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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 19 août 1833

(Moniteur belge n°233, du 21 août 1833)

(Présidence de M. Raikem)

M. le président occupe le fauteuil à midi et demi.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

Après l’appel nominal, il est donné lecture du procès-verbal de la dernière séance, qui est adopté sans opposition.

Pièces adressées à la chambre

Plusieurs pièces, adressées à la chambre, sont renvoyées à la commission des pétitions.

Motion d'ordre

Arrestation d'un Belge à l'étranger

M. le président. - La lettre suivante m’a été adressée :

« M. le président,

« Obligé de m’absenter ce matin, j’ignore si je serai de retour pour la séance. J’ai donc l’honneur de vous prévenir que j’ai écrit à M. le baron Joseph d’Hooghvorst, pour le prier de me transmettre les renseignements qu’il aurait à me donner sur la détention que subit en Bavière le sieur Corremans. N’ayant pu recevoir encore de réponse de M. d’Hooghvorst, qui n’est pas à Bruxelles, veuillez rendre compte à la chambre de ma démarche, qui sera suivie de l’explication demandée, dès que je serai à même d’y satisfaire.

« Veuillez. etc.

« Signé, F. de Mérode.

« Bruxelles, lundi 19 août 1833 »

M. de Robaulx. - Messieurs, dans une précédente séance, j’ai cru devoir élever la voix en faveur du malheureux Corremans. J’ai posé une question à M. le ministre des affaires étrangères, et par la lettre dont il vient de nous être donné lecture, vous voyez que ce ministre fait défaut ; il nous annonce qu’il en a écrit à M. d’Hooghvorst pour obtenir des explications, et qu’il répondra à mes interpellations lorsque la réponse lui sera parvenue. Pour moi, je n’ai pas cru devoir attendre qu’il plaise à M. de Mérode de demander des détails à M. d’Hooghvorst, et qu’il plaise à M. d’Hooghvorst de les lui donner, pour prendre la parole et faire entendre un langage qui. je l’espère, aura du retentissement ; car il s’agit d’un de nos malheureux compatriotes, retenu en prison dans un pays étranger. (Des conversations particulières s’établissent sur plusieurs bancs.)

Je n’irai pas plus loin, messieurs, si ce bruit veut dire que le sujet n’intéresse pas la chambre, M. d’Huart, entre autres pourrait bien attendre que j’aie fini pour prendre la parole.

M. d’Huart. - Je ferai remarquer à l’honorable membre qu’il lui arrive quelquefois de parler lorsqu’un orateur a déjà la parole. (On rit.)

M. de Robaulx. - Je répondrai à l’incartade de l’honorable M. d’Huart que je l’écoute toujours avec beaucoup de plaisir, parce que je crois toutes ses paroles inspirées par la conviction et la bonne foi ; mais aujourd’hui je trouve son observation peu parlementaire.

M. d’Huart. - Vous m’avez interpellé, je vous ai répondu.

M. de Robaulx. - Si le malheureux dont j’ai à parler ne vous intéresse pas, vous nous le direz quand j’aurai fini.

Il se passe, messieurs, de singulières choses devant nous. Messieurs, voyez, je m’adresse à M. le ministre des affaires étrangères, et voilà que le ministre doit écrire à un ambassadeur qui ne l’est plus. Mais est-ce que cet ambassadeur ne lui a pas rendu ses comptes à la fin de sa mission ? Est-ce que toutes les pièces relatives à sa mission ne doivent pas se trouver dans les archives du ministère ?

Ainsi, le fait est constant ; M. le ministre ignore ce qui s’est passé ! Eh bien, je vais le mettre au courant ; ce n’est pas la première fois que je lui rends ce service. (On rit.)

Le docteur Corremans est né à Bruxelles le 4 octobre 1802 ; il est fils d’un conseiller de la cour impériale du département de la Dyle.

Il s’est établi en Bavière en 1826, et maintenant ce jeune homme est très connu en Allemagne comme publiciste, il a fondé trois journaux dans lesquels il a mérité sa réputation. C’est l’Observateur, c’est la Prusse libérale et le Spectateur ; dans ces feuilles, Corremans s’est attaché à défendre la révolution belge attaquée par le docteur Munch, qu’on dit stipendié par la Hollande.

En Allemagne, où l’on accablait notre révolution de sarcasmes et d’injures, nous avions un défenseur, et ce défenseur, c’était Corremans. On conçoit facilement que le roi de Bavière ne trouve pas de son goût les accents un peu mâles d’indépendance et de liberté ; on profita donc d’un prétexte pour persécuter Corremans. Oui, messieurs, d’un simple prétexte, et vous allez le voir.

Le 21 mai 1832, un mouvement populaire éclate à Nuremberg. Le peuple crie : Corremans et la Liberté ! Cette manifestation, qui prouvait combien ce jeune homme était déjà avancé dans l’estime de la population, devint le signal de la persécution pour notre compatriote ; il fut jeté en prison comme complice du mouvement. Les tribunaux déclarèrent que Corremans y était demeuré étranger, et rendirent un ordre de mise en liberté. Mais les pouvoirs absolus ne tiennent pas grand compte des décisions judiciaires, surtout lorsqu’elles sont marquées au coin de l’indépendance. La police s’empara de Corremans, et admirez le beau prétexte ! on osa dire : « Tous les procès politiques ne sont pas encore terminés, et il est très possible que la complicité de Corremans se rattache à d’autres mouvements ; » et il fut retenu dans les prisons, où si gémit depuis quinze mois.

Il y a plus, messieurs, tous les procès politiques sont terminés depuis sept mois, et Corremans est encore en prison. Une ordonnance, que les journaux ont qualifiée d’inconstitutionnelle, a supprimé ses journaux, en sorte que le voilà, lui et sa famille, ruinés, et dans une ville étrangère.

Il s’adressa d’abord au gouvernement belge en exposant les circonstances dont je viens de rendre compte ici, et ne reçut pas de réponse.

Quelque temps après, M. d’Hooghvorst fut envoyé en Bavière avec une mission du Roi des Belges. Vous vous imaginez les espérances que cet événement fit naître chez le malheureux Corremans ; oh ! quel beau jour ! il allait être libre enfin.

Il s’adresse à l’ambassadeur.... Pas plus de réponse que de la part du gouvernement. Enfin la femme de Corremans, qui est Allemande, a écrit dans sa langue maternelle au chef du gouvernement belge, et lui expliqua les malheurs de sa position.... Pas de réponse encore une fois.

Toutes les sympathies de l’Allemagne se groupèrent autour de Corremans, et les journaux firent grand bruit de son emprisonnement, et alors on accusa le chef du gouvernement belge de ne pas protéger les Belges ; oui, messieurs, le ministère a compromis la réputation du Roi, et je l’accuse de n’avoir pas réclamé notre compatriote, et d’avoir abaissé en même temps la dignité du chef du gouvernement aux yeux des puissances étrangères.

Je tiens dans mes mains une correspondance qui m’est adressée de Nuremberg, et d’après laquelle on me donne des extraits de journaux peu flatteurs pour nous. Je vois des lignes où l’épouse de Corremans regrette amèrement que son mari soit Belge : s’il était Anglais ou Hollandais, dit-elle, il serait protégé ; mais il est Belge, et il n’y a pas de protection pour lui.

J’espère que M. le ministre méditera sur les explications que je lui ai données et avisera à obtenir l’élargissement de Corremans ; il y a assez de temps qu’on nous dit que nous faisons partie de la grande famille européenne. Qu’on nous le prouve enfin, mais j’en désespère ; nous sommes bafoués partout, et nulle part on ne nous respecte.

Projet de loi organisant la procédure en extradition

Discussion des articles

Article 2

M. le président. - La chambre s’est arrêtée dans la dernière séance à la discussion de l’article 2. Voici comment la section centrale propose de le rédiger :

« L’extradition ne sera accordée que sur la production du jugement ou de l’arrêt de condamnation ou de l’arrêt de la chambre des mises en accusation, en original ou en expédition authentique délivrés par l’autorité compétente, et après avoir pris l’avis de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel dans le ressort de laquelle l’étranger aura été arrêté.

« Le ministère public et l’étranger seront entendus en chambre du conseil. Dans la quinzaine à dater de la réception des pièces, elles seront renvoyées avec l’avis motivé au ministre de la justice. »

Le ministre a adhéré à cette rédaction. M. Gendebien a présenté les propositions suivantes :

Substituer à l’article 2, aux mots « ou en duplicata original, » ceux-ci : « ou en expédition authentique. »

Ajouter à l’article 2 : « et seulement sur l’avis conforme de la seconde chambre de la cour de cassation. »

La parole est à M. Gendebien.

M. Gendebien. - J’avais demandé d’abord qu’il ne pût jamais être fait d’extradition, si ce n’est après un jugement définitif contradictoire ou par contumace ; mais la chambre a repoussé mon amendement, et c’est pour moi une raison de plus d’insister sur la nécessité de mon amendement, ou de celui de la section centrale.

Je veux que la cour de cassation (deuxième chambre) soit saisie, parce que cette cour est supérieure à toutes les autres, et qu’il est bien d’observer la hiérarchie judiciaire ; c’est encore parce que la deuxième chambre est moins chargée d’affaires, et trouvera bien plus facilement que les chambres des mises en accusation le temps nécessaire pour s’occuper des questions qui lui seront soumises. Une autre considération, messieurs, en faveur de mon amendement, c’est que devant la cour de cassation tout se fait publiquement, et que là, par conséquent, on trouve une garantie de plus pour l’étranger.

Une autre garantie, c’est qu’il se trouve en face de sept juges appartenant à l’ordre supérieur de la magistrature, et qui, par la nature de ses fonctions, a l’habitude de procéder avec maturité.

Maintenant que vous avez admis le principe de l’extradition, vous devez adopter mon amendement ou celui de la section centrale, si vous voulez conserver quelques garanties pour les étrangers.

Je n’ajouterai aucun développement pour justifier le léger changement de rédaction que j’ai proposé aussi sur l’article 2 ; la section centrale y a donné son adhésion.

