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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 12 août 1833

(Moniteur belge n°226, du 14 août 1833)

(Présidence de M. Raikem)

La séance est ouverte à une heure moins un quart.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

Après l’appel nominal, M. H. Dellafaille, l’un des secrétaires, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

Quelques pétitions sont analysées par M. de Renesse et renvoyées à la commission des pétitions.

Projet de loi portant le budget des affaires étrangères, de l'ordre Léopold et de la marine de l'exercice 1833

Rapport de la section centrale

M. Legrelle est appelé à la tribune pour faire le rapport de la section centrale sur le budget des affaires étrangères, de l’ordre Léopold et de la marine.

- Plusieurs membres. - L’impression ! la lecture est inutile.

M. Legrelle. - Je ne demande pas mieux que d’être dispensé de cette lecture ; mais je ferai observer que la section centrale a cru devoir demandé des renseignements au gouvernement sur plusieurs objets, renseignements qui nous ont été fournis et nous ont paru suffisants. Je demande qu’ils soient imprimés à la suite du rapport. (Oui ! oui ! appuyé !)

M. le président. - Ces diverses pièces seront imprimées et distribuées à MM. les membres.

Projet de loi relatif à la procédure d'extradition

Rapport de la section centrale

M. le président. - La parole est maintenant à M. Ernst., pour faire le rapport du projet de loi relatif aux extraditions.

M. Ernst, rapporteur. - Je crois que la chambre sera d’avis d’ordonner encore l’impression de ce rapport, sans en attendre la lecture. (Oui ! oui ! l’impression !)

- L’impression et la distribution sont ordonnées.

Projet de loi relatif au déguerpissement

Second vote des articles

Articles 1 et 2

Les modifications faites aux articles premier et 2 sont remises aux voix et définitivement adoptées.

Article 3

M. le président. - L’article 3 est le produit d’un amendement proposé par M. Dubus. Il est ainsi conçu :

« Toute demande d’expulsion de fermier ou de locataire pourra être portée directement, sans préliminaire de conciliation, devant le tribunal de première instance. »

M. Dubus. - Je proposerai cette autre rédaction qui sera plus en harmonie avec l’article qui précède :

« Toute autre demande en expulsion de fermier ou de locataire est également dispensée du préliminaire de la conciliation. »

- Cette nouvelle rédaction est appuyée ; elle est mise aux voix et adoptée.

Article 4

M. le président ouvre ensuite la discussion sur l’amendement de M. Liedts, qui a été adopté comme article 4 du projet de loi, et dont voici les termes :

« Les demandes formées jusqu’au moment où la présente loi sera exécutoire, continueront d’être inscrites conformément aux lois qui existaient lors de la demande. »

M. Jullien. - Messieurs, ce qu’il faut surtout éviter dans la confection des lois, c’est de poser des principes qui soient diamétralement contraires à ceux universellement reçus, et il me semble que l’article additionnel sur lequel nous sommes appelés à discuter en ce moment rentre précisément dans l’inconvénient que je viens de signaler.

Si le principe de la non-rétroactivité s’appliquait aux règles de la procédure, cette disposition serait parfaitement juste. Mais, en fait de procédure, c’est tout l’opposé de ce principe que l’on suit. La rétroactivité ne s’applique qu’au fond du droit, mais elle ne peut atteindre une forme de procéder. Parce qu’on a commencé une action sous l’empire d’une loi de procédure, on n’a pas acquis le droit de procéder toujours sous l’empire de cette loi. Si cette loi est changée, la procédure doit être réglée par la loi nouvelle, du moment de sa promulgation ; c’est ce qui a été déclaré par un arrêté du 5 fructidor an IX qui est encore en vigueur.

L’honorable auteur de l’amendement ne s’est pas dissimulé cela, et je crois même qu’il a dit qu’il voulait faire de cette disposition une disposition expresse, parce que si elle n’était pas mise dans la loi, ce serait le principe que je viens d’exposer qui prévaudrait ; il a ajouté que sa proposition avait pour but d’économiser des frais et d’éviter la perturbation dans une procédure.

Mais je crois, messieurs, que ce serait tout le contraire qui arriverait. En effet, pourquoi a-t-on déclaré ce principe ? C’est pour éviter la perturbation dans les causes et les procès, pour qu’on ne procédât pas aujourd’hui dans un sens et demain dans un autre, pour qu’il n’y eût pas deux poids et deux mesures. Le législateur a eu en vue de mettre de l’uniformité dans les procédures.

Lorsqu’on a publié le code de procédure civile, on a déclaré dans un article que tous les procès intentés depuis l’époque où ses dispositions étaient obligatoires seraient poursuivis d’après les règles qu’il traçait ; mais on ne s’est pas avisé de dire que les actions commencées avant cette époque seraient continuées d’après les anciennes lois. Aussi, dans l’origine de l’introduction de ce code, il s’est élevé quelque difficulté sur la manière de régler des enquêtes et d’autres points ; mais la jurisprudence est venue dire qu’il fallait suivre le code de procédure et non les anciennes lois.

Ainsi, je le répète, loin d’empêcher la perturbation, la loi actuelle, si nous l’adoptions avec l’amendement de M. Liedts, jetterait la perturbation dans la procédure, indépendamment de l’inconvénient grave qu’il y aurait de poser un principe en opposition avec ceux généralement reçus.

On a dit aussi que la disposition contre laquelle je m’élève avait pour but de ménager les frais. Je crois, moi, qu’elle irait contre ce but. En faisant la loi, on a voulu accélérer les actions des propriétaires contre leurs fermiers et leurs locataires ; on a voulu leur accorder des moyens plus prompts. Or, pourquoi maintenant les lancer dans l’ancienne procédure, tandis qu’en suivant les principes adoptés dans les tribunaux, en suivant la jurisprudence, vous pouvez leur procurer les avantages de votre loi ? En vérité, je n’aperçois pas les motifs qui ont dicté l’amendement. Son honorable auteur a eu cependant des raisons pour le présenter, et je le prie de vouloir bien me les expliquer. Je vois dans cet article une innovation dangereuse et de graves inconvénients. Je voterai donc contre si je ne suis pas plus éclairé à cet égard par la discussion.

M. Liedts. - Vous venez d’entendre, messieurs, que nous sommes d’accord, l’honorable préopinant et moi, sur le principe, et que nous différons sur les conséquences qu’il en tire.

Il avance qu’en fait de procédure une loi nouvelle s’applique même aux procédures déjà entamées pour tous les actes qui ne sont pas encore commencés au moment de la mise en vigueur de cette loi, et il dit qu’il est beaucoup plus simple et moins coûteux de continuer d’après les nouvelles règles que d’après l’ancienne législation. Mais voici ce qui arriverait de là.

