(Président de M. Raikem)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure moins un quart.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse communique à la chambre les pièces et réclamations qui lui sont adressées.
M. Van Hoobrouck. - Je demande la parole.
Messieurs, parmi les pétitions qui vous sont adressées, il en est une sur laquelle je dois appeler l’attention de la chambre ; c’est celle d’un cultivateur de la Flandre, qui se trouve dans la même position qu’un autre pétitionnaire dont j’ai eu l’honneur de faire connaître le singulier conflit avec l’administration des douanes.
Le cultivateur qui réclame aujourd’hui a eu l’heureuse idée de joindre à sa pétition une carte indiquant les limites du royaume et celles du territoire qui doit un jour être cédé à la Hollande d’après le traité, mais qui est encore occupé par nos troupes. Comme la simple inspection de cette carte suffira pour faire juger la réclamation du pétitionnaire, je prie la chambre de la renvoyer à la commission des pétitions avec prière de faire un rapport dans le plus bref délai possible. Cette carte sera encore d’une très grande importance, quand le ministre donnera des explications sur la pétition de même nature que vous lui avez renvoyée, ou quand je ferai à la chambre une proposition dans le but de faire cesser la position de tous ceux qui se trouvent dans le même cas que les pétitionnaires.
M. le président. - S’il n’ya pas d’opposition, cette pétition sera renvoyée à la commission avec invitation d’en faire un rapport dans le plus bref délai possible.
M. Gendebien. - J’ai reçu de Venloo une lettre par laquelle on me prie d’appuyer une pétition adressée depuis quelque temps à la chambre par le consistoire protestant, qui réclame une allocation au budget de l’intérieur. Je demande que cette pétition soit renvoyée à la section centrale afin qu’elle fasse un rapport, avant que la chambre n’ait à s’occuper du chapitre des cultes.
- Cette pétition est renvoyée à la section centrale. Les autres pièces adressées à la chambre sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. de Renesse communique à la chambre un message par lequel le sénat l’informe qu’il a adopté dans sa séance d’hier le budget des affaires étrangères et de la marine.
M. d’Huart. - Je demande la parole. Messieurs, chacun de vous a sans doute entendu parler des événements qui se passent dans le Luxembourg.
- Plusieurs membres. - Les ministres ne sont pas présents ! les ministres ne sont pas présents !
M. d’Huart. - Les observations qu’on m’adresse me font croire que chacun de vous connaît les faits dont il s’agit.
Il nous importe de savoir les mesures que le gouvernement se propose de prendre dans des circonstances aussi graves. Elles sont même d’une telle gravité que les ministres n’auraient pas dû se faire attendre et auraient dû se trouver ici dès l’ouverture de la séance. Le ministère aurait même pu nous donner communication des faits dès hier, car hier, à 7 heures du matin, les faits lui étaient connus. Nous ne sommes pas moins intéressés que le gouvernement à connaître les actes qui peuvent compromettre la dignité de la Belgique et l’intégrité de notre territoire, pour aviser, en ce qui nous concerne, aux mesures qu’il convient de prendre.
M. le président. - M. d’Huart propose à la chambre de requérir la présence des ministres.
M. d’Huart. - Je demande qu’on requière principalement la présence des ministres de la guerre et des affaires étrangères.
Les ministres ne devraient pas se faire requérir pour un sujet si important qui leur est connu depuis hier matin. Ils auraient dû prévenir notre demande.
- MM. les ministres de l’intérieur et des affaires étrangères ad interim entrent dans le sein de la chambre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Je viens d’apprendre ce dont il s’agit. Je ferai observer que cette affaire n’est pas encore éclaircie. (Vives exclamations.)
Je ne suis pas habitué à parler au milieu des interruptions ; si on ne veut pas m’écouter, je m’assiérai.
M. d’Huart. - Nous ne pouvons pas admettre une semblable excuse, quand les faits sont à la connaissance de tout le monde. Il s’agit de savoir ce que le gouvernement doit faire ; il s’agit de savoir si en présence de pareils faits, les ministres doivent rester au pouvoir.
M. Dumortier. - Il ne s’agit pas ici d’éclaircissements ; toute la question réside dans ceci : Le fait est-il vrai, oui ou non ? voilà toute la question. S’il est vrai que les soldats de la confédération germanique aient envahi notre territoire, enfoncé la porte d’un citoyen, d’un fonctionnaire belge, et l’aient entraîné dans la forteresse, il n’y a pas à délibérer, nous devons nous hâter de prendre les mesures que nous prescrivent l’honneur et la dignité du pays. Les ministres doivent nous donner des explications sur ce fait. Comme ils ne sont pas tous présents, la chambre, en vertu de la constitution, peut et doit les requérir de se rendre immédiatement dans le sein de l’assemblée.
J’appuie la motion faite à ce sujet par l’honorable M. d’Huart.
M. Gendebien. - J’appuie ce que viennent de dire les honorables MM. d’Huart et Dumortier. Les ministres n’ont aucune excuse à alléguer pour ne pas répondre aux interpellations qu’on se propose de leur adresser. Ils ne peuvent pas dire qu’ils ne connaissent pas bien l’affaire, car ce serait s’accuser que d’alléguer un pareil prétexte. Le fait a été consommé le 15 à 11 heures du soir ; on a pu l’apprendre au ministère depuis 48 heures.
Je demande que le ministère tout entier soit appelé ici, pour donner des explications. C’est une affaire pour laquelle il doit y avoir solidarité entre les membres du cabinet.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Je prendrai la parole quand on voudra me laisser parler. Je ne suis pas accoutumé à parler au milieu d’un tumulte qui empêche de s’entendre. (Parlez ! parlez !)
Il n’est pas possible que tous les ministres se rendent dans le sein de la chambre. Le ministre de la justice est malade depuis trois jours ; je vous donne l’assurance qu’il est dans l’impossibilité de quitter sa chambre. J’ai été le voir moi-même ce matin.
Quant à l’affaire dont il s’agit, les renseignements qui sont parvenus à MM. Gendebien et d’Huart peuvent bien être l’objet d’une conversation dans un salon, mais ils ne sont pas suffisants pour qu’un ministre s’en explique immédiatement. Quand je serai catégoriquement informé de tous les faits, je présenterai un rapport à la chambre. C’est ainsi qu’un ministre prudent doit procéder, surtout quand il s’agit de faits relatifs aux affaires étrangères. On ne parle pas devant une assemblée aussi respectable, et quand les paroles doivent avoir du retentissement au-dehors, on ne parle pas, dis-je, sans être parfaitement au courant des faits, sans être à même de donner des explications claires et précises. Demain, je donnerai des explications sur les faits dont j’aurai eu une connaissance exacte.
Je déclare que je ne me laisserai pas forcer la main. J’abandonnerais le banc des ministres plutôt que de m’expliquer sur des faits, quand je ne crois pas convenable de le faire. Je tiens à servir mon pays, mais je ne ferai jamais de démarches que je croirai contraires à ses intérêts.
M. de Brouckere. - M. de Mérode ne sait quelles sont les interpellations qu’on se propose d’adresser aux ministres. Quand les autres ministres se seront rendus dans l’assemblée et que les interpellations auront été adressées, les ministres verront ce qu’ils auront à faire. Il est bien entendu, dans la proposition de M. d’Huart, de requérir la présence de tous les ministres, ou d’excepter ceux qui seraient dans l’impossibilité de se rendre à la réquisition de la chambre. La seule question que nous ayons à décider en ce moment, c’est celle de savoir si la chambre requerra les ministres qui ne sont pas présents de se rendre dans son sein. Les ministres présents auraient mauvaise grâce à s’opposer à ce qu’on appelât leurs collègues dans une circonstance aussi grave. J’appuie donc la motion. Quand les ministres se seront rendus dans le sein de la chambre, on verra ce qu’on aura à faire.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Je ne vois pas l’utilité d’appeler les autres ministres dans le sein de la chambre. Les ministres que vous appellerez ne feront pas autre chose que moi. Un ministre ne viendra pas parler dans un sens, quand un autre ministre aura parlé dans un sens différent. Je m’oppose à ce qu’on donne des explications sur les faits dont il s’agit avant qu’on puisse les donner d’une manière claire et précise.
