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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 23 mars 1833

(Moniteur belge n°84, du 25 mars 1833)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Dellafaille fait l’appel nominal à une heure et demie.

Il donne ensuite lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Projet de loi relatif aux radiations des inscriptions hypothécaires

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Duvivier) prend la parole pour présenter un projet de loi (Ce projet de loi ne nous est pas parvenu.)

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l'exercice 1833

Discussion générale

L’ordre du jour est l’ouverture de la discussion du budget de la guerre.

MM. les ministres de la justice, des affaires étrangères et de la guerre sont à leur banc.

MM. le général Nyels et de Bassompière, intendant militaire, commissaires du Roi, sont présents à la séance.

M. H. Vilain XIIII. - Messieurs, une des préoccupations les plus habituelles de l’esprit humain est de mesurer l’importance et la nécessité d’un état de choses quelconque d’après l’utilité qu’on en retire, et d’estimer à peu de valeur toute institution politique dont l’établissement n’amène aucun résultat immédiat et qui semble, au contraire, préparer à la longue la ruine plutôt que la délivrance d’un pays. C’est là, messieurs, ce qui fait accueillir avec tant de défaveur le budget de la guerre que nous allons discuter, effrayé que l’on est de l’énormité du chiffre, d’une part, et de l’exiguïté de ses services, de l’autre.

A l’aspect de ces dépenses toujours incessantes et qui excèdent de bien loin toutes nos ressources, on se demande d’abord si pour garder la défensive que les traités nous ont imposés, il est bien nécessaire de porter au-delà de 110,000 hommes le contingent de l’armée, qui, bien moins nombreuse, a su défendre pendant longtemps l’abord de nos frontières ; on cherche à pénétrer les motifs qui ont pu engager le gouvernement, vers le mois d’août dernier, à augmenter de plus d’un quart l’effectif de nos forces de terre, comme si alors on eût voulu préparer une guerre d’invasion en Hollande ; et ces motifs, il faut bien le dire, restent encore aujourd’hui inaperçus.

A cette époque, le ministère précédent semblait vouloir tenter un coup de désespoir : il vint nous demander des hommes et de l’argent. Tout lui fut accordé mais, au moment où, tenant entre les mains les moyens de coercition, il pouvait et devait prendre l’offensive, son ardeur se ralentit, la saison favorable s’écoula, et ce ministère, laissant suivre à d’autres un cours de nouvelles négociations, ne légua au pays que 20,000 hommes de plus à payer sans l’indemniser par aucun bénéfice, inconséquence bien funeste en ce qu’elle nous force de solder maintenant un nombre de soldats au-delà de nos besoins de défense et qui n’a pu provenir que d’une fausse appréciation de toute notre situation politique.

Car si, dès l’origine, on s’était rendu un compte exact de notre position vis-à-vis de la Hollande, et de la nature de la garantie pour la nationalité belge obtenue chez nos puissants voisins, en se fût assuré que cette position était toute d’expectative, que le succès de notre cause avait plus à attendre du temps que de la violence, et que bientôt la lassitude, tant chez notre adversaire que chez les puissances, qu’une guerre toujours menaçante finissait par mettre aux abois, devait amener la conclusion heureuse de nos affaires. Pour cela il ne fallait que garder la défensive en fortifiant avec soin toute notre ligne d’opération ; pour cela, au lieu d’une armée de 110,000 hommes, il ne fallait qu’une armée de 80,000 hommes, bien exercée, bien conduite, et supérieure, non en quantité, mais en qualité, à l’armée hollandaise ; il eût suffit pour ce que les ministres actuels et leurs prédécesseurs ont fait et voulu faire.

Effectivement, le premier de ces deux ministères a pendant longtemps maintenu la base de ses négociations sur la stricte exécution des traités imposés par la conférence, sur le refus de toute négociation, préalablement à l’évacuation des territoires. Dans ce but, une augmentation de troupes n’était pas nécessaire et cependant, il la fit. Le ministère actuel maintint, et ajouta même à ce surcroît de baïonnettes ; et cependant, dès l’origine il s’appuya sur l’intervention des puissances garantes : il appela la France en exécution de son contrat, et la prise de la citadelle d’Anvers eut lieu sans notre coopération, et démontra, plus que tout autre acte, l’inutilité de tenir sur pied une armée nationale aussi forte, qui, en absorbant nos ressources présentes, nous ôte le moyen de prolonger indéfiniment le statu quo armé qui, seul à mon avis, doit nous faire obtenir par la persévérance ce qui nous est refusé par le bon droit. Peut-être, en appuyant sur 110,000 baïonnettes la demande de l’évacuation immédiate du territoire belge, le gouvernement du Roi espérait-il en octobre dernier obtenir une solution plus prompte ?

Mais depuis lors, ne méditant aucune agression que je sache, il aurait pu diminuer l’armée sans danger, certain, en cas d’attaque, de l’appui de la France, qui, malgré qu’elle fasse, et bien plus pour elle que pour nous, ne peut nous abandonner. On aurait ainsi épargné bien des millions qui nous donneraient la faculté de tenir l’Europe en haleine jusqu’au moment où il lui plaise d’imposer au roi Guillaume les mêmes conditions d’existence politique que nous avons subies.

Ainsi donc, avant de songer à quel chiffre devait se monter notre armée, et quelles dépenses il fallait lui allouer, on aurait dû se demander à quel usage on la destinait, si agressive, si défensive ? Si pour la défensive, l’armée telle qu’elle était constituée en juillet dernier suffisait ; car le surcroît de levées, malgré la bonne volonté de l’armée, n’a servi depuis lors qu’à passer des revues et à faire la petite guerre.

Mais, la chose étant faite, reste à examiner si l’ordre, la discipline et l’économie président à la direction ; et ici je m’adresse particulièrement au ministre de la guerre, et je m’empresse de proclamer hautement que nous avons une belle et bonne armée : c’est aux soins de cet administrateur que nous devons la complète organisation et la tenue régulière de nos troupes ; mais il faut avouer aussi que l’économie a été quelquefois perdue de vue dans cette branche de service, et que notre armée nous coûte assez chère de façon.

Pour la répartition des vivres de campagne, pour la régularisation des masses arriérées, pour les indemnités de frais de route, de transport et de fourrage, pour la supputation des soldes de non-activité et de disponibilité, on semble trop facilement avoir compté sur les ressources du trésor, et ce n’est qu’à l’approche de la présenté discussion que des réductions sont enfin consenties.

Le ministre est venu hier, dans un rapport tardif, concéder une grande partie des économies que la section centrale, dont j’ai eu l’honneur de faire partie, vous avait déjà proposées. Le ministre a paru vouloir, dans cette occurrence, prendre l’initiative et les honneurs des réductions ; mais on eût eu meilleure grâce, ce me semble, de les présenter un mois plus tôt, tant pour l’effet moral que pour en faciliter l’examen par la chambre. Les circonstances promettaient dès lors de préjuger les besoins réels de l’armée, et ici malgré ses efforts, la popularité des réductions ne restera pas au gouvernement.

Cette marche incertaine dans des votes d’une sévère économie, et cette timidité à trancher dans le vif, proviennent, il faut bien l’avouer des difficultés que doit rencontrer le ministre pour échapper à l’empire des sollicitations dont on l’accable : l’ambition des grades, l’appât des gros appointements, ne manquent jamais de se manifester dans une armée nouvelle, et alors, outre du zèle et de l’activité, on doit savoir user de fermeté dans l’accomplissement de son mandat.

Ainsi, l’on a été témoin d’une promotion rapide de quelques officiers, et surtout de l’introduction trop nombreuse dans notre armée de militaires étrangers de grades inférieurs. Ainsi l’on a vu mettre à la solde de disponibilité et de non-activité un grand nombre d’officiers supérieurs auxquels la pension de retraite aurait pu être allouée ; quelques-uns même jouissent d’un traitement d’attente, quoique récemment sortis du service de Hollande, et à ce sujet je crois qu’il sera urgent d’arrêter au plus tôt une mesure législative, afin de limiter un terme fatal à tous les officiers belges qui servent encore en Hollande. Il faut que cette classe d’individus ne puisse point à la paix au détriment des braves qui n’ont point balancé à nous secourir, venir faire valoir l’ancienneté des grades et des services obtenus en attaquant la patrie ; leur position serait par trop belle de se réserver ainsi la récompense des deux pays, et l’on ne peut servir qu’une cause et qu’un roi. J’espère qu’une prompte mesure sera prise par le gouvernement pour détruire les espérances de ces Belges étrangers.

