(Moniteur belge n°348, du 16 décembre 1832)
(Présidence de M. Fallon, vice-président.)
M. Liedts fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Dellafaille lit le procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. Liedts donne lecture d’une pétition adressée par la députation des états de la province de Liége. La lecture de cette pétition est autorisée par la chambre, parce que, relative aux droits de barrières sur les routes, elle se rapporte au budget des voies et moyens, projet de loi en discussion.
- La chambre ordonne le dépôt de la pétition au bureau des renseignements.
M. Jullien, rapporteur de la commission de vérification des pouvoirs, a la parole. - Messieurs, dit-il, le district de Soignies avait à procéder à l’élection d’un représentant.Le collège électoral est divisé en deux sections. Le procès-verbal présente deux difficultés : il est du devoir de la commission d’en rendre compte à la chambre.
La première consiste en ce qu’il a été impossible d’établir la seconde section du collège. Plusieurs électeurs ont été désignés pour faire partie du bureau et n’ont pas accepté la mission qui leur était donnée ; d’autres ont refusé de prendre part aux délibérations, de sorte que les électeurs ont décidé entre eux qu’il ne serait formé qu’un seul bureau. La commission a cru que l’on ne devait pas avoir égard à cet égard à cette difficulté parce que d’après l’article 19 de la loi électorale, il faut deux sections quand il y a 400 électeurs, et dans le district de Soignies les électeurs sont au-dessous de ce nombre.
Les électeurs étaient donc dans l’esprit de la loi, et cette difficulté n’a pas arrêté votre commission.
La deuxième difficulté est plus sérieuse. Le procès-verbal en rend compte. Au nombre des votants, se trouvaient cinq électeurs ayant des cartes délivrées par leurs bourgmestres respectifs. Ces cartes sont jointes au dossier, Il y avait à examiner si l’administration communale, quoique compétente en matière d’élection, avait pu réviser une liste électorale après la révision annuelle : c’est la question qui a été agitée dernièrement pour les élections de Liége ; mais la commission a pensé qu’il était fort inutile d’amener une discussion sur ce terrain, parce que les cinq électeurs, n’affectant pas la majorité, ne peuvent la déplacer. Le nombre des votants s’élevait à 265 ; M. Auguste Duvivier a réuni 258 voix ; il y a une immense majorité. Ainsi, qu’on retranche ou qu’on ne retranche pas les cinq électeurs, la majorité reste la même. D’après ces motifs, messieurs, la commission a été d’avis, à l’unanimité, de proposer l’admission de M. Auguste Duvivier.
- Les conclusions de la commission sont admises.
M. Duvivier, ministre des finances, prête serment après avoir été proclamé membre de la chambre.
M. Jullien. - Maintenant je devrais vous rendre compte des élections de Tournay ; mais le dossier n’est pas complet ; la commission a demandé communication de plusieurs pièces au ministère de l’intérieur ; quand ces pièces seront arrivées, la commission de vérification donnera son avis.
M. le président. - Une proposition a été déposée sur le bureau par M. Seron ; elle sera renvoyée dans les sections.
L’ordre du jour est la continuation de la discussion du budget des voies et moyens.
M. Osy. - Messieurs, vous vous rappellerez que M. Ch. de Brouckere et moi, dans une de vos dernières séances du mois de juin, nous vous avons démontré que les crédits ouverts pour l’année 1832 dépassaient les voies et moyens de f. 29,500.000. D’après le rapport que l’honorable M. Coghen nous a fait dans la séance du 1er décembre, je vois que nos assertions étaient exactes.
M. Coghen avoue, sur l’année 1832, un déficit de f. 16,400,000, qui n’est pas inquiétant pour le moment, n’étant pas encore de longtemps à même de payer à la Hollande ce qui nous est imposé par le traité ; l’excédent du déficit n’est donc que de f. 13,100,000. L’excédent des exercices 1830 et 1831 est de f. 1,636,000.
Pour constater ce fait, il nous faut les comptes promis depuis si longtemps, et pour appliquer cet excédant à l’exercice 1832, il faut un projet de loi.
Les impôts, d’après les calculs de M. Coghen, excéderaient les prévisions de f. 6,200,000.
