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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 15 février 1834

(Moniteur belge n°47, du 16 février 1834 et Moniteur belge n°48, du 17 février 1834)

(Moniteur belge n°47, du 16 février 1834)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Liedts fait l’appel nominal à midi et demi.

M. Dellafaille lit le procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

Plusieurs pétitions sont adressées a la chambre.


M. Desmet. - Messieurs, une pétition des distillateurs de Gand et qu’on vient d’annoncer me paraît très importante. Par un arrêté pris par la ville de Gand, on a réglé le mode de perception des droits sur les eaux-de-vie indigènes ; les pétitionnaires se plaignent que la loi que vous avez votée l’année dernière, a été violée à leur égard par cet arrêté. Je demanderai que la commission des pétitions s’occupe de la pétition, et qu’elle nous en fasse un rapport très prochainement.

Projet de loi portant le budget du ministère de l'intérieur de l'exercice 1834

Motion d’ordre

M. Gendebien. - Je demande la parole pour une motion d’ordre, ou plutôt pour donner quelques explications sur un point auquel j’attache quelque importance.

Messieurs, retenu hier au conseil municipal pour des affaires qui concernent la ville de Bruxelles, je n’ai pu assister à votre séance. J’ai appris avec peine, je dois le dire, et l’indisposition qu’a éprouvée M. Dubus, et les interpellations peu obligeantes adressées à la section centrale. On a voulu mettre en demeure les membres de cette section d’accepter la succession de l’honorable M. Dubus ; on a paru étonné qu’aucun de ces membres ne se présentât pour soutenir la discussion à sa place ; c’est à cet égard, que je viens donner des explications. En justifiant mon absence, je tiens encore à justifier mes collègues.

Vous n’ignorez pas comment se font les travaux de la section centrale. On nomme un rapporteur. Le choix ne pouvait mieux tomber que sur l’honorable M. Dubus. Il fût dès lors chargé exclusivement de toutes les relations de la section centrale avec le gouvernement. A lui seul toutes les pièces ont été adressées. Il en a rendu compte à la section centrale, mais il en a lu très peu ; ainsi vous sentez que, quelque perspicacité qu’on puisse supposer à un homme, il lui est physiquement impossible de remplacer M. Dubus. Ce n’est pas assez de connaître les éléments du budget, il faut de plus connaître les pièces, les volumineux dossiers dont il est accompagné ; en aucune année on n’a fourni autant de renseignements que celle-ci pour le ministère de l’intérieur.

Les membres de la section centrale se sont réunis après la séance d’hier, et nous avons fait tout ce qui était en nous pour réparer l’accident qui nous cause tous beaucoup de peine ; et des membres de la section centrale ont bien voulu se charger d’improviser les moyens de discuter sur des chiffres, chose toujours très difficile.

Après avoir fait entendre nos justes plaintes relativement aux interpellations faites hier, nous réclamons l’indulgence de la chambre pour les membres qui voudront bien remplir momentanément les fonctions du rapporteur ; ils ont en effet droit à toute votre indulgence.

Motion d'ordre

Octroi communal sur les eaux-de-vie indigènes

M. Desmet. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Messieurs, la pétition des distillateurs de la ville de Gand dont on vient de vous communiquer l’analyse, est très importante et du plus haut intérêt pour les pétitionnaires. Ils se plaignent que la constitution a été violée à leur égard ; ils disent que, par suite d’un arrêté qui vient de régler le mode de percevoir l’octroi de la ville de Gand sur les eaux-de-vie indigènes, ils sont privés de jouir des faveurs de la loi qui a émancipé les distilleries, et se trouvent condamnés à supporter derechef les fiscalités de la loi hollandaise de 1822. Je demande donc que la chambre daigne engager sa commission des pétitions pour qu’elle veuille faire son rapport sur cette pétition dans la première séance qui sera consacrée aux rapports des pétitions.

Mise aux arrêts d'un employé du corps des ponts et chaussées

(Note du webmaster : le Moniteur a probablement omis une première intervention à laquelle le ministre de l'intérieur répond comme suit :)

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je commencerai par répondre à l’honorable préopinant que la question qu’il m’adresse sort tout à fait de ses attributions en tant que représentant. Le gouvernement peut, dans l’intérêt public, dans l’intérêt de l’administration, prendre telle mesure qu’il juge convenable à l’égard d’un employé ; si l’employé ne veut pas se soumettre à la mesure, il est entièrement libre de se séparer du ministère qui la lui impose. Il est vrai, au reste, que conformément à la partie disciplinaire des règlements auxquels les ingénieurs sont soumis, l’un d’eux a été mis aux arrêts pendant un mois. La constitution n’a pu être violée par cette mesure disciplinaire, puisqu’il était loisible à l’intéressé de ne pas s’y soumettre.

M. de Puydt. - Je ne veux préjuger en rien la question ; je veux présenter quelques observations. L’arrêté qui a réglé les attributions de l’administration des ponts et chaussées est d’août 1831 ; un arrêté qui règle les attributions d’une administration suppose une loi ; mais il n’y a pas de loi organique des ponts et chaussées. Sous l’ancien gouvernement l’administration du waterstaat avait ses attributions par la loi fondamentale ; or, cette loi fondamentale a été abolie, et aucune loi ne l’a remplacée. Les ponts et chaussées existent maintenant de fait et non de droit. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter les yeux sur les articles 29, 66 et 67 de la constitution.

Par le premier de ces articles, au roi appartient le pouvoir exécutif ; par le second il nomme aux emplois de l’administration générale ; par le troisième il fait les règlements et articles nécessaires pour l’exécution des lois : ainsi vous voyez que ces articles supposent l’existence d’une loi qui aurait créé le corps des ponts et chaussées, pour en régler l’exercice par des arrêtés. Il est prouvé par le fait qu’il n’existe pas de loi ; le règlement est donc illégal. Par l’article 8 de ce règlement, le directeur des ponts et chaussées a 6,000 fl. de traitement ; nous n’avons vu figurer nulle part au budget ce traitement ; ce qui prouve que le ministre n’a jamais cru que l’existence du waterstaat fût légale ; cependant c’est d’après ce règlement que l’on a infligé une peine corporelle à un ingénieur.

L’article 6 de ce règlement porte que les fautes des ingénieurs seront punies par les arrêts, la suspension des fonctions, la suppression des appointements et la destitution. Comme ce règlement, qui est du 29 août 1831, n’est pas constitutionnel, il s’ensuit qu’il y a eu attentat à la liberté individuelle par la mesure prise.

M. d’Huart. - Je crois que nous devons laisser de côté cette question et nous occuper des matières à l’ordre du jour. Le ministre a le droit de destituer les employés : si l’ingénieur ne veut pas subir la peine qu’on lui inflige, qu’il se retire…

M. de Robaulx. - Est-ce que vous voulez provoquer les destitutions ?

M. d’Huart. - On ne peut s’élever contre des peines disciplinaires auxquelles on n’est soumis qu’autant qu’on le veut bien. Si les ingénieurs ne veulent pas s’y soumettre, c’est à eux à ne pas accepter des fonctions.

M. Gendebien. - Si j’ai bien compris l’honorable préopinant, un ingénieur a été mis aux arrêts pendant un mois : je demanderai en quoi consistent ces arrêts ? S’ils ressemblent à ceux qu’on impose aux militaires, il est évident qu’ils constituent un attentat contre la liberté individuelle, attentat proscrit par la constitution : on ne peut infliger de peines que celles qui sont établies par la loi. Peut-on invoquer une loi qui permette à une administration quelconque, en Belgique, d’infliger des peines aux employés de cette administration, aux employés du waterstaat, par exemple ?

L’article 8 de la constitution porte : « Nul ne peut être distrait contre son gré du juge que la loi lui assigne. » Quel est le juge qui a condamné l’ingénieur et à quelle peine l’a-t-on pu condamner ? L’article. 9 de la constitution dit : « Nulle peine ne peut être infligée qu’en vertu de la loi. »

M. d’Hoffschmidt. - Il sera facile de répondre à cela.

M. Gendebien. - Je ne sais pas s’il sera facile de répondre à cela. Messieurs, on a dit que le ministre avait le droit de destituer : eh bien ! qu’il destitue ; mais a-t-il le droit de priver de sa liberté un individu employé sous ses ordres ? a-t-il le droit de le frapper dans son honneur par un emprisonnement ? A cette occasion, je me rappelle la réponse d’un brave soldat à son capitaine : Capitaine, passez-moi votre épée au travers du corps, mais ne m’insultez pas.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - L’ingénieur peut faire une réponse semblable.

M. Gendebien. - Je ne vois pas à quoi aboutirait ce que vient de dire M. le ministre de l’intérieur. Je ne sais pas si un homme d’honneur doit supporter plus patiemment un attentat à sa liberté que sa destitution ; vous avez le droit de destituer, mais vous n’avez pas le droit de déshonorer par une détention.

Sans attacher à cette affaire plus d’importance qu’on ne doit y en mettre, il est clair cependant que rien ne justifie la conduite du ministre et de l’ingénieur en chef.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je suis fort étonné d’entendre invoquer ici la constitution et le droit sacré de la liberté individuelle à propos d’une peine disciplinaire équivalant, à peu près, à cette peine paternelle, qui consiste à dire à un fils : Vous garderez la chambre pendant quinze jours ou un mois, parce que vous vous êtes mal conduit. Le fonctionnaire dont on prend la défense est resté un mois dans sa chambre ; encore a-t-il demandé et obtenu la faculté de prendre l’air et d’aller à la messe ; on n’a pas cru devoir lui refuser cet adoucissement à sa peine. Si ce mode d’agir ne lui eût pas convenu, il lui était facile d’échapper à la détention, attendu que ni gendarmes ni verrous ne le retenaient ; il pouvait dire : Je me regarde comme déshonoré ; je me sépare de vous. Voilà ma démission.

C’est ainsi qu’un fonctionnaire qui croit son honneur offensé par l’application d’une peine, doit se conduire.

J’ai pris la mesure dans le cercle de mes attributions ; je continuerai à prendre des mesures semblables envers les employés des ponts et chaussées qui ont accepté l’arrêté du mois d’août 1831. Si cet arrêté ne leur convient pas, ils peuvent sortir du corps, ou faire les représentations qu’ils jugeront convenable. Jusque-là je continuerai d’appliquer la peine portée par l’arrêté (L’ordre du jour ! l’ordre du jour ! Assez ! assez pour cette question !)

M. d’Hoffschmidt. - L’honorable M. Gendebien m’a interpellé, je désire lui répondre. J’ai dit que la réponse à lui faire était facile ; en effet, un ingénieur peut se soustraire aux peines qu’on lui inflige en donnant sa démission ; et je ne crois pas que dans une telle circonstance les articles de la constitution soient applicables.

Il n’est pas nécessaire d’un jugement pour condamner un officier des ponts et chaussées à une peine disciplinaire ; il fait un contrat avec le gouvernement ; il accepte telles fonctions sous telles conditions ; ainsi à quoi bon rappeler l’article 8 de la constitution ?

