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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 6 septembre 1833

(Moniteur n°251 du 8 septembre 1833)

(Présidence de M. Raikem)

La séance est ouverte à 1 heure moins un quart.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

Après l’appel nominal, le procès-verbal est lu et adopté.

Projet de loi portant le budget de la dette publique de l'exercice 1833

Discussion du tableau des crédits

Chapitre II - Rémunérations

Article 3

M. le président. - L’article relatif à la caisse de retraite à été ajourné. La section centrale a proposé un supplément de 50,000 fr.

M. Legrelle. - Il conviendrait que la section centrale se réunît de nouveau. Je demanderai que l’on commence la discussion sur l’ensemble du budget des affaires étrangères.

M. Dumortier. - Messieurs, il paraît, d’après les explications de M. le ministre des finances, qu’il y a eu un malentendu entre lui et nous. Mais il faut nécessairement que nous révisions notre premier travail, puisque M. le ministre refuse de se rallier à notre proposition. (Oui ! oui ! Appuyé !)

Projet de loi portant le budget du ministère des affaires étrangères de l'exercice 1833

Discussion générale

M. d’Huart. - Messieurs, la discussion du budget du département des affaires étrangères me fournit l’occasion d’élever la voix dans cette enceinte en faveur d’un de nos malheureux compatriotes, détenu arbitrairement dans les cachots de la forteresse de Luxembourg par les exécuteurs des vengeances du roi Guillaume.

Je veux parler du sieur Gérard Christophe, de Bouillon. Cet individu était sous-officier des cuirassiers à Maestricht : voulant entrer au service de son pays, il quitta les drapeaux hollandais qui n’étaient plus les siens ; attiré postérieurement à Luxembourg par la perfidie des agents du gouvernement déchu, il y fut incarcéré, et depuis très longtemps il gémit dans les prisons du benin grand-duc.

Les journaux ont parlé dans le temps les démarches que la diplomatie a faites pour obtenir la liberté du sieur Christophe ; mais, aussi impuissante dans cette réclamation qu’en beaucoup d’autres, ses démarches sont restées sans succès.

Dans un pareil état de choses, pourquoi le gouvernement ne recourt-il pas aux seuls moyens efficaces, aux moyens que commandent l’honneur, la dignité du pays, aux moyens qui peuvent relever la Belgique dans sa propre estime et prouver à l’étranger qu’il nous reste encore quelque peu de vigueur ? Après s’être assuré, en toutes les occasions, que notre ennemi n’entend ni la voix de la raison, ni les droits de l’humanité, pourquoi ne pas le forcer par des actes énergiques de représailles à se départir des infortunés belges sur lesquels il assouvit sa colère contre notre révolution ?

Plus d’une fois l’occasion de s’approprier des otages s’est présentée ; plus d’une fois, depuis la détention du sieur Christophe, des soldats et même des officiers hollandais faits prisonniers par les nôtres, ont, par une courtoisie excessive, été relâchés immédiatement.

La chambre se montrera aujourd’hui, j’en suis convaincu, jalouse de suivre les antécédents de sa devancière dans des circonstances analogues ; mue par le double sentiment d’honneur national et d’humanité, elle se joindra tout entière à moi pour réclamer du gouvernement l’emploi de mesures propres à obtenir le prompt élargissement du malheureux dont je viens de parler.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Messieurs, le gouvernement s’est à plusieurs reprises occupé de la position malheureuse du nommé Christophe. Nous avons adressé en sa faveur des réclamations à Berlin et à Vienne. Jusqu’à présent elles sont restées sans résultat. Cependant, je dois dire que le gouvernement a fait tout ce qui était en son pouvoir pour améliorer la position de notre malheureux compatriote. Voici dans quelles circonstances le sieur Christophe a été arrêté.

Avant la révolution il était au service des Pays-Bas comme cuirassier. A l’époque de la révolution il est entré dans les douanes en qualité de brigadier. Il se rendait à son poste quand, pour abréger son voyage de quelques lieues, il a jugé à propos de passer par la forteresse de Luxembourg. Là, on lui a demandé son passeport, et il a produit des papiers qui constataient précisément qu’il était ancien militaire des Pays-Bas.

Cet homme, messieurs, n’avait droit à aucun traitement, attendu qu’il n’était pas installé, et que les appointements ne sont dus par l’Etat qu’à partir du jour de l’installation de ses fonctionnaires ou employés.

Eh bien, par dérogation aux règlements administratifs, il reçoit son traitement dans les prisons du Luxembourg. Le gouvernement a pris des mesures pour le lui faire parvenir, et il continue toujours ses réclamations. Il n’y a pas huit jours que nous avons écrit à Londres à nos plénipotentiaires, pour que les envoyés des puissances, profitant de la présence des plénipotentiaires hollandais, demandent de l’élargissement du sieur Christophe. Je pense donc, messieurs, que le gouvernement a fait en cette circonstance tout ce qu’il devait et pouvait faire.

M. Pollénus. - Messieurs, un budget, dont les trois quarts sont dépensés au moyen de crédits successifs, ne présente plus ce même intérêt qui se rattache d’ordinaire à la discussion des subsides annuels ; cependant, lorsque des majorations sont proposées, alors ces nouvelles dépenses appellent nécessairement un examen sur leur utilité, en rapport avec l’état financier et les besoins du pays.

La majoration des traitements de nos ministres à Londres, à Paris et à Berlin, qu’on nous propose, est-elle justifiée d’une manière satisfaisante ?

« Les augmentations proposées, dit le gouvernement, sont motivées sur la nécessité de mettre ses agents à même de vivre d une manière qui soit analogue à leur position.

Une observation bien simple se présente d’abord, c’est que les traitements primitifs ont été suffisants pour les années 1831 et 1832, c’est-à-dire qu’ils ont été analogues à la position où se trouvaient nos envoyés pendant les années qui viennent de s’écouler ; d’ou suit que les augmentations que l’on voudrait introduire ne peuvent se justifier que par un changement de position survenu depuis, et ce changement de position, j’ai beau chercher, je ne l’aperçois nulle part.

Au contraire, pendant les dernières années, nous avons vu ces légations chargées de nombreux et difficiles travaux et participer à d’importants traités. Je comprends qu’en pareilles occurrences le cérémonial, le luxe de la représentation et d’autres dépenses faites avec discernement, pouvaient servir utilement les projets de notre diplomatie ; mais aujourd’hui que les traités définitifs et irrévocables existent, et qu’il ne peut plus être question que d’arrangements relatifs à des intérêts tout à fait secondaires, je ne vois pas quel motif raisonnable il y aurait de majorer des ressources qui ont suffi aux grandes époques de notre diplomatie. D’ailleurs tout motif de majoration est écarté depuis la création d’ambassades extraordinaires.

Si cependant le gouvernement proposait, à titre de supplément, une indemnité pour couvrir des sacrifices bien constatés, nécessités à l’occasion d’importantes négociations, je déclare que je suis prêt à voter ce supplément ; car le pays doit tenir compte des dépenses qui auraient profité à la cause nationale : cette indemnité est commandée par la justice, tandis qu’une majoration non justifiée serait un acte de pure munificence, que notre serment ne nous permet pas de mandater sur les deniers du peuple.

La simplicité de mœurs, qui convient aux envoyés d’un peuple nouveau et dont les relations sont bien restreintes encore, me paraît résister à l’opportunité de toute augmentation de dépenses diplomatiques ; en tout cas, j’augure assez bien du désintéressement de nos ambassadeurs pour rester convaincu qu’ils nous sauront gré d’appliquer nos fonds aux pressants besoins du pays avant de nous occuper du luxe de la représentation.

Je n’énumérerai pas ici les différents besoins qui réclament l’emploi de subsides ; je ne vous parlerai pas de cette loi d’indemnité et de réparation qui est attendue avec tant d’impatience ; je ne dirai rien non plus de l’état où se trouve l’instruction, principalement dans l’arrondissement de Hasselt ; je me permettrai d’appeler l’attention du gouvernement et de la chambre sur un seul objet, parce qu’il est en rapport avec la question extérieure ; je veux parler de la prolongation des logements militaires forcés.

Depuis trois ans, les logements militaires pèsent de tout leur poids sur un grand nombre de communes du Limbourg, et principalement de l’arrondissement de Hasselt ; cet état de choses est devenu insupportable pour la classe aisée, tandis qu’il est une source de ruine et de désolation pour d’autres.

Veut-on persister à maintenir une armée hors de toute proportion avec notre population et nos ressources, condamnée à ne pouvoir agir que lorsqu’il plaira à la conférence d’en octroyer la permission ? Eh bien ! dans ce cas il faut bâtir des casernes et aviser aux moyens d’entretenir la troupe entièrement à charge de l’Etat, et non à charge de telle ou telle commune qu’il plait à l’arbitraire de désigner. En temps de guerre, je conçois que nécessité peut faire loi mais aujourd’hui de quel droit perpétue-t-on une charge aussi accablante pour les communes ? De quel droit continue-t-on à disposer du domicile de citoyen, ce dernier refuge de la paix domestique, pour y loger le soldat, souvent un maître fort incommode ? Vous le savez, messieurs, la vie des cantonnements est peu favorable à la discipline militaire...

Mais, dira-t-on, la sûreté de l’Etat demande que le pays soit garni de troupes : veuillez, dans ce cas, me dire ce que signifie votre traité du 21 mai ? De deux choses l’une : ou vous avez confiance dans le traité, et dans ce cas vous pouvez faire rentrer les troupes dans les casernes ; ou vous n’ayez pas foi dans le traité, mais alors il ne fallait pas le conclure.

Cette dernière hypothèse est rendue impossible par les garanties de paix que renferme le discours du roi d’Angleterre lors de la clôture du parlement : « La convention, dit ce monarque, que, de concert avec le roi de France, j’ai conclue dans le mois de mai dernier avec le roi des Néerlandais, empêche le renouvellement des hostilités dans les Pays-Bas et nous donne toute sécurité pour la continuation de la paix. » Ainsi toute concentration de troupes est parfaitement inutile pour le moment.

J’ajouterai une seule considération, c’est que les logements militaires sont devenus inquiétants depuis que les habitants ont appris qu’une maladie dangereuse s’était manifestée dans les camps.... Il y a de la dureté, en pareille circonstance, à forcer les habitants aux logements militaires, tandis que la discipline des casernes permet de donner plus de développements aux mesures hygiéniques que réclame la santé du soldat.

Je pourrais continuer, et attirer votre attention sur l’état défectueux de quelques dépôts de mendicité, sur le besoin d’établissement nombreux de bienfaisance, sur l’utilité de quelques voies de communications, etc. ; mais je crois en avoir dit assez pour démontrer que plusieurs objets de nécessité réclament l’emploi des fonds de l’Etat, et, que notre situation ne nous permet pas de consentir les majorations proposées.

Je ne sais si je me trompe, mais je pense que dans les rapports diplomatiques il doit y avoir réciprocité ; j’éprouve donc quelque difficulté à voter des traitements pour des ambassadeurs que le gouvernement envoie dans des pays qui, jusqu’à présent, refusent d’avoir des relations avec la Belgique ; mais ce point pourra être discuté plus utilement lors du budget de 1834.

Messieurs, en refusant ces augmentations de traitements, je n’entends aucunement exprimer une opinion inquiétante sur l’état de nos finances ; je saisis même cette occasion pour déclarer que, dans mon opinion, la dette de 8,400,000 fl., qui nous est imposée par les 24 articles, ne peut être réclamée à charge de la Belgique que du moment de l’exécution entière du traité, exécution que je regarde comme la condition de la débition de cette dette ; et je désire avec l’honorable M. Meeus que la chambre pose nettement ce principe, sur lequel le gouvernement, d’accord avec la chambre, pourra appuyer efficacement dans les négociations de Londres.

A la séance du 29 août, l’honorable M. Coghen a parlé de documents diplomatiques peu connus, relatifs à la dette ; je prie la chambre d’en ordonner l’impression.

M. Dumortier. - Je m’attendais, après l’interpellation qui avait été faite dans une précédente séance, à ce que M. le ministre des affaires étrangères se rendrait ici, pour nous faire connaître le résultat des nouvelles négociations ; je m’attendais au moins à voir au banc des ministres MM. les membres du conseil des ministres. Cependant, il n’en est rien. M. Nothomb, commissaire du Roi, chargé de la défense du budget des relations extérieures, est seul présent.