Le ministre de la guerre ne vous dira pas autre chose.
M. Jullien. - Il ne s’agit pas de savoir si MM. les ministres répondront aujourd’hui ou demain aux interpellations qu’on se propose de leur adresser. Il s’agit de savoir si, quand la chambre use de sa prérogative de requérir la présence de tous les ministres dans son sein, les ministres doivent s’y rendre. Le ministre de l’intérieur pas plus que le ministre des affaires étrangères n’a le droit de s’opposer à l’exercice de cette prérogative, il doivent la subir. S’ils n’étaient pas dans la chambre, ils devraient s’y rendre quand ils y seraient appelés.
L’objet est assez grave pour ne pas ouvrir une discussion sans avoir reçu toutes les explications qu’on peut nous donner.
Je crois que le ministre de la guerre peut avoir reçu des renseignements : c’est à lui que les rapports ont dû être adressés ; il s’agit du rayon stratégique du Luxembourg et d’opérations militaires exécutées par la garnison de la forteresse, on a dû lui en rendre compte. Si on l’a fait, il pourra nous communiquer les renseignements qu’il a reçus.
Pour terminer la discussion, je demande qu’on mette aux voix la question de savoir si on requerra la présence des ministres, en exceptant ceux que leur santé mettrait dans l’impossibilité de déférer à la réquisition de la chambre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Il me semble qu’on peut avoir assez de confiance dans mes paroles pour attendre jusqu’à demain.
- Plusieurs voix. - Il est impossible d’attendre !
M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Il me semble que vous avez assez d’occupations…
M. d’Huart. - On laisse tout de côté quand il s’agit de l’honneur et peut-être de l’existence du pays.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Si vous voulez faire venir les ministres pour passer le temps, vous avez raison ; mais si c’est pour arriver à un but, je dois vous prévenir que ce but ne sera pas atteint. Il est impossible que les autres ministres donnent des explications, quand j’ai déclaré qu’on ne pouvait pas en donner. Si c’est pour les rendre témoins de l’interpellation qu’on veut nous adresser, c’est encore inutile, car ils en auront connaissance par le Moniteur.
Je répète donc que la réponse ne pouvant pas être donnée aujourd’hui, il ne peut résulter qu’une perte de temps de les requérir de se rendre dans le sein de l’assemblée.
M. d’Hoffschmidt. - Je ne conçois pas que quand on enlève nos concitoyens sur notre territoire, le gouvernement vienne remettre au lendemain pour s’expliquer ; c’était hier, après avoir reçu la dépêche qui l’informait des faits (et à sept heures du matin elle lui était parvenue), c’était hier, dis-je, que le gouvernement devait nous faire des communications. Les faits sont avérés, je puis les attester sans craindre de compromettre ma parole ; car les lettres qui m’en informent sont écrites par des personnes sur le témoignage desquelles on ne peut élever aucun doute. Après nous avoir fait subir cent humiliations, on nous remet à demain pour nous donner des explications sur une humiliation nouvelle.
Il est temps de mettre un terme à la longanimité, et j’espère que la chambre se montrera digne de la nation.
Les ministres sont sans énergie, et partout, dans les fonctions publiques, ils placent des hommes qui leur ressemblent. Si nous avions encore eu pour gouverneur militaire de la province le général Buzen, il eût usé de représailles, et la violation de notre territoire, si elle eût eu lieu, ne fût pas restée impunie. Si on laisse au pouvoir des hommes aussi faibles que ceux qui s’y trouvent en ce moment, ce ne sera pas seulement aux environs du rayon stratégique, mais au milieu du pays que nos ennemis viendront nous saisir. Je demande que les ministres soient requis de se rendre dans le sein de l’assemblée et de s’expliquer aujourd’hui.
Je ne peux pas en dire davantage ; la parole me manque, tant je suis exaspéré de la conduite du gouvernement.
- La chambre consultée décide à la presque unanimité que les ministres seront requis au nom de l’assemblée de se rendre dans son sein.
M. Dumortier. - Au milieu de préoccupations si graves, il est impossible que nous nous occupions maintenant du budget ; je demande que la séance soit suspendue jusqu’à ce que les ministres se soient rendus dans le sein de l’assemblée.
- Après une demi-heure de suspension, la séance est reprise.
M. d’Huart. - Je demande la parole.
- Plusieurs voix. - M. le ministre des affaires étrangères n’est pas là.
M. d’Huart. - La chambre a requis les ministres de se rendre dans son sein.
Je ne pense pas qu’on puisse les faire amener par les gendarmes. La nation saura que le ministre des affaires étrangères n’a pas cru devoir déférer à la réquisition de la chambre.
M. de Robaulx. - Attendez, il va peut-être venir.
M. le président. - Des lettres ont été adressées à tous les ministres, ainsi que la chambre l’avait décidé.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Le ministre des affaires étrangères va venir. Il n’a aucune raison pour ne pas déférer au vœu de la chambre.
- M. le ministre des affaires étrangères vient prendre place à son banc.
M. d’Huart. - je demande à continuer.
Voici les questions que je propose à la chambre d’adresser à MM. les ministres :
« Est-il vrai que dans la nuit du samedi 13 de ce mois, les troupes de la confédération germanique sont sorties de la forteresse de Luxembourg et ont été enlever avec violence le sieur Hanno, commissaire de district, dans son domicile à Bettembourg ? »
« Quel est le motif ou le prétexte de cet acte de violence ? »
« Quelles sont les mesures que le gouvernement avait prises pour faire exécuter les ordres qu’il avait donnés dans le Luxembourg, relativement à la milice et à l’exploitation des coupes de la forêt de Grundwald ? »
« Quelles sont les mesures que le gouvernement a déjà prises ou se propose de prendre pour faire respecter l’honneur national et l’intégrité du territoire ? »
Voilà les questions que j’ai posées par écrit, et que je vais déposer sur le bureau.
M. le président donne lecture de la proposition de M. d’Huart.
- La chambre consultée décide à l’unanimité, moins quatre ou cinq membres, que les questions posées par M. d’Huart seront adressées aux ministres.
M. le président. - En conséquence, MM. les ministres sont invités à répondre aux interpellations contenues dans la proposition de M. d’Huart, dont il vient d’être donné lecture.
- M. le président fait passer la proposition de M. d’Huart à MM. les ministres.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) - Messieurs, hier, dans la matinée, j’ai reçu du générai Tabor, commandant militaire de la province de Luxembourg, une estafette m’annonçant que, dans la nuit du 15 au 16 courant, un détachement des troupes de la confédération germanique, en garnison dans la forteresse, s’était porté à Bettembourg, résidence du commissaire de district de la province de Luxembourg, et avait enlevé ce fonctionnaire.
Bettembourg est à trois quarts de lieue au-delà du rayon stratégique, déterminé par la convention arrêtée le 20 mai 1831, entre le commandant militaire de la forteresse et le prince de Hesse-Hombourg et le général Goethals, alors gouverneur de la province. Conséquemment les troupes de la confédération ont dépassé le rayon stratégique dans lequel le commandant de la forteresse avait promis d’enfermer ses opérations militaires.
Le général Tabor m’annonce qu’aussitôt qu’il eût appris que M. le commissaire de district avait été enlevé par une troupe armée et conduit dans la forteresse du Luxembourg, il s’est concerté avec le gouverneur civil et a envoyé sur les lieux pour prendre des renseignements précis sur les faits. Il m’annonce en même temps qu’il a demandé au général Dumoulin, commandant par interim de la forteresse, les motifs ou le prétexte d’une arrestation aussi illégale.