Supposons qu’une action ait déjà été plaidée, qu’elle ait parcouru toutes les formalités et qu’il ne s’agisse plus que de rendre le jugement : par la loi que nous faisons, nous envoyons en quelque sorte au tribunal de première instance, qui en est saisi, la compétence pour statuer sur cette action. Par conséquent, ce tribunal devra renvoyer l’affaire devant le juge de paix, et la procédure devra être recommencée. C’est pour éviter cet inconvénient que j’ai proposé mon article. Je concevrais l’opinion émise par M. Jullien, si notre projet de loi ne changeait en rien la compétence des tribunaux et n’introduisait de modifications que dans les formalités.

Remarquez, messieurs, que les articles transitoires dans le sens de celui que je vous ai soumis sont loin d’être sans exemple. Je citerai entre autres la disposition sur le divorce. Lorsque le code civil a été promulgué, on a pensé qu’il valait mieux que toutes les actions sur le divorce, déjà entamées lors de cette promulgation, continuassent à être instruites d’après les lois précédentes sur la matière.

Si l’honorable M. Jullien voulait révoquer en doute que le tribunal de première instance pût se déclarer incompétent, si la loi était adoptée sans l’amendement que j’ai proposé, je lui répondrais que c’est là une opinion que j’ai comme jurisconsulte. Quant à loi il est en droit de professer l’opinion contraire ; mais de mon côté je suis en droit de ne pas la partager.

J’ajouterai que, lors de la délibération de la loi transitoire du 16 mai 1829, le législateur a si bien senti l’inconvénient que je veux prévenir, qu’il a dit formellement :

« Néanmoins les causes existantes devant les tribunaux de première instance, et qui d’après cette loi sont attribuées aux juges des cantons, ne seront pas portées devant ces juges, elles devront être décidées par les tribunaux d’arrondissement. »

M. de Brouckere. - Dans la discussion qui vient de s’élever entre deux honorables membres, je crois qu’en principe c’est M. Jullien qui a raison. Mais il me semble qu’il y aurait un moyen de tout concilier, ce serait d’autoriser les personnes qui auraient déjà intenté une action au moment où la loi serait exécutoire à poursuivre la procédure d’après l’ancienne législation, ou bien à y renoncer pour en commencer une nouvelle, conformément à la loi que nous allons voter.

Ainsi, par exemple, dans le cas dont a parlé M. Liedts, où l’affaire aurait été plaidée, que toutes les formalités auraient été accomplies, et qu’il ne resterait plus que le jugement à rendre, la partie poursuivante laisserait rendre ce jugement pour ne pas s’exposer à de nouveaux frais. Dans le cas, au contraire, où il n’y aurait qu’une simple citation, celui au nom duquel cette citation aurait été faite renoncerait à la poursuite commencée, et introduirait son action d’après les règles posées par la loi nouvelle. C’est ainsi, je crois, que nous devrions disposer pour rendre justice à tout le monde et prévenir les inconvénients.

M. de Muelenaere. - Il est incontestable que le principe de rétroactivité s’applique au fond même du droit et nullement à la procédure. Les lois de procédure saisissent, pour ainsi dire, les officiers ministériels du moment où elles sont promulguées. Toutefois, comme l’a fait observer un des honorables préopinants, ce principe n’est pas tel que, dans une foule de cas, on n’en ait pas dévié par un grand nombre de dispositions expresses.

Il en résulte donc que, dans cette matière, il faut se déterminer d’après les circonstances et les besoins des plaideurs, c’est-à-dire des citoyens. Je pense que, dans l’espèce, il conviendrait de décider que pour telle action intentée au moment de la promulgation de la loi, il faut suivre la procédure ancienne. La loi que nous faisons se rapporte aux premiers actes de la procédure ; c’est uniquement pour l’introduction de l’action. Vous déterminez que l’action sera portée dans tel cas devant le juge de paix, et dans tel autre devant le juge tenant les référés. Si vous prescriviez d’autres règles à suivre dans le cours de l’action, alors on pourrait s’en rapporter au principe général. Mais si vous n’adoptez pas l’amendement, vous faite tomber toutes les actions commencées.

Je crois que le moyen dont a parlé M. de Brouckere pourrait tout concilier ; mais je lui ferai observer que la faculté qu’il veut donner aux plaideurs ne doit appartenir qu’à la partie poursuivante, car s’il en était autrement, le défenseur s’en servirait pour prolonger la procédure.

M. de Brouckere. - C’est ainsi que je l’ai entendu. Voici la rédaction que je propose :

« Les demandes formées au moment où la présente loi sera exécutoire pourront être instruites et jugées conformément aux lois qui existaient lors de la demande. Il sera libre cependant au demandeur de renoncer à la demande formée par lui, et d’en intenter une nouvelle selon les règles établies par la présente loi. »

M. Jullien. - Messieurs, s’il était vrai, comme on en manifeste la crainte, que du moment où la loi sera obligatoire, les tribunaux pourraient être dessaisis des demandes pendantes devant eux, il n’y a aucun doute qu’il faudrait éviter cet inconvénient. Mais je ne pense pas qu’il en soi ainsi. L’effet de votre loi sera simplement de substituer une procédure à une autre devant les tribunaux mêmes qui seront saisis de la contestation. C’est une vieille règle du droit que, là où le jugement a été une fois accepté, là il doit recevoir sa fin. Il n’est pas possible que la loi que vous faites rende les tribunaux saisis d’une action incompétents. Mais enfin, si ces craintes ne paraissent pas à la chambre chimériques comme elles le sont pour moi, et qu’on veuille adopter l’amendement de M. de Brouckere, je demanderai qu’on remplace le mot « renonciation » par celui de « désistement, » parce que le désistement emporte pour celui qui le fait l’obligation de payer les frais.

M. de Brouckere. - Je ferai observer que le désistement doit être accepté ; c’est à cause de cela que je me suis servi du mot « renoncer. » Du reste, quand on renonce à une demande, il va de soi-même qu’on doit payer les frais.

M. Schaetzen. - Je suis parfaitement d’avis d’adopter l’amendement de M. de Brouckere ; mais il me semble qu’il faudrait, au lieu de « pourront être instruites », dire « seront instruites, » car le deuxième paragraphe portant : « Il sera libre au demandeur de renoncer, etc., » il y aurait redondance.

M. de Brouckere. - J’y consens.

M. Dubus. - Il me semble que la rédaction primitive, et celle qu’on propose maintenant, sont peu en harmonie avec la loi elle-même. Les mots « continueront ou seront instruites conformément aux lois précédentes » supposent que la loi que nous faisons règle les formes de la procédure. Mais il n’en est rien. C’est tout uniquement une loi de compétence. Il serait plus convenable de dire que les demandes dont il s’agit, seront soumises au juge qui sera compétent.