M. Ernst, rapporteur. - L’honorable préopinant peut se féliciter d’avoir présenté un amendement qui donne des garanties de plus aux réfugiés ; mais d’un autre côté, il aurait dû être satisfait de la manière dont la section centrale a tiré parti de son amendement.

La question est de savoir s’il convient de faire intervenir la deuxième chambre de la cour de cassation. Tous les motifs militent pour faire accorder la préférence à l’intervention de la chambre des mises en accusation. La chambre des mises en accusation est appelée à qualifier les crimes et délits : c’est précisément cette mission-là qu’elle aura à remplir lorsqu’elle devra reconnaître si ces faits sont relatifs à la politique ; les fonctions même de la cour de cassation s’opposent à ce qu’on lui confère les attributions dont il s’agit. En effet, cette cour est appelée à vérifier les points de droit, non à vérifier des faits.

Une troisième raison, c’est que la responsabilité ministérielle peut être compromise dans une affaire d’extradition, et qu’il serait dangereux de faire comparaître un ministre devant une cour qui aurait déjà donné son avis sur la question.

On a parlé de la supériorité de la cour de cassation sur toutes les autres cours ; cette supériorité est tout à fait indifférente ici, puisqu’il ne s’agit que d’apprécier la nature d’un fait, et non de décider du bien ou mal jugé.

On a prétendu que les chambres d’accusation étaient surchargés de besogne, et qu’ils n’auraient point le temps de s’occuper de questions que nous voulons leur soumettre ; mais il ne faut pas oublier que les demandes d’extradition sont très rares. C’est tout au plus si chacune de ces cours doit prononcer sur 2 ou 3 dans l’année.

On a fait valoir la publicité des arrêts de la cour de cassation ; mais faut-il cette publicité, est-elle désirable ? Il n’est pas question d’un débat, d’un jugement, mais de donner un avis après avoir entendu l’étranger et le ministère public.

M. Gendebien. - Je tiens à ce qu’un amendement passe, celui de la section centrale ou le mien. Du reste, je ne demande pas la priorité pour ma rédaction.

- L’article 2 est mis aux voix et adopté tel qu’il a été rédigé par la section centrale.

Article 3

« Art. 3. L’étranger pourra être arrêté provisoirement en Belgique sur l’exhibition d’un mandat d’arrêt décerné par l’autorité étrangère compétente, et rendu exécutoire par le juge d’instruction du lieu de sa résidence ou du lieu où il pourra être trouvé. Ce juge est autorisé à procéder suivant les règles prescrites par les articles 87-90 du code d’instruction criminelle.

« L’étranger pourra réclamer la liberté provisoire dans les cas où un Belge jouit de cette faculté et sous les mêmes conditions. La demande sera soumise à la chambre du conseil. »

M. le président. - M. Gendebien propose la suppression de cet article.

M. Gendebien. - On a reconnu depuis longtemps que l’arrestation provisoire donnait lieu aux abus les plus graves, et l’on a été tellement frappé des inconvénients qu’elle entraîne que le code civil hollandais, rédigé par des Hollandais, a changé la législation à cet égard, et a exigé l’intervention de trois juges pour autoriser une arrestation provisoire. Ici se présente pour vous l’occasion de réparer une erreur, de prévenir des abus ; il faut la saisir.

Remarquez, messieurs, combien est exorbitante cette disposition qui condamne préalablement un étranger à trois mois d’emprisonnement. Car, messieurs, si un gouvernement ne donne pas suite à la demande d’extradition qu’il aura faite, l’étranger devra subir la peine de trois mois d’emprisonnement ; la condition de sa sortie avant cette époque, c’est l’extradition.

Mais, il est une considération devant laquelle vous reculerez sans doute. Si vous adoptiez l’article, un de nos juges d’instruction pourrait aller porter la main sur tous les papiers d’un étranger, livrer tous ses secrets de famille ; et c’est ainsi que nous deviendrions les hauts policiers de toutes les puissances.

A l’aide d’une disposition semblable, le gouvernement de la restauration aurait pu saisir toutes les notes, tous les secrets des proscrits ou des réfugiés de 1815, et s’emparer ainsi de toutes les pièces qu’ils possédaient sur la dynastie, sur les ministres et autres puissants du jour, ou sur les gens qui se sont mêlés à la révolution pour la perdre, ou sur de nombreux patriotes qui seraient inquiétés chez eux. Avec cette loi et un agent subalterne, vous rétablirez l’inquisition en Belgique et vous vous ferez les grands inquisiteurs de l’Europe.

M. de Theux. - Je conviens avec l’honorable préopinant que le code hollandais avait introduit une amélioration à cette partie de la législation ; mais je ne pense pas que cette modification puisse être introduite dans la loi. J’ajouterai que des motifs particuliers s’opposent à ce que nous en adoptions une semblable pour l’arrestation provisoire des étrangers. En effet, si l’intervention de trois juges état nécessaire, alors les tribunaux seraient admis à prononcer sur la nécessité de l’arrestation. Il faudrait donc les saisir de tous les actes de la procédure sans lesquels aucune délibération ne serait possible.

J’ajoute que l’étranger n’a pas à se plaindre d’être arrêté aux termes du projet qui vous est soumis. En effet, messieurs, s’il s’était trouvé dans son pays, il aurait été arrêté de la même manière, puisque la loi requiert un mandat d’arrêt de l’autorité compétente.

D’après l’article premier adopté, l’extradition ne peut avoir lieu qu’ensuite d’un jugement ou d’un arrêt de mise en accusation ; mais il suit de là que si l’arrestation provisoire ne pouvait avoir lieu, le coupable aurait tout le temps de s’enfuir.

Je conviens que ce ne serait pas là un grand malheur pour nous, mais l’inconvénient serait de ne pouvoir offrir aucune garantie aux gouvernements étrangers avec lesquels on voudrait traiter : de là impossibilité de traiter et inutilité complète de la loi ; en un mot, le rejet de l’article 3 serait le rejet de la loi.

On a dit que si on autorisait un juge d’instruction à procéder à la visite ou à la saisie des papiers conformément au code d’instruction criminelle, ce serait lui donner les moyens de servir d’auxiliaire à la police de tous les royaumes. Je ne pense pas qu’on puisse redouter un pareil abus de la part des juges d’instruction.

La loi n’autorise que la saisie des papiers relatifs au fait imputé ; or, comme les délits politiques sont exceptés dans cette loi, il ne pourra saisir des papiers de cette nature ; il devra les laisser à la disposition du prévenu ; il ne pourrait pas davantage révéler les faits politiques qu’il aurait découverts dans cette occasion, sans trahir l’honneur et son devoir. Je ne pense pas que de pareils abus puissent être commis par nos magistrats la crainte peu fondée d’un abus possible ne doit pas nous porter à paralyser la loi sur les extraditions.

M. Jullien. - Messieurs, l’article 3 dont nous nous occupons est un article additionnel au projet primitif de M. Lebeau. Si la section centrale s’imagine avoir amélioré ce projet, je crois qu’elle est dans l’erreur car je l’avouerai, la disposition ministérielle me semble infiniment préférable. Le gouvernement demandait purement et simplement l’extradition pour les délits et les crimes. Et voilà tout ; il disait : Permettez-moi de demander aux gouvernements étrangers l’extradition d’un criminel pour un criminel ; et nous serons quittes avec eux. Mais la section centrale a été plus loin, tant il est vrai qu’une fois engagé dans une pareille route il n est plus possible de s’arrêter où l’on voudrait.

On vous propose de faciliter, vous les premiers, tous les gouvernements du monde à se faire les geôliers les uns des autres. On veut que vous rendiez exécutoire le mandat d’arrêt délivré par une puissance étrangère. Il est évident, messieurs, que la section centrale a été préoccupée de cette idée qu’un mandat d’arrêt était dans tous les pays ce qu’il est chez nous.

Vous savez qu’ici, avant d’arrêter un citoyen ou un étranger, la loi dispose qu’on peut d’abord délivrer un mandat de comparution afin de ne pas procéder à leur arrestation brutale. Après le mandat de comparution, c’est le mandat d’amener. Mais je ne doute pas que les gouvernements absolus ne procèdent avec infiniment moins de cérémonies. Qu’un ordre émané de l’empire russe vous arrive pour arrêter les Polonais ; voilà bien un mandat d’arrêt. Car vous, vous n’attendez pas sans doute qu’on vous spécifie les faits, ni qu’on vous mentionne la loi qui autorise l’arrestation. Non, mais il y a ordre d’arrêter, et le juge d’instruction doit donner force exécutoire au mandat. N’est-ce pas là une disposition exorbitante, je vous le demande maintenant ?

Il est de principal général que le droit de faire justice est essentiellement dans les attributions des souverains. Cela est si vrai qu’aucun souverain ne peut se permettre de faire exécuter un acte dans un autre royaume que dans le sien, sans autorisation expresse de celui qui gouverne ce royaume. On portait le respect de ce principe si loin sous l’ancien régime, que c’était à la chancellerie à permettre l’exécution de l’arrêt d’un parlement dans le ressort d’un autre. L’acte que vous voulez autoriser a toujours été regardé comme une usurpation d’un souverain sur un autre. Quand deux étrangers ont ensemble une contestation sur des intérêts et ne peuvent pas demander satisfaction à nos tribunaux, ces tribunaux ne peuvent la leur donner ; ils empiéteraient sur les droits des tribunaux du pays auquel ces étrangers appartiennent. Et vous, vous permettriez à un juge d’instruction de dire : « Au nom de l’autocrate de Russie, un mandat d’arrêt a été décrété contre la personne de… Je lui donne force exécutoire. »

Ce serait agir contre tout ce que nous avons appris du droit des gens et du droit des nations ; et pourquoi donc aller ainsi au-devant de ce que les puissances ont intérêt à nous demander ? Si elles veulent une extradition et qu’elles montrent les pièces qui permettront de la leur accorder tout de suite, elles l’obtiendront. Si elles ne sont pas en état de le faire, on ne leur livrera personne, et il n’y aura pas grand mal à cela.

