(Moniteur belge n°87, du 28 mars 1833)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
Les pièces adressées à la chambre sont renvoyées à la commission des pétitions.
L’ordre du jour est la suite de la discussion du budget de la guerre sur le pied de guerre.
M. Pirson. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
Messieurs, mon intention n’est pas d’interrompre la discussion générale entamée sur le budget de la guerre, discussion à laquelle se rattache l’examen de notre situation politique. Mes réflexions particulières relativement à cette situation, les interpellations faites au ministre des affaires étrangères, ses réponses, les discours que j’ai entendus et qui déjà ont absorbé deux longues séances, me déterminent à vous prévenir que j’aurai une proposition de la plus haute importance à vous faire quand vous croirez devoir fermer la discussion générale, mais avant d’entamer les questions de chiffres. Cette proposition est courte, elle consiste à vous demander de ne voter les dépenses du budget de la guerre sur le pied de guerre que pour les six premiers mois de l’année. Vous apprécierez mes motifs. Lorsque je serai autorisé à les développer, ils mériteront, je crois, toute votre attention.
- MM. le général Nypels et de Bassompierre, intendant militaire, commissaires du Roi, accompagnent le baron général Evain, ministre de la guerre, et sont assis au banc des ministres.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) prend la parole et donne les explications suivantes. - Messieurs, je me propose, avant que la chambre ne passe à la discussion des articles du budget de donner toutes les explications et de répondre à toutes les interpellations que m’ont faites les honorables membres de cette chambre, qui sont entrés dans les spécialités du budget de la guerre ; mais un honorable orateur, entendu dans la séance d’hier, a cité des faits sur lesquels je m’empresse de donner d’abord les explications qu’il a réclamées.
Il s’est d’abord plaint que des officiers reçussent des rations de fourrages pour le complet des chevaux qui leur sont accordés, tandis qu’ils ne possèdent réellement pas le nombre de ceux qu’ils pourraient avoir, ce qui est effectivement contraire aux règlements existants.
Dès que cet abus m’a été signalé, au mois de juin dernier, je prescrivis de passer la revue des chevaux de tous les officiers, d’en constater le nombre et de rappeler aux officiers les dispositions des règlements.
Un nouveau règlement que j’ai préparé sur cette partie du service mettra fin, je l’espère, aux abus qui peuvent encore exister et qu’il est difficile de faire cesser tout d’un coup.
Tous les corps d’infanterie, de cavalerie et d’artillerie ayant été successivement augmentés dans le courant de l’année 1832, il a bien fallu faire des promotions d’officiers et surtout de sous-lieutenants ; mais à l’exception de 6 à 8 jeunes gens qui s’étaient montés et équipés à leurs frais dans la cavalerie, qui tous avaient été admis au service avant mon entrée au ministère, et qui ont été promus au grade de sous-lieutenant après un ou deux ans de service, tous les emplois de sous-lieutenants, et dans toutes les armes, ont été donnés aux élèves de l’école militaire qui avaient satisfait à leur examen de sortie, ou aux sous-officiers présentés par les chefs de corps comme susceptibles d’être nommés officiers.
Je n’ai jamais proposé pour le grade d’officier aucun individu sauf les officiers de volontaires et de tirailleurs francs, qui ont été placés dans les bataillons de réserve pour la durée de la guerre.
J’ai constamment apporté tous mes soins à faire les meilleurs choix possibles, et en les puisant tous dans les listes de présentation des chefs de corps et des officiers généraux.
Il est vrai que je ne me suis pas astreint à suivre exactement l’ordre du tableau d’ancienneté, et en cela j’ai tâché d’éveiller l’émulation et l’envie de bien servir ; mais, à mérite égal, j’ai toujours donné la préférence à l’ancienneté.
J’ai préparé un projet de loi sur l’avancement dans l’armée, dont les dispositions sont applicables à toutes les armes ; j’ai également préparé un projet de loi tendant à fixer la position des officiers qui ne sont pas en activité de service ; enfin un projet plus complet que la loi du 22 septembre 1831, relative aux officiers qui peuvent être démissionnés par le gouvernement.
J’attends que la chambre ait prononcé sur le budget et la loi des retraites militaires, pour soumettre ces nouveaux projets à son examen et à sa discussion.
Avant de répondre à un autre fait, dont j’entends parler pour la première fois, j’ai voulu m’assurer jusqu’à quel point il pouvait être fondé et j’ai vérifié ce matin les matricules des corps de l’armée.
Je peux déclarer que les renseignements qui ont été donnés à l’honorable représentant sont inexacts, que jamais refus n’a été fait par mon prédécesseur, et que je n’ai reçu, jusqu’aujourd’hui aucune réclamation ni directe ni indirecte à ce sujet.
Ce que je présume avoir pu donner lieu à cette allégation, c’est que quelques officiers avaient porté sur l’état de leurs services : « campagne de Wulhem, campagne de Berchem, campagne de Venloo, etc. etc., » tandis qu’il est d’usage de porter le millésime de l’année où la guerre a eu lieu, et de dire, par exemple : « campagne de 1830 contre les Hollandais. »
Il est très vrai qu’aucun officier belge n’a reçu de gratification d’entrée en campagne, et que l’on a considéré le grade supérieur, qu’ils ont généralement obtenu en 1830 et 1831, comme un équivalent de cette gratification.
Il est vrai aussi que les officiers-généraux et supérieurs demandés à la France par notre gouvernement, au mois d’août 1831, ont obtenu une indemnité, qui fut alors réglée, non pas à 10,000 francs, comme on l’a annoncé, mais à 2,500 fl. pour les lieutenants-généraux, 2,000 fl. pour les maréchaux de camp et 1,000 fl. pour les officiers supérieurs.
Cette indemnité n’a d’ailleurs été accordée qu’aux officiers qui avaient été demandés, et qui s’étaient rendus aux ordres qu’ils avaient reçus. Elle ne l’a pas été à ceux qui ont demandé et obtenu, depuis, du service en Belgique.
Je n’ai accordé cette indemnité qu’aux généraux qui ont été demandés en 1832, MM. le baron Hurel, Langerman et Magnan.
Quant aux officiers polonais, admis presque en totalité dans la cavalerie et l’artillerie, ils ont reçu, pour les mettre à même de se monter et s’équiper, une avance de 1,000 fl. qu’ils remboursent, mensuellement, par la retenue qu’on exerce sur leur traitement.
Deux de ces officiers, qui ont quitté notre service, ont remboursé ce dont ils étaient encore redevables sur cette avance.
Six des officiers français ont reçu l’ordre de leur gouvernement de rentrer en France, pour être classés dans l’armée : aucun d’eux n’a reçu la gratification de deux mois de solde.
Cette gratification n’a été accordée qu’à quelques officiers, soit belges, soit étrangers, qui, comptant dans notre armée, ont demandé et obtenu la démission de leur emploi, et avaient des droits à faire valoir pour obtenir cette faible indemnité.
Je déclare ici positivement qu’aucun officier étranger n’a obtenu plus d’un grade à notre service, et que le nombre des grades accordés se réduit à 8 ou 10 au plus. Je déclare de plus que quelques officiers n’ont même été admis que dans le grade inférieur à celui dont ils avaient le brevet.
L’honorable orateur a encore demandé pourquoi un inspecteur-général n’est pas envoyé aux corps pour recueillir les plaintes et les réclamations.
J’aurai l’honneur de lui faire observer que mon premier soin, en arrivant au ministère, a été de rédiger une ample instruction sur les revues et inspections des corps, que j’ai proposé et fait nommer un inspecteur-général pour les troupes d’infanterie et un autre pour les troupes de cavalerie, et qu’indépendamment des inspections qu’ont passées ces deux officiers généraux, j’ai ordonné des inspections extraordinaires par les généraux commandant les divisions de l’armée.
Chaque inspecteur-général avait l’ordre de recueillir et de transmettre, avec son avis, les plaintes et réclamations qui lui seraient présentées ; et, d’après nos règlements militaires, non seulement l’inférieur est admis à faire toute réclamation contre ses supérieurs, mais encore il peut les traduire en justice, les appeler devant la haute cour militaire. Ce droit de réclamation est connu de tous les corps et reçoit souvent son application.
Il existe une loi répressive sur l’achat aux militaires des effets d’armement, d’habillement et d’équipement : cette loi est du 7 octobre 1831, et son article 6 est ainsi conçu :
« Il est défendu à toute personne de vendre ou d’acheter des armes de guerre ou des pièces faisant partie de ces armes qui portent l’une des empreintes mentionnées dans l’article précédent, et des effets d’habillement, d’équipement ou d’armement militaire, à moins qu’ils ne portent les marques de rebut.
« Les objets achetés, en contravention à ces dispositions seront restitués à l’Etat, et le vendeur, acheteur, entremetteur et complice seront punis d’une amende de 500 florins, au plus, et d’un emprisonnement qui ne pourra excéder une année. »
La cour de Bruxelles, par arrêt du 2 mars 1832, a jugé que la prohibition d’acheter aux militaires des effets de leur équipement comprenait celle de les acquérir par échange.
Ainsi, messieurs, la loi existe, et c’est aux tribunaux à en faire l’application.
L’honorable orateur qui a ouvert hier la discussion sur les spécialités du budget de la guerre, et qui avait pris la peine de s’enquérir de ce qui s’est passé à l’adjudication des vivres de l’année, m’a rendu pleine et entière justice sur ce fait.
J’étais loin de m’attendre, je l’avoue, à voir attaquer ma conduite dans la passation du marché des vivres de campagne, et j’espérais, au contraire, qu’on me saurait gré de la diminution que j’ai pu apporter dans les dépenses de ce service.
Une explication franche sur tout ce qui se rapporte à cet acte de mon administration suffira pour dissiper jusqu’à l’ombre d’un soupçon sur la loyauté que j’ai mise dans cette affaire.
Appréciant, par le résultat de l’adjudication que j’avais été obligé de faire au mois de décembre dernier, qu’il pouvait être dangereux et nuisible aux intérêts de l’Etat d’adjuger sans renseignements préalables une entreprise de cette nature à celui des soumissionnaires qui offrirait le prix le moins élevé ; craignant que les concurrents ne s’entendissent entre eux pour maintenir le marché au prix qui leur conviendrait, ainsi que j’en avais eu des preuves en d’autres adjudications, je fis préparer un règlement d’administration pour mettre ce service en régie, si je n’obtenais pas un prix raisonnable, et j’eus soin de faire connaître que j’étais résolu à employer ce mode de service plutôt que de souscrire à des prix trop élevés : je chargeai un administrateur, connaissant bien le service des régies, de me présenter un mémoire raisonné sur le prix coûtant des denrées, les frais de manutention, de distribution de transports et tous autres accessoires, et j’acquis la certitude qu’aux prix courants des denrées, la ration reviendrait au gouvernement à 40 centimes, en supposant toutefois qu’on apportât dans une régie, au compte du gouvernement, le même esprit d’ordre et d’économie que met un entrepreneur dans son service.
En accordant 10 p. c. de bénéfice à cet entrepreneur, le prix de la ration revenait à 44 centimes, et c’est le prix que je fixai dans la déclaration cachetée que je déposai sur le bureau, le 6 de ce mois, avant de procéder à l’ouverture des quatre soumissions qui furent présentées.
De ces quatre soumissions l’une portait le prix de la ration à 51 centimes 50 centièmes, et c’est celle du sieur Lejeune qui m’attaqué devant les tribunaux.
La seconde portait le prix à 50 cent. 33 centièmes.
La troisième à 49 cent. 49 centièmes.
La quatrième à 45 cent. 70 centièmes.
Cette dernière est celle du sieur Lauwers.
Aucune de ces soumissions n’ayant atteint le prix que j’avais fixé, je donnai connaissance de ce prix, et je déclarai que je n’adjugerais pas l’entreprise au prix que présentait cette dernière soumission. J’annonçai que je recevrais de nouvelles soumissions à des prix moindres que celui de 45 cent. 70 centièmes, et que, s’il ne s’en présentait pas, j’adopterais un autre mode de service.
Le sieur Lauwers me prévint le 11 mars qu’il s’était décidé, ainsi que ses cautions, à baisser les prix à 45 centimes.
Le sieur Lejeune vint me faire la même proposition
Je les invitai, l’un et l’autre, à me remettre le lendemain, 12, une soumission en règle, attendu que je devais soumettre, ce jour-là même, au conseil des ministres, un rapport sur la question de savoir s’il était plus dans l’intérêt de l’Etat de continuer le service par entreprise, au prix de 45 cent., que d’organiser un service par régie au compte du gouvernement.
Le sieur Lauwvers me remit sa soumission le 12 au matin, et je fis mon rapport au conseil, qui approuva la continuation du mode d’entreprise au prix de 45 centimes.
Le sieur Lejeune ne tint pas la promesse qu’il m’avait faite de me remettre sa soumission, et ce n’est que le 13 qu’il l’apporta au ministère.
Son prix était de 44 cent. 99 centièmes, c’est-à-dire différait d’un 10 millième de franc de celle du sieur Lauwers, ce qui présente une différence de 100 fr. sur un million et conséquemment de 600 fr. sur le montant total de l’entreprise.
Je vais, messieurs, vous donner lecture de la pièce qui constate les faits que je viens de vous exposer. (M. le ministre fait lecture de cette pièce.)
Maintenant, je vous le demande, si un ministre, en prenant autant à cœur les intérêts du gouvernement, se trouve exposé non seulement aux attaques de la presse, mais à être attaqué devant les tribunaux, à voir sa conduite critiquée et mal interprétée ; s’il est sommé à la tribune de rendre un compte public des motifs qui l’ont dirigé, n’est-ce pas le priver, pour l’avenir, de tous ses moyens d’action pour déjouer les intrigues et détruire les collisions qu’une longue expérience a su lui faire connaître dans la passation de semblables marchés ?
Il est pénible de voir que, loin de trouver un appui pour seconder ses efforts constants, et qui tendent à diminuer les dépenses de l’Etat, en défendant ses intérêts contre l’avidité des traitants, on cherche à lui imputer des motifs secrets qu’il repousse, à son tour, avec indignation.
Ma conduite a été franche, loyale, je le répète, toute dans l’intérêt de l’Etat, et, loin d’encourir le moindre reproche, je réclame, et j’ai droit de réclamer, l’assentiment de la chambre sur ma conduite dans cette affaire, et le résultat que j’ai obtenu.
