(Moniteur belge n°247, du 4 septembre 1833)
(Présidence de M. Raikem)
A midi et demi on procède à l’appel nominal. 40 membres seulement sont présents.
A 1 heure moins un quart la chambre se trouvant en nombre, la séance est ouverte.
M. H. Dellafaille, l’un des secrétaires, donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. le président. - La parole est à M. Desmaisières, rapporteur de la commission chargée d’examiner la demande de crédits faite par le ministre de la guerre.
M. Desmaisières. - Ce rapport est assez long ; si la chambre le veut, je le déposerai sans le lire sur le bureau (Oui ! oui !)
M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué. A quand veut-on fixer la discussion de cet objet ?
- Plusieurs voix. - Après le budget.
M. Desmaisières. - Je demande que ce soit après le budget de l’intérieur.
M. Brabant. - J’appuie la proposition de fixer cette discussion après celle du budget de l’intérieur, car il est fort à craindre que la chambre ne se sépare immédiatement après la délibération des budgets, et vous savez, messieurs, que dans les transferts de crédits dont il s’agit sont comprises des créances de communes ou de particuliers qui ont fait des prestations à l’armée française. Ces communes et ces particuliers ont déjà attendu trop longtemps. (Appuyé.)
- La chambre décide que la discussion du projet de loi aura lieu après celle du budget du département de l’intérieur.
M. le président. - La parole est à M. Meeus.
M. Meeus. - Dans votre séance du 31 août, à laquelle je regrette qu’une légère indisposition m’ait empêché d’assister, M. le rapporteur de votre section centrale, et après lui M. Legrelle, ont tenu sur le compte de la banque des discours tellement étranges, si j’en crois le Moniteur, que j’aime encore à douter que ce journal officiel ait rendu exactement leurs paroles.
D’après le Moniteur, le rapporteur de la section centrale aurait dit :
« Toutefois nous avons appris qu’un grand nombre de coupons ont été payés à Bruxelles et à Anvers, et que, nonobstant ce fait, on réclame pour le change la même somme que si l’intégralité des coupons avait été payée à Londres. Pour satisfaire à cette réclamation, il est en effet nécessaire d’augmenter le chiffre de 100,000 fr. porté à l’article 3 du chapitre premier, ainsi que le demande M. le ministre des finances.
« Que la maison Rothschild fasse ses affaires comme elle le voudra ; qu’elle s’occupe de ses intérêts, rien de mieux ; mais que la banque de Bruxelles, caissier de l’Etat, après avoir remboursé les bons en cette qualité, les envoie à Londres afin de profiter du change et de faire un bénéfice de 2 p. c. sur le trésor du pays, c’est ce que l’on ne peut assez blâmer et nous devons signaler ce fait, pour que la nation sache comment la banque agit envers l’Etat auquel elle prétend rendre les plus grands services, elle qui se donne comme une Providence.
« L’administration étant dans l’impossibilité d’empêcher cet abus, nous avons devoir le publier à la tribune nationale, pour que les porteurs de coupons profitent eux-mêmes des bénéfices du change qui, avons-nous dit, produisent, terme moyen, 2 p. c. »
Messieurs, si la banque a été chargée par le ministre des finances de payer les coupons des emprunts Rothschild frères et d’en tenir compte à l’Etat, et qu’au lieu de suivre à cet égard ses intentions, elle a payé et négocié pour son compte ces mêmes coupons, la banque, messieurs, a trahi ses devoirs, elle a manqué aux lois de la probité. Telle est cependant l’accusation qu’on a osé lancer imprudemment de cette tribune contre un établissement de crédit public, établissement qui avait tout au moins le droit d’attendre de vous, messieurs, que vous ne le jugiez point légèrement et que vous n’ajoutiez pas foi à une accusation vague et sans preuves aucunes.
Quant à celui qui a l’honneur de vous parler en ce moment, s’il avait sciemment toléré l’abus qu’on vous a signalé, il serait indigne, je le déclare, d’être à la tête de l’administration de la banque du royaume, et indigne de siéger parmi vous. Un honnête homme, messieurs, ne peut vouloir pour les autres un lucre qu’il regarde comme déshonorant pour lui-même.
Mais a-t-on vraiment bien réfléchi à la hauteur de l’accusation ? A-t-on bien calculé toute sa portée ? a-t-on compris que l’on inculpait ainsi avec moi tous les directeurs de la banque ? Et les noms honorables dont se compose cette administration, n’ont pas fait élever une voix dans cette enceinte pour demander les preuves de ce qu’on avançait.
Si la banque, sans instructions du ministre, avait payé des coupons de l’emprunt et les avait négociés, à la rigueur qu’y aurait-il à lui reprocher ? Rien ; car, n’ayant point mission de payer pour autrui, elle pourrait répondre qu’elle n’a pu payer que pour elle-même et à ses propres risques. Eh bien, messieurs, c’est parce que la banque n’agit pas à la rigueur ni d’une manière jésuitique, c’est parce qu’elle s’explique franchement et loyalement ses devoirs, que je ne crains pas de déclarer que dans mon opinion elle aurait encore, dans le cas présent, sinon manqué à la probité, au moins à la délicatesse.
Je fais donc une large part aux accusateurs de la banque, puisque je ne crains pas d’avance que, soit qu’elle ait reçu les instructions du ministre, soit qu’elle n’en ait pas reçu, elle n'a pu disposer des coupons qu’on a touchés à sa caisse.
Un grand nombre de coupons ont été payés ici et à Anvers, a dit M. le rapporteur. Messieurs, ce premier fait est inexact : très peu de coupons ont été payés ici ; vous en aurez tout à l’heure la preuve.
Mais, continue M. le rapporteur, que la banque, caissier de l’Etat, après avoir remboursé le coupon en cette qualité, les envoie à Londres afin de profiter du change de 2 p. c. sur le trésor, c’est ce que l’on ne peut assez blâmer, et nous devons signaler ce fait pour que la nation sache comment la banque agit envers l’Etat.
Ce qui est à blâmer, messieurs, et ce que la nation apprendra avec étonnement, c’est qu’on a été assez hardi de surprendre la religion de M. le rapporteur, et que celui-ci, et M. Legrelle après lui, se sont, involontairement sans doute et par pure légèreté, rendus les publications de la calomnie que des ennemis de la banque voulaient déverser sur elle. Je dis des ennemis de la banque ; car la banque, vous n’en doutez pas, je pense, messieurs, en a plus d’un : les grands établissements offusquent les petits hommes. Mais enfin, M. le rapporteur, organe de la section centrale, et. M. Legrelle, renommé pour sa circonspection et sa retenue, auront sans doute demandé aux détracteurs de la banque une preuve du fait avancé. Eh bien ! je les adjure de la donner. Mais non, je porte le défi d’en donner la moindre.
Je veux vous lire l’article du contrat passé entre M. Rothschild et le gouvernement, et qui est relatif au paiement des intérêts. Le voici.
(L’orateur donne lecture de cet article.)
Messieurs, résulte-t-il de cet article que la banque paie en sa qualité de banque ou doit payer comme caissier de l’Etat. Je laisse la question à décider ; mais toujours est-il vrai que jusqu’à ce jour la banque n’a reçu aucune instruction du ministre, et qu’en conséquence j’ignore encore comment le ministre entend cet article. En l’absence d’instructions, voici, messieurs, les faits qui se sont passés à la banque relativement au paiement des coupons :
Aux échéances de mai et novembre 1832, on présenta à la trésorerie 826 coupons, qui furent payés à fr. 25-20.
En mai 1833 on en présenta 640, qui furent également payés à fr. 25-20.
De plus, un paquet de coupons réunis fut remis par le ministre des finances lui-même, et pour lequel le compte de l’Etat fut crédité de 27,745 fr. 20 c., au cours de 25-20 par livre sterling.
Lors de la présentation des premiers coupons, M. le trésorier de la banque me demanda (vous voyez que j’entre dans les plus petits détails) comment le poste de paiement de ces coupons devait être passé à la trésorerie ; après avoir vérifié que nous étions sans instructions du ministre des finances, il fut convenu que jusqu’à révocation on en passerait écriture comme dépôt ; depuis lors on a agi de même à chaque paiement, et je suis en attendant les instructions du ministre. Si la somme qui est due à la banque pour ces coupons avait été de quelque importance, M. le trésorier aurait éveillé l’attention de la direction sur ce point, et je n’eusse pas manqué alors de provoquer une explication du ministre ; mais, comme vous le voyez, messieurs, la somme qui est due à la banque de ce chef est encore minime, et par conséquent M. Dumortier a été induit en erreur en annonçant que beaucoup de coupons avaient été payés ici et à Anvers.
Les coupons payés à Bruxelles sont donc ici, messieurs, à votre inspection et resteront déposés à la trésorerie de la banque ; les numéros de ces coupons peuvent être publiés afin que chacun puisse vérifier si les coupons qu’il a reçu à la banque y sont encore et afin que la nation entière sache que la religion de la section centrale a été surprise et que la banque a été calomniée avec une légèreté sans exemple.
Quant aux coupons que la banque possède à raison des obligations qu’elle a dans son portefeuille et par conséquent aux mêmes titres que tout particulier, personne ne prétendra, je pense, qu’elle doive les recevoir à fr. 25-20, quand elle peut les négocier à fr. 25-60 ou même fr. 25-80. Qu’il soit fâcheux pour le trésor belge que les coupons d’intérêt soient payables à Londres, c’est ce dont tout le monde convient ; mais telle est la loi du contrat, et cette loi est pour tous les porteurs d’obligations. Si la banque n’en profitait pas comme tout autre particulier, elle léserait les intérêts de ses actionnaires, et c’est là ce que personne ne soutiendra sans doute qu’elle puisse faire.
Avant de passer à ce qu’a dit l’honorable M. Legrelle, je me permettrai de faire observer à M. le rapporteur qu’il se serait épargné le désagrément d’être involontairement le publicateur d’une calomnie, d’abord en ne croyant pas légèrement que la banque soit capable de se déshonorer, et ensuite en s’adressant et en demandant des renseignements à M. le ministre des finances ; car ce ministre, ayant encaissé lui-même à la banque des coupons pour une somme de 27,245 fr 20 c., ne peut ignorer que des coupons ont été payés à Bruxelles, et le ministre, sans aucun doute, ne fait pas l’injure à la banque de la croire ni assez déloyale ni assez stupide pour négocier à fr. 25-60 ou 25-80 les coupons qu’il a reçus lui-même chez elle au cours de fr. 25-20.
Le ministre, dis-je, aurait éclairé la religion de l’honorable rapporteur. Supposer le contraire de la part du ministère des finances, ce serait supposer que le ministère des finances aurait voulu tendre un piège à la banque, en y faisant encaisser des coupons. Or, voilà qui est impossible. Le ministère des finances croyait trop les convenances pour agir aussi légèrement : il est trop loyal pour croire facilement à la déloyauté chez autrui ; trop éclairé, messieurs, pour penser que la banque puisse donner dans un piège aussi grossier. Dans tous les cas, M. le ministre aurait demandé des explications à la banque, c’est le moins que vous puissiez supposer de la part du ministère des finances, où la banque n’a et ne voit que des amis.