M. Schaetzen. - Il serait peut-être plus rationnel de supprimer complètement ce quatrième article ; car alors le demandeur aurait la faculté de continuer la procéder, si son intérêt l’exigeait, ou de faire signifier un désistement pour reprendre l’instance de la manière prescrite par la nouvelle loi.

M. de Brouckere. - Je ne puis pas partager cet avis. Messieurs, si vous supprimiez cet article, vous mettriez les magistrats dans un grand embarras, et la preuve, c’est que déjà il y a divergence d’opinion dans la chambre sur la question de savoir si la loi ne sera pas exécutoire même pour toutes les actions intentées. On doutera si les juges qui seront saisis de l’action pourront rendre un jugement dans une matière sur laquelle ils ne seront plus compétents. Je crois qu’il est indispensable de laisser l’article dans la loi.

M. de Muelenaere. - Je pense qu’il est indispensable que la loi prononce d’une manière ou de l’autre : sans cela il y aurait divergence de jurisprudence devant les tribunaux.

M. Dubus propose la rédaction suivante :

« Les demandes formées au moment où la présente loi sera exécutoire demeureront soumises au juge qui doit en connaître d’après les lois qui existaient lors de la demande. Il sera libre, etc. » Le reste comme dans celle de M. de Brouckere.

- Cette rédaction est appuyée, mise aux voix et adoptée.

Vote sur l’ensemble du projet

On procède ensuite à l’appel nominal sur l’ensemble du projet de loi. Il est adopté à l’unanimité.

Proposition de loi relative aux avocats près la cour de cassation

Discussion générale

M. de Brouckere. - Depuis le moment où j’ai eu l’honneur d’être appelé à faire partie de la législature, je n’ai cessé de prendre une part active à nos discussions. Mais, si d’une part j’ai largement usé du droit de développer et de défendre mes opinions, d’un autre côté j’ai toujours mis la plus grande réserve à user du droit de présenter des propositions ou même des amendements. Les motifs d’une semblable conduite sont faciles à saisir. En effet, lorsqu’un projet de loi nous est soumis, nous sommes par là appelés à émettre notre opinion sur les dispositions qu’il renferme, et quand cette opinion est consciencieuse, il y aurait selon moi faiblesse, faiblesse coupable à ne le point soutenir.

Mais de ce que dans la législation on aura remarqué des vices ou des lacunes, il n’en découle nullement pour un député, quelque zélé qu’il soit, l’obligation de présenter des dispositions qui corrigent ces vices, comblent ces lacunes ; sinon, et chacun ayant sa manière à lui d’envisager les choses, les propositions deviendraient tellement nombreuses, elles s’entrechoqueraient tellement, que le corps législatif serait exposé à perdre de vue les objets les plus graves, les plus urgents, pour passer son temps à faire et défaire des morceaux de lois, et la législation deviendrait bientôt un corps sans ensemble et sans suite, un véritable chaos.

C’est en présence de ces idées et malgré ma répugnance à user du droit d’initiative que je me suis cependant décidé à vous soumettre le projet que vous allez discuter. C’est assez vous dire combien je le crois important, combien j’en désire l’adoption ; et, messieurs, je ne me sens guidé en cela, je le dis avec vérité, ni par des considérations d’amour-propre qui seraient mal places, ni par des vues d’intérêt particulier quelconque : l’intérêt des plaideurs, l’intérêt général m’a seul servi de guide dans ma première démarche ; c’est lui seul que je continuerai à consulter.

Dans une précédente séance j’ai développé les motifs de ma proposition, et je croyais l’avoir pleinement justifiée ; mais je vois cependant qu’elle a produit une grande divergence d’opinions.

Trois sections l’ont adoptée. Je dis trois, bien que dans le rapport de la section centrale, il ne soit question que de deux. La raison en est que la sixième section était très peu nombreuse quand elle a délibéré ce projet, l’honorable M. Quirini, qu’elle avait nommé son rapporteur, s’abstint par un sentiment de délicatesse de faire le rapport, ne croyant pas devoir regarder l’opinion de quelques membres qui s’étaient prononcés comme l’expression de la majorité de cette section.

Deux autres sections ont rejeté cette proposition, et une autre encore l’a renvoyée à une époque ultérieure. Si les honorables membres qui ont cru devoir la repousser avaient réfuté mes arguments, s’ils avaient démontré que j’étais dans l’erreur, que l’article31 de la loi de 1832 n’avait présenté aucun inconvénient, ou du moins que les dispositions que je voulais mettre à la place offriraient les mêmes inconvénients, je n’eusse pas hésité un instant à me rendre à leurs raisons. Mais on ne m’a répondu que par des moyens dilatoires. La première section seule a donné des raisons à l’appui de son opinion. Pour le moment j’examinerai les motifs de la section centrale.

D’abord, dit-elle, rien n’est plus propre à déconsidérer la législature que la versatilité. Mais y a-t-il versatilité à remplacer une disposition vicieuse par une disposition meilleure ? Je crois, moi, qu’on ne peut trop se hâter de le faire. On est versatile quand on change une disposition sans aucune raison ; mais abroger un article auquel sont attachés de graves inconvénients pour y substituer un autre article plus convenable, n’est pas de la versatilité, c’est de la sagesse : s’y refuser serait de l’entêtement.

« Il est dangereux, continue la section centrale, de revenir sur les lois avant qu’une expérience bien certaine en ait démontré les vices.

« Cette expérience n’est point acquise dans l’espèce, et la marche régulière de la justice est loin d’être entravée. »

Messieurs, je crois avoir fait voir tous les vices de la loi du 4 août, et l’on ne me prouve pas seulement que je les aie exagérés. Il faudrait cependant me montrer que j’ai tort, et que la disposition dont je désire l’abrogation est véritablement meilleure que celle que je propose. Or, j’ose le dire, tous ceux qui savent ce qui s’est passé dans les derniers temps doivent admettre le contraire.

« Les modifications proposées à la loi, dit encore la section centrale, porteraient préjudice aux avocats actuellement établis par la cour de cassation. » C’est une considération à laquelle je n’ai pu m’arrêter, et je ne craindrais pas de m’en rapporter à cet égard à ceux dont on appréhende de blesser les droits. D’ailleurs, le préjudice qui en résultera pour eux ne sera pas grand, et le fût-il, l’intérêt général doit passer avant les intérêts particuliers.