J’ai reçu de nouveaux renseignements sur l’expédition prussienne et l’enlèvement de M. Hanno. J’ai remis ces documents à M. le ministre des affaires étrangères qui s’occupe d’un rapport qu’il doit faire incessamment à la chambre sur la levée de la milice dans la province de Luxembourg, l’incident, dont il s’agit, se rattachant à la discussion qui eut lieu dans cette enceinte à l’occasion des opérations relatives à la milice.
D’après les premiers renseignements qui m’ont été transmis, c’est à cause de la levée de la milice que le général Dumoulin s’est porté à des actes de violence envers le commissaire de district, le sieur Hanno.
Je sais que M. le ministre des affaires étrangères s’occupe d’un rapport sur cette affaire, c’est lui qui vous rendra compte des détails de cet acte de violence et des mesures que le gouvernement se propose de prendre pour obtenir la mise en liberté du fonctionnaire arrêté, et obtenir satisfaction d’un acte aussi révoltant.
Quant aux mesures prises ou à prendre par le gouvernement, relativement à l’exploitation des coupes de la forêt de Grunwald, la réponse sera également donnée dans le rapport du ministre des affaires étrangères. Enfin, quant à la dernière question, celle relative aux mesures prises, ou qu’on se propose, pour faire respecter l’honneur national et l’intégrité de notre territoire, nous avons pensé qu’avant de prendre des mesures, il fallait être bien informé des détails de l’affaire. Le général Tabor m’a promis de nouveaux renseignements plus précis. Quand nous les aurons reçus, le conseil des ministres décidera les mesures qu’il croira devoir prendre.
M. Dumortier. - Messieurs, il n’est personne de nous qui n’ait été saisi de la plus vive indignation en apprenant les faits qui viennent de se passer dans la province du Luxembourg. Plusieurs de nous s’attendaient et pouvaient s’attendre à quelques actes de violence de la part de la garnison de Luxembourg par suite de la mollesse qu’avait montrée le gouvernement dans ses rapports avec la confédération germanique. Cependant il était difficile de croire que ses troupes auraient osé se porter à une violation aussi scandaleuse du droit des gens. La question dont il s’agit n’est pas de peu de portée, elle va beaucoup plus loin qu’on ne peut l’imaginer au premier abord. Il s’agit de savoir si le Luxembourg appartient encore à la Belgique, ou si nous avons abandonné cette province à nos ennemis, si c’est à la confédération germanique qu'elle est soumise.
Lors de la convention du 21 mai, on inséra un article additionnel qui stipulait des réserves en faveur de la Hollande.
Dès lors nous avons pu prévoir que tôt ou tard le Luxembourg tout entier nous échapperait. Je le dis avec le sentiment profond de la douleur, ce qui se passe dans ce moment est à mon avis l’avant-coureur d’événements graves qui nous menacent. Il importe donc que, dans une pareille circonstance, la nation entière déploie toute l’énergie dont elle est capable, afin que les souverains assemblés au congrès de Vienne et qui ont juré notre perte sachent bien que la nation belge n’est pas disposée à souffrir plus longtemps les affronts qu’on lui prodigue, et à avaler la coupe de l’humiliation jusqu’à la lie.
En présence des circonstances graves où nous nous trouvons, le gouvernement a de grands devoirs à remplir ; mais la chambre n’en a pas de moins impérieux, et ce serait trahir notre mandat que de reculer devant des événements qui peuvent avoir les conséquences les plus funestes.
Quand nous avons demandé aux ministres des explications sur la situation politique du Luxembourg, ils ont répondu que, relativement aux faits dont il était question alors, le gouvernement en avait appelé à ceux qui s’étaient constitués nos juges. La Belgique, messieurs, n’a pas de juges, mais des maîtres, par suite de la mollesse que le gouvernement a apportée dans toutes nos relations avec nos ennemis.
Si le ministère avait pris l’attitude qui convient à un peuple qui a su faire sa révolution en quatre jours, et conquérir sa liberté par la force des armes, nous serions respectés, et lors de la convention de Zonhoven, on n’aurait pas laissé nos ennemis se prévaloir de toutes nos fautes. Tout ce qui s’est passé depuis que nous avons laissé à des étrangers le soin de régler nos affaires, prouve que nous avons en eux non pas des juges, mais des maîtres. Si pour les faits qui viennent de s’accomplir nous en référons encore à ceux qui se sont constitués nos maîtres, nous subirons de nouvelles humiliations, sans savoir où elles nous conduiront.
Dans une situation aussi grave le devoir de la représentation nationale est d’appuyer fortement les mesures que le gouvernement prendra. Il faut que ces mesures soient des plus énergiques, afin que les puissances même les plus hostiles apprennent que nous ne sommes pas tellement abaissés que nous ne puissions encore défendre nous-mêmes notre honneur et notre indépendance. Si la marche du gouvernement ne nous paraît pas assez ferme, c’est à nous à lui imprimer le mouvement que les circonstances commandent.
Quel a été, jusqu’à présent le système du gouvernement ? Un système de notes écrites humblement envoyées à la conférence, à ceux qui se sont constitués nos juges et nos maîtres.
Ce n’est pas par des notes et des contre-notes que se font les révolutions. Les révolutions commencent par le fer et se terminent par le fer. Voilà comment il fallait terminer cette révolution glorieuse ! Si on l’eût fait, notre indépendance ne serait pas attaquée aujourd’hui. Si on ne voulait pas recourir à ce moyen extrême, il fallait prendre une attitude digne d’un peuple libre, et je ne doute que cela eût suffi ; mais ce n’est pas en mendiant l’appui des étrangers que nous ferons respecter la dignité du pays et l’intégrité de notre territoire, Quand on a reconquis ses droits par la force, c’est par la force qu’on les défend. Nous avons fait notre révolution par les baïonnettes, ce n’est que par les baïonnettes qu’on pourra nous la ravir.
Le gouvernement ne doit donc pas se borner à de simples notes écrites, ce n’est pas ainsi que des nations qui se respectent repoussent une violation de leur territoire.
Quand les Gaulois assiégeaient Rome, les Romains vendaient les terres sur lesquelles les Gaulois étaient campés, et vous, vous n’osez pas vendre les forêts sous lesquelles viennent s’abriter des Prussiens.
Je le répète, vous ne parviendrez à vous faire respecter qu’en prenant des mesures énergiques. Je demande que le ministres s’explique : si c’est par actes ou par des écrits, qu’il se prépare de repousser les violences de la confédération germanique. Si c’est par des actes, je lui donnerai tout mon appui ; mais si c’est encore avec des chiffons de papier qu’il entend terminer cette affaire, je proposerai à la chambre de faire une adresse au Roi, afin de donner au gouvernement l’impulsion énergique que commande la gravité des événements, si l’on ne veut pas compromettre l’avenir de la patrie.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, vous aurez trouvé comme moi sans doute que la réponse des ministres est loin d’être satisfaisante, et qu’elle élude les questions posées par mon honorable ami M. d’Huart. Remarquez, messieurs, la tranquillité des ministres. Il s’agit du rapt d’un de nos concitoyens, et ils demeurent froids et impassibles ! Ils viennent vous dire qu’un rapport vous sera présenté demain à ce sujet par le ministre des affaires étrangères. D’abord, quand il s’agit de la dignité du pays, on ne doit pas remettre la réponse au lendemain ; c’est aujourd’hui, aujourd’hui même qu’il faut la faire. Quand il s’agit d’une question qui touche à l’honneur national, ce n’est pas par un rapport qu’on répond, c’est par des mesures de représailles.