J’ajouterai encore que si, comme j’aime à le croire, M. Dumortier a pour moi une minime partie de l’estime que je lui porte, il me devait de me demander une explication sur le fait avancé avant de porter une accusation aussi grave contre un établissement à l’administration duquel il sait que je ne suis pas étranger.
Il y a dans tout ce qui s’est passé ici samedi, vous le voyez messieurs, beaucoup de légèreté et d’inconséquence, pour ne pas dire davantage, de la part de l’honorable M. Dumortier ; mais ailleurs, et hors de la chambre, il y a un calomniateur qui a surpris la religion de M. le rapporteur.
J’en viens maintenant à ce qu’a dit l’honorable M. Legrelle. Voici ce que je trouve dans le Moniteur :
« D’après l’exposé de M. le rapporteur de la section centrale, vous devez sans doute vous féliciter d’avoir adopté la proposition que j’ai eu l’honneur de vous faire hier, malgré l’opposition de certains membres et leur empressement de vous faire admettre une augmentation de crédit demandée par le ministre des finances. »
Je demande que l’honorable M. Legrelle veuille bien m’expliquer cette phrase, car je suis un des membres qui ont le plus appuyé la demande du ministre. M. Legrelle a-t-il voulu insinuer que je profitais de mon mandat de député pour jouer le rôle de trafiquant des deniers du pays au profit de la banque ? Je désire connaître le sens de cette phrase singulièrement équivoque.
Messieurs, si j’ai insisté pour que la proposition du ministre des finances fût adoptée sans renvoi à la section centrale, c’est parce que j’ai l’habitude de porter quelque logique dans mon vote. Je devais m’abstenir de renvoyer à l’examen de la section centrale une demande de majoration qui avait été, du reste, suffisamment développée par le ministre, alors que, pour les bons du trésor, cette section centrale accordait 1 million là où plus de 150,000 fr. ne seront pas dépensés cette année.
Puisque j’ai parlé du rapport de la section centrale, je vais faire voir, je ne dirai pas avec combien peu de bienveillance, mais avec quelle pensée on cherche à éclairer la chambre relativement à la banque. Il est dit dans ce rapport qu’il est resté à la banque 8,400,000 fr. sur les bons du trésor, et qu’il lui était alloué une commission de recettes et de dépenses. Eh bien ! messieurs, je n’avais pas voulu vous entretenir de ce point, parce que je regardais comme au-dessus de la banque d’aller récriminer sur ce fait. Mais voici ce fait dans toute son exactitude.
Lors de l’émission des bons du trésor, à laquelle, je le déclare, j’ai pris grande part dans des vues de patriotisme, je crus qu’il était intéressant que ces bons fussent payables à Paris. Je regardais le succès de toute notre dette flottante comme dépendant de cette condition, et l’événement a prouvé si j’avais raison. Je fus moi-même à Paris ; j’engageai la maison Rothschild à prendre de ces bons. Cette maison en prit pour six millions de francs, à la condition qu’elle jouirait de tous les avantages résultant de la loi. Quant à la banque elle émit le neuf millions qui lui restaient, et si tous les bons ne furent pas pris, c’est qu’il ne s’est pas trouvé suffisamment de souscripteurs pour certaines époques. Quant à la commission de recette et de paiement, elle l’abandonna toute entière à M. Rothschild.
Ainsi donc, messieurs, elle s’est privée même du bénéfice qui lui était alloué en sa qualité de caissier de l’Etat. Eh bien, je le demande à M. le rapporteur, est-ce ainsi qu’on lui a présenté ce fait ? Il était cependant à la connaissance du ministre des finances.
Je me permettrai de vous faire observer, messieurs, que si je ne réponds pas à certain argument de M. Legrelle, répété par M. Verdussen, argument consistant à dire qu’il n’y a pas de contrôle sur la banque, c’est parce que je crois inutile d’aborder la question en ce moment, et que probablement elle se représentera à propos du budget des finances. Alors je prendrai la parole pour démontrer qu’on est dans l’erreur à cet égard.
Je me résume :
En définitive, messieurs, par les faits que j’ai eu l’honneur de vous poser, et dont la vérification est en votre pouvoir, les calomniateurs qui ont surpris la religion de M. le rapporteur sont réduits à ne pouvoir donner la preuve du fait qu’ils ont avancé, savoir « que la banque (ce sont les expressions de M. Dumortier) aurait négocié des coupons payés par elle en sa qualité de caissier de l’Etat ; » mais ils reçoivent de plus le plus sévère châtiment du calomniateur, la preuve de leur calomnie.
M. Dumortier, rapporteur. - Je demande la parole.
M. le président. - M. Legrelle est inscrit le premier, vous l’aurez ensuite.
M. Dumortier, rapporteur. - Je n’ai que quelques observations à faire.
M. Legrelle. - J’ai très peu de chose à dire aussi. A entendre l’honorable préopinant, il semble que, d’accord avec le rapporteur de la section centrale, j’aurais lancé une accusation contre la banque. Il a prononcé les mots de déshonneur, d’imprudence, de légèreté, et il a parlé de calomniateurs qui seraient hors de cette enceinte. Messieurs, je vous laisse à apprécier la teneur de tous ces termes dans cette circonstance ; je les attribue à l’indignation qu’il a ressentie comme directeur de la banque.
Mais l’allégation de l’honorable M. Meeus est-elle fondée ? Je craignais que dans le cours de l’improvisation il ne me fût échappé quelques expressions peu convenables ; mais je viens de relire mon discours et n’y vois aucun terme qui soit de nature à me faire prêter de mauvaises intentions. Puisque l’honorable membre a basé son accusation sur ce discours, tel qu’il est rapporté dans le Moniteur, je vais en donner lecture.
- Quelques voix. - Cela est inutile, nous le connaissons.
- D’autres voix. - Lisez ! lisez !
M. Legrelle. - Messieurs, je n’ai entendu faire allusion à aucun membre en particulier, j’ai parlé, et sans aucune intention, de la partie de la chambre qui a voté dans le sens de M. Meeus. J’ai dit que l’assemblée devait toujours être prudente quand il s’agissait de majorations et que ce qui s’était passé la veille prouvait la vérité de mon assertion. J’ai ajouté que nous ne devions payer la perte du change que pour les coupons pris à Londres, parce que à Paris cette perte était insignifiante et qu’à Bruxelles et à Anvers il n’y en avait pas, et que j’étais étonné que M. le ministre nous eût demandé une majoration comme si tous les coupons avaient été payés à Londres. Or, de deux choses l’une : ou M. Rothschild n’exécutait pas son contrat, ou la banque avait agi contre l’intérêt de l’Etat. C’est dans ce sens que je me suis exprimé, et il n’y avait là rien d’injurieux pour personne.
Il est vrai que j’ai ajouté que la banque n’était pas susceptible de contrôle. Cela est encore un fait. M. Meeus avance qu’il n’est pas exact et qu’il le démontrera en temps et lieu. Mais il me semble qu’il devrait être vérifié dès à présent. Du reste, il m’a été pénible d’être obligé de faire cette observation. M. Meeus sait mieux que personne que si je n’avais consulté que mes propres intérêts, je me serais abstenu dans la vue de maintenir la maison que j’ai dirigée en bonne harmonie avec la banque. Mais tant qu’il s’agira de l’intérêt public, j’y subordonnerai toujours le mien ; je l’ai déjà prouvé plusieurs fois, et j’espère encore avoir des occasions dans ma vie d’en donner de nouvelles preuves. J’ai avancé que le gouvernement ne pouvait exercer aucun contrôle sur la banque, et que, sans action de sa part sur cette institution, la responsabilité ministérielle n’existait pas. Un seul fait va le démontrer.
Lors du rapport qui nous a été fait par M. Angillis, il vous a été révélé que la banque, après avoir envoyé à la monnaie, avant la révolution, une partie de monnaies billonnées de la valeur nominale d’environ 300,000 florins, avait reçu par contre, après la révolution, et durant les mois d’octobre et de novembre, une somme de 281,000 fl. Or, messieurs, que devait faire la banque en sa qualité de caissier général de la Belgique ? Considérer cette somme comme appartenant à la Belgique et la faire valoir dans l’intérêt du pays. Eh bien ! pas du tout : elle a toujours soutenu, et elle soutient encore que ces fonds appartiennent à la Hollande, et elle appuie son système sur ce que les monnaies dont ils étaient l’équivalent étaient des pièces de zesthalve et autres frappées dans les provinces septentrionales. Mais est-ce que ces monnaies n’appartiennent pas au trésor général comme toutes les autres pièces ?
L’honorable M. Coghen, alors ministre des finances, a prétendu avec raison que cette somme appartenait au trésor belge pour une large part, par droit de conquête, avec d’autant plus de raison que la Belgique étant entrée dans les 12 millions, somme à laquelle avait été évaluée la perte sur la refonte des anciennes monnaies, quoique la perte réelle n’ait été que de 4,998,581 fl. 93 c., a un double droit à la somme que le caissier général conteste à notre trésor ; 1° parce que, lors de la remise à la banque de la somme de 281,300 fl. en monnaies nouvelles, le solde du caissier avec l’ancien gouvernement étant arrêté de fait, toutes les recettes opérées par le caissier depuis le 1er octobre sont au profit du trésor belge ; 2° la Belgique qui, pendant sa réunion avec la Hollande, a payé 6,000,000 fr. pour sa part dans une dépense qui ne s’est élevée en total qu’à 4,998,581 fl. 93 c., est en droit de s’emparer de toutes les vieilles monnaies des provinces septentrionales appartenant à l’ancien gouvernement, et qui se trouvaient, soit à la monnaie, soit dans les caisses publiques.
Après cela, je demande quelle est l’action du gouvernement sur la banque de Bruxelles. Tandis que nous allons diminuer quelques cents florins sur le traitement de malheureux huissiers du ministère de la justice par motif d’économie, il y a une somme de 281,000 fl. qui a été versée à la banque, qu’elle veut nous faire perdre, et même qu’elle veut faire tourner contre nous en la donnant à notre ennemi ; si, au lieu d’être le caissier général de la Belgique, elle avait été le caissier général de la Hollande, elle n’aurait pas agi autrement.
Et, c’est après cela qu’on vient nous faire un reproche d’avoir dit qu’il n’y a pas de contrôle sur la banque ! Je laisse le reproche qu’on m’adresse à l’appréciation de la chambre ; le fait que j’ai signalé produira plus d’impression sur elle que tout ce que je pourrais ajouter.
De tout cela que faut-il conclure ? Qu’il est indispensable que le ministère ait un contrôle actif et journalier, une action puissante sur la banque. La où est la fortune publique, la où se trouve le dépôt des deniers du pays, là le contrôle doit être établi ; cela est d’autant plus nécessaire que la banque se regarde comme un établissement indépendant de l’Etat et hors de l’Etat, qu’elle agit souvent contre la volonté de l’Etat et que, j’ose le dire d’après le fait que j’ai cité, elle n’a pas toujours agi conformément à l’intérêt de l’Etat.