M. Levae. - Je réclame la parole pour un fait personnel. Hier j’ai demandé des explications sur les fournitures des vivres de campagne. Le ministre de la guerre présume que j’ai voulu attaquer sa loyauté : ce n’était pas là mon intention ; mais j’ai cru devoir demander des explications sur une adjudication attaquée devant les tribunaux. Je le répète, je n’ai pas eu l’intention d’attaquer la loyauté ni la probité de M. le ministre de la guerre.
M. Desmanet de Biesme. - Messieurs, de tous les sacrifices imposés à la Belgique par la politique faible et vacillante des grandes puissances, il n’en est aucun de plus onéreux que la nécessité où elle se trouve de maintenir sur pied une armée hors de toute proportion avec ses ressources financières, et aucun de plus pénible pour l’honneur national que le rôle que l’on fait jouer à cette belle armée ; et, en votant les sommes énormes qui nous sont demandées pour son entretien, on ne peut s’empêcher de se dire : A quoi bon ?
La législature se trouve toutefois dans une question délicate, puisque le gouvernement sait qu’en définitive nous ne prendrons pas sur nous la responsabilité du refus de ce budget, et que cette opposition, qu’à l’occasion du vote de l’adresse on s’est plu à représenter à la nation comme si démolissante, comme une espèce de bande noire, ne se plaisant que parmi les débris, ne va pas jusque-là ; elle attend l’époque, peut-être éloignée encore, ou il lui sera permis, sans rien démolir, de réclamer et d’exiger impérieusement une économie rigoureuse des deniers de l’Etat.
Je suis persuadé qu’en ce moment un quart ou un cinquième de l’armée pourrait se trouver alternativement en congé ; cela allégerait de beaucoup les charges publiques. En vous proposant le renvoi momentané d’une partie de l’armée, je ne crois pas livrer la patrie à de bien grands dangers.
Je ne vous parlerai pas même, pour étayer mon opinion, du très pacifique discours de M. le ministre des affaires étrangères, ni des communications ; on sait depuis longtemps toute l’inutilité de ces interpellations, où une entière franchise n’est jamais permise : c’est une espèce de joute entre l’opposition, qui veut faire parler le ministère, quand celui-ci veut se taire.
Eh ! que vous dirait-il, le ministère, s’il pouvait même jouer cartes sur table, pour me servir de cette expression, si drôlement accolée à la diplomatie ? Que la Belgique est en horreur à la sainte-alliance, dont elle a, en partie, renversé le système ; que sa seule force réside dans l’appui que lui accordent la France et l’Angleterre, pour des causes trop connues pour devoir être rappelées ici ; et que, devant notre indépendance à ces deux puissances, trouvant en elles nos seuls soutiens, nous avons fait, faisons et ferons tout ce qu’il leur plaira.
Mais nous devons au moins, me semble-t-il, tirer de cette triste position tout l’avantage possible ; et puisqu’il a plu à la France de prendre Anvers, en nous forçant au rôle de spectateurs, il doit être prouvé jusqu’à l’évidence que la Belgique en est réduite à la défensive seule ; que, si l’on nous attaque, et qu’on ne vienne pas assez tôt à notre secours, nous aurons peut-être la permission de nous défendre. Or, pour un système de défense, notre armée est trop nombreuse ; notre position militaire est totalement changée depuis qu’Anvers est en notre pouvoir, et les causes qui avaient nécessité une augmentation de forces n’existant plus, l’armée peut être réduite au moins momentanément et par congés.
Si les renseignements qui m’ont été fournis sont exacts, notre cavalerie est de beaucoup supérieure en nombre à celle de la Hollande ; nos régiments déjà trop forts, doivent, d’après un arrêté récent, être augmentés d’un escadron de dépôt. Il paraît qu’il eût été plus avantageux de fondre le 7ème escadron dans le dépôt, en versant dans les autres les hommes et les chevaux capables de faire campagne ; si, après ce versement, les escadrons n’avaient pas atteint le complément voulu par les règlements, on pouvait faire la même opération pour le 6ème escadron ; les régiments se fussent alors trouvés composés de cinq escadrons de guerre et d’un de dépôt : les régiments français de l’armée du Nord n’avaient que quatre escadrons de guerre.
En agissant de cette manière, on eût pu se passer d’acheter à grand prix des chevaux dont on ne saura que faire à la paix, et que l’on ne vendra qu’avec une perte énorme. Par ce moyen aussi l’on diminuerait le nombre d’officiers et de sous-officiers, qui n’est pas en rapport avec les ressources qu’offre le personnel de la cavalerie, et je crains que ce ne soit une occasion ou un prétexte pour appeler une foule d’officiers étrangers parmi nous. Personne surtout ne voit la nécessité d’augmenter de 800 chevaux le corps des guides, qui est assurément assez nombreux tel qu’il est.
J’appellerai aussi toute la surveillance de M. le ministre de la guerre sur les soins à donner à la santé des chevaux : presque tous sont dans la force de l’âge ; il n’y a eu ni grandes fatigues, ni épizooties ; les fourrages sont excellents ; il devrait donc y avoir très peu de chevaux à réformer. Dernièrement, il y a eu une réforme ; les chevaux étaient dans un état pitoyable, et les acheteurs, pour les rétablir et les rendre très propres à faire campagne, n’ont employé qu’un remède très simple, l’avoine.
Un autre abus a lieu dans le classement des officiers. Des règlements existent à cet égard, et je demande qu’on les fasse exécuter ; et que, quand pour des raisons quelconques, le gouvernement trouve à propos de mettre un officier supérieur en non-activité, celui-ci ne continue plus à toucher la solde entière et les rations de fourrages.
Les journaux ont signalé un fait qui, s’il est exact, mériterait la désapprobation de la chambre : ce serait de faire d’un colonel un général de brigade, pour le placer de suite en non-activité, afin de donner la place qu’il occupe à un autre colonel, pour un exploit récent, que je m’abstiens de qualifier. Eh bien ! je n’hésite pas à le dire, si vous voulez faire de ce colonel, qui vous déplaît, un général, que ce soit en activité de service, car, pour des généraux en non-activité, votre personnel est certes assez nombreux ; ne l’augmentez pas, de grâce ; le trésor, comme les contribuables, vous crient merci ; ayez donc pitié d’eux !
Après ces observations, qui ont pour objet l’économie, j’en ferai une sur la discipline. Dans son propre pays, et après tous les sacrifices que la nation s’impose, l’on a droit d’être très difficile sur ce point. De graves sujets de plainte se sont élevées contre un corps que je dois me dispenser de nommer, plaintes longtemps inutiles. Cependant quelques localités ont été en proie à des vexations que l’on éprouve rarement des troupes ennemies même. Les logements militaires sont une charge trop pesante pour les paisibles habitants de nos campagnes, pour ne pas exiger la plus sévère discipline des troupes en cantonnement, et quand le domicile du citoyen s’ouvre au soldat, c’est pour y recevoir un protecteur et non un oppresseur. Y a-t-il eu contre les coupables de grands exemples de sévérité ? Je l’ignore, et ne le pense pas ; le droit de grâce est très beau, sans doute ; mais lorsque les essais d’indulgence sont inefficaces, je rappellerai à M. le ministre qu’avec de bons conseils de guerre et quelques livres de plomb, on établit bientôt l’ordre dans un corps indiscipliné ; en Belgique, on ne permettra jamais que les bourgeois éprouvent des vexations des militaires.
Messieurs, je terminerai mes observations par quelques mots sur l’admission des officiers étrangers dans ce pays. Je crois que l’on a déjà abusé du droit que la législature a cru devoir accorder dans un moment de crise ; mais sans récriminer sur ce qui est fait, je pense que le gouvernement doit s’arrêter, et ne pas aller au-delà de ce qui existe. Je pourrais m’étendre longuement sur ce sujet, et faire voir qu’il pourrait y avoir danger, et pour le gouvernement et pour la patrie, à continuer l’admission d’étrangers dans les rangs de notre armée nationale. Mais la réserve est aussi quelquefois au nombre des devoirs du député ; ce n’est pas de cette chambre que doit partir l’appel aux passions, à l’amour-propre surtout, la plus irritable de toutes. En me restreignant à des termes vagues, j’aime à croire que le ministère saura apprécier les motifs qui me guident et me comprendre à demi-mot.
Depuis quelque temps on paraît, et dans cette chambre et au dehors, supposer au gouvernement le projet d’éloigner des emplois les hommes de la révolution ; je ne puis croire qu’il en soit ainsi. A mérite égal et un peu moins qu’égal même, il leur doit la préférence, lorsque, ralliés franchement à l’ordre de choses existant, ils ne veulent, ni par des prétentions exagérées, ni par une exaltation dangereuse, prolonger cette révolution au-delà du terme que les événements lui ont assigné ; et agir autrement serait commettre ce qu’en politique un homme d’esprit a dit être pire qu’un crime, une faute.
Napoléon, relégué sur le rocher de Ste-Hélène, désabusé d’illusions dont puissant il s’était bercé, désabusé des faux amis surtout, appréciant de toute l’étendue de son génie les causes réelles de sa chute, a laissé échapper ces paroles mémorables, dont je rends le sens sinon l’expression exacte : « On ne termine les révolutions qu’avec les hommes qui les ont commencées. »
Grave sujet de méditation pour tout gouvernement né des tempêtes révolutionnaires ! En est-il aucun qui puisse croire réussir là où Napoléon a échoué ?
Dans la discussion je me rallierai aux amendements qui pourraient diminuer les dépenses, sans désorganiser le service.
M. Dumortier. - Je ne me lève pas pour parler sur le budget de la guerre, mais sur la question politique : c’est pour savoir s’il faut une armée que je prends part au débat. Depuis deux jours que la discussion est ouverte, nous entendons tour à tour un discours sur le budget et un discours sur la question politique, ce qui n’avance pas beaucoup la discussion.
Je désirerais que l’on voulût entendre tout d’abord les orateurs qui veulent parler sur la question administrative, et que la discussion fût ensuite ouverte sur la politique exclusivement. C’est le seul moyen de procéder méthodiquement. Si on veut continuer la discussion sur le pied où elle a commencé, où elle a été placée par le préopinant, je renoncerai à la parole, afin de parler ensuite sur la question politique. Je demande que la chambre règle l’ordre de la discussion.
M. Deleeuw. - Je pense qu’il est impossible, en établissant la discussion générale sur le budget de la guerre, que l’on ne traite pas la question diplomatique. Je pense encore que l’on peut mener de front ces deux questions : autre chose est de discuter généralement sur les dépenses de la guerre, autre chose est d’en discuter les détails. On peut fort bien, dans la discussion générale, parler des questions extérieures, et je demanderai la parole, particulièrement sur la question politique.
M. Jullien. - Je ne comprends pas, messieurs, la division qu’on veut faire : on veut distinguer la question du budget de la question politique : mais la question politique est essentiellement liée à la question de chiffres. Je prendrai la parole dans cette discussion, et ce sera pour aborder la question politique. Je défie les orateurs d’aborder la question du budget sans rencontrer la question politique. Je crois que la chambre doit continuer la discussion comme les orateurs l’entendront.
- La motion d’ordre de M. Dumortier n’est pas admise, et la parole est donnée à cet honorable membre.
M. Dumortier. - Messieurs, je dois d’abord déclarer que mon intention n’est pas de m’occuper des détails du budget de la guerre : ce budget offre certainement des questions très importantes ; mais il en est une bien plus grave à mes yeux, c’est celle de laquelle dépend le sort du pays.
D’honorables préopinants ont présenté des critiques sur divers points de l’administration de la guerre ; je n’entrerai point dans cette discussion, parce que j’ai grande confiance dans le ministre actuel de la guerre ; et s’il y a des abus dans son département, je suis convaincu qu’il suffira de les lui signaler pour qu’il les fasse cesser. Je me bornerai donc à traiter la question politique.
M. le ministre des affaires étrangères a dit et répété à satiété dans cette enceinte que le traité des 24 articles est la loi du ministère, que nous sommes définitivement liés par ce traité, et que le système du gouvernement consiste à remplir les engagements qu’il lui impose.
Voilà, vous a-t-il dit, la position du gouvernement ; et cette position est précisément celle que je veux combattre parce qu’elle n’amènerait que de sinistres résultats.
Ne croyez pas, messieurs, que je veuille prétendre, comme plusieurs de mes honorables collègues, que les 24 articles n’existent plus ; mon témoignage ne sera pas suspect, et quoique je l’aie vivement combattu, lorsqu’il s’agissait de l’admettre, je ne puis aujourd’hui méconnaître que ce traité est ce qui nous rattache à l’Europe, et que ce serait faire une faute très grave que de rompre le seul lien qui nous unit aux puissances. Mais si je repousse l’opinion de ceux qui maintiennent que le traite n’existe plus, d’un autre côté je repousse également la déclaration faite par le ministre, que ce traité est la loi de sa conduite, et que nous devons respecter servilement tous les engagements qu’il consacre.
Messieurs, je ne connais pas de traité qui ne soit un traité synallagmatique, liant toutes les parties contractantes ; si donc le traité du 15 novembre est un contrat, il faut que la Hollande y adhère nonobstant les réserves de la Prusse, de l’Autriche et de la Russie, et alors, malgré toute ma répugnance, je suis forcé d’avouer que nous devons nous soumettre à ses décisions.
Mais si, au contraire, la Hollande refuse d’y adhérer ; si les réserves de la Prusse de l’Autriche et de la Russie doivent ressortir leur plein effet, si l’on doit remettre en question diverses parties du traité des 24 articles, dès lors il y a diverses parties dans ce traité qui n’existent plus, et nous sommes en droit de nous prévaloir des parties qui nous lèsent pour former de justes réclamations, car il serait monstrueux de prétendre que nous seuls soyons liés par un contrat qui n’engagerait pas les autres parties.
Je signalerai les points sur lesquels je voudrais des redressements.
Toute la faute du ministère actuel et du précédent ministère a été de ne pas savoir faire valoir les droits de la Belgique et de ne pas avoir confiance en notre armée ; de là l’impéritie du gouvernement et la faiblesse avec laquelle il a fait valoir nos justes droits,
Le ministre vous a dit qu’il avait fait valoir les droits de la Belgique.
