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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 25 mars 1833

(Moniteur belge n°86, du 27 mars 1833)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure et un quart.

M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

Les pièces adressées à la chambre sont renvoyées à la commission des pétitions.


MM. les ministres des affaires étrangères, de la guerre, de l’intérieur, de la justice, des finances sont présents à la séance. MM. le général Nypels et de Bassompierre, intendant militaire, commissaires du Roi, accompagnent M. le ministre de la guerre.


M. le comte de Robiano de Borsbeek demande un congé de cinq jours.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l'exercice 1833

Discussion générale

M. de Renesse donne lecture de la lettre suivante, adressée à M. le président de la chambre :

« Bruxelles, 25 mars 1833.

« Monsieur le président,

« L’ambassade de S. M. britannique a bien voulu, dans la journée d’hier, mettre à la disposition du département des affaires étrangères l’exemplaire unique qu’elle possède, depuis quelques jours, de la collection des protocoles ; je m’empresse de vous le transmettre, avec prière de vouloir bien le déposer sur le bureau ; cet exemplaire est conforme à celui récemment déposé sur le bureau du parlement anglais.

« Ce recueil s’arrête au 70ème protocole du 1er octobre 1832 ; il est intervenu, depuis, d’autres actes, étrangers à sa conférence, et dont la chambre demande la communication, savoir :

« 1° La convention conclue, le 10 novembre 1832, par le gouvernement du Roi, avec S. M. le Roi des Français, pour régler les conditions de l’entrée et du séjour de l’armée française en Belgique ;

« 2° Le thème du cabinet de Berlin et la correspondance à laquelle ce thème a donné lieu entre le plénipotentiaire hollandais et le premier ministre de S. M. britannique ;

« 3° Les projets d’arrangement successivement présentés par la France et La Grande-Bretagne, les contre-projets de la Hollande, les actes à l’appui de ces contre-projets, et notamment la note du 1er février1833 ;

« 4° Les pièces relatives à la situation de l’Escaut.

« Vous trouverez ci joint, M. le président, les quatre sortes de pièces que je viens d’énumérer.

« Une seule de ces pièces, la convention du 10 novembre 1832, étant directement émanée du gouvernement belge, je crois devoir en remettre momentanément entre vos mains l’instrument original.

« Quant aux autres pièces, j’en ai formé le recueil d’après le Moniteur Belge et les rapports publiés par le Staats-Courant. Ces pièces, il est vrai, m’ont été successivement transmises de Londres et sont restées jointes aux dépêches. Il m’aurait fallu plusieurs jours pour les faire copier ; telles qu’elles se trouvent ci-jointes, elle me paraissent très propres à être livrées à l’impression.

« Je suis certain, M. le président, que vous n’attribuez point ce procédé à un manque d’égards, mais au désir qui m’anime de satisfaire au vœu de la chambre. J’offre, du reste, de remettre dans quelques jours entre vos mains des copies manuscrites.

« Pour compléter le recueil des pièces diplomatiques, il suffirait, M. président, de joindre au rapport dont la chambre a ordonné l’impression les protocoles encore inédits, qui sont au nombre de 19, et quelques pièces postérieures au 70ème protocole.

« Je saisis avec empressement cette nouvelle occasion, M. le président, de vous réitérer les assurances de ma plus haute considération.

« Le ministre de affaires étrangères, Goblet. »


L’ordre du jour appelle la discussion du budget de la guerre sur le pied de guerre.

M. Dumortier. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.

Je crois devoir donner à la chambre quelques explications sur le résultat de la résolution qui a terminé la séance de samedi.

Dans cette séance un honorable membre a demandé que le ministre des relations extérieures fût invité à déposer sur le bureau :

1° Le discours qu’il venait de prononcer ;

2° Tous les documents diplomatiques qui jusqu’ici n’ont pas été imprimés dans les divers recueils adressés à la chambre.

Cet honorable membre a même ajouté la demande que ces documents fussent imprimés.

Le discours du ministre a été déposé sur le bureau, et vous en avez tous reçu une copie imprimée dans la journée d’hier.

Pour ce qui est des autres documents, il y avait doute sur la question de savoir si la chambre avait ordonné l’impression de ces documents. Quant à moi, j’avais cru que la chambre l’avait ordonnée samedi dernier : au sortir de la séance, M. le greffier de la chambre est venu communiquer les documents que je tiens en mains, en me demandant s’il convenait de les faire imprimer. Je ne qualifierai pas le mouvement dont j’ai été saisi à la vue de ces documents ; j’ai été vivement étonné de voir qu’ils consistaient en une main de papier blanc sur le revers, de laquelle on avait collé les documents diplomatiques pris dans les journaux et détachés avec des ciseaux. J’ai été ému d’une vive indignation quand j’ai vu que l’on se conduisait ainsi envers la représentation nationale ; je n’ai vu là qu’une mystification ; et rien autre chose.

Ce qui m’a surtout étonné, c’est que ces fragments des journaux n’étaient pas certifiés conformes aux originaux et qu’ils n’avaient aucun caractère d’authenticité. Je les ai examinés, et je pourrais signaler des passages tirés du Handelsblad et du Moniteur qui présentent des différences essentielles.

Ces pièces n’ont donc aucun caractère officiel. Dans le premier moment, je dis à M. le greffier d’imprimer les pièces puisque la chambre en a ordonné l’impression. Cependant, en ayant référé à plusieurs membres de la chambre, membres qui occupent un rang élevé dans l’assemblée, ils m’ont représenté qu’il était inconvenant de livrer à l’impression des morceaux de papier coupés avec des ciseaux dans diverses feuilles, et dont l’authenticité n’est nullement garantie.

C’est par ce motif que les pièces n’ont pas été imprimées. Je demande que M. le ministre des affaires étrangères s’explique sur ce manque d’égards, pour ne rien dire de plus, envers cette partie du pouvoir duquel émanent tous les pouvoirs de la Belgique, puisque la constitution le dit, tous les pouvoirs émanent de la nation.

Je demanderai aussi une autre explication. Puisque depuis samedi on a cru devoir changer de système et déposer quelques vrais documents diplomatiques sur le bureau, je demanderai pourquoi on ne dépose pas tous les documents ; je demanderai en outre si le ministre a déposé sur le bureau les réponses du gouvernement aux propositions dernières de la France et de l’Angleterre, la convention qui a eu lieu avec la Prusse pour l’occupation de la partie du Luxembourg et du Limbourg que les 24 articles ont impitoyablement arrachée à la Belgique ; enfin, s’il a déposé sur le bureau la convention à intervenir, et dont parlent les quatre projets de traité qui ont été soumis à la Hollande dans le courant du mois de janvier dernier, et qui ont été à la même époque présentés à la Belgique.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Messieurs, dans cette circonstance comme dans beaucoup d’autres, le ministre des affaires étrangères est accusé parce qu’il a montré trop de zèle. La chambre a désiré posséder aujourd’hui même la collection complète des protocoles. Il eût été impossible, depuis samedi, de les faire copier pour les livrer ensuite à l’impression, parce que je ne prétends pas sacrifier mes archives, en les livrant aux manipulations de l’imprimerie. J’ai donc cru que c’était entrer dans les intentions de la chambre que de prendre les moyens les plus expéditifs.

On a rassemblé les journaux qui renfermaient les documents demandés. On les a découpés avec des ciseaux, comme l’a dit l’honorable préopinant, et collés avec des pains à cacheter, parce que c’est ainsi que se pratique ce genre de transmission d’une feuille à une autre.

Voilà les motifs qui ont pu faire croire que j’agissais d’une manière inconvenante : l’explication en est simple, et je laisse à la chambre d’en apprécier la justesse.

Messieurs, l’honorable préopinant a demandé pourquoi on ne déposait pas tous les documents : je déclare ici avoir déposé sur le bureau tout ce que je puis déposer. Il s’y trouve, non seulement toutes les pièces déposées sur celui du parlement anglais, et même sur celui de la chambre française, mais encore les documents qui ont suivi le 70ème protocole. Il y a, messieurs, des documents que je ne puis maintenant faire connaître ; je dois me faire une loi d’agir selon les procédés observés par l’étranger lui-même ; sans quoi il n’y aurait plus de relations possibles avec les puissances étrangères.

Messieurs, je ne sais pas s’il entre bien dans l’objet de la discussion de parler d’une convention avec la Prusse. Je ne connais pas de convention semblable, et je puis dire qu’il n’en existe pas relativement à l’évacuation préalable des territoires cédés.

Messieurs, au sujet du véritable état de la discussion, je me permettrai de soumettre à la chambre quelques observations.

Hier, j’ai été très étonné de voir considérer mon discours comme un incident. En effet, messieurs, dans sa séance du 14 de ce mois, la chambre avait décidé qu’il n’y aurait pas de discussion générale avant la discussion du budget de la guerre, c’est-à-dire que dans la discussion de ce budget, on n’attaquerait pas le ministre de la justice, celui des finances, celui de l’intérieur, relativement aux griefs qu’on aurait à reprocher à leur administration, et que même le ministre des affaires étrangères ne serait pas attaqué sur toutes les questions qui n’ont pas un rapport immédiat avec les questions de guerre et de paix.

Cependant, les deux orateurs que vous avez d’abord entendus samedi, sont entrés dans des considérations générales, et je n’ai fait que les imiter dans le discours que j’ai prononcé.

En effet, à quoi se réduisent leurs discours ? A vous dire que vous étiez aussi instruits que moi sur l’état des négociations, parce que la France et la Hollande avaient exposé ce qui s’était passé depuis la reddition de la citadelle d’Anvers.

Quant à moi, je me suis proposé d’exposer ce que le gouvernement ferait, dans les cas éventuels qui pourraient se présenter ; messieurs, j’ai cru en cela aller au-devant des désirs de la chambre, et ne pas sortir de la discussion qui était ouverte.

Je suis ensuite revenu plus particulièrement au sujet en discussion ; j’ai traité de l’utilité de notre armée pour les négociations et de son utilité pour assurer mieux notre avenir.

Ce discours ne peut être considéré comme un incident étranger à la discussion.

Au reste, je ne sais plus où nous en sommes : je ne sais si nous avons continué la discussion mise samedi à l’ordre du jour, ou si nous avons interrompu cette discussion pour soumettre le ministre des affaires étrangères à toutes sortes d’interpellations. S’il en était ainsi, décidez que la discussion sur le budget de la guerre est interrompue, et que vous voulez vous livrer à faire d’autres interpellations qui n’auraient pas un rapport direct avec l’état de guerre et de paix du pays.

Comme ces interpellations seraient alors comprises dans la catégorie des interpellations ordinaires, il faudrait, pour m’y soumettre, quand elles ne sont pas directement en rapport avec les matières à l’ordre du jour, les déposer sur le bureau, conformément à vos usages parlementaires, afin que je puisse les examiner et y répondre. Je prierai donc les honorables membres qui ont de semblables interpellations à faire de les déposer sur le bureau, et j’y répondrai aussitôt qu’il me sera possible.

M. Gendebien. - Je ne sais par quels motifs le ministre des affaires étrangères a cherché à expliquer pourquoi il a lu le discours qu’il a prononcé samedi. Il ne lui a pas été adressé de reproches à cet égard par la chambre. Je sais qu’un journal, qui passe pour ministériel, a critiqué la conduite de ce ministre ; c’est l’affaire du ministère. Cela prouve que les ministres ne sont pas d’accord. La chambre n’a point à s’occuper de ce débat ; cela regarde l’intérieur ministériel et le journal qui passe pour ministériel.

L’honorable M. Dumortier a fait une interpellation au ministre : il a demandé s’il existait un traité sous la date du 30 octobre, entre la Belgique et la Prusse d’une part, et entre la France, l’Angleterre et la Belgique d’autre part. Je ne sais s’il y a traité ; ce que je sais positivement, c’est que la France et l’Angleterre ont proposé à la Prusse, et insisté fortement auprès de la Prusse, pour qu’elle voulût bien prendre la peine de séquestrer le Luxembourg et le Limbourg.

Le ministre ne peut pas ignorer cette circonstance ; car lorsqu’il fut pressé vivement de s’expliquer, il y a quelque temps, sur l’acceptation, sous la date du 2 novembre, de l’engagement pris par la France et l’Angleterre d’évacuer Anvers, quelle garantie il avait stipulée pour l’exécution de l’amnistie consentie le 15 novembre, dans l’impuissance où il fut de justifier cet acte imprudent, pour ne rien dire de plus, il fut obligé d’insinuer qu’il y avait des propositions de séquestre et que ces pays seraient mis dans des mains tierces. J’ai dit alors quel serait ce séquestre ; j’ai dit alors que c’était dans les mains de la Prusse que ces provinces passeraient. On n’a pas nié le fait ; mais aujourd’hui je dis positivement que la proposition en a été faite par la France le 30 octobre.

J’ai encore dit alors : Vous voulez donc faire passer sous le joug prussien nos malheureux compatriotes avant de les livrer au roi de Hollande ? On a nié le fait ; mais on a consenti le séquestre. Je demande que le ministre s’explique sur ce point : Aurait-il connaissance des propositions faites à la Prusse par l’Angleterre et la France, pour mettre le Limbourg et le Luxembourg en séquestre en ses mains ? Je demande s’il s’est engagé relativement à ce séquestre ; et quand il se sera expliqué, je saurai ce que j’aurai à vous dire encore.

M. de Brouckere. - Nous allons encore perdre notre temps. Il s’agit aujourd’hui de la discussion déterminée dans la séance de samedi, c’est-à-dire de l’examen des pièces déposées par le ministre sur le bureau de a chambre, et de l’examen du discours qu’il a prononcé.

Le ministre des affaires étrangères a dit que l’on avait mal compris son discours ; nous l’avons lu, et c’est sur ce discours que doit rouler la discussion. Si elle est ouverte sur ce point, je présenterai à la chambre les réflexions que ce document m’a suggérées. La discussion doit avoir lieu sur le ministère des affaires étrangères pour tout ce qui se rattache au budget de la guerre. Je crois que mes honorables collègues sont d’accord sur ce point.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Je suis complétement de l’avis du préopinant : il faut commencer pas décider quelle est la discussion à l’ordre du jour : s’il s’agit du département des affaires étrangères en ce qui se rattache au budget de la guerre, on peut continuer le débat commencé ; mais si par une discussion incidente on a le projet de faire toutes sortes d’interpellations au ministre des affaires étrangères, ce ministre demande que les membres qui ont l’intention de les lui adresser les déposent sur le bureau, selon nos usages parlementaires.

M. Gendebien. - Samedi dernier on se proposait de discuter immédiatement la question politique du budget de la guerre ; et cependant l’on n’est parvenu qu’après quatre heures de débats à décider que l’on discuterait aujourd’hui, lundi, cette question. Il y a décision. Pour savoir si nous avons besoin d’une armée, s’il est nécessaire de l’augmenter ou de la diminuer, il faut que nous ayons une idée bien fixe sur nos relations extérieures.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - L’honorable préopinant a tiré du langage d’une feuille qu’il a qualifiée de ministérielle une induction que nous devons repousser. Il a pensé que le langage de cette feuille trahissait dans le cabinet un dissentiment sur l’opportunité de la communication de M. le ministre des affaires étrangères. La communication du ministre des affaires étrangères, par la gravité qu’elle comporte, ne pouvait être qu’un acte du cabinet, un acte pour lequel chacun de nous prend sa part de responsabilité.