M. Dumortier. - Lorsque l’honorable M. Meeus, qui, à ce qu’il paraît, ne parle point à cette occasion comme député, mais comme directeur de la banque, est venu taxer le rapport de la section centrale de légèreté, d’inconséquence et de calomnie, je vous déclare, messieurs, que ses expressions m’ont fort peu touché ; mas lorsqu’il a dit que, si j’avais pour lui une partie de l’estime qu’il me faisait l’honneur de me porter, j’aurais dû lui demander une explication sur le fait dont il s’agit, cela je l’avoue, a produit sur moi une vive impression ; et certainement, s’il eût été question d’un fait qui se rapporte à l’honorable membre, la grande estime que je professe pour son caractère m’aurait fait un devoir de le lui communiquer.
Mais c’est d’un objet tout différent qu’il s’agit ; c’est d’un objet qui rentre bien dans les attributions de l’honorable membre comme directeur de la banque, mais qui ne se rapporte pas qu’à lui seul, qui est relatif à une association particulière, dans laquelle on prétend que le gouvernement ne peut s’immiscer. Et d’ailleurs, je n’ai pas parlé en mon nom propre ; j’ai parlé au nom de la section, et je me suis conformé, en faisant mon rapport, à sa volonté. J’ajouterai qu’il est une autre considération qui apaisera sans doute à cet égard M. Meeus, c’est qu’il y a fort peu de temps, à une demande de renseignements sur la banque que je lui adressais, il a répondu par un refus.
Maintenant que j’ai répondu à ce qui m’était personnel dans le discours de l’honorable membre, je vais tâcher de rencontrer toute son argumentation.
La banque, dit-il, n’a pas été chargée par le ministre des finances du paiement des coupons ; elle a payé en sa qualité de banque et non comme caissier de l’Etat. Messieurs, je n’admets pas cette distinction subtile.
La banque est caissier de l’Etat, et si elle retire un bénéfice de ses recettes, elle ne doit se permettre aucun acte qui touche aux deniers de l’Etat ; et l’on ne niera pas que les fonds de l’emprunt Rothschild ne fassent partie des deniers de l’Etat.
Si la section centrale, a-t-on ajouté, avait consulté le ministre des finances, si elle avait procédé avec moins de précipitation et de légèreté, elle n’eût pas présente à la chambre un semblable rapport. Messieurs, je dois le déclarer, aucune des décisions de votre section centrale n’a été prise qu’après avoir entendu M. le ministre des finances et M. le commissaire du Roi, et en leur présence. C’est après cela que nous vous avons signalé le fait dont il s’agit. Et ne croyez pas, messieurs, qu’à mes yeux l’honorable M. Meeus ait détruit ce fait. Ses assertions n’en diminuent en rien pour moi la gravité. Je vais le prouver si vous voulez bien m’accorder un moment votre attention.
Au 1er mai 1832, a dit M. Meeus, il a été payé à la trésorerie 826 coupons, et en mai 1833, il en a été payé 640. J’ai entre les mains, dit-il, un paquet de coupons, paquet qui a été remis par le ministre et qui représente les sommes versées par la banque. S’il tient en mains tous les coupons payés, soit à Bruxelles, soit à Anvers alors je conviens que la section centrale aurait été induite en erreur. Mais il n’en est pas ainsi à mes yeux jusqu’à présent, et je me fonde sur ce qu’a dit M. Meeus lui-même, que ce paquet était tel qu’il avait été remis par le ministre des finances.
M. Meeus et M. de Brouckere. - Non pas, ce sont tous les coupons.
M. Dumortier. - Vous avez dit, et j’en atteste mes honorables collègues, que le paquet était intact et tel que le ministre l’avait déposé.
Eh bien j’admets que ce paquet soit intact, il n’en reste pas moins démontré pour moi que la banque a fait trafic des deniers de l’Etat.
Je vous prie, messieurs, de faire attention à un fait, c’est que la caisse des cautionnements a employé ses capitaux à acheter des bons de l’emprunt de 100 millions, et le paquet que le ministre des finances a fait remettre à la banque est précisément celui des coupons de la caisse des cautionnements.
Mais n’y a-t-il que ces coupons qui aient été payés à Bruxelles et à Anvers ? Non ; nous avons reçu la preuve qu’indépendamment de ceux-là, d’autres ont été touchés par diverses personnes, et même par des membres de cette assemblée, soit à la banque de Bruxelles, soit à celle d’Anvers.
M. Meeus. - Tous les coupons sont dans le paquet, veuillez l’ouvrir !
M. Dumortier. - Je n’ai pas de vérification à faire, je me suis appuyé de vos propres paroles. Il paraît que vous les modifiez maintenant.
Il reste toujours un fait constant, c’est que le ministre des finances est venu nous demander un crédit pour l’intégralité de l’emprunt comme si tous les coupons avaient été payés à Londres tandis qu’il y en a d’autres payés à Anvers, à Bruxelles et à Paris. On voit donc que nous n’avons pas été aussi inconséquents qu’on a bien voulu le dire. Nous avons raisonné d’après les assertions de M. le ministre des finances lui-même et du commissaire du Roi ; c’est donc mal à propos qu’on nous taxe de légèreté et d’inconséquence.
Du reste, messieurs, nous devons nous féliciter de cette discussion ; car sans doute l’honorable M. Meeûs mettra désormais le pays à même de voir chaque année quels sont les coupons remboursés à Anvers et à Bruxelles., De cette manière la Belgique évitera une perte de change scandaleuse.
Mais puisqu’on a parlé de la banque, je dirai encore quelques mots : l’honorable membre doit savoir que nous n’avons pas lieu de nous faire les apologistes de la banque, car elle coûte assez cher à l’Etat, et que nous ne sommes pas payés pour parler en sa faveur.
Dans une discussion précédente, j’ai eu l’honneur d’établir que cette institution est dépositaire de plus de 10 millions de francs provenant de l’encaisse faite par elle en Belgique, lors de la séparation. Or, pourquoi donc refuse-t-elle de nous les remettre ? Si comme on l’a dit, la banque est une Providence qui veut le bien de tous, et quelquefois elle l’emporte le bien de tous (on rit), pourquoi ne vient-elle pas à notre secours ? Elle touche, en outre, les revenus du séquestre du roi Guillaume et les fonds du syndicat. Eh bien, pourquoi refuse-t-elle de les remettre entre nos mains ? Si nous supportons les charges du séquestre, nous devons en avoir les bénéfices.
En me résumant, je dirai qu’il est temps et grandement temps que la banque rende ses comptes à l’Etat, et j’adjure à cet égard le ministère de contraindre la banque si elle ne veut pas le faire. Il y a des tribunaux, il y a une justice en Belgique et l’on peut s’adresser à eux.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
Messieurs, je conçois la susceptibilité qu’ont éveillée dans l’esprit de l’honorable M. Meeus les paroles proférées à cette tribune dans une dernière séance. je conçois aussi que la chambre, par un sentiment exagéré peut-être des convenances, lui ait accordé la parole pour répondre, alors cependant qu’elle ne peut reconnaître à personne le droit de se qualifier dans cette enceinte le mandataire de la banque, qui n’en a pas envoyé et qui n’a pas mission d’en envoyer.
Vous avez pu, messieurs, dans cette circonstance, déroger à la sévérité de votre règlement ; mais veuillez voir où cette discussion va nous conduire : le cercle s’en est beaucoup agrandi : des récriminations appellent des récriminations ; c’est la censure générale des actes de la banque, qui vient de sortir de la bouche des préopinants. Placé sur un semblable terrain, ce débat serait interminable et complètement inutile, car l’assemblée n’a aucune espèce de conclusions à émettre.
Répondant à ce que vient de dire l’honorable député de Tournay, je lui rappellerai que la banque elle-même a provoqué les investigations de la chambre sur ses actes, et que la chambre croyant ne pouvoir intervenir sans blesser la prérogative royale, sans dégager la responsabilité morale du ministère, a passé à l’ordre du jour.
Le gouvernement, comprenant cette pensée, a nommé une commission prise dans cette enceinte même, commission qui a reçu le mandat de se livrer à toutes les recherches, à toutes les investigations nécessaires pour fixer l’opinion des chambres et du gouvernement sur nos droits envers la banque.
Je crois que le moment n’est pas venu d’aborder les questions qui viennent d’être incidemment soulevées par M. Dumortier, et qu’il faut attendre que la commission ait rempli son mandat. Cette commission vous fera un rapport consciencieux et approfondi ; j’en atteste les lumières et le patriotisme des honorables membres qui la composent. C’est alors que l’opportunité d’une telle discussion sera sentie par tous.
Si les conclusions que la commission mettra le gouvernement en mesure de prendre, sont de telle nature, qu’il y a lieu d’appeler la banque devant les tribunaux, le gouvernement ne reculera pas devant son devoir. Là aussi, la banque usera de la plénitude de son droit de défense.
Je demande donc que l’on passe à l’ordre du jour. Vous devez voir, messieurs, à quel degré d’acrimonie en est déjà venue cette discussion. La question de la banque, je le répète, n’est pas à l’ordre du jour. Si l’on voulait parler en son nom, il fallait tout au moins être ici samedi. Je ne fais pas un reproche à l’honorable M. Meeus de son absence, puisqu’elle tenait à une impossibilité physique ; mais si dans cette chambre on ne peut attaquer une institution particulière sans qu’à l’instant cette institution n’envoie ici des avocats pour soutenir ses droits, que deviendra la liberté de la tribune ? La banque, si elle se croit blessée par ce qui s’est dit dans cette chambre, peut présenter sa défense par la voie de la presse.
J’espère, au reste, que lorsque la commission spéciale aura le loisir de s’occuper de la tâche qu’elle a bien voulu accepter, la banque, qui a provoqué elle-même les investigations du pays, prêtera son concours aux travaux de MM. les commissaires. Ce sera pour elle le plus sûr moyen de réduire à leur juste valeur les accusations ou les insinuations dont elle croit avoir à se plaindre. Je demande l’ordre du jour. (Appuyé.)
M. de Brouckere. - Je désire aussi que l’on mette fin à ce débat, et qu’il soit ajourné à une autre époque. Mais je veux signaler un fait, c’est que le paquet déposé par M. Meeus ne renferme pas seulement les coupons remis par le ministre des finances, mais tous les coupons acquittés à Bruxelles. (L’ordre du jour ! L’ordre du jour !)
M. le président. - la chambre passe à l’ordre du jour qui est la suite de la discussion des budgets.
M. Liedts. - Messieurs à l’occasion du budget du ministre de la justice qui est aujourd’hui à l’ordre du jour, je crois de mon devoir de dénoncer à la chambre un abus dont on n’avait plus eu d’exemple dans notre pays depuis notre réunion à la Hollande, et qui malheureusement, fait tous les jours des progrès : je veux parler de la vénalité de certains emplois et notamment des places de notaire.