« Enfin, ajoute la section centrale, si des changements à la loi du 4 août 1832 étaient jugés utiles, il convient de les faire par la loi qui réglera définitivement l’organisation de l’ordre judiciaire ; mais, en attendant, il faut conserver intact le système actuel. »

Ici, je l’avoue, je ne comprends plus la section centrale. Je croyais que l’ordre judiciaire était définitivement organisé, et je me fondais sur le titre même de la loi du 4 août, qui porte : « Loi organique de l’ordre judiciaire. » A-t-on voulu parler de quelques règlements d’administration, qui n’ont pas encore été abrogés d’une manière directe ; de règlements qui autorisent le ministère public à s’immiscer dans l’organisation des avocats, qui lui donnent la suprématie sur le barreau ? A-t-on voulu parler d’une disposition qui donne droit au ministre de la justice d’appeler des membres des cours et tribunaux ? Qu’on demande l’abrogation, si l’on veut, de ces dispositions. Mais moi, je pense qu’elles ont été abrogées par le fait même de la constitution. L’indépendance de la magistrature et celle du barreau sont deux choses auxquelles on ne peut porter atteinte. Si l’on veut user de ces dispositions, les magistrats sauront en faire justice comme ils l’ont déjà prouvé en mainte occasion.

J’ai déjà fait entendre que je ne tenais en aucune manière à ce que ma proposition restât intacte : dans le cas où la chambre croirait nécessaire l’intervention d’officiers ministériels près la cour de cassation, je ne m’y opposerais en aucune façon ; si même on voulait remplacer mon projet par un autre, comme par celui présenté autrefois par M. Devaux, et appuyé par M. le ministre de la justice lui-même, je serais le premier à l’appuyer. Ce projet de M. Devaux était ainsi conçu : « Les avoués près la cour d’appel ont exclusivement le droit de postuler et de conclure devant la cour de cassation ; ils n’ont pas celui de plaider. » En adoptant cette proposition, vous atteindrez tout que je me proposais, et vous procurerez aux plaideurs les avantages que j’avais en vue.

Si donc un membre reproduit cette proposition, je l’appuierai tout le premier ; dans tous les cas j’attendrai les arguments que l’on fera valoir contre l’un ou l’autre, ou bien contre toutes les deux à la fois.

En terminant, je rappellerai à la chambre que deux requêtes ont été présentées dans le temps, l’une par les avocats du barreau de Bruxelles les plus distingués, l’autre par tous les avoués de la cour de la même ville La première avait pour but d’obtenir la disposition conforme à celle de M. Devaux et à la mienne.

Il me semble donc que la chambre devrait prendre l’une des deux considérations.

M. Boucqueau de Villeraie. - Il n’y a que quelques mois que la loi qui règle l’organisation de la cour de cassation a commencé d’être mise à exécution, et déjà on nous propose d’en changer, par une loi nouvelle, une les dispositions essentielles, celle qui établit un corps d’avocats spécialement attachés à la cour de cassation.

Pour s’expliquer comment, au bout de si peu de temps, on croit devoir proposer au pouvoir législatif de changer son œuvre, et d’apporter une modification aussi importante à l’organisation judiciaire, il faudrait que l’exécution de cette partie de la loi eût présenté de prime abord les plus graves inconvénients, des inconvénients tellement majeurs, qu’ils entravassent essentiellement la marche de la cour de cassation, et rendissent impossible ou très difficile l’expédition des affaires judiciaires qui lui sont soumises.

Il faudrait surtout que la cour de cassation, à laquelle des inconvénients aussi graves et aussi frappants n’auraient sans doute pas dû échapper, eût manifesté à cet égard son opinion ; qu’elle eût fait connaître, soit par l’intermédiaire du gouvernement ou de toute autre manière convenable, les embarras qu’elle éprouve dans sa marche, et les obstacles qui résultent pour la bonne administration de la justice, de l’article 31 de la loi toute récente du 4 août 1832. Les officiers du parquet n’auraient pas manqué non plus, sans doute, d’en informer le ministère, pour qu’il pût avertir la chambre des représentants et le sénat des dangers que court l’administration de la justice, par l’existence des avocats en cassation, et de l’urgence de changer immédiatement la disposition de cette loi organique dont les auteurs se seraient si complètement trompés à cet égard.

Mais, messieurs, je remarque qu’il n’est rien de tout cela, et qu’il n’existe, contre cette partie de l’organisation judiciaire qui établit des avocats en cassation, aucune plainte de la part de la cour suprême, ni des officiers du parquet, ni du ministère de la justice ou du gouvernement, ni enfin de la part des justiciables eux-mêmes. Aucune pétition n’a été présentée à ce sujet ni à la chambre des représentants ni au sénat.

Nous avons lu, il est vrai, dans les gazettes, des actes en assez grand nombre qui prouvent qu’on n’est pas partout satisfait de cette création nouvelle ; mais ces actes de désapprobation et d’opposition partent de très honorables et savants jurisconsultes qui n’ont pas été compris dans le nombre des avocats en cassation, ou même, si l’on veut, qui, par des motifs divers, n’ont pas voulu demander à y être compris ; de sorte qu’il y a dans cette affaire une espèce d’opposition personnelle, et qui tient plus ou moins aux opinions. Or, sans entrer dans l’examen de ces griefs, fondés ou non, on doit dire que le pouvoir législatif n’a nullement à s’en enquérir, et ne doit s’occuper que de la loi en général, et de l’utilité ou de la convenance de l’institution dont s’agit, en elle-même.

Ayant eu l’occasion de parler de la question qui nous occupe avec nombre de membres de l’ordre judiciaire, il est résulté des informations qu’ils m’ont donnés que, loin d’embarrasser en aucune manière la marche de la cour de cassation, l’institution des avocats en cassation lui est très favorable pour la prompte et régulière expédition des affaires ; qu’il n’en résulte aucun inconvénient ; que les avocats que le gouvernement avait nommés sur la présentation de la cour, remplissent d’une manière entièrement satisfaisante l’objet de leur institution ; qu’en un mot, depuis sept mois qu’ils existent, on n’avait aperçu aucune espèce de motif de changer, à leur égard, la loi d’organisation judiciaire.

Cependant la proposition qui nous occupe aurait précisément pour objet l’abrogation de l’article 31 de cette loi du 4 août de l’année dernière, et par conséquent la suppression des avocats attachés à la cour de cassation, presque immédiatement après qu’ils viennent d’être nommés par le Roi, et qu’ils sont en activité de service d’après la loi.

Il me paraît qu’on ne pourrait en venir à un changement de disposition aussi subit et aussi considérable qu’autant qu’il y aurait des motifs de la plus impérieuse urgence et les inconvénients les plus réels à laisser continuer l’état actuel des choses, même pendant le plus court espace de temps.