En vérité, messieurs, c’est une innovation singulière que celle qu’on vous propose, et je félicite sincèrement M. le ministre de la justice de n’y avoir pas songé (on rit). Si vous n’avez pas encore vu de loi d’extradition, vous n’en verrez jamais aucune où se trouve une disposition semblable. Il est beau sans doute de donner l’exemple à toute l’Europe ; mais comment n’a-t-on pas senti que lorsqu’on veut ainsi donner un exemple à tout le monde, il ne faut pas que ce soit par un acte qu’autre part on pourrait qualifier de ridicule ? Et en vérité, je crains bien qu’on ne fasse ce reproche à l’article 3.

En définitive, messieurs, on vous propose de faire du peuple belge le geôlier de toutes les autres puissances. Car enfin vous aurez trente ou quarante étrangers à nourrir, à entretenir dans vos prisons pour un seul Belge dont vous aurez à demander l’extradition, et les frais de justice qui sont considérables, qui vous en tiendra compte ? Personne. C’est vraiment bien la peine de vous faire les gendarmes des autres nations !

On dit qu’il sera facile à l’étranger d’obtenir sa mise en liberté provisoire, de la même façon qu’un citoyen belge pourrait le faire. Cette faculté est illusoire, et, dans tous les cas, il y a une lacune à remplir dans la loi.

Il faut, pour obtenir sa liberté provisoire, assigner ou faire dénoncer la demande à la partie civile qui a fait arrêter. Dites-moi donc où on pourra assigner la partie civile, après un mandat d’arrêt. Indiquez le lieu dans votre projet ; mais, vous le voyez, jusque là, tout est imperfection, inconvénient dans votre loi. D’un autre côté, pour obtenir sa liberté provisoire, il faut une caution ; or, croyez-vous qu’un étranger en trouve une facilement ? M. Gendebien vous l’a dit, vous n’avez rien de mieux à faire qu’à retirer l’article. Si sous l’adoptez, vous ne ferez que rendre le projet plus mauvais encore qu’il ne le sera si vous l’adoptez sans lui.

M. le président. - M. Gendebien a proposé un sous-amendement ; il a la parole pour le développer.

M. Gendebien. - Si la chambre décidait la suppression de l’article 3, il ne serait plus question de mon amendement. Pour éviter de perdre du temps l’on peut donc discuter sur l’article.

M. le président. - L’usage de la chambre est de s’occuper d’abord des amendements…

M. de Robaulx. - Si M. le président discute, je demande la parole contre M. le président.

M. le président. - Je ne discute pas, je rappelle la marche suivie par la chambre, et j’allais ajouter que si la chambre jugeait à propos de déroger à ses habitudes, je me conformerais à la volonté.

M. de Brouckere. - Il est souvent arrivé que, pour ne pas voter sur plusieurs amendements qui portaient sur un article dont la suppression était demandée et pouvait être adoptée, la chambre votait d’abord sur cet article, et de cette manière il n’y avait pas de temps perdu.

M. Gendebien. - Il me semble qu’on ne peut me faire développer dès à présent mon amendement, sans me mettre en contradiction avec moi-même. En effet, je ne veux pas du tout de l’article, et l’on veut me forcer à l’améliorer pour qu’il passe ; cela n’est pas possible, ce serait une absurdité. (Marques générales d’adhésion.)

M. le président. - La parole est à M. Ernst.

M. Ernst, rapporteur. - Je répondrai d’abord à quelques observations de l’honorable M. Jullien ; à l’entendre, il semble que nous ayons eu la prétention de donner l’exemple à toute l’Europe en fait de législation. Cette idée n’est pourtant venue à aucun des membres de la section centrale. J’ai déjà eu l’occasion de relever cette supposition ; mais il faut bien que je répète que si ailleurs on n’a pas fait une loi d’extradition, c’est qu’on n’en a pas besoin, parce que les gouvernements ont des traités de leur propre autorité, tandis que la constitution belge ne donne pas ce pouvoir au ministère. On nous a accusés d’avoir rendu le projet ministériel pire qu’il n’était d’abord. Cependant il suffisait d’abord d’un simple mandat de justice pour mettre la main sur l’étranger, et pour le livrer : d’après nos dispositions, il n’est pas même permis de l’arrêter provisoirement sur un mandat de justice ; il ne suffit pas d’un mandat de comparution, d’un mandat d’amener, il faut un mandat d’arrêt ; et pour faite ensuite l’extradition, vous savez, messieurs, combien de conditions importantes sont requises. Voilà ce qu’on appelle rendre un projet plus mauvais.

On a dit que l’article 3 blessait tous les principes. Dans quel but avons-nous inséré cet article ? Pour que les gouvernements, qui se donnent un appui réciproque pour punir les crimes, facilitent également les moyens d’obtenir une bonne justice, en recherchant et conservant les éléments de l’instruction, tout ce qui peut servir à la manifestation de la vérité, autant pour l’innocent que contre le coupable. Ce n’était qu’une conséquence du principe.

Comment, s’est-on écrié, il suffira d’un ordre de l’empereur de Russie pour autoriser l’arrestation provisoire des Polonais qui vivent au milieu de nous ? Non, il faudra un mandat émané d’un juge qui réunit toutes les conditions d’un mandat d’arrêt, sinon le juge d’instruction ne pourrait le rendre exécutoire en Belgique ; le texte du projet est positif.

Mais il faut, nous a-t-on objecté, la réciprocité pour les arrestations provisoires comme pour les extraditions ; or, cette réciprocité sera une des conditions préalables de tous les traités de cette nature. On objecte qu’il y aura impossibilité d’exécuter la disposition qui concerne la liberté provisoire : comment, dit-on, signifier la demande à la partie civile en pays étranger ? Mais il ne sera pas question de cette signification ; ce n’est pas du tout dans l’intérêt des personnes lésées que l’arrestation provisoire sera faite.

Maintenant, messieurs, j’ai besoin de vous exprimer mon opinion personnelle sur l’article 3. L’honorable M. Doignon a indiqué dans une séance précédente les inconvénients graves que cet article peut présenter dans son exécution ; il a fait une forte impression sur mon esprit ; j’ai signalé les dangers à la section centrale, et j’ai déclaré que si on ne trouvait pas de moyens de les éloigner, je serais forcé de m’élever moi-même contre cette disposition ; car il y de l’honneur à revenir d’une erreur quand on l’a reconnue. (Très bien ! très bien !)

Voici, messieurs, quelles sont mes craintes : nous avons nos sûretés contre l’extradition pour causes politiques, l’intervention de la chambre des mises en accusation, la responsabilité du ministre, le texte de l’article 6, qui ne permet pas l’extradition pour des délits politiques ; mais nous n’avons aucune de ces garanties dans le cas de l’arrestation provisoire.

Le mandat d’arrêt lancé contre l’étranger mentionnera un des crimes ou délits énumérés dans notre loi ; eh ! comment saurons-nous qu’ils ne se rattachent pas à la politique ?

On me dira que cette arrestation ne pourrait conduire à l’extradition : soit, mais ce ne sera pas moins un moyen de persécuter des réfugiés que nous devons protéger, un moyen de connaître leurs papiers, leurs secrets, trouver les traces d’un prétendu complot pour opprimer ensuite les malheureux compatriotes de ces réfugiés.

Ce sont, messieurs, des motifs sérieux de réfléchir sur l’article qui vous est soumis ; je serai forcé de le rejeter si mes inquiétudes ne sont pas dissipées.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) – Messieurs, si le gouvernement pouvait apporter quelque susceptibilité d’amour-propre dans la discussion des projets qu’il a l’honneur de vous soumettre, il aurait éprouvé une sorte de consolation en présence des attaques si vives dont le projet de la section centrale a été l’objet dans cette enceinte.

Je crois que dans l’état actuel de l'administration générale vous devez vous attendre à ce que, sur dix projets sortis des cartons ministériels, il s’en trouvera neuf à refaire dans les sections ou dans cette enceinte. Les ministres, privés de l’assistance d’un conseil d’Etat (bruit en sens divers), accablés de travaux nombreux et variés, absorbés par des sessions parlementaires de dix à onze mois, devraient avoir une organisation privilégiée, et pour ainsi dire surnaturelle, s’ils étaient tenus de présenter des projets de loi qui ne fussent pas marqués de nombreuses imperfections, ces projets fussent-ils accueillis avec autant de faveur qu’on montre habituellement de défiance pour tout ce qui vient du pouvoir.

La section centrale n’est parvenue à stipuler les garanties désirables qu’après un long examen et les lumières nouvelles que la discussion avait fait jaillir ; encore n’est-elle pas arrivée à cette perfection que l’on désire, malgré son désir de bien faire, travail consciencieux et le talent de son savant rapporteur.

Cette fois l’honorable membre aura eu un avant-goût des douceurs ministérielles, grâce à sa situation, qui a offert un instant quelqu’analogie avec celle d’un ministre qui vient vous demander un projet de loi destiné à prévenir les abus d’une liberté exagérée, funeste à la morale publique, à la propriété, au commerce.

L’honorable rapporteur de la section centrale a déjà répondu au reproche qui nous était fait de vouloir donner l’exemple à toute l’Europe. La France, bien que ses institutions présentent une grande analogie avec les nôtres, n’a pas besoin d’une loi d’extradition, parce que le droit d’extradition y est regardé comme une prérogative du pouvoir exécutif, et comme faisant partie du droit politique international.

La question qui vous est soumise est très grave. Je ne crains pas de dire que dans ce moment c’est la loi tout entière qui est remise en question. Si l’article 3 est supprimé vous pouvez déchirer la loi ; elle ne sera qu'un chiffon de papier. Prenez-y garde, messieurs, et ne perdez pas de vue le vieil adage : Qui veut la fin, veut les moyens. Accordez l’arrestation provisoire, ou le droit d’extradition est nul.

Il faut remarquer d’ailleurs que l’extradition n’a pas seulement pour but de satisfaire la vindicte publique, mais qu’elle est demandée aussi pour protéger les intérêts privés, les intérêts du commerce, comme lorsqu’il s’agit de falsification de billets de banque, de vol, de faux.