Vous serez sans doute étonnés d’apprendre, messieurs, que ce n’est plus le mérite qui fait obtenir la place de notaire, mais l’argent. Chaque fois que vous lisez dans le Moniteur : « Un tel est nommé notaire en remplacement d’un tel démissionnaire, » vous pouvez y substituer ceci : « N… vient de vendre sa place à un tel, et le ministre a agréé la vente : » et ce n’est pas peu de chose que ces prix de vente : on a cédé des places pour des sommes de 10 mille jusqu’à 50 mille fr., et l’on m’assure que des fils de famille ont été obligés de lever des capitaux et de grever tous leurs biens pour sûreté du prix de cession. Le scandale est poussé si loin, qu’un notaire annonce à qui veut l’entendre que sa place est à acheter pour 40 mille francs.
Le ministre a-t-il bien réfléchi à toutes les conséquences de ce déplorable trafic, lorsqu’il le tolère et qu’il l’encourage ? N’est-ce pas s’exposer mal à propos à des interprétations calomnieuses ? Et ne voit-on pas qu’il détruit toute émulation chez les jeunes gens qui se destinent au notariat ? C’est en vain qu’un candidat invoquera une longue et honorable cléricature, c’est en vain qu’il aura passé toute sa jeunesse à l’étude des lois, s’il ne parvient pas à se faire céder une place par quelque notaire moribond ou qui veut se retirer des affaires ; en un mot, s’il n’est pas favorisé de la fortune, il se verra passer sur le corps par quelque candidat moins ancien, moins digne d’obtenir la place, et qui ne peut invoquer en sa faveur qu’un marché fait avec le notaire à remplacer.
Comment le ministre justifiera-t-il cet abus ? Dira-t-il qu’il n’existe pas de lois qui le défendent ? mais il devrait, au contraire, pouvoir s’appuyer sur une loi expresse qui l’autorise ; car jusque-là on est fondé à soutenir que tous les Belges, riches ou pauvres, sont également admissibles à tous les emplois, tandis que si cet abus prend racine et se développe, l’argent seul finira par être un titre à l’obtention des places de notaire.
Invoquera-t-il encore ici, comme on ne le fait que trop souvent, ce qui se pratique en France ? Mais il existe chez nos voisins une loi formelle qui permet la vénalité de certaines charges, tandis que chez nous cette loi n’existe pas et que le gouvernement provisoire a formellement flétri la vénalité par un arrêté dont je ne me rappelle pas la date. Où s’arrêterait d’ailleurs chez nous cette vénalité des places ?
Il n’y a pas non plus de loi qui défende de céder une place de juge de paix, de greffier, de juge de première instance. Permettra-t-on aussi qu’il se conclue des marchés au sujet de ces places ? Eh ! malheureusement oui, messieurs, on commence à le tolérer, et il y a tel juge de paix dont le public dit ouvertement qu’il a acheté la place de son prédécesseur.
Il est temps, messieurs, de mettre un terme à ce scandale, et si je n’obtiens pas l’assurance positive que le ministre veillera à ce que l’abus que je signale ne se perpétue pas, je voterai contre l’adoption de son budget.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je répondrai d’abord au préopinant qu’il se trompe quand il prétend que la nomination d’un notaire, et la démission du titulaire remplacé, par un seul et même arrêté, sont des faits sans exemple.
Les faits, messieurs, on les invoque parfois sans les connaître, ou bien on manque souvent de mémoire en les rappelant.
Des exemples nombreux prouvent qu’en comprenant l’acceptation d’une démission et la nomination du nouveau titulaire dans un seul arrêté (ce que, du reste, j’ai fait bien rarement), je me suis conformé aux antécédents posés par mes prédécesseurs.
Voici une note qui prouve mon assertion : (suit une liste de 16 arrêtés royaux répondant à ce qui est dit par le ministre, pris depuis 1830. Cette liste n’est pas reprise dans la présente version numérisée.)
Un honorable membre avait précédemment rattaché aux élections une nomination de notaire qui n’y a eu d’autre rapport qu’une coïncidence de date. Cette nomination a été faite en observant les règles ordinairement suivies. Qu’il y ait eu un traité entre le notaire démissionnaire et la personne qui l’a remplacé, c’est possible ; mais je l’ignore, et c’est là chose étrangère au gouvernement : la démission était pure et simple ; elle pouvait donc être acceptée dans l’hypothèse même où les considérants de l’arrêté du 16 mars 1831 dussent être envisagés comme une règle invariablement prescrite au gouvernement. Mais cette hypothèse est toute gratuite ; l’arrêté admet des exceptions, et en France, où la loi du 25 ventôse an XI est aussi en vigueur, l’usage de traiter des offices de notaire a été toléré sans exciter aucune réclamation. Loin de là, cet usage a été formellement converti en droit par la loi du 8 avril 1816, et la cour de cassation a décidé que les notaires peuvent stipuler un prix pour leur démission. Aussi voyons-nous fréquemment dans les journaux, même dans le Moniteur universel, l’annonce d’une étude de notaire à céder.
N’y a-t-il pas, en effet, quelque chose qui participe de la propriété dans une clientèle acquise par de longs et honorables travaux ; et le gouvernement devrait-il invariablement se refuser à sanctionner ces transmissions, lorsque du reste, il s’est assuré que le successeur est, sous le rapport de la probité et du savoir, apte aux fonctions qu’il sollicite ?
Cette opinion, qui semble avoir été celle de mes prédécesseurs, m’a déterminé dans la circonstance à laquelle on avait fait allusion ; en agissant ainsi, j’ai la conviction de n’avoir blessé ni la loi, ni l’équité, et de n’avoir porté aucune atteinte à la prérogative du Roi puisque, je le répète, dans cette occasion comme dans toutes celles qui se sont présentées avant et depuis mon entrée au ministère, l’on a toujours exigé une démission pure et simple.
Après cela, qu’il y ait eu un seul arrêté portant l’acceptation de la démission et la nomination, ou bien que cela ait été l’objet de deux arrêté séparés, c’est la une circonstance indifférente et puérile.
Quant à l’allégation que cette nomination aurait été un moyen d’influence sur les élections de Tournay, il me suffit pour la détruire de faire remarquer que l’arrêté porté le 21 mai 1833, n’a pu être connu à Tournay que la veille des élections ; il faut avouer qu’il eût été bien maladroit d’attendre jusque-là pour essayer de les influencer, si l’on en avait eu le dessein.
Pour le fait particulier dont avait parlé M. Dubus, le titulaire avait demandé sa démission pure et simple ; la requête de celui qui demandait à le remplacer a été envoyée à l’avis des autorités, et la nomination n’a eu lieu que sur le vu des renseignements les plus favorables donnés par l’autorité judiciaire, je veux dire les parquets et l’autorité administrative. Il n’y a donc pas eu contravention à l’arrêté qui prohibe les démissions conditionnelles. S’il y a eu traité entre le démissionnaire et celui qui l’a remplacé, je le répète, c’est chose inconnue et étrangère au gouvernement.
M. Dubus. - Il y a trois mois, j’ai signalé un fait sur lequel je demandais des explications à M. le ministre de la justice ; le ministre a gardé le silence, et c’est seulement aujourd’hui qu’il a entrepris de me répondre. Je l’avoue, les explications que je viens d’entendre sont bien loin de me satisfaire. Elles me donnent seulement la conviction que M. le ministre va persévérer dans la voie qu’il a suivie ; qu’il va encore sanctionner le trafic de fonctions qui ne sont pas vénales ; qu’il va avilir encore le texte et l’esprit de la loi.
On vous a cité des antécédents ; mais pouvons-nous les apprécier lorsque nous ne connaissons pas les circonstances qui les ont accompagnés ? M. le ministre prétend avoir suivi l’exemple de ses prédécesseurs. Mais déjà j’ai eu l’honneur de mettre sous les yeux de la chambre l’arrêté d’un des prédécesseurs de M. Lebeau, arrêté signé par M. Gendebien, et dans lequel se trouvent posés les vrais principes que l’on aurait dû suivre. J’en donnerai lecture tout à l’heure.
C’est à tort que l’on est venu invoquer ce qui se fait en France. En France, messieurs, il y a une loi formelle qui déclare les fonctions dont il s’agit vénales ; du reste, ce ne sont pas les seules, il y en a beaucoup d’autres qui se vendent ouvertement, et les ministres sont obligés par la loi elle-même de consacrer ces ventes. Ce système, la législature de notre pays ne l’adoptera jamais, et quelle que soit l’opinion de M. le ministre à cet égard, il ne peut marcher dans la voie qu’il a choisie, tant que le pays ne l’aura pas admise. En France, les charges d’avoué, d’agent de change, ont été rendues vénales ; il n’en est pas de même ici. Dès qu’une place devient vacante, tous ceux qui désirent l’occuper doivent être appelés à former leur demande. Que fait-on au lieu de cela ? On accepte la démission des fonctions de notaire, et en même temps, par le même arrêté, on nomme le remplaçant du titulaire.
La démission reste inconnue à tous ceux qui aspirent au notariat, et le ministère ne choisit pas parmi les concurrents qui se sont présentés, comme la loi l’ordonne ; il n’y a donc ni concours ni émulation possibles.
Les précédents que M. le ministre de la justice a invoqués se rapportent sans doute à certaines exceptions admises. Car, messieurs, lorsqu’un père donne sa démission, il est permis de préférer son fils parmi tous les concurrents ; cette préférence s’explique, se conçoit aisément. Au milieu des exemples qu’on vous a cités, il en est un que je connais et qui rentre tout à fait dans ces exceptions ; il s’agit d’un gendre succédant à son beau-père.
D’après ce que je viens de dire, il est évident que ce n’est pas une circonstance puérile que l’acceptation de la démission d’un titulaire et la nomination de son remplaçant aient lieu en même temps.
J’ai peine à concevoir comment un ministre de la justice a pu trouver une pareille circonstance tout à fait insignifiante, tout à fait puérile ; comme si accepter en même temps une démission et une requête, ce n’était pas accepter une démission en faveur ; comme si ce n’était pas prêter les mains aux marchés qui peuvent intervenir entre le titulaire et le postulant ; comme si enfin ce n’était pas donner les mains à ce que la démission ainsi donnée secrètement, et en faveur de celui dont la requête l’accompagne, demeure inconnue à tous ceux qui auraient intérêt à concourir avec lui.
L’arrêté du gouvernement provisoire du 16 mars 1831, que j’ai déjà eu l’honneur de vous citer, a surtout pour but d’empêcher que le ministre n’aliène le droit d’initiative qui appartient au gouvernement ; que les fonctions ne deviennent vénales, et enfin que le public ne soit privé des avantages du concours et de l’émulation.