Comme vous le disait très bien l’honorable M. Dumortier, le budget des voies et moyens vous était présenté pour une Belgique des 24 articles et non des provinces méridionales ; donc la croissance des revenus n’est véritablement que de f. 3 millions, ce que nous ne devons pas perdre de vue, pour ne nous tromper dans l’avenir en arrêtant les voies et moyens. M. Coghen nous signale en outre une économie et bénéfice de f. 1,120,000 provenant de rachat des emprunts 10 et 12 millions et de ce que le 2ème emprunt de 24 millions n’a été conclu qu’après le premier semestre.
Total : f. 8.956,000
Et finalement on nous annonce qu’il y aura, en économies dans les divers ministères, une somme de f. 4.2.00,000
Total : f. 13,156,000
De manière que M. le ministre nous annonce qu’il pourra clôturer l’exercice 1832 sans demander de nouveaux crédits ni des voies et moyens, tout en vous prévenant que pour 1831 on nous demandera un crédit supplémentaire de f. 1,440,000. De manière que définitivement, à la fin de 1832, notre déficit sera f. 17,840,000, somme égale à payer plus tard à la Hollande.
J’aurais désiré savoir avec quel ministère on fera une économie de f. 4,200,000 ; je pense que ce sera la guerre, et d’après cela je conclus qu’on n’aura pas appelé sous les armes toute la réserve qu’on nous a demandée, et effectivement, si le gouvernement est décidé contre l’honneur du pays de faire faire nos affaires à l’étranger, c’est une véritable économie, mais qui ne me paraissait pas être dans l’intention de la chambre.
Maintenant que M. le ministre nous assure que les services 1832 sont assurés, voyons si le trésor est à même de faire face à tous ses engagements et je tâcherai de rendre mes calculs aussi clairs que possible, après avoir entendu les diverses observations qui ont été faites ici depuis plusieurs jours.
Le dernier emprunt doit produire 17,500,000.
Il paraît qu’il n’est entré au trésor que 10/40 : soit 4,400,000.
Reste à recevoir 13,100,000
Sur lesquels il faut déduire 4,000,000
Que les entrepreneurs paieront avec des bons de 12 millions. Reste à recouvrer en 1833 9,100,000
Ce sera cette somme que vous recevrez en moins en 1832, qui doit être remplacée par 8 mois d’anticipation sur la contribution foncière qui, mis maintenant en recouvrement, ne peuvent pas vous donner au 1er janvier plus de 4 millions ; le trésor sera donc entièrement à découvert à cette époque de f. 5 millions, et cependant vous avez à rembourser au premier janvier 6 millions de l’emprunt de 12 millions, et je ne vois pas moyen d’y faire face, puisqu’on avoue que les mandats à terme en circulation ne dépassent pas 300 mille f.
Je dois donc partager l’opinion de ceux qui ont des craintes que le gouvernement ne pourra pas exactement satisfaire à ses engagements ; et si encore ici nous faisons de l’opposition, vous voyez, messieurs, que ce n’est pas pour nuire au crédit, mais au contraire pour l’affermir, et offrir notre appui pour ne pas être à même de manquer à nos engagements, car nous serions coupables si nous nous taisions. J’engage donc beaucoup M. le ministre d’examiner exactement notre position, pas seulement les voies et moyens et dépenses votés, mais la situation du trésor. Je sais que M. Coghen me répondra, et je vais au-devant de ses observations, que les entrepreneurs de l’emprunt auront à payer au premier janvier 3.400,00 f. soit fl. 1,300,0000 ; mais ne perdons pas de vue qu’a cette même époque M. le ministre de la guerre aura besoin, sur le budget de 1833, au moins d’une somme de deux millions, ce qui absorbe les versements de M. de Rothschild.
Je crois qu’on aura de la peine à me réfuter cette position.
On nous a beaucoup parlé depuis plusieurs jours de mandats à termes et de bons du trésor.
