(Moniteur belge n°51, du 20 février 1834 et Moniteur belge n°52, du 21 février 1834)
(Moniteur belge n°51, du 20 février 1834)
(Présidence de M. Raikem)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure moins un quart.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.
M. de Renesse communique à la chambre les pièces qui lui sont adressées. Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions.
- La lettre suivante a été adressée à M. le président :
« M. le président,
« J’étais rentré à Bruxelles avant-hier, pour partager les travaux de l’honorable assemblée que vous présidez ; une indisposition subite m’a pris hier, et je crains qu’elle ne me force encore à garder la chambre pendant quelques jours. J’en ai d’autant plus de regret, qu’en présence des événements graves qui viennent de se passer dans le Luxembourg, je ne pourrai m’associer par mon vote à l’énergie de nos honorables collègues contre l’inconcevable et habituelle faiblesse du ministère.
« J’ai cru devoir informer mes honorables collègues des motifs de mon absence, afin que l’on ne puisse l’interpréter défavorablement pour moi.
« Agréez, M. le président, l’hommage de mon respect.
« Aug.-J. Frison. »
M. le président. - La parole est à M. le rapporteur de la commission d’adresse.
M. de Foere. - Messieurs, la commission m’a chargé de vous proposer le projet d’adresse au Roi, dont je vais avoir l’honneur de vous donner lecture :
« Sire,
« Un nouvel acte de violence a été exercé sur le territoire du pays. Un fonctionnaire public a été enlevé de son domicile par les troupes de la garnison de Luxembourg. En présence d’un fait aussi grave, la chambre des représentants croit devoir exprimer à Votre Majesté les sentiments qu’elle éprouve.
« Dès le principe de sa révolution, la Belgique s’était prescrit le devoir de respecter le territoire des Etats limitrophes. Le gouvernement provisoire avait solennellement proclamé son respect pour les relations du Luxembourg avec la confédération germanique ; le congrès national en a fait l’objet d’une disposition constitutionnelle. La possession du Grand-Duché, consolidée par la convention du 21 mai, n’avait cessé jusqu’aujourd’hui d’être reconnue par la diète. Nous ne pouvons donc croire qu’elle ait ordonné cette infraction au droit des gens.
« La chambre des représentants, Sire, voit avec regret que les efforts que nous avons faits et les sacrifices que nous nous sommes imposés, dans l’intérêt de la paix générale, aient été mal appréciés. Une juste réciprocité devait nous garantir de tout acte de violence de la part des agents d’une puissance avec laquelle la Belgique n’était pas en état d’hostilité. Si des collisions s’étaient établies, la voie des négociations était ouverte. C’est la marche que toutes les nations civilisées se sont invariablement tracée. Mais la violence a été préférée ; la sécurité des habitants du Luxembourg a été compromise, l’honneur national profondément blessé.
« Il est des bornes à la modération : le méconnaître, ce serait abdiquer le nom et le caractère national. On ne saurait se le dissimuler, des mesures promptes et énergiques sont devenues indispensables.
« Dans cette position, Sire, la chambre des représentants, toujours disposée à soutenir les droits du pays et à seconder, dans ce but, l’exercice du pouvoir royal, s’empresse d’offrir d’avance à Votre Majesté tous les moyens que dans sa sagesse, elle jugera nécessaires pour obtenir réparation de l’attentat commis contre l’indépendance nationale, et pour faire respecter, à l’avenir, les droits et la dignité du pays.
« Raikem, président ; d’Huart, de Theux, Dumortier, de Foere, de Behr, Fallon. »
Messieurs, la commission a cherché à rencontrer toutes les opinions de la chambre dans le projet d’adresse qu’elle a l’honneur de vous présenter.
C’est la division qui perd les Etats, et l’union qui les sauve. Aussi la commission a voté le projet d’adresse à l’unanimité.
M. le président. - Quand veut-on fixer la discussion du projet d’adresse ?
- Un grand nombre des membres. - Immédiatement ! immédiatement !
M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Je demande la parole.
M. de Robaulx. - Le ministre nous promis hier de nous faire un rapport aujourd’hui. Je crois qu’il y a lieu de lui donner la parole, avant d’ouvrir la discussion sur le projet d’adresse.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - C’est pour présenter ce rapport que je demande la parole.
M. le président. - S’il n’ a pas d’opposition, la parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
M. le comte de Mérode monte à la tribune et s’exprime ainsi. - Messieurs, je viens m’acquitter de l’obligation que j’ai contractée de vous soumettre un rapport aussi exact que possible sur les événements survenus dans la province de Luxembourg ; j’ose croire que les explications que je suis chargé de vous donner, prouveront que le ministère n’a fait que remplir son devoir, et que s’il a rencontré des résistances, c’est par l’effet, non d’une prétendue imprévoyance de sa part mais de l’oubli des engagements les plus formels de la part de ses adversaires.
A la suite de la conclusion du traite du 15 novembre, le ministère précédent crut convenable de suspendre provisoirement les opérations de la milice dans le territoire que ce traité nous oblige à céder lors de sa mise à exécution. Les circonstances critiques qui se succédèrent en 1831 et 1832 firent qu’on s’abstint également d’ordonner des coupes dans les forêts près de Luxembourg, pendant ces deux années.
Lorsque le ministère actuel arriva aux affaires en octobre 1832, les mesures coercitives employées contre la Hollande, donnèrent lieu de croire de nouveau à la prochaine exécution du traité du 15 novembre ; la partie allemande du Luxembourg resta donc encore dans la situation exceptionnelle où elle avait été placée dans les derniers mois de 1831. Toutefois, pour subvenir aux frais d’administration forestière, il fut résolu que les coupes, tacitement ajournées, seraient effectuées ; l’adjudication publique eut lieu en janvier 1833.
La commission grand-ducale, qui représente à Luxembourg le roi Guillaume, y fit opposition ; néanmoins deux lots dont l’un et en entier situé dans le rayon, et qui avaient été adjugés à des maîtres des forces de France, furent exploités, et le montant de la vente payé au trésor public. Les autres lots, adjugés la plupart à des habitants de la ville de Luxembourg, ne furent point exploités, soit par la crainte qui influença ces adjudicataires, soit par connivence de leur part dans certains cas avec les agents du roi grand-duc.
La suspension de la loi sur la milice se prolongeant d’une manière indéfinie, les inconvénients de cette mesure devenaient graves ; en effet, les habitants placés dans l’impossibilité de prouver qu’ils avaient rempli les obligations qu’imposent les lois de recrutement, se trouvaient de fait frappés d’une véritable incapacité civile.
La convention du 21 mai 1833 régularisant un état provisoire non limité jusqu’à l’exécution d’un traité du 15 novembre, le ministère a pensé que les motifs qui avaient pu justifier une mesure exceptionnelle dans une partie du Luxembourg n’existaient plus.
Le ministère donna donc les ordres nécessaires pour l’exécution de la loi sur la milice dans le quartier allemand ; toutefois l’appel des habitants du rayon au tirage au sort devait avoir pour but principal de les relever de toute incapacité civile sans conduire nécessairement à une incorporation ; le tirage au sort effectué, les miliciens désignés dans le rayon auraient légalement pu recevoir des congés illimités, pour des causes évidentes d’intérêt public et le maintien de relations paisibles avec le gouvernement de la forteresse fédérale.
En ordonnant la mise en adjudication des coupes dans les forêts du domaine, qui ne sont point la propriété particulière du roi Guillaume, le ministère a usé des droits qui résultent de l’état de possession que nous assure la convention du 21 mai. Je déposerai sur le bureau un plan de la forêt dont il s’agit ; j’ajouterai ici quelques éclaircissements indispensables.
Les coupes dont l’adjudication a été faite le 13 janvier ne sont pas situées aux portes de la forteresse, mais bien à environ deux lieues de là (à peu près 10,679 mètres).
Il y a entre ces coupes et la forteresse environ une lieue de terrain boisé, appartenant à des particuliers.
Ces coupes sont situées plus bas que la forteresse.
Elles ne peuvent donc avoir aucun rapport avec le système de défense de la place.
Le gouvernement militaire de la forteresse a prétendu comprendre la forêt entière dans le rayon stratégique, bien que le rayon ordinaire ne doit être que de deux lieues en tirant des lignes droites d’un village à l’autre, et ne doive pas ainsi renfermer le territoire de ces communes situé en dehors des lignes susmentionnées.
Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne les mesures purement administratives et civiles, dès l’origine des changements politiques opérés par la révolution de septembre, nulle distinction n’avait été établie entre le territoire du rayon et le territoire excentrique au rayon ; partout également les contributions ont été perçues sans obstacle par le gouvernement belge, partout les actes publics se sont passés au nom du gouvernement provisoire, du régent et du Roi des Belges ; à toutes ces époques, sans distinction, le trésor belge a payé les gardes-forestiers, contribué à l’entretien des chemins vicinaux, pourvu à l’écoulement des eaux, enfin a supporté toutes les charges d’entretien et de surveillance des propriétés domaniales.
En mettant en adjudication les coupes ordinaires, les agents du domaine se sont gardés de toute anticipation ; ils ont suivi l’aménagement arrêté depuis des siècles, et auquel le gouvernement des Pays-Bas a toujours eu soin de se conformer.
En usant de ses droits administratifs qui l’autorisaient à percevoir les fruits ordinaires de la chose administrée, le domaine s’acquitte aussi de ses propres obligations envers les populations des villages voisins : leurs habitants ont des droits d’usage dans ces forêts c’est-à-dire qu’entre autres toutes les ramilles leur reviennent ; comme usagers, ils ont le plus grand intérêt à ce que les coupes se fassent annuellement, et ils peuvent même s’opposer à toute interruption.
Les adjudications faites le 13 janvier dernier s’élèvent à la somme de 52,505 francs 53 c. ; ce n’est donc pas l’appât du gain qui a dirigé le gouvernement ; cette somme n’équivaut pas au remboursement de tous les frais qu’il a supportés sans dédommagement depuis l’année 1830.
En outre, l’opposition que le domaine a rencontrée, n’est peut-être que le résultat d’une intrigue ; la forêt dont il s’agit fournit, de temps immémorial, le bois de chauffage à une grande partie des habitants de la ville de Luxembourg ; ajourner les coupes de l’Etat, c’est assurer un monopole à quelques particuliers propriétaires de bois dans les environs de Luxembourg, faire renchérir les produits de leurs coupes.
La diète a été induite en erreur ; le gouvernement fédéral, à son insu sans doute, n’a fait que seconder les vues de quelques spéculateurs ; et le public apprendra probablement, et non sans surprise, que les graves complications dont on veut bien l’entretenir depuis 2 mois, doivent leur origine à l’avidité de quelques marchands de bois.
