(Moniteur belge n°264, du 21 septembre 1833)
(Présidence de M. Raikem)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
Membres absents sans congé : MM. Angillis, Berger, Brabant, Dams, Dautrebande, de Behr, de Muelenaere, de Nef, de Robaulx, de Robiano, Devaux, Domis, Dubois, Fleussu, Gendebien, Goblet, Lardinois, Meeus, Pirson, Vilain XIIII, Wallaert.
M. Liedts donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse donne lecture d’une lettre de M. le ministre de l’intérieur qui informe la chambre qu’il y aura une cérémonie religieuse funèbre, le 24 de ce mois, en commémoration des martyrs de la révolution, et que des places seront réservées à MM. les représentants dans le cas où ils jugeraient convenable de s’y rendre.
M. le président. - M. le ministre de l’intérieur demande à la chambre si elle se rendra à la cérémonie funèbre du 24 de ce mois.
M. de Brouckere. - Nous nous rendrons en corps à la cérémonie funèbre, il n’y a pas de doute ; mais nous ne devons pas prendre de décision. M. le ministre de l’intérieur nous informe qu’une cérémonie funèbre aura lieu, et tout doit se borner là ; c’est à lui à faire préparer les places pour la chambre ; quant à la chambre, elle s’y rendra si elle le juge convenable.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Mais comment préparer une escorte pour la chambre, si on ne sait pas qu’elle assistera à la cérémonie religieuse ? Le ministre au reste ne fait pas une demande ; il informe la chambre qu’une cérémonie funèbre aura lieu.
M. de Brouckere. - Eh bien tout se borne là ; la chambre informée verra ce qu’elle aura à faire ; mais elle n’a point de décision à prendre.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Les personnes chargées des cérémonies ont quelque intérêt à savoir si le corps législatif se rendra à la cérémonie. D’après la loi, lorsqu’une des branches du corps législatif veut faire partie d’un cortège, il faut leur donner une escorte. Comment préparer l’escorte, si on ne connaît pas ses intentions ?
M. Bucqueau de Villeraie. - Je propose à la chambre de se rendre en corps à la cérémonie religieuse qui aura lieu, le 24 de ce mois, pour les martyrs de septembre. (Appuyé ! appuyé !)
M. Dewitte. - Lors de la cérémonie du baptême, plusieurs de nos collègues n’ont pas trouvé de place dans l’église ; je demande que si on nous réserve un emplacement, il ne soit pas occupé par d’autres que par des représentants.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Je dois faire des excuses à la chambre, de la part du directeur du cérémonial, si des membres n’ont pas trouvé place à la cérémonie du baptême. Il y avait foule par suite des députations des provinces et de l’armée ; on prendra des précautions pour que cette fois MM. les représentants trouvent des places.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je n’ai guère l’espérance que le projet dont je vais avoir l’honneur de vous donner lecture puisse être discuté avant la fin de la session ; mais comme il introduit des modifications notables dans les établissements de bienfaisance, j’ai cru qu’il était bon que la chambre en fût saisie dès ce moment, parce que c’était le moyen d’appeler la discussion extra-parlementaire qui peut nous aider dans l’examen du projet de loi. (M. le ministre donne lecture de ce projet de loi).
- Le projet est renvoyé devant les sections.
M. Ernst, rapporteur d’une commission spéciale, est appelé à la tribune et entretient la chambre de l’indemnité demandée par les habitants des environs d’Anvers.
M. Legrelle. - Il me semble que cet objet se rattache au budget de la guerre ; je crois qu’on pourra discuter ce projet quand on discutera les crédits demandés par le ministre de la guerre.
- Cette proposition est adoptée.
M. Milcamps. - Messieurs, la discussion à laquelle nous nous livrons depuis trois jours a seulement pris naissance dans le vœu exprimé par la section centrale qu’à partir de l’année 1834 il ne soit plus accordé des subsides aux collèges et athénées, excepté les athénées de Namur, de Tournay et du Luxembourg.
Ce vœu, la section centrale pouvait bien en provoquer un tout opposé ; mais il ne devait pas, me paraît-il, être l’occasion de débats vifs et animés entre des membres de cette chambre qui s’annoncent ou qu’on signale comme représentant l’opinion libérale, et de membres qui se disent représenter ou qu’on désigne comme représentant l’opinion catholique.
Il n’aurait dû, dans cette discussion, être question ni de l’une ni de l’autre de ces deux opinions, moins encore de diviser la chambre en deux camps ; et à cet égard, je crois devoir commencer par déclarer que je ne me range sous les drapeaux exclusifs d’aucune division.
Je n’ai vu dès le commencement, et je ne vois encore dans ce qui nous occupe, qu’une question d’utilité publique. La section centrale a pensé que l’intérêt bien entendu de l’instruction publique exigeait qu’on encourageât l’instruction première, puisqu’à l’égard des écoles primaires elle propose d’accorder sans restriction les subsides demandés ; mais elle a pensé que l’instruction moyenne ne nécessitait pas ces encouragements, puisqu’à l’égard des collèges et des athénées elle propose de ne plus leur accorder des subsides à l’avenir.
Mais c’est là un système que l’on peut très bien examiner, abstraction faite du libéralisme et du catholicisme, et c’est ce que je vais faire.
Dans l’opinion de la section centrale, et je la partage, l’instruction première qui comprend la lecture, l’écriture, le calcul et la morale, « l’Etat la doit à tous, car elle est commune à tous, puisqu’elle doit réunir les éléments de tout ce qui est indispensable, quelque état que l’on embrasse. Elle est donc une dette de la société ; il est par conséquent du devoir du gouvernement d’établir des écoles primaires partout où cette première instruction manque, et d’encourager les écoles existantes par des subsides. » Sur ce point il n’y aura pas, je pense, division dans cette assemblée.
Quant à l’instruction moyenne c’est-à-dire aux collèges et athénées, « bien que ces établissements soient accessibles à tous, les parties d’instruction qui y sont enseignées ne sont pas, en ce sens, communes à tous : rigoureusement la société n’en doit nullement l’application gratuite à ceux qui voudront les apprendre. » On peut penser que telle a été l’idée dominante de la majorité des membres de la section.
« Il est vrai pourtant que puisqu’il doit résulter de l’établissement des collèges et des athénées un grand avantage pour la société, l’Etat doit pourvoir à ce que ces établissements existent. Il doit, par conséquent, se charger envers les professeurs de la part rigoureusement nécessaire de leur traitement ; en sorte que, dans aucun cas, leur existence et le sort des établissements ne puissent être compromis. Il doit organisation, protection, secours à ces divers établissements. »
La section centrale semble avoir été frappée de ces vérités, puisqu’en émettant le vœu que l’Etat n’accorde plus, à partir de l’année 1834, des subsides à l’instruction moyenne, elle a fait exception pour les athénées de Namur, de Tournay et du Luxembourg : si elle a un tort, ce que je pense, c’est d’avoir limité l’exception.
Car on peut répondre, et c’est ce que je réponds, que s’il peut être utile que l’Etat vienne au secours de quelques athénées, il peut également être utile qu’il vienne au secours de quelques collèges. Cette utilité existe surtout s’il s’agit du maintien et de la conservation des établissements pour lesquels des subsides sont demandés.
Mais c’est un arrêté, objecte-t-on, qui a organisé les trois athénées dont il s’agit : ce sont des établissements créés par l’Etat. Qu’importe. L’arrêté n’a été porté que parce que l’objet qu’il règle a été reconnu utile.
Maintenant, s’il y a utilité, nécessité d’accorder des subsides à des établissements autres que ces trois athénées, à des collèges par exemple, devons-nous les refuser ? Non sans doute, dans le système même de la section centrale (que je ne crois pas, dans sa pensée, aussi absolu qu’on le représente), d’autant moins, messieurs, que ces trois athénées sont, comme nos collèges, de véritables établissements communaux.
C’est donc une pure question d’utilité publique qui nous occupe, et il y a lieu de s’étonner qu’elle touche tant de passions…
Mais son application est administrative ; elle est dans le domaine du gouvernement. Il entend les administrations communales, il voit leurs budgets, il connaît leur situation financière, et ce n’est qu’après s’être assuré des besoins réels qu’il propose les subsides. S’il en était autrement, s’il suffisait d’en faire la demande pour les obtenir, si la nécessité n’en était point constatée, je serais trompé, je l’avoue ; car si je vote des subsides, c’est pour des besoins réels.
Mais, en accordant les subsides pour l’instruction première et pour l’instruction moyenne, n’est-ce pas provoquer la dépendance des communes ? N’est-ce pas placer une influence dangereuse dans les mains du gouvernement ?
Nullement ! car il n’est pas d’administration communale qui ne connaisse ses droits, qui ne sache qu’elle peut, en renonçant au subside, s’affranchir de toute dépendance ; et d’ailleurs il nous appartiendra toujours de mettre des bornes à cette prétendue influence, puisqu’en accordant les subsides rien en nous empêche de mettre pour condition l’affranchissement de la commune.
Eh ! messieurs, ce ne sont pas les encouragements donnés par le gouvernement précédent qui ont nui aux progrès des études ; et l’on a tort d’argumenter de là. Non : en créant des écoles primaires, en accordant des subsides aux collèges communaux, le gouvernement précédent n’exerçait pas une influence funeste.
Ce qui était funeste, ce qui a soulevé les plaintes et les réclamations générales, c’était ce pouvoir absolu de prendre des mesures de la nature de celles qui étaient l’objet des arrêtés de 1825, la défense d’établir des écoles latine et grecque sans autorisation, la défense d’enseigner aux enfants de plus d’une famille la langue latine et grecque, la défense aux parents d’envoyer faire leurs études à l’étranger ; c’était surtout l’esprit qui dirigeait ces mesures en présence de deux religions qui semblaient se disputer la prééminence.
Mais ces abus sont-ils à craindre aujourd’hui ?
Votre raison répond : Non.
La constitution proclame l’enseignement libre. C’est appeler la concurrence. Ainsi chacun a le droit de répandre les bienfaits de l’instruction. Laïcs, prêtres, associations, communes, provinces, l’Etat, tous jouissent de ce droit, sont sur la même ligne ; la constitution s’est-elle trompée ? C’est ce qu’il ne nous appartient pas d’examiner.
Permettez-moi, messieurs, de rapporter un exemple de l’exercice de cette liberté.
Les frères de l’école chrétienne viennent d’établir dans la ville à laquelle j’appartiens une école première. Déjà elle rivalise avec l’école primaire communale, dont l’instituteur reçoit un traitement de l’Etat. Que dis-je ? Elle l’emporte déjà par le nombre des élèves, je ne dis pas par la bonté de l’instruction, car je parlerais de ce que j’ignore. Voilà donc une concurrence. Mais, dans l’esprit de notre constitution, c’est du concours et de la rivalité des efforts individuels que doit résulter le plus grand bien. Il est impossible d’entendre autrement notre constitution qui proclame la liberté de l’enseignement.
Dans une pareille occurrence, que faut-il faire ?
La raison conseille à l’administration communale de faire ses efforts pour prévenir la chute de son école ; la raison conseille à l’autre partie de faire ses efforts pour que son institution prospère ; mais le devoir de tous, de l’Etat même, est de garantir à chacun le libre exercice de l’enseignement.
Voilà, messieurs, comme j’entends notre liberté d’instruction. Et comme il est de notre devoir de protéger les arts et les sciences, comme je reconnais à l’Etat le droit d’organiser des établissements d’instruction de tout genre, je ne puis lui refuser celui d’encourager ceux existants. Je voterai donc les subsides qui seront demandés dans ce double but.
M. Dubus, rapporteur. - Messieurs, rapporteur de votre section centrale, j’aurais cru pouvoir réclamer l’indulgence de mes collègues pour un travail nécessairement trop rapide et trop imparfait ; mais les attaques dont la section centrale et son rapporteur moi-même ont été l’objet, m’obligent à prendre une autre position. Ce n’est pas de l’indulgence que je réclame ; j’en appelle à la justice et à la raison de vous tous.
On a accusé et votre section centrale et son rapporteur d’être animés d’un esprit désorganisateur, de vouloir détruire tous les établissements d’instruction, de vouloir anéantir tout enseignement ; et la polémique passionnée d’un organe de la presse périodique a pénétré dans cette enceinte, et y a trouvé des échos.
Je dois, messieurs, rétablir les faits qui ont été dénaturés ; je dois défendre le travail de votre section centrale ; je dois vous montrer que, loin d’être animés d’un esprit destructeur, nous avons été au contraire dominés par le sentiment de conserver les établissements existants.
Cette tâche a déjà été remplie par plusieurs de mes honorables amis ; cependant, il reste quelques explications à donner sur ce point. Il reste surtout à faire remarquer à la chambre que les propositions de la section centrale sont d’accord avec les vœux manifestés par la plupart des sections, et, sur beaucoup de points, avec les vœux manifestés par les honorables membres du côté opposé qui ont attaqué la section centrale avec tant de violence et d’amertume.
On a reproché en premier lieu à la section centrale d’avoir voulu supprimer l’administrateur et l’administration de l’instruction publique : j’ouvre le rapport, et j’y trouve seulement qu’elle reconnaît que les fonctions d’administrateur peuvent très bien être remplies par un chef de division ; ainsi elle ne supprime pas l’administration de l’instruction publique, elle la met plus directement sous la direction du ministre. Elle l’a fait pour déférer au vœu de la plupart des sections, qui ont demandé la suppression de l’administration de l’instruction, ou la réunion des fonctions qu’il exerce à celles d’inspecteur des athénées et des collèges.
Mais ce vœu de la suppression des fonctions de l’administrateur est-il nouveau ?