Je vous avoue, messieurs, que je trouve singulièrement étrange qu’alors que l’on sait que des interpellations doivent être adressées au gouvernement sur l’état de nos affaires politiques, et que le pays attend avec anxiété le résultat de ces explications, les membres du cabinet, qui ordinairement sont assidus à nos séances, s’absentent précisément le jour où l’on a besoin d’obtenir d’eux des renseignements. Néanmoins, je demanderai que M. le commissaire du Roi veuille bien nous donner des éclaircissements sur notre situation diplomatique. Vous sentirez tous, messieurs, combien il nous importe, avant de voter les crédits demandés pour la diplomatie, de savoir ce que nous pouvons espérer de la diplomatie, d’autant plus nous voyons siéger parmi nous un honorable membre qui a été chargé d’une mission à Londres, et qui en est revenu, ce qui fait supposer que les négociations sont rompues.

M. le président. - Quelqu’un demande-t-il encore la parole sue l’ensemble du budget des affaires étrangères ?

M. Fleussu. - M. Dumortier a présenté une motion d’ordre sur laquelle la chambre doit prendre une résolution, dans le cas où M. le commissaire n’y satisferait pas.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - J’ignore, messieurs, quels sont les motifs qui retardent l’arrivée des ministres, mais je sais que leur intention est de se rendre à la séance d’aujourd’hui. Néanmoins, si l’honorable préopinant croyait que leur présence et même celle de M. le ministre des relations extérieures fût nécessaire, il a droit de l’exiger, aux termes de la constitution.

Quant à la motion d’ordre en elle-même, je ne puis que répéter ce qui a été dit, dans une précédente séance par M. le ministre de la justice. Depuis la convention du 21 mai, il n’est intervenu aucun nouvel acte, aucun événement politique. Les négociations ouvertes en vertu de l’article 5 de cette convention ne sont pas encore terminées. Ces négociations continuent à Londres dans le moment où je parle. La conférence n’est pas dissoute, comme cela a été faussement annoncé.

Dès lors, il est impossible que le gouvernement, au milieu de négociations entamées, vous présente un rapport. Il doit attendre, et la chambre doit attendre avec lui, que de nouveaux faits soient accomplis, que de nouveaux actes soient intervenus. Alors le ministère montrera le même empressement que celui dont il a déjà fait preuve en maintes circonstances, et il vous communiquera ces nouveaux actes et toutes les pièces qui s’y rattacheront.

Personne ne lui contestera le droit d’agir de la sorte ; c’est même un devoir pour lui de garder le silence, parce que ses explications pourraient singulièrement compromettre nos intérêts à Londres et ailleurs. Je pense donc que l’honorable membre n’insistera pas sur sa motion d’ordre. Si cependant il insistait, il mettrait le gouvernement dans la nécessité de faire statuer la chambre sur l’opportunité d’une telle demande.

M. Dumortier. - C’est avec étonnement que j’ai entendu assimiler notre position d’aujourd’hui avec celle où nous nous trouvions au moment de ma première interpellation. Alors, messieurs, la conférence existait encore ; mais aujourd’hui elle est dissoute. La plupart de nos commissaires à Londres sont de retour. Quant au ministre des affaires étrangères que l’on dit chargé d’une affaire spéciale, s’il a cru devoir rester pour faire un voyage dans telle ou telle partie de la Grande-Bretagne, c’est plutôt pour éviter nos interpellations que pour faire valoir les droits du pays.

Quoi qu’il en soit, il est constant qu’il y a eu de nouvelles négociations. Or, si le gouvernement ne veut pas nous les faire connaître, il nous importe d’en savoir l’objet et la cause. Est-ce que, par exemple, on négocie sur le traité des 24 articles qui, selon ce qu’on a dit dans une autre circonstance, est demeuré intact ? Mais, comme l’a fait observer très judicieusement un honorable membre, ce traité est un contrat synallagmatique. Si l’on entend qu’il ne lie que la Belgique, et qu’on le puisse modifier à chaque instant, alors ce n’est pas un traité et l’on nous trompe.

Nous devons savoir quelle est la mission dont a été chargé M. le ministre des affaires étrangères. Si M. le commissaire croit que l’intérêt de l’Etat lui prescrit des réserves parce que les négociations ne sont pas encore consommées, il ne doit pas cependant garder un silence absolu. Il ne faut pas que le gouvernement semble nous dire : Retournez dans vos foyers et annoncez à vos mandants que nous faisons les affaires de l’Etat sans que vous ayez à vous en occuper. Il nous importe de connaître si l’on a mis tout le zèle et toute la sollicitude nécessaire à la réclamation de nos droits, qui sont incontestables. Je demande donc une explication catégorique sur la mission spéciale de M. Goblet à Londres.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Je dois d’abord faire remarquer à l’assemblée que le préopinant ne conteste pas le principe que j’ai posé ; mais il soutient que la position de la chambre est changée depuis quelques jours. Or, le fait sur lequel il fonde ce changement est inexact. J’ai déjà eu l’honneur de dire que la conférence n’est pas dissoute. Il est aussi inexact de prétendre que nos ministres plénipotentiaires voyagent en ce moment. Ils sont à Londres, d’où ils adressent des dépêches au gouvernement et lui demandent des instructions. Si les commissaires envoyés pour leur donner des renseignements officieux sont de retour à Bruxelles, c’est par mesure d’économie. D’ailleurs ils étaient à Londres sans caractère officiel, et leur retour ici n’a pas plus d’importance que n’en aurait celui d’un secrétaire de légation.

Je le répète, la conférence n’est pas dissoute, et dès lors je m’empare de la concession que m’a faite le préopinant en m’accordant le principe. Puisque j’ai démontré que la position restait la même, il conviendra sans doute, à moins de se mettre en contradiction avec ses propres paroles, que le gouvernement ne doit point faire en ce moment de communications.

Mais, a-t-il dit, je ne veux pas connaître le résultat de la négociation, j’en veux connaître l’objet ; je veux savoir sur quoi et pourquoi l’on négocie ; je conteste au gouvernement le droit de négocier.

M. Dumortier. - Pas du tout, je n’ai pas dit cela.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Du moins il a semblé demander jusqu’à quel point le gouvernement était autorisé à négocier. Messieurs, c’est changer la question.

La question du droit de négocier, pour le gouvernement, a été résolue depuis la discussion de la dernière adresse, à propos de la convention du 21 mai.

(L’orateur donne ici lecture de l’article 5 de cette convention.)

Ainsi nous savons, depuis la convention du 21 mai, qu’il est entendu qu’on ouvrira des négociations directes sous la médiation des plénipotentiaires des hautes cours, à l’effet d’arriver à un arrangement définitif entre la Belgique et la Hollande. A l’époque de la discussion de l’adresse on a manifesté toutes les inquiétudes que l’honorable préopinant vient de témoigner ; nous avons répondu que le traité du 15 novembre resterait la base des négociations. Le but des négociations est de convertir ce traité en une convention directe avec le roi de Hollande. Le gouvernement s’est engagé à ne conclure qu’autant qu’il ne serait porté aucune atteinte aux droits qui nous étaient acquis par ce même traité. Je pense donc, invoquant la concession qui m’a été faite par M. Dumortier, qu’il ne donnera pas de suite à son interpellation.

M. de Robaulx. - M. le commissaire du Roi prend acte des paroles de M. Dumortier, desquelles il veut induire qu’il y a un principe qui permet au gouvernement de se taire quand cela lui plaît. Je ne sais pas si tel est le sens de ses paroles, mais dans le cas affirmatif je proteste contre elles.

Je poserai, moi, un autre principe dont on peut prendre acte, si on le désire, mais que, je crois, on ne contestera pas : c’est que si le gouvernement ne veut rien dire à la chambre, il est bien libre à cette dernière de ne rien voter sans avoir les renseignements nécessaires qu’elle exige. Dans un gouvernement constitutionnel, chacune des branches du pouvoir législatif a ses prérogatives. Si le gouvernement a le menu des négociations, nous avons, nous, entre les mains, le nerf des négociations, l’argent. Nous avons le droit de demander sur quoi et pourquoi l’on négocie. Si le gouvernement refuse de nous donner des explications, il est dans son droit, mais nous restons aussi dans le nôtre en lui refusant le budget. Je crois que cela est incontestable.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - C’est clair.

M. de Robaulx. - N’est-ce pas, M. le ministre de la justice, que c’est clair ? (On rit.) Eh bien ! messieurs, pour être conséquents avec ce principe, il faut rejeter les fonds demandés.

Chaque fois qu’on s’occupe du budget des affaires étrangères, le moins que le gouvernement puisse faire, c’est de mettre la législature à même de juger la situation diplomatique du pays. Il peut bien soutenir qu’il y a telle ou telle limite posée à ses communications. Mais nous sommes maîtres aussi de décider jusqu’à quel point nous lui forcerons la main.

Il serait fort étonnant que dans un moment où, à l’exception de nous gens crédules, tout le monde croit que les questions vitales de la diplomatie sont soumises au congrès de Tœplitz ou de… de Schwedt (pardon, messieurs ma langue ne s’accommode pas bien avec le nom des villes où les chefs des puissances absolues forment leur congrès) (on rit) ; dans un moment, dis-je, où à Londres même tout le monde sait que les questions les plus importantes relativement à notre existence politiques sont traitées, nous seuls, qui votons les fonds, nous n’ayons pas de renseignements à cet égard.

Mais, dit-on, les négociations ne sont pas accomplies. Ceci, messieurs, prouve que le rôle de la diplomatie est court, très court comme l’a dit le ministre de la justice. (Nouvelle hilarité.) Les négociations, dit-on, ne sont pas accomplies ; elles ne sont pas même avancées depuis la discussion de l’adresse. Eh bien moi, je prétends qu’elles sont avancées et qu’il y a des faits consommés. La conférence est, je ne dirai pas dissoute, mais séparée, mais inactive et silencieuse. Elle reconnaît aujourd’hui que ce n’est plus à elle à discuter nos intérêts ; que les chefs des puissances absolues, réunis en congrès, donneront leurs instructions à leurs ambassadeurs, et qu’elle ne sera plus que le trucheman de ce congrès. Mais, messieurs, si notre existence politique est ainsi remise en question dans une assemblée de souverains absolus, il faut que nous sachions au moins comment on entend nous traiter, quelles sont les décisions qu’on nous prépare, et quelles sont les démarches faites par notre gouvernement. Il faut que nous sachions si les questions vitales de notre indépendance ne sont pas encore dans le doute.

On dit que le traité du 15 novembre sera la base des négociations. Mais s’il sert de base aux négociations, ce n’est plus alors qu’un projet, et l’on pourra changer cette base mise en question.

Dans un tel état de choses, il faut au moins que la Belgique montre que l’on ne peut pas, sans elle et malgré elle, décider de ses intérêts les plus chers. Quant à moi, je déclare que je n’ai pas une foi assez robuste dans la probité et l’indépendance du ministre, pour croire qu’il soigne nos intérêts avec toute l’intégrité et toute l’énergie que nous devons attendre d’un bon gouvernement. Il est donc nécessaire de savoir ce qu’on veut faire de nous ; si notre indépendance, qui est attachée au traité des 24 articles, n’est pas menacée. Nous ne pouvons point voter de fonds avant d’avoir des explications à cet égard. Le faire, ce serait le comble de l’imprudence ; ce serait continuer ce que le malheureux congrès, ce que la malheureuse chambre qui a été dissoute a commencé par leurs votes de confiance. Quant à moi, je ne cesserais de protester contre une telle manière d’agir. Personne ici, je le répète, à l’exception des ministres, ne sait quelle est notre situation politique. Il nous est donc impossible d’accorder les fonds du budget des affaires étrangères.

M. Jullien. - Ce n’est pas sérieusement, sans doute, qu’on vient soutenir comme principe absolu que MM. les ministres ne doivent répondre que quand ils le veulent. S’il y avait un principe absolu dans cette matière, ce serait précisément le principe contraire qui devrait prévaloir. Les ministres doivent donner des explications toutes les fois qu’on leur en demande dans cette enceinte ; la chambre a même le droit de requérir leur présence, aux termes de la constitution ; or ce n’est pas pour qu’ils restent muets.