Si l'arrestation provisoire ne peut avoir, lieu, non seulement les pièces du procès, qui servent à constater l’innocence tout autant que la culpabilité, pourront disparaître ; mais les valeurs dont le réfugié était frauduleusement possesseur pourront échapper à ceux qui les réclament, aux légitimes propriétaires.

Rappelez-vous, messieurs, ce qui s’est passé à l’assemblée constituante la première fois qu’il y fut question d’extradition ; c’était à l’occasion de trois employés de la banque de Vienne réfugiés à Huningue. Vous le savez, personne n’éleva la voix pour qu’on fît cesser leur arrestation provisoire ; personne ne prétendit que ce fût une atteinte inutile, odieuse, à la liberté individuelle.

L’arrestation provisoire est une des conditions sine qua non de l’extradition. J'ai cité dernièrement l’exemple de l’Amérique du nord, je suis en mesure de prouver tout ce que j’ai avancé sur ce pays. L'acte fédéral signé à Philadelphie, le 9 juillet 1778, contient les deux dispositions suivantes :

« Art. 4. Pour assurer et perpétuer le mieux possible la correspondance et l’amitié mutuelles parmi le peuple du divin Etat qui composent cette union, les habitants libres de chacun de ces Etats, à l’exception des mendiants, des vagabonds et de ceux qui fuient les poursuites de la justice, auront droit à toutes les immunités et privilèges des citoyens libres dans les différents Etats, etc.

« Si quelques personnes coupables ou accusées de trahison, de félonie ou d'autre délit considérable dans un des Etats, fuit les poursuites de la justice, et est trouvée dans quelqu’autre des Etats-Unis, elle sera, sur la demande du gouverneur ou de la puissance exécutive de l’Etat dont elle sera évadée, délivrée et envoyée audit Etat dans la juridiction duquel elle devra être jugée. »

Messieurs, il ne s’agit ici que du droit d’extradition entre les différents Etats qui composent l’Union américaine. Mais il y a une première remarque à faire, c’est que les Etats-Unis, à part le lien fédéral, sont complètement indépendants ; ils ont leur législature et leur législation séparées ; il y a beaucoup plus d’analogie entre la situation respective des différents Etats de la confédération germanique et celle des Etats-Unis entre eux, qu’entre ces Etats et nos provinces ou les département français

Ce n’est pas tout. Les Etats-Unis n’ont pas seulement stipulé le droit d’extradition entre eux. Je conviens que si les choses restaient, à leur égard, dans les termes que je viens d’indiquer, l’exemple ne serait pas fort concluant ; mais j’ai sous les yeux un extrait du traité de 1794 entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis d’Amérique, sous la présidence du général Washington. Le voici :

« Art. 27. Il est en outre convenu que sa majesté (le roi de la Grande-Bretagne) et les Etats-Unis, sur réquisitions réciproques, soit par eux-mêmes, soit par leurs ministres, soit par des officiers (publics) à ce autorisés, remettront à la justice toute personne qui, accusée de meurtre ou de faux, commis dans la juridiction de l’un ou de l’autre, cherchera un asile dans un pays quelconque appartenant à l’un ou à l’autre de ces Etats, pourvu que cette remise ne soit faite que sur une évidence de criminalité telle que, suivant les lois du pays où le fugitif ou la personne accusée sera trouvée, cette évidence justifierait son arrestation et sa réclusion pour jugement si le crime y avait été commis. Les frais de cette arrestation et de la remise seront supportés et payés par ceux qui auront fait la demande et qui recevront le fugitif. » (Code diplomatique des Etats-Unis, par Elliot, page 241.)

La partie finale de cette citation répond à une inquiétude que l'on a manifestée. On a dit que nous serions les geôliers de l'Europe, et que nous allions ainsi surcharger notre budget de frais considérables. Vous voyez qu'il est évident que le gouvernement, sous peine d'engager imprudemment sa responsabilité, doit stipuler que les frais d'extradition seront à la charge de ceux qui la requièrent.

Les extraits que je viens de mettre sous les yeux de la chambre ont bien prouvé que les Etats-Unis admettent l'extradition entre eux et avec les puissances de l'Europe.

J'arrive à l'arrestation provisoire. Elle est également admise aux Etats-Unis. J'ai sous la main un journal de New York, qu'un Américain, qui habite Bruxelles, a eu la bonté de m'envoyer, dans lequel on rapporte, sous la date du 3 juillet dernier, que récemment à New York un réfugié anglais a été arrêté provisoirement, sur la demande de ses créanciers, qui l'ont poursuivi jusqu'en Amérique.

Je montrerai le journal aux membres qui désireront prendre connaissance des faits… J’y ai joint la traduction de l'article. Pour prévenir toute fausse interprétation, je dois dire que ce document ne me vient pas de la légation des Etats-Unis à Bruxelles : je ne le lui eusse pas demandé ; et je le lui eusse demandé vainement parce que les convenances de leur position ne permettent pas aux agents diplomatiques de s’immiscer, même indirectement, dans les discussions de politique intérieure des gouvernements auprès desquels ils sont accrédités.

Messieurs, nous ne nous dissimulons pas la nature d’une arrestation provisoire. Mais considérez qu’elle est environnée d’une double garantie, de l’intervention d’un magistrat étranger, et de l'intervention d’un magistrat régnicole.

Dans l’extradition, deux grands intérêts doivent être consultés : l’intérêt public, et l'intérêt privé qui l'accompagne souvent ; or, l’arrestation provisoire, sur la simple permission d’un juge régnicole est permise contre l’étranger, lorsque l’intérêt privé vient la solliciter (lisez la loi du 20 septembre 1807 sur la contrainte par corps, et vous verrez qu’on peut incarcérer un étranger, sur la simple autorisation du président du tribunal) ; à plus forte raison doit-elle être autorisée dans l’intérêt public : nous excipons d'un intérêt bien autrement imposant que l’intérêt privé, nous parlons au nom de l'intérêt des diverses sociétés européennes, nous parlons dans l’intérêt de la morale publique, de la propriété et du commerce.

Je le répète donc ; toutes les considérations tirées de la nécessité de l'extradition en elle-même s'appliquent avec une égale force à l’arrestation provisoire. L’arrestation provisoire en est le préalable indispensable ; si vous abolissez cette condition vous pouvez déchirer ce que vous avez fait jusqu’ici.

M. de Brouckere. - Messieurs, par un premier vote qui a eu lieu dans le séance précédente, vous avez jugé à propos d’admettre le principe de l’extradition ; selon moi, vous avez accordé au gouvernement un pouvoir exorbitant, et en présence d'une arme aussi dangereuse remise entre les mains d’un ministère qui, pas plus à l’étranger qu’en Belgique, ne peut inspirer aucune confiance…

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je vous remercie.

M. de Brouckere. - Vous pouvez me remercier, car il a longtemps que j’ai cette opinion sur vous.

En remettant une arme si dangereuse entre les mains d’un ministre qui, par ses antécédents, ne peut inspirer de confiance à aucun homme ni en Belgique ni à l’étranger, vous allez éloigner tous les étrangers de la Belgique ; du moins il n'en est pas un qui passera la frontière sans avoir bien examiné si dans sa conduite antérieure, il n’y a pas quelque fait qui, de la part d’un gouvernement inquiet, ne puisse servir à le poursuivre sous prétexte de délit.

Si vous admettez l’article 3, vous irez beaucoup plus loin que le gouvernement. Il suffit, d'après cet article, d’un mandat d’arrêt lancé par un juge étranger, mandat accompagné de l'exequatur du juge en Belgique, pour que l'étranger soit détenu.

Je sais bien que, d’après les lois qui nous régissent, quelques formalités sont requises pour lancer un mandat d'arrêt ; mais les dispositions du code relatives aux mandats de dépôt, d'amener, ne sont pas tellement claires qu'on ne les entende de plusieurs manières ; et j’affirme que dans les pays où nos lois sont en vigueur, les mandats d’amener se décernent sous des formalités que, selon moi, on devrait apporter. Dans les provinces rhénanes (j'en parle avec connaissance de cause, ayant rempli dans ces contrées les fonctions du ministère public pendant six ans), on décerne un mandat d'arrêt contre le prévenu qui n’a pas été entendu, comme on décerne un mandat d’amener ou de dépôt.

Savez-vous dans quels cas un juge d'instruction est autorisé à décerner un mandat portant arrestation ? Lisez le code et vous y verrez que c’est contre toute personne inculpée d'un crime ; ainsi il suffit d’être inculpé pour que le juge lance un mandat d'arrêt.

Je suppose maintenant un étranger se rendant coupable dans son pays d'un délit politique ; on vous l’a assez démontré, il est toujours facile de donner à de tels délits une couleur propre à les ranger dans la classe des délits ordinaires ; alors procès-verbal est rédigé et envoyé au procureur du Roi qui fait son réquisitoire et qualifie le délit à sa manière.

Le juge d’instruction, sur le vu du procès-verbal et du réquisitoire, décerne son mandat, et l'individu compromis pour délit politique, réfugié en Belgique, sera arrêté sur la simple exhibition du mandat. Il gémira dans les prisons pendant qu'on fera l'instruction de son affaire, instruction qu’on prolonge autant que l'on veut. J'en pourrais citer qui dure un an. Il se pourra qu'on acquière la conviction que c'est pour délit politique qu'il est réclamé, et il sera mis en liberté après avoir langui longtemps dans nos prisons. Mais si ce n'est pas pour un délit politique qu'il est poursuivi, si c'est pour un délit ordinaire, sa condition sera pire encore : il sera traité en Belgique précisément comme s'il avait été dans son pays. Il subira d'abord un long emprisonnement…

- Un membre. - Trois mois…

M. de Brouckere. - C’est fort long quand on les passe en prison. L’instruction se fera en son absence, et le résultat lui en sera plus désavantageux qui s'il avait été présent. L’instruction faite, il sera conduit dans son pays ; il sera livré à l'étranger. Voilà donc un homme qui, pour avoir cru prudent de fuir en attendant que son innocente ait été reconnue, sera traité beaucoup plus mal que s'il fût resté chez lui.