Si, au lieu de demander des explications au général Dumoulin sur ce qu’il a fait enlever par la violence un fonctionnaire belge, comme si un pareil acte pouvait s’expliquer, le général Tabor avait à son tour fait enlever un fonctionnaire prussien, déjà le commissaire de district de Luxembourg nous aurait été rendu, et de pareilles violences ne se renouvelleraient plus. On vous enlève un fonctionnaire, vous en enlever un autre, voilà la marche qu’on suit, et on n’attend pas des explications de la part des ennemis de la Belgique.
Mais vous craignez la guerre générale ? Et cette crainte arrête-t-elle la Prusse dans ses violences ? La Prusse, messieurs, craint la guerre générale plus que nous ; mais elle s’enhardit en voyant notre attitude pusillanime, et après ce qu’elle vient de faire nous pouvons nous attendre à la voir envahir non seulement le rayon stratégique, mais bientôt toute la province.
Quant à nous, messieurs, habitants du Grand-Duché, nous sommes indignés et nous perdons tout espoir. Qu’est-il arrivé après l’adoption des 24 articles ? Croyez-vous qu’on a cherché à ranimer le courage de ces populations qu’on venait de céder à leurs ennemis ? Au lieu de cela, messieurs, on les a désarmés. On leur a dit : Rendez-nous vos armes, afin qu’on puisse vous égorger plus facilement.
Messieurs, puisque nous en sommes sur la garde civique, qu’il me soit permis de protester contre ce qu’a avancé, dans une de nos dernières séances, M. le ministre de la justice, relativement à la suspension des levées de la milice dans la partie du territoire qu’on appelle cédé ; il a dit qu’il ne s’était élevé à ce sujet aucune réclamation. Il y a eu sur ce point des pétitions adressées à cette assemblée même, et le 7 juillet 1832, comme il avait été question de suspendre les levées, je réclamai au nom de la province que je représente. Permettez-moi de vous lire ce que je disais alors :
« Malgré l’évidence d’une guerre prochaine qui anéantira les 24 articles et les protocoles, le gouvernement paraît vouloir continuer à considérer les Luxembourgeois et les Limbourgeois comme étrangers à la cause que nous allons défendre sur le champ de bataille, puisqu’il ne veut, à ce qu’on m’a assuré très positivement, faire aucune levée d’hommes dans ces parties de la Belgique qui ont intérêt plus que le reste encore à ce que nous soyons assez forts pour être entièrement assurés de la victoire.
« Les Luxembourgeois surtout, messieurs, ont, outre l’intérêt général qui anime tous les Belges, un motif de plus pour désirer d’en venir aux mains avec nos ennemis. N’est-ce pas sur leur territoire, sous leurs yeux, qu’a été enlevé le malheureux M. Thorn, leur concitoyen, leur gouverneur, leur sénateur ?
« Oui, messieurs, cet outrage fait à la nation entière est encore plus vivement senti dans ma province que partout ailleurs, et nous ne cesserons pas d’en réclamer une réparation éclatante, jusqu’à ce que nous l’ayons obtenue. Cependant, puisque le gouvernement prend dans ce moment des mesures énergiques qui ne laissent aucun doute sur le changement de système qu’il a adopté, je ne lui adresserai aucune nouvelle interpellation à cet égard. Je me bornerai à demander à MM. les ministres s’il est vrai qu’ils ont décidé, comme cela a eu lieu pour la dernière levée de la milice, que les parties du Luxembourg et du Limbourg qui avaient été cédées par les 24 articles, ne seront pas appelées à fournir leurs contingents dans la levée des trente mille hommes qui va avoir lieu, et, dans le cas de l’affirmative, quels sont les motifs de cette décision qui ne serait propre qu’à décourager entièrement les Belges qui, malgré leur position particulière, ont conservé l’espoir que la diplomatie ne leur ôterait pas la liberté qu’ils ont acquise au prix de leur sang ; car, messieurs, ne perdez pas de vue que ce sont les mêmes Luxembourgeois qui ont si vaillamment combattu à Walhem et à Berchem. »
Voici ce que me répondit M. le ministre de l’intérieur (c’était alors l’honorable M. de Theux) :
« Messieurs, j’applaudis au dévouement du député du Luxembourg, et je dois lui déclarer que, loin que le gouvernement ait résolu de ne pas faire les opérations relatives à la levée des hommes pour composer l’armée de réserve dans les provinces du Luxembourg et du Limbourg qui devraient être cédées en vertu du traité des 24 articles, il a décidé au contraire que ces provinces sont comprises en entier dans les répartitions, et que les opérations concernant la levée auront lieu dans ces contrées comme ailleurs. »
En effet, ces opérations se sont faites alors dans le Luxembourg comme dans les autres provinces. Ce n’est que depuis que le gouvernement a voulu exempter du service militaire les habitants du Luxembourg. En vertu de quelle loi le gouvernement accorde-t-il cette exemption ? Il ne peut exempter un seul homme que la loi à la main, et il a exempté un grand nombre d’habitants. Il n’a pu le faire qu’en surchargeant le contingent des autres provinces, qu’en violant la loi du contingent qui a été votée par les chambres. Il devait faire les levées dans le Luxembourg, comme dans les autres provinces, et ne pas jeter le découragement dans cette partie de la population qui est belge malgré le traité des 24 articles que je considère maintenant comme un chiffon de papier, puisqu’il n’a pas été accepté.
Je vous ai parlé de pétitions ; en voici une qui a été adressée à la chambre. Permettez-moi de vous en lire l’analyse, ainsi que les motifs par lesquels la chambre a conclu à l’ordre du jour :
« La dame Catherine Carl, à Jungluister (Grand-Duché), demande que la chambre avise aux moyens de faire cesser toute recherche et arrestation des miliciens réfractaires habitant les deux parties du territoire belge cédées à la Hollande par le traité du 15 novembre 1831.
« La commission conclut à l’ordre du jour, par le motif que les territoires cédés par le traité des 24 articles continuent à faire partie de la Belgique jusqu’à ce traité soit exécuté, et jusque-là les habitants de ces territoires doivent se soumettre aux lois du pays. »
Voilà comment la chambre a décidé la question. Et maintenant on ne lève la milice ni dans le rayon stratégique, ni dans le reste du Luxembourg allemand. On devait la lever même dans le rayon stratégique. Car cette partie du territoire nous appartient ; vous en avez l’administration, vous y levez des contributions.
Vous n’êtes pas, ministres du Roi, conséquents dans vos actes ; d’un côté vous suspendez les levées dans le Luxembourg, parce qu’on vous menace ; de l’autre vous retenez dans les rangs de l’armée les classes de 1826 et 1827, qui appartiennent à cette même partie de la province. C’est une étrange anomalie ! Ici des Luxembourgeois qui servent sous le drapeau belge et qui lui sont fidèles ; là, leurs frères, à qui vous mettez le découragement dans l’âme. D’un côté ils combattent pour vous, de l’autre vous ne voulez plus d’eux.
Si je revenais aux 24 articles qu’on n’a pas craint de qualifier de droit public de la Belgique, je dirais aux ministres : N’invoquez pas ce traité, attendez qu’on vous offre quelque chose de plus mauvais encore, si cela se peut, et alors vous pourrez adhérer à ce traité infâme et déshonorant.
Que les ministres, que les orateurs qui ont invoqué ce traité comme le droit public du pays, pensent à ceux de leurs concitoyens qui sont par ce traité livrés à leurs bourreaux…
Je demande pardon à la chambre, de ce que je lui parle avec ce ton de l’indignation dans la voix ; mais, habitant du Luxembourg, il m’est impossible de maîtriser mon émotion. Je pense, d’ailleurs, que la chambre n’est pas étrangère à ce sentiment. Je m’arrête ; je ne puis en dire davantage.
M. le président. - Je vais donner lecture à la chambre d’une lettre que je viens de recevoir de M. le ministre de la justice :
« Monsieur le président,
« Retenu chez moi, depuis samedi soir, par une indisposition qui ne me permet pas encore de quitter la chambre, j’ai l’honneur de vous informer qu’il m’est impossible de satisfaire à la demande que vous venez de m’adresser.
