(Moniteur belge n°355, du 23 décembre 1832)
(Présidence de M. Raikem.)
La séance est ouverte à une heure.
M. de Renesse fait l’appel nominal.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, qui est adopté.
M. le président. - L’ordre du jour appelle le rapport de la commission des pétitions.
M. C. Rodenbach. - Je demande la parole.
Je crois devoir signaler à mes collègues un abus qui tend en quelque sorte à rendre illusoire le droit sacré de pétition.
Il arrive souvent que des pétitions sont renvoyées aux ministres avec demande d’explications, et, presque jamais les réponses ne sont communiquées à la chambre. C’est là, il me semble, porter atteinte aux droits des pétitionnaires.
Il y a, entre autres, une pétition adressée à la chambre, en date du 22 novembre dernier, par le conseil permanent de la 7ème division militaire en campagne qui se plaint de ce que les pièces de la procédure dirigée contre Vanderschrick et consorts ont été enlevées d’après les ordres de M. le ministre de la justice.
La chambre a décidé que cette plainte serait adressée au ministre avec demande d’explications. Comme un mois s’est écoulé depuis que cette pétition nous a été envoyée et que le cours de la justice est interrompu, puisque les accusés, soit innocents, soit coupables, continuent à rester en prison, je prie M. le ministre, dont je suis loin de méconnaître la loyauté et les bonnes intentions, de vouloir bien satisfaire au vœu émis par la chambre.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Messieurs, si le renvoi de la pétition dont vient de parler l’honorable membre, qui a été fait au ministre de la justice, alors qu’il n’y avait pas de ministère, n’a pas amené plus tôt des explications, on conçoit bien que ce retard ne peut être attribué à une mauvaise volonté du ministre, mais à la force même des circonstances.
J’aurais pu entrer, avant la séance d’aujourd’hui, dans quelques explications sur l’objet dont il s’agit ; mais j’ai pensé que la chambre ayant fixé un jour spécialement consacré à tout ce qui concerne le droit de pétition, je devais vous les donner ce jour-là. C’est pour cela que je les ai différées jusqu’à la présente séance.
Je fus informé, il y a un mois environ, par un honorable député, des poursuites intentées à charge du sieur Vanderschrick d’Anvers. Comme, d’après les lois dont on voulait faire application, le jugement de l’affaire dont était saisi le conseil de guerre était susceptible d’une exécution immédiate, nonobstant tout pourvoi, nonobstant même le recours en grâce, j’ai cru que la première mesure à prendre était de donner l’ordre tant à M. le commandant de la province d’Anvers qu’à M. l’auditeur militaire chargé des fonctions du ministère public auprès du conseil de guerre, de faire suspendre non les poursuites, mais l’exécution du jugement, jusqu’à ce qu’il en fut référé à S. M.
C’était là, il me semble, la première mesure à prendre pour éviter peut-être un grand malheur. Après cette mesure, je reçus des conseils de M. Vanderschrick une demande de sursis motivée sur l’intention où ils étaient de soulever une question d’évocation, dont l’autorité judiciaire supérieure serait constituée juge. On s’était adressé à l’auditeur-général qui, dans certains cas prévus par les lois militaires, est obligé d’élever de pareils conflits.
Cette question présentait de grandes difficultés, de nature à occuper le conseil des ministres ; mais, pour pouvoir se former une opinion exacte sur les motifs des conseils du sieur Vanderschrick, il était indispensable de réclamer d’abord le sursis des poursuites et ensuite de demander que les pièces du procès fussent mises sous mes yeux et sous ceux de mes collègues. C’est dans ce but que j’ai donné l’ordre à l’auditeur militaire de demander, au nom du gouvernement, la remise de la cause à quinzaine, au conseil de guerre, remise que le gouvernement n’a jamais cru devoir être refusée. L’auditeur militaire était ensuite invité à transmettre immédiatement au ministre de la justice tout le dossier, et on sent qu’il était impossible de s’assurer de la validité des motifs sur lesquels on appuyait la demande d’un conflit, sans avoir connaissance des pièces de la procédure.
Je ne sais, messieurs, si l’auditeur militaire ne s’est pas fidèlement conformé à mes instructions qui étaient précises et qui, je le répète, ne devient à mon avis rencontrer de la part du tribunal militaire aucune opposition ; mais enfin les pièces m’ont été envoyées, et il serait étrange que dans cette démarche fort simple, le conseil de guerre vit une atteinte à son inviolabilité, et une entrave à la continuation des poursuites et par conséquent au cours de la justice.
Je ferai remarquer, quant à la prolongation de l’emprisonnement, qu’elle provient en partie du fait même des conseils du sieur Vanderschrick qui l’ont demandée encore par une lettre du 2 décembre courant que je tiens à la main, et que je puis déposer sur le bureau de la chambre.
Reste la question de savoir si le renvoi des pièces au conseil ne devait éprouver aucun obstacle. Je ferai d’abord remarquer que la vacance ministérielle a empêché le gouvernement de s’occuper de cette affaire. Mais ensuite je dirai que j’ai conçu depuis de graves doutes sur la légalité de la composition du conseil de guerre d’Anvers.
Aux termes des lois militaires, un conseil de guerre permanent doit être formé par le Roi ou par le général commandant, la province en vertu d’une délégation spéciale du Roi ; mais une fois qu’il est formé, il n’appartient plus ni au Roi ni au général-commandant, son délégué de porter atteinte à sa proposition.
Et en effet, messieurs, si l’on pouvait modifier le personnel d’un conseil militaire, chaque fois qu’il s’agit de juger une nouvelle affaire, ce ne serait plus un conseil permanent, ce ne serait qu’une véritable commission spéciale. Voilà le motif qui m’a empêché jusqu’ici de remettre dans les mains du conseil d’Anvers, qui se dit permanent, les pièces dont il s’agit, parce que je ne puis le regarder comme permanent, dès qu’il a été modifié à différentes fois. Par conséquent je ne puis reconnaître sa légalité. Or, si c’est un corps dont la composition soit illégale, je ne lui accorde pas le droit de faire sommation au gouvernement de lui remettre des pièces ; il ne m’est permis de déposer ces pièces que dans les mains de l’autorité légale, et le conseil d’Anvers n’a point ce caractère à mes yeux.
Voici les explications que j’avais à vous donner sur ce point. Vous savez, messieurs, que si elles ne vous ont pas été fournies plus tôt, ce n’est pas l’effet d’un manque de déférence pour la chambre ni le résultat de ma volonté. Dans le cas où elles ne vous suffiraient pas, je tâcherai d’y suppléer.
M. Gendebien. - Messieurs, je me félicite du résultat de la suspension de l’affaire du sieur Vandenrschrick, puisqu’il a peut-être épargné la vie d’un homme.
Cependant je crois devoir dire quelques mots en faveur du conseil permanent d’Anvers qui n’est représenté ici par personne, et qui manque de défenseurs.
J’ai lu la pétition que nous a adressée ce conseil. Il se plaint d’abord de l’enlèvement des pièces d’une affaire dont il était saisi, et ensuite de la forme employée pour l’enlèvement de ces pièces. Voici comment les choses se sont passées.
e jour était fixé pour le jugement de l’affaire du sieur Vanderschrick. A l’heure de l’audience, quand les membres du conseil étaient réunis dans le lieu de leurs délibérations, ni accusé, ni avocats pour le défendre ne se sont présentés, et on est venu leur dire que la cause était remise. Or, comme il n’appartenait qu’au conseil d’ordonner cette remise, il en est résulté pour ce corps une espèce de ridicule que l’on devrait bien se garder de faire planer sur les juges et principalement sur ceux d’une ville en état de siège, alors même que cet état de siège est contesté.
Il y a plus, messieurs ; c’est que l’on a ordonné la mise en liberté pure et simple de l’auditeur, qui avait envoyé les pièces au ministre de la justice, et cela sans l’assentiment du conseil ; de sorte qu’au moment où le conseil prononçait lui-même la mise en liberté du sieur Claessens, on lui a annoncé qu’elle avait déjà été opérée en vertu d’un ordre émané d’une autre autorité. Tout cela, messieurs, a jeté un fâcheux ridicule sur le conseil militaire, qui a été couvert de huées et de sifflets. (Oui ! oui ! c’est vrai !) Il en est même résulté quelque chose de plus grave, car des duels et des rixes ont eu lieu à cette occasion.
Ainsi, messieurs, le conseil d’Anvers a été injurié parce que l’autorité supérieure n’a voulu suivre aucune des formes qui sont prescrites en pareil cas.
Messieurs, c’est une chose très grave que dans une ville en état de siège on expose ainsi la magistrature de circonstance à être bafouée et insultée. Ce n’est pas que je prétende qu’on ne dût pas répondre à la réclamation du gouvernement, réclamation que je suis loin de blâmer ; mais ce n’est pas à l’auditeur qu’il appartenait de le faire sans aucune autorisation. Voyez en effet quels graves inconvénients une pareille manière d’agir, si elle doit admise, entraînerait.
D’une part on pourrait prolonger le jugement d’une affaire, retarder la défense et l’acquittement d’un innocent, et de l’autre on pourrait soustraire ou ajouter des pièces au dossier après l’instruction achevée. Il n’y a pas longtemps que la France nous a fourni un exemple de pièces soustraites et de pièces glissées clandestinement dans le dossier d’une affaire célèbre. Je crois en avoir dit assez à cet égard pour justifier le conseil d’Anvers.
