous prierai d’observer, messieurs, que ce projet de loi ne sera pas discuté en 1834 ; vous ne douterez pas si vous songez aux nombreux et importants projets qui sont à l’ordre du jour, aux lois constitutives que nous avons à faire.

C’est, d’ailleurs, une singulière justice que celle qu’on adopte.

De ce que la province du Luxembourg a été privée pendant trois années des subsides auxquels elle avait droit et qu’elle réclamait, on conclut qu’il y a lieu à ne pas les lui accorder encore en 1834 ; messieurs, ce n’est pas là de la justice.

L’honorable M. de Theux a dit que les motifs qu’on faisait valoir pour le Luxembourg existaient aussi pour d’autres provinces, et il a parlé de la province du Luxembourg. Si les mêmes motifs existaient pour d’autres provinces, il faudrait leur accorder aussi des subsides ; mais ils n’existent pas au moins pour le Limbourg : en effet il y a dans le Luxembourg des établissements qui végètent et qui, par l’allocation que vous accorderiez, se soutiendraient et deviendraient prospères ; dans le Limbourg au contraire il n’y a pas d’établissements créés qui aient besoin de secours ; c’est pour en former qu’on vous demande des secours.

Je borne là mes observations, persuadé que tout ce que je pourrais dire pour proposer ou appuyer des amendements serait mal reçu par l’assemblée.

M. Milcamps. - Si je n’ai pas présenté d’amendement dans le but qu’il soit accordé un subside au collège de Nivelles, c’est que j’étais persuadé que la chambre maintiendrait la décision qu’elle a prise l’an dernier ; mais si la proposition de l’honorable M. Rodenbach n’était pas adoptée, si je voyais la chambre disposée à accorder des subsides à quelque établissement, j’en demanderais un pour le collège de Nivelles, avec d’autant plus de chance de succès, que déjà la ville de Nivelles a exposé dans une pétition les droits qu’a ce collège à ce genre de secours.

M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition préalable de M. Rodenbach, tendant à ce qu’il n’y ait pas de majoration sur le chiffre de l’art. 4.

M. Jullien. - Si cette question de principe avait été adoptée plus tôt, vous n’auriez pas accordé à l’école industrielle de Gand un subside plus fort que l’année dernière ; or, ce subside l’an dernier était de 3,440 fr., et vous venez de lui accorder 10,000 fr. Si l’on avait admis plus tôt ce principe, cette école dont l’honorable M. Dellafaille et plusieurs autres orateurs ont démontré l’utilité et établi les droits à ce secours, n’aurait pas pu l’obtenir ; en adoptant la proposition qui vous est faite, vous privez de subsides des établissements qui y ont autant de droits peut-être, et qui les obtiendraient sans doute, si vous consentiez à allouer la somme dont le ministre a fait la demande l’an dernier.

- La proposition de M. A. Rodenbach estest mise aux voix et adoptée.

M. le président. - La chambre a maintenant à voter sur l’article 4, devenu l’article 5 par suite de la division de l’article premier.

M. Jullien. - J’aurai l’honneur de faire à la chambre une observation qui ne porte pas sur l’allocation, puisque M. le ministre est d’accord, à cet égard, avec la section centrale, mais sur l’un des nombreux tableaux que la section centrale a joints à son rapport.

Le tableau (page 55 et suivantes) qui indique par classe et par établissement le nombre des élèves de chaque athénée et de chaque collège présente une erreur de calcul assez étonnante. Jamais le nombre des élèves des diverses classes réunies n’est d’accord avec le nombre indiqué comme celui de tout le collège ; c’est ce que j’ai reconnu en vérifiant les additions. Ainsi pour l’athénée de Bruxelles le relevé du nombre des élèves de chaque classe me donne 1,442, et cependant le tableau porte 280 pour nombre total des élèves. Pour l’athénée de Tournay l’addition me donne 443 et le tableau porte 250.

Pour l’athénée de Bruges, à l’article professeur de physique et de mathématique, on a fait figurer en blanc le nombre des élèves. En voyant zéro dans la colonne du nombre des élèves, vous pourriez en induire que ce cours n’est pas fréquenté. Je dois donc vous expliquer qu’à l’athénée de Bruges les élèves de rhétorique, de 2ème, de 3ème, de 4ème et de 5ème assistent suivant leur force au cours de mathématique et de physique, et qu’ainsi ce cours, loin de ne pas être fréquenté, comme il le paraîtrait, est suivi par un grand nombre d’étudiants.

J’ai remarqué également que dans un rapport sur la Flandre occidentale l’honorable gouverneur de cette province, après avoir fait un pompeux éloge des petits séminaires de la province, avance que le collège d’Ypres n’a que 28 élèves ; je ne sais dans quel intérêt on cherche ainsi dans un rapport officiel à discréditer cet établissement ; ce qu’il y a de certain, ce que je puis attester d’après des renseignements positifs qui m’ont été donné, c’est que le collège d’Ypres est très bien organisé, qu’il a de très bons professeurs et que ses élèves sont au nombre de 83, indépendamment de ceux qui suivent les cours de physique et de mathématiques. Je ne vois donc pas pourquoi, lorsque nous avons la liberté illimitée de l’instruction publique on cherche dans des documents officiels à jeter de la défaveur sur une école fréquentée, à lui nuire en la faisant passer pour onéreuse au gouvernement comme n’ayant qu’un très petit nombre d’élèves.

Telles sont les observations que je voulais présenter, parce qu’elles reposent sur des faits.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ferai remarquer, en réponse à l’honorable M. Jullien, que le chiffre qu’on obtient par l’addition de ceux indiquant le nombre des élèves de chaque classe, ne peut pas donner le nombre total des élèves du collège, parce que les mêmes élèves suivent plusieurs cours. Ainsi, à l’athénée de Bruxelles, les 280 élèves qui suivent le cours d’histoire et de géographie suivent aussi sans doute celui de langue et de littérature françaises, pour lequel le même nombre est indiqué. Indépendamment de cela, ils appartiennent à la classe de seconde ou de troisième, et suivent encore les cours d’histoire naturelle, de langue allemande, etc. Enfin il y a 6 des élèves qui fréquentent 5 ou 6 cours ; cela ne fait pas 5 ou 6 individus. C’est là ce qui a induit en erreur l’honorable préopinant et qui lui fait supposer que l’athénée de Bruxelles se compose de 1,412 élèves, tandis qu’il n’en a réellement que 280.

M. Jullien. - Cela ne me paraît pas possible ; je crois que le nombre des élèves de Bruxelles est triple de celui-là.

M. A. Rodenbach. - Je désire donner une explication sur ce que vient de dire l’honorable député de Bruges. Le gouverneur de la province de la Flandre occidentale a dit dans son rapport statistique que le nombre des élèves du collège d’Ypres était de 28 ; le gouverneur a eu parfaitement raison ; ce collège royal n’est pas plus nombreux. On a parlé de 83 élèves ; mais il faut considérer qu’une école primaire a été placée dans ce collège, que des internes y ont été admis ; cela n’a pas changé le nombre des élèves du collège proprement dit. Il y a une distinction à faire entre le collège et l’école primaire. Je crois que ces explications satisferont l’honorable M. Jullien.

M. Jullien. - Elles ne me satisfont pas du tout.

Article 6

(Moniteur belge n°60, du 1er mars 1834) « Art. 6. Indemnités aux professeurs démissionnés dans les athénées et les collèges (chiffre demandé par le gouvernement) : fr. 12,000. »

« Idem (chiffre proposé par la section centrale) : fr. 6,000. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je crois que la chambre a déjà décidé la question par le vote qu’elle a émis relativement aux professeurs des universités mis en non-activité par l’arrêté du 16 décembre 1831 ; les mêmes motifs parlent en faveur des professeurs démissionnés dans les athénées et les collèges. La somme demandée est la même que l’an dernier ; et j’ai promis d’en user avec une extrême réserve.

Mais je tiens à relever une accusation fort injuste de la section centrale, sur la manière dont aurait été faite la répartition de cette indemnité. Voici comment s’exprime la section centrale dans son rapport.

« Le tableau qui a été communiqué à la section centrale, et les renseignements souvent très vagues et très incomplets qui l’accompagnaient, ont suffi toutefois pour la convaincre que les intentions de la législature, en votant ce crédit, ont été mainte fois méconnues dans l’application qui en a été faite. »

Il s’agit de la somme de 12,000 fr. à répartir entre une vingtaine de professeurs. Il est si peu vrai que les intentions de la législature aient été méconnues, que jusqu’à présent, non seulement la répartition, mais même la liquidation de l’indemnité votée par la chambre en octobre dernier, n’a pas encore eu lieu.

J’attendais le rapport de la section centrale, pour savoir quelle espèce de répartition devait être faite ; c’est lorsque j’use d’une telle réserve qu’on vient m’accuser d’avoir méconnu les intentions de la législature. La première répartition a eu lieu en 1832, elle a été faite par mon prédécesseur. Il n’en a été fait aucune par moi ; j’ai donc lieu de m’étonner qu’on accuse à cette occasion mon ministère.

M. Ernst. - Pour appuyer l’allocation de 12,000 fr. demandée pour les professeurs démissionnés, je ferai remarquer qu’aucune des sections n’a propose de la réduire et qu’aucune plainte ne s’est élevée sur la manière dont cette somme a été précédemment répartie par le gouvernement.

Une section a élevé des doutes sur la constitutionnalité de l’allocation ; mais je ferai remarquer qu’il ne s’agit ici que de secours provisoires, et que leur légalité résulte de la sanction de la législature.