Quels sont donc les moyens de faire jouir le public des avantages du concours et de l’émulation ? c’est que tous les candidats soient avertis dès qu’une place devient vacante. Alors en effet, dès qu’une démission est donnée, l’avertissement arrive à tout le monde ; les requêtes sont présentées, et le ministre choisit ; voilà le concours. Les exceptions admises ne concernent que les fils de notaire, ou les clercs associés depuis longtemps à leurs travaux et à leur clientèle. Mais dans le fait que j’ai signalé et qui concerne l’arrondissement de Tournay, il n’y a rien de tout cela. Ce n’est ni un fils, ni un gendre, ni un clerc, ni un parent qui succède à un titulaire ; il s’agit de deux personnes qui sont demeurées toute leur vie étrangère l’une à l’autre. Le remplaçant avait fait son stage dans une autre étude que celle qui lui a été ainsi vendue.
Il y a donc eu violation de la loi ; le ministre a commis un acte qu’il n’aurait jamais dû se permettre.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je serais sensible au reproche qui m’est fait par le préopinant s’il était mérité, d’avoir imprudemment aliéné le droit d’initiative qui, en cette matière, appartient au gouvernement.
Je croyais m’être montré dans plusieurs circonstances, où je différais même d’opinion avec l’honorable membre, bon défenseur de la prérogative royale, et avoir prouvé dans toutes les occasions que je ne méritais pas qu’on m’accusât d’avoir jamais fait bon marché de droits dont je place la défense au premier rang de mes devoirs.
M. Dubus avait d’abord posé une règle fixe, inflexible, puis vous avez vu que l’arrêté du 16 mars 1831 faisait une part et une assez large part aux exceptions. Ces exceptions, M. Dubus est venu en étendre encore le cercle ; il semble en admettre une toute nouvelle, celle des gendres ; l’arrêté du 16 mars n’avait pas empêché, remarquez-le bien, de promulguer cette foule d’actes dont je vous ai donné lecture, et qui ne nous offrent qu’un seul exemple, je crois, d’un père remplacé par son fils. Cette exception est admise, et cependant, vous n’ignorez pas, messieurs, que la démission d’un père en faveur d’un fils n’est pas toujours gratuite.
Quand le fils aîné d’une famille plus ou moins nombreuse succède à son père comme notaire, ce n’est pas toujours sans indemnité de la part du fils en faveur du père qui se dépouille pour lui de ses principaux moyens d’existence ; ce n’est pas toujours non plus sans indemnité en faveur des autres enfants. Quoi qu’il en soit, de toutes ces conventions, de tous ces marchés, je les ignore absolument ; les pièces qui sont mises sous mes yeux n’en parlent jamais ; les démissions sont pures et simples : je le répète, je n’en accepte jamais d’autres.
Maintenant ai-je prétendu que les démissions et les nominations de ce genre devaient faire la règle ? Non, messieurs, le ministre pourrait mettre avec confiance sous les yeux de la chambre toute les nominations de notaires qu’il a contresignées, et l’on verrait que la règle la plus générale, c’est que la démission soit donnée d’abord, que le concours ait lieu, et que le gouvernement prononce sur le rapport des autorités administratives et judiciaires.
Un seul exemple contraire a été cité pas M. Dubus ; j’ai déjà prouvé qu’il fallait ôter des motifs de l’arrêté dont il s’agit l’intention machiavélique qu’on lui attribue, c’est-à-dire d’influencer les élections. Il suffit en effet de rapprocher les dates pour faire tomber une imputation pareille.
Dans les arrêtés dont j’ai soumis l’analyse à la chambre, vous ne voyez en général, ni un gendre ni un fils succéder à un père, c’est presque toujours un clerc dont la longue collaboration a été souvent le seul moyen d’existence d’un vieux notaire hors d’état de cultiver sa clientèle par lui-même, et de trouver dans ses fonctions des ressources honorables pour sa femme et ses enfants.
J’ai dit qu’il était puéril de faire le procès au ministre, parce qu’un arrêté de démission contiendrait en même temps la nomination du postulant. C’est qu’en effet, messieurs, si je voulais échapper au prescrit littéral de l’arrêté du régent, je m’y soustrairais par deux arrêtés de la même date.
J’ai dit que, dans mon opinion, les fonctions de notaire, à la différence des fonctions de magistrat, ne sont pas seulement des fonctions publiques, mais qu’elles participent comme celles d’agent de change, par exemple, de la nature d’une propriété mobilière. Et en effet, messieurs, la clientèle d’un notaire n’est pas attachée au titre, au diplôme ; elle résulte de la science, de l’activité et de la probité de ce fonctionnaire. Or, le fruit de la probité, de la science, du travail d’un individu peut être considéré, jusqu’à certain point, comme le patrimoine de famille.
Voilà comment j’ai dit, abstraction faite de la question de légalité, que dans un pays qui ne manquait ni de moralité ni de lumières, on avait pu sanctionner les arrangements dont j’ai parlé !
Je trouve d’ailleurs, dans l’intégrité des ministres qui m’ont précédé, la garantie la plus sûre que je n’ai pas mérité les reproches que l’on voudrait attacher à mes actes, en suivant les antécédents posés par eux.
M. Dubus. - Je dois rétablir les faits relativement à la prétendue contradiction qu’il a plu à M. le ministre de la justice de trouver entre les paroles que j’ai prononcées il y a trois mois et celles que j’ai fait entendre aujourd’hui. S’il faut en croire M. Lebeau, j’ai commencé par poser une règle absolue, et c’est aujourd’hui seulement que je parle d’exception. Cependant, messieurs, il y a trois mois j’ai fait remarquer comme aujourd’hui qu’une démission ne devait pas exprimer de vœux ni de conditions et que les préférences en faveur d’un fils formaient une exception.
Mais, dit-on, aujourd’hui vous avez étendu l’exception jusqu’aux gendres. Qu’à cela ne tienne, messieurs, le fait que j’ai rappelé rentre tout à fait dans l’arrêté de la régence, car il s’agissait d’un ancien clerc qui travaillait dans l’étude à laquelle il a été nommé depuis plus de 12 ans.
On prétend que, d’après les preuves qu’on nous a données, nous devons retrancher des motifs de l’arrêté dont nous nous plaignons l’intention machiavélique d’influencer les élections. D abord on n’a rien prouvé : il reste constant qu’un acte pareil à celui qu’on vous signale ne peut être qu’une faveur illégale accordée par le ministre. En effet, messieurs, le devoir du ministre était d’accepter la démission, de la faire connaître à tous les postulants ; mais ce n’est pas là la conduite que l’on a tenue. Une seule personne est restée dans la confidence de la démission ; cette personne a été choisie. Pas de publicité, pas de concours, comme le veut la loi. N’est-ce pas une pure faveur ministérielle ?
Messieurs, il y a des gouvernements qui se sont fait connaître de manière à autoriser le soupçon que de pareilles faveurs ne s’accordent pas pour rien. C’est l’opinion qui a prévalu à Tournay. Les habitants ont examiné quelle avait été la conduite de ceux qui avaient été l’objet de ces préférences, si ces personnes ne s’étaient pas donné bien des peines pour obtenir des voix aux ministres ; et de cet examen est née la défiance. Beaucoup ont cru voir là des intentions machiavéliques. Du reste, je ne fais que raconter ici ; chacun est à même de se faire une opinion à cet égard.
M. le ministre a prétendu que les fonctions dont il s’agit participent de la propriété mobilière. Mais, messieurs, ce qu’il y a d’important dans la charge de notaire, ce qui en fait la gravité, ce qui nécessite l’intervention du gouvernement, n’est-ce pas précisément son caractère de fonction publique ? Cette circonstance, que les notaires sont propriétaires de leurs minutes est tout à fait accessoire ; elle n’a pu faire considérer leurs fonctions comme vénales. D’ailleurs tout a été prévu par la loi du notariat, et les notaires ont un délai pour traiter de la cession de leurs minutes. Ainsi donc la loi a prévu le cas, et il fallait se borner à exécuter la loi.
M. de Brouckere. - Lorsque dans la discussion générale, j’ai signalé les principaux griefs qui existent à la charge du ministère de la justice, je n’ai pas oublié celui dont on s’occupe maintenant. Dans l’intérêt public j’ai dû faire savoir que beaucoup de places avaient été conférées par suite de marchés conclus. Il en résulte qu’on n’a plus égard ni aux connaissances ni aux titres, qu’il suffit qu’un marché ait été conclu, et qu’on soit recommandé par un ami du ministre.
Il y a plus ; ce ne sont pas seulement les charges de notaire qui se vendent ; ce sont encore des places de magistrat…
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je demande la parole.
M. de Brouckere. - Ces places se sont vendues, et très cher. Sous le gouvernement hollandais, vous ne l’ignorez pas, des abus s’étaient glissés dans toutes les branches de l’administration ; il y en avait aussi dans la manière dont se conféraient les places, et l’on n’a pas oublié les manœuvres de certaine portière. Ces manœuvres étaient-elles ou n’étaient-elles pas connues des agents du gouvernement ? je me dispenserai de m’expliquer à cet égard. Mais je dois à la vérité de dire que jamais le gouvernement hollandais ne voulut favoriser les marchés qui avaient une place quelconque pour objet. Lorsque c’était par suite d’une convention pécuniaire qu’un titulaire résiliait sa place, et que la chose se divulguant, c’en était assez de la recommandation de ce titulaire, pour qu’à l’individu la place fut accordée. Si c’était là un abus, j’aime mieux celui-là que celui dans lequel on est tombé depuis le ministère de M. Lebeau, et qui est dégénéré en coutume.
Je le répète, ce ne sont pas des notaires seulement qui se vendent chaque jour ; des places de magistrats ont aussi été conférées à des gens qui les avaient achetées, bien qu’ils n’y eussent point les titres que pouvaient faire valoir d’autres personnes.
Il est difficile d’administrer de cela une preuve positive ; mais il s’est présenté à l’approche des élections, il est vrai, qu’un homme, n’ayant jamais été ni suppléant, ni greffier d’une justice de paix, se rendait à Bruxelles, et retournait peu de jours après à sa résidence, porteur d’une nomination de juge de paix et de la démission du titulaire, démission dont personne ne savait, avant cela, qu’il fût question. A Bruxelles même, une place de la magistrature a été vendue, et, par suite de cette vente, celui qui l’avait occupée jusque-là se retirait avec un sort fort agréable, tandis que l’acquéreur portait ainsi un préjudice réel à ceux qui avaient plus de titres que lui. Ces faits sont notoires, et j’engage M. le ministre de la justice a faire en sorte qu’ils ne se renouvellent plus.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je dois dire en réponse au fait avancé par le préopinant et par M. Liedts, que leurs renseignements doivent être inexacts. Je n’ai pas la moindre connaissance que des places de magistrat aient été l’objet de conditions de ce genre. Si de pareils marchés avaient été stipulés, ce serait chose étrangère et inconnue au ministre ; il lui aurait suffit d’un simple soupçon pour déjouer des calculs que repoussent, cette fois, la moralité tout autant que les règles de la légalité.
Je tiens donc pour inexacts les renseignements fournis aux honorables membres, aussi bien que les faits qu’ils ont articulés.
