(Moniteur belge n°179, du 28 juin 1833)
(Présidence de M. Raikem)
La séance est ouverte à 1 heure moins le quart.
M. H. Dellafaille fait l’appel nominal.
Le même donne lecture du procès-verbal de la dernière séance, qui est adopté.
M. Liedts analyse quelques pétitions qui sont renvoyées à la commission.
M. Cols demande un congé de quelques jours pour cause d’indisposition.
- Accordé.
M. Dubus demande également un congé de quelques jours parce qu’il se rend à Tournay pour les élections.
M. le président. - La parole est à M. de Brouckere pour donner lecture de sa proposition.
M. de Brouckere monte à la tribune.
M. Dumortier (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
J’aurai l’honneur de faire observer à la chambre que, dans la section dont je suis membre, la majorité, tout en adoptant en principe la proposition de loi de M. de Brouckere, a pense qu’une nouvelle lecture était inutile ; elle a cru que, conformément aux précédents de cette chambre, la législature se trouvait saisie des projets de lois déposés dans la session précédente.
En effet, je rappellerai que, lors de l’installation de la chambre des représentants, elle s’est déclarée nantie de plusieurs travaux commencés par le congrès national. C’est ainsi que la chambre des représentants s’est considérée comme saisie des pétitions relatives à la naturalisation, bien que toutes ces pétitions eussent été adressées au congrès. Nous avons cru que ce précédent était suffisant pour rendre complètement inutile de renouveler, à l’égard des projets présentés dans la précédente session, les formalités prescrites par le règlement qui seraient fort longues, et qui feraient perdre un temps précieux.
Je sais bien qu’on peut nous faire une objection. On dira que le ministère nous a présenté de nouveau des projets de loi qui avaient été soumis à la chambre précédente. A cela la réponse est facile, car la question n’est pas entière.
Tous les projets de loi qu’on nous a présentés de nouveau contiennent des changements notables à ceux soumis à la chambre des représentants dans la session dernière. Ici, au contraire, il s’agit de projets de loi identiquement les mêmes, et c’est pourquoi la section dont je fais partie a cru la lecture inutile. J’entends dire qu’une autre section a été du même avis ; quant à moi, je m’expliquerai franchement sur un point.
Vous vous rappelez, messieurs, que, lors de la dernière session le ministère a présenté un projet de loi sur la milice qui a été diversement envisagé ; il voulait alors diviser la représentation nationale, et établir ce système de bascule qui a si longtemps soutenu le ministère Van Maanen. Maintenant le ministère voudrait trouver un échappatoire pour ne plus avoir à soutenir ce projet, et c’est pour cela qu’il vient prétendre que la chambre n’est pas saisie des projets de loi présentés à la dernière session. Eh bien ! si le ministère s’est placé dans l’embarras, c’est à lui et non à nous de l’en retirer. Si votre projet est juste, pourquoi ne le conservez-vous pas ?
Et, s’il est injuste, pourquoi ne pas le retirer ? Pour nous, nous ne pouvons, en cette circonstance, rendre la tâche du ministère plus facile, et cette raison seule suffirait pour me faire adopter les conclusions de la section à laquelle j’appartiens.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, je crois, avec l’honorable préopinant, qu’il serait désirable, dans le but d’économiser le temps, de ne pas avoir à présenter de nouveau les projets de loi soumis à l’ancienne chambre. Mais, je ferai remarquer que dans un pays voisin, quand il s’agissait de reproduire un projet de loi dans la nouvelle session d’une même chambre, il a été reconnu que c’était à la loi et à la loi seule de trancher la question ; que ce n’était pas là un objet qu’une chambre pût traiter dans un sens, une deuxième chambre dans un autre sens, et le pouvoir royal dans un autre sens encore. Qui, en effet, serait juge dans ce conflit où tout le monde serait partie ?
Le gouvernement croit qu’il est désirable de régler la suite qui pourrait être donnée à des projets de loi dont la délibération a été commencée dans la session précédente et n’a pas atteint son terme, de régler, dis-je, cette suite par une loi.
Je crois que nulle part on n’a prétendu qu’un projet de loi présenté à une chambre renouvelée intégralement puisse saisir la chambre qui vient immédiatement siéger après elle. Voyez, messieurs, à quel résultat absurde conduirait ce système. Ses conséquences sont assez simples, et ne frappent pas l’esprit lorsqu’il s’agit d’un projet de loi qui n’a reçu aucun développement ; mais quand un projet a été développé (et celui de M. H. de Brouckere l’a été) devant une chambre autre que la chambre actuelle, qui est présumée n’avoir aucune connaissance de ces développements. ; de plus quand une commission s’en est occupée, quand il y a eu délibération des sections, quand il y a eu rapport, tous ces travaux n’expriment en aucune manière l’opinion de cette chambre, de sorte que tous ces travaux préparatoires sont légalement non avenus pour elle.
Or, je vous le demande, messieurs, et je m’en rapporte à cet égard à l’honorable M. de Brouckere, dont la démarche dans cette circonstance vient à l’appui du système que je soutiens, je vous le demande, peut-on élever quelque doute contre ce système ?
Je crois, d’abord, que la question de savoir si, dans une nouvelle session, la chambre peut être saisie d’un projet de loi présenté dans une autre session, est une question législative. Je pense, en outre, que quand un projet de ce genre a été examiné par une commission ou les sections de l’ancienne chambre, ces travaux n’expriment pas le vœu de la nouvelle.
Il n’y a donc pas l’ombre d’un doute : vous ne pouvez adopter le système de M. Dumortier.
M. Dumortier. - Il me semble que M. le ministre a confondu deux choses essentiellement différentes, les dépôts des projets de loi et les travaux préparatoires.
Quant aux travaux préparatoires, nul doute qu’il ne faille un nouvel examen de la part de la nouvelle chambre. A cet égard, je partage l’avis de M. le ministre. Mais ce point n’est, sous aucun point, en connexité avec la seconde question, celle de savoir si la chambre actuelle est saisie des anciens projets de loi.
Il peut se faire que le ministère, pour se tirer d’une position embarrassante, cherche à se prévaloir d’un pareil système. Mais je ne puis l’adopter car la législature est une ; et du moment où un projet de loi est présenté, il est soumis à la législature. Si la chambre des représentants a été renouvelée, le sénat ne l’a pas été ; la session du sénat n’a pas été close, et c’est toujours la même. Il est certain qu’en violation de la loi fondamentale, qui dit que les chambres ne peuvent être ajournées pendant plus de six semaines, et par l’incurie du ministère, le sénat est resté ajourné pendant un plus long espace de temps, mais sa session n’a pas été close ; c’est toujours le même bureau et la même session. Si donc il en est ainsi, si c’est la même session, ce serait une singulière absurdité que de prétendre que la législature n’est pas saisie des anciens projets de loi.
Un exemple suffira pour démontrer combien une pareille doctrine est peu fondée. Vous n’ignorez pas que le sénat a adopté le projet de loi des distilleries qui avait coûté une longue délibération à la chambre des représentants ; il a admis ce projet, dis-je, en y faisant quelques modifications. Or, vous allez appeler le sénat à voter une seconde fois sur ce projet, ce qui est absurde. Si le ministère a commis une faute, qu’il le dise franchement et qu’il retire le projet de loi qu’il a présenté.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je ne conçois vraiment pas que l'honorable préopinant puisse attribuer, sur une question purement réglementaire des arrière-pensées au ministère. Je ne combattrai pas ce système de défiance permanente, mais je répondrai à ses observations.
L’honorable membre dit que nous avons violé la constitution en laissant le sénat ajourné pendant plus de six semaines. Je réponds qu’il était parfaitement inutile de prononcer ce que la constitution prononçait elle-même d’une manière formelle. Lisez l’article 59 de la loi fondamentale, et vous verrez qu’il porte que toute assemblée du sénat qui serait tenue hors du temps de la session de la chambre des représentants, est nulle de plein droit.
Ainsi donc, messieurs, si le sénat ne s’est pas assemblé, c’est qu’il ne pouvait siéger en l’absence de l’autre chambre ; il y avait clôture implicite. Je sais bien que le sénat en a décidé autrement ; mais la décision du sénat ne fait pas loi pour le pouvoir royal.
Ce serait consacrer une absurdité que de prétendre qu’une initiative exercée par un membre d’une chambre qui ne serait pas représente ici, puisse saisir une chambre nouvelle. La chambre nouvelle ne peut être saisie des projets de loi présentés dans la session précédente qu’en vertu d’une loi ; et même il a été décidé en France que la législature ne restait saisie d’un projet de loi que lorsque le rapport de la commission centrale avait été fait devant une chambre composée des mêmes éléments. Voilà ce qui a été résolu pour abréger le temps.
