(Moniteur belge n°261, du 18 septembre 1833)
(Présidence de M. Coppieters, vice-président.)
M. Coppieters, l'un des vice-présidents, monte au fauteuil avant midi et demi.
M. de Renesse fait l’appel nominal ; environ quarante membres sont présents.
- A une heure la chambre est en nombre pour délibérer.
M. Liedts donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
Les pièces adressées à la chambre sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. le président. - Deux propositions ont été déposées sur le bureau ; elles seront renvoyées devant les sections.
M. le président. - Nous sommes parvenus au chapitre VIII présenté par la section centrale.
M. Dubus, rapporteur. - Messieurs, dans votre dernière séance vous avez renvoyé à l’examen de la section centrale les amendements proposés par M. le ministre de l'intérieur sur les travaux publics. Un de ces amendements consiste dans le chapitre IX (nouveau), comprenant les traitements des ingénieurs, des conducteurs permanents, des employés temporaires, des frais de bureau et de déplacement. Il serait ainsi énoncé :
« Litt. A. Traitements des ingénieurs : fr. 123,950.
« Litt. B. Frais de bureau et de déplacement : fr. 54,130.
« Litt. C. Traitements des conducteurs : fr. 80,850.
« Litt. D. Employés temporaires : fr. 33,820.
« Total. fr. 292,750. »
Votre section centrale vous avait proposé d'abord un seul crédit de 230,000 fr, pour le traitement des ingénieurs, des conducteurs permanents et temporaires, et 50,000 fr. pour frais de bureau et de déplacement ; et comme la section centrale comprenait dans ces chiffres les 15,000 fr. pour traitement des gardes-bascules, la totalité de l’allocation proposée par la section centrale est donc de 264,000 fr. La différence avec la proposition du gouvernement et de 27,950 fr., comme je l’avais déjà dit dans la dernière séance.
Pour les traitements des ingénieurs il est demandé 123,950 fr. D’après les états nominatifs qui avaient été communiqués à votre section centrale, les traitements des ingénieurs en activité s’élevaient à 120,330 fr., et elle avait compris cette somme dans son premier travail.
M. le commissaire du Roi a communiqué des renseignements sur les mutations survenues dans le corps des ingénieurs, et sur l’époque à laquelle le traitement de trois ingénieurs a cessé d’être à la charge du ministère de la guerre.
Calcul fait de ces mutations, 122,500 fr. seront nécessaires pour payer les ingénieurs pendant l’exercice 1833. Et comme la section centrale n’a pas cru qu’il fût possible de toucher aux traitements pour l’exercice courant, elle propose à l’unanimité de fixer la somme du paragraphe A à 122,500 fr.
M. le commissaire du Roi s’est rallié à ce chiffre.
Sous litt. B, le ministre a demandé 54,130 fr. J’ai déjà eu l’honneur de rappeler à la chambre qu’en 1832 il a été alloué 44,000 fr. ; mais que certains travaux extraordinaires avaient exigé un crédit supplémentaire de 4,500 fr.,et avaient porté le chiffre total à 48,500 fr. La section centrale avait cru satisfaire à tous les besoins au moyen d’une allocation de 50,000 fr. ; c’est ce qu’elle avait proposé dans le rapport imprimé. Le gouvernement, dans son premier projet de budget, demandait 48,000 fr. ; dans son second projet de budget, présenté au mois de juin dernier, il demandait 52,080 fr. Le nouveau travail du gouvernement, qui a été soumis, en forme de tableau, à votre section centrale, portait cette somme à 54,130 fr. Il y a eu cette année beaucoup de déplacements extraordinaires pour les routes ; M. le commissaire du Roi nous a assuré que la somme de 54,00 fr. serait à peine suffisante ; la section centrale propose la somme de 52.000 fr. pour frais de bureau et de déplacement.
« C. Traitements des conducteurs : fr. 80,850. »
« D. Traitements des employés temporaires : fr. 33,820 fr. »
La section centrale ne portait ces deux articles que pour un chiffre total de 94,470 fr., ce qui donnait une différence de 20,200 fr. avec la proposition du gouvernement.
La section centrale considérait la surveillance temporaire comme s’appliquant seulement à cette époque de l’année où s’exécutent à la fois plusieurs grands travaux, de manière que le service des conducteurs dits permanents devenait insuffisant ; partant de là, elle avait pensé que l’on ne devait comprendre les traitements indiqués dans les états nominatifs que pour une partie de l’année relativement aux employés temporaires, et c’est sur cette base qu’elle avait fixé son chiffre ; mais à son grand étonnement il n’en est pas ainsi. Tous ces aides, dits temporaires, sont tous permanents sous le rapport du traitement.
On leur paie un traitement depuis le premier jour de l’année jusqu’au dernier, qu’ils soient, employés ou non. Il y a 71 conducteurs permanents et 29 conducteurs ou aides appelés temporaires : en tout 100. 23 de ces conducteurs sont payés par les provinces et 77 sont payés par le budget de l’Etat. C’est pour effectuer ce paiement qu'on demande 114,670 fr. D’après ces faits, dont votre section centrale vient d'avoir connaissance pour la première fois, elle n’a pas cru qu’il fallait faire deux articles séparés pour les employés, puisqu’ils ne diffèrent entre eux que de nom. Elle a pensé qu’il fallait faire un seul article ou littera pour les conducteurs et employés temporaires ; elle persiste à croire que le chiffre 114,670 fr. est excessif et qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un personnel aussi considérable.
Mais ces employés ont été payés depuis le 1er janvier, et nous sommes à la fin du neuvième mois de l’année. Nous avons examiné les mutations survenues dans l’année, et, nous croyons que le chiffre 112,000 fr. peut suffire. C’est de concert avec M. le commissaire du Roi, qui a pris part à notre travail, que nous proposons ce chiffre. Ainsi, au lieu des paragraphes C et D, on en mettra un seul, intitulé : Conducteurs permanents et employés temporaires.
Le chiffre total du chap. IX (nouveau) sera, de concert avec M. le commissaire du Roi, 286,500 fr., au lieu de 292,750 fr., demandé dans la dernière séance par M. le ministre de l’intérieur. La différence n’est que de 6.250 fr.
M. Dubus, rapporteur. - Un autre amendement de M. le ministre s’applique au chapitre VI, proposé par la section centrale.
Le ministre présente le libellé suivant du chapitre VI :
« Art. 1er. Entretien et réparation des routes : fr 1,320,000.
« Art. 2. Frais d’exploitation : fr. 15,200.
« Art. 3 Améliorations des routes, construction de routes nouvelles : fr. 602,000.
« Art. 4. Levée des plans : fr. 27,060
« Total : fr. 1,964,800. »
Sur les articles premier, second et troisième, la section centrale est d’accord avec M. le ministre de l’intérieur.
L’amendement porte sur l’article 4, levée des plans, travail pour lequel le gouvernement demande 27,060 fr. ; la section centrale accordait 15,000 fr.
Ce crédit ne s’est élevé, en 1831, qu’à 1,000 fl. ; on l’a porté à 6,000 fl. en 1832, à cause de la levée extraordinaire des plans qu’exigeait le projet de chemins en fer.
Il ne paraissait pas que la dépense dût être plus considérable en 1833. La section centrale remarquait que les routes de seconde classe tombaient à la charge de l’Etat, et qu’elles devaient augmenter les dépenses de l’article. D’après ces données, elle a proposé le chiffre de 15,000 fr. M. le commissaire du Roi a fait connaître que ces 15,000 fr. sont dépensés, et qu’il reste des travaux de même nature à faire jusqu’à la fin de l’année. De concert avec M. le commissaire du Roi, la section centrale propose 20,000 fr.
En conséquence les propositions de votre section centrale sont les suivantes :
« Chapitre IX (nouveau). Art. unique.
« A. Traitement des ingénieurs : fr. 122,500.
« B. Frais de bureau et de déplacement : fr. 52,000.
« C. Traitements des conducteurs et employés temporaires : fr. 112,000.
« Total : fr. 236,500. »
« Chapitre VI de la section centrale.
« Art. 1er. Entretien et réparation des routes : fr. 1,320,000.
« Art. 2. Frais d'exploitation : fr. 15,200.
« Art. 3. Amélioration des routes, construction de routes nouvelles : fr. 602,000 fr.
« Art. 4. Levée des plans : fr ; 20,000.
« Total : fr. 1,957,200. »
Les résolutions de la section centrale ont été prises à l’unanimité des membres présents.
M. le président met aux voix les paragraphes A, B, C, du chapitre IX (nouveau). Ils sont adoptés, ainsi que le chapitre lui-même.
L’article premier du chapitre VI est mis en délibération. Il est intitulé : Entretien et réparation des routes, 1,320,000 fr.
M. Desmet. - Je ne sais si vous avez été surpris, comme moi, dans la séance de samedi, à la lecture d’un rapport au roi que le ministre de l’intérieur vous a faite, qui concernait la gratification ou promotion qu’un arrêté royal a accordée à quinze ingénieurs des ponts et chaussées. Je l’ai été étrangement, et je me suis demandé avec une certaine inquiétude que pouvaient être les plans de ceux qui nous gouvernent ? D’un autre côté on voit qu’ils ne font aucun cas de violer le pacte fondamental, et d’un autre côté il paraît que l’économie dans les dépenses de l’Etat est le moindre de leurs soucis ; on dirait qu’ils croient que l’argent des contribuables n’est qu’à ramasser et qu’ils peuvent le jeter d’après leurs caprices pour créer des places pour des hommes, dans le seul but d’augmenter le nombre des créatures.
A entendre M. le ministre et M. le commissaire du Roi, il faut remplir les cadres du corps des ponts et chaussées si vous avez besoin ou non de ces employés, et sous le prétexte de compléter ces cadres, il faut augmenter les traitements sans que les attributions aient été augmentées ; il faut le faire parce qu’on l’a fait dans l’armée et parce qu’un traitement de trois à quatre mille francs est trop mesquin pour un élève de l’école polytechnique ; la convenance exige qu’il en ait un de cinq à six mille.