Je ne trouve pas que les mandats à terme soient une opération inconstitutionnelle, mais une opération très dangereuse et onéreuse, et j’aurais préféré nous voir présenter un projet de loi pour la création de bons du trésor donnant intérêt, parce que dans ce cas le gouvernement serait à même de payer régulièrement et ne forcerait pas les entrepreneurs de faire des pertes qui se montent au moins à 13 ou 15 p. c. par an. Et vous sentez qu’en définitive cette perte retombe sur le trésor, puisque les entrepreneurs, en faisant leurs soumissions, calculent sur ces paiements retardés, et les comprennent dans leurs prix de soumission.
Il faut donc l’éviter et nous demander une loi pour l’émission régulière de bons du trésor, et établir régulièrement notre dette flottante. Je sais que, dans le début, nous devrons payer un intérêt un plus élevé ; mais, peu à peu, cela disparaîtra, et nous trouverons dans des moments tranquilles à avoir des fonds à meilleur compte. En 1830, après la révolution de juillet, le trésor de France payait jusqu’à 6 p. c., et maintenant il se procure des fonds à raison de 4 et même de 2 1/2 p. c., suivant les termes d’échéances ; c’est par une bonne et régulière administration que le crédit public s’établit, mais nullement par des demi-confidences faites à quelques membres, qu’on n’ose avouer à la tribune. C’est la publicité qui établira notre crédit, et non des demi-aveux.
Je partage tout à fait l’opinion que si le ministère avait, dans le courant de l’année, pensé à une meilleure répartition de la contribution foncière comme nous en avions posé les bases dans la commission de finances dont j’avais l’honneur de faire partie, nous n’aurions plus à déplorer les mêmes abus et injustices pour l’exercice qui va commencer ; mais maintenant que cette contribution est déjà mise en recouvrement, je crois qu’il n’y a pas moyen d’éviter de rester dans ce cercle vicieux pour 1833 ; mais comme je doute que même dans deux ou trois ans le cadastre sera entièrement achevé, j’engage M. le ministre de nous présenter un meilleur moyen de répartition pour 1834, ce qui n’est pas difficile si on le veut, et qui aura encore cet avantage de rendre les dégrèvements et les augmentations, après l’achèvement du cadastre, moins sensibles ; car, d’après ce que l’honorable M. Meeus vous a si clairement démontré, les provinces des Flandres et Anvers seront fortement dégrevées, et le Hainaut et autres seront considérablement augmentés.
Pour ce qui est de la contribution personnelle, avec un peu de bon vouloir on aurait pu vous présenter de grandes améliorations, et encore, en votant des douzièmes provisoires, je pense qu’avant peu le ministère pourrait vous présenter une bonne loi pour mettre en exécution en 1833.
Pour ce qui est des patentes à remettre sur l’ancien pied, je m’y opposerai, d’autant plus que cette loi aurait dû être révisée, et vous sentez, messieurs, par les hostilités qui se passent dans le pays, et par la crainte que nous finirons par avoir la guerre l’année prochaine, la prise de la citadelle, la retraite de l’armée française ne finissant nullement nos affaires, il est incontestable que toutes les branches de commerce et d’industrie ont et auront encore beaucoup à souffrir ; je crois qu’il est peu convenable de mettre en recouvrement la totalité de la contribution des patentes.
Je suis décidé à voter contre le projet de loi qui vous est présenté, non seulement pour ces raisons, mais parce qu’en bonne comptabilité il faut examiner et arrêter avant les comptes de 1830 et 1831, si longtemps promis ; commencer à voter les budgets de dépense et ensuite, les voies et moyens pour niveler nos recettes à nos dépenses ; et ensuite, n’ayant pas de ministère et ne sachant à qui nous accordons notre confiance (je ne parle pas tant des hommes que du système à suivre), il serait peu convenable de voter dès aujourd’hui nos recettes pour toute l’année ; mais comme il faut soutenir le gouvernement de tous nos moyens, je me rallierai à l’amendement qui vous sera proposé pour autoriser le gouvernement à mettre en recouvrement 3 ou 4 douzièmes des contributions actuelles, et alors nous examinerons à notre aise les budgets de dépense. Attendons le budget de la guerre sur pied de guerre (ne voyant pas encore moyen de désarmer de si tôt), nous éviterons de devoir voter, à chaque instant des suppléments de crédits, et nous préviendrons les déficits, qui seront considérablement à la paix, lorsque nous aurons à payer à la Hollande ; le gouvernement ayant sollicité au lieu de déclarer qu’à partir du 31 janvier 1832 nous retiendrons de ce que nous avons à payer à la Hollande nos frais de guerre.