J’ai déjà eu l’occasion de m’expliquer ici et ailleurs sur ce qu’il fallait penser des articles publiés dans d’autres journaux que le Moniteur.

Dans tous les journaux non officiels, chacun peut attaquer et défendre le ministère selon sa conviction, car il est dans la destinée de tout ministère d’avoir des amis et des ennemis.

Par cela seul que dans certains journaux indépendants on attaque le ministère, prétendre que ceux qui peuvent le défendre sont néanmoins subventionnés, est une conclusion étrange et complétement fausse.

Je suis pleinement d’avis, et le ministre des affaires étrangères a rendu hommage à ce principe, qu’il y a telle partie de son département qui se lie intimement à l’administration de la guerre.

Sous ce rapport les orateurs qui s’adressent au ministre des affaires étrangères pour savoir jusqu’à quel point il est nécessaire de tenir une armée sur le pied de guerre sont tout à fait dans leur droit.

Cependant, si vous voulez vous livrer à une discussion spéciale consacrée à examiner le discours du ministre des affaires étrangères, comment terminerez-vous cette discussion ? Par le vote du budget, car il n’y a pas autre chose en question. C’est après avoir entendu les explications du ministre, ses réponses aux interpellations qui pourront lui être faites dans le cours de la discussion, que la chambre pourra arriver à un résultat utile sur le budget de la guerre. Il me semble donc qu’il faut continuer la discussion générale.

Il n’y a pas deux discussions, il n’y en a qu’une : le discours du ministre des affaires étrangères est un incident naturel de cette discussion. Je demande en conséquence qu’elle soit continuée, sans vouloir toutefois prescrire dans quel cercle seront renfermées les interpellations que l’on nous fera, pourvu qu’elles soient relatives au budget de la guerre.

M. Jullien. - Pour empêcher que la discussion ne s’égare, il faut se fixer sur ce qui a été demandé au ministre des affaires étrangères dans la dernière séance et sur ce qui a été par lui promis.

Il a été demandé communication de tous les protocoles ; il a été demandé de plus communication de tous les documents diplomatiques qui avaient traité la question belge, documents communiqués aux chambres françaises et anglaises. Il a encore été demandé les documents qui avaient suivi ces communications déjà anciennes.

A-t-on satisfait à votre demande ? Le ministre a-t-il satisfait à sa promesse. Il avait promis les protocoles. Je viens d’en voir le recueil ; mais il est en anglais. Heureux ceux qui savent l’anglais…

M. le président. - C’est le titre seul qui est en anglais.

M. Jullien. - Je n’ai pas pu ouvrir le volume ; plusieurs membres tenaient les pièces.

J’admets que ce soit le recueil complet des protocoles et que sous ce rapport, il ait satisfait à votre demande ; mais il avait été demandé tous les documents déposés à la chambre française et au parlement anglais ; on a dit que ces documents sont maintenant sur le bureau.

M. Osy, dont je regrette l’absence à cette séance, a demandé de plus et d’une manière toute particulière des réponses du gouvernement hollandais et du nôtre, que je désire vivement de connaître, savoir si notre gouvernement a consenti à l’évacuation des territoires avant la reconnaissance par la Hollande du traité du 15 novembre ; et parmi les réponses de la Hollande, je voudrais connaître spécialement celles du mois de janvier.

Le ministre a répondu qu’il déposerait tout ce que sa conscience lui permettrait de déposer. Je demande si le ministre a déposé sur le bureau les pièces demandées par notre honorable collègue M. Osy, et qui consistent, comme je l’ai dit, dans les réponses faites par notre gouvernement et par le gouvernement hollandais au mois de janvier. Je n’ai pas vu qu’on ait touché quelque chose relativement à ces documents.

J’arrive à la question incidente. Il est incontestable que l’incident qui s’est élevé se rattache essentiellement à la question du budget de la guerre, comme l’a très bien observé l’honorable M. Gendebien. La question de savoir si on doit penser à la guerre ou à la paix est à l’ordre du jour, puisqu’il s’agit de voter des fonds pour l’armée. Ainsi l’ordre et l’objet des discussions sont tracés, et il n’est pas nécessaire d’un débat pour établir ce point, comme l’a dit M. le ministre de la justice.

Nous devons continuer la discussion après avoir examiné si les communications sont complètes.

Mais si M. le ministre des affaires étrangères vous dit en conscience, car c’est en conscience qu’il a parlé, que nous devons nous contenter de sa réponse, je ne crois pas que nous puissions l’obliger à faire des communications qu’il jugera inopportunes.

Dans tous les cas, vous voyez, messieurs, qu’il faut continuer la discussion du budget de la guerre, et employer dans cette discussion les moyens donnés par les communications qui ont été faites.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Messieurs, je crois avoir satisfait à tous les désirs de la chambre. J’ai d’abord communiqué dans un volume unique tous les protocoles au nombre de 70 ; et certainement, messieurs, il n’y en a pas davantage, c’est bien assez.

On a demandé après cela communication des documents diplomatiques : cette définition est extrêmement vague ; mais j’ai cru qu’en ajoutant à la collection des protocoles les actes qui avaient suivi le 70ème, je donnais ce que l’on désirait avoir.

J’ai éprouvé d’autant moins de scrupules à communiquer ces derniers documents qu’ils sont presque tous relatifs à des négociations interrompues, à des négociations qui n’ont pas eu de suite.

Quant à ce qu’a demandé M. Osy, je ne puis satisfaire sur ce point la chambre. Les projets présentés à la Hollande ne sont plus maintenant des éléments de négociations parce que les négociations avec ce pays sont à peine reprises. Je ne sais pas sur quelles bases elles auront lieu quand on les aura renouées. Il est possible que les documents demandés puissent revenir comme éléments de négociations postérieures, et je manquerais à mes devoirs, si, dès ce moment, j’annonçais à la Hollande quels sont mes projets dans le cas où on lui proposerait telle ou telle convention provisoire.

La chambre comprendra qu’il m’est impossible de m’expliquer sur ce sujet.

Au nombre des documents qui sont déposés sur le bureau, je suis obligé de vous faire remarquer qu’il y en a que je ne puis déposer officiellement ; car il existe des protocoles que le gouvernement provisoire, que le congrès n’ont pas admis. Déposés sur votre bureau, ils ne peuvent être que des pièces historiques. Je ne les présente donc pas d’une manière officielle, puisqu’ils n’ont point place dans nos archives.

Il est d’autres documents relatifs à des négociations qui n’ont pas eu de suite et qui ne se renoueront pas ; je n’aurai pas d’explications à donner sur ces pièces.

Les documents relatifs à ce qu’a dit l’honorable député d’Anvers sont destinés peut-être à reparaître dans les négociations ; vous me dispenserez de parler de leur contenu et des clauses qu’ils peuvent renfermer.

Enfin, parmi les documents soumis à votre investigation, il y a ceux qui sont relatifs à des faits terminés. Eh bien ! messieurs, ces documents se réduisent à un seul, c’est la convention en vertu de laquelle l’armée française est entrée en Belgique et en est sortie. Voilà, messieurs, le seul document qui se rapporte à une affaire commencée. Tous les autres n’ont de relations qu’avec des affaires qui ne nous regardent plus, ou avec des affaires encore entamées et sur lesquelles il m’est impossible de m’expliquer.

M. Dumortier. - Messieurs, vous avez tous été frappés de la résistance invincible que met le ministre à communiquer à la représentation nationale les documents les plus essentiels pour décider la question qui nous occupe ; à savoir s’il faut une armée sans en faire usage, s’il faut une armée qui n’est considérée que comme l’avant-garde de l’armée française, et comme n’étant formée que pour présenter les armes à cette dernière quand elle passera de nouveau.

Le ministre a préconisé l’utilité de notre armée pour les négociations : si elle n’est bonne qu’à cela, notre devoir est de ne pas surcharger la nation d’impôts énormes pour entretenir sur pied tant de troupes, tandis que l’armée française est à nos portes et qu’elle est prête encore à intervenir si nous ne l’empêchons pas.

Un préopinant a dit qu’on ne pourrait forcer le ministre à s’expliquer sur certains points : mais nous avons un moyen de l’y contraindre, c’est de repousser tout subside pour son département ; c’est un droit que nous avons ; c’est de plus un devoir qui nous est imposé par notre mandat.

L’honorable orateur a dit que dans la séance de samedi, M. Osy avait demandé connaissance de pièces qui sont pour nous de toute nécessité, afin de savoir s’il importe de conserver notre armée : ces pièces se rapportent à des faits consommés, puisqu’elles se rapportent aux quatre traités présentés par la France et l’Angleterre à la Hollande, avec l’assentiment de notre gouvernement.

Avant de voter des subsides pour 120,000 hommes, il faut savoir si le ministère mérite notre confiance ; s’il ne nous a pas, par son adhésion aux traités dont il s’agit, livrés pieds et poings liés à la conférence.

J’ai à adresser une interpellation à M. le ministre des affaires étrangères ; j’y attache la plus haute importance.

A l’appui de la note du 14 février, que M. le ministre préconisait dans une séance précédente, se trouvent cinq à six annexes, qui consistent en projets de traités soumis, par la France et l’Angleterre, à l’acceptation de la Hollande, après avoir obtenu l’adhésion de la Belgique.

L’annexe C renferme un article qui a paru inaperçu aux yeux du pays, mais qui mérite la plus grande attention. Cet article est intitulé : « additionnel et séparé. » Je le ferai connaître tout à l’heure.

Dans l’article 3 de l’annexe, il est dit qu’en attendant que les relations entre la Hollande et la Belgique soient arrêtées par un traité définitif, etc.

Dans l’article 4 il est dit que les hautes parties contractantes s’occupent sans délai d’un traité « définitif » entre la Belgique et la Hollande.

Vous voyez, messieurs, qu’il n’est plus question du traité du 15 novembre : il faut un traité tout à fait nouveau, c’est un traité à intervenir

Voici l’article « additionnel et séparé » dont j’ai parlé :

« Il faut entendre que l’on doit regarder le projet ci-joint, le traité définitif dont il est question à l’article 4 de la présente convention, comme étant définitivement arrêter entre la France, la Grande-Bretagne, la Belgique et le roi des Pays-Bas. »

Il existe donc un traité ; ce traité a été présenté au gouvernement des Pays-Bas, et les puissances qui font nos affaires se portent fort de notre adhésion. Ainsi une explication sur ce traité est nécessaire.

Par une singularité que l’on déclarera faute de typographie, ou que l’on déclarera tout ce que l’on voudra, c’est que, dans le traité inséré au Moniteur, le nom de la Belgique a été omis dans l’article additionnel et séparé.

Je tiens ce projet imprimé par la conférence et je lis : « Attendu que le projet ci-joint, le traité définitif dont il est question dans l’article 4, est regardé comme définitivement arrêté entre la France, la Grande-Bretagne, la Belgique et le roi des Pays-Bas. »

Le ministre en rend compte d’une autre manière. Il nous dira probablement que c’est une faute d’impression. Il faut attendre. Il imprime : « Entre la France, la Grande-Bretagne et le roi des Pays-Bas. » Ainsi, d’après le ministère, le projet n’aurait pas été soumis à la Belgique. D’après les notes de Londres, il a été soumis à la Belgique.

Avant de voter une armée qui appuie les actes de la diplomatie, vous voyez qu’il est impossible de ne pas avoir des explications sur ce traité définitif. Il faut que nous sachions jusqu’à quel point nous allons porter l’oubli relativement à nos braves frères du Luxembourg et du Limbourg ; il faut que nous sachions jusqu’à quel point nous nous sommes compromis par l’entrée en Belgique des armées étrangères, faute qui aurait pu être plus grave encore sans notre adresse.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Rien n’est plus facile que de demander des explications en supposant que des pièces existent. L’honorable orateur a parlé d’un traité avec la Prusse ; il n’en a pas été question.

Il a parlé d’un traité définitif, et il n’y a pas de notes sur ce traité qui n’est pas fait. Avant de signer la convention provisoire, il a été dit qu’il serait préparé un traité définitif, mais pour ce traité définitif, des instructions n’ont pas même été envoyées à Londres ; par conséquent, ce traité n’existe pas et ne peut pas exister.

M. Dumortier. - L’incident que j’ai soulevé, je vous l’ai déjà fait remarquer, est de la plus haute importance.

Le protocole émané de la conférence et déposé sur le bureau dit que le traité définitif est joint à ce protocole. Le ministre des affaires étrangères dit que le protocole n’a pas été joint ; il ajoute « probablement, » à la vérité.

Je ferai une autre observation ; c’est que tandis que le ministre vient nous féliciter du bonheur que nous avons que nos affaires soient faites par la France et l’Angleterre, ces puissances forcent la Belgique à consentir à un traité qu’elles arrangent comme il leur plaît.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Je ne sais comment on peut puiser des arguments pareils dans le projet numéro 2. Si ce projet avait pu se réaliser, il aurait comblé tous les vœux de la Belgique. Parce qu’un traité devait être joint à cette convention, on affirme qu’il a existé ; je le déclare ce traité n’a pas été fait, et des instructions n’ont pas été envoyées à Londres pour cet objet.

M. Dumortier. - Je demanderai à soumettre une observation à M. le ministre des affaires étrangères. Je tiens à la main le rapport qui a été fait à la seconde chambre des états-généraux par M. Van Soelen, lequel montre plus de confiance pour cette assemblée que nos ministres ne nous en montrent. Il s’explique dans ce sens : « A cette occasion, on présenta au plénipotentiaire hollandais un nouveau projet, dans lequel on passait sous silence l’évacuation des territoires conservés à la Hollande. Un article séparé faisait mention d’un traité définitif, lequel, sans être définitivement arrêté, devait être considéré comme conclu entre la France, l’Angleterre et la Belgique, en stipulant que les cours de Prusse et d’Autriche seraient invitées à intervenir. »

Messieurs, je ne sais comment m’expliquer ce que notre ministre vient de dire en présence de la déclaration du ministre hollandais.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - L’observation de l’orateur vient à l’appui de mon opinion. M. Van Soelen a trouvé étonnant qu’on ait fait un traité et qu’on ne l’ait pas présenté. Ce traité n’est ni définitivement ni provisoirement arrêté, il n’a pas été fait ; il n’existe pas ; des instructions n’ont pas été transmises à notre plénipotentiaire sur ce projet de traité.

- La chambre ferme la discussion relativement à la demande des pièces, et reprend la discussion générale du budget de la guerre.

M. le président. - La parole est à M. Desmanet de Biesme.

M. Desmanet de Biesme renonce à parler dans cette séance parce que, croyant qu’elle serait consacrée à l’examen des questions politiques, il n’a pas apporté ses notes.