J’ai déjà eu l’occasion de le dire : depuis plusieurs années c’était le vœu manifesté par la plus grande partie de la chambre ; et si dans les sessions précédentes on a voté des fonds pour cet article, c’est parce qu’on se croyait à la veille d’une réorganisation de l’instruction publique.
Dès le 12 novembre 1831, la commission nommé par la chambre des représentants, et composée de MM. Angillis, Legrelle, Osy, Leclercq, d’Elhoungne et de Theux, émettait le même vœu.
« La place d’administrateur de l’instruction publique, disait-elle, semble devoir être supprimée ; ces fonction peuvent être desservies par un chef de division ; il en résulterait aussi une diminution d’employés inférieurs.
« La commission a pensé qu’en règle générale les place d’administrateurs ne sont pas nécessaires dans de petits Etats ; que les administrations spéciales tendent toujours à un développement, et que leurs frais deviennent hors de proportion, soit avec les besoins du service, soit avec les finances de l’Etat ; qu’il est d’ailleurs préférable que le ministre agisse plus immédiatement dans l’administration de son département. »
Voilà les motifs qui ont été mi en avant. Eh bien, l’expression de ce vœu a-t-elle excité alors l’espèce d’orage qu’a excité le rapport de votre section centrale pour l’exercice de 1833 ? A-t-on aperçu dans ce vœu un désir de désorganiser l’instruction publique, de vouloir la détruire ? Bien loin de là ; un orateur, M. de Brouckere, s’exprimait ainsi :
« Il faut rendre justice à la commission (alors on rendait justice aux commissions) que vous avez chargée d’examiner le projet de loi en discussion. Elle l’a examiné avec le plus grand soin. Elle a eu en vue deux objet très importants : l’économie dans les dépenses et la simplification des rouages de l’administration, dont la marche est d’autant plus lente et d’autant plus difficile que ces rouages sont plus compliqués. »
Comment se fait-il que ce qu’on louait alors, on le critique aujourd’hui avec tant d’amertume, et qu’on veuille voir une intention de désorganiser, là où on ne voyait alors qu’une intention d’organiser mieux ?
Lors de l’examen du budget de 1832, cette question a encore été soulevée, mais alors on se croyait à la veille de la discussion de la loi sur l’instruction publique. Car, dans les mémorables séances où l’on a discuté la prise en considération de la proposition de MM. Seron et de Robaulx, le ministre avait fait la promesse formelle de présenter un projet de loi, dont une commission d’Etat s’occupait alors ; la section centrale prit le parti d’émettre l’avis de conserver provisoirement l’administrateur, en en réduisant le traitement.
En l’année 1833, deux projets de budget ont été successivement soumis à la législature, l’un à la chambre précédente, l’autre à la chambre actuelle ; il y a donc eu deux examens de la même question, et dans chacun de ces examens la plupart des sections se sont prononcées également pour la suppression de l’administrateur de l’instruction publique ; quelques sections ont voulu seulement en réduire le traitement à celui d’un chef de division ; mais quatre sections ont émis l’opinion, dans l’examen préparatoire du budget que nous discutons, de supprimer les fonctions d’administrateur, ou, ce qui revient au même, de les réunir à celles d’inspecteur,. Tel a été l’avis de la section présidée par M. Ernst, et de la sixième dont M. Quirini était secrétaire.
Ainsi, vous le voyez, la très grande majorité de l’assemblée, dans les sections, a émis le même vœu que la section centrale ; et, chose remarquable, plusieurs des orateurs qui ont attaqué le vœu de la section centrale ont émis le même vœu, et récemment, et à d’autres époques.
Dans le rapport sur le projet de budget précédent, la section centrale exprimait la même opinion. M. Jullien faisait partie de cette section centrale. Si donc la section centrale, dont je suis l’organe, s’est trompée en émettant un semblable vœu, les honorables membres, ses adversaires, voudront bien l’excuser, et ne pas voir une intention désorganisatrice dans l’expression de son vœu.
Au reste, je me réfère, pour justifier ce vœu, aux motifs qui ont été si bien exposés par la commission de 1831, et je dois faire observer que la section centrale n’a pas posé de conclusions.
La section centrale propose en second lieu une légère réduction sur l’article relatif au traitement de l’inspecteur ; il s’agit de 900 fr. C’était pour déférer aussi à la demande de la plupart des sections, qu’elle propose la suppression du traitement du commis de l’inspecteur.
En troisième lieu, la section centrale vous propose de rejeter l’augmentation demandée cette année pour les trois universités ; voici en quels termes elle a motivé cette réduction :
« Depuis longtemps le vœu général appelle la réduction du nombre des universités et la réorganisation de l’enseignement supérieur.
« La plupart des sections ont renouvelé cette année les observations faites à cet égard à l’occasion de chaque budget.
« Elles ont été d’avis de n’admettre dans l’état provisoire actuel, et en attendant la loi sur l’instruction publique donnée aux frais de l’Etat, que les dépenses véritablement nécessaires pour conserver jusque-là les établissements existants sur le sort desquels la loi prononce. »
Deux projets de loi sur l’instruction primaire ont été soumis à l’examen de l’opinion générale, l’un émane de l’administrateur général de l’instruction ; l’autre émane d’une commission nommée par le ministre de l’intérieur.
Eh bien, l’un et l’autre projet proposent une seule université. Toute la différence qu’on y voit, c’est que l’administrateur propose une université disloquée dont les facultés seraient distribuées dans quatre villes différentes.
Dans cet état de choses, que fallait-il faire ? Le besoin de l’économie nous traçait notre règle de conduite. Ce n’est pas seulement votre section centrale qui s’est imposé la loi de ne pas faire de dépenses inutiles, celle de l’année dernière avait proposé une réduction de 19,880 fl.
Un honorable membre a dit qu’il admettait le principe sur lequel la section centrale se fondait, mais qu’il cherchait où était la justification de l’application de ce principe.
Je répondrai à cet honorable membre que le motif donné par la section centrale de cette année est le même qui a déterminé le suffrage de la section centrale de l’année dernière. L’année dernière, la section centrale proposait 160,000 fl. ; la chambre en a accordé 162,500, et cela sur la proposition de M. Fallon. Il a fait observer qu’il fallait augmenter le crédit de 2,500 fl., afin de comprendre le traitement du secrétaire de l’université de Liége ; mais du reste il a approuvé par son vote et par son amendement même la réduction demandée par la section centrale.
S’il était convaincu que 162,500 fl. étaient suffisants pour les dépenses indispensables, il doit avoir la même conviction encore aujourd’hui ; que s’il a eu des motifs particuliers pour en changer, c’est à lui de les exposer à la chambre. Les sections centrales qui se sont successivement occupées de la proposition de crédit pour les frais des universités ont demandé des renseignements au gouvernement ; et c’est après avoir pris connaissance de ces renseignements qu’elles se sont déterminées à reconnaître comme suffisants les crédits qu’elles ont proposés. Cette année le crédit est de 6,000 fr. plus élevé que celui de l’année dernière ; et celui de 1832 est de 32,000 fr. plus élevé que celui de 1831.
Si une somme inférieure à suffi en 1831, il peut paraître étrange que la somme que nous proposons soit insuffisante en 1833.
Le ministre de l’intérieur, en réponse à cette observation, avait déclaré à la section centrale que le crédit de 1831 avait été insuffisant. La section centrale a cherché à vérifier le fait, et elle a trouvé l’assertion inexacte ; car il résulte des comptes qui nous ont été communiqués qu’il reste encore une somme de 10,000 fr. qui n’a point été employée, sur le crédit de 1831, pour les universités. D’après l’inexactitude constatée de l’assertion ministérielle, la section centrale s’est convaincue de plus en plus qu’elle allouait assez.
Le chiffre que propose la section centrale est le même que celui que proposait la section centrale qui a examiné le projet de budget de cet exercice ; elle proposait 350,000 fr., et c’est M. Jullien, membre de cette section centrale, qui avait fait admettre ce chiffre.
Cependant, on a accusé votre section centrale, précisément à l’occasion de la proposition qu’elle vous fait pour les frais d’universités, de vouloir démolir. Je dois dire qu’elle n’a pas seulement été fidèle à tous les précédents de la chambre, mais qu’elle a de plus été d’accord avec le vœu de toutes les sections ; et puisque c’est l’honorable M. Ernst qui nous a accusés de démolir avant de construire, je dois faire observer que c’est la seconde section présidée par M. Ernst qui s’est opposée à l’augmentation demandée pour les universités.
Cette seconde section dit dans son rapport que les notes générales auxquelles le gouvernement renvoie pour établir la nécessité de l’augmentation de 35,000 fr. ne donnent aucun renseignement, qu’elle la refuse par conséquent ; et elle demande qu’il n’y ait pour tout le royaume qu’une seule université. Et cependant, à l’une de vos précédentes séances, le président de cette section nous a accusés de vouloir détruire ce qui existe, en faisant un tableau des besoins des universités ! Il est étrange que cet honorable membre n’ait pas exposé ses motifs à la section centrale qu’il présidait, afin de les lui faire adopter.
La proposition de la section centrale a été critiquée également par un autre membre, M. Quirini ; en bien, la sixième section, dont il était secrétaire, s’est aussi opposée à la majoration demandée pour les universités. Je tiens le procès-verbal de cette section, écrit et signé par M. Quirini.
On pourrait apprécier, d’après ce que je viens de dire, toutes les autres attaques qui ont été faites contre le travail de votre section centrale ; cependant il m’importe de mettre toutes les pièces du procès sous vos yeux.
Pour frais d’instruction primaire, il a été demandé 214,000 fr. pour traitements des professeurs ; la section centrale les vote ; mais quant aux frais du matériel de 20,000 fr., elle le réduit à 10,000 fr. et elle rejette le crédit de 8,000 fr. demandé pour secours aux instituteurs nécessiteux. La seconde section a également rejeté ce crédit de 8,000 fr., en disant que toutes les pensions devaient figurer ensemble.
Mais c’est contre les propositions de la section centrale relativement aux athénées et collèges qu’ont été dirigées les plus vives attaques, et pour les produire, on a étrangement défiguré et le rapport et les intentions de la section centrale et celles de son rapporteur.
La section centrale a émis le vœu de voir régler la matière par une loi, afin de mettre une fin aux subsides accordés aux collèges. Elle rejette le crédit provisoire pour les professeurs démissionnés, et elle annonce ne devoir voter sur ce crédit que pour la dernière fois ; je crois que tout ce qu’elle propose est une assez fidèle expression des rapports des sections particulières sur les articles mêmes dont il s’agit. Comme ce point est important, je présenterai un extrait de ces rapports à la chambre.
On lit dans le rapport de la première section : « Cette dépense se fait d’une manière très peu constitutionnelle, puisque la loi doit intervenir dans l’instruction donnée aux frais de l’Etat. La répartition des subsides est absolument arbitraire ; cependant la section consent encore à allouer des fonds. »
Voici ce que dit la deuxième section, qui était présidée par l’honorable M. Ernst : « La section voit avec peine l’inégalité et l’arbitraire de la répartition du subside entre les athénées et les collèges ; il est urgent de remédier à cet abus, et le moyen le plus sûr d’y parvenir, est l’adoption d’une bonne loi sur l’instruction publique. »
La troisième section a formulé son opinion en ces termes : « La section émet le vœu formel de voir supprimer, au budget de 1834, l’allocation pour frais des athénées et des collèges. Quelques membres voudraient supprimer l’allocation pour le dernier semestre l’année courante ; et subsidiairement, trois membres prétendent qu’il y a injustice dans la répartition, et désirent que les athénées d’Anvers et de Gand y soient compris pour un même subside. La section se prononce à l’unanimité contre l’augmentation du crédit demandé de 26,657-74. »
La quatrième section ne peut accordé la majoration demandée.
La cinquième section s’exprime ainsi : « La section déclare, sur ce chapitre, qu’elle aurait beaucoup d’observations à faire sur les subsides annuels accordés aux établissements de plusieurs villes, mais qu’elle les ajourne par la considération que l’année scolaire touche à son terme, et que les villes ont compté sur ces subsides. »
Enfin, la sixième section, ayant pour secrétaire l’honorable M. Quirini, « admet le chapitre comme en 1832, vu l’avancement de l’année : en conséquence, la majoration est refusée. Un membre ne voudrait plus allouer de subside en 1834, à moins qu’il ne soir déterminé par une loi sur l’instruction publique. »
En ce qui touche le crédit réclame pour indemnités aux professeurs démissionnés, les observations des sections ne sont pas moins remarquables.
La première section « trouve étrange que ce subside figure encore au budget ; il a été accordé l’année dernière comme secours temporaire et nullement comme pension. L’augmentation est rejetée. »
La deuxième section, présidée par l’honorable M. Ernst, « refuse cette allocation, » pour les motifs indiqués au chapitre précédent, où elle soutient que toutes les pensions devraient figurer au titre de la dette publique et que le ministre de l’intérieur ne doit pas en donner de son propre mouvement.
La troisième et la quatrième section rejettent la majoration de 3,298 francs.
On lit dans le rapport de la cinquième : « Rejeté par le motif que ces professeurs n’appartiennent pas à des établissements de l’Etat, mais à des établissements créés par des villes, desquelles ils devraient réclamer des droits s’ils en ont. »
Voici ce que porte le rapport de la sixième section, signé par M. Quirini : « Loin de majorer ce crédit, la section émet le vœu qu’une réduction totale soit apportée sur cet article pour l’exercice prochain. »
Vous voyez, messieurs, que la section de l’honorable M. Ernst, qui a critiqué si vivement la proposition de la section centrale de rejeter l’augmentation proposée, allait bien plus loin, et voulait rejeter dès maintenant tout le crédit.