Mais quand on parle un tel langage et qu’on n’a aucunement égard aux fortes contributions qui viennent tous les jours de plus en plus accabler le peuple, et aux plaintes réitérées de la nation et de ses représentants, on ferait bien une fois aussi la demande : quels sont les grands avantages que le corps des ponts et chaussées rend à ce peuple payant et de quelle utilité importante il est au pays ?
Je crois que si on devait agiter cette question, on trouverait grand partage d’opinions et que l’utilité serait fortement contestée, surtout quand on commence à respecter si peu les règles de l’institution.
L’Angleterre est-elle moins prospère parce qu’elle n’est point sous l’influence d’un corps des ponts et chaussées et qu’elle ne doit pas subir son despotisme ? Ce n’est pas à la direction d’une telle congrégation mais à son système de travaux libres qu’elle est redevable de son haut degré de puissance et de prospérité. Le gouvernement anglais a abandonné aux particuliers le soin d’exécuter les routes, les ponts, les chemins de fer, les canaux, les bassins, les entrepôts, etc., et en peu d’années pour plus de dix milliards de ces travaux furent entrepris et achevés ; enfin en trente ans le sol britannique, travaillé par l’industrie particulière sur tous les points, a produit une augmentation de revenus annuels de deux milliards deux cent cinquante mille francs ; en sorte, que depuis cette époque plus de 60 milliards ont été dépensés en travaux publics, somme considérable attachée à ce pays et qu’il ne saurait plus perdre.
L’Angleterre n’est parvenue à ce grand résultat que parce que son administration publique a eu le bon esprit de ne pas créer chez elle un corps qui avait la haute main sur tous les ouvrages publics, et qui formait une espèce d’Etat dans l’Etat même ; elle a laissé faire les particuliers et, comme je crois que c’est aussi dans l’intérêt de mon pays et de sa prospérité de laisser faire autant que possible les particuliers, et de diminuer la domination d’un corps administratif, je saisis cette occasion pour renouveler les vœux que j’avais faits l’année dernière, c’est-à-dire que l'entretien des routes pavées et empierrées soit fait par les teneurs des barrières ; que le cahier des charges de l’adjudication des barrières contienne la clause qui obligerait chaque teneur de tenir à ses frais, en bon état d’entretien, la distance de la route sur laquelle est placée sa barrière.
L’Etat y trouverait une grande économie, et le pays, le grand avantage d’avoir en tout temps toutes les routes dans un bon état d’entretien. Il est connu qu’aujourd’hui ce n’est pas ainsi ; beaucoup de routes ne se trouvent pas continuellement dans cet état d’entretien qu’elles devraient avoir pour la commodité du roulage ; mais quand chaque teneur de barrière devra entretenir la distance de sa barrière, et qu’il sera obligé de faire les réparations dans le moment même que la route l’exige, jamais la route ne sera laissée un moment en mauvais état.
De même il y aura une grande économie pour l’Etat ; c’est incontestable. 1° Vous n’aurez pas besoin de cette masse d’ingénieurs, inspecteurs, conducteurs, piqueurs, etc., qui enlèvent au pays, comme votre budget en fait foi, pour leur soi-disant direction et surveillance des routes, des sommes considérables. Toute la surveillance consistera à veiller si les teneurs de barrières ne se trouvent pas en défaut de réparer à temps les endroits endommagés, et, en cas de délit, de le faire faire d’office.
2° On trouvera une grande diminution dans le taux des réparations. Je crois que, sans risquer de se tromper, on pourra l’évaluer à la moitié de ce qu’il est aujourd’hui ; car on sait comment se font généralement les réparations des routes, et comment le mètre des parties réparées se pratique. Il est connu que le sable joue un grand rôle dans ces mesurages ; on répare par parties détachées, et on couvre de sable tout le bloc où se trouvent ces parties détachées, pour le soumettre entièrement au mètre des agents des ponts et chaussés. Ceci est un échantillon de la manière dont on trompe l’Etat ; il y en a plusieurs autres que l’on pourrait citer ; et d’ailleurs on sait combien les réparations sont très souvent mal exécutées, et dans les mauvaises saisons de l’année ; ce qui est cause que les réparations ne tiennent qu’un petit temps, et que tous les mois il faut recommencer de nouveau.
Le mode de faire entretenir les routes pavées par les teneurs de barrières n’est point de nouvelle invention ; avant l’administration française de 92, sous le régime des châtellenies, c’était celui-là qu’on pratiquait pour l'entretien de nos routes pavées. On insérait dans le cahier des charges de l’affermage des barrières que les teneurs entretiendraient à leurs frais la distance de la route sur laquelle était placée chaque barrière ; et alors toutes les routes étaient généralement bien tenues, et les dépenses de l’entretien étaient, à beaucoup près, moindres qu’aujourd’hui.
Et ce ne pouvait être autrement ; les teneurs de barrières avaient intérêt de faire les réparations dans le moment même que le dégât se montrait, et on sait que les grandes réparations n’ont lieu que quand on laisse accroître l’endommagement, et de même ils avaient intérêt de fermer les barrières pendant le temps du dégel, où cependant les plus grands dégâts se commettent aux routes.
Il est évident, messieurs, que ce mode d’entretien des routes sera entièrement à l’avantage du public, et procurera une grande économie à l’Etat.
Et je dois encore le répéter, c’est l’économie dans nos dépenses que nous pouvons pas négliger ; nous devons, au contraire, en faire le principal objet de notre sollicitude; car, si nous continuons à avancer dans cette vote désastreuse de dépenses et de majorations de traitements et que nous n’y mettions pas à temps une barrière, toutes les administrations vont profiter, ou, pour mieux dire, vont abuser de notre insouciance et de notre prodigalité. Et certes, ce n’est pas le corps des ponts et chaussées qui peut se plaindre qu’il ne mange pas assez à la table du budget, il s’y place sous différentes formes ; par exemple, un inspecteur reçoit un traitement comme tel, et quand il se met en route, il doit avoir ses frais de déplacement et de séjour ; un ingénieur de même reçoit le traitement attaché à ses fonctions, et en sus il touche des frais de levées de plans et en différentes occasions quelques cents pour cent, qui montent assez haut pendant l’année, comme nous venons de voir l’exemple de cet ingénieur, ou cet architecte, qui a touché 1,331 fr. quand la fameuse estrade de 37,966 fr. a été placée contre le vestibule de l’église du Caudenberg ; c’est un traitement entier d’un commissaire de district du Luxembourg que cet ingénieur a gagné par quelques heures de surveillance.
Quand on voit une telle dilapidation des deniers publics, n’est-il pas temps de songer une bonne fois aux économies et d’engager le gouvernement d’avoir quelque égard à nos réclamations? Qu’on veuille donc faire l’essai d’entretenir les routes comme je viens de le proposer, on se convaincra bientôt que l’Etat et le public y trouveront de grands avantages sous le double rapport d’une grande économie dans les dépenses annuelles et de la bonne tenue des routes.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - L’honorable orateur s’est livré un peu tardivement à la critique du personnel de l’administration des ponts et chaussées ; la chambre n’à pas partagé l’avis de l’honorable membre, puisqu’elle vient de voter les traitements demandés pour cette administration.
Quant à la critique relative aux promotions qui ont été faites dans le courant de cette année, et pour lesquelles il y aura majoration nécessaire au budget de 1834, j’y ai déjà répondu en prenant la défense de ces promotions ; j’en accepte la responsabilité, et je renouvellerai cette défense en 1834 s’il est nécessaire. Je ferai observer qu’il y a une sorte d’exagération à parler ici des impôts dont on écraserait les contribuables, quand il ne s’agit que d’une dépense de 13,000 fr. L’honorable orateur a cependant fait preuve aussi de sollicitude pour les fonctionnaires ; dans une de nos dernières séances, il a été un des plus chauds défenseurs de l’allocation demandée pour les frais de route et de tournée de MM. les commissaires de district.
L’honorable membre est tombé dans une erreur, que je me hâte de réparer, quand il a fait allusion à la fameuse estrade, Il a dit que l’ingénieur du gouvernement, ou l’architecte qui avait surveillé la construction de cette estrade, avait trouvé le moyen de gagner beaucoup pour un très petit labeur ; je dois dire que cet architecte n’appartient pas au gouvernement ; que c’est pour éviter le renouvellement des frais de surveillance des constructions nouvelles que cette année le gouvernement a chargé un de ses ingénieurs de faire l’estrade.
L’orateur a présenté ses vues sur la manière d’entretenir les routes : le gouvernement est disposé à mettre à profit l’expérience des hommes éclairés sur cette matière. Quoi qu’il en soit, les réflexions de l’honorable membre sont prématurées ; elles pourront se présenter plus utilement l’année prochaine ; nous nous réservons de défendre le mode adopté par le gouvernement, de diriger par ses agents les travaux, et de faire voir que si l’intérêt privé est vivace et entreprenant en Angleterre, il n’en est pas toujours ainsi chez nous. C’est à ce point que récemment une route, vivement sollicitée par plusieurs membres de cette chambre, a été mise en adjudication et n’a pas trouvé d’adjudicataire.
M. d’Hoffschmidt. - Une seule route traverse la province de Luxembourg, qui n’a que ce moyen de communication avec la Belgique, c’est celle qui se dirige de Namur à Luxembourg ; elle est donc de la plus haute importance : ce qui m’engage, à l’occasion de l’article en discussion, à appeler l’attention du gouvernement sur la négligence inconcevable apportée à son entretien depuis la révolution. Cette négligence est telle, que cette belle route, qui est la grande artère par où s’écoulent, pour ainsi dire, tous les produits d’une vaste province, deviendra impraticable dès l’hiver prochain s’il n’y est apporté promptement remède.
