(Moniteur belge n°43, du 12 février 1834 et Moniteur belge n°44, du 13 février 1834)
(Moniteur belge n°43, du 12 février 1834)
(Présidence de M. Raikem)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure ; il donne ensuite lecture du procès-verbal de la séance d’hier, qui est adopté sans réclamation.
Plusieurs pétitions adressées à la chambre sont renvoyées à la commission chargée d’en faire le rapport ; une pétition relative aux lins est renvoyée à la commission d’industrie.
M. de Renesse donne lecture d’une lettre adressée à M. le président ; elle est ainsi conçue :
« Monsieur le président,
« Une indisposition grave de ma femme me force à partir pour Liége ; je regrette de me trouver dans l’impossibilité de participer pendant quelques jours aux travaux de la chambre.
« Je vous prie d’agréer, etc.
« Bruxelles, le 11 février 1834.
« A.-H.-F. Ernst. »
M. Seron. - Messieurs, la discussion générale des budgets a cela d’utile qu’elle fournit aux membres des chambres législatives l’occasion de signaler des abus et d’en obtenir quelquefois le redressement par le bon vouloir du ministère. Au lieu que s’ils présentent des projets de loi qu’ils ont eux-mêmes conçus et rédigés, ces projets, favorablement accueillis à leur apparition, le plus souvent restent ensevelis dans les liasses de la commission chargée de les examiner et d’en faire le rapport. C’est ainsi, par exemple, qu’on a oublié ma proposition de rétablir la nomenclature française des poids et mesures, bien que rien ne parût en empêcher l’admission ; pas même le désir d’y ajouter des dispositions qu’on dit également nécessaires, mais qui sont tout à fait indépendantes de celle que je proposais.
C’est avec cette manière de voir que je viens, messieurs, vous soumettre quelques observations, dont M. le ministre de l’intérieur daignera sans doute prendre note comme méritant son attention.
L’article 207 de la loi fondamentale du royaume des Pays-Bas dispense du service militaire les miliciens mariés antérieurement au 1er janvier de l’année où se fait la levée de leur classe. Cette disposition, insérée dans les lois sur la milice, est demeurée en vigueur, bien que l’ancien acte constitutionnel n’existe plus. Elle n’avait paru, avant la révolution, renfermer rien de dangereux ; mais il est des temps où l’on abuse de tout. Des pétitions qui vous ont été adressées signalent les faits suivants, dont je crois pouvoir moi-même garantir l’exactitude.
A Cerfontaine, commune de l’arrondissement de Philippeville, 13 miliciens étaient inscrits pour concourir à la levée de 1833. De ces 13 miliciens, six furent exemptés comme fils pourvoyant à la subsistance de leur famille, ou comme frères de miliciens, en activité. Les sept autres, tous valides mais aveuglés par la peur, ou séduits par de perfides conseils, plus lâches dans tous les cas que les soldats qui se mutilent et que la loi punit, n’ont pas rougi de simuler des mariages avec des femmes de 75 et de 80 ans.
Moins âgées, elles ne leur conviendraient point. Il leur importe qu’elles ne vivent pas au-delà du terme où ils seront libérés de la milice. Alors, si la fantaisie leur en prend, ils contracteront avec d’autres des unions sérieuses. En attendant, ils se moquent des miliciens qui ont la simplicité de ne pas faire comme eux. Ils continuent à demeurer et à vivre chez leurs parents, séparés de leurs prétendues épouses, sans aucune relation avec elles, se félicitant de ce qu’elles leur coûtent beaucoup moins qu’un remplaçant : car ordinairement ils n’achètent ces malheureuses que dix francs, payés au moment de la célébration, et ne les nourrissent point. Sur la présentation des actes constatant ces mariages fictifs, et n’en voyant que la forme, le conseil de milice a ajourné pour un an ceux qui les exhibaient.
En vain des plaintes nombreuses se sont élevées contre une pareille décision, la députation des états l’a maintenue. Elle a cru ne pouvoir faire autrement. C’est ainsi que Cerfontaine, avec une population de plus de 1,100 âmes, n’a pas fourni un seul homme pour le contingent de 1833.
La même fraude y avait eu lieu de la part de plusieurs miliciens des classes antérieures. L’exemple en avait été donné par des gardes civiques de Senjeilles. On ne tarda pas à le suivre dans les villages voisins et notamment à Sileurieux, à Soumoïs, à Vierves, à Perche, à Contiens, communes de la province de Namur, à Erpion, commune du Hainaut. Ainsi le mal est contagieux et peut continuer à gagner de proche en proche.
Il est facile de le faire cesser, c’est d’effacer des lois sur la milice l’article 207 de l’ancienne loi fondamentale, disposition inutile dans un pays où rarement on se marie à l’âge de 18 ou 19 ans. C’est de déclarer que, désormais, le mariage ne dispensera personne de la milice. Cette mesure ne peut exciter aucune plainte raisonnable ni empêcher les véritables mariages : elle ne mettra des entraves qu’aux mariages simulés et frauduleux. Vous la trouverez morale en ce qu’elle aura pour objet et de prévenir le crime, ce qui vaut mieux que le punir, et de mettre fin aux honteuses manœuvres, au moyen desquelles ceux-là profitent du bénéfice de la loi qui ont osé s’en jouer effrontément.
A cette disposition, j’en ajouterais une autre. J’abrogerais l’article aux termes duquel un fils unique ne peut être déclaré exempt du service quand ses parents ont été entretenus, alimentés ou secourus sur quelques fonds publics. Car ce secours prouve l’état de pauvreté du père et de la mère et le besoin de leur enfant. C’est une raison pour lui accorder la dispense et non pour la lui refuser.
Voilà, à mon avis, des modifications réclamées par la raison et la justice. On peut les faire sans qu’il soit besoin de refondre la loi, travail immense et dont on ne verrait pas la loi.
Je passe à un autre objet.
L’arrêté royal du 7 janvier dernier autorise les fabriques d’église à se mettre en possession des biens et rentes d’origine ecclésiastique ou religieuse dont elles feront la découverte ou dont la révélation sera faite à leur profit. La possession, ajoute l’arrêté, leur sera acquise par le seul fait et du jour même de la découverte ou de la déclaration constatée par acte devant notaire. La première question que font naître ces dispositions, c’est de savoir jusqu’à quel point elles sont en harmonie avec les lois existantes et si le gouvernement a pu abolir les conditions que ces lois exigent pour l’envoi en possession. En second lieu, les biens dont il s’agit ayant été nationalisés par les lois françaises, les établissements de bienfaisance et de charité paraissent y avoir autant de droit au moins que l’église. On ne voit donc pas les motifs de la préférence accordée à celle-ci.
Le sixième considérant dit que la mesure, sans causer de préjudice à l’Etat, sera avantageux aux fabriques et par suite aux communes chargées de pourvoir à l’insuffisance de leurs revenus. Oui, à quelques communes où il y a des domaines celés. Mais si elle s’étendait également aux bureaux de bienfaisance, ces communes n’y perdraient rien puisqu’elles emploieraient le revenu des biens au soulagement des pauvres qu’elle sont obligées de nourrir.
L’arrêté que je cite paraît donc peu conforme aux principes et à l’équité. Il faut le dire, le public craint qu’on n’en abuse et que l’église ne s’en fasse un titre pour dépouiller les pauvres des biens d’origine ecclésiastique dont ils pensent se trouver en possession sans avoir rempli exactement toutes les formalités exigées par la loi. Personne ne se plaindrait si, relativement aux domaines celés, les établissements de charité et les fabriques étaient mis sur la même ligne.
En jetant les yeux sur le budget de l’intérieur, je vois (et sur ce point la section centrale est d’accord avec le ministre) que le culte catholique prend dans le trésor d’une part, 3 millions 352,900 fr., et de l’autre, 45,000 fr. : total, 3 millions 397,900 fr. Mais ce n’est pas tout ce qu’il coûte à la nation ; la somme se trouverait vraisemblablement plus que doublée, si l’on y ajoutait les indemnités et les suppléments payés par les communes, l’obituaire de chaque paroisse, les messes et le casuel. C’est une dépense énorme comparativement à ce que coûte l’instruction. Toutefois je ne proposerai pas de la réduire de peur de prêcher comme l’an dernier dans le désert. Mais je me permettrai de demander à M. le ministre si, dans les chiffres que je viens de citer, se trouve compris le traitement de l’abbé Helsen et de ses collaborateurs, ne fut-ce que comme desservants ou curés, ou si, à la recommandation de M. l’archevêque, on a jugé à propos de ne rien leur allouer.
Je sais, messieurs, qu’on les a traités de novateurs, d’histrions, et de saltimbanques. Cela est bientôt dit. Mais ils pourraient renvoyer ces épithètes à d’autres ; mais, sans les novateurs, la Belgique serait encore sous le joug des druides représentés naguères dans certaines contrées par les inquisiteurs de la foi. Mais sont-ils des novateurs ceux qui veulent ramener les temps de la primitive église ? Sont-ils des histrions, des charlatans ceux qui prêchent la morale de l’évangile ? et n’est-ce pas de la morale seule que le législateur doit s’occuper, lui qui n’est pas théologien, et dans le domaine de qui n’entrent nullement les pures questions de dogme ou de culte ?
Lors donc que le culte catholique est salarié par l’Etat, peut-on refuser des appointements aux prêtres catholiques dont les opinions, sur quelques points, diffèrent de celles de leurs confrères ? Le peut-on sans s’écarter de l’esprit de l’article 14 de notre pacte fondamental ? Notez qu’il ne s’agit pas de salarier le premier venu qui vient dire : Je suis prêtre, mais de salarier des gens qui ont reçu le caractère de prêtrise, reconnu par leurs ennemis même comme sacramentel et indélébile.
Il y a bien d’autres observations à faire sur le budget de l’intérieur. Mais je pourrai prendre encore la parole, lors de la discussion par article.
M. Doignon. - Messieurs, lorsque chaque année le ministre de l’intérieur vient demander des subsides à la représentation nationale, il me semble que le pays lui saurait gré de présenter un rapport général sur l’état du pays. Le peuple qui paie est en droit de demander un compte moral de sa gestion ; et de même que les gouverneurs envoient chaque année au ministre un rapport sur la situation de leur province, de même le ministre devrait présenter à la législature un rapport sur la situation générale du royaume.