L’opposition est d’abord venue des autorités fédérales seules ; par une lettre en date du 6 janvier, le prince de Hesse-Hombourg a déclaré au général de Tabor qu’il regardait la forêt entière comme comprise dans le rayon stratégique provisoire, et qu’en attendant les nouvelles instructions de la diète, il ne permettrait ni coupe ni enlèvement de bois.
Bientôt, par une circulaire adressée aux bourgmestres du rayon, sous la date du 19 janvier, le général Dumoulin manifesta son étonnement de ce que la levée de la milice devait s’effectuer dans le territoire allemand et même dans le rayon stratégique, et annonça qu’il s’opposerait à toute voie de contrainte.
Le gouvernement belge ayant pour but essentiel de procurer aux jeunes gens du rayon, comme à leurs compatriotes, les moyens de satisfaire à des formalités légales, et ne désirant procéder à leur égard par aucune voie de contrainte, dut considérer d’un œil indiffèrent cette première circulaire du général Dumoulin.
Jusque-là les agents du roi grand-duc à Luxembourg étaient restés inactifs, respectant en apparence la convention du 21 mai ; le 28 janvier seulement, la commission grand-ducale prit un arrêté pour menacer de poursuites, tant civiles que criminelles, quiconque prendrait part aux adjudications des coupes dans la forêt de Grunwald.
Le gouvernement militaire de la forteresse alla plus loin ; le 24 janvier, la garnison opéra une sortie pour arrêter des délinquants dans un bois particulier situé dans le rayon ; les prévenus furent livrés au tribunal siégeant à Luxembourg, au nom du roi grand-duc, et jugés. A cette occasion, le général Dumoulin adressa une nouvelle circulaire aux bourgmestres du rayon pour se plaindre de l’absence de police, et pour annoncer qu’au besoin il ferait occuper les villages pour surveiller les bois. Le gouvernement militaire rend ainsi les autorités communales responsables d’un état de choses qu’il a lui-même provoqué, en s’opposant, nonobstant les engagements les plus formels, à l’exercice de la police purement civile.
Le ministère s’est empressé de dénoncer ces actes aux gouvernements près desquels la Belgique est représentée, et il a chargé ses agents à Paris et à Londres de réclamer, par la note suivante, les bons offices de la France et de la Grande-Bretagne, comme signataires et garantes de la convention du 21 mai :
Première note remise aux gouvernements de France et de la Grande-Bretagne
« Le soussigné, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire du Roi des belges près de Sa Majesté le roi des Français (chargé d’affaires du gouvernement du Roi des Belges, etc.), a l’honneur de s’acquitter d’un ordre qu’il a reçu de son gouvernement, en appelant l’attention de son excellence le duc de Broglie (sa seigneurie le vicomte Palmerston) sur les événements survenus dans la province de Luxembourg, et en réclamant les bons offices du gouvernement français (britannique) comme signataire et garant de la convention de Londres du 21 mai 1833.
« Le grand-duché de Luxembourg n’avait point été formellement compris dans la première suspension d’armes conclue en novembre 1830, ni même dans l’armistice du 15 décembre de la même année destiné à régulariser la cessation des hostilités, et l’état de possession provisoire des deux parties.
« C’est pour prévenir les difficultés qui auraient pu résulter de ce défaut de mention formelle que le gouvernement du Roi des Belges, lorsqu’il s’est agi de conclure un armistice nouveau et indéfini, a, par des démarches officieuses, demandé que le grand-duché fût expressément mentionné dans l’acte à intervenir. Telle a été l’origine, tel a été l’objet de l’article explicatif ajouté à la convention du 21 mai, article conçu en ces termes : « Il est convenu entre les hautes parties contractantes que la stipulation relative à la cessation des hostilités, renfermée dans l’article 3 de la convention de ce jour, comprend le grand-duché de Luxembourg… Le présent article explicatif aura la même force et valeur que s’il était inséré mot à mot dans la convention de ce jour. »
« Ainsi le roi grand-duc a formellement abandonné au gouvernement du Roi des Belges, jusqu’à l’arrangement définitif à intervenir, l’administration du grand-duché tel qu’il est occupé par les Belges, et il s’est engagé, durant l’armistice, à ne pas les troubler dans cette occupation provisoire.
« Cet engagement, les agents du roi grand-duc viennent de le violer.
« Par un arrêté en date du 28 janvier 1834 (annexe A) la commission grand-ducale a déclaré s’opposer à une coupe ordinaire de bois ordonnée par le gouvernement belge sur un territoire dont l’administration est reconnu à ce dernier par la convention du 21 mai.
« Les 30 janvier, les agents du roi grand-duc ont attrait devant le tribunal correctionnel siégeant dans la ville de Luxembourg un certain nombre d’individus arrêtés sur un territoire dont le roi grand-duc s’est interdit l’administration jusqu’à l’arrangement définitif.
« L’un et l’autre de ces faits constituent une atteinte grave à la convention du 21 mai ; et l’intervention préalable ou subséquente des autorités fédérales n’a pu changer la nature de ces faits.
« Il est hors de doute que l’administration et la possession provisoire jusqu’à l’arrangement définitif, attribuées au Roi des Belges par la convention du 21 mai, emportent, d’une part, l’obligation de veiller à la sûreté des personnes et des biens, d’exercer la police, de rendre la justice ; d’autre part, et comme juste compensation, le droit de percevoir les revenus publics ordinaires, et de requérir l’aide des habitants pour la défense commune. Contester ces obligations, contester ces droits au gouvernement du Roi des Belges serait nier la convention du 21 mai. Le roi grand-duc n’a pas plus le droit de troubler le Roi des Belges dans l’occupation de la province de Luxembourg, que le gouvernement belge n’a celui de troubler la Hollande dans la possession de Lillo et de Liefkenshoek.
« Le gouvernement du Roi des Belges avait pensé que les autorités fédérales de Luxembourg s’abstiendraient de tout acte de nature à entraver l’exécution de la convention du 21 mai, convention dans laquelle, il est vrai, la sérénissime diète de la confédération germanique n’est point partie directement contractante, mais qui, liant le roi grand-duc, interdit à sa majesté grand-ducale et à ses agents de réclamer ou même de mettre à profit l’intervention des autorités fédérales.
« Si, sous prétexte que la haute diète n’est point partie directement contractante dans la convention du 21 mai, les autorités fédérales de Luxembourg continuent à troubler le gouvernement du Roi des Belges dans son état d’occupation, cette convention pourra être éludée à l’aide de cette distinction. Les autorité fédérales feront, au profit du roi grand-duc, ce qu’il s’est interdit de faire par lui-même ; le roi grand-duc obtiendra, par une voie indirecte, ce qu’il ne peut demander directement : par exemple, les agents du roi grand-duc s’abstiendront d’arrêter directement des délinquants hors de la ville de Luxembourg ; mais ils jugeront ceux qui auront été arrêtés par les autorités fédérales. De la sorte, le roi grand-duc sera rentre indirectement dans l’administration de la justice.
« Le gouvernement belge n’ignore point que le territoire du rayon de la forteresse de Luxembourg se trouve dans une position particulière : position qu’il a constamment cherché à concilier avec l’exécution de la convention du 21 mai.
« A la suite de la conclusion de cet acte, il a essayé de rétablir dans le rayon, une police purement civile. Si, dans les derniers temps, les personnes et les biens n’ont pas toujours été suffisamment protégés, cette insuffisance de protection ne doit point être imputée au gouvernement belge, mais à ceux qui ont mis obstacle aux salutaires mesures qu’il a voulu prendre pour l’exercice des droits que lui donne la convention du 21 mai. Le soussigné se bornera à manifester sa surprise de ce que, dans la circulaire ci-annexée B, on ait fait un reproche aux communes du rayon d’un état de choses qui n’est le fait ni des communes ni du gouvernement belge. Il est loin d’ailleurs de supposer qu’on ait, à dessein, fait naître une espèce d’anarchie pour y trouver le prétexte de revendiquer la police et même la possession du rayon.
« Dans les mesures prises pour la coupe ordinaire de la forêt de Grunwald, et pour le tirage de la milice, le gouvernement du Roi des Belges a également concilié les droits que lui assure la convention avec la situation spéciale du rayon.
« En effet, en premier lieu, il n’a point été anticipé sur l’ordre des aménagements ; la disparition de la partie du bois dont il s’agit n’est pas de nature à compromettre le système de défense de la place. La coupe à laquelle il doit être procédé suivant les séries périodiques n’est que l’impôt ordinaire perçu en nature : juste dédommagement pour les frais de garde, d’administration et d’entretien.
« En second lieu, le tirage au sort pour la milice se fait hors du rayon, et sans que même la présence des individus appelés soit requise. La suspension des dispositions sur la milice avait entraîné de graves inconvénients.
« D’après les lois du pays, il est requis pour certains actes civils et pour l’admission aux emplois, que l’on prouve qu’on a satisfait aux obligations de la milice. C’est sur la demande des habitants, et pour les mettre à même de fournir cette preuve, que le gouvernement a ordonné qu’il serait procédé au tirage : mesure préliminaire qu’il ne faut d’ailleurs pas assimiler à la levée effective.
« Le soussigné ose croire que les explications qui précèdent auront mis dans son véritable jour la conduite de son gouvernement. Les faits survenus dans le grand-duché de Luxembourg ont placé le gouvernement du Roi des Belges dans une position qui ne saurait se perpétuer. Fidèle à la marche qu’il a constamment suivie, et voulant donner une nouvelle preuve de cet esprit de paix et de conciliation qui l’a toujours animé, il a cru d’abord devoir s’adresser au gouvernement. de S. M. le roi des Français (de S.M. Britannique, qui conjointement avec le gouvernement de S M. Britannique (de S. M. le roi des Français), lui a garanti la convention du 21 mai, pour réclamer ses bons offices. C’est à regret que le gouvernement de S. M. le Roi des Belges se verrait ensuite dans la nécessité de prendre par lui-même des mesures propres à lui assurer l’exercice de droits incontestables ; mais il repousserait loin de lui la responsabilité des complications qui pourraient naître.
« Le soussigné, etc. »
Cette note a été remise, par M. Lehon à M. le duc du Broglie le 6 février, par M. Watlez à lord Palmerston le 7.
Un acte nouveau de l’autorité fédérale est venu modifier, d’une manière avantageuse, la marche que le ministère avait dû suivre ; sous la date du 3 février, le général Dumoulin, pour s’opposer aux mesures relatives à la milice, invoqua les anciens engagements pris envers la forteresse relativement au rayon ; cette dépêche, très importante, est ainsi conçue :
Lettre du général Dumoulin (traduction littérale)
« Luxembourg, le 3 février 1831.