Il me reste un autre point à examiner. M. le ministre a dit que ce conseil n’étant pas légalement constitué, il ne pouvait lui reconnaître le droit de juger ni lui renvoyer les pièces. Mais je m’étonne beaucoup, messieurs, qu’au lieu de ne pas reconnaître la légalité de ce conseil, il n’ait pas pourvu à sa recomposition. C’est en effet une chose étrange de venir proclamer, devant la chambre, en face de la nation, l’illégalité d’un corps, alors qu’on pouvait le recomposer. Tout en admettant les explications de M. le ministre, il me semble qu’il y lieu de l’inviter expressément à rendre le plus promptement possible, au conseil d’Anvers, son caractère de légalité.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Si j’ai parlé de l’illégalité du conseil militaire d’Anvers, la chambre remarquera que je n’ai rien fait ici spontanément ; que le ministère de la justice était sous le poids d’une dénonciation, sous le poids d’une accusation grave, et qu’il n’a fait qu’user du droit de légitime défense. L’honorable colonel Buzen auquel on a fait allusion est ici hors de question. Personne plus que moi ne rend justice aux talents et au patriotisme de ce brave militaire, digne en tout point de la haute confiance que le gouvernement a placée en lui. Il s’agit uniquement ici d’une question de principe, de légalité. Les personnes y sont entièrement étrangères.
Il ne faut pas croire, messieurs, que les choses se soient passées précisément comme l’a dit l’orateur qui m’a précédé. Je crois que les renseignements sur lesquels il s’est appuyé l’ont induit en erreur. Je vais vous faire voir que je n’ai entendu en aucune façon qu’une sorte de voie de fait, qu’un enlèvement furtif et clandestin de pièces fût consommé. Rien de semblable n’est jamais entré dans mes intentions.
Il est évident, messieurs, que sans la plus étrange interprétation de mes instructions, l’auditeur militaire n’a pu se conduire que de cette manière : se présenter devant le conseil de guerre, lui exposer les motifs que le gouvernement faisait valoir dans cette dépêche pour demander un sursis parce qu’une question de compétence avait été soulevée, question dans laquelle la loi, en certains cas, impose au gouvernement de prendre l’initiative, puisqu’elle place l’exercice de ce droit dans les devoirs de l’auditeur-général. Il est évident, dis-je, que l’auditeur militaire n’aurait pas dû procéder autrement : se présenter devant le conseil, lui faire connaître les motifs par lesquels le gouvernement sollicitait la remise et ensuite communiquer le dossier au gouvernement. Or, il n’y avait là rien que de régulier, rien que de conforme à ce qui se pratique tous les jours devant les juridictions ordinaires sur les réquisitions du ministère public. La remise que nous demandions était fondée sur des motifs d’ordre public et ne semblait pouvoir éprouver de difficulté.
Si donc, dans cette circonstance, l’ordre donné par le gouvernement n’a pas été fidèlement suivi ; s’il a été exécuté de manière à blesser la dignité du conseil de guerre, c’est le fait de l’auditeur militaire seul, fait pour lequel cet auditeur a été immédiatement incarcéré, et selon moi illégalement. Et quant à la mise en liberté de ce fonctionnaire, elle est le résultat d’une ordonnance de M. l’auditeur-général qui s’était transporté exprès à Anvers. Voici cet ordre, messieurs :
« L’auditeur-général près de la haute cour de justice militaire, vu l’ordre en date du 14 novembre 1832, délivré par le sieur de l’Eau, président du conseil de guerre permanent, et signé par le sieur de l’Eau en ladite qualité, ainsi que par les sieurs Deplanque, major ; van Vinkinroy, Jouret, Themon, capitaines, et Peet, lieutenant, de conduire à la maison d’arrêt de la ville d’Anvers le sieur N.-F. Claessens, auditeur militaire de la province d’Anvers ;
« Attendu que les membres du conseil de guerre ont par cet acte outrepassé leur pouvoir ;
« Attendu que le sieur Claessens, en sa qualité d’auditeur militaire, ressortit directement de la haute cour de justice militaire ;
« Requiert le sieur Van den Wygand, huissier près le tribunal de première instance, de se transporter à la prison civile et militaire et de décrouer sur-le-champ et mettre en liberté ledit sieur Claessens,
« Anvers, le 14 novembre 1832
« Signé, Houyet. »
« L’an mil huit cent trente-deux, le 15 novembre, à la requête de M. l’auditeur-général près de la haute cour de justice militaire à Bruxelles
« Je Léonard Van den Wygand, huissier près du tribunal de première instance séant à Anvers, y demeurant, ai notifié à M. de Muelenaere le réquisitoire qui précède pour son information et direction dont acte, à Anvers date que dessus.
« Signé, Van den Wygand.
« Pour copie conforme, le président :
« Signé, le chevalier de l’Eau, major. »
Vous le voyez, messieurs, c’est un ordre non pas émané du ministère, mais de l’auditeur-général appelé à faire respecter l’ordre de juridiction à l’égard du sieur Claessens, qui était justiciable seulement de la haute cour. Je ne sais, je le dis encore, si les mentions du gouvernement ont été bien saisies et si le sieur Claessens ne s’est pas conduit de manière à blesser la susceptibilité du conseil de guerre. Je déclare même que dans le moment, et pour donner à ce corps une espèce de satisfaction de l’irrégularité dont il se plaignait, j’ai ordonné le déplacement du sieur Claessens, parce que je pensai que son maintien pouvait être une cause de collision, et je fis passer ses fonctions dans la personne de l’auditeur-adjoint.
Je suis fâché, messieurs, que l’honorable député pense qu’il soit entré dans mes intentions de jeter un blâme sur le conseil…
M. Gendebien. - Je n’ai pas dit un mot de cela.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Je vous prie de ne pas m’interrompre et de tenir note des erreurs dans lesquelles je pourrais tomber.
J’ai, messieurs, jeté sur le papier quelques explications qui démontreront que la légalité du conseil permanent d’Anvers est très contestable.
Les membres d’un conseil de guerre permanent, une fois nommé, peuvent-ils être changés à la volonté du général commandant ?
D’abord les membres d’un conseil de guerre permanent sont, par leurs nominations, chargés d’un service particulier et qui n’est plus en rapport avec le service qui est le partage ordinaire d’un militaire ; membres du conseil de guerre ordinaire, ils ont pour mission spéciale de ne s’occuper que de l’instruction et du jugement qui sont soumis aux conseils de guerre ; ils ne sont plus astreints à aucun autre service.
En effet, la nature de ces conseils de guerre permanent serait totalement changée si, sous prétexte d’un service quelconque, il était loisible à M. le général commandant d’en distraire l’un ou l’autre officier et de le remplacer ; car par ce moyen les conseils de guerre auxquels on a donné le caractère permanent, ne seraient en résultat que de véritables commissions puisque le général, en en changeant les membres à volonté, pourrait y faire entrer, suivant la nature des cas, des hommes sur le dévouement desquels il pourrait compter, et par ce moyen enlever aux membres l’indépendance qui doit faire leur partage et qui est la conséquence de leur organisation.
Cette fixité dans les membres des conseils, cette indépendance sont d’autant plus nécessaires que les jugements rendus par eux sont définitifs et en dernier ressort ; c’est donc dans cette organisation de permanence que réside la seule garantie qui reste aux prévenus et qui leur serait enlevée.
Il suffit de jeter les yeux sur les dispositions du code de procédure militaire pour être convaincu de cette vérité : que les membres des conseils de guerre permanents, une fois nommés, ne peuvent plus être changés à la volonté du général.
L’article 261 dit que, dès que les troupes seront en campagne, il sera nommé par ou au nom du souverain un ou plusieurs conseils de guerre en campagne ; cependant, comme il est important de ne pas enlever au général des officiers dont les secours pourraient lui être plus particulièrement nécessaires, et dans l’impossibilité où le souverain peut se trouver de connaître quels sont les officiers les plus propres au service des conseils de guerre, la loi lui donne la faculté de laisser cette nomination au choix du général commandant. Ces officiers reçoivent à cet égard une autorisation particulière ou un mandat spécial. Dès que le général a fait son choix, les membres du conseil de guerre sont considérés comme tenant leur mission du souverain même, qui n’a délégué que le droit d’élection, et, cette élection faite, tout pouvoir dans la personne du général est venu à cesser ; il a rempli son mandat.
Or, si le souverain avait lui-même désigné les membres du conseil de guerre, le général ne pouvait les changer arbitrairement ni sous quelque prétexte que ce soit ; il ne le peut pas plus lorsque le choix a été fait par lui, ainsi qu’on vient de le dire : le service de la justice est définitivement assuré ; les garanties possibles, d’après la loi, sont données aux accusés.
Aussi voit-on qu’il n’y a plus aucune autorité militaire qui vienne se mêler aux membres des conseils de guerre permanents ; ils sont tout à fait isolés ; on les soustrait à toute influence étrangère. C’est en pleine assemblée, dit l’article 274, que les officiers commissaires feront les rapports que, dans d’autres temps, ils sont obligés de faire aux officiers commandants qui ont ordonné les informations ; c’est aussi le président qui nomme les officiers commissaires, et il ne peut les prendre que parmi les membres composant le conseil de guerre.
On le voit donc, on a voulu faire cesser toute influence étrangère ; l’autorité militaire disparaît : en outre, si on pouvait à volonté faire remplacer les membres du conseil de guerre, la loi n’aurait pas statué, article 275, que ces conseils de guerre pourraient rendre des jugements définitifs au nombre de cinq membres ; car si le législateur n’avait pas voulu placer les conseils de guerre dans une situation particulière et indépendante, il aurait établi le principe contraire, qu’à défaut d’un membre le général-commandant qui a nommé le conseil de guerre aurait la faculté de désigner un officier à son choix, pour remplacer le membre empêché.
Les principes posés, voyons ce qui s’est passé relativement au conseil de guerre permanent établi à Anvers, d abord par arrêté du 22 mars dernier et ensuite par celui du 30 avril suivant.
On rencontre un premier arrêté de M. le colonel Buzen, en date du 1er janvier 1832, qui nomme comme membres du conseil de guerre permanent MM. Dutilly, Londas, Kremer, Ghislain Stoykens, Leroy, Lebeau.
Un autre arrêté, en date du 22 juillet, remplace MM. Kremer et Leroy par MM. Deridder et Peemans.