En France, les budgets sont ordinairement précédés d’un exposé des motifs, qui tient lieu du rapport que je demande. Ce rapport serait d’autant plus intéressant qu’il n’en a été présenté aucun depuis trois ans, depuis l’accomplissement de notre révolution ; et, depuis lors, l’état du pays s’est développé de manière à fournir à ce rapport une ample matière. Ce travail aiderait la législature dans la discussion du budget, et abrégerait nos travaux en évitant les interpellations qu’on est obligé d’adresser aux ministres pour leur faire rompre le silence dans lequel ils se renferment.
Messieurs, nous devons tous déplorer les événement qui se sont passés à Liége. Personne n’a pu le voir sans douleur. Mais lorsqu’on considère tous les torts qu’a eus la régence du cette ville relativement à la démission de M. Dejaer-Bourdon, on doit dire qu’il est impossible qu’elle ne les reconnaisse pas, et que si, après avoir épuisé tous les moyens de persuasion et de conciliation, elle persévérait dans la violation des lois, il serait dans le devoir du gouvernement de prendre enfin des mesures pour leur assurer force et respect. Je lui rappellerai la disposition de l’article 258 du code pénal qui porte que quiconque s’est immiscé sans titre dans des fonctions civiles ou militaires, est passible d’un emprisonnement de 2 à 5 ans.
Telle est, en effet, la position de la personne prétendument nommée pour remplir les fonctions de M. Dejaer-Bourdon. On a agi contre toutes les règles en disposant d’une place d’échevin sans qu’elle fût vacante ; et ici j’exprimerai le regret de ce que depuis longtemps le gouvernement n’ait pas trouvé le moyen de restreindre les régences des villes dans les limites de leurs attributions, n’ait pas donné plus de force à l’autorité administrative, et ne lui ait pas assuré au moins par une loi transitoire le droit de suspendre et de révoquer les bourgmestres et les échevins dans des cas graves, tels que ceux de prévarication et de rébellion administrative.
M. de Robaulx. - Ce serait une atteinte à nos franchises communales.
M. Doignon. - Si le gouvernement était incertain sur son droit, son devoir était de faire trancher la question par la législature ; il ne pouvait s’en dispenser sans courir le danger que l’ordre public fût troublé comme il l’a été à Liége. L’exemple de ce qui s’est passé dans cette ville prouve la nécessité d’une loi, et je me serais décidé à en proposer une, si je n’avais la certitude que la loi communale doive être votée dans cette session. Toutefois je soutiens que même dès à présent ce droit de révocation des magistrats élus par le peuple appartient à l’autorité administrative.
En effet, la constitution a formellement conservé aux autorités provinciales toutes leurs attributions ; or, parmi ces attributions se trouve le droit de révoquer et suspendre les bourgmestres et assesseurs.
Quant à l’autorité royale qui a succédé au gouvernement provisoire pour le pouvoir exécutif, son droit de révocation et de suspension résulte de la nature même des choses et du droit commun. On ne peut supposer que le gouvernement de septembre, en laissant au peuple le choix de ses magistrats, aurait voulu donner aux communes une puissance souveraine qui pût les autoriser à violer impunément toutes les lois, à braver toute autorité et à se constituer indépendantes de tout pouvoir. Une pareille interprétation rendrait tout gouvernement impossible. On ne peut pas admettre que le gouvernement provisoire aurait voulu par là créer dans chaque commune un pouvoir qui lui fût hostile, un pouvoir qui pourrait le détruire et le renverser lui-même. Il faut donc reconnaître qu’il a nécessairement entendu se réserver le droit de révocation et de suspensions sans lequel lui-même n’aurait pu marcher.
Le gouvernement de septembre avait la puissance souveraine ; mais, en délégant au peuple le droit d’élire ses magistrats, il est censé évidemment ne l’avoir fait qu’avec les garanties indispensables à sa propre conservation et conséquemment avec cette condition de révocation, sans laquelle il ne pouvait lui-même exister. Les électeurs n’ont donc reçu du gouvernement provisoire qu’un pouvoir ainsi modifié. Or, ils n’ont pu transmettre aux magistrats élus plus de droits qu’ils n’en avaient reçu eux-mêmes, donc ceux-ci sont de droit révocables, au moins dans les cas de révolte administrative ou de prévarication. Au reste, s’il y a quelques doutes sur ce point, c’était au gouvernement à les faire lever par la législature.
Il n’y a que les ennemis de nos franchises communales qui puissent se réjouir des événements de Liége ; ils prétendre en tirer un argument contre nous ; mais nous-mêmes nous y trouvons l’argument opposé ; car s’il est vrai que les communes abandonnées à elles-mêmes sont exposées à de graves désordres, il faut s’étonner que ces désordres soient aussi rares chez un peuple qui a usé d’une liberté illimité. Il faut reconnaître, par l’ordre et la soumission qui règnent généralement, que le peuple belge est fait pour la liberté, et que le régime constitutionnel sous lequel nous vivons convient à nos mœurs et au caractère national.
Sous les gouvernements précédents, on voyait souvent des circulaires et des instructions adressées aux administrations communales. Aujourd’hui rien de semblable ; jamais un mot à ces administrations pour les diriger, les éclairer, leur rappeler leurs devoirs et les engager à l’exécution des lois. Le ministre semble sous ce rapport se complaire dans une inaction, une indolence inexplicable.
Je regrette également que l’on ait distrait du ministère de l’intérieur les établissements de charité et les bureaux de bienfaisance pour les mettre dans les attributions d’un ministère avec lequel ils n’ont rien de commun : celui de la justice ; ceci est sans exemple dans aucun pays.
Il est dans la discussion du budget une considération que nous ne devons jamais perdre de vue ; c’est qu’en général il ne doit pas y avoir accroissement dans les dépenses. Cependant elles augmentent d’année en année d’une manière effrayante, et si la chambre y consent, il deviendra nécessaire d’augmenter les impôts. Nous devons surtout prendre garde à une tactique à laquelle le ministère a recours avec succès : c’est le juste milieu dans les chiffres. C’est au moyen de cette tactique qu’il obtient toutes les majorations : ainsi s’il veut obtenir une majoration de 10,000 fr., il en fait la demande ; mais la première année il réduit à 5,000 qui lui sont accordés. L’année suivante il reproduit une demande en majoration de 10,000 francs sur laquelle il obtient encore 5,000 fr., ou moins. C’est ainsi que d’année en année, il obtient les majorations demandées.
Le juste milieu, messieurs, est aujourd’hui un mot qui s’accommode à tout, qui se trouve toujours dans la bouches de hommes d’Etat, mais jamais dans le chiffre de leurs projets de budget.
M. Jullien. - Je ne me proposais pas de prendre la parole dans cette discussion générale, mais ce qui me décide ce sont les observations présentées par l’honorable préopinant. Si son intention est de conseiller au pouvoir de faire de la force contre la régence de Liége, qu’il me permette de ne pas être de son avis ; et, si je siégeais au banc des ministres, je lui croirais une arrière-pensée contre moi. (On rit.)
On vient de citer l’article 258 du code pénal qui prononce un emprisonnement de 2 à 5 ans contre tous ceux qui se permettent l’usurpation de fonctions civiles ou militaires. Cela est très vrai contre ceux qui ont usurpé des fonctions ; mais je le demande, comment appliquer cet article aux échevins de la ville de Liége ? L honorable préopinant a ajouté : Ceux qui se sont mis dans le cas de l’article 258 ne peuvent siéger dans la régence de Liège ; mais c’est là toute la question, et si elle n’est pour lui l’objet d’aucun doute, il n en est pas de même pour un grand nombre. Pour moi, je ne crois pas qu’il soit possible de poursuivre celui qui siège dans la régence en vertu des vœux positifs des électeurs ; je ne crois pas que celui qui use d’un mandat qui lui a été conféré et qu’il a accepté, puisse être considéré comme avant usurpé ses fonctions.
Je dis plus : alors même qu’un tribunal aurait déclaré valable l’arrête du gouverneur de la province qui annule les élections, arrêt que la régence ne veut pas reconnaître, dans ce cas même l’homme de bonne foi qui a été élu, qui a été installé dans ses fonctions par un pouvoir régulier, ne pourrait pas recevoir l’application de l’article 258. Ces poursuites n’aboutiraient qu’à un scandale, ne serviraient qu’à rallumer des ressentiments à peine éteints. Mais à quoi d’ailleurs cela conduirait-il le ministère ? Je suppose l’arrêté du gouvernent déclaré légal, les élections annulées ; vous restez dans la même position. Il reste toujours à décider cette question de principe : le Roi a-t-il conservé ou non le pouvoir d’annuler les élections municipales ?
Il est incontestable qu’on peut soutenir l’affirmative. On peut dire que ce pouvoir existait avant la constitution ; que l’article 137 de la constitution l’a maintenu aux états, et que le gouvernement actuel appelé à jouir de leurs pouvoirs avec toutes leurs conséquences a aussi ce droit de suspension et de révocation des autorités communales. Mais enfin cette question est controversée, elle forme un doute et cela doit suffire pour empêcher le ministère de faire de la force. La population de Liége, en résistant, croirait résister à l’arbitraire ; car la régence a décidé que l’arrêté du gouverneur n’était pas valable.
Je dirai au ministère ce que j’ai dit dans la discussion relative aux affaires de Liége : ne compromettez pas le pouvoir royal, n’aggravez pas par des mesures rigoureuses l’état d’anarchie de la ville de Liége. Présentez à la législature une loi de douceur (c’est dans votre propre intérêt que je vous le conseille) qui vous permette de faire rentrer l’administration communale dans le devoir ; car il est impossible de supposer qu’une administration puisse s’écarter de la loi, sans qu’un pouvoir supérieur puisse l’y rappeler. S’il en est ainsi, il y a une lacune dans la loi, il faut la réparer ; si ce pouvoir n’existe pas, il faut l’instituer ; enfin si la constitution a fait table rase de toutes les lois qui assuraient le maintien de l’ordre public, demandez de nouvelles lois, venez dire à la législature quels sont les pouvoirs dont vous avez besoin.