Les travaux d’entretien de cette route ont été adjugés, en 1827 ou 1828, pour un terme, je crois de 14 ans, à un M. Pescator de Luxembourg, riche banquier qui paraît se fier sur le puissant crédit de ses débiteurs, pour s’abstenir de remplir les conditions du contrat d’adjudication en vertu duquel, cependant, il perçait les fonds de l’Etat.
Je crois devoir recommander au gouvernement le fait, qui par son importance réclame toute sa sollicitude. Je l’engage fortement à prendre directement, et le plus tôt possible, des mesures sévères pour réprimer un abus qui excite, par sa trop longue durée, le mécontentement et les murmures de tous ceux, qui en ont connaissance.
M. Teichmann, commissaire du Roi, a la parole. - Messieurs, dit-il, les intentions de l’honorable préopinant sont prévenues ; des dispositions sont prises par le ministre de l’intérieur pour assurer la prompte restauration de la route dont il s’agit. Si elle est arrivée à un grand degré de dégradation, la faute n’en est pas aux ingénieurs. Dès le mois de février dernier, les ingénieurs se sont mis en mesure pour que les travaux puissent être exécutés par l’entrepreneur. Ce n’est que par des circonstances particulières quai les dispositions prises par les ingénieurs n’ont pu être mises à exécution qu’en août dernier.
- Les articles 1 et 2, mis aux voix, sont adoptés.
L’art. 3 est mis en délibération.
M. Teichmann, commissaire du Roi. - La loi du 10 août avait accordé une somme de 610,000 fr. pour l’exécution de différentes routes ; l’expérience a prouvé que quelques allocations étaient trop élevées et que d’autres étaient insuffisantes. Nous demandons, afin que le gouvernement puisse disposer des sommes qui ne seraient pas employées, nous demandons que le titre de l’article 3 soit ainsi conçu :
« Amélioration des routes, construction de routes nouvelles, avec faculté, pour le gouvernement, de disposer des excédants de crédits spéciaux fixés par la loi du 10 août dernier, pour que ces excédants, puissent être employés en 1833 pour des travaux d’utilité publique. »
La section centrale a reconnu la convenance de cette disposition. Je demande que M. le président la mette aux voix.
M. Dubus, rapporteur. - La chambre a divisé le crédit de 602,000 fr. en plusieurs allocations spéciales. Comme aucun transfert ne peut avoir lieu, comme le ministre ne peut employer les sommes votées que pour les routes auxquelles elles sont affectées, il s’ensuit qu’elles demeureraient inutiles au trésor ; cependant il s’agit d’excédants de produits de barrière qui doivent être appliqués à l’entretien des routes. Considéré de plus qu’une de ces allocations s’élevant à 120,000 fr. a été réduite, par suite d’une adjudication, à la somme de 80,000 fr. D’un autre côté, une allocation portée à 40,000 fr., se trouvera insuffisante, les derniers ouragans ayant rendu plus considérables les travaux à faire pour la route d’Anvers à Gand. La réduction proposée par M. le commissaire du Roi pourrait remédier à ces inconvénient. Comme cet amendement n’avait pas été présenté dans la séance dernière et qu’il n’avait pas été renvoyé à la section centrale, elle n’a pas cru avoir mandat pour faire un rapport sur cette proposition.
M. le président. - Voici, d’après l’amendement, comment le titre de l’article 3 serait conçu:
« Amélioration des routes, construction de routes nouvelles, avec faculté au gouvernement de disposer des excédants de crédits spéciaux fixés par la loi du 10 août dernier.
M. Verdussen. - Il faudrait mettre : « dépenses imputables sur le produit des barrières. »
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - On pourrait reproduire le libellé du tableau de la section centrale.
M. Dubus, rapporteur. - Il ne peut y avoir d’équivoque ; la loi du 10 août ne dispose que pour les excédants des barrières.
- L’article 3 est adopté.
« Art. 4. Levée des plans : fr. 20,000. »
M. d’Hoffschmidt. - Une route que réclame l’intérêt général, et qui offrirait en même temps des avantages inappréciables à la partie la plus aride de la province de Luxembourg, est dans ce moment sollicitée vivement prés du gouvernement : elle établirait une communication directe entre Liége et le Luxembourg, en passant par Ewailles, Houffalize et Bastogne.
Je désirerais savoir de M. le ministre si des fonds sont alloués sur le crédit demandé par l’article en discussion pour la levée des plans de cette route. Je fais surtout cette demande à M. le ministre pour l’engager à presser le travail de la levée de ces plans, dans l’espoir qu’il pourra proposer au budget de 1834 une somme destinée à l’ouverture de cette route, dont je démontrerai, lors de la discussion de ce budget, l’utilité et même la nécessité.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Des instructions ont été données à l’ingénieur de la province du Luxembourg dans le but de satisfaire aux vœux d’un grand nombre d’habitants; il sera ainsi répondu à ceux d’un de leurs représentants.
- L’article 4, mis aux voix, est adopté.
L’ensemble du chapitre, s’élevant à 1,957,200 fr., est adopté.
M. le président. - On passe au chapitre VIII du gouvernement, ainsi conçu : « Navigation intérieure. »
« Art. 1er. Canaux : fr. 132,400 »
« Art. 2. Ports et côtes : fr. 302,300 »
« Art. 3. Polders : fr. 970,000. »
« Art. 4. Direction : fr. 189,000. »
« Total : fr. 1,593,700. »
La section centrale propose de le remplacer par le chapitre suivant :
« Canaux. - Ports et côtes. - Polders. »
« Art. 1er. Frais d’exploitation des canaux : fr. 28,110 »
« Art. 2. Entretien des canaux, travaux extraordinaires au canal d’Antoing à Pommeroeul : fr. 79,340 »
« Art. 3. Ports et côtes, frais d’exploitation : fr. 11,585 »
« Art. 4. Idem, entretien : fr. 179,515 »
« Art. 5. Construction d’une partie de la jetée d’ouest à Ostende : fr. 107,000 »
« Art. 6. Entretien et reconstruction des digues de l’Escaut, et construction d’aqueducs dans les polders : fr. 964,000 »
« Total : fr. 1,369,550 »
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Je me rallie à la proposition de la section centrale; seulement je demanderai qu’on fasse de l’article 2 l’article premier et de l’article 4 l’article 3.
M. Simons. - Je ne puis m’empêcher de témoigner mon étonnement de ce que je ne vois figurer au chapitre VIII, intitulé "Navigation intérieure", aucun chiffre pour les travaux de défense contre les eaux de la Meuse dans la province du Limbourg.
Il paraît que cette malheureuse province est souvent perdue de vue, quand il s’agit de la demande d’allocations pour utilité publique. Cependant elle paie sa part dans les charges publiques, et cela bien largement, lorsqu’on considère que depuis la révolution, elle a été constamment accablée sous le poids de logements et de prestations militaires de tout genre, que c’est elle qui a le plus souffert de l’invasion hollandaise en août 1831, et que c’est encore elle qui, par la fermeture de la ville de Maestricht et plus encore par l’établissement, aussi bizarre que vexatoire, d’une ligne de douanes au beau milieu de la province, se trouve entravée dans ses relations commerciales ; tandis que toute la Belgique jouit depuis longtemps de tous les avantages qui sont le résultat d’un développement libre et sans entraves de l’industrie nationale.
Pour toutes les provinces qui ont été dans le cas de réclamer des secours, des allocations plus ou moins considérables ont été successivement accordées pour des travaux à exécuter tant dans l’intérêt de la navigation intérieure que pour la conservation des propriétés menacées d’inondations; tandis que pour la province du Limbourg aucun crédit quelconque n’a jusqu’à présent été demandé pour cet objet.
Vous en conclurez sans doute, messieurs, que les ouvrages de cette nature, dans ma province, se trouvent dans un état tellement satisfaisant, qu’ils n’exigent aucune dépense. Il serait à désirer que nous pussions, en réalité, en tirer cette conséquence; mais il s’en faut de beaucoup. Je puis vous affirmer, sans crainte de m’exposer à un démenti de la part du gouvernement, qu’en général les ouvrages de défense contre la Meuse se trouvent, dans le Limbourg, dans l’état le plus déplorable, et que, pour peu que l’on tarde à y remédier, les eaux de la Meuse, à la moindre crue en hiver, doivent nécessairement faire irruption. Les malheurs, les dégâts qui en seront la conséquence, sont incalculables ; ce serait une véritable calamité publique.
Des rapports officiels me sont parvenus de différentes administrations communales, qui me dépeignent leur position sous les couleurs les plus sombres. En avant de la commune d’Uickhoven, un ouvrage en pierres de taille, qui a coûte des sommes immenses, menace, faute de réparations, d’une ruine certaine. Il se trouve miné par les eaux, au point qu’il est impossible qu’il puisse résister au moindre choc des glaçons. Et savez-vous quelles seront les suites de son éboulement ? rien moins que la ruine de deux ou trois communes importantes, dont une grande partie des habitants va être engloutie dans les eaux, et dont les plus riches campagnes et une masse de bonniers de pâturages vont être totalement dévastés.
Un peu plus loin, près de Maesyck, la Meuse menace d’abandonner son cours ordinaire, pour se creuser un autre lit. Je ne finirais pas si je voulais vous exposer en détail les calamités auxquelles les propriétaires riverains de la Meuse, dans le Limbourg, se trouvent en butte, faute d’y porter un remède prompt et efficace.
Le gouvernement ne peut pas ignorer ces faits, puisque non seulement des représentations pressantes lui ont été faites, à différentes reprises à cet égard, mais que même les employés des ponts et chaussées ont été sur les lieux pour les constater. Que l’on produise les rapports qui ont été la suite de cette inspection des lieux, et ils vous donneront la conviction pleine et entière qu’il n’y a pas d’exagération dans le narré des faits que j’ai eu l’honneur de vous signaler.