Vous ne pouvez sans injustice ôter à ces professeurs un secours que vous leur avez déjà accordé 3 ou 4 fois. On a rappelé tout à l’heure que l’instruction publique était à la veille d’être organisée par une loi. Ce sera une occasion de placer plusieurs professeurs ; ce secours est donc le dernier que vous aurez à leur donner, et après le leur avoir accordé jusqu’à présent, vous ne voudrez pas par un refus les réduire à la dernière misère.

Je puis citer l’exemple d’un père de famille dont j’ai eu la visite hier ; il était employé à l’ancien collège de Liège ; plusieurs fois il s’est adressé à M. le ministre de l’intérieur, qui l’a toujours accueilli avec bienveillance, et lui a promis de l’employer à la première occasion. Ce professeur a une femme et quatre enfants ; jusqu’ici il a eu une existence honorable. Le secours qui lui a été attribué l’année dernière était de 800 fr. ; voudriez-vous le réduire cette année à 3 ou 400 fr. ? Je ne puis croire que la chambre soit aussi sévère.

M. A. Rodenbach, M. de Brouckere et M. Gendebien demandent la parole.

M. Ernst. - La chambre peut compter que le projet de loi sur l’instruction publique sera bientôt terminé. Déjà, en ce qui concerne les projets relatifs à l’instruction primaire et à l’enseignement moyen, la commission n’a plus à s’occuper que d’un travail de révision ; le projet de loi sur l’enseignement supérieur sera terminé dans 3 ou 4 séances. Il ne restera plus que l’exposé des motifs. Si la chambre ne peut s’occuper de l’organisation de l’instruction dans cette session, on ne pourra l’attribuer qu’aux travaux nombreux et importants dont elle est chargé : ce ne sera la faute ni du gouvernement ni de la commission.

M. A. Rodenbach. - Je désirerais de la part de M. le ministre une explication qui doit déterminer mon vote. Puisqu’il s’agit de générosités (car on convient que les professeurs dont il s’agit n’ont pas de droits), je voudrais savoir si ces professeurs ont besoin de ces générosités ; s’il n’y en a pas parmi eux qui ont des établissements libres qui prospèrent très bien, qui soient employés dans des bibliothèques ou qui aient d’autres fonctions, qui aient enfin des moyens d’existence honorables. S’il en était ainsi, je voterais contre l’allocation demandée.

M. de Brouckere. - J’aurai l’honneur de faire observer à la chambre que l’on demande pour cette année le même chiffre qui a été accordé l’an dernier. Or, je mets en fait que les motifs qui vous ont déterminés à voter la somme demandée en 1833 doivent vous la faire accorder aussi en 1834, puisqu’aucun changement n’est survenu dans la position des personnes qui touchent les subsides.

En 1831, lorsque votre section centrale a proposé pour la première fois qu’il soit alloué une indemnité aux professeurs démissionnés, je puis assurer que son intention était que l’indemnité fût prolongée jusqu’au moment où l’organisation de l’instruction publique permettrait de les replacer ; c’était mon intention et c’est moi qui le premier a fait cette proposition ; je puis assurer que c’était aussi l’intention de tous ceux qui l’ont adoptée.

En effet, c’est seulement alors que ces professeurs peuvent espérer de rentrer dans l’enseignement. A la veille de l’organisation de l’instruction publique, et lorsque ces secours ne doivent être prolongés que pendant une année encore, il serait vraiment bizarre d’en priver ceux à qui ils ont été accordés jusqu’à présent et de les plonger ainsi dans la misère.

Quant à ce qu’a demandé M. Rodenbach, je ne conçois pas, je l’avoue, l’utilité au moins d’une partie de son interpellation. Il demande si les professeurs indemnisés n’ont pas des établissements libres ; mais il n’en faudrait pas conclure de là qu’ils n’ont pas besoin d’indemnité. Ces établissements peuvent ne pourvoir qu’à une partie de leurs besoins ; c’est même dans ce cas que sont, je crois, les professeurs auxquels a fait allusion M. Rodenbach. Il a demandé aussi s’il n’y en avait pas qui eussent des emplois publics ; je l’ignore, mais il ne sera pas difficile à M. le ministre de lui répondre.

Je voterai les 12,000 fr. demandés, et il n’y a pas, je le répète, l’ombre d’un motif pour les refuser.

M. Gendebien. - Je n’ai pas le dossier relatif à l’article en discussion. Je ne sais si celui de mes collègues de la section centrale qui s’est chargé de soutenir ses propositions, possède ce dossier. Je n’ai point connaissance des pièces, n’ayant pu assister qu’à la lecture du rapport ; une indisposition et d’autres occupations m’ont empêché de prendre part à plus de deux réunions de la section centrale, Mais je trouve dans l’un des tableaux qui nous ont été fournis par le ministre et qui suivent le rapport (je suis fâché d’être obligé de descendre aux personnalités), je trouve M. l’abbé Olinger porté comme ayant quitté l’instruction publique en 1829 ; ce n’est donc pas une victime de la révolution.

Mais quel est le motif allégué par le ministre pour lui accorder une pension ? Ce motif, c’est qu’il a fait un dictionnaire en hollandais dont l’édition est restée en magasin par suite de la révolution. Il faut lui accorder une indemnité, parce que, par suite de la révolution, la Belgique a mis de côté la langue hollandaise pour parler celle qui lui convenait. Encore si l’abbé Olinger avait besoin de secours, mais je ne crois pas qu’il en soit ainsi si j’en crois le rapport fourni par le ministre lui-même ; et cependant le secours qui lui avait été accordé en 1833 a été augmenté en 1834, si je suis bien informé. Je voudrais savoir quelle règle suit le gouvernement pour ces secours, qui suivent une marche progressive et qui sont accordés chaque année à un plus grand nombre d’individus.

Je voudrais savoir d’après quelle règle on accorde une pension à l’abbé Olinger, qui a quitté ses fonctions en 1829 et parce qu’il a fait une fausse spéculation ; s’il fallait accorder des pensions à tous ceux qui font de fausses spéculations, ce serait à n’en pas finir. Ce sont là de vrais abus. De plus la somme totale évaluée pour le budget de l’an dernier ne s’élevait qu’à 10,300 fr. d’après les documents fournis par le ministre. Si elle a été suffisante l’an dernier, je ne sais pas pourquoi on l’augmenterait cette année. Ce n'est pas à la veille d’une organisation de l’instruction publique qui permettra de replacer ces professeurs qu’il est nécessaire d’augmenter les secours qui doivent leur être accordés. Au reste, messieurs, je ne veux pas précisément rejeter la somme demandée, mais j’ai seulement voulu justifier le rapporteur de la section centrale du reproche qui lui était adressé.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je dois donner une explication sur la publicité que la section centrale a cru devoir donner à tous les documents qu’elle a joints à son rapport. La section centrale demandait toujours de nouveaux renseignements sur le personnel de l’instruction publique ; le gouvernement ne crut pouvoir mieux faire que de lui envoyer en masse tous les documents qu’il possédait sur cet objet. J’avouerai qu’il serait possible qu’ils continssent quelque inexactitude ; ils n’ont pas été vérifiés.

Si je m’étais attendu à ce qu’ils eussent les honneurs de l’impression, je les aurais soumis à une révision.

Dans ces documents se trouve un tableau sur l’emploi du crédit de 1833 ; c’est une évaluation faite dans les bureaux, un simple travail préparatoire ; car, je le répète, les indemnités de 1833 ne sont pas encore liquidées ; il n’y a donc de ce chef aucun abus a reprocher.

On a demandé quelle règle le gouvernement a adoptée pour mettre de la progression dans les indemnités ; et on en est venu à citer des noms propres, on a cité M. l’abbé Olinger. Je ferai remarquer que l’abbé Olinger a reçu en 1832 740 francs et qu’il est proposé en 1833 pour 400 francs ; s’il y a là une progression, c’est une progression descendante : je ne sais si c’est contre celle-ci qu’a voulu s’élever l’honorable M. Gendebien. De plus plusieurs professeurs qui avaient précédemment touché des indemnités n’en toucheront pas pour 1833 ; il en sera ainsi pour ceux qui ont obtenu des emplois, si leurs appointements sont jugés suffisants.

M. A. Rodenbach. - Il faut décalquer ces indemnités.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne sais les défalquer ; car il s’agit de sommes très faibles, et d’autre part des professeurs qui n’ont eu aucune indemnité précédemment en auront sur les fonds de 1833 et 1834. Ces indemnités sont très faibles ; les sommes sont de 250, 300 et enfin 500 francs. Je serais oblige de les réduire encore si la proposition de la section centrale était adoptée.

M. de Theux. - Je crois que M. l’abbé Olinger était en 1829 le principal de l’athénée de Bruxelles, et il touchait en cette qualité un traitement considérable. Cet emploi fut supprimé en 1829 ; mais M. l’abbé Olinger reçut l’assurance qu’il serait replacé à la première occasion dans un autre athénée. Ce fait m’a été attesté par un de ses collègues, aujourd’hui chargé de l’administration de l’instruction publique. De ce chef M. Olinger a été jugé dans la même position que ceux qui avaient perdu des emplois dans l’instruction publique, soit immédiatement après la révolution, soit peu après et successivement jusqu’à présent.

Abordant la question de fond je ferai observer que jusqu’à présent j’avais appuyé le chiffre du gouvernement en faveur des professeurs démissionnés dans les athénées et dans les collèges ; mais les secours accordés sont loin de constituer un titre pour qu’il en soit accordé de nouveaux. Dans cette circonstance, j’adopterai donc la réduction proposée par la section centrale.

Il a été établi plusieurs fois que les professeurs ne sont pas fonctionnaires publics. Les règlements mettent leurs traitements aux frais des villes, sauf dans le cas d’insuffisance des revenus des villes, les subsides aux frais de l’Etat qui, seront jugés nécessaires. A la vérité, le gouvernement confirme la nomination des professeurs ; jamais néanmoins ils n’ont été considérés comme fonctionnaires de l’Etat.