J’ai cru qu’il serait utile de mettre ces pièces sous vos yeux pour vous faire apprécier la loyauté des attaques qu’on a dirigées contre nous.
Quant à l’augmentation de crédit qui était réclamée par le gouvernement pour indemnités aux professeurs démissionnés dans les athénées et collèges, il me reste un mot à dire pour justifier le refus de la section centrale, s’il n’est pas déjà suffisamment justifié par le vœu unanime de l’assemblée divisée en sections. Messieurs, ce crédit va s’accroissant chaque année, tandis qu’il devrait aller chaque année en diminuant. Il s’agit de professeurs démissionnés par le fait de la révolution. Or, ceux qui avaient besoin de ce secours étaient nécessairement plus nombreux lors de la révolution, et leur nombre a dû décroître à mesure que ce moment de crise s’éloignait de nous, puisque, s’ils avaient des talents, ils ont pu trouver à se placer ailleurs.
Eh bien ! pas du tout. En 1831 on demandait pour ces indemnités 8,042 fr. qui, selon le ministre, ont été divisés entre 12 à 15 individus ; en 1832, 10,580 fr. qui, selon le ministre encore, ont été répartis entre 30 personnes ; et cette année, on nous demande 14,000 fr., parce que, dit-on, il doit y avoir 40 participants. Mais il n’y a pas de raison pour qu’il n’y en ait pas 50 l’année prochaine et 60 celle d’après. Ainsi, le crédit augmente chaque année, de même que le nombre des professeurs démissionnés, sans qu’on puisse en donner aucune bonne raison.
D’ailleurs, ce sont là de véritables traitements d’attente ; et comme la chambre, après une longue discussion, s’est montrée sévère à l’égard de ces traitements, votre section centrale devait croire que la chambre resterait conséquente avec elle-même.
En ce qui concerne le crédit demandé pour les frais d’athénées et collèges, votre section centrale, messieurs, vous fait une proposition pour l’exercice courant, et elle émet un vœu pour l’exercice futur.
Pour la présente année elle propose de continuer les mêmes subsides que l’année dernière ; elle refuse toute majoration de crédit, tous subsides nouveaux ; elle réclame une loi sur l’instruction publique, se fondant sur l’inconstitutionnalité de l’état de choses actuel, sur les abus qui existent dans l’application des subsides. Elle provoque cette loi en annonçant qu’à défaut de cette même loi elle refusera tout subside pour 1834.
On a prétendu mettre le rapport de la section centrale de 1833 en opposition avec celui de la section centrale de 1832, et l’on a eu soin de faire remarquer que c’était le même député qui avait rédigé les deux rapports.
D’abord, messieurs, il y a injustice dans le rapprochement, puisque le rapport d’une section centrale et d’une commission n’est pas l’œuvre du rapporteur, et qu’il suffit qu’il y ait deux commissions différentes pour qu’il y ait aussi des conclusions différentes. Mais je dirai plus, c’est que les deux rapports sont tout à fait d’accord entre eux. Seulement une question de plus a été soulevée dans le rapport de 1833. Du reste, on propose dans le rapport de 1832 la continuation des subsides anciens, le rejet de nouveaux subsides ; et si l’honorable membre qui m’a adressé un reproche sur ce point avait voulu tourner le feuillet de ce rapport, il se serait assurer de l’exactitude de ce que je viens de dire. Voici ce que j’y lis :
« Art. 4. En réserve pour les demandes éventuelles des régences, et pour la création possible de nouveaux cours, 9,685 fl. Il s’agit ici de créer de nouveaux subsides et de nouvelles dépenses, avant même que la loi n’ait établi le nouveau système d’instruction. Partageant l’avis de la plupart des sections, la section centrale propose le rejet de l’article 4. »
Je vous demande, messieurs, si ce n’est pas en d’autres termes la reproduction de l’opinion de votre section centrale de cette année. Créer de nouveaux subsides, c’est-à-dire donner de l’extension à l’action du gouvernement sur les établissements d’instruction publique avant que la loi ait établi le système de l’instruction publique, c’est ce que la section centrale de 1832 ne voulait pas plus que celle de 1833. Je dois ajouter qu’en 1832 les conclusions de la section centrale ont été consacrées par le vote, je dirai unanime, de l’assemblée.
L’article 3 a été adopté, et la chambre a rejeté à l’unanimité l’article 4 du gouvernement, par lequel on demandait, précisément comme on demande aujourd’hui, une majoration pour donner de nouveaux subsides.
Une question, qui n’était pas soulevée dans le rapport de l’année dernière, parce qu’on s’attendait à recevoir, d’un moment à l’autre le projet de loi sur l’instruction publique, a pu et dû être soulevée par la section centrale de cette année, ou plutôt l’a été par les sections mêmes dont je vous ai lu tout à l’heure les rapports ; c’est celle qui est relative à l’extension que le gouvernement donne à son action sur les établissements d’éducation, extension que nous considérons comme s’écartant de l’esprit de la constitution.
C’est pour rentrer dans les voies constitutionnelles que la section centrale provoque une loi et annonce qu’à défaut de cette loi elle refusera les subsides pour 1834. On a prétendu que la section centrale n’avait pas demandé cette loi, qu’il n’en était pas question dans son rapport, et que ce motif était une excuse, imaginée apparemment par mon honorable ami M. Dumortier, qui en avait parlé le premier. L’honorable membre qui a dit cela n’a probablement pas écouté les discours de MM. Dellafaille et d’Huart, et n’a probablement pas lu avec attention le rapport. S’il l’avait lu attentivement, il aurait vu que non seulement cela est dit, mais que cela est dit jusqu’à trois fois. Tout le tort de la section centrale c’est de ne pas l’avoir dit une quatrième fois. (On rit.) Je vais le prouver.
Sur l’article 2 relatif aux universités elle s’exprime ainsi : « Depuis longtemps le vœu général appelle la réduction du nombre des universités et la réorganisation de l’enseignement supérieur. »
C’est déjà appeler une loi.
Elle ajoute : « Les sections ont été d’avis de n’admettre dans l’état provisoire actuel, et en attendant la loi sur l’instruction publique donnée aux frais de l’Etat, que les dépenses véritablement nécessaires pour conserver jusque-là les établissements existants, sur le sort desquels la loi prononcera.
Sur l’article relatif aux athénées et collèges elle dit : « Le gouvernement sorti de la révolution continue à soumettre à sa surveillance tous les établissements d’instruction qui reçoivent des subsides du trésor, et, en multipliant ces subsides, il tend en effet à centraliser de nouveau dans ses mains la direction de l’enseignement, avant qu’aucune loi n’ait réglé encore cette matière importante. »
Plus loin :
« La section centrale a émis, à la majorité de cinq voix contre une, le vœu que des subsides ne soient en général plus accordés, à l’avenir, à des athénées ou collèges, avant une loi sur l’instruction publique. »
La section centrale ajoute : « Elle estime, en conséquence, que ce crédit devra disparaître du budget de l’année 1834. » Elle aurait dû dire encore : « si une loi sur l’instruction publique n’est pas donnée à la chambre ; » mais pour tout homme de bonne foi, cela est clair, et je ne crois pas qu’on doive énoncer dix fois la même chose.
J’aurai dû m’attendre, messieurs, au reproche de pléonasme ; pas du tout, on a prétendu qu’il avait été parlé pour la première fois dans la discussion de ce dessein de la section centrale, de provoquer une loi sur l’instruction publique.
On a attaqué la doctrine de la section centrale en ce qui concerne l’invocation qu’elle avait faite de l’article 17 de la constitution. Cet article, a-t-on dit, portant : « L’instruction publique donnée aux frais de l’Etat est également réglée par une loi » exige qu’il y ait une instruction publique aux frais de l’Etat. D’abord, je pourrais contester cette proposition, car ce n’est pas là ce que dit l’article. Il résulte bien du paragraphe que j’ai cité qu’il ne doit pas y avoir d’instruction publique aux frais de l’Etat, à moins qu’elle ne soit réglée par la loi ; mais la constitution n’exige pas impérieusement qu’il y ait une instruction publique aux frais de l’Etat. Elle a laissé cette question indécise.
Cela est si vrai que, dans le projet de constitution, à l’article 139, parmi les lois dont on devait s’occuper, la commission avait compris une loi sur l’instruction publique, et on l’a fait disparaître pour ne pas donner à l’article 17 le sens qui n’était pas le sens constitutionnel.
Du reste, si l’article n’exige pas qu’il y ait une instruction publique, la question d’utilité reste, et, sous ce rapport, tous les membres de la section centrale admettent la nécessité d’une loi notamment en ce qui touche l’enseignement universitaire. Cela résulte formellement du rapport. La section centrale admet qu’il faut une instruction publique aux frais de l’Etat ; mais toujours est-il qu’une loi est nécessaire pour la régler. L’article 17 de la constitution est impératif sur ce point. Or, dans l’état actuel, il y a une instruction publique aux frais de l’Etat, et il n’y a pas de loi qui la règle. Nous sommes à cet égard en dehors de l’article 17 de la loi fondamentale.
On oppose à la seconde disposition de cet article la première disposition. On dit : « Si l’enseignement est libre, n’est-il pas libre pour l’Etat comme pour les particuliers ? » Non, l’enseignement n’est pas libre pour l’Etat comme pour les particuliers, puisque la deuxième disposition de l’article 17 a exigé que l’instruction publique donnée aux frais de l’Etat fut réglée par la loi. Substituez dans cet article les particuliers à l’Etat, et je vous demande si vous pouvez dire que l’enseignement donné par les particuliers est libre. Non certainement ; dans ce cas il sera enchaîné par la loi. Ainsi, dans l’objection que je combats, on a posé une règle qui est en opposition manifeste avec le principe constitutionnel. Dès lors, toutes les conséquences qu’on en a déduites sont évidemment en opposition avec ce même principe.
Il faut une loi qui déclare qu’il y a aura une instruction publique et qui règle en même temps tout ce qui la concerne, qui non seulement l’organise, mais détermine l’action qui sera réservée au gouvernement ou à des autorités quelconques, soit pour la diriger, soit pour la surveiller. Cette loi, où est-elle, et dans quelle position, à son défaut, nous trouvons-nous par rapport à la constitution ? Je défie nos adversaires de donner une solution satisfaisante à ces questions. A quoi se bornera l’action du gouvernement ? Instituera-t-on seulement ces établissements d’enseignement supérieur ?
Instituera-t-on, en outre, partout, comme quelques-uns le voudraient, des établissements d’enseignement moyen et primaire ?
Ou bien, le gouvernement n’aura-t-il que quelques collèges et écoles modèles ?
Ou bien encore abandonnera-t-on entièrement l’enseignement moyen et l’enseignement primaire à la libre concurrence des particuliers, des communes ou même des provinces ?
Le trésor fournira-t-il des subsides pour encourager l’un et l’autre enseignement ? A quelles conditions ? Avec quels effets, quant à la direction, à la nomination des professeurs, à la surveillance ?
Ces subsides ne devront-ils pas être donnés aux communes qui justifieront que leurs revenus sont insuffisants ?
Ne devront-ils pas l’être sans soumettre les établissements communaux à aucune action, aucune influence du gouvernement ?
Convient-il de centraliser dans la main d’un ministre la direction, la surveillance de l’enseignement ? L’action ministérielle, qui se modifie avec tous les changements de ministère, est-elle désirable en pareille matière ?
Voilà des questions que votre section centrale s’est posées, mais dont elle n’a discuté ni résolu aucune. Toutes ces questions restent indécises, c’est la loi qui doit les décider ; mais c’est précisément pour cela qu’il est urgent de présenter cette loi, et de nous faire sortie de la position extraconstitutionnelle où nous sommes placés. Je dirai plus, il y a opposition entre l’état de choses actuel et la constitution. Il n’y a pas de loi, et cependant il y a une instruction publique aux frais de l’Etat ; le gouvernement donne des subsides aux établissements d’instruction moyenne et primaire ; il ne continue pas seulement ces subsides aux établissements qui en jouissaient, mais il en donne chaque année à d’autres établissements, et il étend ainsi l’action et la surveillance qui ne doivent lui appartenir qu’à la condition d’être réglées, et même de lui être attribuées par une loi.
Eh bien, je le demanderai à tout homme de bonne foi, cet état de choses est-il en harmonie avec l’esprit de la constitution ? On a dit qu’il n’était pas en harmonie avec l’esprit du rapport ; mais je défie qu’on dise qu’il soit en harmonie avec l’esprit, non seulement avec l’esprit, mais encore avec le texte de la constitution.
Ainsi, messieurs, d’une part le gouvernement demeure en possession d’une action sur l’enseignement que la loi devait lui attribuer et devait régler, et d’une autre, il l’étend chaque année. Cette loi tant promise, et que la législature devait recevoir à la session de 1832 ; cette loi qui était annoncée par le discours de la couronne du mois de novembre 1832, elle paraît indéfiniment ajournée, tellement que le dernier discours du trône n’en fait plus la moindre mention. Dans cette circonstance, que devait faire la section centrale ? Elle devait user du moyen le plus efficace, du moyen véritablement constitutionnel, le refus des subsides ; mais le refus immédiat des subsides pouvait amener réellement la destruction des établissements existants.
Elle a donc montré, non pas qu’elle était animée de vues de destruction ; mais de vues de conservation, en annonçant l’intention de les refuser pour l’avenir et en les accordant pour l’exercice qui court.