On me répondra sans doute que, d’après les dispositions existantes sur la matière, ces sortes de dépenses sont à la charge des communes et des propriétaires riverains, et subsidiairement à charge de la province. Je n’ignore pas l’existence de ces dispositions iniques du roi Guillaume, qui , pour diminuer le chiffre de ses budgets, a trouvé bon de métamorphoser par un trait de plume en charges locales une dépense qui, par sa nature, incombe incontestablement à l’Etat ; mais s’il est constant que ni les propriétaires riverains, ni les communes, ni la province ne se trouvent en état de faire face à l’énormité de cette dépense, je pense que c’est le cas ou jamais que le gouvernement vienne au secours d’une localité aux abois, et qu’elle fasse d’avance exception à une disposition injuste, arbitrairement imposée aux provinces malgré les protestations les plus énergiques.
Eh bien, messieurs, c’est là réellement la position de la province du Limbourg. Si je suis bien informé, la dépense qu’occasionneront les travaux dépasse les 200,000 fr., et le gouvernement n’ignore pas que la province n’a absolument aucune ressource pour y subvenir.
Les petits propriétaires riverains préféreraient abandonner leurs propriétés que de supporter leur part contributoire dans cette charge énorme; et pour forcer les communes riveraines à faire face à cette dépense, il faudrait les assujettir à une taxe municipale qui dépasserait celle établie dans les principales villes du royaume.
Sous le gouvernement précédent on a déjà reconnu les grandes difficultés qui seraient la suite de la mise à exécution dans nos contrées des règlements dont il s’agit ; mais depuis elles sont considérablement augmentées et devenues insurmontables sans le secours du gouvernement.
En effet, la province a été privée pendant près de trois ans du produit des péages qui se perçoivent sur cette rivière, et dont le produit doit servir à faire face jusqu’à un certain point à la dépense dont il s’agit. Ajoutez à cela que les communes riveraines de la Meuse ont perdu considérablement par l’interruption de la navigation sur cette rivière, et qu’une masse de petits propriétaires et de bateliers ont été ruinés de fond en comble par cet état de choses ; et vous serez convaincus avec moi que la province est absolument hors d’état de subvenir à ces dépenses.
Cependant, la confection de ces ouvrages est urgente ; elle ne souffre aucun délai, et personnellement j’ai la conviction intime que si on n’y pourvoit immédiatement et avant la mauvaise saison, une grande partie des communes riveraines sont menacées d’une ruine inévitable.
Faut-il maintenant que, dans cette position, le gouvernement reste spectateur indifférent en présence d’un danger aussi imminent, auquel une partie d’une province, déjà par trop malheureuse, se trouve exposée? Je ne le crois pas. Je me persuade au contraire qu’il est du devoir du ministère de prévenir, par tous les moyens qui sont en son pouvoir, des suites aussi désastreuses, surtout lorsque, comme dans le cas présent, d’après les considérations que j’ai fait valoir, on ne peut les attribuer qu’à la force majeure.
Que ce soit donc à titre d’obligation, ou à titre de secours, nécessité par un cas fortuit et par les circonstances politiques, n’importe ; le gouvernement, auquel le danger est signalé, est obligé par devoir de prendre les mesures les plus efficaces pour les prévenir. Sinon, d’après moi, le cas échéant de la catastrophe que j’ai lieu de craindre, il ne pourra jamais se justifier. Les propriétaires de la province du Limbourg, quoique sacrifiée par le traité des 24 articles, n’ont pas moins droit à la conservation de leurs propriétés que ceux des polders, pour lesquels la législature a voté des sommes énormes !
Je recommande donc instamment cet objet à la sollicitude du gouvernement. J’adjure M. le ministre de demander une allocation pour pourvoir immédiatement aux travaux les plus urgents dont il s’agit : une responsabilité immense pèse sur sa personne. Qu’il veuille réfléchir sérieusement aux suites désastreuses auxquelles il expose une population qui n’a déjà que trop à se plaindre d’un état de choses dont, j’ose le dire, elle seule est la principale victime.
M. de Longrée. - Messieurs, je prends la parole pour appuyer de toutes mes forces la demande de mon honorable collègue et ami M. Simons, tendante à ce que le gouvernement alloue des fonds pour exécuter des travaux de défense contre les dégâts de la Meuse, et éviter par ces moyens la ruine complète des propriétaires riverains, dont déjà la plus grande partie se trouve dans l’impossibilité de suffire aux dépenses nécessaires par leurs propres ressources. La ville de Ruremonde, sous ce rapport, se trouve placée dans une position particulière, qui est bien inquiétante : il y a dix ans qu’elle a été autorisée à faire construire à ses frais un pont de pierre sur le Roer, à l’endroit où cette petite rivière traverse la route de Maestricht à Ruremonde, et au point de son embouchure dans la Meuse. Ce pont lui a coûté environ 26,000 fr. Si l’on ne se hâte de parer les coups désastreux que la Meuse porte sur sa rive droite, à proximité de ce pont, ce dernier sera infailliblement emporté avant très peu de temps, et il n’en résulterait pas seulement une perte considérable et trop sensible pour la ville de Ruremonde, qui déjà n’est pas riche ; mais il en résulterait encore que les communications de Liége et Maestricht avec Ruremonde et Venloo, sur la rive droite de la Meuse, se trouveraient interceptées.
Je vous prie de remarquer, messieurs, que je ne plaide pas seulement les intérêts des habitants du Limbourg, propriétaires riverains de la Meuse, mais aussi ceux du trésor public, qui ne tarderait pas à devoir supporter des pertes très sensibles par la diminution marquante de la contribution foncière, qui ne pourrait plus être imposée sur les terrains emportés.
Je prie donc M. le ministre de l’intérieur de prendre la demande de mon honorable collègue et ami M. Simons, ainsi que la mienne, en sérieuse considération, afin que le gouvernement accorde les fonds de secours nécessaires pour que l’on puisse commencer sans délai les travaux à faire aux plus urgentes défenses contre les dégâts de la Meuse, et notamment à la partie qui doit servir à conserver le pont que j’ai cité.
M. Teichmann, commissaire du Roi. - Messieurs, les travaux qui sont à exécuter sur les rives de la Meuse se trouvent, d’après les articles du code civil, à la charge des riverains. Ce ne serait que dans le cas où des travaux deviendraient nécessaires pour l’amélioration ou la conservation de la navigation de la Meuse, et où les riverains auraient éprouvé, du fait de l’exécution, quelques dommages, qu’ils pourraient avoir recours contre l’autorité à laquelle est confiée la gestion de cette navigation. Or, cette autorité, d’après l’arrêté du 17 décembre 1819, c’est la province du Limbourg. Il s’ensuit que l’Etat ne doit point payer les ouvrages énumérés par les honorables préopinants.
Du reste, le gouvernement s’est fait rendre compte de la situation des choses. Les faits allégués sont vrais ; si d’ici à l’hiver prochain les travaux nécessaires ne sont pas faits, les eaux pourront se creuser un passage et causer de grands dommages. La somme qu’il faudrait dépenser pour empêcher un pareil résultat, est évaluée à 73,000 fr. Le gouvernement, considérant que les premiers devoirs à l’égard de ces travaux ce sont ceux imposés aux riverains, et les seconds ceux imposés à la province du Limbourg, comme gérant la navigation de la Meuse, a envoyé à M. le gouverneur de Limbourg l’indication des travaux à faire et de la dépense à répartir entre les propriétaires riverains, les communes et les provinces. Mais il est à craindre que les formalités administratives ne soient tellement longues, qu’on ne puisse les entreprendre avant l’hiver prochain. C’est à la chambre de voir si dans un pareil état de choses il ne serait pas utile que le gouvernement fît l’avance de la somme de 73,000 fr., sauf à la recouvrer plus tard.
Je dois dire cependant que les désastres qui menacent les propriétés riveraines de la Meuse ne peuvent être comparés à ceux qui ont accablé les riverains de l’Escaut. Les digues de l’Escaut ont été coupées par l’ennemi. Mais je comprends que la situation difficile dans laquelle s’est trouvée toute la contrée où circule la Meuse, mérite d’être prise en considération.
M. de Theux. - Messieurs, je ne pense pas que ce soit le cas d’appliquer rigoureusement l’arrêté du 17 décembre 1819. Comme on vous l’a déjà dit, ce n’était que parce que le gouvernement avait abandonné les revenus de certaines rivières aux provinces, que les provinces devaient supporter les frais de l’entretien des rives. Or, puisque, par suite des événements de la guerre, la province du Limbourg est privée de cette espèce de revenus, elle doit être dégrevée de la charge qui en est la conséquence.
Veuillez remarquer que ce n’était que par mesure d’ordre que le gouvernement avait reporté cet objet sur les provinces ; mais il n’est pas entré dans ses intentions de leur faire supporter toute la dépense. En effet, l’article 7 de l’arrêté du 17 décembre 1819 autorisait les provinces à indiquer au gouvernement les travaux à faire, et l’article 15 porte expressément que le gouvernement pourra mettre à la disposition des provinces les sommes nécessaires pour être appliqués à ces travaux. On a confié cet objet aux provinces par mesure d’ordre, je le répète ; car le Roi exprimait la confiance qu’elles mettraient tous leurs soins à bien employer les revenus provenant de ce chef et les sommes extraordinaires, les subsides qui leur seraient accordés.
La nature des dégâts dont la Meuse menace certaines communes, et notamment celle de Maesyck, tient en quelque sorte à la conservation de la navigation elle-même, car, qui pourrait prévoir les entraves qui résulteraient pour la navigation de l’engloutissement de cette ville ? Dans ce cas, c’est le gouvernement qui doit en faire les frais.