Pourquoi fuit-il, dira-t-on ? Messieurs, vous n’avez pas oublié le mot spirituel d’un magistrat français : « Si j'étais prévenu d'avoir volé les tours de Notre-Dame, je commencerais par m'enfuir, sauf à prouver ensuite mon innocence. »

Il vaut beaucoup mieux être franc et agir loyalement : mettez une disposition qui défende à l’étranger d'entrer en Belgique ; elle sera le complément de l'article 3, et vous n’aurez pas agi avec dissimulation.

Vous défendez même le passage à travers la Belgique ; car l'étranger ne la traversera pas en sécurité : si le mandat d’arrêt l’a devancé, on l’arrêtera impitoyablement.

Je ne crois pas, messieurs, qu’il soit possible de trouver rien de plus funeste que l'article 3

Aussi, voyez la conduite généreuse du rapporteur de la section centrale. Il présenté la disposition de l'article 3, parce qu'elle était le corollaire de l'article premier ; et il avait raison ; mais quand il a senti jusqu’où ce corollaire menait, il a été le premier à déclarer qu’il voterait contre son contenu.

Au premier abord le rapporteur a dû être induit en erreur, parce qu’il est presque impossible que l'article premier ne reçoive son exécution sans que vous adoptiez l'article 3. Je répéterai ce que j'ai dit dans une autre séance, c'est que toute la discussion doit vous prouver qu'il est impossible, dans l'état actuel des choses, de faire une loi sur l'extradition, et que vous ne tarderez pas à vous repentir de celle que vous allez faire.

Mais, dit M. le ministre de la justice, il y a double garantie : garantie dans les magistrats étrangers qui signent le mandat, garantie dans les magistrats belges qui signent l'exequatur. J'ai prouvé que la première garantie se réduisait à rien ; la seconde ne vaut pas davantage, car le juge d'instruction qui aura le mandat d'arrêt délivré par le magistrat, ne pourra pas se dispenser de mettre son exequatur, parce que, s'il ne le met pas, on lui reprochera de n'avoir pas fait ce que la loi ordonne, et d'avoir laissé échapper un coupable.

M. le ministre de la justice vous a dit qu'il se consolait des attaques qu'on dirigeait contre lui, parce qu'il a vu le rapporteur de la section centrale en butte à des attaques du même genre. Je crois cependant que personne ne se trompe sur les intentions dont nous sommes animés : on peut attaquer les doctrines de l'honorable M. Ernst, mais personne ne soupçonne sa loyauté et sa droiture. Au reste, le ministre de la justice n'a pas besoin de consolation ; il nous a donné la preuve que, dans sa carrière parlementaire, le pouvoir le consolait de tout, et je l’en félicite.

Sur dix projets que je présenterai, a encore dit le ministre, neuf seront à refaire, parce que les ministres devraient avoir une organisation privilégiée et surnaturelle pour satisfaire à tous leurs travaux. Je reconnais que M. Lebeau n’a pas une organisation surnaturelle, privilégiée ; mais il ne faut pas une semblable organisation pour faire une loi passable....

Si l'article 3 est mis en question, s’est écrié le ministre, déchirez la loi ; le gouvernement n’en veu, pas. Il ne s’est pas aperçu qu’en parlant ainsi il condamnait son propre projet qui ne contient pas de disposition semblable à celle de l’article trois. Par ces paroles il a dit réellement : Déchirez mon ouvrage, il ne vaut rien… C’est la première fois que M. Lebeau se rend justice.

Je n’insisterai pas davantage. Je crois vous avoir démontré jusqu’à l’évidence que l'adoption de l'article 3 serait l’exclusion de tous les étrangers du territoire de la Belgique ; que pas un d'eux, et surtout que pas un Polonais n’oserait séjourner en Belgique s’il était voté.

Quoi qu'en ait dit M. de Mérode, cet article sera un moyen d’établir des relations avec le gouvernement russe. On a déjà essayé d’autres moyens ; s’ils n’ont pas réussi, c’est que le gouvernement russe a toujours méprisé les avances de notre gouvernement. Eh bien ! le gouvernement russe fera dans cette occasion une petite démarche qui lui aurait répugné dans toute autre circonstance ; il sait qu'il y a beaucoup de Polonais en Belgique, et on ne pourra pas lui refuser l’extradition que l’on aura accordée aux autres gouvernements. M. Jullien l’a prouvé : quand vous aurez traité d’extradition avec la France, la Prusse et l'Autriche, vous ne pourrez pas ne pas traiter avec la Russie. Rien qu’une observation aussi simple vous démontre qu’un traité d'extradition sera signé avec le Russe quand il le voudra. Le juge d'instruction recevra deux à trois cents mandats d'arrêt contre les Polonais ; les prisons de Bruxelles valent mieux que celles de Russie, quoique le séjour n’en soit pas agréable.

Je crois donc que la chambre reculera devant une disposition aussi monstrueuse que celle de l’article trois.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Ce qu’il y a de monstrueux, c’est la doctrine que l'on professe sur la liberté d’action des nations relativement aux traités. Si vous autorisez le gouvernement à faire des traités d'extradition, toutes les puissances, sur une simple injonction, obligeront le ministère à conclure de semblables traités.

Messieurs, il en est des traités d’extradition comme des traités de toute espèce, comme des traités de commerce, par exemple ; je ne reconnais à aucune puissance ni le droit, ni le pouvoir de forcer un gouvernement quelconque, quelle que soit l'exiguïté de sa circonscription territoriale, à signer avec elle, soit des traités de commerce, soit des traités d’extradition.

Messieurs, j'avoue que non seulement je ne crois pas montrer de la jactance en déclarant que si, dans l’état des relations politiques de certains pays avec le reste de l’Europe, on venait demander un traité d’extradition de la part de ces pays, je le refuserais et je n’aurais pas la prétention de faire par là un acte de courage ; mais encore je ne réclamerait point une parcelle d’éloge pour une semblable conduite, parce que je ne vois là rien qui ressemble à du courage.

Qu'on se tranquillise donc et qu’on prenne acte de mes paroles, conformes à celles de M. de Mérode, et complétives de sa pensée.

Les extraditions sont utiles, surtout entre les Etats limitrophes. Il est invraisemblable de croire qu’un étranger, fuyant son pays, traversera deux ou trois Etats intermédiaires pour venir chez nous ; de telles narrations ne peuvent avoir lieu que par suite de grandes commotions politiques.

Or, vous avez la garantie qu'avec le texte précité de la loi, l’intervention judiciaire, et la responsabilité ministérielle (qu’il ne faut pas juger d’après les intentions et le caractère de tel ou tel ministre, mais d'après son intérêt), vous n’aurez pas d’extradition pour cause politique.

S'il y avait traité avec les puissances auxquelles on a fait allusion, tout ce qui pourrait en résulter, ce serait dans certains cas une erreur possible, comme elle l’est dans toute poursuite judiciaire, soit envers les étrangers, soit envers les régnicoles. Tous les jours, un citoyen innocent peut être sous le poids d’une arrestation ; mais c’est un inconvénient attaché à toutes les institutions humaines. Au surplus, chez nous l'arrestation ne peut pas se prolonger jusqu’à une année ; le terme est fixé dans l'article 4 de la manière la plus positive.

On a dit que, s’il s’agissait d'une extradition politique, les gouvernements étrangers ne la demanderaient pas sous ce titre ; mais le délit politique a un tel caractère, est tellement notoire, et la presse à cet égard, vient si bien suppléer aux investigations de la justice, qu’il n’y a presque jamais moyen de s’y tromper : je dis presque, car je ne veux pas dire qu’il n'y aura pas quelques-uns de ces abus inséparables des institutions les plus utiles.

Je crois en avoir assez dit sur la loi. Je crois qu’il était de mon devoir, de l'honneur du gouvernement de protester contre les doctrines de vasselage qu’on lui prête l’intention de subir, et qui ne seront jamais les miennes.

M. A. Rodenbach. - On a traité longuement la question de droit ; je vais dire quelques mots sur la question de fait.

Je ne suis pas partisan de l'arrestation sur simple mandat. Il y a environ neuf mois qu’à Bruxelles une bande de voleurs a été arrêtée ; elle était composée de treize individus ; l’instruction de leur procès a duré quatre mois, parce que les vols étaient nombreux. Je suppose que les voleurs se fussent rendus en France, et que, sur mandat d'arrêt lancé par notre juge, on les eût emprisonnés ; au bout de trois mois ils eussent été mis en liberté, quelles qu’eussent été d’ailleurs les valeurs dont on les aurait trouvés nantis ; car au bout de trois mois on n'aurait pas pu instruire sur des vols nombreux et entendu tous les témoins. Ainsi l'article qui n’accorde que trois mois d’arrestation provisoire n’atteindra pas son but.

Si vous voulez que l’article 4 signifie quelque chose dans l’application, incarcérez cinq mois au moins provisoirement. Mais alors l'article serait inique ; vous devez le repousser, et pour son insuffisante et pour son iniquité.

M. de Brouckere. - Il y a eu des instructions qui ont duré dix mois.

M. A. Rodenbach. - J'ai connaissance d'un fait où l'instruction a duré quatre mois, et je le cite.

M. Jullien. - Les paroles de condoléance adressées par le ministre au rapporteur de la section centrale me font un devoir de déclarer que je rends justice à la section centrale et à son rapporteur : j'attribue au défaut de temps les erreurs qui lui ont échappé ; et si mes paroles avaient quelque chose d'irritant contre la section centrale et contre son honorable rapporteur, ce serait contre mon intention. Mais, mettant tout sentiment à part, je m'attache à la chose que je discute.

On a soutenu qu'il n'était pas besoin de loi pour autoriser les autres gouvernements à faire des traités d'extradition ; je nie cela ; je dis qu'en France et en Angleterre, il ne peut se faire d'extradition sans loi ; je dis de plus qu'en Angleterre, il n'y a pas d'extradition, mais expulsion. L'expulsion résulte d'un alien-bill, et l'alien-bill est une loi. Ainsi, à plus forte raison en faudrait-il une pour extrader d'Angleterre les individus prévenus de crimes.

