(Moniteur belge n°37, du 6 février 1833)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Jacques fait l’appel nominal à une heure.Il donne ensuite lecture du procès-verbal dont la rédaction est adoptée.
En dernier lieu, il expose sommairement l’objet des pièces adressées à la chambre.
MM. Lebeau, Goblet, Duvivier et Rogier sont au banc des ministres.
M. d’Elhoungne. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Messieurs, en arrivant ce matin, j’ai trouvé distribués le rapport et le projet de loi y annexé, que j’ai eu l’honneur de vous faire vendredi dernier ; mais une faute grave, qu’il importe de rectifiée s’est glissée dans l’impression du projet, à l’article 6.
Cet article porte : « Ces bons seront à échéances fixes et à l’intérêt d’un p. c. par mois. » Cependant c’est l’intérêt d’un demi pour cent que le projet devrait porter. Vous voyez que cette faute d’impression pourrait avoir des conséquences fatales pour le crédit public ; aussi j’ai l’honneur de vous proposer de faire insérer au procès-verbal la rectification de l’erreur, et de charger le bureau de faire publier la même rectification par la voie des journaux. Il importe au crédit public que cette erreur ne se répande pas et soit relevée aussitôt.
- La proposition de M. d'Elhoungne est adoptée sans opposition.
M. le président. - Dans la dernière séance on a remis à aujourd’hui à déterminer le jour où commencerait la délibération sur le projet de loi concernant l’émission des bons du trésor.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Attendons un moment ; M. le ministre des finances sera bientôt au milieu de nous. (En ce moment, M. Duvivier entre en séance.)
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Il s’agit de déterminer le jour où commencera la discussion sur la loi portant création de bons du trésor ; je ne puis qu’exprimer le désir que j’ai déjà fait connaître, c’est que la discussion ait lieu le plus promptement possible.
M. le président. - On a proposé jeudi ou vendredi.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Immédiatement après les crédits provisoires.
M. d’Elhoungne. - Quand il s’agit de délier les cordons de la bourse, il importe que le contribuable ait la conviction qu’il y a nécessité, et que c’est à cette nécessité que la représentation nationale a dû céder. Par le rapport qui vous a été distribué, je pense que l’assemblée a pu se convaincre de la haute portée des questions qui se rattachent à ce projet qui doit avoir pour résultat d’imposer de nouvelles charges au pays. Quoique, dans mon opinion ces charges tourneront à l’avantage du pays, je crois qu’il est utile de convaincre le public que nous nous sommes donné le temps d’examiner les questions avec soin, et de délibérer en parfaite connaissance de cause. L’assemblée pourrait remettre la discussion à huit jours, à lundi prochain. (Bruit.)
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Messieurs, pour concilier les diverses opinions, je crois qu’en remettant à jeudi on aura le temps d’examiner la loi.
- Plusieurs voix. - Oui ! oui ! à jeudi !
- La chambre consultée décide, à une assez forte majorité, que la discussion aura lieu jeudi sur le projet relatif aux bons du trésor.
M. Pirmez a la parole pour donner lecture de la proposition qu’il a déposée sur le bureau dans une des séances précédentes.
Voici cette proposition :
« Léopold, Roi des Belges,
« Vu le décret du 6 mars 1831, relatif aux barrières ;
« Considérant que l’ouverture du canal de Charleroy à Bruxelles a beaucoup facilité le transport entre les deux villes ;
« Considérant que, par la substitution trop brusque d’un mode de transport à un autre, un grand nombre de familles sont menacées de ruine ;
« Considérant que les frais d’entretien de la route de Charleroy à Bruxelles sont de beaucoup inférieurs aux produits des barrières ;
« Considérant qu’en diminuant le droit de barrière sur cette route, on donne aux industries et aux capitaux qui y sont engagés le temps de se déplacer graduellement et sans secousse, et que d’ailleurs cette mesure ne porte aucun préjudice au trésor public ;
« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :
« A dater du 1er avril 1833, le droit de barrière sur la route de Charleroy à Bruxelles sera perçu d’après le tarif suivant
« Pour chaque paire de roues de voitures quelconque (trois roues comptant pour deux paires) 02 c.
« Pour chaque cheval ou mulet attelé ou non, jusqu’à concurrence de quatre têtes d’attelage 04 c.
« Pour une 5ème tête d’attelage 06 c.
« Pour une 6ème, 08 c.
« Pour une 7ème, 16 c.
« Pour une 8ème, 24 c.
« Pour chaque tête au-dessus de huit, 24 c.
« Pour chaque bœuf ou âne attelé, 02 c.
« Pour chaque bœuf ou âne attelé avec plus de quatre chevaux, 04 c. »
Plusieurs sections, ajoute M. Pirmez, ont fait remarquer que ce projet serait plus convenablement présenté au jour où l’on nous soumettrait la loi sur les barrières. J’ai trouvé cette remarque juste, et j’attendrai, pour présenter le développement de ma proposition, que le ministre nous ait saisis de la discussion de cette importante loi. Je crois cependant qu’il est utile de faire observer que je ne demande point un privilège, parce que, dans certaines circonstances, baisser les droits, ce n’est pas diminuer les recettes du fisc. Je jette cette idée en avant, afin qu’on la mûrisse ; je la développerai plus tard.
M. Jullien. - Je saisirai l’occasion pour rappeler au gouvernement, qui peut-être l’oublierait, que l’impôt sur les barrières cessera d’être perçu au 1er avril prochain ; il faut donc que l’on présente une loi sur les barrières.
Nous n’avons que quelques semaines devant nous pour discuter cette loi : il est donc instant qu’on nous présente un projet de loi sur les barrières dans le courant de ce mois, ou dans le courant du mois prochain.
M. Gendebien. - Il me semble que la proposition de M. Pirmez est assez importante pour qu’on la renvoie aux sections ; Cette proposition, pouvant être considérée comme un amendement à la loi future des barrières, sera examinée en même temps que cette loi.
M. Pirmez. - J’ai annoncé que la diminution des droits ne diminuera pas le produit, et c’est ce que je prouverai lors de la discussion de la loi sur les barrières.
- La chambre renvoie le développement de la proposition à M. Pirmez à l’époque où elle s’occupera de la loi sur les barrières.
M. le président. - L’ordre du jour est la discussion de la loi sur les crédits provisoires.
M. Osy. - Messieurs, après la rentrée aux affaires du ministères actuel, à différentes reprises, plusieurs de nos honorable collègues ont demandé quel système le ministère comptait suivre : si ce serait l’évacuation du territoire à céder, comme il y avait consenti par la note du 2 novembre, ou s’il comptait se ranger de l’opinion de la majorité de la chambre, lors de la discussion de l’adresse, c’est-à-dire de ne consentir à l’évacuation du Limbourg et du Luxembourg qu’après l’adhésion de la Hollande au traité du 15 novembre, qu’on nous avait imposé.
Le ministère n’a pas trouvé convenable d’y répondre jusqu’à présent, ni de nous faire aucune communication sur la situation de nos affaires extérieures, et je m’explique ce silence, parce qu’après la reddition de la citadelle les négociations de la France et de l’Angleterre ont recommencé, et qu’il aura voulu attendre jusqu’à ce qu’il ait quelque chose de positif à nous annoncer.
Mais maintenant le ministère nous demande de nouveaux crédits de nécessité ; je crois que nous sommes en droit de savoir où en sont nos affaires extérieures et si le ministère les dirige dans le sens comme nous le lui avons indiqué, ou s’il est rentré dans l’ancienne voie de négociations interminables qui devront nous mener à de nouvelles concessions qui nous seront bien onéreuses ; j’ai eu ces craintes lorsque j’ai eu connaissance du projet de traité proposé le 31 décembre à la Hollande, et où je vois article 3 : « Jusqu’à la conclusion d’un traité définitif entre la Hollande et la Belgique, la navigation demeurera libre et sans entraves quelconques, telle qu’elle l’a été depuis le 20 janvier 1831. » Ceci me fait craindre que l’Angleterre et la France consentiront à des droits et à des entraves pour l’Escaut, lors du traité définitif à faire avec la Hollande. Ceci vous aura frappés comme moi, messieurs, et vous conviendrez qu’il est urgent que nous sachions si le gouvernement a protesté contre une pareille stipulation.
Vous verrez aussi, messieurs, l’article 4, qui dit que la Grande-Bretagne et la France s’engagent à obtenir, immédiatement après la ratification de la présente convention (que je ne regarde qu’un véritable statu quo), l’évacuation du Limbourg et du Luxembourg.
D’après cela je dois conclure que, depuis la discussion de l’adresse, le gouvernement se sera refusé à l’évacuation du territoire ; mais, les deux puissances venant de nouveau stipuler pour nous avant l’adhésion de la Hollande au traité du 15 novembre, je désire savoir si le gouvernement n’a pas protesté contre cette nouvelle offre faite à la Hollande et refusé positivement cette évacuation.
Nous savons que la Hollande a refusé d’adhérer à ce projet de statu quo ; mais, les négociations continuant, il est à présumer qu’on fera à la Hollande quelques autres concessions qui seront à notre détriment ; mais la Hollande ayant consenti, depuis peu de jours, à l’ouverture de l’Escaut pour les navires neutres, je désire savoir, avant d’accorder les crédits provisoires demandés, où en sont nos affaires extérieures.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Messieurs, je m’empresse de déclarer à l’honorable membre qui m’a fait l’honneur de m’interroger, que les négociations dont on s’occupe en ce moment ne sont pas encore arrivées au point de maturité nécessaire pour qu’elles puissent devenir l’objet d’une communication à la chambre.