Il résulte en effet de la note du 14 février que le gouvernement a formé des réclamations près de la conférence ; mais un examen attentif ne permet pas de douter que ces réclamations se bornent uniquement à la demande d’une amnistie pour les habitants des territoires cédés à la Hollande, et une demande de navigation pour la Meuse et l’Escaut « jusqu’à la conclusion d’un traité définitif à intervenir. » C’est ce que prouvent plusieurs passages du journal du gouvernement. Le sens des passages les plus saillants est celui -ci : le résultat nécessaire de l’évacuation réciproque des territoires est une amnistie pour les habitants des parties de territoires cédées ; les Belges ne peuvent accepter aucun arrangement provisoire qui ne permettrait pas la navigation immédiate de la Meuse, et qui changerait la navigation de l’Escaut telle qu’on en a joui au 1er janvier 1831.
D’où il suit que le gouvernement a fait une demande d’amnistie, et qu’il a fait aussi une demande pour la navigation de la Meuse et de l’Escaut jusqu’à la paix ; mais que là se sont bornés tous ses efforts pour améliorer le sort de la Belgique.
Messieurs, il ne nous est pas donné de connaître les expressions dont s’est servi le ministre des affaires étrangères dans les réclamations qu’il a faites ; mais je présume qu’il a employé les phrases insérées dans le journal du gouvernement, car elles y sont soulignées, et vous vous rappelez que, dans une précédente séance, le ministre a déclaré que les plénipotentiaires avaient textuellement employé quelques-unes de ses phrases, d’où je conclus que ces phrases sont précisément celles qu’il a soulignées.
Il résulte donc d’un examen attentif de la note du 14 février, que les réclamations du gouvernement se bornent aux points que j’ai signalés ; je dois maintenant appeler l’attention de la nation tout entière sur tous les autres droits que les ministres ont négligé de faire valoir et qui certes méritaient bien d’être défendus.
S’il était question d’exécuter purement et simplement le traité du 15 novembre, peut-être aurions-nous mauvaise grâce d’y demander des changements ; mais puisque, par les annexes publiées par le gouvernement, il est question d’un traité nouveau à intervenir, puisqu’il est question de faire droit aux réclamations de la Hollande, pourquoi le gouvernement n’a-t-il rien fait pour notre cause qui a pour appui tant de justice, tant d’équité ?
Messieurs, il est de mon devoir de vous rappeler un point bien grave en ce qui touche l’avenir du pays : je veux parler de la dette imposée par la conférence. Je passerai en revue le détail des faits, connus par plusieurs d’entre nous ; mais comme beaucoup de nouveaux membres ont été depuis peu introduits parmi nous, je dois leur dire ce qui s’est passé dans la discussion des 24 articles. Il est bon d’ailleurs que la nation tout entière apprenne à connaître ses droits afin qu’elle sache jusqu’à quel point le ministère a rempli son devoir et fait valoir nos justes prétentions.
Vous vous souvenez, messieurs, que, lors de la discussion du traité du 15 novembre, un des moyens que le gouvernement employa pour faire adopter le projet de loi, fut la lecture, donnée à cette tribune, du protocole n°48, et vous vous rappelez que ce protocole exerça une influence sur les esprits et qu’il fut même en partie cause de l’acceptation des 24 articles.
Quelques passages de ce protocole établissent des droits manifestes en faveur de la Belgique ; ces passages étaient relatifs à la dette des Pays-Bas.
Le 6 octobre 1831, les cinq grandes puissances, représentées par leurs plénipotentiaires, disent que, s’étant réunies pour prendre connaissance de la dette des Pays-Bas, et procéder au partage de cette dette, elles ont commencé par prendre inspection du tableau fourni par les plénipotentiaires hollandais. « Considérant, dit le protocole, que les plénipotentiaires hollandais garantissent l’exactitude de ces tableaux et que, par conséquent, s’ils se trouvaient inexacts, malgré une garantie si formelle, les cinq cours seraient par là même en droit de regarder comme non avenus les résultats des calculs auxquels les tableaux en question auraient servi de base, la conférence a procédé à l’examen du mode à suivre pour arriver à un partage équitable de la dette. » Ainsi les cinq grandes puissances ont déclaré qu’elles seraient en droit de regarder les résultats des calculs comme non avenus, si les tableaux fournis par la Hollande n’étaient pas exacts.
Il y a donc lieu à revenir sur le partage de la dette, si les documents fournis par la Hollande sont inexacts, et c’est ce que je prouverai bientôt.
Mais je poursuis la lecture du protocole.
La conférence, procédant toujours d’après les règles de l’équité, a trouvé que parmi la dette totale des Pays-Bas se trouvait une dette qui pesait originairement sur la Belgique, savoir : la dette inscrite pour la Belgique au grand-livre de la dette française, et s’élevant à quatre millions de francs, ou deux millions de florins des Pays-Bas de rente annuelle, et elle a cru qu’il était juste que cette dette fût remise à charge de la Belgique. Ainsi, parmi les 8,400,000 fr. imposés par la conférence à la Belgique comme sa part de la dette, se trouve une somme de 4,000,000 de francs de rente annuelle, résultat du tableau hollandais.
Examinons maintenant les faits relatifs à cet objet important.
Il est vrai que lorsqu’en 1814 la France rentra dans ses limites de 93, une partie de la dette française fut mise à la charge de la Belgique, et cette dette s’élevait à près de 4,000,000 de fr. de rentes.
Ainsi le tableau fourni par la Hollande était originairement exact. Mais, après la bataille de Waterloo, les alliés, pour punir la France d’avoir été la cause d’une guerre générale, reportèrent sur la France toutes les parties de la dette française qui en avaient été détachées pour être appliquées aux diverses parties séparées de l’empire, et la Belgique fut ainsi débarrassée de la partie de la dette française dont elle était grevée depuis deux ans.
Il suit de là que les quatre millions de rentes portés sur la Belgique en 1814 ont été reportés en 1815 sur la France. Ce n’est donc que par la fausseté la plus insigne, le mensonge le plus odieux, que les plénipotentiaires hollandais ont pu affirmer que le trésor des Pays-Bas était grevé d’une rente de 4 millions de francs, par suite de la séparation de la France, et que nous sommes en droit de réclamer contre un aussi scandaleux abus.
Lorsque le protocole n°48 fut présenté à l’assemblée avant le vote des 24 articles, le ministre des affaires étrangères dit qu’il emploierait tous les moyens en son pouvoir pour faire revenir les cinq puissances sur cette erreur, et qu’il ne doutait pas que justice serait rendue à la Belgique. C’est à l’occasion de cette particularité que dans le projet de loi voté par la chambre, on inséra ces mots : « Le Roi est autorisé à signer le traité définitif, sous telles clauses, conditions et réserves que S. M. jugera utiles aux intérêts du pays. »
Ces intérêts consistaient principalement à relever la Belgique des tributs énormes qu’on lui avait imposés d’une manière inique.
Je demanderai si, depuis deux ans, des démarches ont été faites pour redresser un grief aussi patent.
Il est, d’ailleurs, vrai de dire que la conférence elle-même a reconnu la justice de cette prétention. Dans son mémoire du 4 janvier 1831, elle déclare que « l’intérêt de toutes les dettes, exclusivement belges, et le service de la dette différée de ces mêmes dettes, et l’intérêt des dettes communes, réparties dans la proportion suivant laquelle chacun des deux savait contribué à leur acquittement pendant la communauté, ne montaient en nombres rond qu’à la somme annuelle de 5,800,000 florins. Cette mème somme a été portée à 8,400,000 fl. Toute la différence de 2,600,000 florins de rente annuelle, ajoute la conférence, allège donc d’autant le fardeau de l’ancienne dette hollandaise. »
Ainsi la conférence a reconnu nos droits à un dégrèvement ; et le ministère trahit son devoir lorsqu’il abandonne ainsi nos droits les plus sacrés.
Sans doute, je le répète, si la Prusse, l’Autriche et la Russie n’étaient pas venues, dans leurs ratifications, appuyer les prétentions de la Hollande, nous aurions mauvaise grâce à réclamer ; mais lorsque la Hollande trouve de l’appui parmi les puissances, je ne puis concevoir la conduite d’un ministère qui oublie la défense de nos droits.
Ce fait n’est pas le seul pour lequel on puisse élever des réclamations en faveur de la Belgique. Dans le traité du 15 novembre, une somme annuelle de 600,000 fl. avait été imposée à la Belgique pour obtenir des facilités commerciales, c’est-à-dire pour la libre navigation de l’Escaut et des canaux qui séparent la Belgique de la Hollande, et pour le chemin de fer qui devait passer par Sittard et la route commerciale qui traverse Maestricht. Eh bien ! nous avons vu depuis le gouvernement hollandais venir demander que la Belgique fût privée de cette navigation, et que la route en fer n’existât pas. Il y a plus, dans les ratifications de la Russie, les réserves portent sur ces trois points. Dès l’instant que le gouvernement a consenti ces réserves, il était de son devoir de rappeler aux puissances que les 600,000 fl. avaient été accordés pour ces trois objets, et il devait en demander le dégrèvement.
La Hollande a fait valoir de prétendus droits sur le Limbourg et sur le Luxembourg, alors que la révolution avait rompu tous les liens de la Hollande avec ces pays ; et nous, nous avons négligé de faire valoir de véritables droits sur le Limbourg, le Luxembourg et la Flandre zélandaise.
Depuis le traité du 3 floréal an III, la Hollande avait perdu la Flandre zélandaise ; en échange elle avait reçu des propriétés appartenant toutes à l’ancienne Belgique. Le gouvernement ne devait donc pas négliger les droits de la Belgique sur la Flandre zélandaise, puisque la Hollande élevait des prétentions sur des contrées qu’elle ne possédait plus ; on devait faire voir que la Hollande ne pouvait avoir la Flandre zélandaise en même temps que les territoires qu’elle avait reçus en échange de ce pays.
La Belgique avait encore des droits sur les chantiers d’Anvers lesquels, par le traité de Paris, appartenaient pour une grande part, pour la moitié, à nos provinces. Cet établissement, et la flotte avaient une valeur considérable. Cependant les chantiers d’Anvers et les vaisseaux ont été transportés en Hollande ; je demande quelles réclamations le gouvernement a élevées relativement à ces objets.
Qu’est-ce que le gouvernement a fait aussi pour obtenir la liquidation des engagères dont Charles VI s’était rendu caution ? La dette hollandaise qui s’élevait à plus d’un million de florins, a été liquidée sur-le-champ, et les engagères n’ont pu l’être.
Il en est de même des rentes à charge des abbayes qui n’ont jamais été liquidées, tandis que des dettes toutes semblables n’ont pas souffert de difficulté en Hollande. Il en est de même encore des dettes à charge de la France ; toutes ces dettes seront portées à charge de la Hollande ; elles ne seront jamais liquidées, et tandis que nous paierons avec exactitude la dette hollandaise que nous n’avons pas contractée, nous serons réduits à voir que notre propre dette ne sera acquittée par personne. Cet objet méritait bien sans doute de fixer l’attention du gouvernement. Je le répète, qu’a-t-il fait pour obtenir la liquidation de notre propre dette ? Rien, absolument rien.
La Hollande, par toutes les voies, cherche à améliorer le traité en sa faveur, et nous, nous ne faisons rien pour obtenir les modifications qui découlent de nos droits !
Messieurs, je viens de vous parler des chantiers d’Anvers, qui étaient la possession de la Belgique ; je vous parlerai maintenant de la flotte construite pendant la communauté. La flotte a coûté des sommes énormes ; elle a été faite à deniers communs entre la Belgique et la Hollande, Puisque le gouvernement consentait à payer une partie de la dette contractée en commun, il devait obtenir une partie de la flotte dont la dépense avait été faite en partie par la Belgique.
Nous avons aussi acquis en commun des colonies vers la Nouvelle-Guinée ; elles appartiennent autant à la Belgique qu’à la Hollande : la moitié devait nous en revenir, puisqu’on veut nous faire payer la moitié de la dette. Je ne sache pas qu’aucune réclamation ait été adressée de ce chef.
Messieurs, on n’a rien fait, ni pour la dette, ni pour les colonies, ni pour la flotte, ni pour les chantiers ; en toutes choses on a porté l’oubli de nos droits au-delà des bornes d’une coupable négligence.
J’ai parlé des dettes à charge de la Hollande et des dettes engagères pour lesquelles le gouvernement n’a fait aucune réclamation, et je vous ai dit qu’il en était de même relativement à une troisième espèce de dette, la dette française ; et cependant vous paierez un tribut honteux de 8 millions 400 mille florins à la Hollande ! vous vous ruinerez, pour avoir subi une réunion malheureuse pendant 15 années ! et les dettes de la Hollande envers vous ne seront jamais liquidées ! Vous paierez la dette de la Hollande, et les Hollandais se tairont sur notre propre dette ! Voilà, messieurs, quel sera le résultat de l’incurie du ministère.
Vous le voyez, il y avait plusieurs intérêts a faire valoir : les a-t-on fait valoir ? Je demande des explications sur ces points importants au ministère.
Si le gouvernement avait eu de l’habileté, il aurait mis le roi Guillaume en opposition avec son peuple ; il aurait dit : J’ai droit d’obtenir un dégrèvement de 4 millions de francs par an ; et puisque vous me contestez la navigation de l’Escaut, de la Meuse, et la route en fer, vous devez me dégrever de 600,000 florins. J’ai droit à la moitié de la flotte, à la moitié des colonies, acquises en commun, à la totalité des chantiers d’Anvers ; ces droits, je ne les abandonnerai que si vous reconnaissez l’indépendance de la Belgique, et si vous me laissez le Limbourg et le Luxembourg.
Voilà ce qu’un gouvernement national, ce qu’un gouvernement énergique aurait fait. Au lieu de cela, qu’a-t-on fait ? Que prétend-on faire ? Aujourd’hui on regarde le lâche, l’indigne abandon du Limbourg et du Luxembourg, comme une œuvre utile à la patrie, et comme le résultat de la prédilection qu’on lui porte.
Messieurs, j’ai entendu avec étonnement le ministre déclarer que le principe de la navigation de l’Escaut est resté intact.