Car, s’il en est autrement, la prudence, la gravité et la pondération qui doivent présider aux actes du pouvoir législatif, doivent l’engager à apporter plus de maturité à un tel changement, et lui imposent le devoir, lorsqu’il a une fois adopté la loi, et surtout une loi d’organisation générale, et qui a été délibérée dans le temps avec la plus grande circonspection et sagesse, à ne pas en changer les dispositions légèrement, et comme par inconstance et caprice ; et si enfin il y apporte des modifications, à ne le faire qu’après qu’une expérience suffisante et bien constatée en aura démontré la nécessité.

Si le législateur agit autrement, il risque de compromettre sa propre dignité et le respect que les lois doivent inspirer pour atteindre leur but ; y a-t-il rien en effet de moins respecté et de moins respectable que ce que l’on voit changer tous les six mois ?

Or, comme il n’est, jusqu’à présent, résulté aucun embarras, ni inconvénient, ni même aucune réclamation fondée de l’état actuel, que la cour suprême est en pleine activité et remplit parfaitement le but de son institution, il me paraît qu’il n’y a pas lieu d’y introduire, au moins quant à présent, aucun changement.

Que s’il pouvait arriver qu’il y eût lieu à prendre en considération la convenance ou la nécessité d’un changement de la nature de celui qui est proposé, il me paraît que cela ne pourrait convenablement se faire qu’après avoir pris l’avis même de la cour suprême de justice, qui, il faut bien l’avouer, est plus à même de juger et d’apprécier le pour et le contre de cette question que toute autre ; sans cela nous paraîtrons, en quelque façon, décider de la cour de cassation sans elle et chez elle, et peut-être contre elle ; or, la place extrêmement relevée que cette cour tient dans notre organisation sociale, et les hommes très distingués qu’elle renferme, commandent et méritent de tout autre procédé.

Au surplus, jetant un coup d’œil rapide sur le fond même de la question, je dirai que je ne conçois pas comment on pourrait trouver convenable et décent de laisser la première cour de judicature du royaume sans avocats qui lui soient spécialement attachés. Cela me paraîtrait une bizarrerie inconcevable, une véritable anomalie dans l’ordre judiciaire. Toutes les cours et tous les tribunaux ont des avocats qui leur sont spécialement attachés ; pourquoi la cour de cassation n’en aurait-elle pas ?

Au contraire, c’est là, plus qu’ailleurs, qu’il doit y avoir des avocats particulièrement au fait de la marche spéciale de la cour de cassation, puisque cette marche et sa procédure diffèrent essentiellement de celles des autres cours et tribunaux, qu’on s’y occupe des questions de droit et non de fait, et que la jurisprudence de cette cour, qui est la suprême régulatrice de l’ordre judiciaire, fait une partie importante de notre droit civil et doit être toujours présente à l’avocat qui plaide ou postule devant elle.

C’est de la sorte que, lorsqu’on se reporte à la loi si importante du 4 août 1832, on ne peut s’empêcher de reconnaître toute l’importance attachée aux fonctions de l’avocat près de la cour de cassation et à la garantie dont il convient qu’il soit entouré dans l’intérêt de la justice aussi bien que des plaideurs.

Conviendrait-il, par exemple, que le premier venu pût présenter et signer des déclarations de pourvois en cassation, ou former des demandes en renvoi d’une cour ou d’un tribunal à un autre, pour cause de suspicion contre des magistrats et compromettre peut-être ainsi, par sa légèreté, la réputation de fonctionnaires publics auxquels la considération publique est si indispensable ? Convient-il de les exposer aux attaques de la médiocrité, aux imprudences de la légèreté sans expérience ? Convient-il de remettre à des esprits jeunes et ardents les demandes de renvoi pour cause de sûreté publique, et le pouvoir d’introduire, à la légère, des prises à partie contre les corps judiciaires les plus respectables, ou contre quelques-uns de leurs membres ?

Dans des matières de si haute importance, ne convient-il pas qu’il y ait des hommes connus et éprouvés pour remplir des fonctions et un ministère qui ont une si grande portée ? Peut-on livrer l’intérêt des justiciables, l’honneur des magistrats, peut-être même nos garanties constitutionnelles les plus précieuses, aux attaques de l’inexpérience on à l’ardeur irréfléchie de tout homme qui ne présenterait d’autre garantie que d’avoir obtenu un diplôme universitaire ?

Quelques personnes ont voulu stigmatiser l’institution des avocats à la cour de cassation du nom odieux de monopole ; mais alors étendez l’accusation à tous les corps judiciaires, supprimez partout et avocats et avoués ; qu’il n’en apparaisse plus ni aux cours ni aux tribunaux, car ce sera aussi un monopole de la même espèce, si l’on veut être conséquent dans cette imputation ; et les universités ne devraient bientôt plus être regardées que comme des bureaux de distribution de brevets exclusifs.

Or, ne serait-ce pas nous ramener vers cette époque si fâcheuse à la justice où, sous la république française, on poussa l’amour de l’égalité absolue et les conséquences outrées des principes jusqu’à ne plus permettre ni avocats, ni procureurs, ni avoués ? Chaque individu put rêver pendant la nuit qu’il était homme de loi ou défenseur officieux, et se trouver tel le lendemain ; tout homme à qui le cœur parlait, pouvait se présenter à chacun des milliers de tribunaux de la France pour y discuter les intérêts les plus délicats, les questions les plus ardues et les plus compliquées de la jurisprudence civile ou criminelle.

Personne n’ignore tous les inconvénients qui résultèrent d’une pareille aberration des exigences sociales ; l’administration de la justice devint un chaos dont on s’empressa bientôt de sortir en renonçant, au plus vite, à une liberté illimité du droit de plaider incompatible avec l’état social, incompatible avec la nécessité d’études approfondies et de connaissance mûries par la pratique et l’expérience, avant d’être appelé à exercer, surtout à exercer devant les cours supérieures.

Si tous les jeunes légistes, même les plus étrangers à la cour de cassation, peuvent y venir plaider sans avoir pour guide l’expérience d’un avocat habitué à fonctionner en cassation, on conçoit que ce sera pour chacun d’eux une espèce d’éducation judiciaire à faire, et qu’il pourra en résulter des conflits réitérés entre les présidents et les plaidants ; car le mot d’Horace peut leur être appliqué aussi bien qu’aux enfants d’Apollon, et quoique les avocats écrivent en prose leurs mémoires, ils n’en sont pas moins, comme tous les gens de beaucoup d’esprit, « genus irritabile vatum. »

De là des altercations plus ou moins fâcheuses, des exemples fréquents de rappel à l’ordre pour obliger les plaideurs, novices en cassation, en se renfermer dans les moyens propres à la plaidoirie en cassation, dans les moyens légaux.

