(Moniteur belge n°19, du 19 janvier 1834 et Moniteur belge n°20, du 20 janvier 1834)
(Moniteur belge n°19, du 19 janvier 1834)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure.
M. Dellafaille lit le procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
Les pièces adressées à la chambre sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. d’Huart. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
Je crois devoir appeler l’attention de la chambre sur des faits importants qui se passent dans le Luxembourg. ; si on veut me le permettre, je les exposerai brièvement. Je ne les crois pas susceptibles d’élever de discussion.
- De toutes parts. - Parlez ! parlez ! parlez !
M. d’Huart. - Messieurs, d’après des nouvelles que j’ai reçues aujourd’hui de ma province, il paraît que l’autorité militaire prussienne de la forteresse de Luxembourg vient encore une fois de prouver toute sa sympathie pour notre ennemi le roi Guillaume, en s’immisçant de la manière la plus gratuite dans l’administration civile de la partie allemande du Luxembourg.
M. le ministre des finances avait fait publier que l’on procéderait, le 13 du courant, à la vente des coupes ordinaires de la forêt de Greenwald, appartenant à l’Etat. Aussitôt, m’assure-t-on, le gouverneur de la forteresse écrivit au général belge qui commande la province, que si le « gouvernement de fait » (c’est ainsi qu’on nous qualifie) persistait à faire cette vente et à frustrer ainsi le « souverain légitime » de ses revenus, il s’y opposerait, au besoin même par la force.
L’administration des finances ne recula pas ; elle fit procéder à l’adjudication, et l’opposition prussienne s’effaça. En cela notre gouvernement se conduisit dignement ; il mérite selon moi nos éloges, et je me fais un plaisir de le féliciter. Je l’engage de plus à persister jusqu’au bout, en approuvant l’adjudication et en protégeant les droits des adjudicataires contre toutes tentatives contraires qui pourraient surgir.
Une seconde circonstance, messieurs, dans laquelle le gouvernement s’est encore conduit d’une manière qui mérite l’approbation générale, c’est lorsqu’il ordonna, il y a peu de temps, le tirage de la milice de 1834 dans la partie allemande du Luxembourg, et qu’il répara ainsi le tort qu’il avait eu l’année précédente de suspendre cette opération.
Eh bien, messieurs croiriez-vous que cette mesure qui est toute dans les droits de la Belgique, et qui ne déroge en rien au statu quo politique établi par la convention du 21 mai, semble devoir rencontrer de l’opposition, ou tout au moins a suscité les répugnances des autorités prussiennes dans la forteresse de Luxembourg ? Je suis informé que le même gouverneur militaire dont j’ai parlé tout à l’heure, a écrit au général belge que j’ai également désigné, qu’il l’invitait à solliciter de son gouvernement le retrait de l’ordre pour le tirage de la milice, afin de lui éviter le désagrément de devoir s’y opposer.
Messieurs, nous avons si souvent reproché à nos ministres ce que nous appelions leur faiblesse et leur déférence pour les ennemis cachés ou déclarés de notre révolution, qu’il y a bonne foi et équité à saisir l’occasion qui se présente aujourd’hui de rendre hommage à la fermeté et à la dignité des deux actes que je viens de citer. Pour moi, je leur en tiens bon compte, et je les engage à se maintenir dans la voie honorable qu’ils viennent de s’ouvrir. (Appuyé ! appuyé !)
M. le président met successivement aux voix les amendements adoptés dans la première délibération sur les budgets des affaires étrangères et de la marine ; ces amendements sont de nouveau adoptés, mais sans discussion.
La chambre passe ensuite au vote par appel nominal. Soixante et un membres votent l’adoption ; un seul, M. Desmet, vote le rejet.
MM. de Roo, Jullien, Vanderheyden, s’abstiennent de voter, parce qu’ils n’ont assisté qu’à une partie de la discussion.
Le budget du ministère des affaires étrangères et de la marine est adopté définitivement par la chambre et sera transmis au sénat.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) présente un projet de loi relatif à l’établissement d’une école militaire.
M. le président. - La section centrale a modifié le projet du gouvernement ; M. le ministre de la justice adopte-t-il la proposition de la section centrale ?
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, je ne crois pas pouvoir me rallier à l’avis de la section centrale. En présentant le projet de loi dont la chambre est saisie, j’ai voulu concilier avec les règles d’une sage économie toute proportion équitable dans la rémunération des services rendus à l’Etat par les auditeurs militaires.
Jusqu’à ce moment, messieurs, le traitement des auditeurs militaires n’avait été établi que par des arrêtés royaux, et notamment par l’arrêté de 1816, que j’ai cité dans l’exposé des motifs du projet de loi. On a signalé cet état de choses comme une infraction aux dispositions de la constitution, lesquelles veulent que le traitement des membres de l’ordre judiciaire soit réglé par la loi.
Sous l’empire des arrêtés dont je viens de parler, le traitement des auditeurs militaires, était en général plus élevé que ne le propose le projet de loi actuellement en discussion : c’est ainsi que l’auditeur militaire de la province de Liége jouissait d’un traitement de 5,400 fr., outre une indemnité de frais de bureau ; que l’auditeur militaire de Bruxelles jouissait d’un traitement de 5,500 fr. Celui de la province du Limbourg, détaché en campagne, et dont les fonctions ont été momentanément réunies à l’auditorat de Liége, touche un traitement de 5,500 fr. ; l’auditeur de la province de Namur touche 5,300 fr. ; celui de Mons, 5,500 ; celui de Bruges, 5,000 fr. J’ai négligé les fractions. D’après le projet il y a réduction d’environ 800 fr. sur la plupart des traitements. Celui de Namur se trouve frappé d’une double réduction par le chiffre et par la classification ; cette réduction s’élèvera presque à 1,100 fr. Le gouvernement, en opérant ces réductions, a été jusqu’aux limites d’une sage économie.
Les fonctions de l'auditeur militaire, telles qu’elles sont déterminées par le code de procédure militaire actuellement en vigueur, sont triples :
1° il est procureur du Roi,
2° Juge d’instruction,
3° Greffier.
Comme procureur du Roi, il est chargé de rechercher les délits et les crimes ; et la loi lui accorde, à cet effet, action directe et immédiate.
Il porte la parole au conseil de guerre comme accusateur public, et veille à l’exécution des jugements, à laquelle il est obligé d’assister en place publique.
Comme juge d’instruction, il est chargé, conjointement avec deux officiers commissaires qui ne l’assistent que de leur présence, de procéder à des procédures, quel que soit leur objet ; crime, délit ou contravention disciplinaire.
Cette partie de ses fonctions est la plus importante et la plus onéreuse ; le moindre fait, auquel la loi attribue l’une des trois qualifications ci-dessus, exige une instruction préliminaire qui est quelquefois très longue et très dispendieuse.
Dès que l’instruction est achevée, les dépositions des témoins sont communiquées au prévenu ou à l’accusé, qui est interrogé sur les différents faits révélés par chacune d’elles, et note est tenue de toutes ses réponses.
C’est encore là, comme on voit, une opération qui absorbe souvent beaucoup de temps.
Si les témoins se contredisent entre eux, ou s’il se trouvent en contradiction avec l’accusé, la loi exige qu’on procède à un nouvel interrogatoire, et qu’on les interroge en présence les uns des autres sur les faits contredits.
Toutes leurs observations doivent être soigneusement mises par écrit.
L’instruction achevée, si l’auditeur pense qu’il n’y a pas lieu à suivre, il fait son rapport au commandant de place, et si celui-ci est du même avis, l’affaire n’est point portée devant le conseil ; en cas contraire, la cause est portée au conseil, et tous les témoins entendus sont assignés de nouveau pour l’audience publique.
On voit que, de cette manière, une simple querelle, une rixe qui, en définitive, aboutit à une condamnation de quinze jours de prison, peut entraîner une instruction préliminaire très volumineuse et occasionner des frais hors de toute proportion avec la gravité du délit.
Aussi conviendra-t-il de restreindre, à l’avenir, la nécessité d’une instruction préliminaire au cas de crime seulement, et de suivre à cet égard la marche adoptée devant les tribunaux ordinaires.
Comme greffier, l’auditeur a des fonctions aussi multipliées, aussi remplies que celles d’un greffier près d’un tribunal civil.
1° Il rédige les jugements ;
2° Il les inscrit en double dans des registres à ce destinés ;
3° Il rédige les procès-verbaux des séances et les transcrit.
A toutes ces opérations, ajoutez le travail d’une correspondance très étendue (8 à 10 lettres par jour) ; ajoutez le travail qu’absorbe la confection d’états mensuels et trimestriels ; ajoutez les avis sur les requêtes en grâce, qui sont très nombreuses, et vous aurez un aperçu exact des travaux d’un auditeur.
Et cependant ; il est seul pour toute cette besogne ; il n’a ni adjoint ni substitut (les auditeurs en campagne exceptés), et comme il est dans l’impossibilité absolue d’y suffire, il leur faut bien un commis.
Tel est le cas où des auditeurs se trouvent, qui sont obligés de payer 800 francs à un commis.
Outre cette somme, les frais matériels de bureau absorbent par année environ 200 fr.