L’article 9 de la constitution statue que nulle peine ne peut être établie qu’en vertu d’une loi, mais les peines dont l’honorable M. Gendebien a parlé ne sont pas celles que l’on inflige à un fonctionnaire qui peut les éviter en donnant sa démission.

M. Gendebien. - La réponse que l’on m’a annoncée si facile ne me paraît pas fondée. On prétend qu’il y a contrat entre le fonctionnaire et le gouvernement : je répliquerai qu’on ne peut aliéner sa liberté individuelle. Si la doctrine de l’honorable préopinant pouvait prévaloir, il s’ensuivrait que la chambre pourrait consentir la perte d’une liberté publique quelconque ; mais il est de principe qu’on ne peut jamais compromettre les libertés publiques.

On ne m’a pas répondu à l’égard de l’article 9 de la constitution. Je défie qu’on me dise dans quel cas on peut infliger une peine sans loi. Il y a des peines militaires parce qu’il y a des lois qui les prononcent. Il n’y a pas d’exception à la règle générale de la constitution. Un décret royal n’est pas une loi ; c’est un simple acte du pouvoir exécutif. Il ne peut pas prescrire des peines.

Je n’insisterai pas davantage, ne voulant pas donner à cette affaire plus d’importance qu’elle n’en mérite.

Je persiste à soutenir que l’on a violé la constitution relativement à l’ingénieur. Mais comme elle a été violée si souvent, une fois de plus ou de moins ne vaut pas la peine d’y faire attention.

M. de Robaulx. - Il n’y a pas de pétition adressée à la chambre par l’ingénieur ; il me semble que ce serait à lui à se plaindre. La question est grave, et ce ne peut être à l’occasion d’un incident qu’on peut la décider avec la maturité qu’elle comporte. En demandant l’ordre du jour, je veux qu’on ne préjuge rien ni pour ni contre.

Si les employés des ponts et chaussées pouvaient être condamnés à des peines corporelles, ils seraient plus malheureux que les employés des autres administrations : il y aurait alors peu d’hommes indépendants qui voudraient devenir ingénieurs. Je demande que le ministre nous présente les lois d’après lesquelles il peut ordonner les arrêts. Un homme éclairé, un homme instruit comme on doit supposer que doit être un ingénieur, doit avoir des garanties. Le moindre officier, le moindre soldat ont bien des garanties : les ingénieurs doivent en avoir comme tout le monde.

M. d’Hoffschmidt. - C’est en parlant de liberté individuelle que M. Gendebien a bien voulu répliquer à l’opinion que j’ai émise. Messieurs, s’il s’agissait de priver un individu de sa liberté, je serais de son avis ; mais ici il n’y avait pas de liberté individuelle compromise, car il n’y avait ni gendarmes, ni aucun autre moyen coercitif mis en usage. La porte était ouverte à l’ingénieur, il pouvait sortir. Il ne s’agissait pas d’une des peines dont parle l’article 9, mais d’une peine disciplinaire…

M. Gendebien. - Toutes les peines sont disciplinaires.

M. d’Hoffschmidt. - On ne peut pas être condamné sans jugement, a-t-on dit : est-ce qu’il faudrait assigner un employé des ponts et chaussées devant les tribunaux pour le condamner à l’une des peines disciplinaires auxquelles il a déclaré se soumettre, en acceptant ses fonctions ? (Bruit.)

M. Ullens. - Aux voix ! aux voix !

M. d’Hoffschmidt. - Je n’interromps jamais M. Ullens quand il parle ; je le prie donc de me laisser continuer. On fait tous les jours des retenues de traitements ; c’est là une peine aussi ; faut-il un jugement ?

Je n’en dirai pas davantage, parce que je vois qu’on est impatient de reprendre la discussion du budget.

Projet de loi qui maintient jusqu’au 1er avril 1835 la taxe sur les barrières

Rapport de la section centrale

M. d’Huart est appelé à la tribune pour donner la lecture d’un rapport sur le projet de loi concernant les barrières.

M. le président. - Quand la chambre voudra-t-elle-discuter ce projet ?

- Plusieurs membres. - Après le budget ! après le budget de l’intérieur !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - La loi est très urgente. (Après le budget ! après le budget !)

M. le président. - Puisqu’il n’y a pas d’opposition, on délibérera sur cette loi quand la délibération sur le budget de l’intérieur sera terminée.

Projet de loi portant le budget du ministère de l'intérieur de l'exercice 1834

Discussion du tableau des crédits

Chapitre VIII. Travaux publics

Discussion générale

M. le président. - Nous en étions au chapitre VIII des travaux publics. Désire-t-on s’occuper de la proposition de M. de Puydt, qui demande la nomination d’une commission pour examiner la législation sur les travaux publics et présenter un projet de loi s’il y a lieu ?

M. de Robaulx. - Je crois que tout le monde est d’accord ; il s’agit simplement de la nomination d’une commission d’enquête.

M. Verdussen. - Je ne puis partager l’opinion de M. de Robaulx ; il me paraît que la proposition de M. de Puydt a été faite pour la nomination d’une commission qui préparerait un projet de loi. Cette manière de procéder me semble contraire à nos antécédents parlementaires. On peut proposer une commission d’enquête ; mais je ne pense pas qu’on puisse nommer une commission pour présenter un projet de loi.

Une demande semblable a été faite il y a deux ans ; un honorable membre voulait qu’une commission fût chargée d’élaborer et de présenter un projet de loi sur la responsabilité ministérielle ; sur l’observation de M. H. de Brouckere, la chambre a écarté la demande par l’ordre du jour ; et je crois que la chambre a bien agi. En vertu de l’article 3 de notre règlement, chaque membre a le droit de faire une proposition de loi ; l’honorable M. de Puydt peut user de cette faculté ; et si, par une modestie outrée, il ne pense pas pouvoir préparer un pareil projet de loi, il peut s’associer quelques membres pour l’aider dans son travail. La proposition de loi qui serait faite par lui ou par tout autre membre, pourrait suivre la filière ordinaire, et présenterait toutes les garanties désirables.

Le projet de loi présenté par une commission n’offrirait pas les mêmes garanties. En effet, si vous chargez une commission de présenter un projet de loi sur les ponts et chaussées, sur les concessions des barrières, vous posez, en principe, que la loi est nécessaire ; ainsi, vous ne pourriez pas rejeter la loi ; il faudrait en adopter une, quelle qu’elle fût, puisqu’elle serait indispensable.

L’honorable M. de Puydt assure avoir tiré l’idée de sa proposition dans le rapport de la section centrale ; mais la section centrale n’a pas été aussi loin que lui ; elle a émis un vœu ; elle a désiré que le gouvernement s’occupât de la révision de l’organisation des ponts et chaussées, et de la question de savoir si les travaux publics ne doivent pas être mis en adjudication : de là à la demande de rédiger un projet de loi, la distance est immense.

L’honorable M. de Puydt trouve sa proposition fort simple ; elle consiste, selon lui, dans la nomination d’une commission pour examiner ce qui concerne les droits de péage : cependant lorsque je lis les développements dans lesquels il est entré, je ne puis voir que la question soit aussi simple qu’on veut le persuader.

Dans la dernière partie de son discours, M. de Puydt n’est pas d’accord avec le commencement : en commençant il demande que l’on modifie la législation sur les travaux publics ; je ne vois pas qu’il soit fort simple de modifier une législation, et je ne comprends pas comment à la fin de la discussion d’un budget on peut faire une proposition d’une telle étendue. Je demanderai l’ordre du jour sur la proposition présentée par l’honorable membre : elle ne saurait être adoptée telle qu’il l’a présentée. Il sera loisible à M. de Puydt de soumettre à la chambre un projet de loi qui, après avoir subi les épreuves préliminaires, pourrait être renvoyé à une commission nommée par la chambre.

M. de Puydt. - Je crois que les observations de l’honorable préopinant, loin de combattre ma proposition, viennent au contraire à son appui.

Il ne s’agit pas seulement d’une commission pour examiner la législation sur les concessions, il s’agit aussi d’une commission qui examinerait la convenance ou l’utilité qu’il peut y avoir à modifier l’organisation de l’administration des ponts et chaussées : je demande en réalité une enquête. C’est tout à fait là mon intention.

La question est-elle simple ? L’honorable orateur la trouve très complexe, très étendue, à cause des développements dans lesquels je suis entré ; mais je suis entré dans de longs développements pour prouver que l’on pouvait modifier l’administration du waterstaat, pour prouver que cela était nécessaire. Cela ne signifie pas que cela soit difficile à exécuter.

Je persiste donc dans la demande que j’ai faite relativement à la nomination d’une commission, que je ne considère que sous le point de vue de commission d’enquête.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, s’il ne s’agissait que de la nomination d’une commission d’enquête, d’une commission chargée de l’examen de la législation relative aux concessions de péage, et même de la législation relative aux travaux publics, je ne serais pas éloigné d’adhérer à la proposition qui est faite ; mais cette proposition n’est pas formulée ainsi, et je dois m’opposer à son adoption. Je ne puis admettre la nomination d’une commission qui aurait pour but de ses travaux de présenter un projet de loi sur des matières aussi importantes. Nous ne sommes pas encore assez convaincus de la nécessité de changer ce qui existe pour décider dès aujourd’hui qu’il y a lieu à proposer le changement.

Je demanderai si l’honorable membre persiste dans le libellé de sa proposition, ou s’il le modifiera ?

(Moniteur belge n°48, du 17 février 1834) M. A. Rodenbach. - Messieurs, le plan qui vous a été développé hier par l’honorable député de Mons, est d’une si haute importance, que je ne vois aucun inconvénient à procéder à la nomination d’une commission d’enquête, commission qui pourrait couronner ses travaux en présentant un projet de loi, si elle le jugeait convenable ; car je ne crois pas qu’il faille exiger d’elle qu’elle formule une loi.

Pour le moment nous pouvons en effet que nommer une commission d’enquête, puisque nous en sommes à constater l’état de la législation et ses vices, si y en a. Je pense qu’il est très urgent de nommer cette commission. S’il faut en croire que l’on nous dit, il y aurait un million d’économies à faire sur les routes, sur l’état-major des ponts et chaussées, sur la manière dont on surveille les travaux publics, sur une foule d’employés qui n’ont rien ou presque rien à faire. Nous devons nous hâter d’entrer dans la voie d’économies aussi considérables, si on peut les réaliser.

Les antécédents viennent à l’appui de la pensée de l’honorable M. de. Puydt. Avant 89, il y avait en Belgique un système de ponts et chaussées qui était très économique, il coûtait moitié moins qu’aujourd’hui.

Les pays voisins nous offrent aussi des modes d’administration qui condamnent celui que nous suivons. En Angleterre le système des ponts et chaussées est provincial ; en Prusse, gouvernement économique comme le prouvent ses budgets, le système est encore provincial. Messieurs, si nous pouvons obtenir des diminutions de dépenses aussi importantes que celles qu’on nous promet, il ne faut pas les négliger ; nous aurons peut-être bientôt besoin de faire partout des économies pour payer la Hollande.