M. Desmaisières. - Messieurs, en parlant des gouvernements absolus qui régissaient alors presque toute l’Europe, un ancien publiciste dit dans les annales politiques qu’il a publiées à Londres en 1777 : « La multiplication indiscrète des bataillons a nécessité celle des impôts. Pour avoir beaucoup de soldats il faut se procurer beaucoup d’argent, et avec beaucoup d’argent on a beaucoup de soldats. C’est à ce cercle terrible que se réduit aujourd’hui à peu près toute la politique ministérielle de l’Europe. L’objet presque unique des délibérations dans les plus augustes conseils, c’est de trouver le moyen le plus adroit et le plus sûr de fouiller avec l’épée dans la poche des bourgeois. »

Il nous faut avouer, messieurs, que si ces paroles étaient déjà vraies il y a 56 ans, la politique ministérielle de l’Europe en général a fait depuis encore bien des progrès, et que par conséquent Linguet, s’il vivait de nos jours, pourrait avec bien plus de raison appliquer ses assertions à l’état actuel de l’Europe qu’à celui où se trouvait cette plus belle partie du monde en 1777.

Quant à nous qui ne sommes pas régis par un gouvernement monarchique absolu, nous devons surtout bien prendre garde de réaliser pour notre pays et pour notre époque les principes que l’auteur cité met à charge des gouvernements absolus ; car les réaliser, ce serait faire la critique la plus amère de notre révolution.

Remarquons bien surtout que si, à l’époque dont parle Linguet, on armait beaucoup, on cherchait à se faire de grandes ressources momentanées d’argent, afin de pouvoir beaucoup armer ; ce n’était au moins pas, comme nous l’avons vu récemment ici pour ne pas se battre, pour rester simples spectateurs des combats que d’autres soldats que les nôtres sont venus livrer à nos ennemis chez nous, pour nous, et je suis heureux de pouvoir le dire pour l’honneur belge, malgré nous. On combattait soi-même alors et pour soi-même. De cette manière on se rendait maître de faire, à l’aide de sa vaillance, tourner l’issue du combat entièrement au profit de sa prospérité intérieure, soit par les conquêtes que l’on réussissait à faire, soit par le maintien de ses possessions et des justes droits que l’on avait acquis à l’égard de l’Europe contre ceux qui étaient venus les disputer.

C’est ainsi qu’alors les sacrifices momentanés que l’on était forcé d’imposer aux peuples finissaient par être compensés et souvent même avec usure par les avantages que l’on obtenait au moyen des armées elles-mêmes, qui avaient été les causes de ces sacrifices.

Je dois ici reconnaître qu’en acceptant le traité du 15 novembre 1831, nous avons laissé aux cinq grandes puissances qui, en s’appuyant sur un droit puisé dans leur force, je dirai même dans leur toute-puissance à l’égard de notre petit royaume, nous ont imposé ce traité, la faculté d’employer tels moyens coercitifs qu’elles jugeraient convenables à l’égard de la Hollande, car nous n’avons fait aucune réserve à ce sujet.

Cette grave faute politique de notre part a porté ses fruits. Les trois puissances du Nord, représentées à la conférence, et dont il est permis de croire que deux d’entre elles auraient bien voulu porter secours à la Hollande, ont habilement profité de cette faute commise par nous, pour se dispenser de toute participation aux mesures de coercition. Elles se sont même retirées de la conférence en laissant à la France et à l’Angleterre le soin de forcer la Hollande à accéder au traité, mais en mettant en même temps pour prix de leur inaction en faveur de la Hollande des conditions plus ou moins onéreuses, tant pour notre pays que pour la France elle-même, mais peut-être, il est vrai, favorables aux principes des hommes que l’on est convenu d’appeler doctrinaires.

Ces conditions, on les a tenues secrètes et nous ne les connaîtrons positivement peut-être jamais ; mais il m’étonne que le fait de leur existence ait pu échapper à la sagacité de nos diplomates lorsqu’ils ont vu dès le mois de novembre la Prusse, cette puissance toute militaire, et qui en peu de jours peut rassembler sur le Rhin une armée de 2 à 300,000 hommes, prendre de fortes précautions pour assurer l’exécution de ces mêmes conditions.

De tout cela, il en est résulté qu’à moins d’avoir la prétention de nous battre à la fois et contre la Hollande et contre toute l’Europe, voire même contre les deux puissances auxquelles leurs propres intérêts commandaient le plus de soutenir les nôtres, qu’à moins d’avoir cette folle prétention, dis-je, nous ne pouvions combattre nous-mêmes. Force nous a donc été de sacrifier ainsi aux principes des puissances du Nord et à ceux de la doctrine qui aujourd’hui gouverne tant bien que mal et diplomatiquement presque toute l’Europe.

Qu’il me soit permis cependant, messieurs, de regretter que la France et l’Angleterre, qui récemment encore viennent de nous donner des preuves du bien qu’elles nous veulent, bien qui je ne crains pas de le dire, est d’ailleurs autant dans leur propre intérêt que dans le nôtre, n’aient pas choisi d’autres moyens que celui de l’intervention pour chercher à amener un état de choses stable et prospère en Belgique. N’eût-il pas été en effet plus profitable aux véritables intérêts de notre pays et moins coûteux en hommes et en argent pour la France, si le gouvernement français qui déjà, en nous cédant des hommes de guerre pris parmi ses plus braves et ses plus instruits, nous avait rendu l’éminent service de mettre notre jeune mais belle armée à même de pouvoir marcher de front avec la première armée du monde, c’est-à-dire avec l’armée française, eût ajouté à ce service un autre bienfait non moins grand, non moins intéressant pour nous, celui d’obtenir de la conférence, à l’aide de sa puissance alliée, que nous puissions combattre nous-mêmes et effacer ainsi de notre histoire la page funeste du mois d’août 1831, page qui sans cela restera toujours noire pour nous, et que, s’il est bien démontré aujourd’hui que nous ne la devons qu’à des causes indépendantes de la valeur et du courage de nos soldats, ceux-ci n’en brûlent pas moins du plus ardent désir d’effacer.

De cette manière, messieurs, les gouvernements français et anglais eussent laissé à la Belgique toute la gloire, tout l’honneur, et j’ajouterai même tout le profit du combat. Nous ne serions pas aujourd’hui en contestation pour les frais de ce même combat ; nous n’aurions pas eu à supporter les frais de séjour de deux armées au lieu d’une ; nous aurions été en mesure d’exiger de la Hollande de justes indemnités pour les grands travaux de réparation que nous sommes obligés de faire à Anvers et aux digues de nos polders, et enfin si la paix avec le roi de Hollande n’eût pas été signée en ce moment, elle eût du moins été bien plus près de l’être qu’elle ne l’est.

Je ne pousserai pas plus loin ces considérations politiques. Cependant, de ce que les cinq puissances qui se sont interposées entre la Hollande et nous en qualité d’arbitres ont déclaré la Belgique « Etat perpétuellement neutre », et que, persévérant dans le système qui est né de cette déclaration, elles ne nous ont pas permis et ne nous permettent pas encore de combattre nous-mêmes notre ennemi, je ne puis m’empêcher de conclure que, dans cet état de choses, ce que nous avons de mieux à faire, c’est de réduire la position « d’arme au bras, » à laquelle nous sommes condamnés, à l’état le moins coûteux possible.

Je suis loin de penser, toutefois, qu’au mal de maintenir notre armée sur un pied qui, pour paraître très respectable, n’en est pas moins ruineux, il faille remédier par un plus grand mal encore, celui qui consisterait à licencier tout ou une partie de l’armée ; je crois au contraire que, malgré la décision des cinq puissances arbitres qui nous ont imposé la condition de neutre à perpétuité, nous ne devons pas moins nous tenir prêts, et prêts de telle manière que nous soyons à même de saisir avec avantage l’occasion qui finira infailliblement par résulter des discussions diplomatiques qui ont lieu à notre égard, que nous devons nous tenir prêts, dis-je, à pouvoir combattre dans les rangs de nos alliés naturels si l’Europe vient à se brouiller, soit terrasser nous-mêmes notre ennemi si, ne pouvant dompter sa résistance pas la diplomatie, l’Europe nous permet enfin de faire usage de nos armes.

Mais le moment où nous obtiendrons cette permission, messieurs, est peut-être fort éloigné, et pour que nous nous trouvions alors encore comme aujourd’hui en mesure d’agir efficacement, il nous faut en attendant être extrêmement économes, je dirai même avares des deniers publics ; il nous faut bien prendre garde d’épuiser nos ressources et de tomber ainsi dans le piège machiavélique que nous tend le système de temporisation adopté par notre ennemi ; il nous faut enfin éviter les prodigalités et l’emploi en pure perte des énormes contributions que nous sommes obligés de lever sur les sueurs du peuple, lequel peuple, gardons-nous bien de l’oublier, ne nous a envoyés ici que pour soutenir ses droits, veiller à la réforme des abus qui pourraient avoir été commis à son égard, et empêcher de nouveaux projets d’abus de se réaliser dans l’avenir.

Or, messieurs, en examinant le projet de budget du département de la guerre, tel qu’il a d’abord été présenté, nous n’avons pas eu peine à y reconnaître des projets de prodigalités et d’abus. Il suffit de jeter les yeux sur le rapport que vous a présenté l’honorable rapporteur de la section centrale, et sur la réponse qu’y a faite le ministre, pour demeurer convaincu de ce que je viens d’avancer.

En effet, le ministre ayant lui-même consenti à une réduction de dix millions environ, vous a donné la meilleure preuve de ce que dans son projet primitif de budget il s’était glissé des projets d’abus et de prodigalités.

Ayant fait partie de la section centrale, je me bornerai à vous présenter quelques observations à l’appui des économies demandées et que, sans nuire à la lucidité de son beau travail, l’honorable rapporteur ne pouvait renfermer dans le cadre d’un rapport général.

Notre armée, et c’est ici une justice à rendre à M. le ministre de la guerre, est aujourd’hui organisée et mise sur le meilleur pied. Les soldats qui la composent ont généralement acquis toute l’instruction que l’on peut raisonnablement attendre d’hommes auxquels il n’a pas encore été permis de faire la guerre ; et quand la guerre viendra, l’expérience, aidée du noble désir de venger les outrages faits à la nation, ainsi que par le vif amour de la patrie qui est dans le cœur de tous nos soldats, aura bientôt complété cette instruction.

La valeur du Belge est assez connue d’ailleurs, et je n’en voudrais d’autre preuve que celle-ci : c’est que l’empereur Napoléon avait peuplé en grande partie de soldats belges son invincible garde. S’il vous est arrivé comme à moi, messieurs, de visiter dans le temps les casernes de cette garde impériale, vous avez dû y entendre parler presque autant flamand que français ; et cependant nous ne formions à cette époque qu’une bien petite partie du vaste empire dans lequel se recrutait la grande et valeureuse armée française.

J’ai vu avec plaisir que M. le ministre de la guerre a su profiter de ce qu’aujourd’hui notre armée est en état de se présenter avec avantage dans l’arène des combats, et de ce que le roi Guillaume lui-même a diminué ses dépenses du moment par l’envoi en congé d’une partie de son armée, pour aussi rendre nos dépenses actuelles moins fortes en accordant des congés successifs à ceux de nos soldats qui n’ont plus l’expérience de la guerre à acquérir pour achever leur instruction.

Je ne puis qu’engager fortement M. le ministre à persévérer dans cette voie d’économie, et je l’engage d’autant plus à y persévérer que je suis convaincu que cela n’ôtera rien au mérite de nos soldats en fait de discipline, instruction et courage. Je crois même qu’en prenant cette mesure, M. le ministre ne l’a point établie sur d’assez larges bases, et qu’il s’est laissé déterminer par une pensée de prudence, très louable, sans doute, qui lui commandait d’être circonspect et de ne pas causer trop de vide dans l’armée.

Dans un petit pays comme le nôtre, on ne doit pas ainsi trop se laisser dominer par la crainte de n’avoir pas tous ses défenseurs réunis instantanément lorsque le signal du combat est donné. D’ailleurs pourquoi ne pas suppléer à cet inconvénient, si réellement c’en est un, en tirant un parti plus utile qu’on ne l’a fait jusqu’ici de la garde civique ? Il. suffirait d’imiter en cela plusieurs gouvernements absolus qui savent bien, eux, tirer parti de la milice bourgeoise dans l’intérêt de leurs principes

Une des causes qui retarderont peut-être encore de longtemps l’émancipation politique de l’Espagne, messieurs, c’est le parti que les absolutistes de ce pays ont su tirer de la milice bourgeoise. Les 200,000 volontaires royalistes, qui ne sont autre chose qu’une garde nationale volontaire, présenteront encore longtemps un obstacle presque insurmontable aux changements que les hommes animés de l’esprit de libéralisme voudraient voir apporter au mode de gouvernement établi en Espagne.

Pourquoi donc ne pas faire ici aussi un appel aux volontaires des divers bans de la garde civique ? Pourquoi, lorsqu’on les aurait organisés par cantons ou districts séparément du reste de la garde civique, ne pas prendre des mesures telles que l’on puisse au besoin réunir sur tel ou tel point menacé les volontaires des cantons qui avoisinent ce point ? Le gouvernement ne pourrait-il pas transmettre aux officiers commandants territoriaux, pour les cas d’urgence, sous leur responsabilité personnelle et sauf à en rendre compte au ministre dans les 24 heures, le pouvoir qui lui aurait été accordé par la législature de mobiliser momentanément les gardes civiques volontaires des cantons qui seraient menacés d’une irruption de la part de l’ennemi ?

Je ne l’ignore pas, messieurs, pour en venir là il faudrait préalablement une bonne loi sur la garde civique. Le gouvernement paraît l’avoir senti aussi, car je sais qu’il s’occupe activement de se mettre à même de pouvoir présenter bientôt un nouveau projet de loi. Mais nous n’en devons pas moins regretter qu’il ait tardé si longtemps de s’est occuper aussi sérieusement qu’il le fait à présent. Lorsqu’on est menacé de la guerre, c’est de la guerre qu’il faut s’occuper avant tout. Aussi me paraît-il que, pour notre pays, de bonnes lois sur l’organisation de l’armée et de la garde civique sont les plus grandes nécessités du moment.

Les volontaires de la garde civique ne vous manqueraient pas, messieurs ; car sous le régime d’une constitution telle que la nôtre, dans une monarchie qui, comme la nôtre, approche aussi près d’une république qu’il est possible à une monarchie d’en approcher, lorsque la patrie est menacée, elle appelle aux armes tous ses enfants, et tous ses enfants doivent répondre à son appel parce que tous ont pris leur part dans la souveraineté du peuple dont est émané le gouvernement que l’ennemi du pays tend à renverser.

Ici on ne fait pas ce que faisaient les gouvernements de l’Europe en 1777. On ne fouille pas, on ne doit pas fouiller avec l’épée dans la poche des bourgeois, parce que tous, quand la patrie est en danger, sont militaires et bourgeois ; tous contribuent à aider l’Etat, et de leur personne et de leur argent. Là, moins que partout ailleurs, on doit se garder de faire du soldat un simple mercenaire ; là, on doit toujours et principalement s’attacher à faire en sorte que ce soit par l’honneur de servir glorieusement son pays que le zèle et le courage du soldat soient stimulés ; c’est dans un tel pays enfin que l’on peut tirer le plus grand parti d’une milice citoyenne.