Je conviens qu’il existe des circonstances où ils ne peuvent s’expliquer sans compromettre l’intérêt du pays et le succès d’une négociation entamée. Alors ils sont en droit de s’y refuser. C’est un principe dont tous les jours on voit faire l’application au parlement d’Angleterre et dans les chambres de France. Mais il faut au moins qu’ils disent quelles sont les raisons puissantes qui leur lient la langue ; ces raisons, il faut qu’ils les déclarent avec la loyauté qu’on doit leur supposer. Mais quand de pareils motifs n’existent pas, c’est une dérision que de ne pas consentir à s’expliquer.

J’ai remarqué dans ce débat un fait qu’il est important d’éclaircir ; car, sur ce point, l’honorable M. Dumortier n’est pas d’accord avec M. le commissaire du Roi. Il s’agit de savoir si la conférence est dissoute, si elle est séparée ou bien si elle continue ses négociations. Si elle est dissoute ou séparée, on ne peut pas venir nous dire que l’intérêt des négociations interdit les communications. Il doit exister des causes de cette dissolution ou de cette séparation, et ces causes ne doivent être un mystère ni pour le ministère ni pour nous. On peut fort bien nous mettre au courant des motifs qui ont fait rompre les négociations, alors qu’on nous annonçait qu’elles devaient être continuées sans désemparer.

Quand même on ne pourrait s’expliquer sur les raisons de ce retard, qu’on s’explique au moins sur ce fait qui a retenti dans les journaux, et consistant à dire que nos plénipotentiaires ne sont point admis à la conférence comme les plénipotentiaires hollandais, et qu’ils en sont réduits à écouter aux portes. Il faut éclaircir ce fait, parce que, s’il était vrai, nous pourrions par là comprendre comment on voudra nous traiter à l’avenir. Je demanderai donc que M. le procureur du Roi (on rit), que M. le commissaire du roi, veux-je dire, c’est la suite d’une ancienne habitude ; je demanderais donc que M. le commissaire du Roi ou MM. les ministres veuillent bien nous donner quelques renseignements à cet égard.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Je commencerai par répondre à la dernière question de l’honorable préopinant. En effet, les journaux ont parlé du fait qu’il a signalé et dernièrement encore un journal français, dont la tendance est très connue, annonçait que nos plénipotentiaires n’étaient pas reçus à la conférence sur le même pied que les plénipotentiaires hollandais.

Messieurs, la conférence de Londres n’a pas pu recevoir en même temps les plénipotentiaires des deux parties ; mais elle les a accueillis alternativement, et les a traités sur un pied de parfaite égalité. Probablement ils auront fait alternativement antichambre dans le même local ; mais nos envoyés ont été reçu par les plénipotentiaires des hautes cours, et dans les actes ils ont été qualifiés de plénipotentiaires de S. M. le Roi de Belgique ; en effet, le traité du 15 novembre subsiste comme convention irrévocable entre les hautes cours, et dès lors la reconnaissance de ces cours nous est acquise.

L’honorable préopinant a dit, avec raison, qu’on ne pouvait poser le principe de refus d’explications d’une manière absolue. Ce principe dans l’application, est subordonné aux circonstances que la chambre doit apprécier dans sa sagesse. Mais l’honorable membre nous a fait entendre que s’il était démontré que la conférence de Londres n était pas dissoute, le gouvernement serait fondé jusqu’à un certain point à ne pas répondre, parce que cela supposerait la continuation des négociations. Toute la question se réduit donc à un fait sur lequel malheureusement je ne suis pas d’accord avec l’honorable M. Dumortier. Eh bien, je répète encore que la conférence de Londres n’est ni dissoute, ni séparée, ni inactive, ni silencieuse. Je prévois toutes les hypothèses. Les négociations continuent donc.

J’ignore quelle est la mission des autres congrès dont a parlé M. de Robaulx ; mais tout ce que je sais, c’est que les questions qui touchent notre pays sont résolues à Londres, et que ces congrès ne changeront pas les dispositions relatives à notre indépendance qui est devenue un droit acquis pour nous aux yeux de l’Europe.

Messieurs, M. de Robaulx vous a dit : Ne suivez pas l’exemple du malheureux congrès, ni de la malheureuse chambre dissoute. Je dirai à mon tour que j’ai assez de confiance dans la chambre pour croire qu’elle suivra l’exemple des majorités précédentes ; qu’elle ne méconnaîtra ni ses droits ni ceux du gouvernement, et qu’elle n’exercera jamais ses attributions en aveugle comme on voudrait qu’elle le fît.

M. Dumortier. - Messieurs, c’est une singulière phrase que celle que vient de prononcer M. le commissaire du Roi en faisant un appel à la chambre, et en l’invitant à suivre l’exemple de la majorité précédente. Mais a-t-il donc oublié que cette majorité a flétri deux fois le système du ministère ? Est-ce là l’exemple que nous recommande M. le commissaire du Roi, et veut-il dire qu’il faut flétrir encore ce système ? Je ne le pense pas. Il veut plutôt parler de cette majorité qui, à notre grand regret, a accueilli trop imprudemment le traité du 15 novembre ; mais si elle avait pu penser que les garanties stipulées par la conférence étaient vaines, chacun des membres qui la composaient aurait refusé de voter le traité.

Je renvoie l’invitation au ministère, et je lui dirai : Rappelez-vous ce qu’ont fait vos prédécesseurs, alors qu’on voyait au ministère notre honorable président M. Raikem, MM. de Theux et de Muelenaere : ils n’ont jamais refusé à la chambre des éclaircissements, même dans les circonstances les plus difficiles ; jamais ils ne se sont renfermés dans un dédaigneux silence devant la représentation nationale, et cependant ils avaient une majorité que les ministres actuels n’ont pas.

M. le commissaire du Roi a prétendu que je reconnaissais que la position du pays restait la même. Il n’en est pas ainsi. A la vérité, si la question résidait uniquement dans le point de savoir si la conférence existe ou n’existe pas, si elle est dissoute ou séparée, nous serions peu aptes à la juger. Mais j’ai appuyé mon observation d’un fait constant, c’est que nos commissaires envoyés à Londres en sont revenus, et notre honorable collègue M. Smits, qui était un de ces envoyés, siège en ce moment dans cette enceinte. Il faut donc alors que les négociations soient rompues. Le Moniteur, l’organe officiel, a cité des extraits des journaux étrangers qui annoncent que la conférence a cessé ses travaux. Eh bien ! peu importe qu’elle soit dissoute ou séparée ; il nous suffit de savoir que ses travaux ont cessé.

D’ailleurs, que la conférence soit dissoute ou séparée, il est toujours de notre devoir de chercher à connaître la raison pour laquelle et sur quoi on négocie en ce moment.

On dit que le traité des 24 articles serait la base des négociations ; mais alors, ainsi qu’on l’a fait observer avec beaucoup de justesse, ce traité n’est donc plus intact ; il y a un traité nouveau, un traité définitif à faire. Eh bien ! s’il en est ainsi, il faut que nous soyons fixés sur ce point : les intérêts de la patrie ont-ils été suffisamment défendus ? Or, messieurs vous avez déjà pu voir, par l’interpellation de l’honorable M. d’Huart, que nos droits ne sont pas défendus comme ils devraient l’être. Depuis un temps considérable un de nos concitoyens gémit dans les prisons, sous les fers du tyran que nous avons chassé, et on vient nous dire qu’on a adressé à son égard des réclamations à Berlin, à Vienne et à Londres.

Eh ! Messieurs, si on avait agi de même pour ce qui concernait l’honorable M. Thorn, on n’aurait pas encore obtenu sa mise en liberté. Il a fallu l’intervention, et l’intervention énergique, de la législature pour y parvenir Ainsi donc voilà ce que nous pouvons attendre de la conférence, rien et toujours rien.

Quant au traité du 15 novembre, après avoir dit qu’il était la base des négociations, M. le commissaire du Roi est venu changer de système ; il dit maintenant que ce traité est une convention entre la Belgique et les cinq cours. Mais à ce traité se joignaient des réserves qui portent sur les articles fondamentaux, réserves qui nous sont défavorables. Or, savons-nous, maintenant qu’il s’agit de nouvelles négociations, si les puissances ne vont pas chercher à faire consacrer ces réserves ? Quelle garantie avons-nous à cet égard ?

On fait sonner bien haut la reconnaissance de notre indépendance. Eh ! messieurs, cela m’importe peu. La puissance sur laquelle je compte le plus, l’Angleterre, ne souffrira jamais qu’on porte atteinte à notre indépendance, parce que si la Belgique n’existait plus comme Etat séparé, elle serait réunie à la France. D’un autre côté, la France a intérêt d’empêcher que nous ne soyons restaurés. Nous sommes donc parfaitement rassurés à cet égard.

Mais cette indépendance suffit-elle ? Non, messieurs ; il est des conditions à cette indépendance, et des plus onéreuses, qui nous ont forcés à scinder la grande famille belge. Depuis que nous nous sommes soumis à cette dure et pénible obligation, nous nous sommes trouvés sous le poids de la situation la plus malheureuse. Le traité qui a été adopté par nous a été repoussé par la Hollande, et il en est résulté pour nous le besoin de maintenir une armée considérable sur le pied de guerre et de faire face à des dépenses énormes. Il nous importe de savoir si le gouvernement persistera à rester dans ces conditions onéreuses.

Dans une précédente séance j’ai eu l’honneur de démontrer que nous avons des réclamations à faire. Je regrette que le gouvernement ait envoyé, pour suivre la négociation relative la dette, des plénipotentiaires qui sont cause qu’on nous a déjà imposé une rente de 4 millions. Cette imposition est souverainement injuste, et elle repose sur un mensonge fait par la Hollande à la conférence. Dans son rapport sur la dette publique la section centrale a appelé sur ce point l’attention du gouvernement. Nous avons droit de revenir sur ce sujet ; le protocole 48 est positif à cet égard ; il porte que si les tableaux fournis par la Hollande, et qui nous ont fait imposer cette charge sont reconnus inexacts, alors le gouvernement belge aura droit à une réduction proportionnelle.

C’est par suite de l’ineptie de nos envoyés à Londres que nous avons été traités ainsi ; c’est parce qu’ils n’avaient pas de connaissances suffisantes, et qu’ils n’ont pas fait valoir comme il convenait les droits incontestables de la Belgique. J’ai déjà dit que la convention sans la dette serait une bonne chose, mais que la convention avec la dette était une mesure désastreuse pour nous, parce que, si nous laissions accumuler les arriérés, nous serions plus tard obligés de faire banqueroute. Nous avons des droits incontestables, je le répète, non seulement de ce côté mais encore à l’égard des colonies et de la flotte acquises à frais communs. Eh bien ! puisque la conférence veut que nous participions dans les charges du gouvernement des Pays-Bas, nous devons aussi participer dans les bénéfices. Il y a une foule d’autres objets pour lesquels nous sommes en droit de réclamer ; par exemple, les engagères qui, restant dans les mains du gouvernement hollandais, ne seront probablement jamais liquidées. Ainsi, la Belgique est doublement frappée en ce qu’on l’oblige à payer ce qu’elle ne doit pas, et en ce que la Hollande méconnaît sa part dans une dette légitime.

J’insiste pour qu’on nous dise quelle est la mission spéciale de M. Goblet à Londres, et je répète que le précédent ministère dans aucune circonstance n’a refusé d’éclairer la représentation nationale.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Je ne prolongerais pas cette discussion s’il n’était de mon devoir de prendre la défense d’un homme absent. Cet homme, qui a été envoyé une première fois à Londres pour donner des éclaircissements à la conférence, y a été envoyé une seconde fois, et il a rempli cette double mission avec zèle et talent. Le temps viendra où l’on pourra connaître ses démarches et alors on lui rendra justice.

L’honorable préopinant nous a rejetés un peu plus loin des débats. Il a dit que nos intérêts avaient été mal défendus à Londres avant la conclusion du traité des 24 articles.

Je saisis cette occasion pour rectifier un fait qu’il aurait pu rectifier lui-même, à l’aide des pièces qui ont été distribuées dans le temps aux membres de la chambre. Et ici je dois dire à M. Pollénus que les documents cités par M. Coghen sont imprimés à la suite des 24 articles.