« Monsieur le général,
« Par deux écrits que nous avons sous les yeux, adressés par MM. Thorn, d’Arlon, et Hanno, de Bettenbourg, à différents bourgmestres du rayon de la forteresse, datés, l’un du 23 et l’autre du 28 janvier dernier, il est enjoint à ces fonctionnaires de refuser l’obéissance à nos dispositions de police militaire concernant le rayon de la forteresse.
« Si, dans l’affaire qui a donné lieu à cet ordre, c’est-à-dire dans l’affaire des miliciens du rayon qu’on a de nouveau annoncée, on a déjà en général violé, sans égard aux promesses formellement faites, les dispositions en vigueur pour ce rayon, cette violation est encore plus évidente et plus choquante dans une excitation officielle des agents publics qui s’y trouvent à la résistance contre la forteresse fédérale, excitation qui émane encore de personnes, lesquelles, par leur position et leur sort antérieur, devraient être doublement circonspectes eu égard à des considérations particulières bien fondées.
« Le gouvernement militaire vous déclare donc, M. le général, que, par une pareille manière d’agir, tous les engagements pris de sa part, et toutes les restrictions qu’il s’est imposées volontairement concernant le rayon de la forteresse, sont levés, et que, si l’on y persiste, la forteresse devra dorénavant étendre ses limites autant qu’il lui est permis en principe et légalement, et que l’exigera chaque fois la défense de ses droits, et que nommément elle agira, en toute manière, contre les personnes qui méconnaissent arbitrairement et à propos délibéré leurs autorités et le cercle de leurs attributions, comme elle en a les moyens et le ferme projet.
« Dans la persuasion que vous-même, M. le général, désapprouvez une manière d’agir aussi contraire à l’ordre, qui si mal à propos, amène de nouvelles complications, et doit nécessairement compromettre ses auteurs, le gouvernement militaire vous prie de vouloir lui faire connaître, dans le plus court délai, si vous avez le pouvoir nécessaire de donner l’assurance que les ordres adressés aux maires dans le rayon de la forteresse seront révoqués, et qu’on assure, une fois pour toutes, d’en adresser de pareils à l’avenir, et si vous pouvez en assumer la garantie de cette assurance vis-à-vis le gouvernement militaire.
« Le gouvernement militaire réitérant que, pour déterminer la marche qu’il aura à suivre à l’avenir, et pour faire son rapport ultérieur, aura besoin d’une prompte réponse, y joint l’assurance de sa considération particulière.
« En l’absence du gouverneur,
« Le général-major et commandant,
« Dumoulin. »
Vous remarquerez, messieurs, que l’autorité fédérale s’appuie cette fois sur d’anciennes promesses formellement faites, sur des dispositions adoptées pour le rayon et restées en vigueur. Quelles sont ces anciennes promesses ? quelles sont ces dispositions ?
Il est intervenu en 1831, en ce qui concerne le rayon, un arrangement provisoire entre l’autorité fédérale et le gouvernement belge ; cet arrangement résulte de l’échange de deux déclarations portant la date du 20 mai 1831, signées : l’une, par le prince de Hesse-Hombourg ; l’autre, par le général Ch. Goethals. Voici le texte de ces déclarations, qui n’ont jamais été publiées :
Déclaration du gouverneur militaire belge
« Arlon, le 20 mai 1831
« A son altesse le prince de Hesse-Hombourg , commandant supérieur de la forteresse de Luxembourg.
« Désirant employer tous les moyens qui sont à ma disposition pour éviter tout acte d’hostilité entre la garnison de Luxembourg et les troupes belges, et dans la persuasion où je suis que vous partagez les mêmes sentiments, je crois de mon devoir de m’adresser à vous, afin de vous proposer de prendre, de concert, des mesures pour atteindre ce but.
« Les événements survenus récemment dans les environs de Luxembourg sont pour la population un motif d’exaspération, que les promenades militaires éloignées, que la garnison répète fréquemment, ne font qu’augmenter, et peuvent porter les habitants à des voies de fait dont les suites sont incalculables.
« Bien que j’ignore le rayon qui a été fixé pour les promenades militaires de cette garnison, je n’ai point l’intention de protester contre la latitude dont elle a toujours joui à cet égard ; mais je désire que votre altesse fixe elle-même et me fasse connaître les limites qu’elle consent à ne point faire outrepasser aux troupes sous ses ordres, afin que, de mon côté, je puisse prendre des mesures pour qu’en dedans de ce rayon elles soient à l’abri de toute agression.
« M. le lieutenant-colonel de Puydt, qui aura l’honneur de vous remettre la présente, se chargera de me rapporter la réponse que votre altesse voudra bien me faire.
« J’ose espérer que votre altesse appréciera les motif de ma démarche, et qu’elle voudra bien croire au respect avec lequel j’ai l’honneur d’être,
« Son très humble serviteur,
« Ch. Goethals. »
Déclaration du gouverneur militaire de la forteresse de Luxembourg (traduction littérale)
« Luxembourg, le 20 mai 1831.
« A. M. le général Ch. Goethals, commandant la 4ème division militaire belge , à Arlon.
« Le gouvernement militaire soussigné de la forteresse fédérale de Luxembourg a l’honneur, M. le général, de vous accuser réception de la dépêche que vous lui avez adressée par M. le lieutenant-colonel de Puydt.
« La proposition faite par vous de tracer autour de la forteresse une ligne de démarcation, qui d’un côté ne serait pas dépassée par cette garnison, et en-deçà de laquelle, de l’autre, il ne se ferait ni organisation ni mouvement militaires, ni distributions d’armes ou autres opérations semblables, a été, dès le principe, dans les intentions du gouvernement militaire, et a motivé les communications réitérées qu’il a adressées sans succès au gouvernement de fait dans le pays.
« Il se prête par conséquent d’autant plus volontiers à une pareille convention provisoire, qu’il ne pouvait considérer les mesures militaires auxquelles il a été forcé jusqu’à présent pour le maintien inaliénable de ses droits, que comme des actes arbitrairement et violemment provoqués, sans présenter rien de décisif et de contraire à l’esprit de modération et d’égards pour les intérêts du pays dont il s’est toujours senti pénétré.
« Il est assuré à la forteresse, d’après les traités, un rayon stratégique de défense de quatre lieues.
« Ce rayon se fonde sur des conventions réciproquement arrêtées entre les hautes puissances, convention dont, en droit, on ne peut en aucune manière s’écarter.
« Cependant, jusqu’à présent le gouvernement militaire ne pense pas qu’il soit indispensablement nécessaire à la sûreté de la place que la circonférence de ce rayon se trouve soumise à la surveillance immédiate de la forteresse. Il n’a même ordonné de patrouilles qu’à une distance de deux lieues, parce que les lois de la guerre, ainsi que vous en conviendrez vous-même M. le général, comme homme du métier, ne permettent à cette distance aucunes mesures militaires étrangères, de quelque manière quelles aient lieu, sans les réputer hostiles à la forteresse.
« D’après, cela le gouvernement militaire a tracé un cercle de deux lieues de diamètre par les communes de Lorenzweiler, Eisenbourg, Rameldange, Niederantwen, Munsbach, Schuttrange, Schrassig, Otrange, Muthfort, Sieren, Assel, Weiller-la-Tour, Roeser, Leudelange, Reckange, Dippach, Holzem, Mamer, Kopstal et Steinsel, au-delà duquel il n’enverra pas ses patrouilles pour le moment et en-deçà duquel, ces endroits y compris, il ne peut, sans agir contre ses instructions précises, souffrir en aucune manière ni organisation, ni mouvements, ni séjour de détachements ou parties de troupes étrangères.
« Le gouvernement doit encore faire observer que la route de communication entre Luxembourg et Trèves doit rester exempte de toute occupation et de toute perturbation.
« Il est impossible, M. le général, que vous ne reconnaissiez pas ces conditions, puisées dans la nature des choses, et dont le gouvernement militaire ne peut aucunement se départir, comme entièrement fondées sur les principes militaires généralement admis. Il reste encore à vous annoncer que le gouvernement militaire est tenu de porter un arrangement préliminaire de ce genre à la connaissance de la diète de la confédération à Francfort, et qu’il ne peut le considérer comme obligatoire pour lui qu’après cette approbation. Il doit encore faire remarquer que toutes les considérations ou égards qu’il prend et qu’il réclame, sont uniquement dans l’intérêt du pays, tandis que l’intérêt de la forteresse, ne peut exister que dans la plus grande extension possible de ses droits, comme sans doute il ne vous échappera pas, M. le général, et comme l’expérience le démontre par le résultat satisfaisant qu’éprouve la forteresse des dernières démarches devenues indispensables (une note au Moniteur précisait : « « allusion au désarmement de la garde civique, violemment effectué dans les villages du rayon stratégique »), et qui ont rétabli le calme et le repos dans les communes voisines, comme depuis longtemps ils n’avaient existé.
« Le gouvernement militaire à l’honneur, M. le général, de vous exprimer de sa considération particulière.
« Signé, Louis, landgrave de Hesse. »
Tel est l’acte qui, depuis 1831, devait régler les relations du gouvernement belge avec la forteresse de Luxembourg. L’exercice d’une police purement civile n’a point été regardé comme incompatible avec cet arrangement ; et, jusqu’au mois d’octobre 1832, des maréchaussées et des douaniers belges ont habituellement circulé sans obstacle dans le rayon. C’est à la suite de l’arrestation de M. Pescatore que l’autorité fédérale a expulsé du rayon nos maréchaussées et nos douaniers. Le ministère a vainement demandé le rétablissement d’une police civile. Je déposerai sur le bureau une instruction transmise en juin dernier par mon prédécesseur à nos agents politiques pour revendiquer la police, précisément en vertu de l’arrangement de mai 1831, arrangement qu’alors on semblait réputer non-avenu, sous prétexte qu’il n’avait point été sanctionné par la diète.
Le ministère n’a point hésité à reconnaître de nouveau les anciens engagements contractés au nom du pays ; par respect par la foi donnée, et, ajoutons aussi, par d’autres motifs d’utile conciliation, il n’a pas voulu méconnaître l’existence du seul acte dans lequel l’autorité fédérale est directement partie contractante. Le général de Tabor a donc été autorisé, par résolution du conseil du 8 de ce mois, à faire sans délai au général la réponse suivante :
Réponse au gouvernement militaire de la forteresse
« M. le général,
« J’ai l’honneur de vous accuser réception de votre dépêche du 3 février, n°261, et de vous transmettre les explications que vous avez bien voulu me demander.