M. le commissaire du Roi a parlé des rives de l’Escaut. Certes, je suis loin de le nier, les propriétaires riverains de l’Escaut ont éprouvé de grands malheurs ; mais aussi on se rappelle que c’est au moyen de fonds fournis par le gouvernement que se font les réparations des rives de l’Escaut ; c’est encore ce qui doit avoir lieu pour les rives de la Meuse. A la vérité, on a inséré dans la loi qui a alloué ces fonds une réserve pour leur remboursement ; mais rien n’empêcherait d’en mettre aussi une dans cette circonstance. Je ne puis qu’appuyer la demande qui été faite, et prier le gouvernement de s’occuper sérieusement des réparations des rives de la Meuse.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Le gouvernement n’ignorait pas la situation déplorable ou se trouvait un assez grand nombre de riverains de la Meuse, dans la province du Limbourg. Cet objet avait fixé son attention ; il a même envoyé un inspecteur sur les lieux pour constater l’état des choses. D’après le rapport qui lui est parvenu, pour achever dès cette année les travaux qui semblent les plus urgents, une somme de 73,000 fr. serait nécessaire.
M. le commissaire du Roi vous a fait connaître, messieurs, les causes qui ont empêché le gouvernement de demander un crédit pour cet objet ; c’est qu’il s’agit, dans son opinion, d’une dépense à la charge les riverains, des communes et de la province. Cependant, si la chambre veut faire pour les bords de la Meuse ce qu’elle a adopté pour les bords de l’Escaut, loin de nous y opposer, nous accueillerons avec reconnaissance une pareille allocation, attendu qu’il est de notre devoir de donner une protection égale à toutes les propriétés du pays, à quelque province qu’elles appartiennent. Il faudrait cependant mettre à l’allocation la réserve expresse que le gouvernement n’en pourrait disposer que comme d’une avance à faire.
Il est certain, messieurs, qu’aux termes de l’arrêté du 17 décembre 1819, les revenus de la Meuse, dans toute la partie du Limbourg qu’elle traverse, ont été cédés à cette province à la charge par elle d’entretenir les rives ; si par suite des événements de la guerre la province a souffert dans cette portion de ses revenus, elle se trouve dans la même position que les autres provinces, que les particuliers et l’Etat lui-même. Du reste, la caisse de la province du Limbourg est parfaitement bien fournie, à tel point qu’elle a fait des prêts à plusieurs communes. Peut-être aurait-elle pu faire aussi des avances aux communes riveraines pour faire ces travaux, ou les exécuter elle-même à ses frais. Quoi qu’il en soit, si l’un des honorables membres qui ont parlé de cet objet, veut faire une proposition spéciale tendant à faire porter au budget une somme de 73,000 fr., le gouvernement l’appuiera.
M. Olislagers. - J’appuie les observations qui ont été présentées à la chambre par mes honorables collègues de la province du Limbourg. Tout ce qu’ils ont dit est de la plus grande exactitude. Lors de la cession qui fut faite à la province sous le roi Guillaume, on ne lui a pas laissé les fonds nécessaires pour exécuter les travaux dont il s’agit. Il y a quarante ans qu’ils restent abandonnés, et les riverains se trouvent dans l’impossibilité la plus absolue de faire face à cette dépense.
- Les articles de la section centrale, avec l’interversion proposée par M. le ministre de l’intérieur, sont successivement mis aux voix et adoptés jusques et y compris le cinquième.
Art. 6. Entretien et reconstruction des digues de l'Escaut, et construction d'acqueducs dans les polders : fr. 964,000.
M. le président se dispose à mettre aux voix l’article 6.
M. Verdussen. - Nous n’avons à nous occuper que pour la forme de cet article, ainsi que du précédent, parce que le principe a déjà été admis par la loi du 10 août. Cependant, je dois faire remarquer qu’il y a ici une différence de 6,000 fr. avec la somme allouée pour le même objet dans la loi que je viens de citer, et où il est porté 970,000 fr. Ces 6,000 fr. forment la part des agents chargés de la surveillance des travaux. Je propose d’ajouter, pour rétablir l’harmonie entre les deux dispositions : « indépendamment des 6,000 fr. pour frais de surveillance compris dans la loi du 10 août 1833. »
M. Desmet. - Je voudrais savoir de M. le commissaire du Roi quand les travaux de la fermeture de la coupure de Burght seront terminés. Les journaux ont parlé d’un procès qui se serait élevé à cet égard entre l’entrepreneur et le gouvernement. Je désirerais qu’on voulût bien me dire combien ces travaux devront coûter encore.
M. Teichmann, commissaire du Roi. - Les travaux pour la fermeture de la coupure de Burght ont été adjugés pour 500,000 fr. Depuis qu’on a mis la main à l’œuvre, il a été nécessaire de rompre l’engagement avec le premier entrepreneur et de contracter avec un autre un marché qui assure à ces ouvrages beaucoup de promptitude. Il est impossible de fixer un chiffre déterminé, parce qu’on ne peut prévoir l’issue du procès soulevé par l’entrepreneur.
M. Dubus, rapporteur. - Je ne suis pas convaincu de l’utilité de l’addition proposée par M. Verdussen, et je ne crois pas qu’elle atteindrait le but qui il se propose. Les frais de surveillance sont évidemment compris dans l’allocation que nous avons votée au commencement de cette séance pour le personnel des ingénieurs, conducteurs et aides temporaires. Il est vrai que si l’article demeure tel qu’il est proposé par la section centrale, il présentera un chiffre différent de celui arrêté dans la loi du 10 août dernier ; mais cette loi s’appliquait aux crédits provisoires, tandis que maintenant nous votons un budget, c’est-à-dire une loi définitive, et le chiffre de la loi se trouverait réduit par le fait de cette loi même. Avec le crédit que nous avons déjà adopté et celui que nous allons adopter, le gouvernement aura de quoi payer les frais de surveillance. Si l’on adopte la proposition de M. Verdussen, le gouvernement pourra, outre ces deux sommes, employer encore 6,000 fr. pour les agents chargés de surveiller les travaux.
M. Verdussen. - Je persiste à maintenir mon amendement, parce que la disposition dont il s’agit est intitulée et libellée de même que celle de la loi du 10 août. Si l’on n’explique pas la différence du chiffre, le gouvernement aura lieu de croire que le crédit primitif qui était de 970,000 fr. a été réduit à 964.000 fr. Je ferai remarquer qu’il s’écoulera un laps de temps assez considérable avant que la loi du budget soit promulguée, et d’ici là le gouvernement pourrait faire usage du crédit de 6,000 fr.
M. Dubus, rapporteur. - L’honorable préopinant dit que le gouvernement pourra croire qu’un crédit, qui avait été d’abord porté à 970,000 fr., est maintenant réduit à 964,000 ; mais il n’y a aucun inconvénient à ce que le gouvernement croie cela. Du reste, la différence provient de ce que le gouvernement avait compris une partie du personnel dans le matériel; maintenant l’article 6 qui nous occupe ne contient que le matériel.
- L’article 6, proposé par la section centrale, est mis aux voix et adopté.
M. le président. - M. de Theux propose un article additionnel ainsi conçu :
« 73,000 fr. pour la réparation des rives de la Meuse, sauf recours, s’il y a lieu. »
M. de Theux. - Messieurs, j’ai déjà développé mon amendement. Je l’ai rédigé sur le texte de la loi du 6 octobre, qui a accordé au gouvernement un crédit supplémentaire de 300,000 fl. pour faire face aux réparations des digues des polders de la rive droite et de la rive gauche de l’Escaut, sauf le recours du gouvernement contre les propriétaires riverains, s’il y a lieu. Vous remarquerez, messieurs, que je n’ai pas dit contre les propriétaires, pour que le gouvernement puisse exercer aussi son recours contre les communes et la province.
Je disais, tout à l’heure, qu’il y avait les mêmes motifs pour accorder un subside à l’effet de faire les travaux nécessaires aux rives de la Meuse. En effet, vous savez que, quant aux polders les digues doivent en être exclusivement réparées aux frais des propriétaires, à tel point que le gouvernement peut les exproprier après avoir sauvé leurs propriétés au moyen de réparations exécutées par lui-même.
Ici l’obligation des propriétaires riverains de la Meuse ou de la province est moins constante, ainsi que je l’ai déjà démontré; je crois donc que dans un tel état de choses, et attendu les circonstances spéciales dans lesquelles s’est trouvée la province du Limbourg, on ne peut hésiter à lui accorder un subside ; personne ne voudra laisser plusieurs communes exposées à un désastre funeste, surtout la ville de Maesyck. Je ne doute pas que la chambre n’adopte mon amendement.
M. d’Huart. - Je crois cette proposition trop grave pour que nous puissions prendre une décision à l’instant même. il me semble nécessaire de la renvoyer en sections. On a fait une comparaison entre les rives de l’Escaut et celles de la Meuse ; mais il y a une différence, car ces dernières ont été rompues par suite des événements de la guerre. On dit que l’on obtiendra le remboursement de la somme qu’on veut accorder à la province du Limbourg ; mais puisqu’on a dit qu’elle avait une caisse bien pourvue, elle pourrait elle-même exécuter immédiatement ces travaux. Ce n’est point que j’aie l’intention de m’opposer à l’allocation si elle est nécessaire ; pour le savoir, il faut nous donner le temps d’examiner cet objet, et c’est pour cela que je demande le renvoi aux sections.
M. Trentesaux. - Il est toujours dangereux d’improviser de telles dépenses. Je demande que cet objet soit ajourné jusqu’au budget de 1834, qui ne tardera pas à être discuté.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - La proposition de M. Trentesaux est tout à fait inadmissible, attendu qu’il s’agit de travaux d’une grande urgence.
Quant à celle de M. d’Huart, si le gouvernement ne se réservait pas un recours contre qui de droit, je concevrais qu’on demandât le renvoi ; mais comme la somme ne sera employée qu’à titre d’avance, qu’il y a déjà un antécédent pour les rives de l’Escaut, et que la somme n’est pas considérable eu égard aux dégâts qui sont considérables, et aux dangers qui sont prochains, je crois que la chambre pourrait passer au vote immédiat. Cependant nous ne nous opposons pas au renvoi à la section centrale.