« Je vous prie, M. le président, d’en témoigner mes regrets à la chambre et d’agréer, etc.
« Bruxelles, le 18 février 1834
« Le ministre de la justice, Lebeau. »
M. Gendebien. - Je demanderai d’abord si aucun des ministres ne se sent le courage de répondre plus catégoriquement aux questions qui ont été nettement posées par l’honorable M. d’Huart.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne sais, messieurs, ce qu’a à faire le courage avec le silence que les ministres peuvent juger convenable de garder. Il ne faut pas grand courage pour répondre à des interpellations. Si nous ne l’avons pas fait encore, c’est que nous n’avons pas cru que ce fût utile. Nous ne pensons pas d’ailleurs que personne ici puisse avoir la prétention de nous faire parler contre notre gré.
Mon collègue, M. le ministre de la guerre, a répondu à la première question. Il a dit qu’il est vrai que, dans la nuit du samedi 13 de ce mois, les troupes de la confédération germanique sont sorties de la forteresse de Luxembourg, et ont été enlever avec violence le sieur Hanno, commissaire de district, dans son domicile de Bettembourg.
Quant au motif ou au prétexte de cet acte de violence, nous ne le connaissons que par des renseignements généraux et pas d’une manière assez précise pour en rendre compte officiellement à la chambre. Toutefois, si la chambre, pressée qu’elle est, ne nous donne pas le temps de recueillir de nouveaux renseignements, je puis dire, dès aujourd’hui, que la violence dont il est question a eu pour prétexte la circonstance suivante :
Vous vous rappelez, messieurs, que dans une dernière séance il a été question de la levée de la milice dans la partie allemande de la province du Luxembourg. Le gouvernement a expliqué comment, après avoir prescrit la levée de la milice dans la partie allemande de la province du Luxembourg, y compris le rayon stratégique, il s’est déterminé à faire, quant au rayon stratégique, une exception provisoire.
Plusieurs honorables membres de l’assemblée ont en effet reconnu que le rayon stratégique se trouvait dans une position particulière qui pouvait justifier cette suspension. Il a été donne connaissance à l’assemblée d’une sorte d’arrangement militaire passé entre le général Goethals, commandant la province au nom du gouvernement belge, et le prince de Hesse-Hombourg, commandant la forteresse pour la confédération germanique, arrangement par suite duquel aucune opération militaire ne pouvait avoir lieu dans toute l’étendue du rayon stratégique. Le gouvernement belge n’a pas considéré comme opération militaire une levée de milice qui n’était pas suivie de son incorporation. Il n’en a pas été de même de la part du commandant de la forteresse ; il a prétendu voir dans cette mesure administrative une opération militaire.
Dans l’incertitude sur la manière dont devaient être interprétées les expressions de l’arrangement militaire, le gouvernement belge a cru que la prudence et la loyauté lui commandaient de s’abstenir. Voilà ce qui explique comment les ordres qu’il avait primitivement donnés, n’ont pas reçu leur exécution dans le rayon stratégique. Hors du rayon, le tirage a continué.
Il paraît que le commandant de la forteresse a appris que des affiches concernant la levée de la milice se trouvaient dans des communes du rayon ; cette publication n’était pas conforme à la lettre du général Tabor, qui lui avait annonce que les opérations du tirage seraient suspendues dans le rayon.
Le général Dumoulin, commandant par interim la forteresse, s’est cru d’après cela autorisé à réaliser les menaces qu’il avait faites et les a réalisées par un acte que je ne veux point qualifier. Il a porté ses troupes au-delà du rayon convenu, et elles ont été saisir violemment dans son domicile un fonctionnaire belge.
On demande quelles sont les mesures que le gouvernement a déjà prises ou se propose de prendre à cette occasion. Le gouvernement a pensé qu’il y aurait de l’imprudence à se décider précipitamment en obéissant à ses premières impulsions. Mais si nos impressions ne se manifestent pas par des paroles brillantes, croyez, messieurs, qu’elles n’en sont pas moins profondes ; croyez qu’elles sont aussi vives que chez quelque membre que ce soit de cette assemblée.
On nous reproche notre impassibilité : mais dans des circonstances graves, ne reprocherait-on pas avec plus de raison aux ministres, de ne pas garder le sang-froid nécessaire pour délibérer ? C’est pour délibérer aussi qui sommes dans cette assemblée, et non pour pousser des cris de guerre. On nous a conseillé d’aller dire à la conférence que la révolution belge a commencé par le fer et qu’elle doit finir par le fer ; que nous devions défendre par les baïonnettes la liberté que nous avons conquise par des baïonnettes. Ce sont là des phrases plus ou moins brillantes, qui peuvent avoir plus ou moins de popularité ; mais un gouvernement, quels que soient ses sentiments, ne peut, à la légère, s’associer à de tels élans. Nous comprenons cette exaltation ; mais nous croirions manquer à nos devoirs en la partageant au sein d’une assemblée délibérante.
M. de Puydt. - Messieurs, ce n’est pas la première fois qu’on invoque la convention militaire de 1831 comme interdisant d’autres opérations que les mouvements militaires, et qu’on insinue que le rayon stratégique n’avait pas de limites déterminées et que le commandant militaire de la forteresse pouvait les étendre suivant son caprice. Je désire, messieurs, vous donner sur ces points quelques explications.
Toute forteresse, quelle que soit sa position, a un rayon kilométrique dans l’étendue duquel il est défendu de faire une construction qui pourrait nuire à la défense de la place. Indépendamment de ce rayon qui est ordinairement de 2,000 mètres à partir des glacis de la place, il y a pour une forteresse, lorsqu’elle est située dans un pays étranger, un rayon stratégique d’une étendue de 2 ou 3 lieues, et dont les limites sont déterminées par un traité.
Telle est la position de la forteresse de Luxembourg. La confédération germanique a déterminé l’étendue du rayon. En vertu du traité, elle peut envoyer dans ce rayon des patrouilles pour protéger les approchés de la place, éviter les surprises, et empêcher les rassemblements de troupes qui pourraient emporter la place d’emblée.
Indépendamment de cette faculté, le gouverneur du Luxembourg n’a aucun droit sur le territoire ; aucune juridiction à exercer, aucune haute prérogative. Telle était la situation de la forteresse, au moment où a éclaté notre révolution. Au commencement de 1831 on contesta au gouvernement belge ses droits dans le rayon stratégique. On envoya alors un militaire, homme actif, d’un esprit ferme et énergique, le général Buzen, qui sut bientôt faire respecter les droits de la Belgique par le commandant même de la forteresse.
Dès les premiers jours du commandement du général Buzen, le commandant de la forteresse, voulut empêcher les gendarmes belges de passer sur les glacis. Un gendarme ne voulut pas déférer à cet ordre, il fut arrêté ; le général Buzen signifia aussitôt au commandant militaire de la forteresse, que si dans les 24 heures, il n’avait pas rendu le gendarme qu’il avait fait arrêter, il le rendrait responsable des événements. Le gendarme fut rendu dans les 24 heures. (Applaudissements dans l’assemblée et dans les tribunes.)
A partir de ce jour-là, les droits de la Belgique furent constamment respectés dans toute l’étendue du rayon stratégique ; nos opérations militaires se firent sans opposition de la part de la Prusse, à telles enseignes que le conseil pour la levée de la milice a siégé non pas seulement dans le rayon stratégique, mais même dans le rayon kilométrique et à 1,500 mètres des glacis de la forteresse ; jamais aucune réclamation ne s’est élevée à ce sujet.