Quant à ce qu’on a dit de la loi des distilleries, amendée par le sénat, je ferai remarquer qu’elle se trouvait tellement en opposition avec le système de l’ancienne chambre des représentants et celui du ministère, que jamais nous n’aurions pu reproduire un tel projet. Le gouvernement a cherché un terme de conciliation, et il était dans son droit de déclarer qu’il présenterait une nouvelle loi. Il n’y aura pas de temps perdu, car la discussion qui s’établira sur la loi nouvelle aurait également eu lieu sur l’ancienne loi, et nous avons à soumettre au sénat des considérations que nous croyons de nature à le faire revenir de sa première opinion.
M. Angillis. - J’ai rarement le bonheur d’être de l’avis du ministère, mais ici je dois avouer qu’il a raison. Le système que nous a développé M. le ministre de la justice a toujours été suivi aux états généraux ; il l’est également en France, et je dirai même qu’il y deux jours il a été adopté ici par la chambre sur la motion d’ordre que j’ai faite par rapport à un objet dont s’occupe la commission des finances.
M. de Brouckere. - En principe je suis entièrement opposé d’avis avec l’honorable M. Dumortier ; en fait il m’est parfaitement indifférent de donner une deuxième lecture de ma proposition ; mais je crois que c’est une obligation dont on ne peut me dispenser. De plus, l’honorable membre a senti lui-même que je devais lire les développements présentés à la dernière chambre, et je crois que cela est également nécessaire, puisque la nouvelle chambre n’en a pas une connaissance officielle.
Du reste, la question est de très peu d’importance, et je demanderai que la discussion se termine là et qu’on me permette de lire ma proposition ainsi que mes développements. (Oui ! oui ! appuyé !)
- La proposition de M. Dumortier est rejetée.
M. de Brouckere donne lecture de sa proposition.
« Léopold, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, salut.
« Considérant que l’article 31 de la loi du 4 août 1832 a rencontré dans son exécution des difficultés qu’il importe de faire cesser,
« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :
« Art. 1er. L’article 31 de la loi du 4 août 1832 est abrogé.
« Art. 2. Les avocats près les cours d’appel du royaume, docteurs ou licenciés en droit depuis six ans au moins, ont seuls, et sans l’assistance d’officiers ministériels, le droit d’instruire et plaider les causes devant la cour de cassation, d’y faire et signer tous les actes de procédure.
« Art. 3. L’avocat joindra au dossier qu’il doit déposer au greffe, une procuration authentique et spéciale de son client ; il sera tenu de la reproduire en tout état de cause à la première réquisition.
« Mandons et ordonnons, etc. »
Voici maintenant les développements que j’ai présentés à la session dernière :
Messieurs, avant d’entrer dans les développements que nécessite la proposition que j’ai eu l’honneur de vous soumettre, j’ai besoin, afin de prévenir toute fausse interprétation, de déclarer d’abord qu’en la faisant, j’ai eu en vue bien moins l’intérêt des avocats, que pourtant j’ai fort à cœur, que l’intérêt des plaideurs, c’est-à-dire l’intérêt général ; en second lieu, que lorsque je me suis décidé à attaquer l’institution d’avocats spécialement attachés à la cour de cassation, le choix qui a été fait par la cour et par le gouvernement n’est entré pour rien dans ma détermination. Ce choix, messieurs je suis si loin de le blâmer que, parmi les hommes sur lesquels il est tombé, il en est plusieurs que je tiens à honneur de connaître particulièrement, et pour qui je professe l’estime la plus profonde. Aussi n’ai-je pas un instant redouté de leur part une supposition que je regarderais comme injurieuse, et que je repousse de toutes mes forces : ils sauront, j’en suis certain, rendre justice aux sentiments qui m’animent.
Lors de la discussion de l’article 31 de la loi du 4 août 1832, peu de membres prévirent les inconvénients auxquels il donnerait lieu, de manière qu’il ne rencontra point dans cette assemblée l’opposition qu’il eût sans doute suscitée, si on avait bien apprécié sa portée et ses conséquences.
Deux motifs principaux ont fait adopter cet article 31.
1° Il y a, disait-on, des officiers ministériels près les tribunaux de première instance et près les cours d’appel, donc il en faut près la cour de cassation.
2° Il y a à Paris des avocats spécialement attachés à la cour de cassation ; notre procédure étant la même que celle que l’on suit en France, nous ne pouvons sur ce point nous écarter de ce qui y est établi.
Le premier de ces arguments avait, je l’avoue, fait quelque impression sur mon esprit et la crainte de consacrer une inconséquence m’engagea à défendre le projet ministériel.
« Si, au lieu de nous borner à mettre nos lois judiciaires en harmonie avec la constitution, disais-je alors, on avait trouvé bon de réviser toutes nos lois d’organisation judiciaire, je m’étais proposé de présenter une disposition, tendant à supprimer les officiers ministériels dans tous les degrés de juridiction. Je les trouve au moins inutiles ainsi bien en première instance qu’en appel, et je ne vois pas pourquoi on force les plaideurs à prendre, pour défendre leur cause, deux hommes, dont l’un reste complètement passif. Une telle obligation constitue les parties en double frais, sans que cet inconvénient soit compensé par des avantages réels. Mais puisqu’il nous est impossible, en ce moment, de nous occuper des avocats de première instance et d’appel, nous devons, pour être conséquents, admettre des officiers ministériels près la cour de cassation. » (Séance du 16 juin 1832)
Depuis lors, messieurs, je me suis pleinement convaincu que mes craintes, qui d’ailleurs n’étaient que très vagues, n’étaient rien moins que fondées, et que la peur d’un mal m’avait conduit dans un pire. C’est ce qu’il me sera, je pense, facile d’établir, lorsque j’aurai d’abord répondu deux mots au second argument, qui est vraiment de nulle valeur.
En effet, messieurs, si nous faisons bien d’imiter ce que nous trouvons de bon en France, il est, vous en conviendrez, souverainement absurde de créer chez nous des institutions par le seul motif qu’elles existent dans ce pays, et sans nous enquérir si elles sont bonnes ou mauvaises. Je dirai même, en passant, que nous nous sommes écartés de la législation française en ce qui concerne les avocats près la cour de cassation, puisque, chez nos voisins, ils ont seuls, et à l’exclusion de tous autres, le droit de plaider devant la cour, tandis qu’ici leur droit exclusif se borne à la postulation et à la signature des actes, et que les avocats près les cours d’appel sont admis à plaider en concurrence avec eux. C’est donc un système bâtard que nous avons adopté, et ses funestes conséquences sont déjà évidentes pour tous, bien que la loi qui le crée ne soit en vigueur que depuis peu de mois.
L’article 31, que je combats, statue qu’il y aura un nombre déterminé d’avocats près la cour de cassation ; qu’ils ne peuvent être nommés si depuis 6 ans au moins ils ne sont docteurs ou licenciés en droit ; qu’ils ont le droit de plaider et inclusivement celui de postuler et de prendre des conclusions ; que les avocats près les cours d’appel pourront également plaider devant la cour de cassation. De deux choses l’une : ou les avocats attachés à la cour de cassation consentiront à descendre au rang des avoués, à signer aveuglément les mémoires et pièces de procédure qui leur seront remis par les avocats chargés de diriger le procès, et alors le rôle qu’ils accepteraient seraient au-dessous du titre qu’ils portent. Ils ne pourraient s’y soumettre qu’en dérogeant, et certes il y a chez les membres du barreau trop d’honneur, trop de fierté pour que l’on en trouve beaucoup qui consentent à compromettre la position élevée qu’ils occupent dans la société, bien que leurs intérêts les y convient.
Ou ils refuseront un rôle aussi matériel, aussi nul, et qui a pour eux quelque chose d’humiliant, puisqu’il les place au-dessous de leurs confrères ; ils ne voudront point devenir des machines à signer et à copier, pour me servir d’une expression que j’emprunte à une pièce au bas de laquelle se trouvent des signatures que l’on ne sera point tenté de suspecter ; ils ne se chargeront que des affaires qu’ils pourront plaider et diriger, soit seuls, soit en commun avec un autre avocat ; et alors s’établit, sans contredit, un monopole injuste, dangereux, puisqu’il sera impossible de porter une affaire devant la cour de cassation sans passer par les mains des avocats privilégiés.
En vain représenterez-vous qu’un avocat a soutenu vos intérêts en première instance et en appel ; qu’il a seul toute votre confiance ; qu’il vous importe de ne confier à aucun autre les choses plus ou moins secrètes qu’il vous faut révéler pour être défendu avec succès : vos représentations seront inutiles, vous ne pourrez vous dispenser de prendre un second avocat, qui plaidera avec l’homme investi de votre confiance, aura les mêmes droits que lui, et vous fera peut-être, pour n’avoir pas suivi l’affaire dans ses différents degrés, un tort d’autant plus grand qu’il sera irréparable.