Nous n’avons pas réclamé une part des colonies, parce que le royaume des Pays-Bas n’a pas acquis de colonies depuis 1815 ; seulement on a restitué à la Hollande une partie des anciennes colonies qui formaient sa propriété, et que la Hollande a reprise dans sa totalité au jour du divorce. Quant à nos intérêts financiers, nos plénipotentiaires les ont soutenus avec zèle auprès de la conférence, et cela est encore attesté par les documents qui sont imprimés. Ils ont demandé que chacune des deux parties eût sa part dans la dette ancienne et dans la dette commune. Si ce double principe n’a pas été admis, ce n’est pas leur faute. (Ici l’orateur cite, à l’appui de son assertion, des passages d’une note remise à la conférence.)

Ainsi vous le voyez, messieurs, nos intérêts financiers ont été bien défendus, et si nous avons succombé dans une partie de nos droits, c’est que, dans les malheureuses circonstances où nous nous sommes trouvés, nous avons dû subir la loi de l’Europe.

M. Dumortier. - C’est une chose dont je ne puis assez m’étonner que de voir M. le commissaire du Roi, qui est secrétaire des affaires étrangères, si peu au courant des droits de la Belgique. Comment ! il prétend que le gouvernement des Pays-Bas n’a acquis aucune colonie depuis 1815 ! Mais il a donc oublié les nouvelles concessions que ce gouvernement a obtenues dans les Indes ? Quand nous sommes témoins d’une pareille ignorance des faits, nous devons penser à la manière dont nos droits sont défendus. Cela montre le besoin que nous avons d’avoir des explications. Non seulement le gouvernement des Pays-Bas a acquis de nouvelles colonies en commun, mais encore nous avons des droits d’un autre côté. Par exemple, le roi des Pays-Bas a acquis la souveraineté entière de l’île de Java. Si donc cette suzeraineté est devenue une souveraineté, il faut que nous ayons une part dans les charges comme dans les bénéfices qui en résultent. Je demande si le gouvernement a fait tout ce qu’il convenait de faire pour revendiquer nos droits, et que M. le commissaire du Roi nous donne des explications sur l’objet et l’état actuel des négociations. (Appuyé !)

M. le président. - Je vais mettre aux voix la motion d’ordre de M. Dumortier : y a-t-il lieu de la part du gouvernement à donner des explications sur les négociations et sur le point de savoir quelle est la mission de M. Goblet à Londres ?

- Cette motion d’ordre est rejetée par assis et levé.

La discussion sur l’ensemble du budget continue.

M. Desmet. - Messieurs, si notre malheureux pays est condamné à ne pouvoir connaître de quelle manière nos hommes d’Etat régissent nos affaires politiques, et à quel point elles sont avancées aujourd’hui, du moins M. le commissaire du Roi me permettra de lui faire quelques interpellations sur nos affaires de commerce, et je lui demanderai si nous pouvons espérer d’avoir bientôt un envoyé au Brésil.

M. le commissaire et le gouvernement doivent savoir combien le Brésil est important pour notre commerce d’exportation ; ils doivent aussi être informés que dans ce pays notre représentation sera bien reçue, car déjà notre pavillon tricolore y a été bien accueilli, et les navires belges entrent librement dans les ports du Brésil et y jouissent même des avantages dont sont privilégiés les navires anglais.

Je lui demanderai aussi s’il est vrai, comme on l’assure dans le public, que déjà l’envoyé est nommé et que même il reçoit son traitement comme tel ; si ce fait est exact, il est très étrange que cet envoyé ne se rende pas à son poste et qu’il tire son argent sans rien faire.

Je dois encore demander à M. le commissaire si nous avons de même l’espoir d’avoir bientôt un envoyé en Espagne. On ne peut mettre en doute combien notre commerce national a intérêt d’obtenir des relations libres avec ce royaume. On dit aussi que l’envoyé destiné est nommé et qu’il touche son traitement comme tel. Si cela est vrai, comme on l’assure partout, c’est une indignité, et je ne conçois pas comment il se fait qu’on puisse payer le traitement d’un fonctionnaire qui ne remplit pas sa place ; c’est vraiment un scandale de dilapider ainsi les deniers du pays.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Le gouvernement s’est occupé d’établir des relations, surtout des relations commerciales, avec l’Amérique méridionale ; nous avons un consul près de la république de Rio. Il s’est aussi occupé de l’établissement d’une légation au Brésil. Il est très vrai que le titulaire est nommé ; d’abord il a dû différer son départ pour prendre des renseignements dans nos principales villes commerciales, renseignements qui nous manquent faute d’archives. Cet agent était près de partir lorsqu’il est tombé malade ; son départ est fixé au 1er octobre ; si à cette époque il n est pas en état de partir, il sera considéré comme démissionnaire.

M. Jullien. - Messieurs, en voyant les discussions du budget des affaires étrangères, en y voyant figurer tant de ministres plénipotentiaires, tant de ministres résidents et de chargés d’affaires dans toutes les cours de l’Europe, on dirait que nous sommes chargés de mettre en action la morale de cette fable :

« Tout prince a des ambassadeurs, tout marquis veut avoir des pages. » (On rit.)

Pour pouvoir apprécier le but et les qualités de cet appareil diplomatique, il faudrait au moins savoir ce que nous sommes aux yeux de l’Europe, quelle est notre existence politique. Si personne ne me répond à cet égard, il faudra bien que je tranche la question moi-même. Or, je crois que pour le moment l’existence politique de la Belgique résulte des 24 articles.

Je pense qui vis-à-vis de la France et de l’Angleterre il y a un traité qui nous lie, et que ce traité ne peut être rompu que par la force ou par la volonté réciproque des parties contractantes. Nous sommes une puissance neutre, et cette neutralité n’existe pas seulement de droit, mais aussi de fait. Or, si nous sommes une puissance neutre, qu’avons-nous besoin d’ambassadeurs, de ministres résidents qu’on envoie à grands frais, pour conserver une neutralité qui est assurée par la France et l’Angleterre ?

Messieurs, il y a déjà des puissances neutres dans le monde : la Suisse, voilà une puissance neutre. Eh bien ! voyez si le Suisse a des ministres plénipotentiaires, si elle donne dans tout ce luxe diplomatique que nous affichons ici. Assurément non. Cependant elle est un pays neutre comme nous, avec cette différence toutefois que sa neutralité ne lui a pas été imposée, et que, dans les occasions où il s’agit de se défendre, elle se défend elle-même. Du reste, la neutralité des deux pays devrait avoir les mêmes effets. Montrons, messieurs, autant de sagesse qu’un peuple qui, moins nombreux et moins riche que nous, fait cependant ses affaires.

D’ailleurs, si l’on veut consulter les traités, on verra que nous ne sommes qu’une puissance de troisième ordre. La Bavière, le Wurtemberg aussi forment des puissances de troisième ordre. Je demande maintenant si ces pays peuvent soutenir le parallèle avec la Belgique pour le luxe et le superflu en fait de diplomatie. Il s’en faut de beaucoup assurément.

Une des grandes plaies financières du gouvernement déchu, c’est qu’il voulait copier l’empire. Eh bien, nous, par notre faste administratif, nous voulons copier le royaume des Pays-Bas, et je ne sais pas si l’on pourrait porter les dépenses beaucoup plus loin.

Qu’est-il besoin, je le demande, d’envoyer des ambassadeurs auprès des puissances qui n’ont jamais usé de réciprocité. Je l’ai déjà dit, il y a tel ambassadeur qui a été envoyé pour faire des visites qu’on ne lui rend pas. (On rit.) Est-il bien nécessaire de faire tant de dépenses pour aller chercher des avanies qu’on aurait pu nous épargner ? Des humiliations, des avanies, voilà ce que nos ambassadeurs nous ont rapporté, et ces choses-là au moins ne devraient pas se payer. (On rit.)

Je vois figurer au budget un crédit pour des envoyés en Espagne et au Brésil, et jamais ni l’un ni l’autre ne sont partis pour leur destination. Ils sont payés cependant : n’est-ce pas là une dépense incontestablement inutile ?

Après cela, j’en conviens, il est un peu tard pour parler économie alors que les trois quarts des dépenses sont faites. Il ne reste plus qu’à se résigner aux dépenses consommées ; mais nous pouvons du moins économiser sur le trimestre restant et déterminer les dépenses à faire, en subissant celles qui sont faites. Sous ce rapport, j’aurai l’honneur de présenter à la chambre des amendements qui auront pour but d’opérer quelques économies, qui sont possibles. Mais lorsque le même chapitre se représentera dans le budget de 1834, je ferai des propositions formelles pour en diminuer les dépenses. Soit que le statu quo se prolonge, soit que nos affaires se terminent conformément au traité du 15 novembre, je demanderai positivement qu’on en revienne à un système complet plus économique ; il faudra que tous ces grands ministres plénipotentiaires que nous envoyons à grands frais soient remplacés par de simples chargés d’affaires, qui serviront tout aussi bien nos intérêts.

Une considération qu’il ne faut pas perdre de vue, messieurs, c’est qu’en donnant des titres pompeux à de simples particuliers, on les place dans une position équivoque. Avec 40,000 fr., que peut faire un ambassadeur auprès des ambassadeurs étrangers ? Une assez triste figure. (On rit.) Il ne faut plus, messieurs, de ces titres qui sont au-dessus des moyens que nous accordons.

En vous proposant cette substitution, messieurs, je ne fais que vous proposer de sanctionner votre propre opinion. Car vous savez que, lors de l’examen d’un budget dont j’étais rapporteur, toutes les sections et la section centrale avec elles ont exprimé le vœu qu’on en revînt à de simples chargés d’affaires après le budget de 1833.

En attendant, messieurs, je vous proposerai les économies que je crois possibles, malgré l’époque avancée de l’année, et sans nuire au bien du service.

M. Legrelle, rapporteur. - Il me semble que la partie du budget qui a été attaquée par M. Jullien est comprise dans le chapitre II. J’engage donc M. le commissaire du Roi à laisser terminer l’article premier, qui est d’ailleurs très court, avant de répondre au préopinant. La section centrale a, elle-même des observations à faire, et elle attendra la discussion du deuxième chapitre.

M. Jullien. - M. Legrelle ne sait probablement pas ce que M. le commissaire du Roi avait à dire. Si donc M. Legrelle le permet (on rit), nous entendrons l’honorable commissaire du Roi.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Ce que j’ai à dire porte sur un service compris dans le chapitre, et je crois que je ferai mieux de répondre alors.

Discussion du tableau des crédits

Chapitre Ier. Administration centrale

Article premier

M. le président. - Voici l’article premier du chapitre premier.

« Traitement du ministre : fr. 21,000

« Frais de représentation : fr. 10,000

« Frais de logement : fr. 4,000

« Ensemble : fr. 35,000. »

La section centrale propose de n’accorder que 25,000 fr.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Je ne puis me rallier au chiffre de la section centrale ; cependant, messieurs, on pourrait voter séparément l’article premier, et je ferais la réserve de proposer des frais de représentation pour le ministre des affaires étrangères. C’est, en d’autres termes, demander la division.

M. Desmet. - Messieurs, de tous les budgets qui vous sont présentés pour l’exercice courant, certainement celui de M. Goblet est le plus scandaleux ; sur un chiffre de 700,000 fr., il vous demande une augmentation de 125,000 fr. sans aucun motif plausible. On doit donc vraiment dire que nos gouvernants prennent la Belgique pour une vache à lait, qu’il faut traire jusqu’à exténuation pour remplir leurs coffres-forts et grossir les traitements des hommes qui nous administrent sous eux, ou qu’ils la considèrent comme un état de transition dont ils veulent profiter pour exploiter pendant le temps qu’il se trouve à leur merci.