Dans cette situation, j’aime à croire qu’il voudra bien se contenter de recevoir l’assurance que le gouvernement continue à marcher dans la route tracée par les actes qui ont constitué l’indépendance de la Belgique.
Il n’a pas dévié un seul instant de la ligne dont mon dernier rapport, et les explications qui l’ont suivi vous ont montré le point de départ et le but.
Vous le savez, messieurs : l’un était le traité du 15 novembre, tel qu’il a été signé et ratifié ; l’autre, l’exécution de ce traité par les puissances qui l’ont garantie.
Nous avons donc pris pour point de départ, non seulement les droits acquis à la Belgique par le traité dont je parle, mais aussi les engagements que nous avons contractés en le signant avec les cinq puissances : l’existence des uns est intimement liée à l’observation des autres, au moins tant que les puissances restent elles-mêmes fidèles à leurs obligations.
Ce système a reçu dans cette enceinte tous les développements dont il est susceptible ; les derniers débats en ont épuisé la discussion. Je ne le rappelle aujourd’hui que parce qu’il résume les principes que nous avons apportés en arrivant au pouvoir : principes fondés sur la prévoyance autant que sur le droit le plus sacré, et qui ne pouvaient manquer d’être aussi les vôtres.
Messieurs, ce n’est pas pour faire une Belgique que nous avons pris en mains les rênes du gouvernement : en politique, tout retour sur le passé est une faute, et nous ne l’avons pas commise. Nous avons trouvé la Belgique avec des droits acquis et des engagements contractés, et nous avons pris la ferme résolution de défendre les uns et d’être fidèles aux autres.
Armés de nos droits, nous avons réclamé des puissances l’exécution de leurs engagements. Nous leur avons dit : Soyez fidèles à la parole que nous avons reçue de vous, et nous serons fidèles à celle que nous vous avons donnée.
Cet appel n’a pas été, et ne pouvait être vain. Vous vous rappelez, messieurs, avec quel empressement nous avons vu y répondre celles des cinq puissances qui se trouvaient le plus à même de convertir leur garantie en faits immédiats.
La France et l’Angleterre continuent à travailler activement à l’accomplissement de la tâche qu’elles se sont imposée. Pour être devenus moins manifestes, leurs efforts combinés sont loin de se ralentir.
Cependant, messieurs, vous sentirez sans peine tout ce qu’il y a de convenances et d’intérêts qui s’opposent à ce que le ministère puisse soutenir, en ce moment, une discussion sur des objets qui ne sont pas encore revêtus du caractère nécessaire pour être livrés aux débats de cette chambre.
Jusqu’à ce jour le gouvernement n’a pas lieu de partager les inquiétudes que quelques personnes pourraient concevoir en présence de l’apparente inaction de la France et de l’Angleterre.
Certes, je suis loin de méconnaître ce qu’il y a de légitime dans l’impatience qui se manifeste ; mais cette impatience doit se calmer en voyant l’intervention des deux gouvernements se développer avec le caractère le plus rassurant.
Messieurs, nous avons eu foi aux actes diplomatiques, et cette politique régulière, sans laquelle nous n’eussions pu prendre rang parmi les nations de l’Europe, a produit tous les fruits que nous étions en droit d’attendre.
En présence de ce respect pour des obligations solennelles, respect dont nous nous applaudissons d’avoir donné l’exemple, notre avenir, messieurs, ne doit pas paraître sombre, ni même incertain ; je ne puis que vous répéter ce que je vous disais naguères : « Il n’y a rien qui doive nous porter à croire que les puissances garantes du traité se bornent au premier pas qu’elles viennent de faire pour arriver au but indiqué par leurs engagements envers nous. »
Messieurs, je sais que les interpellations qui sont adressées au ministère ne sont rien moins que dictées par la seule curiosité ou par un esprit d’hostilité envers le gouvernement. (Murmures.) Loin de moi la pensée de suspecter les intentions de qui que ce soit ! C’est la conscience, j’aime à le croire, et la conscience seule, qui parle dans cette enceinte.
Mais, messieurs, en étudiant la manière dont le cabinet de La Haye a toujours su mettre à profit les interpellations faites au sein de cette chambre et les discussions qui en ont été la suite, j’ai eu tout lieu de me convaincre que ces discussions avaient eu la plus grande influence sur la marche de la politique de notre adversaire.
C’est ici, messieurs, c’est dans ce qui se disait sur ces bancs, qu’il trouvait ses moyens les plus susceptibles de faire impression sur les membres de la conférence.
Veuillez, messieurs, vous rappeler que nous n’avons encore jusqu’à ce jour obtenu sur notre ennemi qu’un seul véritable succès diplomatique. Il fut le résultat des négociations des douze derniers jours de septembre de l’an passé ; et pourquoi, messieurs, l’emportâmes-nous dans cette circonstance ? C’est parce que nul indice n’avait pu révéler au gouvernement hollandais la marche qu’a suivie alors le cabinet de Bruxelles. Profitons de cet exemple, messieurs, et conservons nos moyens pour repousser tout ce qui serait contraire à nos droits et aux avantages qui doivent en résulter.
Messieurs, je vais franchement répondre à une particularité de l’interpellation que m’a adressée l’honorable préopinant. Je ne croyais pas avoir à faire une nouvelle profession de foi à l’égard de l’évacuation réciproque des territoires ; j’étais persuadé que la pensée du ministère à ce sujet résultait de la manière la plus claire des explications que j’ai eu l’honneur de donner à la chambre dans les séances des 23 et 24 novembre dernier.
. Cependant, puisqu’on a cru devoir agiter de nouveau cette question, je ne puis que répéter ici que le gouvernement a toujours considéré qu’il serait contraire aux stipulations renfermées dans le traité du 15 novembre de remettre les territoires en question au gouvernement néerlandais, avant que les conditions attachées à leur possession n’aient été remplies.
La première question qui se présente naturellement à ce sujet est la suivante :
Quelles sont les conditions attachées à la possession de ces parties de territoires ?
J’ai déjà répondu à cette question dans la séance du 24 novembre ; en m’appuyant sur la note de la conférence, en date du 11 juin, j’ai dit que, cette note sous les yeux, il n’était point permis de douter que l’évacuation complète et réciproque des territoires respectifs, entre la Hollande et la Belgique, ne dût assurer immédiatement à cette dernière la jouissance de la navigation de l’Escaut et de la Meuse, ainsi que l’usage des routes existantes pour les relations commerciales entre l’Allemagne, aux termes du traité du 15 novembre.
Telle est l’interprétation donnée par les puissances elles-mêmes, et nous ne pouvions attendre moins des deux d’entre elles qui se sont chargées de la tâche d’amener l’exécution du traité.
Je suis heureux, messieurs, qu’une publication récente soit venue confirmer mon assertion. Dans les propositions de la France et de l’Angleterre au cabinet de La Haye, on ne peut, en effet, méconnaître la pensée qui domine dans la note du 11 juin. C’est celle que l’on a constamment suivie jusqu’à ce jour.
Messieurs, vous me permettrez de m’en tenir à cette seule observation sur les propositions que je viens de citer. Elles n’ont pas acquis le caractère nécessaire pour que nous puissions les considérer comme officielles à notre égard ; il n’est donc pas convenable de les discuter, ni même d’entrer en ce jour dans des explications sur les intentions du gouvernement au sujet des négociations qui font l’objet des démarches des deux puissances exécutrices.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Je crois m’être aperçu qu’on a pris le change sur un passage du discours de mon collègue. Il s’est servi d’une expression qui présente ambiguïté, parce que cette expression, selon la place qu’elle occupe, est susceptible d’une interprétation différente. J’ai la certitude qu’il n’a pas le moins du monde envie de rien dire de désagréable à aucun membre de la chambre.
M. Osy. - Le ministre de la justice vient de relever une phrase que j’aurais pu croire m’être adressée ; je n’ai rien à ajouter.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Si l’on craint que ma phrase puisse blesser quelqu’un, je la répéterai. (Non ! non !)
M. A. Rodenbach. - C’est une faute de rédaction.
M. H. de Brouckere. - Le ministre par sa phrase dit tout juste le contraire de ce qu’il voulait dire.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Il n’y a pas de phrase qui ait donné lieu à une plus grande controverse entre les grammairiens. Je pourrais montrer deux bataillons de grammairiens combattant sur le sens de cette locution.
M. Gendebien. - Je ne veux pas répondre à ce qu’a dit le ministre des affaires étrangères. Depuis trop longtemps nous sommes habitués à être dupes. Je me bornerai à protester pour que mon silence ne soit pas considéré comme approbatif de ce qui a été dit.
Je ne puis, pour mon compte, continuer le rôle de dupe que nous avons joué depuis deux ans. Voilà ce que je voulais déclarer.