Jamais le ministre n’a accepté de démission conditionnelle ; il en est de fait que la règle générale est que les nominations de notaire se font après qu’un concours a été longtemps ouvert. Si des nominations de la nature de celles qu’on vous a signalées ont eu lieu, c’est, je le répète, a bien peu d’exceptions près, en faveur de fils, de gendre ou de clerc de notaire. Mais j’ajouterai que, même dans ce cas, le gouvernement n’a nommé personne avant d’avoir consulté non seulement le parquet mais encore l’autorité administrative.
Pour les places de judicature, nous ne nous sommes pas contentés de consulter les chefs des parquets exerçant près les cours et les tribunaux dans le ressort desquels un magistrat devra être nommé. Nous nous sommes environnés de renseignements puisés à une triple source : le premier président de la cour, le procureur général et le gouverneur. Une circulaire a été spécialement adressée dans ce but.
Mais, vous a dit un des préopinants, le ministre prend telle décision qu’il lui plaît sur ces renseignements. Certes il en est et il doit en être ainsi. Que deviendrait la responsabilité ministérielle sans le libre arbitre ? Le ministre agit : les autorités ne sauraient avoir ici que voix consultative. S’il en était autrement, la nomination appartiendrait réellement aux fonctionnaires consultés.
On oublie, ce semble, qu’il y a d’ailleurs des conditions d’admission qui ne dépendent pas de nous.
Ce n’est pas nous qui délivrons le certificat de moralité et de capacité ; conditions sine qua non de l’admission, et qui ne peut être remplie que par le concours de la chambre des notaires.
Après tout, messieurs, il est encore possible que des nominations aient été surprises à la religion du gouvernement. Mais c’est le sort de tous ceux qui sont appelés à la pénible tâche de nommer aux emplois ; un préféré fait vingt mécontents, qui ne manquent pas d’interpréter la nomination dans le sens le plus défavorable au pouvoir, ni de se donner comme des capacités sacrifiées à la faveur ou au caprice ministériels.
M. Liedts. - Quand on admet une fois un principe, il faut en admettre toutes les conséquences. Dès qu’on regarde les fonctions de notaire comme une propriété, rien de plus naturel que de les céder. Une autre conséquence de ce même principe, c’est que ces fonctions puissent être transmises au plus proche héritier. Vous ne serez pas étonnés, messieurs, que M. le ministre ne recule pas désormais devant cette conséquence, et tel postulant pourra négocier non avec le titulaire, mais avec ses héritiers.
Depuis quand donc le notariat n’est-il plus un mandat, et depuis quand peut-on transmettre un mandat comme une propriété ? Il me semble, quant à moi, que le ministre a aliéné le droit d’initiative du gouvernement.
Je ne crois pas ce qu’on a dit relativement aux places de la magistrature, mais enfin on l’a dit. En France, où certaines fonctions demeurent vénales, les soupçons ne peuvent s’étendre aux autres charges ; mais ici les soupçons ne portent pas seulement sur les places de notaire. J’en avertis le ministre.
En terminant, messieurs, je voudrais que le ministre prît un engagement devant la chambre ; nous saurions au moins à quoi nous en tenir désormais.
M. Dumortier. - De tous temps, la vénalité des emplois a été un vice très grave ; il est cependant un vice plus grand ; c’est la collation d’emplois pour actes de servilité envers les ministres. Non seulement le ministère n’a point reculé devant l’odieux trafic des places, des emplois ; mais il paraît qu’à ce fait honteux on en a joint un autre moins honorable, celui de consentir à ce que de pareils trafics aient lieu, afin de rendre possible l’élection de tel favori, voire même de tel ministre.
Aux premiers reproches qui lui ont été adressés lors de la discussion de l’adresse en réponse au discours du trône, le ministre a gardé le silence ; depuis lors il a recherché des armes pour se défendre.
Vous avez pu juger de la force de ces armes ; elles ne justifient pas sa conduite. Mais, dit le ministre, on avait remis une démission conditionnelle, et nous avons exigé avant tout une démission pure et simple ; puisque vous l’avez exigée, vous saviez donc qu’il y avait trafic. La preuve qu’il y avait trafic, c’est qu’il n’y a pas eu concours : un seul candidat s’est présenté ; c’est un homme qui a battu le pavé pour faire nommer M. Goblet ou M. Lehon, que le peuple ne voulait pas élire ; c’est afin d’obtenir des suffrages refusés que l’on a consenti à la vente des places.
Dans le fait dont il s’agit, c’était une personne qui n’avait rien de commun avec celle qui vendait, qui a été promue à l’emploi, et la vente a eu lieu d’après le consentement et l’acceptation de la démission. Je pourrais citer d’autres faits à l’appui de ce que j’avance.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Citez ! citez ces faits !
M. Dumortier. - Je citerai ce qu’il me fera plaisir de citer ; ce n’est pas vous qui pourrez me contraindre. Je pourrais sans doute, par des faits, prouver que le ministre nomme aux emplois malgré l’avis des autorités ; je dirai ces faits au ministre lui-même s’il le désire.
S’il n’a tenu compte de l’avis des autorités, était-ce pour faire des nominations utiles ? Non ; c’était pour nommer des hommes complaisants au pouvoir, des hommes hostiles aux intérêts publics.
On nous parle de la responsabilité ministérielle : quoi ! vous osez encore en parler ! On viole la constitution ; on déclare qu’on l’a violée, et on vient prononcer le mot de responsabilité ! Si nous n’étions pas dans une assemblée grave, je prendrais cela pour une mauvaise plaisanterie. Ne vous retrancher plus derrière ce palladium de nos libertés. N‘invoquez plus la constitution que vous avez violée sans même recevoir de bill d’indemnité.
M. F. de Mérode. - L’orateur vient d’assurer qu’on avait mis en campagne un individu, afin d’obtenir des élections favorables à telles personnes, et que cet individu a été promu à un emploi vendu ; je désire que l’auteur donne les preuves du fait qu’il avance ; si le fait était vrai, je ne pourrais rester associé à un ministère qui aurait commis de tels actes. Il faut s’expliquer catégoriquement quand on accuse les gens, il faut autre chose que de vagues allégations.
M. Dumortier. - Oui, des individus ont été mis en campagne pour obtenir la nomination des ministres eux-mêmes, nomination que le peuple, plein de bon sens, a refusée.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - L’honorable M. Dumortier, qui comme on le sait n’est pas avare d’accusations personnelles, s’est retranché cette fois dans une réticence prudente.
Il a soutenu, avec beaucoup de raison, que je ne pouvais le forcer à parler. Loin de moi l’idée d’une pareille tentative ; mais il y a dans cette réticence un côté plus honorable que dans l’accusation même. Puisque l’orateur était en train de dénoncer des abus, pourquoi s’arrête-t-il ? Je l’adjure de vouloir bien s’expliquer sur les faits dont il parle ; et s’il s’obstine à garder le silence, la chambre en appréciera les motifs.
L’honorable M. Dubus avait donné pour principes à suivre ceux de l’arrêté pris sous le régent, contre la vénalité des emplois ; le ministre de la justice a fait voir que ces principes étaient précisément ceux qu’il admettait.
Je dois ajouter que le sieur Antoine, à l’occasion duquel l’arrêté avait été pris, n’en a pas moins été nommé.
Je ferai observer aussi qu’à l’appui de tant de graves accusations on s’est borné à articuler un fait, celui de la prétendue mise en campagne d’un aspirant notaire ; et quels sont ceux qui le dénoncent ? des parties intéressées, qui probablement ne se font pas faute de mettre des gens en campagne pour faire triompher leurs candidats. Sur ce point je ne me livrerai à aucune récrimination ; mais je voudrais que les reproches ne partissent pas de la bouche de ceux qui, pour leurs propres élections, n’ont ménagé aucun des moyens capables de les faire réussir.
M. Dumortier. - Que la chambre demande une enquête sur les faits que j’ai signalés, et je désignerai les individus dont les ministres se sont servi et dont ils ont récompensé les services.
Quant à nous, oui, messieurs, nous avons mis des gens en campagne, et nous nous en faisons gloire. Oui, nous avons coopéré à rendre nulles les intrigues ministérielles ; oui, nous avons cherché à renverser le ministère. Pourquoi ? C’est parce que le ministre a employé tous les moyens de nous écarter de la représentation nationale. Pour nous en écarter, on a été jusqu’à faire des menaces à M. Doignon ! En faisant des efforts pour repousser, pour combattre les ministres, nous étions dans notre droit, nous étions dans le cas de légitime défense. (On rit.)
Souvenez-vous, ministres, de la manière peu digne avec laquelle vous vous êtes conduits alors et envers la chambre et envers le pays. Vous proclamâtes dans les journaux qui reçoivent vos écrits, dans les journaux stipendiés qui nous injurient chaque jour, que vous alliez vous retirer si un ministère nouveau pouvait se former ; c’est dans ce moment que vous fîtes des tentatives pour empêcher la nomination de mon honorable ami : oui, nous avons fait des efforts pour faire échouer vos tentatives ; oui, nous avons combattu, nous avons été sur la brèche, et le peuple, avec son bon sens accoutumé, n’a réélu, ni M. Goblet, ni M. Lehon, vos collaborateurs.
Vous soutenez que les charges sont vénales ; s’il en est ainsi vendez-les donc en public, et que le trésor profite du prix de la vente : mais vous préférez les vendre à vos créatures.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Je ne me dissimule pas que cette discussion est en dehors de l’ordre du jour ; mais je dois donner un démenti formel à l’assertion que des menaces auraient été adressées à M. Doignon lors des élections ; je dois également démentir la coopération du ministère à aucun journal. Le ministère n’est pas plus responsable des injures de quelques journaux contre certains députés qu’on ne peut attribuer à ces mêmes députés les injures, bien autrement graves, que d’autres journaux adressent chaque jour au ministère.
M. Desmet. - Messieurs, avant de voter le budget du département de la justice, je désire savoir si nous pouvons espérer que dans la prochaine session, ou même dans la présente, le gouvernement nous présentera un projet de loi sur la circonscription judiciaire du royaume.
Depuis que la loi sur l’organisation de l’ordre judiciaire a été votée, on nous a promis ce projet, et, jusqu’à cette heure, rien n’est encore venu au jour ; cependant, il n’est pas juste que vous fassiez contribuer tous les habitants du pays aux frais de la justice et que tous n’en jouissent pas également. Et veuillez, messieurs, prendre attention que le pouvoir judiciaire sera toujours mal organisé si son action n’est pas tellement étendue sur la surface du royaume que, présent partout, il puisse être à la portée de tous les citoyens et ne soit jamais vainement imploré par aucun. Ce n’est pas assez que la loi soit égale pour tous ; afin que son influence soit bienfaisante, il faut encore que tous puissent l’invoquer avec la même facilité ; autrement on verrait commencer la domination du fort sur le faible et toutes les conséquences fatales qu’elle entraîne.