Et M. Goblet commence par sa propre personne ; il ne vous demande pour lui qu’une augmentation de revenu, sur le budget de l’Etat, de 14,000 fr. ; il ne se contente plus de 21,000 fr. pour son traitement de ministre des affaires étrangères, il doit encore avoir 10,000 fr. pour sa table et 4,000 fr. pour son logement. Et déjà il a eu soin de son écurie ; l’Etat lui paie ses fourrages ; si je suis bien informé, il en touche pour cinq chevaux, ce qui ferait, d’après le tarif actuel une somme de 2,200 fr. par an ; il perçoit en outre 364 fr. pour ses domestiques. Je vous le demande, messieurs, peut-on mieux faire ses propres affaires et soigner son ménage ? Mais j’espère bien que nous ne donnerons point dans ce piège, et que nous ne prodiguerons pas ainsi l’argent du peuple pour enrichir M. Goblet ; que nous aurons quelque égard aux fortes contributions dont est surchargée la Belgique, qui doit toujours entretenir une armée si formidable, et que, il est à craindre, nous devons encore conserver longtemps, car quand on prend attention à ce qui se prépare dans ce moment dans les cabinets des absolutistes du Nord, nous ne pouvons encore espérer la paix.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Il importe de savoir si réellement on vous propose une augmentation : le traitement est resté le même ; on vous demande une indemnité pour le logement et pour la représentation.

Je m’occuperai d’abord du logement.

Le ministre est dans l’impossibilité d’habiter l’hôtel :

1° Parce que les appartements ne sont pas meublés ;

2° Parce qu’ils sont occupés par les bureaux des affaires étrangères, de l’ordre Léopold et de la marine.

Il faudrait donc d’abord rebâtir l’ancien local où se trouvaient les bureaux, et meubler l’hôtel.

Le ministre de l’intérieur vous demandera 42,000 fr. pour reconstruire le local des bureaux ; la saison est trop avancée pour que cette reconstruction puisse se faire cette année.

Ainsi le ministre reste dans l’impossibilité d’habiter l’hôtel ; il est juste de lui allouer une indemnité pour frais de logement. En effet, lors de la fixation du traitement des ministres, il a été admis en principe qu’ils seraient logés aux frais de l’Etat dans les hôtels de leurs ministères respectifs. C’est cette considération qui a naguère engagé la chambre à accorder au ministre directeur de la guerre une indemnité de logement de 4,000 fr. Il existe donc un précédent, et ce qui est juste pour le ministre de la guerre doit être juste pour le ministre des affaires étrangères.

Je passe à la représentation.

Le ministre des affaires étrangères se trouve dans une position spéciale. C’est ce qu’on a reconnu dans tous les pays ; c’est ce qu’avait reconnu le gouvernement provisoire.

En France le ministre des affaires étrangères a même un traitement supérieur à celui des autres ministres ; la commission de la chambre des députés, chargée de l’examen les budgets pour l’année 1833, en donne pour motif « les rapports habituels et la situation spéciale de ce ministre qui exige, dit-elle, un état de maison fort dispendieux. »

Le ministre des affaires étrangères est, en effet, obligé d’entretenir des relations en quelque sorte quotidiennes avec les légations accréditées près du gouvernement. De deux choses l’une : il est forcé de refuser les politesses que les envoyés étrangers voudraient lui faire ou bien, s’il les accepte, il est obligé de les rendre. C’est là un principe de réciprocité qui est vrai entre ministres comme entre particuliers.

Il y a plus : la représentation que votre ministre des affaires étrangères pourra faire n’est pas sans influence sur la marche même des affaires. Croire que les attentions qu’on accorde aux agents accrédités près du gouvernement ne sont comptées pour rien par eux ; s imaginer que les relations de société ne facilitent pas le succès des réclamations officielles, c’est se mettre en contradiction avec l’expérience ordinaire de la vie.

Le gouvernement provisoire, du consentement du congrès, avait alloué au président du comité diplomatique, et la régence, au ministre des affaires étrangères, une somme de 5,000 fl. On vous propose de voter la même allocation ; je proposerai de la réduire à 3,000 fr. pour le dernier trimestre de 1833.

Pour terminer, je puis dire, au nom du ministre absent, qu’il est parfaitement sans intérêt dans la question : si vous lui allouez des frais de représentation, vous lui imposerez le devoir de représenter ; si vous la refusez, vous le dispenserez de toute représentation. Vous le laisserez dans la même condition que ses collègues et il pourra, dans ses relations avec les légations étrangères, et aux yeux du public, se prévaloir de la dispense que vous lui aurez accordée.

M. de Robaulx. - Je prends la parole pour engager la chambre à ne pas refuser au ministre la dispense publique, dont parle M. Nothomb. (On rit.) Quand les ambassadeurs tant annoncés viendront, ils sauront au moins qu’ils n’ont pas de dîners à attendre.

Je ne sais comment M. le commissaire du Roi a doré ses paroles, mais il nous a dit en définitive que les dîners avaient une grande influence sur les relations officielles. Eh bien, puisqu’on avait cette recette, pourquoi n’en avoir pas fait usage depuis trois ans ? Il fallait inviter toute la conférence à un bon dîner. (hilarité prolongée) : peut-être alors aurait-elle terminé nos affaires une bonne fois.

Vous remarquerez, messieurs, qu’il n’est pas nécessaire d’accorder des fonds aussi considérables pour frais de représentation à notre ministre des affaires étrangères ; nous n’avons, en effet, que deux ambassadeurs chez nous, et il peut très bien inviter deux personnes à sa table (on rit), et les traiter avec un peu moins de luxe et de solennité.

En terminant, je prie la chambre de ne pas admettre un précédent dont on se prévaudrait plus tard, et d’accorder au ministre la dispense publique de faire des dîners à nos frais. (Appuyé ! appuyé !)

M. Jullien. - Il y a deux articles en discussion : le premier est la demande de 10,000 fr. pour frais de représentation ; le second est la demande de 4,000 fr. pour indemnité de logement. Quant aux frais de représentation, vous le savez, ils ont été rejetés à l’unanimité l’année dernière par toutes les sections ; je vous rappellerai encore qu’il n’y a été donné de frais de représentation en 1831 ni en 1832, et que la diplomatie n’en a été pour cela ni mieux ni plus mal. Sous M. de Muelenaere, il n’y a pas eu de frais de représentation : ce sont des précédents qu’il est bon de suivre. D’ailleurs, il ne s’est pas opéré de changement dans la diplomatie qui nécessite un changement dans le budget.

Vous remarquerez en outre que l’apparente résignation de M. le commissaire du Roi n’est pas tout à fait désintéressée : il demande 3,000 fr. pour un trimestre, c’est donc 12,000 fr. pour toute l’année ; à ce compte-là M. le ministre des affaires étrangères gagnerait une indemnité plus forte.

Il est vrai qu’avant que l’hôtel du ministre des affaires étrangères eût été mis en état de recevoir le chef de ce département, on avait accordé une indemnité de 2,000 fl. ; mais depuis cette époque le ministre s’est installé dans l’hôtel qui a été préparé.

J’ai eu occasion d’aller plusieurs fois au ministère des affaires étrangères, et loin de remarquer qu’il fût mal meublé, j’y ai trouvé plus de luxe que de simplicité. Dans tous les cas, messieurs, ce sera une question de fait que celle de savoir si M. le ministre peut, oui ou non, se loger à l’hôtel.

Dans ce doute et d’après la connaissance particulière que j’ai de l’hôtel, je voterai contre l’allocation.

M. Dubus. - Outre le traitement ordinaire du ministre, il vous est demandé une indemnité de logement et des frais de représentation. Ces deux articles forment un crédit nouveau. Rien n’a été alloué de ce chef au budget de l’année dernière. En 1831 seulement, il a été accordé une indemnité pour frais de logement et de représentation, mais cette dépense a été portée à un budget que nous n’avons pas discuté ; il est vrai qu’elle n’en a pas moins été religieusement dépensée. (On rit.) Quand la question s’est présentée pour le quatrième trimestre, on a reconnu à l’unanimité qu’aucuns frais de représentation ne devaient être alloués.

Alors le souvenir du patriotique congrès était encore vivant, et l’on voulait économiser dans l’intérêt du peuple. En 1832, le ministre qui dirigeait les affaires étrangères n’a rien demandé.

On vous a parlé de l’hôtel du ministère des affaires étrangères, et on vous la représente comme ne pouvant pas loger le ministre. Cependant, messieurs, on a transféré de cet hôtel ailleurs les bureaux du ministre de la justice pour que le ministre des affaires étrangères pût y trouver son logement. Aujourd’hui, l’on prétend que les bureaux du ministère des affaires étrangères, les bureaux de la marine et de l’administration de l’ordre de Léopold, qu’on appelle aussi un ministère, occupent tout le bâtiment.

Mais, messieurs, ces trois ministères, comme les appelle M. le commissaire du Roi, ont un personnel de douze employés, et je demande s’il leur faut un si vaste hôtel pour qu’ils ne laissent ainsi aucune place à M. le ministre. Si en 1831 le ministre n’a pas voulu s’y loger, c’est qu’il ne l’a pas voulu ; il a préféré rester où il était. Si son successeur n’a pas voulu s’y loger, c’est qu’il tenait à faire les honneurs du pays, et dès lors il lui fallait de vastes appartements. Aussi, prenez-y garde, messieurs, si vous accordez des frais de représentation, le logement de l’hôtel ne suffira plus, l’ameublement ne conviendra pas davantage ; ne vous y trompez pas, ce n’est pas de trois mille francs qu’il est question en réalité, mais de frais considérables qui se tiennent, qui sont la conséquence les uns des autres. En résumé, messieurs, si vous votez les frais de représentation, il faudra voter aussi les frais de logement, et telle ne peut pas être votre intention.

M. Legrelle, rapporteur. - La section centrale a pensé que le traitement du ministre ne pouvait faire aucune difficulté. Quant aux 4,000 fr. elle vous les a proposés d’après des renseignements d’où il résultait que, ni le local, ni l’ameublement n’étaient en état de recevoir le ministre. Mais elle espérait bien que pareille charge ne se reproduirait plus l’année prochaine.

Quant aux frais de représentation, il est inutile d’insister sur ce point. Cet article a déjà été rejeté de la manière la plus formelle. Aujourd’hui l’on nous demande 3,000 fr. pour finir l’année ; mais comment aurait-on besoin d’un crédit, pour le dernier trimestre, lorsqu’on a pu s’en passer pour les neuf premiers mois ? Ce serait d’ailleurs établir un principe que nous n’admettrons jamais.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - On a fait observer avec raison que les frais de logement soulèvent une simple question de fait. Il s’agit de savoir s’il y a possibilité ou non, pour le ministre, de se loger dans l’hôtel. Un des préopinants a parlé des visites qu’il avait faites au ministre des affaires étrangères. Eh bien, il a dû trouver deux antichambres et un cabinet. Certes vous ne contesterez pas à un ministre des affaires étrangères la nécessité de deux antichambres et d’un cabinet. Ses relations sont assez nombreuses et assez importantes. L’hôtel est sans meubles de ménage ; il n’y a pas encore longtemps que les bureaux se servaient de meubles appartenant à la liste civile. Si la nécessité de l’allocation faisait le moindre doute, je prierais la chambre d’ordonner une expertise pour constater les faits.

Quant aux frais de représentation, je me suis trompé ; c’est 2,500 fr. seulement que nous demandons. J’ai fait la division mentalement.

M. Dumortier. - Il est étrange qu’on vienne nous dire que l’hôtel ne suffit pas pour loger le ministre, alors que le nombre total des employés des bureaux ne s’élève pas à plus de douze employés, y compris M. le secrétaire-général lui-même. (On rit.) Ainsi tout un immense hôtel ne serait pas trop grand pour douze employés ! Cependant, messieurs, je vous ferai observer que le second n’est occupé par personne. Faites occuper cet étage par les bureaux, et le premier servira pour le logement du ministre.

L’hôtel, nous dit-on, n’est pas suffisamment meublé ; eh bien ! accordons 4,000 fr. pour frais d’ameublement, et nous serons tous d accord.

Vous aurez remarqué que l’on n’a pas encore répondu à ce que nous a dit M. Desmet sur les diverses indemnités que reçoit M. le ministre des affaires étrangères ; il faudrait cependant qu’on s’expliquât ; autrement, il serait bien facile d’élever le traitement d’un ministre à 40 et 50,000 fr. Pour moi, je ne vois pas à quel titre M. le ministre des affaires étrangères recevrait plus d’indemnités que ses collègues.