Il faut se bien fixer sur une question de principe : lorsque le gouvernement provisoire, en 1830, proclama la liberté de l’enseignement, il ne porta pas atteinte au droit commun, il fit cesser le droit exceptionnel ; et en déclarant l’enseignement libre, il le fit rentrer dans le droit commun. Rappelez-vous, au contraire, messieurs, qu’en 1825, lorsque le gouvernement hollandais, abandonnant le droit commun, fit fermer les établissements d’instruction moyenne, il n’accorda aucun dédommagement à ceux à qui ils appartenaient, et détruisit brusquement, et au mépris des lois, des établissements fondés sous leur sauvegarde. Si donc on se borne à comparer les deux époques, la comparaison est tout à l’avantage de la législature actuelle qui, quoique ayant fait rentrer l’enseignement dans le droit commun, a accordé des indemnités aux professeurs démissionnés.

Parce que l’on a accordé ces secours pendant trois années, faut-il maintenir aujourd’hui la somme intégrale à laquelle ils s’élevaient ? Je ne le pense pas. Car il est évident que plusieurs professeurs qui ont d’abord reçu des secours, ont depuis trouvé des moyens d’existence honorables ; dès lors la section centrale a pu proposer une réduction sur le chiffre voté l’année dernière.

On a dit, pour vous déterminer à accorder le même secours, que la demande n’en serait pas reproduite, attendu qu’on était à la veille d’organiser l’instruction publique, ce qui permettrait de replacer tous ces professeurs. Mais je ne crois pas qu’on puisse assurer que tous les professeurs démissionnés obtiennent des places ; il faudrait pour cela être convaincu qu’ils ont tous le mérite convenable pour les remplir, tandis qu’il peut se trouver des professeurs auxquels il soit impossible de donner des emplois : c’est une question de personnes qui devra être examinée lors de la réorganisation de l’instruction publique. Je ne vois donc pas de motif solide qui puisse être opposé à la section centrale. Il est de fait que plusieurs professeurs ont trouvé des moyens d’existence. Je voterai pour la réduction propose par la section centrale.

M. Desmet. - Messieurs, je conçois qu’on puisse prétendre à des indemnités quand on a réellement rendu quelque service à l’Etat, et qu’on ait été en place un certain nombre d’années ; mais je ne saurais comprendre qu’on soit indemnisé quand on n’a rien fait ou mérité pour l’être, comme on le voit d’après la liste que le ministre nous présente pour distribuer des indemnités.

Je dois encore le dire, les renseignements qui sont consignés dans le tableau qu’on a présenté à la section centrale, sont tellement vagues et incomplets, que je ne conçois pas que le ministre, s’il n’en a pas d’autres, ait pu former un tel état, et demander des indemnités pour ceux qui y figurent.

Messieurs, nous devons bien être humains, et récompenser les services rendus au pays ; mais devons-nous éparpiller l’argent des contribuables partout, et le jeter à tous ceux qui en demandent, avec raison ou non ? Je ne pense pas que ce soit là votre intention, et c’est dans cette idée que la section centrale a cru, sinon entièrement demander la suppression de la somme proposée, du moins la réduction d’une moitié, et en conséquence elle vous a proposé de porter l’indemnité aux professeurs démissionnés dans les athénées et les collèges à 6,000 fr.

M. le ministre a fait le reproche à la section centrale qu’elle a fait cette réduction sans avoir des données suffisantes pour la faire, et qu’elle ne savait pas si ces indemnités étaient réellement méritées. Il est vrai que les renseignements ont manqué à la section centrale pour motiver suffisamment la réduction ; mais je crois que, d’un autre côté, M. le ministre n’en a pas eu non plus suffisamment pour former le tableau de ceux qui réclament ces indemnités ; si je peux en juger de ce qui est à ma connaissance, je devrais le soupçonner : j’y vois figurer un certain M. Debeaune, qui aurait été professeur au collège d’Alost. Je ne sais pas quelle chaire ce professeur aurait remplie audit collège, car aussi longtemps que le collège d’Alost a été livré au monopole du gouvernement néerlandais, il n’y a pas eu plus de 5 à 6 élèves. On dira peut-être aussi que la section centrale s’est montrée par trop parcimonieuse en réduisant de moitié une somme qui était déjà si minime, et que, dans sa distribution à ceux qui réclament, la moyenne ne passera pas 400 fr.

Si les pensions et les indemnités de toutes les couleurs se bornaient à celles-ci, certainement que la section centrale aurait eu tort de toucher au chiffre de 12,000 fr. proposé par M. le ministre.

Mais, messieurs, vous le savez, les pensions, ces traitements d’attente, ces indemnités augmentent dans une telle proportion, qu’il devient aussi pressant qu’indispensable d’arrêter le cours de leur accroissement, qui finirait par envahir la fortune publique. Le mal est d’autant plus grand qu’il prend sa source dans la bonté et la bienfaisance, et que ceux qui fatiguent les ministres de leurs sollicitations ne sont pas toujours ceux qui ont le plus de droit. Vous l’avez encore vu hier, des étrangers qui ont été au service du pays 2 ou 3 ans, vous les avez pensionnés de 2 à 3.000 francs par an, tandis que je pourrais vous citer des Belges qui, ayant servi le pays près de 30 ans, ont été injustement privés de leurs places par la haine ou le caprice d’un ministre, et renvoyés chez eux sans une obole de pension ou d’indemnité.

Messieurs, nous devons cependant y prendre garde, si nous ne voulons tomber dans les mêmes abus qui existaient sous le gouvernement que nous avons chassé et qui ont été une des causes de sa chute. Tout à l’heure la prodigalité des pensions et des gratifications n’aura plus de bornes, car il y a chez tous les citoyens une tendance très prononcée à se mettre à la charge de l’Etat, et le ministre en profite pour se créer des créatures ; c’est à la législature qu’il appartient d’y mettre un frein et de montrer que le budget n’est pas une proie.

C’est là la principale raison pourquoi la section centrale vous propose de diminuer le chiffre proposé par le ministre ; si elle ne peut réussir à faire faire quelque économie, du moins je pense qu’elle aura fait sentir de plus en plus à la chambre qu’il est urgent de répondre aux vœux de la constitution pour ce qui concerne la législation à établir sur les pensions à accorder et la révision à faire de celles qui le sont provisoirement, afin de sortir d’un arbitraire qui est très dangereux.

M. Gendebien. - Je demanderai s’il n’a été accordé des secours qu’à d’anciens professeurs qui avaient bien mérité, ou, je le veux encore, à des professeurs qui, sans avoir bien mérité, se trouvaient dans le besoin. Qu’on ose alléguer qu’il n’y a eu aucun abus ! Mais on ne le peut pas ; dès lors la thèse change, et la défiance s’empare de l’homme qui a l’habitude de consulter sa conscience lorsqu’il s’agit de disposer des deniers des contribuables.

Sans doute, ne fût-ce que par humanité, nous ne demandons pas mieux que d’accorder les fonds qu’on nous demande pour des infortunes réelles : il est même beaucoup de monde disposé à faire des largesses aux dépens du trésor, car c’est un moyen de se faire des amis ; mais pour moi je fais peu de cas d’amis que j’acquerrais aux dépens du trésor. Je ne m’inquiète jamais pour moi-même du résultat de mon opinion, car le devoir me commande d’en exprimer une.

Il résulte des pièces produites par le ministre qu’une personne qui n’a pas quitté ses fonctions à la suite de la révolution, mais en 1829, a reçu une allocation, non pas parce qu’on lui avait promis une place d’inspecteur d’athénées, ainsi que l’a dit M. de Theux (ce qui à mes yeux ne pourrait jamais constituer aucun titre), mais parce qu’il a été désappointé dans une spéculation tendant à nous faire parler hollandais : c’est le motif donné aux pièces et qui fut allégué par l’honorable M. Dubus, lorsqu’il donna lecture de son rapport dans la section centrale. S’il nous fallait donner ainsi des indemnités à tous ceux qui ont fait de fausses spéculations, le trésor serait encore plus obéré qu’il ne l’est aujourd’hui.

Vous voyez dans le tableau joint au rapport des professeurs nommés en 1829, même en 1830, démissionnés en 1830 et qui reçoivent des indemnités. Ils ont été en fonctions pendant six mois ou un an, on leur accorde des secours pendant 3 ou 4 ans. Il n’y a dans tout cela ni règle, ni titre légitime.

Ainsi, vous le voyez, dans le tableau, sur 29 professeurs il y en a 7 dont on n’a pu désigner la date de leur entrée en fonctions. On n’a pas pu dire quand ils avaient été nommés. Je vous demande s’il y a de la légèreté dans la manière dont les secours sont accordés, et si d’après cela la section centrale n’était pas fondée à proposer une réduction. Je pourrais la justifier positivement si j’avais le dossier à ma disposition.

Je ferai observer à la chambre néanmoins que je ne refuse pas la totalité de l’allocation, ni une majoration, pourvu qu’on rentre dans les termes de promesses faites : que la somme ne serait allouée qu’a titre de secours et non pas à titre de gratifications. On prétend qu’il n’y a pas de majoration ; je puis me tromper, mais je crois cependant que la somme demandée pour 1834 est plus forte que celle accordée ou plutôt dépensée en 1833. Je prie le ministre de vérifier le fait.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, je persiste à croire que la section centrale s’est livrée à des critiques fort injustes de l’administration, en ce qui concerne la répartition des subsides, attendu que je n’ai pas encore posé de tels actes. Je ne puis pas avoir accordé d’indemnité pour 1834, alors que je ne me suis pas encore prononcé pour 1833. J’ai déclaré en commençant que ce travail n’était pas arrêté ; j’ai poussé la circonspection jusqu’à attendre la discussion et le vote de la chambre, avant de répartir l’indemnité pour 1833. Rien donc n’a encore été fait à cet égard, que pour un ou deux professeurs qui ne pouvaient attendre plus longtemps.