Et enfin, par arrêtés subséquents des 8 août, 14 août, 5 septembre, 9 septembre, 1er octobre et 29 octobre, diverses modifications sont encore apportées parmi les membres qui, d’abord, avaient constitué le premier conseil de guerre, et c’est à la date du 29 octobre que M. le colonel Dutilly disparaît comme président pour faire place à M. le major de l’Eau.
M. l’auditeur-adjoint, Blondel, informe l’auditeur-général, par lettre du 13 novembre n°234, et par lettre du 14, n°235, qu’ayant donné à M. de l’Eau, président du conseil de guerre, communication de la lettre qui demandait l’apport des pièces, cet officier a refusé de réunir le conseil de guerre, ce qui l’a empêché de demander la remise de l’affaire à l’audience, etc., etc.
Voilà, messieurs, les nouveaux renseignements que j’ai cru devoir ajouter à mes explications, et qui, alors même qu’ils ne résoudraient pas la question d’illégalité, établiraient au moins des doutes très sérieux, sur lesquels il faut que le gouvernement ait ses apaisements. Je ferai remarquer en outre que s’il n’a pas été procédé plus tôt à la recomposition du conseil, cela tient à une circonstance dont vous avez été tous les témoins : il a été en effet impossible de le faire depuis le peu de jours que le cabinet est reconstitué, pendant l’absence du Roi. Aussitôt le retour de S. M., je puis assurer à la chambre qu’il y sera procédé.
M. H. de Brouckere. - Il me semble que M. le ministre aurait pu se dispenser de nous présenter sa justification, alors que personne ne l’accusait. Mais comme il résulte du rapport qu’il vient de nous présenter que le conseil de guerre aurait eu des torts, et que, selon moi, cela n’est pas ; comme ce rapport tendrait à faire croire que l’auditeur militaire aurait agi régulièrement, quand il me semble à moi que sa conduite a été tout à fait irrégulière, j’ai demandé la parole pour rectifier à cet égard l’erreur qui a été commise.
Il faut rendre à chacun ce qui lui est dû.
Assurément le droit comme le devoir de l’auditeur militaire était de demander la remise de l’affaire, du moment où le gouvernement lui avait donné l’ordre de le faire ; mais il n’avait pas le droit de forcer le conseil militaire à prononcer cette remise. Au lieu d’attendre pour envoyer les pièces que cette remise eût été prononcée par le conseil, il a commencé par se dessaisir des pièces, et au jour fixé pour le jugement de l’affaire, il est arrivé que le conseil n’avait plus rien de la procédure.
Vous voyez donc, messieurs, que l’auditeur militaire n’a pas rempli son devoir et l’a même transgressé ; vous voyez que par sa conduite il a forcé le conseil de guerre à prononcer une remise qu’il aurait pu peut-être refuser pour de bonnes raisons, car remarquez bien que le conseil de guerre n’est nullement obligé, même sur la demande du gouvernement, de remettre une affaire quand il ne le veut pas.
On vous a dit ensuite que la mise en liberté du sieur Claessens avait eu lieu d’une manière régulière, parce qu’elle avait été ordonnée par l’auditeur-général. Messieurs, c’est là une question que je ne veux pas examiner, mais je crois cependant qu’il serait difficile de prouver qu’un mandat d’arrestation donné par un conseil de guerre puisse être annulé par un agent du pouvoir. Je crois qu’on aurait agi beaucoup plus régulièrement, si l’on avait demandé l’ordre de mise en liberté à la haute cour, plutôt que de s’adresser à un simple agent du gouvernement. Du reste il me semble que le grand point, c’est que cette affaire soit menée à fin.
Il existe de grandes difficultés relativement à la compétence du conseil de guerre qu’il faut résoudre, parce qu’il est impossible de laisser subsister un pareil état de choses et de condamner la personne arrête à subir une détention fort longue. J’ai entendu avec plaisir que le gouvernement se propose de faire cesser bientôt cet état d’incertitude déplorable. J’insiste pour que ce soit dans le plus bref délai possible, afin qu’on reconnaisse la compétence du conseil ou qu’on procède à sa recomposition.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Messieurs, je suis entièrement de l’avis du préopinant. Je suis loin de faire ici l’apologie de l’auditeur militaire. Je crois qu’il a agi irrégulièrement ; il me semblait même l’avoir dit dans les explications que j’ai présentées. Il ne m’est jamais venu à l’idée que, parce qu’un agent du gouvernement demande, en son nom, la remise d’une cause à un corps judiciaire, ce corps soit tenu de déférer aussitôt à ce réquisitoire. J’ai ordonné à l’auditeur d’exposer au conseil assemblé les motifs de haute convenance sur lesquels s’appuyait ma demande ; mais je n’ai jamais entendu que ce fonctionnaire procédât d’une manière irrégulière. Je crois même avoir annoncé à la chambre que, pour donner une espèce de satisfaction au conseil militaire d’Anvers, j’avais ordonné le déplacement de ce fonctionnaire.
Relativement à ce qu’a dit l’honorable membre que l’auditeur-général n’avait pas caractère pour faire élargir le sieur Claessens, je pense que les lois ordinaires et les lois militaires imposent l’obligation à tous les officiers du ministère public qui ont connaissance qu’une arrestation ou une détention illégale a été consommée, de la faire cesser aussitôt. Il est donc évident qu’il était du devoir de l’auditeur-général de prendre les mesures les plus propres à mettre fin à l’emprisonnement du sieur Claessens, et sous ce rapport sa conduite me paraît irréprochable.
Du reste, je déclare que l’observation par laquelle a terminé l’orateur sera prise en très sérieuse considération. Dans l’intérêt de la sûreté de la place d’Anvers et de la justice, il est nécessaire que le gouvernement prenne une mesure le plus tôt possible, et je pense qu’une prompte résolution sera arrêtée sur ce point. L’absence du chef de l’Etat a pu seule y apporter des retards.
M. Jullien. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Il est évident que nous perdons ici notre temps et que cette discussion est tout à fait prématurée. D’après la constitution, nous avons le droit de renvoyer aux ministres les pétitions qui nous sont adressées et de demander des explications sur ces pétitions. Dans l’ordre naturel des choses, lorsqu’un ministre veut déférer à une demande d’explications sur une pétition, il doit agir ainsi : ou nous présenter un rapport par écrit, et alors ce rapport doit être inséré dans le bulletin des pétitions pour que chacun des membres puisse le méditer ; ou bien, si son intention est de nous donner verbalement ces explications, il faut au moins qu’il nous prévienne à l’avance, afin que chacun de nous puisse prendre communication de la pétition dont il s’agit.
Au lieu de cela qu’a-t-on fait aujourd’hui ? M. le ministre, à l’entrée de la séance et sur la provocation d’un membre, nous donne des explications à l’improviste sur une pétition dont il n’a été fait qu’une simple mention dans le bulletin des pétitions, et dont par conséquent nous n’avons pas une connaissance suffisante. Or, quand nous ne savons pas la nature de la contestation, comment voulez-vous que nous décidions ? Et cependant il s’agit ici de l’objet le plus grave qui puisse s’agiter dans une assemblée nationale. Si vous continuez de discuter ainsi sans avoir le moindre renseignement, vous arriverez à la fin de la séance sans parvenir à aucun résultat. Je demande donc, ou que M. le ministre nous fasse son rapport par écrit, ou, s’il veut le faire verbalement, qu’il nous informe par avance du jour où il nous le présentera.
M. Gendebien. - Je ne pourrais qu’applaudir à la motion de M. Jullien, si elle était arrivée plus tôt ; mais je crois que maintenant elle vient trop tard. Je n’entends pas prolonger la discussion sur des choses que nous ne connaissons pas pertinemment, mais je désire répondre sur un point à M. le ministre. C’est à cela que je me bornerai uniquement…
- Plusieurs voix. - C’est inutile, vous ne devez parler que sur la motion d’ordre,
M. Gendebien. - Alors je demande la parole pour un fait personnel ; il me semble que ne peut m’ôter le droit de dire quelques mots.
M. le ministre a supposé qu’on le mettait sous le poids d’une grave accusation dont personne ici n’a articulé un mot. Il suffit d’ailleurs de lire la pétition dont on s’occupe pour se convaincre qu’elle ne contient pas un reproche adressé directement au ministre. Ainsi c’est bien à tort qu’elle a fait une telle supposition.
Ensuite je n’ai pas dit que le ministre eût ordonné un enlèvement furtif et clandestin des pièces. J’ai dit simplement, et c’est la vérité, que l’auditeur avait enlevé des pièces à la cour militaire qui en était saisie, et que si l’on autorisait à de pareils actes, il pourrait en résulter les plus graves inconvénients, parce qu’on pourrait enlever furtivement quelques pièces du dossier et en glisser clandestinement quelques autres après l’instruction.
J’ajouterai, moi, que je trouve extraordinaire que M. le ministre vienne nous lire un long mémoire sur une question dont il ne s’agit nullement ici ; qu’il s’attache à démontrer l’illégalité d’un conseil de guerre. Je laisse à la chambre le soin d’apprécier toute la portée d’une pareille imprudence. C’est une déclaration dont profiteront peut-être tous ceux qui, soumis à la jurisprudence de ce conseil, pourront avoir de mauvaises intentions ; ils se croiront maintenant en droit d’agir impunément.
M. Dumortier. - Je viens m’opposer à la motion de M. Jullien. Si elle avait été faite au commencement de la discussion et avant les explications de M. le ministre, je concevrais parfaitement qu’on voulût les admettre ; mais maintenant que nous avons entendu ces explications, il me semble qu’il faut au moins épuiser la liste des orateurs inscrits. Quant à moi, messieurs, je désire obtenir à mon tour la parole, parce que j’ai à vous présenter des pièces extrêmement remarquables, et dont il résulte tout autre chose que ce qui vous a été dit. Je demande donc que la discussion continue.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - J’appuie l’observation de l’honorable M. Dumortier, et je demande qu’on ne donne pas suite à la motion proposée. Je crois que la discussion peut se prolonger séance tenante. Le ministre a satisfait au vœu de la constitution et au vœu de la chambre. Ce n’est pas du tout sur la provocation de M. Rodenbach, c’est par un mouvement tout spontané que je me suis présenté dans cette séance avec la volonté de vous présenter toutes les explications que vous avez entendues. J’ai déféré à la demande que l’assemblée m’avait transmise en vertu de la constitution.