Les frais de représentation ont déjà été flétris l’année dernière. A cette occasion, vous vous rappelez que l’honorable M. Lebeau disait que ces frais avaient été religieusement mangés, alors que M. de Muelenaere disait qu’il se retirerait plutôt que de les admettre.

En jetant un coup d’œil sur le chapitre II, j’ai remarqué que le traitement de notre envoyé en Prusse avait reçu certaine majoration. Or, messieurs, vous avez entendu dire qu’un ministre se réservait cette ambassade pour lui-même. Tout le monde l’a dit.

M. le président. - Je rappellerai l’honorable membre à la question.

M. Dumortier. - Je ne suis pas sorti de la question ; j’examine la question de savoir s’il est permis d’enfler un traitement au moyen d’indemnités quelconques, et pour finir ce que j’avais commencé, je vous rappellerai que l’envoyé à Berlin n’est que temporaire (murmures au banc des ministres), et qu’il doit être remplacé.

En terminant, messieurs, je demande que les quatre mille francs soient accordés à titre d’ameublement.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Les frais de logement ne sont pas une innovation ; ils ont été alloués au ministre des affaires étrangères et au président du comité diplomatique sous le gouvernement provisoire, et, selon une expression que j’approuve pleinement, sous le patriotique congrès.

Messieurs, il y a eu depuis la révolution trois ministres des affaires étrangères : le premier a reçu des frais de logement ; le second n’était pas logé dans l’hôtel, mais il remplissait d’autres fonctions qui lui assuraient un logement à lui et à sa famille ; il ne pouvait avoir, aux frais de l’Etat, un hôtel à Bruxelles comme ministre, et uns autre hôtel en province comme gouverneur ; il n’a pas voulu de ce double emploi.

Je vais encore simplifier la question : supposez que l’emplacement existe, toujours est-il que l’hôtel n’est pas meublé. Or, pour le meubler, il faudrait au-delà de 20,000 fr., en sorte que ces 4,000 fr. ne seraient d’aucune utilité.

Il ne suffit pas, messieurs, de compter les employés du ministère des affaires étrangères et de la marine, et les employés de l’ordre de Léopold que je n’ai jamais appelé un ministère ; il faut compter les pièces ; or, il y a 6 grandes pièces au premier, et 5 au rez-de-chaussée ; le second est inhabitable.

Je persiste donc dans la demande que nous avons faite.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau), qui avait demandé la parole, y renonce.

- Le chiffre de 25,000 fr. pour traitement du ministre est mis aux voix et adopté.

M. le président. - M. le commissaire du Roi a demandé 2,500 fr. pour frais de représentation.

- Cette demande est mise aux voix ; personne ne se lève pour l’adoption.

M. le président. - M. Dumortier a proposé d’accorder les 4,000 fr de l’article premier à titre de frais d’ameublement.

M. Legrelle, rapporteur. - La section centrale a porté 4.000 fr. au budget, mais elle a pensé que cette dépense ne se renouvellerait pas pour les autres années ; je désire que M. Nothomb s’explique sur ce point.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Si l’hôtel est en état de recevoir l’année prochaine le ministère des affaires étrangères, la dépense ne se reproduira plus. Mais alors la chambre accordera un crédit spécial pour l’ameublement.

M. Dumortier. - Avec les 4,000 fr. que je propose, vous pourrez avoir des bureaux et mettre le premier en état de recevoir le ministre et sa famille.

M. le commissaire du Roi a cherché dans cette discussion à assimiler la position de M. le ministre de la guerre à celle du ministre des affaires étrangères. Mais je ferais remarquer que le ministre de la guerre était d'abord logé dans une partie du palais du Roi que la liste civile a réclamée ; la liste civile était dans son droit, mais nous devions une indemnité au ministre.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Nous vous demandons d’indemniser le ministre de ce qu’il a dû payer pour le logement qu’il occupe. Si vous ne l’indemniser pas, qui donc le fera ?

M. Dumortier. - Celui qui l’a autorisé !

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Et qui donc l’a autorisé si ce n’est vous-mêmes ? En allouant cette indemnité au ministre de la guerre, vous êtes-vous seulement enquis s’il était possible, ou non, qu’il se logeât dans l’hôtel du ministère ? Non sans doute. Pourquoi donc cette instance quand il s’agit d’un de ses collègues ? Eh ! messieurs, c’est lorsque de toutes parts on reconnaît que le traitement des ministres est au-dessous de leur position sociale, qu’il est mesquin, que l’on discute pendant une heure pour savoir si l’on accordera à l’un d’eux une indemnité de logement, dont il a déjà fait les frais pendant les trois quarts de l’année !

- Le chiffre de 4 mille fr. est voté à titre de frais de logement.

Article 2

« Art. 2. Traitements des employés : fr. 39,000. »

La section centrale ne propose aucune réduction.

M. Dubus. - L’année dernière la section centrale a reconnu que la somme allouée excédait les besoins. La preuve c’est que 36 mille fr. seulement ont été dépensés. Comme les besoins ne sont pas augmentés cette année, je pense qu’une somme de 37 mille fr. suffirait.

M. Legrelle, rapporteur. - Les renseignements détaillés, parvenus à la section centrale, l’ont convaincue que le chiffre de 39,000 fr. est nécessaire et que la différence qu’il présente avec la dépense de l’année dernière résulte des traducteurs allemands et anglais dont le département des affaires étrangères est obligé de faire usage, et du travail de l’ordre Léopold.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - J’aurais désiré être dispensé de prendre la parole sur cette allocation. Le chiffre de la section centrale emporte une réduction de 60 fr. Il est vrai que l’année dernière la section centrale avait proposé de réduire le crédit ; mais M. de Muelenaere vous a présenté un rapport étendu qui vous a initiés, tous les détails des bureaux, et après en avoir pris connaissance, vous avez accordé 39,000 fr. Ce chiffre est à peu près épuisé, il y seulement un boni qui résulte d’une vacance de trois mois, qui a eu lieu parce qu’un chef de bureau n’a pu être remplacé qu’après ce temps, et que le ministère a bénéficié un quart du traitement. Quand nous arriverons à l’administration de l’ordre Léopold, je discuterai le mérite de la réserve de l’honorable rapporteur.

M. Dubus. - Je retire ma proposition d’après ce que nous a dit M. Legrelle.

- Le chiffre de 39,000 fr. est adopté.

Article 3

« Art. 3. Matériel : fr. 15,600. »

La section centrale propose 13,000 fr.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Le gouvernement a demandé une somme de 15,600 fr., somme égale à celle qui a été allouée l’année dernière.

La section centrale demande une réduction de 2,600 fr., sur le motif que certaines dépenses du dernier exercice ne devront plus se renouveler cette année.

J’ignore quelles sont les dépenses que la section centrale a spécialement en vue. On m’a assuré qu’elle avait entendu parler des cartes géographiques dont l’achat avait été réclamé l’année dernière. Cette acquisition, en effet, a eu lieu ; mais la collection des cartes est loin d’être complète.

Ce chiffre s’applique à des dépenses qui sont la plupart permanentes, et dont plusieurs ont augmenté avec nos relations politiques. Le ministre des affaires étrangères a presque toute sa correspondance à l’extérieur, et cette correspondance s’est étendue depuis un an. En Hollande, on portait au budget pour ports de lettres et de paquets une somme de 13,000 fl., et chaque année elle était épuisée. Beaucoup d’actes se délivrent d’après une forme plus ou moins coûteuse. Je ne parle pas des frais de chauffage et d’éclairage qui sont également compris dans ce chiffre.

La somme de 15,600 fr., allouée l’année dernière est épuisée à 1,200 fr. près, laquelle somme sera absorbée par quelques comptes non encore liquidés ; et cependant nous avons supprimé plusieurs journaux dont l’utilité eût été incontestable dans un ministère des affaires étrangères, notamment l’Observateur autrichien et le Journal de St.-Pétersbourg.

Plusieurs personnes ont manifesté le désir que le ministère des affaires étrangères eût un recueil complet de toutes les pièces diplomatiques. Ce recueil est en effet indispensable aux débats de la chambre, et nécessaire à tous ceux qui voudront s’occuper de l’histoire de notre révolution. Le ministère s’est occupé de ce travail ; et d’après les renseignements qu’il a pris, aucun libraire ne se charge de l’impression à ses risques et périls.

Il ne trouvera d’imprimeur qu’en s’obligeant d’avance à prendre, aux frais du gouvernement, un certain nombre d’exemplaires, tant pour la chambre que pour le corps diplomatique. Ce sera faire un bon marché que de trouver, à cette condition, un imprimeur qui se contente d’une somme de 1,000 fr à 1,200 fr.

Je proposerai à la chambre de fixer le chiffre à 15,000 ; il y aura de la sorte une réduction de 600 fr.

M. Dubus. - On avait reconnu dans la section centrale, qui fut chargée d’examiner le premier budget de l’année 1833, que les dépenses devaient être diminuées comparativement à celles de 1832, parce qu’il était des dépenses qui, une fois faite, ne devaient plus se représenter.

Par exemple, l’année dernière on avait fait circuler des actes de ratification pour montrer quelles dépenses ils exigeaient, y compris la boîte dans laquelle se trouve le seau de l’Etat. Or, ces dépenses pour les ratifications ne sont plus à faire. Il en est de même pour les livres de diplomatie, les cartes. Un crédit de 15,600 fr., voté l’année dernière, a excédé les besoins. On dit qu’en septembre on ne peut plus évaluer la hauteur des dépenses. On dit aussi que s’il y a excédant, on fera imprimer un ouvrage comprenant les pièces diplomatiques. Mais nos affaires ne seront pas terminées assez tôt pour qu’avant la fin de l’année, on ait tous les actes qui les concernent. Nous nous occuperons de cet ouvrage l’année prochaine. Je voterai pour le chiffre de la section centrale.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - L’honorable préopinant vous a rappelé que l’année dernière on avait entretenu la chambre des frais de ratifications : ces frais se reproduisent souvent. Vous avez adopté une loi d’extradition ; elle exigera des conventions et des ratifications. Nous nous occupons de renouveler les conventions abolitives du droit d’aubaine et de détraction ; il faudra ratifier les conventions qui interviendront. Ces dépenses se reproduiront donc, à moins que la Belgique ne renonce à faire des traités. J’ai parlé du recueil complet des pièces diplomatiques imprimé dans un ordre chronologique et méthodique. Cet ouvrage manque et est nécessaire.

M. Dumortier. - Une seconde édition est inutile.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Pourquoi alors vous plaignez-vous si souvent de ne pas trouver dans ce premier recueil toutes les pièces diplomatiques ? D’ailleurs, le recueil des rapports présente la plus grande confusion.

M. Legrelle, rapporteur. - Je soutiens que le chiffre de 13.000 fr. est suffisant. L’année dernière on a fait des dépenses qui ne se renouvelleront pas. Ainsi vous avez fait les dépenses de premier établissement pour l’ordre Léopold ; vous avez des cartes, et on peut remettre à l’année prochaine la réimpression des pièces diplomatiques. Nous devons faire des économies partout où il est possible d’en faire ; tel est notre mandat.

M. Dumortier. - Je ne me suis pas plaint que le recueil d’actes diplomatiques imprimé ne fût pas complet, et je regarde comme inutile une seconde édition de cet ouvrage. D’ailleurs, on a imprimé un petit volume que l’on a appelé Complément aux documents publiés, et de cette manière nous devons avoir toutes les œuvres diplomatiques. Si vous avez des pièces nouvelles, déposez-les sur les bureaux de la chambre ; pour quelques centaines de francs nous les ferons imprimer.

Le ministre des affaires étrangères n’a que huit employés ; on y joignant ceux de la marine et de l’ordre Léopold, vous aurez en tout 14 employés et 30,000 fr. de frais de bureaux ; cependant le ministre de la justice ne demande que 15,000 fr. avec un nombre bien supérieur d’employés. Comment peut-on demander le double pour les affaires étrangères ? Je sais bien qu’il est toujours facile de répondre, mais il sera facile aussi à la chambre de comprendre l’exagération du chiffre demandé.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Le ministre de la justice a sa correspondance à l’intérieur de la Belgique, et toutes ses lettres, tous ses paquets jouissent de la franchise du port ; le ministre des affaires étrangères a sa correspondance au-dehors, et elle coûte excessivement cher. Dans le gouvernement des Pays-Bas on dépensait 13,000 florins en frais de port de lettres. L’honorable préopinant ne s’est pas rendu compte de cette différence de position.