Voilà donc le traitement des auditeurs de province déjà réduit d’environ 1,000 fr. Ainsi, d’après le taux de ce traitement, déduction faite des frais, il ne leur restera que 3,500 fr.
Si l’on compare maintenant ce traitement à celui des procureurs du Roi de 1ère et 2ème classe, on verra que la même somme représente le salaire d’un travail triple à charge des auditeurs.
D’après un relevé des causes qui, du 1er décembre 1832 au 1er décembre 1833, ont été portées par un auditeur de Liége devant le conseil de guerre, elles s’élèvent à 240.
Ajoutez à cela une foule d’autres causes qui sont restées sans suite, et vous aurez aisément un total de 300 affaires ; réfléchissez maintenant que chaque affaire a essuyé une instruction préliminaire par écrit, et voyez s’il est possible qu’un seul homme puisse suffire à cette besogne.
Aussi paraît-il de toute justice qu’on accorde une allocation pour frais de bureau. Celle de 300 francs est bien modique ; ils devront y suppléer de leur poche, surtout pour le salaire d’un commis.
Messieurs, je le répète, le gouvernement propose une réduction sur le chiffre directement, et une réduction par suite de la classification, car cette classification a une grande influence sur le traitement. Je ne crois pas que vous puissiez aller au-delà, si vous considérez que l’auditeur militaire a pour juridiction la province tout entière, tandis que les procureurs du Roi n’ont de juridiction que dans un arrondissement. Il est très vrai que les auditeurs militaires n’ont qu’une juridiction spéciale, la juridiction de répression ; mais ils sont à la fois juges d’instruction, greffiers et procureurs du Roi. Je pense que, par l’exposé de ce fait, la chambre comprendra que le ministre n’a pas été trop loin, et qu’il y a lieu à préférer le chiffre présenté par le gouvernement au chiffre trop réduit de la section centrale.
M. le président. - M. le ministre déclarant ne pas se réunir à la proposition de la section centrale, c’est sur le projet du gouvernement que portera la discussion.
M. de Behr, rapporteur. - Le gouvernement a proposé quelques réductions sur les chiffres des auditeurs militaires ; mais ces fonctionnaires ne sauraient être comparés aux procureurs du Roi, quant au travail et à l’étendue des connaissances. Je crois que l’on doit adopter les chiffres proposés par la section centrale ; ils sont inférieurs à ceux du gouvernement. Lors de l’organisation de la justice militaire, si les traitements étaient jugés insuffisants, on pourrait les augmenter ; il vaut mieux être dans le cas d’augmenter que d’être obligé de réduire, ce qui est toujours extrêmement rigoureux et difficile.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - J’approuve les vues d’économie présentées par M. le rapporteur ; mais je crois que les auditeurs militaires se trouveraient beaucoup mieux d’une réduction lors de la réorganisation de la justice militaire, que de subir immédiatement cette réduction.
On ne s’est pas plaint jusqu’ici de l’élévation des traitements de l’ordre judiciaire. Chacun comprend que, pour remplir des fonctions, il faut avoir fait des études longues, il faut posséder la science des lois. Messieurs, la science des lois militaires n’est pas facile à acquérir ; car il y a un contraste frappant entre la simplicité de la rédaction de la plupart des lois civiles et la rédaction presque toujours amphibologique et prolixe des lois militaires. Notre législation civile est un chef-d’œuvre auquel on ne touchera pas de longtemps ; la législation militaire est composée de dispositions incohérentes, souvent obscures, qui appellent une réforme totale.
L’application en est beaucoup moins facile que celle des lois civiles, et par conséquent les textes des décisions rendues, loin de former une jurisprudence, doivent être le sujet d’études permanentes et continues.
J’ajouterai aux considérations que j’ai fait valoir que le traitement des procureurs du Roi a été augmenté ; que les procureurs du Roi ne sont ni juges d’instruction, ni greffiers. ; qu’ils ont des substituts, et qu’indépendamment de leur traitement, la chambre a voté une allocation assez considérable, qui permet de donner des frais de commis à chacun des chefs des parquets importants. Les procureurs du Roi recevront 4,800 fr. en 1834, plus les frais d’un commis pour les arrondissements importants. L’économie est plus grande sur les auditeurs militaires. Si l’expérience que semble invoquer M. le rapporteur démontrait qu’il y a excès dans le salaire des auditeurs militaires, alors on le réduira ; mais ce n’est pas le moment de réduire.
M. A. Rodenbach. - Je suis porté à croire que les travaux des auditeurs militaires ne sont pas aussi considérables que M. le ministre de la justice vient de le dire. Pour appuyer mon opinion, je citerai des exemples : Des avocats distingués remplissent les fonctions d’auditeurs militaires ; ces avocats ont quelquefois une clientèle rapportant 15 à 20,000 fr. Si les occupations d’auditeur étaient si importantes, ils ne pourraient pas avoir une clientèle si grande. Lorsqu’on détache des auditeurs en campagne, on ne prend pas les auditeurs avocats ; car ils ne quitteraient pas le chef-lieu de leur département. On envoie un suppléant, lequel perçoit un traitement ; ce qui fait une augmentation de dépense. Ce n’est pas là procéder économiquement. Je demanderai des explications à M. le ministre sur ces faits.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, le fait allégué par l’honorable préopinant ne peut s’appliquer qu’à un seul individu : un seul auditeur militaire cumule ses fonctions avec l’exercice de la profession d’avocat. Ce titulaire est celui de la province du Hainaut. Jusqu’ici le service n’en a pas souffert, parce que cette localité est l’une de celles où il y a moins de concentration de troupes. Il est dans une catégorie à part.
La dispense qui lui a été accordée (car la dispense est ici nécessaire, attendu que le décret de 1810 sur les avocats déclare qu’il y a incompatibilité entre les fonctions judiciaires et la profession d’avocat) ; la dispense qui lui a été accordée vient du gouvernement déchu, et elle est motivée sur ce que ce titulaire avait rempli les mêmes fonctions gratuitement pendant trois ans et demi.
Le pouvoir d’accorder des dispenses, qu’avait le gouvernement des Pays-Bas, n’est pas passé dans le gouvernement actuel. Sous le gouvernement provisoire, des injonctions ont été adressées à l’auditeur de Mons pour qu’il eût à opter : il a fait valoir la dispense qu’il avait reçue et plusieurs années de fonctions gratuites. La question d’incompatibilité sera mûrement examinée, et le gouvernement verra si, en présence des dispositions constitutionnelles, les droits réclamés par le titulaire ne doivent pas tomber à néant. Les fonctions d’auditeur militaire sont tellement chargées partout ailleurs, qu’il est impossible qu’ils puissent cumuler d’autres fonctions.
M. de Behr, rapporteur. - On a dit qu’il n’y avait qu’un seul exemple de cumul de fonctions ; mais à Liége c’est un substitut du parquet qui remplit les fonctions d’auditeur militaire. Ce second exemple prouve encore que les fonctions d’auditeur ne sont pas si accablantes qu’on veut le faire entendre. Ces fonctions n’ont jamais été considérées comme donnant beaucoup d’occupation, puisque les auditeurs de la garde communale ne recevaient que trois à quatre cents florins, et ces places étaient fort recherchées.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il est très vrai que cet état de choses a eu lieu ; mais il a cessé depuis l’organisation de l’ordre judiciaire. Il était d’ailleurs impossible que la même personne suffît à ces deux fonctions. S’il a été possible d’autoriser le cumul dans la province du Hainaut, cela tient à ce que le Hainaut n’a jamais vu beaucoup de troupes.
M. Dubus. - S’il fallait voter le projet tel que le présente M. le ministre de la justice, il vaudrait mieux laisser les choses dans l’état où elles sont : les économies sont si minimes, qu’on ne saurait en tenir compte. On voulait arriver à une économie en même temps que faire cesser une inconstitutionnalité. Pour maintenir les choses dans l’état où elles sont, que dis-je ? Pour augmenter le traitement des auditeurs, il n’était pas nécessaire de présenter une loi. Il est notoire que ces fonctions laissent beaucoup de loisir et ne peuvent être comparées à celles de procureur du Roi.
Les faits que l’on nous cite nous donnent la mesure du travail de ces fonctions. Mais, dit-on, c’est un fait isolé ; soit : cela donne-t-il une plus haute idée de l’importance du travail ? Quelle profession est plus laborieuse et exige plus de temps que celle d’avocat ? Or, l’avocat dont il s’agit est l’un de ceux dont l’étude est le plus fréquentée à Mons. C’est, dit-on encore, la province où il y a le moins de troupes : ce qui n’est pas bien certain. Il y a toujours forte garnison dans les forteresses de cette frontière. M. le ministre de la guerre qui est présent pourrait vous en donner l’assurance.
Un autre fait donne lieu à la même conséquence.
Les journaux nous apprennent que des auditeurs militaires ont le temps de se livrer à la rédaction des feuilles des provinces. La profession de journaliste est laborieuse, elle exige beaucoup de temps ; ainsi ceux qui s’y livrent n’ont pas de grandes occupations pour leurs fonctions.
L’économie dont on a parlé est-elle aussi grande qu’on l’annonce ? On réduit les traitements, mais on accorde des frais de bureau quand ils n’en avaient pas ; on donne maintenant 300 fr. à chacun.