Comme plusieurs de nos honorables collègues, j’ai été très étonné du langage tenu par des journaux salariés et rédigés par des ministres et employés du gouvernement contre la majorité de cette chambre, de la permission de voir circuler contre les 42 des libelles sans noms d’auteurs ni imprimeurs, des sorties peu convenables d’un ministre d’Etat, et même des pétitions où je vois à la tête des agents du pouvoir, entre autres un commissaire de district : au lieu de calmer les passions et les divergences d’opinions politiques, le pouvoir ne fait qu’aggraver le mal.
Je suis persuadé que cela ne nous fera pas changer d’opinion, et si nous continuons d’être de l’opposition, qu’on sache que ce n’est pas contre les hommes, mais contre le système qui infailliblement amènerait pour la Belgique la honte et la ruine ; j’entends dire : L’opposition ne sait que démolir et non former un ministère ; on se trompe : que le gouvernement veuille suivre la marche indiquée par les lois et les besoins du pays et il trouvera des hommes qui, même dans ces circonstances difficiles, prendront en main le timon des affaires, et je sais même que leur système serait reçu avec reconnaissance par la nation.
Rappelez-vous qu’au mois de mai on voulait former un ministère, à la tête duquel on aurait mis un de nos collègues qui siégeait à la place où je me trouve, et si on avait suivi ses conseils et son système, vous ne seriez pas dans l’embarras où vous êtes aujourd’hui ; les affaires ne seraient pas au bord du précipice où des mains inhabiles les ont menées.
Voilà un exemple, l’on ne dira plus que nous savons démolir sans reconstituer ; mais dans la situation actuelle des affaires extérieures, un homme d’honneur ne peut entrer au pouvoir sans changement complet de système. Et si on ne le veut pas, nous resterons longtemps sans ministère, ou nous en aurons un qui n’aura pas notre confiance. Il est plus que temps qu’on y songe, et cette incertitude est mortelle pour le pays ; il faut vouloir, et vous trouverez des hommes dévoués et qui réuniront les diverses opinions.
M. le ministre des finances finit par dire, dans ses développements à l’appui du projet de loi, que la force des choses l’a emporté sur les prophéties sinistres et sur l’incertitude des événements.
Lorsqu’il nous dira que le traité du 15 novembre est accepté par la Hollande, et exécuté franchement, nous pourrons voir un avenir ; mais lisez avec attention ce que disait M. le duc de Broglie lors de la discussion de l’adresse, vous y voyez clairement que l’on vous prépare, comme je l’ai souvent dit, à de nouvelles concessions humiliantes, et qui, pour ma part, me donnent de graves inquiétudes pour notre avenir politique, commercial et financier, et même sur l’existence de la Belgique ; car après les hostilités près d’Anvers, vous aurez la fermeture de l’Escaut ou l’équivalent par des droits de visite sur nos arrivages, qui ne nous mettront plus à même de concourir avec nos voisins, si même le Rhin vous est ouvert, ce qui n’est pas encore certain ; en un mot, soyez sûrs qu’on aura soin, si on vous ouvre la porte de sortie, de tenir fermée la porte d’entrée. Et, il nous faut l’ouverture des eaux, l’Escaut sans droits de visite et le Rhin avec le simple tarif de Mayence.
Anvers, pendant les dix premiers mois, avait repris, et les arrivages ont été nombreux ; et je puis vous annoncer avec satisfaction que le projet de loi que je vous avais proposé et que vous avez bien voulu accueillir, a été une des grandes sources de nos affaires et a fait beaucoup de bien à vos ports de mer et votre navigation et commerce intérieur, sans avoir nui nonobstant une belle récolte à votre agriculture. Cela vous prouve encore que nonobstant notre opposition, nous cherchons les moyens, pendant l’inactivité du ministère, à contribuer le plus possible au bien-être du pays.