Les ministres ont entendu le conseil qu’on leur donnait tout à l’heure d’exercer des poursuites, de recourir au moyens de rigueur ; ils viennent d’entendre aussi les conseils de modération que je viens de leur donner ; il leur sera libre de choisir.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, pour répondre d’abord à quelques passages du discours de l’honorable M. Seron, à la modération duquel il me permettra de rendre hommage, je dirai que les vices qu’il nous a signalés dans les lois de milice, nous ont frappés aussi bien que lui. Quand il s’agira de la révision de ces lois importantes, nous profiterons des observations qui ont été faites et dont j’ai pris note. Il sera veillé à ce que des mariages simulés ne soient plus pour ceux qui les auront contracté un motif d’exemption ; il sera veillé aussi à ce que des parents, qui auraient reçu de faibles secours des bureaux de bienfaisance, ne soient pas par ce seul fait considérés comme n’étant plus indigents et privés d’une exemption à laquelle leurs enfants auraient droit.
Quant à l’arrêté du 7 janvier dernier auquel M. Seron a fait allusion, il n’a jusqu’ici donné lieu à aucune plainte de la part des bureaux de bienfaisance. Il n’attribue en effet aux fabriques que la possession des biens d’origine ecclésiastique celés au domaine, et laisse d’ailleurs intacts les droits des bureaux de bienfaisance. Le décret du 30 décembre 1809, qui attribuait cette possession aux fabriques, ne fut pas toujours loyalement exécuté sous l’ancien gouvernement ; à la veille de l’échéance de la prescription qui ne pouvait profiter qu’aux détenteurs illégitimes, nous avons pensé qu’il n’était que juste et utile de faciliter aux fabriques l’accès à des ressources perdues pour l’Etat, et qui en définitive profiteront aux communes chargées de suppléer à l’insuffisance des revenus des fabriques.
Ce n’est pas, au reste, une mesure particulière à la Belgique ; dans un pays protestant voisin de nous, en Prusse, la possession non seulement des biens ecclésiastiques, mais de tous les biens celés au domaine, a été déférée depuis plusieurs années aux fabriques, et l’a été de plus, à l’exclusion des bureaux de bienfaisance.
On a demandé si l’abbé Helsen recevait un traitement comme prêtre catholique ; je pourrais répondre par l’ordre du jour que vous avez prononcé il y a peu de temps sur une pétition qui lui était relative. Toutefois je déclarerai qu’il m’est impossible de considérer et de salarier comme prêtre catholique celui qui n’est pas institué et reconnu par ses supérieurs ecclésiastiques. Je ne ferai donc pas figurer cet ecclésiastique sur l’état des traitements du clergé, si son évêque déclare qu’il n’appartient pas au culte catholique.
M. A. Rodenbach. - Je demande la parole.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - L’honorable M. Doignon a présenté des vues utiles sur la nécessité d’un exposé de la situation générale du royaume. C’est un travail que le gouvernement n’a pas perdu de vue. Je me propose d’établir cette situation générale, aussitôt que tous les rapports des gouverneurs sur l’état des provinces me seront parvenus.
Nous y sommes intéressés, et comme gouvernement et comme amis du pays ; nous ne doutons pas que ce rapport ne fasse ressortir à l’intérieur et à l’extérieur un grand nombre d’améliorations qui datent de notre révolution, et ne démontre encore que le pays est loin d’offrir l'aspect désespérant que ses ennemis voudraient lui donner.
On est revenu sur les événements qui se passent à Liége. Je crois inutile de faire connaître en détail les faits qui se sont succédé depuis le rapport de la pétition sur l’exclusion de l’échevin Dejaer-Bourdon. Le gouvernement avait annoncé aux chambres qu’il croyait avoir les moyens administratifs nécessaires pour faire cesser les abus existant à Liége ; ces moyens il les a employés : la députation des états est intervenue, aux termes du règlement des villes ; elle a prescrit de suspendre les élections : on sait que le conseil de régence, faisant droit à la réquisition de la députation des états, avait résolu de s’y conformer. On sait aussi que le collège de régence, malgré la volonté du conseil, fit procéder à l’élection de 3 échevins, alors qu’il n’y en avait que 2 à nommer.
Le gouverneur de la province fit alors usage de l’article 8 de l’arrêté du 8 octobre 1830 ; il annula les élections pour cause d’irrégularités graves et notifia son arrêté à la régence de Liége. Cet arrêté eut le même sort que l’invitation de la députation des états. La régence se crut en droit de n'en tenir aucun compte ; elle déclara qu’il n’y avait pas lieu à procéder à de nouvelles élections, et sans recourir à aucun pouvoir supérieur, elle passa outre à l’installation du nouvel échevin.
Il résulte de là que l’action administrative semble épuisée. Il resterait, il est vrai, l’annulation, par un arrêté du Roi, de la démission de M. Dejaer ; mais le gouvernement, d’accord en ce point avec un honorable préopinant, doit s’abstenir de faire intervenir l’autorité royale, alors qu’il a la persuasion que son action serait inefficace.
Dans cet état de choses, il resterait deux voies auxquelles on put recourir : la voie judiciaire qui nous a été conseillée par l’honorable M. Doignon, et la voie législative qu’ont indiquée d’autres préopinants.
Le gouvernement a délibéré sur l’un et sur l’autre moyen. La voie judiciaire, outre qu’elle porte un caractère de sévérité dont le gouvernement a cru devoir s’éloigner pour le moment, entraînerait des lenteurs préjudiciables à l’administration de la ville de Liége. Or, il est impossible que cet état d’anarchie administrative se prolonge. L’autorité supérieure ne peut reconnaître la régence actuelle où il se trouve 3 échevins qu’elle considère comme dénués de titres. Par ces motifs, nous avons cru devoir ne pas recourir à l’action des tribunaux, nous avons préféré la voie législative comme la plus prompte à porter remède au mal ; nous comptons en user incessamment.
Relativement aux circulaires dont on a parlé, je me bornerai à dire que si le gouvernement s’abstient de ces circulaires autrefois attaquées, aujourd’hui si regrettées, c’est que les lois sont généralement obéies et exécutées. Il n’est pas à notre connaissance que de fréquentes infractions aux lois aient nécessité des instructions sur la manière de les exécuter, et nous ne faisons pas des circulaires pour le plaisir d’en faire.
Au reste, l’honorable M. Doignon se souviendra que l’ancien gouvernement ne se recommandait pas par son système de circulaires.
(Moniteur belge n°44, du 13 février 1834) M. de Brouckere. - Messieurs, si M. Doignon avait réfléchi avant de prendre la parole, je crois qu’il se serait abstenu du conseil qu’il a cru devoir donner aux ministres : d’abord à mon avis ce conseil est mauvais, et même, fût-il bon, il semble que ce n’est pas le rôle de la représentation nationale de pousser le gouvernement à des mesures sévères, je dirai même exorbitantes, contre des citoyens honorables.
Si les poursuites sont réellement une nécessité, il faut laisser le gouvernement les intenter, sans en assumer sur nous la responsabilité.
Je suis bien aise que mon honorable ami M. Jullien ait répondu à l’honorable M. Doignon, afin qu’on sache au-dehors que certains membres de cette chambre ne partagent pas sur les événements de Liége l’opinion émise par ce dernier. Quant à moi je le déclare, je ne suis nullement partisan des mesures rigoureuses qu’il a conseillées.
Si le gouvernement avait pu se décider à quelque chose, ce ne pouvait être qu’à des poursuites correctionnelles, et je le félicite sincèrement de s’en être abstenu. Mais il serait à désirer que cette discussion cessât ; elle est d’un mauvais effet en ce qu’elle préjuge une question qui peut être soumise aux tribunaux, malgré la promesse contraire de M. le ministre. Elle a ce mauvais résultat qu’on cherche indirectement à influencer, en cas de poursuites, l’opinion des magistrats qui doit être libre, indépendante, exempte enfin de toute espèce d’influence.
Je crois donc qu’il est inutile de s’occuper des événements de Liége. Ce serait véritablement perdre du temps ; car c’est donner lieu au développement d’opinions divergentes, qui, pour traiter la question à fond, absorberont plusieurs séances. C’est un inconvénient que nous devons chercher à éviter. Il faut d’ailleurs laisser le gouvernement agir comme il le jugera convenable. Si j’avais à lui donner un conseil, ce serait d’user autant que possible des moyens de conciliation, d’employer la douceur et la modération. Si la régence de Liége est dans l’erreur, peut-être la fera-t-on revenir de son erreur. Mais il serait impolitique d’user de rigueur, autant qu’il sera possible d’employer des moyens conciliants.
M. A. Rodenbach renonce à la parole.
M. Gendebien. - J’ai demandé la parole pour appuyer ce que vient de dire mon honorable collègue et ami M. de Brouckere.
On finit par où on aurait dû commencer : la douceur et la modération. Si on avait commencé ainsi, jamais la régence de Liége ne se serait trouvée en lutte avec les autres autorités. Mais on lui a d’abord contesté le droit de publicité pour ses séances ; on l’a injuriée dans certains journaux, enfin on l’a accusée d’abus scandaleux. Maintenant on revient à des mesures plus sages. A cela il n’y a qu’un mal, c’est que beaucoup de monde se croira en droit d’attribuer ce changement de régime à d’autres causes qu’aux sentiments de modération dont on fait parade aujourd’hui.
On finit en annonçant qu’on va procéder législativement ; c’est précisément ce que j’avais demande dans le principe : je voulais qu’on formulât une proposition, et si on le croyait utile, qu’on nous proposât un projet de loi. On aurait pu alors discuter en évitant les questions de personnes, l’aigreur et l’animosité qui y prennent toujours tant de part. Quand le projet qui a été annoncé sera présenté, j’émettrai plus amplement mon opinion et sur la législation existante et sur les événements de Liége ; je ferai retomber sur le gouvernement les récriminations auxquelles il s’est livré contre la régence de Liége, je prouverait que c’est du côté du gouvernement que sont les abus de pouvoir.
Quant à la régence de Liége, elle est placée trop haut et par l’opinion publique et par moi-même pour avoir besoin de défenseur ; je ne descendrai point jusqu’à la justification, ce serait lui faire injure. Je regrette seulement qu’on ait essayé de convertir à son sujet la représentation nationale en une chambre des mises en accusation. C’est un rôle qui ne convient à cette assemblée que dans une seule circonstance, à l’égard des ministres ; sa juridiction ne peut aller au-delà.
Pour éviter de prolonger une discussion qui pourrait devenir irritante, il est prudent que je m’arrête, réservant toutefois les autres observations que j’ai à présenter pour la discussion du projet de loi annoncé par le ministre de l’intérieur.