M. Jullien. - J’ai très bien compris que le ministre n’a rien voulu dire. Mais je demanderai si le ministre peut assigner un terme au-delà duquel il pourra donner des explications. Nous allons voter un crédit provisoire ; dans quelques jours nous voterons un budget ; le ministre voit-il le moment où il pourra rompre le silence ? Car on lui demandera des explications à l’occasion du budget.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Les affaires de la Belgique dépendent de trop de particularités diplomatiques pour que le gouvernement puisse, seul, leur assigner un terme. Tout ce qu’il peut promettre, c’est d’accélérer les négociations entamées, et de ne point compromettre les intérêts du pays.
M. de Brouckere. - Messieurs, ce serait un rapprochement assez bizarre à faire que celui des demandes de crédits provisoires qui nous ont été successivement soumises depuis les premiers temps de la révolution.
Chaque fois que le gouvernement nous a fait une demande semblable, elle a toujours été accompagnée de regrets sur la nécessité où il s’était trouvé, et surtout d’une promesse bien formelle que c’était pour la dernière fois que cela lui arriverait.
Il faudrait faire suivre ce rapprochement d’un autre encore, c’est-à-dire des discussions qui ont eu lieu sur les crédits provisoires. Toujours les membres qui prenaient la parole témoignaient leur regret d’être obligés de les voter ; et toujours ils ajoutaient la déclaration formelle que c’était pour la dernière fois qu’ils en votaient.
Malgré les promesses d’un côté et les déclarations de l’autre nous sommes encore obligés de voter des crédits provisoires sur la promesse renouvelée par M. le ministre des finances que c’est pour la dernière fois. Quant à moi, je suis persuadé que ce n’est pas la dernière fois que nous en voterons.
Est-ce à la nécessité qu’il faut attribuer ces crédits provisoires ? Non ; c’est à la négligence ; c’est parce que les ministres ne veulent pas entrer de bonne foi dans l’esprit de la constitution. J’en appelle à la mémoire de tous ceux qui ont contribué à rédiger la constitution ; ils diront, comme moi, que leur intention était que chaque année le budget fût voté pour l’année suivante. C’était donc en 1832 que le budget de 1833 devait être voté ; et c’est pour cela que l’ouverture de la session a été fixé au mois de novembre.
Quel que soit le motif qui a guidé le gouvernement, nous n’avons point vu, en 1832 le budget de 1833. Cette omission aurait pu être réparée encore dans les premiers jours de novembre, si le ministère avait présenté le budget, et si surtout il avait joint les comptes des années précédentes à la loi de finances.
Au lieu de cela qu’a fait le ministère ? Ce n’est qu’après un long délai qu’il a présenté le budget ; il a fait attendre plus longtemps les comptes ; nous avons été obligés de les arracher de la main du ministère, et nous n’en avons pour ainsi dire que des lambeaux.
Quoi qu’il en soit, nous sommes au commencement de février, et force nous est de nous occuper de budgets provisoires.
Un ancien ministre nous a dit que les crédits provisoires étaient subversifs de toute bonne comptabilité ; en voilà plus qu’il n’en faut pour faire leur procès.
Mon intention n’est pas de voter contre les crédits provisoires ; mais je déclare que je n’entends attacher aucune idée politique à mon vote ; mon vote sera dicté par la nécessité. Je ne veux pas entraver la marche de l’administration.
Je me dispense de dire que c’est pour la dernière fois que je vote ainsi, parce que plusieurs fois déjà j’ai fait de semblables déclarations, et que plusieurs fois on m’a forcé de revenir sur mes déclarations ; je dirai seulement comme le dernier orateur que je ne consens pas à être toujours dupe.
J’ai, messieurs, une observation à faire sur le projet en lui-même tel qu’il nous a été présenté par la commission. Cette observation touche le quatrième paragraphe de l’article 3. Je ne consens point à regarder ce que l’on paie aux fonctionnaires comme une avance et comme étant une part de leur traitement. Je n’ai aucun intérêt dans la question, puisque mon traitement est fixé par une loi. L’an passé nous avons longuement discuté pour savoir quels seraient les appointements dont jouiraient les fonctionnaires ; tous ont été réduits ; quelques-uns l’ont été au-delà de ce que j’eusse voulu ; il faut s’arrêter une fois, il ne faut pas que chaque année nous mettions en question le sort des fonctionnaires. Vous concevez quelle serait leur position, si chaque année ils étaient dans l’incertitude. Nous avons fixé à un taux très modéré leurs appointements ; ne les inquiétons donc pas momentanément. Qu’on leur paie en entier leurs appointements ce trimestre-ci, et si l’on fait des réductions, il n’y aura pas grand mal qu’ils aient reçu un trimestre complet.
Je regarde comme une injustice de diminuer les appointements des fonctionnaires pour un temps écoulé. J’‘ai soutenu qu’il était contraire à tout principe d’équité et j’ai été appuyé par M. Destouvelles, de diminuer des appointements pour un travail fait. Au reste, je reviendrai sur le 4ème paragraphe quand nous en serons à la discussion des articles.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Messieurs, je ne viens pas faire l’apologie du système des crédits provisoires. Il me semble qu’en quelque endroit que l’on siège, sur le banc des ministres comme partout ailleurs, on doit tomber d’accord que les crédits provisoires sont un système vicieux, qui ne peut être admis que par la nécessité : aussi, messieurs, nous ne pouvons pas accepter la responsabilité de ce fait.
L’honorable préopinant, en adressant des reproches au ministère, aurait raison si le ministère était un être moral, si le ministère existait toujours et dans tous les temps. Remarquez-le bien, messieurs, à quelle époque les hommes qui en ce moment sont dépositaires des portefeuilles ont-ils été appelés au ministère ? A la fin d’octobre. Evidemment, il y avait pour eux impossibilité d’anticiper sur le terme fixé par la constitution pour la convocation des chambres. En supposant que les matériaux de chaque budget ministériel eussent été préparés par les hommes sortant de l’administration, il est clair que leurs successeurs ne pouvaient accepter aveuglément une œuvre qui n’était pas la leur. Nous ne devons pas présenter le budget de nos prédécesseurs, mais notre propre budget ; nous n’engageons notre responsabilité qu’à cette condition.
Etait-il possible de préparer un travail aussi long, aussi compliqué que celui des budgets avant le terme de la convocation des chambres ? Je le répète, il y avait impossibilité.
Souvenez-vous qu’aussitôt que les chambres ont été constituées, une discussion politique de la plus haute importance a eu lieu dans l’assemblée ; l’adresse en réponse au discours du trône vous a occupé pendant 15 jours, et vous êtes arrivés de cette manière à la fin de novembre ; mon budget et ceux de mes collègues étaient alors préparés, et ils vous ont été présentés dans les premiers jours de décembre. Le ministère n’a donc point perdu de temps. Nous sommes si peu amis du provisoire que nous n’avons pas voulu substituer le provisoire au définitif dans le budget des recettes.
Quant au retard résultant de la distribution des comptes de 1830 et 1831, la chambre sait que les observations de la cour des comptes ont été retenues par elle, quoique les comptes aient été remis en ses mains avant l’ouverture de la session ; et la chambre sait encore que le ministère n’a pas cessé d’être en instance près de cette cour pour obtenir les observations qu’elle doit faire sur l’emploi des crédits pendant les exercices expirés.
Quant au mérite de ces comptes en eux-mêmes, la chambre sera assez juste pour voir qu’ils ne sont pas l’œuvre du ministère actuel et qu’il ne peut en aucune manière en assumer la responsabilité.
Je ne partage pas l’opinion de l’honorable préopinant, relativement à ce qu’il a dit sur l’article de la constitution qui fixe l’ouverture des sessions au second mardi de novembre ; je pense que le but de la constitution n’est pas celui qu’on lui prête ; ce but serait d’ailleurs manqué s’il en était ainsi ; car il n’est pas possible de voter le budget avant le commencement de l’année, en ouvrant la session au milieu de novembre.
La disposition de la constitution, dont on a parlé, est une espèce de mise en demeure pour la convocation des chambres : la constitution veut que les chambres soient convoquées longtemps avant le commencement de l’année ; mais s’il plaisait à la couronne de trop retarder l’époque de l’ouverture de la session, la constitution a fixé un délai pour que cette convocation ait lieu. Ce délai ne peut être relatif aux budgets ; il aurait fallu fixer le temps de la convocation des chambres six mois au moins avant la fin de l’année, pour obtenir un budget avant le commencement de l’année suivante.
M. Angillis. - Lois provisoires, crédits provisoires, ministres provisoires, protocoles provisoires, sont constamment à l’ordre du jour en Belgique. Quand cet état de choses finira-t-il donc ? Le provisoire est l’ennemi de l’ordre. Il n’y a pas un seul membre dans cette assemblée qui ne soit convaincu que le provisoire est incompatible avec les principes d’une bonne administration. Malgré nos protestations, le provisoire dure encore, et on place toujours les chambres dans cette alternative, ou d’encourir le reproche d’entraver la marche du gouvernement, ou d’encourager, par son vote, la déviation à toute règle de bonne comptabilité.
La nécessité du provisoire a pu exister dans les années précédentes ; elle aurait dû cesser pour celle-ci ; et, malgré tout ce que vient de dire M. le ministre de la justice, on aurait pu nous présenter les comptes en temps utile.