Peu de temps après, le gouvernement belge apprit que la garnison de la forteresse du Luxembourg était renouvelée, que les troupes de diverses principautés de l’Allemagne y remplaçaient les troupes prussiennes. L’inquiétude se répandit dans la province du Luxembourg. On craignait une invasion de la part de la confédération germanique. On envoya alors dans la province le 7ème régiment de ligne et 10 bataillons de tirailleurs. Les troupes furent échelonnées dans la province. Plusieurs bataillons de volontaires furent même cantonnés dans l’étendue du rayon stratégique. Ces mouvements militaires donnèrent de l’inquiétude au commandant militaire de la forteresse. Il envoyait des patrouilles dans l’étendue du rayon pour protéger les approches de la place. Un conflit s’éleva entre l’une de ces patrouilles et un détachement belge. C’est à cette occasion et le 20 mai 1831 qu’il fut arrêté entre le général belge et le commandant de la forteresse qu’aucune opération militaire n’aurait lieu dans l’étendue du rayon stratégique.
Dans l’esprit de cette convention, ces mots, « opérations militaires », ne pouvaient s’appliquer qu’à des mouvements de troupes ; parce que c’était des mouvements de troupes qui avaient donné lieu à cette convention. Pendant tout le temps que le général Buzen a conservé le commandement militaire de la province, la convention a été respectée de part et d’autre, et le commandant de la forteresse ne songea pas à interdire au gouvernement belge la levée de la milice.
Mais le général Buzen fut remplacé et remplacé par un officier plus faible, un homme pusillanime, pour me servir de l’expression de l’un des honorables préopinants. C’est après ce changement que, soit prétention nouvelle de la Prusse, soit faiblesse du nouveau général, soit plutôt par ces deux causes réunies, le commandant de la forteresse prétendit interdire la levée de la milice, et fixer à son gré les limites du rayon stratégique qu’un traité avait déterminées d’une manière invariable.
A cela, le meilleur remède serait de replacer dans le Luxembourg le général qui y était en 1831, de mettre à la tête de cette province un homme d’un caractère ferme et énergique, au lieu de l’officier qui la commande en ce moment, et qui a fait preuve de tant de faiblesses.
- Un grand nombre de membres. - Appuyé ! appuyé !
M. Gendebien. - Messieurs, je crois que, pour le moment, il est inutile de rien ajouter à ce que vient de dire l’honorable M. de Puydt ; le gouvernement actuel pourra y puiser une leçon sinon utile au moins sévère ; car je doute qu’il y en ait encore d’utiles pour ce gouvernement. Je me borne donc à demander que la chambre nomme immédiatement une commission chargée de présenter une adresse au Roi. Si le ministère croit pouvoir se justifier, il lui enverra les renseignements qu’il aurait dû depuis longtemps fournir à la chambre. S’il ne croit pas devoir s’adresser à la commission, il les donnera à la chambre lorsque la commission présentera son rapport et lorsque la chambre le discutera.
Il n’y a plus à délibérer. Il faut immédiatement nommer une commission qui, demain ou aujourd’hui même, rédigera un projet d’adresse. Il n’y a pas de retard possible. Il y a nécessité de donner à cette question une prompte et énergique solution.
Un de nos concitoyens, un fonctionnaire public, a été enlevé avec violence de son domicile, contre le droit des gens ; aussi longtemps qu’il sera retenu captif, la chambre doit s’abstenir de toute délibération. Elle dit songer à faire respecter la dignité nationale. Une nation qui se laisse avilir à ce point est morte : Pourquoi discuter le budget ? Il n’est pas besoin de s’occuper des affaires d’un mort. Songeons à rendre la vie à la patrie en lui rendant l’honneur. Alors, et alors seulement, nous pourrons reprendre la discussion du budget.
Depuis trop longtemps nous souffrons patiemment les violations quotidiennes de notre territoire. Vous vous rappelez l’enlèvement de M. Thorn. Le gouvernement s’est conduit à cette occasion avec la plus grande pusillanimité ; il s’est mis aux genoux des puissances ; partout il s’est humilié ; partout à genoux. Ce que les supplications n’ont pu obtenir, l’honorable M. d’Huart l’a obtenu par un simple acte de représailles. M. Thorn nous a été rendu. Mais encore le gouvernement n’a pas su tirer parti de cet acte d’énergie d’un de nos honorables collègues ; notre diplomatie nous a couverts de déshonneur dans les négociations et dans les stipulations qui ont terminé cette affaire.
N’attendez donc rien des notes et des contre-notes qu’on ne manquera pas de vous promettre, et qu’on ne sera fera pas faute de multiplier dans toutes les formes. Vous allez conjurer les grandes puissances, vous allez supplier vos protecteurs ; mais la nation répudie votre langage. Si vous avez confiance dans la protection de ces puissances, adressez-vous à leurs ambassadeurs qui sont ici, dénoncez-leur la violation flagrante du droit des gens, et l’infraction à leurs propres traités ; il faut le dire (et c’est un puissant motif de consolation), les gouvernements de France et d’Angleterre sont plus déshonorés que nous par cet acte de violence. Oui, ils sont couverts de déshonneur s’ils ne font pas respecter notre dignité nationale, et nous n’avons que faire de leur protection s’il faut l’acheter au prix de l’honneur.
Si vous voulez contraindre à rougir ces représentants des grandes puissances, montrez l’exemple, faites voir ce que peut le sentiment de la dignité nationale, joint à une volonté ferme ; rédigez une adresse au Roi où en vous exprimant, avec les convenances dont la chambre ne doit jamais s’écarter lorsqu’elle s’adresse au chef de l’Etat, vous montrerez cette fermeté qui ne doit jamais nous abandonner lorsque nous avons à défendre notre liberté et notre indépendance ; deux mots dont on abuse trop souvent, dont on parle sans cesse et qui, si on continue, nous rendront la risée de toute l’Europe. Faites voir que vous en comprenez le sens, faites entendre qu’ici il faut agir et non supplier.
Je craindrais, en continuant d’aller trop loin, et de me laisser entraîner jusqu’à la violence. Je crois que pour éviter les paroles qui pourraient passer les bornes, il faut s’occuper immédiatement de la nomination d’une commission. Aujourd’hui, ce soir, elle pourra vous présenter son rapport. Alors les esprits seront plus calmes, et une discussion sera possible. Voilà, je crois, messieurs, ce qu’il est de votre devoir de faire, si vous ne voulez pas partager la honte dont on vient de couvrir le pays.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Je ne m’oppose en aucune manière à la nomination d’une commission. Je ne recule pas devant les explications. Je n’ai pas voulu les donner aujourd’hui parce que le travail n’est pas prêt. Je donnerai ces explications demain, non à la commission, mais à la chambre même. Quant à la commission, je ne m’oppose pas, je le répète à sa nomination.
M. Pollénus. - Je demande la parole.
M. de Brouckere. - Si personne ne s’oppose à la nomination de la commission, il est inutile, ce me semble, d’entendre d’autres orateurs.
M. Pollénus. - Je renonce volontiers à la parole, dès qu’il est entendu qu’on est d’accord sur l’opportunité de l’adresse proposée par M. Gendebien ; alors toute discussion devient inutile de la part de ceux qui comme moi ont l’intention de l’appuyer ; mais j’entends dire que le ministère ne s’oppose pas à une adresse au Roi, le ministre des affaires étrangères a commencé à parler dans ce sens, mais ensuite, il est revenu sur le rapport qu’il se propose de faire demain sur l’agression contre le Luxembourg. Je croyais que par là, il avait en vue d’écarter la proposition de l’adresse ; je ne ferai qu’une seule observation : lorsque nous entendons un ministre nous dire qu’informé depuis hier matin de l’événement de Bettembourg, il ne soumettra que demain l’affaire au conseil des ministres, je pense que nous devoir nous commande d’y mettre un peu plus d’empressement et qu’il est urgent d’intervenir en présence d’un fait aussi grave.
- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !
M. le président. - Voici la proposition de M. Gendebien :
« Je demande qu’il soit immédiatement nommé une commission chargée de présenter un projet d’adresse au Roi.
« Gendebien.
« Le 15 février 1834 »
- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.
Il est procédé au scrutin pour la nomination de cette commission, qui aux termes du règlement doit être de six membres auxquels doit s’adjoindre le président.
Voici le résultat de ce scrutin :
71 bulletins ont été déposés dans l’urne.
36 est par conséquent le chiffre de la majorité absolue.
Les suffrages ont été répartis ainsi qu’il suit :
M. d’Huart, 57 ;
M. de Theux, 46 ;
M. Dumortier, 46 ;
M. de Foere, 40 ;
M. de Behr, 33 ;
M. Fallon, 29 ;
M. Gendebien, 26 ;
M. H. Dellafaille, 25 ;
M. de Puydt, 24 ;
M. de Brouckere, 17 ;
M. Jullien, 10 ;
M. de Robaulx, 9 ;
M. Liedts, 8 ;
M. Dumont, 7 ;
M. d’Hoffschmidt, 6.
En conséquence, MM. d’Huart, de Theux, Dumortier et de Foere, ayant obtenu la majorité absolue, sont proclamés membres de la commission.
La chambre procède par un nouveau scrutin de liste à la nomination de deux autres membres de la commission.
Voici le résultat de ce second scrutin.
68 bulletins ont été déposés dans l’urne.
35 est le chiffre de la majorité absolue.
M. de Behr a obtenu 48 suffrages ;
M. Fallon, 35 ;
M. Gendebien, 28 ;
M. Dellafaille, 19.
MM. de Behr et Fallon sont proclamés membres de la commission.
M. le président. - Les membres de la commission désirent-ils se réunir ce soir ? (Oui ! oui !)
M. le président. - Nous allons continuer la discussion du budget de l’intérieur : nous étions parvenus au paragraphe C : Améliorations, constructions applicables aux produits des barrières. Plusieurs orateurs ont été entendus dans la séance précédente ; si personne ne demande la parole, je vais mettre le paragraphe aux voix.
M. Van Hoobrouck. - Je crois que la chambre n’est pas disposée pour discuter ; je demande qu’elle s’ajourne à demain, et que la commission se réunisse immédiatement.
M. d’Huart. - D’après la mesure que la chambre vient de prendre, nous devons être tranquillisés, et nous pouvons examiner le budget de l’intérieur. Quant à moi je suis fort tranquille.
- Le paragraphe C est adopté.
« Paragraphe D. Opérations graphiques, ou plans et dessins : fr. 25,000 fr. »
La section centrale propose 15,000 fr.
M. d’Huart. - Je ne puis adopter la réduction proposée par la section centrale parce qu’elle ne me paraît pas justifiée. On dit que 15,000 francs avaient suffi en 1832 ; mais il faut dire aussi qu’en 1833 ce chiffre n’a pas suffi.
Les opérations graphiques ont pour but de faire connaître les besoins du pays, et parmi ces besoins il en est qu’on pourrait ignorer. J’en citerai un exemple.
Dans la province du Luxembourg, il y a une rivière, la Semois, qui prend sa source à Arlon et va se jeter dans la Meuse à 20 lieues de là ; on pourrait la canaliser. Elle parcourt quatre cantons dans le Luxembourg, un canton de la province de Namur, et fait trois lieues en France avant de se jeter dans le fleuve ; une population assez nombreuse se trouve sur ses rives : on conçoit de quel immense avantage serait la canalisation de cette rivière. Ce n’est pas tout, une autre rivière est dans les contrées environnantes ; on pourrait aussi la canaliser, et par le moyen de ces deux canalisations la Moselle communiquerait avec la Meuse.
Voilà des travaux dont on devrait étudier les parties et faire les dessins. Il en est sans doute d’autres aussi importants à étudier. Par ces considérations, je crois qu’il faut accorder au gouvernement la somme qu’il demande.
M. de Puydt, rapporteur. - En proposant une réduction de 10,000 fr sur ce chapitre, la section centrale a deux objets en vue : elle a considéré que les travaux qui doivent s’exécuter cette année, sont des travaux dont les études sont faites depuis longtemps ; elle a considéré en second lieu que 5,000 fr. devaient être affectés à la construction d’une carte de la Belgique, et elle a pensé que dans la situation du pays, les limites du territoire n’étant pas terminées, ce n’était pas le moment de rédiger une carte géographique, et qu’il fallait ajourner la dépense.
M. Desmet. - Cet article va en croissant tous les ans et même dans une progression géométrique.
En 1831, on ne demanda que 1,000 florins.
En 1832 on demanda 6,000 florins ; mais cette année commençait déjà le travail des plans et mémoires de MM. Simons et Deridder sur le projet du chemin en fer d’Anvers.
En 1833, on devait avoir une somme de 27,600 fr., desquels MM. Simons et Deridder en avaient encore besoin 15,000 fr. pour les plans de la route en fer d’Anvers. Et cette année on demande 25,000 fr., quoiqu’on n’ait plus rien besoin pour les plans et mémoires du chemin de fer ; mais on trouve utile de confectionner une carte du royaume.
La section centrale a pensé que le moment n’était pas encore arrivé pour faire cette carte du royaume, qu’on pouvait très bien attendre pour s’assurer si les arpentages et plans du cadastre n’auraient pas produit des éléments pour la confectionner, et que d’ailleurs, d’après ce que M. le ministre avait fait connaître à la section l’emploi de cette somme était spécialement destiné à payer le salaire ou la journée des ouvriers qui aidaient aux opérations.
Avec 15,000 fr., on paie bien des journées, et je ne sais même pas comment on pourra les employer ; je m’étonne donc que M. le ministre veuille consentir à la réduction proposée par la section centrale, que la chambre devra trouver très fondée.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Si l’honorable préopinant ne sait pas pourquoi le ministre ne s’est pas rallié à l’opinion de la section centrale, je ne sais pas davantage pourquoi la section centrale ne s’est pas ralliée à l’avis de la plupart des sections qui ont alloué la somme demandée de 25,000 fr. Ce n’est pas au moment où l’on se livre de toutes parts, en Belgique, à de travaux de route, ou l’on arrête des plans nouveaux, que la chambre refusera 5,000 francs pour la préparation de ces entreprises. Je ne conçois pas pourquoi on voudrait refuser aussi au gouvernement le moyen de dresser une carte du royaume.
Le gouvernement doit une carte au pays ; les anciennes, celles de Ferraris ct d’autres, présentent de grandes lacunes. On commencera cette carte par les parties dont les limites sont hors de toute contestation. Ce n’est pas l’affaire d’un jour que de la dresser. Il se fait en en France une carte à laquelle on consacre plusieurs centaines de mille francs ; c’est d’après les plans français que nous nous proposons de faire notre travail.
La carte de Belgique exigera trois ou quatre années de soins. En la livrant au commerce, on en retirera bien au-delà de ce qu’elle aura coûté.
J’insiste pour obtenir une dépense qui a été jugée utile par les sections.
M. Gendebien. - Je proposerai une réduction de 5,000 fr. seulement et relativement à la carte. Les 20,000 fr. restants seront consacrés aux frais de levée des plans, d’achat et de réparation d’instruments, bien que les achats et réparations d’instruments soient à la charge des ingénieurs. Quant à la carte, le moment n’est pas venu de la dresser. Le gouvernement doit une carte au pays, dit-on ; oui, messieurs, mais avant tout le gouvernement doit au pays la conservation intégrale des territoires ; il doit au pays de faire respecter le territoire. Quand le pays sera définitivement constitué, arrivera le moment de faire une carte ; alors on trouvera dans les opérations cadastrales les éléments constitutifs de l’opération géographique. Aux termes de la convention du 21 mai, nous sommes dans un statu quo qui ne nous permet pas de savoir quelle sera la limite de notre territoire ; car on nous conteste le Luxembourg tout entier. Par la carte nous nous préparerions de nouvelles humiliations, puisqu’il nous en faudrait rayer le Luxembourg par suite de la faiblesse de nos gouvernants. Nous avons d’excellentes cartes qui peuvent servir à nos ingénieurs ; nous avons celle de Ferraris, sur laquelle on a placé les changements survenus en Belgique. Si nos ingénieurs sont inactifs, ce n’est pas par défaut de cartes. Je ne veux pas qu’on travaille à un nouveau sujet de honte pour le pays. Je retranche 5,000 fr.