M. Dumortier. - Mais il y a dans le budget un autre article qui porte : Frais d’estafettes.

- La chambre ferme cette discussion.

Le chiffre de 15,000 fr., présenté par le ministère, est rejeté.

Celui de 13,000, présenté par la section centrale, est adopté.

Chapitre II. Traitements des agents du service extérieur

Article unique du projet du gouvernement ; articles 1 à 11 du projet de la section centrale

M. le président. - Dans le budget du gouvernement ce chapitre ne fait qu’un seul article, dans le projet de la section centrale il fait onze articles. Le ministère se rallie-t-il à cette division ?

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Je demande conformément au projet primitif, que le chiffre total ne fasse qu’un seul article. La chambre votera en détail sauf à ne porter le vote législatif que sur le total, eu égard aux réductions.

M. le président. - La division pour la discussion est de droit.

Article premier (projet de la section centrale)

« Art. 1er du projet ministériel. France : fr. 62,500. »

La section centrale propose 58,000 fr.

M. Dumortier. - Dans le budget des affaires étrangères, ou, comme a dit un de nos collègues, le budget des affaires étranges (on rit), on a pris systématiquement le parti d’augmenter tous les articles, ainsi que l’a fait remarquer M. Pollénus. Le ministère veut avoir à sa disposition de grosses sommes, de gros appointements pour payer ses créatures ; mais le ministère oublie-t-il qu’il faudra établir de grosses contributions pour acheter toutes ces créatures ?

Nous devons nous considérer comme une puissance de troisième ordre, et n’envoyer que des agents diplomatiques de troisième ordre, et non des ambassadeurs ni des ministres plénipotentiaires.

Il n’y a aucune économie dans notre gouvernement.

Il y a deux ans, on n’entendait qu’un cri pour demander, dans le sein de la représentation nationale, un gouvernement à bon marché ; maintenant on semble vouloir un gouvernement dispendieux. Nous ne devons, messieurs, consentir à aucune augmentation qui n’est pas démontrée indispensable.

Pour la légation française, en 1832, il a été accordé un crédit de 50,000 fr. On dit que l’envoyé dépense davantage ; mais c’est à lui à proportionner sa dépense au crédit qu’il reçoit.

J’ai un reproche grave à adresser à la section centrale, c’est d’avoir admis une majoration que toutes les sections avaient repoussée. Quand des majorations sont repoussées unanimement par les sections, la section centrale manque à son devoir en les représentant. On nous a dit en 1832 que le chiffre de 1831 ne suffisait pas ; on nous dit en 1833 que celui de 1832 est insuffisant ; en nous disant de même d’année en année, on ne sait pas où nous nous arrêterons.

Les plus grandes dépenses diplomatiques sont faites, ce sont les dépenses pour les protocoles ; maintenant que la diplomatie ne fait plus rien, je ne vois pas pourquoi elle coûterait plus cher. Je propose 51,000 fr.

M. d’Huart. - Je ne partage pas l’opinion de l’orateur : la section centrale peut admettre ce que toutes les sections ont rejeté ; elle n’est pas une simple machine : ce que la section centrale aurait dû faire, c’est de motiver son opinion et c’est ce qu’elle n’a pas fait. Dans le rapport on parle d’une longue discussion qui aurait eu lieu ; quel en était le sujet ? On ne nous en instruit pas. Si l’on ne m’explique pas autrement, je maintiendrai le chiffre de l’année dernière.

M. Legrelle, rapporteur. - Relativement à cet article il y a eu une grande divergence d’opinion. Deux membres de la section centrale, qui avaient été envoyés à Paris pour nos relations commerciales et qui ont été à même de voir avec quel zèle, quelle activité, M. Lehon s’occupe des intérêts de la Belgique, nous ont fait comprendre qu’une augmentation serait utile. Les renseignements détaillés qu’ils ont donnés à la section, et que les convenances ne me permettent pas de rapporter à la chambre nous ont déterminés à proposer le chiffre 58,000 fr. contre l’avis des sections.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Messieurs, un honorable membre a présenté dans la discussion générale des observations qui se rattachent au service extérieur dans son ensemble ; je me suis réservé d’y répondre. Il s’est demandé avec raison ce que nous sommes dans la politique européenne, ce que nous valons politiquement.

Il est difficile, messieurs, de nier la nécessité et l’influence de la diplomatie en général, à une époque surtout où elle a acquis un si grand développement et une action si prépondérante. Avant le 16ème siècle, il n’existait pas de missions permanentes. Les peuples de l’Europe n’étaient pas coordonnés d’après un système général.

Chaque peuple n’avait guère qu’une existence individuelle. De la fin du 16ème siècle datent les missions permanentes. Les relations de peuple à peuple devinrent quotidiennes, et on commença à comprendre qu’il y a des lois politiques qui doivent régir les peuples dans leur ensemble.

Nier l’utilité de la diplomatie, c’est proposer aux nations de rétrograder jusqu’à l’isolement ; c’est vouloir qu’il n’existe plus d’association de peuples.

Ces considérations ne s’appliquent pas seulement aux grands Etats, je dirai même qu’elles s’appliquent surtout aux Etats de deuxième et de troisième ordre, dont l’existence se lie intimement au système politique. Un grand Etat, appuyé sur des forces considérables de terre et de mer, peut jusqu’à un certain point se suffire à lui-même, et il peut interdire toute influence au-dehors, il peut se conserver sans le secours de la diplomatie. Un Etat secondaire, en se plaçant dans cet isolement, compromettrait sa propre existence.

De tous les Etats de second et de troisième ordre, aucun n’a un plus grand besoin de l’action diplomatique que le nouvel Etat belge. Aucun Etat secondaire n’est d’un plus grand poids dans la balance politique.

Placé au centre de l’Europe, sans flotte, avec des frontières ouvertes sur presque tous les points, le principe de son indépendance doit s’appuyer non seulement sur les forces matérielles de l’intérieur, mais surtout sur les nécessités politiques qui rattachent ses destinées aux destinées de l’Europe.

La Belgique est neutre comme la Suisse ; mais la Suisse est protégée par ses montagnes, et n’a pas la même importance politique. La neutralité ne doit pas être, selon moi, mise au nombre des conditions qui nous ont été imposées ; cette condition, nous l’aurions demandée ; ce sera, je n’en doute pas, une des belles conceptions de l’époque. Cette neutralité ne nous privera pas de tout contact avec l’Europe ; elle nous met au contraire dans l’obligation d’avoir des agents chargés de dénoncer toute hostilité aux puissances garantes.

Telles sont les conséquences de notre situation géographique et politique. Comme pays industriel et commerçant, la Belgique a besoin de faire protéger son pavillon, et, à défaut de flotte, elle doit demander cette protection à la diplomatie.

Ainsi, sous quelque rapport qu’on envisage l’existence du nouvel Etat belge, sous le rapport commercial et maritime comme sous le rapport politique et géographique, l’action de la diplomatie lui est indispensable.

J’ai considéré l’importance de la Belgique, parmi les états secondaires, sous le rapport politique ; je vais la considérer numériquement, eu égard à la population.

La section centrale, répondant au vœu de plusieurs sections, tendant à ce que la Belgique ne soit plus représentée que par des chargés d’affaires, a été d’avis que ce changement peut avoir lieu quand nos traités de commerce auront été conclus. Elle a semblé reconnaître par ce langage cette assertion que les autres Etats du même rang que le notre n’auraient à l’étranger que des chargés d’affaires, er rien n’est moins exact. J’ai recueilli sur ce point des faits positifs.

Parmi les 23 Etats européens dont la population s’étend de 48,000,000 à 900,000 habitants, la Belgique occupe le onzième rang. Elle a au-dessus d’elle la Russie, la France, l’Autriche, l’Angleterre, la Prusse, l’Espagne, la Turquie, les Deux-Siciles, la Sardaigne et la Bavière.

Elle compte après elle les puissances suivantes ;

La Suède, 3,868,000 habitants

Le Portugal, 3,782,000

Les Etats romains, 2,583,000

La Hollande, 2,570,000

La Suisse, 2,058,000

Le Danemark, 2,032,000

Le Hanovre, 1,532,000

Le Wurtemberg, 1,532,000

La Saxe, 1,420,000

La Toscane, 1,300,000

Le grand-duché de Bade, 1,153,000

La Grèce, 900,000.

Veuillez remarquer, messieurs, que dans cette série ne sont pas compris la Hesse électorale, les villes anséatiques, le duché de Saxe-Weimar, etc.

Des dix puissances dont la population est supérieure à celle de la Belgique, une seule ne se fait pas représenter par un ambassadeur, c’est-à-dire par un agent de premier rang : c’est la Bavière ; celle-ci en effet accrédite, par exemple, près la cour de France, un envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire, titre du second degré. La Prusse ne donne aussi que ce dernier titre à son représentant, mais c’est par esprit de système et non par économie, car cet agent déploie le caractère d’ambassadeur, habite un magnifique hôtel acheté à Paris par le gouvernement prussien, et jouit d’un traitement considérable. Cela est si vrai, que le ministre de France à Berlin est classé au budget français parmi les ambassadeurs et reçoit à ce titre une traite de 100,000 francs. D’un autre côté, des treize Etats qui nous sont inférieurs en population, huit ont à Paris des envoyés extraordinaires et ministres plénipotentiaires : ce sont la Suède, le Portugal, les Etats romains (le nonce a même le rang de premier membre du corps diplomatique), la Hollande, le Danemark, le Wurtemberg, la Saxe, la Grèce.

Deux, la Toscane et le grand-duché de Bade, ont des ministres résidents.

Deux, la Suisse et le Hanovre, n’ont que des chargés d’affaires.

Au-dessous de ces treize Etats, on compte la Hesse électorale et les villes anséatiques qui ont aussi des ministres résidents.

Le plus populeux des Etats qui ne sont représentés à Paris que par un chargé d’affaires, est donc le Hanovre (1,532,000). Encore n’est-ce que par le motif que le roi de la Grande-Bretagne, en qui réside la royauté du Hanovre, a pour représentant direct l’ambassadeur britannique.

Il est donc vérifié que toutes les puissances du même rang que la Belgique, et beaucoup dans un rang inférieur, ont pour agents diplomatiques, non des chargés d’affaires, mais des envoyés extraordinaires et ministres plénipotentiaires.

Il en est de même des Etats-Unis d’Amérique, du Mexique, du Brésil, de la Colombie, de la Plata, de l’Amérique centrale, qui ont accrédité des agents de ce même rang.

Il importe enfin, messieurs, de se rendre compte de la différence entre les fonctions de chargé d’affaires et celles de ministre plénipotentiaire.

Le chargé d’affaires n’est accrédité que près du ministre des affaires étrangères. Le ministre plénipotentiaire est accrédité près du souverain même. Il a un véritable caractère représentatif. Partout où il existe de véritables intérêts politiques, et chaque fois qu’il s’agit de conclure un traité, la mission du chargé d’affaires est insuffisante.

La diplomatie belge a trois positions où elle ne pourra jamais, selon moi, se passer de ministre plénipotentiaire. Ces positions sont Berlin, Paris et Londres.

Partout ailleurs, quand ses relations politiques seront établies, lorsqu’il n’y aura pas de traité à conclure, la présence d’un chargé d’affaires ou d’un ministre résident suffira.

En résumé, messieurs, je vous dirai que la Belgique n’est par une puissance du premier ordre ; mais elle a un de plus beaux rôles parmi les Etats secondaires.

M. Dubus. - Je ne suivrai par le préopinant dans les questions qu’il a traitées. Il ne s’agit pas de savoir quelle seront les conséquences futures de la neutralité de la Belgique en raison de sa population, de l’étendue de son territoire et de sa situation géographique.

Il s’agit de savoir si nous pouvons nous passer d’un ambassadeur à l’époque de l’année où nous sommes parvenus ; je reconnais qu’il faut payer les dépenses faites ; cependant j’examinerai la hauteur du chiffre, car voilà toute la question.