Le législateur ne doit se soumettre à la nécessité que lorsque cette nécessité résulte de circonstances imprévues ; ici, c’est tout le contraire ; la nécessité qu’on invoque, qu’on invoquera chaque année, c’est-à-dire, aussi longtemps qu’on trouvera la chambre disposée à voter des crédits provisoires, n’est qu’une nécessite volontaire, une nécessité de convention.
Je partage l’opinion du ministre de la justice, que le changement des chefs de l’administration, qu’on voit paraître et disparaître comme des ombres chinoises, est fatal au pays ; mais les prédécesseurs des ministres actuels avaient fait préparer un travail, et si les ministres changeaient, les bureaux des ministères restent. Pour moi, je ne peux plus, par un vote approbatif, encourager un pareil système ; et si je dois accorder au gouvernement un appui convenable, pour qu’il remplisse sa haute et noble mission, je ne lui en dois point quand il s’égare.
M. de Brouckere. - Je demande à répondre au ministre de la justice sur un point qui me paraît très important.
Auparavant je ferai remarquer que le reproche de n’avoir pas présenté le budget de 1833 en 1832 ne s’adresse ni à lui ni à ses collègues ; cependant, et quoi qu’il en ait dit, les comptes de 1830 et 1831 auraient pu être présentés plus tôt.
Les journaux français nous apprennent que les ministres de France sont en mesure de présenter le budget de 1834. Si les ministres de la Belgique restent au pouvoir, ou ils doivent nous présenter le budget de 1834 dans la présente session, ou ils nous convoqueront plusieurs mois avant la moitié de novembre. De cette manière nous ne serons plus forcés de discuter des crédits provisoires.
Relativement à l’article 70 de la constitution, je crois qu’il est très faussement interprété par le ministre de la justice. Je n’ai pas voulu dire que le budget pût être présenté, discuté et voté dans l’intervalle de novembre au 1er janvier suivant ; les auteurs de la constitution ont voulu que les chambres s’ouvrissent au plus tard le second mardi de novembre ; mais il a été dans leur intention que le budget fût voté dans la session précédente, ainsi que le budget de 1833 fût voté dans la session de 1831 à 1832. Voilà les véritables principes.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Je ne sais sur quoi nous discutons avec le préopinant, car nous sommes tout à fait d’accord. Il veut que l’on discute le budget cinq ou six mois avant l’exercice auquel il doit s’appliquer ; et, comme moyen d’arriver à ce but, il nous invite à présenter le budget de 1834 dans la présente session où nous nous occupons du budget de 1833. Eh bien, je ferai remarquer à l’honorable préopinant que la question de savoir si la même chambre peut voter deux budgets dans la même session est très controversée en France. Par suite de la déclaration faite par le gouvernement français, qu’il était prêt à présenter le budget de 1834, l’opinion générale a été amenée à conclure qu’il fallait que la session actuelle des chambres fût close, et qu’une session nouvelle fût ouverte.
Je ne sais pas s’il est bien dans le vœu de notre constitution que dans la même session deux budgets pussent être votés. La constitution dit que les impôts ne sont votés que pour un an, ce qui semble annoncer que ce n’est pas la même session qui doit procéder au vote.
En France, on croit qu’aussitôt que le budget de 1833 sera voté, la session sera fermée, pour ouvrir celle où le budget de 1834 sera discuté. Nous sommes parfaitement d’accord avec le préopinant ; nous ne discutons que sur des mots.
M. de Brouckere. - Je ne partage pas l’opinion de M. le ministre de la justice ; c’est en donnant un sens forcé à la constitution qu’on arrive à l’interprétation du ministre. L’article 111 dit seulement que les subsides ne sont votés que pour un an ; mais ce n’est pas à dire que parce que nous aurons voté les crédits de 1833 nous ne puissions voter les crédits pour 1834.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - C’est une question constitutionnelle, et la chambre reconnaîtra que je puis y mettre quelque insistance.
Si l’on peut voter plusieurs budgets dans une même session, pourquoi après le budget de 1834 ne voterions-nous pas celui de 1835, puis celui de 1836 et ainsi de suite ? Où nous arrêterions-nous ? Vous voyez que par suite de cette interprétation on ne trouve aucune limite au pouvoir qu’aurait la chambre de voter l’impôt, ce qui est contraire à la constitution.
M. de Theux. - Il est bien évident qu’aucune époque n’est fixée dans la constitution pour la présentation du budget ; l’article 70 a laissé au gouvernement toute latitude pour la présentation des lois de finances.
Relativement au budget actuel, il est impossible de faire au ministère précèdent le reproche de ne l’avoir pas présenté dans la session précédente à la fin de la session dernière, les chambres étaient trop fatiguées pour qu’on pût leur soumettre la discussion d’une loi aussi importante.
Dès le mois de septembre, le Roi avait agréé la démission des ministres ; mon travail et celui de mes collègues étaient terminés ; nous aurions pu convoquer les chambres avant novembre, mais les circonstances nous mettent à l’abri de tout reproche.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je pourrais répondre aux honorables membres que les reproches de négligence qu’on a voulu faire peser sur le ministère qui nous a précédés, ne lui appartiennent pas ; qu’en arrivant au ministère, j’ai trouvé un budget tout préparé, et que je l’ai seulement soumis à la révision dont il était susceptible parce qu’il engageait ma responsabilité.
Mais les retards dont on se plaint sont-ils donc aussi considérables ? Je considère la date à laquelle les budgets vous ont été présentés : c’est le 22 novembre c’est-à-dire huit jours après l’ouverture de la session. J’accorde qu’ils aient été présentés le 13, jour de l’ouverture de la session, que les comptes vous eussent été aussi rapportés le même jour avec les observations de la cour des comptes ; vous n’auriez eu, pour leur examen consciencieux, que six semaines, et non pas six semaines entières ; car vous devez en retrancher huit jours, au moins, pour les débats de l’adresse (vous savez même qu’ils ont duré quinze jours) ; restait donc un mois. Eh bien ! auriez-vous été moralement en état, au 1er janvier, d’arrêter les dépenses ? Si peu, messieurs, qu’à l’heure où nous sommes, vous ne l’avez pas encore fait, et que le rapport de la section centrale vous déclare qu’il s’écoulera plus d’un mois encore avant que vous ayez discuté et voté. Voilà donc trois mois entiers consacrés à l’examen des budgets et des comptes, trois mois entiers, c’est-à-dire le temps nécessaire pour traiter ce travail avec toute l’importance qu’il mérite.
Or, remarquez bien que si vous accusez les ministres de lenteur, à leur tour ceux-ci pourraient dire à la chambre : Nous vous accordons que nous avons perdu quinze jours ; mais, de votre côté, pourquoi, un mois après le 1er janvier, n’avez-vous pas encore donné au gouvernement les moyens de marcher. Vous voyez donc, messieurs, que la faute ne peut être attribué ni au ministère ni aux chambres, mais à la constitution qui fixe l’ouverture de la session au second mardi de novembre.
Maintenant, il n’est pas douteux que l’intention du ministère est de remédier à cet inconvénient. Nous en sentons le besoin autant que vous.
M. Gendebien. - Je ne pensais pas demander la parole, mais puisqu’on a semblé vouloir faire retomber indirectement sur la chambre le reproche de négligence adressé au ministère, je dois dire que la faute appartient au ministère seul ; cela me paraît incontestable. Lorsqu’on a dissous la chambre le 18 juillet dernier, on avait pris l’engagement, non pas officiellement il est vrai, mais vis-à-vis de la presque totalité des membres, et de moi en particulier, de nous réunir au 15 septembre. Eh bien ! à part cet engagement, si le ministère avait eu la moindre prévoyance, il nous aurait convoqués à cette époque et nous aurait présenté les budgets et les comptes deux ou trois jours après. De cette manière, on aurait pu discuter le budget depuis trois mois et demi, et nous ne serions pas aujourd’hui dans la position d’ignorer encore quand nous discuterons le budget de 1833. Ainsi vous voyez, messieurs, qu’il n’y a aucunement de la faute de la chambre, mais que c’est la faute du ministère, qui n’a pas fait ce qu’il devait.
M. Jullien. - Il résulte des débats que vous venez d’entendre, que si l’on présente encore une fois des crédits provisoires, ce n’est pas la faute du nouveau ministère, et si nous en devons croire l’honorable M. de Theux, ce n’est pas non plus la faute de l’ancien ministère ; de sorte que la faute n’est à personne. (On rit.) Cependant, il y a un fait qui domine tout cela ; c’est que tous les ans, à pareille époque, on nous a dit, en nous apportant des projets de crédits provisoires, que c’était par nécessité et pour la dernière fois. Quant à la question de savoir si l’on peut voter deux budgets dans la même année, je la regarde comme puérile. Il est évident que vous avez le droit de voter en 1833 le budget de 1834. La marche rationnelle et logique, c’est que le budget d’un exercice soit voté dans l’exercice précédent. Or, que vous votiez cette année le budget de 1834, c’est que les budgets soient votés dans l’année qui précède celle à laquelle ils doivent s’appliquer. C’est un avertissement à donner au ministère, et j’espère qu’il ne le perdra pas de vue. Quant à moi, j’ai déclaré à la session dernière que je ne voterais plus de crédits provisoires de cette manière, et je tiendrai ma parole.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Dans cette discussion comme dans les précédentes, on a souvent insisté sur le retard qu’avait mis le ministère à la présentation des comptes. A cet égard il a été déclaré plusieurs fois par le ministre des finances qui m’a précédé, que ces comptes avaient été adressés à la cour des comptes vers la fin d’octobre. S’il en est ainsi, je considère la tâche du ministère comme étant terminée. Il suffit de lire deux articles de la loi qui institue la cour des comptes pour en être convaincu. Voici ce que porte l’article 5 : « Le compte général de l’Etat est soumis à la législature avec les observations de la cour. » Ceci est une disposition générale, mais en voici une particulière que contient l’article 18 de la même loi : « La cour vérifie également le compte des dépenses et recettes de l’Etat jusqu’au 1er janvier 1831, et le soumet avec ses observations à la législature. »
Or donc, comme la cour des comptes doit conserver toute son indépendance, aussitôt que le ministère a remis ses comptes, il n’a plus rien à faire.