Mais je ferai remarquer que la constitution n’astreint les ministres qu’à donner les explications demandées et ne prescrit rien de plus ; la constitution ne dit pas que le rapport contenant ces explications sera écrit ou verbal, ni qu’il sera inséré dans le bulletin des pétitions.
Ainsi la loi fondamentale n’oblige pas un ministre à donner des explications dans telle ou telle forme, et je le répète, j’ai satisfait au vœu de la constitution et à celui de la chambre. D’ailleurs si la religion de plusieurs honorables membres n’est pas suffisamment éclairée, je déposerai les pièces sur le bureau, afin que chacun puisse en prendre connaissance. Quant aux observations que j’ai présentées sur la compétence du conseil de guerre d’Anvers, je ne les ai données qu’à regret, parce que s’il n’entre pas dans l’intention de la chambre d’incriminer ce que j’ai fait, les pétitionnaires m’accusent d’avoir interrompu violemment le cours de la justice. Il était de mon honneur de répondre à ce reproche, et je ne fais qu’user du droit de défense qui, pour un ministre comme pour tout autre citoyen, est illimité. Du reste je ne m’oppose pas à ce qu’on ordonne le dépôt des pièces au greffe.
M. C. Rodenbach. - Comme c’est moi qui ai soulevé la discussion, je déclare que je suis entièrement satisfait des explications de M. le ministre.
M. Jullien. - Il est vrai que la constitution n’a pas dit quand et comment devraient être données les explications que demande la chambre sur une pétition, mais, notre règlement porte, dans son article 65, que trois jours au moins avant la séance où le rapporteur de la commission doit être entendu, un feuilleton indiquant le jour où le rapport sera fait, sera distribué aux membres de la chambre. Or, n’est-il pas rationnel de suivre cette marche pour les rapports concernant les pétitions qui doivent nous être faits par les ministres ?
Il ne faut pas que ces renseignements nous viennent à l’improviste, et quand la question n’est pas à l’ordre du jour. Du reste, je n’empêche pas que l’on donne acte à M. le ministre du dépôt des pièces qu’il fera sur le bureau, mais au moins que l’on ajourne la discussion, pour que la chambre ait le temps de prendre une connaissance suffisante de l’objet dont il s’agit, et de se former une opinion, ce qu’elle n’a pu faire au moyen des explications verbales qu’elle a entendues.
M. Milcamps. - Messieurs, j’ai été rapporteur de la commission des pétitions sur celle dont il s’agit, et je me rappelle très bien quel en était l’objet.
Elle tendait uniquement ce que la chambre demandât des explications au ministre de la justice sur le fait d’enlèvement de pièces.
Les explications ont été données aujourd’hui par le ministre de la justice ; et, d’après ces explications, le gouvernement est disposé à prendre les mesures nécessaires pour que le conseil de guerre permanent soit légalement constitué et qu’il soit donné suite à la procédure commencée.
Sur ce point il me semble que les explications sont très satisfaisantes.
D’un autre côté, le conseil de guerre a demandé qu’on prît des mesures afin de faire cesser l’état de choses sur le fait dénoncé ; eh bien ! cela tendait simplement au renvoi des pièces, et le ministre vient de dire que cela aurait lieu incessamment.
Il me semble qu’il n’y a rien à discuter. Nous n’avons aucune juridiction sur les tribunaux ; tout ce que nous pouvons faire c’est de prendre les mesures nécessaires le plus promptement.
M. H. de Brouckere. - Je croyais que l’on voulait demander la clôture de la discussion, qui ne peut conduire à aucun résultat.
Je vous avoue que j’aime ordinairement à appuyer l’opinion de l’honorable M. Jullien ; mais je ne vois dans quel but on fixerait un jour pour délibérer sur le rapport du ministre de la justice ; nous n’avons aucune décision à prendre sur ce rapport.
La chambre a ordonné le renvoi de la pétition avec demande d’explications au ministre de la justice ; les explications sont données.
Ces explications ont un seul but, c’est de mettre les membres à même de faire les propositions qu’ils jugeront convenables.
M. Fallon. - C’est dans le même sens que je voulais parler. Il n’y a pas lieu à discussion. Je ne sais pas ce qui pourrait être en discussion. On a entendu les explications du ministre. Si un membre croit devoir faire une proposition, qu’il la fasse.
M. d’Elhoungne. - Je partage l’opinion des deux préopinants. Tout ce que nous avons à faire, c’est de demander le dépôt du rapport du ministre au bureau des renseignements. (La clôture ! la clôture !)
M. Dumortier. - Je demande la parole contre la clôture. Je conçois que ceux qui sont satisfaits des explications de M. le ministre de la justice demandent la clôture ; mais il doit en être autrement de ceux qui ne sont pas satisfaits. Il ne suffit pas que le ministre donne des explications quelconques ; des explications qui seraient borgnes ne peuvent suffire. J’ai des éclaircissements à donner. Il y a deux affaires connexes dans la question ; celle de Claessens et celle de Vanderschrick. Je demande que la discussion suive son cours.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Je me joins à l’honorable préopinant pour que la clôture ne soit pas prononcée. Je suis disposé à entrer dans d’autres explications à l’occasion de la pétition du sieur Vanderschrick. Je serais fâché qu’on crût que le ministre verrait avec plaisir qu’on étouffât cette discussion. Cependant je ne persiste pas moins à dire que lorsque j’aurai donné des explications, j’aurai satisfait au vœu de la constitution. La constitution ne prescrit même pas au ministre de faire un rapport écrit ; elle est muette sur la forme de ces explications qui ne peuvent amener aucune délibération de la chambre. Si les explications signalaient un vice de la législation, une conduite irrégulière de l’administration, il y aurait lieu à faire une proposition à la chambre ; mais les explications elles-mêmes ne peuvent être l’objet d’un vote.
- La chambre consultée décide que la discussion continuera.
M. Jullien. - Ma motion d’ordre tendait à renvoyer toutes les explications à une autre séance, parce que ces explications auraient dû être annoncées, auraient dû être à l’ordre du jour. Puisqu’on demande de nouvelles explications, je pense qu’il faut continuer. M. Dumortier a annoncé de nouveaux éclaircissements, je l’invite à les présenter. Le droit de pétition serait dérisoire, si tout était fini par des explications. Quand on nous adresse des pétitions, c’est pour avoir justice, c’est pour redresser des griefs.
M. d’Elhoungne. La question actuelle se résume en peu de mots. De quoi s’agit-il ? D’une pétition adressée à la chambre et sur laquelle la chambre a demandé des explications au ministre. Le ministre aurait pu donner les explications par écrit, et alors il n’y aurait pas eu discussion ; il a donné des explications verbales, ce qui n’en change pas la nature, et ne doit pas non plus entrer en discussion. Cette discussion n’est d’ailleurs pas à l’ordre du jour. Si quelqu’un a des explications nouvelles à demander, il doit le faire connaître. Nous perdons notre temps en nous occupant d’un objet qui n’est pas à l’ordre du jour.
M. Dumortier. - J’ai plusieurs fois dit à l’assemblée que j’avais des explications à demander au ministre de la justice. Je ne suis pas satisfait de celles qu’il vient de donner. Elles ne touchent qu’un seul point de la question ; il y a un autre point important ; c’est de savoir jusqu’à quel point le gouvernement a le droit de retirer les pièces d’un procès, de retarder les poursuites faites. Ce point est grave. Quant à l’affaire dont il s’agit, je vais vous rapporter sommairement les faits tels qu’ils se sont passés.
Vanderschrick est, à Anvers, un fraudeur de profession. Il avait demandé au colonel Buzen la permission de se rendre à la frontière hollandaise ; mais le brave colonel ayant su que ce Vanderschrick introduisait en Belgique des lettres en cachette, refusa l’autorisation.
Un paquet de lettres fut arrêté à la porte d’Anvers : le délit de contravention aux règlements de la poste ayant été constaté par l’administrateur des postes, le paquet fut remis au colonel Buzen. Dans le paquet on en trouve un autre portant un numéro et comprenant une lettre écrite en chiffres. Ce fait, dans la situation d’Anvers, est extrêmement grave. Vandenschrickt déclare que ce paquet s’adresse à un certain individu important, lequel, attendu son état, ne pouvait avoir de relations avec la Hollande ; celui-ci en indique un troisième qui ne sait pas la langue française : cependant la lettre en chiffres renferme des expressions françaises.
La pétition de Vanderschrick tend à incriminer la conduite du colonel Buzen ; ces faits doivent le justifier.
L’autorité militaire, trouvant un espionnage évident dans ces menées, fait emprisonner les trois individus. Le conseil de guerre permanent s’assemble pour juger l’affaire ; mais une lettre du ministre de la justice arrive qui demande la remise des pièces et le renvoi de l’affaire à quinzaine.
Que fait l’auditeur du conseil permanent ? Il envoie chercher les pièces chez le sous-auditeur, et lorsque, le lendemain, le conseil est réuni, on lui dit : Vous n’avez rien à juger. Les orangistes se réjouissent de ce qu’on arrête les poursuites contre les agents de la Hollande. Le conseil de guerre décerne un mandat d’amener contre le sous-auditeur qui avait remis les pièces. On prétend que son élargissement a été régulier ; voici une lettre qui fait élever des doutes sur cette régularité.