Tout en prétendant que la section centrale est animée de vices de destruction, on lui reproche comme une espèce de contradiction le vote qu’elle émet en faveur des athénées qu’elle considère comme établissements de l’Etat. Mais, dans cela même, on aurait dû voir une nouvelle preuve qu’elle n’était animée que d’un désir de conservation, car sans cela elle aurait tiré toutes les conséquences résultant rigoureusement de sa doctrine
Il existe trois universités, trois athénées, que la section centrale considère comme établissements de l’Etat. Ensuite, il y a un petit nombre de collèges qui en 1830 recevaient des subsides insignifiants.
Quant aux universités, la section centrale s’est déterminée par la considération que ces établissements existaient lors de la révolution ; que c’était l’Etat qui en faisait les frais ; que l’Etat ne peut se passer de ces établissements d’enseignement supérieur ; que refuser les sommes nécessaires à leur entretien, ce serait les faire tomber ; qu’il y avait nécessité, par la force même des choses, de continuer les dépenses pour les universités jusqu’à la réorganisation de l’instruction publique mais qu’il y avait nécessité aussi de présenter la loi sur l’enseignement dans le plus bref délai possible. La section centrale a donc proposé à cet égard un crédit supérieur même à celui de l’année dernière, et elle n’a pas la moindre intention de refuser jamais les sommes nécessaires pour cet objet.
Viennent ensuite les athénées, que la section centrale considère comme établissements de l’Etat ou comme devant y être assimilés. Elle s’est déterminée, quant à ceux-là, par la circonstance que, d’après l’arrêté organique de 1816, il y avait participation permanente et obligée du trésor à la dépense de ces établissements jusqu’au maximum des deux tiers. Il existe donc un engagement de la part de l’Etat envers les villes où ces établissements sont situés, et ces subsides permanents ne peuvent être supprimés ; c’est d’après cette considération que la section centrale a pensé qu’elle devait les excepter, alors qu’elle annonçait le dessein de se refuser à tout nouveau subside si l’on ne présentait pas auparavant une loi sur l’instruction publique.
Enfin, il y avait, en 1830, des collèges en très petit nombre, qui recevaient des subsides insignifiants. Dans le rapport de la section centrale on n’en avait indiqué que 4 d’après un renseignement incomplet, parce que toute la partie flamande de la Belgique était alors soumise à un inspecteur hollandais ; mais je puis dire qu’il n’y avait que 5 ou 6 collèges qui reçussent des subsides à l’époque de la révolution, et ces subsides, je le répète, étaient insignifiants ; ils s’élevaient à 9,000 fl. pour toute la Belgique, y compris Maestricht.
Je mets pour un instant à l’écart l’athénée de Bruxelles, sur lequel je m’expliquerai tout à l’heure. Mais quant aux autres établissements, pour apprécier jusqu’à quel point le vœu émis par la section centrale est un vœu de destruction, vous avez à considérer qu’ils ne recevaient que des subsides insignifiants ; qu’à la vérité, à l’époque de 1830, la crise amenée par la révolution a occasionné une gêne dans beaucoup d’établissements communaux, mas que cette crise est passé déjà depuis trois ans, et que les communes n’ont plus besoin que d’un faible secours. En effet, dans les premiers budgets il a été porté des sommes à titre de secours aux communes, sommes qui ont diminué d’année en année, et qui viennent même de disparaître.
Or, les subsides dont il s’agit sont évidemment des secours aux communes, et on conçoit qu’à la rigueur les communes qui ont des établissements d’enseignement moyen auraient pu s’en passer si une loi sur l’instruction publique nous avait été refusée pour 1834. Remarquez cependant, messieurs, que ce vœu de la section centrale, à l’égard de l’enseignement moyen elle n’a eu garde de l’émettre pour les subsides affectés aux établissements de l’enseignement primaire ; et sous ce rapport elle a été guidée par un double motif.
D’abord le subside demandé pour l’enseignement primaire est le même que celui réclamé précédemment, et l’on ne remarque pas que le gouvernement cherche à étendre son action.
D’un autre côté, ces subsides sont probablement accordés à des communes rurales qui n’ont que des ressources très bornées, et à qui leur suppression pouvait causer un véritable préjudice.
Ainsi, vous le voyez, messieurs, la section centrale faisait la part des circonstances, et loin d’être animée d’un esprit de destruction, elle voulait conserver et elle restreignait sa menace aux communes qui ont le moins besoin. C’est donc par une étrange exagération que l’on a vu un vœu de destruction là où il n’y avait qu’une menace, qu'un vœu pour déterminer le gouvernement à présenter une loi, vœu que l’on était toujours maître de ne pas réaliser si l’on apercevait qu’il y eût préjudice.
Mais, dit-on, c’est l’athénée de Bruxelles que vous avez voulu faire tomber. Messieurs, on a fait à plusieurs reprises de cet établissement un éloge que je crois mérité. Il a reçu des développements qui en font plus qu’un collège, et je le crois appelé, moyennant la liberté de l’enseignement, à de plus hautes destinées. Mais est-il vrai que nous ayons posé ici la question de la conservation ou de la destruction de cet établissement si recommandable ? Rien dans le rapport de la section centrale ne justifie une semblable accusation. C’était simplement sous le rapport du chiffre une question entre le budget de l’Etat et le budget de la ville de Bruxelles. L’athénée de Bruxelles est digne sans doute des éloges qu’on lui a décernés. Mais est-ce le trésor qui doit en supporter les dépenses ?
Dans le cas où la question serait posée lors du budget de 1834, je n’hésiterais pas à dire : Oui, si la ville de Bruxelles est dans l’impossibilité d’y subvenir ; oui, s’il est constaté que, le subside étant refusé, l’établissement tomberait ou serait réduit, comme on l’a dit, à une école latine. Mais cette impossibilité est difficile à concevoir.
J’ai peine à m’expliquer comme il se fait que la capitale du royaume, la ville qui est si avantagée au budget et qui a tant de ressources, ne puisse ou ne veuille pas supporter la dépense d’un pareil établissement. La ville de Bruxelles ferait-elle donc moins pour l’enseignement que des villes de troisième et de quatrième ordre ? Qu’on nous dise quelle est la dépense qu’elle supporte de ce chef, et nous apprécierons si elle fait tout ce qu’elle doit faire.
Du reste, messieurs, sur ce point, votre section centrale n’a soulevé que des doutes, mais elle n’a rien décidé. Plusieurs de ses membres avaient émis l’opinion qu’on pouvait considérer cet athénée comme replaçant celui de Luxembourg, qui était un établissement de l’Etat, et qui est demeuré au pouvoir de nos ennemis. Cette question n’a pas été résolue, parce que ce n’était pas là sa véritable place.
Je crois avoir suffisamment démontré que la section centrale n’a pas été animée, comme on l’a prétendu, d’un esprit de destruction. Je persiste à penser qu’elle a fait son devoir, et, pour ma part, je n’ai ni regret ni honte de tout ce qu’elle a proposé et désiré.
Il y a d’autant plus de raison de s’opposer énergiquement à toute extension de l’action du gouvernement au moyen de subsides, que c’est une question controversée que celle de savoir si, par la nouvelle loi, on adoptera le système des subsides. Ce système rencontre des contradicteurs. Des objections graves sont faites pour soutenir que des subsides ne devraient pas être accordés sur le trésor public aux établissements d’instruction.
Il en a qui prétendent que, dans l’enseignement comme dans l’industrie, accorder des subsides à un établissement et en refuser à d’autres établissements semblables, c’est détruire la concurrence, c’est se montrer partial, et, par conséquent, c’est commettre une injustice ; que même, c’est s’écarter du véritable esprit de l’article 17 de la constitution, parce que les subsides mettent ceux qui les reçoivent à même de donner l’instruction soit gratuitement, soit à un prix moindre, et de ruiner ainsi leurs concurrents.
On dit encore qu’un établissement d’instruction publique justifie et mérite, ou ne mérite pas, la confiance des particuliers ; que, dans le premier cas, il n’a pas besoin de subsides ; que dans le second, il n’en est pas digne, et que c’est de l’argent mal dépensé. Ces objections paraissent assez graves pour fixer au moins l’attention de la législature. Je comprends que l’on prétende que ces motifs n’atteignent pas un subside qui serait donné pour frais de premier établissement d’un athénée ou collège qui, une fois érigée, lutte sans aucun avantage particulier avec tous les autres. Mais l’exception laisserait toujours subsister la règle, si d’ailleurs on ne détruisait pas les objections.
Cette question, messieurs, est très délicate et votre section centrale ne l’a pas résolue, parce que c’est à la loi à la résoudre ; mais précisément parce que la question est délicate, nous devons tenir d’autant plus à ce qu’aucun nouveau subside ne soit accordé avant une loi sur l’instruction publique.
On a présenté ce système des subsides comme extrêmement simple, et on a prétendu le fonder sur le texte même de la première disposition de l’article 17. L’enseignement est libre, dit-on ; mais l’établissement d’instruction qui engage son indépendance pour obtenir un subside est bien le maître de le faire ou de ne pas le faire. En le faisant, il use précisément de sa liberté. Messieurs, cet argument, à mes yeux, n’en est pas un. D’abord, il met la première disposition de l’article 17 en opposition ouverte avec la seconde ; car, remarquez-le bien, au moyen de ces subsides, le gouvernement acquiert une action sur des établissements d’instruction. Or, la seconde partie de l’article est obstative à toute action semblable, avant qu’une loi n’autorise et ne règle cette action. D’ailleurs, est-il bien vrai que ce soit là un acte de liberté ? Ces subsides, s’ils sont distribués avec discernement ne sont accordés qu’à des communes qui n’ont que des ressources insuffisantes ; elles sont donc dans la nécessité de les recevoir, et vous autorisez le gouvernement à spéculer sur cette nécessité. Ce n’est pas là de la liberté.
Il y a d’autant plus de raison encore pour persister dans le vœu que nous avons émis, qu’il s’est élevé des plaintes générales sur la manière dont ce crédit est appliqué. Ces plaintes se trouvent écrites dans presque tous les rapports de vos sections. Les faits, d’ailleurs, vous ont été signalés, notamment par mes honorables amis MM. Dellafaille et Dumortier.
Indépendamment de ces faits, on a démontré que plusieurs établissements subsidiés, loin de prospérer, avaient beaucoup perdu depuis la révolution, et on s’est demandé quels avaient été les avantages de ce subsides. Il paraît, en effet, qu’on les donne sans discernement, et qu’on les offre même à ceux qui n’en demandent pas ; à ce propos, on vous a signalé un fait à l’une de vos précédentes séances, c’est qu’un subside avait été offert à une des principales villes du royaume qui ne le demandait pas ; que cette ville a répondu qu’elle ne l’accepterait qu’à condition que le gouvernement n’aurait aucune action sur ses collèges, et que, malgré cette réponse, on le lui a envoyé.
Ainsi, on accorde donc ces subsides sans nécessité, et uniquement pour grossir le chiffre. On vous a signalé un autre fait, c’est que le directeur d’un collège, qui avait sollicité un subside pour 1833, a déclaré depuis qu’il ne faisait cette demande que pour le cas où l’on en donnerait un à un établissement, mais que si on le refusait à cet établissement voisin, il soutiendrait bien la concurrence sans secours.
Un honorable membre du côte opposé a dit que la prospérité de l’instruction publique ne dépendait pas des pensionnats ; qu’un établissement pouvait être très bon, et n’avoir pas d’internes. Je conçois en effet qu’un établissement obtienne la confiance des familles, et n’ait pas un seul pensionnaire ; mais je suppose un établissement ouvert aux internes ; je le suppose au milieu des Flandres, et je suppose enfin qu’il parvienne à obtenir seulement huit internes, à mériter la confiance de huit pères de famille seulement ; je crois qu’on peut dire qu’un pareil établissement n’est pas très recommandable. Ce n’est pas à lui qu’il faut accorder des subsides, car ici les subsides n’aboutiraient qu’à créer des sinécures, à entretenir des professeurs sans élèves.
Messieurs, je crois avoir justifié le travail de la section centrale. Je crois avoir démontré au moins qu’on a étrangement dénaturé le rapport et les intentions de ceux dont il émane ; je vous ai fait voir que plusieurs des propositions qui ont donné lieu à la critique la plus amère sont les propositions mêmes de ceux qui les ont attaquées.
Il s’est formé une sorte de croisade contre le rapport de la section centrale, sur lequel on semble avoir voulu attirer plus particulièrement l’attention.
J’ai peine à me rendre raison des motifs qui ont pu faire changer si subitement les convictions de plusieurs membres, et les réunir tous pour attaquer ensemble et sans ménagement le rapport sur des dispositions qui avaient obtenu antérieurement et dans les sections tous leurs suffrages. Quels sont donc les motifs de cette conduite ? Est-ce à la section centrale qu’on en veut ? Je ne le crois pas. C’est encore moins, je pense, à son rapporteur ; je ne crois pas qu’il mérite aussi particulièrement votre attention.
Voici le mot de toute cette énigme ; il faut bien le révéler enfin. C’est à la liberté d’enseignement qu’on en veut ; selon moi, cette liberté épouvante certains esprits. Liberté, libre concurrence, c’est ce qu’on doit vouloir d’après la constitution ; ce n’est pas ce que veulent les honorables membre du côté opposé. Ils veulent armer le gouvernement contre cette liberté et contre ses effets.
On vous a parlé d’une éducation nationale, on vous a vanté ce système qui étendrait la main du gouvernement partout, et ferait de l’enseignement public une puissance. Voilà ce qu’on a préconisé ; voilà le système qu’on voudrait faire adopter ; je vois que plusieurs s’unissent au gouvernement pour obtenir les mesures qui étendraient de plus en plus son influence, et mettraient un plus grand nombre d’établissements sous sa dépendance.