Ajouterai-je à cela des considérations d’économie ? Elles ne sont, je le sais, que secondaires devant celles que je viens de vous exposer ; mais elles méritent aussi d’être posées, surtout lorsque l’on considère que plus le nombre des avocats privilégiés sera restreint, plus le défaut de concurrence leur permettra d’élever leur tarif.
Ceux d’entre vous, messieurs, qui sont au courant de ce qui s’est passé dans ces derniers temps savent que ce que je viens de dire ne se réduit point en craintes chimériques ou exagérées. J’ai exprimé un état de choses qui est le résultat nécessaire de la loi, et qu’on ne peut trop se hâter de faire cesser.
Une fois d’accord sur ce point, messieurs, la question se borne à rechercher quel est le meilleur moyen à employer pour porter remède au mal que j’ai signalé et qui doit être évident pour tous.
Il s’en présente deux qui, l’un et l’autre, ont été prévus lors de la discussion de la loi du 4 août et défendus par plusieurs orateurs.
Quelques membres, et entre autres l’honorable M. Gendebien et un collègue que nous regrettons tous les jours, l’honorable M. Barthélemy, soutenaient qu’il ne fallait point établir d’officiers ministériels près la cour de cassation ; qu’il n’y avait aucun inconvénient à autoriser tous les avocats à plaider et à postuler devant cette cour, sauf ceux qui, trop jeunes et manquant d’expérience, n’avaient point donné assez de gages de science : en les admettant, on exposait la cour à perdre un temps précieux.
D’autres, estimant qu’il convenait qu’il y eût des officiers ministériels attachés à la cour de cassation, comme il y eu a près les autres corps judiciaires, voulaient qu’ils n’eussent que le titre d’avoués, et que leurs attributions se bornassent à postuler et à prendre des conclusions, sans qu’il leur fût permis de plaider. C’était l’opinion de l’honorable M. Devaux et celle de M. le ministre actuel de la justice, et le premier proposa même et soutint un amendement qui était ainsi conçu :
« Les avoués près la cour de Bruxelles ont exclusivement le droit de postuler et de conclure devant la cour de cassation ; ils n’ont pas celui de plaider. »
Je m’étais en dernier lieu rallié à cette disposition, mais elle n’obtint point l’assentiment de la majorité.
Ayant à choisir entre ces deux moyens, je me suis décidé pour le premier, et les principaux motifs qui m’ont déterminé sont les suivants : que la procédure devant la cour de cassation est tellement simple, surtout aujourd’hui qu’il n’existe point de section de requêtes, que je regarde l’intervention d’officiers ministériels comme inutile et n’ayant d’autres résultats que d’occasionner des frais aux parties, que cette procédure se borne en effet à la signification du pourvoi et des qualités et à la notification par les mêmes voies d’un mémoire en réponse au pourvoi ; que rien ne s’oppose à ce que les conclusions prises à l’audience ne soient signées par l’avocat qui a signé celles du mémoire primitif, dont elles ne sont que la copie ; qu’il serait impossible de signaler un avantage quelconque à exiger le ministère d’un avoué pour cette signature ; que le règlement de 1815, qui est resté si longtemps en vigueur et dont on ne se plaignait point, n’exigeait, pour les mémoires, que la signature d’un avocat inscrit au tableau depuis plus de six ans.
Si cependant la chambre paraissait plus disposée à accueillir favorablement l’opinion de l’honorable M. Devaux, et de M. le ministre de la justice, je consentirais sans peine aux modifications qui seraient présentées dans ce sens.
Quelle que soit des deux opinions que je viens de développer celle que vous trouverez bon d’adopter, vous aurez, messieurs, rendu un véritable service à tous ceux qui sont exposés à devoir débattre leurs intérêts devant la cour suprême, c’est-à-dire à l’universalité de vos concitoyens ; vous en aurez aussi rendu un aux membres du barreau, qui sont à plus d’un titre dignes de votre sollicitude, et j’aurai, pour ma part, atteint le but que je m’étais proposé, en vous présentant le projet de loi que je vous prie de vouloir prendre en considération.
- La proposition de M. de Brouckere est appuyée.
M. de Brouckere. - Je ferai remarquer qu’à la session dernière la chambre a pris sans hésiter en considération ma proposition. Je pense qu’aujourd’hui on pourrait immédiatement s’occuper de la prise en considération. (Oui ! oui !)
M. F. de Mérode. - Je demande la parole.
M. le président. - La discussion sur la prise en considération est ouverte.
M. F. de Mérode. - Messieurs, je ne m’opposerais pas à la prise en considération de la proposition que vous venez d’entendre, si nous n’avions à nous occuper de plusieurs lois très urgentes, de lois organiques et industrielles du premier ordre. Je n’ai pas certes la prétention de contredire les arguments de l’orateur qui vient de descendre de la tribune ; mais ce qui me paraît évident, c’est que les inconvénients de l’état de choses qu’il a critiqué et qu’il voudrait voir changer, ne sont pas tels qu’ils doivent retarder nos délibérations sur des objets plus pressants.
M. de Brouckere. - L’honorable préopinant ne s’oppose pas à la prise en considération de ma proposition pour les principes qu’elle renferme ; il s’y oppose seulement dans le cas ou elle pourrait retarder la discussion de projets de loi plus importants. Mais c’est à la chambre à régler l’ordre de ses travaux, et elle fixera pour la délibération de cette proposition le jour qu’elle voudra.
Cependant je me permettrai de faire une observation. Quoi qu’en dise M. de Mérode, je crois que l’état de choses actuel donne lieu à de graves inconvénients, non pas seulement pour les avocats, mais pour le public, et que si M. le ministre de la justice était consulté sur ce point, il avouerait avec moi qu’il est à désirer qu’il intervienne dans le délai le plus court une décision quelconque.
Je n’énumérerai pas les motifs qui m’engagent à parler ainsi ; je ne veux pas examiner si les magistrats, si le barreau, si un corps quelconque a eu des torts ; la chambre n’a pas à s’occuper de cette question, elle ne doit s’occuper que des intérêts généraux et des intérêts du public. Or, si l’intérêt général et l’intérêt du public l’exigent, il faut nécessairement une décision. Il me semble qu’il conviendrait de nommer une commission de magistrats et de jurisconsultes pris dans cette chambre. Je lui abandonnerais entièrement ma proposition.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je suis tout à fait de l’avis du préopinant sur la nécessité de trancher une question qui a suscité des difficultés graves, non seulement pour l’ordre des avocats mais pour le public.
Je voterai donc sous ce rapport pour la prise en considération. Mais je suis obligé de rentrer dans la considération qu’a fait valoir mon honorable collègue M. F. de Mérode, que cette proposition ne doit pas retarder la délibération d’autres objets plus importants. Je veux parler des budgets. (Adhésion.) D’ailleurs, comme l’a fait remarquer M. de Brouckere, c’est là une question qui reste intacte. La chambre, en prenant en considération la proposition, ne fixe point l’époque de la discussion. D’après cela, je crois qu’il faut adopter purement et simplement la prise en considération.
- La prise en considération est mise aux voix et adoptée.
Ensuite la chambre, consultée sur la question de savoir si la proposition de M. de Brouckere sera renvoyée à une commission ou aux sections, ordonne le renvoi en sections.
M. de Puydt, rapporteur, prend la parole : (Nous donnerons ce rapport. )
- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport, et fixe la discussion du projet de loi après celle des crédits provisoires.
M. Brabant, rapporteur. - Messieurs, en fixant les dépenses du département de la guerre pour la présente année à la somme de 66,433,000 fr., la loi du 19 avril dernier n’avait mis à la disposition du gouvernement que la moitié de cette somme pour les six premiers mois. Cette moitié n’a pas été entièrement dépensée, et le gouvernement n’a pas cru pouvoir employer l’excédant aux besoins des mois suivants ; la cour des comptes a partagé cet avis.
Le projet de loi qui vous a été présenté par M. le ministre de la guerre met cet excédant à sa disposition ; il vous demande en outre huit millions. Ces crédits réunis couvriraient les dépenses des neuf premiers mois et n’élèveraient le total de la dépense annuelle qu’à près de 55 millions, somme à laquelle le gouvernement estime pouvoir se borner ensuite des circonstances. En vous proposant cette allocation, la commission a refusé la qualification de crédit provisoire à l’autorisation de dépenser des sommes dont l’application spéciale est déterminée par une loi. En conséquence, elle vous propose de modifier le projet dans la forme suivante
« Léopold, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, salut.
« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :
« Art. 1er Le département de la guerre est autorisé à disposer d’une somme de huit millions de francs, à prendre sur celle à laquelle le budget de ce département a été fixé par la loi du 19 avril dernier.