M. de Robaulx. - D’après ce qu’a dit M. le ministre de l’intérieur, la question des événements de Liége n’est pas soumise en ce moment à la chambre, et ne devra être agitée que lors de la discussion du projet de loi qu’il annonce. Je ferai donc une simple observation pour démontrer que la question n’est pas exclusivement telle que l’a posée M. le, ministre, et qu’elle est susceptible d’être portée sur un autre terrain. Outre la question de savoir si le pouvoir, exécutif a le droit de casser des élections communales, il y a celle-ci : la régence, comme corps délibérant, n’a-t-elle pas aussi bien que cette chambre le droit d’accepter ou de refuser la démission de l’un de ses membres, et dans l’espèce a-t-elle bien ou mal usé de ce droit ?
Pour le premier point qui est celui de la compétence, il n’est pas contesté ; pour le second, je n’ai qu’à indiquer deux exemples empruntés à cette assemblée ; ils en décideront.
Vous avez le droit d’accepter la démission même forcée d’un député ; c’est ainsi que vous avez accepté la démission de l’honorable M. Goblet, que vous avez présupposé acceptant les fonctions de ministre par intérim des affaires étrangères. Il a dit : Je veux garder mon mandat. Je ne suis pas ministre d’une manière définitive. Vous lui avez répondu : Vous avez accepté des fonctions publiques, vous ne pouvez plus siéger dans cette chambre sans être soumis à une réélection ; vous avez accepté sa démission malgré lui, vous l’avez destitué : servez-vous de l’expression que vous voudrez, mais enfin vous l’avez dépouillé de son mandat.
Plus tard, l’honorable ministre actuel des affaires étrangères, ayant accepté les mêmes fonctions, s’est trouvé exactement dans la même position. Il a fait la même objection que M. Goblet ; cette fois elle a été accueillie, et il a été décidé que M. F. de Mérode ne cesserait pas de faire partie de la chambre.
Voici deux faits qui se contredisent évidemment. Il y en a un mal jugé. Que résulte-t-il de cela ? c’est que M. Goblet a été peut-être victime d’une erreur, d’une erreur qui ne peut être réparée, attendu que la chambre juge en dernier ressort. Eh bien ! la minorité qui peut-être avait raison, a été obligée de se soumettre à la majorité ; c’est ce qui doit toujours arriver. Cependant nous voyons dans les affaires de Liége M. Dejaer-Bourdon qui veut l’emporter sur la majorité. Mais j’abandonne cette question qui donnerait lieu à de trop longs débats.
Je désire cependant répondre un mot à l’honorable M. Doignon. Il a prétendu que le gouvernement provisoire, en délégant aux électeurs le droit d’élire les bourgmestres et les échevins, était censé s’être réservé celui de les suspendre, de les révoquer. Je ne sais s’il y a beaucoup de logique dans ce mot censé. Il a ajouté que les ennemis de nos franchises communales pouvaient se réjouir des événements de Liége. Je dis moi que ceux-là seuls qui, comme M. Doignon, prétendent, non en vertu de la loi, mais en vertu de je ne sais quelle induction, que le gouvernement provisoire, en déléguant le droit d’élection des magistrats municipaux, s’est réservé le droit de suspension et de révocation, ceux-là seuls, dis-je, sont les ennemis de nos franchises municipales ; et par une conséquence directe, je dirai qu’à eux seuls peut être renvoyé le reproche de se réjouir d’événements comme ceux de Liége. Au reste, nous reviendrons sur cette question lorsque nous aurons à discuter la proposition de loi qu’on a annoncée.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs la question de fond sera traitée plus à propos lors de la discussion du projet de loi que je présenterai à la chambre ; mais je crois devoir faire observer que l’honorable préopinant est dans l’erreur lorsqu’il met sur la même ligne la régence et la chambre : car, ainsi que l’a fait remarquer dans son rapport l’honorable M. Liedts, il fallait, aux termes de l’ancien règlement des villes, que la démission de l’échevin Dejaer fût approuvée par les états ; mais ceci rentre dans la question de fond qui sera discutée plus tard.
C’est surtout pour répondre à l’honorable M. Gendebien que j’ai demandé la parole. Il a reproché au gouvernement de finir par où il aurait dû commencer : par la modération. Je remercie M. Gendebien des conseils de modération qu’il nous donne ; mais je dois dire que, depuis le commencement de cette affaire, le gouvernement ne s’en est pas écarté. Certes, en présence des actes inouïs de résistance qui se sont succédé, il eût été permis au gouvernement, en restant dans le cercle de ses attributions, d’agir avec plus de rigueur ; c’est ce qu’il n’a pas fait ; et jamais, j’ose le dire, affaire n’a été conduite avec plus de modération.
On rappelle que la régence de Liége a été injuriée dans quelques journaux ; je ne sais si elle a été en effet injuriée, mais sans doute on ne refusera pas aux journaux, alors même qu’on leur suppose des relations avec le pouvoir, le droit d’attaquer des actes qu’ils considèrent comme illégaux. Quant au gouvernement lui-même, il n’a pas voulu se prononcer sur la question de la publicité des séances, loin d’aller tout d’abord au-delà de ce que prescrivaient la prudence et la modération : il ne s’est prononcé que lorsque les droits d’un citoyen ont été méconnus, et que ce citoyen, pour obtenir justice, s’est adressé au gouvernement chargé de protéger les droits de tous.
Nous ne pouvons donc accepter les reproches de l’honorable député du Hainaut, encore moins cette espèce de phrase ambiguë, de laquelle il résulterait que notre modération n’a pas été dictée par les intérêts de la ville de Liége, mais par d’autres causes. Le gouvernement n’a eu en vue, dans cette affaire, que de faire respecter les droits d’un citoyen et cesser l’état d’anarchie, où l’imprudence de quelques hommes a jeté l’administration. Ce sont là les seules causes de sa conduite ; si l’honorable préopinant en connaît d’autres, qu’il veuille bien s’expliquer.
M. de Robaulx. - Vous nous dites qu’il y a de la différence entre la chambre et la régence, parce que la chambre n’a pas de supérieur, tandis que la régence a des supérieurs ; voilà votre raisonnement : je ne veux pas l’atténuer, il n’est pas trop fort. Vous dites encore : De ce qu’on doit faire approuver les révocations des régences, par similitude on doit faire approuver les révocations d’échevins. Mais, messieurs, il n’y a pas de similitudes ou d’analogies en législature ; il faut évidemment que ceux qui ont nommé les échevins puissent les révoquer ; quand c’était le roi qui les nommait, il pouvait leur enlever leurs fonctions ; maintenant c’est le public qui les nomme, et c’est le public qui les remplace.
M. Gendebien. - Que mes conseils soient bien ou mal accueillis par le ministère, cela ne m’empêchera pas de lui en donner encore un qui, sans doute, aura le même sort que les autres.
On a affirmé que beaucoup de personnes avaient trouvé que le gouvernement mettait trop de modération dans les affaires de la régence de Liége ; interrogez l’expérience, et elle vous dira que ces hommes qui engagent le gouvernement à sortir des voies de la modération ne sont pas ceux qui le défendent, alors que l’abus de ces moyens énergiques amènent des catastrophes. Je conseille au pouvoir de ne pas suivre l’avis de ceux qui voudraient qu’on mît de la violence dans les actes administratifs. Un gouvernement qui veut être obéi, qui veut se faire respecter, doit toujours commencer par la modération, quand il veut parvenir à l’exécution des lois ; car, quand il commence par des actes de violence, il finit presque toujours par céder. Il faut marcher successivement d’un moyen légal à un autre moyen légal ; voilà dans que sens j’ai donné la leçon.
Le ministre s’est trompé lorsqu’il a suppose que j’avais attribué la modération au gouvernement, non à l’intérêt qu’il porte à la ville de Liége, mais à une autre cause ; il a eu tort de m’interpeller en quelque façon sur les autres causes que je semblais indiquer. Il n’a été question de rien de tout cela ; j’ai dit que le gouvernement avait eu tort de ne pas commencer par où il avait fini, parce qu’on pouvait attribuer à tout autre cause qu’à la modération le changement subit de régime à l’égard des actes de la régence de Liége. J’ai ajouté que le gouvernement devait éviter soigneusement de pareilles suppositions qui devaient le déconsidérer ; le seul moyen d’y parvenir c’est de commencer par où il a fini, c’est-à-dire par la modération.
Je ne rentrerai pas dans le fond de la question, mais je suis en quelque sorte forcé de relever une proposition qui me paraît mal sonnante. On a prétendu que le gouvernement provisoire, en portant l’arrêté sur les régences, n’avait pas voulu les émanciper : j’étais à Paris quand l’arrête a été pris ; mais si j’ai bonne souvenance, le gouvernement provisoire n’a pas eu l’intention de restreindre la liberté que le peuple avait conquise. C’est le peuple tout entier qui régnait au mois de septembre 1830 ; le gouvernement provisoire ne fut qu’une autorité de circonstances, qui s’est constituée pour faire marcher l’administration de manière à réorganiser l’armée, à réunir les éléments épars de l’administration elle-même. Il n’avait aucune liberté à donner, aucune liberté à ôter ; il avait simplement à régulariser l’usage de la liberté indéfinie que le peuple venait de conquérir, et dont il était en possession au prix de son sang. Il n’a donc pas entendu restreindre les pouvoirs populaires, ni les soumettre à des lois et à des règlements antérieurs qui n’existaient plus. Ce que le peuple avait conquis par sa volonté, le gouvernement provisoire le régularisait conformément à la manifestation et à la volonté du peuple.
Supposons que les membres du gouvernement provisoire aient eu l’intention absurde, j’ose le dire, de soumettre les régences aux anciens règlements, et aux dispositions de l’ancienne constitution : veuillez bien remarquer que c’était contre ces règlements et contre cette constitution qu’on se soulevait ; comment supposer que nous, législateurs passagers, nous ayons eu l’intention d’imposer au peuple des règlements contre lesquels il s’est révolté ? Quand nous aurions eu cette absurde intention, toujours est-il que d’après les anciens règlements c’est au pouvoir qui nommait aux diverses fonctions municipales qu’appartenait le droit de destituer ou de révoquer ; or, qui a nommé à toutes les fonctions municipales d’après l’arrêté du gouvernement provisoire ? Qui donc avait le droit de révocation ? Le peuple qui avait nommé. On a destitué ou suspendu de ses fonctions M. Dejaer ; à qui en a-t-on appelé de cet acte ? Au peuple qui l’avait nommé ; et si le peuple l’avait réélu, tout était fini. Le peuple ne l’a pas réélu, il a donc confirmé la disposition de ses mandataires municipaux
On a méconnu dans cette affaire l’esprit des institutions transitoires du 5 octobre 1830, qui sont toujours en vigueur parce qu’on n’a pas eu le temps de réorganiser l’administration municipale. On ne s’est pas aperçu qu’il y avait lacune dans la législation ; que la régence ayant bien ou mal décidé, il n’y avait aucune autorité supérieure qui pût infirmer sa décision.