L’auditeur d’Anvers reçoit 4,650 fr. ; on propose de lui donner 4,800 fr., plus 300 fr. de frais de bureau : est-ce là procéder par réduction ? Il n’y a pas de réduction sur le traitement de l’auditeur de Gand. On prétend qu’il y a une économie de 1,100 francs sur le traitement de celui de Namur ; comment établit-on ce calcul ? 5,079 fr. est le traitement actuel ; 4,200 fr. est ce qu’on propose ; ajoutez-y 300 fr., et voila n’aurez pas une différence de 600 fr. A Liége, il y a augmentation de traitement.
Je ne sais pas même si en définitive l’ensemble des traitements ne présente pas une augmentation. Voilà pourtant ce que l’on nous présente comme une économie qu’on a voulu faire. Si le chiffre ministériel passe, je me verrai obligé de voter contre la loi.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Quand on a demandé une loi sur les auditeurs, on l’a demandée surtout pout faire cesser une irrégularité, une déviation de la loi constitutionnelle. La constitution veut que les traitements des membres de l’ordre judiciaire soient fixés par une loi. Je n’ai point entendu qu’on demande une loi pour arriver à des économies. Il est assez extraordinaire au reste, qu’on parle de réductions considérables pour 1834, quand, pendant trois ans, on n’a rien dit sur les traitements des auditeurs relativement à leur quotité.
J’ai dit que pour Namur une réduction considérable résulterait de l’adoption du projet de loi ministériel. J’ai le tableau du traitement des auditeurs militaires sous les yeux, et le traitement de l’auditeur de Namur y figure pour 3,291 fr. En partant de ce chiffre, j’ai donc eu raison d’annoncer de fortes réductions.
J’ai exposé quelles avaient été les raisons pour autoriser ce cumul dans la province du Hainaut. Le gouvernement déchu avait le droit de donner une dispense à l’avocat qui remplit la fonctions d’auditeur à Mons.
Je n’ai pas soutenu que les motifs qui avaient déterminé le gouvernement déchu dussent rendre le cumul perpétuel ; et je n’ai pas nié non plus que, par suite des événements, il pourrait arriver que les fonctions d’auditeur dans la province du Hainaut ne seraient plus convenablement remplies par un avocat en exercice.
On a prétendu que les auditeurs pouvaient généralement exercer les fonctions d’avocat ; la loi l’interdit. Le décret de 1810 interdit aux avocats la faculté d’exercer d’autres fonctions, à moins qu’elles ne soient gratuites, comme par exemple celles de juge suppléant. On a ajouté que les auditeurs militaires n’avaient point eu de frais de bureau ; c’est une erreur : il est vrai que ces frais ne s’élèvent pas à 300 fr. Ils ont reçu 120 fr. chacun, annuellement, jusqu’ici.
C’est pour régulariser ce qu’il y avait d’inconstitutionnel dans l’allocation du traitement des auditeurs militaires, que la loi a été principalement demandée et présentée, il y avait encore inégalité dans ces traitements, et des auditeurs pouvaient à bon droit réclamer. L’économie qui résultera du projet ministériel ne sera pas aussi illusoire qu’on l’a cru. Au reste, je m’en rapporte à la prudence de la chambre.
(Moniteur belge n°20, du 20 janvier 1834) M. Fleussu. - Je pense comme M. Dubus que si l’état des choses était légal, que s’il ne fallait régulariser l’allocation des traitements que par une loi, il vaudrait mieux rester dans l’état où nous sommes. Jusqu’à présent, on n’a envisagé la question que sous un rapport, celui des traitements, mais la loi qui est présentée est définitive ; la section centrale, au contraire, propose une loi transitoire.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je me suis réuni à la proposition de la section centrale sur ce point.
M. Fleussu. - Cela abrégera la discussion.
Messieurs quand on peut faire des économies, il ne faut pas en négliger les occasions On a fait un rapprochement entre les procureurs du Roi et les auditeurs militaires ; à entendre le ministre de la justice, les auditeurs seraient plus occupés que les procureurs du Roi ; je suis persuadé que c’est le contraire qui a lieu, et de plus que la besogne des procureurs du Roi est la plus difficile.
On vous a parlé de la science des lois : un procureur du Roi, et même un substitut doit connaître toutes les lois civiles et toutes les lois administratives ; l’auditeur militaire en sait assez dès qu’il connaît des lois toutes spéciales, des lois militaires. Ses études sont beaucoup plus restreintes que celles des autres magistrats.
On a soutenu que les attributions des auditeurs étaient beaucoup plus étendues que celles des procureurs, parce qu’elles embrassaient toute une province ; je soutiens que les auditeurs n’ont de juridiction que sur une ville. C’est dans le chef-lieu de la province qu’il y a garnison ; dans le reste la garnison et l’auditeur n’ont rien à faire ; en sorte qu’en général la juridiction est restreinte à la ville où à la garnison.
Les auditeurs doivent faire les fonctions de juge d’instruction, de greffier et même de juge ; mais en remplissant les fonctions de juge d’instruction, ils se préparent à remplir le rôle de procureur du Roi : ce sont leurs occupations. Croyez-vous que les procureurs du Roi montent sur ce siège sans avoir étudié les affaires ? Quant à la rédaction des jugements, elle est facile quand on connaît toutes les pièces du procès.
Il me semble que la somme allouée par la section centrale peut suffire. S’il en était autrement, il sera facile à la chambre de l’augmenter. Il serait très difficile au contraire de diminuer.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) - L’objet de la loi est de rentrer dans des dispositions constitutionnelles ; il faut que les traitements soient fixés par une loi.
Il n’a jamais été question de les diminuer : d’après les services rendus par les auditeurs militaires, je pense qu’il serait intempestif de faire des réductions sur leurs honoraires. Une commission nommée par le gouvernement s’occupe actuellement d’un projet relatif à l’organisation de la justice militaire ; sous peu de semaines, je serai en état de le présenter à la chambre. Il faut, je crois, ajourner toute modification sur la quotité des traitements jusqu’à la discussion de la loi organique dont il s’agit.
L’auditeur du Hainaut dont on a beaucoup parlé, devait être fort peu occupé parce qu’il y avait peu de troupes dans les places de cette province. Dans ce moment les garnisons du Hainaut sont complètes, et il sera difficile à l’auditeur de se livrer en même temps aux laborieuses fonctions d’avocat.
- La discussion générale est close.
« Art. 1er. Les auditorats militaires sont divisés, quant au traitement, en deux classes, comprenant : la première classe, ceux des provinces du Brabant, de la Flandre orientale, d’Anvers et de Liége ; la deuxième classe, ceux des provinces de la Flandre occidentale, du Hainaut, du Limbourg, de Namur et de Luxembourg. »
M. C. Rodenbach. - Dans les projets de loi concernant le traitement des auditeurs militaires, présentés par le ministre de la justice et par la section centrale, l’auditeur de la Flandre occidentale ne se trouve placé que dans la seconde classe.
Cependant la Flandre occidentale a cinq garnisons permanentes, dont quatre forteresses, savoir Bruges, Ostende, Nieuport, Ypres et Menin ; elle a de plus des cantonnements dans l’intérieur, notamment à Thielt.
Par suite de son voisinage avec la Hollande, des détachements se trouvent aux villages limitrophes de la frontière, tels que Dudzeele, Westcapelle, Damme et Hazegras. La province est actuellement occupée par le deuxième régiment d’infanterie de ligne, le sixième régiment d’infanterie de ligne, le sixième régiment d’infanterie de ligne, un bataillon du douzième régiment de ligne, les onzième et douzime batteries d’artillerie de campagne, le premier bataillon d’artillerie de siège, le quatrième escadron du sixième régiment de chasseurs à cheval, le dépôt du sixième régiment d’infanterie de ligne, et le dépôt des quatre bataillons de la garde civique mobilisée de La Flandre occidentale.
Ce simple exposé suffira, messieurs, pour vous convaincre de toute l’importance du travail qui est réservé à l’auditeur de la Flandre occidentale. D’autres provinces peuvent avoir peut-être une population militaire plus nombreuse, mais aucune n’a cinq garnisons permanentes, ou plus ; et c’est proprement dans la correspondance avec les commandants de place autres que celui du chef-lieu, que consistent la véritable tracasserie et la véritable besogne : en effet il serait préférable, par exemple, d’avoir une garnison de six mille hommes dans le chef-lieu que d’avoir mille hommes de garnison dans une autre place, attendu que lorsque l’auditeur se trouve sur les lieux, il peut de suite lui-même tout diriger, tout définitivement arrêter, tandis que ce qui se fait dans d’autres garnisons est toujours à refaire et que l’on est plutôt contrarié que secondé par les informations que l’on reçoit.
Sous le rapport du prix des vivres, l’on pourrait prouver que les denrées sont pour le moins aussi chères dans la Flandre occidentale que dans les provinces du Brabant, de Liége, de la Flandre orientale.
Ce qui probablement a donné lieu à la classification de la Flandre occidentale au deuxième rang, c’est que, dans le cours de l’année 1833, la besogne a été considérablement diminuée, notamment par des camps hors de la province et des conseils de guerre permanents ; mais ces causes vont cesser, et il est à prévoir qu’il n’y aura pas moins de besogne qu’en 1832 ; et cette année-là deux cents prévenus ont été jugés par le conseil de guerre de la Flandre occidentale. Je ne crois pas que dans une autre province il y en ait eu beaucoup plus.