On vous a dit qu’il fallait renfermer le chiffre dans les limites posées l’année dernière ; cette question est la seule que M. le commissaire du Roi n’a pas touchée. On vous a fait remarquer la progression ascendante des budgets. Dans les budgets présentés au congrès, et qu’on n’a pas pu voter, on avait propose 26,000 fl., et ce chiffre a paru trop élevé à toutes les sections. Cependant, à cause de la retenue qu’on faisait alors, les 26,000 florins se réduisaient à 18,000 fl.

En 1832, on a demandé 30,000 fl., et la section centrale a proposé 22,000 fl., qui ont été votés, et qu’on a portés à 24,000 fl. dans le vote sur l’ensemble des budgets. On demande aujourd’hui encore une augmentation. Mais ces augmentations ne changeront pas la nature des choses ; nos relations avec le gouvernement français n’en seront pas différentes. Il faut diminuer les gros traitements, loin de les augmenter.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, il n’est pas étonnant que les ministres semblent vous proposer des augmentations, lorsque vous rapprochez les chiffres de leurs budgets des chiffres adoptés dans les budgets antérieurs ; presque toujours les allocations telles qu’elles sont votées, sont en dessous du chiffre demandé par le gouvernement et le gouvernement doit subir la loi des chambres ; mais est-ce à dire pour cela que des nécessités reconnues par l’administration, et qui l’avaient portée à poser des chiffres qu’on a frappés de réduction, ont cessé d’exister pour elle ? Non, messieurs.

Le gouvernement est, par sa position, mieux placé que les chambres pour apprécier la nécessité de telle ou telle allocation ; il est aussi mieux placé que les chambres pour proposer des réformes et si le gouvernement ne s’occupait pas de rechercher les réformes possibles, elles échapperaient souvent aux chambres qui ne peuvent être initiées à tous les détails de l’administration.

La mesure des subsides à demander à une chambre n’est pas dans les votes déjà émis par elle. Le gouvernement, après avoir subi la loi qui lui est imposée, s’il persiste à reconnaître la nécessité d’une allocation, manquerait à ses devoirs s’il ne la demandait pas.

Je ne sais comment on peut se prévaloir de certaines retenues qui ont été faites sous le congrès : il n’y a aucune comparaison à faire entre les époques. Alors chacun devait faire des sacrifices aux circonstances graves et extraordinaires où l’on se trouvait. Le taux des retenues prouve qu’elles ne pouvaient être que temporaires : ne serait-il pas inouï qu’on pût se prévaloir du principe d’une retenue qui allait jusqu’à 40 p. c. de la matière imposable ?

C’est, dit-on, le gouvernement lui-même qui en 1832 a consenti à réduire l’allocation demandée à 24,000 fr : je conçois que le gouvernement sacrifie quelquefois son opinion en présence d’une opposition vive et bruyante. C’est une faiblesse peut-être ; mais elle se conçoit.

Pourquoi augmenter les frais de légation à Paris ? Parce qu’à des nécessités politiques, qui placeront toujours la légation de Paris au premier rang pour nous, vient actuellement se joindre un intérêt commercial de la plus haute importance. Mais quelles relations y a-t-il entre l’augmentation de quelques mille francs, et les stipulations commerciales ? Oh ! si quelques milliers de francs pouvaient faire abaisser le tarif des douanes de nos voisins, allez-vous dire, nous les voterions à l’instant.

Malheureusement les choses ne se font, ni si vite, ni si directement ; on n’arrive souvent au but que par détours et circuits. Ce n’est pas une cause, c’est mille qui agissent. S’il s’agit d’obtenir pour votre pays des avantages commerciaux combattus par des intérêts puissants ou par des préjugés tenaces, vous devez donner à votre agent le moyen d’éclairer ces intérêts, de combattre ces préjugés, de s’adresser à tout ce que le commerce et l’administration compteront de notabilités, d’influences. Cela ne peut avoir lieu qu’en multipliant le contact entre les hommes qui ont besoin de s’entendre, de s’entraider. Il y a des nécessités auxquelles il faut satisfaire, si l’on ne veut rester isolé dans une capitale. Pourquoi le tairais-je ? Un dîner a souvent plus avancé la conclusion d’une affaire que toutes les démarches et tous les factums.

Je dirai à ceux qui ont le sourire sur les lèvres que les relations de société, en rapprochant les hommes, en les disposant à une bienveillance commune, sont un puissant moyen pour eux d’attaquer les préjugés contre lesquels ils ont à lutter, et pour convertir à la défense de nos intérêts ceux-là même qui peut-être s’en montraient d’abord les plus grands adversaires,

Voilà la position dans laquelle est placée en ce moment la légation belge en France. Je regrette que mon collègue le ministre de l’intérieur ne soit pas ici pour attester que sa correspondance avec la légation belge, dans l’intérêt de nos relations commerciales, n’est pas moins active que celle qu’entretient avec cette légation le ministère des affaires étrangères.

Notre ministre à Paris a donc, en ce moment surtout, pour mission d’améliorer avec la France nos relations commerciales, en même temps que celle de défendre nos intérêts politiques. Voulez-vous qu’il puisse s’occuper avec succès de cette double mission ? Mettez-le donc à même de satisfaire à des nécessités inévitables, liées aux usages d’une grande capitale. J’invoquerais volontiers, à cet égard, le témoignage des commissaires qui ont été envoyés en France pour éclairer notre envoyé sur les intérêts matériels de la Belgique ; ils vous diraient si ce ministre manque de dévouement et de capacité. Il a été partout leur cicerone, et l’on sait si cela est nécessaire à Paris. Par lui ils ont été mis sur-le-champ en rapport avec tout ce que le commerce et l’administration comptent là de notabilités influentes. M. le rapporteur de la section centrale pourrait être leur écho devant vous.

M. Desmanet de Biesme. - Je partage l’avis du commissaire du Roi : nous devons avoir des ministres plénipotentiaires à Paris, Londres et Berlin. Mais je voudrais savoir quels sont les appointements des agents diplomatiques de la Suède. Car ceci nous servirait de base. Je rends justice à notre ministre qui est à Paris ; je sais qu'il se donne beaucoup de peine pour soutenir nos intérêts.

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Notre envoyé à Paris est agent commercial et agent politique. C’est ce que le ministre de la justice a parfaitement établi ; mais, comme agent politique, il a même un caractère particulier qu’il m’importe de vous faire remarquer.

La légation de Paris est presque une légation centrale. Nous n’avons et nous n’aurons jamais d’agents près de beaucoup de puissances allemandes et près de puissances lointaines. Pour toutes les affaires que nous avons à régler avec ces puissances, nous nous adressons à notre agent à Paris ; nous le considérons de fait comme accrédité près des agents qui représentent ces puissances à Paris. En ce moment, par exemple, M. Lehon est chargé de renouveler, avec plusieurs puissances, les conventions abolitives du droit d’aubaine et du droit de rétraction. En Danemarck, un Belge s’est vu dans le cas de voir prélever le droit de détraction sur une succession qui lui était échue ; le gouvernement danois a bien voulu lui accorder un sursis, pour nous laisser le temps de renouveler la convention faite avec le royaume des Pays-Bas, convention qui est sans effet quant au nouveau royaume de Belgique.

Ne voulant pas à cet effet envoyer un agent à Copenhague, nous avons chargé notre ministre à Paris d’entrer en négociation avec l’envoyé danois de cette résidence.

Ainsi, messieurs, il faut considérer la légation de Paris non seulement comme une légation politique et commerciale, mais encore comme une légation centrale.

Un honorable préopinant a désiré connaître les traitements alloués aux agents des puissances égales à la Belgique. Les envoyés extraordinaires ministres plénipotentiaires de ces puissances ont des traitements qui ne sont pas inférieurs à 60,000 fr.

Un ministre plénipotentiaire des Etats-Unis n’a, il est vrai, que 8,000 dollars. Le dollar fait plus de 5 francs ; mais cet agent reçoit en outre une année de traitement pour frais de voyage et de premier établissement. Aux Etats-Unis on a senti depuis longtemps la nécessité d’augmenter le traitement des agents diplomatiques, et l’année dernière on a élevé des réclamations à ce sujet ; en attendant, voici l’expédient dont on use souvent : il est rare qu’un ministre américain reste plus de trois ans dans la même résidence, et de la sorte il touche sur trois ans quatre fois le traitement.

Plusieurs préopinants ont supposé qu’en votant le chiffre pour la légation de Paris, on accordait l’allocation à une seule personne ; c’est une erreur. Le chiffre que l’on vous propose laissera au chef de la légation la somme de 50,000 fr., car il faudra prélever sur le chiffre de 62,000 fr. le traitement du secrétaire, le traitement d’un attaché à la légation, et le traitement d’un commis que le ministre est obligé d’adjoindre à ses bureaux, surtout depuis qu’il est occupé de nos affaires commerciales.

M. A. Rodenbach. - On nous demande pour le ministre plénipotentiaire à Paris 62,500 fr. ; c’est une augmentation de 11,700 fr. Je désire que M. le commissaire du gouvernement se rallie à la proposition de la section centrale qui propose le chiffre 58,000 fr., ce qui porte encore l’augmentation à un louis par jour ; par les considérations que l’on fait valoir relativement aux intérêts commerciaux que notre agent est chargé de soutenir, et sur le rapport de ceux de nos collègues qui ont été à Paris, et qui rendent témoignage de l’activité que met M. Lehon à défendre ces intérêts, je voterai la somme de 58,000 fr., parce que notre pays est essentiellement industriel et commercial.

M. Dumortier. - Les Etats-Unis, qui sont bien plus importants que la Belgique…

M. Nothomb, commissaire du Roi. - Non pas politiquement pour l’Europe.

M. Dumortier. - Les Etats-Unis ne donnent que 45,000 fr. à leur agent ou 8,000 dollars ; eh bien, quand je compare ce chiffre à celui du ministre belge, je vois 18,500 fr. en plus. Mais, dit-on, notre envoyé n’est pas seulement un envoyé politique, c’est un envoyé commercial ; c’est là un paralogisme, une subtilité : est-ce que notre envoyé n’est pas notre agent relativement à tous nos intérêts ? Est-ce qu’il est double ? Est-ce qu’il dîne deux fois ?

Si vous n’aviez pas des intérêts à traiter à Paris, vous ne paierez pas fort cher pour envoyer faire des révérences dans les talons de Louis-Philippe. D’ailleurs il est si peu exact qu’il remplace un agent commercial, qu’on a été obligé d’envoyer plusieurs de nos collègues pour donner des renseignements et soutenir nos intérêts sur les toiles, sur la houille, sur les fers, et sur d’autres produits.

Je ne reconnais pas l’influence des dîners : avec vos dîners avez-vous obtenu un sou de diminution sur vos toiles, sur votre bétail, sur vos houilles, sur vos draps, sur vos fers ? Non ; ainsi ne parlez plus de l’influence des dîners.

On a cité les Etats-Unis : aux Etats-Unis la dette est anéantie. Là on a pu augmenter les traitements des fonctionnaires. Malgré cette augmentation, l’ambassadeur des Etats-Unis à Paris ne reçoit que 45,000 fr., parce qu’on sait que le luxe diplomatique ne produit rien.

L’Angleterre a envoyé pendant plusieurs années un homme très savant en France ; et cependant elle n’en a rien obtenu. Pourquoi ? Parce que les ministres français connaissent les intérêts de leur pays.

Je crois que nous en avons assez dit sur cet objet, et je demande que la discussion soit close, et qu’on n’ait pas égard à l’influence des dîners. (On rit.)

- La clôture est prononcée.

Le chiffre 62,500 fr., proposé par le gouvernement, est sur le point d’être mis aux voix par assis et levé.

Plusieurs membres requièrent l’appel nominal, et l’appel nominal a lieu.

Sur 67 votants, 54 ont voté le rejet de ce chiffre et 13 en ont voté l’adoption.

Le chiffre de la section centrale, ou 58,000 fr., soumis également au vote par appel nominal, a été adopté.

Sur 64 votants, 57 ont voté l’adoption et 9 le rejet.

(L’appel nominal ayant été fait d’une manière très rapide, nous craindrions de commettre des erreurs en hasardant une liste des votants pour et contre les chiffres qui ont été mis en délibération.)

La séance est levée à quatre heures et demie.