Qu'on ne me cite pas la France, elle a toujours été une terre hospitalière. Qu'on ne parle pas de ce qui s'est passé pendant les révolutions, les restaurations ; pendant que la société est reniée jusque dans ses fondements, quand l'arbitraire vient prendre la place de la loi et qu'on ne respecte rien.

Si les renseignements que j’ai sont exacts, il existe une circulaire du 6 février 1831, à tous les préfets de France, laquelle défend formellement toutes les extraditions ; et depuis la révolution de juillet je ne sais pas s’il a existé une extradition. Je n'ai pas vu cette circulaire, mais elle est dans les mœurs et dans la législation de la France. Ainsi c’est nous qui prenons l’initiative des extraditions.

M. le rapporteur de la section centrale a dit que si on ne présentait pas un mandat d'arrêt rendu dans la forme que prescrit notre jurisprudence, on n’arrêterait pas ; mais exigerez-vous que les puissances fassent des codes conformes au nôtre ? Il en est qui ne connaissent pas le mandat d’arrêt dans leur loi.

Eh bien, ajoute-t-on, on ne livrera pas à la Prusse, à la Russie, à l'Autriche, les individus qu’elles réclameront. Je veux bien qu’on refuse de livrer à la Russie, mais comment refuser aux deux autres puissances du Nord qui auront chez elles des Belges ?...

M. de Robaulx. - Et en Bavière !

M. Jullien. - On n’a rien répondu sur tout ce qu'on a signalé d'extraordinaire à accorder à un simple juge d’instruction le pouvoir de rendre exécutoire un mandat d’arrêt sans l'autorisation de son gouvernement. Le juge d’instruction l’exécutera-t-il au nom du roi de Prusse, ou au nom de l’empereur d’Autriche ? Ainsi, vous auriez le scandale de voir dans votre royaume exécuter des mandats étrangers au nom d'un prince étranger. Mais, répondrez-vous, le juge mettra que c'est au nom du Roi des Belges ; eh bien, dites-le donc dans votre loi.

Quand même vous prétendriez qu’il mettra la formule : « Au nom du Roi des Belges, » ne laissez pas au simple juge d'instruction le pouvoir de faire exécuter un mandat sans avoir pris l’avis du gouvernement.

Objectera-t on que cette omission pourra se réparer ? Il faut s’expliquer dans les lois pénales ; toute omission est là d’un grave inconvénient.

On a parlé d’un individu américain, arrêté dans un autre pays à la requête de ses créanciers : je n’en sais rien ; tout ce que je sais, c’est que la loi de septembre 1807 a été fort mal appliquée et fort mal citée par le ministre de la justice.

La loi de 1807 est tout à fait protectrice des régnicoles, Quand un étranger a contracté des dettes envers un Belge, quand on s’aperçoit que cet étranger va fuir, qu’il se défait de ses meubles, alors le Belge s’adresse au président du tribunal du lieu de sa résidence ; il expose qu’il a donné aliment, argent, qu’il court danger de tout perdre, et le président autorise l’arrestation provisoire de l’étranger. Tout est là en faveur de l’indigène. Mais la loi que vous faites n’est pas au profit du régnicole, elle est au profit des gouvernements qui réclament. Il n’y a aucune espèce d’analogie entre la loi que vous faites et la loi de septembre 1807.

Pour tranquilliser tout le monde, on nous assure que jamais on ne permettra l’extradition pour délit politique ; mais si vous donnez des moyens d’arrêter pour délits politiques quand on le voudra, vous allez contre votre propre intention. Eh bien, dans la nomenclature très étendue de l’article premier, il n’y a pas de crime politique auquel on ne puisse donner le caractère de l’un ou de l’autre de ces crimes ou délits. Ce ne peut être que dans cette intention qu’a été proposée, dans l’article premier, cette longue énumération.

Parmi tous les malheureux proscrits, y en a-t-il un seul qui n’ait pas été dans le cas de faire des altérations sur son passeport, pour échapper aux sbires des pays qu’il a eu à parcourir ? Eh bien, on pourra donc toujours poursuivre pour usage de faux passeports, ce qui ne sera pas un délit politique. Vous n’échapperez donc pas aux inconvénients des arrestations arbitraires.

Enfin, si l’on voulait une loi sur l’extradition, pourquoi cette précipitation ? Nous avons des ambassadeurs que l’on paie fort cher, et que l’on paie pour faire des visites qu’on ne leur rend pas (on rit) : pourquoi ne pas leur demander qu’ils consultent les gouvernements près desquels ils sont, pour savoir s’ils veulent faire des traites d’extradition et sur quelles bases ? Ces bases connues, le ministre nous aurait dit : Il y a espoir qu’on puisse traiter sur tel pied avec les autres puissances. La loi telle qu’elle est sera repoussée par toutes les puissances si on leur demande réciprocité. On ajoutera cette avanie à toutes les autres, avanie dont nous nous rendrons complices en aidant le pouvoir à se traîner dans cette fange.

M. de Robaulx. - J’ai cru devoir prendre la parole pour répondre à ce qu’a dit M. le ministre de la justice relativement au traité qui admettait le principe d’extradition en Amérique et en Angleterre. Ma tâche est devenue beaucoup plus légère, puisque déjà l’honorable M. Jullien m’a devancé. Je ne m’appuierai pas davantage sur l’article de la constitution américaine, d’après lequel l’extradition aurait lieu entre les divers Etat de l’Union. Il est inutile de faire remarquer que ces divers Etats ne forment qu’une seule et même république, comme les provinces de la Belgique ne font qu’un seul royaume. Ainsi il n’y a là aucune analogie, à moins qu’on ne considère la Belgique comme étant dans la même positon vis-à-vis de la France que des divers Etats de l’Union entre eux ; ce qui reviendrait à dire, ainsi que je l’ai déjà fait entendre, que notre indépendance n’existerait pas.

Quant au traité de l’Angleterre avec les Etats-Unis, je viens d’examiner la note que M. le ministre vient de me communiquer ; mais j’aurais désiré voir le traité lui-même, parce que, d’après l’idée que je me suis formée sur les lois de l’Angleterre, je ne puis concevoir que le roi de ce pays ait souscrit une convention de cette espèce. Il est à remarquer, messieurs, qu’en Angleterre il y a différentes manières de gouverner, c’est-à-dire que le roi gouverne par proclamations les colonies, et constitutionnellement la Grande-Bretagne. Si le traité dont on a parlé ne regarde que les colonies, alors M. Lebeau peut avoir raison ; mais je ne pense pas qu’il veuille nous assimiler à ces colonies. Pour ce qui est de la Grande-Bretagne, tout se règle par bills. La liberté individuelle des citoyens se règle par l’habeas corpus, et celle des étrangers par l’alien-bill, qui n’est mis à exécution que pour l’expulsion et non pas pour l’extradition. Je défie qu’on me cite un seul cas d’extradition.

Et l’Angleterre, messieurs, n’admet pas le beau principe si hautement proclamé par M. Nothomb, que l’argent mal acquis est toujours improductif ; elle profite des capitaux que lui apportent les réfugiés étrangers. Je crois que c’est ici faire un peu trop sonner le principe que de mépriser la question d’intérêt, et je suis persuadé que l’honorable membre ne doute nullement que beaucoup de gens en Belgique sont possesseurs de fortunes mal acquises, et qui sont cependant très productives. (On rit.)

M. le ministre de la justice a fini par une invocation à la nationalité et à l’indépendance de notre pays, dont il nous assure toujours l’existence. Eh bien ! je demande la permission de lire cinq ou six lignes qui sont consignées dans un journal dont il ne contestera pas l’exactitude, c’est l’Indépendant (nouvelle hilarité) ; et l’on verra sous quel aspect lord Palmerston envisage notre indépendance.

Un membre du parlement a demandé ce qu’a fait le ministère anglais pour ouvrir des relations commerciales avec la Belgique, relations qu’il regardait comme très importantes.

Voici la réponse de lord Palmerston :

« Dans les circonstances où nous sommes, la question de nos relations commerciales avec la Belgique devient un sujet délicat. Je me bornerai à dire qu’en ce moment, alors que les négociations pour l’indépendance de ce pays ne sont pas terminées, il y aurait quelque chose d’incompatible avec nos habitudes grandes et généreuses à demander aux Belges un avantage commercial exclusif, tout en continuant de négocier pour leur existence comme nation indépendante. » Vous l’entendez, on négocie pour notre existence, et cependant l’Angleterre a accepté le traité du 15 novembre. Dites-moi s’il n’y a pas là de la jonglerie.

« Selon moi, continue le ministre anglais, une pareille conduite ne serait pas convenable. Je pense que nous n’éprouverons aucune difficulté à former avec la Belgique des relations commerciales sur le pied de la réciprocité, quand ce pays aura été bien et dûment lancé dans le monde politique comme royaume indépendant. »

Voilà les gens avec lesquels nous avons des relations d’amitié, qui sont nos protecteurs ; voilà comme ils nous traitent en plein parlement. Et c’est en de pareilles circonstances que nous allons faire des lois en vertu desquelles on rendra aux puissances étrangères tous ceux qui, comme nous, auront cherché à secouer le joug du despotisme ? Quant à moi, je ne puis accorder une loi d’extradition au moment où notre existence est contestée et subordonnée à des négociations. Je terminerai par un vœu : Si la loi impolitique, injuste et imprudente, que nous discutons est adoptée, tout ce que je désire c’est que la première extradition qui aura lieu soit pour un ministre. (On rit.)