D’après ces diverses considérations, je pense qu’il est juste de placer l’auditeur militaire de la Flandre occidentale dans la première classe ; j’appuierai l’amendement que vous présentera l’honorable M. Jullien.
M. Jullien. - Je me propose de vous soumettre un amendement, mais l’honorable préopinant m’a épargné la peine d’en faire un long développement. Je demande que l’auditeur militaire de la Flandre occidentale soit compris dans la première classe.
Je commence par prier la chambre de croire que l’amendement n’est pas dicté par l’esprit étroit de localité, mais par un principe de justice distributive qui n’a été que trop méconnu à l’égard de la Flandre occidentale. Ce n’est pas assez que cette province soit disgraciée du pouvoir, oubliée dans la distribution des avantages provinciaux ; le projet de loi tendrait à la faire descendre véritablement au second rang.
Dans l’ancienne législation, c’est-à-dire dans la législation du royaume des Pays-Bas, et d’après un arrêté de 1816, on avait classé les auditeurs de la manière suivante :
Première classe : Mons, Namur, Bruges, Gand : 2,400 florins de traitement.
Deuxième classe : Liège, Anvers, Bruxelles ; 2,200 florins de traitement.
Maintenant, à l’exception de Gand qui conserve sa place, le projet a tout renversé ; il opère une révolution complète dans les auditeurs. Ceux qui étaient les premiers deviennent les derniers, et par une compensation toute naturelle, les derniers deviennent les premiers. Je me suis demandé quel pouvait être le motif de ce changement si notable, et je vous avoue que je suis encore à le comprendre.
Je me figure que les traitements doivent être en raison de l’importance des travaux ; sous ce rapport il n’y a pas de province qui exige plus de travail que la Flandre occidentale. Elle a cinq garnisons : Bruges, Ostende, Menin, Ypres et Nieuport. Par notre voisinage nous sommes dans la nécessité d’entretenir des cantonnements. En 1832, il a été jugé 202 affaires par le conseil de guerre de cette province. La Flandre occidentale comprend plus 600,000 habitants ; réunie à la Flandre orientale, elle forme les deux tiers du royaume.
On a dit que l’auditeur militaire qui a pour juridiction toute une province n’avait pas besoin d’autant de science qu’un procureur du Roi ; qu’il doit simplement connaître les lois militaires ; mais ce que l’on trouve facile est justement ce qui constitue la difficulté. J’ai été appelé, dans ma carrière d’avocat à défendre des intérêts militaires, et rien ne m’a semblé plus obscur que le dédale des lois militaires.
J’espère que mon amendement sera admis ; je ne demande que l’exacte justice.
M. Desmanet de Biesme. - Les motifs que l’on vient de faire valoir militent également en faveur de la province de Namur. Il y a quatre garnisons dans cette province, savoir : Namur, Dinant, Philippeville et Marienbourg.
La province de Namur n’étant pas très peuplée, les moyens de communication n’y sont pas très faciles. Je ne sais pas pourquoi on la fait descendre au second rang. En règle générale je ne sais pas pourquoi on fait deux classes d’auditeurs. Il n’y a pas dans la Belgique une si grande différence dans le prix de l’alimentation qu’on voudrait bien le dire. A Namur il fait aussi cher vivre qu’à Anvers ; les logements y sont rares, la ville étant petite. Je voudrais un même traitement pour tous les auditeurs. Subsidiairement, je propose formellement de comprendre la province de Namur dans la première classe.
M. Verdussen. - Messieurs, le plus souvent je n’ai l’honneur de vous parler qu’avec des chiffres ; c’est encore mon intention aujourd’hui. D’après un tableau que je viens de me faire, il y quatre traitements d’auditeurs qu’on veut élever à 5,000 fr. : le Brabant, la Flandre orientale, Anvers et Liége. Il y a là véritable augmentation, à l’exception de la Flandre orientale.
Il y a quatre provinces pour lesquelles on propose 4,500 fr. : Flandre occidentale, Hainaut, Limbourg et Namur. Le Hainaut avait 5,500 fr.
Quand le ministre nous dit qu’il baisse le traitement des auditeurs militaires, je ne sais pas, d’après mon tableau, sur quoi il se fonde. Je voudrais qu’il n’y eût aucune distinction entre les auditeurs ; que toutes les classes fussent à 4,500 fr., et que l’article premier tombât.
M. de Theux. - Je dois déclarer que si les propositions de MM. Jullien et Desmanet étaient adoptées, je me réserve de proposer un amendement pour les provinces du Luxembourg et du Limbourg, qu’on a mises dans la seconde classe. Le Limbourg n’a d’autres avantages que de supporter les charges militaires ; ce n’est pas là un motif pour ranger son auditeur dans la dernière classe. J’appuie le projet du gouvernement.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Je crois qu’il faudrait se borner à dire : Il y aura tant d’auditeurs de première et de deuxième classe, sans fixer les provinces. Il y a, selon les circonstances, plus ou moins d’occupation dans la même province.
M. Pirson. - J’appuie la proposition de l’uniformité des traitements.
M. A. Rodenbach. - Je ne veux qu’une seule classe d’auditeurs, et je vais déposer une proposition sur cet objet.
M. Desmanet de Biesme. - S’il n’y a pas d’auditeur nommé dans la province du Limbourg, l’auditeur de Namur aura plus d’occupation.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, je demande qu’on maintienne purement et simplement le projet ministériel. Ce projet a été adopté en tout point, sauf les chiffres, par la section centrale.
Je prie, d’ailleurs, la chambre de ne pas perdre de vue qu’il s’agit d’un projet de loi transitoire, car je me réunis à l’avis de la section centrale pour tout ce qui n’est pas chiffre. A la vue de ce qui se passe ici, je n’ai qu’un regret à exprimer, c’est de n’avoir pas mis tous les auditeurs dans la seconde classe. (On rit.) Le ministère aurait eu ainsi bon nombre de soutiens.
Si l’on veut critiquer la classification proposée dans le projet, et admise par la section centrale, on fait le procès à ce qui a lieu pour l’organisation de la justice civile, dont la classification a été basée en partie sur la cherté des vivres et des loyers dans les grandes localités.
Le projet soumis à la chambre n’a été arrêté qu’à la suite des renseignements qui nous sont parvenus, et surtout d’après les renseignements pris au département de la guerre.
Cependant, messieurs, une considération me frappe et me porterait à appuyer la demande d’un membre qui voudrait que l’auditeur militaire de la Flandre occidentale fût dans la première classe, c’est que la réduction sur son traitement serait de 1,400 francs si l’on adoptait le projet de la section centrale. Et dans la prévision de l’adoption des amendements de la section centrale, je dois me réunir à l’amendement de MM. Rodenbach et Jullien : mais je ne puis en dire autant pour la province de Namur. Les mêmes raisons n’existent pas. D’ailleurs, d’un moment à l’autre, les auditeurs du Limbourg et du Luxembourg pourront être réinstallés, et les auditeurs de Liége et de Namur n’auront plus à exercer que dans une seule province.
On dit qu’il faudrait ne décréter qu’une seule classe parce que les besoins du service peuvent varier : cette éventualité, si elle se réalise, entraînera la nomination d’auditeurs-adjoints : le projet prévoit ce cas.
Je persiste dans le projet de classification et dans les chiffres proposés.
M. le président. - Voici l’amendement de M. Rodenbach : « Excepté Anvers et Bruxelles, je propose pour le reste une seule classe d’auditeurs. »
M. A. Rodenbach. - Le ministre dit que c’est d’après le prix de la vie animale et des loyers que la classification est faite ; eh bien, c’est à Bruxelles et à Anvers qu’il fait le plus cher vivre, et voilà pourquoi j’excepte ces deux provinces.
M. Angillis. - La section cinquième était d’avis que le projet fût ajourné ; je partage encore cette opinion : mais, puisque le projet est en discussion, j’appuierai la proposition de M. C. Rodenbach et de M. Jullien ; il n’est pas possible de ne pas voter avec eux. La Flandre occidentale est frontière de la Hollande, frontière de la France et a des côtes assez étendues. Elle a cinq garnisons permanentes et quatre forteresses. Il fait très cher vivre dans la ville de Bruges ; les Anglais nous enlèvent tout : ils nous enlèvent jusqu’aux œufs. (On rit.) Ce fait excite votre hilarité ; mais c’est un fait.
Le ministre de la justice dit que le projet de loi n’est que temporaire ; alors pourquoi changer tant d’existences ? On eût fait sagement d’ajourner la loi.
Si on n’accorde pas la demande de mes collègues, ce sera pour moi un motif de rejeter la loi tout entière.
M. de Theux. - Messieurs, le gouvernement, pour établir la classification qu’il vous a présentée, s’est guidé sur celle adoptée pour les cours dans la loi d’organisation judiciaire, où la province de la Flandre occidentale se trouve rangée parmi les provinces de seconde classe. Cependant le ministre a déclaré qu’il était disposé à se rallier à l’amendement de M. Jullien.