M. Donny. - Il ne me semble pas que nous puissions considérer cette dépense comme une avance à faire. Pour que ce paiement eût réellement la nature d’une avance, il faudrait que ceux qui seraient tenus au remboursement s’y obligeassent dès aujourd’hui sous cette condition : c’est une dépense pure et simple que vous allez faire, avec la chance de la recouvrer. Je crois, comme M. d’Huart, qu’il convient de renvoyer la question à l’examen des sections. Mais, je ne pense pas qu’on puisse l’ajourner jusqu’au budget de 1834. Les travaux paraissent urgents, et leur adjudication doit avoir lieu avant l’hiver, ce qui serait impossible si l’on adoptait la proposition de M. Trentesaux.
M. de Theux. - Je ne m’attendais pas à faire ma proposition aujourd’hui, parce que je croyais que le gouvernement aurait pris l’initiative. Je ne m’oppose nullement au renvoi à la section centrale ; mais je désire éviter le circuit des sections, parce que, autrement, le subside ne serait accordé que trop tard.
M. Donny a pensé que ceci ne serait pas une avance ; je crois qu’il se trompe : puisqu’il y a contestation sur la nature de la dépense, il appartient au gouvernement de réserver son recours contre qui de droit. D’ailleurs ces travaux sont d’une extrême urgence : si on les négligeait, et que de cette négligence il résultât une perte énorme, le gouvernement aurait de graves reproches à se faire. Il a toutes garanties en mettant « sauf recours, s’il y a lieu. » J’appuierai le renvoi à la section centrale ; seulement, je demanderai qu’elle veuille bien faire son rapport avant la fin de la discussion du budget de l’intérieur.
M. Dubus, rapporteur. - Il me semble que la question d’urgence doit exercer une grande influence sur l’opinion de l’assemblée. J’ai entendu dire qu’il y avait des dangers imminents ; mais puisque le gouvernement n’a pas pris l’initiative et qu’il a déclaré que, si on faisait une proposition à cet égard, il voulait bien l’accepter, je doute qu’il se soit assuré du fait. Quoi qu’il en soit, je désirerais qu’il voulût bien nous donner les renseignements nécessaires ; car la section centrale, si on lui renvoie la proposition, en aura besoin pour être à même de faire un rapport.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - J’ai déjà déclaré que les réparations dont il s’agit étaient urgentes ; que le gouvernement avait reçu à cet égard un rapport d’un de ses agents, et que s’il n’avait pas pris l’initiative, c’est parce que dans son opinion les dépenses à faire ne le concernaient pas ; mais il s’est associé à la proposition.
M. Jullien. - Il me semble que ces explications ne sont pas suffisantes. Si les travaux sont aussi urgents et le danger aussi imminent qu’on le dit, il a dû exister entre le gouvernement et le chef-lieu de la province une correspondance pour faire exécuter les travaux. Eh bien ! dans cette position, je ne comprends pas comment la province, qui dans tous les cas doit s’associer aux dépenses, n’ait pas fait faire les travaux, puisqu’elle en avait les moyens. La question de savoir par qui les frais seront payés n’est qu’une question secondaire ; la première question c’est celle d’aviser au moyen d’empêcher l’invasion des eaux de la Meuse. Je voudrais savoir pourquoi la province n’a rien fait.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Si d’autres explications sont nécessaires, elles pourront être données à la section centrale.
Quant à la dernière interpellation qui m’a été faite, je répondrai que la province du Limbourg a refusé de faire les réparations parce que depuis trois ans elle n’avait perçu aucun revenu.
M. d’Huart. - J’avais d’abord demandé le renvoi aux sections ; mais puisqu’on croit que cela ferait perdre du temps, je consens au renvoi à la section centrale.
- La chambre, consultée, renvoie la proposition de M. de Theux à la section centrale.
Le gouvernement demande 68,700 fr. ; la section centrale accorde 22,500 fr.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Messieurs, je ne puis aucunement me rallier à la diminution proposée par la section centrale; je pense que la chambre partagera bientôt mon opinion.
Il est deux diminutions que le ministre peut consentir ; elles s’élèvent ensemble à 353 fr., ce qui réduirait le chiffre du chapitre VIII à 66,400 fr. Cette réduction provient de la suppression de deux sommes qui en effet ne doivent plus figurer dans ce chapitre. La première était pour payer un conducteur qui a été repris dans la masse du personnel des ponts et chaussées ; la seconde, pour des contributions qui ne sont pas à la charge de l’Etat.
Il a été demandé 42,000 fr. pour reconstruire l’aile du bâtiment incendié, latérale à l’hôtel du ministère des affaires étrangères. La section centrale n’a pas reconnu l’urgence de ces travaux, que nous croyons, nous, facile à démontrer. Le bâtiment dont il s’agit est resté en ruine depuis la révolution. Tandis que la plupart des particuliers ont fait disparaître les traces de l’attaque des Hollandais, le gouvernement s’est montré plus négligent que le reste du pays ; c’est un mauvais exemple qu’il a donné aux habitants, et un triste spectacle qu’il offre aux étrangers. Indépendamment de ces raisons, en quelque sorte politiques, il y a des raisons d’économie en faveur de la demande qui vous est faite. C’est que plus on retardera les réparations, plus elles seront coûteuses. En outre, vous avez déjà remarqué que, en l’absence de locaux suffisants, il est nécessaire d’allouer des frais de loyer à plusieurs ministres. Bien que la section centrale ait jugé que le local actuel pouvait suffire, la chambre n’a pas partagé cet avis, et dernièrement elle a accordé une indemnité au ministre des affaires étrangères.
En deuxième lieu, il faut que le gouvernement prenne à loyer un hôtel pour l’administration de l’instruction publique. J’ai déjà démontré qu’il était impossible que cette administration passât au ministère de l’intérieur puisqu’il ne reste à ce dernier ministre qu’une chambre à coucher et trois salons, dont deux sont occupés souvent par des commissions.
La section centrale s’est élevée contre la dépense qui provient du loyer de l’hôtel destiné à l’état-major de la garde civique. Eh bien ! si, au moyen des 42,000 fr. que nous demandons, le local du ministère des affaires étrangères pouvait être agrandi, voici ce qui pourrait arriver : le ministre de l’intérieur se transporterait à l’hôtel des affaires étrangères. Il y aurait alors 1° logement pour le ministre; 2° emplacement pour les bureaux de l’administration de l’instruction publique ; 3° emplacement pour le grand état-major de la garde civique : en tout, une économie annuelle de 12,000 fr. ; n’est-ce pas un bel et bon intérêt des 42,000 fr. que nous demandons? Je ferai observer que si la chambre nous refusait l’allocation pour cette année, nous serions obligés d’en demander une plus forte pour l’année prochaine, des détériorations plus considérables exigeant des réparations plus coûteuses.
M. Dubus, rapporteur. - La raison principale de la différence qui se trouve entre le chiffre du gouvernement et celui de la section centrale, c’est que nous n’avons pas cru à la nécessité d’employer dés à présent 42,000 fr. à la reconstruction de l’aile de bâtiment attenant à l’hôtel du ministère des affaires étrangères.
Le ministre insiste et fait valoir l’état déplorable des bâtiments, offrant aux étrangers un triste aspect ; et la preuve que le gouvernement est plus négligent que les citoyens à réparer les vestiges des attaques des Hollandais. Cette première considération doit être écartée ; car lorsqu’on aura fait la réparation dont il s’agit, on n’aura pas pour cela fait disparaître les ruines les plus apparentes : vous savez tous que c’est l’hôtel Torrington qui présente l’aspect le plus déplorable, et ce n’est pas cet hôtel que l’on se propose de reconstruire.
Il existe une difficulté entre le gouvernement et le propriétaire de cet hôtel. Le propriétaire prétend que des indemnités lui sont dues, que le gouvernement doit reprendre les ruines et lui payer le prix de l’hôtel. S’il n’y a pas un arrangement quelconque, il pourra y avoir procès, et si le gouvernement succombe, il devra reconstruire tout l’hôtel. Alors, messieurs, on pourrait se repentir d’avoir réparé isolément une aile du bâtiment, lorsqu’un peu plus tard on n’aurait pu faire qu’une seule et même construction de cette partie et de l’hôtel tout entier. Il nous a semblé, lors des observations qui nous ont été soumises par le gouvernement, qu’il entrait dans les idées du gouvernement de posséder l’hôtel Torrington et de construire sur le tout.
Maintenant je m’étonne que ce soit au commencement de l’hiver qu’on veuille procéder à des travaux de ce genre. Ici je ferai une remarque, c’est en quelque sorte la question des frais de représentation qui s’agite devant vous encore une fois, bien qu’elle ait été bien décidément tranchée par la majorité de cette chambre ; car d’abord, l’unique motif du gouvernement pour reconstruire ce bâtiment, était d’y placer les bureaux du ministère des affaires étrangères, afin de réserver l’hôtel pour le ministre. Sans doute, lorsqu’on voulait des frais de représentation pour le ministre, il fallait bien lui donner un logement magnifique où il put faire, comme on le disait, les honneurs du pays.
Le logement du ministre des affaires étrangères est déjà plus vaste que celui des autres ministres, et lorsque la chambre a alloué des frais de logement au ministre des affaires étrangères, c’est qu’on nous a affirmé que dans le fait il n’avait pas été logé à l’hôtel; c’est qu’on nous a affirmé que le logement n’était pas meublé, qu’il manquait même de rideaux, et qu’il fallait que l’ameublement fût complet avant que le ministre l’habitât. Telles ont été les raisons auxquelles la chambre s’est rendue.
Toujours est-il que l’hôtel, dans son état actuel, est plus que suffisant pour le logement du ministre des affaires étrangères. Tous les bureaux se composent de 15 employés ; jugez s’il est si difficile après de trouver une place pour le ministre dans un bâtiment aussi vaste.