Il est sans doute rationnel de porter les lois qui organiseront nos administrations provinciales et communales avant de porter la loi qui organiserait les ponts et chaussées ; mais pour préparer cette dernière organisation, il faut du temps ; mettons donc à profit celui dont nous pouvons disposer et nommons actuellement la commission d’enquête, laquelle, je le répète, ne serait pas obligée à préparer un projet de loi, et ne le rédigerait qu’autant qu’on le jugerait nécessaire.

M. Gendebien. - J’appuie la proposition de notre honorable collègue M. de Puydt. Il suffit d’y changer deux ou trois mots pour qu’elle obtienne l’assentiment général. Au lieu de dire que la commission sera chargée de proposer un projet de loi, il faudrait dire que la commission sera chargée de réunir les éléments propres à préparer un projet de loi. En effet, avec ces éléments, un membre de la chambre ou une commission pourra rédiger la loi.

Quant à la nécessité de changer ce qui existe, on ne peut le contester.

Le gouvernement déchu, qui tenait à donner beaucoup de force à toute son administration, avait reconnu lui-même la nécessité de changer l’administration du waterstaat. Son travail été préparé en 1827.

Il n’est pas probable que l’administration fasse des changements à son mode de procéder ; il n’est pas probable que le corps des ponts et chaussée prépare lui-même un projet de loi, c’est-à-dire une arme pour se suicider ; il faut donc que la chambre s’en occupe

En faisant le changement que j’indique à la proposition de M. de Puydt, je ne vois aucun motif qui puisse arrêter la chambre

M. Dumont. - Je ne vois rien dans la proposition de M. de Puydt qui empêcherait de l’adopter telle qu’elle est. Cette proposition est fondée sur la nécessité d’examiner l’état actuel des ponts et chaussées, et d’examiner ce qui est relatif aux concessions de barrières pour lesquelles nous n’avons qu’une législation provisoire. Ainsi la commission mettra la chambre à même de passer d’une législation transitoire à une législation définitive. Ce n’est pas à dire pour cela que la chambre condamne la législation actuelle ; cela veut dire seulement que l’on éprouve le besoin de porter son attention sur ce qui existe.

Est-ce une chose contraire aux usages de la chambre, que la nomination d’une commission qui serait chargée de préparer un projet de loi ? Le règlement de la chambre autorise la nomination de commissions chargées de préparer les résolutions de la chambre ; nous pouvons donc charger une commission de proposer un projet qui serait ensuite renvoyé devant les sections ; et rien, je le répète, ne nous empêche d’admettre la proposition de M. de Puydt.

M. de Robaulx. - Nous discutons depuis longtemps sur des mots ; qu’une commission examine la législation existante ; qu’elle propose les matériaux pour rédiger une loi, ou qu’elle rédige cette loi, cela revient toujours au même. Que demande-t-on ? C’est la révision de la législation sur les ponts et chaussées, c’est de rendre stable ce qui est provisoire ; eh bien ! la commission, après avoir examiné, présentera ses vues. Si elle présentait un projet, alors nous serons à temps pour discuter si cette présentation est dans nos attributions ; nous n’avons pas à nous occuper de cette question maintenant : au reste, quand on lui dénierait cette faculté, un membre pourrait s’emparer du projet et le présenter à la chambre. Toute proposition à la proposition de M. de Puydt est donc sans but.

Je n’attaque pas les ponts et chaussées ; je veux être éclairé, et pour cela je veux qu’une commission d’enquête soit instituée afin qu’elle me transmette les matériaux propres à former mon opinion.

M. de Theux. - Messieurs, sous le gouvernement précédent, aucune règle n’existait pour les concessions de péage. Depuis la révolution, on a cru qu’une loi sur cette matière était nécessaire ; alors on a porté la loi provisoire de 1832, loi qui n’est qu’annale. Il est évident qu’il faut en venir à une loi définitive. Mais faut-il attendre que le gouvernement présente lui-même cette loi, ou faut-il que la chambre adopte la proposition de M. Gendebien qui mettrait la chambre en mesure de préparer un projet de loi si elle le jugeait convenable ? Le gouvernement ne s’oppose point à ce que la chambre prenne l’initiative ; ainsi nous pouvons adopter la proposition de M. de Puydt.

On craint de violer les règles parlementaires en nommant une commission d’enquête qui croirait devoir préparer un projet de loi ; il y a cependant un antécédent de la chambre qui autorise à procéder ainsi. On doit se souvenir que c’est de cette manière que fût préparé le projet sur les mines.

Toutefois, je donne la préférence à la proposition faite par M. Gendebien.

La matière est d’une extrême difficulté. Pour peu que l’on ait d’expérience sur cet objet, on peut apercevoir le nombre et l’importance des questions qui s’y rattachent. Nous devons procéder avec toute la maturité possible. Si nous chargeons une commission de présenter un projet de loi, ce projet devrait être soumis immédiatement à la discussion publique ; je pense qu’il y aurait un inconvénient à ce qu’il en fût ainsi. Je préférerais un projet de loi qui passerait par la filière des sections. J’appuie la proposition de M. Gendebien.

M. Smits. - Je ne puis partager l’opinion de l’honorable préopinant. Le système de M. de Puydt tend à changer entièrement la législation sur les ponts et chaussées. Lisez les développements qu’il a donnés à sa proposition, et vous verrez qu’il veut décentraliser l’administration des ponts et chaussées, et qu’il veut une loi sur les concessions de barrières. Sa proposition tend évidemment à vous faire décider en principe, dès aujourd’hui, qu’il faut une autre organisation des ponts et chaussées ; une telle proposition s’écarte de vos usages parlementaires.

La proposition de M. Gendebien n’obvie pas aux inconvénients que je signale. Il veut que la commission recueille les éléments propres à préparer la rédaction d’un projet de loi ; ainsi vous préjugez la question de savoir s’il y aura, ou s’il n’y aura pas de projet de loi.

Je pense que la proposition que nous pouvons adopter ne peut avoir d’autre portée que celle-ci : « Une commission sera nommée dans le sein de la chambre pour examiner la législation des ponts et chaussées et des concessions de barrières, et pour en faire un rapport a la chambre. » Voilà à quoi il faut se borner.

- Plusieurs membres. - On est d’accord.

M. de Puydt. - Pour éviter toutes les interprétations que l’on donne à ma proposition, voici comment je la modifierai : « Je propose de nommer une commission d’enquête pour examiner la législation sur les travaux publics, présenter les éléments d’une organisation nouvelle de l’administration relative à ces travaux, et donner ses vues sur la législation concernant les péages. »

M. Gendebien. - Il faut admettre une proposition qui ne préjuge rien.

M. de Muelenaere. - Cette question a été réduite à sa plus simple expression par l’honorable député de Roulers. Il l’a proposée ainsi : « L’administration des ponts et chaussées doit-elle être changée ? » Pour la résoudre, nommons donc une commission, qui sera chargée d’examiner la législation et l’organisation actuelle des ponts et chaussées, et qui examinera en même temps notre législation sur les concessions de péage, mais sans rien préjuger.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je crois qu’en mettant : « La législation sur les travaux publics, » on comprendra les ponts et chaussées et toutes les routes.

M. Gendebien. - Cela revient au même.

M. de Robaulx. - Nommons une commission pour examiner l’organisation des travaux publics et la législation sur les concessions de péage.

M. de Muelenaere. - J’adopte la proposition de M. de Robaulx parce que j’adopte les vues de M. de Puydt.

M. de Theux. - Je donne la préférence à la proposition faite d’abord par M. de Muelenaere.

M. Verdussen. - La proposition de M. de Muelenaere a une portée plus étendue qu’on ne pense. Je me réunis à la proposition de M. de Robaulx.

M. de Muelenaere. - Sous certains points de vue, sous le rapport de l’organisation antérieure des ponts et chaussées, je crois qu’il y a nécessité d’apporter des changements à cette administration ; mais je ne veux pas préjuger la question. Je ne tiens pas à une proposition.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Si M. de Muelenaere retire sa proposition, je n’ai rien à dire.

M. le président. - Voici la proposition de M. de Robaulx : Il demande la nomination d’une commission qui examinerait l’état de la législation relative aux travaux publics, et qui serait chargé d’en faire un rapport à la chambre.

M. Davignon. - Je demanderai s’il ne faudrait pas dire que la commission examinera en même temps la législation sur les expropriations pour cause d’utilité publique ?

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - La proposition de M. de Robaulx a l’avantage de tout comprendre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - A la suite d’une discussion qui a duré deux jours, il a été décidé que la loi sur la route en fer d’Ostende à Cologne serait discutée après le budget de l’intérieur. La motion qui vient d’être faite aura-t-elle pour but d’arrêter cette discussion jusqu’à ce que la commission se soit expliquée sur l’administration des travaux publics ? Si on venait exciper de la nomination de cette commission pour retarder la discussion de la loi sur le chemin de fer, je m’opposerais à ce que la nomination eût lieu. Je fais des réserves, dès aujourd’hui, contre tout effet semblable qu’on voudrait attribuer à l’exécution d’une commission d’enquête.

M. Jullien. - En vérité dans cette discussion nous marchons à tâtons, comme si la chambre doutait de ses pouvoirs, comme si la chambre doutait qu’elle peut nommer une commission d’enquête. Messieurs, vous avez le droit de nommer des commissions toutes les fois que vous le jugerez à propos. Ce que propose M. de Puydt c’est la nomination d’une commission d’enquête ; ce droit vous appartient sans qu’aucun ministre puisse le contester.

Si cette commission, convaincue de la réalité des abus signalés par le député de Mons, vient vous présenter un projet de loi, qui peut l’en empêcher ? Chaque membre a ce droit : comment le ravirait-on à une commission qui est une émanation de la chambre ? On s’effarouche ici de choses toutes naturelles, et qui ne sont que la conséquence directe de la nomination de la commission elle-même. Donnez à cette commission les attributions que vous voudrez, elle aura essentiellement le droit de vous soumettre les mesures qu’elle jugera convenable de prendre dans l’intérêt du pays. Qu’on adopte la proposition de M. de Puydt ou toute autre, vous êtes maîtres de formuler un projet de loi.

Ainsi, vous voyez que M. le ministre de l'intérieur qui se pose pour empêcher la nomination de la commission, si cette nomination doit avoir tel ou tel effet, ne peut réellement rien empêcher. La chambre a le droit de faire tout ce qu’elle voudra sans avoir égard aux avis et aux conseils de M. le ministre de l'intérieur. Dans l’intérêt de la dignité de la chambre, et pour ne pas perdre notre temps, il faut procéder à la nomination de la commission.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je n’ai pas contesté à la chambre le droit de nommer des commissions ; je ne lui contesterai même pas le droit d’être inconséquence avec elle-même, décider un jour le contraire de ce qu’elle aurait décidé la veille. Mais j’ai cru qu’il était prudent de protester contre les résultats que pourrait avoir la nomination d’une commission sur la discussion de la loi sur la route en fer. J’ai fait connaître mes craintes aux honorables membres qui tiennent à ce que la chambre délibère promptement sur une loi si importante aux intérêts du pays. Si des obstacles ou des retards étaient apportés à cette délibération, je dois me mettre dès aujourd’hui en mesure de les combattre.