Un dernier grief général que je dois articuler contre le ministre, c’est de n’avoir point sollicité en temps utile le renouvellement de la loi du 22 septembre 1831 relative à la faculté de destituer des officiers de l’armée pour inconduite notoire et pour incapacité. Cette mesure n’avait force de loi que pour un an. En la laissant prescrire, le ministre a cru peut-être que l’usage désormais lui en devenait inutile quant à la discipline et à l’épuration de l’armée. Mais il n’en était pas de même quant aux démissions à donner aux officiers incapables, vu que, depuis l’absence de cette loi, le ministre a dû ranger dans la catégorie de non-activité ou de retraite des militaires dont la complète incapacité ne permettait plus la présence au corps ; et le budget s’est trouvé grossi des traitements de ces inutiles serviteurs de l’Etat. La chambre se fût sans doute hâtée de prolonger le terme de cette loi par mesure d’économie, de plus par des motifs de discipline et en vue de consolider le pouvoir exécutif.

Bien d’autres points restent à approfondir dans ce volumineux budget de la guerre ; je me réserve de les relever dans la discussion des détails.

Mais une considération d’ordre supérieur que je crois devoir vous présenter, et qui devra plus que toute autre arrêter les méditations de la chambre, c’est l’issue toujours incertaine de nos affaires politiques, c’est la prolongation indéfinie de ce statu quo armé qui dans tout état de choses pèsera longtemps encore sur la Belgique, mais dont tous nos efforts doivent tendre à diminuer les charges et même à tirer d’utiles conséquences pour la prospérité nationale. Je m’explique : aux personnes les plus confiantes dans l’avenir, à celles qui se persuadent que sous peu de mois la Hollande se verra forcée d’entrer en négociation avec nous, il demeure cependant avéré que bien des difficultés de détail, tant pour la liberté des rivières que pour la liquidation des dettes, resteront à résoudre. La violation d’une clause, le moindre malentendu, font tout remettre en question, et pendant cette période de négociations (si jamais elle a lieu), il serait plus qu’imprudent de désarmer.

Plusieurs années s’écouleront peut-être avant qu’un traité définitif soit signé, car les prétentions du roi déchu et la jalousie commerciale des deux peuples en rendront la conclusion bien difficile. Cependant une armée permanente aura longtemps pesé sur le pays. Son entretien nécessitera sans cesse de nouveaux emprunts ; arrachés à leurs premiers travaux, tous ces jeunes soldats contracteront bientôt des habitudes d’oisiveté dans les camps, et leur licenciement sera même un embarras pour le gouvernement.

Voilà, messieurs, les résultats à craindre de notre situation militaire ; et si on laisse les choses comme elles vont, bien plus sage serait de tirer parti de la position forcée que les événements nous ont faite, et d’appliquer aux grands travaux que l’industrie réclame, une partie de ces milices si pleines de jeunesse et de vigueur. Ce serait là faire œuvre d’homme d’Etat, et c’est au gouvernement de la Belgique régénérée plus qu’à tout autre qu’il appartient d’en montrer l’exemple, de détruire les préjugés qui s’opposent à l’application de cette haute mesure d’économie politique, et de prouver qu’il n’y a rien de déshonorant pour un citoyen de travailler pour son pays lorsqu’en même temps il sait le défendre.

Des canaux, des routes en fer pourraient être terminés en une saison par des militaires de bonne volonté, pris dans chaque régiment, et auxquels il serait accordé une haute paie. La condition du soldat n’en serait que meilleure, et l’esprit de discipline et de travail se conserverait dans les corps. Déjà la société supérieure d’industrie a osé aborder cette question dans son dernier rapport sur les routes en fer. Déjà plus d’un économiste a réclamé l’emploi de ces bras inactifs pour le bien-être de la généralité. Nous avons vu jadis en un été le prince de Parme faire creuser un canal à travers les Flandres par toute son armée. Il est digne de nous de renouveler ces prodiges, de les tenter du moins, et ce ne sera pas alors à pure perte que chaque année nous aurons voté des budgets de la guerre de 70,000,000, et surchargé notre patrie d’emprunts. Des traces bienfaisantes en resteront pour nos descendants et ceux-ci ne pourront pas nous reprocher qu’en voulant défendre la Belgique, nous l’avons complétement ruinée. J’ai dit.

M. Osy. - Messieurs, avant d’entrer dans les discussions de détails du budget de la guerre, je crois qu’il est essentiel d’être éclairés sur la situation de nos affaires extérieures.

Lors de la discussion de l’adresse, la majorité de la chambre a blâmé l’intervention étrangère, surtout par rapport aux engagements pris par la note du 2 novembre ; et la minorité, qui n’a pas été aussi loin, a cependant déploré cette intervention.

Maintenant la citadelle d’Anvers est entre nos mains, et il y a eu un commencement d’exécution du traité du 15 novembre ; je désire savoir si la France et l’Angleterre ont pris l’engagement de faire exécuter le traité dans son entier et sans dévier dans aucune de ses stipulations, c’est-à-dire, de ne pas nous faire évacuer le territoire belge à céder à la Hollande avant l’adoption du traité, qui reconnaît en même temps l’indépendance de la Belgique.

Si les deux puissances ont pris cet engagement, sans jamais nous permettre de finir nos affaires nous-mêmes, je vous avoue que tout en désapprouvant une telle marche, que l’armée et la nation devront déplorer avec nous, je ne vois pas pourquoi nous devons continuer à tenir, sous les armes, une armée au-delà de nos forces, qui nous épuise, qui ne sera jamais qu’une armée de parade, et qui doit finir par nous déconsidérer aux yeux de toute l’Europe.

Si le gouvernement n’a pas pris de tels engagements, il est à espérer qu’il ne permettra plus d’intervention par terre, et que, sans nous lancer dans une guerre immédiate, nous ferons respecter le traité imposé ; que nous ne permettrons plus aucune concession, puisque au-delà de celles déjà faites notre indépendance est impossible, et j’espère que, si nous continuons à voter des fonds considérables pour maintenir notre armée sur le pied de guerre, finalement le gouvernement aura plus de confiance en lui-même, utilisera, s’il est nécessaire, ses propres moyens de défense, qu’il consultera l’honneur et les intérêts du pays, et n’agira pas comme si nous devions recevoir les ordres de tuteurs, et qui ne nous permettent pas de bouger sans leur autorisation.

Nous avons vu, depuis peu, les notes des négociations entamées et échouées entre la France, l’Angleterre et la Hollande ; je vous avoue que, sans entrer dans de longs développements sur tous les projets et contre-projets contenus dans les diverses annexes, si les propositions des deux puissances avaient été acceptées par la Hollande, elles auraient été tout à fait contraires, non seulement à nos intérêts, mais même au traité imposé, puisqu’on proposait encore l’évacuation préalable des deux demi-provinces, en oubliant qu’on ne peut scinder un traité ; vous aurez vu aussi qu’il n’est plus question dans tous ces projets du traité du 15 novembre, qu’on ne parle que d’un nouveau traité à intervenir pour amener la séparation de la Belgique et de la Hollande.

Et remarquez qu’il n’est jamais question que du gouvernement de fait de la Belgique ; on ne nomme jamais son roi, et on ne parle pas du nouveau royaume.

Toutes ces propositions doivent avoir frappé le gouvernement et je désire savoir, et vous le désirez avec moi, messieurs, si on s’est opposé à de telles propositions ; et il est plus que temps que nous le sachions, car les négociations vont de nouveau s’ouvrir à Londres avec le nouvel ambassadeur hollandais, et il est à croire que, pour finir d’exécuter les mesures coercitives, et qui n’ont pas été prises pour l’exécution du traité, mais seulement pour l’évacuation des deux forts de l’Escaut encore entre les mains des Hollandais, on accordera de nouvelles concessions à la Hollande, qui ne pourront être qu’à notre détriment et à notre grand préjudice.

Depuis le mois de janvier 1831 jusqu’au siège de la citadelle d’Anvers, la Hollande n’avait pas exécuté sur l’Escaut des actes de souveraineté ; mais vous avez la preuve qu’elle a eu un instant l’intention de fermer l’Escaut pour toutes les nations, ensuite qu’il y a eu un commencement d’établissement de droits de péages, qui n’a pas été mis en exécution en son entier, ayant fait retentir la tribune en temps de nos justes alarmes. Mais ne croyez pas, messieurs, que l’Escaut est ouvert comme pendant les deux dernières années ; au contraire, les Hollandais exercent des actes de souveraineté que nous ne pouvons pas tolérer, et qui pourraient nous devenir très préjudiciables par la suite.

En ne considérant pas seulement le principe, très funeste, de souveraineté exercé par la Hollande sur l’Escaut, les mesures adoptées depuis le mois de janvier nous sont déjà très désagréables, doivent produire à l’étranger un très mauvais effet pour les nations qui voudraient continuer à fréquenter le beau port d’Anvers, et le gouvernement doit employer tous les moyens de les faire cesser pour qu’on ne vienne pas plus tard de nouveau nous parler de faits accomplis, qu’on ne puisse pas nous dire que nous y sommes habitués. Ces actes de souveraineté dont je vais vous parler, sont très nuisibles au commerce, et peuvent avoir d’autres conséquences très fâcheuses.