« Art. 2. Ce nouveau crédit, et celui qui a été ouvert au même département par la susdite loi, seront employés au paiement des dépenses des neuf premiers mois de l’année.
« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation.
« Mandons et ordonnons. »
- L’impression et la distribution de ce rapport sont ordonnées, et la chambre ajourne la discussion du projet de loi après celle sur les concessions de péages.
M. le président. - M. le ministre des finances se rallie-t-il au projet de loi de la section centrale ?
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Messieurs, le rapport que vous a fait l’honorable M. d’Huart, sur le projet de loi relatif au crédit provisoire de 22,300,000 fr. est favorable à ce projet quant au fonds et au laps de temps qui a été pris pour base des calculs.
La section centrale ne suppose la possibilité de modifications que dans le chiffre de quelques allocations.
Je vais, messieurs, rencontrer le peu d’objections faites contre le projet ; mais je dois préalablement déclarer que, fort du principe admis par la section centrale, que le rejet actuel des demandes ne préjuge en rien le sort des crédits établis au budget, les concessions que le gouvernement serait dans le cas de faire à l’occasion de la présente loi ne pourraient, avec justice, être invoquées contre lui, lors de la discussion de ce budget.
Les intérêts du livre auxiliaire n’ont donné lieu à aucune observation. Quant à ceux de l’emprunt de 48 millions, ce n’est point par négligence, ainsi que l’a fait observer la cinquième section qu’ils n’ont point été compris dans la demande du crédit de 7,500,000 fr. alloué le 9 février dernier, mais bien parce qu’il n’eût été ni rationnel, ni régulier, de les faire figurer dans cette demande.
En effet, la base du calcul des crédits provisoires était la période de trois mois, expirant le 31 mars. Or, l’intérêt de l’emprunt de 48 millions n’était exigible qu’un mois après, c’est-à-dire le 1er mai : il ne pouvait donc être compris dans le montant de crédits qui n’avaient pour but que de faire face aux dépenses du premier trimestre.
La même circonstance se représente dans la loi actuelle ; elle ne comprend que les dépenses dont l’échéance est antérieure au 1er octobre, et conséquemment il n’y est rien porté pour les intérêts du même emprunt, payables au 1er novembre, sans qu’il y ait pour cela oubli de cette dépense.
D’ailleurs à l’époque dont il est question, le gouvernement croyait que le budget serait voté avant le 1er mai, puisqu’il avait été présenté le 22 novembre ; et la chose n’ayant pas eu lieu, il se préparait à demander de nouveaux crédits, lorsque la chambre s’ajourna le 4 avril.
Dans cette position, fallait-il interdire à MM. de Rothschild de payer le semestre de la rente à l’époque du 1er mai, au moyen des fonds dont ils étaient détenteurs ?
Le ministre ne le devait ni ne le pouvait, car le contrat d’emprunt oblige la Belgique au paiement des intérêts à époques fixes, et les préteurs avaient le droit de l’effectuer sur les fonds qu’ils restaient nous devoir.
La section centrale, tout en reconnaissant que « le ministre a sagement agi dans cette circonstance, et qu’il eût porté une grave atteinte à la probité et au crédit du pays,» semble néanmoins partager l’opinion de la cinquième section, qu’il y a eu oubli, dans le projet converti en loi le 9 février. Je crois avoir démontré plus haut que non, seulement il n’y a pas eu oubli, mais qu’il eût été, au contraire, irrégulier de comprendre les intérêts dont il s’agit dans ce projet.
Quant au bill d’indemnité relatif au paiement de cette dette, ce bill résultera naturellement de l’allocation du crédit dans la loi actuelle et de l’approbation insérée au rapport par suite duquel la somme est accordée. Je ne crois donc point avoir de demande spéciale à faire à cet égard.
Les explications sur les charges qu’impose l’emprunt de 48 millions ressortiront du compte spécial qui sera fourni aux chambres, conformément à la loi du 16 décembre 1831, lorsque cette opération sera entièrement consommée.
En vertu du contrat d’emprunt, il est dû aux prêteurs, pour frais de l’emploi de la dotation de l’amortissement, 1 p. c. du montant de cette dotation. Or, l’emprunt étant au capital nominal de 48 millions de florins, ou, suivant le tarif légal de 101,587,301 fr. 59 c., la dotation d’amortissement, qui est fixée à 1 p. c. du capital nominal, doit être de 1,015,873 fr. 1 c.
Le 1 p. c. de cette dernière somme, dû aux prêteurs pour frais des rachats qu’ils sont chargés d’effectuer, est en conséquence de 10,158 fr. 74 c.
Ensemble, somme portée au budget, 1,026,031 fr. 75 c.
Dont moitié pour six mois 513,015 fr. 88 c. Somme égale à celle demandée aux crédits provisoires.
Ce calcul, reconnu exact par M. le rapporteur à qui il a été communiqué, rectifie celui de la section centrale qui n’a été induite en erreur quo par l’omission des mots : et frais, dans le tableau annexé comme renseignement à la demande ministérielle qui se trouve ainsi justifiée.
Un projet de loi relatif à la révision des pensions est préparé depuis longtemps, et devait être soumis à la dernière chambre ; il vous sera incessamment présenté.
Je regrette que la section centrale n’ait pas cru devoir allouer la somme totale réclamée pour le paiement des traitements d’attente. Le droit qui résulte pour chacun des titulaires, et du pouvoir compétent qui leur a accordé ces traitements, et du traité du 15 novembre qui les leur garantit, me semblait ne pas devoir être méconnu plus longtemps. Je persiste à penser qu’il serait juste et convenable de prendre une résolution définitive sur cet objet.
La décision de la chambre, relativement à la subvention à la caisse de retraite pour le second semestre de 1832, ne pouvant tarder à être prise, je ne puis me refuser à différer jusqu’à cette époque la demande du crédit nécessaire pour le premier semestre de 1833.
Quant au département des finances, je me suis empressé d’accéder dans le nouveau budget aux réductions possibles, réclamées par les sections de la dernière chambre ; c’est vous dire, messieurs, que les dépenses que j’y ai maintenues ou introduites sont rigoureusement nécessaires, et qu’en adhérant dans ce crédit provisoire au retranchement de fr. 49,699 74 c. que fait la section centrale sur le chiffre que j’y ai porté, on ne doit point en inférer qu’à l’avance je consens à une diminution sur mon budget. Le crédit alloué pour les trois premiers mois a été, en effet, suffisant pour les dépenses effectuées pendant ce laps de temps parce que toutes les dépenses ou frais ne se liquident pas le jour où ils sont faits ou ordonnés ; mais je le déclare de nouveau, le budget des finances a été établi d’une manière si rigoureuse qu’il serait impossible d’en rien retrancher sans porter la perturbation dans le service.
Messieurs, la section centrale a désiré maintenir les restrictions mises à l’emploi du crédit de 7 millions et demi, et les a introduites dans le projet sur lequel vous allez discuter.
Qu’a voulu le gouvernement, en vous demandant la révocation de l’article 3 de la loi du 9 février ? Etre fidèle à ses engagements, rien de plus. En effet, examinez attentivement la portée de ces restrictions, et vous remarquerez qu’elles ne peuvent empêcher qu’une seule sorte de paiement, celui du prix des travaux, entreprises et fournitures résultant de contrats postérieurs au 9 février, puisque ce même empêchement se perpétue dans la loi que vous allez porter.
Cependant, messieurs, ces fournitures, ces travaux ont été généralement adjugés publiquement, et la condition première des contrats, c’est le paiement au comptant.
C’est à cette condition que sont dus les rabais obtenus : on ne peut donc, sans manquer à la foi des contrats, se refuser à la remplir, et je suis tellement convaincu, messieurs, que telle n’est pas votre intention, que je n’hésite pas à vous demander de retrancher du 6° de l’article 3 du projet de la section centrale les mots « résultant de contrats antérieurs à la présente loi. »
Quant aux autres empêchements, messieurs, je les admets, ne les croyant pas de nature à entraver la marche du service.
En résumé, le ministère se rallie au projet, tel qu’il est modifié par la section centrale, et après que les mots que je viens de citer en auront été retranchés.
M. de Foere. - Le ministre des finances vient d’entrer dans les spécialités de la loi, au lieu de se borner à la discussion générale sur le principe et l’ensemble. Je remarque que la chambre confond souvent la discussion générale avec la discussion spéciale, comme il est arrivé dans la discussion de l’adresse et dans bien d’autres. Il en résulte qu’il est impossible de saisir clairement, et tout à la fois, toutes ces spécialités. Je me réserve de rencontrer dans la discussion spéciale les objections que le ministère a élevées contre le rapport de la section centrale.