- La proposition suivante est mise aux voix par M. le président, et adoptée :

« Une commission sera nommée dans le sein de la chambre pour examiner la législation sur les travaux publics, et faire son rapport sur cet objet. »

M. le président. - Comment veut-on que la commission soit nommée ?

- Plusieurs membres. - Par la chambre ! par la chambre !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Le bureau pourrait la nommer.

M. de Robaulx. - C’est la chambre qui a le droit de nommer les commissions ; le bureau ne les nomme que quand la chambre lui délègue ses pouvoirs.

M. le président. - Dès qu’il y a dissentiment on doit consulter la chambre.

M. Verdussen. - Je demande que ce soit le bureau qui nomme pour éviter la perte du temps.

M. Gendebien. - Quelque confiance que nous inspire le bureau, il est des circonstances graves dans lesquelles la chambre doit faire elle-même les nominations, et il me semble que nous sommes dans une de ces circonstances. Nous ne devons exagérer ni notre confiance, ni notre défiance envers le bureau, et je pense que les honorables membres qui le composent ne seront pas fâchés de ne point être chargés de nommer la commission dont il s’agit.

- La chambre, consultée, décide que ce sera elle-même qui nommera la commission au scrutin de liste et à la majorité relative.

M. le président. - Veut-on procéder actuellement au scrutin.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Il me semble que la chambre a des travaux plus urgents que la nomination d’une commission. Si nous procédons au scrutin, nous allons perdre un jour. On pourrait se rassembler demain à onze heures et demie pour nommer la commission.

M. de Robaulx. - Comme l’administration des travaux publics intéresse chaque province, il fait que la commission soit assez nombreuse que tous les intérêts soient représentés. Je demanderai que la commission soit composée de neuf membres.

- Cette proposition est adoptée.

M. Gendebien. - La nomination de la commission vous prendra autant de temps lundi qu’aujourd’hui. Il n’y a aucun inconvénient à procéder à cette nomination maintenant, et il y a même avantage ; car dès lundi, dès demain même, si elle le veut, la commission pourra se constituer. Les travaux dont elle aura à s’occuper sont assez longs et assez importants pour qu’elle puisse les commencer le plus tôt possible.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il serait contraire aux habitudes de loyauté de cette chambre de procéder aujourd’hui à la nomination de la commission. Cette nomination n’étant pas à l’ordre du jour, il y aurait évidemment surprise pour ceux qui n’ont pas été avertis, et qui auraient désiré prendre part à la nomination. Ce n’est sans doute là l’intention de personne, mais ce serait le résultat de la mesure qu’on vient improviser.

M. de Robaulx. - M. le ministre de la justice est dans l’erreur, et, en se trompant, il trompe la chambre. Hier on a entendu le discours de M. de Puydt, et on a remis à aujourd’hui pour statuer sur ses conclusions. On a donc été prévenu qu’on statuerait sur la nomination d’une commission, et par suite, qu’on procéderait à sa nomination s’il y avait lieu. Nous avons été tous avertis, car je vois qu’on a pu s’entourer de tels ou tels amis qu’on savait devoir voter avec soi.

Quant à moi, je le déclare, je voterai pour des personnes de toutes les opinions, afin que tous les intérêts soient représentés.

- La chambre, consultée, décide que la commission ne sera pas nommée immédiatement.

Cette nomination est renvoyée à lundi.

M. le président. - L’ordre du jour est le chapitre VIII du budget de l’intérieur, relatif aux travaux publics.

Article premier

« Art. 1er. Routes : fr. 2,100,000. »

La section centrale fait plusieurs propositions applicables aux divers littera.

« Littera A. Entretien et réparation des routes de 1ère et 2ème classe : fr. 1,300,000. »

La section centrale propose le même chiffre.

« Littera B. Frais d’exploitation : fr. 15,900. »

La section centrale propose aussi le même chiffre.

« Littera C. Construction de routes nouvelles : fr. 759,000. »

La section centrale propose l’adoption de ce chiffre.

« Littera D. Frais de levée de plans, achat et réparation d’instruments, etc. : fr. 25,000. »

La section centrale propose sur ce littera une réduction de 10,000 fr.

Avant de passer à la discussion de cette proposition, je dois donner connaissance à la chambre de deux amendements qui ont été présentés.

Le premier est de M. Olislagers. Elle consiste à demander une augmentation de 50,000 francs au chapitre VIII, pour réparations urgentes à la rive de la Meuse, sous la commune de Maezeyk, sauf recours s’il y a lieu.

La seconde est de M. Zoude, elle a pour objet de demander un littera. C de l’article premier du chap. VIII, une augmentation de 100 mille francs en faveur de la route de Champlon à Bouillon.

Ces deux amendements sont appuyés par plus de cinq membres.

M. Olislagers a développé son amendement dans la séance d’hier.

M Zoude a la parole pour exposer les motifs de celui qu’il propose.

M. Zoude. - Messieurs la route pour laquelle je sollicite un subside, est celle dont j’ai eu l’honneur d’entretenir la chambre lors de sa dernière session : c’est la route qui doit mettre Liége en communication directe avec Paris en passant par Marche, St-Hubert, Bouillon et Sedan ; enfin, messieurs, c’est une route qui avait été décrétée par l’ancien gouvernement et qui, votée à l’unanimité par les états provinciaux devait se faire pour une moitié aux frais de l’Etat et l’autre moitié devait être fournie par les provinces et les communes intéressées, et sans les événements de la révolution elle eût été achevée au plus tard en 1833.

Après avoir réclamé vainement l’exécution des engagements pris par l’ancien gouvernement, les communes de St-Hubert, Paliseul et Bouillon, fatiguées de solliciter, pressées par le besoin d’arracher le pays à la profonde misère dans laquelle il se trouve plongé par le défaut de communication aiguillonnée, d’ailleurs par les sarcasmes des ennemis de la révolution qui reprochaient à leur patriotisme d’avoir contribué à renverser l’ancien ordre de choses, et d’avoir paralysé par là les travaux nombreux que le gouvernement déchu devait faire exécuter (en effet Bouillon a obtenu un drapeau d’honneur, St-Hubert l’avait sollicité et je crois, l’avait mérité) ; déterminées par ces divers motifs ces communes ont pris la résolution extrême de faire confectionner cette route à leurs frais, St-Hubert et Bouillon y contribuent chacun pour 100,000 fr,, et Paliseul pour 18.

En votant un pareil sacrifice, ces communes ont plus consulté leur zèle que leurs moyens, et c’est pour les soulager dans un effort aussi généreux que je viens solliciter en leur faveur un secours de 100,000 fr. Cette somme, qui paraît considérable, est loin d’atteindre le subside auquel l’ancien gouvernement s’était engagé, et cette dette que nous réclamons est bien légère pour l’Etat quand on considère que cette route traversera environ six mille hectares de bois de domaines, qui acquerront par là une augmentation de valeur très considérable.

C’est encore cette route qui doit favoriser l’écoulement de nos ardoises dont la qualité supérieure a été démontrée, non seulement pas plusieurs savants minéralogistes belges, dont l’un siège dans cette enceinte, mais elle est encore appréciée par les ingénieurs et architectes français, qui en ordonnent l’emploi dans la construction des édifices publics dans les départements voisins. J’ai en main copie d’un compte de dépenses pour l’église de Carignan, approuvé par l’architecte du département des Ardennes le 15 juillet dernier ; nos ardoises y figurent, et je pourrai produire à la chambre divers cahiers de charge où la condition d’employer des ardoises d’Herbeumont est imposée aux entrepreneurs ; cependant l’ardoisière de Fumay est de leur pays et à leur porte.

C’est donc servir l’Etat que de favoriser l’écoulement d’un pareil produit vers l’intérieur du royaume.

Cette route doit encore aider à verser dans la circulation nos bois de construction et autres richesses que notre pays renferme et que la situation déplorable de nos communications ne permet pas d’utiliser.

Outre ces considérations qui sont particulières à la route dont je parle, il en est une que je crois devoir vous rappeler encore, c’est que le Luxembourg qui fait plus de la cinquième partie du royaume ne possède que cinq lieues de routes lorsque les autres provinces en ont 160. Voilà, messieurs, la vraie cause de la misère dont nous nous plaignons si souvent ; lorsque cette cause aura cessé, nous n’hésitons pas à vous dire que nous rendrons au centuple les bienfaits que nous aurons reçus de l’Etat : nous puisons nos motifs de confiance dans la nature de notre sol qui est loin d’être aussi ingrat qu’on se plaît généralement à le croire ; nous les puisons dans l’industrie des habitants qui sauront utiliser les richesses enfouies dans nos montagnes et les nombreux produits forestiers qui les couvrent. Enfin, c’est alors, messieurs, que notre pays s’élèvera à la hauteur des provinces les plus importantes du royaume. Mais nous ne pouvons rien sans les secours de la nation, et ces secours nous venons vous les demander.

M. Eloy de Burdinne. - Je demande la parole.

M. de Brouckere. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Je propose de renvoyer ces deux amendements à la section centrale, pour qu’elle réunisse les renseignements nécessaires, et nous fasse sur ces amendements un rapport qui nous mette à même de les discuter.

M. de Robaulx. - J’appuie d’autant plus la motion de l’honorable préopinant, que sans cela, chacun voudrait solliciter une route pour la localité qu’il affectionne. Cependant il n’y a que 759,100 fr. à appliquer aux routes, provenant du produit des barrières. Déjà l’inspecteur-général des ponts et chaussées nous a présenté ses projets, qui sont à la suite du rapport de la section centrale. Quand vous aurez pris sur cette somme 100 mille francs pour la route de M. Zoude, d’autres propositions vous seront faites, et si vous les admettez, il faudra sans doute, pour couvrir la dépense, disposer d’une allocation que le gouvernement se proposait d’appliquer à une route plus utile.

Il est impossible de prononcer immédiatement sur les amendements qui peuvent être présentés. Que chacun de ceux qui ont des propositions à faire à cet égard les fasse, mais qu’on les renvoie à la section centrale, qui les examinera, les coordonnera, les comparera avec celle de M. l’inspecteur-général, et vous exposera les motifs pour lesquels vous devrez donner la préférence à telles routes plutôt qu’à telles autres. Si vous ne procédez pas ainsi, les 759 mille fr. seront absorbés par les projets du gouvernement, et vous aurez voté en outre 2 ou 300 mille fr., sans savoir sur quoi les prendre.

Vous vous exposeriez, en outre, à transporter l’administration dans la chambre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Le renvoi à la section centrale des amendements dont il s’agit, s’il était adopté, donnerait lieu à des inconvénients que chacun de vous a pu reconnaître dans la discussion qui a eu lieu l’année dernière sur la répartition du produit des barrières. Dans mon opinion, cette répartition ne peut en général être faite convenablement que par le gouvernement. Lui seul est à même de savoir quelles seront, pour l’année courante, les localités où des travaux devront être exécutés, lui seul est à même de bien connaître si toutes les études et mesures préparatoires sont assez avancées pour permettre l’ouverture de ces travaux.