Messieurs, ce serait abuser de vos moments et de votre patience que de prolonger la discussion sur ce point ; toutes les questions que nous pourrions agiter se représenteront quand le gouvernement nous soumettra un projet de loi sur cet objet.
M. Dumortier. - Lors du débat qui s’est élevé à l’occasion de la pétition de l’échevin de la régence de Liége, révoqué d’une manière si illégale de ses fonctions municipales, j’ai demandé que le gouvernement prît des mesures pour faire rentrer dans l’ordre la minorité de la régence de Liége qui, dans cette circonstance, a agi contre les lois ; nous avons encore demandé si le gouvernement avait des lois suffisantes pour atteindre ce but, bien décidés que nous étions à lui donner les moyens de rétablir si la législation était impuissante : le ministère tout entier n’a pas hésité à déclarer qu’il y avait dans les lois en vigueur une force suffisante pour faire rentrer la régence dans le devoir ; et lorsque nous nous disposions à appuyer le ministère de plus en plus on alla jusqu’à dire qu’on avait les moyens de mettre la régente au pas.
Depuis lors que s’est-il passé ? Un nouveau scandale a été ajouté au premier ; la minorité de la régence de Liége se constitue encore une fois en conseil ; cette minorité factieuse installe des hommes qui certainement ne tenaient pas leurs fonctions d’une élection régulière ; elle les a installés quoique le gouverneur usant de son droit annulât l’élection.
M. de Robaulx. - Je demande la parole.
M. de Brouckere. - Le débat va devenir interminable.
M. de Robaulx. Il ne fallait pas dire minorité factieuse.
M. Dumortier. -Vous pouvez me répondre et je répliquerai.
M. de Robaulx. - Oh ! Je ne doute pas que vous répliquerez.
M. Dumortier. - Je dis minorité factieuse parce que ceux qui installent des élus sans qu’il y ait majorité violent la loi ; et une telle violation est un fait factieux.
Je reviens au point d’où j’étais parti.
Lorsque nous avons demandé au gouvernement s’il avait les moyens de faire exécuter les lois, le ministère déclara qu’il avait en main des moyens suffisants de répression.
Le lendemain cependant l’installation a eu lieu. Pourquoi le ministère ne s’est-il pas servi des lois pour empêcher cette installation ? Quand il n’y aurait eu que le code pénal, comme a fort bien remarqué M. Doignon, il fallait que le ministère en fît usage. Si le gouvernement n’explique pas les motifs pour lesquels il n’a pas employé les lois, je croirai qu’il est le complice de la régence de Liége (bruit) ; oui, messieurs, complice de la régence de Liège ; car, à propos de ce qui s’est passé à Liége, il viendra demander l’anéantissement des franchises communales sous le prétexte du maintien de l’ordre. Cette considération est d’une très haute importance, elle mérite toute notre attention.
J’ai dû faire l’interpellation que j’adresse au ministère afin de prévenir le mauvais effet des impressions que les événements de Liége peuvent produire sur les esprits, et pour empêcher que plus tard on ne vienne restreindre par trop les libertés publiques. Le gouvernement ayant les moyens de répression, s’il ne les emploie pas, c’est qu’il le veut bien. Il est possible que la prudence exige qu’on n’emploie pas ces moyens ; mais, je le déclare à la face de la nation, il ne faut pas qu’on se prévale des événements de Liége pour comprimer les libertés publiques.
M. Jullien. - Voudriez-vous que le ministère employât du canon ?
M. Dumortier. - Il ne s’agit ici que des lois, que du droit.
M. de Robaulx. - Du droit canon !
M. Dumortier. - Je ne sens pas le sel qui peut se trouver dans ces plaisanteries ; quoi qu’il en soit, je soutiens que le code pénal donnait au gouvernement les pouvoirs nécessaires… (A l’ordre du jour ! à l’ordre du jour !)
M. Pirson. - Je suis ministériel, très ministériel dans ce moment ! (Au budget ! A l’ordre du jour !)
M. de Foere. - Je veux examiner quelques doctrines qui ont été émises dans le cours de la discussion, doctrines très dangereuses pour l’exercice de nos attributions.
En premier lieu, l’honorable député de Bruges a avancé que si le ministère prenait un arrêté royal pour faire rentrer la régence de Liége dans l’ordre, ce serai compromettre le pouvoir royal. Messieurs, si une semblable doctrine pouvait passer sans opposition, il s’ensuivrait que le pouvoir royal serait compromis par l’esprit de parti, car à chaque exécution des lois il serait exploité par les partis. La doctrine que je combats est inconstitutionnelle. L’article 63 de la loi fondamentale déclare inviolable le pouvoir royal, et que les ministres sont seuls responsables, de sorte que, quel que soit le résultat de l’exécution d’un arrêté, le pouvoir du Roi doit rester en dehors ; et c’est à ce point qu’il serait dans le devoir du président de cette chambre de rappeler à l’ordre ceux des orateurs qui interpellent ici le pouvoir royal.
Quant à la régence de Liége, c’est au ministère à employer tous les moyens possibles pour la faire rentrer dans le devoir, si toutefois elle en est sortie. S’il y a eu scandale, il faut empêcher qu’il ne se propage par l’exemple ; il faut pour cela le faire cesser.
Un autre préopinant ne voudrait pas qu’on entrât aujourd’hui dans le fond de la question, parce que ce serait devancer la décision des tribunaux ; et l’honorable député de Mons a ajouté que tout débat exercerait de l’influence sur les tribunaux en faisant remplir à cette chambre le rôle de chambre des mises en accusations. Messieurs, c’est encore là une doctrine qui ne peut pas passer sans réponse ; car ce serait méconnaître nos attributions. Il en résulterait qu’un grand nombre de pétitions qui nous sommes adressées ne pourraient être discutées à fond, dans la crainte que la question agitée dans les pétitions ne fût portée devant les tribunaux. Mais de plus n’est-ce pas faire injure aux tribunaux que de croire que nos discussions influeront sur les décisions qu’ils prendront ?
D’honorables préopinants ont aussi prêché la modération à l’égard de la régence de Liége. Certes, ce ne sera pas moi qui conseillerai aux ministres d’user de sévérité quand on peut parvenir au but par voie de conciliation ; mais si le ministère ne parvenir au but, il doit être responsable du scandale qui se perpétuerait.
Il faut que toute la difficulté pèse exclusivement sur la responsabilité du ministère ; le ministère doit faire cesser le désordre s’il existe ; il doit faire rentrer la régence de Liége dans les limites légales, et nous ne pouvons plus nous immiscer dans cette affaire. Telle a été la doctrine des orateurs qui se sont opposés à la discussion du fond.
Un honorable préopinant a fait la part des journaux du pays dans la difficulté qui nous occupe. Il a déclaré savoir de bonne source que les journaux, ou quelques journaux du pays, avaient été la cause du désordre auquel la régence de Liége s’est livrée. Messieurs, dans d’autres occasions, les journaux ont aussi été l’objet d’accusations ; mais, s’ils ne restent pas en dehors de toutes nos délibérations vous verrez que la chambre sera bientôt divisée en partis. Si vous admettez la liberté de la presse, admettez-en les conséquences. Notre seul devoir est de maintenir la constitution, l’ordre légal. Si l’anarchie est préconisée ou excitée par les journaux, nous ne devons pas nous en occuper, nous n’avons point à nous occuper de ces détails ; nous n’avons qu’à nous occuper des principes de la constitution. J’ai dit.
M. Jullien. - Je voudrais répondre un mot à l’honorable membre qui prétend que le droit du président aurait été de nous rappeler à l’ordre.
M. de Robaulx. - Il paraît que l’honorable M. de Foere nous a attaqués personnellement, M. Gendebien et moi, quand il a parlé de ceux qui donnaient des conseils aujourd’hui, et qui avaient demandé qu’on ajournât le débat. Je ne donne pas de conseils ; je ne veux pas que la chambre assume la responsabilité des actes ministériels. Nous avons l’intention de juger le ministère quand il présentera un projet de loi sur les affaires de Liége ; nous verrons alors s’il a suivi ou non une marche constitutionnelle ; nous ne voulons lui dicter aucune mesure à prendre. Il en est d’autres que nous qui se chargeraient volontiers de cette tâche, qui voudraient diriger le ministère ; ce sont les catholiques ; car il faut dire les choses franchement. Ils réclament des mesures de rigueur ; ils insultent la régence de Liége. Nous avons fait observer que les propos acerbes envenimaient les choses. Nous venons d’entendre les mots de minorité factieuse ; dans quel dessein s’exprime-t-on ainsi ? Ne voudrait-on pas pousser le ministère dans un piège ?
Quand il aurait échoué contre la ville de Liége, ne voudrait-on pas profiter de sa défaite en faveur d’une certaine opinion qui vise au pouvoir ? Pourquoi envenimer tout, si on n’a pas de semblables desseins ? (La clôture ! la clôture ! L’ordre du jour ! l’ordre du jour !)
M. Dumortier. - La clôture est impossible dans l’état de la discussion.
M. Gendebien. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
M. Jullien. - Je la demande pour un fait personnel. On incrimine les paroles que j’ai employées ; on aurait voulu que j’eusse été rappelé à l’ordre.
M. Gendebien. - On me rappellerait vingt fois à l’ordre pour des motifs semblables que je ne m’en affligerais guère.
M. Jullien. - C’est le jour où on donne des conseils que celui-ci. M. de Foere a conseillé à M. le président de rappeler à l’ordre tous ceux qui parleraient du pouvoir royal. Si mes expressions sont inconstitutionnelles, il faut déclarer que la constitution est inconstitutionnelle elle-même ; car les articles 62, 63, 64, 65 parlent tous du pouvoir royal dans le même sens que je donne à ces mots, c’est-à-dire du pouvoir exécutif mis en action sous la responsabilité des ministres. Si on faisait intervenir la personne du Roi dans nos débats, sans doute que l’on serait constitutionnellement répréhensible ; mais quand on parle du pouvoir royal, on se sert d’expressions consacrées par la loi fondamentale. Je suis persuadé que M. l’abbé de Foere a maintenant du regret d’avoir provoqué contre moi le rappel à l’ordre, cette peine énorme que je ne mérite pas.