Les arrivages en denrées coloniales diffèrent considérablement avec nos importations des années 1828, 1829 et même 1830 ; c’est naturel, ne faisant que le commerce de la consommation du pays et nullement le commerce d’exportation d’Allemagne ; pour nous procurer, de nouveau, ces débouchés, il nous faut le Rhin et en même temps l’Escaut entièrement libres.
La Hollande, pour ses possessions des Indes, a occupé notre industrie ; mais le rétablissement de l’ancien droit de 25 p. c. aux Indes pour les produits étrangers, même sous pavillon hollandais, va de nouveau ralentir nos exportations de manufactures. Nous devons regretter de voir s’éloigner, de plus en plus, notre belle flotte marchande, qui, à défaut d’emploi, est obligée de se réfugier en Hollande et d’y prendre le pavillon hollandais ; cela éloigne de chez nous bien dethede capitaux et d’industrie.
Je regrette que le gouvernement n’ait rien encore pu obtenir de la France, pour nos houilles, fers et toiles de lin, et je suis même étonné que le ministère ne nous en parle pas. Je regrette que l’honorable l’honorable M. Zoude a du vous présenter un projet de loi pour maintenir le haut droit sur les importations du fer, preuve malheureuse que cette branche reste toujours très souffrante.
M. de Theux. - Dans une des séances précédentes, un honorable membre, M. Levae, a attribué exclusivement à la sollicitude du gouvernement français pour ses propres intérêts la proposition de modifier le tarif d’importation du bétail étranger ; il a cru que le gouvernement belge avait négligé de solliciter cette mesure et n’avait pas soigné nos intérêts commerciaux avec les pays voisins.
Si mon honorable collègue M. de Muelenaere, l’ancien ministre des affaires étrangères, était présent, je lui laisserais le soin de réfuter cette assertion.
Vous n’ignorez pas messieurs, qu’au mois de novembre de l’an dernier, mon prédécesseur fit nommer par le Roi une commission supérieure d’industrie et de commerce ; arrivé aux affaires, je proposai d’augmenter le personnel de cette commission et d’y adjoindre plusieurs propriétaires distingués par leurs lumières et par leur zèle pour les intérêts de l’agriculture.
Cette commission s’est occupée avec zèle de nos intérêts industriels et agricoles et nommément de l’exportation de notre bétail vers la France.
Des instructions ont été données à notre ministre plénipotentiaire près la cour de France, et ce ministre a fait des démarches concernant cet objet.
Je répondrai également à l’honorable M. Osy que les houilles ont été l’objet de la sollicitude du gouvernement et de notre ministre en France ; on peut attribuer à ces vives instances les dispositions prises récemment par le gouvernement français pour une enquête, et qui, je l’espère, amèneront d’heureux résultats.
La pétition des états-députés de la province de Liége, dont on vient de nous donner lecture, est basée sur une erreur. Je ne pense pas qu’il ait été dans l’intention du ministre des finances de porter les droits de barrière sur les routes de 2ème classe en recettes réelles pour l’Etat ; ce n’est qu’une opération fictive, puisque ces droits doivent être portés en dépenses et être mis à la disposition des provinces. La loi qui existe sur la matière met obstacle à toute fausse interprétation.
L’honorable M. Jullien s’est plaint de ce que les routes sont entretenues aux frais des villes qu’elles traversent, et non aux frais du trésor : vous vous rappellerez, qu’un amendement avait été présenté l’année dernière pour cet objet dans la discussion du budget de l’intérieur, et qu’il fut rejeté ; depuis, j’ai pris des informations pour arriver à une répartition équitable de ces charges entre les villes et le trésor ; on pourra, lors de la discussion du budget des dépenses, se fixer sur ce point.
Plusieurs membres ont proposé de ne voter que des douzièmes ; ils désirent, en ajournant le vote du budget, obtenir des réformes dans nos lois financières. Quant à moi, je crois que l’ajournement n’atteindrait pas le but que l’on se propose. Vous savez que divers projets de loi de finances ont été présentés au congrès et spécialement d’un projet sur les distilleries, et que la chambre a été également saisie de plusieurs projets, tant sur les finances que sur d’autres matières.