La loi qui vous est proposée, messieurs, est basée sur le principe de renvoyer au budget définitif les crédits dont les besoins ne sont pas d’urgence pour le service de l’Etat. Je me suis associé à ce vœu dans la section centrale, parce que le terme assigné n’était pas très éloigné. Mais il est tels besoins de l’Etat qui demandent un temps très long pour les mettre à exécution et dont l’urgence me paraît cependant évidente. Je veux parler d’une marine destinée à protéger notre pavillon marchand.
Vous allez avoir à vous occuper des ouvrages publics que le ministre de l’intérieur vient de présenter dans le but de donner de l’extension à notre commerce et à en stimuler l’activité. La plupart des avantages qui en résulteront seront énervés, si ces mesures ne sont pas combinées avec celles qui ont pour but de protéger notre commerce sur mer. Nos routes en fer ne seront exploitées que par un simple commerce de transit, et, dans ce cas, mon opinion particulière est que les frais de construction et d’entretien n’égaleront pas les bénéfices qui résulteront de ce commerce.
Un repaire de pirates a été détruit à Alger par les armes de la France ; mais il en subsiste d’autres. Ceux de Tunis, de Tripoli et de Maroc, et d’autres sur les côtes de l’Afrique, sont encore en pleine activité. Il existe des pirates dans tous les archipels. Vos navires marchands seront pillés dans la Méditerranée, où vous deviendrez les tributaires de ces régences barbaresques, et des tributaires d’autant plus onéreux pour le pays que vous ne disposerez d’aucune force pour soutenir vos droits. Ces barbares, pour qui la force brutale est l’état normal de la société internationale, comme elle l’est pour le parti du mouvement de l’Europe civilisée, ces barbares, dis-je, vous feront passer par les tributs les plus onéreux et les plus humiliants.
La Hollande, tributaire elle-même de ces régences, ne restera pas en arrière pour avertir ces régences de notre nullité maritime, dans le but de nous exclure du commerce de l’Afrique et d’y favoriser ses propres comptoirs. Le besoin que je viens de signaler, messieurs, devient d’autant plus important que je suis persuadé que, si nos négociants établissent des comptoirs en Afrique et en Asie surtout pour le commerce des toiles, ils donneront à cette importante industrie du pays une activité que peut-être elle n’a pas encore reçue jusqu’ici.
Il y a, messieurs, des arguments plus énergiques encore. Les Etats-Unis. malgré la force imposante de leur marine, ont été obligés d’aller châtier deux fois, en peu de temps, les repaires de pirates qui, sur d’autres parages, avaient pillé leurs vaisseaux marchands.
Il n’y a pas longtemps que l’Angleterre elle-même, pour faire respecter son pavillon sur les côtes d’Afrique, a été forcée de donner, de concert avec la flotte hollandaise, une leçon sévère à la régence d’Alger.
Je vous le demande, messieurs, que deviendra votre commerce sur mer, s’il reste sans protection ? Votre industrie nationale sera singulièrement paralysée ; car c’est le commerce extérieur qui doit alimenter l’industrie du pays.
S’il est généralement reconnu qu’il faut appuyer d’importantes négociations diplomatiques d’une force armée, la même vérité est applicable à la protection de notre commerce extérieur. Notre indépendance nationale ne sera jamais qu’incomplète, si notre commerce n’est pas indépendant à l’extérieur.
Toutes les puissances maritimes entretiennent dans la Méditerranée une force navale. Ce besoin se fait sentir d’autant plus dans le moment actuel, que, par les changements survenus dans la situation de l’Orient, par l’émancipation de la Grèce, de l’Egypte et d’une partie de l’Afrique, la Méditerranée semble devenir de nouveau le centre d’immenses opérations commerciales. Il faut agir par une sage prévoyance, et vous préparer à prendre une part aux bénéfices.
Requerrez-vous la protection d’autres puissances maritimes ? Elles vous la refuseront par intérêt commercial propre. Si elles vous l’accordent pour venger les affronts de votre pavillon, l’effet n’en sera que momentané ; les vexations renaîtront. C’est d’ailleurs une faute énorme en économie politique, que de soustraire à l’industrie nationale de constructions navales les moyens que nous fournirions à l’industrie étrangère.
La prime d’assurance contre tout risque est, pour le pavillon belge flottant dans les Indes, de 2 p. c. plus élevée que celle qui est imposée au pavillon anglais. Cette énorme disproportion n’est pas soutenable par notre commerce.
Je rencontre ici la seule objection qu’une partie de cette chambre élève contre l’impérieux besoin que je viens de lui signaler. Ces dépenses navales effraient quelques-uns de mes honorables collègues. J’aime à croire qu’ils ne se sont pas rendu un compte exact de ces dépenses.
Je proposerai de les répartir sur les budgets de 12 années consécutives. D’après des renseignements que j’ai tâché de me procurer, la dépense de chaque année ne serait que 332,000 fr, pour la construction et l’équipement de six corvettes de 22, de six bricks de 18 et de deux goélettes de 12.
Je vous demanderai, messieurs, si c’est là une dépense qui doive faire reculer la chambre quand il s’agit d’un intérêt aussi supérieur et aussi nécessaire ?
Je soumets ces observations aux méditations de la chambre, afin d’éclairer, sous ce rapport, son opinion sur la fixation du budget de 1833. Je les crois dignes de toute son attention.
Il me reste un autre point important à traiter : c’est la négociation de l’emprunt de 48 millions. La loi, qui a autorisé cet emprunt, a stipulé que toute cette négociation doit être soumise à la chambre. Je me bornerai maintenant à demander que la chambre veuille ordonner que les deux contrats des deux emprunts de 24 millions soient déposés sur le bureau, et qu’ils soient renvoyés à la commission des finances pour qu’elle en fasse un rapport et le présente à la chambre.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, je ne cesserai de répéter ce que j’ai déjà dit maintes fois dans cette enceinte, qu’il faut faire disparaître sans délai notre système financier avec toute sa fiscalité batave.
Les ministres des finances passés et présent nous ont promis en 1831, 1832 et 1833, qu’ils nous présenteraient un nouveau mode d’impôt personnel et de patentes ; on ne nous a rien soumis jusqu’à présent ; il est plus que temps cependant d’abolir des lois faites pour un peuple dont les mœurs, les usages et les intérêts diffèrent entièrement des nôtres. Une révision prompte est nécessaire, d’autant plus que le mode de l’impôt personnel et le droit de patente est tout en faveur du riche et au détriment de la classe moyenne.
Tel malheureux boutiquier, dont tout le fonds de commerce ne s’élève pas à 100 fr., doit payer deux ou trois patentes, parce qu’il débite à ses voisins, souvent aussi pauvres que lui, un écheveau de fil, un pain ou une paire de sabots. Un trafiquant patenté comme marchand à domicile, fréquente-t-il la foire de la ville qu’il habite, il doit payer patente pour toute l’année comme marchand forain. Outre cela, il est froissé dans son intérêt par des colporteurs qui ne paient qu’une petite patente et qui vendent à la barbe du boutiquier, doublement patenté. Le petit marchand, qui reçoit directement quelques marchandises étrangères, est classé au tableau 14, n°4, et paie une patente aussi élevée que le négociant qui fait mille fois plus d’affaires que lui.
Les aubergistes paient leurs patentes d’après le nombre de chambres que contiennent leurs hôtels ; les chambres occupées même par l’hôtelier, ses enfants, ses domestiques, doivent servir de base à la fixation de la patente. Un serrurier qui fait un poêle paie deux patentes ; un barbier qui coiffe et coupe les cheveux en paie trois. Je me bornerai à ces citations ; je pourrais en citer une foule de plus ridicules encore.
Quant à la contribution personnelle, il me suffira de vous signaler quelques absurdités saillantes, pour vous prouver, messieurs, combien il est urgent qu’une nouvelle loi, partant d’une base toute différente, vienne bientôt remplacer la loi actuelle. Vous savez tous, messieurs, que la contribution personnelle est établie sur la valeur locative ; cette base est on ne peut pas plus fausse. A Bruxelles, par exemple, telle petite boutique de la rue de la Madeleine ou du Marché-aux-Herbes est louée à un prix beaucoup plus élevé que tel hôtel du riche dans un des quartiers non marchands, et c’est cependant sur ce loyer exagéré qu’est établie la contribution personnelle. En général, le détaillant doit sous-louer pour diminuer le fardeau de son énorme loyer ; il s’ensuit que le bénéfice de la loi, qui permet de taxer son mobilier, lui est retiré ; et il doit payer cinq fois la valeur locative de sa maison.
Cette base d’impôts est d’autant plus inique qu’elle favorise l’opulent harpagon qui peut se retirer dans un appartement ; et en éludant de cette manière la loi, il ne paie pour ainsi dire point de contributions. Cette exemption est, sans contredit, un des plus grands vices de la loi actuelle. A Bruxelles, plus de 6,000 personnes aisées logent en appartement ; ils s’exemptent par là de contributions personnelles et d’une foule d’autres charges, telles que logements militaires, etc.