M. d’Huart. - La discussion n’a aucun but ; elle commence à s’aigrir ; il ne faut pas la prolonger. Quand la loi sur la régence de Liége sera présentée, vous serez alors dans l’obligation de consacrer votre temps à entendre un débat dont celui de ce jour peut vous donner une idée, un avant-goût. Evitons d’opérer une scission entre les membres de cette chambre ; toute division est nuisible, surtout quand il faut s’occuper à discuter un budget.
Je demande la clôture du débat actuel.
M. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel. J’ai entendu avec étonnement un orateur parler de catholiques à l’occasion des élections de Liége ; je prendrai la défense des catholiques dans cette occasion comme dans toute autre. Je n’ai jamais fait de génuflexions devant eux ; et c’est parce que je suis indépendant que je puis les défendre.
M. Jullien. - Nous sommes aussi catholiques que vous !
M. de Brouckere. - Est-ce qu’il y a des protestants ici ?
M. Dumortier. - Il n’y a pas de catholiques dans cette chambre ; il y a des députés, il y a des hommes qui veulent la liberté et qui comprennent tout le parti qu’on peut tirer des événements de Liége pour réagir sur la loi communale.
Vous avancez que ce sont les catholiques qui ont voulu le désordre à Liége ; peut-on avancer une pareille absurdité ! Si les catholiques donnaient leur approbation à des mesures anarchiques je prendrai la parole contre eux. Je le demande à l’honorable membre qui a accusé les catholiques, où est le véritable libéralisme ? Consiste-il à expulser du sein d’une administration un homme qui y est régulièrement entré ? où sont les tyrans entre ceux qui emploient la violence contrairement à la loi, et ceux qui subissent la violence et sont dépouillés de leurs droits.
M. de Robaulx. - Je ne sais à s’adresse l’orateur, quand il parle de ceux qui font des génuflexions devant les catholiques ; je crois à l’indépendance de l’orateur, et qu’il ne fait de génuflexions devant personne, mais je le prie de croire aussi à la mienne.
Je n’ai pas dit que les catholiques excitaient le trouble à Liége ; j’aurais dit une absurdité, car cette ville est parfaitement tranquille, et il n’y a pas eu de trouble dans son enceinte ; mais j’ai soutenu que si l’on prenait des mesures rigoureuses, comme le conseillaient certainement personnes, on suivrait une mauvaise voie. Tous les hommes sages demandent qu’il n’y ait ni révolte administrative, ni révolte d’une autre manière. Nous ne voulons pas donner de conseils aux ministres ; nous les laissons agir sous les responsabilités ; nous ne voulons pas faire tomber la responsabilité des événements sur la chambre. Je suis d’ailleurs étonné que les catholiques, qui donnent tant de conseils, reprochent aux autres d’en donner. (La clôture ! la clôture de l’incident !)
M. le président. - La discussion générale sur le budget de l’intérieur continue ; si personne ne demande la parole, nous passerons à la discussion des articles.
« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Traitement des fonctionnaires, employés et gens de service : fr. 158,000. »
La section centrale propose 150,000 fr. Diminution, 8,000 fr.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne puis me rallier à la proposition de la section centrale par les motifs exposés dans le développement de mon budget. J’avais donné à entendre l’année dernière que probablement je serais obligé cette année de demander une augmentation, et c’est ce qui a eu lieu. Elle est justifiée par les détails suivants.
L’année dernière le traitement d’un commis au cabinet n’a pas été payé en entier par le ministère ; il a été payé en partie sur le budget de la province d’Anvers ; pour le payer en entier cette année, il faut une augmentation.
Un employé, détaché des bureaux par suite de la loi sur la garde civique, est rentré au ministère. Aux termes de la loi, il a le droit de reprendre ses fonctions. Il faut une augmentation pour son traitement. Il en faut encore une pour les expéditionnaires attachés au secrétariat. De jour en jour la besogne prend de l’accroissement au ministère de l’intérieur relativement à la copie des pièces. Nous sommes quelquefois obligés de donner du travail à l’extérieur pour la copie de notes nombreuses à envoyer aux chambres de commerce, pour les tarifs, pour une multitude de pièces dont le détail serait trop long ici.
Je demande une augmentation pour la division du commerce, où il n’y a que deux employés avec le chef. Une des attributions du ministère de la marine est passée au ministère de l’intérieur, et 2,500 fr. sont nécessaires pour l’employé qui vient du ministère de la marine. Tels sont les motifs qui m’ont déterminé à demandé 8,000 fr. d’augmentation.
Nous n’aurons pas avec cette augmentation le nombre suffisant d’expéditionnaires. Vous pouvez vous en assurer en passant au ministère.
La direction du commerce et de l’industrie offre chaque jour plus d’importance : son personnel sera insuffisant pour l’année prochaine. Si la chambre comprenait comme nous l’importance de cette division, elle en ferait une administration tout entière et séparée, un ministère particulier. Je n’ai pu augmenter le personnel cette année ; seulement j’ai révélé la présence de deux employés qui n’étaient pas officiellement connus.
M. Dubus, rapporteur. - Le ministre s’est borné à rappeler les développements donnés dans le budget : or, tous les membres de la chambre ont apprécié ces développements, car toutes les sections et la section centrale ont refusé l’augmentation.
Le ministère de l’intérieur procède d’année en année par des augmentations successives. En 1832, le personnel a été porté pour le chiffre de 138,800 fr. A la fin de 1833, on l’a porte pour 148,000 fr. Aujourd’hui on demande 158,000 fr. Ainsi d’année en année on augmente de 10,000 fr. Il faut pourtant que ces augmentations aient un terme. Il est facile de dire : J’ai besoin d’un traitement pour tel employé, puis pour tel autre. De 10,000 fr. en 10,000 fr. nous arriverions à une somme énorme. Mais qu’est-il besoin d’un employé du cabinet dont on s’est passé jusqu’ici ? qu’est-il besoin d’un employé qui revient de la garde civique et dont on a pu se passer ? On va donc renvoyer celui qui l’a remplacé, ou bien on va créer une sinécure. Nous ne payons que les employés absolument nécessaires ; nous ne voulons pas de sinécures.
La section centrale a satisfait à tous les besoins en portant le chiffre à 150,000 fr., c’est-à-dire en donnant 3,000 fr. de plus que l’année dernière. Les expéditions, les copies pourront se payer avec cette augmentation.
Nous sommes à la veille d’une réorganisation communale et provinciale ; on veut détruire la centralisation, ce qui diminuerait le travail du ministère de l’intérieur : est-ce en présence de cette réorganisation que nous irons augmenter le personnel du ministère ? Il faudrait donc renvoyer les employés superflus ou par humanité conserver leurs traitements ?
Je persiste dans les conclusions de la commission.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je n’ai pas vu que la section centrale ait combattu les développements donnés à mon budget ; c’est pour cela que je les ai reproduits. On ne me dit pas maintenant comment je peux me dispenser de reprendre un employé qui a servi dans la garde civique, et qui n’a pas été remplacé au ministère.
On n’a rien dit qui prouvât que je dusse me dispenser des autres employés dont je réclame le traitement. On se plaint de l’augmentation successive des budgets, mais la discussion de l’année dernière est trop récente pour que l’on ait oublié les motifs qui ont déterminé la chambre à voter le chiffre du gouvernement ; on a reconnu qu’en 1832 les réductions avaient été exagérées.
On croit qu’à la veille d’une réorganisation provinciale on ne peut augmenter le personnel de l’intérieur parce que les attributions de ce ministère seront diminuées ; je crois au contraire qu’elles seront augmentées quand on aura rendu au gouvernement les attributions qui lui ont été ôtées par les circonstances. Indépendamment de la surveillance des administrations communales, les travaux publics exigent de grands soins ; le commerce et l’industrie réclament toute la sollicitude du gouvernement ; un chef et deux commis ne peuvent suffire pour cette branche importante de l’administration.
Je ne dirai pas que l’administration sera paralysée par la réduction proposée : l’administration peut toujours marcher ; mais elle peut marcher plus ou moins vite. En réduisant de 8,000 fr., comment l’administration marchera-t-elle ? En renvoyant certains employés, en diminuant les autres, en les décourageant tous. Dans un gouvernement constitutionnel, dans un gouvernement représentatif ou contrôlé, il faut du moins que l’administration puisse marcher en pleine liberté. Le gouvernement, s’il le pouvait, serait le premier à présenter des diminutions ; il en résulterait pour lui plus de popularité, et devant la chambre, et devant le pays ; ce n’est que parce qu’il y est forcé qu’il demande des augmentations. L’année prochaine il faudra nécessairement augmenter le personnel de l’intérieur.
M. Dubus, rapporteur. - M. le ministre m’adresse des questions auxquelles il faut que je réponde.
La circonstance d’un employé qui a servi dans la garde civique n’a pas changé la nature de son emploi : un employé ne peut conserver ce titre qu’autant que son service est indispensable ; sans quoi il faut le supprimer. Vous dites qu’il faudra augmenter le personnel l’année suivante. Eh bien faites faire les écritures par l’employé qui vient de la garde civique et considérez-le comme un employé de plus, car jusqu’ici on s’est passé de son travail.
Il y a un employé de la marine qui passe à l’intérieur ; pour assurer son traitement, il suffit d’opérer un transfert de la marine à l’intérieur ; il ne faut donc pas une augmentation.
Le ministre fait le procès à la chambre de 1832 ; elle a fait des réductions trop fortes ; elle n’a rien exagéré dans les réductions ; elle a seulement vu qu’on voulait organiser l’administration sur une trop grande échelle.
Pour savoir si le ministre a le nombre d’employés suffisant, il faudrait adopter la proposition qui a déjà été faite : il faudrait procéder par enquête sur l’organisation des bureaux des différents ministères ; on reconnaîtrait alors une fois pour toutes quel est le personnel nécessaire, et on s’assurerait que la dépense est faite et bien faite ; on voterait une somme qui deviendrait en quelque sorte invariable, tandis que si nous admettons des augmentations successives, nous ne saurons où nous arrêter.
Je dirai au ministre : On vous accorde 150,000 fr. ; c’est à vous à faire la répartition de cette somme. D’après l’expérience acquise par les années écoulées, nous ne doutons pas qu’on ne puisse marcher avec une telle allocation.