Et c’est surtout lorsque ce pays peut bien avoir à soutenir une guerre défensive, mais ne peut, sans enfreindre les traités qui lui ont été imposés par de puissants voisins, entreprendre de guerre offensive. Mais, je le répète, il faut d’abord à cet égard de bonnes lois, et il faut ensuite dans le gouvernement la ferme volonté d’exécuter et faire exécuter ces lois.

Et qu’on ne vienne pas essayer de réfuter ce que je dis ici en faveur de l’institution de la garde civique, en rappelant à votre souvenir les événement du mois d’août 1831 ; à cet égard, j’aurai bientôt moi-même repoussé la réfutation : en effet, que l’on me dise ce qu’avant ces événements il s’est passé entre le gouvernement et la garde civique ? N’avons-nous pas vu que les gardes civiques de toutes les parties du royaume étaient animés du meilleur esprit et du plus grand zèle pour voler au secours de la patrie ?

N’avons-nous pas vu que, déjà bien avant ce fatal mois d’août, tous ne cessaient de demander à grands cris qu’on leur donnât des armes afin de s’instruire et se tenir prêts à pouvoir combattre l’ennemi s’il se présentait ? N’avons-nous pas vu le gouvernement d’alors répondre à ces demandes réitérées par des espèces de fins de non-recevoir ? N’avons-nous pas vu que lorsque enfin notre ennemi, jugeant avec raison le moment favorable, vint à l’improviste envahir notre pays, les gardes civiques de toutes les parties du royaume se levèrent en masse et pour ainsi dire comme un seul homme pour repousser cet ennemi ? Qu’on me le dise, de quoi n’eût pas été capable un pareil élan de la milice citoyenne si l’on n’avait pas eu soin de rendre d’avance cet élan inutile en refusant à cette milice et des armes et l’instruction nécessaire pour se servir de ces armes avec avantage ?

Et puis, d’ailleurs, messieurs, si peu de temps après dans le Luxembourg, que l’imprévoyance du ministère avait laissé dégarni, une poignée de gardes civiques mal armés, mal organisés, ont pu si honorablement et si vaillamment suppléer à cette même imprévoyance du gouvernement, en faisant prisonnière presque toute une bande nombreuse d’ennemis organisés à la faveur du canon prussien et en rejetant le reste de la bande hors du pays, que n’auraient pas pu faire les nombreux gardes civiques du royaume si le gouvernement, mettant leur zèle à profil, eût mis tous ses soins à leur donner, je ne puis assez le dire, et des armes et de l’instruction et une bonne organisation ?

J’en viens à un autre abus qui vous a été signalé par l’honorable rapporteur de la section centrale. C’est celui relatif à l’état-major général de l’armée. Voici, messieurs, textuellement ce qu’a dit le maréchal de Saxe, ce célèbre et ancien tacticien, dans une de ses notes qui ont été commentées par M. de Bonneville, et ont servi à celui-ci pour composer son ouvrage intitulé : « L’esprit des lois de la tactique. »

« L’on sera certainement obligé de faire une réforme aux équipages des généraux et à ceux des officiers de l’état-major, ainsi qu’à la somptuosité de leur table.

« Ces premiers et seconds grades militaires ont été si considérablement multipliés depuis quelque temps, que si cela continue, on les avilira absolument. »

Vous ne savez que trop, messieurs, combien on a multiplié les grades supérieurs, et vous avez pu voir par le tableau fourni par la cour des comptes à la 4ème section de la chambre, et qui a été cité dans le rapport de la section centrale, que si peut-être ici ce n’est pas généralement le cas de parler de somptuosité de table, c’est au moins le cas de parler d’indemnités somptueuses de table.

Il est vrai toutefois qu’un arrêté de 1816 accorde des indemnités de table aux officiers généraux, lorsque l’armée est mise sur pied de guerre ; mais on conviendra sans contredit aussi que lorsqu’il nous est défendu (par la conférence) de nous battre, nous ne devons pas trop vite et inutilement mettre l’armée sur pied de guerre ; nous devons nous borner préalablement à la tenir sur le pied de rassemblement, et surtout ne pas considérer comme campagnes de guerre les promenades faites à l’intérieur du pays sans état réel de guerre.

En jetant les yeux sur les tableaux litteras U et V, présentés primitivement par M. le ministre à l’appui de son budget, vous aurez bientôt vu, messieurs, que non seulement les officiers non employés à l’armée ont été divisés en plusieurs catégories, mais que dans la même catégorie il y a eu encore des différences notables dans les traitements accordés, pour les mêmes grades. Vous aurez vu aussi qu’il ne sera pas nécessaire en Belgique de créer un hôtel des invalides, comme on l’a fait en France ; car les invalides que nous avons, et dont le plus grand nombre, à ce qu’il paraît, ne doit pas son placement dans les catégories dont je viens de parler, soit à des blessures, soit des « infirmités acquises dans un long service, » aimeront sans doute mieux figurer dans ces catégories avec les soldes allouées, que d’être les modestes commensaux d’un hôtel d’invalides.

Je vous avoue, messieurs, que je voudrais voir disparaître toutes ces catégories, et j’émets le vœu qu’un projet de loi nous soit bientôt présenté par M. le ministre de la guerre, pour enfin fixer le sort et l’avancement des officiers de tous grades, et aussi définir les diverses positions d’activité et de non-activité, où il peut être convenable de les placer. Cette loi devrait, à mon avis, déterminer la solde et les indemnités allouées à chacune des positions, en laissant le gouvernement libre de décider le placement des officiers dans l’une ou l’autre de ces mêmes positions.

C’est par l’honneur et une louable émulation, je le dis encore, qu’il faut conduire le militaire ; et s’il faut que l’officier soit mis dans une position de fortune appropriée au rang honorable qu’il occupe dans la société, il faut aussi se garder de ne faire qu’une affaire d’argent de l’espèce de contrat passé entre l’officier et l’Etat ; il faut que ce soit avant tout une affaire d’honneur, de courage et de zèle pour la défense de la patrie. Eh comment voudrait-on continuer à voir régner dans l’esprit de nos militaires une louable émulation, si tous les moyens paraissent être mis en œuvre pour dégoûter ceux d’entre eux qui ont l’honneur belge le plus à cœur, et qui ne cherchent leur élévation que dans leur seul mérite ? Ne voyons-nous pas chaque jour des grades accordés sans tenir compte aucunement ni de l’ancienneté de service, ni du véritable mérite militaire, ni du dévouement antérieur à la cause de la patrie ?

J’avoue, messieurs, que le gouvernement peut être quelquefois circonvenu par des intrigues, par des sollicitations que l’honnête et brave soldat, qui en est la victime, ne réussit le plus souvent pas à déjouer parce qu’il ne saurait, lui, descendre à de pareilles bassesses. Eh bien ! c’est là un motif de plus pour le gouvernement de chercher à s’armer d’une loi qui règle l’avancement, la solde et les diverses positions des officiers. Alors les intrigues et les faveurs deviendront, sinon tout à fait impossibles, du moins presque impossibles. Le loyal et brave militaire sera satisfait et n’en servira qu’avec plus de zèle et de courage ; le mécontentement ne pourra plus être fondé, et le ministre enfin pourra, en même temps qu’il sera plus certain d’être juste, agir avec toute la fermeté que doit avoir un ministre de la guerre.

Si j’en crois des informations que j’ai tout lieu de tenir pour exactes, les intendants ne font point ou peu de revues. Il serait cependant à désirer que des revues aient lieu, et, qui plus est, on ne saurait, pour éviter toute dépense inutile et toute dilapidation, les répéter assez souvent et les faire de la manière la plus minutieuse.

Il paraît aussi que l’administration de l’armée est, aujourd’hui un composé de l’administration française et de celle qui était prescrite sous le régime hollandais. Il n’y a pas de mal sans doute à ce que l’on fasse usage de ce qu’il y a de bon dans chacun de ces modes d’administration ; mais il y en aurait beaucoup à le faire sans ordre. Car, en appliquant tantôt un règlement, tantôt un autre, il doit nécessairement en résulter de la confusion, et de la confusion naissent bientôt les abus.

Pourquoi donc le gouvernement ne tire-t-il pas parti des loisirs qu’il donne aux officiers généraux et supérieurs qu’il met en disponibilité ou non-activité pour, à l’aide de l’expérience qu’ils ont acquise, et des règlements des autres pays, faire un projet de règlement d’administration de l’armée, lequel projet, après avoir été modifié ou approuvé par le ministre lui-même, deviendrait l’objet d’un arrêté royal qui le rendrait ainsi exécutoire pour toute l’armée ?

Il devrait en être de même, messieurs, de tous les autres règlements généraux relatifs au service intérieur, au service de garnison et au service en campagne. Je sais que les règlements français à cet égard sont aussi parfaits que possible, mais ils s’adaptent à un système de lois militaires tous à fait autres que les nôtres. Les règlements hollandais renferment aussi beaucoup de bonnes choses, mais il s’y trouve des ambiguïtés, des obscurités qui sont nées de la construction de phrases en usage dans la langue hollandaise, et ces règlements d’ailleurs sont entièrement adaptés au système militaire que nous avions sous le régime hollandais, tandis que depuis notre révolution notre système d’organisation militaire a été beaucoup modifié.

J’en viens, messieurs, à une dernière observation que j’ai à vous présenter : c’est qu’il est souverainement à déplorer que les comptes des exercices antérieurs n’aient pas pu être arrêtés préalablement à la fixation du budget des dépenses pour l’année courante. On ne peut mettre en doute aujourd’hui que ces exercices passés doivent avoir laissé sans emploi d’assez fortes ressources qui viendraient combler une bonne partie du déficit auquel le budget du ministère de la guerre sur pied de guerre, quel que soit le chiffre auquel vous vous arrêterez, donnera infailliblement lieu, si bien entendu vous accordez tous les crédits que nous ne pouvons refuser au gouvernement sans le mettre hors d’état de soutenir dignement les intérêts de la nation.

Au lieu de comptes on nous a donné des groupes de chiffres, et vous savez, messieurs par les aveux faits par un ministre dans une autre enceinte que celle-ci, si les ministres s’entendent dans l’art de grouper les chiffres. Les tableaux de chiffres que l’on nous a remis sont même tels que je défie d’y rien comprendre aux plus malins en fait d’administration et de comptabilité.

Je termine en déclarant qu’à moins que la discussion ne vienne m’éclairer au point de devoir modifier mon opinion actuelle, je voterai pour le budget tel qu’il a été adopté par la section centrale et auquel M. le ministre de la guerre a en très grande partie adhéré.

Puisse la vieille expérience de ce ministre surmonter tous les obstacles qui se présenteront encore sous ses pas dans la suite de la carrière de réformes où il a déjà pénétré bien avant, je le reconnais, depuis qu’il a la direction de nos affaires militaires ! Puisse ce ministre, par la continuation d’un emploi bien entendu et fait à propos de congés accordés aux militaires, par la tenue de l’armée sur un pied respectable de défense, mais non sur un pied onéreux de guerre quand il n’y a pas encore de guerre, par de bonnes mesures prises à l’égard des logements militaires, par des adjudications aussi bien dirigées dans l’intérêt du trésor que celle qu’il vient de faire pour les vivres de campagne, par une bonne administration de l’armée, enfin et surtout par des fouilles sévères faites dans la gestion des exercices antérieurs, puisse-t-il, dis-je, amener encore de grandes économies sur les diverses allocations que nous ne pouvons lui refuser aujourd’hui parce qu’il nous serait difficile, faute de données suffisantes de nous fixer à cet égard, et parce que nous devons bien prendre garde de le mettre hors d’état de nous assurer la victoire lorsque le moment de la guerre sera venu.

En agissant ainsi, à la gloire d’avoir mis notre armée sur un pied respectable, il ajoutera celle non moins belle d’avoir diminué les énormes sacrifices que le peuple belge est obligé de s’imposer en ce moment pour conserver à la fois et son honneur et sa nationalité.

M. Vergauwen. - Messieurs, je n’ai pas partagé l’opinion de ceux de mes collègues qui ont cru pouvoir séparer la discussion du budget de divers départements ministériels. Cependant j’aurais pu adopter cette marche, si tout au moins on avait fait précéder le vote du budget de la guerre d’une discussion générale, où on aurait passé en revue toutes les parties de l’administration, où on aurait pu juger la politique, le système gouvernemental de tout le ministère. Mais vous en avez décidé autrement, et je me trouve réduit à rejeter le budget de la guerre, sans pouvoir vous expliquer tous les motifs qui m’y ont déterminé.

Le rapport que le ministre des affaires étrangères est venu vous lire à cette tribune, à la séance de samedi, ne m’a prouvé qu’une chose, et je m’imagine que ce n’était pas ce dont il voulait vous convaincre, c’est l’inutilité des sacrifices énormes que nous faisons pour tenir sous les armes une armée si nombreuse. Car, messieurs, à quoi bon payer cent vingt mille hommes pour ne rien faire, et ensuite payer encore des auxiliaires pour faire vos affaires à demi ? Et c’est par où vous serez forcés de passer, quoi qu’on en dise.

Mais je ne traite pas cette question, ce n’est qu’une opinion que j’émets en passant.

Messieurs, dans une discussion récente, je me suis vivement élevé contre la tendance du gouvernement à éloigner des emplois publics les hommes de la révolution. Ce que les ministres ont dit en cette occasion n’a pas changé ma conviction ; j’ai persisté à croire qu’il y avait système et résolution prise de le mettre à exécution chaque fois qu’ils auraient pu espérer de le faire sans exciter de trop vives réclamations.

Comment les ministres ont-ils répondu à cette accusation dirigée contre eux, et à l’appui de laquelle plusieurs orateurs ont allégué des faits si nombreux, si concluants ? Par une fin de non-recevoir, par une demande anticipée de clôture, lorsque la discussion prenait un caractère si grave contre eux ; enfin, en votant eux-mêmes l’ordre du jour sur les pétitions des habitants des Flandres. Alors les ministres nous provoquaient pour la discussion de leurs budgets : c’était là le moment d’examiner leurs actes avec sévérité, de faire connaître les griefs de la nation, de leur demander compte de leur administration. Eh bien, puisque c’en est le moment, je veux revenir aujourd’hui sur un fait dont ils ne se sont pas justifiés à mes yeux.

Messieurs, je dois rappeler à votre souvenir ce que j’ai eu l’honneur de dire en cette enceinte sur la mise en disponibilité du général Niellon. Vous savez par quel moyen astucieux on le poussa à faire cette demande, comment on alla même jusqu’à compromettre la sûreté d’une partie des frontières des Flandres dans un moment critique, et, quoi qu’on en ait dit, il vous est resté dans l’esprit plus que de la surprise sur l’empressement avec lequel on mit le général en disponibilité.