Si aujourd’hui un député du Luxembourg vient réclamer 100,000 fr. pour une route, à l’établissement de laquelle le gouvernement ne s’est pas préparé, il arrivera, comme cela a eu lieu l’année dernière, que ces cent mille francs resteront sans emploi. Il sera aussi naturel qu’un député de la province de Liége vienne demander une route pour sa province, après celui du Luxembourg. C’est aussi ce qui est arrivé. A peine M. Zoude avait-il fait sa proposition, que l’honorable M. Eloy de Burdinne a demandé la parole. Quoiqu’il ne m’ait pas communiqué ce qu’il allait dire, je suis persuadé qu’il venait réclamer une route pour la province de Liége. De province en province, nous ferons le tour du royaume.

Je ne pense pas que cette manière de procéder puisse être utile aux travaux publics. Vous pourrez lier le gouvernement législativement, mais vous ne ferez pas que telle route que vous lui imposeriez par la loi du budget puisse être exécutée cette année. Vous pouvez appliquer 100,000 fr. à la confection d’une route, mais votre décision sera vaine, si vous ne donnez pas en même temps au gouvernement les moyens d’en faire l’application utile. Les sommes dont vous improviseriez l’application seraient exposées à rester sans emploi.

Le gouvernement a cru faire assez en vous indiquant ses intentions relativement aux routes nouvelles qu’il projette, et à l’achèvement des routes commencées l’année dernière, et qui pourront être achevées au moyen du crédit alloué cette année. Vous pourriez vous arrêter à cette manière de procéder dont beaucoup de membres ont reconnu la nécessité. L’année dernière, nous avons eu à regretter de nous être laissé lier législativement. Plusieurs sommes n’ont pu être appliquées. Ce n’est pas en laissant sans emploi des sommes qui pourraient être utilisés, que le gouvernement remplirait les vues de la chambre.

Je demande que le littera C. soit voté tel qu’il a été présenté par le gouvernement. La section centrale a senti les inconvénients qu’il y aurait à présenter des amendements sur l’application du crédit ; elle s’est bornée à voter le chiffre demandé.

M. Eloy de Burdinne. - Je n’aurais pas pris la parole dans la question qui occupe la chambre en ce moment, si je n’avais entendu, dans la séance d’hier, M. de Nef réclamer des fonds pour la construction d’une route dans la province d’Anvers. Je crois qu’avant de faire valoir des motifs à l’appui des réclamations de fonds pour la construction de telle ou telle route sur l’excédant du produit des barrières, la chambre devrait décider si le gouvernement aurait la distribution de ces fonds, ou si la chambre entendrait en faire la distribution elle-même. Ce point doit être discuté avant de s’occuper du partage de la somme disponible.

M. d’Hoffschmidt. - Je demande la parole. Ce n’est pas pour m’opposer au renvoi des amendements à la section centrale. Plusieurs de mes honorables collègues ont paru croire qu’on ne pouvait faire les routes qu’avec l’excédant du produit des barrières. S’il en était ainsi, la province du Luxembourg serait toujours privée de communications, surtout si, sur la somme de 700,000 francs d’excédant que présentent les produits des barrières, on ne nous donnait pour nos routes que notre quantième. La proposition de M. Zoude ne pourrait-elle pas être admise, indépendamment des propositions du ministère ? ne pourrait-on pas allouer un nouveau crédit pour faire face à la dépense ? je ne vois pour ma part aucun inconvénient à cela.

M. le ministre a demandé que la répartition de l’allocation lui soit laissée. Je partage complètement son opinion, car si chacun de nous propose des amendements afin d’obtenir les routes qu’il croit utiles, on demandera pour toutes les provinces, et ce seront les députés qui auront le plus d’éloquence qui en obtiendront le plus, et ceux du Luxembourg ne seront pas les mieux dotés.

- Plusieurs membres. - C’est beaucoup trop de modestie.

M. d’Hoffschmidt. - C’est surtout de moi que j’entends parler.

Nous avons entendu l’année dernière les députés du Hainaut argumenter de ce que leurs routes produisaient plus de la moitié du revenu des routes, pour demander qu’on leur en ouvrît en raison de leurs produits. Si cet argument était admis, notre province serait toujours privée de routes ; car, n’en ayant pas, elle ne produit rien.

M. de Brouckere. - Dans ce qu’a dit M. le ministre de l'intérieur, il y a beaucoup de vérités que je me plais à reconnaître ; mais je n’ai pas compris la conclusion qu’il a entendu en tirer. Qu’ai-je fait autre chose que de demander le renvoi à la section centrale ? S’il s’oppose à ce renvoi, je ne sais comment il veut que la chambre en agisse, à moins que les honorables membres ne retirent leurs propositions ? Quant à moi, je le désire ; mais s’ils ne le font pas, il faut bien que la chambre prononce. J’ai voulu éviter que la chambre émît un vote sans connaissance de cause.

Si M. le ministre s’oppose à ma motion, je voudrais qu’il nous fît connaître ses motifs.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne m’opposerais au renvoi proposé qu’autant qu’il impliquerait l’adoption du principe de la répartition à faire par la chambre elle-même. Si le renvoi n’implique pas l’adoption de ce principe, je ne m’y opposerai pas. Si même la section centrale est d’avis d’allouer en dehors de ma proposition une nouvelle somme pour l’établissement d’une route reconnue nécessaire et exécutable, je m’y opposerai encore moins.

M. de Brouckere. - Alors demandez la question préalable sur les deux propositions, si vous pensez que ce n’est pas à la chambre à décider sur les travaux à exécuter. Car des propositions existent ; il faut que la chambre décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur ces propositions, ou qu’elle les renvoie à la section centrale, si elle ne veut pas s’exposer à prononcer sur le fond, sans connaissance de cause.

M. Verdussen. - Il faudrait s’en tenir au libellé du budget de l’année dernière et nous référer à un tableau voté antérieurement. Si nous entrons dans la discussion de la répartition de l’allocation, nous nous exposons à mettre à la disposition du ministre des sommes qu’il ne pourra pas employer, tandis que des travaux urgents resteront en suspens faute d’allocation, parce qu’on aura affecté les fonds à des routes moins importantes.

Il arriverait ce qui eût lieu pour la route de Binche à Beaumont, dont la chambre a voté les fonds, et qui en est encore au même point faute d’adjudicataires, qu’on a attendus infructueusement.

L’année dernière, certains députés se sont cru le droit de réclamer pour leurs provinces de plus fortes sommes dans la répartition du revenu des routes, parce qu’elles apportaient davantage dans ce revenu. Si on admettait cette doctrine, nous laisserions toujours dans le même état les provinces qui ont le malheur de n’être pas croisées par des routes, tandis que les autres provinces auraient excès de routes, si tant est qu’il puisse y avoir excès de communications.

M. A. Rodenbach. - L’année dernière on n’a pas décidé le principe que le ministre seul déterminerait les nouvelles routes à établir. Notre honorable collègue M. Jullien, qui a défendu le projet ministériel, parce qu’il n’y avait ni ministre, ni commissaire du Roi, doit se le rappeler. J’appuie en conséquence le renvoi, et je renouvelle la proposition que j’ai faite l’année dernière, d’allouer sur l’excédant des 759,100 fr. du produit des barrières, 1° 15,000 fr. pour la construction de la route de Paschendale à Roulers ; 2° 15,000 fr. pour celle de Roulers à Isteghem.

Je ferai observer qu’il passe quotidiennement 30 ou 40 mille personnes sur ces routes.

M. Eloy de Burdinne propose également d’allouer un subside de 100,000 fr., afin d’activer la construction de la route de Huy à Tirlemont.

M. Dumont. - Je sais que si la chambre s’occupe de l’emploi de l’allocation, beaucoup de propositions seront faites plutôt dans des intérêts locaux que dans un intérêt général. Mais pour éviter cet inconvénient, faut-il tomber dans un inconvénient plus grand encore ? Faut-il que la chambre se dépouiller de son droit pour en abandonner l’exercice à l’arbitraire ministériel ? Pensez-vous que le gouvernement sera plus à même de répartir l’allocation, harcelé qu’il sera constamment par des importunités ? pensez-vous qu’il ne cédera pas à des influences ? Dans la chambre, au moins, si des prétentions s’élèvent dans un intérêt purement local, les députés des autres provinces sont là pour combattre et juger ces prétentions. Un remède semblable existe-t-il auprès du ministre ? Je ne le pense pas.

On ne peut donc pas abandonner à l’arbitraire du ministre la disposition d’une somme aussi considérable que celle provenant du produit des barrières. Je sais que si la chambre devait prononcer sur toutes les propositions qui peuvent surgir, le vote du budget serait retardé de longtemps. Mais il me semble que le gouvernement, dans un projet de loi spéciale, pourrait nous donner la nomenclature des routes auxquelles il se propose d’affecter d’abord l’excédant du produit des barrières. Si la chambre approuvait le projet, le gouvernement pourrait appliquer les ressources de l’année à celles de ces routes qui seraient les plus urgentes, et où les travaux pourraient commencer le plus promptement. Mais je le répète, abandonner d’une manière absolue au gouvernement l’application du revenu des barrières, serait nous dépouiller de nos prérogatives, sans raisons fondées.

Le budget a été proposé dans la pensée que la répartition du crédit serait abandonné au gouvernement ; aussi n’avons-nous, sur l’emploi qu’il en veut faire, aucune indication ; nous ne connaissons pas ses intentions. Il a bien joint aux éclaircissements fournis à la section centrale les propositions de l’inspecteur-général, mais en ajoutant que le gouvernement n’avait pas encore de pensée arrêtée sur ces propositions.

Ainsi, passer à l’ordre du jour par les motifs énoncés par le ministre, serait décider que le gouvernement disposera de l’allocation comme il lui conviendra ; cela me paraît évident. Avant de prendre une décision sur les amendements de MM. Zoude et Olislagers, il faudrait que la chambre décidât la question de savoir si elle abandonne, oui ou non, la répartition au gouvernement.

M. de Robaulx. - Il faut reconnaître une chose, c’est que l’impôt sur les barrières est une contribution. Elle doit former un fonds commun destiné à augmenter les communications dans toutes les parties du pays, pour faciliter le développement de l’industrie. Je ne demande pas qu’on favorise nos localités au détriment des autres. Il faut savoir qui devra faire la répartition de ces fonds, qui devra apprécier l’emploi qu’il faut en faire. Si nous rentrons dans les discussions qui ont eu lieu l’an passé, nous nous jetterons dans un chaos inextricable ; chaque député viendra présenter une réclamation en faveur de telle ou telle localité ; déjà M. A. Rodenbach nous en a donné un avant-goût ; chacun présentera des motifs plausibles. Je défie un député de la Flandre orientale ou de la Flandre occidentale de contester les motifs que feraient valoir à l’appui de leurs demandes des députés du Hainaut ou de Namur. On sera toujours disposé à adopter ce que chacun de nous établira comme nécessaires. Mais après cela viendra toujours la question de savoir comment on fera face aux dépenses. Si vous accordez 100 mille francs pour la proposition de M. Zoude, 15 mille francs à M. Rodenbach pour sa route…

M. A. Rodenbach. - J’ai demandé 30 mille.

M. de Robaulx. - C’est encore mieux, c’est augmenté.

Vous qui faisiez le doctrinaire, qui l’avez montré dans les délibérations antérieures, comment se fait-il que vous veniez aujourd’hui apporter l’administration dans la chambre ? Mais vous êtes plus républicain que nous : vous faites de la convention au petit pied. Vous voulez prononcer sur des objets d’administration en décidant qu’il y aura une route dans tel endroit plutôt que dans tel autre. Je défie après cela qu’il y ait encore une responsabilité ministérielle.