Le principe de la navigation de l’Escaut est resté intact !
Eh quoi ! la navigation de l’Escaut est libre lorsque votre pavillon ne peut y flotter ; la navigation de l’Escaut est libre, et les Hollandais font baisser votre pavillon devant eux ! Eh ! N’avons-nous pas vu, ces jours derniers encore, un de nos braves forcé d’amener pavillon pour entrer en parlementaire à Lillo ? Ministres aveugles, c’est ainsi que vous outragez la nation, que vous la laissez insulter ! Et puis vous viendrez nous demander une armée ! Que le drapeau national, qui en quatre jours sut créer la Belgique, passe à travers le feu et la mitraille ; ne l’exposez pas à l’ignominie ! Imitez les braves de septembre ! C’est avec ce drapeau glorieux qu’ils marchèrent au combat ; c’est avec lui qu’ils dispersèrent les phalanges de la Hollande et qu’ils purgèrent de l’étranger le sol de la patrie.
Jusque-là ne dites pas que l’Escaut est libre quand notre pavillon doit s’humilier en présence d’un Hollandais !
Si le gouvernement avait voulu faire valoir les droits de la nation à la liberté de l’Escaut, il n’aurait pas perdu de vue le protocole du 9 janvier, qui établit l’identité entre le déblocus de Maestricht et le déblocus de l’Escaut. Le jour où la Hollande fermait l’Escaut à votre pavillon, il fallait fermer les portes de Maestricht aux forces de la Hollande.
Le ministre de la justice a prétendu que nous avons bien mauvaise grâce à demander la reprise immédiate des hostilités, alors que la France et l’Angleterre souffraient le blocus pour leurs pavillons. Je ne sais si le ministre de la justice a bien réfléchi à ce qu’il disait ; mais il aurait dû se rappeler que la France et l’Angleterre ne souffrent pas patiemment le blocus de l’Escaut ; il aurait pu se rappeler que des flottes parties de la France et de l’Angleterre bloquent la Hollande. D’ailleurs nous n’avons pas demandé la reprise immédiate des hostilités, mais bien que le gouvernement prît une attitude digne d’un peuple libre et fît valoir nos droits. Qu’a fait le ministère pour venger la dignité nationale, dignité à laquelle un peuple attache son existence ? Il n’a rien fait ! Cependant il pouvait agir ; il pouvait bloquer de nouveau Maestricht quand la Hollande bloquait l’Escaut.
Nous devions prendre des mesures pour maintenir l’honneur de notre pavillon ; et, parmi ces mesures, il en est une qui est dans notre droit en vertu du protocole n° 10, c’est de mettre le blocus devant Maestricht, mais un blocus réel, et non, comme l’été dernier, un blocus qui nous rende la risée de l’Europe, et qui fasse mépriser notre gouvernement.
Messieurs, pénétrez-vous bien de cette idée que le roi Guillaume aurait plutôt consenti à signer le traité des 24 articles qu’à voir tomber la ville de Maestricht entre vos mains : mais supposez qu’il en fût autrement. Cette ville serait, pour nous, un gage bien précieux : nous y retrouverions des frères qui avaient, pour la Belgique, la plus douce, la plus vive sympathie ; nous aurions plus d’action sur le Limbourg, et nous pourrions espérer de ne l’abandonner jamais.
Mais, pour prendre de telles mesures, il faudrait un peu d’énergie, il faudrait connaître le prix de l’indépendance, et alors nous ne nous laisserions pas traîner à la remorque derrière la France et l’Angleterre.
Je viens de demander à M. le ministre des affaires étrangères pourquoi, ces jours derniers, il a souffert que notre pavillon fût insulté, sans que la Belgique prît vengeance d’une telle offense.
Déjà j’entrevois la réponse qu’il va faire : Nous devons, dira-t-il, nous soumettre à toutes les conséquences de la coercition.
Comment ! vous reconnaissez que la coercition est une honte pour la Belgique, et vous consentez à en subir toutes les conséquences ?
Lorsque, sous le précédent ministère, on a demandé une armée de réserve, elle a été accordée, parce qu’il était convenu que le gouvernement ferait ses affaires lui-même, et qu’il ferait respecter la Belgique ; alors un contrat a été passé entre le ministère et la nation.
On s’est souvent demandé quelle différence il y avait entre le précédent ministère et celui-ci ; cette différence peut se résumer en peu de mots : c’est que le précédent ministère avait pris devant la chambre l’engagement de terminer les affaires de la Belgique par elle-même, tandis que le ministère actuel n’a pris d’autre engagement que celui de faire terminer nos affaires par l’étranger. Voilà la différence qui existe dans le système des deux ministères ; hors de là il n’y a d’autre différence qu’un changement d’hommes et point un changement de principes. Le premier voulait faire respecter l’honneur et la dignité nationale ; celui-ci ne tient pas compte de l’honneur ni de la dignité du pays.
N’est-il pas étrange, après cela, d’entendre ici ce ministère parler de la conduite ferme du gouvernement ? La fermeté du gouvernement ! Qu’est-ce donc que la fermeté d’un gouvernement qui souffre que notre pavillon soit insulté, que l’armée soit avilie au point de n’être que le satellite de la conférence, la patrie déshonorée par l’intervention étrangère ?
Il faut que la nation sache ce que c’est que la fermeté du gouvernement : cette fermeté qui ne consiste que dans l’humiliation et la honte du pays.
Je pourrais répondre à une phrase prononcée par M. le ministre des affaires étrangères. Vous vous rappelez qu’il a dit : « On peut se tranquilliser en voyant nos droits défendus par nos alliés. » Je pourrais dire : « La Belgique n’a pas d’alliés, elles a des maîtres. » Elle a des maîtres qui, après avoir fait céder le roi Guillaume, nous forceront à passer par toutes les conditions qu’il leur plaira de nous imposer, afin d’obtenir la paix générale et le désarmement, objet de leurs désirs.
Nos alliés sont nos maîtres ; notre véritable ennemi, c’est nous ; c’est nous qui souffrons patiemment qu’on nous traîne à la remorque du cabinet français, de ce cabinet qui, dans toutes circonstances, a été l’ennemi le plus perfide de notre patrie. Depuis la révolution, messieurs, rappelez-vous les faits tels qu’ils se sont passés lorsque le gouvernement provisoire voulut envoyer nos phalanges victorieuses pour s’emparer de la Flandre zélandaise ; c’est le gouvernement français qui arrêta l’élan de nos braves et nous empêcha de planter le drapeau tricolore sur les bords du Hout et du Moerdyck.
Peu après, vous vous souvenez de ce qui s’est passé pour l’élection du duc de Nemours : un protocole déposé sur le bureau prouve toute la duplicité du gouvernement français. Tandis qu’à Londres Talleyrand déclarait que Louis-Philippe ne consentirait jamais à accepter la couronne pour son fils, au moment de l’élection du duc de Nemours, dans ce même moment, ce gouvernement perfide employait tous ses moyens pour faire réussir ici une élection qui devait être une véritable mystification pour le pays ; et plus tard il venait se faire un mérite auprès de la conférence d’avoir renoncé pour son fils au trône de la Belgique. Voilà, messieurs, un trait qui prouve ce que nous devons attendre du gouvernement français.
Il est vrai que le peuple français, qu’il ne faut jamais confondre avec son gouvernement, a fait beaucoup pour la Belgique, en volant à notre secours au mois d’août. Mais si le gouvernement français s’est déterminé à cette démarche, vous n’ignorez pas, messieurs, que c’était dans son intérêt personnel ; comme l’a dit un illustre général, la Belgique est pour la France une tête de pont. Défendre la Belgique, c’était défendre la France elle-même. Le gouvernement savait d’ailleurs que la Belgique pouvait mettre une armée de 100,000 hommes sur pied, qui ne lui coûteraient rien, et qui lui serviraient beaucoup. Plus tard, lors des 24 articles, le gouvernement français a désiré le partage de la Belgique, et si l’Angleterre n’avait pas défendu nos droits, tout était perdu pour toujours.
Le gouvernement français a donc été constamment hostile aux intérêts de la Belgique. Si dernièrement il a voulu intervenir dans nos affaires, le résultat en a été d’incruster la couronne de France sur la tête de Louis-Philippe, et non pour soutenir nos droits. Cette intervention, il vous la fera payer d’une manière ou d’une autre : on vous enlèvera des parties de territoire ou on vous fera payer une partie des dettes de la Hollande, mais toujours est-il que vous la paierez.
Le gouvernement français est l’ennemi le plus grand de la Belgique ; il veut s’agrandir à nos dépens : et voilà quels sont les amis du ministère.
Quand le gouvernement français aura obtenu l’assentiment du roi Guillaume, il viendra vous imposer des conditions humiliantes ; il viendra demander la fermeture de l’Escaut, qui est une concurrence dangereuse pour son commerce. Et c’est au char de ce gouvernement que s’attache le nôtre avec une servilité qui ne souffre aucune justification.
J’ai demandé hier une explication de laquelle je fais dépendre mon vote : j’ai demandé jusqu’à quel point on a fait valoir les droits de la nation ; je demande aujourd’hui si le gouvernement consentira à subir de nouvelles interventions par terre ; si le gouvernement consentira à ce qu’une armée étrangère foule encore le sol de la patrie ? Je désire ardemment qu’il s’explique.
Je veux, avant de voter une armée de 130,000 hommes, savoir si on la laissera spectatrice devant l’armée française. Sachez que, si vous consentez à de nouvelles interventions, vous n’obtiendrez, pour dernier résultat, que le partage et la honte. Déjà vous êtes la risée de l’Europe. Encore un faux pas, et vous ne serez plus qu’un objet de mépris.
M. Gendebien. - Ce que vient de vous dire l’honorable M. Dumortier devrait m’engager à ne rien ajouter à la discussion. Il vous a prouvé que le ministère n’avait point fait ce qu’il devait faire. Je me propose de plus de vous prouver, d’après le discours du ministre, que le gouvernement ne fera aucune des choses qu’il a à faire. Une grande partie de ma tâche est déjà accomplie par mon honorable collègue et ami M. Dumortier ; je crains d’abuser de votre patience ; cependant je vais me hasarder à remplir ma tâche.
Ce qui résulte de plus clair du discours du ministre des affaires étrangères, car il nous l’a répété cinq à six fois, dans son œuvre méditée, c’est que la solution de nos affaires n’est pas prochaine, qu’elle est même très éloignée. On vous a parlé cinq à six fois de traités préliminaires, de conventions provisoires ; vous n’avez entendu que cela. Il y a deux années on disait autrement : on vous assurait que le rôle de la diplomatie serait court et très court. Après cette prédiction de M. Lebeau, nous en sommes réduits à dire aujourd’hui que la solution de nos affaires est encore très éloignée.
Si je mesure le temps qui reste à courir, sur le temps qui s’est écoulé depuis la prédiction de M. Lebeau, je crois que nous avons besoin d’un demi-siècle encore pour terminer nos affaires.
Consultez l’histoire et vous verrez que la Hollande est restée pendant 48 ans contraire au despote de l’Espagne ; que pendant 48 ans elle est restée sans fixer les limites de ses territoires. Ainsi quand je parle d’un demi-siècle, je ne dis pas trop d’après les précédents de la Hollande.
Le ministre vous avoue tout naïvement, et les plénipotentiaires de France et d’Angleterre l’ont démontré dans leur fameuse note du 14 février dernier, que le roi Guillaume n’avait pas le désir sincère de conclure un arrangement définitif. Que nous reste-t-il à faire ? Reprendre l’attitude noble que nous avions avant que l’on fût tombé dans l’ornière de la diplomatie ; recourir à l’énergie, au courage des Belges. Voilà ce qu’il faut faire, et ne pas attendre patiemment comme le propose le ministre.
Ne pouvant rien sur le temps, le ministre cherche à vous rassurer sur le résultat des négociations.
Si des modifications ont lieu dans les traités, défiez-vous-en ; elles vous seront funestes. On viendra, par exemple, vous proposer de racheter la dette honteuse de 8 millions de florins, ou ce qui est la même chose, on vous proposera de la capitaliser : nous serons obligés de supporter un droit de navigation, de souffrir la visite : voilà ce qui se réalisera dans un demi-siècle.
Le ministre ayant déclaré que sa pensée tout entière était dans la note du 14 février, examinons cette note.
Tout l’esprit de la note, tout son commentaire se trouve dans une des phrases qui a été répétée par le ministre :
« Les deux puissances exécutrices veulent amener un arrangement préliminaire, mais qui créera un provisoire que personne n’aura intérêt à prolonger. » Le ministre trouve ce plan merveilleux.
Quelle sera la nature de ce provisoire que personne n’aura intérêt à prolonger ? Ce sera un état misérable tel qu’on nous soumettra de guerre lasse. Voilà à quoi on veut nous réduire ; voilà le chef-d’œuvre dont se vante le ministre.
Sans parler de la Prusse, de l’Autriche et de la Russie, il entre dans la politique de la France et de l’Angleterre de nous rendre misérables, de nous ruiner ; l’Angleterre, à cause de notre industrie ; la France, parce qu’elle espère nous amener à un partage ou à une réunion avec elle par suite de nos misères. C’est pourtant cela que le ministre trouve admirable ; c’est là son provisoire que personne n’aura intérêt à prolonger !
Après la note viennent sept ou huit projets à la file les uns des autres, projets que la France et l’Angleterre présentent à M. van Zuylen, qui les repousse successivement. Tantôt il n’a pas de pouvoirs, tantôt il en a. En novembre, quand la conférence était dissoute, il avait pouvoir de traiter.
Plus tard, quand les puissances présentaient un traité provisoire, M. van Zuylen n’avait plus de pouvoirs. Que faut-il conclure de tout cela ? Que la France et l’Angleterre sont dupes, où qu’il y a chez elle une arrière-pensée.
Dupes, j’ai de la peine à le croire : je ne pense pas que la France et l’Angleterre puissent supporter, avec autant de longanimité, tant d’affronts et souffrir de pareilles mystifications de la part du plénipotentiaire d’un peuple de 2 millions d’hommes, à peine sans motifs.
Il y a donc une arrière-pensée. Je l’ai déjà dit, on veut nous amener à un état de misère tel que nous cédions ; voilà l’arrière-pensée.