Je vous demandais alors quels pouvaient être les motifs du ministre de la guerre pour en agir ainsi. Avait-il en vue l’économie si souvent réclamée de son administration, qui engloutit si inutilement toutes nos ressources, et rend notre avenir si sombre ? Mais, alors qu’on crut pouvoir se passer des services d’un homme si capable d’en rendre encore d’éminents au pays, pourquoi faisait-on arriver de l’étranger trois généraux à la fois ? Il n’y en avait donc pas de trop en Belgique ! Ou, si l’on voulait éloigner de l’armée les hommes dont les capacités ou le dévouement fussent suspects, était-ce par le général Niellon qu’on devait commencer ? Assurément, non ! Car je vous le demanderai, quel autre mieux que lui a su dans tous les temps, dans toutes les occasions, faire respecter l’honneur du pays ?

Mais, je n’en dirai pas davantage sur ce point, le ministère a persisté dans sa fatale résolution, nos réclamations comme celles de plusieurs milliers de citoyens ont été méprisées, et s’il ne paraît pas poursuivre pour le moment son système d’épurations contre-révolutionnaires, c’est que le budget n’est pas encore voté. Encore quelques jours, et vous en jugerez.

N’y aura-t-il pas quelque service à récompenser ? Personne n’a-t-il fait preuve d’un dévouement nouveau ? Une place se donne si facilement, que si elle est remplie par un autre, et peut-être convenablement, n’avez-vous pas les mises en disponibilité, en non-activité, etc... ? Une menace est partie de ces bancs, elle devait avoir du retentissement au-dehors de cette enceinte ; savez-vous quel effet elle a pu produire sur des hommes faibles, ou guidés par l’intérêt ou par l’ambition ? Je ne le sais, messieurs, mais j’aurais honte de croire à tant de bassesse.

Et voilà cependant comme on arrive à un chiffre aussi exorbitant de traitements, de mises en disponibilité et en non-activité. Je conçois qu’il est des motifs qui forcent un ministre à user de cette faculté pour diverses causes et dans l’intérêt de l’armée, et ce n’est pas l’honorable général qui est à la tête du département de la guerre à qui j’imputerai les abus qui se commettent en cette matière ; je crois même que s’il ne dépendait que de sa volonté, bien des sujets de plaintes n’existeraient plus longtemps. Il nous annonce déjà une inspection des officiers qui se trouvent en disponibilité et en non-activité ; mais qui en sera chargé, et quel esprit dirigera encore une fois cette espèce d’enquête ? Si j’en crois mes prévisions, nous ne devons rien attendre de cette mesure, et je vois déjà au profit de qui elle tournera.

Messieurs, il est un autre point sur lequel je veux un instant arrêter votre attention, et ici je ne sais quel ministre je mets en cause pour un abus grave, un attentat à la liberté individuelle, si vous l’aimez mieux. Vous avez cru devoir voter au dernier budget des fonds pour la police secrète. Si je ne me trompe, le ministre de la guerre et celui de la justice se les partagent.

En allouant à ce service, dont je ne vante pas la moralité, des sommes considérables, vous avez voulu que le gouvernement fût à même de connaître les mérites de ses ennemis tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du royaume. Mais vous seriez-vous imaginés alors, vous qui donniez ce vote de confiance aux hommes du pouvoir, qu’un jour viendrait, et si vite, que je ne sais qui s’intéresserait assez à vous pour faire recueillir avec tant de soin vos paroles, même celles qui vous échappent dans l’intimité d’une conversation particulière. Pour ma part, messieurs, objet, à ce qu’on assure, d’une attention si délicate, je voue de ce chef à qui l’a mérité toute la considération dont il peut se croire digne.

Je n’accuse personne ici, mais je dirai aux ministres d’un roi que le peuple belge s’est choisi : Prenez-y garde : où là aujourd’hui on a surpris apostés de vils agents, étaient placés naguère les satellites du gouvernement déchu, et tout leur zèle n’a pu sauver un pouvoir devenu impopulaire de sa propre ruine.

Je finirai, messieurs, par une dernière considération, sur laquelle j’appelle l’attention spéciale de M. le ministre de la guerre.

Dans la discussion sur les pétitions des Flandres, j’ai demandé si le général à qui on donnait le commandement de ces belles provinces obtiendrait bientôt la même confiance que son prédécesseur ; j’aime à le dire aujourd’hui, messieurs, le général Magnan paraît avoir rassuré les habitants de ce pays qu’une haute imprudence avait justement consternés : le soldat a foi en sa bravoure, et je crois que l’ennemi n’insulterait pas impunément notre territoire. Mais à côté d’un juste éloge, qu’il me soit permis, messieurs, d’exprimer un regret amer, que vous avez tous partagé avec moi.

Messieurs, il est un pouvoir en Belgique que nous respectons tous, et qui doit être environné de toute notre vénération. Mais à côté de celui-ci, il en est un autre qui émane également de la nation ; c’est le pouvoir législatif. Elu par le peuple belge, il exprime sa pensée, il connaît sa volonté, il défend ses droits.

La représentation nationale doit avoir à cœur sa dignité, et le gouvernement est intéressé aussi à la maintenir dans toute son intégrité. Je vous laisse juger, messieurs, si le ministère a fait ce qu’il devait faire en ce funeste débat.

Il devait savoir, lui, qu’il est quelquefois permis à un représentant belge d’exprimer une inquiétude qu’il désire vivement voir dissiper, alors qu’il a été témoin, à une époque si malheureuse pour la patrie, de tant d’hésitation, pour ne rien dire de plus,

Mais il trouvait peut-être quelqu’un jouissant en secret d’une division, qui eût bien voulu voir réduire au silence cette voix généreuse et éloquente toujours prête à dénoncer les abus, et dont les accents patriotiques retentissent toujours avec une si vive sympathie dans tous les cœurs belges.

Un discours prononcé à cette tribune par l’honorable M. Gendebien a été critiqué avec violence. On a été jusqu’à calomnier les intentions d’une partie de cette assemblée. Qu’a fait le ministre de la guerre ? A-t-il blâmé une pareille conduite ? Non, messieurs, et il est des hommes encore qui attendent leur récompense !

Et pourquoi ne la leur accorderait-on pas, puisque toute opposition dans cette chambre est devenue si importune ? Déjà n’est-il pas de bon ton près de certains hommes de dénigrer cette opposition en toute circonstance ? N’a-t-on pas osé la traiter de séditieuse ? de républicaine, avec ses souvenirs de proscriptions et de sang ? que sais-je, je ne désespère pas même d’en voir faire justice ici au moyen des baïonnettes.

Hâtez-vous donc de voter des millions ; votez-les vite, vous ne pouvez en trop voter, ni plus inutilement. Il n’y a que le peuple à qui on doit les arracher par mille vexations, qui ne soit pas pressé ; l’impatience dévore tous les autres.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Messieurs, si j’ai bien saisi une partie du discours de l’honorable préopinant, il aurait attribué au ministère de la justice, dans les attributions duquel est l’administration générale de la police, des faits qui ne peuvent être passés sous silence. Il semble, à l’entendre, que la conduite de ce membre de la représentation nationale et de quelques autres de ses collègues aurait été l’objet d’un espionnage organisé par le ministère ; je déclare n’avoir aucune connaissance de pareils actes ; et j’invite celui qui en aurait été l’objet de vouloir bien m’en faire la déclaration confidentielle ; les agents de la police qui se seraient permis une telle surveillance seraient expulsés à l’instant. Je déclare de nouveau n’avoir aucune connaissance des actes auxquels on a fait allusion et je répète l’invitation qu’on nous en fasse part, dans l’intérêt même du gouvernement, dans l’intérêt de la morale publique, prompte juste en sera faite.

M. de Robaulx. - Le ministre désire obtenir des renseignements pour savoir s’il y a eu espionnage ; eh bien, ce que je peux garantir, c’est que, depuis le congrès jusqu’il y a quelques mois, un honorable collègue, un de mes amis, M. Seron et moi, étions constamment entourés d’agents, qui restaient sous nos fenêtres jusqu’à plus de 11 heures ; enfin ils attendaient qu’on ait mis le cornet sur la chandelle. On nous suivait dans les promenades publiques, et je ne crois pas que ce fût pour leur plaisir qu’ils nous accompagnaient ; si c’était par politesse, messieurs, pour mon compte je les en remercie.

M. Gendebien. - Je n’attache pas une grande importance à la réponse de M. le ministre de la justice, mais l’honorable M. Vergauwen aurait pu nous dire que son domicile à Gand était l’objet d’investigations nombreuses, et que l’appartement où l’on conspirait contre Guillaume était l’objet de l’investigation de la police d’aujourd’hui.

Quant à moi, je mets à cela très peu d’importance : on peut me suivre tant qu’on voudra, je m’en suis expliqué en haut lieu ; il faudrait être niais pour conspirer au 19ème siècle : on fait des révolutions, mais on ne conspire pas. On peut être tranquille, jamais je ne serai assez sot pour conspirer ; mais quand je voudrais faire une révolution, je monterais sur les toits pour la proclamer, parce que quand une révolution doit se faire, ce n’est pas la police qui peut l’arrêter.

Que le gouvernement y prenne garde, qu’il cesse ces tracasseries ; la nation n’approuvera pas toutes ces vétilles qui ne servent qu’à irriter des hommes dont on contrarie les vues depuis deux ans.

Je vous dirai que dans une réunion de citoyens connus, réunion à laquelle M. le ministre de l’intérieur a même quelquefois pris part, eh bien, nous ne pouvions nous réunir une seule fois sans qu’on sût à la police tout ce qui s’est passé. J’ai reconnu de ces hommes de la police, honteux du rôle qu’on leur faisait jouer ; je ne sais si c’est par hasard que je les rencontrais, mais toujours je voyais les mêmes.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je m’associe à la réprobation dont mon collègue le ministre de la justice a frappé l’assertion émise dans cette enceinte, qu’un membre de la représentation nationale était l’objet de la part du gouvernement d’un tel espionnage ; nous repoussons ce fait avec force, nous le repoussons comme immoral, comme absurde, comme niais. L’honorable M. Gendebien vient de citer un exemple qui servirait à nous justifier si nous avions besoin de justification ; il vous a dit que j’assistais à certaines réunions qui étaient aussi espionnées : que résulterait-il de là ? que le ministre serait espionné par ses espions ? (Hilarité.) Leur zèle alors irait bien loin.

- Une voix. - Vous n’étiez pas ministre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier), continuant. - On me répond que je n’étais pas ministre, mais j’étais gouverneur, j’exerçais des fonctions importantes, et le ministre qui m’accordait sa confiance n’aurait pas mis des espions à mes trousses.

Je déclare n’avoir rien connu, ni sous le gouvernement provisoire, ni sous le congrès, d’un pareil espionnage : je déclare que quand il m’arriva sous le régent d’être appelé à l’administration de la sûreté publique, je n’ai jamais fait espionner qui que ce fût.

Je dirai que si le gouvernement était assez stupide pour redouter à l’heure qu’il est une conspiration, il n’en serait pas moins plein de confiance à cet égard dans le patriotisme de l’honorable M. Vergauwen : il est convaincu que M. Vergauwen ne songe pas à conspirer ; et si le domicile de M. Vergauwen est l’objet des investigations de la police, il peut nous signaler les agents, et aussitôt ils cesseront leurs fonctions.

M. de Robaulx. - M. le ministre de l'intérieur a fait une omission qu’il est nécessaire de relever, parce que ceux qui épilogueraient son discours, pourraient trouver qu’il n’est pas très favorable à l’honorable M. Gendebien et à moi qui n’avons pas reçu de certificat du ministre, qui a seulement dit qu’on pouvait compter sur M. Vergauwen. (On rit.) (A la question ! à la question !)

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je ne pense pas que MM. de Robaulx et Gendebien aient pu se méprendre sur le sens de mes paroles ; si j’ai répondu à M. Vergauwen, c’est parce que c’est lui qui a placé la discussion sur ce terrain. Je suis au reste encore prêt à me joindre à ces réunions dont a parlé M. Gendebien.

M. Gendebien. - M. le ministre est bien certainement persuadé que je n’ai vu là qu’une omission de sa part, mais il doit savoir aussi que je peux me passer de toute protestation de ce genre.

M. le ministre a dit que si l’on avait espionné, il l’eût été lui-même, mais cela s’est vu quelquefois ; il a invoqué mon témoignage, quant à ce qui est des réunions ; à cela je répondrai qu’il n’y est venu qu’une fois et n’a pu conséquemment acquérir la preuve que les agents étaient toujours là.

M. Vergauwen. - Quand j’ai allégué le fait, j’ai regretté d’être obligé d’en parler parce qu’il m’était personnel ; mais un haut administrateur m’a fit prévenir qu’il y avait du danger à faire une opposition si violente, que le gouvernement était informé des propos que je tenais dans les cafés et à table d’hôte.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Citez qui vous a dit cela.

M. Vergauwen. - Je vous le dirai.

M. de Theux. - Un honorable préopinant, M. de Robaulx, a dit qu’il y a peu de mois seulement qu’il a cessé d’avoir des espions autour de lui ; je crois devoir déclarer que dans les deux mois que j’ai eu la police dans mes attributions, je n’ai jamais entendu parler de M. de Robaulx comme étant surveillé, et la chambre connaît trop bien l’honorable M. Raikem pour supposer qu’il eût donné de tels ordres.

M. de Robaulx. - On se fera beaucoup de compliments et il n’y aura pas eu d’espions. (Hilarité.) (A la question ! à la question.)

M. le président. - La parole est à M. Levae .

M. Levae. - Messieurs, il n’y a que peu de jours, le ministre de la guerre se félicitait dans cette enceinte d’avoir su mettre notre armée sur un pied respectable, après onze mois de peine et au milieu de contrariétés sans cesse renaissantes. En effet, il faut le reconnaître, depuis la déplorable catastrophe qui vint tout à coup ternir l’éclat de notre révolution, le pays a fait de puissants efforts, d’immenses sacrifices, pour se mettre en mesure de repousser une nouvelle agression et de vaincre : mais au train dont la diplomatie mène ses affaires, n’est-il pas permis de se demander à quoi bon tous ces armements ?

Est-ce pour laisser impunément inonder et dévaster notre territoire par nos ennemis ? Il est vrai que ces barbaries ne s’appellent au vocabulaire ministériel que des « actes de mauvais voisinage. » Est-ce pour les y laisser consommer en toute liberté des vols et des meurtres sans en demander une éclatante satisfaction ?

Est-ce pour laisser la Hollande par de continuelles tergiversations, éloigner de plus en plus cette paix définitive et irrévocable que devait nous assurer le traité du 15 novembre ?

Est-ce pour laisser nos ennemis exercer sur l’Escaut de véritables actes de souveraineté et porter un coup funeste à notre commerce ?... mais j’oublie que M. le ministre nous annonce que le « principe de la liberté de la navigation sur ce fleuve est restée intact, et que les entraves sont en corrélation avec les mesures coercitives. » Ce qui est, comme vous le voyez, très consolant pour nous.