Ce système, votre section centrale n’a pas eu à l’examiner ; elle s’est renfermée scrupuleusement dans son mandat. Elle a examiné avec attention toutes les propositions de dépenses ; elle vous a proposé consciencieusement toutes les réductions qu’elle a crues possibles ; du reste, aucun esprit de partialité ne l’animait. Elle a laissé indécises toutes les grandes questions relatives à l’instruction publique, qui seront discutées dans d’autres circonstances. Mais elle a pensé que le respect de la constitution exigeait qu’elle invitât le gouvernement, de la manière la plus conforme à l’ordre constitutionnel, à sortir de la voie dans laquelle il s’engage, et à ne pas y faire de nouveaux progrès.
- Plusieurs membres. - Très bien ! très bien !
M. Doignon. - Messieurs, la liberté de l’enseignement est l’une des plus précieuses conquêtes de notre révolution. A peine le trône de Guillaume fut-il renversé, qu’elle fut solennellement proclamée, au commencement d’octobre 1830, par un arrêté du gouvernement provisoire : l’article 17 de la constitution n’a fait que sanctionner la déclaration de ce gouvernement.
Ainsi l’une des premières sollicitudes du législateur doit être de conserver ce droit sacré, droit acquis à tout Belge comme à toutes nos communes, et de veiller à ce qu’il n’y soit porté aucune atteinte, directement ou indirectement.
A cet égard, messieurs, nous pensons, avec la section centrale, que le temps est venu de signaler les dangers de la marche suivie par le ministère. L’année dernière, onze collèges furent subsidiés par l’Etat : il propose pour cet exercice d’en élever le nombre à vingt-deux, et de s’attribuer par ce moyen toute autorité sur ces établissements. Sous le gouvernement hollandais, au contraire, trois collèges ou athénées seulement recevaient un subside du trésor Il demande en outre, pour l’instruction primaire, une somme de 242,000 fr., destinée à des institutions dont on nous laisse ignorer le nombre et les noms.
Le but du ministère, en multipliant les subsides aussi considérablement, est trop manifeste pour ne pas lui rappeler ses devoirs et le respect qu’il doit avant tout à notre constitution. Son système de subsides, tel qu’il prétend l’organiser, ne tendrait à rien moins qu’à nous ravir, par une voie détournée, la liberté d’enseignement, et à nous ramener insensiblement au régime de l’odieux monopole. C’est aussi à l’aide de ce système perfide que le gouvernement hollandais est parvenu, en peu de temps, à accaparer, avec l’argent du peuple, nos établissements d’instruction ; c’est au moyen de ces subsides, même modiques, qui leur étaient accordés annuellement, qu’il les fit tomber peu à peu sous sa surveillance et sous son administration. Et c’est lorsque nous avons encore le souvenir tout récent des funestes conséquences du monopole, que nos ministres osent bien, à l’occasion du budget, proposer à la législature d’entrer de nouveau dans une pareille voie !
En effet, messieurs, le subside ministériel, quelque modéré qu’il puisse être, n’est dans la réalité autre chose qu’on appât irrésistible présenté à toutes les communes et aux particuliers, afin d’obtenir en échange leur consentement à laisser exclusivement surveiller et administrer leurs établissements par le ministère : il n’est dans le fait qu’un don perfide, puisqu’en acquérant, moyennant une légère somme, le droit de surveillance avec ses conséquences, il est vrai de dire que le gouvernement achète d’une part, et que de l’autre, l’établissement lui vend son droit à la liberté d’enseignement. Plus tard, celui-ci ne pourrait même se plaindre de cette espèce d’esclavage, car on lui répondrait qu’il a volontairement accepté le don qui lui a été offert sous cette condition ; et ses dépenses, comme ses besoins de chaque année, étant réglées sur ce subside, il lui serait moralement impossible de se dégager des liens ministériels.
Or, messieurs, ce droit de surveillance, que le gouvernement prétend acquérir de cette manière sur l’instruction en général, a été formellement proscrit par le congrès national. Il a été mis aux voix, par forme d’amendement, lors de la discussion de l’article 17 de la constitution, et il fut rejeté à une assez forte majorité.
Mais si le gouvernement ne peut, sans violer la constitution, exercer directement cette surveillance, y aurait-il de la loyauté de sa part à vouloir le faire d’une manière indirecte, et plus encore avec l’argent du peuple ?
Il était sensible alors comme aujourd’hui que ce droit de surveillance était nécessairement un acheminement au monopole, ou plutôt qu’il était le monopole lui-même ; en effet, le droit de surveiller et d’inspecter, étant une fois admis, emporte dans son exécution celui de régler et d’imposer des conditions et des devoirs, ou en d’autres termes, des mesures préventives.
Ainsi, comme il n’est pas douteux que ces gratifications, ainsi offertes par le gouvernement, ne seraient que trop souvent acceptées par les communes et les particuliers, surtout par celles qui ont peu ou point de ressources, son système de subsides, avec cette condition du droit de surveillance, aurait inévitablement pour conséquence que, dans la vérité, il n’y aurait presque plus de liberté d’enseignement dans nos communes, qu’en peu d’années l’instruction en général tomberait entre ses mains, et que, dans le fait, elle demeurerait bientôt soumise, comme précédemment, à certaines mesures préventives contre le vœu formel de l’article 17 de la constitution.
Sans doute le ministère se gardera bien de demander une loi pour établir des mesures de cette nature, car cette démarche le mettrait trop ouvertement en opposition avec le texte de notre charte ; mais ses administrateurs, ses inspecteurs surveillants, chargés de visiter les établissements, auront pour mission de déclarer ou d’insinuer aux instituteurs et aux administrations que le subsiste de l’Etat ne sera accordé ou continué que pour autant qu’on y introduise telle ou telle méthode, tel ou tel système d’enseignement qu’il plaira au ministère de leur imposer pour façonner nos enfants à sa manière.
De ce droit de surveillance devra nécessairement résulter la création de cette cohorte d’inspecteurs provinciaux et d’arrondissement, qui ont été supprimés dès les premiers jours de la révolution, et qui, parcourant nos campagnes avaient soulevé contre eux tout le pays par leur conduite tyrannique à l’égard de l’enseignement : mais, de nos jours, ces agents ministériels seront même d’autant plus dangereux, qu’instruits par l’expérience du passé, ils se montreront plus souples et plus adroits pour se faire remettre sans éclat la direction de l’instruction, moyennant l’offre d’un subside. Comme sous le gouvernement de Guillaume, leur prix sera d’autant plus élevé qu’ils auront rencontré moins de résistance ou que l’on aura été plus complaisaient envers eux.
Le seul fait d’une forte allocation portée chaque année au budget de l’Etat pour subsides serait lui-même une sorte d’invitation aux communes d’en venir réclamer au prix de leur liberté. Déjà M. l’administrateur actuel annonce dans la lettre qu’il a fait publier dans nos journaux, le 12 de ce mois, que par cela seul qu’un établissement est subsidié par le gouvernement, il tombe dans ses attributions.
Le ministère, en demandant par son budget la faculté de multiplier les subsides ou plutôt de les prodiguer sous pareille condition, veut donc évidemment suivre les traces du régime hollandais ; or, il n’est pas plus permis certainement de faire, d’une manière indirecte, ce qui est défendu par la constituions, que de le faire directement.
L’article 17 de la constitution doit être loyalement exécuté. Que le ministère crée et organise, en vertu de la loi, des établissements d’instruction publique, qu’il en érige pour son compte dans des localités où on le juge nécessaire, qu’il ait ses écoles modèles et normales, qu’en un mot, il se mette franchement en concurrence là où il croit devoir exciter l’émulation, jusque-là il est entièrement dans son droit ; mais qu’il veuille s’immiscer dans des établissements qui ne sont pas les siens, et que, pour mieux atteindre son but, il les séduise par l’appât des subsides, qu’il veuille ainsi envelopper avec le temps, sous sa surveillance et sa direction, toute l’instruction en général, et la réduire enfin à peu près au même état de servitude que sous le roi Guillaume, c’est ce qui est intolérable et ce que chacun de nous doit d’efforcer d’empêcher.
C’est à nous, représentants du pays, de faire connaître aux communes et aux particuliers le piège tendu par le ministère pour leur enlever la liberté de l’enseignement ; c’est à nous de prendre les mesures convenables pour les mettre à l’abri de ce genre de séduction. Or, le refus de toute majoration de subsides, proposé par la section centrale, est l’un des moyens que la législature est en droit de lui opposer. Celle-ci violerait son mandat et son serment, si elle pouvait souffrir qu’on se servît des deniers du peuple contre lui-même et pour paralyser l’une de ses plus belles franchises.
On ne peut trop rappeler ici au ministère que l’article 17 de la constitution est placé sous le titre : Des droits des Belges ; et que par conséquent, c’est premièrement pour le peuple que la liberté d’enseignement a été proclamée. Qu’il soit donc libre au gouvernement d’organiser son instruction publique aux frais de l’Etat, conformément à la loi ; mais que, d’une autre part, il respecte les droits des Belges et des communes, et qu’il leur en laisse la jouissance dans toute sa plénitude, sans prétendre exercer sur eux aucune influence d’argent ; influence qui est toujours funeste, et qui est indigne d’un gouvernement qui a des intentions droites. Le législateur ne peut pas plus la permettre de la favoriser, par rapport à la liberté de l’enseignement, que par rapport à chacune des autres franchises nationales.
Le subside, dira-t-on, est, dans certains cas, un moyen d’encouragement et de conservation. Cela serait vrai jusqu’à un certain point, s’il était accordé à l’établissement purement et simplement, et sans aucune condition d’asservissement ; mais lorsqu’on y ajoute, comme le fait le ministère, une condition telle qu’elle compromet l’existence du principe de liberté lui-même, c’est-à-dire le droit de surveiller, avec toutes ses suites, n’est-il pas vrai que le remède est bien plus dangereux et pire que le mal, puisqu’il nous jette dans une voie qui nous conduirait, en définitive, à l’odieux monopole ?
Une telle condition répugne évidemment à l’esprit comme au texte de la constitution : le ministère devrait donc y renoncer immédiatement. Depuis la révolution, il a accordé des subsides à nombre de communes, sans s’ingérer aucunement dans leurs établissements, sans y envoyer ses inspecteurs ou administrateurs pour les visiter et les contrôler : en un mot, en les laissant absolument libres. Ces subsides ont été donnés sans condition aucune ; pourquoi ne prendrait-il pas pour règle ce qui s’est pratiqué sous le précédent ministère, à l’égard de ces communes ? Les autorités locales et provinciales ont toujours procuré des renseignements suffisants sur le mérite et les besoins de ces institutions.
Mais, par respect et pour le maintien d’une liberté constitutionnelle, non seulement le ministère ne doit imposer aucune condition à ses subsides, mais il ne peut même les dispenser qu’avec une grande réserve ; car le législateur du congrès, en proclamant la liberté de l’enseignement, a eu principalement en vue d’établir la libre concurrence.
Mais cette concurrence cesserait d’être libre, et serait bientôt neutralisée, s’il était permis au gouvernement de répandre ses faveurs, même sans condition, sur un trop grand nombre d’institutions qu’il admettrait de préférence à toutes autres. De son côté, s’il veut exercer une influence morale, n’a-t-il pas toujours ses établissements particuliers, organisés en vertu de la loi, et qu’il peut placer dans les endroits où l’état de l’instruction l’exige ? N’a-t-il pas encore ses écoles modèles, ses écoles normales, ses primes d’encouragement pour le perfectionnement des méthodes, etc., etc. ?
La concurrence, a-t-on objecté, doit être libre pour le ministère, comme pour tout autre citoyen. Certes, si MM. les ministres désirent propager leur système particulier d’enseignement, il leur est libre de le faire à leurs frais, comme à tout autre habitant. Mais qu’ils aient le droit de venir puiser dans le trésor de l’Etat pour attirer à eux toutes les institutions, et y répandre leurs doctrines particulières ; mais qu’ils puissent faire usage du produit des impôts pour s’emparer de nos enfants, et leur donner une éducation tout ministérielle ; c’est là tout à la fois un abus des deniers de l’Etat, et une usurpation flagrante des droits constitutionnels des communes et du père de famille. Ils doivent savoir, en un mot, que la liberté de l’enseignement appartient au peuple avant d’appartenir au ministère.
D’après la charte française, la liberté de l’enseignement, en général, a pu, dans ce pays, être réglée par la loi et le gouvernement ; mais il en est tout autrement en Belgique : toute espèce de mesure préventive est interdite à l’égard de l’enseignement en général ; et l’instruction publique donnée aux frais de l’Etat est la seule qui puisse être réglée et administrée par la loi et le ministère.
Mais il y a plus : quant à la dispensation de ces faveurs, il n’est malheureusement que trop vrai que le ministère n’inspire même de confiance à aucune opinion de la chambre. Un ministère doctrinaire ne saurait fonder une instruction digne d’un peuple libre, comme l’a dit l’honorable M. Seron.
Plus d’une fois les opinions et les doctrines professées dans cette enceinte par nos ministres ont révolté toute l’assemblée. Ils ont violé la liberté individuelle, notamment en autorisant arbitrairement l’extradition d’étrangers ; ils ont violé la liberté de la presse, en tolérant certains actes de violence envers nos écrivains politiques ; ils ont violé la liberté des cultes, en proposant naguère de faire porter le mousquet par les ministres d’un culte, et, récemment encore, en gardant le silence sur une profanation manifeste de l’un de nos temples ; ils ont violé la liberté du vote dans cette chambre, en menaçant de destitution les fonctionnaires qui en font partie, s’ils ne votaient pas avec eux dans les questions importantes, etc., etc.