Ce qui l’a déterminé à faire cette déclaration, c’est la crainte de voir l’auditeur de cette province subir une réduction de 14 ou 1,500 fr, dans le cas où l’amendement de la section centrale sur le traitement des auditeurs de seconde classe serait adopté. Mais je ferai remarquer que ce motif est prématuré il y aurait peut-être lieu, en cas d’adoption de l’article 2 de la section centrale, de présenter, lors du vote définitif, un amendement dans le sens de celui proposé par M. Jullien. Mais quant à présent je ne vois aucun motif pour se rallier à cet amendement. La chose reste entière, l’assemblée pourra y revenir lors du vote définitif.
M. de Roo. - Dans toutes les lois qui ont eu pour objet des classifications, la province de Liége est toujours rangée parmi celles de premier ordre. Il est prouvé cependant que la province de Liége par sa population, par son étendue, n’est qu’une province de second ordre, tandis que la Flandre occidentale et le Hainaut sont des provinces de premier ordre. C’est ce qu’ont démontré MM. Jullien et Rodenbach. Quant aux motifs tirés de la cherté des vivres, et du nombre des affaires pour la préférence donnée à la province de Liége, ils ne sont nullement fondés. Tous ceux qui connaissent le chef-lieu de la Flandre occidentale, et celui de la province de Liége, savent que le prix des denrées est plutôt plus élevé dans le premier que dans l’autre.
Pour répondre au second motif, il me suffira de vous répéter ce qu’on a dit, que l’auditeur de la province de Liége trouvait le temps de s’occuper de rédaction de journaux.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - C’est une erreur, l’auditeur militaire de la province de Liège ne s’occupe pas de rédaction de journaux. Il a pu écrire une lettre à un journal, comme cela peut arriver à tout le monde. Mais je sais qu’il n’a aucune relation avec les journaux. Il a été dans le cas de prendre la défense d’un homme du pouvoir, et c’est un acte de courage par le temps qui court ; mais de là à être journaliste de profession, il y a loin.
M. de Roo. - Je n’ai fait que réputer des paroles qui avaient été prononcées dans cette chambre.
M. de Behr, rapporteur. - Le gouvernement a cru qu’il fallait prendre pour base de la classification des auditorats militaires la statistique de l’organisation judiciaire. Si maintenant vous accordez la faveur qu’on réclame pour l’auditeur militaire de la Flandre occidentale, en l’élevant à la première classe, il s’en suivra qu’il aura le même traitement que le procureur du Roi, qui est rangé dans la seconde classe, tandis qu’il n’en serait pas de même pour les autres provinces.
Rien ne saurait justifier une semblable faveur ; car on ne peut établir aucune comparaison entre l’importance et l’étendue des fonctions de ces deux magistrats.
M. Dubus. - C’est moi qui ai dit que l’auditeur militaire de la province de Liége trouvait le temps de s’occuper de rédaction de journaux. Tous ceux qui lisent les journaux ont pu remarquer que ce fait avait été signalé et qu’on avait même indiqué le journal à la rédaction duquel cet auditeur coopérait. La presse est un moyen constitutionnel que nous avons de connaître les faits. Celui-là d’ailleurs n’avait pas été dénié. Je n’en ai parlé que comme l’ayant appris par les journaux, et j’ai dit que s’il fallait en croire la presse, l’auditeur militaire de Liége trouvait le temps de concourir à la rédaction d’un journal, profession qui exige beaucoup de loisir.
Puisque j’ai pris la parole pour donner cette explication, je dirai un mot sur les amendements proposés. De tous ces amendements il y en a un auquel je donnerai la préférence, celui qui a pour objet de réduire le plus possible les auditeurs de première classe et d’augmenter ceux de seconde classe. Ainsi, au lieu d’appuyer l’amendement de MM. Jullien et Desmanet je voterai pour celui de M. A. Rodenbach qui propose de ne conserver d’auditeurs de première classe que pour Bruxelles et Anvers et de mettre dans les autres provinces des auditeurs de seconde classe.
Quant à la crainte que vous a manifestée un des honorables préopinants de voir opérer une diminution trop sensible sur le traitement de ces fonctionnaires, je pense que ce n’est pas là une raison qui puisse influer sur notre détermination quand il s’agit d’une classification de magistrats et de la fixation de leurs traitements.
Il s’agit de personnes qui sont attachées non pas à telle ou telle province, mais à une certaine classe de justiciables, qu’on peut détacher, faire passer d’une province à l’autre ou envoyer en campagne.
Il est impossible d’argumenter de la convenance de ces magistrats : s’il en était ainsi, comme il est plus avantageux de rester dans une résidence où on a ses habitudes que de suivre une armée en campagne, quand ce cas se présenterait, aucun des auditeurs provinciaux ne voudrait se déranger et on serait obligé de nommer des substituts pour le service en campagne. Si cela était, ce serait un abus d’organisation qu’il faudrait s’empresser de faire cesser.
M. Donny. - Messieurs, dans tout ce que j’ai entendu jusqu’ici, il n’y a rien qui réfute l’observation faire par MM. Jullien et Verdussen, que le projet tend à augmenter les traitements des uns et à diminuer ceux des autres. De deux choses l’une : ou il y a injustice dans le rapport entre les appointements actuels, ou le projet en renferme une.
Jusqu’à présent, je n’ai pas appris qu’il se soit élevé de plainte sur la quotité respective des traitements actuels ; je suis donc porté à croire que c’est le projet qui est fautif. Je ne suis pas à même de juger du résultat des changements qu’on veut introduire dans les appointements de tous les auditeurs militaires ; mais j’ai fait le calcul du traitement de l’auditeur de la Flandre occidentale, et je trouve que dans tous les cas ses appointements seront diminués, même en ayant égard aux frais de bureau qui lui seront alloués. D’après l’amendement de la section centrale la réduction serait de 1,300 francs, et d’après la proposition du ministre, cette réduction serait de 700 francs. Comme on a prouvé que par le projet d’autres auditeurs verront augmenter leur traitement je demande comment il peut y avoir conséquence et justice dans une pareille manière de procéder. Si le projet n’est pas amendé d’après des bases plus équitables, je verrai forcé de voter contre son adoption.
M. de Behr, rapporteur. - Lors de la discussion de l’organisation judiciaire, pour établir la classification, on a consulté deux éléments : la cherté des vivres et le nombre des affaires. En ayant égard à ces deux éléments, Anvers, Bruxelles, Gand et Liége ont été placés sur la même ligne. Je ne vois pas pourquoi on voudrait changer cette base.
M. Verdussen. - Je n’ai pas eu l’honneur de présenter d’amendement parce que, d’après les observations que j’ai présentées, je voterai contre l’article premier relatif aux classifications, parce que la loi n’étant que temporaire, je voudrais qu’il n’y eût aucune classification.
- Personne ne demandant plus la parole, la discussion est close.
L’amendement de M. Rodenbach est mis aux voix et rejeté.
L’amendement de M. Jullien est ensuite mis aux voix et adopté.
Celui présenté par M. Desmanet de Biesme est rejeté.
M. le président. - Je vais mettre aux voix l’article premier tel qu’il vient d’être amendé par suite de l’adoption de la proposition de M. Jullien.
« Les auditorats militaires sont divisés, quant au traitement, en deux classes, comprenant :
« La première classe, ceux des provinces du Brabant, de la Flandre Orientale, de la Flandre occidentale, d’Anvers et de Liége.
« La deuxième classe, ceux des provinces du Hainaut, du Limbourg, de Namur et de Luxembourg. »
- Cet article est adopté.
« Art. 2. Le traitement des auditeurs militaires de première classe est fixé à 4,800 fr. ; celui des auditeurs de deuxième classe à 4,200 fr. »
M. le président. - La section centrale propose de fixer le traitement des premiers à 4,200 fr., et celui des seconds à 3.600 fr.
M. le ministre se rallie-t-il à la proposition de la section centrale ?
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je ne pourrais que répéter les observations que j’ai déjà présentées à la chambre. J’ajoute cependant que, m’étant rallié au projet de la section centrale quant au caractère temporaire donné à la loi, je pense qu’il n’y a pas lieu d’adopter la réduction qu’elle propose.
La chambre, je l’espère, considérera que par le caractère transitoire de la loi, elle ne conférera pas de droits acquis ; et le peu de temps qu’elle aura à courir, avant la loi définitive, elle ne voudra pas, dans ces circonstances, jeter de la perturbation dans la position de ces officiers du ministère public.
M. Dubus. - Ce n’est pas un résultat aussi puéril que nous espérions obtenir du projet qui nous est soumis. Toute l’économie sur laquelle on comptait, s’est évanouie. On va non seulement payer des auditeurs à l’égal des procureurs du Roi, mais dans certaines localités on va leur donner des appointements supérieurs. Cependant il est notoire que les auditeurs militaires sont peu occupés, tandis que les procureurs du Roi n’ont pas assez de tout leur temps pour l’exercice de leurs fonctions.