« Ministère de la guerre, Bruxelles, le 15 novembre 1832
« A M. le colonel Buzen, commandant supérieur de la place d’Anvers
« M. le colonel,
« Je vous préviens que, sur le rapport de M. le ministre de la justice, le Roi a décidé en conseil que M. l’auditeur Claessens, qui n’est justiciable que de la haute cour militaire et qui a été arrêté par un acte émané du conseil de guerre permanent de la première division, serait remis sur-le-champ en liberté, et que M. l’auditeur général se rendrait immédiatement à Anvers, pour informer sur cette arrestation.
« Je vous prescris en conséquence, en vertu des pouvoirs dont vous êtes revêtu, d’ordonner à l’autorité qui a fait exécuter cette arrestation illégale, de remettre sur-le-champ M. Claessens en liberté et de me rendre compte de la prompte exécution du présent ordre.
« Le ministre directeur de la guerre,
« Signé, baron Evain. »
Ainsi, messieurs, M. le ministre a ordonné au conseil permanent de se rasseoir de nouveau pour ordonner l’élargissement. Cette mesure passe toutes les bornes imaginables. Cet ordre, donné à une autorité judiciaire, de rendre un jugement contraire à sa première décision, doit vous sembler mériter des explications de la part du ministre de la justice. C’est sur quoi je l’interpelle. Ce ministre arrête les poursuites dirigées contre M. Vanderschrick.
Ceci doit vous rappeler que le gouvernement a aussi ordonné l’anéantissement des poursuites dirigées contre la bande Tornaco. Ces deux faits méritent bien qu’on les justifie.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau).- J’avoue que le langage du préopinant me surprend beaucoup. Comment ! Un homme est sous le poids d’une accusation capitale, et l’on vient transformer la chambre en corps judiciaire ! On vient développer devant elle un long réquisitoire dans lequel on ne craint pas d’avancer, avant que la justice ait fait connaître sa décision, qu’il y a espionnage évident ! Ne craignez-vous pas d’influencer la justice !
Vous déclarez qu’il y a espionnage ? Il y a ici interversion des pouvoirs ; il y a empiétement sur l’autorité de ceux que les lois ont investis, du droit de déceler s’il y a crime ou non. Les paroles émanées de la représentation nationale sur ce point pourraient avoir une influence fatale sur le sort d’un homme que vous n’avez pas entendu, que vous n’avez pas le droit d’entendre.
Il m’est interdit, messieurs, de donner des explications à l’orateur ; c’est au conseil permanent devant lequel sera portée l’accusation à voir s’il y a eu crime ou non.
Il n’est pas toujours besoin d’une décision judiciaire pour requérir la mise en liberté d’un homme qui, aux yeux, du ministère public, est détenu arbitrairement : telle était, selon nous, la position de M. Claessens. Quant à la lettre de M. le ministre de la guerre, elle n’avait pour but que de réclamer au besoin le concours du commandant de la province pour l’exécution des ordres donnés à M. l’auditeur-général.
Je pense que l’honorable préopinant ne m’a pas compris. L’intention du gouvernement n’était pas de faite cesser le cours de la justice. Le gouvernement voulait un délai, et il a invoqué les pouvoirs légaux qu’a l’auditeur-général pour élever, le cas échéant, un conflit : il n’y a eu de la part du gouvernement que de la prudence et de l’humanité. On allait procéder au jugement, le gouvernement est au même instant saisi d’une question importante de compétence ; il fait remettre la cause pour s’éclairer sur la question ; il veut que le ministre de la justice prenne connaissance du dossier. Si l’auditeur militaire a méconnu les intentions du ministre de la justice, je n’ai pas prétendu soutenir qu’il ait agi régulièrement ; dans ce cas le ministre de la justice n’est pas le complice des torts de l’auditeur militaire.
M. Gendebien. - Je ne veux pas rentrer dans la discussion. Je veux relever une doctrine émise un peu légèrement par le ministre de la justice. Il a dit que tout officier du parquet avait droit de faire élargir...
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - De requérir l’élargissement.
M. Gendebien. - De faire élargir, c’est le mot dont il s’est servi et que lui, ministre, en sa qualité de chef du parquet, il avait le droit d’ordonner l’élargissement : il y a là deux propositions dangereuses.
Les officiers du parquet peuvent poursuivre ; ils peuvent se désister de leurs poursuites, sans dessaisir le juge qui, seul, termine le procès dont il est saisi ; mais ils n’ont pas d’autre droit, et le ministre n’a pas plus de droit qu’eux ; ce n’est pas le conseil que le ministre a requis d’élargir le sieur Claessens, mais l’auditeur-général qui a agi sans le conseil de guerre.
Une autre question, c’est de savoir si le ministre de la justice a droit de donner des ordres aux officiers du parquet. A coup sûr, il n’a pas celui d’arrêter les poursuites, ni d’ordonner, ni de requérir directement l’élargissement.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Je prie la chambre de jeter les yeux sur le code d’instruction criminelle ; elle y verra que tout individu détenu arbitrairement doit être mis sur-le-champ en liberté, et que c’est un devoir pour les officiers du ministère public de requérir cet élargissement.
M. H. de Brouckere. - Quand j’entends soutenir des doctrines aussi subversives de tout ordre public, de toute liberté, je dois rompre le silence.
L’article cité est relatif à ceux qui détiennent arbitrairement, qui n’ont pas caractère pour détenir ou ordonner une détention.
Il y a une grande différence entre une arrestation arbitraire commise par un individu sans qualité, ou un mandat décerné par l’autorité judiciaire.
Supposez qu’un membre d’une cour judiciaire soit arrêté sur le mandat d’un juge d’instruction ; le voilà bien évidemment arrêté en vertu d’un mandat illégal, d’un mandat d’un juge incompétent ; eh bien ! croyez-vous que le ministre de la justice puisse ordonner au procureur du roi de mettre en liberté le membre de la cour arrêté ? Non : c’est aux tribunaux à le mettre en liberté. Ni le ministre, ni aucun officier ministériel ne peut annuler la décision, d’une autorité quelconque.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Si on n’isolait pas mes premières explications de celles dans lesquelles je viens d’entrer, on s’épargnerait la peine de faire ressortir l’espèce d’hérésie dans laquelle on croit que je suis tombé. J’ai dit que le conseil d’Anvers avait perdu, à mes yeux, son caractère de légalité par les modifications introduites dans son personnel. Je déclare que c’est mon opinion et que je ne puis en changer. Je ne reconnais pas au conseil permanent le caractère de légalité devant lequel j’aurais dû m’arrêter. Vous ne croirez pas qu’un homme qui a blanchi dans l’étude des lois militaires, que M. l’auditeur-général ait aussi violé, à plaisir, des règles aussi simples ; c’est M. l’auditeur-général, lui-même, qui a fait procéder à l’élargissement du sous-auditeur.
M. Dumortier. - Je suis vraiment étonné que M. le ministre de la justice me fasse un crime d’avoir trouvé de l’espionnage dans les faits relatifs à Vanderschrick, lorsque lui, ministre, trouve qu’un corps a agi illégalement. J’ai émis mon opinion, et les reproches du ministre ne tombent sur rien.
L’élargissement, dit-on, a été complétement légal, parce que c’est l’auditeur-général qui l’a ordonné : mais, au lieu de cette explication, il fallait justifier l’ordre donné par un ministre, à un conseil de guerre, de s’assembler et de décider contrairement à sa première décision.
Je demande aussi des explications sur l’affaire Tornaco ; je ne veux pas que le gouvernement abuse de son influence.
Il y a encore un acte signé Prisse, dans lequel le gouvernement s’engage à punir les hommes qui ont arrêté les individus de la bande Tornaco, et par conséquent à punir l’honorable membre de cette assemblée, qui siège là, devant moi, et qui a ordonné l’arrestation de M. Pescatore. Je demande des explications sur trois choses :
1° Sur l’ordre donné au conseil de guerre de se déjuger ; 2° Sur l’affaire Tornaco ; 3° Sur les engagements pris de punir les citoyens qui ont pris part à l’arrestation de M. Pescatore et des individus de la bande Tornaco.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Jamais le gouvernement n’a pris des engagements qu’on signale. Dans les pièces relatives à l’affaire Tornaco, il n’y a rien qui ressemble à la lâche condescendance qu’on veut reprocher à l’administration. Je ne suis pas préparé sur l’affaire Tornaco ; cette affaire a été traitée diplomatiquement. C’est au ministre des affaires étrangères à donner des explications sur ce point ; et je prends en son nom l’engagement qu’il les fournira. Je proteste d’avance contre les intentions prêtées au gouvernement, d’avoir jamais consenti à des conditions déshonorantes pour le pays afin d’obtenir l’élargissement de M. Thorn.
M. Jullien. - Voilà l’inconvénient des discussions improvisées. Je relèverai une erreur infiniment grave, émise par le ministre de la justice. Il est obligé de convenir que dès l’instant qu’un individu est arrêté, et qu’il est mis entre les mains de la justice, les officiers du parquet et le ministre de la justice, leur chef, n’ont pas d’autre droit que de requérir, près des tribunaux, ou bien la mise en liberté de l’individu, ou bien son renvoi devant un tribunal ordinaire ou extraordinaire. Un ministre de la justice est obligé de convenir de ces principes, surtout quand il a l’honneur d’être avocat.
Mais ajoute le ministre, le conseil de guerre n’est pas légal. Comment ! parce que vous, ministre, vous pensez, vous opinez, que l’introduction de tel ou tel membre dans un tribunal rend ce tribunal illégal, vous prenez le droit extraordinaire de déclarer l’illégalité du tribunal ; mais, par des considérations semblables, on peut déclarer l’illégalité de tous les tribunaux, de toutes les cours, et agir comme si les cours et tribunaux n’existaient pas. Le conseil est illégal ; c’est cela qui l’empêche de juger, et cependant : les prévenus sont encore en prison !
Si le conseil est illégal, il faut procéder à son remplacement pour que le cours de la justice ne soit pas interrompu. Je demande pourquoi le conseil étant illégal il existe encore ?