Je prie la chambre d’être convaincue de ce que je lui affirme, et de ne pas partager l’espèce de persistance qu’on met à m’attribuer des actes que je n’ai pas posés.

Du reste, on verra que dans les indications faites pour 1833 la plupart des sommes sont inférieures à celles de 1832 et surtout de 1831. Ceci contrarie les observations de M. Desmet, qui a prétendu que les indemnités avaient toujours été en augmentant d’année en année.

Messieurs, il est possible et même probable que plusieurs des professeurs qui figurent à la première colonne, ne recevront pas d’indemnité pour 1834, ni même pour 1833, et plusieurs subiront des réductions. Il est à remarquer que d’autres n’ont rien reçu en 1831 et 1832, et que le gouvernement désire être à même de les indemniser, attendu que s’ils ont souffert pendant deux années, ce n’est pas une raison pour continuer de les laisser dans le besoin.

M. d’Huart. - Messieurs, je regrette que dans cette discussion on ait fait connaître des noms propres. On devrait éviter à d’anciens fonctionnaires l’humiliation qui résulte toujours de discussion sur le mérite de ceux pour lesquels les allocations sont demandées, quand dans ces discussions on fait intervenir des noms. Il serait plus digne de la représentation nationale de s’abstenir toujours de ces désignations. Il est des hommes qui préféreraient rester dans la plus profonde misère que de se voir ainsi montrer au doigt.

L’honorable M. de Theux a déjà expliqué comment il se faisait que l’abbé Olinger, qui avait cessé ses fonctions en 1829, se trouvaient porté sur l’état pour recevoir une indemnité.

Il est vrai qu’il devait être nommé à l’athénée à établir à Bruxelles, il en avait reçu la promesse formelle ; en attendant, il devait toucher une indemnité. On lui fait un crime d’avoir fait un dictionnaire hollandais. Il était alors aux gages de ce gouvernement comme professeur ; on lui a donné l’ordre de faire ce travail dans le but d’exécuter le plan qu’avait conçu ce gouvernement de forcer tout le pays à parler cette langue. Il ne pouvait que suivre l’impulsion qu’on lui donnait. La somme d’ailleurs est très faible, c’est la même que l’année dernière et la dépense n’est que temporaire. Vous avez maintenu toutes les autres allocations par ce motif que la loi sur l’instruction publique serait prochainement présentée. Pour être conséquents avec vous-mêmes, vous devez également maintenir celle-ci.

Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

- Le chiffre de 12 mille francs proposé par le gouvernement est mis aux voix et adopté.

Article 7

« Art. 6 (devenu art. 7). Instruction primaire. »

Le gouvernement demande la somme de 242,000 fr.

La section centrale propose d’allouer 230,000 fr.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, je me serais volontiers rallié au chiffre de la section centrale afin d’épargner de longues discussions à la chambre ; mais la section centrale s’est livrée à des attaques trop vives contre la répartition des subsides pour que je puisse me dispenser d’y répondre. Je demanderai le maintien de l’allocation réclamée et le vote par littera.

- Cette dernière proposition est mise aux voix et adoptée.


M. le président. - Le littera A est relatif au traitement des instituteurs primaires dans les provinces.

Le chiffre demandé par M. le ministre est de 214,000 fr.

La section centrale propose une réduction de 12,000 fr.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Le chiffre proposé est celui qui fut admis l’année dernière par la section centrale ; une réduction porta seulement sur les subsides demandés pour constructions, réparations, location de maisons d’école, et fut adoptée par ce motif que l’année était trop avancée pour commencer des constructions.

Pour justifier ces dépenses, je dirai que déjà pour l’année 1833 il se trouve engagé sur l’allocation pour constructions, réparations ou location d’écoles, une somme de 15,000 francs ; je ne sais donc pas où la section centrale a vu que cette somme fût demeurée intacte.

La section centrale a argumenté des dépenses faites jusqu’au 30 décembre 1833. Elles s’élevaient alors à 15,000 et quelques cents francs pour les anciens traitements des instituteurs, auxquels il fallait ajouter vingt-quatre mille francs pour les nouveaux traitements, ce qui faisait en tout 174 mille fr. ; mais, depuis l’époque de la présentation du budget, de nouvelles dépenses ont eu lieu. Il se trouve qu’il a été imputé, à la date du 27 février 1834, sur l’allocation destinée aux traitements une somme de 186,000 francs.

La section centrale reconnaît qu’il y a 130 demandes nouvelles de traitement en instance ; elle ajoute que si ces demandes étaient accueillies, une somme de 15 à 18,000 fr. suffirait.

La section centrale est dans l’erreur. Si on admettait les 130 demandes dont il s’agit, en supposant que chacun des traitements fût fixé à 200 francs, ce ne serait pas 15 ou 18,000 francs, mais bien 26,000 francs qu’il serait nécessaire d’accorder.

Je dois avouer que tout le crédit n’a pas été épuisé l’année dernière, mais il ne s’ensuit pas que le gouvernement ne soit pas obligé de l’épuiser en 1834. Si de nouvelles demandes sont faites par des communes dont le revenu est insuffisant, et que l’instituteur consente à donner l’instruction gratuite à un certain nombre d’élèves, il est du devoir du gouvernement d’intervenir ; c’est le principe qu’il a toujours suivi, celui qu’il a exposé dans la discussion dernière et qu’il se propose du continuer de suivre, je le répète ; au reste, le chiffre proposé quant aux traitements est le même que celui qui a été adopte l’année dernière.

M. A. Rodenbach. - Je ne veux pas plus que M. le ministre de l’intérieur renouvelé des discussions irritantes ; mais si l’on jette un coup d’œil sur la répartition des fonds, on ne peut s’empêcher de remarquer la singularité de leur distribution. La province de Luxembourg a fait tout à l’heure entendre ses plaintes par l’organe de son représentant de n’avoir obtenu qu’une somme peu considérable ; mais si nous continuons cet examen nous verrons que les deux Flandres qui comportent une population de 13 cent mille habitants n’ont été comprises dans la répartition que pour une somme de 22 mille francs, tandis que la province de Namur qui ne compte que 12 mille habitants a reçu plus à elle seule que ces deux provinces. C’est une observation qu’il était, je crois, nécessaire de faire pour appeler l’attention du gouvernement sur une plus égale distribution des fonds qui lui sont alloués. J’ajouterai à l’appui de cette assertion que dans le Brabant, à Bruxelles, il y a un instituteur qui reçoit 1,269 francs et qui n’a que 6 élèves, et qu’à Namur un autre instituteur reçoit aussi 1,269 francs pour 12 ou 13 élèves : de cette manière, si le gouvernement n’apporte pas plus d’attention dans la distribution de ses allocations, il sera facile de se faire accorder de jolis traitements pour ne faire presque rien.

M. Legrelle. - Je commence par déclarer que je suis très éloigné de refuser des fonds pour l’instruction primaire, car je ne connais pas de dépenses mieux faites que celles qui tendent à éclairer la jeunesse ; mais il est une observation de M. le ministre de l’intérieur que je ne saurais laisser passer sans réponse. M. le ministre vous a dit en effet, messieurs, qu’il se serait rallié volontiers au chiffre proposé par la section centrale, mais que les critiques amères auxquelles elle s’était livrée, l’avaient forcé à maintenir le chiffre demandé. Je vous avoue que je m’étonne qu’une question d’amour-propre, qu’une divergence d’opinions entre le ministre et la section centrale coûte 12 mille francs à l’Etat. Ce serait là une critique bien amère, puisqu’elle devrait coûter si chère à la nation. Ces considérations vous suffiront, je pense, pour vous déterminer à voter le chiffre de la section centrale.

M. Gendebien. - J’ai toujours été d’avis d’accorder tout ce que l’on demandait pour l’instruction publique, et je suis encore de cet avis : aussi je ne conteste pas le chiffre proposé par le gouvernement ; mais l’honorable rapporteur n’étant pas ici pour défendre son ouvrage, je demande la permission de le remplacer. Je tâcherai de le suppléer : je le suppléerai mal, car je n’ai ni son talent, ni les éléments sur lesquels il a basé ses calculs.

On demande 214,000 francs pour les traitements des instituteurs dans les neuf provinces. Quels sont les besoins du ministre ? On avait dépensé 150,000 francs, on a fait des nominations nouvelles pour 20,000 francs, et il y a en instance d’autres demandes pour 22,000 francs. Ce qui fait un total de 192,000 francs. Vous voyez que je comprends dans ce chiffre toutes les nominations : les anciennes nominations, celles faites en 1833, et enfin celles que l’on se propose de faire et dont l’instruction n’est pas complète.

Cependant le ministre demande 214,000 fr. ; il y a donc, outre les 20,000 fr. consacrés aux instituteurs dont les demandes sont en instance, 22,000 fr. pour les demandes nouvelles.

Je ferai remarquer que je ne conteste pas l’utilité de cette somme, j’ai voulu seulement rectifier les calculs de M. le ministre et le ton avec lequel il a combattu ceux de mon honorable collègue M. Dubus.

Il est évident qu’il y a une somme de 22,000 francs en plus.

Maintenant on demande pour le matériel 20,000 francs, et pour les nécessiteux 8,000 francs. D’après les notes remises par M. le ministre à la section centrale, il a été constaté qu’on n’avait dépensé que 300 fr. pour ce dernier objet ; on peut donc dépenser 7,700 francs de plus cette année, et en y joignant les 22,000 francs dont je viens de parler, le ministre a donc 29,700 fr. à dépenser en plus en 1834 qu’il n’a dépensé en 1833. Dans cet état de choses, j’ai cependant été d’avis d’accorder la somme demandée.