Il est si vrai que les auditeurs militaires ont peu de chose à faire, qu’ils se livrent à d’autres occupations. C’est ce qui fait que quand il s’agit de mettre une armée en campagne, et qu’on a besoin de la faire suivre par un auditeur militaire, on ne trouve personne à qui cela convienne, et on est obligé de nommer un substitut à qui on donne un supplément de traitement pour exercer les fonctions d’auditeur près du conseil de guerre, parce que les auditeurs provinciaux, ayant des loisirs qu’ils consacrent à autre chose qu’à leurs fonctions, ne sont pas bien aises de quitter leur résidence pour suivre l’armée où ils ne trouveront plus les mêmes avantages. Ce fait, joint à beaucoup d’autres que je pourrais citer, prouve l’injustice de leur donner un traitement égal ou supérieur à celui des procureurs du Roi.
J’ajouterai encore une observation, c’est que la réduction qu’on doit faire subir à notre armée et les congés considérables qu’on doit donner, en diminuant le nombre d’hommes qui se trouveront sous les drapeaux, diminueront également le nombre des affaires dont pourront avoir à s’occuper les auditeurs militaires. Ce n’est pas le moment d’accorder une augmentation à plusieurs d’entre eux.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs d’après le préopinant, le projet qui vous est soumis est fondé sur la nécessite de réduire le traitement des auditeurs militaires.
Dans les diverses discussions du budget, on avait signalé l’inconstitutionnalité de la fixation du traitement de magistrats par des arrêtés. C’est pour faire cesser cet état de choses, et non pour réduire le chiffre des traitements, qu’on n’a jamais contesté sérieusement, que l’administration, reconnaissant la nécessité d’établir le traitement des auditeurs militaires d’après les règles de la constitution, a décidé qu’un projet de loi régulateur serait soumis à la chambre.
Est-il vrai maintenant qu’il ne doit résulter de ce projet que des augmentations ? Ce n’est qu’une simple question de chiffres ; je vais en mettre quelques-uns sous vos yeux, et vous verrez que non seulement il n’y a pas d’augmentation, mais une réduction qui n’est pas à mépriser.
Pour le Brabant on a payé jusqu’à présent 5,620 fr., y compris 120 fr. de frais de bureau ; on ne paiera d’après le projet actuel du gouvernement que 5,100 fr. ; économie 520 fr.
Pour le Limbourg dont l’auditeur est détaché en campagne, on payait également 5,620, et on ne paiera plus que 5,100 fr. ; encore économie de 520 fr.
Pour Namur on payait 5,291 ; on ne paiera plus que 4,680 fr. ; économie de 611 fr. Bruges présente une réduction de 100 fr. ; Gand, 700 fr. ; Mons, 700 ; par contre il y a augmentation pour Anvers de 340, pour Liége de 330. Ce qui fait une réduction de plus de deux mille francs sur sept fonctionnaires.
Maintenant voyons si les auditeurs ont des avantages supérieurs à ceux des procureurs du Roi auxquels on les assimile. Les procureurs du Roi de première classe ont 4,800 fr., plus 1,000 à 1,200 fr. pour le traitement d’un commis.
Celui de Bruges a 4,200 fr., plus 1,000 fr. pour le traitement d’un commis. Donc leur traitement réuni aux frais de commis est supérieur à celui des auditeurs provinciaux.
Je suis étonné d’avoir entendu qualifier de puérile et même d’illusoire la réduction opérée par le projet ministériel sur le traitement des auditeurs militaires. Je le suis surtout quand cette qualification échappe à un honorable préopinant qui proclame souvent que les petites économies sont aussi bonnes que les fortes, et plus faciles à opérer.
Je vous ai signalé le résultat matériel du projet ; ce sont des chiffres : il n’y a rien à y répliquer.
M. Jullien. - M. Dubus a pensé que la dislocation de l’armée et les congés qu’on allait accorder diminueraient la besogne des auditeurs militaires. C’est le contraire qui doit résulter de ces mesures, ou je me trompe fort ; car les soldats en congé pour les délits qu’ils commettent seuls sont justiciables des tribunaux militaires. N’étant plus soumis à la discipline sévère des corps, ils sont plus exposés à avoir des rixes et à exercer des sévices ou mauvais traitements, qui dans le civil conduisent devant les tribunaux correctionnels. Vous verrez que dans ces cas les occupations des auditeurs deviendront plus considérables qu’auparavant, au lieu de diminuer. Cette considération ne doit donc pas arrêter la chambre dans le vote de l’allocation demandée par le gouvernement.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) - Messieurs, le traitement des huit auditeurs militaires était de 41,605 fr, et ils recevaient en outre chacun 120 fr. pour frais de bureau, 960 fr pour les huit, ce qui porte le total de la dépense à 42,565.
Il y avait cinq espèces de traitement indiquées au budget ; c’est pour faire cesser cette anomalie que, par la loi qui vous soumise, nous vous proposons de réduire les traitements à deux classes. Il résulte de cette modification, non pas seulement une réduction de 2,080 fr, mais de 3,565 fr. En effet il y a maintenant :
5 auditeurs à 4,800 fr., soit 24,000 fr.
3 auditeurs à 4,200 fr., soit 12,600 fr.
On paie en outre 300 fr. de frais de bureau à chacun des huit auditeurs, soit 2,400 fr.
Montant total : 39,000 fr.
Différence en moins 3,565 fr.
M. de Behr, rapporteur. - Messieurs, si vous n’adoptez pas la proposition de la section centrale, vous mettrez au moins les auditeurs militaires sur le même pied que les procureurs du Roi. Les fonctions de ces derniers sont extrêmement étendues, exigent des études beaucoup plus longues, et leur besogne est infiniment plus considérable. Il est de toute justice d’établir une différence entre la rétribution de ces deux magistrats.
- L’article 2, tel qu’il est amendé par la section centrale, est mis aux voix et adopté.
« Art. 3. Ces traitements restent les mêmes, soit que le gouvernement désigne l’auditeur provincial pour faire partie des conseils de guerre en campagne établis en temps de guerre, soit qu’il juge à propos de confier le service de deux province à un seul auditeur.
« Cependant, dans ce cas, l’auditeur perçoit l’indemnité des frais de bureau de l’auditorat de la province qui passe sous sa juridiction. »
- Adopté.
« Art. 4. Les auditeurs adjoints qui pourront être nommés temporairement pour remplacer en temps de guerre les auditeurs provinciaux détachés en campagne, seront payés pour la durée de leurs fonctions à raison de 3,000 francs annuellement. »
Le gouvernement avait présenté le chiffre de 3,200 fr. La section centrale propose une réduction de 200 fr.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - D’après ce qui vient de se passer, je laisse à la chambre à décider entre le chiffre du ministère et celui proposé par la section centrale. Mais j’aurais à faire une observation sur la rédaction.
C’est peut-être le résultat d’une copie fautive, mais la rédaction telle qu’elle existe interdirait au gouvernement la faculté de nommer des auditeurs-adjoints aux auditeurs provinciaux en campagne. La nécessité s’en est déjà fait sentir. A la division d’Hasselt, qui est considérable, il y a, indépendamment de l’auditeur militaire, un auditeur adjoint qui a été envoyé sur la réclamation du département de la guerre. Je puis assurer que cette place d’auditeur-adjoint n’est pas une sinécure. Le gouvernement n’en nommera qu’autant que le besoin s’en fera sentir, et aussitôt que le besoin cessera, il les supprimera. Cette suppression cependant ne peut pas se faire du jour au lendemain. Je parle de celui d’Hasselt. On ne peut pas renvoyer ainsi un homme qui a exercé ses fonctions honorablement,
Je demande à la chambre de permettre au gouvernement de maintenir cet état de choses aussi longtemps que le département de la guerre le jugera indispensable. C’est pourquoi je propose de supprimer de l’article les mots : « pour remplacer en temps de guerre les auditeurs provinciaux en campagne. »
M. de Behr, rapporteur. - Le but de la section centrale a été d’empêcher que le gouvernement pût nommer des auditeurs-adjoint auprès des conseils de guerre en campagne, afin de ne pas déranger les auditeurs provinciaux.
M. de Brouckere. - Je demande la parole pour faire observer que les articles 4 et 5 devraient être réunis en un seul.
Dans l’article 4 on ne parle que de la faculté de nommer des auditeurs adjoints pour remplacer l’auditeur provincial en campagne, et à l’article 5 on dit néanmoins : « Lorsque l’adjoint est chargé des fonctions d’auditeur en campagne, il jouira, etc. » Il n’y a pas de relation entre les deux dispositions ; il faut les joindre et accorder au gouvernement la faculté de nommer auditeur, soit pour remplacer l’auditeur provincial détaché en campagne, soit pour exercer les fonctions d’auditeur en campagne
De cette manière vous ferez droit à la réclamation de M. le ministre.
Cependant, je crois qu’on doit fixer le nombre d’adjoints que le gouvernement pourra nommer, et il me semble que 4 est un nombre suffisant.
Voici comment l’article serait rédigé :
« Art. 4. Les auditeurs qui pourront être nommés temporairement, soit pour remplacer les auditeurs provinciaux détaché en campagne, soit pour remplir les fonctions d’auditeur en campagne ou pour être attachés à ces auditeurs, jouiront, pour la durée de leurs fonctions, dans le premier cas d’un traitement de 3,000 fr., et dans le second d’un traitement égal à celui accordé aux auditeurs de deuxième classe.