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Je ne croyais pas avoir été si mal compris par l’honorable préopinant. J’ai déduit les motifs qui avaient empêché de procéder à la composition du nouveau conseil : pendant trois semaines il n’y a pas eu de ministère ; depuis, le chef de l’Etat a été absent ; ainsi il y avait force majeure pour empêcher la formation du conseil. J’ai annoncé que le premier soin du ministre serait la réforme de ce conseil.
M. Gendebien. - Pour s’excuser de l’hérésie qu’il avait avancée, le ministre a dit qu’il avait ordonné l’élargissement de M. Claessens ; je demande pourquoi, le même jour, le ministre n’a pas réorganisé le conseil : on peut dire au ministre : Vous avez fait ce que vous ne deviez pas faire et vous n’avez pas fait ce que vous deviez faire.
- La chambre consultée ferme cette discussion.
L’ordre du jour est un rapport de la commission des pétitions.
M. Milcamps, premier rapporteur, a la parole. « Par pétition en date du 29 novembre 1832, 49 avocats du barreau de Bruxelles demandent l’abrogation de l’article 3 de la loi d’organisation judiciaire instituant des avocats ministériels à la cour de cassation. »
La commission propose le renvoi du mémoire à M. le ministre de la justice et le dépôt au bureau des renseignements.
Les avocats du barreau de Bruxelles demandent que vous proposiez au pouvoir législatif l’abrogation ou la modification de l’article 31 de la loi du 4 août 1832.
La proposition d’abroger une disposition de loi est facilement comprise. Mais celle de la modifier a besoin d’explications.
De là, pour le rapporteur de votre commission, l’obligation d’entrer dans quelques détails.
Vous savez, messieurs, que l’article 31 de la loi du 4 août 132 établit près la cour de cassation des officiers ministériels portant le titre d’avocats, ayant le droit de plaider, et exclusivement celui de postuler et de prendre des conclusions, et que ce même article permet aux avocats des cours d’appel seulement de plaider devant la cour de cassation.
C’est contre cette disposition qui attribue aux officiers ministériels, portant le titre d’avocats, le droit de plaider, et exclusivement celui de postuler, que les pétitionnaires réclament.
Ils prétendent que cette institution est inutile, onéreuse aux parties ; qu’elle compromet le titre d’avocats, et crée un privilège.
« Elle est inutile. » Le règlement de 1815 n’exigeait que la signature de l’avocat. Lorsque le demandeur a fait signifier, par un huissier son pourvoi, rien n’empêche son adversaire de lui notifier directement et par la même voie son mémoire de réponse. Dans les débats l’avocat plaidant a seul un rôle actif, les conclusions qu’il prend sont celles du mémoire. Pourquoi ne signerait-il pas les conclusions d’audience ? Les qualités, après l’arrêt rendu, peuvent être signifiées dans la même forme que le mémoire.
« Elle est onéreuse aux parties, » en ce que la création des avoués ministériels, par la loi du 4 août 1832, multipliant les écrits sans nécessité, occasionne des frais sans objet, et rend souvent l’accès de la justice impossible. Cette création était donc une erreur fatale aux parties qui avaient à réclamer les arrêts de la magistrature suprême. Cette erreur, disent les pétitionnaires, est facile à réparer aujourd’hui que ces nouvelles fonctions ne sont pas encore conférées ; mais ici, messieurs, je dois faire remarquer que depuis la rédaction ou la présentation de la pétition, la loi du 4 août 1832 a reçu son exécution.
« Elle compromet le titre d’avocat » en le donnant aux officiers ministériels établis près la cour de cassation. Comment concilier la noble indépendance de l’avocat avec un office onéreux et inutile et qu’il faudra solliciter ?
« Elle crée un privilège. » Dans le plus grand nombre de causes, l’officier ministériel privilégié sera chargé de postuler et de plaider, ainsi renaîtra l’abus qui sous le gouvernement précédent était résulté de l’introduction et de l’emploi d’une langue peu familière à plusieurs, et inconnue à quelques-uns des membres du barreau ; et à cette occasion les pétitionnaires font remarquer que la cour d’appel, appelée à donner son avis sur le projet de loi, s’est expliquée avec énergie contre l’introduction en Belgique du monopole et du privilège exclusif qui existe à la cour de cassation de France, par l’établissement d’un corps d’avocats spécialement attachés à cette cour.
Ce sont là, messieurs, les principales et seulement les principales considérations que les pétitionnaires font valoir à l’appui de leur demande qu’il termine ainsi :
« S’il fallait des avoués devant la cour de cassation comme il en existe pour les cours d’appel, que chacun reste à sa place, et dans son grade ; que l’avocat exerce sa haute mission, que le procureur remplisse son office. »
Lors de l’examen de cette pétition par votre commission, on a demandé si le rapport qui en serait fait à la chambre présenterait le résumé exact de tous les motifs allégués pour l’abrogation ou la modification de la loi, et dans l’affirmative, si le rapport présenterait également les motifs qui pouvaient militer en faveur du maintien de la loi. La première question ayant été résolue négativement, votre commission a fait un devoir à son rapporteur de se borner à l’analyse de la pétition ; et attendu que cette pétition est adressée à la chambre comme élément d’une proposition de loi ; que l’initiative de proposition de loi appartient au gouvernement et à chacun des membres de cette assemblée,votre commission a pensé que c’était le cas de renvoyer la pétition à M. le ministre de la justice et d’en ordonner le dépôt au bureau des renseignements. Et telles sont, messieurs, les conclusions qu’au nom de la commission j’ai l’honneur de vous proposer.
M. d’Elhoungne. - Je demanderai l’impression du rapport.
M. Jullien et d’autres membres. - Il sera imprimé au Moniteur !
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. Milcamps, rapporteur. - « Par pétition en date du 12 novembre 1832, le sieur Van der Hoost, aspirant au notariat, soumet des observations à la chambre sur la nécessité d’apporter des changements ou des modifications aux lois existantes concernant le notariat. »
Le pétitionnaire signale que les examens des aspirants au notariat ne sont que de vaines formalités : qu’on accorde des certificats de capacité à l’ignorance, tandis qu’on les refuse à la capacité.
Il voudrait que les notaires fussent placés sur la même ligne que les médecins, les chirurgiens et les avocats. Le notariat étant une science comme l’est la médecine, le notaire de même que le médecin ne devrait être soumis à aucune obligation, telle que celle d’être nommé par le Roi, d’exercer dans tel ressort plutôt que dans tel autre.
Après quelques observations de cette nature, il formule quelques dispositions qui se rattachent à son système et il vous les présente, messieurs, pour que vous en fassiez la proposition d’une loi. Votre commission m’a chargé, messieurs, de vous proposer le dépôt de cette pièce au bureau des renseignements.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. Milcamps, rapporteur. - « Par pétition en date du 21 courant, les avoués près la cour d’appel de Bruxelles réclament une modification à la loi du 4 août 1832, article 31, en ce sens qu’il soit établi près la cour de cassation des officiers ministériels portant le titre d’avoués, et que les avocats près la cour d’appel de Bruxelles soient autorisés à remplir les fonctions d’officiers ministériels devant la cour de cassation. »
Messieurs, les avoués près la cour d’appel de Bruxelles réclament des modifications à l’article 31 de la loi du 4 août 1832, en ce sens qu’il soit établi près la cour de cassation des officiers ministériels portant le titre d’avoués, ayant le droit exclusif de postuler et de conclure, et que les avoués actuellement attachés à la cour d’appel de Bruxelles soient autorisés à exercer les mêmes fonctions devant la cour de cassation.
Ainsi, au lieu d’officiers ministériels portant le titre d’avocats ayant le droit de postuler et de plaider, qu’institue l’article 31 de la loi du 4 août 1832, on établirait des officiers ministériels portant le titre d’avoués ayant le droit de postuler seulement.
La nécessité, disent les pétitionnaires, d’établir, près ces cours et ces tribunaux, des officiers ministériels qui, ayant exclusivement le droit de postuler et de conclure, a été sentie de tout temps.
En abandonnant la postulation à des avoués, l’avocat n’est pas détourné de l’application qu’il doit à l’étude de la cause ; on ferait cesser la division qui se manifeste entre les avocats du barreau de Bruxelles et ceux de la cour de cassation.
En autorisant les avoués attachés actuellement à la cour d’appel à postuler et à conclure devant la cour de cassation, on les dédommagerait des pertes qu’ils éprouvent par l’établissement d’une troisième cour, celle de Gand.
Tels sont les principaux motifs que les pétitionnaires font valoir à l’appui de cette demande.
Votre commission, qui a examiné cette pétition, m’a chargé de vous en proposer le renvoi à M. le ministre de la justice et d’en ordonner le dépôt au bureau des renseignements ; c’est à quoi je conclus.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. Milcamps, rapporteur. - « Par pétition en date du 23 courant, le sieur A. Roest, écrivain, né à Bergeyck, Brabant septentrional, et habitant Turnhout depuis 6 ans, demande sa naturalisation avec dispense des frais. »
La commission conclut au renvoi du mémoire à la commission dite des naturalisations.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Poschet, deuxième rapporteur, est appelé à la tribune. - « Par pétition non datée, le sieur N. Welter, à Rollingen (Grand-Duché), demande que le tribunal de Termonde délivre copie du procès-verbal d’accusation à sa charge. »
Comme le pétitionnaire n’expose pas les motifs de sa demande, la commission propose l’ordre du jour.
Adopté.
M. Poschet, rapporteur. - « Par pétition en date du 10 novembre 1832, trois fabricants d’huile et marchands de tourteaux à Wervicq demandent la libre circulation des tourteaux de graines oléagineuses. »
La commission conclut au renvoi du mémoire à M. le ministre des finances.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, en juin dernier, les cultivateurs de Reckem adressèrent à la chambre une pétition sur les tourteaux. D’autres communes signalèrent, comme Werwicq, les abus sur la circulation des tourteaux de graines oléagineuses ; en effet, il est absurde d’exiger des acquits-à-caution pour le transport de ce résidu dans les fermes. On a également demandé une diminution sur la taxe des droits d’entrée. Ni le ministre des finances, ni la commission d’industrie ne s’en sont occupés.