Maintenant il s’agirait de rendre l’hôtel assez spacieux pour placer les bureaux qui sont rue de la Montagne et ceux de l’instruction publique. Je crois cependant qu’il n’est pas besoin du nouvel hôtel pour les bureaux du ministère de l’intérieur ; déjà l’année dernière on avait proposé d’y transporter tous les bureaux des affaires étrangères, de l’intérieur et de l’instruction publique qui compte 4 employés. Il reste donc aujourd’hui dans l’hôtel du ministère de l’intérieur assez d’espace.
On ajoute qu’il y aurait économie à faire cette année des réparations qui deviendraient plus coûteuses l’année prochaine. Mais, messieurs, voilà trois ans que le bâtiment dont il s’agit est dans le même état ; trois hivers ne l’ont pas fait tomber, celui de 1833 n’y réussira pas davantage ; il n’y aura donc aucun inconvénient à attendre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Lorsque le gouvernement a demandé 42,000 fr., il était mu par un motif d’économie. Si maintenant une proposition de la nature de celle de M. Dubus venait à être présentée, le gouvernement ne serait pas éloigné de l’admettre ; mais je doute que l’honorable membre veuille en appuyer le résultat. Il faudrait, dans cette hypothèse, reconstruire l’hôtel tout entier, et alors ce serait 100 ou 200,000 fr. que nous aurions à vous demander. En attendant, messieurs, permettez-moi d’insister sur les motifs que j’ai déjà fait valoir.
Nous avons dit que les vrais principes d’économie exigeaient que le gouvernement s’y prît à temps pour faire les réparations nécessaires. Cette opinion est confirmée par tous les hommes de l’art. Je n’ai pas dit cependant que nous allions reconstruire immédiatement cet hôtel ; malheureusement la saison est trop avancée pour que l’on puisse espérer d’achever la reconstruction avant l’hiver ; mais on pourra tout au moins mettre les travaux en adjudication.
On a avancé, malgré mes dénégations, que le local du ministère de l’intérieur était suffisant pour tous les bureaux, et qu’on aurait pu y placer ceux de l’instruction publique. Eh bien ! messieurs, au besoin, je soumettrais à une enquête le local de la rue de la Montagne. On y étouffe, messieurs, c’est à la lettre, et plusieurs employés travaillent dans des chambres où ils peuvent à peine se tenir debout.
Il y restait libre un seul petit salon qui maintenant est occupé par le nouvel employé du commerce et de l’industrie, et ce petit salon que l’on tenait en réserve pour les grandes occasions (on rit) a cessé par là d’être disponible.
Je vous ai déjà développé les motifs d’économie en faveur de notre demande ; j’ajouterai qu’il pourrait arriver cette circonstance où il fallût accorder des frais de logement au ministre de l’intérieur. Un ministre qui ne serait pas célibataire ne pourrait pas se loger à l’hôtel qui lui est destiné maintenant.
M. Nothomb. - Je crois que ce n’est plus qu’une question de temps qui nous divise. Il faut savoir s’il y a économie à commencer les travaux cette année, ou s’il vaut mieux les ajourner à l’année prochaine. Quant à moi, je sais qu’il y aurait économie à ne pas retarder davantage les réparations. Il y a deux ans, l’état des murailles du bâtiment était tel qu’on aurait pu le faire reconstruire avec 30,000 fr. Aujourd’hui, et par suite de l’hiver, il faut 42 mille francs ; je vais jusqu’à dire que, s’il reste encore dans cet état d’abandon, on ne pourra bientôt plus tirer aucun parti des matériaux, et après cet hiver il faudra tout reconstruire, à partir des fondements.
M. Dubus est dans l’erreur lorsqu’il suppose qu’un hiver de plus ne ferait rien ; un hiver de plus rendrait les dépenses plus considérables.
On a dit que le gouvernement, devenant propriétaire de hôtel Torrington, pourrait construire sur le tout et sur un plan nouveau. Mais on oublie qu’il devrait se conformer au plan tracé par la régence, et qu’il ne pourrait rien changer qu’à la distribution intérieure du bâtiment qu’il devrait approprier à sa nouvelle destination. Mais la façade devrait rester la même.
La question qui nous occupe n’offre aucun rapport avec celle des frais de représentation et, à l’égard de cette dernière, vous n’avez rien préjugé que pour cette année ; vous avez pris les circonstances en considération et vous avez voté ; mais elle se présentera de nouveau lorsqu’il y aura un véritable corps diplomatique à Bruxelles, et peut-être que, tenant compte des nouvelles circonstances, vous prendrez une détermination différente.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
M. Nothomb. - La question actuelle n’a de rapport qu’avec les frais de logement. On vous a, en effet, démontré que la disposition du local ne laissait pas de place pour le ministre, et qu’en conséquence, il y avait pour lui une indemnité de logement.
Enfin il s’est agi de permuter avec le ministre de l’intérieur. Il y a un an et demi que l’on avait conçu ce projet. Mais le ministre de l’intérieur, ayant reconnu l’impossibilité de placer des bureaux nombreux dans l’hôtel qu’on lui proposait, a refusé.
Toute la question est donc maintenant de savoir s’il n’y aurait pas augmentation de dépenses à ajourner les réparations nécessaires ; or, il m’est démontré que les dépenses augmenteront avec le retard que vous apporterez.
Vous savez, messieurs, que la régence de Bruxelles a le droit de forcer les propriétaires dont les maisons menacent ruine à les construire ; eh bien, si elle venait à s’adresser au propriétaire de l’hôtel Torrington, ne pourrait-il pas lui répondre : Que ne commencez-vous par le gouvernement lui-même ? Voyez, il n’a pas assez de confiance en lui-même pour se livrer à une entreprise de ce genre ; je suis autorisé à ne faire aucune réparation tant qu’il ne m’en donnera pas l’impulsion et l’exemple.
La difficulté qui s’est élevée entre le gouvernement et le propriétaire dont il s’agit, n’est pas de nature à occuper la chambre. Sa maison a été détruite par un cas de guerre, en sorte qu’il ne peut invoquer la loi sur les indemnités après un pillage ; il semble l’avoir reconnu lui-même, et c’est ce qui explique son retard ou peut-être son désistement dans cette affaire.
En résumé, messieurs, nous trouverons une grande économie à commencer les réparations cette année.
M. Dubus, rapporteur. - Il me paraît que l’honorable préopinant n’est pas d’accord avec M. le ministre de l’intérieur. En effet, d’après les explications du ministre, il m’a semblé qu’il reconnaissait lui-même l’impossibilité d’opérer la reconstruction du bâtiment avant l’entrée de l’hiver; et dès lors tous les motifs d’urgence qu’on a invoqués viennent à tomber devant cet aveu. Pourquoi donc maintenant grossir à plaisir le chiffre du budget de 1833, et ne pas renvoyer les dépenses non urgentes au budget de 1834?
Quant à la difficulté qui s’est élevée entre le gouvernement et le propriétaire de l’hôtel, il résulterait des explications données à la section centrale que le gouvernement pourrait devenir par la suite maître du bâtiment tout entier ; et il a paru plus raisonnable d’attendre, pour reconstruire, que le terrain et les ruines fussent définitivement acquis à l’un des deux ; il y aurait eu, assurément, plus de motifs de faire disparaître des ruines considérables que de d’en réparer de petites.
Quoi qu’il en soit, messieurs, la question qui s’agite maintenant, c’est celle des frais de représentation que le gouvernement s’obstine à ne pas regarder comme jugée.
Enfin on a parlé de la régence : la régence, messieurs, n’est autorisée par aucune loi à obliger un propriétaire à reconstruire sa maison ; elle peut seulement obliger un propriétaire à se clore chez lui, mais voilà tout.
Je persiste à demander le renvoi de la dépense au budget prochain.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - J’ai regretté tout à l’heure que la demande de crédit ait dû être faite tardivement, parce qu’il est à craindre que nous ne puissions pas mettre la main à l’œuvre avant le printemps prochain ; mais nous ferons ce que nous pourrons pour commencer cette année même, et d’ailleurs nous pourrons toujours gagner du temps, car l’adjudication des travaux sera faire plus tôt, et nous obtiendrons des conditions plus avantageuses si l’entrepreneur a tout l’hiver pour préparer ses travaux, et s’il peut aussi ménager ce qui peut encore servir dans les ruines.
Je ferai remarquer que la question ne doit pas se compliquer de l’éventualité de la possession de l’hôtel Torrington par le gouvernement ; il y aura deux modes d’architecture à suivre, et les réparations que nous vous proposons n’empêcheront en rien la reconstruction de l’hôtel.
Je vois que la résistance vient surtout de ce que l’on crains le vote n’entraîne la nécessité de frais de représentation. Mais il faut avouer que cette crainte n’est pas suffisante pour faire rejeter l’allocation ; car, enfin, par cela même que l’on viendrait chaque année vous demander ces frais, vous seriez appelés à les contrôler, si vous ne voulez pas que le ministre des affaires étrangères soit grandement logé, vous l’inviterez à passer par exemple à l’hôtel du ministre de l’intérieur. Je répète que rien ne me semble s’opposer à ce que le ministre de l’intérieur vienne à se transporter à l’hôtel dont il s’agit, avec l’administration d’instruction publique et le grand état-major de la garde civique.
M. Dumortier. - A voir comment y va M. le ministre de l'intérieur, on dirait qu’il se trouve près d’ici, dans le Parc, une mine d’or, où l’on peut puiser sans qu’il en coûte rien. Dans toutes les sections centrales, nous avons unanimement manifesté le désir de rejeter toute dépense qui n’est pas rigoureusement nécessaire ; eh bien, malgré cela le ministre majore tous les crédits. Il semble avoir perdu de vue que si les dépenses restent les mêmes, il faudra pour y faire face, établir de nouvelles contributions, lorsque nous devoir serait de les réduire.