J’ai dit que vous faisiez de l’administration dans la chambre. Il y a aussi un inconvénient à donner au gouvernement le droit de disposer arbitrairement du produit des barrières. C’est que ce sera à la faveur et à l’importunité que bien des choses seront accordées. Mais n’en est-il pas de même pour toutes les places dont le ministère dispose ? Cependant vous votez les fonds pour les fonctionnaires, pour les juges, sans demander au ministre : Qui nommerez-vous juge ou fonctionnaire ? Il fait bien abandonner quelque chose à l’administration, quoique l’administration soit composée d’hommes qui sont loin d’être exempts des faiblesses de l’humanité et par conséquent très peccables. Ils ont en effet commis bien des péchés : vous voyez qu’il faut laisser beaucoup à l’arbitraire.

Toutefois, laisser entièrement à l’arbitraire n’est ni de mon avis ni de mon goût. J’ai appuyé le renvoi, non pas pour que la section centrale nous dît si on accorderait ou non ce qu’on demande, mais s’il était possible de porter la dépense au budget, et qu’en même temps elle nous présentât ses observations sur la question de savoir si c’est à la chambre ou au gouvernement à faire la répartition de l’allocation sur les routes.

Mais puisqu’on paraît vouloir discuter aujourd’hui cette question, entrons dans la discussion. Cependant, pour cette année, je ne vois pas la possibilité que la chambre discute l’emploi du crédit ; il me semble qu’elle doit voter les 759 mille fr. L’administration a communiqué son projet de répartition, elle a donné un tableau ; je conçois qu’il y a une espèce de contrôle à exercer par la chambre. Si quelqu’un de nous trouvait une allocation mal appliquée, nous aurions le droit de nous élever contre cette application et de faire entendre le vœu de l’assemblée. On fera là comme dans les autres parties du budget ; quand nous votons une réduction sur les expéditionnaires, le ministre n’est pas tenu d’appliquer la réduction précisément là où on a voulu la faire porter, seulement la discussion lui a fait connaître les motifs de la chambre, et il y a tel égard que de droit sous sa responsabilité. De même, si nous trouvons quelques observations à faire sur la répartition de l’allocation, nous pouvons les exposer, la chambre peut exprimer son opinion, mais là finit notre mission ; nous ne devons pas nous mêler de l’administration.

Je pense cependant qu’il y a quelque chose à faire. Vous allez nommer une commission qui sera chargée de soumettre à une sévère investigation toute l’administration des travaux publics. Cette commission pourra examiner en même temps s’il n’y a pas moyen d’empêcher l’arbitraire ministériel et les dilapidations, s’il y en a eu, en faisant intervenir jusqu’à un certain point la législature dans la répartition, sans toutefois faire de l’administration dans la chambre.

On obtiendrait ainsi une répartition plus conforme à la justice. Mais faire intervenir une décision législative pour chaque partie du crédit à employer, c’est ce que je ne conçois pas.

M. Schaetzen. - En supposant que la chambre ne renvoie pas à la section centrale tous les amendements, elle ne peut pas se dispenser d’y renvoyer la proposition de M. Olislagers. Les 50 mille francs d’augmentation qu’il demande devraient être portés à l’article premier du chapitre VIII. Quelle que soit l’opinion de la chambre, l’augmentation demandée ne peut pas être discutée avant d’avoir été soumise à l’examen de la section centrale. Quant aux autres amendements, je pense qu’on doit les écarter et qu’il faut laisser à la disposition du gouvernement les 759 mille francs provenant du produit des barrières. Si je me rappelle bien la loi sur la matière, il y est dit que le gouvernement disposera de ce revenu.

M. Gendebien. - Je ne m’oppose pas au renvoi des propositions de MM. Zoude et Olislagers, soit à une commission spéciale, soit à la section centrale. Elles reconnaîtront s’il y a lieu d’allouer une somme sur du produit des barrières, ou d’accorder un crédit spécial sur les fonds généraux.

Quant à la proposition de M. Olislagers, je ne pense pas que ce soit sur le produit des barrières qu’on doit prendre les fonds nécessaires à la dépense ; il y a un article pour les endiguements ; cette demande rentre dans cette catégorie : il faut la renvoyer à la section centrale, sauf à la classer dans son lieu et place.

Je ne suis pas d’accord avec les préopinants, qui ont pensé qu’il y avait de graves inconvénients attachés à la discussion de la répartition du produit des barrières ; je trouve des inconvénients beaucoup plus graves à laisser cette répartition à l’arbitraire du gouvernement. Je ne crois pas d’abord que ce serait faire de l’administration que de voter des allocations de fonds pour des routes nouvelles à déterminer par la chambre. Qu’est-ce que nous faisons ici, si ce n’est d’allouer des sommes pour des dépenses de toutes natures, tantôt générales tantôt spéciales ? Toute la discussion du budget n’est que cela ; nous votons l’application des fonds dont nous avons voté la recette.

Au budget de la guerre, par exemple, nous votons plusieurs millions pour l’armée. Si nous trouvons que la répartition est mal faite, qu’il y a trop ou trop peu pour l’artillerie, la cavalerie ou l’infanterie, nous avons le droit de modifier cette répartition. Je ne pense pas que ce soit de l’administration. Il en est de même de la répartition de l’allocation pour les routes.

Quant à la responsabilité ministérielle, elle reste la même. Car ici, comme pour le budget de la guerre et pour tous les autres, nous ne changerons rien à l’action du ministre ; il est toujours responsable de l’exécution de vos décisions, de l’application des fonds à l’objet spécial auquel vous les avez affectés ; c’est votre volonté qu’il exécute à la vérité, et, non pas toujours ce qu’il a proposé ; mais n’est-ce pas en définitive votre volonté qu’il exécute toujours ? Soit qu’il ait proposé ou repoussé ce que vous avez résolu, n’est-ce pas toujours sous sa responsabilité qu’il exécute vos décisions ?

Messieurs, serions-nous moins libéraux que les chambres hollandaises ? Serions-nous moins jaloux de nos prérogatives, de notre droit de contrôler les actes des ministres ? Que se passait-il aux états-généraux ? On demandait des allocations spéciales pour telle route ou tel canal déterminé : si la chambre ne voulait pas les accorder, elle rejetait tout le budget. On avait, il y a six ou sept ans, demandé des allocations pour des travaux à faire à la rivière de l’Ij, pour la mettre en rapport avec le canal du Nord ; le budget entier a été rejeté, parce que la chambre ne votant pas article par article, il ne pouvait pas présenter d’amendements. Ici, nous pouvons voter article par article, nous avons le droit d’amender, nous pouvons nous entendre sur un article spécial sans grand inconvénient pour le reste du budget, tandis qu’en Hollande on rejetait tout un budget pour un article de la même catégorie que celui dont il s’agit ; et malgré ce grave inconvénient on n’hésitait pas à aborder ces questions et à les discuter. Il ne faut pas se faire illusion : ce n’est pas là faire de l’administration, ni détourner la responsabilité qui doit toujours peser sur le ministre.

Voyez les graves inconvénients qu’il y aurait à ne pas établir de contrôle. Il pourrait dépendre d’un ministre de favoriser tel industriel par la ruine d’un autre. Dans les pays de houillères, de forges, d’usines et d’exploitations diverses, où les routes sont consacrées aux voitures de charge, il suffirait d’un bout de chaussée de deux ou trois lieues pour avantager un exploitant et ruiner tous ses concurrents.

- Plusieurs membres. - C’est vrai ! c’est vrai !

M. Gendebien. - Réfléchissez combien il est facile d’abuser de cette faculté laissée au ministre, et d’en abuser contre son gré. Je mets à part tout ce qui tient à la corruption, cependant elle se montre quelquefois bien flagrante ; je ne parle que des importunités, des obsessions, des outrages. Vous livreriez, messieurs, les deniers publics à ceux qui solliciteraient le mieux, qui feraient le plus de bassesses, prendraient les engagements les plus anticonstitutionnels, alors que le ministère voudrait gouverner dans ce sens ; ceux-là obtiendraient pour leur localité une ample part dans les répartitions des fonds. On accorderait une route à tel district à la condition qu’il nommerait tel député, ferait des choix agréables au gouvernement.

Messieurs, pour citer un exemple, sans cependant vouloir faire ici une application désobligeante pour personne, voyez le tableau présenté par l’inspecteur-général des ponts et chaussées, pour la répartition des 759,000 francs, et fixer vos regards sur la province d’Anvers. Vous savez qu’elle a l’avantage de se trouver sous un double patronage très influent dans les affaires, elle a pour gouverneur titulaire un ministre, pour gouverneur ad interim un directeur des ponts et chaussées. Si toutes les provinces avaient un semblable patronage, je serais tranquille ; mais quoiqu’on soit très ami des doubles emplois en Belgique, il est très difficile d’avoir à la fois, dans toutes les provinces, des gouverneurs ministres et des gouverneurs ad interim directeurs des ponts et chaussées. Aussi la province d’Anvers se trouve-t-elle comprise dans le tableau de répartition d’un côté pour 120,000 fr. et de l’autre pour 16,000 fr., ensemble 136,000 fr.

La province du Brabant, qui n’a pas pour gouverneur un ministre, n’y est comprise que pour 20,000 francs ; la Flandre occidentale, pour 30,000 francs ; le Hainaut pour 70,000. La moitié de ce qu’on alloue à la province d’Anvers, quoique la province du Hainaut à elle seule produise plus que toutes les autres provinces ensemble. C’est là une conséquence toute naturelle du désir qu’on doit avoir de faire de la paternité : quand on est à la tête d’une grande administration, chacun veut laisser des souvenirs agréables, et se faire regretter dans la province qu’il a administrée ; on veut quitter son gouvernement avec une réputation de sentiments paternels pour la province dont on était gouverneur. Je désire que tous deux à la fois puissent quitter une province avec cette réputation, mais je désire aussi que ce ne soit pas au détriment des autres provinces. Un fait constant, c’est que la répartition du crédit se fait de la manière la plus inégale, et que les moins favorisés sont ceux qui ont fait les premiers et les plus grands sacrifices.

Si vous laissez au ministère plein pouvoir pour disposer de ces fonds, ils deviendront tout naturellement le prix de la course. Vous les livrerez à ceux qui courront le plus vite et le plus souvent au ministère. Ce n’est pas comme que nous devons remplir notre mandat.

Il y aurait un moyen de tout simplifier, ce serait d’admettre la proposition de M. Dumont, ou de nommer une commission composée d’un ou de deux membres par province à laquelle le ministre remettrait son travail. Ces membres le discuteraient entre eux, s’entendraient, de sorte qu’il n’y aurait de différence sur aucun article ou peut-être sur un ou deux ; et quand le travail serait apporté à la chambre, il y aurait peu ou pas de discussion, et vous auriez conservé votre contrôle sur le gouvernement.