Mais la discussion de ces projets a été rendue impossible par la discussion de projets plus urgents, par des discussions politiques et autres discussions dues aux circonstances extraordinaires.
Si nous nous bornions à voter des douzièmes provisoires, il nous faudrait, lorsque la discussion du budget des voies et moyens reviendrait, employer de nouveau 8 ou 9 jours en discussion que nous aurons déjà épuisées maintenant ; en votant au contraire un budget définitif, nous pourrions employer utilement ce temps à réviser la loi sur les distilleries ou sur le sel.
Certains orateurs ont parlé de la révision partielle de quelques lois financières, qui auront pour objet d’en faire disparaître les principaux vices.
Ce système pourrait amener les plus graves inconvénients ; l’on ne doit toucher que rarement aux lois financières, si l’on ne veut risquer de compromettre les intérêts du trésor ou ceux des contribuables, et souvent même ceux de l’industrie et du commerce ; il faut donc, lorsqu’on révise une loi, le faire en une seule fois, et après des discussions les plus approfondies.
J’ai dit que les moindres changements peuvent amener des déficits considérables dans les recettes, c’est-à-dire que ceux apportés l’an dernier à la taxe des barrières ont causé une diminution de près d’un 10ème dans le prix d’adjudication.
Persuadé qu’en votant un crédit de quelques mois, nous ne serons guère plus avancés qu’aujourd’hui, lorsque l’ajournement serait écoulé ; persuadé que l’adoption d’un budget définitif contribuera à fortifier le crédit, je lui donnerai mon vote.
M. Lardinois. - Messieurs, je commence par vous déclarer que je voterai contre le budget des voies et moyens parce que je veux, avant de voter les impôts, que le pouvoir royal reconstitue le cabinet, et en second lieu, que le compte des dépenses des années antérieures et les budgets pour l’exercice prochain nous soient fournis. Nous saurons alors à qui la fortune publique sera confiée et quelles seront les dépenses que le budget des voies et moyens devra couvrir.
Cette résolution n’a rien qui puisse entraver la marche du gouvernement. Les caisses de l’Etat, grâce à l’imprévoyance du ministre, sont viciés, et vous aurez beau vous gendarmer contre les crédits provisoires, nous serons obligés d’en passer par là. Je crois donc qu’il vaut mieux se résigner immédiatement à adopter la proposition annoncée par l’honorable M. d'Elhoungne, qui consiste à accorder à chaque département un crédit provisoire pour trois mois et à autoriser le gouvernement à percevoir les contributions sur le pied fixé par la loi du 22 décembre 1831, avec anticipation de paiement s’il est nécessaire.
Notre système financier ouvre un vaste champ à la critique, et plusieurs orateurs ont eu le courage de répéter les philippiques qui se débitent à chaque présentation des budgets.
Je souhaite que le gouvernement s’occupe une bonne fois des vœux de la représentation nationale, en refondant toutes les lois financières pour composer un nouveau système d’impôts, mieux proportionné, qui frappe le riche et ménage le pauvre.
En attendant, nous devrons nous traîner dans l’ancienne ornière, et voter, lorsque le temps sera venu, les fonds nécessaires aux services généraux.
Attentifs aux débats de cette chambre, vous aurez sans doute remarqué avec moi, messieurs, les combats qu’on se livre tour à tour, les uns pour soutenir la prospérité de nos finances, les autres pour en démontrer la pénurie.
Il faudrait être doué d’une foi bien aveugle pour croire que nous ne finirons pas par être grevés d’une dette énorme : les révolutions ne se font pas sans d’immenses sacrifices, et tant que l’état de guerre durera, ces sacrifices iront dans une progression croissante.
Ouvrez les budgets et vous verrez que, pour notre petit pays, nous avons une armée qui coûte à peu près cent mille florins par jour.
Mais il ne s’ensuit pas, messieurs, que si nous entrevoyons pour l’avenir une dette publique considérable, la Belgique ne puisse y faire face. Repoussons toutes prédictions sinistres ! L’étranger aussi bien que nous est pénétré de nos immenses ressources ; il ne faut que procurer des débouchés aux produits de notre industrie et rouvrir les voies au commerce pour payer facilement nos impôts.