J’insiste pour qu’on n’accorde pas davantage.
M. Donny. - Je ne crois pas que 3,000 fr. soient de trop pour l’employé du cabinet, s’il ne reçoit plus rien sur le budget de la province d’Anvers ; je ne crois pas non plus qu’on puisse refuser le traitement de l’employé de la marine qui a passé à l’intérieur, surtout si le ministère de la marine a été diminué en raison de la diminution de ses attributions.
L’employé qui revient de la garde civique a en quelque sorte des droits acquis, car il existe une disposition qui remet les employés dans leur première position, lorsqu’ils quittent les rangs de l’armée.
Je ne pense pas que ce soit dans les expéditionnaires que se trouve le luxe qu’on reproche à la bureaucratie ; s’il y a des réductions à faire, elles doivent tomber sur les employés supérieurs. Je pense que nous devons laisser toute latitude au ministre relativement aux expéditionnaires, et je ne crains pas qu’il en abuse.
M. Nothomb. - Lors de la discussion du budget de la marine on a supprimé une somme de 5,000 francs. La moitié seulement doit être considérée comme une économie. Il y avait deux employés qui ont été supprimés ; l’un pris pour un service sanitaire a été renvoyé sans emploi ; l’autre est passé au ministère de l’intérieur ; en sorte que les 2,500 fr. que l’on demande ne représentent pas une augmentation, mais un transfert. Si aujourd’hui la somme de 2,500 fr. n’était pas ajoutée au budget de l’intérieur, il y aurait impossibilité de solder cet employé à l’intérieur ou à la marine.
M. Legrelle. - Si l’employé attaché au cabinet a été payé en partie par le ministre et en partie par le budget de la province d’Anvers, il s’ensuit que nous ne devons ajouter ici que ce qui était payé par cette province.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - C’est vrai.
M. Legrelle. - S’il faut rendre la place à l’employé qui revient de la garde civique, il faut renvoyer celui qui l’a remplacé, ce qui fait compensation.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Il n’a pas été remplacé ; ses camarades se sont partagé l’ouvrage.
M. Legrelle. - Quant à l’employé de la marine, je demanderai à M. le commissaire du Roi comment il fera concorder ce qu’il vient de dire avec ce qu’il a écrit au budget de la marine ? Il a écrit que la diminution de 5,000 fr. était pour faire une économie. ; nous l’avons loué de ses bonnes intentions ; cependant il fait transférer la moitié de la somme sur le ministère de l’intérieur.
En résumé, je crois que l’augmentation de 3.000 fr., accordée par la section centrale sur le chiffre de l’année dernière, peut suffire à tous les besoins. Je prie M. le ministre de l'intérieur de refaire ses calculs.
M. de Muelenaere. - L’honorable préopinant dût-il regretter les remerciements qu’il a adressés à M. le commissaire de la marine, la chambre ne peut pas se dispenser de majorer de 25,000 fr. le crédit proposé par la section centrale ; car cette majoration est de toute justice. Vous avez alloué en 1833, au département de la marine, un crédit de 9,870 fr , en 1834, vous n’allouez plus, pour tout le personnel, que 4,870 fr. La réduction, sur tout le ministère de la marine, s’élève donc à 5,000 fr. Cette somme n’est pas convertie tout entière en économies, comme le croit l’honorable préopinant. Une partie résulte bien de la suppression d’un emploi ; mais une autre partie provient de ce que certaines attributions de la marine passent à l’intérieur, et de ce que l’employé à qui elles étaient confiées est, en 1834, a la charge du ministère de l’intérieur. Je conviens qui eût été plus régulier de faire connaître que ce n’était qu’un transfert. Quoi qu’il en soit, les faits sont tels que je viens de les exposer. D’une part, au lieu d’indiquer le transfert, on a supprimé le traitement ; de l’autre, comme le budget de l’intérieur était fait, on n’a pu l’augmenter du montant de ce traitement.
Ce n’est donc qu’un transfert ; c’est ce qui résulte de l’ordre donné par M. le ministre des affaires étrangères à l’employé dont il s’agit ; il y est dit : « M***, employé de 1ère classe au département de la marine, cessera, à partir du 1er janvier 1834, d’appartenir à ce département et passera dans la même qualité et avec le même traitement au département de l’intérieur. »
La suppression du traitement qui a été faite au lieu du transfert a pu induire en erreur et faire croire qu’il y avait économie de la somme à laquelle il s’élève ; quoiqu’il en soit, vous ne pouvez vous empêcher de majorer d’autant le budget de l’intérieur à la charge duquel est le traitement de cet employé.
M. Dubus, rapporteur. - Je conviens que d’après les explications données par l’honorable orateur, il y a lieu à majorer le chiffre proposé par la section centrale de la somme de 2,500 francs, à laquelle s’élève le traitement d’un employé du département de la marine qui passe à celui de l’intérieur. Mais, d’après les détails dans lesquels est entré M. le ministre, il me semble qu’il réclame par erreur 3,000 fr. en sus du budget de l’an dernier. Ce ne peut pas être pour le traitement du secrétaire du cabinet, qui est payée en partie sur les fonds de la province d’Anvers. D’un autre côté, si un employé, qui était officier dans la garde civique mobilisée, rentre au ministère de l’intérieur, il n’y a pas lieu à augmenter le nombre des expéditionnaires ; car plus il y a d’employés, moins il y a d’écritures extraordinaires. Mais grossir le nombre des employés et la somme destinée au paiement des écritures extraordinaires, c’est faire un double emploi.
Je propose donc comme député, et non pas au nom de la section centrale, dont je n’ai pas le droit, comme rapporteur, de modifier les conclusions, je propose de fixer à 154,000 fr. fr le chiffre de l’article 2.
L’état des traitements du ministère de l’intérieur s’élevait à la fin de décembre à fr. 147,000.
Qu’on y ajoute :
- le complément du traitement du secrétaire du cabinet payé en partie sur les fonds de la province d’Anvers, fr. 1,800,
- le traitement de l’employé qui sort de la garde civique mobilisée, fr. 1,470,
- le traitement de l’employé qui était précédemment au département de la marine, fr. 2,500,
On aura un total de fr. 5,770.
Cela porterait le chapitre II à fr. 152,770.
Je propose fr. 154,000
C’est-à-dire en sus des besoins prévus, 1,230 fr.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, je regrette de devoir insister encore, alors que l’honorable rapporteur de la section centrale me fait une avance de 4,000 fr. ; mais, dans l’intérêt de l’administration, je ne puis adhérer à son amendement. L’honorable M. Legrelle a signalé un double emploi, provenant de ce que le commis du cabinet a reçu 1,200 fr. sur les fonds destinés aux frais extraordinaires. L’observation de M. Legrelle est juste ; et il y a lieu à une réduction de 1,200 francs ; mais il m’est impossible d’accorder au-delà.
On a fait remarquer que le personnel avait été augmenté de 2 nouveaux commis, et on a dit que c’était un motif pour diminuer les frais d’expédition. Ceci est une erreur. Plus il y a de commis-rédacteurs, plus il faut d’expéditionnaires. L’introduction d’un seul-commis rédacteur très laborieux pourrait nécessiter l’emploi de plusieurs expéditionnaires. La présence de nouveaux employés, loin de diminuer le nombre des expéditions, ne fait donc que l’augmenter.
On a parlé d’enquête dans l’administration. Si la mesure officielle n’était pas irrégulière, je serais le premier à la provoquer, car l’administration de l’intérieur se fait fort de sortir avec succès d’une pareille épreuve. Justice lui a été rendue à cet égard et particulièrement par un honorable membre qui siège près de M. le rapporteur de la section centrale. J’ai pris note de ses observations, attendu qu’il n’est pas coutumier du fait, quand il s’agit de complimenter l’administration.
Ce serait donc 1,200 fr. dont je consentirai la réduction, et encore je fera remarquer que par là il me sera impossible d’avoir un ou deux commis, que je croyais utile de placer au bureau du commerce. Mais si j’admettais le chiffre de l’honorable M. Dubus, je serais obligé de renvoyer des expéditionnaires. J’en ai admis plusieurs sur la réclamation des chefs de bureau.
Ils ont été jusqu’à présent surnuméraires ; et ils attendent le vote du budget pour savoir s’ils doivent continuer leurs services à l’administration. Si j’étais obligé de les renvoyer, le travail des commis rédacteurs en souffrirait ; car assurément, lorsqu’ils manqueraient de copistes, leur zèle se ralentirait.
Je le dis en toute bonne fois, la somme de 156,800 francs m’est absolument nécessaire.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, je désirerais répondre deux ou trois mots à un argument qui m’a paru produire de l’effet sur quelques membres de l’assemblée, mais qui me paraît tenir à un défaut de connaissance du mécanisme des bureaux ministériels.
Un honorable préopinant a parlé de l’absence d’un employé de l’administration centrale de l’intérieur, et a fait remarquer que sa rentrée an ministère, par suite de la dissolution de la garde civique, prouvait que son emploi était une espèce de sinécure. Car, dit-il, si l’administration a marché pendant que cet emploi n’était pas occupé, il est évident qu’il n’est qu’une superfétation dans le personnel. Mais ce n’est pas ainsi que les choses doivent être envisagées ; car la marche d’un ministère ne dépend pas de la présence ou de l’absence d’un employé.
Il arrive souvent qu’un employé est absent pour une cause ou une autre, pour une indisposition par exemple, et l’administration ne cesse pas pour cela de marcher.
Ainsi, au ministère de la justice, le secrétaire-général est resté naguère 3 mois absent par suite d’un accident très grave ; eh bien, le ministère a marché, mais marché tant bien que mal malgré l’absence forcée de cet employé supérieur. Mais comment cela s’est-il fait ? par une répartition instantanée du travail du secrétaire-général entre les autres employés supérieurs du ministère et le ministre lui-même. Il y a eu surcroît de travail pour tout le monde. Un chef de division a été obligé de travailler hors des heures de bureau et même le dimanche avec moi.
L’espèce de fraternité qui règne entre les employés les engage, lorsque l’un d’eux est absent par indisposition où par une cause aussi honorable que celle du service dans la garde civique, de se charger du surcroît de travail qui est résulté ; mais ce n’est pas là l’état normal de l’administration ; c’est un état exceptionnel, résultat du dévouement et de l’affection. Il ne faut pas conclure de ce qu’il en a été ainsi pendant 3, 4, 5 mois, que l’administration pourrait se passer continuellement d’un employé. Ce serait ne pas connaître le mécanisme des bureaux.