On compte dans cette capitale des hommes cupides, jouissant de plus de 60,000 fr. de rentes, qui se sont soustraits à l’impôt en quittant leurs hôtels pour prendre un appartement, et où ils ne paient que pour le nombre de leurs domestiques.
Enfin, messieurs, je vous dirai que cette loi est si partiale, si injuste, que des riches magistrats de cette ville m’ont déclaré qu’ils ne paient point d’impôts personnels ; et l’on va même jusqu’à dire que dans la constitutionnelle Belgique on compte des hauts fonctionnaires et même des ministres, qui ne paient pas un cent de contributions en l’an de grâce 1833.
Je sais que depuis plusieurs mois un nouveau plan de finances existe dans les cartons ministériels ; j’aime à croire que sous peu on l’exhumera, sinon je voterai contre certains budgets. Les ministres surtout ne doivent pas promettre s’ils ne veulent pas tenir ; leur parole d’honneur ministérielle doit être sacramentale, s’ils tiennent à ce que nous ayons foi en leur probité parlementaire.
Chaque fois, messieurs, qu’on nous a demandé des crédits provisoires, et cela nous est arrivé bien souvent, on n’a pas été en peine de trouver des prétextes pour justifier cette mesure exceptionnelle, qui, soit dit en passant, n’est pas très constitutionnelle. Maintenant on a pour motif la malencontreuse dissolution de la chambre, dont on se fait une cuirasse politique pour se préserver de l’attaque. Il y a quelques jours qu’on nous a vanté le provisoire en politique. Je ne pense pas que quelqu’un oserait soutenir cette thèse en matière de finance. Quoi qu’il en soit, je ne refuserai pas les 21,700.000 fr. de crédits provisoires qu’on nous demande définitivement, parce que je ne veux pas arrêter les roues de la machine gouvernementale.
M. Legrelle. - L’examen des budgets est très avancé et pourrait être terminé dans 15 jours. Je pense donc que la fixation de la cessation des crédits provisoires au 1er septembre prochain donne un délai suffisant pour que le travail des sections puisse être terminé. Nous avons tous une grande répugnance pour ce provisoire, et aujourd’hui plus que jamais nous désirons sortir de cette voie vicieuse. Dans un tel état de choses nous ne devons pas accorder un délai de plus de deux mois ; c’est là tout ce que doit faire la chambre, et c’est aussi le but de mon amendement.
M. de Brouckere. - Cette chambre a assez longtemps retenti de récriminations ; je ne viens pas en élever de nouvelles. Je ne veux articuler aucun nouveau grief, j’ai seulement à exposer un fait grave devant la chambre, et sur lequel je prierai M. le ministre des finances de vouloir bien nous donner des explications.
La cour des comptes a exigé, pour vérifier les comptes de 1830, la production des divers états qui doivent contenir des renseignements exacts et précis sur les différentes natures de recettes à sa connaissance.
Ces états présentent le résultat du dépouillement des registres tenus par les comptables et font connaître : 1° ce qui était exigible au 1er octobre 1830, 2° ce qui était échu depuis, 3° ce qui a été recouvré jusqu’au 31 décembre 1830, 4° les sommes à recouvrer à la même époque.
Les mêmes états ont été exigés pour l’exercice de 1831. Mais si mes renseignements sont exacts, et je me crois bien informé, pour établir le compte général des produits domaniaux de l’exercice 1830, on y a compris les recettes faites en janvier 1831, de telle manière que l’indication au 1er janvier 1831 n’est que fictive ou plutôt qu’elle est fausse, et que c’est au 1er février 1831 qu’il faudrait lire. Mais, d’après les instructions données aux comptables, il leur a été prescrit de ne pas indiquer les choses ainsi, afin que la cour des comptes ne s’aperçût pas du cumul des comptes de 1830 et de 1831. Cette manœuvre frauduleuse a donc pour but de donner le change à la cour des comptes, de la tromper.
Si M. le ministre des finances nie ce fait, j’apporterai à la chambre les preuves de son exactitude. S’il l’avoue, je lui demanderai comment il se fait que dans son département on emploie de telles manœuvres, et quel but on se propose en trompant ainsi la cour des comptes.
M. de Foere. - Il me semble que l’interpellation du préopinant viendrait plus à propos lors de la discussion de la loi des comptes.
M. de Brouckere. - Tous les membres savent qu’à propos d’une demande de crédits provisoires, chaque représentant est libre de faire telle question qu’il lui plaît. Du reste, je conviens qu’on ne peut forcer un ministre à répondre, mais personne ne peut m’empêcher non plus de dénoncer une manœuvre comme celle dont j’ai parlé tout à l’heure.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Le préopinant doit être persuadé que je ne refuserai pas de répondre à l’interpellation qu’il m’a faite. Mais il est trop versé dans les affaires pour croire qu’il soit possible de le satisfaire de suite et de mémoire, sur une interpellation de cette nature. Je le prie de faire connaître par le Moniteur ou autrement les objets sur lesquels il veut une explication, et je lui répondrai dès que j’aurai fait les recherches nécessaires. En effet, messieurs, j’aurai des recherches à faire, car il s’agit d’ordres déjà anciens ; j’espère donner ensuite à l’honorable préopinant et à la chambre, au nom de laquelle il les requiert sans doute, tous les renseignements qu’on désire.
M. de Brouckere. - Vous avez tous senti, messieurs, combien est grave le fait que je vous ai signalé et que je m’abstiens de qualifier aujourd’hui. Je consens volontiers à ce que les explications ne nous soient données que demain, mais je désire que les crédits provisoires ne soient pas votés définitivement avant que nous n’ayons entendu M. le ministre des finances. Je ferai seulement remarquer combien il est étrange qu’il n’ait pas connaissance d’un fait qui a eu lieu d’après ses ordres.
Pour faciliter les recherches de M. le ministre, je lui rappellerai que la circulaire écrite de sa main, et à laquelle j’ai fait allusion, est datée du 26 décembre 1832.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je le répète, je m’empresserai de prendre des renseignements réguliers sur cette circulaire, et je ne doute pas qu’elle ne soit expliquée d’une manière satisfaisante ; la chambre a bien compris qu’il était impossible de donner cette explications sur-le-champ et de mémoire.
M. de Brouckere. - J’ai si peu voulu faire un mystère du fait que je viens d’articuler, que j’en ai parlé ouvertement à plusieurs employés du ministère des finances. Mon intention n’a jamais été de vous faire une surprise. Il est possible que mes paroles ne vous aient pas été rapportées ; je n’en avais effectivement chargé personne.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je certifie qu’on ne m’a jamais rapporté les ouvertures qui ont pu être faites par M. de Brouckere, et je déclare sur l’honneur qu’on ne m’en a jamais parlé !
M. d’Huart, rapporteur. - Comme rapporteur de la commission chargée d’examiner les crédits provisoires, je dois prendre la parole pour répondre aux orateurs que vous avez entendus sur l’ensemble. Aucun d’eux ne s’est opposé au projet en lui-même, personne n’en a contesté la nécessité ni l’urgence. M. de Foere a examiné la question de l’extension à donner à notre armée maritime ; il me semble que cette question-là viendra plus naturellement lors de la discussion des budgets.
Les vices de notre système financier signalés par M. A. Rodenbach ne me semblent pas un motif de rejeter les crédits provisoires. Enfin, M. Legrelle a proposé de porter le terme des crédits provisoires au 1er septembre. Lorsque ce point sera en discussion, je m’opposerai à un amendement que je regarde comme nuisible.
M. A. Rodenbach. - J’ai dit que je m’opposerais à l’adoption de certains budgets, si l’on ne finissait pas par changer notre système financier. Je ne veux pas arrêter les roues de la machine gouvernementale ; mais, s’il nous faut attendre encore deux ou trois ans pour qu’on nous propose une loi sur la propriété mobilière et sur les patentes, pour abolir cet odieux système néerlandais, je me verrai forcé, je le répète, de voter contre certains budgets. Les ministres nous ont promis de nouvelles lois, il me semble qu’ils devraient tenir à leur parole, et remplir enfin des engagements qui ont été pris en face de la nation.