Mais aussi vous le voyez, M. le ministre a tort de se plaindre de la critique amère du rapporteur ; ce ne sont que des observations basées sur des chiffres. Je suis d’avis d’allouer et j’allouerai toujours tous les fonds qui seront demandés pour tout ce qui tient à l’amélioration de l’espèce humaine, au physique et au moral. C’est pour cela que j’ai voté les crédits demandés pour l’instruction primaire ; mais je dirai cependant que la répartition est tout à fait mauvaise, qu’il y règne un arbitraire dont je ne me rends pas compte. Il y a telle province qui à elle seule reçoit beaucoup plus que plusieurs autres ensemble ; il y a là, je ne dirai pas du népotisme, mais du favoritisme. Je ne veux pas accuser le ministre directement. Mais il est toujours responsable de ses subordonnés dans les provinces comme ailleurs. Ouvrez le tableau des répartitions qui vous est soumis, et vous retrouverez les inégalités le plus choquantes. Si le ministre avait demandé 300 mille fr., je les aurais néanmoins accordés dans l’espoir de voir disparaître ces inégalités ; un autre membre de la section centrale était du même avis que moi, mais mes collègues avaient de leur côte des motifs pour refuser l’augmentation : l’inégalité de la répartition et l’excédant de 22,000 fr. que présentait le crédit.

Ainsi donc, tout en me permettant de dire quelques mots pour la justification de notre collègue M. Dubus, je n’en alloue pas moins la somme, et la mauvaise humeur du ministre ne m’empêchera jamais d’accorder une somme même supérieure à sa demande si je la croyais nécessaire. La mauvaise humeur des ministres ne m’empêchera jamais de remplir mes devoirs.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je n’ai nullement eu l’intention d’attaquer un absent, ce n’est pas dans mes habitudes ; et quant à M. Dubus, j’ai regretté plusieurs fois son absence, je la regrette encore en ce moment ; il ne manquerait pas d’apporter beaucoup de lumières dans la discussion, et s’il m’avait convaincu de la réalité de ses critiques, je me serais rendu avec plaisir à ses observations. Je me suis plaint de la section centrale, qui, je te répète, a été injuste dans les reproches qu’elle a adressées au ministre. L’honorable M. Gendebien vient de s’associer à ces reproches.

M. Gendebien. - Pas du tout !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - L’honorable membre a dit que c’était les districts les plus favorisés qui obtenaient la plus grande part dans les nouvelles répartitions.

M. Gendebien. - Je n’ai pas dit cela !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Vous vous êtes servi du mot favoritisme ; je l’ai retenu.

M. Gendebien. - C’est vrai.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Eh bien ! cela est inexact. Si on veut parcourir le tableau des dernières répartitions, on verra que le gouvernement s’est attaché à les faire de la manière la plus impartiale possible ; que, loin de pouvoir critiquer les répartitions faites antérieurement, le ministre n’a pu que suivre ce qui existait avant la révolution : un arrêté du gouvernement provisoire du mois d’octobre 1830 ayant prescrit que les encouragements donnés à l’instruction primaire seraient maintenus, s’il y a des inégalités, il faut les imputer à l’ancien gouvernement et non au gouvernement nouveau.

Depuis lors les répartitions ont-elles été faites d’une manière injuste ou partiale ? C’est ce qu’on aurait dû prouver. Il faudrait que le gouvernement eût refusé une allocation à une commune, et en eût accordé à telle autre, alors que celle à laquelle il l’avait refusée y avait plus de droits que l’autre. Je défie, et je ne porte pas souvent de défi, qu’on me cite des communes en faveur desquelles il ait été fait des répartitions au détriment de telles autres.

Les inégalités qu’on a pu remarquer tiennent à diverses causes le gouvernement ne va pas au-devant des communes, nous attendons que les demandes nous soient faites ; lorsqu’il en arrive et qu’il est établi que les communes qui les font sont dans une position qui ne leur permet pas de faire les frais d’une école, le gouvernement vient à leur secours. Il peut sans doute se trouver d’autres communes qui par leurs positions malheureuses aient plus de droits aux secours du gouvernement ; mais si ces communes ne les réclament pas, si elles ne veulent rien, le gouvernement ne peut pas leur imposer des subsides ; c’est alors qu’on lui reprocherait avec raison d’imposer ses bienfaits aux communes. Tous les nouveaux subsides ont été donnés avec impartialité ; nous osons à cet égard défier les critiques de ceux qui nous reprochent de faire du favoritisme.

Au reste j’ai dit que la somme était la même que l’année dernière, c’est-à-dire que je demandais pour le personnel et le matériel la même somme que j’avais réclamée pour 1833. La chambre m’a accordé pour les universités les sommes que j’avais demandées l’année dernière ; j’espère qu’elle ne traitent pas plus mal l’instruction primaire.

Les sommes imputées s’élèvent à 186,000 fr. pour le traitement des instituteurs, il reste 130 demandes. En supposant, comme je l’ai déjà dit, qu’on accordât 200 fr. par instituteur, cela ferait 26,000 fr., ce qui donne un total de 212,000 fr., c’est 2,000 fr. de moins que la somme portée au budget, et qui servira à faire face aux nouvelles demandes qui pourront survenir. Il restera 20,000 fr. pour les nécessiteux, 20,000 fr. pour réparations et constructions, et 8.000 fr. pour les instituteurs nécessiteux.

M. Ernst. - Parmi les encouragements pour l’enseignement, ceux destinés à l’instruction primaire sont sans doute les plus sacrés. La chambre a admis les allocations demandées pour toutes les branches de l’instruction ; elle ne réclame pas lorsqu’il s’agit de l’instruction primaire, dont les besoins sont les plus grands : c’est ce que je ne puis pas craindre, ce serait une contradiction évidente.

Je ferai d’abord observer à la chambre que, sur six sections, quatre ont alloué sans difficulté la somme consentie par la section centrale. Les motifs donnés dans le rapport de cette section n’ont rien de fondé.

Si quelques provinces ont été moins bien partagées dans les répartitions de secours, c’est une raison pour accorder davantage au gouvernement afin de le mettre à même de faire disparaître ces inégalités. Mais peut-on les imputer au ministère ? Non.

Au moment de la révolution, le gouvernement provisoire rendit un arrêté qui maintenait tous les encouragements accordés pour l’instruction primaire. On a donc été obligé de conserver ce qui existait. Avant de reprocher au ministre de l’intérieur d’avoir depuis accordé à des communes des secours qu’elles étaient moins en droit d’obtenir que d’autres, il faudrait avoir la preuve que celles-ci lui ont adressé des demandes qui ont été repoussées ; c’est ce que personne n’a même articulé. Si dans les Flandres on a fait moins de demandes que dans le Hainaut, les provinces de Liège et de Namur, c’est la faute de ceux qui ne veulent pas profiter des encouragements du gouvernement.

On a besoin de maisons pour des écoles ; c’est pour ces constructions que des demandes de 15,000 francs sont en instance : si vous refusez les 12,000 fr. que vous avez retranchés l’année dernière, il sera impossible de satisfaire aux nécessités pressantes de ce service. Je croirais me manquer à moi-même, et à la sollicitude que je vous suppose pour l’instruction primaire, si j’insistais davantage.

M. Zoude. - On a reproché au gouvernement d’être trop généreux pour la province de Luxembourg. L’honorable M. Rodenbach n’a pas remarqué que nos malheureuses communes fournissaient la moitié de la somme nécessaire pour les établissements des écoles, et que la province de Luxembourg contribue à elle seule pour cette dépense plus que toutes les communes des deux Flandres ensemble.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. Gendebien. - Je demande la parole pour quelques mots d’explication. Ce sera bref. Je veux expliquer une chose que le ministre n’a pas voulu comprendre.

Quand j’ai parlé de la partialité de la répartition, j’ai dit que le ministre n’en était pas directement coupable, mais qu’il était responsable de ses subordonnés qui, soit par défaut de zèle, sait par esprit d’opposition au système de subsides accordés à l’instruction primaire, négligent de faire parvenir à son ministère les réclamations de leurs administrés.

Je prie M. le ministre de prendre acte de cette observation, afin d’empêcher que les abus dont j’ai voulu parler ne se reproduisent plus.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.

M. Gendebien. - Il y a des demandes qui sont interceptées et qui ne parviennent pas jusqu’à votre ministère. Je ne veux pas entrer davantage dans un système de personnalités dans lequel vous voulez m’entraîner, en me mettant en demeure de citer des noms propres, en affectant de ne pas me comprendre. Quant à M. Dubus, M. le ministre a dit que ce n’était pas à un absent qu’il s’était attaqué, qu’il s’était plaint de la section centrale. Je ferai alors observer que le reproche, s’attachant uniquement à la forme du rapport, retombait sur le rapporteur qui, seul, est auteur du rapport écrit. J’avais donc raison de dire que je prenais la parole pour défendre un absent.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je nie qu’un employé sous mes ordres intercepte les demandes qui me sont adressées.

- Plusieurs voix réclament de nouveau la clôture.

M. Angillis. - Je demande la parole contre la clôture. Un fait… (Sur la clôture !) Je veux citer un fait pour prouver que je dois être entendu.

Quand la chambre ne voudra plus m’entendre, je me tairai.

Un instituteur de mon village, d’un village de 7,000 âmes, a réclamé depuis deux ans, sans pouvoir obtenir un cents. (La clôture ! la clôture !)

- La chambre consultée ferme la discussion.

Le chiffre de 242,000 fr. proposé par le gouvernement est mis aux voix et adopté après deux épreuves, la première ayant paru douteuse.