Lorsqu’on a donné ordre de ne pas mettre en exécution, pour le moment, les droits de péages, qui ont cependant eu un commencement d’exécution, on n’a pas révoqué l’ordre de renvoi ; et depuis l’ouverture de la navigation, tous les navires remontant l’Escaut sont accompagnés de canonnières hollandaises, depuis Flessingue jusqu’à Lillo : c’est un véritable acte de souveraineté, et qui a en outre de graves inconvénients ; les navires marchands, allant ordinairement plus vite que les canonnières, sont obligés de ralentir leur marche et ne peuvent abandonner leurs surveillants. Ces mesures font un très mauvais effet à l’étranger et doivent éloigner les navires étrangers de l’Escaut et donner la préférence aux ports hollandais ; aussi cette mesure hostile a évidemment ce but.

Ensuite, pendant les années 1831 et 1832, comme pendant notre réunion, les pilotes anversois accompagnaient les navires qui descendaient la rivière jusqu’en mer, comme ceux de Flessingue pilotaient les navires remontant la rivière jusqu’à Anvers. Aujourd’hui nos pilotes ne peuvent plus aller que jusqu’à Lillo, où on est obligé de prendre des pilotes hollandais ; vous voyez donc, messieurs que depuis ce fort la Hollande considère l’Escaut comme sa propriété exclusive, et cependant nous ne pouvons, sous aucun prétexte, abandonner le principe de co-souveraineté, et que, sans aucun retard, nous sommes obligés de rétablir nos droits, si nous ne voulons pas nous exposer par la suite à voir notre commerce maritime entièrement à la merci de nos rivaux.

Rappelez-vous, messieurs, que le blocus de Maestricht n’a été levé que pour avoir l’Escaut entièrement libre ; ainsi je ne vois pas pourquoi le gouvernement ne recommencerait pas le blocus sans retard ; mais que ce ne soit pas de nouveau, comme l’été passé, un simulacre de blocus, qui n’a duré que quelques semaines, et qu’on a certainement levé sur les ordres venus de Paris et de Londres ; je vous avoue que je ne puis concevoir que nous continuions à tolérer les communications de Maestricht vers l’Allemagne, tandis qu’on nous apporte des entraves sur l’Escaut, et que la Meuse nous reste constamment fermée, au grand détriment de nos provinces de Liége et du Limbourg.

J’espère que ces considérations ne seront pas perdues par le gouvernement, qu’il voudra s’expliquer franchement, et que finalement il prendra une position qu’exigent non seulement l’honneur de la Belgique, mais même les intérêts les plus pressants de ses deux grandes artères, l’Escaut et la Meuse ; car aussi longtemps que nous resterons ainsi dociles et soumis aux ordres des cabinets de Saint-James et des Tuileries, on ne se pressera pas de finir nos affaires et de nous mettre à même d’être reconnus par toute l’Europe.

Cet état d’incertitude nuit extrêmement à nos affaires intérieures et nous empêche de soulager les contribuables, en faisant cesser cet état d’armement au-delà de nos moyens, et en renvoyant dans ses foyers une grande partie de cette jeunesse qui pourrait être autrement utile au pays que de passer la vie dans les camps et sous les armes, non pour l’honneur de la Belgique, mais pour de vaines parades.

Qu’on se réveille enfin ; que tous nos sacrifices aient au moins un but dans l’intérêt du pays, et que nous puissions en voir le terme ; car, en vérité, de la manière dont nos ministres dirigent les affaires ce n’est véritablement qu’à la honte et au déshonneur du pays, et n’oubliez pas qu’un gouvernement qui déshonore la nation ne peut pas continuer d’exister.

J’attendrai les explications de M. le ministre des affaires étrangères avant de me décider à imposer à la nation de si grands sacrifices et je désire savoir si, finalement, ils seront utiles au pays.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Messieurs, les discours de deux orateurs entendus dans cette séance contiennent deux genres d’observations, Les unes sont relatives à ce qui concerne exclusivement le département de la guerre ; les autres s’appliquent plus particulièrement à celui des affaires étrangères. Je ne m’occuperai, moi, que de ces dernières, et même dans les développements que je me propose de soumettre à la chambre, je me conformerai autant que possible à sa décision du 14 de ce mois, qui interdit toute discussion générale, telle qu’on peut se concevoir quand il s’agit de budget général de l’Etat. Je me bornerai donc à exposer la situation politique du pays, et par suite, à mettre la chambre à même de pouvoir juger avec pleine connaissance de cause de la nécessité du maintien de l’armée sur le pied de guerre.

Messieurs, vous exposer le véritable état des relations diplomatiques est chose facile en ce moment. Plus d’une fois, j’ai entendu exprimer dans cette enceinte le désir de voir faire de la diplomatie cartes sur table. Ce désir s’est en quelque sorte réalisé dans ces derniers temps. Nous avons vu l’Angleterre et la France faire, dans leur note du 14 février, le récit des négociations entamées depuis la prise de la citadelle d’Anvers. De son côté, la Hollande a cherché dans son mémoire du 26 du même mois, à justifier sa conduite dans ces négociations ; elle l’a cherché en vain : les faits articulés dans la note anglo-française ne sont pas susceptibles de réfutation.

Ces documents ont été livrés à la publicité. Chacun de vous messieurs, a pu y puiser la connaissance de l’état de la question.

Qu’une solution soit prochaine, c’est ce qu’il n’est pas encore possible d’assurer. Mais, en la supposant même éloignée, on ne peut que se tranquilliser en voyant nos droits aussi attentivement défendus par les puissances qui ont entrepris l’exécution du traité du 15 novembre. On ne saurait en disconvenir, messieurs, ces droits sont défendus avec toute la bonne foi que nous avions lieu d’attendre en retour de notre fidélité aux engagements contractés.

Ces puissances exécutrices maintiennent les mesures coercitives contre le commerce hollandais ;je puis vous annoncer que, bien loin d’y apporter quelque adoucissement, elles sont résolues à les exercer avec plus de rigueur que jamais, jusqu’à ce qu’enfin le gouvernement néerlandais consente à subir les stipulations imposées à l’une et à l’autre des parties contendantes ; jusqu’à ce qu’il admette, en un mot, les décisions de la conférence, de cette conférence qui ne s’est assemblée qu’à sa prière et dont par cela même, il avait pris l’engagement tacite de respecter les décisions.

Vous avez pu voir, messieurs, qu’à partir du 14 février toute négociation avec la Hollande fut rompue. Le cabinet de La Haye vient, il est vrai, d’envoyer un nouveau plénipotentiaire à Londres ; il a mission, dit-on, de renouer les pourparlers avec les puissances exécutrices. Mais l’arrivée de cet agent en Angleterre est encore trop récente pour que l’on puisse espérer que déjà un résultat ait été obtenu.

Messieurs, en l’absence d’un résultat définitif, je ne puis donc qu’exposer à la chambre les principes qui ont dirigé et dirigeront encore le ministère dans le cours des négociations ultérieures.

Le traité du 15 novembre est sa loi de politique extérieure. Un arrangement définitif avec la Hollande ne peut être que la mise en exécution de ce traité, et le gouvernement n’a cessé de déclarer qu’on ne pourrait accepter de changements que d’après les principes d’une juste compensation, et que ces changements ne pourraient être apportés que de gré à gré.

D’ailleurs, messieurs, pour rassurer le pays, il suffira de faire observer à la chambre que, si le traité recevait quelques modifications, les débats ont prouvé qu’elles ne pourraient être relatives qu’à des stipulations financières et commerciales, et que, par suite, aucune d’elles ne pourrait être définitivement consentie sans avoir été admise par la représentation nationale. Cette circonstance est pour le pays une garantie de plus que dans aucun cas ses véritables intérêts ne seront imprudemment sacrifiés.

Mais, messieurs, cet arrangement définitif ne doit peut-être pas se réaliser immédiatement ; et, si nous en jugeons d’après les tentatives antérieures, il pourrait bien être précédé d’une convention provisoire qui, en permettant à la Belgique de jouir des avantages commerciaux dont elle est encore privée, lui ferait supporter ses charges avec plus de facilités.

Si l’on en venait à une telle convention, la pensée du ministère est tout entière dans la note du 14 février, adressée à la Hollande par la France et l’Angleterre.

En effet, messieurs, cet arrangement devrait être tel qu’il créât un provisoire que personne n’eût intérêt à prolonger.

Sous ce point de vue, les principes établis dans la note du 14 février peuvent être considérés comme satisfaisants : ils paraissent concilier entièrement ce qu’exigent à la fois et nos droits et les circonstances du moment. C’est dans leur juste application que nous trouverions les garanties nécessaires à toute convention préliminaire.