Je n’entends ici incriminer les intentions d’aucuns ministres passés, présents ou futurs ; mais il résulte de l’état des choses qu’ils sont exposés à mille et à un pièges, et nous n’avons aucune raison pour abandonner nos prérogatives dans cette circonstance non plus que dans une autre.

Je demande en définitive le renvoi à la section centrale ou à une commission, si la chambre le juge à propos, de la question de savoir si on laissera au gouvernement l’entière disposition des fonds. J’insiste pour qu’on discute chaque année la répartition de ces fonds, sauf à adopter un des modes présentés soit par M. Dumont ou par moi.

M. le président. - M. Eloy de Burdinne propose un amendement ayant pour but d’allouer une somme de 100 mille fr. sur l’excédant du produit des barrières, pour la confection de la route de Huy à Tirlemont.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, s’il faut se prémunir contre l’abus des intentions paternelles des gouverneurs pour leurs provinces, il est à remarquer que les administrateurs ne sont pas les seuls dans cette chambre qui soient animés de ces sentiments. Plusieurs représentants leur donneraient au besoin de bons exemples. Je renvoie donc à l’honorable représentant les compliments qu’il a adressés aux administrateurs, et je rappellerai à la chambre la chaleur toute paternelle aussi avec laquelle il combat les projets qu’il croit préjudiciables à la province qu’il représente.

Dans l’un et l’autre système mis en ce moment en présence, on rencontre des inconvénients. Je n’entends pas que la chambre préjuge la question de savoir si l’exécution des travaux publics doit être laissée entièrement à l’arbitraire du gouvernement, ou s’il appartient aux chambres d’arrêter certains travaux dont le gouvernement aura à s’occuper. La question est trop grave pour être résolue dans une discussion de budget. Elle trouvera sa place dans la loi sur les travaux publics, qui pourra être le résultat des recherches auxquelles la commission que vous aller nommer devra se livrer ; mais, pour 1834, il n’est plus temps de s’occuper de la question.

Il est étonnant que les membres, qui maintenant proposent des amendements dans tel intérêt provincial en général, n’aient pas fait ces propositions dans les sections ; la section centrale aurait eu le temps de les examiner, elle aurait pris près de l’administration les renseignements qui lui étaient indispensables pour pouvoir faire une proposition à la chambre. Si maintenant vous renvoyez tous ces amendements à la section centrale, vous allez perdre un temps infini et très précieux. La section centrale ne sera pas assez imprudente pour donne des conclusions avant d’avoir pris l’avis de l’administration, et l’administration à son tour ne donnera pas ces renseignements sans s’être entourée de toutes les lumières nécessaires.

La proposition de M. Zoude nécessiterait une enquête dans la province du Luxembourg. Voyez à quelle époque vous remettriez le vote du budget ; s’il demande un nouveau crédit de 100,000 fr. rien ne l’empêche de faire un projet de loi spécial et de le présenter quand il le voudra.

On s’est plaint que la province d’Anvers était privilégiée dans la répartition de 1834. Je ferai observer que cette province est l’une des plus dépourvues de communications, et les travaux qu’on se propose d’exécuter cette année ne sont que l’exécution de projets fort anciennement arrêtés. Quant à la province du Hainaut qu’on dit si mal traitée, je vais vous montrer comment elle l’a été l’année dernière et vous jugerez si les plaintes sont fondées.

Sur 147 mille francs affectés à neuf routes, il y a eu large part pour six routes dans le Hainaut ; ce n’est pas la faute du gouvernement si les adjudicataires n’ont pas répondu aux vues bienveillantes de la chambre, si trois ou quatre adjudications sont restées sans résultat.

La route de Binche à Beaumont a été mise en adjudication ; il ne s’est pas présenté d’adjudicataires en dépit de l’esprit d’association qu’on nous dit si entreprenant. La route de Tournay à Renaix n’a pas trouvé non plus d’adjudicataires malgré cet esprit si vivace d’association. Je pourrais en dire autant de la route de Charleroy à Beaumont, qui est restée sans adjudicataires. Depuis quelques jours toutefois des entrepreneurs se réunissent et doivent faire leurs propositions au gouvernement.

Me résumant donc quant à la proposition de M. Zoude, si elle avait pour but de divertir une partie de l’allocation demandée de l’emploi auquel le gouvernement la destine, je m’y opposerais. Si au contraire c’est une proposition nouvelle tendant à obtenir de la chambre un nouveau crédit, je ne m’oppose pas à ce qu’elle soit renvoyée à la section centrale.

M. le président. - M. Desmet propose d’allouer a l’achèvement de la route provinciale d’Alost à Malines 15,000 fr. sur le crédit alloué pour construction de routes dans les provinces.

M. de Robaulx demande qu’on alloue une somme de 40,000 fr. pour la construction de la route de Binche à Beaumont.

M. Doignon propose d’allouer une somme de 70,000 fr. pour l’achèvement de la roule de Tournay à Renaix.

M. de Theux. - On fait une motion d’ordre pour qu’on discute la question de savoir si la répartition sera abandonnée au gouvernement ou faite par la chambre. Je demande que les orateurs se renferment dans ce cercle. J’avais demandé la parole sur cet objet ; s’il n’y a pas d’orateur inscrit avant moi, je demanderai à la conserver.

M. le président. - La parole est à M. Eloy de Burdinne.

M. Eloy de Burdinne. - Avant d’entrer dans la discussion de la répartition, décidons si les fonds disponibles seront laissés à la disposition du gouvernement, ou si la chambre entend faire elle-même la répartition.

M. de Robaulx est entré dans des observations qui supposent que le ministre a fait connaître l’emploi qu’il se propose de faire de l’allocation. Mais il n’a pas fait connaître ses intentions, à moins que l’honorable préopinant ne considère comme telles les propositions de l’administrateur des ponts et chaussées.

Je demande que la question de principe soit mise aux voix.

M. Jullien. - Vous avez une somme de 759,100 fr. à employer pour construction de routes nouvelles ; ferez-vous vous-mêmes la répartition de cette somme ou l’abandonnerez-vous entièrement au ministre ? Voilà toute la question qu’il s’agit de décider. Vous avez le droit de faire vous-mêmes la distribution des fonds, cela ne peut pas faire l’objet d’un doute. Toutes les fois qu’on demande une allocation, il faut en déterminer l’objet. Si vous demandez 759,100 fr. pour des constructions de routes, vous devez dire quelles sont les routes que vous vous proposez d’établir, afin que la chambre puisse examiner si la dépense est utile on non.

Je prie la chambre de remarquer que ces constructions de routes ne peuvent se faire sans expropriation de terrain. On devra exproprier une partie du terrain sur lequel la route sera établie ; il faut que les propriétaires soient assurés qu’on ne les privera pas de leur propriété sans une véritable utilité pour le pays et sans qu’ils puissent défendre leurs intérêts. Pour cela il faudrait que le gouvernement fît connaître ses projets à la chambre.

D’après le rapport, la section centrale déclare que le gouvernement n’a pas arrêté la distribution de l’allocation, mais qu’on lui a soumis une proposition de l’inspecteur-général sur cette distribution. Maintenant, voilà une discussion qui s’élève sur l’opportunité de cette proposition : on peut contester l’utilité des projets proposés, mais cette discussion n’amène aucun résultat, puisque le gouvernement pourra ne tenir aucun compte des propositions de l’inspecteur-général. De sorte que quand vous vous serez épuisés en discussion sur l’opportunité ou l’utilité de telle ou telle proposition, le gouvernement ne tiendra aucun compte de vos observations : au lieu de faire les routes sur lesquelles vous aurez discuté, dont vous aurez reconnu l’utilité, il fera telle autre route qui vous semblera moins utile. Voila l’état de la question telle que la présente la section centrale.

Si le gouvernement disait quelles sont ses intentions, quelles sont les routes qu’il se propose de faire, on pourrait adopter la proposition de M. Dumont, et après avoir fait les observations qu’on jugerait convenable de faire sur les projets du gouvernement, lui en abandonner l’exécution. Mais dans la position où nous nous trouvons, abandonner à l’arbitraire ministériel l’emploi des 759 mille francs provenant de l’excédant du produit des barrières, c’est ce que je ne puis admettre.

Je partage l’avis de M. Gendebien ; les routes pourraient devenir des moyens de corruption : en promettant une route à telle province ou tel arrondissement, on obtiendrait, dans les élections, des concessions qu’on n’aurait pas eues sans ces promesses.

En général, la chambre ne doit pas se départir de ses prérogatives sans de fortes raisons. Il vous appartient de répartir l’allocation demandée pour les travaux publics. Vous ne pouvez pas abandonner cette allocation à la disposition du gouvernement, quand vous n’avez aucune donnée sur l’emploi qu’il se propose d’en faire.

Je crois que dans ces circonstances on ne peut pas se dispenser de renvoyer à la section centrale ou à une commission les divers amendements qui ont été présentés. C’est dans ce sens que je voterai.

M. le président. - M. d’Hoffschmidt demande qu’on alloue une somme de 100 mille fr. pour achever la route de Liége à Bastogne.

M. de Theux. - Pour écarter la question préalable, l’honorable député de Bruges vient de dire qu’une expropriation pour cause d’utilité publique ne peut avoir lieu qu’en vertu d’une loi.

M. Jullien. - Je n’ai pas dit cela.

M. de Theux. - J’ai compris que l’honorable préopinant disait qu’un propriétaire pourrait s’opposer à une expropriation quand elle n’était pas fondée sur la loi. Cet argument n’est pas fondé ; la loi du 18 mars 1810 autorise l’expropriation pour cause d’utilité publique. Reste à savoir quand il y a utilité publique. C’est au gouvernement à s’en assurer au moyen d’une enquête ; mais une fois l’enquête faite et l’utilité constatée par cette enquête, l’expropriation doit avoir lieu.

Quant à la question préalable, je pense qu’il y a utilité à l’admettre dans l’état actuel des choses. Le ministre n’est pas en état de donner tous les renseignements nécessaires sur les divers projets dont plusieurs membres réclament l’exécution, et ajourner sous ce prétexte le vote de l’allocation serait retarder des travaux urgents. Les chambres, d’ailleurs, sont pressées de discuter des lois de la plus hautes importance, et vouloir nous engager dans une discussion qui durerait au moins huit jours pour régler la répartition d’une somme de 7 à 800,000 francs, serait nous exposer à un dommage plus grand que les avantages que nous pourrions retirer d’une meilleure répartition.

Je prie la chambre d’observer que je n’entends pas préjuger la question pour le futur. Je pense que, dans la loi que nous aurons à faire sur les travaux publics, il conviendra d’établir qu’aucune route nouvelle ne pourra être ouverte, si elle n’est désignée au budget ou dans une loi.

Je pense donc qu’il serait inutile, dans l’état actuel des choses, de renvoyer les amendements à la section centrale.