Est-ce enfin pour avoir en outre à indemniser des armées étrangères auxquelles nous confions le soin de protéger et de défendre notre naissante monarchie en condamnant nos soldats à la honte d’une perpétuelle inaction ?

Certes, messieurs, ce n’est pas pour laisser avilir notre patrie, pour subir toutes les tracasseries, toutes les chicanes de la Hollande que vous avez accordé au ministère tous les millions qu’il vous a demandés, et que vous avez arraché une foule de bras à l’agriculture, aux arts, à l’industrie ?

A ne consulter que le gros bon sens, quand une nation arme, c’est qu’elle veut se soustraire aux insultes de ses voisins, maintenir l’intégrité de son territoire, faire preuve de volonté ; nous au contraire, nous avons armée comme tout exprès pour aggraver l’opprobre des insultes auxquelles nous sommes en butte de la part d’un ennemi inférieur en nombre, comme pour étaler sur le passage de nos alliés la preuve que nous n’osons autant que nous pouvons ; comme enfin pour faire parade de notre soumission aux ordres de la conférence, pour ne pas dire aux moindres caprices de notre ancien maître.

Allez dans les chambrées demander ce que pensent nos braves de tout ce qui se passe : ils se regardent comme déshonorés depuis qu’on les a forcés de rester l’arme au bras, simples spectateurs d’une lutte à laquelle ils brûlaient de prendre part, et ils accusent le gouvernement d’apathie, même d’indifférence pour la cause nationale.

Mais il paraît, messieurs, que l’ardeur de nos cent mille soldats ne sera pas plus utilisée par la suite qu’elle ne l’a été jusqu’ici, et que nous aurons eu le déplaisir d’organiser une armée afin d’augmenter sans aucun fruit les charges des contribuables, de nous endetter et de compromettre pour l’avenir la fortune publique.

Sans doute quelle que soit l’étendue d’un royaume, le nombre de ses habitants, ses richesses intérieures, celles que son commerce extérieur lui procure, son indépendance ne serait que précaire, et il cesserait bientôt d’exister ; mais s’il n’avait une bonne armée, l’état militaire doit toujours être proportionné à la population, à la richesse du pays.

Voilà ce que nous apprennent tous les écrivains politiques ; mais ces préceptes nous les avons tout à fait méconnus. En effet, messieurs, la force de notre armée n’est pas en rapport avec nos ressources financières ; elle écrase le pays ; pour la conserver sous les armes, nous avons été forcées de recourir à des emprunts onéreux et d’élever des impôts, qui étaient déjà trop lourds ou qui étaient reprouves par l’opinion publique.

Pense-t-on que ce soit là un moyen bien assuré de défendre le pays, de vaincre l’obstination du cabinet de La Haye ?

Qu’on se détrompe : après avoir abâtardi notre révolution par les négociations diplomatiques, on l’assassine par nos armements, car, on ne saurait se le dissimuler, la politique du roi de Hollande n’a d’autre but que de prolonger les négociations, de gagner du temps. Pourquoi ? C’est que le temps est son plus puissant auxiliaire, c’est que l’épuisement de nos finances nous forcera tôt ou tard à désarmer, et qu’alors on aura bon marché de nous.

Voulez-vous, me dira-t-on peut-être, que nous licencions une partie de notre armée lorsque la Hollande renforce tous les jours la sienne ? Telle n’est pas ma pensée : je veux seulement montrer que l’intérêt du pays, le salut de notre cause exigent impérieusement que nous sortions de la voie funeste où la conférence nous a entraînés, et que confiants en notre bon droit et la valeur de nos soldats, nous employions enfin la force des baïonnettes pour contraindre le roi Guillaume à nous donner une paix qu’on refuse à notre imperturbable patience.

Songez-y bien, messieurs, le ministre de la guerre, en présentant le budget de l’exercice 1832, vous disait : La Belgique fait de grands sacrifices pour soutenir une cause sacrée, pour conquérir ses droits de nation, son indépendance. Une décision prompte de paix ou de guerre avec la Hollande est désirable ; l’incertitude de l’avenir fatigue, épuise le pays.

Cependant, depuis le jour où l’on vous a tenu ce langage, nous avons traversé seize mortels mois d’incertitudes, et nous ignorons toujours si elles auront enfin un terme.

Lorsque, dans votre dernière séance, M. le ministre des affaires étrangères est monté à cette tribune, en promettant de vous exposer la situation politique du pays, je m’étais attendu à quelques révélations ; mais mon attente et la vôtre ont été complétement déçues ; après avoir écouté M. le ministre, nous n’avons pas été plus instruits qu’auparavant, et nous sommes restés livrés à notre première incertitude. Tout ce que j’ai trouvé de plus positif dans le discours après l’avoir lu et relu avec grande attention, c’est qu’il n’est pas encore possible d’assurer qu’une solution soit prochaine, en sorte que le ministre paraît ne pas en savoir plus que nous, plus que tout le monde, sur notre position actuelle et sur notre avenir.

« A partir du 14 février, a dit M. le ministre, toute négociation avec la Hollande fut rompue. Il nous apprend ensuite que le cabinet de La Haye vient d’envoyer un nouveau plénipotentiaire à Londres qui a mission de renouer les pourparlers avec les puissances exécutrices. »

Ainsi, messieurs, nous sommes en ce moment moins avancés qu’an mois de février : on va renouer des négociations qu’on avait jugé nécessaire et utile de rompre, en sorte que nous allons perdre tous les avantages que nous pouvions recueillir de cette rupture, et qu’il est permis de douter, quoi qu’on en dise dans le rapport, que « les puissances exécutrices soient résolues d’exercer les mesures de coercition avec plus de rigueur que jamais. »

Et qu’avons-nous à espérer de ces nouvelles négociations ? Ne vous y trompez point : rien, absolument rien, puisque le ministère reconnaît lui-même « qu’on chercherait en vain à faire croire que dans les négociations qui ont eu lieu, le cabinet hollandais ait jamais apporté un sincère désir de conclure un arrangement définitif. »

Et qui donc vous fait espérer que son désir sera plus sincère, aujourd’hui que deux années d’une triste expérience devraient vous avoir appris à vous défier de la mauvaise foi de notre astucieux ennemi ? Je n’hésite pas à le dire, la reprise les négociations sera un pas rétrograde dont il est impossible de prévoir les suites, parce que nous rentrerons dans cette carrière inextricable de protocoles dont nous nous félicitions d’avoir pu nous tirer, et nous abandonnerons la position avantageuse que nous avions prise, grâce aux fautes et à la maladresse de nos adversaires.

Veuillez en effet, messieurs, vous rappeler que le roi de Hollande a déclaré formellement, en réponse à la note des deux cabinets du 14 février, « qu’il serait peu analogue aux formes diplomatiques d’arrêter définitivement un traité avec deux des puissances de la conférence, et qu’il ne pouvait signer un traité définitif qu’avec les cinq cours, » et vous ne pourrez plus douter que toute la politique du cabinet de La Haye ne tende à ressusciter la conférence : or, vous savez quels bénéfices, quelle justice nous pouvons en attendre.

Que voulez-vous, demande le gouvernement ?

« Des moyens violents, une agression contre la Hollande ? Mais il faudrait renoncer à l’alliance de la France et de l’Angleterre, et le ministère ne peut y consentir. »

Certes, nous ne voulons pas exiger de vous que vous vous sépariez de la France et de l’Angleterre, mais notre condescendance ne doit pas aller jusqu’à ruiner le pays, à avaler jusqu’à la lie la coupe de l’opprobre.

Ce que nous souhaiterions ? C’est que vous ne subissiez pas tous les caprices de la diplomatie hollandaise ; c’est que vous sachiez montrer une bonne fois que la Belgique sait et peut vouloir.

Si le ministère n’était pas décidé à rester « quand même » dans un inconcevable aveuglement, il n’aurait pas de peine à se convaincre que chaque fois qu’il s’est montré résolu à user de tous nos moyens pour obtenir la paix, on s’est empressé de faire droit à nos justes plaintes.

J’en trouve la preuve dans le discours même du ministre.

« Lorsque les mesures coercitives furent résolues, y est-il dit, nous étions en état de tenter de nous faire justice à nous-mêmes. (…) L’Europe voulant conserver la paix, il n’y avait plus à hésiter. Deux années de pénibles négociations pouvaient rester sans résultats : il fallait en empêcher l’anéantissement. L’Europe nous avait imposé sa garantie : deux des puissances commencèrent alors à la transformer en faits. »

L’aveu est positif, je pense, et dispense de tout commentaire.

Ministres du Roi, ne sommes-nous plus en état de nous faire justice à nous-mêmes ? En avons-nous les moyens ? Pourquoi n’exigez-vous point la pleine exécution des engagements solennels que les puissances ont pris envers nous, si elles veulent nous empêcher de l’obtenir par la force des armes ? Pourquoi n’oseriez-vous plus ce que l’on paraît avoir osé un instant l’année dernière ?

Une politique molle et timide a toujours perdu les nations ; l’énergie et l’audace les ont plus d’une fois sauvées ; c’est ce que le ministère ne devrait jamais perdre de vue, mais il paraît ne pas faire plus de cas des leçons du passé que des plus simples vérités du sens commun.

Après ces considérations générales permettez-moi, messieurs, de vous exposer rapidement quelques considérations accessoires sur lesquelles je ne crois pas inutile d’appeler votre attention, et qui se rattachent plus particulièrement au budget.

L’article 2 de l’arrêté du 18 septembre 1831 porte : « Tout officier qui recevrait des fourrages pour un nombre supérieur de chevaux à celui qu’il possède, ou qui s’en ferait rembourser la valeur par les fournisseurs, sera poursuivi comme dilapidateur des deniers de l’Etat. »

A diverses reprises on a prétendu dans les journaux que des officiers touchaient cette indemnité pour plus de chevaux qu’ils n’en avaient réellement.

Des particuliers ont dénoncé ce fait au gouvernement par écrit : il paraît que leurs plaintes, comme tant d’autres, sont restées ensevelies dans les cartons. Jamais du moins on ne s’est donné, paraît-il, la peine de vérifier si elles étaient fondées ou si elles ne l’étaient pas.

Pourtant l’article 3 de l’arrêté dit formellement : « Les généraux, lors de leurs inspections, ainsi que les intendant militaires lorsqu’ils recevront l’ordre de passer des revues d’effectifs, devront s’assurer de la présence des chevaux appartenant auxdits officiers, et les chefs de corps sont personnellement responsables de toute contravention aux dispositions qui précèdent. »

Pourquoi le ministre ne fait-il pas exécuter avec sévérité cet arrêté ? Aurait-il été prié pour rester sans exécution ?

Je sais qu’il est difficile de réprimer la fraude mais il ne faut pas qu’on laisse contracter l’habitude de ne voir dans les mesures répressives du gouvernement que de vains épouvantails, il ne faut pas que l’on puisse dilapider les deniers de l’Etat en toute sécurité ; d’ailleurs, la solde de nos officiers est assez forte pour ne pas tolérer, s’il existe, un délit qui déshonore celui qui s’en rend coupable.

Si je suis bien informé, et je crois l’être, il arrive assez fréquemment à nos militaires de vendre leurs effets.

Il doit y avoir des lois qui répriment cette faute ; en ce cas pourquoi ne les exécute-t-on pas ? Pourquoi ne poursuit-on pas avec la plus grande rigueur, au lieu de les laisser impunis, les fripiers auxquels souvent dans un moment d’ivresse le soldat vend ses habillements à vil prix ? Remarquez bien, messieurs, que je viens de vous signaler la cause principale des désordres qui surviennent dans un régiment, de toutes les infractions aux lois de la discipline, et même de la dernière comme de la plus honteuse de toutes les fautes, la désertion.

Empêchez le soldat de vendre ses effets en punissant sans pitié tous ceux qui les lui achèteraient, et vous le sauverez d’une foule d’écarts qui le mènent souvent devant les tribunaux et qu’il déplore presque toujours aussitôt que son ivresse s’est dissipée.

Je le répète, il doit exister des lois répressives de l’abus que je vous signale ; mais s’il n’en existait point, j’aime à croire que le gouvernement se hâtera de vous présenter un projet de loi à cet égard : je le demande dans l’intérêt du soldat et dans celui de la discipline sans laquelle il ne saurait y avoir de bonne armée.

J’ai pareillement remarqué avec une peine profonde qu’on avait nommé de jeunes officiers dans des corps qui n’exigent pas de connaissances spéciales ; je ne leur conteste ni beaucoup de talent, ni beaucoup de courage, mais ce que je leur conteste, c’est le droit de commander à de vieux soldats qui leur obéiront sans doute, mais sans leur accorder cette confiance si nécessaire à l’officier pour bien conduire sa troupe. Ce que je leur conteste, c’est le droit de fermer à de vieux sous-officiers le chemin de l’avancement.

Un député qui, en quittant ces bancs, y a laissé de beaux souvenirs, disait l’année dernière lors de la discussion du budget : « Les révolutions tournent les têtes et ouvrent carrière à toutes les ambitions ; la fureur de l’avancement s’est emparée de tous les jeunes gens ; il ne faut pas seconder cette ambition, mais au contraire la contenir dans de justes bornes ; il ne faut pas aujourd’hui exciter l’avidité de jeunes gens inexpérimentés par un avancement trop rapide qui n’en ferait que des sujets peu capables. »

J’espère que M. le ministre de la guerre ne perdra pas de vue les judicieuses observations de son prédécesseur et qu’il mettra tous ses soins à les appliquer avec discernement.

Peut-être m’objectera-t-on qu’on a voulu récompenser quelques jeunes gens des services qu’ils avaient rendus à la cause de la révolution ; si cette raison est vraie pour plusieurs, elle est fausse pour d’autres que je pourrais nommer.

L’abus dont j’ai l’honneur de vous parler est très grave, messieurs, car il suffit d’une seule nomination de faveur, d’un seul avancement immérité, pour faire murmurer tout un régiment. En effet quels sont les mobiles du soldat ? Ce n’est pas uniquement la soumission, l’honneur, la fidélité au drapeau ? C’est encore la conviction d’obtenir l’avancement auquel il a droit et de ne jamais voir ses vieux services méconnus.

Je désire donc bien vivement qu’une loi vienne bientôt établir des règles fixes pour l’ancienneté.

Cette loi a été en vain réclamée par les chefs des corps, toutes leurs représentations ont été inutiles ; il en est résulté dans l’armée un mécontentement d’autant plus grand que l’absence de toute règle ouvre la porte à toutes les injustices ; le caprice d’un ministre, ou la mauvaise volonté d’un employé de bureau, l’intrigue si puissante par le temps qui court, la protection d’un puissant du jour suffisent procurer un avancement que le mérite d’ordinaire obscur et modeste ne peut obtenir.

Ainsi, par exemple, tous les officiers étrangers nommés au grade de capitaine sont capitaines de première classe, tandis que les lieutenants belges qui sont promus au même grade en même temps, alors qu’ils ont en leur faveur l’ancienneté, ne sont pourtant nommés que capitaines de deuxième classe ; il résulte de là des réclamations continues dans les corps, les capitaines de première classe se prétendant plus anciens que ceux de la seconde classe.