Or, je vous le demande, messieurs, quelle espèce d’instruction nationale pouvons-nous attendre de ces ministres doctrinaires, s’ils font prévaloir dans leurs écoles leurs principes et leurs doctrines ? Ne devons nous pas craindre qu’avant peu d’années elles deviennent des écoles de despotique, ces écoles où l’on faisait chanter à nos enfants des hymnes en l’honneur du roi Guillaume, au lieu des louanges du Créateur ?
Nous le demandons encore, quelle morale, quelle religion le ministère Lebeau fera-t-il enseigner dans les écoles devenues ministérielles ? Se flatte-t-il de captiver la confiance des pères de famille en tolérant dans ses établissements des professeurs athées ou matérialistes ou antichrétiens, et en fermant les yeux sur le libertinage et l’impiété des élèves ? Quelle garantie le pays peut-il espérer pour la liberté religieuse de la part d’un ministère dont le chef a professé à cette tribune, comme député, qu’il n’avait aucune sympathie pour les doctrine du culte de l’immense majorité des citoyens ?
Les malheureux préjugés de nos hommes d’Etat, je ne dirai point leur ignorance en cette matière, ou leur fanatisme, les rendent incapables de comprendre que la véritable civilisation est dans l’alliance intime des sciences et de la morale religieuse, et que ces deux choses sont essentiellement inséparables dans une bonne éducation. Trop souvent la science seule enfle le cœur de l’homme. Ils ne récuseront pas sous doute l’autorité des Cousin, des Guizot et du célèbre Montesquieu. « Plus les chrétiens, dit ce dernier, croient devoir à la religion, plus ils pensent devoir à leur patrie ; et les principes du christianisme bien gravés dans les cœurs sont infiniment plus forts que le faux honneur des monarchies, les vertus humaines des républiques et la crainte servile des Etats despotiques. »
Si donc on ne craignait pas de froisser une foule d’intérêts privés dans l’état actuel des choses, loin de consentir aucune majoration sur les subsides, ne serait-il pas plutôt de notre devoir de les réduire ?
Les progrès incontestables que l’instruction fait dans notre pays depuis la révolution rendent encore bien moins nécessaire l’augmentation des subsides dans nos provinces, nous voyons s’élever partout un grand nombre de nouvelles écoles et de maisons d’éducation.
Des plaintes se font entendre de toutes parts contre l’instruction ministérielle donnée dans certaine université, il y règne une immoralité qui afflige profondément les pères de famille. Il est déjà assez pénible pour la législature de devoir voter des fonds pour de semblables établissements.
L’honorable M. Seron est donc dans une erreur bien étrange lorsqu’il appelle le ministère au secours de l’instruction du peuple. Tout dans cette partie est à réédifier et réorganiser ; mais on ne peut s’empêcher de le reconnaître, nos ministres, avec leurs principes et leurs doctrines, sont dans l’impuissance d’exécuter une pareille entreprise. Comme la même cause produit le même effet, leur système nous mènerait directement à l’esclavage comme sous le régime les Van Gobbelschroy ; et avant peu d’années les jeunes Belges, ne recevraient presque plus que l’éducation ministérielle.
La chambre, a-t-on observé, en votant chaque année le subside, peut arrêter le ministère dans sa marche s’il en abuse ; mais dès à présent même il en fait un usage inconstitutionnel, puisqu’il impose pour condition à la collation du subside la perte de la liberté de l’enseignement ; et d’ailleurs l’expérience ne prouve-t-elle pas que ce n’est ordinairement qu’après quelques années, et lorsqu’un abus à déjà fait de grands ravages, qu’on provoque des mesures législatives ? Lorsqu’il s’agit, comme dans l’espèce, d’un mal presque irréparable, il doit être arrêté dans son principe.
Mais l’honorable M. Seron craint le monopole de la part de « ces hommes, dit-il, qui veulent tuer l’enseignement, ou ce qui est la même chose, l’accaparer pour eux seuls et le triomphe de leurs principes. » A cela on peut faire une réponse bien simple ; et qu’on me permette cette comparaison : c’est qu’en fait de concurrence, le marchand qui vend le meilleur vin aura naturellement un plus grand débit que tout autre. Le peuple et le père de famille sont juges de la qualité, et ils sont juges infaillibles en cette matière.
Mais c’est abuser singulièrement de termes que de qualifier de monopole une supériorité qu’on acquerrait légitimement sur ses concurrents ; dès l’instant que toutes les doctrines et les genres d’enseignement sont libres, l’expérience finit par faire apprécier au peuple celui ou ceux qui méritent la préférence. Si ces hommes n’ont employé pour triompher que la voie de la persuasion et du raisonnement ; si, convaincus de la vérité de leurs doctrines, ils n’ont cherché d’autre appui qu’en eux-mêmes ; si, par cela seul plus forts que l’autorité elle-même, ils ont pu se passer de sa protection et sont ainsi à l’emporter sur leurs concurrents, on ne peut disconvenir que c’est là un triomphe des plus légitimes et qui ressemble à rien moins qu’au monopole : celui-ci suppose l’emploi de la force matérielle ou des moyens d’autorités préventives ou coercitives pour arriver à ses fins ; ces hommes, au contraire, ne devraient leurs succès qu’à leur propre force morale, aux moyens persuasifs et à la seule expérience.
C’est une conséquence nécessaire de toute libre concurrence, qu’avec le temps une ou plusieurs doctrines doivent prévaloir sur les autres. Lorsque, dans cette espèce de combat, où nécessairement un gouvernement a toujours pour lui les plus grands avantages, son système vient à succomber, c’est une marque certaine qu’il n’a point suivi dans cette partie les vrais principes ou les bonnes méthodes. Tel doit être aussi, dans les mêmes cas, le sort des établissements particuliers.
Si ces hommes, dont parle l’honorable M. Seron, n’ont pas cru devoir réclamer des secours pécuniaires du gouvernement ; mais si, confiants dans leur cause, ils ont contribué de leurs propres deniers à tous les frais de leurs entreprises, pourquoi leurs concurrents ne devraient-ils pas imiter leur exemple ? Pourquoi ne chercheraient-ils pas comme eux à s’élever par leurs propres moyens et sans mettre l’Etat à contribution pour favoriser leurs doctrine, particulières et leur intérêt privé ?
Si, comme le supposent les honorables MM. Seron et Jullien, il en est qui doivent leur élévation à l’intrigue, à de mauvaises manœuvres, c’est là un de ces inconvénients attachés à tout régime de liberté. Mais le temps, certainement, en fera justice : tôt ou tard le vrai ou le faux mérite se découvriront infailliblement. Si l’enseignement qu’il font donner est vicieux ou dangereuse, la liberté de la presse ne permettra pas que le peuple soit longtemps abusé.
Cette liberté et celle de l’enseignement se lient intimement : celle-là est destinée à aider le développement de celle-ci et même à la diriger dans l’esprit public. Il est donc impossible que le peuple mieux éclairé, ne reconnaisse pas à la fin les établissements les plus dignes de sa confiance.
Selon MM. d’Hoffschmidt et Jullien, cette libre concurrence peut nous donner de mauvais instituteurs, des instituteurs, a dit ce dernier, qui verseront dans l’âme de leurs élèves des doctrines empoisonnées. Mais ils ne réfléchissent pas que leurs adversaires trouvent, au contraire, très bons ces mêmes instituteurs, et qu’à cet égard ils sont l’un et l’autre dans le même droit. Mais, comme le ministère n’a, constitutionnellement parlant, ni religion ni morale à prescrire aux citoyens, il ne peut se constituer juge dans une pareille lutte. C’est donc toujours la libre concurrence et l’expérience qui devront seules en décider, sous le régime de notre constitution.
Il faut, dit-on, administrer l’enseignement comme toute autre branche du service public, Mais il y a ici un écueil que, selon moi, notre ministère ne saurait éviter. Entre administrer l’enseignement, principalement en l’absence de toute loi, et l’asservir, il n’y a qu’un pas.
Mais, s’il est une partie qui a besoin d’un administrateur responsable, c’est éminemment l’instruction publique. Or, le ministre seul peut nous offrir cette responsabilité.
D’après les renseignements que fournit M. l’administrateur lui- même, onze athénées et collèges sont subsidiés par le gouvernement, et sont tombés par suite dans ses attributions. Il suppose que onze autres établissements de la même catégorie vont passer dans son administration ; comme s’il était certain que la majoration du subside sera votée par la chambre.
L’honorable rapporteur de la section centrale a rappelé avec raison les plaintes auxquelles cette administration particulière a donné lieu sous le gouvernement déchu. Ce n’est qu’à la nouvelle organisation qu’on pourra définitivement apprécier son importance. Jusque-là, sans règle et sans guide, elle peut produire beaucoup plus de mal que de bien.
En attendant il parait juste de conserver le subside aux établissements qui y avaient droit d’après l’ancien règlement organique. Ainsi, Tournay, Namur et Bruxelles, au lieu du Luxembourg, continueront, dans tous les cas, à jouir de leurs subsides. J’adopterai, à cet égard, les conclusions de la section centrale.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Je regrette, messieurs, d’être forcé de rentrer dans une discussion que j’aurais voulu voir ajourner jusqu’au moment où la loi sur l’instruction publique vous sera enfin soumise, et offrira un terrain plus naturel et mieux choisi aux débats ; mais le discours que vous venez d’entendre, cette espèce de supplément à l’accusation dont vous vous rappelez encore le résultat, me font une nécessité de prendre de nouveau la parole.
L’honorable M. Doignon a attaqué le ministère avec une violence et par des moyens inconnus jusqu’à ce jour de la partie même de cette chambre la plus opposée à l’administration ; il a fait allusion à des doctrines qui ne semblent pas du domaine de cette discussion, et si l’honorable membre a voulu parler de principes et de convictions professées par nous, non pas comme ministres, mais comme individus en dehors de cette enceinte, nous n’avons rien à lui répondre ; ces principes et ces doctrines ne le regardent pas. Qu’il attende qu’elles se traduisent en actes inconstitutionnels et immoraux, et alors commencera son devoir de député, d’accusateur même s’il lui plaît.
Ce n’est pas sans une grande surprise que nous nous entendons accuser de vouloir envahir l’instruction publique, rétablir l’odieux monopole, infiltrer dans l’esprit du peuple des doctrines immorales.
Déjà hier, nous nous sommes attachés à vous démontrer que quand bien même le gouvernement voudrait exercer cette influence funeste dont on parle, il a perdu les moyens, et il s’est privé volontairement des moyens nécessaires pour arriver à ce but.
Mais, dit-on, sous l’ancien ministre, qui, lui, ne professait pas l’immoralité (cette mission était réservée au ministère doctrinaire), sous l’ancien ministre, les subsides étaient accordés sans condition. Oui, j’en conviens, et sous le ministre qui a succédé, des conditions furent mises aux subsides.
Mais, je le répète, ce n’est pas contre le vœu des communes, comme on s’obstine à le prétendre, mais suivant le vœu exprimé par elles, et de l’assentiment des administrations provinciales, que les subsides sont accordés ; il faut de plus que les revenus des communes soient insuffisants, le ministre a suivi une règle invariable à cet égard.
On a rappelé l’arrêté du gouvernement provisoire qui a proclamé la liberté de l’enseignement. Le ministre qu’on attaque est une des auteurs de cet arrêté.
Il ose en revendiquer l’honneur ; mais il rappelle que cet arrêté contient deux paragraphes, quand les préopinants semblent n’avoir gardé le souvenir que d’un seul. Le second paragraphe veut que les secours et encouragement accordés pour l’instruction publique soient maintenus jusqu’à ce que le congrès national ait statué sur la matière. Tous les ministres qui se sont succédé ont garanti la liberté de l’enseignement, mais tous aussi ont senti la nécessité de maintenir les secours dont il s’agit.
Dans les précédentes discussions du budget, on n’avait pas élevé de doute sur la constitutionalité de ces subsides ; il fallait que la discussion fût, pour ainsi dire, poussée à bout, pour qu’on en vînt à exprimer une semblable défiance.
Si l’enseignement salarié n’est qu’une violation de la constitution, oh ! alors ce n’est pas une diminution de crédit qu’il doit s’agir pour vous, mais d’une suppression totale du crédit ; car enfin vous ne devez pas sanctionner une inconstitutionnalité dans un budget. Pour moi, je déclare que, si l’allocation des subsides me paraissait contraire à la constitution, je n’hésiterais pas à retrancher du budget toute le chapitre de l’instruction publique.
On a soin de prévenir charitablement les communes ; on leur dit : Prenez garde, le gouvernement vous tend des pièges. Défiez-vous de lui. Mais on ne fait pas attention que l’on comprend ici dans l’accusation la chambre elle-même qui accorde le subside. Que si la chambre n’a pas de confiance dans l’usage que nous pouvons faire de l’allocation, qu’elle la retire, non plus cette fois comme inconstitutionnelle, mais en signe de défiance contre le ministère.
Heureusement, messieurs, que les communes ne partagent pas les alarmes de certains représentants ; elles ont plus de confiance dans la loyauté du gouvernement. J’ai déjà cité une administration communale dont le chef ne peut pas être accusé de renoncer facilement aux franchises municipales.
Des avances, sous l’ancien ministère, avaient été faites à cette administration. La régence, qui avait d’abord manifesté je ne sais qu’elle défiance, revint à d’autres sentiments, sans doute en voyant l’usage que le gouvernement faisait de son crédit ; elle insista alors pour obtenir un subside que le ministère actuel refusa.
Quant aux autre demandes pour un certain nombre de collèges, elles avaient été faites avant mon entrée au ministère, et reprises au budget qui était alors projeté : quatre nouveaux subsides vous ont été demandés par moi ; je me réserve de les justifier.