Jamais le ministère ne perdra de vue que la Belgique n’est pas dans la même position que la Hollande : celle-ci « s’est constamment soustraite à un arrangement final ; » nous, au contraire, nous sommes irrévocablement liés par un traité définitif, dont nous avons fait « notre droit public ; » nous voulons tout ce qui résulte de ce traité. Notre conduite a été, sous ce rapport, constamment d’accord avec nos déclarations : le contraire est arrivé du côté de notre adversaire. On chercherait en vain à faire croire que, dans les négociations qui ont eu lieu, il ait jamais apporté un sincère désir de conclure un arrangement définitif.

Dans cet état de choses, il est indispensable que, dans le cas où une transaction « préliminaire » serait conclue, il est, dis-je, indispensable que cette transaction ne donne pas au gouvernement néerlandais les moyens de continuer son système de temporisation.

Ainsi, nous ne pourrons nous astreindre, par une transaction de cette nature, et à prendre sur nous une partie quelconque de notre quote-part à la dette du royaume-uni des Pays-Bas.

« Cette charge considérable annuelle, dit la note du 14 février, a été assignée à la Belgique par le traité du 15 novembre 1831, comme partie d’un arrangement général et final, par lequel différents avantages commerciaux devaient lui être assurés, et par lequel le roi grand-duc devait accéder formellement à la délimitation territoriale, et reconnaître le souverain de la Belgique. »

C’est en s’appuyant sur ce principe que les ministres signataires de la note en question ont établi qu’il est impossible que la Belgique concoure au service des rentes du ci-devant royaume « avant qu’elle ne soit mise en jouissance de tous les avantages commerciaux qu’un traité définitif doit lui assurer, et avant que les limites territoriales et son souverain ne soient formellement reconnus par le roi grand-duc. »

Ces paroles portent l’empreinte d’une conviction profonde ; elles sont trop remarquables pour que nous n’en prenions pas acte. Il en est de même des suivantes :

« Il est évident que les Belges ne pouvaient accepter aucun arrangement provisoire qui ne leur donnât pas la jouissance immédiate de la navigation de la Meuse, et qui ne leur assurât pas, jusqu’à la conclusion d’un traité définitif, la continuation de la navigation de l’Escaut telle qu’ils en jouissaient depuis le mois de janvier 1831. »

Telles sont, en effet, messieurs, les seules conditions auxquelles il vous serait possible de consentir à signer une convention stationnaire, après que le cabinet de La Haye aurait lui-même accompli cette formalité.

Messieurs, je ne doute pas que la lecture de la note du 14 février, dont je viens de m’occuper, n’ait produit l’impression la plus favorable sur vos esprits : elle doit vous avoir convaincus que nos droits ont été défendus avec tout le succès que nous pouvons attendre de la justice de notre cause et de l’attitude que nous avons su prendre. Non seulement ces droits n’ont pas été entamés par les attaques dont ils ont été l’objet de la part de la Hollande ; mais ces attaques mêmes ont servi à les mettre dans tout leur jour.

Vous ne manquerez pas, messieurs, d’apprécier l’importance de ce résultat. Il est évidemment dû à cette politique ferme et régulière dont j’ai déjà eu plus d’une occasion de vous faire remarquer l’opportunité et les bons effets.

Messieurs, vous avez entendu tout à l’heure une énumération des difficultés vraies ou prétendues, semées, dit-on, sur la route que nous suivons. Je ne me suis jamais dissimulé les difficultés que nous avions à vaincre ; nous les connaissions en arrivant au pouvoir : plusieurs sont en effet la conséquence d’actes antérieurement posés. Il y avait des obstacles, il y en a encore, et c’est à les surmonter que nous employons tous nos efforts. Plus d’une fois je me suis expliqué à cet égard dans cette enceinte. Mais je me suis toujours gardé d’entrer dans des détails qui sont non seulement inutiles, mais dangereux.

Quelque forte que soit une position, elle a toujours son côté faible. Est-ce un motif pour en faire ressortir tous les désavantages ? Telle n’a pas été et telle ne sera jamais la conduite du ministère.

Vous sentirez, messieurs, toute la sagesse de cette circonspection, et vous trouverez tout naturel que je ne m’étende pas également sur chacun des points qui ont été soulevés. Je ne m’attacherai qu’aux plus saillants. Si je garde le silence sur quelques-uns, c’est que j’en considère la discussion comme sans objet utile. Dans ce cas, je ne fais qu’obéir au plus impérieux de mes devoirs, comme ministre responsable ; je ne fais que satisfaire à ce qu’exige l’intérêt national, et vous m’approuverez sans doute.

Messieurs, notre situation politique actuelle a été envisagée par un précédent orateur avec un pessimisme désolant, s’il était fondé. Le traité du 15 novembre a été considéré, vous a-t-on dit, comme n’existant plus.

Comment, messieurs, le traité du 15 novembre signé et ratifié par les cinq grandes puissances de l’Europe, garanti par ces mêmes puissances, mis forcément à exécution par deux d’entre elles sans entraves de la part des autres, défendu avec loyauté par la France et la Grande-Bretagne ; le traité du 15 novembre, entouré de tous ces faits, n’existerait plus ? C’est une assertion dont je vous laisse, messieurs, apprécier le fondement et la valeur.

Messieurs, le ministère ne cherche point à dissimuler quel est son système ; il consiste à respecter et à faire respecter les engagements réciproquement contractés, et c’est ainsi qu’il croit pouvoir arriver à placer la Belgique dans la situation qui lui est acquise.

D’autres voudraient peut-être tenter de parvenir au même but par des moyens violents, par une agression contre la Hollande ; mais, messieurs, il faudrait alors renoncer à l’alliance de la France et de l’Angleterre, et le ministère ne peut y consentir. Il trouve que la Belgique ne peut renoncer à l’alliance de ces deux puissantes nations, aussi longtemps qu’elles-mêmes resteront fidèles à leurs engagements.

Messieurs, aux conséquences probables d’une telle rupture, peut-on opposer quelques entraves momentanées à la navigation de l’Escaut ?

Quelles sont, en effet, messieurs, ces entraves ? Vous vous rappelez qu’au commencement de janvier dernier on prétendit que la Hollande avait décidé d’adopter, pour cette navigation, un régime destructif de toute liberté : le gouvernement s’empressa d’exprimer ses craintes aux plénipotentiaires des puissances exécutrices. Il s’ensuivit entre ceux-ci et le représentant de la cour de La Haye, à Londres, des pourparlers à la suite desquels les négociations furent reprises.

Les ministres de France et d’Angleterre avaient demandé à celui de Hollande si la navigation de l’Escaut était libre et sans entraves ; ils avaient fait, de la solution catégorique de cette question, la condition de la reprise des négociations.

Il résulta des explications données que « le principe de la liberté de la navigation de l’Escaut était maintenu, » mais que, par une exception momentanée à ce principe, l’Escaut ne continuait à être ouvert qu’aux bâtiments neutres.

Cette exception était représentée comme une représaille de l’embargo ; elle fut implicitement admise en droit par les plénipotentiaires des puissances exécutrices.

Ainsi, quoique l’Escaut ne soit pas en ce moment libre de toute entrave pour les bâtiments de toutes nations, le principe de la liberté de la navigation sur ce fleuve est resté intact.

Telle était la situation des choses à l’époque où les négociations furent de nouveau interrompues vers le 15 février ; et telle elle est encore aujourd’hui : il est, pour ainsi dire, établi en principe que l’Escaut n’est ouvert aux navires neutres, aussi longtemps que dureraient les mesures coercitives.

Vous voyez, messieurs, sous quel point de vue vous devez envisager l’exception momentanée faite au principe de la libre navigation de l’Escaut ; elle est en corrélation avec les mesures coercitives, et cette corrélation est tacitement reconnue par les gouvernements de France et de la Grande-Bretagne. Or, au point où en sont venues les choses, nous devons vouloir la continuation des mesures coercitives : car nous voulons l’exécution du traité du 15 novembre, dont (on ne saurait trop le répéter) nous avons fait notre droit public. Il en résulte évidemment que nous devons nous soumettre à toutes les conséquences de la coercition : les cabinets de Londres et de Paris les ont admises ; nous n’avons pas à nous montrer plus exigeants. Ce sont leurs intérêts plus que les nôtres qui sont jusqu’à présent engagés dans la question des entraves mises à la navigation de l’Escaut.

Messieurs, on a mis en doute la nécessité du maintien de notre armée sur le pied de guerre. Je vais donc, messieurs, à ce sujet, présenter à la chambre quelques courtes considérations. Elles feront sentir, je l’espère, toute l’influence que notre état militaire a eue sur la marche des négociations.