Pourquoi jamais un inspecteur-général investi de la confiance du soldat, pourvu de la droiture, de l’énergie, de l’impartialité et des connaissances qui commandent le respect, n’est-il envoyé aux corps pour recueillir les plaintes et les réclamations ? En revêtant l’uniforme, nos militaires ne se résignent pas à toutes les injustices, à toutes les vexations ; ils ne se dépouillent pas de tous leurs droits pour devenir de véritables hilotes. Messieurs, supposez qu’un corps soit victime de son chef ; si ce corps réclame en masse, on repoussera ses plaintes, parce qu’en effet on ne peut souffrir qu’un corps armé pétitionne ; s’il ne réclame pas, on dit qu’il est content ; mais à qui s’adresser ? Comment faire connaître ses plaintes ?

Puisque je suis occupé à vous parler des abus, permettez-moi, messieurs, de vous indiquer quelques faits qui seraient presque inouïs si l’on ne savait que chaque fois qu’on s’écarte des voies étroites de l’équité, il faut s’armer d’audace, j’allais presque dire d’impudeur.

On a obligé les officiers qui avaient servi dans les rangs de nos volontaires, de biffer de leurs états de service cette immortelle campagne dans laquelle une poignée de braves délivra la Belgique de ses oppresseurs. Eh bien ! Le croira-t-on ? On a permis aux officiers qui servaient alors dans les rangs de nos ennemis, de porter sur leurs états les services qu’ils avaient rendus à cette époque, sous un drapeau que la patrie avait à jamais répudié.

Chaque officier français, allemand, etc. qui a été admis à notre service a reçu non seulement une gratification qui pour les généraux est de 10,000 francs, et pour les officiers subalternes de 1,000 à 2,000 francs, mais outre cela il en est qui ont obtenu deux ou trois grades d’avancement, tandis que des officiers belges très capables ont été complétement oubliés.

Les règlements accordent une gratification d’entrée en campagne à chaque officier : tous les officiers étrangers ont touché cette gratification, et les officiers belges, malgré rois campagnes, n’ont pas touché un denier de ce chef.

Un arrêté royal qui diminue la solde de l’armée existe. Eh bien, on assure de la manière la plus positive qu’un officier étranger nommé après la publication de cet arrêté continue à toucher les anciens appointements, et l’on prétend même que c’est par un arrêté que ces appointements lui ont été alloués ; cependant beaucoup d’autres officiers belges nommés avant lui ne reçoivent le traitement que d’après le nouveau tarif.

Enfin, chaque officier étranger qui, soit par caprice, soit par toute autre raison, demande à rentrer dans sa patrie reçoit comme gratification deux mois de solde de son grade.

Ainsi, messieurs, toujours des gratifications, des indemnités pour tous ceux qui sont nés au-delà de la frontière ; de l’argent pour venir, de l’argent pour rester, de l’argent encore pour partir : en vérité, c’est trop de munificence, et il est bien temps que nous y mettions un terme.

Si vous ajoutez à ce simple aperçu la longue nomenclature des généraux de division, généraux de brigade, colonels, lieutenants-colonels, majors, capitaines, etc., payés sans qu’ils rendent en ce moment à la patrie le moindre service, vous serez effrayés, messieurs, de la masse d’argent qui sort tous les ans du trésor en pure perte.

Lorsque les chambres, dans le courant de l’année dernière, accordèrent au gouvernement l’autorisation de placer dans les rangs de notre armée tel nombre d’officiers étrangers qu’il jugerait nécessaire ou utile au service du pays, ce fut « parce que dans certaines armes nous manquions absolument d’officiers » ; je me sers des paroles de l’exposé des motifs de la loi.

En acceptant la proposition du gouvernement, on crut donc et l’on avait le droit de croire que le gouvernement se bornerait à mettre à la tête de certains corps des étrangers possédant des capacités que les Belges n’avaient pu acquérir sous le gouvernement déchu.

Mais, je le demande à M. le ministre, n’est-ce que dans quelques armes qu’on a placé des officiers étrangers, et ne les a-t-on nommés que lorsqu’ils avaient des connaissances que les officiers belges ne possédaient point ?

Je doute que M. le ministre osât l’affirmer.

Si toutes les nominations que le gouvernement a faites ne lui ont pas été arrachées par la loi impérieuse de la nécessité, en ce cas, il a commis une faute grave qui doit faire naître dans l’armée bien des jalousies, et vous savez, messieurs, combien il importe de les prévenir, surtout dans la position difficile où la diplomatie nous a placés. Il y a plus, messieurs, c’est que si l’on a cru raffermir notre indépendance nationale en mettant beaucoup d’étrangers à la tête de nos soldats, on s’est étrangement trompé ; car, pour me servir des paroles d’un écrivain politique justement célèbre, « les armes auxiliaires, celles qu’un prince vous prête pour vous aider à vous défendre, sont toujours funestes pour celui qui les appelle, parce que si les chances de la guerre sont contraires, on reste défait ; si l’on gagne on devient en quelque sorte leur vassal ; l’opinion et la maxime des sages politiques fut toujours que rien n’est aussi faible, aussi chancelant que la réputation d’une puissance qui n’est pas fondée sur ses propres forces. »

Que ces réflexions profondes ne soient pas perdues pour nous. L’histoire de tous les temps et de tous les lieux ne prouve que trop qu’on ne les a jamais impunément méconnues.

M. le ministre de la guerre vous a dit dans son rapport qu’il venait de passer un nouveau traité des vivres de campagne pour les neuf derniers mois de l’année au prix de 45 centimes au lieu de 50, ce qui procure une diminution de dépenses de 657,883 francs.

L’expérience a beau confirmer que le mode d’adjudication publique est le plus propre à procurer des économies notables, on n’en a tenu aucun compte dans le traité qui vient d’être conclu et qui paraît l’avoir été avec une sorte de clandestinité.

Je prie M. le ministre de vouloir bien nous dire s’il est vrai qu’il a fait annoncer par affiches que la fourniture des vivres de campagnes se ferait par adjudication publique ?

S’il est vrai qu’il a déclaré à plusieurs soumissionnaires qu’il n’adjugerait pas au-delà du maximum de 44 centimes par ration ?

S’il est vrai qu’ensuite la fourniture fut adjugée sans aucune publicité à 45 centimes ?

M. le ministre répondra peut-être qu’il doit avoir confiance dans les personnes avec lesquelles il contracte, pour qu’un soumissionnaire gagné par l’ennemi ne fasse pas manquer le service et compromette aussi l’armée et le pays.

Mais comment cette puissante considération ne l’a-t-elle pas empêché, au mois de décembre dernier, de mettre à trois reprises différentes la même fourniture en adjudication publique ? Comment enfin ne l’a-t-elle pas empêché tout récemment de faire annoncer au public qu’on suivrait de nouveau le même mode ? Comment ces craintes lui sont-elles survenues si subitement ?

La validité de l’adjudication étant en ce moment attaquée devant les tribunaux, j’espère que M. le ministre voudra bien nous donner à cet égard des explications catégoriques.

Si nous étions dans des circonstances ordinaires, je le déclare formellement, je n’hésiterais pas un instant, d’après toutes les considérations que j’ai eu l’honneur de vous soumettre, de donner un vote improbatif au budget ; mais lorsque je songe que notre avenir est toujours enveloppé de sombres nuages ; que la guerre peut éclater d’un instant à l’autre, et qu’un ennemi perfide veille à nos frontières, je l’avoue, je recule devant la seule pensée de compromettre le service de l’armée. Cependant, comme je suis décidé, dans l’intérêt des contribuables qui ont dû s’imposer tant de sacrifices pour subvenir aux besoins de l’Etat, à appuyer toutes les réductions justes ou possibles, je crois devoir réserver mon vote.

M. de Brouckere. - Messieurs, il y a dans la discussion qui vous occupe aujourd’hui, deux parties tout à fait distinctes, l’une se rapportant à ce qui a été dit dans la séance précédente et se rattachant aux relations extérieures, l’autre se rapportant spécialement à ce qui concerne l’administration de la guerre. Pour aujourd’hui je me renfermerai dans ce qui concerne les affaires extérieures, me réservant ultérieurement de faire des observations sur le budget de la guerre, et je déclare qu’aux renseignements donnés par l’honorable préopinant, j’en joindrai quelques-uns qui vous feront voir que la justice n’a pas toujours dirigé les actes du département de la guerre.

M. le ministre des affaires étrangères, en prononçant le discours que nous avons entendu dans la séance de samedi, avait en vue, s’il faut l’en croire, d’exposer « la situation politique du pays, et par suite de mettre la chambre à même de juger avec pleine connaissance de cause de la nécessité du maintien de l’armée sur le pied de guerre. »

Ce sont là textuellement les paroles sur lesquelles il débuta en abordant la tribune, et certes un pareil début était de nature à captiver toute notre attention.

Nous devions nous attendre à ce que, s’écartant quelque peu de la route suivie par ses devanciers, il eût parlé aux représentants de la nation avec quelque franchise, il leur eût exposé le véritable état de nos relations extérieures, il leur eût dit, après un si long silence, ce qu’ils pouvaient espérer, ce qu’ils devaient craindre encore.

Et en effet, pourquoi s’exprimer ainsi, si l’on n’avait qu’à nous répéter ce que nous savions, à nous donner des nouvelles de gazettes, à nous parler de notes publiées partout et depuis longtemps ?

Pourquoi s’exprimer ainsi, si l’on n’avait à nous débiter que des phrases plus ou moins sonores et bien arrondies, mais vides de sens, de ces phrases usitées en diplomatie, contenant beaucoup de mots et n’exprimant rien ?

Autant valait que le ministre s’épargnât la peine de composer et de lire un discours qui ne devait rien nous apprendre, et qu’il ne nous fît pas passer une heure à l’écouter vainement.

Nous devions d’autant plus nous attendre à tirer, cette fois, quelque fruit du discours du ministre, qu’il avait témoigné sa joie de ce que dans ce dernier temps on avait, en quelque sorte, réalisé le désir exprimé dans cette assemblée de voir faire de la diplomatie cartes sur table.

Ce sont l’Angleterre et la France qui ont donné cet exemple, dit le ministre ; eh bien, lui qui paraît n’être que l’agent de ces puissances, et qui d’ailleurs approuve leur conduite à cet égard, pourquoi n’agirait-il pas comme elles ?

Nous allons voir comment il les a imitées, et ce que nous ont appris les cartes qu’il nous a si obligeamment mises sur table ; et, je dois le dire, ce n’est pas au ministre seul que je parle, c’est au gouvernement, car, comme nous l’a dit M. le ministre de la justice, ce discours est l’œuvre du conseil.

Je l’ai lu, je l’ai médité attentivement, et, si je me trompe, il ne nous apprend que trois choses.

La première, c’est « qu’il n’est pas encore possible d’assurer que la solution de nos affaires soit prochaine ; mais qu’en la supposant même éloignée, on ne peut que se tranquilliser en voyant nos droits aussi attentivement défendus par les puissances qui ont entrepris l’exécution du traité du 15 novembre. »

L’assertion qu’on ne peut encore assurer qu’une solution soit prochaine, n’est qu’une naïveté de la part du gouvernement, et je crois comme lui que, pour peu qu’on soit disposé à rester dans la voie qu’il a suivie jusqu’ici, nous ne verrons de longtemps une solution.

Nous ressemblons à des gens imbus du principe de la prédestination ; nous attendons tranquillement que le bien nous arrive de lui-même et ne faisons rien pour nous le procurer. Notre sort doit s’accomplir, et nos efforts ne peuvent le rendre ni pire ni meilleur. Pour ma part cependant il me suffit, pour ne point croire à la prédestination, de jeter un regard sur les hommes qui nous gouvernent, ils n’étaient certes pas prédestinés pour cela (on rit) ; ils eussent eu, s’il en eût été ainsi, des qualités qui leur manquent complétement. (Hilarité générale.)

Mais quand on ajoute que la solution de nos affaires fût-elle même éloignée, nous pouvons nous tranquilliser, ce langage, passez-moi l’expression, ce langage me paraît une amère dérision.

Quoi ! vous dites vous-mêmes que, tant que nous ne l’aurons pas obtenue cette solution, nous devons tenir sur pied une armée qui à elle seule absorbe toutes nos ressources ; vous savez que, tant que nous ne l’aurons pas obtenue, nous devrons surcharger la nation d’impôts et agrandir le gouffre des déficits, et nous pouvons nous tranquilliser !

Quoi ! la navigation de l’Escaut est soumise à une foule d’entraves qui exposent le commerce à des pertes considérables, qui le minent et finiront par le détruire, et nous pouvons nous tranquilliser.

Quoi ! la Meuse est fermée, l’industrie de deux provinces est ainsi paralysée, une foule de familles sont plongées dans la misère, et nous pouvons nous tranquilliser !

Quoi ! des actes d’hostilités sont journellement commis sur notre territoire ; les voyageurs sont inquiétés sur les grandes routes ; nos propriétés sont dévastées, des Belges sont arrêtés et conduits dans des cachots, et nous pouvons nous tranquilliser !

Quoi ! lorsqu’une inquiétude générale empêche nos compatriotes de se livrer aux spéculations, de commencer aucune entreprise, de hasarder leurs capitaux ; lorsque tout le monde enfin souffre et gémit, vous voulez que nous nous tranquillisions !

Non, ministres ! Jouissez de votre pouvoir et de votre brillante position, jouissez-en tranquillement, si vous le pouvez ; mais la nation n’est pas aussi heureuse, elle souffle et aspire après cette solution que vous voudriez qu’elle attendît aussi tranquillement, elle la désire instamment et avec une ardeur facile à concevoir.

Nous apprenons en second lieu :

« Que la note du 14 février est un acte admirable, qui doit avoir produit sur nos esprits la plus agréable impression, qui doit exciter au plus haut degré notre reconnaissance. »

Il faut que le ministère soit resté pendant ces derniers mois dans une inaction bien complète, pour qu’il n’ait à nous parler que d’actes émanés d’autres puissances ; au lieu d’élever si haut l’ouvrage des autres, je voudrais qu’il pût nous vanter ses œuvres ; mais elles sont nulles et lui-même n’ose en parler.

Que le gouvernement exalte tant qu’il voudra la note du 14 février ; nous savons aussi quel cas nous en devons faire. Nous avons de l’expérience à cet égard ; 70 protocoles et un nombre infini d’annexes nous ont conduits là où nous sommes, un nombre égal de notes ne nous en tireraient pas. Ce sont des faits qu’il nous faut, où sont les vôtres ? Vous n’en avez point à nous signaler.

Les écrits, nous les estimons d’autant moins que le congrès renvoyait les protocoles qui ne lui convenaient pas, et soit qu’il les acceptât, soit qu’il les refusât, il n’en arrivait ni plus ni moins.

Enfin, troisièmement, nous apprenons :

Que le principe de la liberté de l’Escaut est resté intact, bien que ce fleuve ne soit pas libre de toute entrave, ce dont le ministre tire beaucoup de gloire, et veut que nous nous réjouissions fort.