Le trésor public, momentanément obéré par les dépenses considérables du département de la guerre, s’est libéré d’une partie de ses engagements, en payant certains créanciers en mandats à terme sur la banque. Cette opération, familière aux négociants, doit toujours se faire avec réserve et précaution si l’on ne veut pas porter atteinte à son crédit. Ce mode de paiement ne devrait jamais être imité par le gouvernement, attendu qu’il n’est souvent adopté qu’au préjudice des créanciers de l’Etat et en violant la foi des contrats.
Ces mandats ont été fournis sur la banque, qui refuse de les accepter et même de les escompter. Je ne conçois pas, messieurs, une pareille impéritie du ministre des finances. Quoi ! vous émettez des traites pour 3 à 400 mille florins, et vous ne prenez pas vos mesures pour qu’on y fasse honneur à présentation ! Quoi ! vous avez un banquier que vous chargez de tous vos paiements, à qui vous confiez des sommes énormes, et vous permettez qu’il laisse votre signature en souffrance pour une aussi faible somme, lorsque vous pouvez donner à l’instant même des garanties pour vingt fois la valeur
Vous avez ainsi compromis non le crédit public, il a des racines plus profondes, mais le crédit particulier du gouvernement, c’est-à-dire que vous avez ébranlé la confiance que les entrepreneurs avaient en vous, puisque vous ne tenez pas à vos conditions de paiement et que vous leur fournissez un papier dont la banque refuse l’acceptation et l’escompte. Cette conduite, messieurs, est sans excuse ; elle décèle une administration sans prévoyance, et je crains beaucoup qu’on ne nous révèle bientôt d’autres bévues plus répréhensibles les unes que les autres.
Si je blâme cette émission de mandats, je dois répéter qu’elle ne peut pas compromettre le crédit public. Le gouvernement n’a qu’à vouloir, et ces mêmes mandats ne seront pas escomptés au taux de 7 à 10 p. c., comme on se plut à le dire, mais à celui de 5 au maximum. J’engage beaucoup le ministre à ne pas se laisser effrayer par les bruits sinistres que colportent les agioteurs : c’est à dessein qu’ils répandent les alarmes, parce qu’ils méditent de nouveaux emprunts et qu’ils voudraient avoir en tutelle le trésor public pour le diriger à leur guise et l’exploiter à leur profit.
La banque, qui refuse l’acceptation et l’escompte d’une faible somme, est cependant débitrice du trésor d’un solde de compte arrêté au 30 septembre 1830, s’élevant à environ sept millions de florins ; c’est du moins ce qu’affirment les agents du gouvernement. En admettant le fait pour vrai, comment concilier la bonhomie du ministère qui ne provoque pas la rentrée de cette somme, et la sévérité de la banque qui refuse de se mettre à découvert pour 3 à 400 mille florins ?
Quant à moi, je ne conçois pas encore, dans cette occurrence, la conduite du gouvernement qui néglige le recouvrement d’une somme aussi forte, tandis qu’il fait des emprunts en souscrivant à une perte de 30 p. c. Il y a dans cette affaire quelque chose d’obscur que nous n’apercevons pas : quoi qu’il en soit, le devoir du gouvernement exige qu’il fasse liquider cet ancien compte, et que, s’il est dû une somme quelconque au public, elle soit réclamée et payée avant que la banque n ait réalisé ses domaines. J’ai dit.
M. Meeus. - Messieurs, vous me pardonnerez si je prends de nouveau la parole dans cette discussion. Vous m’avez vu, dès le principe, dominé par une seule pensée ; cette pensée était que pour le moment le ministre des finances était plus qu’imprévoyant, qu’il était imprudent et compromettait à la fois le service public et le crédit public.
Messieurs, il m’est bien désagréable de devoir encore une fois voter dans un sens opposé au gouvernement : je fais aussi partie des 42, comme on les appelle. (On rit.) Je fais aussi partie des 42, comme on les appelle dans le public. Il est vrai que, pour avoir voté selon nos convictions, on nous a accusés, les uns de vouloir la réunion à la France, les autres l’anarchie, les autres de vouloir le retour de la maison d’Orange. De ces trois catégories j’ai été placé dans la dernière ; je suis orangiste, je suis orangiste…
Messieurs, jusqu’à présent je ne vous ai pas encore ennuyés d’une profession de foi ; permettez-moi de vous dire deux ou trois mots à cet égard.