Chacun de vous, messieurs, peut se rappeler les craintes de la Belgique à l’époque de l’acception des réserves russes. Elles ont été trop vives pour que vous n’ayez pas depuis été frappés des améliorations qui ont été successivement introduites dans notre situation politique. Si vous avez suivi attentivement le cours des événements qui ont marqué les dix derniers mois, vous avez dû vous convaincre que les incertitudes sur notre existence nationale se sont dissipées à mesure que notre état militaire devenait plus fort.

L’on devait s’y attendre : la politique de tous les gouvernements était celle de la paix ; la conservation de cette paix dépendait de l’absence de toute collision entre la Hollande et la Belgique, et elle en dépendait d’autant plus que nous étions plus à même de soutenir une longue lutte. Il s’en suivait naturellement que plus nos armements étaient considérables, plus nous pouvions espérer que nos réclamations seraient favorablement accueillies.

Il est vrai que l’influence que je signale n’était pas la seule : il y avait encore celles qui devaient résulter des sentiments de loyauté des puissances, de notre bon droit et de la stricte observation de nos engagements. Mais, en ajoutant à celles-ci, l’influence de nos armements les a rendues plus efficaces, plus agissantes ; elle a permis au gouvernement de donner à sa politique ce caractère de fermeté sans jactance, dont vous avez été à même d’apprécier les bons effets.

C’est à cette politique, messieurs, que nous avons dû d’abord la note du 11 juin 1832 ; cette note dans laquelle les plénipotentiaires des cinq grandes puissances ont unanimement posé les principes et prévus les conséquences nécessaires de l’évacuation préalable, telle que nous nous étions cru le droit de la demander.

Ce premier succès ne ralentit pas nos préparatifs de guerre, et nous obtînmes bientôt le protocole n°70 du 1er novembre. Vous vous le rappelez, messieurs, c’est dans ce document remarquable que se trouve établi, par les représentants des cinq cours, le principe de la coercition.

Plus tard, messieurs, nous nous étions mis à même de prendre au besoin l’initiative, lorsque l’Angleterre et la France s’empressèrent de répondre et de satisfaire à la sommation que nous leur avons adressée le 5 octobre.

Enfin, messieurs, on ne saurait s’empêcher de reconnaître que c’est en partie sous la même influence que la note du 14 février de cette année fut rédigée. Le gouvernement eut la satisfaction d’y voir les droits de la Belgique développés et interprétés d’une manière claire et précise, par les plénipotentiaires des deux puissances qui avaient entrepris l’exécution du traité du 15 novembre 1831.

Tels sont, messieurs, les résultats principaux, saillants, des négociations qui ont suivi la ratification russe ; tels sont les fruits de la politique que le gouvernement du Roi a adoptée depuis cet événement, considéré d’abord comme si désastreux pour nous. Ils témoignent hautement de l’ascendant progressif que nous avons su prendre.

Doutez-vous, messieurs, de cet ascendant ? Comparez, je le répète, notre situation telle qu’elle était après l’échange des ratifications de la Russie, avec la situation qui nous est faite par la note du 14 février.

En mai 1832, l’on pouvait croire qu’une atteinte plus ou moins grave serait portée au traité du 15 novembre.

En février 1833, les limites que nous avions posées nous-mêmes, tant à l’action des réserves mises qu’aux exigences de la politique du moment, sont reconnues et sanctionnées à la face des nations. Toute équivoque, toute restriction sur le sens et la portée de nos droits sont devenues désormais impossibles.

Messieurs, cet ascendant sur lequel je viens de fixer votre attention est nécessairement la conséquence de notre bon droit et de notre loyauté. Mais, pour l’obtenir, il était encore indispensable de montrer une volonté forte.

Ne nous reposer, messieurs, que sur la justice de notre cause, c’eût été montrer un impardonnable mépris pour les enseignements de l’histoire. Ne voit-on pas, en effet, presqu’à chaque page, la preuve que les négociations, quelque juste et équitable qu’en soit l’objet, ne sont efficaces ou du moins n’atteignent une prompte solution qu’autant qu’il y aurait danger à ne les point terminer ?

Or, messieurs, lorsque les mesures coercitives furent résolues, nous étions en état de tenter de nous faire justice à nous-mêmes dans le cas où, pour sortir de nos incertitudes, nous nous serions vus forcés de recourir à des moyens extrêmes. Nous venions de compléter nos armements par une réserve imposante, et l’Europe savait que, loin de craindre une lutte avec la Hollande nos soldats au contraire l’appelaient de tous leurs vœux.

Dès lors, l’Europe voulant conserver la paix, il n’y avait plus à hésiter. Deux années de pénibles négociations pouvaient rester sans résultats : il fallait en empêcher l’anéantissement. L’Europe nous avait imposé sa garantie : deux des puissances commencèrent alors à la transformer en faits.

En voilà, messieurs, bien assez pour justifier les armements auxquels nous nous sommes livrés jusqu’à ce jour. Ce n’est pas que je veuille prétendre que ces armements aient exclusivement agi sur les résolutions des puissances.

Je ne veux pas faire entendre que chacune d’elles n’ait été mue que par la crainte d’une conflagration, qu’elles n’aient eu nul égard à ce qu’exigeaient leurs engagements, nos droits et la loyauté de notre politique. Le croire serait une erreur. Mais ces engagements, ces droits et cette politique devaient être nécessairement appréciés d’une manière différente par chacune des cinq cours, d’après l’esprit qui les anime respectivement. Il fallait, en quelque sorte, un modérateur, je ne dirai pas pour les ramener à une unité de vues bien désirable, mais pour faire agir les unes sans entraves de la part des autres. Ce modérateur, nous l’avons trouvé dans l’influence de nos forces matérielles.

Mais, messieurs, ce n’est pas seulement comme influence, c’est encore comme précaution que nos armements doivent être envisagés. Vous savez, en effet, que de la part de la Hollande il n’existe aucun engagement de ne pas reprendre les hostilités. La possibilité d’une attaque existe donc toujours ; et elle se changerait bientôt en forte probabilité, si pas en certitude, si nous étions assez imprudent pour nous dessaisir de la moindre partie de nos moyens militaires ; si, en un mot, nous rompions l’équilibre que nous avons établi, sous ce rapport, entre nous et la Hollande.

On peut objecter que les cinq puissances en général, et la France par sa position particulière, nous sont garantes de l’inaction de nos ennemis ; que, s’ils se hasardaient à en sortir, ce serait à nos alliés à les refouler par-delà leurs frontières. Je dois l’avouer, il est probable que les choses se passeraient ainsi : mais la patrie commencerait par être envahie.

Voudriez-vous, messieurs, l’exposer à l’envahissement, parce que, probablement, elle ne tarderait pas à être évacuée ? Je ne saurais, quant à moi, y consentir, et je ne pense pas que vous y soyez, messieurs, plus disposés que moi. D’autre part, il y aurait impossibilité à ce que les puissances garantes intervinssent à chaque instant quand il plairait à la Hollande de porter ses armes chez nous ; et ce serait l’y exciter que de nous mettre vis-à-vis d’elle sur un pied d’infériorité.

Enfin, messieurs, ne serait-il pas, d’ailleurs, plus satisfaisant pour la Belgique d’être dispensée de recourir à des mains étrangères, afin de repousser une agression nouvelle ? Notre armée n’a jamais manqué de valeur, elle s’est formée à la discipline, et si nous étions forcés à lui remettre le soin de nos destinées, elle se montrerait à la hauteur de la mission.

Nos intérêts les plus chers exigent donc le maintien de notre état militaire, Et puis, messieurs, ne l’oublions jamais, c’est le désarmement qu’il importe aux puissances d’obtenir. Or, désarmer avant d’avoir acquis, de la part de notre adversaire, au moins les garanties de la reconnaissance de notre indépendance, ce serait peut-être se soumettre à un statu quo indéfini. Les puissances n’auraient plus alors le moindre intérêt à obtenir de la Hollande les stipulations qu’elles nous ont garanties.

Toutes ces considérations convaincront, je l’espère, ceux qui pouvaient encore douter de l’indispensable nécessité de conserver notre imposante attitude militaire.

D’après tout ce qui précède, messieurs, j’aime à penser que l’on cessera de croire que nous ayons jamais demandé des soldats pour leur faire jouer un rôle indigné d’eux, pour les avilir. Il faudrait, pour conserver de telles idées, oublier que la diplomatie n’est, comme on l’a dit avant moi, que « la délégation de la force. »

Je crois vous avoir démontré quelle avait été, sous ce rapport, l’influence de nos armements : loin de l’affaiblir, augmentons donc, si c’est possible, l’intensité de cette influence. C’est le moyen le plus prompt d’amener enfin une solution satisfaisante.

Messieurs, c’est une guerre d’attente que nous avons faite jusqu’à ce jour ; mais, en dernière analyse, nous l’avons faite avec succès, appuyés autant sur nos droits que sur nos moyens matériels. Vous en conclurez naturellement que nous devons continuer dans la même voie, aussi longtemps que les engagements contractés envers nous seront respectés ; aussi longtemps que les puissances resteront elles-mêmes dans la voie que ces engagements leur ont tracée.