Cette branche d’industrie agricole mérite cependant un examen attentif. Souvent la douane oblige le voiturier à décharger les tourteaux. On les compte cinq à la fois. Remarquez, messieurs, qu’on en charge par milliers sur un chariot.
Il s’ensuit que les laboureurs sont bien souvent retenus une demi-journée, et cela pour ne donner au fisc que quelques florins ; car je pense que le droit ne s’élève tout au plus qu’à 50 cents par 100 livres.
Du reste, je crois que les tourteaux ne devraient point payer de droits. On s’en occupera, sans doute, lors de la présentation du nouveau tarif des douanes. C’est un engrais nécessaire à la culture du lin, et depuis qu’on a détruit les distilleries agricoles, l’engrais est excessivement cher dans quelques provinces. Outre cela, les tourteaux servent aussi à engraisser les bestiaux.
En conséquence, je demande le renvoi de la requête au ministère des finances et à la commission d’industrie.
Si j’ai bonne mémoire, l’honorable rapporteur, M. Poschet, dans la précédente session, a été chargé par la commission d’industrie de faire un rapport sur les tourteaux. Je dois supposer que les grands travaux de la chambre seuls l’en ont empêché.
Je le prie instamment de ne point négliger ce rapport dans la session actuelle.
Ce projet, qui en apparence n’est que minime, doit être mûrement examiné.
M. Poschet. - Ce ne sont pas mes grandes occupations qui m’ont empêché de présenter ce travail ; ce sont les grandes occupations de la chambre qui l’ont empêchée de m’écouter.
M. d’Elhoungne. - Quand on aura fourni les renseignements nécessaires, on l’enverra à la commission d’industrie.
M. Angillis. - J’appuierai la proposition de M. Rodenbach. Cette pétition n’est pas dans un intérêt particulier ; elle est rédigée dans l’intérêt de l’agriculture. En Flandre les tourteaux sont indispensables ; cependant les quatre cinquièmes de ce qu’il en faudrait manquent ; on le sait en France, et on empêche de les laisser entrer. L’agriculture réclame avec justice la protection des représentants de la nation, car elle est la base de la prospérité nationale. Plus tard je m’expliquerai avec plus de développement ; je demande le renvoi de la pétition à la commission d’agriculture.
M. Davignon. - L’objet de la pétition est d’une haute portée ; ceci touche à la révision des tarifs de douane.
M. Meeus. - Je ne saurais admettre ce que l’on vient de dire. Si l’agriculture éprouve un véritable dommage, je crois qu’il faut renvoyer la pétition à la commission.
M. Poschet appuie aussi ce renvoi comme député.
M. d’Elhoungne. - Je partage tout à fait l’avis des préopinants, mais pour que la commission d’industrie puisse vous présenter un travail satisfaisant, il faut qu’elle se soit procuré préalablement des renseignements qui servent de base à ce travail. Je demande donc le renvoi au ministre des finances pour qu’il fournisse à cette commission les renseignements dont elle a besoin.
- Le double renvoi est ordonné.
M. Poschet, rapporteur. - « Le sieur Lucie Diedacus demande son exemption du service dans le premier ban mobilisé, où il s’était engagé volontairement. »
Conclusions de la commission : ordre du jour.
M. le colonel Coppens. - Je demanderai à M. le ministre de l’intérieur si le premier ban de la garde civique de Gand est en activité, oui ou non.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Il me semble que M. Coppens est à même de répondre plus pertinemment que moi à cette question. Je crois cependant que je puis le faire affirmativement.
M. le colonel Coppens. - Je prie M. le ministre de l’intérieur de vouloir nous dire si le premier ban de la ville de Gand est mis en activité et par quel arrêté.
Que jusqu’à ce jour, ni le gouverneur de la province de la Flandre orientale, ni le colonel commandant supérieur, ni l’autorité communale n’ont reçu aucune communication de cet arrêté de mise en activité du premier ban de cette ville.
Qu’en octobre 1831, M. le colonel Fleury-Duray, envoyé à Gand par le ministre de la guerre, y a rassemblé quelques hommes qui étaient censés faire partie du premier ban, et les a fait partir pour Nieuport, en leur imposant des officiers et sous-officiers, contrairement au vœu de la loi, une grande partie de ces hommes, croyant qu’on les faisait partir comme gardes civiques du premier ban, et ne voyant pas arriver leurs frères d’armes et leurs officiers, qu’ils avaient vivement réclamés, s’en retournèrent dans leurs foyers ; plusieurs d’entre eux furent arrêtés et emprisonnés ; quelques-uns furent même condamnés.
Je prie donc M. le ministre de faire cesser cet état de choses, vu que les hommes de bonne volonté sont ici ceux qui se trouvent punis et non les récalcitrants, qui demeurent tranquillement chez eux et narguent les autres.
Il y a en outre un fait plus grave que ce dernier ; des hommes exemptés antérieurement à leur départ par le comité de conservation remplaçant les états-députés, furent arrêtés et emprisonnés, et leurs exemptions déchirées.
M. Gendebien. - Je demande le renvoi à M. le ministre de l’intérieur avec demande d’explications.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je ne m’oppose nullement au renvoi demandé, je l’appuierai même. Si l’irrégularité qu’on signale est vraie, c’est avec raison qu’on réclame contre un pareil état de choses.
- Le renvoi au ministre de l’intérieur avec demande d’explications est adopté.
M. Poschet, rapporteur. - « Le sieur B. Desmet, docteur en médecine, à Bruges, demande l’autorisation, par dérogation à l’article 13 de la loi du 12 mars 1818, d’exercer cumulativement la médecine et la chirurgie. »
- La commission propose le renvoi à M. le ministre de l’intérieur et le dépôt au bureau des renseignements.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je suis toujours prêt à donner tous les renseignements qu’on me demandera ; mais je voudrais savoir si l’on réclame dans la pétition une simple mesure administrative ou bien un projet de loi.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - S’il ne s’agit que d’une demande pour être autorisé à exercer cumulativement la médecine et la chirurgie, autorisation qu’il est dans le droit du gouvernement d’accorder, il me semble que ce n’est pas à la chambre qu’elle devait être adressée ; la chambre ne peut intervenir par sa décision qu’autant qu’on demanderait une modification à la loi.
M. Poschet. - Le pétitionnaire demande l’un et l’autre.
- Le renvoi au ministre de l’intérieur est ordonné.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Je m’aperçois que j’ai oublié de vous faire un rapport sur une autre pétition, celle de M. Story de Richemont, qui avait reçu l’ordre de la police de quitter la Belgique. On s’était fondé pour expédier cet ordre sur les dispositions d’une loi qui, je pense, est de l’an VI.
J’ai reçu une réclamation de la part du sieur de Richemont. Il s’agissait de savoir si cette loi de la république sur laquelle la police s’était appuyée pouvait se concilier avec la législation postérieure sur les passeports et les étrangers, et avec les dispositions de la constitution. J’ai pensé que la question ne pouvait être tranchée si lestement, et qu’elle devait appeler un examen approfondi ; dans le doute j’ai cru que le provisoire devait être en faveur de la liberté individuelle, et j’ai fait révoquer l’ordre. (Très bien !) Depuis, j’ai reçu une lettre de M. de Richemont, qui m’annonce que le député chargé de remettre et d’appuyer sa pétition, M. Pirson, je crois, avait été invité par le pétitionnaire lui-même à la retirer.
M. Poschet, rapporteur. - « Les administrations des communes de Cruys-Hauthem, Huysse, Nokere, etc., composant, avec la commune de Zulte, le canton judiciaire de Cruys-Hauthem, Flandre orientale, demandent que ce canton fasse partie de l’arrondissement judiciaire d’Audenaerde. »
Conclusions : dépôt au bureau des renseignements.
M. Dellafaille. - Messieurs, habitant de l’une des communes qui réclament votre intervention, je crois devoir vous dire un mot à l’appui de la pétition qui vous est soumise.
De tout temps les communes composant le canton de Cruys-Hauthem ont ressorti de l’administration d Audenaerde. Il en fut ainsi jusqu’à ce que l’organisation française du département de l’Escaut vînt, on ne sait trop pourquoi, les placer dans l’arrondissement de Gand.
Conformément au vœu des habitants, le dernier gouvernement répara cette erreur. Le canton de Cruys-Hauthem fut réuni au district d’Audenarde pour la partie administrative. Il devait aussi rentrer sous le ressort du tribunal de cette ville lors de l’organisation judiciaire que nous avons inutilement attendue pendant quinze ans, et ce n’est que par le retard mis à cette même organisation par le gouvernement hollandais qu’il se trouve encore dépendant du tribunal de Gand.
Aujourd’hui qu’une nouvelle circonscription administrative et judiciaire doit avoir lieu, les régences et les habitants les plus notables de ces communes se sont adressés au gouvernement et à vous, messieurs, pour obtenir de rester quant à l’organisation administrative, et de rentrer, quant à l’organisation judiciaire, sous le ressort de la ville d’Audenaerde, ainsi que le demandent la proximité des lieux et la nature de leurs relations très fréquentes avec cette ville et très rares avec celle de Gand.
Pour vous faire comprendre l’inconvénient qui est résulté de ce changement, il suffira de vous dire que la commune la plus rapprochée de Gand et la plus éloignée d’Audenaerde se trouve à près de quatre lieues de la première de ces villes et seulement à une lieue et demie de la seconde.
Répondant au vœu qui m’a été manifesté par les pétitionnaires j’ai l’honneur, messieurs, de vous prier de vouloir bien faire attention à cette requête, et j’appuie, en ce qui me concerne, les conclusions de la commission.