Il convient donc de conserver pour la cour de cassation, comme pour les autres cours judiciaires, un barreau qui lui soit particulièrement attaché, et qui, outre les excellents avocats qu’il renferme déjà, s’enrichira successivement de ce qu’il y a de plus distingué et de plus justement estimé parmi les jurisconsultes belges, lorsqu’on sera assuré que la loi d’organisation ne sera pas changée, et que ceux qui, obéissant à leur respect pour la loi et pour la cour de cassation, ont déjà accepté ces fonctions, ne se verront plus exposés à perdre l’état honorable auquel ils se sont voués, par des changements et des suppressions d’emploi toujours si fâcheuses, proposées tous les six mois dans les lois organiques.

D’après ces considérations, je voterai contre la proposition qui nous est soumise.

M. Schaetzen. - Messieurs, avant d’entreprendre la justification des conclusions de la section centrale, dont j’ai eu l’honneur d’être rapporteur, je dois rendre hommage aux intentions qui ont porté mon honorable collègue, M. de Brouckere, a faire la proposition qui fait le sujet de nos délibérations ; il a été l’organe de tous les amis de la paix, de tous ceux qui désirent voir régner l’union et la bonne harmonie dans un corps aussi respectable que la barreau de Bruxelles.

Mais ce n’est point par l’intention que nous devons juger la mesure proposée ; nous devons rechercher d’abord si elle est bien nécessaire pour atteindre le but que se propose notre honorable collègue, et d’autre part, si son adoption n’entraînerait pas des difficultés bien plus grandes que celles que l’on veut éviter.

Quant à moi, messieurs, il me semble que l’article 31 de la loi du 4 août 1832, sainement entendu, suffit à ce que réclament l’administration d’une bonne justice, un service régulier à la cour de cassation, et le développement et la défense les plus libres des moyens des parties.

Cet article accorde aux avocats près la cour de cassation le droit de plaider, et exclusivement celui de postuler et de prendre des conclusions.

Ainsi le privilège des avocats à la cour de cassation se réduit au droit de postuler et de conclure.

La postulation se compose de la rédaction de la requête contenant la demande de cassation, ou la réponse à cette demande avec conclusions.

Ces requêtes doivent contenir les moyens des parties ; ces moyens sont nécessairement des moyens de droit ; la rédaction de ces requêtes est dès lors de la plus haute importance, et par suite le rôle des avocats à la cour de cassation est des plus honorables, alors même qu’il est restreint dans la simple postulation. En effet, quand il ne serait donné aux moyens de droit déduits dans les requêtes aucun développement oral, la cour ne pourrait s’empêcher de faire justice et de casser ou de maintenir la sentence qui est déférée à sa censure, parce que les requêtes présentées par les avocats à la cour de cassation constituent à elles seules toute la procédure légale et que les plaidoiries ne sont point nécessaires.

Vous concevez maintenant, messieurs, que la part que le législateur a faite aux avocats à la cour de cassation est large, qu’elle suffit au maintien de la considération dont ils doivent jouir, et que lorsqu’ils se bornent à postuler dans une cause, ils sont plus que des machines à signer.

Mais aussi c’est dans la postulation que doit être circonscrit le droit exclusif de ces officiers ministériels ; toute extension que l’on voudrait y donner constituerait un privilège odieux.

C’est ainsi que nous pensons que les avocats à la cour de cassation ne sont point en droit de porter la parole aux audiences, à moins que les parties ne les aient chargés de défendre oralement leurs causes, soit seuls, soit avec un autre avocat.

La postulation est épuisée du moment que les conclusions ont été prises ; les plaidoiries sont le partage de tous les avocats près des cours, qui sont docteurs ou licenciés en droit depuis six ans. Pour les plaidoiries, les avocats à la cour de cassation sont sur la même ligne que leurs confrères ; ils ne peuvent, lorsque les parties ne le demandent pas, et qu’elles ont confié le développement des moyens à des avocats de leur choix, prendre la parole avec eux, sous prétexte d’éclaircir les points de droit qu’ils ont consignés dans les requêtes qu’ils ont formulées.

Ici ils n’ont plus le droit exclusif d’agir, mais seulement celui de concourir avec les autres avocats, et ce concours ne peut avoir lieu contre le gré des parties : la confiance de celles-ci est forcée en ce qui concerne les actes de procédure ; elle est libre en ce qui concerne la défense orale parce que, comme nous l’avons déjà dit, cette défense orale n’est pas absolument nécessaire, elle ne constitue qu’un complément d’instruction purement facultatif.

La loi ainsi entendue est d’une exécution facile, tous les intérêts sont suffisamment ménagés ; la cause est introduite et instruite par des hommes qui, honorés par le choix de la cour, donnent au public la garantie que les plaideurs n’auront point été légèrement entraînés dans des frais ; et d’autre part l’admission de tous les avocats du royaume à la plaidoirie permet aux parties de présenter leurs moyens sous toutes les faces, et de leur faire donner par de hommes de leur choix, et dans lesquels ils ont placé leur confiance, tous les développements dont ils sont susceptibles.

Il ne peut non plus y avoir, contre le gré des parties, double emploi dans la dépense, ni augmentation réelle dans les frais ; les émoluments de la postulation appartiennent à l’avocat spécialement admis à la cour, et les honoraires d’avocat reviennent au jurisconsulte qui porte la parole à l’audience.

Tout motif de rivalité doit donc disparaître, et le privilège des avocats à la cour de cassation, borné, ainsi que le veut la loi, à la simple postulation, n’a rien d’odieux parce qu’il est honorable et qu’il est nécessaire.

La nécessite des officiers ministériels près la cour de cassation, dans l’état actuel de notre mode de procéder, ne peut être révoquée en doute par quiconque veut jeter un coup d’œil sur le code de procédure.

D’abord, pour les cas ordinaires et les plus simples, l’intermédiaire des officiers ministériels est indispensable ; il faut toujours signifier une réponse à la requête contenant la demande en cassation. Lorsque la cour a fixé le jour de la plaidoirie, il faut donner un avenir ; quand l’arrêt est rendu, il faut rédiger et signifier les qualités ; ce sont toutes formalités que l’on ne saurait éviter.

Mais du moment que la procédure se complique tant soit peu, des qu’il s’élève un incident, nous ne voyons plus comment, sans officiers ministériels, on puisse exécuter les différentes dispositions du code de procédure civile ; car, messieurs, on ne doit pas se le dissimuler, un grand nombre d’incidents qui se présentent dans la procédure en première instance ou en degrés d’appel peuvent se produire en cassation.

S’il s’agissait, par exemple, d’une inscription en faux, les articles 215 et 216 du code de procédure civile veulent que celui qui voudra s’inscrire en faux sera tenu préalablement de sommer l’autre partie, par acte d’avoué à avoué, de déclarer si elle veut ou non se servir le la pièce ; et dans les huit jours la partie sommée doit faire signifier par acte d’avoué sa déclaration si elle entend ou non se servir de la pièce arguée de faux.