M. le président. - Si personne ne demande plus la parole, la discussion générale est fermée.
M. le président. - Voici l’article 1er du projet :
« Art. 1er. En attendant le règlement définitif du budget de 1833, il est ouvert au gouvernement un crédit de vingt-et-un millions sept cent cinquante mille francs, pour pourvoir, jusqu’au 1er octobre prochain, aux besoins des services publics autres que ceux du ministère de la guerre. »
M. Legrelle propose par amendement à cet article de fixer le terme des crédits au 1er septembre prochain.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Si les budgets sont votés avant le 1er octobre, la loi tombera d’elle-même et tous les paiements seront faits dans l’esprit du budget. L’amendement est donc inutile d’après cette observation.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - J’allais vous présenter la même observation que M. le ministre des finances : en prenant une date plus éloignée, vous ne vous exposez pas à perdre du temps en étant obliges de renvoyer à une nouvelle commission une nouvelle demande de crédits provisoires. Dès que le budget sera voté, la loi des crédits rentre dans le néant.
Ce n’est pas là une période de temps qu’il appartienne aux ministres d’abréger. C’est la chambre qui vote le budget.
M. Legrelle. - Je ne conteste pas la vérité de ce qui vient de vous être dit ; mais si vous fixiez le terme au 1er septembre, vous mettriez la chambre dans l’obligation de voter le budget avant cette époque. C’est précisément cette obligation que je veux créer. Si vous adoptez la date du 1er octobre, soyez certains que le budget ne sera pas voté avant ce jour-là, tandis que si vous adoptez mon amendement, je suis moralement convaincu que la loi des comptes sera votée avant le 1er septembre, et que nous sortirons enfin de ce déplorable provisoire.
M. Dumortier. - J’aurais désiré qu’on fixât le terme au 1er août, et il faut convenir que c’eût été encore là un assez beau provisoire ; je me rallierai cependant à l’amendement de M. Legrelle.
Messieurs, en France on demande des douzièmes provisoires et non des crédits illimités. Vous savez tous que le système des crédits provisoires est celui de la nécessité ; le devoir des représentants de la nation est d’empêcher qu’il ne se prolonge indéfiniment. Vous n’ignorez pas, en effet, où nous pourrions arriver en accordant des crédits provisoires sans fin. Les gouvernements savent user de l’ajournement et de la dissolution ; nous avons vu en abuser deux fois de suite. Et de quoi n’abuserait-on pas encore pour conserver un ministère chéri ? De tels moyens usent bien vite le gouvernement qui les emploie ; il faut nous hâter de les écarter. Vous sentez tous la nécessité d’empêcher le gouvernement de faire de pareilles choses ; et cette fantaisie pourrait lui reprendre. Je vote donc pour l’amendement, et je ne crois pas qu’on puisse y faire d’objection sérieuse.
M. Brabant. - L’amendement de M. Legrelle est incomplet ; le gouvernement demande 21,750,000 fr., mais pour jusqu’au 1er octobre. Si vous réduisez le terme, il faut aussi réduire l’allocation.
M. Legrelle. - C’est à peu près un sixième à défalquer ; voulez-vous 17 millions 1/2 ?
M. Donny. - La somme portée pour les crédits provisoires a été calculée pour six mois. Si vous en retranchez un sixième, vous n’aurez plus que ce qu’il faut pour cinq mois.
Votre opération serait exacte si, en effet, tous les crédits n’avaient été demandés que pour six mois. Mais il n’en est pas ainsi ; il n’y en a qu’un très petit nombre qui aient été demandés pour ce laps de temps ; il y en a qui sont demandés pour sept mois, pour neuf mois. Ainsi donc, pour établir le chiffre que nous cherchons, il faudrait une opération plus compliquée, prendre le 9ème des crédits demandés pour neuf mois, le 7ème de ceux qui n’ont été demandés que pour 7 mois. Si cette opération n’était pas faite, vous accorderiez moins que la section centrale, et vous empêcheriez les services de marcher.
M. Dumortier. - Nous ne votons pas ici le budget définitif, nous votons une somme globale, et il y aurait certes de quoi fournir à tous les services,
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Si la chambre n’entend voter qu’une somme globale, il nous sera possible de régler tous les services.
- L’article premier, avec le chiffre de 18 millions et le terme du 1er septembre, proposés par M. Legrelle, est adopté après une épreuve douteuse.
« Art. 2. Ce crédit sera réparti par arrêté royal inséré au Bulletin officiel. »
- Adopté.
« Art. 3. Il ne sera disposé sur ce crédit que pour les objets suivants :
« 1° Les intérêts du livre auxiliaire et de l’emprunt de 48 millions, la dotation de l’amortissement, ainsi que les intérêts et frais de la dette flottante ; » - Adopté.
« 2° Les intérêts des cautionnements : » - Adopté.
« 3° La restitution des dépôts et consignations ; » - Adopté.
« 4° Les pensions ; » - Adopté.
« 5° Les traitements d’attente à concurrence d’une somme de 45,000 fr. ; » - Adopté
« 6° Le prix de travaux entreprises et fournitures résultant de contrats antérieurs à la présente loi. »
M. le ministre des finances (M. Duvivier) demande la suppression de ces mots : « résultant de contrats antérieurs à la présente loi. »
M. de Theux. - Je regrette de ne pas avoir entendu quels motifs M. le ministre alléguait à l’appui de sa demande, mais il me semble que si nous l’adoptons, nous donnons par ce fait au gouvernement le droit d’entreprendre dès aujourd’hui tel ou tel travail qu’il jugera utile. Et cependant nous voyons déjà figurer au budget un grand nombre de dépenses de cette nature, et nous devrions pouvoir examiner ces travaux avant de les autoriser. Il faudrait donc que M. le ministre spécifiât davantage les motifs du retranchement qu’il demande.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Si la chambre n’effaçait pas les mots dont je demande la suppression, il en pourrait résulter que les contrats passés postérieurement à la date du 9 février ne pourront pas être payés.
- Plusieurs membres. - La chambre ne l’entend pas ainsi ! Non ! non !
M. d’Huart. - L’expression de la loi est claire. Jusqu’au 1er septembre les contrats pourront être payés sur les crédits.
Un de nos honorables collègues se propose de présenter ici un amendement relatif aux travaux publics, et sans lequel le gouvernement ne pourrait pas mettre un grand nombre d’ouvrages en adjudication, et cet empêchement serait très préjudiciable au pays.
M. Teichmann. - Je ferai observer que la section, dans son exposé des motifs, après avoir dit qu’elle ne réduisait pas le chiffre du chapitre dont nous nous occupons, parce qu’il serait dangereux de le faire, dispose paragraphe 6 qu’il ne pourra être disposé de ces crédits que pour le prix des travaux, etc., résultant de contrats antérieurs à la présente loi.
Mais, messieurs, vous remarquerez que dans un moment où une partie de l’armée est licenciée et beaucoup de bras sont rendus au travail, il serait nécessaire de commencer de nouveaux ouvrages ; et cependant les travaux d’entretien ordinaire ne sont pas encore adjugés : les travaux des ports de Nieuport et d’Ostende ne le sont pas plus que ceux de la route à établir dans la province de Limbourg. Si vous adoptiez le paragraphe 6, tel qu’il est conçu, on ne pourrait pas procéder à leur adjudication.
Vous savez qu’il a été demandé que les traverses des villes soient entretenues sur les fonds provenant des barrières ; le gouvernement a inséré une clause par laquelle les traverses de 2 mètres de largeur seront à la charge de l’Etat ; dès lors il serait important de savoir si vous admettez que les traverses de 7 mètres seront en effet à la charge de l’Etat.
Il est important que le gouvernement puisse consacrer les fonds excédants à des travaux d’une extrême importance. Je veux parler d’une route à établir autour de la forteresse de Maestricht, afin de se ménager des communications de ce côté, sans se placer dans le rayon laissé à la disposition des Hollandais. Si les travaux de terrassement n’étaient pas faits avant une certaine époque, les communications d’une partie du territoire belge ne pourraient pas avoir lieu, car les Hollandais ne permettraient pas le passage par la forteresse.
Je demande que vous décidiez que le gouvernement peut se regarder comme suffisamment autorisé à adjuger ces nouveaux ouvrages, ainsi que les travaux d’entretien.
M. de Theux. - Relativement aux travaux d’entretien, il ne peut exister aucun doute. Il suffira, pour remplir l’intension du préopinant, d’ajouter après le paragraphe 3 ces mots : « ou relatifs à des travaux d’entretien. »
Mais, pour les ouvrages nouveaux, il est impossible de les autoriser avant de les avoir examinés en sections. La chambre ne peut voter des sommes aussi considérables sans en avoir constaté la nécessité.
Quant aux fonds excédants des barrières, il me semble utile de les consacrer à des travaux d’entretien ordinaires plutôt que de les laisser sans emploi jusqu’au vote du budget du ministère de l’intérieur.
M. Dumortier. - Certes, il est à regretter que les travaux dont on vient de nous entretenir n’aient pas encore été adjugés, mais ce n’est pas notre faute ; c’est à l’ajournement, puis à la dissolution de la chambre qu’il faut s’en prendre. Sans ces retards, les crédits auraient pu être votés depuis longtemps et l’on aurait pu procéder à l’exécution des travaux. Mais, dans l’état actuel des choses, il est évident que nous ne pouvons pas voter des crédits in globo sans examiner s’ils sont nécessaires.