M. Osy. - Notre honorable collègue M. Dumortier avait dans une séance précédente demandé les comptes des dépenses. Ce sont ces comptes-là qui sont surtout nécessaires pour examiner la comptabilité des départements, et jusqu’à ce que nous les ayons, cela est impossible. Je prie M. le ministre des finances de nous les faire remettre le plus promptement qu’il le pourra.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Pour remplir le vœu de l’honorable député, aussitôt qu’il a été exprimé dans cette enceinte, je me suis empressé de requérir tous les renseignements dont j’avais besoin pour l’ensemble du travail demandé. J’en ai déjà reçu une partie, et j’espère bientôt avoir les autres.
M. d’Elhoungne. - L’honorable M. Duvivier, pour justifier le ministère des reproches qui lui étaient adressés sur la tardivité de la présentation du budget et des comptes, a cité la loi qui institue la cour des comptes ; il a établi que le ministère était à l’abri de tout blâme. Et comment l’a-t-il établi ? En vous lisant deux dispositions de la loi dont il s’agit, qui imposent à la cour des comptes l’obligation de régler les comptes des départements ministériels.
Mais pour qu’elle puisse régler ces comptes, il faut nécessairement qu’elle ait le temps de les examiner. Or, s’ils lui sont fournis tardivement, il y a impossibilité absolue de sa part d’avoir son travail à temps pour le soumettre à la législature. C’est donc sur la tardivité que M. le ministre devait s’expliquer, et je pense que tous les députés qui siègent sur ces bancs sont convaincus que les comptes ont été fournis trop tard. La cour des comptes a fait preuve de zèle et de dévouement en achevant sitôt la partie de son travail qui est déjà soumis à la chambre, et il y a ingratitude, il y a inconvenance à faire retomber sur cette cour, qui a répondu au but de son institution, le blâme que plusieurs députés ont exprimé sur la tardivité de la présentation de tout ce qui se rattache au budget.
Mais il s’est élevé une autre question à l’occasion des articles 70 et 111 de la constitution. Je vous avoue, messieurs, que je ne partage pas l’avis des honorables préopinants qui n’ont trouvé aucune difficulté à voter deux budgets dans la même session. Je rappellerai la chambre qu’une disposition analogue se trouvait dans la charte française, et que, quand on voulut sortir des crédits provisoires sous le ministère Villèle lui-même, la chambre si docile à ses inspirations a cependant décidé que, d’après cette disposition, on ne pouvait voter deux budgets dans une seule session. La raison en est toute simple, c’est que les lois d’impôts ne peuvent être prorogées au-delà d’un an. Or, si vous votez deux budgets dans la même session, vous anéantissez la garantie assurée au pays par la constitution ; car à quelle limite s’arrêtera-t-on ? On décidera aujourd’hui que l’on peut voter deux budgets dans la même session, et plus tard on décidera qu’on peut en voter 3 et 4.
Il n’y a que deux moyens de sortir de l’état de choses où nous sommes placés ; c’est d’abord celui indiqué par M. le ministre de la justice. Ensuite il y en a encore un autre qui a été indiqué plusieurs fois en France, mais dont on n’a pas fait usage jusqu’à présent ; c’est de changer l’époque de l’année fiscale, et de la reporter du 1er janvier au 1er juillet. Cela se pratique dans d’autres pays, et notamment en Angleterre. Ainsi donc, les deux manières de faire cesser un état de choses qui amène le désordre, c’est, ou de clore prématurément la session actuelle et de réunir la chambre quelque temps après pour s’occuper du budget de l’exercice suivant, ou bien de nous présenter un budget de six mois, d’autant plus qu’en changeant l’époque de l’année fiscale, on pourrait y comprendre les objets qui fournissent matière à discussion. D’après ces observations je pense qu’on peut passer immédiatement à la discussion des articles, car il n’y a point lieu à une longue discussion générale pour des crédits provisoires.
M. A. Rodenbach. - Le projet de loi qui est en discussion est un projet de crédits provisoires. On vient de soulever une question constitutionnelle, mais ce n’est point ici sa place. Ce sont des crédits provisoires qui sont à l’ordre du jour ; nous avons été convoqués pour cela, et il faut s’en occuper.
- La discussion générale est close. On passe à celle des articles du projet de la section centrale.
Les articles 1er et 2 sont successivement mis aux voix et adoptés en ces termes :
« Art. 1er. En attendant le règlement définitif du budget de 1833, il est ouvert au gouvernement un crédit provisoire de sept millions cinq cent mille francs, pour pourvoir aux besoins urgents des services publics autres que le ministère de la guerre. »
« Art. 2. Un arrêté royal, qui sera inséré au Bulletin officiel, répartira ce crédit. »
Les trois premiers paragraphes de l’article 3 sont aussi successivement adoptés. Ils sont ainsi conçus :
« Art. 3. Il ne sera disposé sur ce crédit que pour les objets suivants, savoir :
« 1° La restitution des dépôts et consignations ;
« 2° Le prix de travaux, entreprises et fournitures, résultant de contrats antérieurs à la présente loi ;
« 3° Toute dépense invariable, dont la quotité est déterminée par une loi. »
On passe au paragraphe 4.
« 4° Les traitements et soldes des officiers et troupes de marine. Quant aux autres traitements non fixés par la loi, ils ne seront payés qu’à titre d’avance seulement, et jusqu’à concurrence de deux francs par florin du taux auquel ils ont été payés en exécution du budget de 1832. »
M. le président. - Voici l’amendement proposé par M. H. de Brouckere sur ce paragraphe : « 4° Les traitements et soldes des officiers et troupes de marine, et ceux de tous les fonctionnaires, d’après le taux auquel ils ont été payés, soit en vertu d’une loi, soit en exécution du budget de 1832. »
M. H. de Brouckere. - Je crois devoir dire encore quelques mots, à l’effet d’expliquer mon amendement d’une manière assez claire pour qu’il soit compris de tout le monde. Je ne pense pas qu’il puisse souffrir de contradiction, surtout de la part du gouvernement. Je sais quel a été le but de la section centrale en nous présentant sa rédaction.
Parce que, d’après le nouveau système, l’unité monétaire est le franc, on a pensé que plus tard il entrerait dans l’esprit du législateur de fixer les traitements des fonctionnaires en francs, à raison de deux francs par chaque florin. Je vous avoue que, tout en rendant hommage aux intentions de la section centrale, je regarderais comme puérile la raison qui consisterait à réduire les traitements des fonctionnaires, parce que le système monétaire a été changé. Si ces traitements ne sont pas trop élevés, il faut les conserver et ne pas tenir sans cesse les fonctionnaires dans l’inquiétude. Je suis prêt à discuter cette question, mais il me semble que ce n’est point ici sa place, et que nous devons l’ajourner jusqu’à la délibération du budget.
- L’amendement de M. de Brouckere est appuyé.
M. Dubus, rapporteur de la section centrale. - L’honorable préopinant a terminé par dire qu’il voulait bien traiter la question mais que cependant il valait mieux la laisser pour la discussion du budget. Eh bien ! C’est précisément ce qu’a voulu la section centrale. Elle a voulu laisser cette question entière. Toutefois, entrant dans le fond, le préopinant a dit que le motif qui a guidé la section centrale était puéril...
M. H. de Brouckere. - Pardon, je n’ai point entendu parler de la section centrale particulièrement, j’ai voulu dire en général.
M. Dubus. - L’honorable membre a dit, que parce qu’il y a un changement dans le système monétaire, cela n’est pas un motif pour réduire les traitements des fonctionnaires, Messieurs, cette question s’est élevée dans toutes les sections qui se sont occupées du budget, et c’est parce que toutes étaient d’avis d’une réduction, que la section centrale a cru qu’il y avait lieu de ne rien préjuger, afin de ne pas nuire aux contribuables. Cela est puéril, dit-on ; cependant si les traitements des fonctionnaires sont réellement susceptibles de réduction, il n’y a point là puérilité, mais justice ; que ce soit par suite d’un changement dans le système monétaire, ou à d’autres époques qu’on les réduise, il n’y a rien de puéril à le faire. Des réductions ont sans doute déjà eu lieu lors de la discussion du budget de 1832, mais nous ne devons pas croire que nous avons fait alors toutes les réformes possibles, et que nous avons su tout apprécier, de manière à ne rien laisser à faire aux législatures suivantes. Cela est si vrai, messieurs, que toutes les sections qui se sont occupées du budget ont pensé, je le répète, que des réductions étaient possibles de ce chef.