« J’aime à croire que je parviendrai à vous convaincre que, par les dernières mesures ordonnées par mon gouvernement, « il n’a point été porté atteinte aux arrangements pris avec le gouvernement militaire de la forteresse relativement au rayon » ; ces arrangements qui résultent de l’échange de la dépêche de la dépêche de S. A. le prince de Hesse-Hombourg, du 20 mai 1831, et de la dépêche d’un de mes prédécesseurs, le général Goethals, du même jour, le gouvernement belge ne les a pas perdus de vue ; il s’y conformera, et il pense s’y être strictement conformé.
« En effet, la dépêche de S. A. le prince de Hesse-Hombourg 20 mai 1831, acceptée par le général Goethals, porte qu’il ne se fera dans le rayon, ni organisation, ni mouvements militaires, ni distributions d’armes, ni autres opérations semblables ; le gouvernement belge, eu égard au caractère particulier et au but attaché aux mesures qu’il a prises, ne pense pas que ces mesures puissent être assimilées à une organisation, à une opération militaire.
« La suspension totale des lois sur la milice avait fait naître de graves inconvénients, et excité les réclamations des habitants du rayon ; aux termes de ces lois, tout individu, pour contracter mariage, pour être admis aux emplois publics, pour obtenir une patente, un passeport, a besoin de prouver qu’il a rempli les obligations de la milice ; c’est pour mettre les habitants du rayon à même de fournir cette preuve, et pour faire cesser l’incapacité dont ils étaient frappés, que le gouvernement belge a cru devoir les comprendre dans le tirage, sans exiger toutefois leur présence, et en excluant l’idée d’une incorporation effective. Considérées sous ce point de vue, le seul réel, les mesures dont il s’agit perdent tout caractère politique et militaire, et doivent être regardées comme en dehors des actes dont le gouvernement belge a promis de s’abstenir dans le rayon.
« Néanmoins, si, malgré les explications qui précèdent, ces mesures, contre toute attente, pouvaient être réputées constituer une opération ou une organisation militaire, le gouvernement belge, pour éviter de fâcheuses collisions et donner des preuves d’une bonne foi hors des atteintes du moindre soupçon, ne montrerait pas d'éloignement à continuer de suspendre le tirage en ce qui concerne le rayon stratégique de la forteresse.
« Recevez, etc. »
Cette pièce s été transmise à Luxembourg sous la date du 10. Le général Dumoulin en a accusé réception en ces termes :
Accusé de réception du gouvernement fédéral (traduction littérale)
« Luxembourg, le 11 février 1834.
« Monsieur le général,
« Le gouvernement militaire, soussigné, répond à votre communication du 10 courant, n°68, L.C., qu’il ne méconnaît pas les principes y exprimés d’une opinion équitable et appréciant les circonstances ; que pourtant, d’après les ordres précis de la haute assemblée fédérale, il ne peut tolérer, dans le cercle de ses opérations, ni levée ni aucun acte y ayant rapport, ni conséquemment en aucune manière un tirage au sort de miliciens ; que cela résulte, d’ailleurs, déjà nécessairement des réserves faites pour le rayon de la forteresse ; que par conséquent on ne peut pas, vu l’illégalité, pour la forteresse, d’une pareille mesure, tirer des arguments des discussions de la législature belge.
« Le gouvernement militaire a déjà transmis dans ce sens des instructions précises aux bourgmestres du rayon de la forteresse, et abandonne à votre discernement le soin de donner de votre côté, dans le même sens, et sans retard, les ordres nécessaires, en vous exprimant, M. le général, de nouveau, l’assurance de sa considération particulière.
« En l’absence du gouverneur,
« Le général-major et commandant,
« Dumoulin. »
La nouvelle adhésion donnée de part et d’autre à l’arrangement provisoire du 20 mai 1831 a rendu nôtre position, à l’égard de l’autorité militaire fédérale, beaucoup plus précise et mieux déterminée, et c’est dans ce sens que j’ai rédigé une deuxième note diplomatique conçue en ces termes :
« Deuxième note remise aux gouvernements de France et de la Grande-Bretagne
« Le soussigné, ministre plénipotentiaire, etc (charge d’affaires, etc.), ayant transmis à son gouvernement la note qu’il a eu l’honneur de remettre, sous la date du … février, à S. E. (à Sa S. etc.), a reçu l’ordre de la compléter par la communication suivante :
« En portant la connaissance de S. E. (Sa S.) les événements survenus dans le grand-duché de Luxembourg, le soussigné, pour réclamer les bons offices du gouvernement français (britannique), s’est attaché à démontrer que le gouvernement de S. M. le Roi des Belges a constamment agi dans les limites des droits que lui assure la convention du 21 mai ; toutefois, il ne s’est point dissimulé que, d’après le droit des gens et les actes antérieurs, le rayon de la forteresse de Luxembourg est demeuré dans une situation particulière facile à concilier avec l’exécution de cette convention.
« En effet, antérieurement à la convention du 21 mai, il était intervenu, relativement au rayon, un arrangement provisoire entre le gouvernement militaire fédéral et le gouvernement belge, arrangement résultant de l’échange d’une déclaration, du 20 mai 1831, de S. A. le prince de Hesse-Hombourg, gouverneur de la forteresse de Luxembourg, et d’une déclaration du même jour du général Goethals, gouverneur militaire de la province de Luxembourg pour le régent de Belgique. (Annexes A et B.) Par cet arrangement il n’est interdit au gouvernement belge dans le rayon que toute organisation, tout mouvement militaire, toute distribution d’armes et opérations semblables, tous les autres droits de pure administration lui étant ainsi conservés.
« C’est cet arrangement que le gouvernement du Roi des Belges a invoqué dans les premiers mois de l’année 1833, pour demander le rétablissement de la police civile dans le rayon, demande restée sans effet, l’autorité militaire fédérale paraissant considérer comme non-avenues les deux déclarations du 20 mai 1831.
« C’est avec satisfaction que le cabinet de Bruxelles a reçu communication de la lettre ci-annexée C, du 3 février dernier, lettre par laquelle le général Dumoulin regarde les anciennes promesses comme encore en vigueur, en considérant la participation d’habitants du rayon au tirage au sort pour la milice comme contraire à ces promesses, c’est-à-dire, comme constituant un acte d’organisation, une opération militaire.
« Le gouvernement du Roi des Belges s’est empressé d’autoriser le gouverneur militaire belge dans le Luxembourg à faire à cette communication la réponse ci-annexée D, par suite de laquelle le tirage au sort pour la milice sera de nouveau suspendu à l’égard des habitants du rayon dans le cas où l’autorité fédérale, malgré les explications qui lui sont données, persisterait à regarder cette mesure comme une opération militaire.
« En se replaçant ainsi dans les termes de l’ancien arrangement, qui résulte des déclarations du 20 mai 1831, le gouvernement belge se réserve, par une corrélation nécessaire, tous les droits que lui assure cet arrangement : en s’abstenant dans le rayon de « toute opération militaire ou qui pourrait être réputée telle,» il continuera à défendre ses droits à l’administration civile, se fondant, à l’égard du roi grand-duc et de ses agents, sur la convention de Londres du 21 mai, et, à l’égard de l’autorité fédérale, sur l’arrangement provisoire résultant des déclarations du 20 mai 1831.
« Le soussigné, etc. »
Cette deuxième note a été remise à Paris, le 13 février, à Londres le 14.
Nous avions lieu de croire, surtout après la lettre du 11 février, que les dernières communications auraient mis un terme aux contestations relatives à la levée de la milice dans le rayon ; ce n’est dont pas sans étonnement que nous avons appris l’arrestation du commissaire du district de Luxembourg, arrestation opérée en dehors du rayon ordinaire et avec des circonstances odieuses.
Ici, messieurs, se termine la première partie du rapport que j’ai eu l’honneur de vous promettre, partie qui se rattache aux circonstances qui précédèrent les mesures de violence exécutées par les ordres du gouverneur militaire de Luxembourg, sur le domicile et la personne de M. Hanno. Hier mon honorable collègue M. Rogier vous a donné un précis aussi exact que possible des renseignements que nous avons obtenus jusqu’ici sur cet événement. Je ne pourrai que vous répéter ce qu’il vous a exposé brièvement.
Le commandant de la forteresse aurait appris par ses patrouilles que des placards concernant la levée de la milice, et signés Hanno, avaient été affichés dans quelques communes du rayon. Cette publication n’étant pas conforme à la lettre du général de Tabor qui lui avait annoncé que les opérations du tirage seraient suspendues dans le rayon, le général Dumoulin a réalisé plus que les menaces qu’il avait faites, car les menaces n’annonçaient que des arrestations exercées sur les bourgmestres du rayon qui se mêleraient des opérations de la milice, ainsi que l’extension du rayon stratégique, et non pas l’intention de briser la nuit portes et fenêtres chez le commissaire de district placé hors de limites respectées jusqu’ici de part et d’autre, et de conduire durement à Luxembourg un fonctionnaire comme un prisonnier d’état criminel au premier chef et coupable de la plus dangereuse conspiration contre la sûreté de la forteresse fédérale. Et cela, sans demander au préalable aucune explication au général de Tabor, dont la déclaration était précise, et dont la modération, la loyauté et la prudence, flétries hier injustement du nom de pusillanimité, méritaient assurément d’autres procédés de la part de M. Dumoulin.
Nous sommes pour lui, comme agent de la diète germanique, un gouvernement de fait. Soit ! Cependant le souverain dont il porte la cocarde a, dans la capitale de la Belgique, un plénipotentiaire accrédité près de notre Roi. Mais de fait aussi les Belges sont des hommes appartenant à une nation généreuse et civilisée. Les autorités que cette nation a librement établies, après avoir subi pendant 15 ans les graves injustices d’un gouvernement de fait imposé par la force des armes sans autre titre quelconque ; ces autorités, dis-je, ne s’écartent jamais de leur noble et légitime origine ; elles respectent constamment le droit des gens, les droits de l’humanité ; elles répudient soigneusement toute mesure brutales. Si elles se trouvaient dans la dure nécessité d’user de représailles, elles sauraient les concilier avec les ménagements que l’on doit à l’homme qui en est victime, et jamais assurément elles n’en useraient qu’à la dernière extrémité. C’est ainsi, messieurs, que nous nous présentons à l’Europe avec la dignité qui convient à un peuple industrieux, progressif, ami de l’ordre et de liberté.