Quant à la proposition relative aux réparations à faire aux digues de la Meuse, je n’ai pas assez de renseignements pour l’appuyer ou pour la combattre. Le gouvernement doit avoir des renseignements sur la situation des choses. Je ne sais s’il a employé la somme votée l’année dernière pour cet objet. Mais dans tous les cas cette proposition se rattache à l’article relatif aux réparations des rives de l’Escaut ; c’est à ce chapitre que nous devrons nous en occuper.

M. d’Huart. - Je pense que, pour le moment, nous aurions tort de renvoyer à la section centrale les amendements qui sont présentés ; nous sommes pressés par le temps et ce renvoi retarderait de 8 ou 15 jours le vote du budget. En laissant au gouvernement la disposition du crédit pour cette année, nous ne nous lions pas pour l’avenir. Si nous ne sommes pas satisfaits de l’emploi qu’il en aura fait, l’année prochaine nous lui poserons des limites.

J’engagerai M. Zoude à retirer maintenant son amendement et à en faire l’objet d’un projet de loi séparé ; je suis persuadé que quand nous présenterons les motifs pour lesquels nous appuierons la proposition de M. Zoude, la chambre ne pourra pas refuser d’allouer la somme nécessaire.

On a établi une distinction entre l’amendement de M. Zoude et celui de M. Olislagers. Je demanderai d’abord que cet amendement soit renvoyé à l’article du budget qui le concerne et je ferai ensuite observer que l’année dernière une somme de 73,000 fr. fut légèrement accordée sur la proposition de M. de Theux parce qu’on vint vous présenter la chose comme urgente ; c’était une ville qui allait être engloutie par la Meuse, il n’y avait pas un moment à perdre. On reconnut ensuite que les choses étaient dans le même état depuis trois ans. J’avais fait remarquer que le gouvernement ne reconnaissait pas cette nécessité, puisqu’il ne faisait aucune demande ; malheureusement l’amendement avait été admis malgré mes observations, car c’est à la province à payer ces réparations.

Je crains que cela ne se renouvelle cette année. Je demande que l’amendement de M. Olislagers soit renvoyé à l’article du budget auquel il se rapporte, et que les autres amendements soient immédiatement rejetés.

M. Dumont. - Tout à l’heure, j’avais demandé que la chambre décidât si elle ferait elle-même la répartition du crédit, ou si elle l’abandonnerait au gouvernement. Depuis lors, la discussion a fait des progrès. Je crois ne devoir pas insister sur ma motion. Personne ne soutient que ce soit au pouvoir législatif à faire la répartition, et on demande que, pour cette année seulement, le gouvernement ait la disposition des fonds sans rien préjuger pour l’avenir. Si c’est ainsi qu’on entend la question, je ne m’oppose pas à ce qu’elle soit résolue dans ce sens, mais je demande que quand le gouvernement aura pris une résolution sur l’emploi du crédit, il la communique à la chambre.

Je crois que de cette manière on peut adopter la proposition du gouvernement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Le gouvernement est prêt à se rendre aux désirs de l’honorable préopinant. J’aurais déjà fait pour 1833 ce qu’il demande pour 1834, si tous les renseignements m’avaient été remis,. Quant aux fonds demandés pour 1834 aucune somme n’en sera distraite que par arrête royal inséré au Moniteur. Ainsi la chambre et tout le pays pourront apprécier la convenance de telle ou telle application. Je m’engage à faire connaître, en présentant le budget de l’année prochaine, l’emploi qui aura été fait du crédit.

- Plusieurs membres. - Ce n’est pas comme cela que l’entend M. Dumont.

M. de Robaulx. - Mon intention n’a pas été d’abandonner entièrement à l’arbitraire du ministre l’allocation qu’il demande, mais de soumettre au contrôle de la législature l’emploi qu’il ferait de cette allocation. Vous allez nommer une commission qui vous présentera un rapport sur l’état de la législation relative aux travaux publics. Cette commission pourra vous proposer une loi qui empêche le ministre d’accorder des sommes sur ce crédit, soit à la faveur, aux importunités, ou pour obtenir des concessions en matière d’élections.

M. Gendebien a dit qu’il croyait nécessaire que la chambre examinât article par article et que quand il s’agissait de voter une somme, la législature avait le plus grand intérêt à connaître article par article l’emploi qu’on en voulait faire. Je ne peut pas admettre cette opinion. Le crédit dont il s’agit, n’est pas affecté seulement à l’ouverture de routes nouvelles, mais aussi à l’achèvement ou à la continuation de routes pour lesquelles il faut des sommes plus ou moins fortes. Il y en a dont la dépense ne s’élèvera guère qu’à 4 ou 500 fr. ; la législature ne peut pas entrer dans de semblables détails. Mais je le répète, je désire qu’il y ait un moyen d’empêcher les abus qui peuvent résulter de l’arbitraire ministériel.

J’ai appuyé le renvoi à la section centrale, afin qu’elle motivât son opinion tant sur les propositions de chacun des membres que sur celles des ministres, et qu’elle fît sentir les raisons plus ou moins plausibles de donner la préférence à telle proposition sur telle autre, raisons auxquelles le ministre aurait plus ou moins égard. C’est ainsi que nous votons au budget sur les subdivisions des articles spéciaux ; nous indiquons sur quoi nous faisons porter telle ou telle réduction : le ministre y a tel égard que de droit sous sa responsabilité. Il n’est pas lié.

Il y aurait un autre moyen, ce sera de voter l’allocation des 759 mille fr., mais d’en suspendre l’application jusqu’à ce qu’une loi ait été votée pour en régler l’emploi. Si vous trouvez qu’il y ait maintenant un arbitraire qu’on ne peut pas tolérer, adoptez ce moyen. Vous auriez pu charger la commission que vous venez de nommer, de préparer un projet de loi à cet effet ; mais vous avez même eu peur de dire que quelque changement serait apporté dans la législation. Vous lui avez dit d’examiner l’état de la législation sans lui prescrire de vous présenter un projet de loi. Dès lors la suspension de l’application du crédit devient difficile.

Je demande qu’on examine et critique, s’il y a lieu, les diverses propositions de l’inspecteur-général des ponts et chaussées ; si on a communiqué ces propositions à la chambre, c’est sans doute qu’on a l’intention de les exécuter en tout ou en partie. Le ministre connaîtra ainsi les intentions de la chambre ; il aura les égards qu’on doit toujours avoir pour les vœux de la législature. Quant à l’année prochaine on devra voter une loi portant des dispositions telles, que le ministre ne puisse plus disposer du crédit qu’on lui alloue, comme bon lui semblera, en faveur de protégés.

M. Dubois. - Il est d’une très haute importance, sans doute, que la chambre examine l’emploi qu’on veut faire des crédits qu’on lui demande. Ce qu’a dit M. Gendebien à cet égard, est très soutenable en principe, mais on ne pourrait en faire l’application aujourd’hui ; ce serait d’autant plus difficile qu’il n’a pas été bien compris.

M. Gendebien n’a entendu parler que de routes de première classe et non de routes provinciales. Cependant plusieurs amendements ont pour objet de demander des allocations pour des routes provinciales. La chambre ne peut pas empiéter sur les attributions de la députation des états. On ne peut pas sans l’assentiment des états provinciaux allouer une somme pour ouvrir une route provinciale. Je demande par ce motif qu’on laisse le principe en suspens, qu’on ne le décide pas incidemment, et qu’on s’en réfère quant au budget. Le renvoi à la section centrale des propositions de MM. Zoude et Olislagers ne peut avoir lieu, car il lui serait impossible de donner son avis sans procéder à une enquête. Le gouvernement a dû faire des enquêtes sur les projets qu’il nous présente. ; et tel membre du Hainaut ne me convaincrait pas malgré son éloquence, qu’une route est nécessaire, s’il n’appuyait pas sa demande d’une enquête.

M. de Theux. - On a insinué que c’était par surprise que j’avais fait adopter un amendement au sujet des rives de la Meuse. Je ferai observer que les communes dont j’ai plaidé la cause sont étrangères au district que j’ai l’honneur de représenter, et que je n’ai aucune espèce de rapport avec ces communes. Quant au fond de la question, M. le commissaire des travaux publics avait donné des renseignements sur l’état des rives de la Meuse ; et l’amendement que j’ai cru devoir présenter, que je n’avais pas préparé mais qui m’a été inspiré à la séance, cet amendement, dis-je, a été renvoyé à la section centrale, un rapport très étendu a été fait ; et il a été adopté dans les deux chambres presque à l’unanimité. Ainsi donc il n’y a pas eu surprise.

M. d’Huart. - Je suis persuadé que l’honorable M. de Theux soit convaincu de la nécessité de la dépense qu’il proposait ; mais moi, je pense que la chambre a passé légèrement sur l’amendement, et s’il a été adopté à une grande majorité dans les deux chambres, c’est faute de renseignements.

M. Dumont. - Je demande qu’on alloue une somme de 84 mille francs pour la construction d’une route de Beaumont à Marchienne.

M. Jullien. - Je prie le ministre de nous dire l’emploi qu’il entend faire des 759,100 fr provenant de l’excédant du produit des barrières. Il n’a pas arrêté sa pensée. On nous a parlé de propositions faites par l’inspecteur des travaux publics : que le gouvernement nous dise s’il adopte ou non ces propositions. La question est de savoir si vous voulez laisser à la discrétion du gouvernement l’emploi du crédit. Si vous ne le voulez pas, il faut qu’il s’explique sur l’emploi qu’il entend en faire.

M. Dautrebande demande une allocation de 275,000 fr. pour la confection d’une route de Liége à Marche, et de Namur à Liége. (La clôture ! la clôture ! Aux voix !)

- La chambre consultée ferme la discussion.

M. le président. - On a demandé le renvoi des amendements à la section centrale.

Des membres ont demandé la question préalable.

- Plusieurs membres. - Qu’entend-on par la question préalable ?

- D’autres membres. - Que l’emploi du crédit sera abandonné au ministre pour cette année.

M. Gendebien. - Il me semble que la discussion roulait non pas sur la question de savoir si on renverrait les amendements à la section centrale, mais sur la motion d’abandonner, pour cette année, l’emploi du crédit au ministre. Afin qu’on ne considère pas la motion comme une déclaration que nous ne pouvons dépenser pour les routes que l’excédant du produit des barrières, ce qui nous empêcherait d’en établir suffisamment dans les provinces, qui, comme le Luxembourg, sont privées de communications, il est entendu que si nous passons à l’ordre du jour, la question reste entière, quant à la proposition de M. Zoude.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Sans doute cette proposition pourra être reproduite. La question reste entière.

M. de Robaulx. - Je ne conçois pas qu’on fasse une proposition spéciale pour l’amendement de M. Zoude. Il a été présenté sept amendements ; j’en ai présenté un moi-même, qui a pour objet l’établissement d’une route, dont une enquête a fait constater l’utilité. Il me semble que ce qu’a dit M. Gendebien en faveur de l’amendement de M. Zoude, peut s’appliquer également aux autres amendements.

M. Gendebien. - C’est ainsi que je l’ai entendu. Ma proposition a eue en vue tous les amendements présentés. J’ai dit qu’il fallait qu’il soit bien entendu que le vote de la chambre ne préjugeait rien sur aucun d’eux.

- La question préalable est mise aux voix et adoptée.

La séance est levée à quatre heures et demie.