Dans la plupart on a admis, comme minimum, la réduction qui s’opérerait par suite de la conversion des florins en francs, réduction qui ne pourrait pas être considérable, puisqu’elle n’irait tout au plus qu’à 6 p. c. C’est en présence de cette opinion, aussi généralement manifestée, que la section centrale s’est occupée de la question. Toutefois elle a été d’avis différent des sections. Deux d’entre elles allaient jusqu’à vouloir renouveler la disposition insérée dans la loi sur les crédits provisoires de l’année dernière, et retenir un quart des traitements jusqu’à la révision du budget. La section centrale a cru devoir procéder autrement ; mais comme des réductions étaient jugées possibles par toutes les sections, elle a voulu laisser la question entière.
Messieurs, si vous admettiez la proposition de M. de Brouckere, vous trancheriez la question avant de l’avoir discutée. Si vous la rejetez, au contraire, vous ne tranchez pas la question, et vous n’ôtez rien au fonctionnaire qui recevra son traitement tel qu’il lui a été payé en 1832, si, lors de l’examen du budget, la proposition de réduire les fonctionnaires ne passe pas.
J’insiste doit, pour le maintien du n°4 de la section centrale.
M. Jullien. - Cette discussion, messieurs, est une nouvelle preuve du grave inconvénient qu’il y a de discuter tardivement le budget, et dans l’exercice même pour lequel il est destiné. Quoi qu’il en soit, la loi provisoire qu’on propose est calquée sur celle des crédits provisoires de l’année passée. C’est la même chose, à peu près, et si j’ai bonne mémoire, la proposition de M. de Brouckere a été également faite et adoptée par la chambre. La raison en est simple, c’est qu’elle est fondée en équité, en justice.
Vous pouvez bien vous réserver de diminuer les traitements des fonctionnaires pour le temps à courir après que vous aurez voté le budget, mais vous ne pouvez rien leur enlever de ce qu’ils ont actuellement acquis. Voilà le siège de la difficulté. Je vous prie de remarquer, messieurs, que nous sommes en février, et que l’employé qui a un traitement de 1,200 francs par exemple, a droit à 100 francs pour son travail du mois de janvier ; il aura droit à 100 francs encore pour le mois de février qui est commencé. Messieurs, il ne faut pas inquiéter sans cesse les fonctionnaires sur leurs dépenses projetées, pour leur propre budget, car chacun établit son petit budget ; il ne faut pas les alarmer, surtout quand il ne s’agit plus que de six semaines. Je crois donc qu’il est nécessaire d’adopter l’amendement de M. de Brouckere, en ce sens que vous ne pouvez faire rétroagir sur le premier trimestre les modifications à porter par la suite. Agir autrement, ce serait commettre une injustice et enlever à des fonctionnaires publics un droit qui leur est acquis.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, je crois que la disposition qui vous a été proposée par la section centrale doit être maintenue, et cela par un motif qui n’a pas encore été développé, je veux parler de l’inconvénient qui résulterait pour la comptabilité d’y laisser des fractions de florins. Quand il s’agit de l’administration du pays, vous sentez combien il est nécessaire de calculer par fractions décimales. D’après cela, il y a nécessité d’adopter la rédaction de la section centrale. Mais, dit-on, cette modification est le résultat du nouveau système monétaire, et ce système ne doit pas réduire les traitements des fonctionnaires publics. Messieurs, c’est une question beaucoup plus grave qu’on ne le pense que celle de savoir quelle influence la conversion monétaire aura sur le prix des denrées. Si on l’examine de sang-froid, on conviendra que, dans le commerce de détail, si on admet les florins et les cents, les denrées auront un cours beaucoup plus élevé. Je n’applique pas cette observation au commerce en gros, mais au commerce de détail, et personne ne peut la contester. Ainsi l’argument qu’on a allégué n’est pas admissible. Mais, d’ailleurs, il y a une autre raison.
Quand on est passé du système monétaire français au système du gouvernement des Pays-Bas, qu’a-t-on fait ? On a fait précisément l’opération de notre section centrale en sens inverse. Au lieu de multiplier le chiffre du traitement par 2, et de le considérer comme franc, on l’a réduit de 1, et on l’a considéré comme florin. Ainsi l’opération qu’on a faite aujourd’hui replace les choses dans l’état où elles étaient d’abord, et dès lors, pas d’injustice.
Je ferai remarquez en outre que, par la loi des voies et moyens, on a surimposé extraordinairement la contribution foncière, la personnelle et les patentes. Or, quand on a frappé si fortement tous les autres revenus, pourquoi ne frapperiez-vous pas de 5 1/2 p. c. les revenus des fonctionnaires publics qui viennent puiser au trésor ? Quant à moi, je pense que quand il s’agit de majorer l’impôt du pays, il faudrait d’abord commencer par imposer le revenu des fonctionnaires publics. C’est à eux de donner l’exemple, et ici c’est précisément le contraire.
Par ces motifs je repousserai l’amendement de M. de Brouckere. Il est cependant une partie que j’adopterai, c’est celle qui tend à effacer les mots « à titre d’avance » de la rédaction de la section centrale.
- Cet amendement est appuyé.
M. A. Rodenbach. - J’appuie ce que vient de dire M. d'Elhoungne, et je demanderai à M. Jullien s’il y a une loi qui détermine les appointements des fonctionnaires pour le mois de janvier. S’il n’en existe pas, il ne peut y avoir de rétroactivité. D’ailleurs la disposition de la section centrale ne retranche rien aux fonctionnaires ; elle dit seulement : Vous ne toucherez que telle somme provisoirement. Nous saurons plus tard, lorsque nous discuterons le budget, s’il y a lieu de vous accorder le tout.
M. H. de Brouckere. - J’ai quelques mots à répondre à deux honorables orateurs, au rapporteur de la section centrale d’abord et ensuite àM. d'Elhoungne.
Quand je me suis servi de l’épithète de puéril, que je crois juste pour ce cas où je l’ai appliquée, je n’ai pas pu parler de la section centrale. Si l’on a ainsi interprété mes expressions, on les a mal comprises. J’ai traité de puéril le motif qui tendrait à réduire les traitements des fonctionnaires, par cela seul qu’il y aurait un changement de système monétaire.
M. le rapporteur nous a dit que bien qu’on ait déjà réduit l’année passée ces traitements, on n’avait pas cependant épuisé les réductions. Mais c’est justement à cela que je voudrais mettre un terme ; je voudrais qu’on ne vînt pas chaque année chercher à retrancher quelque chose aux fonctionnaires, et qu’on fixât une bonne fois la somme qu’on veut leur allouer, afin qu’ils sachent sur quel rang ils peuvent se placer dans la société. On dit que la réduction proposée est très peu de chose. Sans doute, messieurs, les fonctionnaires qui ont de gros appointements n’en vivront pas moins bien pour cela ; mais le père de famille, chargé d’une femme et d’enfants, à qui est alloué un traitement de 1,000 florins, sera excessivement gêné par une réduction de 50 et 60 florins, et je suis bien sûr que cela lui sera bien pénible.
L’honorable M. dElhoungne a dit qu’en adoptant mon opinion, on apportait de grandes difficultés dans la comptabilité, parce qu’il y aurait des fractions à chaque traitement, Messieurs, si je ne veux pas de réduction, je ne serai cependant pas exclusif au point de ne pas consentir à la réduction de 50 centimes qui se trouveraient en sus d’un traitement de 2,000 francs, par exemple.
Il vous a dit aussi qu’en réduisant la valeur, les denrées tomberaient ; je ne suis pas du tout de son avis. Je crois, au contraire, que cette réduction sera préjudiciable au consommateur, et ne profitera qu’aux vendeurs. Or les fonctionnaires sont rangés dans la classe des consommateurs.
Il vous a dit encore que lorsqu’on avait changé le système monétaire français pour celui des Pays-Bas, on avait exhaussé les traitements des fonctionnaires. Je ne crois pas que cette assertion soit générale. Mais, du reste, l’honorable membre sait fort bien que depuis cette conversion ces traitements ont subi diverses diminutions, et il y aurait injustice à leur en imposer une nouvelle.
EnfinM. d'Elhoungne vous a fait remarquer que l’impôt foncier, la personnelle et les patentes avaient été surchargés, d’où il conclut qu’il ne fallait pas ménager le revenu des fonctionnaires. Mais je lui ferai observer, à mon tour, que les fonctionnaires paient la contribution personnelle. Quant à l’impôt foncier, je crois qu’ils voudraient bien être en état de le payer aussi ; ils s’y soumettraient de grand cœur.
Mais, dit notre collègue M. A. Rodenbach, vous prétendez que les fonctionnaires ont un droit acquis pour le temps expiré. Y a-t-il une loi qui fixe ces appointements ?
Messieurs, je répondrai que le fonctionnaire, n’étant pas prévenu, a dû compter sur la somme qui lui est allouée.
Quant à ce qu’on vous a dit que ce ne serait que provisoire, j’ai déjà répondu à cet argument. Il faut que les fonctionnaires sachent à quoi s’en tenir sur le sort qui leur est réservé.