Nous ne pouvons être rangés parmi les nations redoutables par le nombre, mais la force morale ne nous manque pas jusqu’ici. La violence, pour parvenir à ses fins, doit être accompagnée de gloire. Or quelle gloire y a-t-il à faire sortir d’une forteresse, à mettre en campagne mille, ou deux mille, ou trois mille hommes de guerre, dans le but d’assaillir, au milieu des ténèbres de la nuit, le domicile d’un homme désarmé, qui repose sans défiance au milieu d’une paisible population villageoise, loin de toute force militaire protectrice… ?
Ne vous irritez pas outre mesure, messieurs, de l’acte qui excite, toutefois bien naturellement, vos justes susceptibilités et les nôtres ; d’autres actes analogues ont servi notre cause au lieu de lui nuire ; telle est du moins ma conviction personnelle. Toutefois, en comptant sur l’appui des puissances dont il a réclamé les bons offices, le gouvernement pense qu’il est de son devoir de prendre par lui-même les mesures propres à assurer aux fonctionnaires belges la protection qu’il leur doit ; il continuera à réclamer l’exécution de la convention de Londres du 21 mai, sans méconnaître l’arrangement particulier du 20 mai 1831, arrangement dont le maintien est indispensable dans la position où se trouve le nouvel état belge par rapport à la confédération germanique. En s’abstenant de toute opération militaire dans le rayon, il défendra ses droits à l’administration civile, et il croit que ses efforts n’ont point été sans résultat puisqu’ils ont mis un terme, dans le reste du territoire allemand, à un état de choses dont rien ne justifiait suffisamment la prolongation.
M. d’Huart. - Je demande la parole.
- Un grand nombre de voix. - L’impression ! l’impression !
M. Gendebien. - Je demande la parole.
M. le président. - S’il n’y a pas d’opposition, le rapport de M. le ministre des affaires étrangères sera imprimé et distribué.
M. d’Huart. - J’ai demandé la parole.
M. Gendebien. - Je l’ai demandée pour une motion d’ordre. Je demande que la chambre attende que le rapport et les pièces qui y sont jointes, soient imprimés et distribués, avant d’ouvrir aucune espèce de discussion sur ce rapport. Il soulève non seulement des questions de fait très délicates, mais surtout des questions de droit que vous aurez à résoudre. Je crois que, dans notre position vis-à-vis de la confédération germanique, nous nous pouvons entamer la discussion sur ces questions qu’alors que nous connaîtrons positivement et réellement nos droits. Le ministère qui a eu le temps d’étudier et d’apprécier la réalité de nos droits, ne me paraît pas les avoir posés et défendus convenablement contre les prétentions des représentants de la confédération germanique dans la forteresse de Luxembourg. Nous devons prendre le temps nécessaire pour examiner les questions dont il s’agit, afin de ne pas tomber dans les mêmes fautes que le ministère. Je demande en conséquence et j’insiste pour qu’on ajourne la discussion du rapport du ministre jusqu’à ce qu’il ait été imprimé et distribué.
Cela ne nous empêchera pas de procéder dès à présent, et sans désemparer, à la discussion et au vote de l’adresse. La chose est urgente.
M. d’Huart. - Je voulais commencer par la conclusion de M. Gendebien, je voulais dire que rien ne devait arrêter le vote de l’adresse ; je m’appuierai sur un seul passage du rapport dont j’ai tenu note, pour vous prouver que le gouvernement avait besoin d’être stimulé de toute l’énergie de la nation.
Le gouvernement reçoit, de la part du commandant militaire de la forteresse, une lettre dans laquelle on traite les premières autorisés de la province comme des bandits, comme des chefs de bandes ; et au lieu de repousser l’insulte adressée à ses fonctionnaires, il fait répondre une lettre pleine de courtoisie. Bien plus, il va prôner auprès du gouvernement français la lettre insultante qu’il a reçue, il va dire qu’il l’a reçue avec satisfaction.
Ce seul fait, messieurs, vous prouve que le gouvernement a besoin, comme je viens de le dire, d’être stimulé de toute l’énergie du pays dont vous êtes les représentants. Il est inutile d’entrer dans plus de détail. Vous sentirez comme moi l’urgence qu’il y a d’adopter immédiatement l’adresse qui vous est proposée par la commission. Elle est rédigée en termes tels, qu’elle ne devra donner lieu à aucune objection et qu’elle sera adoptée à l’unanimité par la chambre.
M. Dewitte. - Je demande la parole.
Messieurs, je propose à la chambre de passer au vote de l’adresse sans aucune discussion préalable.
Le sentiment d’indignation que le récit de la violation qui nous est signalée a excité dans cette chambre a été unanime. Le vote de l’adresse, qui le manifeste, ne saurait être autre.
Toute discussion est donc superflue.
Passons immédiatement au vote : c’est le meilleur moyen de confondre nos ennemis, en leur prouvant, ainsi qu’au pays, que toute hésitation est bannie de la chambre lorsqu’il s’agit de l’honneur national.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Je répondrai en temps et lieu aux observations de M. d’Huart.
M. d’Huart. - J’en ai bien d’autres à adresser aux ministres.
M. de Foere et M. Dumortier demandent en même temps la parole.
M. de Foere. - Messieurs, il me semble que nous nous trouvons en présence de deux questions essentiellement distinctes. L’une est une question ministérielle, une question d’intérieur, tandis que le projet d’adresse ne renferme qu’une question extérieure ; car elle n’a pas pour objet une mesure de police ou d’administration à exécuter sur notre territoire. Cette adresse a pour but d’obtenir la réparation d’un attentat et de maintenir la dignité nationale. Si nous confondons les deux discussions, le projet d’adresse et la marche déplorable suivie par le ministère dans cette affaire, il est à craindre que la chambre n’arrive pas au but qu’elle s’est proposé, c’est-à-dire de produire de l’effet à l’extérieur, de faire voir aux puissances étrangères que nous sommes fermement disposés à maintenir la dignité et l’indépendance nationales.
S’il y a eu des torts du côté du ministère, c’est une question distincte dont nous nous occuperons plus tard ; en voulant la résoudre maintenant, nous introduirions la division dans la chambre ; et il est à désirer que la chambre vote, s’il est possible, l’adresse à l’unanimité.
Il est dans l’intérêt du pays que les deux discussions marchent séparément.
M. Dumortier. - Messieurs, je regrette de ne pouvoir partager l’opinion des honorables préopinants. Loin de penser qu’il ait ici deux questions distinctes, je pense au contraire qu’il y a connexité entre le projet d’adresse que vient de vous proposer votre commission et le rapport que vous a présenté M. le ministre des affaires étrangères. J’approuve très certainement les motifs qui ont dirigé les deux honorables orateurs auxquels je réponds, mais je ne puis pas admettre leur proposition. Je demande que la discussion soit immédiatement ouverte et sur le rapport et sur le projet d’adresse.
Si quelque membre a des observations à faire, il pourra les présenter.
Les honorables préopinants auxquels je réponds ont motivé leur proposition sur l’effet à produire à l’étranger. Vous avez, messieurs, de bien autres devoirs à remplir envers la nation qui vous a envoyés dans cette enceinte ; votre premier devoir c’est de forcer le ministère a abandonner la marche flétrissante qu’il a suivie jusqu’à présent et de lui donner l’impulsion que réclament les circonstances. Vous ne pourrez obtenir ce résultat qu’en ouvrant immédiatement la discussion sur le projet d’adresse de votre commission et le rapport du ministre.
J’en fais la proposition formelle.
M. Gendebien. - Je ne m’oppose pas à ce que la discussion sur le rapport du ministre soit ouverte dès à présent ; qu’on l’ouvre maintenant ou qu’on attende, cela m’est indifférent. Mais j’aurais pensé que, vu la faiblesse dont le gouvernement a donné une nouvelle preuve dans cette grave circonstance, il convenait, sans perdre une heure, de manifester l’indignation du pays contre un acte flagrant de violation du droit des gens, commis avec des circonstances que le ministre lui-même a qualifiées d’odieuses et de violentes.
Quant au rapport, nous pourrons le discuter après ; nous pourrons signaler toutes les fautes commises par le ministère ; nous pourrons discuter les points de fait, et surtout les points de droit, qui sont très délicats et qui ne me paraissent pas avoir été compris par le ministère. Cette discussion peut se prolonger pendant plusieurs séances, l’effet de notre adresse serait perdu ; il faut que dès à présent la chambre à l’unanimité, en masse, s’élève pour protester contre l’ignoble rôle que la diplomatie nous fait jouer.
Il est bon que les représentants des grandes puissances en ce moment à Bruxelles sachent que, si le gouvernement, par des motifs que je n’approuve pas, mais par des motifs de lâche condescendance envers ces puissances, a quelquefois fléchi, la nation n’est nullement disposée à parcourir sans cesse avec lui cette ornière de honte, où on veut la maintenir ; il faut que ces puissances sachent une bonne fois que, si quelques hommes, quelques nations ont pu nous accuser de pusillanimité, ce n’est pas la Belgique, mais son gouvernement qui a agi non dans l’intérêt de la Belgique, mais dans l’intérêt de ces grandes puissances, et pour éviter une perturbation générale, une guerre générale, plus à redouter pour elles que pour nous.
Il faut que, sans désemparer, nous apprenions à l’Europe que si nous ne voulons pas flétrir dès aujourd’hui les ministres, nous voulons donner au gouvernement tous les moyens de nous réhabiliter aux yeux de l’Europe ; que si nous sommes en désaccord sur quelques points d’administration intérieure et extérieure, nous sommes toujours unanimes quand il s’agit de repousser une agression injuste, et de laver la honte qu’on veut imprimer sur nos fronts, trop révolutionnaires encore au gré de nos ennemis et de nos protecteurs.
Prononçons-nous sur l’événement qui s’est passé dans le Luxembourg ; nous examinerons après la conduite du ministère. (Aux voix ! aux voix !)
M. de Brouckere. - Je ne me lève que pour appuyer la motion de l’honorable M. Gendebien. Il me semble que le rapport du ministre des affaires étrangères soulève des questions dont la solution présentera les plus grandes difficultés. Pour ma part, l’impression qu’il m’a faite n’est nullement favorable aux ministres. A en juger à la première audition, selon moi, dans la collision qui a eu lieu entre le gouvernement belge et le gouvernement fédéral, les premiers torts appartiennent au gouvernement belge qui a montré une inconcevable imprudence dans ses rapports avec les représentants de la confédération germanique. Mais quels que soient ses torts, si tant est qu’il en ait eu, rien ne légitime l’acte de violence commis par le commandant de la forteresse de Luxembourg.