Il est faux qu’aucune condition relative à la direction morale de l’instruction soit imposée parmi aux communes ; à cet égard, messieurs, personne, même parmi les plus pressés, n’attendent avec plus d’impatience que nous la loi qui fixera les droits et les obligations du gouvernement. Alors, mais seulement alors, notre tâche cessera d’être aussi difficile, et notre position aussi équivoque.
N’avons-nous pas été accusés par les uns d’abandonner honteusement l’instruction publique ? Ne sommes-nous pas condamnés par les autres pour vouloir mettre traîtreusement la main sur elle ? Par bonheur, la vérité est ailleurs que dans ces reproches exagérés et contradictoires.
Le gouvernement, fidèle à sa devise d’impartialité, de respect pour la constitution, continuera à marcher entre les deux extrêmes : que cela s’appelle de la doctrine ou du juste-milieu, il accepte ces qualifications ; mais il persistera dans cette voie qui est celle où se tient, nous pouvons le dire, la grande majorité du pays. Oui, messieurs, il faut bien qu’on le retienne, la majorité du pays se compose d’hommes calmes, modérés, tolérants, qui apprécient les difficultés de la position du gouvernement, et savent lui tenir compte de ses intentions. C’est dans cette opinion modérée qu’il espère trouver force et confiance, bien plus que dans les exagérations de l’une ou l’autre partie auxquelles, quoi qu’on fasse, on ne pourra jamais le rattacher.
M. Desmet. - Messieurs, quoique l’objet de la vive discussion qui nous occupe depuis avant-hier ne soit qu’un chiffre, et un chiffre d’un budget qui déjà est presque entièrement dépensé, cependant, sur le terrain qu’elle se trouve placée, je me vois obligé de motiver mon vote, qui sera pour les conclusions de la section centrale et contre la majoration demandée par le gouvernement.
Messieurs, je ne vois aucun motif pour changer l’opinion que j’ai du gouvernement, en qui je ne mets point ma confiance. Ce ne sera pas certainement à l’occasion de l’instruction publique que je viendrai la lui donner, et qu’inconséquent avec moi-même, je laisserai agir son bon plaisir et dépenser selon ses caprices de fortes sommes pour l’enseignement, qu’on majore tous les ans, tandis que votre constitution exige qu’une loi règle ses attributions dans cette matière et lui prescrive comment il distribuera les fonds de l’enseignement qui peut le concerner.
Comment voulez-vous que nous ayons une aveugle confiance en lui, quand nous voyons qu’il n’a aucun respect pour le pacte fondamental, et qu’à tout instant il le viole ? Comme sous Guillaume, rien ne paraît sacré pour lui. Et vous voudriez qu’il soit scrupuleux à laisser à l’enseignement son entière et pleine liberté, et qu’il ne voudra pas le conduire à sa guise et d’après l’esprit de son opinion.
Pour moi, je n’ai pas cette confiance et j’ai encore trop présent à la mémoire ce que nous avons souffert pour l’instruction publique sous le gouvernement déchu : je vois toujours cet odieux monopole que Guillaume avait institué à l’aide des fonds qu’il tenait du budget de l’Etat, qui était aussi vexatoire et fiscal pour les familles, sans aucun avantage pour la nation, qu’il était un moyen d’oppression religieuse et une violation directe et permanente, non seulement des droits constitutionnels, mais des droits les plus sacrés qui peuvent exister sur la terre. Vous le savez, messieurs, rien n’a été épargné pour faire dominer son enseignement ; si vos enfants ne fréquentaient pas ses collèges, ils étaient pour ainsi dire hors de la loi politique ; ils étaient répudiés et n’étaient dignes de remplir aucune place publique.
Si le gouvernement actuel n’est pas encore arrivé à ce point, il n’est pas moins vrai que le premier pas étant fait, je dois me méfier de lui ; car aujourd’hui comme alors, la constitution garantissait la liberté individuelle, et on trouve le moyen de rendre légales les arrestations les plus arbitraires.
On avait la liberté des opinions, et on punissait la liberté des votes ; et bientôt après, par une conséquence nécessaire, on incriminait la liberté de la presse, et celle de l’enseignement fût anéantie. Vous avez, messieurs, entendu l’honorable M. Dubus, qui vous a démontré de quelle manière le gouvernement distribue les subsides aux communes pour l’enseignement ; ce qui me fait soupçonner que déjà il commence à faire travailler les fonds de l’Etat à la mode de Guillaume.
Mais si je refuse aujourd’hui la majoration qu’on demande dans le budget pour l’instruction publique, ne vous imaginez cependant pas c’est dans d’autres vues que celles que je viens de vous communiquer ; je reconnais, au contraire, que le gouvernement peut, en vertu d’une loi, avoir des établissements d’instruction publique aux frais de l’Etat ; et que même, dans certaines circonstances, on peut l’autoriser à accorder des secours pour le même objet aux communes.
Mais quand les communes reçoivent ces subsides, j’entends qu’elle les reçoivent comme ceux qu’elles touchent du trésor et les conserver, dans l’intérêt des communes ; mais jamais ce secours en subsides ne peut donner au pouvoir un droit de surveillance. La constitution ne lui accorde que des écoles propres (et encore quand la loi à faire les lui accordera) qu’il pourra diriger par lui-même, d’après le mode que la loi lui prescrira ; mais au-delà, il n’a rien à se mêler de l’enseignement, et un secours d’argent ne peut jamais lui faire un droit de surveillance, ni lui donner le pouvoir de toucher à cette liberté d’enseignement que la constitution assure à la commune et au particulier.
On ne conçoit, sous aucun rapport, à quel titre le gouvernement interviendrait dans l’instruction ; rien de plus libre par son essence, de plus indépendant du pouvoir politique. Les connaissances appartiennent à tous, comme la lumière du soleil ; elle sont le domaine commun de la société, des familles, des individus ; il n’est personne qu’il n’y ait un droit naturel et inaliénable ; seulement quelques-uns possèdent plus de moyens que d’autres de les acquérir, et encore en cela la Providence a pourvu au maintien de l’ordre temporel, que troublerait un développement trop rapide et trop étendu des facultés intellectuelles dans une grande masse d’hommes, en les dégoûtant de leur état et les enlevant aux travaux indispensables de l’agriculture et de l’industrie, sans que, du reste, il en résulte pour eux un bien réel.
L’équilibre entre la science utile et celle qui nuirait s’établit de soi-même par la liberté. Il se trouve naturellement une hiérarchie d’écoles proportionnées chacune, dans les degrés divers de l’instruction qu’elles répandent aux besoins, aux désirs, aux ressources des différentes classes de la société ; la religion même en fonde de gratuites, de sorte que, depuis la plus humble condition jusqu’à la plus haute, tous peuvent participer à cet enseignement gradué, et que nul n’est condamné nécessairement à l’ignorance, par le désavantage de la position où sa naissance l’a placé.
Car, qu’on ne s’imagine point que les écoles dominicales, qui sont si multipliées dans la Belgique, et qui rendent un si éminent service aux classes basses de la société, ne servent qu’à apprendre le catéchisme ; on y enseigne au contraire à lire, à écrire, l’orthographe, l’arithmétique, enfin tout ce qu’on trouve dans les écoles primaires, et on y joint une certaine éducation qu’on ne rencontre point dans les autres écoles et que des personnes de qualité qui y sont à la tête communiquent aux enfants des pauvres, et qui étendent leur charité à vêtir tous les enfants qui fréquentent ces écoles ; c’est ainsi qu’on en voyait à Alost enseignés et annuellement habillés.
Quand le ministre de l’intérieur nous a parlé hier de je ne sais quel droit de surveillance, que personne, disait-il, ne conteste à l’administration, sur les établissements d’enseignement dans les communes qui reçoivent du budget de l’Etat un secours en subsides, ignore-t-il donc que, hors les cas prévus par les codes, ce qui rentrent dans le domaine de la justice commune, ce droit de surveillance est au contraire précisément ce qu’on conteste ? En ce qui tient à l’instruction, il est clair qu’il n’existe point de surveillance imaginable, car, dans l’ordre des connaissances purement humaines, tout est bon ou indifférent en soi. Et quant à l’éducation réelle, ou aux doctrines religieuses et morales, elles ne sauraient la regarder en rien, ni suivant les principes constamment admis, ni selon les maximes sur lesquelles repose notre législation actuelle.
L’intolérable prétention de surveiller les doctrines n’est que la prétention de les dominer, et d’imposer, par un enseignement exclusif, celles qu’il lui plaira de faire prévaloir, c’est-à-dire, toujours celles qu’elle jugera le plus conformes à ses intérêts.
Ici, messieurs, nous devons tous être d’accord, quelles que soient d’ailleurs nos opinions : il ne doit y avoir entre nous qu’un sentiment pour repousser cette indigne oppression morale et intellectuelle et, puisqu’on parle de liberté, qu’on commence donc par briser les fers dont on s’efforce d’enchaîner ses amis mêmes ; et prenons avec empressement acte, je le répète, de ce que M. le ministre a dit hier concernant la surveillance sur les établissements quelconques qui reçoivent des secours du budget, afin de demander avec instance la loi que la constitution oblige de donner à la nation, et de faire cesser tous les actes illégaux et inconstitutionnels qui se commettent journellement en fait d’instruction publique.
Et qu’on ne vienne point avec la question d’opportunité qui serait décidée, par le ministère ; c’est une question de constitution et d’obligation. C’est, messieurs, la même question que celle des pensions : le gouvernement donne des pensions et gratifie même avec une grande prodigalité et, tout en se moquant des dispositions précises des article 114 et 139 de la constitution, la loi qu’il est obligé de nous présenter à ce sujet reste de même dans le néant. Et je le déclare ici : si, avant la discussion du budget futur, la loi sur l’instruction publique ne nous est pas présentée, je refuse tout subside pour l’enseignement ; car, quand le gouvernement est récalcitrant ; nous n’avons en notre pouvoir d’autres armes pour le contraindre que le refus des subsides…
Je dis donc que nous devons être tous d’accord pour repousser cette surveillance tracassière, qui donne le droit à un étranger, qu’on appelle inspecteur ou inquisiteur, de venir fouiller jusque dans les plus petits coins de l’intérieur de votre établissement, et pour demander cette liberté pleine et entière d’enseignement sans autre surveillance que la surveillance ordinaire et répressive, à laquelle chaque Belge est soumis.
Une seule chose aujourd’hui doit être du ressort du gouvernement, c’est de favoriser la diffusion et le progrès de la science, en instituant des cours élevés que chacun puisse suivre librement. Au lieu de vous mêler de ce qui ne peut vous regarder et de plus ou moins opprimer, fondez, sur une grande échelle, des institutions analogues à celles qui existent en Angleterre et surtout en Allemagne ; alors vous rendrez au pays un service réel, alors cette ardeur de savoir qui tourmente la génération nouvelle produira un vrai développement du génie national. Voilà ce que réclame de vous l’état du siècle et des esprits.
L’honorable M. l’abbé de Foere vous a fait ressortir hier, avec sa sagacité ordinaire, le bien-être que la société doit attendre de l’entière émancipation de l’enseignement et de la libre concurrence ; permettez, messieurs, que je vous cite des faits qui se sont passés sous mes yeux, qui vous prouveront de plus que le résultat qu’on en espère est réel.
Sous Guillaume, le collège d’Alost, qui avait 400 élèves, fut supprimé, pour être remplacé par un établissement qui était sous la surveillance du gouvernement. Cet établissement a toujours eu quatre à cinq élèves, et il coûtait annuellement à la ville 10,000 fl. des Pays-Bas, car Guillaume avait forcé la régence de la ville à porter la dépense de cet établissement dans son budget ; c’était 2,000 fl. par tête d’élève, tandis que l’ancien établissement n’occasionnait aucune dépense à la ville, et faisait, au contraire, le bien-être d’un grand nombre de métiers et de marchands. Aujourd’hui un autre collège y est établi, et depuis deux ans qu’il existe, déjà il contient 100 élèves internes et un grand nombre d’externes.
Dans la ville de Grammont, ce fut de même : le gouvernement s’empara du collège, et dès ce moment il a perdu tous ses élèves ; aujourd’hui, depuis deux ans qu’il est rétabli et qu’il se retrouve sous les mêmes auspices, ceux de la régence de la ville, il a déjà 60 élèves internes et beaucoup d’externes.
Dans les communes rurales du district d’Alost, qui y sont au nombre de 78, sous Guillaume on n’y comptait pas 1,200 élèves qui fréquentaient les écoles primaires ; dans ce moment, le nombre en passe les 12,000, et alors l’enseignement y coûtait beaucoup aux communes, plusieurs même se sont fortement endettées par les châteaux d’éducation que Guillaume forçait de bâtir, tandis qu’à présent, il n’occasionne aucune dépense, car il n’y a aucune commune qui tire de subsides du budget. Le nombre des élèves y est décuplé dans les écoles primaires, et je crois qu’il serait très facile de démontrer que le tableau qu’on vient de notre remettre de la part du ministre de l’intérieur est très inexact.
Vous voyez, messieurs, que dans le district d’Alost, on a donc tort de croire que ceux qui veulent que le gouvernement ne s’arroge en rien de ce qui concerne l’enseignement, aient l’intention de faire tomber les établissements existants. Au contraire, nous prouvons que nous voulons les augmenter et les améliorer ; et ici je crois que nous faisons foi d’un véritable libéralisme, et qu’incontestablement nos vues tendent à faire faire des progrès au mouvement et à la civilisation.
Messieurs, je dois vous le confesser, et je puis le faire sans risquer d’atteindre la susceptibilité de cet orateur remarquable par son éloquence et sa subtilité d’esprit auquel je veux faire allusion, mon cœur a été navré quand je lui ai entendu prononcer ces terribles paroles, que la précieuse union qui existe entre les catholiques et ceux qui professaient une opinion contraire au catholicisme était sur le point de se briser, et que chaque parti allait déployer son enseigne particulière.