Telle est, messieurs, la politique du gouvernement du Roi. Nous espérons qu’elle nous conduira au but que nous avons mis toute notre ambition à atteindre : je veux dire, à l’arrangement final de nos différends, en faisant respecter les droits qui nous sont acquis.

Quelque difficile que soit cette tâche, nous l’avons entreprise, et nous la poursuivrons avec persévérance, persuadés, que nous sommes, que vous nous tiendrez compte de nos efforts pour la consolidation de l’indépendance de la patrie.

M. Osy demande la parole pour un fait personnel. - Messieurs, d’après le discours que vous venez d’entendre, on pourrait croire que j’ai communiqué le mien à M. le ministre des affaires étrangères. (On rit.) Une telle communication est indigne de moi, Dans tous les cas, M. le ministre des affaires étrangères aurait mal lu : j’ai dit qu’on parlait d’un nouveau traité à intervenir ; mais je n’ai pas dit que c’était nous qui abandonnions le traité du 15 novembre. Le ministre prétend que l’Escaut est libre de toutes entraves comme avant les hostilités de novembre ; et j’ai assuré que les Hollandais exerçaient des actes de souveraineté sur l’Escaut, actes extrêmement nuisibles au commerce. Des chaloupes canonnières accompagnent nos navires et nous ne pouvons pas aller plus loin que Lillo.

M. Jullien. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. La communication qui vient d’être faite est un incident qu’il faut vider sur-le-champ.

- Quelques membres. - Oui ! oui !

M. Jullien.- Je fais une motion d’ordre ; le discours que l’on vient d’entendre renferme des explications dégagées de la discussion générale, et cependant on pourra faire dépendre son vote, relativement au budget de la guerre, des communications qui seront faites par le gouvernement.

M. le président. - M. le ministre des affaires étrangères a-t-il de nouvelles explications à donner ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Je n’ai rien à ajouter à ce que j’ai dit. J’ai soutenu qu’en principe la liberté de l’Escaut était reconnue, et le soutiens encore.

M. Jullien. - Si plusieurs membres font dépendre leur vote de la communication donnée par le ministre, il faut résoudre cette question incidente ; il faut la résoudre avant tout.

M. Gendebien. - Je dois faire une autre motion d’ordre, afin de retirer quelques fruits de la communication qu’on vient de faire.

Le discours du ministre était écrit à l’avance ; il nous sera facile de l’avoir tout imprimé demain matin. Je demande qu’il plaise à la chambre d’ordonner l’impression de ce document, afin que nous puissions raisonner avec connaissance de cause.

Si nous entamons maintenant la discussion incidente, elle sera vague et fournira beaucoup d’échappatoires à un ministre qui sait en user.

Il y a bientôt deux ans qu’on nous disait que le rôle de la diplomatie serait court, et très court ; on ne parlait que d’un mois à deux mois de négociations ; cependant, à force de faire des pas immenses dans la diplomatie, nous avons reculé de plus de quarante années, quant à notre situation territoriale, et d’un bien plus grand nombre d’années sous d’autres rapports.

Il nous serait bien difficile à nous tous, à tout le public qui assiste à cette assemblée, de pouvoir déterminer où nous en sommes.

Le ministre assure que maintenant il peut jouer cartes sur table : je demande qu’il mette sur le bureau la collection complète des protocoles relatifs aux affaires de la Belgique. Le ministère français a déposé toutes ces pièces sur le bureau des chambres. L’assemblée verra que, malgré leur volume, la carrière diplomatique est loin de finir, il nous manque un grand nombre de ces protocoles ; il nous est nécessaire de les voir afin de prendre des renseignements indispensables, afin de pouvoir dire ce que nous voulons, ce que la nation veut.

Ainsi, je fais une double proposition. Je demande : 1° de faire imprimer le discours du ministre ; 2° que le ministre dépose sur le bureau de la chambre, dès aujourd’hui, le volume des protocoles.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Je ne vois aucun inconvénient à satisfaire aux demandes faites par le préopinant ; cependant il faut observer que nous n’avons pas la collection complète des protocoles. Nous pourrons les obtenir puisqu’ils ont été déposés sur le bureau de la chambre en France. Je déposerai tous ceux que nous avons.

M. Gendebien. - Il me semble bien extraordinaire que le ministre n’ait pas tous les protocoles. Comment se fait-il que nous n’en ayons pas la collection ? L’on propose de jouer cartes sur table, et l’on n’a pas toutes les pièces du procès ! Mais vous avez donc moins soin des affaires publiques que le dernier procureur de village n’a soin de celles des particuliers ? Il n’y a pas de procureur qui se hasarde à commencer un procès sans avoir toutes les pièces. Ce que vous dites est encore un subterfuge. Je ne crois pas qu’un gouvernement soit assez imprévoyant, soit assez coupable pour agir ainsi. Il serait impardonnable, et je ne puis admettre les excuses ministérielles.

M. Jullien. - Il faut convenir que l’honorable M. Osy n’est pas très heureux dans ses demandes d’explications au ministre des affaires étrangères. Il y a plusieurs semaines, vous vous souvenez de ce qu’on lui répondit à de pareilles demandes : on lui dit qu’on n’avait rien à lui dire.

Aujourd’hui, à l’exception des considérations générales que nous avons entendues déjà cent fois, on nous a renvoyés aux gazettes qui contiennent les notes diplomatiques, aux gazettes qui sont pour tout le monde comme pour nous.

On propose de jouer cartes sur table ; il y a un moyen : c’est de déposer sur le bureau les pièces relatives aux négociations pour les affaires belges. On vient de citer ce qui s’est passé dans les chambres françaises ; en Angleterre, le roi, en parlant de la question belge, a dit au parlement : « Tous les documents relatifs à ces négociations seront remises sur le bureau. » Ainsi les pièces de la négociation belge, pièces auxquelles la diplomatie belge est intéressée et auxquelles elle a contribué, ont été placées sur le tapis vert des lords d’Angleterre, et cependant elles sont inconnues de nous.

Pourquoi ces pièces ne seraient-elles-pas déposées sur notre bureau ? J’en fais formellement la demande, et je demande en outre qu’on y joigne celles qui depuis cette époque ont été connues dans la diplomatie.

Il nous appartient de faire cette demande, et ce qui est connu par tous les autres parlements ne peut être un mystère pour nous seuls.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Je n’ai aucune difficulté à opposer au dépôt des pièces demandées. Si jusqu’à présent le ministre des affaires étrangères n’a pas fait de dépôt, c’est que successivement on a joint toutes ces pièces aux rapports qui ont été présentés par les divers ministres. Depuis j’ai réuni toutes les pièces qui sont propres à servir de manuel à ceux qui s’occupent des relations extérieures. Je déposerai toutes les pièces sur le bureau.

M. Dumortier. - J’appuie la proposition de MM. Gendebien et Jullien. Je demande que les pièces soient déposées dès demain. Il faut que nous sachions la vérité. Le ministre a pu facilement se procurer toutes les pièces. Si on ne les communique pas toutes, c’est qu’on a des raisons pour ne pas les faire connaître.

Il faut que nous sachions si la Belgique a besoin ou non d’une armée ; il faut savoir si nous sommes vendus à l’étranger, si nous devons subir d’autres interventions, si nous devons boire jusqu’à la lie tous les poisons dont on abreuve un peuple.

M. de Brouckere. - Il y a dans ce moment une double motion sur laquelle nous avons à décider. La première tend à l’impression du discours du ministre, des affaires étrangères ; j’appuie cette demande. Ce n’est pas que j’espère y puiser des renseignements sur l’état de nos affaires ; je l’ai écouté avec attention, et je n’en sais pas plus que quand je suis entré dans la chambre. Le ministre a assuré qu’il jouerait cartes sur table ; ses cartes sont des journaux, car il ne nous a dit que ce qui a été publié dans les feuilles françaises et belges.

M. le ministre a dit qu’il croyait indispensable de conserver une armée nombreuse et cependant il a ajouté un instant après que, dans aucun cas, nous ne nous livrerions à un acte d’hostilité ou de violence. J’ai tenu note de cette partie de son discours ; voici ses propres expressions : « Le système du gouvernement est celui-ci : respecter et faire respecter les engagements pris de part et d’autre. Pour arriver là, d’autres voudraient, peut-être, que l’on eût recours à des moyens violents ; quant à nous, nous croyons qu’il ne faut pas agir ainsi… » Et le ministre a ajouté : « Si vous aviez recours à des moyens violents, le résultat d’une pareille marche serait la rupture avec la France et l’Angleterre… »

Si nous ne pouvons nous livrer à des voies de violence avec nos ennemis, nous n’avons plus besoin d’une armée pour les attaquer ; nous n’avons besoin que d’une armée pour défendre notre territoire.