Je viens de lire le projet d’adresse ; quel que puisse être le résultat de la discussion à laquelle nous nous livrerons, sur le rapport du ministre, rien n’empêcha de voter l’adresse telle qu’elle est. Alors même que nous jugerions que les premiers torts sont du côté du gouvernement belge, le gouvernement fédéral n’avait dans aucun cas le droit de dépasser le rayon stratégique dans lequel il s’était engagé à se renfermer.
M. Dumortier. - Puisque la chambre paraît disposée à voter l’adresse immédiatement, je consens à ce que la discussion sur le rapport soit renvoyée à une autre séance ; mais il faut que les ministres comprennent les motifs qui nous dirigent, qu’ils sachent que la chambre veut qu’on en finisse avec la diplomatie, et que le gouvernement prenne une attitude digne d’un peuple libre.
Je retire ma motion.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Nous sommes obligés de prendre acte de la déclaration qui vient d’être faite, avant de passer au vote de l’adresse. Il doit être bien entendu que cette adresse est purement relative à l’acte de violence commis contre un de nos compatriotes, que cette adresse ne renferme point de jugement sur la conduite tenue par le gouvernement dans cette circonstance : c’est à cette condition que le gouvernement acceptera l’adresse telle qu’elle est présentée par le rapporteur. (Murmures.)
M. Gendebien. - Nous imposons des conditions et nous n’en recevons pas.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Si au contraire le gouvernement voyait dans l’adresse... (Murmures, et interruption.)
Je prie M. le président de vouloir bien maintenir l’ordre.
M. le président. - Je crois le maintenir autant qu’il est en moi.
Je prie messieurs les membres de l’assemblée d’écouter avec calme.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Si au contraire le gouvernement pouvait voir dans l’adresse le blâme de sa conduite, la flétrissure qu’on a promise à ses actes, mais après l’examen du rapport, non seulement il ne pourrait s’y associer mais il serait dans la nécessité de la combattre.
J’ai cru qu’il était nécessaire de faire cette déclaration avant qu’on passât au vote immédiat de l’adresse. (La clôture ! la clôture !)
- La chambre consultée ferme la discussion.
La proposition de M. Gendebien est mise aux voix, et adoptée à l’unanimité.
M. le président. - En conséquence on va passer à la discussion et au vote du projet d’adresse.
M. Dewitte. - M. le président, et ma motion d’ordre !
M. le président. - Aux termes du règlement il doit y avoir une discussion sur l’ensemble de l’adresse et ensuite sur chacun des paragraphes, à moins que personne ne demande la parole.
La discussion générale est ouverte.
Personne le demandant la parole, s’il n’y a pas d’opposition, nous allons passer à la discussion des paragraphes.
M. le président donne successivement lecture des divers paragraphes, qui sont tous adopté, par assis et levé.
M. de Brouckere. - Je n’ai pas voulu interrompre le vote ; mais j’ai une modification à demander au troisième paragraphe. Il porte : « Il est des bornes à la modération. » On devrait mettre : « La patience a des bornes, ou la longanimité a des bornes. » Ce n’est pas sortir des bornes de la modération que d’employer des mesures énergiques pour repousser des actes de violence de la nature de ceux qui vous sont signalés.
M. Dumortier. - On peut dire : La patience a des bornes, mais non : La longanimité a des bornes. Je demande que la commission se retire un instant pour délibérer.
M. Gendebien. - Puisque la commission vent se retirer, je lui signalerai une expression qu’on doit faire disparaître. Le premier paragraphe est ainsi conçu : « Un nouvel acte de violence a été commis sur le territoire du pays. »
C’est un pléonasme. Je pense qu’il faut dire « sur notre territoire » ou « sur le territoire belge. » Il convient de nous conformer à la langue française, puisque nous parlons français.
M. Seron. - Je propose de dire : « Une nouvelle violation de territoire a été commise. »
M. le président. - On a proposé que la commission se retire. Je vais mettre aux voix cette proposition.
- La chambre décide que la commission ne se retirera pas.
M. de Brouckere. - J’insiste pour qu’on ne laisse pas dans l’adresse cette expression : « Il est des bornes à la modération. » Ce serait même inconvenant. Je propose de substituer : « La patience a des bornes. »
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - MM. Gendebien et Seron proposent un changement de rédaction à l’article premier.
M. Dumortier. - Je déclare m’opposer à tout changement de rédaction. Nous sommes occupés d’intérêts trop graves pour faire de la grammaire. Nous nous sommes opposés à ce qu’on ouvrît la discussion sur le fond, et nous nous traînons sur une discussion de rédaction. Ce serait indigne d’une représentation nationale qui a le cœur profondément blessé des faits qui lui ont été dénoncés.
M. Gendebien. - Il m’importe peu qu’on adopte ou qu’on rejette ma proposition, que la chambre veuille consacrer un pléonasme. Je l’ai avertie, c’est à elle à faire ce qu’elle jugera convenable.
M. le président. - On va passer au scrutin sur l’ensemble de l’adresse.
- Elle est adoptée à l’unanimité des 81 membres présents, qui sont :
MM. Beckaert, Coghen, Cols, Coppieters, Dams, Dautrebande, Davignon, de Behr, de Brouckere, de Foere, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de Longrée, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, W. de Mérode, de Nef, de Puydt, de Renesse, de Robaulx, C. Vuylsteke, de Roo, de Secus, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, de Stembier , de Terbecq, de Theux de Witte, d’Hane, d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon. Donny, Dugniolle, Dumont, Dumortier, Duvivier , Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Gendebien, Hye-Hoys, Jadot, Jullien, Lardinois, Legrelle, Liedts, Meeus, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Olislagers Polfvliet, Pollénus, Poschet, Quirini, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Rouppe, Schaetzen, Seron, Simons, Smits , Teichmann, Thienpont, Trentesaux, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, van der Heyden, Van Hoobrouck, C. Vilain XIIII, H. Vilain XIIII, Vuylsteke, Wallaert, Watlet, Zoude et Raikem.
M. le président. - L’adresse sera présentée au Roi par une députation tirée au sort aux termes de l’article 66 du règlement. Les députations sont ordinairement de 11 membres auxquels se joint le président. S’il n’y a pas d’opposition, 11 seront tirés au sort.
M. Eloy de Burdinne. - Vu l’importance de l’objet, je propose à la chambre de se transporter en corps. (Non ! non !)
- La chambre décide que la députation sera composée de 12 membres, y compris M. le président.
M. le président procède au tirage de la députation. Les membres désignés par le sort sont : MM. de Puydt, Vander Heyden, comte W. de Mérode, Desmanet de Biesme, Polfvliet, Quirini, Jadot, Jullien, Nothomb, Lardinois, Olislagers.
La députation composée de ces 11 membres et de M. le président ira présenter l’adresse au Roi.
M. le président. - Quand le Roi m’aura fait connaître l’heure à laquelle il sera disposé à recevoir la députation, j’en informerai ceux de MM. les membres qui la composent.
(Moniteur belge n°52, du 21 février 1834) « Art. 2. Canaux. »
M. de Puydt. - La section centrale s’est réunie aujourd’hui, pour examiner les amendements proposés par M. le ministre de l’intérieur ; elle a eu besoin de renseignements ; mais elle n’a pas pu les recevoir assez tôt pour se former une opinion avant l’ouverture de la séance ; elle n’a donc pas de rapport à faire.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Les renseignements ont été remis aussitôt qu’ils ont été demandés.
M. le président. - Nous allons passer à d’autres articles.
M. Schaetzen. - Une proposition a été faite par M. Olislagers ; ne devrait-on pas la renvoyer à la section centrale ?
M. Pollénus. - Je crois que cette proposition devrait subir l’examen de la section centrale.
- Le renvoi est ordonné.
M. Gendebien. - Les pièces dont parle M. le ministre sont arrivées à midi environ ; elles nécessitent des explications. L’ingénieur du Hainaut a demandé 45,000 fr. pour réparer le canal de Pommeroeul ; le ministre demande 25,000 fr. ; la différente est trop grande pour ne pas prendre des informations.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - L’inspecteur-général croit que la somme de 25,000 fr. est suffisante provisoirement. Il n’y a pas de devis fait. La chambre doit voir dans la demande du ministre qu’il s’efforce de faire les économies compatibles avec les besoins du service.
M. Gendebien. - Nous n’avons pas les élément des évaluations qui ont été faites ; mais la différence qui se trouve entre le chiffre de l’ingénieur provincial du Hainaut et celui de l’inspecteur-général montre quel degré de confiance on doit apporter à ces fonctionnaires. Je voterai contre toute allocation, tant qu’on n’aura pas justifié le chiffre demandé.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je répète que provisoirement 25,000 fr. sont jugés suffisants ; les réparations sont indispensables. L’appréciation d’un devis est dans les attributions de l’administration et non dans celles de la section centrale. Je crois qu’on doit ici s’en rapporter à la parole du ministre.
M. le président. - Passons aux articles sur lesquels il n’y a pas d’amendement. Il est inutile de discuter plus longtemps sur les articles.
« Art. 4. Phares, fanaux et pilotage : fr. 23,204. »
La section centrale propose deux paragraphes.
« (A) Phares, fanaux, matériel : fr. 20,579.
« (B) Personnel : fr. 2,625. »
M. Donny. - Je viens appuyer la demande de la suppression du mot pilotage.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Le gouvernement a consenti, en section centrale, à la suppression du mot pilotage.
M. Donny. - Je n’ai plus rien à dire.
- Les deux paragraphes mis aux voix sont adoptés.
« Art. 5. Polders : fr. 500,000 fr. »
M. le président. - M. le ministre demande une augmentation de 150,000 francs au chiffre qui est porté au budget.
- L’article 5 est renvoyé à la section centrale.
« Art. 6. Bâtiments civils : fr. 224,700 fr. »
- La section centrale propose 73,200 fr.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Dans le chiffre de 224,700 fr. est comprise une somme de 150,000 fr. pour la construction d’un bâtiment destiné aux archives de l’Etat sur l’emplacement de l’ancien hôtel du ministre de la justice.
La discussion de cette construction viendra plus à propos quand on en sera au chapitre XII qui concerne les archives de l’Etat. Je demanderai qu’on retranche 15,000 fr., et qu’on les reporte au chapitre XII.
- La proposition de M. le ministre de l’intérieur est adoptée.
Le chiffre de la section centrale est mis en discussion.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) demande et la chambre adopte le renvoi à la section centrale d’une demande d’allocation de 150,000 fr. destinée à l’acquisition de l’hôtel de Torrington.
- Le chiffre de 73,000 fr. est adopté.