Il convient donc que les tribunaux et les juges soient tellement répartis, que la dispensation de la justice n’occasionne que le moindre déplacement possible au citoyen, toutes les fois qu’il sera nécessaire qu’il se déplace, et que la perte du temps employé à l’obtenir ne soit jamais telle que le pauvre préfère le dépouillement ou l’oppression à l’usage ou à l’exercice de son droit.
Deux districts de ma province se trouvent dans ce cas ; plus de 300,000 habitants, à cause de la vicieuse circonscription des arrondissements judiciaires, ne peuvent jouir des mêmes facilités pour obtenir justice que d’autres citoyens du royaume : ils se sont adressés aux chambres et au gouvernement, afin qu’on fasse droit à leurs justes réclamations ; mais leurs pétitions ont eu le même sort de beaucoup d’autres, dont le renvoi avait été ordonné aux ministres ; elles ont été confinées dans l’antre des oubliettes.
Je prie donc M. le ministre de la justice de nous dire si nous pouvons espérer que bientôt la chambre sera nantie du projet de loi sur la nouvelle circonscription judiciaire du royaume.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Le projet de loi concernant la circonscription judiciaire est à peu près terminé. J’espère pouvoir le présenter dans les premiers jours de la session prochaine. Je l’eusse présenté dans celle-ci si j’avais put croire que la chambre eût eu le temps de s’en occuper.
M. le président. - La discussion générale est close sur le budget de la justice. Nous passons à la délibération sur les chapitres.
« Traitement du ministre : fr. 21,000. »
- Adopté sans discussion.
« Art. 2. Traitement des fonctionnaires et employés : fr. 105,000. »
La section centrale propose une réduction de 10,000 fr.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je regarde la somme de 105,000 fr. comme nécessaire à une bonne et complète organisation des bureaux. Mon prédécesseur a organisé l’administration centrale avec une économie rigoureuse ; c’est à ce point qu’il en reçut des éloges de toutes les parties de la chambre. Mais le service ne peut répondre à tous les besoins d’une bonne administration : des améliorations doivent être introduites. Quoi qu’il en soit, ayant égard aux circonstances, je consens à me réunir à l’avis de la section centrale, attendant des moments plus heureux pour faire des demandes d’augmentation. C’est à un ajournement que j’acquiesce.
- Le traitement des fonctionnaires et employés, réduit à 95,000 fr., est mis aux voix et adopté.
« Art. 3. Matériel : fr. 15,0000. »
- Adopté sans discussion.
« Art. 1er. Cour de cassation - A. Personnel : fr. 233,800 fr. »
La section centrale propose le chiffre 231,000 fr.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je dois persister dans l’allocation que j’ai demandée ; je la crois nécessaire : je vous prie de remarquer qu’elle a été demandée d’après des indications données par la cour de cassation elle-même.
Remarquez de plus combien la réduction proposée est peu importante, bien que, par son application à quelques employés subalternes, elle aurait pour résultat d’entraver le service de la cour de cassation. Cette cour croit avoir besoin, pour le service des différentes chambres qui la composent, de six huissiers, dont la rétribution est fixée pour chacun à 750 fr., ce qui porte la somme à 4,500 fr. La cour de cassation a présenté à l’appui de sa demande des observations, dont voici la substance :
1° Quant au nombre des huissiers :
La cour de cassation se compose de deux chambres qui siègent habituellement trois fois par semaine, outre les séances extraordinaires. Deux huissiers sont nécessaires à chaque chambre pour le besoin du service et pour la décence. Les deux autres sont destinés à suppléer ceux qui pourraient être empêchés, à vaquer au service extérieur de la cour et à faire les significations urgentes.
L’article 32 de la loi du 4 août les autorise à exploiter dans tout le ressort du tribunal de Bruxelles ; ils seraient privés, contre le vœu de la loi, de cette faculté s’ils étaient obligés d’être toujours présents à la cour.
2° Quant au traitement :
Les huissiers de première instance ne sont pas salariés, ils trouvent des émoluments suffisants dans le grand nombre d’actes dont ils sont chargés : appels de cause, significations.
Les huissiers d’appels ont cet avantage à un degré moindre ; aussi les huissiers des cours d’assises, de la chambre correctionnelle et des mises en accusation reçoivent-ils un traitement de 500 fr.
Le casuel des huissiers de la cour de cassation est insignifiant ; ils n’ont rien en matière criminelle, électorale, de garde civique, de règlement de juge ; en matière civile ils n’ont que la signification d’un mémoire et d’une réponse.
En France les huissiers de la cour de cassation sont salariés.
Pour que la cour puisse organiser un bon service d’huissier, il faut qu’elle les paie mieux qu’à la cour d’appel. Le produit des émoluments est évalué à la cour d’appel pour chaque huissier à 1,000 fr., 200 causes à raison de 12 appels pour chaque ; à la cour de cassation il est presque nul.
D’après la loi du 27 ventôse, chaque huissier de la cour de cassation avait 1,500 fr. : on n’en demande que 750.
Messagers :
Crédit demandé :
1 messager : fr. 700
2 messager à fr. 600, soit fr. 1,200
Ensemble : fr. 1,900
Proposition de la section centrale : fr. 1,300
L’instruction des affaires se faisant par les conseillers et par écrit, de fréquents rapports sont nécessaires entre eux, le parquet et le greffe. Il faut un messager pour chaque chambre, et le troisième pour suppléer au besoin, et pour le service du cabinet du premier président.
Chaque affaire exige dix mouvements successifs. Du 17 novembre 1832 au 21 janvier 1833, 97 affaires ont occasionné 717 courses.
Il est nécessaire de majorer l’article premier d’une somme de 1,000 fr. pour le greffier à titre d’abonnement pour la délivrance au ministère public ou aux administrations de l’Etat, des expéditions ou écritures nécessaires pour le service public.
Le greffier doit délivrer en matière criminelle :
Quand il y a cassation de la décision, 2 expéditions.
Quand il y a rejet, 2 extraits avec motifs.
En matière civile l’arrêt de cassation doit être transcrit sur les registres de la cour ou du tribunal dont la décision est annulée ; il doit donc être délivré au procureur général l’expédition.
Il est équitable qu’une rétribution convenable soit allouée au greffier pour ce travail.
Le tarif du 18 juin 1811 n’est relatif qu’aux cours et tribunaux ; il n’y a pas de tarif pour la cour de cassation, et il ne devait pas en avoir parce que l’article 4 de la loi du 27 ventôse an XIII accordait au greffier 36,000 fr. à titre d’abonnement annuel pour traitements des commis-greffiers, expéditionnaires et toutes écritures.
Le procureur-général estime qu’on peut lui allouer 1.000 fr. ; ce n’est pas exagéré : cette rétribution serait proportionnée à ce qui revient à un greffier de cour d’appel de ce chef.
Cette allocation pour le greffier devra être portée à l’article premier de ce chapitre ou au chapitre IV : frais d’instruction et d’exécution, en en faisant mention expresse pour que le paiement au greffier soit légal ; ainsi on pourrait ajouter au chapitre IV 1,000 fr. avec cette note : « Chap. IV., art. unique. La somme de … y compris 1,000 fr. pour le greffier de la cour de cassation à titre d’abonnement ; » moyennant quoi il sera tenu de fournir gratis au ministère public et aux diverses administrations toutes les expéditions ou écritures qui leur seront nécessaires pour le service public.
M. de Brouckere. - J’appuie formellement la demande du ministre. Il est de fait que les huissiers de la cour de cassation sont dans une position plus désavantageuse que celles qu’ils avaient auparavant. Ce sont d’anciens huissiers de la cour d’appel qui croyaient avoir des émoluments plus forts : ils se sont trompés. Ils n’ont presque rien à faire ; leurs émoluments sont presque leurs seuls bénéfices. A Paris les huissiers de la cour de cassation reçoivent 1,800 fr.
J’aurais désiré que le ministère demandât une augmentation pour le secrétaire du parquet qui, après de longues années de travail, a vu diminuer son traitement ; il n’a que 2,500 fr.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je crois en effet que la majoration demandée pour le secrétaire du parquet n’aurait rien que d’équitable. Cependant je dois faire remarquer que déjà j’ai fait la part des circonstances dans lesquelles nous nous trouvons aux fonctionnaires et employés qui chez moi travaillent avec zèle et activité, et qu’elles ne doivent pas les atteindre seuls.
En outre je dois faire observer qu’on ne peut assimiler le secrétaire du parquet de la cour de cassation au secrétaire du parquet d’une cour d’appel ; qu’il est moins occupé et qu’il a moins de détails de correspondance.
Je crois que les secrétaires des cours d’appel doivent être placés sur la même ligne que les commis-greffiers : ils sont même plus occupés que ceux-ci, et doivent être généralement plus instruits. Sous ce rapport il y a une sorte d’anomalie à ne pas mettre ces employés sur le même rang. Je me réserve cependant de faire plus tard une demande d’augmentation peur le secrétaire du parquet de la cour de cassation.
M. Schaetzen. - A la cour de cassation, deux chambres peuvent siéger à la fois : alors six huissiers sont nécessaires, et il faut laisser la somme qu’elle demande.
M. Dewitte. - J’appuie la demande qui est faite par le ministre.
M. Dubus. - Les propositions de la section centrale n’étant défendues par personne, je crois devoir exposer les motifs qui ont dicté les réductions qu’elle demande.
La précédente section centrale du budget demandait, comme celle-ci, une réduction de 1,500 fr. On dit que c’est là une réduction bien minime. Oui, en la comparant aux millions du budget ; mais, en la comparant aux 4,500 demandés, c’est le tiers de la somme.
Il s’agit d’une dépense qui va commencer cette année et qui sera continuée d’année en année. Le moment de l’examiner est au premier budget que nous votons.
Dans la section centrale on ne croyait pas que six huissiers fussent nécessaires. Dans tous les cas on croit que 3,000 fr. seraient suffisants.
Les huissiers vivent d’abord de leur état d’huissiers. La circonstance de ce qu’ils sont huissiers près la cour de cassation, leur donne cet avantage de faire exclusivement les notifications qui concernent cette cour dans la commune de Bruxelles.
En troisième lieu, ils font le service des audiences de la cour. Aux audiences civiles, ils doivent être payés au moyen des rétributions que donnent les parties aux appels des causes.
Aux affaires criminelles et correctionnelles, ils sont sans rétributions ; c’est pour cela qu’un crédit est porté pour les indemniser. Il en est de même des huissiers près des cours d’appel qui font le service pour les affaires criminelles et correctionnelles.
L’année dernière les huissiers qui, à Bruxelles, faisaient le service à la cour d’appel, faisaient le service pour la cour de cassation ; ces huissiers ne recevaient en tout que 2,000 fr. Je crois que la somme de 3,000 fr. est amplement suffisante.
Ils étaient dix pour partager 2 000 fr. Cette allocation n’est pas un traitement, c’est une simple indemnité pour les audiences criminelles et correctionnelles.