M. le président. - « Chapitre V. - Cultes »

Motion d'ordre

Emprisonnement d'un fonctionnaire belge par la garnison fédérale de la forteresse de Luxembourg (incident Hanno)

M. d’Hoffschmidt. - Avant de passer au chapitre des cultes, je désirerais que M. le ministre des affaires étrangères nous donnât des explications sur la demande que j’ai faite ainsi que sur celle de M. Gendebien.

M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Je suis fâché de ne pouvoir en ce moment répondre au désir de l’honorable préopinant ; il est des choses sur lesquelles il est imprudent de parler trop tôt. Quand le moment sera convenable, je satisferai d’autant plus volontiers aux vœux du préopinant que je ne refuserai jamais d’éclairer la chambre et le pays. Mais pour le moment je ne puis rien dire.

M. d’Huart. - On ne demande pas que vous répondiez aujourd’hui. Mais demain vous pourriez le faire.

M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Je ne serai pas plus prêt demain qu’aujourd’hui. On pourra discuter le rapport que j’ai présenté, je répondrai le lendemain.

M. Gendebien. - Il me semble que M. le ministre répond mal aux demandes qui lui sont adressées. Nous ne lui demandons pas de parler aujourd’hui : si nous exigions qu’il s’expliquât à l’instant, il serait dans son droit alors qu’il nous dirait que c’est prématurément, alors même qu’il protesterait, qu’il y a danger à parler aujourd’hui. Mais nous demandons une simple communication de pièces. Si ces pièces ne nous sont pas communiquées, nous sommes exposés à parler sans connaissance de cause. Nous ne pouvons porter de jugement sur notre position vis-à-vis la confédération germanique que lorsque nous aurons sous les yeux le traité qui a servi de base aux négociations, qui seront l’objet des critiques ou des éloges de la chambre.

Je regrette que la franchise de M. de Mérode lui ait fait faute dans cette circonstance. Nous ne voulons nullement le forcer à parler, c’est nous qui parlerons ; mais comme nous ne voulons parler qu’avec connaissance de cause, nous croyons prudent et juste de ne le faire que quand nous aurons pu examiner surtout le traité ou le règlement qui a établi les relations entre les autorités militaires de la forteresse et les autorités civiles du grand-duché du Luxembourg.

Puisque dès le principe de la révolution, nous avons déclare vouloir respecter les relations du Luxembourg avec la confédération germanique, que nous en avons fait l’objet d’une disposition constitutionnelle, nous voulons les respecter encore ; mais nous voulons savoir ce que nous avons à respecter, nous voulons connaître nos droits alors qu’on semble nous imposer des devoirs humiliants. Nous refuser les communications nécessaires pour nous éclairer à cet égard, c’est nous autoriser à croire qu’il y a une arrière-pensée.

Jamais dans un procès civil, criminel ou politique, on n’a refusé la communication des pièces à ceux qui étaient directement intéressés. Ici nous sommes partie plaidant, et peut-être serons-nous les victimes très incessamment. Nous avons donc intérêt à connaître les pièces du procès, et non à entendre une péroraison du ministre, dont nous n’avons que faire.

M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Si, dans les procès civils ou criminels, on communique les pièces qui y sont relatives, il n’y a pas d’ennemis qui écoutent aux portes. J’ai répondu tout à l’heure qu’il y avait des choses sur lesquelles il fallait s’abstenir de soulever des discussions. J’avais bien compris qu’on ne voulait pas me faire répondre sur-le-champ à des observations qui me seraient faites, mais j’ai répondu aux demandes qui m’ont été adressées que je ne pouvais pas y satisfaire.

Il s’agit d’un traité passé avec des personnes étrangères ; il est, ce me semble, inutile d’éveiller leur attention sur certaines choses. M. Gendebien, demandez le comité secret.

M. Ernst. - A l’appui des observations de l’honorable député de Mons, je dois dire que M. le ministre satisfait très mal aux interpellations qui lui sont adressées. Je ne puis suspecter ses intentions, mais j’espère lui démontrer facilement qu’il est dans une complète erreur. Jamais je n’appuierai des demandes indiscrètes adressées aux ministres ; je serais même le premier à blâmer un ministre qui répondrait à de semblables interpellations. Mais que lui demande-t-on ?

Sont-ce des explications sur un commencement de négociations ? Non. Est-ce une correspondance relative aux mesures à prendre ? Non. S’agit-il enfin de choses que l’étranger serait intéressé à connaître ? Non encore ; mais il s’agit d’un traité passé depuis longtemps ; et invoqué par le gouverneur militaire de Luxembourg, traité que nous ne pouvons pas nous procurer, et qu’il nous importe cependant d’avoir sous les yeux, lors de la discussion grave qui s’élèvera. Il ne peut donc y avoir que de la mauvaise grâce à venir parler d’ennemis qui écoutent aux portes, pour nous refuser les pièces du procès.

Quant au fait dont a parlé un honorable député du Luxembourg, il est ou il n’est pas ; le ministre ne risque rien à le reconnaître si le fait est vrai, puisque la clameur publique l’a déjà porté à la connaissance de tout le monde. J’espère qu’il ne persistera pas dans un refus indigne de lui.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Les honorables préopinants ont eu raison de rendre justice et de croire à la loyauté de mon honorable collègue M. Félix de Mérode. La chambre doit penser que ce n’est pas légèrement qu’il refuserait une communication de pièces à une chambre dont il s’honore d’être membre, et pour laquelle il n’a pas cessé de montrer les plus grands égards.

Nous pourrions répondre par ce dilemme : ou le traité est public, ou il est secret. S’il est public, il est facile à chacun de se le procurer ; si au contraire, il est secret, s’il n’est dans aucun recueil, vous concevez qu’avant que le gouvernement puisse l’avoir en sa possession, il serait obligé de se livrer à des démarches préliminaires dont le succès ne serait pas garanti : il n’est pas facile d’avoir communication de traités dans lesquels on n’a pas été partie intervenante. La chambre en a appris assez par ce qui s’est passé depuis trois ans pour apprécier la distinction que je fais ici entre un traité secret et un traité public.

Nous ferons des interpellations qui nous sont adressées le sujet d’une délibération du conseil : si nous avons quelque chose à communiquer, nous le ferons franchement ; si nous croyons que les communications ne puissent pas être faites au public sans inconvénient, nous sommes assez sûrs des sentiments qui animent la chambre pour croire qu’elle ne nous refusera pas un comité général. Je prie la chambre de vouloir bien prendre acte de notre déclaration : que si nous ne pensons pas répondre en ce moment aux questions qui nous sont adressées, nous prenons l’engagement d’en délibérer en conseil, et de faire des communications en comité général si l’intérêt du pays l’exige.

M. le président. - La parole est à M. d’Hoffschmidt.

M. d’Hoffschmidt. - D’après les observations qui m’ont été faites, il est inutile que je parle. Je me bornerai à demander au ministre s’il a reçu, oui ou non, une dépêche adressée au général de Tabor par le général Dumoulin. Je n’en demande pas le contenu : si ce contenu ne doit être communiqué qu’en comité secret, je consens à ce qu’il ait lieu. Nous ne pouvons entamer une discussion aussi importante sans connaître toutes les pièces du procès.

Je serais porté à croire, d’après la réserve qu’il apporte dans cette circonstance, que M. le ministre des affaires étrangères ne nous aurait pas communiqué toutes les pièces relatives au Luxembourg ; il serait bizarre de ne communiquer à la chambre que des pièces d’un intérêt secondaire, et de réserver les plus importantes pour le cabinet. Je ne vois pas, après tout, le si grand secret qu’on doit observer dans cette affaire ; il ne s’agit plus de diplomatie, c’est les armes à la main que nous devons terminer nos affaires, et ce n’est ni de la France, ni de l’Angleterre que doivent nous venir nos inspirations. Il faut en finir avec la diplomatie, et nous décider à agir. Si nous y avons recours, si nous délibérons plus longtemps, la province de Luxembourg est perdue et peut-être avec elle la Belgique entière.

M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - De nouvelles communications m’ont été adressées, mais elles demandent à être coordonnées pour être présentées avec ensemble. Quand il y aura quelque chose de présentable, nous viendrons le soumettre à l’assemblée ; mais je ne puis présenter des documents sur une affaire qui n’est pas encore terminée, il faut agir avec prudence, et quand on est obligé de correspondre avec Paris, Londres et Berlin, on ne peut terminer une affaire en un jour.

Si, comme le dit le préopinant, il fallait tout terminer à coups de fusil, je ne sais comment les affaires de ce bas monde seraient résolues, et si l’humanité y trouverait son compte.

M. Ernst. - Si nous sommes obligés d’attendre, pour avoir des communications, que la diplomatie ait quelque chose de présentable à nous offrir, je crois que nous attendrons longtemps. M. le ministre de la justice nous a opposé un dilemme : ou le traité est public ou il est secret ; mais le traité peut bien être secret pour nous et ne l’être pas pour le ministère. Je demande si le traité est à la disposition du gouvernement.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je déclare positivement que le traité n’est pas à la disposition du gouvernement.

M. Ernst. - Comment insister pour obtenir communication d’une chose que le ministère déclare ne pas connaître ! Mais tout le pays apprendra avec étonnement que le gouvernement a pris envers le commandant de Luxembourg ces arrangements et ces mesures qui le mettent dans un si grand embarras, sans connaître le traité concernant la forteresse.

M. de Brouckere. - La conduite du ministère a quelque chose de bien bizarre : un de nos collègues lui demande communication d’un traité important, sans lequel il est bien difficile que nous nous livrions avec connaissance de cause à la discussion qui doit avoir lieu demain. La première réponse du gouvernement nous arrive par l’organe de M. le ministre des affaires étrangères ; il déclare qu’il y aurait danger à le communiquer.