M. Jullien. - Je ne connais aucune espèce de considération qui soit en état de faire fléchir des principes de justice, et d’enlever des droits acquis. On a dit, contre l’opinion que j’ai émise, que le gouvernement hollandais avait fait précisément en sens inverse la même opération que la section centrale, qu’il avait accordé aux fonctionnaires 50 cents pour un franc. Mais, parce qu’on ne réclame pas à l’occasion d’un bien qu’on vous fait, est-ce une raison pour ne pas réclamer contre un mal ? Assurément, non. Dans le temps dont on parle, les fonctionnaires ne pouvaient réclamer contre une faveur qu’on leur accordait ; mais aujourd’hui qu’on leur ferait une injustice, ils auraient incontestablement le droit de le faire.
D’ailleurs, l’honorable M. d'Elhoungne semble se contredire lui-même, puisqu’il veut retrancher les mots « à titre d’avance, » afin qu’il n’y eût pas incertitude sur la quotité. Or, si vous ne pouvez pas toucher à une quotité, vous ne pouvez pas toucher à l’autre. C’est parce que vous avez été forcé de reconnaître la vérité du principe que vous avez demandé cette suppression.
Un honorable orateur, M. A. Rodenbach, m’a interpellé sur la question de savoir si, quand une loi ne fixe pas les traitements, il peut y avoir rétroactivité. Je répondrai : Oui, il y a rétroactivité, parce que, si les fonctionnaires ne peuvent pas s’appuyer sur une loi, ils peuvent s’appuyer sur la foi du contrat. Je dis que vous pouvez forcer les ministres à réduire le nombre de leurs employés, en ne leur accordant pas les fonds qu’ils demandent, mais quand ils ont traité avec un fonctionnaire à raison de tant par mois, quand le mois est commencé, il y a droit acquis pour ce dernier à ce traitement, et celui sur qui un ministre voudrait faire peser une réduction de ce chef, aurait le droit d’en appeler aux tribunaux qui certainement lui rendraient justice.
M. Mary. - La discussion qui vient de s’élever à l’occasion de l’amendement d’un honorable collègue, vous montre combien est sage la proposition de la section centrale qui l’a adoptée à l’unanimité. Elle savait qu’en vous proposant de ne pas payer certains fonctionnaires sur le taux ancien, et de convertir, dès à présent, leurs florins en francs, il s’élèverait de longs débats, sans qu’elle fût en mesure de vous donner les renseignements convenables. Dès lors, elle a adopté une mesure provisoire qui ne préjuge rien ; car plus tard vous pourrez fixer les appointements des fonctionnaires sur l’ancien pied ou sur le pied de deux francs par florin. Je demande donc que les deux amendements, qui tendent à faire aborder une question que vous devez laisser indécise pour le moment, soient écartés.
On a dit que si l’on ne payait pas le premier trimestre au taux ancien, il y aurait rétroactivité. Non, car lors de la discussion du budget vous pouvez dire : Pour le premier trimestre, les employés seront payés sur le pied d’un florin, et pour le reste, sur le pied de deux francs. L’année dernière, vous n’avez pas été si susceptibles, vous avez admis qu’on ne paierait que les trois quarts de leur traitement. La loi actuelle est calquée sur celle de l’an passé, sauf la modification qui vous occupe. Laissons la question pour le budget. Jusque-là nous ne pouvons rien décider.
M. Dumont. - Je crois pouvoir me prononcer contre les deux amendements ; je crois préférable de nous en tenir à la proposition de la section centrale : nous ne faisons qu’un budget provisoire. Et si vous admettiez les amendements qui disposent pour trois mois, il y aurait un budget de neuf mois à faire ensuite. Vous allez donc jeter le trouble dans le budget. On objecte le contrat entre le ministre et l’employé, mais quel est le prix fixé par le contrat ? C’est une somme indéterminée qui doit être déterminée par le budget. Je crois donc que nous pouvons ne pas avoir de scrupule à cet égard. Il n’y a aucun droit acquis, et l’employé aura ce qu’il doit avoir aussitôt son traitement fixé par le budget. D’ailleurs, il devait d’autant plus s’attendre à voir son traitement modifié par le budget de 1833, que le budget de 1832 a été fait de la même manière.
M. Gendebien. - Je viens appuyer le n°4 de la section centrale, sauf une modification. Voici la rédaction que je propose :
« 4° Les traitements et soldes des officiers et des troupes de marine.
« Quant aux autres traitements non fixés par la loi, ils ne seront payés, pour autant qu’ils dépassent 1,000 florins, que jusqu’à concurrence de 2 francs par florin du taux auquel ils ont été payés en exécution du budget de 1832. »
Messieurs, je crois qu’en effet il serait dur de frapper les fonctionnaires et les employés qui n’ont qu’un traitement de 1.000 florins et en-dessous mais pour tous les traitements qui sont au-dessus, je ne pense pas qu’on doive hésiter dans les circonstances actuelles. Si vous frappez tous les revenus des citoyens sans vous enquérir si vous surchargez des malheureux qui n’ont qu’un revenu de 500 florins, pourquoi balanceriez-vous à frapper également des employés qui ont un traitement qui dépassent 1,000 florins ?
On a élevé une question qui serait très grave si elle était fondée. Je regrette d’être en opposition avec mes honorables collègues M. Jullien et M. de Brouckere, mais je ne vois pas qu’il y ait de rétroactivité ; il faut qu’il y ait un droit acquis antérieurement par la loi, auquel une loi subséquente porterait atteinte. Eh bien, messieurs, tous les fonctionnaires de l’Etat, excepté le Roi, ont-ils un droit acquis à des traitements à un taux quelconque ? Non. Le Roi seul a ce droit acquis parce qu’une loi a fixé la liste civile pendant la durée du règne, et que vous ne pouvez y toucher sans produire un effet rétroactif. Mais tous les autres fonctionnaires, où puisent-ils le droit de percevoir une obole ailleurs que dans le budget ? Nulle part.
Alors que pas un seul ministre n’a le droit de disposer d’un écu, comment voulez-vous qu’il y ait des droits acquis ? Mais vous pourriez donc, dit-on, priver les fonctionnaires publics du salaire qu’ils ont mérité ? Non, mais nous pouvons toujours fixer le taux de ce salaire. Quant à l’espèce de quasi-contrat entre la nation et ceux qui l’ont servie, vous pouvez être parfaitement tranquilles. Quant à moi, je suis convaincu que la disposition frappant les traitements au-dessus de 1,000 florins sera parfaitement équitable ; mais je déclare que je voterais contre si on voulait l’appliquer à ceux qui sont inférieurs à 1,000 florins, parce qu’il y aurait injustice.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, bien que l’amendement proposé par M. Gendebien réduise de beaucoup l’importance de l’article 4, je dois le combattre, comme j’aurais combattu l’article 4 lui-même, parce qu’il pose un antécédent auquel le gouvernement ne peut adhérer.
A la vérité, l’organe de la section centrale a déclaré qui n’entendait pas poser un antécédent, qu’il n’entendait pas décider la question relative à la conversion du florin en franc ; mais d’autres membres de l’assemblée ne sont pas partis du même principe.M. d'Elhoungne désire une conversion définitive ; il veut épargner aux employés le travail de cette conversion ; je puis dire, au nom de mes employés, que cette peine ne les effraie nullement. Si la conversion leur eût été avantageuse, je ne sais si le même scrupule serait venu dans l’idée de l’orateur.
Nous ferons observer que le gouvernement a déjà obvié à l’inconvénient des fractions de centimes, et que des tarifs ont été proposés. Nous ferons observer en même temps qu’il résulte de ces tarifs une assez grande diminution sur les traitements.
Remarquez, messieurs, que cette année vous vous montrez encore moins généreux à l’égard des employés de l’administration que l’année dernière ; car l’année dernière vous aviez pris en considération tous les traitements qui n’excédaient pas 1,500 florins ; ceux-là étaient payés intégralement ; aujourd’hui on ne voudrait accorder la même faveur qu’aux traitements de 1,000 florins. Les traitements déterminés par la loi seraient exceptés ; je ne sens pas la justice de cette exception ; je ne sais pas pourquoi l’armée des employés serait plus mal traitée que l’armée des officiers de terre et de mer.
L’amendement de M. Gendebien ne produirait pas de grandes économies pour le trésor ; les plus grandes économies qui pourraient avoir lieu seraient celles qui seraient opérées sur les traitements des officiers des armées de terre et de mer. Je pense que, d’après ces explications, l’honorable M. Gendebien n’insistera pas, et que la chambre adoptera l’amendement de M. de Brouckere qui a donné des raisons irréfragables.
M. A. Rodenbach. - Si j’ai bien entendu, le ministre de l’intérieur s’oppose à l’adoption de l’article de la section centrale ; les ministres ne sont donc pas d’accord entre eux, car si j’ai bonne mémoire, le ministre des finances s’est réuni au projet de la section centrale. (On rit.)
J’appuie la proposition de M. Gendebien. Dans les douanes, par exemple, il est un grand nombre d’employés qui ne reçoivent que 700 ou 500, 400 florins de traitement ; une retenue quelconque peut les gêner. En considération de tous les employés qui ne reçoivent que de petits traitements, je vote l’adoption de l’amendement.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - C’est parce que la proposition de la section centrale ne fixait rien relativement aux traitements que je l’ai adoptée. Ce que vient de dire M. Rodenbach me fait appuyer l’amendement de M. Gendebien. Non seulement les employés de la douane reçoivent de modiques traitements, mais il faut encore considérer qu’il leur est fait des retenues pour les pensions, qu’il leur en est fait encore pour la masse d’habillement. L’assentiment que j’ai donné à la proposition de la commission n’a été que conditionnel, c’est-à-dire que cet assentiment ne préjugeait rien sur le traitement des employés.