Le chef de la secte des doctrinaires n’eût pas mieux dit, et si cette phrase tombe sous ses yeux, il l’enviera à notre ministère.

Ces entraves gênent le commerce, le font souffrir, le minent, menacent de l’anéantir, peu importe. Le principe est debout et tout est sauvé.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Je demande la parole.

M. de Brouckere. - Vous verrez quelque jour que le filou qui vous aura pris votre bourse, le brigand qui vous aura assassiné, traduit en cour d’assises, sera acquitté pourvu qu’il proteste de son inaltérable respect pour principe de la propriété et celui de l’inviolabilité des personnes.

Peu nous importe que les principes soient respectés dans des déclarations, s’ils sont sans cesse violés, et que ce soit d’après les principes ou contrairement aux principes que nous sommes chaque jour en butte à des actes d’hostilité ; à ces actes, et pour les faire cesser, je ne connais qu’une manière de répondre, c’est par des actes de même nature.

J’arrive maintenant à l’examen du système du gouvernement. Le ministre nous annonce pompeusement qu’il va nous le dévoiler, sans rien dissimuler. Quel est-il ? « Il consiste à respecter et à faire respecter les engagements réciproquement contractés. »

C’est fort bien : respecter vos engagements, c’est un devoir dont vous ne pouvez vous départir sans que la nation vous renie, parce que la nation belge est loyale avant tout.

Faire respecter les engagements pris envers vous, c’est votre but ; mais quel système avez-vous pour atteindre ce but ? Voilà ce qu’il fallait nous révéler, ce que vous ne nous dites nullement, car grande est la différence entre un but que l’on veut atteindre et le système que l’on suit pour y arriver. On ne nous trompe pas avec des mots. Mais j’ai tort, messieurs ; indirectement le ministre nous a dit son système, et le voici :

Attendre, temporiser, prendre patience ; et pourquoi pas ? puisqu’aussi bien, lors même que la solution de nos affaires serait très reculée, nous pouvons nous tranquilliser.

D’ailleurs, comment pourrait-on penser à employer dans un cas quelconque des moyens violents ? Ce serait renoncer à l’alliance de l’Angleterre et de la France, ce serait se brouiller avec ces deux puissances c’est à quoi il ne faut s’exposer à aucun prix.

Ainsi, vous le voyez, nous ne conservons cette alliance qu’à condition de nous laisser conduire aveuglément, de n’avoir point de volonté à nous, de renoncer à défendre nos intérêts et notre honneur, lorsque, en blessant cet intérêt et cet honneur, on n’a point blessé ceux de nos alliés.

L’Escaut, loin d’être libre, est-il soumis à mille entraves, en défend-on le passage à nos vaisseaux, qu’avons-nous à faire ? Nous plaindre aux cabinets de Londres et de Paris, et s’ils ne consentent à nous faire donner satisfaction, nous taire et prendre patience.

Ferme-t-on la Meuse et porte-t-on le plus terrible préjudice à une grande partie de notre population, qu’avons-nous à faire ? Nous plaindre aux cabinets de Paris et de Londres et prendre patience.

Nous accable-t-on d’avanies, ravage-t-on nos propriétés, attente-t-on à notre liberté, qu’avons-nous à faire ? Nous plaindre aux cabinets de Paris et de Londres et prendre patience.

Prévoyons-nous que l’état de gêne et d’anxiété dans lequel nous gémissons ne peut se prolonger, voyons-nous que nos excessives dépenses nous ruinent, et qu’il faut d’une manière ou d’autre y mettre un terme, qu’avons-nous à faite ? Nous plaindre aux cabinets de Paris et de Londres et prendre patience.

C’est trop longtemps prendre patience ; il est temps que nous montrions que les Belges ont d’autres vertus que celle-là ; il est temps qu’on en finisse de ce système de crainte et de temporisation qui nous ruine, nous humilie et qui finirait par nous déshonorer ; il est temps que nous ayons une volonté à nous, que nous jugions par nous-mêmes quand nos intérêts sont lésés, notre honneur attaqué. Il est temps que nous cessions d’être Français ou Anglais pour devenir Belges.

Si l’on veut continuer à subir le joug des autres puissances et n’agir qu’avec leur permission, à consommer tous les sacrifices, à subir tous les affronts, dans la crainte de se brouiller, je consentirai bien difficilement à donner mon vote au budget de la guerre, parce que notre armée est inutile ; nos protecteurs nous défendront, en attendant qu’ils nous envahissent. Si au contraire on veut montrer de la fermeté et de l’énergie, si l’on veut prendre un langage digne de la nation, si l’on veut signifier à nos alliés que notre volonté est, après tant de condescendances et de sacrifices, d’en finir dans un temps donné, si l’on veut annoncer que, si justice ne nous est enfin rendue, nous nous la ferons à nous-mêmes (et nous sommes en mesure pour cela, le ministre le dit dans son rapport), je voterai la somme nécessaire à l’entretien de notre armée, je voterai même celles qu’on demanderait pour l’augmenter, parce que le pays consentira à supporter un instant une forte charge plutôt que de rester dans l’incertitude et le marasme où nous a placés le gouvernement.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - J’ai quelques courtes observations à opposer au discours du préopinant ; toutefois, si la chambre était fatiguée, je ne voudrais pas la retenir. (Parlez ! parlez !)

Il faut convenir que M. le ministre des affaires étrangères a été bien malheureux ou bien maladroit, si le résultat de son discours avait été de démontrer l’inutilité du maintien de l’armée sur le pied de guerre, car c’est dans un but diamétralement contraire qu’il est monté à la tribune ; c’est pour montrer l’impérieuse nécessité de maintenir l’armée sur un pied respectable qu’il a parlé.

Le système du ministère, quoi qu’en puisse dire le préopinant, est extrêmement simple ; il a été expliqué dès le début de la formation du cabinet, et se trouve formulé par la note du 5 octobre ; cette note porte sommation à la France et à l’Angleterre d’exécuter les engagements pris envers la Belgique par le traité du 15 novembre, de les exécuter dans un temps donné ; elle déclare à la face de l’Europe même, puisque c’était une pièce officielle, qu’à défaut d’exécuter les engagements dans le délai fixé par nous, la Belgique exercerait le droit de se faire justice à elle-même.

Messieurs, voilà quelle est la position que le ministère a prise devant la chambre, devant le pays, devant l’Europe, et je le demanderai à l’honorable préopinant, croit-il que si, le 3 novembre, les garanties invoquées étaient restées stériles, le ministère ne se serait pas regardé comme délié de tous engagements envers les puissances ? Et s’il avait fait un appel aux armes, croit-il que c’eût été de la pure jactance ?

M. de Brouckere prononce quelques mots qui ne viennent pas jusqu’à nous.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau), continuant. - Je sais que j’ai le malheur d’être souvent en dissentiment avec l’honorable membre qui m’interrompt. Mais l’honorable membre n’est pour moi ni la chambre, ni la nation.

Ce n’est pas légèrement que cette sommation a été faite, ce n’est pas sans avoir recueilli les renseignements les plus scrupuleux sur nos moyens militaires que nous l’avons signifiée. Si au 3 novembre les mesures coercitives n’eussent pas été commencées, et si, à leur défaut, nous n’eussions pas agi nous-mêmes, le ministère eût été à bon droit la risée de l’Europe. Eh bien ! ce système, il faut le reconnaître, ne pouvait être posé s’il ne s’appuyait sur une armée respectable prête à substituer son action à l’action qu’eussent déniée les puissances garantes.

Avant le 3 novembre une convention fut faite ; la France et l’Angleterre firent signifier leur sommation à la Hollande, elle resta sans résultat ; vous savez, messieurs, quelles en furent les suites : la prise de la citadelle d’Anvers en fut la conséquence presque immédiate. Ce fait, dont on diminue aujourd’hui la valeur, paraissait à la fois si improbable et si concluant, que vous avez entendu un membre de cette assemblée, connu par son incrédulité dans le succès des négociations (M. Gendebien), s’écrier « qu’il croirait à la diplomatie quand il pourrait aller librement visiter la citadelle d’Anvers. »

Le système continue, les mesures coercitives adoptées contre la Hollande n’ont pas cessé ; elles doivent se poursuivre avec une nouvelle rigueur ; la consolidation du gouvernement de Louis-Philippe, l’honneur des cabinets britannique et français, l’honneur même des chefs de ces deux grandes nations y est intéressé ; eh bien ! je le demande à l’honorable préopinant, croit-il qu’une reprise d’hostilités pourrait avoir pour nous les mêmes résultats que l’intervention de ces deux puissances ? Offrirait-elle les mêmes avantages, la même absence de toute chance dangereuse, la même efficacité ? Non sans doute : nous ne pouvons donc abandonner imprudemment notre système. Si une reprise d’hostilités faisait cesser aussitôt les mesures coercitives employées par les deux puissances, croyez-vous que nous aurions beaucoup amélioré notre position ?

M. Pirson. - Elles ont cessé !

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Non, elles n’ont pas cessé.

On a parlé de quelques entraves apportées à la navigation de l’Escaut ; mais la France et l’Angleterre, qui ont aussi apparemment leur dignité à conserver, sont dans la même position que nous à cet égard : elles considèrent ces entraves comme la conséquence de l’embargo mis sur les navires hollandais. La France et l’Angleterre consentent à souffrir la prohibition provisoire de leurs pavillons des eaux de l’Escaut. Et ce que l’Angleterre et la France souffrent comme une suite naturelle des mesures exercées contre la Hollande, la Belgique serait déshonorée de le souffrir ? Ce que la France et l’Angleterre subissent, la Belgique ne pourrait le subir aussi sans que sa dignité fût compromise ?

Mais, a-t-on dit encore, il se commet contre nous des actes d’hostilités sans nombre, et vous les souffrez, vous vous bornez à vous plaindre ! Je réponds, d’abord, qu’il y a dans ce langage exagération grande. Mais que fait la Hollande, quand il se commet contre elle des actes d’hostilités de notre part, et je pourrais en citer ? Elle ne déclare pas la guerre à la Belgique, elle s’adresse à la conférence, elle fait une note de griefs ; la raison en est simple : des relations directes n’existant pas entre les deux pays, il est impossible qu’ils échangent des notes entre eux, qu’ils se demandent réciproquement satisfaction. C’est le résultat des choses. L’honorable préopinant voudrait-il qu’au moindre acte d’hostilités partielles sur quelque point des frontières, on en vînt immédiatement à une reprise générale des hostilités ? Il le faudrait dans son système. C’est là la seule énergie possible, le reste ne serait souvent que rodomontade et jactance.

On vous a dit que, puisque nous avions 130,000 hommes, on n’avait que faire de diplomatie. Je demanderai ce que fait la France depuis deux ans et demi ? De la diplomatie. Ce que fait l’Angleterre depuis deux ans et demi ? De la diplomatie. Que font toutes les puissances de l’Europe depuis deux ans et demi ? De la diplomatie. Et leur sol est couvert de bataillons, et la France a 500,000 hommes sous les armes, et l’Angleterre est la première puissance navale du monde. L’Angleterre, la France, l’Europe, messieurs, font de la diplomatie, parce que, hors de la diplomatie, il n’y a entre les nations que la force, parce que la diplomatie est le seul moyen d’éviter une collision générale, et qu’aux yeux du monde la guerre n’est aujourd’hui légitime qu’après l’épuisement des moyens propres à la prévenir.

Vous connaissez la position de la Belgique ; vous savez ce qu’elle a obtenu de ses relations diplomatiques, l’appui de la France et de l’Angleterre. Nous espérons que ces deux grandes nations resteront fidèles à leurs engagements, qu’elles ne déserteront pas leur haute mission.

Mais la Belgique rentrerait dans la plénitude de ses facultés, si la France et l’Angleterre abandonnaient le système qu’elles ont adopté ; elles sembleraient ainsi remettre la solution de nos différends à un duel entre la Belgique et la Hollande ; ce duel, la Belgique ne le refusera jamais, et au besoin saurait le provoquer.

M. Pirson. - Nous sommes habitués à faire de la diplomatie d’après les gazettes ; eh bien ! depuis deux ou trois jours les journaux nous parlent de la retraite de la flotte qui aurait quitté les côte de la Hollande : je demanderai à M. le ministre s’il est vrai que la flotte ait été rappelée ; enfin le ministre sait-il quelque chose de ce fait ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goglet). - Je puis certifier qu’il n’y a aucun ordre de cesser le blocus.

M. Dumortier. - Mais je demanderai si le blocus existe réellement, car les flottes ne font que paraître et disparaître sur les côtes de la Hollande : c’est comme les ombres chinoises. (On rit.) Et puisque j’ai la parole, je désirerais savoir comment on peut arguer de la France ; quand elle a voulu manifester son opinion, elle a appuyé par les baïonnettes les plumes de la diplomatie, et nous, nous n’avons que les plaies d’août.

Je demande que l’on nous dise à la séance de demain si l’intention du ministre est de souffrir une nouvelle intervention.

M. de Robaulx. - Puisqu’on fait des interpellations, j’en adresserai une aussi pour savoir si dans l’état actuel de la diplomatie, le gouvernement belge sait que les puissances soient toujours décidées à empêcher toute collision entre la Belgique et la Hollande ; remarquez que si nous conservons une neutralité complète, une armée sur pied de guerre est inutile ; elle serait nécessaire en cas de conflagration générale ; alors véritablement ce serait l’avant-garde de la France ; mais je le répète, si en cas d’attaque la France est toujours disposée à nous envoyer 50 ou 80 mille hommes, nous n’avons pas besoin de faire des frais aussi considérables. Je voudrais donc que demain le ministère s’expliquât après avoir délibéré en conseil.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - C’est parce que le gouvernement n’a pas une confiance illimitée dans la diplomatie, c’est parce qu’il n’a qu’une confiance raisonnée et non irréfléchie dans les négociations, qu’il veut que nous ayons une armée respectable ; un homme sensé ne peut avoir une confiance illimitée dans la diplomatie ; sa mission toute pacifique ne surmonte pas toujours la difficulté d’une complication d’événements quelquefois imprévus. Et quand elle a épuisé ses ressources sans atteindre son but, le recours aux armes devient la loi de la nécessité. Nous n’avons donc pas prétendu que le succès dût dépendre seul de la diplomatie ; nous l’espérons, mais nous n’en sommes pas convaincus. Qu’est-ce d’ailleurs que de la diplomatie sans moyens militaires ?

M. Gendebien. - Il faut qu’on sache pourtant à quoi s’en tenir. Je demanderai si lors de la formation du ministère, qu’on a appelé ministère Goblet, on n’a pas dit à l’ancien ministère et à d’autres personnes que tout serait terminé par la diplomatie avant le 20 octobre, et à moi-même ce langage m’a été tenu : on m’avait donné l’assurance positive que tout serait bientôt fini. (A demain ! à demain !)

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - M. Gendebien a confondu espérance avec assurance ; il est impossible qu’on puisse ainsi affirmer que de semblables difficultés seront terminées à jour fixe. (A demain ! à demain !)

- La séance est levée à quatre heures et demie.