J’espère bien que sa prophétie tombera à faux, et que ce ne sera pas dans la chambre belge qu’on verra le scandale que la religion forme des partis ; mais que si un parti marche dans cette chambre à drapeau déployé, ce sera celui des libéraux, pour attaquer ce parti liberticide de la doctrine et du juste milieu ; et au lieu de nous jeter aveuglément dans les filets d’un ministère doctrinaire, nous marcherons toujours d’accord pour le combattre et déploierons tous nos efforts pour sauver la Belgique au plus tôt de sa tendance et de ses vues perfides.
Et je pense avec un orateur de l’opposition de la chambre des députés de France, que les discussions catholiques et religieuses sont déplacées à la tribune parlementaire, et que jamais le prêtre n’y doit être attaqué avec amertume, ni défendu avec chaleur et enthousiasme ; comme je crois que ce n’est ni le lieu, ni le moment de juger la compagnie de Jésus, et de chercher entre les calomnie de la haine et les panégyriques de l’enthousiasme la vérité rigoureuse et pure.
Rien de plus absurde, de plus inique, de plus révoltant, que la plupart des accusations dont elle a été l’objet. On ne trouverait nulle part de société dont les membres aient plus de droit à l’admiration par leur zèle et les hauts connaissances et au respect par leurs vertus ; et ce n’est pas moi seul qui l’avance, j’emprunte ces mots à un ouvrage du roi philosophe. Après cela, que leur institut, si sain en lui-même, soit exempt aujourd’hui d’inconvénients, mêmes graves ; qu’il soit suffisamment approprié à l’état actuel des esprits, aux besoins présents du monde, ne le pensons pas, je le dis tout haut. Mais encore une fois, ce n’est pas ici ni le lieu, ni le moment de traiter cette grande question ; et quand nous nous apercevons que les absolutistes du Nord tiennent encore des congrès pour tomber sur les pays révolutionnés, et saper les dernières racines du libéralisme, tenons-nous plutôt étroitement unis pour prévenir le coup et déjouer leurs perfides et sanguinaires projets… ! J’ai dit.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, je ne puis non plus laisser passer sans réponse quelques assertions sorties de la bouche du préopinant et ne pas relever quelques-unes des accusations dirigées contre le ministère par le député qui a parlé avant lui.
Plusieurs membres ont motivé leur répugnance à voter des subsides pour le soutien et l’amélioration de quelques établissements d’instruction publique, sur l’absence d’une loi régulatrice de l’enseignement qui pourrait être donné aux frais de l’Etat. Je demande si c’est de bonne foi qu’on peut faire au gouvernement un reproche de cette nature ? N’y a-t-il pas une impossibilité matérielle palpable aux yeux de quiconque apporte dans nos discussions tant soit peu d’impartialité ?
La France, qui n’a pas eu comme nous à déplorer, pendant plusieurs années, l’absence d’un gouvernement définitif ; la France, dont l’existence politique n’a pas été mise en question ; la France vient, il y a seulement quelques mois, de pouvoir obtenir une loi non régulatrice de l’instruction en général, mais seulement de l’instruction primaire. Encore, pour atteindre ce résultat, a-t-il fallu une double session ! La France a voté le budget de 1834, et la chambre belge n’a pas encore terminé le budget de 1833 ! La France a organisé le département et la commune ; chez nous le département et la commune sont encore à organiser.
- Une voix. - Et la dissolution de la chambre belge !
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - J’entends dire : et la dissolution ! Combien de temps vous a-t-elle fait perdre cette dissolution ? 2 à 3 mois au plus : est-ce là je le demande, la cause unique du retard que nous déplorons, dans la discussion de nos lois les plus importantes ? Serait-ce la faute du gouvernement si le budget de 1833 présenté au mois de novembre 1832, n’était pas encore voté au mois de mai suivant ? Est-ce sa faute si le budget actuel, présenté au mois de juin, n’est pas encore voté à la fin de septembre ? (Profond silence.) Est-ce la faute du gouvernement si vous avez eu d’interminables discussions diplomatiques ? Est-ce sa faute si vous avez eu plusieurs traités à discuter ? Voilà des faits dont, en bonne justice, il faudrait nous tenir compte.
Mais, alors même que ces causes de retard n’existeraient pas, nous croirions encore avoir fait une œuvre sage en ne nous pressant pas de soumettre le projet dont il s’agit à la législature, lorsque notre état politique n’est pas définitivement fixé envers la Hollande, lorsque l’étranger, écoutant avec avidité nos discussions parlementaires, cherche à y trouver la justification des calomnies qu’une presse soudoyée vomit chaque jour sur la Belgique en disant que nous sommes un peuple ingouvernable et que l’indépendance et la liberté ne sont pour nous que la faculté et l’occasion de nous ruer les uns sur les autres. (Sensation.)
Dans mon opinion, je crois qu’une loi qui, à en juger par ce qui se passe dans cette enceinte, semble destinée à soulever tant de passions, à diviser la chambre et peut-être tout le pays en deux camps, ne peut vous être présentée, à moins de raisons impérieuses, alors que la dernière sanction de notre nationalité dépend de notre union, et peut-être d’événement en dehors de toute prévision humaine. (Mouvements en sens divers.)
On dit : Le ministère se gardera bien de demander une loi qui sanctionne le droit du gouvernement de subsidier les écoles communales, et de les placer ainsi sous son influence ; ce serait se mettre par trop en opposition avec le vœu du congrès. Comment concilier l’assertion que si le gouvernement présentait une loi régulatrice, il se mettrait en opposition avec le vœu du congrès, avec le reproche qui lui est fait de ne présenter à dessein aucune loi qui règle l’instruction salariée par l’Etat ?
J’ai lieu de m’étonner qu’en 1832, alors que le ministère est venu demander une majoration sur les fonds de l’instruction publique, pour subsidier des écoles communales primaires, aucune de ces réclamations virulentes que vous venez d’entendre n’ait été articulée contre lui. Cependant la question était la même, il y avait aussi majoration sur le budget de 1831 et 1832. Pas un mot de reproche alors ! C'est donc une question de ministère aujourd'hui ? C’est donc là que se résume toute la discussion ?
Eh bien, soit ; nous ne nous en plaindrons pas. La confiance, dans une matière aussi délicate que l'emploi des subsides pour l'instruction publique, est nécessaire. Cet emploi exige un ministère qui ait votre confiance. Aussi j'adjure hautement la chambre de se prononcer ; ne sacrifier pas l'enseignement, cet intérêt si cher, à votre défiance des ministres ; sacrifiez plutôt, sans hésiter, les ministres à l'intérêt de l'enseignement. (Profond silence.)
On s'est livré à des sorties antiparlementaires, perfides par leur généralité même, contre le personnel en masse des universités. Mais ce personnel n'est pas autre en 1833, qu'il était en 1832 ; quel est celui de vos amis qui l'a attaqué alors ? Aucun : s'il est plus attaquable aujourd'hui, c'est sans doute que le ministère a corrompu jusqu'aux universités. Je laisserai à d'autres que moi, plus habiles et plus directement intéressés dans la question, le soin de répondre comme ils le doivent à ces sorties que je m'abstiendrai de qualifier de nouveau.
Messieurs, s’il y a un reproche à faire aux ministres au sujet de l’instruction publique, c’est peut-être de ne pas s'en être assez occupés ; c’est de n’avoir pas porté leur sollicitude aussi loin qu’ils l’auraient pu, distraits qu'ils ont été par des soins d’une autre nature et par des débats si variés, si pénibles et si longtemps prolongés. Pour ma part, je l’avoue à ma honte, jamais je ne me suis informé du personnel des universités, des collèges et des écoles primaires, ni des doctrines qu’on y enseigne ; et je puis déclarer aux deux honorables préopinants que si on enseigne aux petits enfants la doctrine des destitutions des commissaires de district et de la dissolution des chambres, nous y sommes parfaitement étrangers. (On rit.)
- Un membre. - Ce n’est pas la question.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Je prie M. le président de céder le fauteuil à l’honorable M. Desmet, qui paraît vouloir usurper ses fonctions.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Une chose étrange et déplorable vient de se passer dans ces débats ; on a fait à l’égard des ministres invasion jusque dans le domaine de leurs opinions privées et intimes. On a reproché à l’un d’eux quelques paroles qui témoignent au moins de sa franchise ; elles prouvent qu'il ne faisait pas de l’hypocrisie quand il défendait au congrès, plus haut que personne peut-être, la liberté de l’enseignement et la liberté religieuse ; il proférait ces paroles au moment même où il ne craignait pas de tirer de la liberté des cultes des conséquences devant lesquelles le congrès lui-même reculait (Note du rédacteur du Moniteur belge : Nous croyons que l’orateur fait allusion ici à la discussion sur le mariage religieux, dont il voulait que la loi ne s’occupât pas plus qu’elle ne doit s’occuper de la confession ou de tout autre acte du culte.). Voilà dans quelles circonstances j’ai fait ma profession de foi ; car j’ai voulu montrer que je ne défendais pas alors des croyances personnelles, mais la justice et l’impartialité dans l’intérêt de ceux mêmes qui ne pensaient pas comme moi.
On a vanté les résultats de l’affranchissement de l’instruction, le nombre croissant des élèves ; et moi aussi, je m'en félicite. Je n’attendais pas moins de la doctrine de la liberté de l’enseignement. Cette doctrine, quand je l’ai professée, quand je l’ai réclamée sous le gouvernement déchu, alors qu’il n’y avait rien à espérer, mais tout à craindre en la prêchant, j’y avais mûrement réfléchi ; j’en avais mesuré les conséquences, et je n’éprouve ni surprise, ni désappointement de lui voir porter ses fruits.
Je ne m’effraierais pas même de quelques abus ; ils sont amplement rachetés là aussi par les bienfaits de la liberté, quelle que soit la source de l’instruction : qu’elle soit donnée dans tel ou tel établissement, peu m'importe selon moi ; car, du moment où nous avons été mis en état de recevoir la science, notre éducation devient l’œuvre de la société, l’œuvre de notre siècle. J’adopte pleinement à cet égard l’opinion d'un savant préopinant.
Mais qu’on ne l’oublie pas, s'imprégner de l’esprit du siècle n’est pas seulement un résultat inévitable, c’est une nécessité, c'est une loi de salut pour toutes les opinions qui aspirent à triompher. Les organes les plus éclatants du catholicisme, puisqu’on a parlé ici de catholicisme, savent très bien que s’il affectait un esprit de rétrogradation, s’il se montrait l'ennemi des lumières et du progrès, s’il répudiait l’arme de la libre discussion pour en appeler à d’autres auxiliaires, c’en serait fait bientôt de l'influence qui lui reste. Consultez à cet égard les écrivains catholiques modernes les plus célèbres. Ah ! qu'ils entendent mieux que vous l’intérêt des doctrines qu'ils se sont chargés de défendre !...
C’est avec douleur que j’ai entendu un honorable député, dans un discours remarquable à plusieurs égards, partager cette chambre et le pays en deux camps ennemis ; déclarer que d’un côté était l’organisation et la vie, de l’autre la destruction et la mort ; proclamer que c’est le libéralisme, non le libéralisme étroit et réactionnaire qui est ainsi du fanatisme, mais le libéralisme sans distinction, ce libéralisme qui veut la liberté en tout et pour tous ; que c’est lui qui est l’esprit de mort.
Le vrai libéralisme l’esprit de mort ! Mais qui donc a produit la première révolution française, si belle, si pure à son début ? Qui donc a détruit la féodalité en France ? Qui donc a aboli les lettres de cachet ? Qui donc a substitué le jury et la publicité au secret de la procédure criminelle et à la torture ? Qui donc a mis fin au favoritisme des cours et au scandaleux régime des maîtresses royales ?
Qui donc, associant alors la régénération de l’épiscopat à tant d'autres régénérations, ne permît plus à la mitre de se prostituer aux pieds d’une Dubarry ou d’une Pompadour, et de faire ainsi à la religion des plaies encore saignantes ? Et plus tard, qui donc a accompli ce grand principe de justice parlementaire dans la Grande-Bretagne ? Qui donc a relevé les catholiques irlandais de l’ilotisme où ils étaient réduits ? N’est-ce pas le libéralisme qui a élevé la voix pour lui dans le parlement d’Angleterre, où il n’avait pas le droit de se faire entendre ?
C’est le libéralisme de ces hommes qui veulent la liberté pour tous, c’est le libéralisme des Royer-Collard, des Guizot, des Canning, des Lamennais. Voilà le mien.
Quel est enfin cet auxiliaire puissant auquel vous tendiez les mains quand il s’agissait de rejeter loin de nous le joug de la Hollande ? C'est le libéralisme. Voulez-vous donc aussi le répudier ? voulez-vous briser le pacte d'union qui nous plaça sous une bannière commue, qui nous valut la victoire ?
Ah ! ce n'est pas moi qui dirai que les catholiques ne sont pas libéraux, mais s'il est des catholiques dont le libéralisme n'est que de la réaction étroite et haineuse, il est aussi des catholiques étroits, intolérants, haineux, illibéraux. Croyez bien qu'il est des ultra dans toutes les opinions.
Quant à moi, c'est au centre que j'ai placé ma bannière, et c'est là que je resterai, dût-on me qualifier de doctrinaire, de juste milieu et d'autres graves anathèmes, inintelligibles peut-être pour ceux-là même qui les prodiguent.
- Ce discours écouté avec la plus grande attention, a paru faire une vive impression sur la chambre.
La séance est levée à 4 heures et demie.