« Le nombre des adjoints ne pourra s’élever à plus de 4. »
M. de Behr, rapporteur. - Je demanderai s’il est nécessaire d’avoir en même temps, près d’un conseil de guerre, deux magistrats remplissant les mêmes fonctions.
M. de Brouckere. - Il n’est pas nécessaire que l’un se soit déjà présenté ; il suffit qu’il puisse se présenter. On attache ordinairement un auditeur militaire à chaque corps d’armée. Si l’armée est divisée en quatre corps, un auditeur suffira dans chacun de ces corps pour remplir les fonctions de ministère public. Mais supposez qu’au lieu de quatre, on ne fasse que deux corps d’armée : il peut arriver qu’un seul auditeur ne suffise pas, et il y aurait inconvénient à mettre, auprès du même conseil de guerre deux fonctionnaires de même rang, indépendants l’un de l’autre, dont l’un ne pourrait pas donner d’ordres à l’autre. Il vaut mieux, dans ce cas, nommer un auditeur en titre et un auditeur adjoint qui remplisse, auprès de lui, les fonctions de substitut.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) - On aurait nommé un auditeur adjoint pour la première division, parce qu’il y avait des affaires si considérables que l’auditeur en titre ne pouvait pas suffire. Cette division comprenait alors 20,000 hommes. Depuis la nouvelle organisation, quoiqu’il n’y ait plus que quatre conseils de guerre au lieu de cinq, on a conservé cet auditeur adjoint afin d’avoir un homme en état d’être auditeur auprès du conseil, si d’ici à peu de temps nous le rétablissons.
M. Dubus. - Messieurs, d’après cet article, le gouvernement aurait la faculté de nommer des auditeurs adjoints, soit pour être adjoints à l’auditeur provincial en campagne, soit pour remplir les fonctions dont devrait être chargé l’auditeur provincial qui resterait dans sa résidence
Dans l’intérêt du trésor, le gouvernement devra toujours préférer employer, pour le service en campagne, l’auditeur provincial à qui il n’est dû aucune augmentation, tandis que l’auditeur adjoint reçoit un supplément de traitement. Je voudrais savoir comment le gouvernement se propose de procéder ; car si on se conduit d’après la convenance des auditeurs provinciaux, ils voudront toujours rester dans leur résidence ; et, chaque fois qu’il faudra faire le service en campagne, on sera obligé de nommer des auditeurs adjoints auxquels il faudra payer des suppléments de traitement.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Quand je suis entré au ministère, l’auditeur adjoint de la première division avait été nommé sur les réclamations du département de la guerre. Comme vient de vous le dire M. le ministre de la guerre, cette division était de 20 mille hommes. Le traitement de cet auditeur adjoint a été fixé à 1,800 florins. Ce traitement sera réduit d’après la nouvelle loi.
Lorsqu’il a été nécessaire de nommer un nouvel auditeur en campagne, j’ai choisi l’auditeur provincial d’Anvers, que j’ai remplacé par un auditeur adjoint dont le traitement a été fixé à raison de 1,200 florins, c’est-à-dire au dessous du taux que la chambre paraît disposée à voter. Ainsi vous voyez que, quand le gouvernement a trouvé l’occasion de faire une économie, il s’est empressé de la saisir.
Le préopinant a parlé de convenances. Messieurs, je ne reconnais pas aux auditeurs le droit d’argumenter de convenances pour ne pas remplir les fonctions qu’il plaît au gouvernement de leur conférer.
Ces fonctionnaires sont à la disposition du gouvernement, et s’il juge qu’eu égard à sa capacité et à son activité, il est utile de détacher en campagne tel auditeur, aucunes raisons personnelles, à moins peut-être que ce ne soient des raisons de santé, ne seront tolérées par le gouvernement. Je crois, par exemple, que l’auditeur d’Anvers, qui a montré beaucoup et de dévouement dans le service qu’il a fait en campagne, aurait préféré rester à Anvers. Mais des considérations de cette nature n’arrêteront jamais le gouvernement.
Les auditeurs provinciaux seront toujours choisis de préférence pour faire le service en campagne, parce qu’ils apportent une expérience acquise par des fonctions longtemps exercées, et qu’en temps de guerre le service des villes est d’une moindre importance que le service en campagne. Ainsi, le bien du service, indépendamment de la raison, guidera le gouvernement.
- L’article 4, ainsi qu’il a été rédigé par M. de Brouckere, est mis aux voix et adopté.
Cet article remplacé les articles 4 et 5 du projet.
« Art. 5. Il est alloué à chaque auditeur provincial, en sus de son traitement, une somme annuelle de 300 francs pour frais de bureau. »
- Adopté.
« Art. 6. La présente loi n’aura force obligatoire que jusqu’au 1er janvier 1835. »
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Quand j’ai eu l’honneur de présenter à la chambre le projet de loi qu’elle a discuté en ce moment c’était à la date du 27 novembre 1833, j’espérais qu’il pourrait être sanctionné avant le premier janvier 1834. Il en a été autrement. Je ne sais maintenant s’il est dans l’intention de la chambre ou de donner de la rétroactivité à la loi, ou de ne faire porter la réduction qu’à partir du jour de la promulgation de la loi. Dans le cas où la chambre voudrait faire rétroagir la loi, il faudrait déterminer dans cette loi l’époque à partir de laquelle elle devrait recevoir son exécution. Sans cela, les auditeurs militaires seraient en droit de réclamer, pour le premier et peut-être les deux premiers mois, leur traitement d’après le taux fixé par les arrêtés.
M. de Behr, rapporteur. - Il a été entendu dans la section centrale que ce serait à partir du 1er janvier.
M. Dubus. - Remarquez que par la force même de notre constitution, qui veut que le traitement de tous les magistrats soit déterminé par une loi, celle que vous votez, lors même qu’elle ne serait promulguée qu’après un mois de l’exercice écoulé, ne serait pas moins obligatoire pour l’exercice entier ; car ce n’en qu’en vertu de cette loi que vous pouvez payer les auditeurs militaires. Ce qui s’est fait jusqu’à présent, la fixation par arrêtés, nous mettait en dehors de la constitution : nous devons nous empresser d’y rentrer.
M. Ernst. - Je ne pense pas qu’une loi puisse avoir d’effet avant d’avoir été promulguée ; je ne pense pas non plus qu’il soit nécessaire de l’écrire dans la loi. C’est de droit commun : si nous ne disons pas le contraire, la loi que nous votons aura ses effets à partir de sa promulgation et cessera de les avoir à l’époque déterminée. Je conçois que le ministère ait voulu avoir cette explication pour prévenir toute difficulté.
Je ne suis pas de l’opinion du préopinant, que nous puissions détruire les abus même dans le passé. Jusqu’ici les auditeurs militaires ont eu un traitement conforme à ce qui avait été réglé par le budget ; il faut suivre cette règle jusqu’à ce qu’on soit rentré dans l’ordre par une loi nouvelle.
M. de Brouckere. - Je partage l’opinion de M. Ernst. Je pense que dans aucun cas la loi ne doit avoir d’effet rétroactif et ne doit être obligatoire qu’à dater de la promulgation. Quant aux traitements à allouer aux auditeurs militaires depuis le 1er janvier jusqu’au jour où la loi que nous votons sera promulguée, c’est une affaire dont la chambre n’a pas à s’occuper. Ces traitements jusqu’ici ont été fixés par le pouvoir exécutif, c’est au pouvoir exécutif à continuer ce qu’il a fait depuis la révolution, jusqu’à ce que la loi actuelle soit promulguée, pourvu toutefois que le ministère ne dépasse pas les allocations portées au budget pour ce service.
M. de Behr, rapporteur. - Messieurs, lors de la discussion du budget, vous avez reconnu qu’il y avait inconstitutionnalité à laisser au pouvoir exécutif la latitude de fixer les traitements des auditeurs militaires quand la constitution prescrit de fixer par une loi le traitement de tous les magistrats. D’après ce qui a été convenu lors de cette discussion, les auditeurs ne peuvent toucher de traitements à dater du 1er janvier 1834 qu’en vertu de la loi actuelle ; par conséquent elle doit être exécutoire à partir de cette époque.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - En présence d’opinions si divergentes et émanant de sources également respectables, l’embarras du gouvernement est assez grand. Si lors de la discussion du budget j’ai dit qu’à partir de 1834 il y aurait une loi qui empêcherait les abus qu’on craignait, je me plaçais dans la prévision que cette loi serait adoptée avant le 1er janvier. Je pouvais avoir cette pensée, car la présentation de la loi date du 27 novembre dernier.
Si le principe de la non-rétroactivité est un principe tellement sacré que le législateur ne puisse pas s’en écarter, l’application du principe contraire ne serait pas plus juste de la part du pouvoir exécutif. C’est une question d’équité et d’équité absolue, et non une question de compétence.
Si on poussait à l’extrême les principes exposés par les orateurs qui siègent à ma gauche, il faudrait considérer comme acompte ce qui a été payé aux auditeurs militaires, même pendant les exercices antérieurs ; il faudrait non seulement réduire leurs traitements à partir du 1er janvier 1834, mais leur faire restituer tout ce qu’ils ont perçu en sus du taux fixé par la loi actuelle depuis la promulgation de la constitution. Voilà les conséquences rigoureuses des principes professés par MM. de Behr et Dubus.