M. Teichmann. - Les errements que M. Gendebien indique comme devant conduire à obtenir une carte du pays sont précisément ceux qu’on se propose de suivre aujourd’hui. L’on se propose de réduire les plans du cadastre sur une échelle propre à renferme la carte du pays dans un cadre convenable. Cependant on demande dès à présent quelques fonds pour commencer cette carte, parce que l’on peut, à mesure que les travaux des canaux ou des routes se préparent, rattacher ces projets à la carte du pays. Par exemple, les études géodésiques qui ont eu lieu entre Anvers, Malines, Louvain et Liége ont fait connaître les diverses hauteurs des terrains que le chemin de fer aura à parcourir ; ces hauteurs rapportées à un repère constant ont été marquées sur la carte ; eh bien on se propose de rattacher tous les travaux des ingénieurs à cette première base. Ainsi, ce n’est pas l’année prochaine qui faudra allouer des fonds ; c’est cette année ; et il y aura économie à procéder ainsi.
M. Gendebien. - Je me servirai des raisonnements du préopinant pour repousser l’allocation de 5,000 fr. Les ingénieurs pourraient rattacher, dit-on, leurs plans à des lignes principales. En ce cas attendons que les ingénieurs aient fait quelques travaux pour les réunir, et il n’y a aucun motif pour donner cette année 5,000 fr. Les ingénieurs feront leurs plans spéciaux ; plus tard on réunira tous ces éléments particuliers pour faire une bonne carte.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Il me semble que la chambre n’a pas à s’occuper de la question de savoir si le gouvernement fera ou ne fera pas une carte ; la solution de cette question est du domaine de l’administration. Je ne répondrai pas aux raisons diplomatiques qu’on a employées : c’est l’habitude de l’honorable membre de faire intervenir la diplomatie en toute chose, mais je dirai que les travaux du cadastre sont déjà assez avancés pour servir aux travaux géographiques. Une carte est le résultat d’un travail progressif, on y procède par parties, et je ne vois pas pourquoi le gouvernement, dès l’instant même, ne mettrait pas à profit les documents qu’il peut se procurer. Au reste, le mot carte ne figure pas dans l’article en délibération ; il ne se trouve que dans les développements. En ne donnant pas les 5,000 fr., on n’empêcherait pas le gouvernement de commencer la carte. C’est un travail très utile, très important qu’il faut commencer le plus tôt possible.
M. Jullien. - On vous demande, sous la lettre D 2,500 fr. pour frais de levée de plans ; il me semble que la section centrale a très bien justifié la réduction qu’elle propose. Pour l’année précédente, a-t-elle remarqué, 15,000 fr. ont été suffisants ; le ministre assure qu’il faut augmenter la somme, parce qu’il faut une carte de la Belgique. Le temps n’est pas venu de dresser une carte ; messieurs dans ce moment-ci, c’est encore la conférence qui est chargée de faire notre carte, et je ne vois pas la nécessité de dépenser 5,000 fr. pour cet objet. On parle dans l’article d’achat et de réparation d’instruments ; mais, suivant les règlements, les ingénieurs sont tenus de se fournir d’instruments. Cependant, d’après les considérations exposées par l’honorable M. d’Huart et par l’honorable M. Gendebien, on pourrait voter 20,000 fr. Je crois que le ministre aurait avec cette somme tout ce qui lui est nécessaire pour la levée des plans et même pour commencer sa carte.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Elle est déjà commencée.
M. Jullien. - Le ministre fera une carte si bon lui semble ; la chambre ne doit lui allouer que la somme nécessaire pour préparer les plans.
- Le chiffre 20,000 est adopté.
Le chiffre total de l’article en discussion est 2,095,000 fr.
- Adopté.
M. le président. - Nous passons à l’article 2, canaux. Le ministre demande 107,450 fr. La section centrale partage cet article en trois paragraphes, et M. le ministre de l’intérieur propose des amendements à ces paragraphes.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je vais proposer un amendement tendant à augmenter le chiffre que j’avais proposé par le dernier paragraphe.
M. Gendebien. - Il faut imprimer cet amendement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - C’est une augmentation de 6,000 francs sur le paragraphe A. Messieurs, depuis la présentation du budget il est survenu au canal de Pommeroeul à Antoing des dégradations telles que 25,000 fr. seront nécessaires pour les réparations les plus urgentes. Un rapport qui m’est parvenu du gouverneur provincial du Hainaut, qui annonce que dans les mois de décembre et de janvier, par suite des fortes pluies, des éboulements considérables ont eu lieu au canal. D’après le devis la somme de 25,000 francs a été jugée au minimum nécessaire pour les travaux à faire, et c’est cette somme que je viens réclamer.
M. de Puydt, rapporteur. - La proposition nouvelle que vient de faire le ministre n’a aucun rapport avec les réductions motivées que la section centrale propose. S’il est survenu des dégradations, il faut les réparer ; mais les réductions que propose la section centrale sont fondées sur ce qu’il est inutile d’accorder des sommes pour réparation de canaux qui ne sont pas en notre pouvoir, qui sont au pouvoir des Hollandais ; on ne voit pas pourquoi on les réparerait.
M. Dumont. - Messieurs, je demanderai à la chambre la permission de lui signaler une erreur dans le vote de l’article précédent. La législation sur les barrières exige que leur produit tout entier soit employé en routes nouvelles ou en amélioration de routes existantes. Cependant il reste une partie de cette somme sans emploi....
M. le président. - Je ne crois pas qu’il soit possible de revenir actuellement sur le vote de la chambre ; on ne pourra y revenir que lors du second vote.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Il s’agit de 5,000 fr.
M. Gendebien. - Il y a une plus grande différence que cela entre l’évaluation du produit des barrières et le budget des dépenses ; la différence est de plus de 15,000 francs. C’est une erreur qu’on peut rectifier.
M. le président. - C’est au moment du vote définitif qu’on la rectifiera.
M. Desmet. - Je demande que les amendements du ministre de l’intérieur à l’article que nous discutons soient renvoyés à la section centrale.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne pourrai rien dire de plus à la section centrale que ce que je dis ici.
M. de Theux. - Que M. le ministre lise le rapport de l’ingénieur.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - La chambre peut se rapporter à ce que j’affirme ; je ne lirai pas le rapport de l’ingénieur.
M. le président. - M. le ministre propose trois amendements : par l’un, il demande 157,000 fr. d’augmentation.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Les amendements ont été déposés depuis trois jours sur le bureau de la chambre ; cependant si la chambre veut les soumettre à la section centrale, je ne m’y opposerai pas.
L’un de ses amendements a pour but une augmentation de 5,025 fr. pour Ostende ; je puis justifier cette augmentation comme les autres.
M. Gendebien. - La chambre est bien convaincue que pour une augmentation de 157,000 fr., il est nécessaire de la soumettre à la section centrale. Quand on propose des dépenses au commencement de la session, la section centrale les examine et demande communication des pièces justificatives ; il n’y a aucune espèce d’inconvenance parlementaire à demander la communication des pièces ; il ne suffit pas que le ministre soit convaincu, il faut encore que nous partagions cette conviction.
- La chambre renvoie les amendements proposés par le ministre à la section centrale.
La séance est levée à 4 heures et demie.