Les deux puissances, la France et l’Angleterre, ont proposé sans cesse l’évacuation des territoires respectifs ; elles ont demandé la navigation de la Meuse immédiatement. Quant à la navigation de l’Escaut, elles stipulent cette navigation telle que nous en avons joui depuis janvier 1831. Cette remarque a déjà été faite par M. Dumortier.
Mais a-t-on refusé la contre-note du roi Guillaume, qui demande un droit de tonnage et un droit de visite ? Que lui répondent les deux puissances ? Lui répondent-elles que nous ne consentirons jamais aux droits de tonnage et de visite ? Non ; on répond que le droit de tonnage demandé n’est pas en rapport avec le balisage et le pilotage. De là je conclus que quand ces puissances penseront que le droit de tonnage sera en rapport avec le balisage et le pilotage, elles l’admettront.
Avez-vous donc tant à vous louer de cette note du 14 février ? La France et l’Angleterre, après quatre mois de négociations, sont convaincues que le roi Guillaume ne veut pas terminer, et elles prennent la peine de le démontrer !... Mais que font-elles, et que ferons-nous pour sortir de cet embarras ? Nous, nous attendons patiemment, et nous souffrons qu’un ministre vienne nous dire que nos droits ont été défendus avec la dignité que notre cause exige, et que notre ascendant est toujours progressif.
Notre ascendant est progressif ? Et nous avons des troupes l’arme au bras ; et nous ne pouvons pas punir les plus graves offenses ; et nous ne pouvons pas faire un mouvement sans le consentement de la France et de l’Angleterre !
Ainsi, nous avons obtenu tout le succès possible, et nous avons droit de nous reposer avec confiance sur l’intervention de la France et de l’Angleterre !
Rappelez-vous donc que ces deux puissances ont ratifié purement, et simplement le traité du 15 novembre ; qu’elles ont pris l’engagement de le faire exécuter. Remarquez qu’il était irrévocable ; eh bien ! que font ces puissances ?
L’exécutent-elles ? Oui, messieurs, elles ont fait semblant de l’exécuter. Pourquoi ? Pour déshonorer notre armée. On est venu prendre la citadelle d’Anvers pour faire croire à l’Europe que notre armée était impuissante à faire cette conquête. Voilà ce qu’ont fait ces puissances. Eh ! messieurs, rendons grâce au hasard, qui a fait que ces puissances n’aient pas conquis la totalité de notre territoire car si, après avoir pris Anvers, elles avaient pris Lillo et Liefkenshoek, elles auraient exigé la remise des territoires du Limbourg et du Luxembourg.
Aussi quelles ont été les tribulations de nos ministres quand le maréchal Gérard insistait pour avoir Lillo et Liefkenshoek ! C’est lorsqu’ils ont appris l’entêtement du roi Guillaume à refuser l’évacuation de ces petits forts qu’ils ont respiré.
Tel est le résultat de l’intervention.
Après avoir déshonoré la blouse, on a voulu déshonorer l’épaulette, et on y est parvenu.
Mais le règne de la faiblesse aura sa fin, et notre armée saura prouver qu’elle sait prendre sa revanche quand d’autres hommes seront à la tête des affaires.
Messieurs, les deux puissances s’étaient engagées à faire exécuter et à garantir le traité tout entier ; eh bien, maintenant, elles parlent de conventions provisoires ; elles essaient, dit le ministre, « d’une convention stationnaire ; » mais sur quelles bases ? Nous l’ignorons ; les pièces nous sont cachées.
Une convention stationnaire ! Le mot est nouveau. Ce mot devait découler de la plume d’un ministre doctrinaire qui veut rester stationnaire, mais qui ne restera stationnaire qu’autant que nous voudrons bien le lui permettre.
Le traité de novembre existe toujours et nous ne l’avons pas abandonné, dit le ministre : s’il dit cela, il savait donc que ce traité était abandonné ou qu’il le serait ; car pourquoi prévoir l’objection quand personne dans la chambre n’y avait songé ? C’est que cette conviction est dans la pensée du ministre. Il suffit de lire la note du 14 février pour voir que le traité du 15 novembre est mis de côté.
Comment soutenir que ce traité existe encore quand les deux puissances ont proposé depuis cinq à six traités préliminaires ?
Si le traité de 15 novembre existe, à quoi bon des traités préliminaires ?
Messieurs, que l’on exécute le traité du 15 novembre tel qu’il est, et la Belgique sera assez malheureuse et assez déshonorée comme cela. D’autres traités sont superflus pour atteindre ce but.
Le ministre de la justice vous a dit que le gouvernement avait notifié aux puissances exécutrices que si elles ne faisaient pas exécuter le traité du 15 novembre, la Belgique recourrait à ses propres forces ; que par la note du 5 octobre on a demandé l’exécution plénière du traité ; que par la note du 23 octobre on a signifié un terme qui était le 3 novembre.
Si le ministre avait continué sur cette base, il aurait mérité nos éloges ; mais remarquez qu’à côté de quelque énergie se trouve sur-le-champ le contrepoids ; au lieu de demander l’exécution du traité du 15 novembre, le ministre se contente d’un commencement d’exécution, et il s’appuie, vis-à-vis de la France et de l’Angleterre, en faisant cette demande, de l’impossibilité de tenir sa position devant la nation s’il n’y a pas en effet commencement d’exécution.
S’il y a eu quelque énergie dans le ministère, cédant bientôt à je ne sais quelle influence, à je ne sais quelle camarilla, il a consenti à abandonner le Limbourg et le Luxembourg, sans la garantie stipulée dans le traité du 15 novembre, c’est-à-dire, sans amnistie.
Le ministre est coupable d’une « quasi-énergie. »
L’acte du 2 novembre a été donné quand on savait que nos compatriotes allaient être livrés au roi de Prusse ; car la proposition de la France, de l’Angleterre et de la Prusse est du 30 octobre.
J’ai demandé au ministre qu’il s’expliquât catégoriquement, relativement aux propositions faites à la Prusse : j’attends encore sa réponse. J’espère qu’il répondra.
On s’est vanté des résultats des négociations, de l’attitude ferme qu’on avait prise au mois d’octobre ; eh bien ! que ne la reprenez-vous encore cette attitude ? Dites aux puissances, dites surtout à la France et à l’Angleterre, que l’alliance de la Belgique est au prix de l’intégralité de son territoire ; dites que la Belgique a montré assez de longanimité et de patience ; qu’elle est lasse du rôle qu’on lui a fait jouer ; qu’aujourd’hui elle offre son alliance, ses 130,000 hommes et son énergie, à qui saura la comprendre. Dites à la France que, si elle insiste, nous saurons quel parti nous aurons à prendre. Vous, ministres, qui vous dites Belges, et qui nous reprochez de la gallomanie, parce que nous étions forcés d’écouter la France, puisqu’elle seule nous écoutait, montrez-vous Belges en effet.
Dussions-nous, messieurs, entrer dans la confédération germanique pour conquérir l’intégrité de notre territoire, pour éviter le lâche abandon de 400 mille de nos frères, je serai Allemand demain plutôt que de rester Belge au prix des humiliations qu’on nous propose.
Il n’y a pas de puissance en Europe qui ait autant de force, en proportion de sa population, que la Belgique ; comptez sur 130,000 braves, et sur l’énergie de la nation tout entière : malgré les émollients que vous lui avez donnés, elle a de l’énergie et saura le prouver dans l’occasion.
Messieurs, ne vous attendez pas à un acte d’énergie de la part du ministère ; il est lié par un traité qui nous lie seuls et qui ne lie pas la Hollande ; nous sommes liés de telle façon que nous sommes condamnés à avoir 130,000 hommes l’arme au bras, sans pouvoir nous défendre si nous n’en avons la permission des hautes puissances, et sans pouvoir faire pencher la balance en faveur de nos intérêts.
On vous a dit, messieurs, que l’Escaut était libre puisque le principe n’avait pas cessé d’être reconnu ; certes, pareille assertion n’a pu sortir que d’une bouche doctrinaire. On parle du principe alors que l’application est l’objet de mille entraves souffertes par nous ; et je demanderai : que répond-on aux notes de la Hollande, qui demandent un droit ? Au lieu de nier tout droit, on se borne à répondre qu’il n’est pas en rapport avec le balisage et le pilotage ; voilà les réponses, voilà ce qu’en invoque en faveur de nos droits ; on ne peut donc prétendre que l’Escaut soit libre.
A propos de cette liberté de l’Escaut, on vous a dit que la France et l’Angleterre y étaient intéressées, que leur honneur serait compromis si elles ne la maintenaient.
Eh bien, messieurs, au mois de juillet 1832, M. Lebeau disait qu’il croyait que la France était disposée à faire bon marché à la Hollande de la liberté de l’Escaut et de nos relations avec l’Allemagne ; voilà ce que disait M. Lebeau ; et aujourd’hui M. Goblet nous dit que nous pouvons compter sur la France pour obtenir la reconnaissance formelle de cette liberté. Mais qu’on nous dise quel intérêt matériel la France peut y avoir ? Plus il y aura de ports fermés, plus il y aura de navires qui arriveront dans les siens. L’Angleterre est aussi intéressée à ruiner l’Escaut, à réduire notre commerce, notre industrie à la misère. Le véritable intéressé, c’est la Belgique, c’est à elle seule qu’il appartient de faire valoir ses droits. Je déclare donc que je ne suis nullement rassuré des soins que la France et l’Angleterre veulent apporter à la liberté de l’Escaut. parce qu’elles sont intéressées à nous laisser dans un marasme qui finisse par nous engager à nous débarrasser de notre dette et du nom belge que vous êtes si bien parvenu à déshonorer.
Oubliez-vous, nous dit M. Goblet, l’ascendant que nous avons obtenu depuis les ratifications russes ? Je dirai qu’il y a quatorze mois on est venu nous dire que les ratifications n’étaient qu’une simple formule de chancellerie, que les plénipotentiaires avaient leurs pleins pouvoirs en bonne forme, et on endormit la nation avec ces balivernes. Nous avions beau dire que les ratifications étaient nécessaires, nous étions des brouillons, des songe-creux, dupes des orangistes, des républicains, que sais-je ? (On rit.) Cependant ces ratifications se sont fait attendre 4 mois, et elles sont arrivées avec des réserves, réserves insignifiantes, disait-on, quoique nous protestions du contraire.
Aujourd’hui notre position est changée ; mais quelle est-elle ? La voici : La Hollande reste libre de tout engagement, et nous, nous sommes liés de telle façon que nous ne pouvons nous remuer ; et ce système nous conduit à quoi ? A une guerre d’attente, mot qui cadre si bien avec celui de convention stationnaire. Voilà notre position ; je vous demande, messieurs, la trouvez-vous belle ?
Maintenant on ne peut plus dire quand nous sortirons de cette position, et lors de l’élection du prince de Saxe-Cobourg, M. Lebeau disait que ce serait une garantie de guerre ; et remarquez en passant que, malgré son élection, la Belgique n’est pas à l’abri de la guerre, si aujourd’hui le même ministre vient nous dire que nous ne pourrions faire la guerre si on nous attaquait. Je vous le demande, cette position est-elle merveilleuse ?
Le système que nous suivons, nous dit M. Lebeau, a été exposé à la chambre à l’ouverture de la session. Oui, et il a été repoussé par la majorité de la chambre qui l’a sifflé alors et n’en veut pas plus aujourd’hui que nous avons l’expérience de ce qu’il vaut. On peut, dit-il, visiter librement la citadelle d’Anvers. On m’a dit que c’était à moi que s’adressaient ces paroles : c’est possible, quoique je ne me rappelle pas les avoir prononcées ; mais je voudrais qu’on pût m’en citer d’autres alors que les citations ne me manqueraient pas pour répondre à M. Lebeau ; et je dirais, en outre, que quand je voulais voir la citadelle évacuée, c’était par le fait de la diplomatie, tandis qu’elle l’a été à beaux coups de canons, par une quasi-guerre ; et quand j’ai dit que je croirais à la diplomatie, je n’ai pas cru que cette évacuation se ferait aux dépens de l’honneur du pays.
On vous a dit, messieurs, que le jour où les puissances refuseraient de faire exécuter le traité du 15 novembre le ministère saurait user des moyens qu’il a en son pouvoir, et qu’autrement il mériterait l’anathème de la nation. Cela me rappelle ce que disait un jour M. Jottrand, qu’en fait de préparatifs de guerre un jour de retard est une trahison ; et cependant, quand on eût besoin de l’armée, il n’y avait rien, et je crains aussi que, quand on voudra reprendre les hostilités, il n’y aura rien encore.
On vous a dit que les mesures coercitives présentaient bien plus de chances que les hostilités que nous reprendrions, et que d’ailleurs, quand il y avait des actes partiels, on s’en plaignait à la conférence ; que la Hollande faisait aussi la même chose.
Je voudrais d’abord savoir s’il se commet des actes d’hostilités contre la Hollande ? Je ne crois pas qu’on nous en cite, et nous sommes insultés à chaque instant. Dernièrement encore, les Hollandais sont descendus à Calloo avec douze barques, transportant des rations et cent hommes de troupes ; ils font tous leurs efforts pour couper la digue de mer. Depuis longtemps on réclame à cor et à cri des canons pour repousser les coups de canon, contre lesquels nos soldats n’ont que des fusils ; on demande la construction d’un fort, auquel les habitants et les soldats travailleraient sans demander aucune rétribution, et tout est inutile.
On laisse insulter impunément notre territoire, et quand on cite des hostilités commises par la Hollande, le ministère répond qu’il se croit engagé à ne pas attaquer : ce sont de ces choses qui ne peuvent se trouver que dans un cerveau doctrinaire ; mais, au moins, ne nous laissez pas insulter depuis le casque jusqu’à la mèche.
Enfin, vous dit le ministère, je suis l’exemple du ministère français ; mais je ne vois pas ce qu’il peut y avoir à gagner à se guider sur un ministère qui ne veut que la ruine de la Belgique. Ce que je dis n’est pas pour la France, que je respecte comme une grande nation, pour laquelle je suis reconnaissant de ce qu’elle a fait en août 1831 ; ce que je dis, c’est pour le gouvernement de la France.