On insiste. Le deuxième orateur du ministère est M. le ministre de la justice : lui ne répond ni oui, ni non. Il pose ce dilemme : ou le traité est public ou il est secret ; s’il est public, vous le connaissez ; s’il est secret, nous ne pouvons pas le communiquer. On insiste encore, et cette fois il répond : Nous ne pouvons le communiquer parce que nous ne l’avons pas. Dans ce cas il était inutile de nous laisser discuter.

Le ministre aurait pu nous dire de premier abord : Je ne peux vous satisfaire, les pièces que vous réclamez ne sont pas à ma disposition. Nous nous serions alors bornés à dire, comme l’honorable préopinant, qu’il est fort étonnant que le gouvernement n’ait pas ces pièces à sa disposition ; mais puisqu’il déclare ne pas les avoir, il est inutile d’insister.

Il est un autre point sur lequel j’insisterai davantage. Le ministre des affaires étrangères dit que, depuis le rapport qu’il nous a présenté, différentes pièces ont été échangées, mais qu’il ne peut en donner connaissance que quand il aura un ensemble de documents présentables. S’il en est ainsi, je ne sais pas à quoi aboutira la discussion de demain dont l’objet est presque devenu de l’histoire ancienne. On nous a fait l’historique de ce qui s’est passé entré le commandant militaire de la forteresse et le gouverneur du Luxembourg ; si maintenant la position des choses est changée, pourquoi nous faire discuter sur une affaire qui n’est plus ce qu’elle était il y a huit jours ? Si de nouvelles communications ne nous étaient pas faites pour nous mettre au courant de l’état des choses, je serais obligé de m’opposer à la discussion qui doit avoir lieu demain.

Je prie M. le ministre de nous donner un deuxième rapport sur ce qui s’est passé depuis le jour où le premier a été présenté. Je suis persuadé que la chambre ne répudiera pas mes paroles ; nous serons très indulgents si les ministres veulent être sincères. Nous n’examinerons pas si le rapport est présentable ou non, si le style est plus ou moins élégant, et si l’ensemble des pièces est plus considérable. Ce que nous désirons, c’est de pouvoir discuter en connaissance de cause.

M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Je ne demande pas mieux que la discussion sur les affaires du Luxembourg soit ajournée ; je pense que, si elle s’ouvre demain, elle aura lieu beaucoup trop tôt. Les affaires ne vont pas si vite que le désirent ceux qui voudraient les voir terminées. Je souhaite autant que qui que ce soit qu’elles le soient promptement, mais jusque-là il y aurait inconvénient à s’expliquer davantage ; on pourrait compromettre des arrangements qu’on est sur le point d’obtenir.

M. de Brouckere. - Si M. le ministre croit que la discussion est inutile, je n’insisterai pas pour qu’elle ait lieu ; mais alors qu’il retire sa demande de 2,800,000 fr., en déclarant qu’ils ne sont nullement nécessaires, que nous avons obtenu tout ce à quoi nous avions droit, que tout est réparé, et qu’il n’y a de reproche à adresser à personne ; nous serons très contents de pouvoir nous dispenser de lui accorder cette somme. La discussion s’ouvrira naturellement à l’occasion du projet de loi par lequel on nous demande des fonds ; nous verrons si ces fonds sont nécessaires ou non. Il est de l’intérêt du ministère, non pas de reculer, mais d’avancer cette discussion.

M. d’Huart. - La réponse du ministre, messieurs, me paraît bien singulière. Il faut que le gouvernement agisse avec franchise à l’égard de la chambre ; vous possédez le traité, et quand nous discuterons cette affaire, nous vous ferons voir que nous, nous avons de la franchise, nous voulons en avoir vis-à-vis de tout le monde. Le ministère s’empresse de reconnaître que la discussion serait inopportune ; je le conçois facilement, il lui serait très agréable de l’éviter. Il ne faut point prendre des tournures. Il se tirera, je le sais, difficilement de cette discussion avec les honneurs de la guerre.

Je regrette que M. Gendebien ait laissé échapper le mot de comité secret : cette affaire doit se traiter au grand jour, c’est à la face de la nation qu’elle doit l’être. Comme l’a fort bien dit un de nos honorables collègues, il ne s’agit plus de diplomatie, il faut diriger nos affaires nous-mêmes : commençons et nous serons sûrs de les terminer dignement. Avons-nous été demander conseil à Berlin et à Saint-Pétersbourg pour savoir s’il fallait nous soulever en 1830 ? Nous avons excité la sympathie de tous les peuples ; conduisons-nous comme de véritables patriotes, et cette même sympathie ne nous abandonnera plus. Nous serons forts et redoutables quoique peu nombreux.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, comme à chacune des paroles d’un membre du gouvernement est attachée une tout autre responsabilité qu’à celles qui sortent de la bouche des autres membres de cette assemblée, la chambre comprendra que, sans vouloir user de détours, il ne nous est pas toujours possible de suivre nos adversaires sur le terrain où ils veulent nous placer. La chambre sentira aussi que, dans une lutte de cette nature, les armes ne sont pas égales. Il faudrait ne pas savoir apprécier la responsabilité des hommes qui sont au pouvoir, pour penser qu’ils puissent avoir la même absence de réserve et de circonspection qui peut se manifester ailleurs.

Je reviens à l’espèce de contradiction dans laquelle on a prétendu que le ministère était tombé.

On lui reproche d’avoir manqué de franchise. Quand on m’a demandé si le gouvernement avait en sa possession le traité auquel on faisait allusion, j’ai répondu positivement : Non. Quand j’ai fait une distinction entre les traités secrets et les traités publics, j’ai dit que s’il y avait un traité secret, il était du devoir du gouvernement de faire toutes les démarches pour en obtenir communication ; et j’ai ajouté que comme il n’était pas partie intervenante, il serait possible que ses démarches fussent infructueuses. Mais, dit-on, si le traité n’est pas en la possession du gouvernement, en vertu de quoi avez-vous procédé dans vos négociations avec le Luxembourg ? Nous avons procédé en vertu de deux document publics, l’un du 20 mai 1831, l’autre du 21 mai 1833.

Ces deux titres à la main, nous pensions avoir le droit de poser les actes que nous avons posés. Nous nous sommes arrêtés devant une interprétation. La prudence nous faisait un devoir d’en agir ainsi : quand il y a litige, ce n’est pas à une des parties litigantes qu’il appartient de prononcer sur le sens contesté. Voilà quelles ont été mes paroles dans une des dernières séances, je n’ai rien à en rétracter.

J’ai ajouté que les interpellations adressées au ministère seraient l’objet d’une délibération du conseil : s’il croit pouvoir faire des communications en séance publique, il le fera ; s’il croit qu’il aurait danger à le faire, il se réservera de les donner en comité secret et assumera volontiers la responsabilité de son refus de les donner en public.

M. Jullien. - En France et en Angleterre, toutes les fois qu’un traité est consommé, il est d’usage de déposer le traité et les pièces sur le bureau. Je rappellerai qu’il fut un temps où les ministres prétendaient qu’ils voulaient jouer cartes sur table ; il paraît qu’ils sont bien changés. On vient de refuser une communication sous le prétexte que le traité est secret ou public ; que s’il est public, il est connu de tout le monde, que s’il est secret, il est impossible de le communiquer. Je ferai observer qu’il ne peut pas être secret pour le ministère, que déjà il devait lui être connu au 20 mai 1831. Quand fut conclu l’arrangement entre le commandant de la forteresse et le général Goethals, on a invoqué ce traité.

Je demande s’il est possible de supposer qu’un gouvernement qui va passer une convention dans laquelle on a invoqué un autre traité, consente à la signer sans s’être fait donner communication de ce traité. Il paraît qu’il aurait été passé avec la diète germanique. C’est en vertu de ce traité, qu’il annonce comme parfaitement connu des parties intervenantes, que le commandant de la forteresse prétend avoir droit a un rayon stratégique de 4 lieues. Avant de conclure, vous avez dû examiner si la forteresse avait ou n’avait pas ce droit ; il est impossible que vous ne l’avez pas fait. De deux choses l’une : ou vous avez le traité, ou vous avez agi en aveugle, sans savoir ce que vous faisiez. J’aime mieux croire que le document était sous vos yeux ; que vous en avez contesté la teneur, puisque vous n’avez pas accordé un rayon stratégique de 4 lieues, mais seulement de 2 lieues.

Cela tombe sous le bon sens. On ne peut pas supposer qu’un gouvernement consente à se dépouiller de 4 lieues de pays, à partir du talus de la forteresse, sans s’être bien assuré de ses droits ; il est donc nécessaire que l’on nous donne d’autres explications, autrement on laisserait croire que l’on manque de franchise.

On a parlé de comité secret, je ne partage pas cet avis. L’affront que le pays a reçu a été public, il faut que la réparation soit publique. Il importe que le pays ait connaissance des moyens que la législature se propose de prendre pour le venger ; les séances où nous discuterons le rapport de M. le ministre des affaires étrangères devront donc être publiques, je crois que ces sentiments seront partagés par toute la chambre.

M. le ministre des affaires étrangères nous a dit qu’il était certaines choses sur lesquelles il y avait inconvénient à s’expliquer. En forçant cet argument, vous verrez que toutes les choses présentent plus ou moins d’inconvénient, et qu’avec un pareil système de réticence on finirait pas ne s’expliquer sur rien. Il est temps que ce système finisse. Le gouvernement a le traité ou doit l’avoir et nous le communiquer, ou nous expliquer par quelles raisons péremptoires il ne peut le mettre sous nos yeux. En refusant cette communication, il empêche la délibération que nous nous sommes proposé de prendre dans la séance de demain ou après-demain.