Le ministre vient ainsi déclarer que nous subirons mille entraves sur notre territoire, sur nos fleuves, sans avoir recours aux moyens de violence. Quand son discours sera imprimé, je dirai mon opinion sur ce point.

Précédemment, je demandais une armée sur le pied de guerre ; je crois maintenant, et d’après ce que j’ai entendu, qu’elle est superflue, et que nous ruinons inutilement la nation. Je demandais une armée sur le pied de guerre, parce que j’étais convaincu qu’il était des cas où l’on devait prendre l’offensive.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Je partage l’opinion du préopinant ; il est des cas où nous devons prendre des moyens hostiles ; j’ai désigné ces cas : ce sont ceux où les puissances exécutrices des traités cesseraient de tenir leurs engagements à notre égard. J’ai fait ces observations à deux reprises différentes dans le discours que j’ai prononcé.

M. Pirson, M. Osy et d’autres membres demandent en même temps la parole.

M. le président. - Il faut d’abord décider la motion d’ordre faite par M. Gendebien.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Je consens à l’impression de mon discours et à faire le dépôt des pièces et des protocoles demandés par MM. Gendebien et Julien.

M. Nothomb. - Je regrette de n'avoir pas pris la parole après l’honorable M. Gendebien ; j’aurais pu faire éviter la discussion qui a eu lieu. Cet orateur a trouvé étrange que nous n’ayons pas sous les yeux le recueil entier des protocoles ; cependant rappelez-vous ce qui a été dit. Vous avez ordonné successivement l’impression des pièces communiquées par le gouvernement. La conférence n’a annexé à ces procès-verbaux que certaines pièces ; en sorte qu’eussiez-vous tous les documents qui émanent de la conférence, vous auriez moins qu’avec les recueils dont vous-mêmes avez ordonné l’impression.

Les protocoles sont au nombre de 70. A partir du 26ème tous sont imprimés, et on y a joint les pièces que la conférence n’annexe pas à ses pièces officielles. Vous avez donc le recueil complet jusqu’au soixante-dixième.

Depuis le premier jusqu’au vingt-sixième le recueil est incomplet.

- Un membre. - Vous parlez comme ferait un ministre.

M. Nothomb. - Je parle comme ayant lu les pièces.... Je le répète, du 1er au 26ème protocole les documents sont incomplets. C’est pendant le gouvernement provisoire que ces protocoles ont paru. Nos relations extérieures n’étaient pas alors bien établies et les reproches qu’on pourrait adresser relativement à ces protocoles retomberaient sur le gouvernement d’alors.

J’ai voulu compléter les protocoles, je n’ai pu y parvenir.

Les pièces que nous n’avons pas ne seraient que d’un intérêt purement historique. On a caché un protocole du 1er février au gouvernement provisoire : au 1er février la conférence a fait un protocole pour exclure des candidats à la royauté.

Il n’a été noté officiellement au comité diplomatique que le protocole du 7 février.

La dernière partie des protocoles est complète ; ce qui nous manque aujourd’hui, ce sont les pièces qui sont émanées des deux puissances alliées depuis la dissolution de la conférence ; c’est-à-dire depuis le protocole 70ème. Ces pièces sont en dehors des protocoles, mais on pourrait les trouver dans les journaux ; on saurait de cette façon ce qui a suivi les 70 protocoles. Parmi ces pièces on remarque la note du 4 février, les notes adressées au gouvernement hollandais et les réponses de ce gouvernement.

M. Jullien. - Cela suffit

M. Osy. - Non, cela ne suffit pas.

M. Pirson. - Il est des explications qu’on n’a pas encore demandées. On sait ce qui s’est passé dans la chambre des représentants de France, quand on y a parlé des affaires de la Belgique.

L’opposition, que je n’ai pas reconnue dans son attitude ordinaire (car elle ne s’est pas montrée avec des principes ni avec des sentiments bien sympathiques, pour les pays qui, comme la France, ont fait une révolution), l’opposition a manifesté l’intention de nous faire payer les frais des deux interventions. On connaît les interpellations faites au ministère ; mais on ignore les prétentions du gouvernement français à cet égard. Il est certain que, si nous devons payer l’armée française, il nous sera impossible de payer la nôtre ; nous ne pouvons pas payer deux armées à la fois. L’Angleterre, quelqu’un de ces jours, pourra nous demander, à son tour, une indemnité pour son expédition maritime : où cela nous conduira-t-il ? Au partage.

En voyant la situation de nos affaires, je ne puis m’empêcher de m’écrier : Les couronnes ne se mendient pas ; il faut les conquérir, il faut savoir les défendre. Ce n’est pas à vous que s’adressent ces paroles, mais en voici d’autres qui s’adressent à vous : Le congrès a déclaré l’indépendance du pays ; il a fait une constitution ; il l’a déposée dans les mains du Roi et dans les vôtres ; si vous voulez défendre votre indépendance et vos libertés, il est temps que vous preniez des mesures efficaces, et que vous recherchiez quel est le but de la diplomatie.

Je crois qu’il serait nécessaire de faire une enquête sur cet objet ; il faudrait qu’une commission fût nommée pour examiner le parti à prendre dans les circonstances graves où nous nous trouvons. Je crois que notre indépendance court le plus grand danger. Si vous ne voulez pas la soutenir, mettez bas les armes ; si vous voulez la soutenir, faites usage de vos armes.

La discussion nous éclairera peut-être sur ce que nous aurons à faire. Mais je voudrais que le ministre nous dît si le gouvernement français a le projet de nous faire supporter la dépense des deux expéditions.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - J’ignore quelles sont les intentions du gouvernement français : ce que je sais, c’est que le ministère n’a pas attendu ces interpellations pour déclarer qu’il ne paierait rien pour les expéditions de 1831 et de 1832, car ces expéditions sont le résultat des conditions imposées à la Belgique.

M. Osy. - Il est des réponses diplomatiques que je désirerais connaître, afin de savoir si le gouvernement a suivi la marche que nous lui avons tracée, savoir : de ne point consentir à l’évacuation des territoires cédés avant la reconnaissance par la Hollande du traité du 15 novembre.

M. Gendebien. - L’engagement pris par le ministre de jouer cartes sur table le force à communiquer toutes les pièces ; nous verrons quel parti il prendra.

Quant à ce qu’a dit M. Nothomb relativement aux pièces, je ferai remarquer que tous les détails dans lesquels il est entré sont fort inutiles, car on peut acheter tous les protocoles en Angleterre, ils y sont dans le commerce. Les journaux anglais ont même observé que, sur les trois ou quatre gros volumes où ces pièces sont entassées, il y en avait la moitié de consacrée à l’énumération des titres des rois étrangers.

On est venu dire que l’on avait caché le protocole du 1er février au gouvernement provisoire : rien n’est étonnant que ce protocole ne soit pas dans notre chancellerie ; le congrès renvoyait ces pièces, il repoussait les protocoles et cherchait les droits des peuples autre part que dans des protocoles.

On a changé de système ; mais, dès l’instant qu’on a molli, qu’on a abandonné l’énergie du congrès, on est entré dans la voie qui aboutira au partage et à la perte du nom belge.

Dans tous les cas, messieurs, il y a nécessité de compléter les protocoles et de faire le dépôt de toutes ces pièces et des annexes.

On a touché une corde bien sensible, et je dois relever à cet égard ce qu’a avancé M. le ministre des affaires étrangères. On vous a rappelé que nous étions sommés de payer. Dès que la France le veut, nous paierons. On a répondu que l’on s’était opposé à la prétention de la France, et que l’on ne paierait pas les frais de la guerre, comme si les battus ne payaient pas toujours l’amende.

La France a fait ses réserves afin de faire valoir ses prétentions pour le remboursement des frais de la guerre.

Si vous subissez l’intervention de la France et de l’Angleterre comme une nécessité, pourquoi ne vous êtes-vous pas opposés à cette réserve ? Pourquoi n’avez-vous pas dit dès lors que vous ne paieriez pas ? Quand l’intervention a été consentie par vous, pourquoi n’avez-vous pas mis pour condition première que vous ne paieriez pas les frais de la guerre ? C’est par suite d’engagements téméraires, pris par les ministres belges, que nous nous trouvons engagés dans cette injuste et triste nécessité de nous soumettre à tant d’exigences : c’est par suite de lâcheté que nous avons eu la honte de subir le traité du 15 novembre ! Des réserves ! Mais vous savez bien qu’elles finissent toujours par s’exécuter, et nous paierons après avoir subi la honte de l’intervention.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Il est tout naturel que l’honorable préopinant ne sache pas ce qui s’est passé lors de la rentrée des troupes françaises en Belgique. Nous avons déclaré à la France qu’elles ne rentreraient pas sur notre territoire, s’il fallait payer les frais de l’expédition...