La France a protégé chez nous le principe de la non-intervention ; mais lorsque l’Italie était menacée par les armées autrichiennes, elle protesta contre leur entrée, mais elles n’en entrèrent pas moins : le ministre déclara à la tribune qu’il n’avait pu s’y opposer, mais qu’il n’avait pas consenti, Voilà le ministre qu’on nous présente pour modèle.
La Pologne était aussi sous l’égide de la non-intervention, et la Pologne a été écrasée, bien que, par l’adoption des 18 articles, nous dussions la sauver, suivant M. Lebeau ; le ministère français avait déclaré à la tribune que la nationalité polonaise ne périrait pas, et les enfants de l’héroïque Pologne sont transportés en Sibérie, et un ministre est venu dire que l’ordre régnait à Varsovie !
Peut-être aussi, plus tard, un ministre dira que l’ordre règne à Bruxelles.
On nous propose pour modèle un ministère français qui n’a pas craint de faire une espèce de contre-révolution en violant le domicile de l’immortel Lafayette pour y traquer un membre de l’ex-gouvernement provisoire de Pologne ; on a violé le domicile de Lafayette qui a été respecté par tous les gouvernernents qui se sont succédé depuis 40 ans.
(Addendum inséré au Moniteur belge n°88, du 29 mars 1833 : « Nous insérons la lettre suivante, en exprimant le regret que l’heure avancée à laquelle le sténographe a terminé le discours qui soulève ces réclamations, ne lui ait pas permis de soumettre son travail à l’honorable M. Gendebien.
« « A M. le directeur du Moniteur,
Bruxelles, le 27 mars 1833
« Monsieur, je sais qu’il a été fort difficile de reproduire exactement la discussion d’hier : je ne veux pas adresser un reproche à ceux qui en ont rendu compte ; mais je ne puis me dispenser de réclamer contre le compte qui a été rendu de mon discours, Il a été tellement défiguré, que je suis forcé de protester et contre les lacunes nombreuses et contre les non-sens, et même les contre-sens que j’y ai remarqués.
« Agréez, etc. A. Gendebien. (fin de l’addendum). »
Non, messieurs, nous ne pouvons adopter ce système qui finirait par une restauration ou par un partage.
M. Desmet. - Messieurs, la paix armée, ou, dans le langage de M. Goblet, la guerre d’attente, nous coûte terriblement cher ; si nous devions encore vivre quelque temps avec une telle paix, assurément nous cesserions bientôt d’exister. C’est peut-être là le but de ceux qui dirigent nos affaires, du moins c’est pour sûr celui de la sainte-alliance. Tous les efforts, toutes les manœuvres, toutes les intrigues de la ligue des absolutistes ne tendent qu’à lasser les peuples et à les dégoûter des révolutions qu’ils ont faites pour acquérir la liberté. Et chose inconcevable ! les nouveaux gouvernants mêmes, qui sont sortis des barricades et auxquelles ils doivent ce qu’ils sont, prêtent la main à ces despotes et concourent à faire réussir leur projet.
Mais, si vous écoutez le parti des endormeurs, tout est terminé, tout va à sa fin ; en peu de jours vous aurez une conclusion satisfaisante et une paix consolidée.
La Prusse a désarmé, les affaires d’Orient sont terminées, l’autocrate de Russie ne veut que la paix et n’ambitionne aucun agrandissement de territoire, l’Autriche a besoin de tranquillité, la Hollande doit absolument céder, étant abandonnée de ses alliés ; l’Escaut va être rendu à sa liberté, et l’entière exécution du traité des vingt-quatre articles va consommer notre séparation et consolider notre indépendance. Il ne s’agit plus que d’enregistrer tous ces résultats, chose facile comme on sait : nous en avons la parole d’un grand-maître des doctrinaires. M. de Broglie n’a-t-il point dit que les affaires diplomatiques ne se terminent jamais absolument ; ce qui fait qu’on sera toujours libre de les regarder comme terminées. Cependant les faits contrastent grandement avec l’assurance de cet optimisme.
Je ne parlerai point longuement de l’armement de la Prusse qui vient de rappeler sa réserve sous les armes, ni de la Russie dont on connaît les vues ambitieuses pour s’agrandir, et ses manœuvres continuelles pour anéantir la Belgique de septembre, et la restaurer au profit d’un allié à la dynastie moscovite ; mais je demanderai à nos ministres à quel point sont nos propres affaires ; s’ils le savent, qu’ils nous le disent ; la nation est inquiète et s’impatiente qu’on la laisse toujours dans l’ignorance de son sort.
Pour mon compte, je pense qu’elles sont toujours dans le même état, qu’elles reculent plutôt que d’avancer. Et, quoique M. Goblet nous prêche, qu’on ne peut que se tranquilliser, que ces droits sont attentivement défendus, je ne saurais me contraindre à avouer quelque confiance dans ses paroles, pas plus qu’à la déplorable journée de Louvain, où on nous disait avec un air riant et de tranquillité : soyez sans inquiétude, tout ira bien ; et il y avait aussi lieu d’être tranquille quand dans ce moment même, le prince d’Orange se trouvait à deux lieues de Bruxelles. Il est possible, qu’alors comme aujourd’hui, certaines personnes soient sans inquiétude, et peut-être même satisfaites des événements.
L’expédition d’Anvers n’a résolu aucune difficulté, Guillaume est maître de l’Escaut. On l’a sommé, il est vrai, de reconnaître la liberté du fleuve. Mais à quelles conditions ? Il n’a pas disputé sur le droit ; il s’est empare du fait. C’est ainsi qu’il établit sa souveraineté sur l’Escaut en interdisant la libre entrée aux navires de France, d’Angleterre et de Belgique. Le blocus dont on fait tant d’étalage n’est qu’un acte d’injustice et d’iniquité envers les particuliers, et un leurre diplomatique, qui n’aura aucun résultat, et qui tournera entièrement au profit du commerce anglais. Lord Palmerston et M. de Talleyrand perdent leur temps à échanger des propositions ; la diplomatie s’épuise en expédients et n’aboutit qu’à prolonger les délais.
Non, messieurs, nos affaires n’avancent guère, et la nouvelle que nous avons apprise hier, que le général Sébastiani serait rentré au ministère de France, ne fait qu’augmenter mes inquiétudes ; l’idée fixe de ce diplomate est connue : c’est celle de la restauration en Belgique, c’est ainsi qu’il veut aplanir les difficultés européennes en nous sacrifiant au statu quo de 1815.
Qu’on ne cherche donc point à nous abuser sur notre situation. Toutes les difficultés, dont la diplomatie a poursuivi si laborieusement la solution, sont encore pendantes.
Plus on négocie, plus elles se compliquent et paralysent les efforts que l’on fait pour les résoudre. Les puissances, qui avaient simulé une espèce d’union européenne dans la conférence de Londres, paraissent moins disposées que jamais à s’entendre. Tout ce que j’attends des négociations, dis-je, c’est qu’on veut gagner du temps, et nous tenir dans le marasme profond où s’étend peu à peu l’esprit public. Oui, ces lenteurs sont un dissolvant actif dans l’ordre politique. D’une part, elles exterminent complétement notre existence matérielle et, par cette énorme contribution de guerre, elles approchent l’Etat d’une banqueroute. D’une autre part, on réussira par elles à faire périr notre énergie morale qui bientôt n’aura plus ni esprit public, ni parti, ni conviction. Et ici la diplomatie est activement aidée, il me semble, par les hommes qui nous gouvernent, qui prêtent la main pour lasser la nation, porter la discorde dans son sein, et briser cette précieuse union qui nous a donné tant de force pour chasser le despote et accomplir notre révolution.
Une fois on veut disputer au peuple le droit de pétitionner, ou du moins on veut lui fixer des bornes qu’il ne pourra outrepasser quand il se trouvera lésé par l’administration, et qu’il voudra adresser ses plaintes à ses mandataires. Une autre fois on vous présente un projet de loi, par lequel on surpasse Guillaume d’une plus belle manière encore ; on vous demande de sanctionner une disposition qui en vertu de la liberté des cultes, ferait porter le mousquet aux aspirants du sacerdoce. Pouvait-on jeter un plus grand brandon de discorde dans la nation belge, et pouvait-on trouver de meilleurs expédients pour la rendre inquiète et la diviser en mille et mille parties ?
Divisez, et vous dominerez, dit Machiavel. Je crois bien qu’on veut suivre la devise du fondateur de la diplomatie, mais c’est aussi pour cette raison que nous n’avons pas encore une solution de nos affaires ; si nous étions unis, et si le gouvernement, au lieu de faire de lâches condescendances envers l’étranger, et de travailler à nous diviser pour mieux faire réussir ses prétentions à l’arbitraire, fût resté dans l’esprit de la révolution, et eût cimenté l’union dans les partis libéraux, déjà nous aurions la paix dans le pays.
Je ne pourrai donc émettre aucun vote sur le budget qu’on nous présente, si je ne reçois d’autres explications que les vagues assertions que contient le mémoire que nous a lu M. Goblet dans la séance de samedi ; et que je ne sache à quel point en est la diplomatie à notre égard ; s’il y a espoir qu’elle arrivera à une décision quelconque, si l’on veut encore longtemps laisser la Belgique dans ce marasme qui l’extermine, et si le gouvernement veut toujours la laisser remorquer par les étrangers ? C’est-à-dire si le temps n’est pas encore arrivé qu’il nous sera permis de terminer nous-mêmes nos affaires avec la Hollande.
Avant d’avoir cet apaisement, je ne pourrai, dis-je, voter l’énorme contribution de guerre, qui ne sert qu’à entretenir une armée de parade, et à alimenter certaine vanité et beaucoup de cupidités, tout en tenant la nation dans la fange du déshonneur et en ôtant successivement à nos forces militaires ces braves de septembre qui, au jour du danger, seraient encore les seuls qui défendraient nos foyers.
Quand par la loi de septembre 1831, on a autorisé le gouvernement à prendre au service de la Belgique des officiers français, certainement je n’ai jamais été dans l’intention de ceux des représentants qui ont voté la loi, de laisser faire choix des individus dont on doutait de l’opinion politique et qui n’étaient pas plus les hommes de juillet que de septembre : le vœu de la législature avait été assez clairement exprimé à cet égard. J’ose donc me persuader que M. le ministre de la guerre en aura tenu compte et qu’il n’acceptera pas dans notre armée des hommes qui en France seraient vus comme attachés au parti anti-patriotique et partisans de la soi-disante légitimité ; je le demande surtout parce que toujours je me défie de ces hommes aux couleurs blanches : ce sont des incorrigibles, qui nous trahiraient aussi bien à la restauration orangiste qu’en France à celle de la branche aînée.
Je dois aussi faire connaître au même ministre, comme l’a fait hier mon honorable ami, M. Vergauwen, combien la nation a été indignée de l’insulte grave qui a été faite à la représentation nationale, et, par conséquent, à elle-même, par un officier étranger, dans la personne de notre honorable collègue M. Gendebien ; insulte d’autant plus déplacée et inconvenante que ce que l’honorable membre avait dit à la tribune n’était point sans fondement ; car, si on en croit les journaux de province, nous ne nous sommes pas trompés sur le compte du général Magnan, et nous pouvons répéter qu’il ne jouit pas chez les Flamands de cette confiance dont jouissait si grandement le général Niellon.
Si les militaires que nous recevons à notre service connaissent peu ce qu’ils doivent à la nation, il serait bon de faire tenir aux chefs de corps de l’armée un exemplaire de notre constitution, afin qu’ils apprennent à connaître nos institutions, et s’instruisent des égards qu’ils doivent aux mandataires du peuple dont ils reçoivent la solde et dont émanent tous les pouvoirs. J’ai dit.
(Erratum inséré au Moniteur belge n°88, du 29 mars 1833) M. de Foere. - Messieurs, si, au milieu des attaques dirigées, de tous côtés de la chambre, contre le ministère, je prends la parole pour présenter sa défense, j’ai lieu d’espérer que je suis en possession d’assez d’antécédents pour avoir convaincu la chambre que je ne suis dirigé, dans mes intentions, que par les intérêts bien entendus de mon pays.
Pour ne pas prolonger inutilement la discussion, je m’attacherai particulièrement à rencontrer les points saillants des discours que vous venez d’entendre et de celui qui a été prononcé hier par mon honorable voisin qui siège à ma droite.
L’honorable député du Limbourg a reproché au ministre l’inutilité de son discours. Ce document ne nous aurait rien appris. J’avouerai que cette pièce officielle n’offre pas des faits nouveaux, Il n’apprend, sous ce rapport, rien à ceux qui ont suivi attentivement la marche de nos affaires extérieures. Mais à qui la faute ?
Il faut en accuser les événements. S’ils n’ont produit aucun fait nouveau, le ministre ne pouvait pas en communiquer à la chambre. Cependant la plainte aurait été fondée, si l’honorable membre avait signalé des faits sur lesquels le ministre ne s’était pas expliqué à la chambre, ou d’autres qu’il n’aurait pas communiqués à la chambre, alors qu’il en existait. L’orateur n’en a pas cité.
Mais un autre voisin, qui siège devant moi, l’honorable député de Tournay, a rempli cette lacune. Il a demandé communication de projets, et même d’un traité définitif, qui auraient été élaborés par des fractions de la conférence de Londres, et présentés par elles soit à la conférence, soit aux parties intéressées. Messieurs, ces actes existeraient, ils auraient été posés en dehors de notre diplomatie, et dès lors on ne peut lui en faire le reproche.
Si de semblables projets avaient été présentés à la Belgique et que leurs dispositions nouvelles eussent dénaturé le traité du 15 novembre, il aurait été du devoir du ministère, soit de les repousser, soit de les soumettre à l’examen de la chambre, en cas qu’ils continssent des mesures de conciliation, basées sur des concessions réciproques. Jusque-là le ministère ne peut être responsable de faits passés en dehors de son action. Si ces projets nous sont présentés à l’avenir, alors seulement le ministère entre en collision avec des faits qui jusqu’à présent lui sont absolument étrangers.
Pour être fondé dans sa plainte, l’honorable député de Tournay aurait dû nous prouver que le ministère avait et le droit et la force d’imposer aux membres de la conférence l’obligation de ne s’occuper d’aucun nouveau projet conciliatoire, alors que le traité du 15 novembre même en établit la faculté. Certes, l’honorable membre n’essaiera pas de nous fournir ces preuves.