Est-il question d’une reprise d’instance, l’article 347 du même code veut qu’elle soit faite par acte d’avoué à avoué pour le cas de désaveu, l’article 354 prescrit qu’il soit signifié par acte d’avoué tant à l’avoué contre lequel le désaveu est dirigé qu’aux autres avoués de la cause.

Aux termes de l’article 400, la péremption d’instance doit être demandée par requête d’avoué à avoué.

Le désistement doit être signifié par acte d’avoué à avoué (article 402).

Je ne finirai point, messieurs, si je voulais citer tous les articles du code de procédure civile applicables à l’instruction des affaires en cassation, qui tous supposent l’existence d’officiers ministériels, et qui ne peuvent recevoir leur exécution sans leur intermédiaire.

Vous voyez donc, messieurs, que la proposition de l’honorable M. de Brouckere ne peut se concilier avec notre système de procédure, et c’est ici encore une fois le cas de se convaincre combien il est dangereux d’innover en matière de législation. On ne voit d’abord que les inconvénients de ce qui existe ; mais lorsqu’ensuite on passe de la loi que l’on veut changer à ceux qui sont en relation avec elle, on recule tout effrayé du faux pas que l’on allait faire.

Dans l’espèce qui nous occupe, la cause de ces inconvénients est fort simple ; c’est que dans tous les degrés de juridiction en cassation, comme en appel et en première instance, la procédure est fondée sur l’existence d’officiers ministériels ; sans eux la justice ne peut marcher aujourd’hui ; il faudrait, pour pouvoir les supprimer, réviser et réformer tout le code de procédure.

Les inconvénients que je vous ai signalés, messieurs, sont extrêmement graves, et je ne crains pas de le dire ; ils sont insurmontables dans notre législation moderne.

Il en est d’autres, moins importants à la vérité, mais qui méritent cependant d’être pris en considération.

J’ai raisonné jusqu’ici dans la supposition que les causes portées à la cour de cassation étaient plaidées par des avocats résidant à Bruxelles ; mais vous savez, messieurs, que la cour de cassation est une institution nationale, et qu’il est à désirer que devant cette cour paraissent les talents des divers barreaux du royaume, afin que la cour puisse être éclairée par toutes les lumières du pays et pour que sa jurisprudence ne soit point le fruit des seules opinions et manières de voir locales.

D’un autre côté, l’intérêt des parties exigera souvent que leurs causes soient plaidées par les avocats résidant dans les provinces, par les avocats qui ont instruit ces causes en première instance et en appel, qui les connaissent à fonds, et qui, en raison des communications faciles qui existent aujourd’hui de toutes les parties du royaume avec la capitale, peuvent à peu de frais venir plaider devant la cour.

Eh bien, messieurs, sans l’existence des officiers ministériels près la cour de cassation, vous privez cette cour des services que peuvent rendre à la jurisprudence beaucoup de jurisconsultes profonds qui n’ont pas l’avantage de résider à Bruxelles, et vous obligerez les plaideurs de payer l’étude que devra faire de la cause un avocat que souvent ils ne connaissent que de réputation, tandis qu’un autre qui aura obtenu en première instance et en appel tout le succès désiré devra s’abstenir.

On dira peut-être que les avocats étrangers peuvent élire un domicile à Bruxelles. Aucun praticien tant soit peu prudent n’osera se servir de cette voie ; les dangers qui y sont attachés sont incalculables.

Déjà nous avons dit que, dans beaucoup de cas, le code de procédure exigeait l’accomplissement de certaines formalités dans un très bref délai, souvent dans la huitaine ; si les sommations en exécution desquelles ces formalités doivent être remplies ne tombent pas dans les mains d’une personne capable d’en apprécier l’importance, il est à craindre quelles ne parviennent pas en temps utile à l’avocat qui est chargé de la cause.

L’avocat étranger à Bruxelles connaîtra difficilement la fixation des audiences destinées à la discussion à laquelle il doit prendre part ; il ne connaîtra pas les arrêts interlocutoires ; il ne pourra régler avec son adversaire les qualités des arrêts, ce qui doit avoir lieu dans les vingt-quatre heures de leur signification. Enfin, son concours à la pratique devant la cour de cassation sera hérissé de tant de difficultés, qu’il est à craindre que bientôt le dégoût ne l’emporte chez lui sur l’intérêt de son client, et qu’il ne soit obligé d’abandonner sa défense.

Parlerai-je de la bizarrerie qu’offrirait dans nos usages judiciaires une cour sans officiers ministériels, sans intermédiaires entre elle et les plaideurs ; d’une cour qui, aussitôt que les avocats plaidants auraient déposé leurs dossiers, se trouverait dans un vide complet ; qui ne saurait à qui s’adresser lorsqu’il serait nécessaire de compléter un dossier ; qui, n’ayant pas d’avoués responsables et soumis à sa discipline, devrait passer une partie de son temps à vérifier les pouvoirs des personnes qui se présenteraient devant elle comme mandataires des parties ?

Toutes ces difficultés et une foule d’autres que l’adoption de la proposition pourra faire surgir, et qui, pour le moment, ne se présentent point à notre esprit, doivent nous rendre extrêmement circonspects dans son examen.

Pour ma part, je crois que la loi du 4 août 1832, sainement entendue, concilie les intérêts des parties avec ceux des avocats à la cour de cassation et des autres membres du barreau ;

Qu’ainsi la mesure proposée est inutile, et qu’indépendamment du reproche de versatilité auquel elle expose la législature, elle nous entraînerait dans des inconvénients bien plus graves que ceux qui nous sont signalés.

Je ne pourrai donc voter pour son adoption,

- Ici, M. Raikem cède le fauteuil à M. Dubus.

M. de Muelenaere. - L’honorable M. de Brouckere, frappé des inconvénients qu’entraînait à ses yeux l’application de l’article 31 de la loi du 4 août 1832, nous a proposé d’abroger cet article et de le remplacer par la disposition des articles 2 et 3 de la proposition qu’il vous a soumise.

Le texte des pièces qui vous ont été distribuées vous prouve qu’il existe encore une grande divergence d’opinions sur la question soulevée par la proposition de notre honorable collègue. Les sections ont été partagées d’avis, et la section centrale a conclu au rejet de la proposition et au maintien provisoire de l’article 31. Il est probable que la même division se manifestera dans cette assemblée, en sorte qu’après avoir perdu beaucoup de temps, nous n’arriverons à aucun résultat, ou bien nous en atteindrons un diamétralement opposé à celui que nous nous proposions, c’est-à-dire, que nous adopterons une mesure qui, n’ayant pas été suffisamment mûrie, donnera lieu à des inconvénients encore plus graves que ceux de l’article que vous voulez abroger.