M. Desmet. - Messieurs, je dis avec l’honorable M. Dellafaille que la demande qui vous est adressée par les habitants des communes de Cruys-Hauthem, Huysse et Nokere est très fondée, et je dois l’appuyer ; ces communes ne sont distantes que d’une petite lieue de la ville d’Audenarde, tandis qu’elles sont de plus de cinq lieues de Gand, qui est actuellement le chef-lieu de leur arrondissement judiciaire ; il est donc tout à fait juste et raisonnable qu’elles demandent à faire partie de l’arrondissement d’Audenarde.
Mais, messieurs, ce n’est pas dans ce canton seul qu’on a signalé des défectuosités par rapport à la circonscription judiciaire de la province de Flandre orientale ; cette province, qui déjà, et quoique la plus grande du royaume, n’a que trois arrondissements judiciaires, tandis qu’elle devrait nécessairement en avoir quatre, se trouve entièrement défectueuse du chef de sa circonscription judiciaire ; dans les arrondissements d’Audenarde et de Termonde, par exemple, il y a des communes qui sont à 8 et 9 lieues du chef-lieu de leur arrondissement judiciaire, tandis qu’on pourrait tellement circonscrire les arrondissements de cette province que leurs rayons respectifs ne dépassent guère les trois lieues et demie.
Cependant, messieurs, le pouvoir judiciaire restera toujours mal organisé, si son action n’est pas tellement étendue sur la surface du royaume, que, présent partout, il puisse être à la portée de tous les citoyens, et ne soit jamais vainement imploré par aucun. Car, ce n’est pas assez que la loi soit égale pour tous, afin que son influence soit bienfaisante, il faut encore que tous puissent l’invoquer avec la même facilité ; on verrait recommencer la domination du fort sur le faible, et toutes les conséquences fatales qu’elle entraîne.
Je demande donc, qu’outre le dépôt au bureau des renseignements, la chambre daigne ordonner que la présente pétition soit envoyée au ministre de la justice, et je prie M. le ministre de se rappeler et prendre en considération la promesse qui a été faite, à la fin de la session dernière, par son prédécesseur, notre honorable président, qui, au nom du gouvernement, a solennellement assuré à la chambre, que, dans la présente session, il aurait présenté un projet de nouvelle circonscription judiciaire pour tout le royaume, et ce ne fut qu’après avoir pris acte de cette promesse, que la chambre a voté la disposition de l’article 43 de la loi sur l’organisation judiciaire.
Je me flatte donc qu’on aura égard à la parole donnée par M. le ministre de la justice d’alors, et que, dans ce cas-ci, l’attente de la nation ne sera pas trompée ; car si dans les circonstances présentes, on a tant besoin de l’union entre le gouvernement et la nation, certainement, le meilleur moyen pour l’obtenir et la conserver, c’est de ne jamais froisser la foi sacrer des promesses.
J’ai dit et demandé le double renvoi au ministre de la justice et au bureau des renseignements.
- Le double renvoi est adopté.
M. Poschet, rapporteur. - « Le sieur Van Ruymbeke, chirurgien à Dixmude, demande la remise de la médaille qui lui a été accordée en 1828 pour propagation de la vaccine. »
Conclusions : Renvoi au ministre de l’intérieur.
- Adopté.
M. Poschet, rapporteur. - « Le sieur A. J. Poodts, d’Ostende, ex-tirailleur volontaire, réclame l’intervention de la chambre pour obtenir un des emplois qu’il a sollicités dans la marine ou aux finances. »
- Conclusions : Ordre du jour.
M. Levae. - Dès les premiers jours de la révolution, le sieur Poodts a pris les armes pour repousser l’ennemi, et plus tard il s’est mis dans les rangs des volontaires. Ce serait un acte d’humanité que d’ordonner le renvoi à MM. les ministres de la marine et des finances.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Si je ne me trompe, messieurs, le sieur Poodts n’a pas pris une aussi grande part à la révolution qu’on le dit. Il n’est pas de ceux qui ont offert dès les premiers jours leur bras à la patrie, et sous ce rapport il n’a pas un aussi grand mérite qu’eux ; ce n’est que plus tard qu’il s’est rangé sous les ordres du général Niellon. Le gouvernement a toujours agi de préférence dans l’intérêt de ceux qui ont véritablement servi la cause de la révolution. J’ai vu le pétitionnaire et il n’a pu me fournir que des renseignements très incomplets sur ses antécédents. Sa participation à la révolution n’a été que tardive, comme je l’ai dit. Renvoyer la pétition à l’un ou l’autre des ministres, ce serait faire croire qu’il y aurait eu à son égard une sorte de déni de justice, ce qui n’est pas.
M. Gendebien. - Le sieur Poodts, messieurs, est une des nombreuses victimes de la révolution : il n’a pas hésité à abandonner pour elle sa position, et s’il n’a pas combattu à Bruxelles, il s’est mis dans les rangs des volontaires avant la prise d’Anvers, et il n’en a couru que plus de danger, car il est certain qu’il y avait alors un très grand danger. C’est un père de famille qui a éprouvé de grands malheurs ; il travaillait dans une maison de commerce d’Anvers. Avant le licenciement des volontaires, il était sergent d’artillerie et il espérait devenir officier de cette arme.
S’il n’a pas rendu de plus grands services au pays, ce n’est pas de sa faute, c’est la faute de ceux qui l’ont licencié. Toujours est-il qu’il a abandonné sa position et qu’il est maintenant réduit à une extrême misère. Je crois donc qu’on peut renvoyer sa pétition aux ministres des finances et de la marine, car depuis qu’on m’avait promis de lui donner une place, on en a placé d’autres qui n’avaient aucun titre si ce n’est de n’avoir pris aucune part au danger. Je ne pense pas que ce renvoi signifiera qu’il y a eu déni de justice de la part du gouvernement, mais ce sera un simple mémorandum qui lui rappellera la réclamation d’un malheureux.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Je suis loin de vouloir écarter la réclamation du pétitionnaire ; je me suis moi-même rendu auprès de M. le ministre de la marine et me suis efforcé de faire obtenir au sieur Poodts la place de garde-magasin qu’il demandait. Mais il y a ici une question, dont la chambre ne peut pas se départir. Il y a des demandes d’une telle nature qu’elle ne peut pas s’en occuper, sous peine d’un double inconvénient : d’abord de nuire à sa propre dignité et ensuite de porter atteinte à la part du pouvoir qui est conféré au gouvernement, à cette prérogative constitutionnelle qui lui donne la collation des emplois. Evidemment ici la chambre n’est pas compétente, et quelle que soit sa décision, elle ne peut que nuire à sa dignité ou s’attaquer à la prérogative du gouvernement. Cette observation n’est pas faite du tout pour que la pétition ne soit pas prise en considération. J’ai déjà appuyé la réclamation du sieur Poodts, ainsi que je l’ai dit tout à l’heure.
M. A. Rodenbach. - Je conçois bien qu’il y ait une question de principe à laquelle nous devons faire attention, mais il est d’usage dans différents départements de ne pas recevoir les malheureux…
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Quels sont ces départements ?
M. A. Rodenbach. - Je parle du ministère des finances. Ne m’interrompez pas M. le ministre ; j’ai le droit de parler, et vingt ministres ne pourraient pas m’empêcher de continuer. Je traiterai maintenant la question d’une autre manière. Il existe un arrêté de M. Ch. de Brouckere, je crois, d’après lequel les hommes qui ont servi la patrie, ont droit de préférence à tout autre, à des emplois. Or, l’homme dont il est question a été plus de vingt fois au ministère et toujours il a été repoussé. Quant à moi je ne le connais pas, mais je l’ai reçu chez moi, parce qu’il était malheureux. Il me semble qu’on aurait pu lui accorder une petite place dans les douanes. J’ai reçu sur son compte les certificats les plus honorables.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je pense que les membres qui composent actuellement le ministère n’ont pas besoin de leçons d’humanité ou de patriotisme. Il se trouve que la personne à laquelle on fait allusion a été reçue par M. le ministre de la justice et par moi-même. Je ne sais si on lui a fermé les portes d’un autre ministère, mais je pense qu’introduit dans deux départements, il n’avait pas le droit de se plaindre.
Il existe en effet un arrêté bienfaisant pris sous le régent en faveur de ceux qui ont bien mérité du pays, et qui leur donne la préférence pour être admis à certains emplois ; mais le sieur Poodts, à cause de son âge, n’est plus capable de remplir ces emplois. Si l’honorable membre le connaissait bien, il aurait pu remarquer qu’il ne saurait occuper la place de douanier dont il a parlé. C’est ce qu’il m’a déclaré lui-même.
Je suis fâché que le département des finances ne soit pas représenté ici dans ce moment par le chef qui le dirige ; je suis persuadé que si M. le ministre des finances eût été présent, il aurait repoussé les assertions peu bienveillantes qu’on a insinuées contre lui.
M. Gendebien. - Je crois devoir faire remarquer que le mot incompétent est trop rigoureux quand il s’agit d’exclure le malheureux ; quand ce citoyen s’est présenté au danger à Anvers, on n’a pas alors allégué l’incompétence. C’est depuis que l’on s’est écarté si fort de la révolution que l’on parle d’incompétence. Nous sommes incompétents pour donner des places ! Gardons-nous, messieurs, de repousser le malheur par des fins de non-recevoir. Comment manquerions-nous à la dignité de la chambre, en recommandant un homme qui s’est exposé, qui a fait le plus grand sacrifice pour son pays, celui de sa vie ? Nous ne lançons pas une injonction au ministre ; nous demandons un simple renvoi pour servir de mémoire : le ministre pourra encore prononcer. Il n’y a point là d’incompétence, point de justice compromise ; il y a un acte d’humanité. Voilà ce que l’on demande à la chambre.
- L’ordre du jour proposé par la commission est rejeté.
La chambre ordonne le renvoi de la pétition au département de la marine et à M. le ministre des finances.
La séance est levée à quatre heures.