M. Gendebien. - Je désire que la rédaction que nous proposons soit définitive ; cependant je sais que la chambre ne peut maintenant rien décider de positif. Nous ne faisons que du provisoire.
On nous fait le reproche d’être allé cette année plus loin que l’année dernière : l’année dernière il s’agissait d’une réduction du quart des traitements ; cette année il s’agit d’une réduction du vingtième.
Le ministre de l’intérieur nous a assuré que dans les bureaux on n’avait pas tellement de besogne que l’on ne pût trouver le temps de faire des conversions de florins en francs ; j’en suis charmé, messieurs ; car quand nous renverrons des pétitions au ministre de l’intérieur, et qu’on nous répondra que les employés n’ont pas le temps de faire les recherches demandées, nous ferons remarquer que quand il s’agit de leurs intérêts, ils trouvent bien le temps nécessaire.
On dit que nous créons un privilège en faveur des fonctionnaires dont le traitement est déterminé par une loi : mais seriez-vous disposés à diminuer le traitement des membres de la cour des comptes ? Quand on les a fixés, nous étions Belges et maîtres de nos actions ; nous étions en quelque sorte en république, et nous avions la simplicité qui fait le bonheur des peuples ainsi gouvernés, soit avec le nom de république, soit sans le nom.
Quant aux traitements des membres de l’ordre judiciaire, ils sont fixés en francs, et je ne crois pas non plus qu’on puisse les diminuer ; on pourra peut-être, par la suite, les augmenter, je ne dis pas ceux des états-majors mais les traitements des juges. Je crois que vous adopterez mon amendement ; le ministre des finances y a adhéré, il l’a trouvé juste et équitable. Il ne vous lie pas relativement à la réduction des traitements.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Lorsqu’on a présenté le budget, on est convenu dans chaque ministère d’une échelle de réduction dans la valeur du florin en francs : pour les gros traitements on a toujours négligé les fractions ; pour les petits traitements on a eu égard à ces fractions.
M. d’Elhoungne. - Il est échappé une erreur à M. le ministre de l’intérieur. Mon honorable collègue et ami M. Gendebien a exprimé mon opinion ; j’adhère à l’amendement qu’il a proposé ; il atteint au but que je désirais atteindre ; il dégage la comptabilité d’un travail embarrassant, en ménageant les intérêts des petits salariés trop souvent sacrifiés aux intérêts des gros.
Mais, dit le ministre, le travail se réduit à peu de chose ; messieurs, ce n’est pas du travail de la réduction qu’il s’agit ; j’ai parlé de la comptabilité nationale ; j’ai parlé du travail de la cour des comptes, et là les tarifs ne font rien. Aussi le ministre de l’intérieur s’est tout à fait mépris sur l’objection que j’avais invoquée pour justifier mon amendement.
M. Jullien. - Le siège de la difficulté est tout entier dans la question de savoir s’il y a ou s’il n’y a pas rétroactivité.
S’il n’y a pas de rétroactivité, vous pouvez adopter la proposition de la section centrale.
Il s’agit d’une discussion de principes, et je crois devoir développer mon opinion.
On a dit avec raison qu’il n’y avait rétroactivité que lorsqu’une loi nouvelle venait attaquer les droits acquis par une loi ancienne : eh bien ! c’est précisément le cas dans lequel nous sommes. Mais, objecte-t-on, comment voulez-vous que la loi nouvelle, qui est le budget, puisse enlever les droits acquis par la loi ancienne, qui l’est aussi, puisque le budget n’est pas voté ? C’est dans le budget que les salariés doivent puiser leurs droits.
Non, messieurs, ce n’est pas dans le budget que l’employé puise son droit ; le budget n’est qu’un moyen de paiement, n’est qu’un moyen de remplir un engagement contracté. Après plusieurs mois d’exercice, si on pouvait ne rien allouer, il s’ensuivrait que les fonctionnaires n’auraient droit à rien : ce langage ne serait ni juste ni raisonnable. Le droit de l’employé et du fonctionnaire est dans son institution : aussi longtemps qu’il remplira les obligations qui lui sont imposées, il a droit à son traitement. Répondra-t-on que le budget n’étant pas voté, on n’a droit à rien ; que, depuis le 1er janvier, les employés ne peuvent compter sur rien ; que, s’il n’y a pas de budget, ils n’auront rien.
S’il n’y a pas de budget, il y a des tribunaux, et les tribunaux accorderont le salaire qui a été promis. Le traité fait avec les employés est un traité de loyer. On ne peut pas en refuser le paiement.
C’est à cela que je bornerai mes observations ; et je crois avoir établi que légalement vous ne pouvez pas toucher aux traitements acquis pour les mois de janvier et février.
M. Dubus. - Je crois que nous perdons de vue le véritable caractère de la loi que nous discutons. On veut en faire une loi définitive, et c’est une loi de crédits provisoires ; et encore pour quel objet ? Uniquement pour faire face aux dépenses urgentes. Pour le reste, il faut le réserver pour la discussion générale du budget ; discussion qui mettra tout en évidence, discussion dans laquelle on ne votera qu’en pleine connaissance de cause.
Ce n’est pas la faute de la chambre si elle discute cette loi provisoire quand l’exercice est commencé ; la chambre ne peut pas perdre ses droits, parce qu’une loi lui a été présentée trop tard ; la chambre ne doit allouer des fonds que pour les besoins urgents ; c’est là le principe d’après lequel a été rédigée la loi.
Cela répond à tout ce que l’on a dit contre le numéro quatre qui est en discussion. J’écarte, même par les principes, la question de rétroactivité. Il faut laisser entière cette question, ainsi que toutes les autres, pour la discussion du budget.
Quant à l’amendement de M. Gendebien, la chambre appréciera les motifs qui peuvent déterminer à faire exception pour les traitements modiques ; mais je ferai remarquer toutefois que cet amendement en comporte deux : non seulement on propose une exception pour les traitements qui ne dépasseraient pas 1,000 florins, mais on supprime les mots « à titre d’avance seulement. » Ces mots sont nécessaires ; vous les avez insérés dans la loi des crédits provisoires de l’année dernière.
M. Gendebien. - Je ne reviendrai pas sur la question de savoir si vous donnerez un effet rétroactif à la loi ; je ferai observer, avec M. Dubus, qu’on peut négliger cette question maintenant, puisque nous ne faisons que du provisoire.
Je ne pense pas qu’il soit nécessaire, je crois même qu’il serait dangereux de maintenir les mots « à titre d’avance seulement. » Ces mots sont inutiles, parce que la nature de la loi indique assez que nous ne faisons que du provisoire. Je ne voudrais pas non plus qu’on pût dire que les fonctionnaires qui reçoivent de faibles traitements subiront des réductions sur les deux mois écoulés, et une réduction sur le reste de l’année. Il faut laisser l’espoir que les traitements au-dessous de 1,000 florins ne subiront aucune réduction pour les trois premiers mois de l’exercice.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Le système de M. Gendebien de M. d'Elhoungne compliquera la comptabilité.
M. d’Elhoungne. - Je retire mon amendement, et me réunis celui de M. Gendebien.
- L’amendement de M. de Brouckere est mis aux voix et rejeté.
M. le président se dispose à mettre aux voix celui de M. Gendebien.
M. Dubus propose de rétablir les mots « à titre d’avance. »
- Cette proposition est adoptée.
L’amendement de M. Gendebien est adopté avec cette addition sauf rédaction. En voici l’ensemble :
« 4° Les traitements et soldes des officiers et des troupes de marine.
« Quant aux autres traitements non fixés par la loi, ils ne seront payés qu’à titre d’avance, au taux auquel ils ont été fixés en exécution du budget de 1832, et seulement jusqu’à concurrence de deux francs par florin pour ceux qui dépassent 1,000 florins. »
Les paragraphes suivants, de l’article 3, sont successivement adoptés sans modifications, ainsi que l’article 4 et le considérant, en ces termes :
« 5° Les frais de justice et de prisons, y compris les approvisionnements à former pour les divers ateliers en matières premières et autres objets ;
« 6° Les frais de courriers et les menues dépenses de toutes administrations publiques ;
« 7° Les dépenses de toute autre nature non susceptibles de retard et résultant d’événements imprévus. »
« Art. 4. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation.
« Mandons, etc. »
« Considérant que d’ici à ce que le budget des dépenses puisse être réglé définitivement, il importe d’assurer, par une mesure transitoire la marche du gouvernement et de pourvoir aux besoins de l’Etat, en allouant un crédit provisoire pour faire face aux dépenses invariables et urgentes ;
« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit. »
Le vote sur l’ensemble est remis à après-demain, attendu qu’il y a eu des amendements.
La séance est levée à 4 heures et un quart.
Membres absents à la séance. MM. Brabant, Cols, Coppens, Deleeuw, de Meer de Moorsel, de Robaulx, Hye-Hoys, Jaminé, Meeus, Pirson, Polfvliet, Teichmann, Verdussen, Verhagen.