Quant aux travaux de la ville, vous remarquerez qu’il est impossible de voter l’amendement avant de savoir si le système qu’il propose est adoptable.
Maintenant j’aurai l’honneur de signaler au gouvernement un objet de la plus haute importance. La convention du 21 mai nous a placés dans un système entièrement nouveau ; nous sommes en suspens : ce n’est pas la guerre, ce n’est pas la paix que nous avons. Dans une telle situation, nous avons besoin d’une armée deux ou trois fois plus forte qu’elle ne le serait en temps de paix ; c’est le devoir du gouvernement de chercher à utiliser les dépenses que cette armée nécessite. Vous savez, messieurs, que récemment tous les maréchaux de France ont été convoqués pour agiter et résoudre la question de savoir si l’armée française pourrait, comme autrefois, les armées romaines, exécuter des travaux ; ces officiers-généraux se sont prononcés pour l’affirmative. Je fais donc une motion formelle pour que le canal de Campine, qui doit réunir l’Escaut à la Meuse et nous donner une ligne précieuse de défense, soit entrepris par l’armée. Rien n’est plus facile que d’exécuter ce que je propose, et je signale ce point à l’attention du gouvernement.
M. Teichmann. - Un canal qui est de la plus grande urgence, c’est celui qui est destiné à donner un écoulement aux eaux des Flandres sans se servir du sol appartenant aux Hollandais.
Ce projet est presque achevé, il s’étendrait sur une assez grande étendue de terrain ; dès qu’il serait parachevé il serait possible d’établir une armée pour les travaux de terrassement. Mais quand j’ai parlé de l’armée, j’ai voulu dire qu’il fallait procurer de l’occupation aux bras isolés, par suite du licenciement d’une partie de nos troupes. La proposition de M. Dumortier est tout autre. Sans doute, entre Louvain et Tirlemont, et du côté de Liége, on pourrait faire camper des soldats qui s’occuperaient à des travaux de terrassement. Cet objet n’a pu échapper à l’attention du gouvernement.
J’insiste pour que les fonds excédants soient employés aux travaux d’urgence, et tel est le but de l’amendement dont je vais avoir l’honneur de vous donner lecture.
(L’orateur donne lecture de cet amendement.)
M. Dumortier. - La lecture de cet amendement a dû vous prouver qu’il était impossible d’improviser de pareilles dépenses ; les voter sur-le-champ, ce serait escamoter un crédit, et tel n’est pas la but de l’honorable préopinant.
M. A. Rodenbach. - On ne peut voter 600,000 fr. sur un amendement jeté ainsi. Je demande l’impression de la proposition et son renvoi dans les sections.
M. Teichmann. - J’appuie la proposition qui vous est faite.
M. F. de Mérode. - Je demande le renvoi à une commission ; dans les sections on ne pourrait pas avoir tous les renseignements nécessaires.
M. Meeus. - J’appuie le renvoi dans les sections. Chaque député doit avoir connaissance des travaux à faire ; il se peut qu’il y en ait eu d’importants oubliés. Il faut que chaque député concoure au vote qu’on nous demande.
M. Legrelle. - La marche dans les sections est très lente ; il n’y aurait aucun inconvénient à voter sur l’amendement comme sur un projet séparé.
M. de Theux. - Il est d’autant plus urgent de s’occuper de ce projet dans les sections qu’il tient au budget. C’est un trait du budget du ministère de l’intérieur, dont les sections se trouvent saisies, et la marche la plus simple, c’est que les présidents s’entendent pour que le rapport en soit fait à la section centrale.
M. de Brouckere. - Il est plus régulier de considérer l’amendement comme faisant partie de la loi actuelle : puisque cette loi ne peut être votée aujourd’hui, à cause des explications que M. le ministre des finances nous a promises, il n’y aurait aucun retard si l’on priait les sections de s’occuper dès demain de l’amendement de M. Teichmann.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Messieurs, vous n’ignorez pas qu’il est impossible au gouvernement de marcher jusqu’au jour indiqué avec le crédit de février : l’amendement, soumis à l’examen des sections, puis à l’examen d’une section centrale, entraînerait des retards. Il faut qu’il soit mis une somme globale à la disposition du gouvernement, pour qu’il puisse faire marcher les diverses branches des services publics. Je ne m’opposerai pas à ce que l’amendement soit examiné séparément.
M. Teichmann. - C’est parce que je considère la matière comme urgente que je propose un amendement. La chambre décidera du choix des moyens qu’elle emploiera pour vérifier l’exactitude de ma proposition ; et je me soumettrai de très grand cœur à sa décision.
M. de Muelenaere. - M. Meeus vous a fait pressentir l’importance de la proposition de M. Teichmann ; je ne disconviens pas que les travaux soient utiles, mais il s’agit de savoir s’il n’y a pas d’autres localités où des travaux plus utiles soient à exécuter. Quant à moi, je pourrais en indiquer. La proposition est d’une haute importance, parce qu’elle tend a absorber l’excédant des frais de barrières.
Il est impossible de rattacher une proposition aussi importante au vote d’une loi dont l’urgence est sentie par toute l’assemblée. Je demanderai que la proposition de M. Teichmann soit séparée du projet en discussion. (Appuyé ! Appuyé !)
M. de Robiano de Borsbeek. - Il est tellement vrai que tous les travaux utiles peuvent n’être pas énumérés dans la proposition qui est faite que, pour le canton d’Ypres, on demande une route d’une lieue et demie qui est d’une très grande importance pour la localité.
M. Eloy de Burdinne. - Différentes localités réclament des fonds pour l’achèvement des routes. La province de Liège a de grands besoins et demande des secours.
M. le président. - On demande le renvoi de la proposition devant les sections ; on demande qu’elle fasse un projet de loi séparé ; d’autres membres, il est vrai, désireraient qu’elle fût annexée au projet en délibération.
- La chambre consultée décide que la proposition fera l’objet d’un projet de loi séparé, qui sera examiné par les sections le plus promptement possible.
- Les paragraphes de l’article 3 sont successivement mis aux voix et adoptés jusqu’au sixième exclusivement sans débat.
M. d’Huart. - Il me semble que sur le sixième paragraphe M. de Theux avait proposé un amendement.
M. de Theux. - Je pense que l’amendement serait inutile, puisqu’on va s’occuper de la proposition de M. Teichmann.
M. Teichmann. - Cependant, si ma proposition n’était pas adoptée, il résulterait du projet de loi en délibération que M. le ministre de l’intérieur ne pourrait faire aucune adjudication pour des travaux publics concernant l’entretien des routes ou d autres ouvrages.
M. de Brouckere. - Que l’on mette à la fin du paragraphe : « ou relatifs à des travaux d’entretien. »
- Cette proposition, mise aux voix, est adoptée.
Le paragraphe 6 amendé, et les cinq paragraphes suivants, sont adoptés sans opposition.
L’article 3, dans son ensemble, est mis aux voix et adopté.
« Art. 4 et dernier. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
- Adopté sans discussion.
M. le président. - Nous avons encore à voter sur les considérants. Les voici :
« Considérant que le budget des dépenses de 1833, autres que celles de la guerre, n’a pas été voté jusqu’à ce jour ;
« Considérant que le crédit provisoire de sept millions cinq cent mille francs, ouvert au gouvernement par la loi du 9 février dernier, ne peut suffire pour pourvoir, jusqu’au règlement définitif de ce budget, aux besoins des services publics, et qu’il importe d’assurer de nouveau par une mesure transitoire la marche de l’administration ;
« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit : »
- Ces considérants mis aux voix sont adoptés.
M. le président. - Il ne pourra être voté sur l’ensemble du projet que vendredi, parce qu’il a subi des amendements.
M. le président. - Messieurs, on m’informe que le rapport de M. Dubus sera imprimé et distribué demain ; il est relatif aux concessions de péages. Le rapport de M. Brabant sur le crédit demandé par M. le ministre de la guerre sera également imprimé ; on pourra donc s’occuper demain de ces lois.
M. Brabant. - Je demanderai la priorité pour le projet de loi présenté par M. le ministre de la guerre ; il est urgent, puisque les crédits accordés à ce département expirent au 1er juillet. (Appuyé ! appuyé !)
M. le président. - Demain la chambre s’occupera d’abord du projet relatif au département de la guerre, elle s’occupera en second lieu de la loi concernant les péages.
- M. le président communique à la chambre une lettre annonçant que demain, à trois heures, Sa Majesté recevra la députation chargée de lui présenter l’adresse en réponse au discours du trône prononcé dans la dernière séance royale.
- La séance est levée à trois heures et demie.