Quelques orateurs sont revenus sur le traité du 15 novembre sous les rapports de la dette, de la marine et d’autres points. Je ne rouvrirai pas inutilement cette discussion. Ces faits sont accomplis ; mais je ferai remarquer, messieurs, qu’il est étrange que ce soient les mêmes membres de la chambre, qui se plaignent de la non-exécution de ce traité, et qui voudraient le défaire ; les mêmes, qui se plaignent de la lenteur de notre question diplomatique, et qui, en cherchant à dissoudre le traité du 15 novembre, nous plongeraient dans une situation dans laquelle il serait impossible de prévoir l’issue.
Le ministre des affaires étrangères a dit dans son discours que le principe de la libre navigation de l’Escaut était maintenu. De là de graves reproches. Des entraves, disent les honorables opposants sont apportées à cette liberté. Le ministre ne vous a parlé que du maintien du principe. Ces entraves sont mises par la partie récalcitrante qui se croit en droit de les mettre. Elle n’a pas encore accédé au traité du 15 novembre. Le ministre ne nous a pas nié ces entraves. Il combat, avec fermeté, pour cette libre navigation, et nos alliés emploient des mesures coercitives pour l’obtenir. Où serait le fondement de ce reproche ?
Mais s’il est vrai que des projets, dérogatoires au traité du 15 novembre, ont été élaborés et discutés dans le sein de la conférence ; s’il est encore vrai que la Hollande élève contre nous des prétentions exorbitantes et destructives dudit traité, alors ces honorables opposants ne s’aperçoivent pas qu’ils tombent dans une contradiction manifeste en arguant de l’inutilité de notre armée ; car rien ne prouverait mieux la nécessité de maintenir notre armée sur un pied respectable, et de nous préparer à soutenir la répulsion de ces actes menaçants.
Est-on bien fondé à dire que le discours du ministre est dénué de tout intérêt ? Sous le rapport de notre droit public, sous celui de la marche progressive de nos affaires extérieures et de la persistance avouée du ministère et de nos alliés dans leurs engagements et dans leur ferme résolution de maintenir nos droits, s’ils étaient attaqués, ce document a pleinement justifié mon attente. Je dirai même que le système du ministère est le seul qui, dans la position actuelle de nos affaires, convienne aux intérêts bien entendus du pays. Cette opinion ressortira de la réfutation d’autres parties des discours de nos honorables opposants.
Ils se sont beaucoup plaints de cette partie du discours ministériel où il a dit : « En supposant une solution éloignée de nos affaires, on ne peut que se tranquilliser en voyant nos droits aussi attentivement défendus par les puissances qui ont entrepris l’exécution du traité du 15 novembre. »
Entre-temps disent-ils, la nation souffre, et ils entrent dans l’énumération des souffrances et des gémissements du pays, Ils voudraient que le ministère en finît, soit par des actes d’hostilité immédiats, soit en mettant les puissances en demeure. D’abord, il y a de la partialité à présenter ainsi isolément la situation du pays, tandis que toutes les nations européennes se trouvent, par la prolongation de la question belge, dans la même position de souffrances. Pourquoi se résignent-elles à cet état de marasme ? Elles préfèrent que le nœud soit tranché par la diplomatie plutôt que par une conflagration générale. Et lorsque toute l’Europe souffre par la situation de nos affaires, est-ce bien à nous à nous en plaindre les premiers ? Je vois, moi, dans ces souffrances générales un espoir fondé que nos affaires n’en arriveront qu’à une plus prompte solution.
Ensuite, ces honorables membres, qui raisonnent dans ce sens, ne voient pas que leur argumentation soit basée sur plus d’un sophisme. Je ne ferai ressortir que le plus saillant ; ils posent en principe que les souffrances de la nation résultent de la prolongation de la question diplomatique, et ils ne mettent pas en regard de ces souffrances celles auxquelles la nation devrait se dévouer, ni les chances funestes qu’elle aurait à subir, si elle acceptait leur système d’hostilité. Ont-ils bien calculé toute l’étendue des unes et des autres ? J’ai déjà dit, dans une autre circonstance, que non seulement nous serions abandonnés par nos alliés mêmes, mais que, pour être conséquents avec eux-mêmes et fidèles aux engagements qu’ils ont contractés envers les autres Etats, ils viendraient nous arracher le succès de nos armes. J’ai dit, dans la même occasion, que ce serait servir admirablement les vues du cabinet hollandais qui, dans les deux cas, de succès et de non-succès, profiterait de l’énorme faute que nous commettrions.
En outre, nous provoquerions justement contre nous la haine de tous les Etats européens, en manquant à nos engagements et en excitant une conflagration générale, alors qu’eux-mêmes ils se dévouent aux mêmes souffrances afin de l’éviter.
Puis, après la guerre, vient encore la diplomatie. Les violences n’ont pas de durée. La guerre a son terme, par cela seul que c’est une violence. Après l’exécution du système que je combats, nous serions donc relancés sur le même terrain d’où on voudrait nous déplacer.
Enfin, ces honorables députés ont cherché à dépeindre notre alliance avec la France et l’Angleterre, comme si l’Etat belge n’était qu’une misérable corvette traînée à la remorque par deux énormes bateaux à vapeur ; en termes plus positifs, ils ont cherché à déprimer notre système d’alliance et à faire ressortie notre servilisme.
Messieurs, je ne sais si, en affaires diplomatiques d’un pays, et surtout d’un pays relativement petit, il est un système qui mérite d’être cultivé avec plus de soin et d’attention que celui des alliances. L’histoire est là, ce seul mot suffit pour quiconque l’entend et ne veut pas mettre son enthousiasme et son ardeur patriotique à la place de faits inexorables.
Ces alliés nous sont-ils restés infidèles ? Ont-ils manqué aux engagements qu’ils ont contractés envers nous ? Les faits accomplis jusqu’à présent sont encore là pour répondre. J’ai entendu retentir souvent, dans cette enceinte, ces paroles de l’opposition : « Lorsqu’on nous verrons le blocus des ports de la Hollande, lorsque nous verrons les Hollandais expulsés de la citadelle d’Anvers, alors nous croirons à la sincère alliance de la France et de l’Angleterre ; alors et alors seulement, nous croirons à la solution prochaine de nos affaires extérieures. » Eh bien ! ces faits sont épuisés ; mais les accusations ne le sont pas !
Quiconque connaît le côté le plus sensible, le plus vulnérable de la Hollande, doit rester convaincu que la suspension de son commerce extérieur, la stagnation de sa navigation est le moyen le plus court, le plus sûr, et, en même temps, le moins brutal, le moins sanguinaire, pour la forcer à accepter la solution de nos différends. Je demanderai aux honorables opposants si la Belgique dispose des moyens maritimes de la France et de l’Angleterre, pour arriver plus sûrement et plus promptement à cette solution ?
Je ne traiterai pas la question d’une autre intervention éventuelle sur le sol de la Belgique. Elle est oiseuse pour le moment. Elle dépend des éventualités mêmes. Elles sont en dehors de nos prévisions. Nous nous présenterons sur ce terrain lorsque l’avenir nous sera connu.
Je ne répéterai pas les autres raisons que le ministre de la justice vous a développées pour prouver la nécessite du maintien de notre armée ; je dirai seulement que je les appuie de toutes mes forces. J’ai dit.
M. Nothomb. - Messieurs, si je prends la parole, ce n’est pas que j’aie l’intention de répondre à toutes les parties des discours que vous avez entendus à la séance d’aujourd’hui et dans vos deux séances précédentes. Votre résolution du 14, par laquelle vous vous êtes interdit tout débat politique a été tellement perdue de vue, la discussion s’est tellement agrandie, que je suis à me demander quelle est la question dont l’examen m’est interdit. Je me trouve même dans un singulier embarras ; si je répondais à toutes les questions, je courrais risque d’être rappelé au règlement ; si je les passais sous silence je pourrais supprimer ce que j’ai à vous dire. Toutefois, je chercherai autant que possible à restreindre la discussion et à la ramener à quelques points essentiels.
Pour éviter de désagréables interruptions, je dirai qu’il n’y a rien d’officiel dans mes paroles. Je parle ici comme député, et s’il m’arrivait, en m’occupant de la marche du gouvernement, de dire nous, c’est que comme député, j’ai le droit de m’identifier avec le gouvernement lorsque ses doctrines sont les miennes.
Je pourrais me borner à renvoyer le premier orateur, M. Dumortier, aux pièces que chacun de nous possède. L’honorable orateur a cherché à établir qu’avant le traité du 15 novembre nos droits territoriaux n’avaient pas été défendus d’une manière sérieuse et approfondie, et que depuis on n’a rien fait pour obtenir quelques modifications aux 24 articles.
Ceux qui depuis deux ans ont suivi nos débats savent que le gouvernement provisoire et le comité diplomatique ont, dès le mois de novembre 1830, exposé tout notre système de limites dans les notes étendues dont l’impression a été ordonnée. Notre honorable collègue ne nous a rien appris de neuf ; je l’engage à lire ces notes. Il y trouvera le moyen de rectifier quelques erreurs que je m’abstiens de relever : il y verra entre autres que ce n’est pas le traité conclu à Campo-Formio entre la France et l’Autriche, mais le traité conclu à La Haye entre les républiques batave et française, le 27 floréal an III (16 mai 1795), qui a enlevé la rive gauche de l’Escaut à la Hollande.
En autorisant le gouvernement à signer les 24 articles, la chambre a entendu que le gouvernement fît des efforts pour obtenir quelques modifications.
D’après les instructions qu’il avait reçues, notre plénipotentiaire à Londres a demandé ces modifications par une note du 12 novembre 1831, dont l’honorable orateur trouvera le texte à la page 122 d’un des rapports officiels : notre envoyé a, entre autres, demandé la rectification de l’article concernant les dettes, en se fondant sur ce même protocole, n°45, du 6 octobre 1831, dont M. Dumortier nous a entretenus. La conférence a rejeté ces demandes dans des termes extrêmement remarquables et que nous avons souvent invoqués pour établir l’immutabilité du traité du 15 novembre.
Ces termes devenus, en quelque sorte, sacramentels pour notre diplomatie, les voici : « Les soussignés se trouvent dans l’obligation de déclarer à M. le plénipotentiaire belge que ni le fond ni la lettre des 24 articles ne sauraient désormais subir de modification, et qu’il n’est même plus au pouvoir des cinq puissances d’en consentir une seule. »
J’aborde maintenant la question la plus immédiatement en rapport avec le budget de la guerre, à savoir si nous avons besoin d’une armée, propre à prendre l’offensive.
Notre position n’est-elle, dans tous les cas possibles, que défensive ?
L’honorable orateur qui a ouvert les débats dans la séance de samedi, a dit, et je cite à peu près ses expressions : que si nos armements ont été portés au degré extraordinaire où nous les voyons, c’est qu’on a eu une fausse idée de notre situation politique. D’autres orateurs ont répété cette assertion. De deux choses l’une, dit-on : les engagements des puissances existent ou n’existent point : S’ils existent, ils nous dispensent de faire la guerre. S’ils n’existent point, il faut faire la guerre. Voilà, si je ne me trompe, l’argument dans toute sa force.
Je crois avoir, un des premiers, soutenu que les engagements que nous avons contractés dès les premiers jours de la révolution, nous ont réduits à une attitude purement défensive ; c’est là, en quelque sorte, l’état normal de la Belgique, aussi longtemps qu’elle reste avec les puissances dans la voie des traités. Mais si les puissances sortaient de cette voie, elle-même aurait le droit d’en sortie à son tour, et alors de défensive, sa position deviendrait agressive. Ce n’est pas une vaine hypothèse ; bientôt des accidents pourraient venir rompre le cours ordinaire des choses.
Pourquoi, s’est-on demandé, a-t-on redoublé en juillet dernier les armements ?
Il s’est formé, a-t-on ajouté, à cette époque entre les chambres et le gouvernement un contrat tacite, d’après lequel il n’a obtenu une levée extraordinaire d’hommes qu’à condition de faire la guerre. Je crois cette assertion inexacte : le gouvernement a promis d’amener l’exécution du traité, et pour en arriver là, il lui fallait des armements extraordinaires, il fallait qu’il pût dire aux puissances garantes : le traité sera exécuté ou par vous ou par moi ; choisissez. Dans ce dilemme était notre force. Si ce dilemme avait manqué à notre diplomatie, notre diplomatie n’eût rien obtenu.
Le cabinet actuel a pu notifier, le 23 octobre, sa formation aux puissances en leur disant, après avoir rappelé la nature des engagements :
« C’est par ces motifs et dans ce but, que le ministre plénipotentiaire de S. M. le roi des Belges a l’honneur de confirmer à son excellence le duc de Broglie, la déclaration qu’il lui a faite, que son gouvernement sera dans l’impossibilité absolue de prolonger l’attente dans laquelle il se trouve au-delà du 3 novembre prochain ; que si ce jour arrive sans que la garantie stipulée eût reçu son exécution, ou au moins un commencement d’exécution, S. M. se verra dans la nécessité de prendre possession par ses propres forces du territoire belge encore occupé par l’ennemi.
« Telle est donc la condition d’existence du nouveau ministère : évacuation du territoire pour le 3 novembre ou un commencement actif d’évacuation, soit par l’action des puissances, soit par celle de l’armée nationale. Il ne peut se soutenir au-delà de ce terme si l’une ou l’autre de ces deux hypothèses ne se réalise pas ; ce n’est là de sa part ni une volonté arbitraire ni un vain engagement ; c’est la loi irrésistible de sa position ; c’est celle qu’imposent aujourd’hui en Belgique à tout ministère, quel qu’il soit, l’état intérieur du pays et la force des choses. »
Sans nos armements extraordinaires, cette note verbale du 23 octobre n’eût été qu’une puérile menace.