Le bâtiment qu’on nous propose de reconstruire est attenant à l’hôtel Torrington ; or, on ne pourrait procéder à sa réparation sans commencer d’abord par reconstruire le mur mitoyen. Si une fois la première dépense est faite, qui sait jusqu’où elle ira ? Je me trompe, elle est justifiée par cette appétence ministérielle d’obtenir des frais de représentation. Vous avez entendu tout à l’heure M. Nothomb, qui siffle maintenant si gracieusement entre ses dents…
M. Nothomb. - J’écoute, et votre observation n’est ni exacte ni parlementaire.
M. Dumortier. - J’ai la parole, et c’est votre interruption qui n’est pas parlementaire… Vous avez entendu M. Nothomb vous dire que la question des frais de représentations n’avait été jugée que pour cette année. J’espère bien, moi, qu’elle l’a été pour tout l’avenir, et il y aurait impudence à reproduire une pareille demande lorsque la chambre s’est si unanimement prononcée contre elle. Ce n’est pas lorsque l’Etat est dans une situation malheureuse, lorsqu’il faut recourir à des emprunts, qu’il faut employer l’argent des contribuables à faire danser la diplomatie. (On rit.) Vous voulez, dites-vous, faire les honneurs du pays ; mais nous, nous avons une autre manière de comprendre l’honneur national : l’honneur national se défend et se protège par les armes ; vengez donc nos affronts du mois d’août, et vous n’aurez pas besoin de frais de représentation.
Je vois avec peine que le gouvernement voudrait déployer le luxe des monarchies absolues. Il est d’origine révolutionnaire ; qu’il ne l’oublie jamais, et qu’il rejette toutes les dépenses futiles et ridicules qui grèvent l’Etat sans rien ajouter à la gloire du pays.
J’ajouterai quelques mots, Puisque l’on met toujours en avant la nécessité de faire les honneurs du pays, rappelez-vous que l’on a majoré de 300,000 fr. la liste civile, pour mettre le souverain à même de faire ces honneurs dont on parle tant. Il ne faut donc pas faire double envoi ; aussi je repousserai l’allocation de toute mon énergie.
Je vous rappellerai encore que M. le ministre de l’intérieur a avoué lui-même que l’année était trop avancée pour opérer les travaux, et que j’ai déjà démontré dans une précédente séance qu’en plaçant les bureaux au deuxième étage, il y aurait dans l’hôtel assez de place pour tout le monde.
Enfin, messieurs, il paraîtrait que le mot économie à plusieurs acceptions différentes ; c’est au nom de l’économie que nous demandons qu’on réduise les dépenses, c’est au nom de l’économie que le ministre veut qu’on les augmente. Il y a ici deux acceptions qui se heurtent ; vous jugerez , messieurs, celle qui convient le mieux dans cette circonstance.
M. Nothomb. - Il est très vrai que le mot économie a deux sens. C’est au nom de l’économie que nous demandons que le gouvernement soit autorisé à mettre cette année la reconstruction du bâtiment en adjudication, et qu’il fasse procéder aux travaux s’il est possible ; c’est au nom de l’économie que nous vous proposons cette dépense. Je vous ai cité des faits, messieurs, et ma conviction repose sur l’avis de personnes auxquelles je m’en référerais très volontiers. L’honorable préopinant a insisté sur le rapprochement qui a été fait entre la question des frais de représentation et la question qui nous occupe. J’ai déclaré déjà qu’elles étaient totalement étrangères l’une à l’autre, d’autant plus que, d’après le projet qui existe, le ministère des affaires étrangères pourrait être transporté ailleurs, en sorte que la dépense se trouverait faite au profit d’un autre ministre.
Vous le voyez donc, les réflexions politiques auxquelles le préopinant a jugé à propos de s’abandonner sont tout à fait en dehors de cette discussion. Oui, sans doute, le gouvernement a une origine toute populaire, je le reconnais avec lui ; mais quelle que soit son origine, si le bâtiment dont il s’agit est entièrement détruit, il faudra qu’il le reconstruise en entier. C’est là une nécessité à laquelle son origine ne peut pas le soustraire. (On rit).
- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix!
- Le chiffre proposé par le gouvernement est mis aux voix et n’est pas adopté.
Le chiffre de la section centrale est adopté.
Le gouvernement demande 85,400 fr. La section centrale accorde 80,000 fr.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Le ministre se fait un devoir de réclamer les sommes nécessaires au service ; c’est ce qu’il a fait jusqu’ici.
On lui a reproché de ne pas exercer une surveillance assez active dans les mines : c’est parce qu’il a trouvé que le personnel des conducteurs ne suffisait pas, qu’il a demandé une majoration ; toutefois, comme l’année est très avancée, et qu’il peut, à la rigueur, se dispenser de nommer en ce moment de nouveaux conducteurs, il peut se rallier à la proposition de la section centrale.
M. Brixhe. - Un écrivain, Adisson, a dit quelque part : « Permettez-moi de répéter tous les jours la même chose à un homme pendant qu’il déjeune, et je m’engage à lui persuader ce que je voudrai. »
De même, si tous les jours, et sans rencontrer de contradicteur on nous répète que l’utilité de l’administration des mines n’est pas démontrée, il pourrait arriver, peut-être à tort, qu’un certain nombre de personnes acceptassent cette opinion.
Un honorable collègue nous a dit il y a quelques jours, et l’on a répété plusieurs fois depuis trois ans, que la nécessité de l’administration des mines n’est pas encore bien démontrée. En effet, oubliant les considérations qui ont été alléguées en 1791 et en 1810 par les législateurs et les administrateurs les plus distingués de ces deux époques, en France, pour motiver l’institution de l’administration des mines, quelques personnes prévenues, peut-être même à leur insu, ou peu pénétrées des enseignements de l’économie politique, vont répétant ce principe, sage réellement quand il est vu dans son vrai jour, savoir : « En matière d’industrie, laissez faire ; rapportez-vous-en à l’intérêt privé. » Or, comme l’exploitation des mines est aussi une industrie, et une industrie d’ordre majeur, elle doit donc, comme toutes autres, dans le même système, être livrée complètement aux spéculations de l’intérêt privé et être dispensée de toute surveillance administrative.
Tous d’accord sur le principe du laissez-faire en matière d’industrie en général, les économistes, messieurs, n’osent cependant se prononcer d’une manière positive sur l’utilité de son application aux mines.
Mes fonctions dans l’administration des mines depuis treize années, jusqu’en 1830, m’ont donné souvent l’occasion de réfléchir sur la question de savoir si ce principe est réellement applicable à l’exploitation des mines.
Voici donc la différence essentielle qui, ce me semble, se présente entre l’industrie manufacturière et agricole et l’industrie purement minérale : c’est que d’un côté la terre produira toujours annuellement et presque à volonté, suivant certains travaux et règles, des bois de construction, du lin, du coton, des herbages, des céréales pour les bestiaux à laine, etc., etc. De fausses spéculations dans l’exploitation de ces diverses branches ne peuvent produire que des maux partiels et minimes, d’où peut même résulter la ruine de quelques cultivateurs ou industriels hasardeux ou irréfléchis ; mais on sent aisément que l’industrie en général ne peut souffrir de quelques fausses spéculations, ni manquer des matières premières nécessaires à son activité. Ainsi donc on peut sans inconvénient, et même avec avantage, abandonner à l’intérêt privé toute l’industrie manufacturière et agricole.
Mais il n’en est pas de même de l’industrie minérale, puisque les mines ne se reproduisent pas. Une fois exploitées, elles sont épuisées pour toujours. De là la nécessité de soumettre les mines à un système d’aménagement qui nous permette de jouir de leurs produits aujourd’hui, dans cinquante ans, enfin aussi longtemps que la prévoyance humaine peut en assurer l’accès profitable.
Veuillez remarquer, messieurs, que dans l’exploitation des mines deux intérêts sont perpétuellement en présence et se combattent sans cesse : ce sont, d’une part, l’intérêt privé, qui veut jouir immédiatement, réaliser au plus tôt la valeur des mines en en sacrifiant souvent la durée pour l’avenir ; et, d’autre part, l’intérêt public , qui veut que les produits de mines soient livrés dès à présent à l’industrie, aux consommateurs, en raison de leurs besoins, tout en ménageant, par des règles de travaux d’art, les moyens de conserver à nos successeurs, à nos derniers neveux, la jouissance de la part qui leur appartient dans les richesses dont la nature a favorisé notre sol.
Sans houille et sans fer, point de civilisation ; et ce n’est point là un paradoxe. Tâchons donc d’être ménagers de ces éléments de prospérité et puisque les mines ne se reproduisent pas, évitons que l’intérêt privé, débarrassé de l’intervention de l’intérêt public par les soins de l’administration, ne renouvelle la fable de la poule aux oeufs d’or et celle du sauvage qui abat l’arbre pour en cueillir le fruit. C’est là l’écueil que l’Angleterre n’a pas su éviter, et dont elle ne tardera pas à ressentir la fâcheuse influence.
Que si l’administration des mines n’atteignait pas réellement le but de son institution, il faudrait la faire strictement rentrer dans sa voie propre, et prendre, s’il y a lieu, les mesures convenables pour que tous ses agents remplissent ponctuellement les devoirs que les lois et règlements leur imposent.
Je voterai donc pour le chiffre proposé par le ministre pour le service des mines, et je voterai également à l’occasion toute allocation tendant à perfectionner cette branche de l’administration publique. Je dirai en terminant que, comme intéressé dans plusieurs exploitations de mines, je verrai, avec une vive peine, ainsi que la totalité des exploitants, s’il en était question, que l’administration ne pût plus exercer sa surveillance d’aménagement, de conservation et de sûreté. (Aux voix ! aux voix !)
- Le chiffre de la section centrale est mis aux voix et adopté.
La séance est levée à 4 heures et quart.