« Art. 7. Personnel : fr. 297,880. »
La section centrale fait les propositions suivantes ; elle divise l’article en trois paragraphes
« (A) Traitements des ingénieurs : fr. 125,000. »
« (B) Frais de bureau et de déplacements : fr. 50,000. »
« (C) Traitements des conducteurs et employés temporaires : fr. 100,000. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - La section centrale propose une réduction de 9,820 fr. sur le paragraphe (A), et elle la motive par des considérations qu’il est de mon devoir de combattre.
On voudrait paralyser les effets d’un arrête pris l’année dernière dans mes attributions, et qui avait pour but de procurer de l’avancement à un certain nombre d’ingénieurs civils. J’ai déjà eu l’occasion de justifier cet arrête l’année dernière ; de nouveaux motifs militent en faveur de ingénieurs. Personne de vous n’ignore que les travaux publics ont pris une grande extension cette année ; les ingénieurs ont dû trouver une augmentation de traitement dans une augmentation du travail. Quoiqu’il en soit, on veut en quelque sorte annuler l’arrêté que j’ai rendu en l’attaquant dans ses conséquences financières ; je ne pense pas que dans l’administration militaire, quand il y a des promotions d’officiers, il dépende de la chambre d’annuler ces promotions en refusant de voter les sommes nécessaires aux nouveaux grades : le corps des ingénieurs, qui a paru exciter l’intérêt d’un des préopinants à l’occasion d’un de ses membres frappés d’une peine disciplinaire, a rendu de grands services depuis la révolution ; il n’a pas, à très peu d’exceptions, profité des avantages de cette révolution ; et je ne crois pas que la chambre refuse à des hommes d’un mérite aussi réel des droits à l’avancement.
L’administration des ponts et chaussées est organisée depuis la révolution avec une excessive économie En 1830, l’administration centrale du waterstaat coûtait 152,380 fr., et le personnel comprenait 30 individus ; aujourd’hui le personnel de cette administration est réduit à 7 individus, et la dépense à 17,991 fr. Ainsi l’administration centrale des ponts et chaussées ne coûte que le dixième de ce qu’elle a coûté sous le gouvernement précédent.
Ce que je dis de la réduction relative aux ingénieurs s’applique à la réduction relative aux conducteurs et pour ceux-ci il y aura aussi augmentation de travail pendant 1834.
M. Pollénus. - La section centrale propose de laisser les traitements des ingénieurs au taux de l’année dernière ; elle ne propose pas de réduction, et j’appuierai sa proposition.
Il lui appartient d’examiner, quoi qu’en ait dit le ministre, les motifs des allocations qu’on demande. Si les traitements des ingénieurs étaient fixés par une loi, sans doute qu’il faudrait accorder la somme ; mais un arrêté n’empêche pas les investigations de la chambre. Au reste une commission vient d’être nommée qui a pour but d’examiner la législation sur les travaux publics ; très probablement des modifications seront apportées au corps des ponts et chaussées ; à la veille d’une nouvelle organisation y a-t-il lieu à augmenter des traitements ? Je crois, moi, qu’il y a lieu à persister dans la proposition de la section centrale.
M. Desmanet de Biesme. - Les ingénieurs civils ont rendu de grands services au pays ; ils parcourent une carrière où il y a peu d’avancement. L’arrêté a eu pour but de placer les ingénieurs dans une position convenable : ce sont des hommes instruits ; parmi eux on compte plusieurs élèves de l’école polytechnique ; il ne faut pas décourager les membres d’une administration si importante.
M. de Robaulx. - Je me rappelle que l’on a voté une réduction sur l’administration des ponts et chaussées. Il paraît que la réduction est tombée sur les traitements des conducteurs de travaux ou sur les employés inférieurs : ils reçoivent 100 fl. de moins que par le passé, tandis que les ingénieurs reçoivent leur traitement en entier. Vous sentez combien il y a d’injustice à en agir ainsi. Les conducteurs n’ont pas de frais de route comme les ingénieurs. Je demanderai au ministre si on veut encore suivre le même système cette année.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je n’ai pas connaissance du fait de la réduction supportée par les conducteurs ; au moins est-il étranger à mon administration : on a été obligé à supprimer plusieurs conducteurs temporaires ; mais on n’a pas épargné les chefs du corps. L’inspecteur-général, de 6,000 fl. d’appointements, a été réduit à 5,000.
M. de Robaulx. - Si le ministre ne connaît pas le fait que je signale, je le prie de prendre des informations dans ses bureaux. Les ingénieurs eux-mêmes reconnaissent qu’il est injuste de diminuer les traitements des employés subalternes ; ils travaillent, ces malheureux, pour pouvoir subsister. Je demande que les réductions tombent désormais sur les gros appointements.
M. Legrelle. - Si le chiffre proposé par la section centrale alloue aux ingénieurs ce qu’ils avaient l’année dernière, il faut l’adopter ; ce n’est pas quand une organisation nouvelle de l’administration des ponts et chaussées peut avoir lieu qu’on doit rien changer dans les traitements.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Il est bien vrai que le chiffre demande pour cette année offre une augmentation.
L’arrêté par lequel des promotions ont été faites dans le corps des ingénieurs est du 22 mai 1833. Par mesure d’économie on décida que les traitements ne courraient qu’à dater du 1er janvier 1834. La section centrale veut annuler cet arrêté ; elle ne le dissimule pas. La chambre décidera si on peut paralyser dans les mains du gouvernement une attribution aussi incontestable que celle de faire des promotions à des grades supérieurs. On prétend que ce n’est pas le cas de faire de semblables promotions à la veille d’une réorganisation du corps des ingénieurs. Je ne sais pas si nous sommes à la veille de cette réorganisation, et si la commission d’enquête soumettra incessamment son travail à la chambre ; mais s’il en est ainsi, quel inconvénient y aurait-il à laisser jouir pendant quelque temps d’anciens employés des avantages que leur assure l’arrêté du 22 mai ?
On ne critique pas les promotions faites dans les corps militaires, et cependant chaque promotion d’officiers entraîne des dépenses bien plus considérables que celles que nous demandons. Est-ce à dire que le corps des ingénieurs ne rend pas des services importants à l’Etat ? En temps de paix, les ingénieurs civils courent parfois des dangers dont le corps des ingénieurs militaires est exempt. Deux employés du génie civil sont morts cette année dans les polders ; veut-on empêcher de stimuler le zèle de ceux qui leur survivent ? Si, la chambre refuse le chiffre que je demande, voici ce qui arrivera : Je ne remplacerai pas les employés morts ; il y aura des vacances, et si le service en souffre, je déclare ne point en assumer la responsabilité.
M. Teichmann. - Le traitement des ingénieurs est séparé de celui des conducteurs ; on ne peut diminuer les uns aux dépens des autres. Il n’y a pas de frais de voyage ni pour les ingénieurs, ni pour les conducteurs de travaux. Il existe 140 à 150 conducteurs ; une réduction de 100 ou 150 fr. sur chacun présenterait une économie, et voilà pourquoi on l’a faite. On ne pouvait obtenir le même résultat sur le très petit nombre d’ingénieurs qui font partie des ponts et chaussées ; quant à moi, j’ai éprouvé une diminution d’un quart sur mes appointements.
M. Desmet. - Je ne répondrai pas aux menaces de M. le ministre, la chambre en fera droit et elle les trouvera très déplacées ; mais je ne demande la parole que pour vous faire remarquer comme on l’a déjà fait que dans cet article, il y a une augmentation sur la somme allouée l’année dernière pour le traitement des ingénieurs de 12,520 fr. Ne croyez pas cependant que cette augmentation provient de ce que le service des travaux publics soit devenu plus difficile, ou que le nombre des employés soit agrandi ; non, elle ne provient que de la générosité de M. le ministre qui, par son arrêté du 22 mai 1833, a voulu gratifier plusieurs ingénieurs en augmentant leurs traitements. Aussi quatre sections n’ont pas compris la nécessité ni l’utilité de cette gratification, et n’ont voulu allouer que le chiffre de l’année dernière, 122,500 francs.
Mais la section ayant remarqué que, pour l’exercice de l’année dernière, quelques traitements n’avaient été comptés que pour une partie de l’année, elle a cru qu’il fallait une somme de 125,000 fr pour couvrir les traitements des ingénieurs actuels, tarif auquel ils ont été fixés en 1833. En conséquence, elle vous propose d’allouer cette somme de 125,000 fr., et de réduire celle proposée par le ministre de 9,820 fr.
M. Gendebien. - Je ne conteste pas le chiffre du ministre, ni celui de la section centrale ; je m’élève particulièrement contre la doctrine émise par le ministre. Il a soutenu que le gouvernement ayant usé de ses attributions en faisant des promotions dans le corps des ponts et chaussées, il fallait donner la somme nécessaire pour les traitements ; la chambre ne conteste pas au ministre le droit de rendre des arrêtés ; mais par ces arrêtés le ministre ne peut enlever à la chambre le droit d’examiner, et d’accorder ou de refuser les fonds. Si on adoptait la doctrine ministérielle, il s’ensuivrait que la discussion des budgets serait insignifiante, parce qu’il dépendrait du ministre de prendre tels arrêtés que bon lui semblerait, et d’anéantir ainsi les droits des représentants.
Je ne conçois d’avancement dans un corps que par remplacement ou par extension du corps. Je consens à l’extension, si on peut prouver qu’elle est utile. Dans tous les cas, je prie le ministre de nous donner de meilleures raisons que celles qu’il a produites jusqu’ici pour combattre les propositions de la section centrale.
M. de Puydt. - La section centrale ne propose pas de réduction : elle veut rétablir les traitements des ingénieurs au taux où ils étaient l’année dernière. On établit une comparaison entre les services rendus par les ingénieurs civils et les ingénieurs militaires ; la comparaison n’est pas heureuse : il n’y a pas de loi organisant le corps des ingénieurs ; l’avancement qu’on leur applique ne découle d’aucune législation ; il en est autrement pour les militaires où tout est légal.
Non pas deux, mais trois ingénieurs, il est vrai, sont morts des suites de leur zèle ; l’un d’eux est ingénieur militaire. Ils ont succombé au milieu des miasmes qui s’exhalaient dans les travaux faits au Lillo. On ne conteste pas, on loue leur zèle. Quoi qu’il en soit, nous persistons dans la proposition de la section centrale.
M. de Robaulx. - Je n’attaque pas le mérite ni le dévouement des ingénieurs, mais quand on fait des économies sur un corps, pourquoi n’atteignent-elles que les malheureux ? M. l’inspecteur-général vient de nous le dire.