M. Gendebien. - Messieurs, je n’insisterai pas sur la question de droit qui me semble épuisée. Cependant je ferai remarquer au ministre de la justice que l’article 4 de l’acte fédéral des Etats-Unis d’Amérique du Nord, qu’il a cité, est précisément le même que j’ai invoqué à l’appui de mon opinion dans la séance de samedi dernier. J’ai dit que l’extradition, telle que le gouvernement l’entendait, telle que le projet de loi en discussion avait pour but de l’établir, n’avait aucun rapport avec l’extradition dans les Etats-Unis, et l’article dont a parlé M. le ministre prouve mon assertion. On connaît la constitution des Etats-Unis ; on sait que ce sont divers Etats réunis spontanément et volontairement, formant un tout à peu près comme les divers départements de France ou les provinces belges.

On a comparé les Etats-Unis avec ceux d’Allemagne. Moi je dis qu’il n’y a là aucune analogie ; car d’un côté ce sont des hommes libres qui se sont associés dans l’intérêt commun, dans l’intérêt de la grande famille, tandis que de l’autre ce sont des malheureux qui se sont réunis ou qui ont été réunis malgré eux sous l’influence de puissances supérieures, non pas pour leur bien-être, non pas à leur profit, mais pour le profit des gouvernements.

Je le repère encore, si l’Europe était constituée comme les Etats-Unis, si les gouvernements avaient pour base l’intérêt des peuples, je ne ferais pas la moindre difficulté d’admettre une loi d’extradition sur le modèle de celle des Etats-Unis ; mais dans la situation actuelle des choses, quand de hautes questions politiques ont remué l’Europe et la remuent encore, nous ne pouvons, nous ne voulons pas donner notre suffrage à celle qui nous est soumise.

On vous a cité l’exemple d’un Anglais arrêté aux Etats-Unis ; mais de pareilles arrestations sont en dehors de toutes les lois politiques, elles peuvent se faire dans tous les pays où la législation civile l’autorise. Lorsqu’un créancier se présente, un titre exécutoire à la main, et qu’il demande à l’exécuter à ses risques et périls, il est tout simple que le débiteur soit poursuivi et même incarcéré, si le titre comporte prise de corps. Je n’en dirai pas davantage sur ces différents points, plusieurs de mes honorables amis ayant réfuté complètement toutes les assertions ministérielles.

Je répondrai maintenant à quelques observations faites par le ministre de la justice.

S’il y a quelque chose de monstrueux, a-t-il dit, c’est la doctrine qu’on émet sur l’indépendance entre nations.

Quoi ! Nous serions condamnés à traiter avec la Russie alors que nous ne le voudrions pas ! Oui, vous serez forcés, si la loi passe, de le faire. Il n’est pas je le répète, un ministre en Belgique assez téméraire pour réfuter à la Russie ce qu’il aurait accordé aux autres puissances.

Le ministre a ajouté qu’il ne craignait pas d’être accusé de rodomontade, qu’il ne croyait pas même qu’il dût être félicité d’avoir eu le courage de refuser de conclure un traité avec la Russie ; qu’il s’y refuserait ; qu’on pouvait prendre acte de ses paroles, et qu’il ne craignait pas qu’on les lui reprochât un jour. Mais lui qui montre maintenant des sentiments si délicats à l’égard des étrangers, quelle garantie peut-il nous donner de sa fermeté, lui autrefois si facile, si faible à l’égard des puissances, lui qui est prosterné depuis deux ans et demi à leurs genoux, lui qui n’a pas craint de livrer au roi Guillaume 400,000 Belges ? Et veuillez bien remarquer qu’avant cet acte de faiblesse et de trahisons, il s’était posé superbe, précisément dans la même position que tout à l’heure ; car, dans une séance du congrès, alors qu’on le sommait de s’expliquer sur le maintien de la constitution et l’intégrité du territoire, il nous avait dit avec la même assurance qu’aujourd’hui :

« Comme député et comme ministre, nous avons juré le maintien de la constitution et l’intégrité de notre territoire. Consentir à l’abandon de la plus petite parcelle du sol, ne serait pas seulement une faiblesse, mais un parjure ! »

Eh bien ! M. Lebeau, eh bien ! vous, ministre de la justice, vous avez consenti à vous parjurer, puisque vous avez souscrit à l’abandon de 400,000 Belges ; et non seulement vous y avez souscrit, mais, par le traité du 2 novembre 1832, vous consentiez à les livrer au roi Guillaume et à ses bourreaux sans les garanties stipulées par les traités précédents.

Je demande maintenant combien sont rassurantes les énergiques paroles de M. le ministre de la justice, qui s’est parjuré en abandonnant 400,000 de nos frères pour ce qu’on appelait alors la nécessité de constituer le pays ; je demande après cela s’il serait bien soucieux de résister à l’empereur de Russie réclamant 2 ou 300 Polonais. Il suffira d’un moment de frayeur du gouvernement français pour amener de notre part l’extradition de ces deux ou trois cents hommes, débris du naufrage révolutionnaire. Et tout se prépare pour cela ; car le gouvernement de France repousse depuis quelque temps tous les réfugiés, et les refoule en Belgique parce qu’il n’oserait les extraduire. Moyennant la loi qu’on veut vous faire voter, vous ferez, sur l’ordre de la France, ce que la France n’aura pas osé faire elle-même. Voilà le but et le résultat de cette loi.

Il vous faudra passer par des traités avec les puissances. L’empereur de la Russie ira même, pour assouvir sa vengeance, jusqu’à vous promettre de la reconnaissance, et si, pour fonder une dynastie, vous avez sacrifié 400,000 Belges, hésiterez-vous à livrer 300 étrangers pour obtenir la bienveillance du despote ? Mais quand il aura les victimes en son pouvoir, quand il se sera baigné dans leur sang, il se moquera de vous comme toute l’Europe se moque de vous, et malheureusement se moque de nous par vous.

M. Pollénus. - Je vous prie, messieurs, de me permettre de vous soumettre une seule réflexion.

J’ai des doutes si la suppression proposée de l’article 3 produira les effets qu’en attendent les honorables membres qui ont combattu cette disposition.

En effet, vous vous rappellerez que lors de la discussion sur l’extradition du sieur Laverge, à la séance du 16 juillet, on a paru d’accord que le droit d’expulsion ne pouvait être donné au gouvernement ; un seul de nos collègues, dont l’opinion est toujours d’un grand poids, a exprimé un avis contraire.

Vous voudrez remarquer que le droit d’expulsion ne peut être celui dont parle le code de brumaire an IV, abrogé par des lois postérieures ; le droit d’expulsion, d’après le dernier état de la législation, repose sur la loi du 28 vendémiaire an VI.

Je demande si, en présence du droit d’expulsion, l’intérêt de l’étranger est réellement compromis par la disposition de l’article 3.

Je ne le pense pas.

Je suppose que le gouvernement d’une puissance quelconque signale à notre gouvernement un crime commis par un étranger qui s’est enfui sur notre territoire ; que fera dans ce cas notre gouvernement si vous refusez l’emprisonnement préalable ? Laissera-t-il librement circuler en Belgique un assassin, un incendiaire, un faussaire, un voleur, un banqueroutier frauduleux ? Mais il ne le pourrait sans compromettre la tranquillité des citoyens. Que ferait-il alors ? Il aura recours à la loi du 28 vendémiaire an VI, qui lui donne le droit d’expulsion à l’égard de l’étranger, s’il juge que sa présence serait susceptible de troubler l’ordre et la tranquillité publique. L’étranger expulsé peut dès lors être repoussé sur un territoire où n’existent point les mêmes garanties qu’en Belgique, et cet étranger sera ainsi exposé à une extradition qui n’est protégée par aucune des stipulations consacrées par la loi que nous discutons.

Quant à l’observation faite par M. Julien, je vois bien que l’article 135 du code d’instruction criminelle autorise la partie civile à s’opposer à une mise en liberté, mais je ne sais pas d’où l’on infère que le prévenu doit faire citer la partie civile pour obtenir sa liberté provisoire. Messieurs, les avantages de la liberté provisoire sont réels ; ils ne peuvent être rendus illusoires par une partie civile, la loi y a pourvu.

On a objecté encore que l’exequatur du juge d’instruction belge était une simple formalité matérielle. Je ne partage pas non plus cet avis. Je crois qu’en présence de la loi que nous discutons, le juge d’instruction aura deux points à examiner, et que sa conscience, sa dignité et son honneur lui en feront un devoir.

Il verra d’abord si le fait, tel qu’il est qualifié dans le mandat d’arrêt, offre le caractère exigé pour qu’il tombe dans la nomenclature de l’article premier. Il s’assurera également, à l’aide de ses connaissances personnelles, des faits qui se passeront autour de lui et des révélations de la presse, si l’individu dont on demande l’extradition est accusé d’un fait qui a quelque rapport avec la politique ; et je pense bien qu’il n’est pas un seul juge d’instruction qui ne saisisse tout d’abord la corrélation, si elle existe. Je suis donc parfaitement tranquille à cet égard. Quant à la vérification des papiers de l’étranger, j’ai assez de confiance dans la magistrature belge pour croire qu’elle ne trahira pas ses devoirs, et quand vous lui donnez le pouvoir de visiter le domicile des citoyens, vous ne seriez pas conséquents de lui refuser ce droit vis-à-vis des étrangers. (Aux voix ! aux voix !)

M. de Brouckere. - Je ne veux dire que peu de mots. Toutes les observations qui viennent de vous être présentées sont fondées sur un fait, savoir que le gouvernement a le droit le plus illimité en matière d’expulsion. Eh bien, ce fait n’est pas exact, et je donne le défi le plus formel de le prouver. On a bien dit que le gouvernement avait le droit d’expulsion dans certains cas limités ; mais qu’il puisse expulser tous les étrangers qui lui sont suspects, c’est un fait, je le répète, qui n’est nullement exact. (Aux voix ! aux voix !)

- D’après la demande de plusieurs membres, on procède à l’appel nominal sur la question de savoir si l’on supprimera l’article 3.

Sur 63 membres présents, 23 se prononcent pour la suppression, et 40 contre. Un membre, M. Rouppe, s’est abstenu parce qu’il n’avait pas assiste à la discussion.

En conséquence, la suppression de l’article est rejetée.