La réduction proposée pas la section portant en outre sur les messagers. En vérité, je ne comprends pas qu’il faille un messager pour chaque mouvement de pièces. Un juge de la cour de cassation peut bien porter un dossier sous le bras, comme un juge de première instance.
J’appuie les conclusions de la section centrale.
M. Dewitte. - Les huissiers sont trop faiblement rétribués ; on ne peut leur rien ôter.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, je ne me suis pas borné à vous faire considérer combien la diminution proposée était minime ; j’ai fait remarquer, en parlant des huissiers, que vous alliez en restreindre le nombre et gêner le service. En effet réduire le chiffre, c’est réduire le nombre des huissiers. On vous dit que les huissiers ont des attributions en dehors de la cour de cassation. A la cour de cassation on conviendra que les procédures sont bien moins nombreuses que devant les autres tribunaux, à moins qu’il n’y ait poursuite en faux incident, ou toute autre procédure incidente et fort rare.
Si vous en circonscrivez trop le nombre, ils devront être perpétuellement attaches à la cour et leur droit d’exercer dans l’arrondissement de Bruxelles devenant illusoire, il arrivera qu’ils donneront leur démission, et que la cour suprême finira par se trouver sans huissiers.
- Le chiffre de la section centrale est rejeté.
Celui du ministère, ou 233,800 fr., est adopté.
« Art. 1er. Cour de cassation - B. Matériel: fr. 10,000 fr. »
La section centrale propose 7,000 fr.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - La section centrale n’a pas fait ici sa réduction d’une manière absolue ; elle a dit que la chambre aurait à se prononcer après avoir entendu le gouvernement sur une augmentation spéciale de 2,000 fr. qui se trouvait comprise dans le chiffre du budget.
Le crédit demandé est de 10,000 fr. Voici comme il se décompose :
Matériel
Crédit demandé, 10,000 fr., savoir :
Chauffage, éclairage et frais de bureau, 2,500 fr.
Idem pour le parquet, 2,500 fr.
Bibliothèque à la cour, 1,500 fr.
Idem au parquet, 1,500 fr.
Mobilier, 2,000 fr.
Proposition de la section centrale, 7,000 fr.
La demande de 2,000 fr. pour le mobilier est effectivement nouvelle, mais elle s’explique facilement par la nécessité de procurer à la cour le mobilier dont elle peut avoir besoin ou réparer celui qu’elle possède.
La somme allouée pour menues dépenses à une autre destination ; elle s’applique surtout aux articles suivants : provision de bois, lumière, registres, papier, plumes, encre et cire, frais d’impression des règlements d’ordre, et à tous les objets nécessaires au service de la cour et du parquet.
En s’installant à la fin de 1832, la cour de cassation n’a pas pu compléter encore ni son mobilier, ni sa bibliothèque. Quant aux autres dépenses, d’après les éléments dont elles sont formées, je ni crois pas qu’il y ait excès.
M. Legrelle. - Je ne suis pas habitué à discuter des objets de cette nature ; cependant je dirai que la section centrale a apporté le plus grand soin dans ses recherches. Je regrette que son rapporteur ne soit pas ici.
M. Lardinois. - Il sera ici demain.
- Des membres. - Remettons la discussion à demain.
M. Legrelle. - Dans la section centrale, nous avons examiné scrupuleusement les différents articles ; c’est à l’unanimité des voix que les résolutions ont été prises. Si maintenant on n’expose pas les motifs de la section, on allouera au ministère tout ce qu’il demande, et le travail de la section centrale sera comme non avenu.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il y aurait quelque chose d’étrange à rendre le ministre responsable de l’absence du rapporteur de la section centrale. Ce rapporteur a dit, dans le travail qu’il a présenté à la chambre, qu’elle entendrait les explications du ministre. Il ne s’agit pas ici de traitement ; ce n’est pas un antécédent que vous établissez, c’est un crédit que vous votez. La cour de cassation ne fera pas provision de bois de chauffage, d’huile pour les emmagasiner ; si son crédit excède ses besoins, elle ne le dépensera pas en entier.
M. Dubus. - Je remarque que la proposition que fait la section centrale est précisément la même que faisait la section centrale en février dernier. Dans le précédent budget le ministère demandait 9,000 fr. ; 6 voix contre une ont demandée la réduction à 7,000 fr. C’est encore 7,000 fr. que propose aujourd’hui la section centrale.
Cette somme est-elle suffisante ? Il y a une cour de cassation et trois cours d’appel. Si vous établissez, au moment où nous entrons dans un nouveau système, une dépense quelconque, elle se perpétuera d’année en année. Il faut partir de ce jour pour réduire les dépenses.
Par un arrêté de 1814, les menues dépenses de la cour d’appel étaient portées à 6,000 fr., en considération qu’elle faisait en même temps fonctions de cour de cassation. La cour de Liége avait 2,750 ; ainsi les dépenses totales étaient de 8,750 fr. Aujourd’hui, pour toutes les cours on demande en menues dépenses 12,500 fr. ; il est impossible qu’on les justifie. Toutes les sections, sous le congrès, ont trouvé la somme de 6,000 fr. trop considérable, et je pense que la somme de 7,000 fr. pour la cour et le parquet est bien suffisante.
Les menues dépenses du parquet avaient été augmentées en 1818, parce qu’alors on avait supprimé la direction de la police, pour en charger les procureurs-généraux. Ces magistrats furent obligés à une correspondance avec tous les fonctionnaires administratifs ; et comme cela devait entraîner une augmentation assez notable de travail, l’arrêté de 1818 a augmenté la dépense, et l’a portée en tout à 6,000 fr.
On a rétabli la direction générale de la police, et les attributions des procureurs-généraux sont diminuées ; il semble qu’il devrait y avoir diminution dans les menues dépenses. Mais, au lieu de 6,000 fr. pour toutes les cours, il y a maintenant 11,500 fr.
Il y a lieu réellement à restreindre l’allocation. J’appuie les conclusions de la section centrale.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - S’il s’agissait de dépenses permanentes, je concevrais les observations qu’on vient de vous présenter. On pourrait cependant diminuer le crédit pour le bois de chauffage, l’éclairage et pour les autres menues dépenses, sauf à demander un supplément à ce crédit s’il était insuffisant ; mais on tomberait alors dans cet inconvénient d’interrompre les travaux importants de la chambre pour des objets de peu d’importance.
Dans cet article se trouvent aussi des dépenses toutes nouvelles : par exemple, les dépenses relatives à la bibliothèque de la cour et de parquet sont des dépenses toutes nouvelles, sont des dépenses de premier établissement : on ne se compose pas avec mille ou deux mille francs une bibliothèque de droit, qui doit comprendre des ouvrages tels que ceux de Merlin et les recueils des arrêts de la cour de cassation de France. Quand il ne s’agira que d’alimenter la bibliothèque, que de la tenir au courant des ouvrages nouveaux, je conçois que vous pourrez réduire le crédit. La cour de cassation forme actuellement sa bibliothèque comme elle forme son mobilier.
L’honorable M. Dubus fait remarquer que l’on demande une augmentation pour les frais de mobilier des cours d’appels ; mais il y a aussi des frais de premier établissement : à Gand c’est une cour toute nouvelle ; ceux qui ont fréquenté la cour de Liége savent que son mobilier est dans le plus mauvais état, que les fauteuils perdent leur crin ; que tout le mobilier n’a pas l’aspect décent qui convient à une cour supérieure. Il faut que la cour de cassation et les autres cours s’établissent d’une manière digne de leur haute mission.
Loin de consentir à des diminutions, je serai même dans le cas de demander une augmentation par suite d’une omission qui a été faite. Aux dix mille francs du matériel, il faudra ajouter la somme de mille francs pour le greffier de la cour de cassation à titre d’abonnement pour l’expédition des écritures publiques. Jusqu’ici, pour ces écritures le greffier a touché quelques sommes sur le trésor ; c’est là une irrégularité qu’il faut réformer, et c’est ce que je propose par l’amendement que j’ai déposé sur le bureau. Ainsi je demande 11,000 fr. y compris le matériel.
M. Legrelle. - Moi je propose 8,000 fr. au lieu de 7,000 fr. proposés par la section centrale.
M. Dubus. - Le ministre nous dit que dans ces articles sont compris des frais de premier établissement ; j’ouvre le budget, et je trouve en tête : « Charges ordinaires et permanentes. » Ainsi le ministre reconnaît qu’il pourra demander moins l’année suivante. Toutefois je persiste à penser que cette année on peut réduire le chiffre à ce que propose la section centrale ; avec ce chiffre la cour et le parquet auront le moyen d’acheter les livres qui leur seront nécessaires. Chacun des magistrats a sa bibliothèque ; il ne faut pas faire pour la cour de cassation une succursale des bibliothèques publiques.
Le ministre, au lieu de consentir à une diminution, demande une augmentation pour les expéditions que fait le greffier et qu’il doit délivrer aux termes des lois ; la place de cette dépense doit être ailleurs ; il est question ici de menues dépenses et non d’un supplément de traitement pour le greffier.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je crois qu’à la manière dont M. Dubus défend les conclusions de la section centrale, l’honorable M. Legrelle peut se consoler de l’absence de M. Fleussu, son rapporteur. (On rit.)
Pour le greffier, l’allocation demandée est de toute justice. La même indemnité est accordée aux greffiers des cours et tribunaux. Comme cette indemnité est demandée à titre de frais de bureau, je crois qu’elle peut entrer sous la rubrique matériel. Cependant si on veut la mettre sous le titre de frais de poursuite et d’exécution, au chapitre IV, j’y consens.
Pour aplanir toutes les difficultés, si on veut voter 10,000 fr., y compris les 1,000 fr. du greffier, j’y consentirai.
M. Dubus. - La section n’a pas examiné le chiffre de 1,000 fr., elle propose 2,000 fr.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - C’est un oubli, si on n’a pas demandé les 1,000 fr.
- Le chiffre 7,000 fr., mis aux voix, est rejeté.
Le chiffre 8,000 fr. proposé par M. Legrelle, est adopté.
M. le président. - Voici l’amendement déposé par le ministre : « Pour le greffier de la cour de cassation, à titre d’abonnement pour remise sans frais au ministère public, et aux diverses administrations, de toutes les expéditions ou écritures qui leur sont nécessaires pour les services publics : fr. 1,000 fr. »
M. d’Huart. - Il faudrait examiner l’importance de ces écritures : s’il y a peu de choses à faire, il ne faut pas voter 1,000 fr.
M. Verdussen. - Il faut que cela soit examiné par la section centrale.
M. Dubus. - J’appuie le renvoi à la section centrale. Ce sont des frais de justice qui ne doivent pas être compris dans les menues dépenses. Le tarif est incomplet.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Le tarif devrait être révisé ; mais, en attendant, le greffier ne peut travailler sans rétribution. Je retire ma proposition, en me réservant, de proposer un amendement au chapitre IV.
- L’article premier du chapitre II, montant à 241,800 f., mis aux voix, est adopté.
La séance est levée à quatre heures et demie.