Le ministère de l’intérieur a été privé pendant longtemps des services de son secrétaire-général. Faut-il en conclure que ces fonctions sont une sinécure ? ce serait une conséquence fort singulière.
Il me suffit de savoir que plusieurs honorables membres connaissent la parcimonie avec laquelle sont réglées les dépenses de l’intérieur ; et je suis persuadé que la chambre voudra bien ne pas insister sur la réduction du chiffre demandé pour le traitement des fonctionnaires et employés qui travaillent sous ses ordres.
M. Jullien. - Aussi longtemps que la centralisation sera maintenue, que l’organisation de la commune et de la province n’aura pas eu lieu, je serai disposé à maintenir au ministère de l’intérieur le personnel qui s’y trouve, parce que dans un temps j’ai été à même de reconnaître qu’il n’était pas trop nombreux pour tout le travail dont il est chargé.
Les difficultés qui avaient été élevées commencent à s’aplanir ; ainsi on est d’accord sur le transfert d’un employé de la marine au ministère de l’intérieur. Sous ce rapport il y a lieu à augmenter le chiffre de la section centrale.
Quant à l’employé qui a servi dans la garde civique il est incontestable qu’il a droit à reprendre sa place au ministère de l’intérieur, puisque le service dans la garde civique n’enlève pas aux citoyens les fonctions qu’ils occupaient précédemment. On a fait observer avec infiniment de justesse que si ses camarades ont bien voulu se charger du surcroît de travail, résultant de son absence, cela ne fait pas une économie, et qu’il doit reprendre le travail que l’on a fait pour lui.
On a dit qu’il était dangereux d’augmenter le nombre des employés alors que la décentralisation amènerait des réductions, et obligerait le ministre à en renvoyer un grand nombre. Je le crois aussi. Nous devons tous désirer que l’administration soit montée à moitié moins de frais. Mais la décentralisation n’existe pas encore. Je dirai même que l’organisation de la commune et de la province occasionnera dans le commencement au ministère un surcroît de travail. Je pense donc que par ces motifs, et d’autant plus que nous sommes à quelques centaines de francs près d’accord avec le ministre, il y a lieu à lui accorder le chiffre qu’il demande. Quant à moi, je voterai dans ce sens.
M. Gendebien. - Messieurs, quelque répugnance que j’aie à faire subir une réduction à la juste indemnité du travail, je ne puis me dispenser d’appuyer l’amendement de M. le rapporteur de la section centrale et de voter pour l’économie qu’il propose. Je veux ainsi éviter l’introduction au ministère de l’intérieur d’employés que vous seriez obligés de renvoyer plus tard. En effet, lorsque vous procéderez à la décentralisation, il vous sera impossible de leur donner de l’emploi ; car ne croyez pas que vous puissiez les placer dans les provinces : la centralisation vous oblige à avoir, dans les provinces comme à l’administration centrale, des employés beaucoup trop nombreux : la décentralisation amènera économie des deux côtés. A la veille d’établir ce mode, il faut être très sobre de nouveaux employés.
C’est un changement nécessaire, car il est impossible (et je défie à cet égard l’homme le plus capable) de surveiller tout le travail dont le ministère de l’intérieur est chargé maintenant, et de s’occuper en même temps des améliorations que réclame l’intérêt du pays. Vingt-trois ans d’expérience m’ont appris qu’il est impossible de concevoir aucun projet important, lorsqu’on se laisse absorber par des occupations trop nombreuses et surtout de détails.
Si vous me demandez des fonds pour un plus grand travail de la part des employés actuels jusqu’à ce que la décentralisation soit établie, je pourrais les accorder ; mais si c’est pour augmenter le nombre d’employés, je ne le puis pas.
Je dois déclarer que M. le ministre a mis en avant une proposition qui m’inquiète sur l’emploi des fonds qu’il demande. Il a dit qu’un commis rédacteur employait trois expéditionnaires au moins. C’est une erreur. Je sais ce que c’est que le travail, et je dis qu’il n’est guère possible qu’un rédacteur donne du travail à plus d’un ou deux expéditionnaires. Je suppose un homme assez habile pour composer continuellement : il ne peut pas pour cela écrire sans interruption ; ce n’est pas une machine à écrire. Il faut qu’il examine le dossier qui lui est soumis, qu’il le mette en ordre, et qu’il conçoive un projet de réponse. Puis vient ensuite la besogne matérielle de dicter ou d’écrire. Je vais plus loin, je suppose qu’il n’y ait pas de travail préparatoire. Je dis qu’un rédacteur ne dictera pas plus qu’il n’est possible à une personne d’expédier en même temps ; à moins, vraiment, que vous ne preniez pour expéditionnaires des hommes inexperts ou des enfants sachant à peine écrire.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Pour les circulaires aux gouverneurs, il faut 9 copies.
M. Gendebien. - On m’objecte qu’il faut 9 copies des circulaires aux gouverneurs ; mais les écrit-on constamment ? Non sans doute ; et la preuve c’est que M. le ministre de l'intérieur disait tout à l’heure qu’il n’avait pas besoin de faire des circulaires attendu que les lois sont partout exécutées. Ce sont donc des cas extrêmement rares. Pour me résumer sur ce point, je dirai qu’il m’est impossible, en termes généraux, d’admettre qu’un commis-rédacteur puisse employer trois expéditionnaires ; je n’entends parler que des expéditionnaires attachés aux divisions.
Quant à l’employé qui a servi dans la garde civique, nul doute que, fût-il même inutile, il ne dût reprendre son emploi. Il a rempli son devoir ; s’il avait eu un bras cassé, c’eût été un malheur pour lui. Il a eu une chance plus heureuse, il faut qu’il rentre dans ses fonctions ; il trouve donc sa place vacante ; mais le ministre a dit qu’il n’a pas été remplacé, et puisque pendant son absence le budget n’a pas été dégrevé du montant de son traitement, il n’y a donc pas lieu à l’augmenter de la somme à laquelle s’élève son traitement lorsqu’il vient reprendre son emploi ; ainsi je ne puis admettre la majoration de 1,470 francs qui a été proposée.
Il est un autre point sur lequel je désirerais avoir quelques explications. La chambre pensait que la somme de 5,020 fr. dont a été réduit le budget des affaires étrangères, était une économie. On vient dire maintenant que cette économie est réduite de moitié par suite du transfert de 2,500 fr., traitement d’un employé qui passe du département de la marine à celui de l’intérieur. Mais comment se fait-il que les budgets des affaires étrangères et de l’intérieur ne fassent aucune mention de ce transfert ?
Je désirerais voir, au ministère de l’intérieur, un fonctionnaire qui réglât la division du travail et surveillât l’emploi du temps des employés. Je ne demande pas que ce soit le ministre lui-même, ce ne serait pas possible ; qu’il s’occupe de cette surveillance une ou deux fois dans l’année, et quant il le jugera convenable, voilà tout ce qu’on doit lui demander. Le secrétaire-général est, comme on sait, peu apte au travail, surtout à un travail de surveillance. Le ministre devrait chargé de cette surveillance un employé de confiance. Ainsi il éviterait l’enquête qu’on a proposée, et le ministère pourra marcher convenablement jusqu’à l’époque où sa dislocation serait le résultat de la décentralisation.
Je ne sais s’il y a au ministère de l’intérieur des employés inutiles ; mais je sais qu’il y a à cet égard superfétation au ministère des finances. Là un grand nombre d’employés reçoivent des traitements considérables pour ne rien faire ; ils sont parents de fonctionnaires publics qui ont des connaissances spéciales et dont on redoute les attaques ; c’est là leur seul titre, leur seul mérite. J’entends leur mérite comme employés ; car je suis loin de contester leur mérite personnel ; ils peuvent en avoir beaucoup, mais comme ils ne font rien, ils ne sont pas à même d’en faire usage dans leurs fonctions.
Je suis prêt à accorder la somme demandée, si le ministre veut prendre l’engagement de ne pas augmenter son personnel. Plus les employés sont nombreux, moins ils travaillent. Dans une réunion de 10 employés il n’y en à jamais que 5 ou six qui s’occupent, il n’y en a souvent qu’un qui travaille beaucoup, et il est le bardeau, la risée de ceux qui ne font rien.
Suivant la déclaration que fera le ministre relativement à l’accroissement du personnel j’accorderai ou je refuserai la somme demandée en sus de l’amendement de M. le rapporteur de la section centrale.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Nous commençons à être peu près d’accord. La question porte sur l’utilité des expéditionnaires. J’ai dit que l’année dernière j’avais été obligé de prendre 3 expéditionnaires surnuméraires. Cette année je suis obligé de payer leurs services ; du reste, il n’y a pas d’augmentation.
L‘honorable M. Gendebien s’est trompé dans ce qu’il a dit sur le nombre des expéditionnaires nécessaires. Il est certain qu’un rédacteur en occupe quelquefois 5.
Un simple arrêté royal doit toujours être expédié trois fois, et une de plus lorsqu’il doit être notifié aux intéressés. Chaque arrêté qui a rapport au commerce et à l’industrie, doit être expédié neuf fois quand il faut consulter les chambres de commerce, 18 fois quand il faut consulter en même temps les députations des états, et enfin 27 fois quand il y a lieu à prendre en outre l’avis des comités d’agriculture.
Je ne finirais pas, si je voulais énoncer les monceaux d’expéditions qui sortent du ministère de l’intérieur. Il y a les états de traitement du clergé, les états des ponts et chaussées. Un seul état demande souvent à un expéditionnaire 2 jours de travail.
Je crois en avoir dit assez pour établir la nécessité de l’allocation demandée.
M. Verdussen. - Messieurs, l’honorable M. Gendebien a fait observer que le traitement de l’employé qui a servi dans la garde civique n’a pas été déduit du budget de 1833. Ainsi, bien loin qu’il y ait lieu à majorer le budget de 1834 de 1,470, cette somme doit se trouver en caisse pour les appointements de 1833. Les budgets antérieurs viennent à l’appui de cette observation.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - On croyait que le premier ban de la garde civique partirait en 1831. Le traitement a, dès lors, cessé de figurer sur les états. La réduction a eu lieu au budget de 1832, où l’observation en a été faite.
- « Article 2. Traitement des fonctionnaires, employés et gens de service (chiffre proposé par le gouvernement) : fr. 156,800. »
Cet article est mis aux voix et adopté.
La séance est levée à quatre heures trois quarts.