Ont voté pour :

MM. Berger, Dams, Dautrebande, de Brouckere, de Renesse, de Robaulx, Desmet, d’Huart, Doignon, Ernst, Gendebien, Hélias d’Huddeghem, Jadot, Jullien, Meeus, Pirson, Quirini, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Seron, Trentesaux, Vanderheyden et Watlet.

Ont voté contre :

MM. Brabant, Brixhe, Coghen, de Foere, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de Longrée, de Man d’Attenrode, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Sécus, Desmanet de Biesme, Destembier, de Terbecq, de Theux, Dewitte, d’Hane, Donny, Dubois, Dugniolle, Dumont, Duvivier, Eloy de Burdinne, Lebeau, Legrelle, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Olislagers, Polfvliet, Pollénus, Poschet, Raikem, Rogier, Simons, Ullens, Vanderbelen, Verdussen et Vuylsteke.

M. le président. - M. Gendebien a proposé sur l’article 3 un amendement tendant à supprimer « juge d’instruction, » et à y substituer « président du tribunal civil ; »

Puis, à substituer au pronom démonstratif « ce » l’article « le », et après « juge » ajouter « d’instruction. »

M. Gendebien. - Peu de mots suffiront pour justifier mon amendement. Je demande que le président du tribunal civil délivre l’exequatur. Le juge d’instruction est bien inamovible comme juge, mais il est amovible comme juge d’instruction. Nous avons donc une garantie de plus dans le président du tribunal civil. Ce qui a été admis vis-à-vis de l’indigène, pour intérêt pécuniaire, doit l’être à plus forte raison pour l’étranger dont on réclame l’extradition.

- Cet amendement est appuyé.

M. Brabant. - L’honorable M. Ernst nous avait dit qu’il se prononcerait, et il s’est prononcé tout à l’heure contre l’article 3, parce qu’il désirait avoir la garantie que l’extradition n’aurait lieu qu’autant que le mandat serait étranger à la politique. Je propose une admission qui est de nature, je crois, à le satisfaire : elle consiste à placer dans cet article, après le mot « décerné, » ceux-ci « pour l’un des faits mentionnés dans l’article premier.

M. Ernst, rapporteur. - Je sais gré à l’honorable membre du désir qu’il a de me satisfaire ; mais je dois lui faire observer que son amendement n’atteint pas le but qu’il se propose.

M. Trentesaux. - Je demande la parole en quelque sorte pour une motion d’ordre. Je désirerais qu’on passât à la discussion de l’article 6 avant de rédiger l’article 3. C’est la latitude qui se trouve dans l’article 3 qui m’a fait voter contre le principe. Je crois que si nous avions adopté les articles 6 et 7, nous pourrions plus facilement arriver à une rédaction de l’article 3 de nature a satisfaire toutes les exigences. Dans cet article, je ne vois pas qu’il soit question de l’intervention du gouvernement, et cependant cela me semble nécessaire. Nous précéderions logiquement en délibérant d’abord sur les articles 6 et 7. Car nous voterions d’abord tout ce qui a rapport à l’extradition, et nous en viendrions ensuite aux mesures provisoires.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Autant j’ai cru devoir combattre la suppression de l’article 3, autant je suis disposé, d’accord avec les honorables préopinants, à multiplier les garanties contre le danger pour le gouvernement de faire involontairement une arrestation ou une extradition pour délits politiques. Quant à l’extradition, cette partie de la chambre qui en admet le principe paraît avoir trouvé ces garanties dans l’article 6 du projet ; mais ces garanties manquent, dit-on, pour l’article 3, pour l’arrestation provisoire. Je ferai remarquer d’abord qu’il y a une distance immense entre l’extradition, fait irréparable, et une arrestation provisoire qui est un mal aussi, sans doute, mais dont il ne faut exagérer ni la fréquence ni la gravité.

On perd de vue que l’exécution d’un traité pour l’extradition est tout à fait du domaine du gouvernement. Il est de principe reconnu que l’extradition ne se fait jamais par la volonté spontanée de la magistrature ; il faut que le gouvernement donne l’impulsion et la reçoive des gouvernements étrangers. Elle a lieu par voie diplomatique. Je ne crois pas qu’il y ait eu une seule extradition qui n’ait pas été précédée d’une demande faite par une puissance étrangère. Il en résulte donc que le gouvernement, ayant de donner ses instructions aux officiers de police judiciaire, a reçu l’assurance que l’extradition réclamée ne tient pas à un délit politique.

Je crois que, par suite de cette observation, le danger que craint M. Ernst se trouve amoindri de beaucoup, si même il n’est pas entièrement dissipé. Il est si vrai que l’exécution du traité d’extradition appartient au gouvernement, que deux honorables membres, MM. Fleussu et Liedts, qui avaient proposé un projet de constitution au congrès, y avaient stipulé que l’extradition ne pouvait avoir lieu que par le pouvoir exécutif, auquel ils présupposaient ce droit.

Quant à l’amendement proposé par M. Brabant, je ne m y oppose point. Je le crois superflu ; mais si cependant il est de nature à calmer les inquiétudes de quelques honorables membres, je n’y ferai aucune objection, pas plus qu’à celui de M. Gendebien. J’ai dû me montrer inflexible pour tout ce qui tient au principe, au cœur même de la loi ; mais je chercherai tous les moyens d’améliorer la loi elle-même.

Je ne dirai qu’un mot sur l’amendement de M. Gendebien, c’est que la mission dont il veut investir le président du tribunal civil rentre beaucoup moins dans ses fonctions, et ses habitudes ordinaires que dans celles du juge d’instruction ; cependant je n’insiste pas sur cette observation.

- La motion d’ordre de M. Trentesaux est mise aux voix et adoptée. En conséquence on passe à la discussion de l’article 6, ainsi conçu :

Article 6

« Avant de livrer l’étranger, le gouvernement exigera l’engagement formel qu’il ne sera poursuivi pour aucun délit politique antérieur à l’extradition, à moins que cet engagement ne soit expressément stipulé dans le traité. »

M. le président. - M. Gendebien propose l’amendement suivant :

« L’extradition ne pourra se faire que pour autant que, par des traités conclus en vertu de la présente loi, il soit expressément stipulé que l’étranger ne pourra dans aucun cas être poursuivi pour aucun délit politique antérieur à l’extradition. »

M. Gendebien. - Messieurs, je demande que la stipulation se trouve dans les traités, parce que nous n’avons pas de sanction et que nous nous ménageons ainsi une garantie.

- L’amendement est appuyé.

M. de Muelenaere. - J’ajouterai une seule observation, c’est que l’étranger lui-même trouvera une garantie dans ces traités et pourra devant les tribunaux de son pays invoquer les conventions intervenues entre son gouvernement et le gouvernement belge. Sous ce rapport, j’appuierai l’amendement. Je crois d’ailleurs qu’il y a une autre garantie dans l’article 3, quant à la saisie des papiers.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - J’adhère d’autant plus volontiers à l’amendement, que mon intention, si ces traités étaient conclus, était de l’y faire insérer textuellement. Il en résulte donc que son admission ne peut gêner le gouvernement en aucune manière. C’est la conséquence d’un principe universellement reconnu.

Il est d’usage que lorsqu’une extradition a lieu, non seulement l’individu extradé ne peut être poursuivi pour un délit politique antérieur, mais même pour un délit ordinaire autre que celui pour lequel l’extradition est accordée. Un gouvernement demande l’extradition pour certain fait ; du moment qu’on l’a accordée pour ce fait, l’individu réclamé ne peut être poursuivi pour autre cause : car ce serait une violation de la convention particulière entre les deux gouvernements ; ce serait méconnaître la condition sous laquelle l’extradition a eu lieu. Je pourrais citer des exemples qui se sont présentés en France, sous la restauration, et qui confirment l’existence de ces principes.

M. Ernst, rapporteur. - J’ai soutenu la même opinion dans la section centrale. Ainsi donc j’appuie l’amendement, non pas comme rapporteur, mais en ma qualité de député.

M. le président. - M. Quirini a déposé un amendement ainsi conçu :

« Je propose d’ajouter à l’amendement proposé par M. Gendebien, sur l’article 6 du projet de loi de la section centrale, après les mots « antérieur à l’extradition, » ceux-ci : « ni pour aucuns autres crimes ou délits qui n’auraient pas été prévus par la présente loi. »

M. Quirini. - Je crois parfaitement inutile la disposition que M. Gendebien a proposée, par la raison très simple que l’extradition ne peut avoir lieu que dans les cas prévus par l’article premier ; mais il m’a paru dangereux de faire du délit politique une exception particulière. Si un individu extradé pour banqueroute frauduleuse était acquitté de ce chef, et qu’il restât à sa charge le fait de banqueroute simple, pourrait-on lui infliger les peines attachées à la banqueroute simple ? Je pense que non ; mais puisqu’on a fait une exception pour le délit politique, il est nécessaire de dire que, pour tous les autres cas non prévus par la loi, les gouvernements doivent remettre l’étranger dans la même position qu’avant l’extradition. (Appuyé !)

M. Gendebien. - J’ai oublié de compléter mon amendement. Après le mot « poursuivi, » je propose d’ajouter « ni puni. »

Quant à l’amendement de M. Quirini, je ne m’y oppose pas ; mais je crois qu’il y aurait moyen de faire une autre rédaction. Je vais en présenter une tout à l’heure.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - L’amendement de M. Quirini ne peut être adopté tel qu’il est rédigé, car il est certain que le fait est toujours antérieur à l’extradition. Je crois que ce n’est pas cela qu’il a voulu dire.

M. de Muelenaere. - Ces mots « antérieur à l’extradition » se trouvent dans l’amendement de M. Gendebien, et M. Quirini n’a fait que le rappeler.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Mon observation subsiste et s’applique alors à l’amendement de M. Gendebien. Je voudrais avoir le temps d’examiner tous ces amendements, et je demande la remise à demain. (Oui ! oui ! A demain !)

M. Gendebien présente une rédaction.

Elle sera imprimée, ainsi que d’autres amendements proposés par divers membres.

- La discussion est remise à demain à midi.

La séance est levée à quatre heures.