J’aime à le dire ici, et je désire que mes paroles retentissent au-dehors, notre armée nous est utile, et cette utilité fait sa gloire. Son existence a amené les mesures coercitives ; son existence les fait maintenir. Le jour où nos diplomates à Londres ou à Paris ne pourraient plus faire d’appel à notre armée, le jour où il n’y aurait plus d’armée en état de prendre l’offensive, les deux puissances exécutrice sortiraient peut-être de la situation violente où elles se sont placées. C’est grâce à notre armée, que nous posons de nouveau le dilemme : « Vous exécuterez ou nous exécuterons. »
J’ai dit, messieurs, que la situation qui résulte des mesures coercitives est violente ; elle l’est pour la Hollande, pour l’Angleterre, pour la France, pour la Belgique même. Ces mesures agissent sur le commerce de la Hollande et réagissent sur celui des trois autres pays.
L’état actuel de l’Escaut est en rapport avec les mesures coercitives. Le principe de la liberté de navigation subsiste. L’Escaut est libre pour toutes les nations, à l’exception de celles qui par leur fait ont autorisé contre elles des actes de représailles. La liberté forme le droit commun ; mais, à côté du principe, se trouve l’exception que nous avons provoquée nous-mêmes. Si la Hollande, saisissant l’occasion des mesures coercitives de l’Angleterre et de la France, avait fermé le fleuve à tous les peuples, elle serait sortie du droit commun. A mes yeux, les mesures prises sur l’Escaut par la Hollande ne sont pas des actes de souveraineté, mais des actes de représailles, qui cesseraient avec les mesures coercitives.
L’honorable M. Dumortier a cité le protocole n°9, du 10 janvier 1831, qui établit une corrélation entre la liberté de la forteresse de Maestricht et la liberté de l’Escaut, et il a, en quelque sorte, sommé le gouvernement de bloquer Maestricht. Il aurait même pu rappeler que moi-même, dans une autre séance, et le premier, à ce que je crois, j’ai parlé du principe de réciprocité déposé dans le protocole du 10 janvier. Mais le cas était bien différent. Il s’agissait d’un tarif imposé à l’Escaut, de la fermeture complète du fleuve. Il n’y avait plus là acte de représaille, mais excès de légitime défense et acte de souveraineté.
Les mesures coercitives réagissent donc sur nous-mêmes. Est-ce dire qu’il faille en demander la cessation ?
Je me garderai bien de donner ce conseil, et personne parmi nous n’oserait prendre la responsabilité de cette proposition. Si l’on vous demandait : voulez-vous le rétablissement sur l’Escaut du statu quo de 1830, 1831 et 1832, par suite de la levée pure et simple des mesures coercitives, ou bien la prolongation indéfinie de ces mesures avec quelques entraves, jusqu’à ce qu’on vous offre des conditions acceptables, vous n’hésiteriez pas à vous déclarer en faveur du dernier parti. Le roi de Hollande, au contraire, si vous lui offriez ce choix se déclarerait en faveur du premier.
J’ai supposé que les mesures coercitives seront maintenues jusqu’à ce qu’on nous offre des conditions que nous puissions accepter. Ici on m’arrêtera en me disant que les conditions renfermées dans les projets présentés par la France et l’Angleterre ne seraient pas acceptables. On a soutenu qu’elles sont contraires au traité du 15 novembre considéré dans son principe et dans ses dispositions. Ce traité existe ou n’existe point. S’il existe, il faut l’imposer sans aucun changement à la Hollande, et il ne peut être question de convention provisoire. S’il n’existe point, il peut y avoir une convention provisoire, mais alors que devient l’assertion ministérielle ; « Le traité du 15 novembre est notre droit public ? »
Je suis tenté de croire, messieurs, qu’on n’a pas étudié attentivement les projets que les journaux ont successivement publiés et qui se trouvent maintenant sur le bureau. Je dis que ces projets sont autant d’exécutions partielles du traité.
En effet, quatre objets principaux tombent dans l’exécution : la reconnaissance de la neutralité, la liberté de l’Escaut et de la Meuse, ces deux objets sont à notre avantage ; l’abandon des territoires et le paiement de la dette, ces deux objets sont à notre désavantage.
Je m’arrête au dernier projet de convention, celui du 3 février, annexe 3 de la note du 14 février, les projets précédents pouvant être considérés comme écartés par celui-ci. Eh bien ! le projet du 3 février stipule : « Art. 1. La neutralité perpétuelle et par conséquent un armistice indéfini. » « Art. 2. La liberté de l’Escaut sur le pied de 1831 et 1832, par conséquent l’assimilation de ce fleuve à la pleine mer. » « Art. 3. L’ouverture de la Meuse. » Il renvoie par l’article 4 les autres questions à un arrangement définitif, et quelles sont ces questions ? Ce sont les dispositions, désavantageuses à la Belgique. « L’évacuation territoriale et le paiement de la dette. » Il y a quelque chose de bizarre dans ce système qui consiste à exécuter le traité en faveur de la Belgique, et à la suspendre au préjudice de la Hollande.
Il y a cinq mois, je le confesse, dans la discussion politique la plus mémorable de cette session, j’ai presque taxé ce système d’utopie. Je vous disais alors : « Il y avait entre l’exécution du traité et sa destruction un milieu, c’était le statu quo à la suite de la reconnaissance de toutes les cours… Reconnus par l’Europe, nous aurions pu essayer d’un état de choses qui, d’une part, nous privait de la citadelle d’Anvers, mais, d’autre part, nous conservait en entier le Luxembourg, la rive droit de la Meuse, qui assimilait l’Escaut à la pleine mer et qui nous permettait de ne pas payer nos dettes. Dans cette hypothèse, la véritable question à l’ordre du jour eût été la navigation de la Meuse. Il aurait fallu obtenir l’ouverture de cette rivière, faire déclarer la Hollande déchue des arrérages de la dette ; ce statu quo, à part l’idée d’incertitude devenait très tolérable. »
Ce statu quo, messieurs, se trouve formulé dans l’annexe 3 que l’on a bien mal comprise. Il y a même une condition de plus que celles que j’avais posées : la reconnaissance formelle de la neutralité qui fait disparaître l’incertitude que je redoutais.
Mais, dira-t-on, comment croire que les puissances entreprennent de faire exécuter le traité en ce qu’il a de favorable pour nous, et de le suspendre en ce qu’il a de défavorable. Nos deux alliés ont justifié cette politique dans la note du 14 février. Le roi de Hollande a des répugnances de reconnaître formellement l’indépendance belge ; d’abdiquer, en un mot. On lui a dit : Il vous répugne de reconnaître un peuple aujourd’hui reconnu par l’Europe entière ; nous respecterons vos répugnances. Permis à vous de remettre indéfiniment cette reconnaissance qui vous peine, mais nous allons remettre indéfiniment aussi l’exécution du traité dans ce qu’il a d’avantageux pour vous.
Voilà, messieurs, comme on a habilement et justement rattaché la question de reconnaissance à la jouissance de tous les avantages qui résultent du traité pour la Hollande. Et le peuple hollandais serait privé de tous les avantages parce qu’il y a un mot qui répugne à son roi ! car le mot seul nous manquerait, car, je le déclare ici dès à présent, la reconnaissance de la neutralité nous suffirait ; elle nous donnerait une sécurité absolue. Le jour où le roi de Hollande regardera le territoire comme devenu inviolable pour lui, il aura abdiqué, quoi qu’il dise et quoi qu’il fasse.
Je m’attends encore à entendre soutenir que cette neutralité serait illusoire ; cependant la Suisse n’a jamais obtenu d’abdication formelle de la maison d’Autriche. Elle a obtenu une trêve, et puis la neutralité. Voilà un fait ; voici une hypothèse. Si, à l’époque où l’héroïque Pologne luttait encore, on était venu vous dire : l’autocrate du Nord a octroyé la neutralité à la Pologne, qui conserve son gouvernement de fait, vous vous seriez écriés : La nationalité polonaise ne périra pas, son indépendance est assurée. Son ancien maître n’a voulu qu’éviter un mot.
Je crois avoir exposé, messieurs, le véritable caractère des négociations entreprises par la France et l’Angleterre. J’ai besoin de répéter que j’ai parlé en mon nom personnel : j’ai énoncé mes opinions individuelles. Si le statu quo, tel que les projets l’ont systématisé, venait à se réaliser, qui aurait intérêt à le voir se prolonger ? La Belgique, et non la Hollande. La Hollande, de son côté, ne peut se plaindre, car il lui serait libre de faire cesser ce statu quo en acceptant un arrangement définitif.
Messieurs, les uns paraissent ne pas comprendre notre situation politique, les autres en désespèrent. Cependant, rien n’est plus facile à définir que cette situation.
Après avoir fait un traité qui consacre la nationalité belge, la conférence n’a pu s’entendre sur les moyens d’exécution. Trois des puissances garantes voulaient les mesures coercitives pécuniaires ; deux des mesures coercitives matérielles. La résolution de ces deux dernières puissances l’a emporté. A la face de l’Europe, la France et l’Angleterre se sont chargées de l’exécution du traité. Cette résolution, à l’époque où elle fut prise, a soulevé bien des doutes, excité bien des alarmes, fait renaître bien des chances de guerre générale. Ces chances, qui tenaient les esprits en suspens, ces doutes qui sont venus nous saisir, ces alarmes qui ont plané sur l’Europe, tout a disparu. Les trois puissances du Nord sont restées immobiles.
On était tellement étonné de l’audace de cette entreprise que, la regardant comme inconsidérée, on a prédit que, la citadelle d’Anvers une fois rendue, les puissances exécutrices se hâteraient de sortir d’une situation violente en abandonnant l’exécution. Ce n’est pas là de ma part une supposition. Je pourrais citer tel discours prononcé il y a cinq mois où cette phrase se trouve textuellement. Eh bien ! ces mesures coercitives ont été maintenues.
- Une voix. - On ne s’en plaint pas.
M. Nothomb. - On ne s’en plaint pas, dit-on à mes côtés. Vous ne lisez donc pas les journaux hollandais et anglais qui sont remplis de plaintes. Vous ne savez donc pas que les cargaisons qui, à l’époque de l’arrière-saison, se dirigeaient vers la Hollande, sont saisies. On ne s’en plaint pas ! Vous ignorez donc que de riches cargaisons d’une valeur immense se détériorent en ce moment, et s’il m’était permis de parler d’une circonstance presque risible, que le sucre venu des Indes fond dans les vaisseaux sous séquestre.
On ne se plaint pas ! dites-vous ; c’est probablement parce que l’embargo ne se fait pas sentir dans le bassin de Bruxelles. Mais je vous garantis qu’il n’en est pas de même dans les ports d’Amsterdam et de Rotterdam, et même dans ceux de la Grande-Bretagne ; car les marchands de la Cité se plaignent ; ils ont été jusqu’à signer une pétition au parlement pour demander un dédommagement, et sir Robert Peel qui, je suppose, ne parle pas sans motifs raisonnables, a fait une longue dissertation pour demander la levée de l’embargo comme préjudiciable aux intérêts de l’Angleterre et contraire au droit public moderne.
Pour donner une idée des mesures coercitives, je vous rappellerai l’entreprise gigantesque par laquelle l’homme qui, au sortir de la première révolution, a gouverné la France, a voulu accabler l’Angleterre. Il a prétendu interdire à la Grande-Bretagne le commerce de continent. S’il est permis de comparer les petits événements aux grands, je dirai que le sort dont Napoléon, dans sa toute-puissance, on dirait peut-être dans le délire de la puissance, avait menacé l’Angleterre, ce sort pèse aujourd’hui sur la Hollande ; le peuple hollandais est mis au ban de l’Europe commerciale.
L’exécution du traité se poursuit par les mesures coercitives des puissances, et l’armée belge est inactive ! Vous avez à opter entre l’action des puissances avec l’inaction de la Belgique, et l’action de la Belgique avec l’inaction des puissances. Mon choix n’est pas douteux. Je crois l’action des puissances plus efficace que la nôtre, non pas que je puisse d’avance assigner le terme où la Hollande acceptera un dénouement, les choses ici-bas ne se font que graduellement et il ne faut pas exiger ce qui est en dehors des prévisions humaines ; on ne peut se livrer qu’à des calculs approximatifs mais, malgré cette incertitude, je ne désespère pas de notre cause.
Des orateurs nous ont entretenus de la politique faible et vacillante des puissances étrangères. Ces paroles ne peuvent s’appliquer à l’Angleterre et à la France. Ce serait un bien singulier anachronisme. Il y a quelques mois, lorsque le grand événement qui s’est accompli en Belgique se préparait, et qu’après en avoir nié si longtemps la possibilité, ou s’apprêtait déjà à le rapetisser, je vous annonçais que cet événement ne serait pas un incident vulgaire, j’osais vous prédire qu’il assurait à la France et à la Grande-Bretagne cette suprématie politique que leur assigne la civilisation. Peu de mois se sont écoulés et l’Orient le proclame : la suprématie politique que la France et l’Angleterre ont exercée sur les bords de l’Escaut, voilà qu’elles l’exercent sur les rives du Bosphore.
Dire en présence de ces événements que notre situation est désespérée, que le passé nous échappe, que l’avenir est couvert de nuages, c’est s’inscrire en faux contre les événements contemporains qui frappent même le vulgaire.
Le partage dont on nous a menacé, je ne le crains pas ; je vais vous dire quand je redoutais le partage et l’honorable orateur au discours duquel je fais allusion le sait peut-être mieux que moi. La Belgique était menacée du partage, après l’échec éprouvé par l’élection du duc de Nemours et le rejet des conditions, onéreuses sans doute, d’indépendance offertes par la conférence. C’est alors que les puissances, désespérant de nous constituer aux conditions qu’elles jugeaient convenables, d’opérer une restauration violente, d’obtenir une restauration spontanée, songèrent au partage comme dernier expédient. Ce projet qui eût amené l’extinction du nom belge, nous l’avons fait échouer ; je dis « nous » parce que je me suis ouvertement associé aux hommes qui avaient alors la direction de nos affaires ; nous l’avons fait échouer par une combinaison qui nous a procuré une transaction avec la conférence, les dix-huit articles, et une dynastie nationale.
Dès les premiers jours de sa révolution, la Belgique a contracté des engagements ; aurait-elle pu s’abstenir de les contracter ? C’est une question qui tombe dans le domaine de l’histoire. Ces engagements existent ; quoiqu’ils soient, il faut les exécuter. Les violer, ce serait nous exposer aux chances les plus cruelles, ce serait en même temps attirer sur nous ce mépris, ce déshonneur dont on nous parle tant.
- La séance est levée à 5 heures.