Quant à moi, après avoir examiné toutes les pièces qui nous ont été soumises, j’avoue que je ne suis pas parvenu à fixer mon opinion. La lecture de la proposition, les développements qu’on y a donnés, le rapport de la section centrale, toutes ces pièces m’ont appris combien la matière était difficile, et que la question n’était pas encore parvenue à un degré de maturité qui permît de lui donner une solution immédiate.

Il est une considération qui a été mise en avant par la section centrale, et que vous ne devez pas perdre de vue, c’est que la législature ne doit pas refaire le lendemain l’ouvrage de la veille sans qu’un motif grave ne l’y porte ; c’est qu’elle ne doit pas porter la main sur un article de la législation sans que l’expérience lui en ait prouvé les inconvénients. Eh bien, je le demande, l’expérience a-t-elle réellement démontré les inconvénients de l’article 31 ? J’avoue que je n’en sais rien pour ma part, et je pense que beaucoup de membres n’en savent pas plus que moi.

Il me semble que la cour de cassation elle-même peut, mieux que toute autre, juger si l’article dont il s’agit donne lieu, dans son application, à des inconvénients graves. Je crois donc que pour procéder avec prudence, pour arriver à quelque chose de durable sur une question qui se rattache à la discipline intérieure de la cour de cassation, il convient de lui renvoyer la proposition de M. de Brouckere, et les développements qui lui ont été ajoutés par son auteur, ainsi que le rapport de la section centrale en l’invitant à nous renvoyer ces pièces avec ses avis et considérations dans le plus bref délai possible.

Par ce moyen la cour elle-même parviendra à faire disparaître les inconvénients de l’article 31, ou bien elle pourra nous aider à faire quelque chose de bon, de durable qui concilie les intérêts des plaideurs avec les égards que l’on doit à la cour de cassation et aux membres du barreau eux-mêmes.

Ce renvoi, dont je fais une motion formelle, expresse, aurait lieu sans rien préjuger. Lorsque la chambre aurait examiné tous les documents, elle pourrait peut-être donner à la question une solution définitive et avantageuse pour tous. (Appuyé ! appuyé !)

M. d’Huart. - Il faudrait, ce semble, attendre que la discussion générale fût close. Alors on jugerait si la question est suffisamment éclairée, et il y aurait lieu à se prononcer sur la motion de M. de Muelenaere.

M. Legrelle. - Il me semble au contraire que c’est avant de commencer la discussion qu’il faut demander l’avis de la cour de cassation. Ce n’est pas après avoir discuté un ou deux jours que nous devrons aller demander un avis sur lequel il sera nécessaire de discuter encore.

M. de Muelenaere. - Aux termes du règlement, une motion d’ordre peut avoir lieu en tout état de cause. Si je l’ai faite au commencement de la discussion, c’est parce que je me suis convaincu qu’il existait sur la question une extrême divergence d’opinion, et j’ai voulu économiser du temps tout à la fois et mettre l’assemblée à même de discuter une matière aussi grave avec plus de lumières et de dignité par conséquent.

M. de Theux. - Messieurs, quand la chambre s’est déterminée à prendre l’avis des cours et tribunaux, ç’a été avant le commencement des discussions. Il me semble que la motion que l’on fait a quelque chose d’insolite. Toutefois, si, après la discussion générale terminée, la chambre ne se croyait pas suffisamment éclairée, elle pourrait adopter la proposition qui est faite.

Renvoi de la proposition à l'avis de la cour de cassation

- De toutes parts. - Aux voix ! aux voix !

M. le président. - Je mettrai d’abord aux voix la continuation de la discussion.

- Plusieurs membres. - La motion d’ordre doit premièrement être mise aux voix.

M. le président. - M. de Muelenaere propose de renvoyer le projet présenté par M. de Brouckere, avec les développements et le rapport de la section centrale, à la cour de cassation pour lui demander son avis.

- La chambre consultée adopte la proposition de M. de Muelenaere.

(M. Raikem remonte au fauteuil).

Ordre des travaux de la chambre

M. le président. - Messieurs, le rapport sur l’extradition sera distribué demain ; on ne pourra le discuter qu’après-demain.

M. A. Rodenbach. - Que ferons-nous demain ?

M. le président. - Nous n’avons rien à l’ordre du jour demain.

M. A. Rodenbach. - Et la proposition de M. Seron sur les poids et mesures ?

M. de Theux. - La commission nommée pour examiner la proposition faite par M. Seron s’est réunie deux fois ; elle s’est convaincue que cette proposition offrait d’assez grandes difficultés. M. Fallon, son président, ne peut pas dans le moment actuel nous aider de ses lumières ; d’autres membres encore sont absents. Quand bien tous les membres de la commission pourraient se réunir, il serait impossible de présenter le rapport prochainement.

M. Gendebien. - De combien de membres la commission était-elle composée ?

M. le président. - De 5 membres.

M. Gendebien. - Eh bien, il en reste quatre ; la commission peut donc s’assembler et examiner ce projet.

M. de Theux. - Quand elle se réunirait immédiatement, il lui serait impossible de présenter promptement son rapport, parce que le projet de M. Seron devra subir de grandes modifications.

M. A. Rodenbach. - Et les budgets ?

M. le président. - Les rapports sur les départements de l’intérieur et sur le département des finances ne sont pas présentés.

M. Legrelle. - Mais ne peut-on pas commencer la discussion des budgets des ministères sur lesquels il y a rapports présentés ?

M. Jullien. - Cette question a été décidée négativement.

M. de Brouckere. - L’honorable M. Legrelle doit savoir qu’il est impossible de discuter les budgets sans avoir tous les rapports ; la chambre d’ailleurs a pris là-dessus une décision.

M. Legrelle. - J’étais absent quand la décision a été prise.

M. de Brouckere. - Ce sont les rapports qui doivent fournir les éléments de la discussion générale.

M. A. Rodenbach. - Pourquoi les rapports ne sont-ils pas présentés ? Il y a plusieurs semaines que les sections ont terminé leur travail. Comment se fait-il que MM. les rapporteurs n’aient pas terminé le leur ?

Plusieurs inconvénients vont résulter de ce retard. Demain après demain nous n’aurons rien à faire ; et les semaines et les mois s’écoulent sans que nous puissions arriver aux budgets. Nous voilà au mois d’août ; ainsi nous arriverons à discuter les dépenses de l’Etat à la fin de l’année, c’est-à-dire, quand elles seront faites ; la discussion du budget sera une véritable plaisanterie. Il est important que les rapporteurs hâtent leurs travaux, si l’on veut que le vote de la chambre ne soit pas une dérision.

- La séance est levée à trois heures.