Je me crois autorisé à payer ces fonctionnaires au taux déterminé par les arrêtés, jusqu’au moment où la loi sera exécutoire. Je fais cette déclaration afin que, dans le cas ou la majorité ne partagerait pas mon opinion, on insère une disposition formelle dans la loi.
M. Dubus. - Messieurs, il ne peut y avoir rétroactivité que quand il y a atteinte à des droits acquis. Ces fonctionnaires ne peuvent manquer ici des droits acquis, car leur traitement avait été déterminé par des arrêtés, quoique la constitution dît formellement que cette fixation devait être faite par une loi ; ils n’avaient droit qu’au traitement que la loi avait fixé ou aurait fixé. Si on décide la question en sens contraire, on violera la constitution ; si le ministre agit comme il vient de l’annoncer, il violera la constitution.
M. Jullien. - La non-rétroactivité des lois est un principe consacré par l’article 2 du code civil. Ce serait donner un effet rétroactif à la loi que de la faire rétroagir jusqu’au 1er janvier dernier, puisqu’il est de principe qu’une loi non promulguée n’est pas obligatoire.
Mais, dit-on, la loi ne rétroagira pas puisqu’elle n’enlève pas de droits acquis. C’est précisément parce qu’elle enlèverait des droits acquis, qu’on ne peut pas lui donner d’effet rétroactif. J’appelle droit acquis le droit au traitement dont ces fonctionnaires sont convenus avec le gouvernement, et ils y ont droit jusqu’à ce qu’une loi vienne changer leur position.
En poussant jusque dans ses dernières conséquences le raisonnement du préopinant, ils n’auraient pas d’autre droit que celui que leur confère la loi actuelle, et en l’absence de cette loi on pouvait leur dire nescio vos, je ne vous connais pas. Nous n’avons rien à vous donner ; ce n’est que d’après la loi que vous aurez quelque chose à prétendre, quand cette loi sera votée. Vous voyez que j’abonde dans l’opinion du préopinant.
M. le ministre se croit fondé à payer les auditeurs sur l’ancien pied jusqu’à la promulgation de la loi. Cette opinion est fondée sur les principes du droit de l’équité et de la justice.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je vous prie, messieurs, de remarquer la nature du litige. Il s’agira tout au plus, si on exécute l’ancien règlement, d’une somme de 250 à 300 fr., à repartir entre douze fonctionnaires, ce qui fait 20 à 25 fr. par tête. Je pense, sans vouloir faire de reproches à personne, que la discussion actuelle coûtera plus que l’économie qu’on veut faire.
(Les garçons de salle apportent des bougies.)
D’un côté, on me dit : Vous violez une disposition du code civil ; de l’autre, vous violez la constitution ; de sorte que le ministère court risque d’être mis en accusation, d’un côté pour violer le principe posé dans le code civil, de l’autre pour violer la constitution. Je dois supplier la chambre de se prononcer. Si M. Dubus persiste, il y a un moyen bien simple ; c’est de présenter un amendement ayant pour but d’ajouter à l’article ces mots : « et produira ses effets à partir du 1 janvier 1834. » La chambre prononcera.
M. de Brouckere. - Si on admettait la doctrine de M. Dubus, il faudrait forcer les auditeurs à rembourser tout ce qu’ils ont reçu depuis plus de trois ans, puisqu’il n’y avait aucune loi qui les autorisât à toucher des appointements ; il faudrait que la chambre forçât le ministre à rembourser ce qu’il leur a payé ; je pense que personne ne se lèverait pour appuyer une semblable proposition.
Je vais vous faire une hypothèse. Admettons que la loi ne soit promulguée qu’au mois d’avril, et que les auditeurs aient touché un trimestre de leurs appointements, pensez-vous que la chambre voudrait faire rembourser ce qu’ils auraient touché de plus que la loi ne leur alloue ? Certainement non ; on doit agir de la même manière pour un mois que pour trois, et il serait aussi injuste d’appliquer la loi à partir du 1er janvier que de faire rembourser ce qu’ils ont touché depuis la révolution. Je ne fais aucune différence entre le cas où on a touché et celui où on a droit de toucher. Je soutiens qu’il y a droit acquis au taux des appointements touchés jusqu’à présent, tant qu’une loi ne viendra pas modifier ce taux.
Je trouve aussi qu’il faut que la chambre se prononce. Comme il s’agit d’une question de constitution, il faut que le ministre sache à quoi s’en tenir. Que fait-il ? Il vous dit : Mon opinion est telle ; je pense qu’il y a droit acquis pour les auditeurs ; et mon intention est de les payer conformément à l’ancienne fixation, jusqu’au moment où la loi sera promulguée. Si un membre croit que le ministère ne peut pas agir ainsi, qu’il présente une proposition contraire, la chambre prononcera.
Dans le cas où la chambre ne se prononcerait pas par un vote, je pense que le ministre doit agir comme il l’a annoncé, et que celui qui voudrait plus tard lui reprocher d’avoir agi comme il l’a annoncé aurait mauvaise grâce et serait mal accueilli.
M. Dubus. - Il s’agit d’une question de constitution importante et ce n’est que sous ce rapport que je l’ai présentée. Il me semble convenable de ne pas détourner l’attention de la chambre du véritable point de vue. Il ne s’agit pas de chiffres, que nous ne pourrions pas à la rigueur déterminer, puisque nous ne savons pas quand la loi sera sanctionnée. Il s’agit de constitutionnalité, de savoir si la loi doit recevoir ses effets à partir du 1er janvier. Cela me paraît hors de doute. Je citerai un précédent du congrès.
Il semble, d’après l’opinion de quelques honorables orateurs que la chambre ferait quelque chose d’étonnant, commettrait une espèce de scandale législatif en portant une loi fixant le traitement d’une classe de magistrats, qu’elle déclarerait exécutoire à partir du 1er janvier, quelques semaines avant sa promulgation.
Que penseront-ils du congrès qui, en pareille matière, sur le traitement d’un tribunal militaire, a porté une loi qu’il a appliquée rétroactivement de trois mois ? Ils diront que le congrès, qui venait de proclamer le principe de la constitution, l’a appliqué, et ils devront se louer de l’avoir fait. Le gouvernement provisoire avait nommé et mis en fonctions la haute cour militaire en vertu des règlements précédents. Au mois d’avril ou de mai 1831, une loi sur le traitement des fonctionnaires de cette cour fut porté qui déclarait qu’elle aurait son effet à partir du 1er janvier précédent.
Voilà le précédent que j’ai voulu citer pour montrer comment le congrès, qui a fait la constitution, l’entendait et l’appliquait lui-même.
J’ai entendu dire qu’il y avait droit acquis par suite de la convention faite entre le gouvernement et les fonctionnaires.
Je demande si jamais convention est possible, peut être faite en violation de la constitution, si on pourrait reconnaître valable une convention semblable. Je le dis encore une fois, la constitution porte que tous les traitements des fonctionnaires de l’ordre judiciaire seront fixés par la loi.
Mais, me dit-on, vous ne tirez pas toutes les conséquences rigoureuses de votre principe, car il faudrait faire restituer à ces fonctionnaires ce qui leur a été payé pour les exercices écoulés. Quant à ces exercices la législature a prononcé formellement par le budget. Dans la discussion on a fait remarquer que le traitement des auditeurs était fixé par des arrêtés, quand il devrait l’être par une loi. La loi a été promise pour le 1er janvier 1834 ; c’est sur cette promesse que, dans le budget voté au mois de septembre dernier, on a accordé des fonds pour payer les traitements de l’exercice de 1833, comptant que pour le 1er janvier 1834 la loi recevrait son exécution, Cela a encore été répété lors de la discussion du budget de 1834.
D’après le texte formel de la constitution, le précédent du congrès, le traitement des magistrats doit être fixé par la loi, et la loi doit être appliquée à partir du janvier. Je ne vois aucun motif pour se départir du principe que j’invoque. (Aux voix ! aux voix !)
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - J’entends crier aux voix ! Quand la chambre aura voté, le gouvernement ne sera pas tiré de la perplexité où il se trouve. J’ai partagé, je l’avoue, l’opinion de l’honorable M. Dubus ; j’ai même pensé que ce qui pourrait être payé aux auditeurs à partir du 1er janvier 1834, si l’adoption de la loi était postérieure, ne le serait que par forme d’acompte. Mais des raisons très fortes, dont vous venez d’entendre exprimer quelques-unes par d’honorables préopinants, m’ont fait revenir de ma première opinion.
C’est pour agir plus franchement que j’ai fait une déclaration, afin de provoquer une décision contraire si on ne partageait pas mon avis. J’ai dit que je croyais devoir payer sur le pied actuel jusqu’au moment où la loi serait obligatoire. Si l’honorable M. Dubus croit que je me trompe, je le prie de déposer un amendement.
M. Dubus propose un amendement qui consiste à ajouter à la fin de l’article ces mots : « et recevra son exécution à partir du 1er janvier 1834. »
- Cet amendement est mis aux voix et rejeté.
L’article est adopté.
M. le président. - Comme il y a des amendements adoptés, le vote définitif de la loi ne peut pas avoir lieu immédiatement. Il est renvoyé à lundi.
- La séance est levée à 4 heures et demie.