M. Gendebien. - M. le ministre de la justice a posé un dilemme sur lequel je crois devoir revenir. Il a dit que le traité était public ou secret ; que s’il était public, il se trouvait dans les mains de tout le monde. Eh bien, non ; s’il y a un traité public, il n’est pas entre les mains de tout le monde, et c’est pour cela que nous le demandons. Le ministre nous a dit aussi qu’il n’avait pas le traité secret ; je lui demanderai s’il a un traité public, et dans ce cas qu’il nous le communique. Mais le traité est public ou secret : ce dilemme tombe, à moins que le ministre ne prouve qu’il y a un traité secret. Qu’il nous le communique en comité général. Si le traité est secret pour lui comme pour nous, alors n’en parlons plus ; car il ne peut avoir aucune influence sur nos délibérations puisqu’il ne peut être d’aucune influence pour le gouvernement pas plus que pour nous.

Faut-il tout dire, messieurs ! je crois que le ministre n’a pas plus de traité public que de traité secret. Ce qui légitime ce doute, c’est que s’il y avait un traité public, il n’y aurait pas d’inconvénient à nous le communiquer, et on ne pourrait se dispenser de nous le procurer, puisque nous déclarons ne pas l’avoir.

On a cherché à vous effrayer, messieurs, sur les conséquences des communications que l’on pouvait faire ; on a dit que les paroles d’un ministre avaient une tout autre portée que celles des membres de cette assemblée. C’est encore du mystère que l’on veut mettre dans cette affaire. C’est à l’aide de pareilles menées et de paroles mystérieuses qu’on est parvenu à escobarder au congrès le vote des 18 articles. Il y avait aussi une foule de choses qu’on prétendait devoir tenir secrètes, et on a eu la bonhomie de respecter les secrets ou plutôt les réticences coupables du gouvernement. Ce serait un tort grave à la chambre de se laisser séduire par les mêmes arguments : mais trois années de déception nous ont donné le droit d’être en défiance contre les réticences du gouvernement, contre des hommes qui ont abusé tant de fois de la confiance de la nation.

On vous a dit qu’il n’y avait aucun reproche à adresser au ministère d’avoir négocié sans avoir sous les yeux le traité secret, parce qu’il s’était appuyé sur les conventions des 20 mai 1831 et 21 mai 1833.

Ces deux traités ont tous deux été consommés pendant le ministère de M. Lebeau ; il a dit que le traité de 1831 n’avait pas été fait sous son ministère ; il était déjà malheureusement au pouvoir à cette époque.

Comment avez-vous pu dire que ce n’était pas un acte de votre ministère ? car vous étiez alors ministre des affaires étrangères. Comment avez-vous pu agréer une convention se rapportant à d’autres traités, sans avoir connaissance de ces traités ? Comment avez-vous pu faire échange de correspondances, sans savoir jusqu’à quel point cette correspondance vous engageait ? Ou vous aviez alors entre les mains le traité que vous refusez de nous communiquer, ou vous avez agi de la manière la plus imprudente, et compromis nos intérêts et nos droits. Choisissez. Coupable de réticence aujourd’hui, ou de la plus coupable incurie en 1831.

On s’est trompé gravement si l’on a cru que j’avais réclamé le comité secret pour la discussion. J’espère qu’elle se fera au grand jour. J’ai répondu au ministre, quand il exprimait qu’il y aurait imprudence à faire en ce moment des communications, que s’il ne croyait pas pouvoir les faire en séance publique, il pouvait demander un comité secret. C’est donc sur la communication et non sur la discussion que tombait ma proposition.

Un honorable membre disait tout à l’heure que quand il s’agissait d’abandonner 4 lieues de territoire, le gouvernement avait dû s’assurer si le traité lui imposait cette obligation. Mais, messieurs, ce n’est pas seulement de 4 lieues qu’il s’agit, mais d’un diamètre de 8 lieues.

Je crains bien, messieurs, que la pauvre Belgique, déjà si petite, ne devienne presque imperceptible ; car les empiétements font tous les jours des progrès. Hier, c’était dans le Luxembourg seulement ; aujourd’hui, c’est aussi à Maestricht dont la garnison fait des sorties jusqu’à deux lieues de ses glacis : incessamment elle ira inspecter notre manufacture d’armes à Liége, et peut-être la capitale de la Belgique libre et indépendante, pour nous mettre à la raison si nous nous permettons quelques paroles choquantes pour la confédération germanique ou par la sainte alliance. Pauvre Belgique !

Comme le disait très bien un de nos collègues, nous aurions été plus indulgents si on avait été plus franc, si on ne s’était pas étudié à tromper la nation. Nous eussions pu nous décider peut-être à faire tous les sacrifices que l’on nous demandait, si nous avions pu avoir connaissance de tous ceux qu’on exigeait de nous, si nous avions été certains de n’en avoir pas davantage à faire.

Un système de réticence ferait croire qu’il y a une arrière-pensée qu’il est temps et plus que temps d’effacer de l’esprit des Belges qui ne se préoccupent que trop de leur situation. L’heure est venue de leur dire si l’on veut ou si l’on ne veut pas une Belgique indépendante et libre.

Qu’on s’explique : si on veut une Belgique indépendante, faites-la respecter ; si on n’en veut pas, nous dirons alors, soit aux hommes qui nous gouvernent, soit à d’autres qui mériteront mieux notre confiance, qu’il est temps de ne plus avoir de ménagements ni pour nos ennemis ni pour nos amis ou soi-disant amis, et la nation saura défendre son indépendance par la seule force de sa volonté.

Si l’état d’humiliation dans lequel nous vivons se prolongeait, vous ne trouveriez bientôt plus personne pour défendre un nom si souvent déshonoré. Le sort de la Belgique est entre vos mains. Un peuple déshonoré se défend mal. Il n’y a pas de patrie là où il n’y a que humiliation et déshonneur.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Quand j’ai dit que la convention du 20 mai n’appartient pas au ministère actuel, j’ai voulu mettre mes collègues hors de cause. Il était impossible de vouloir aller contre l’évidence. Au 20 mai 1831, j’avais l’honneur de siéger au conseil de M. le régent, et l’arrangement qui fût alors conclu n’était que provisoire ; il n’a pas été soumis aux formes de la ratification. On n’a pas délibéré en conseil sur ce qui s’est fait sous l’approbation de M. le ministre de la guerre M. d’Hane, et le général Goethals ressortissait à son chef immédiat.

M. Milcamps. - Il me paraît que si cette discussion se prolonge, c’est faute de s’entendre. Il a été fait une interpellation aux ministre. L’un d’eux a répondu qu’il prenait acte de cette interpellation, et qu’il en serait délibéré en conseil. Dans une affaire aussi grave, nous ne pouvons refuser au gouvernement le temps de délibérer. Craignez-vous que le rapport ne vous arrive pas, demandez que le ministre fixe le jour où il sera à même de vous le présenter. Je pense que si le ministre répond qu’il fera ce rapport dans un jour ou deux, il ne doit pas y avoir difficulté à accorder ce délai. Quant au traité secret, si le ministre ne l’a pas, il ne saurait pas le communiquer. Il ne s’agit pas d’élever une discussion sur ce point, elle trouvera mieux sa place quand on s’occupera du rapport du ministre des affaires étrangères.

En ce qui concerne la lettre que le ministre aurait reçue depuis l’enlèvement de M. Hanno, cette lettre est l’objet de négociation avec le cabinet français et le cabinet anglais ; je conçois dans ce cas que le ministre n’ait pas de communications à nous faire, car toutes les fois qu’une négociation n’est qu’entamée, le gouvernement n’en doit pas compte.

Je pense que pour satisfaire tout le monde, il faudrait que le ministre promît de faire très prochainement un rapport sur tout ce qu’il lui sera possible de faire connaître sans compromettre les intérêts du pays.

M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - On parle toujours de pays déshonoré : je dois dire que, dans mon opinion, je ne pense pas qu’un pays soit déshonoré parce qu’un commandant militaire, à l’abri de tout danger derrière de hautes murailles, fait sortir 2 ou 3,000 hommes pour venir, par un guet-apens, arrêter un citoyen reposant tranquillement dans son domicile sous la loi d’une convention. Cela ne déshonore pas le pays. Nous ne pouvons pas aller arrêter M. Dumoulin dans sa forteresse, pour le mettre à l’Amigo à Bruxelles ! Cela n’est pas très facile ! Ce n’est pas nous qui avons commis des actes déshonorants.

M. Gendebien. - Le déshonneur commence alors qu’on n’exige pas la réparation d’une insulte !

M. Fleussu. - M. le ministre des affaires étrangères prétend qu’il n’y a pas de déshonneur à subir un acte de violence. Je diffère d’opinion avec lui. Il y a déshonneur à souffrir une insulte sans demander une satisfaction éclatante. La nation est déshonorée si elle n’obtient pas réparation de l’insulte qu’elle a reçue. La chambre a demandé que la nation en fût vengée ; nous verrons si le ministère saura remplir le mandat que la chambre lui a donné. Nous ferons notre devoir, et nous saurons, j’espère, forcer le gouvernement à faire le sien.

M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Tous ces conseils sont excellents ; nous ferons notre devoir de la manière que nous croirons la plus convenable.

M. d’Huart. - Puisqu’il en est ainsi je n’attendrai pas pour déclarer que le gouvernement n’a pas fait son devoir. Je suis convaincu que la nation entière ne me désavouera pas. Depuis 15 jours que l’insulte a été faite, le gouvernement reste froid et impassible. C’est depuis deux jours seulement qu’il a donné ordre à quelques bataillons de se porter sur le Luxembourg. Qu’il dise après cela s’il a fait son devoir. Demain nous lui développerons nos griefs plus longuement.

- La séance est levée à quatre heures et demie.