- Un membre. - Quelle expédition ?

Plusieurs membres. - Celle d’Anvers.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Il en est résulté que l’article relatif aux frais a été supprimé dans la convention.

Une réserve n’a pas de valeur ; elle n’est que l’expression d’un désir. La réserve française a été neutralisée par une protestation de notre part.

M. Nothomb. - Que la chambre soit bien convaincue que les explications que j’ai données sont exactes.

On a dit qu’on pouvait se procurer la collection de pièces en question ; ce fait est erroné : les protocoles ne sont pas dans le commerce ; je n’ai pas pu me procurer l’ouvrage dont on a parlé. Je crois qu’à Londres comme à Paris, c’est le gouvernement qui a fait imprimer le recueil. Les exemplaires en sont numérotés. Je pense que ceux qui ont feuilleté les recueils que vous avez entre les mains, doivent être convaincus que ce qu’il nous faut maintenant, c’est un supplément aux 70 protocoles. Ce supplément est indispensable.

M. Gendebien. - Il vient de m’arriver une note, je ne sais d’où. On y est dit que M. Nothomb fait imprimer, dans ce moment, la collection des protocoles. Je donne la note pour ce qu’elle vaut, venant de je ne sais où. Mais si le fait est exact, il peut nous dire d’où lui viennent les protocoles.

M. Nothomb. - Je demande la parole pour un fait personnel. Je suis fâché que l’orateur fasse usage d’une note anonyme. Je fais, il est vrai, imprimer dans ce moment un ouvrage, mais ce n’est pas un recueil de protocoles ; car pour mon compte, je déclare que je n’ai pas la collection des protocoles.

M. Dumortier. - Puisque le ministre déposera toute la série des actes diplomatiques, je demande que nous rentrions dans la discussion du fond de la question politique, et je réclame la parole pour répondre au discours du ministre.

M. de Brouckere. - Avant d’entamer cette discussion, il faut attendre l’impression du discours du ministre et le dépôt des pièces sur le bureau, afin que tout le monde prenne part au débat.

On a soutenu que le gouvernement ne pouvait avoir tous les protocoles, parce qu’ils ne sont pas dans le commerce ; mais si nous ne pouvions avoir que les protocoles qui sont dans le commerce, nous n’aurions pas besoin d’un ambassadeur, nous n’aurions besoin que d’un commis-voyageur.

Quand on a déposé ces protocoles sur le bureau des chambres en France et en Angleterre, nos ambassadeurs auraient pu se procurer un exemplaire des pièces déposées. Pour faire de semblables démarches on n’a pas besoin d’être interpellé par les chambres. Vous voyez messieurs, avec quelle insouciance, avec quelle incurie, nos affaires extérieures sont dirigées.

M. le président. - La chambre ordonne-t-elle l’impression du discours du ministre... ?

M. Dumortier. - J’ai toujours demandé l’impression des discours qui nous apprenaient quelque chose ; quant au discours du ministre des affaires étrangères, son impression serait tout à fait inutile. Nous l’aurons dans le Moniteur, et cela nous suffira. Mais je demande que dès demain les protocoles soient déposés sur le bureau.

M. Jullien. - Il ne s’agit pas seulement des protocoles, mais de toutes les pièces diplomatiques.

M. Gendebien. - C’est parce que le discours longuement médité du ministre ne nous apprendra rien que j’en ai demandé l’impression pour l’édification de la nation, et pour montrer l’utilité de notre diplomatie.

- La chambre, consultée, ordonne l’impression du discours de M. le ministre.

M. le président. - M. le ministre déposera-t-il les pièces demandées ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Je déposerai sur le bureau toutes les pièces que je croirai convenable de déposer. (Bruit.) Dans mon action ministérielle, je dois agir selon ma conscience, sauf responsabilité.

M. Dumortier. - Quand il s’agit des intérêts les plus chers à la nation, quand la patrie est peut-être menacée dans son indépendance, c’est bien le moment de venir nous parler de la responsabilité ministérielle ! Je suis étonné qu’on invoque cette responsabilité. Qu’est-ce que c’est que la responsabilité quand il s’agit de la patrie ? Vous avez exposé la Belgique au plus grand de tous les malheurs, à la honte. Je déclare que si les pièces ne sont pas déposées sur le bureau, une enquête est indispensable et j’en fais la demande. Il faut savoir si nos intérêts n’ont pas été abandonnés d’une manière indigne. Il faut savoir si l’on a réclamé la dette ; il faut savoir si l’on a réclamé le partage de la flotte des Pays-Bas.

Il faut que la nation sache comment elle est gouvernée. Ce n’est pas avec la responsabilité ministérielle qu’on sauve un peuple.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - J’engage la chambre à vouloir bien désigner les pièces que l’on demande ; car sans cela il faudrait apporter les archives du pays sur le bureau de la chambre.

M. de Brouckere. - Je conçois que la responsabilité puisse déterminer un ministre à ne pas communiquer des pièces qui se rattachent à une négociation qui n’est pas achevée. S’il en existe dans un tel état, ce ne sera pas moi qui demanderai que les pièces qui la concernent soient déposées.

Dans son discours le ministre se réjouissait de pouvoir jouer cartes sur table ; une demi-heure après il nous déclare avoir des pièces qu’il ne peut nous communiquer ; voilà une bien singulière contradiction.

Je demanderai à quoi se rattachent les pièces qu’on ne peut pas communiquer ? A quelles négociations particulières elles se rapportent ? Ce n’est pas à nous à désigner les pièces dont nous demandons communication ; c’est au ministre à dire à quoi sont relatives les pièces dont il fait exception.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Messieurs, je n’ai pas dit que j’allais faire de la diplomatie cartes sur table ; j’ai dit qu’il était facile à la chambre de savoir où nous en étions sur nos relations diplomatiques par la note de la France et par la réponse de la Hollande. C’est chose impossible de faire de la diplomatie cartes sur table…

M. Jullien. - Ce ne serait plus de la diplomatie !

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Je ne vois nul inconvénient à déposer les protocoles et leurs annexes.

De la manière dont M. Dumortier s’est exprimé, j’ai pu croire qu’il demandait autre chose encore ; qu’il demandait le dépôt sur le bureau des instructions que j’envoie soit à Londres, soit à Paris.

M. Osy. - Je demande particulièrement à connaître les dernières réponses de la Hollande, celles de janvier.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Pour ne pas trahir les véritables intérêts de l’Etat, je ne déposerai que les pièces que je pourrai, en conscience, déposer.

M. Dumortier. - M. le ministre des affaires étrangères est venu parler, dans son discours, d’une convention particulière qui se préparait ; l’article 68 de la constitution est positif relativement à ces conventions : « Les traités de commerce et ceux qui pourront grever l’Etat n’ont d’effet qu’après l’assentiment des chambres. »

- Plusieurs membres. - Le ministre en est convenu dans son discours.

M. Dumortier. - Je le sais bien ; mais je me plais à lui répéter cette disposition de la constitution.

On nous a déjà dit que le gouvernement pouvait adhérer à de nouveaux traités, qui ne seraient que la conséquence du traité du 15 novembre ; c’est ainsi que l’on a prétendu justifier la conduite du gouvernement en disant que, puisque nous avions consenti ce traité, nous avions consenti ceux qui en seraient le corollaire. J’ai les craintes les plus vives pour mon pays que l’on ne vienne invoquer le traité de novembre.

Nous avons besoin, avant de voter une armée qui nous précipite dans un déficit immense, de connaître les documents qui se rattachent à la convention particulière dont le ministre a parlé.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Il paraît que mon rapport n’a pas été bien compris. J’ai cru que, dans une circonstance telle que celle-ci, le gouvernement devait dire à la chambre ce qu’il ferait dans tel ou tel cas. Il y a deux cas possibles : un arrangement définitif, et j’ai annoncé les conditions de ce cas. J’ai parlé ensuite des conditions, dans le cas d’un traité provisoire. Actuellement il ne s’agit ni de l’un ni de l’autre, parce que les négociations ne sont pas continuées.

M. le président. - Pour continuer la discussion politique, il faut attendre l’impression du discours et le dépôt des pièces.

M. Gendebien. - Il dépendrait alors du ministre d’ajourner indéfiniment cette discussion en ne faisant pas le dépôt des pièces.

Messieurs, nous devons savoir promptement ce que l’on fera de notre armée. S’il fallait la conserver pour l’exposer à la honte l’armée au bras, je dirai qu’elle préférerait son licenciement dès demain à un affront de ce genre.

M. de Brouckere. - On ne peut pas continuer la discussion sans la communication des pièces. A lundi la suite de la discussion.

- De toutes parts. - A lundi ! à lundi !

- La séance est levée à quatre heures environ.