En ôtant 100 ou 150 fr. sur chacun des 150 conducteurs, on obtient une somme ; on n’obtiendrait pas une économie aussi forte sur les ingénieurs. Ce sont les gros bonnets qui font les répartitions ; ils se gardent bien de se frapper eux-mêmes ; mais quand la chambre vote des économies, entre-t-il dans ses intentions d’ôter le pain à des malheureux ? On demande une somme pour récompenser les ingénieurs ; je voterai la somme demandée pour qu’on la distribue aux conducteurs de travaux. Les gros bonnets se sont fait jusqu’ici la part du lion ; avant de décerner des récompenses, donnez du pain aux conducteurs, à ces hommes qui font les travaux et qui souvent préparent tout, de manière que les ingénieurs n’ont qu’à signer.
M. Teichmann. - Mes subordonnés qui me connaissent tous me rendent assez justice pour que je n’aie pas besoin de repousser les insinuations dont je suis l’objet.
Une réduction de 20,000 fr. fut votée en 1831 ; il était impossible de trouver cette somme sur les 7 ou 8 fonctionnaires à gros appointements, qui cependant subirent des réductions de traitements, et il fallut frapper les conducteurs.
Une autre raison déterminait à faire des réductions sur les conducteurs. Beaucoup de personnes employées, avant la réduction, au syndicat, se jetèrent dans les ponts et chaussées, quoiqu’elles fussent étrangère à cette administration ; elles prirent le titre de conducteurs de travaux, et beaucoup avaient des appointements trop élevés. Le personnel des conducteurs était trop nombreux, et par ces motifs on a pu faire des économies.
Ma position est délicate. Mais ne croyez pas que je favorise les gros bonnets, comme on dit, aux dépens des subalternes : tout ce qu’on alléguera ne m’enlèvera pas leur estime. Depuis la suppression du régime français des ponts et chaussées, le sort des conducteurs de travaux est amélioré ; il en est autrement des inspecteurs et des ingénieurs.
J’ai besoin de faire remarquer qu’il n’y pas eu de promotions dans le corps des ingénieurs ; il y a eu seulement avancement de classe. Ceux de la troisième classe ont passé dans la seconde, et ceux de la seconde ont passé dans la première. C’était justice.
Le plus jeune des ingénieurs de deuxième classe avait 28 ans de service ; le plus jeune des ingénieurs de troisième classe avait 12 ans de service ; pouvaient-ils prétendre à un avancement de classe ? Est-ce trop de recevoir 6,000 francs de traitement après 28 ans de service ? Les directeurs des domaines, dans les provinces, reçoivent 8,000 francs ; faut-il être moins honnête homme et moins instruit pour diriger les travaux publics dans une province que pour y diriger une comptabilité ? Les ingénieurs auraient pu comme beaucoup d’autres faire valoir leurs prétentions en 1830 ; ils étaient trop modestes pour parler d’eux : ils ont attendu qu’on voulût bien les appeler. On a voulu en faire des ingénieurs civils, et ils ont consenti à servir leur pays comme ingénieurs civils ; on a voulu qu’ils fussent à la fois ingénieurs civils et militaires ; ils y ont encore consenti. C’est peut-être parce que nous ne savons pas demander qu’on nous maltraite dans toutes les circonstances.
M. Gendebien. - Je ne sais pas à qui s’adresse ce que vient de dire l’honorable préopinant ; à coup sûr, je ne puis prendre aucune part des reproches qu’il adresse. J’ai fait observer au ministre de l’intérieur que, s’il pouvait justifier la demande d’augmentation de crédit autrement qu’en invoquant ses prérogatives, j’étais prêt à la voter. M. Teichmann vient de se donner la peine de faire cette justification pour deux ingénieurs ; je pense que la justification est la même pour tous les autres, et je ne m’oppose pas à l’allocation demandée. Voilà ce que je voulais répondre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - J’ai fait valoir les attributions du ministre ; mais j’ai fait valoir aussi beaucoup d’autres considérations qui ont échappé probablement à l’attention de l’honorable préopinant. Je demanderai que l’article 7 ne soit pas divisé en paragraphes. La constitution ne reconnaît que les articles.
Pour la régularité de la comptabilité, il faudrait que la chambre ne divisât pas les articles. Un des motifs qui me font demander la réunion des paragraphes en un article, c’est l’intention où je suis de faire droit, autant que je le pourra, à la réclamation de M. de Robaulx. Si l’on ne réunissait pas les paragraphes, je serais peut-être forcé, au contraire, de diminuer encore les appointements des conducteurs.
« (A) Traitements des ingénieurs, chiffre ministériel : fr. 134,820. »
- Ce chiffre mis aux voix est adopté.
« (B) Frais de bureau et de déplacements. »
- Le ministre demande 52,000 fr.
La section centrale propose 50,000 fr.
Le chiffre de la section centrale est adopté.
« (C) Traitements des conducteurs et employés temporaires : fr. 111,000. »
La section centrale propose 100,000 fr.
M. de Puydt. - D’après les observations présentées par le ministre, je ne crois pas qu’on puisse faire de réduction sur son chiffre.
M. de Robaulx. - Y aurait-il moyen de restituer aux conducteurs ce qu’on leur a enlevé ? Je voudrais que le ministre indiquât lui-même la somme nécessaire pour rendre à ces malheureux leur traitement intégral. Je le demande dans l’intérêt de l’administration ; vous n’aurez pas des hommes fidèles si vous employez des hommes qui ne peuvent pas se procurer du pain.
M. Teichmann. - Il faudrait que les conducteurs eussent au moins 2,500 fr. ; il en est quelques-uns qui n’ont que 1,260 fr. Les soins de l’administration tendent à les faire passer successivement dans des classes plus élevées ; ceux de deuxième classe ont 800 florins, ceux de première classe ont 1,000 florins. Il faudrait une somme de 10,000 fr. pour les conducteurs de troisième classe.
M. de Robaulx. - La réduction de la section centrale ne peut porter que sur les conducteurs temporaires ; vous ne voulez pas réduire encore les autres conducteurs.
M. de Puydt. - La section centrale n’a demandé de réduction que sur les employés temporaires ; le ministre vient de déclarer que ces employés ne sont payés que pour le temps qu’ils travaillent ; la section centrale n’insiste pas.
M. Teichmann. - Avec 10,000 fr. il serait, je crois, impossible de donner 100 fl. à chaque conducteur.
M. de Brouckere. - L’honorable membre se trompe. Il y a 45 conducteurs ; avec 10,000 fr. vous aurez un excédant en donnant 200 fr. à chacun.
M. d’Huart. - Il faudrait savoir quel était le taux des traitements des conducteurs ? M. de Robaulx ne veut pas proposer une augmentation ; il veut remettre les choses en l’état où elles étaient.
M. Teichmann. - Les conducteurs de troisième classe avaient 700 fl.
M. de Brouckere. - Je crois que nous commettons une erreur. On dit que les aides conducteurs ne sont payés que quand ils travaillent ; le budget à la main, je trouve 32 aides conducteurs ; on demande 38,400 fr., ce qui fait exactement 1,200 fr. pour chacun. Voila des appointements pour toute l’année ; ainsi le ministre s’est trompé.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Les aides conducteurs peuvent travailler toute l’année.
M. de Brouckere. - Il fallait le dire à la section centrale. Cependant il est une partie de l’année où il est impossible de travailler sur le terrain. Je crois qu’en adoptant la proposition de M. de Robaulx, il faut voter 110,000 fr.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne pense pas avoir induit la section centrale en erreur. Les employés temporaires pouvant être occupés toute l’année 1834, il fallait dans cette prévision porter leurs traitements en entier au budget, Il est possible qu’il y ait économie sur le chiffre ; c’est un crédit de l’emploi duquel on rendra compte.
M. Gendebien. - Il n’est pas probable que les aides conducteurs soient occupés plus de 9 mois, ainsi il y a une réduction d’un quart à faire sur la somme de 38,400 fr. Je ne veux pas laisser au gouvernement la faculté de donner des gratifications au détriment du trésor ; je veux qu’on donne a chacun selon son travail, et pas au-delà,
Si les employés temporaires travaillent toute l’année, dites-le.
M. d’Huart. - Ils ne sont temporaires que de nom.
M. Teichmann. - Pour les travaux des polders il y a des employés temporaires.
Ils devaient être supprimés quand les travaux des digues seraient terminés ; mais par des circonstances imprévues ces travaux ont été prolongés au-delà du terme convenu ; si le ministre n’avait pas demandé le maximum du nombre des employés temporaires et le maximum du chiffre pour leur traitement, on n’aurait pas pu les payer. En faisant une réduction, c’est exposer le ministre à suspendre les travaux.
M. d’Huart. - Les employés temporaires ne le sont que de nom ; ils ne sont dits temporaires que parce que tous les ans ils reçoivent une nouvelle nomination, à la différence des conducteurs qui sont nommés définitivement.
M. Jullien. - Mettez-vous d’accord, dites-nous ce que c’est que des aides temporaires.
M. Teichmann. - je déclare à la chambre que les employés aux digues de l’Escaut n’ont commence leurs travaux que par les digues, et que leurs fonctions cesseront par l’achèvement des digues.
M. le président. - 9,000 fr. est l’augmentation que propose M. de Robaulx pour les conducteurs de troisième classe.
- Ce chiffre de 9,000 fr. est mis aux voix et adopté.
M. Gendebien. - On n’est pas d’accord sur le travail des employés temporaires ; qu’on s’explique. Il faut que la chambre sache sur quoi elle vote.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Un budget n’est qu’une prévision. On présume, au commencement d’un exercice, que l’employé temporaire travaillera toute l’année.
M. Dumont. - Les employés temporaires sont occupés pendant la durée de certains travaux ; si les travaux durent 2 ou 3 ans, ils sont occupes 2 ou 3 ans.
M. Gendebien. - C’est là l’objet d’un doute.
M. Pollénus. - Il faudrait que la section centrale examinât cette question.
M. Jullien. - On ne peut voter dans une telle situation ; il faut que l’on sache à quoi s’en tenir.
M. Teichmann. - Dans l’organisation des ponts et chaussées, il y a des ingénieurs et des conducteurs de travaux. Ces conducteurs sont nommés à vie, à moins qu’il en déméritent. Mais on a prévu que pour des circonstances spéciales il faudrait des aides. Le ministre ne peut en nommer qu’aux appointements de 400 florins ou 500 florins ; Les employés du waterstaat se sont jetés dans le génie civil ; on leur a donné le titre d’employés temporaires quoiqu’ils soient toujours attachés au corps. Enfin il y a des employés temporaires attachés à des ouvrages en confection.
M. le président. - 111,060 fr. est le chiffre du ministre.
- Ce chiffre mis aux voix est adopté.
M. Legrelle. - Je m’oppose à la réunion des paragraphes en un article.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je consens à la division.
- La séance est levée à cinq heures.