Je ne suis pas de ces hommes profonds qui ont vu venir la révolution ; mais je suis du nombre de ceux qui depuis longtemps reconnaissaient des griefs contre le pouvoir. La révolution est arrivée ; ce n’est pas moi qui l’ai faite, et je ne ravirai pas aujourd’hui une partie des palmes conquises par ceux qui l’ont opérée ; cependant j’ai pris part à cette révolution. J’ai siégé au congrès, et en entrant dans cette auguste assemblée, je sais ce que cela imposait à tout homme d’honneur, c’était d’abord l’exclusion de la maison de Nassau. (Bien ! bien !) Je l’ai trouvée prononcée, et je l’ai admise comme un fait consommé. Ce que je devais vouloir ensuite, c’était la Belgique indépendante, et un roi de son choix. (Bien ! bien !)
J’ai admis ce vote en entrant dans le sein du congrès, et ce n’est pas d’aujourd’hui que j’ai juré la constitution. Je suis du nombre de ceux qui n’ont pas craint de repousser cette œuvre d’iniquité des 18 articles ; mais considérant ce qui était possible, j’admets les 24 articles comme notre droit public ; je les veux les 24 articles, je les veux en entier ; et dès qu’on me présentera quelque chose qui les altérerait, je croirais manquer à la constitution si j’y adhérais de mon vote.
Je crois que cette explication suffira, non pour vous, mais pour un public que l’on cherche à tromper à éblouir, à égarer. Je le répète : ce que je veux, c’est la Belgique des 24 articles, c’est la constitution tout entière
Passons maintenant à la discussion des lois financières. Si je parle contre le ministre, c’est par devoir ; c’est parce que le ministre a démenti que je veux éclairer la chambre. Alors qu’il n’existe plus de gouvernement, c’est l’assemblée législative qui est gouvernement. Eh bien, examinons notre situation financière, voyons les chiffres, les chiffres qui doivent être clairs pour tout le monde, et si je me suis trompé ce matin en les jetant à la hâte sur le papier, je pense qu’ils seront assez exacts pour appuyer mes raisonnements. Je viens d’en faire faire deux copies pour mettre sous les yeux de l’assemblée.
Messieurs, les dépenses votées pour l’exercice 1832 s’élèvent à 96,373,896 fl.
Il faut en déduire comme non dépensé l’article voté au budget pour la Hollande, 18,000,000 fl.
Reste : 78,373,896 fl.
Il faut déduire de ce premier reste les 4 millions que MM. Rothschild sont convenus de ne donner en paiement, sur les 12 millions, que lors des derniers paiements à faire pour les 48 millions.
Reste : 74,373,896 fl.
Les voies et moyens, en supposant (ce qui est impossible) que les revenus soient rentrés pour le 31 décembre, produiraient à cette époque 37,500,000 fl.
L’exercice 1830 présente un excédant de 136,000 fl.
L’exercice 1831 présente un excédant de 1,500,000 fl.
Les économies annoncées, qui ne sont pas des économies, mais des dépenses que l’on n’a pas faites, 4,200,000 fl.
Les intérêts sur l’emprunt de 48 millions, 720,000 fl.
L’amortissement anticipé des 10 et 12 millions, 400,000 fl.
Les produits de l’emprunt de 48 millions, 35,500,000 fl.
Il faut en déduire ce qui doit ne rentrer qu’en 1832, de janvier en septembre, 12,752,397 fl.
Reste : 22,747,603 fl.
Ensemble vous avez donc 67,203,603 fl.
Et cela pour faire face à une dépense de 74,373,896 fl.
Il y a donc déficit de 7,170,293 fl.
Et ce déficit a lieu en supposant que les revenus aient suivi les dépenses. Ce qui est impossible. On dépense au jour la journée ; les dépenses de l’armée se font sans lacunes, tandis que les recettes ne se font pas aussi vite ; et la preuve, c’est que dans vos budgets on vous présente toujours un arriéré. Quoi qu’il en soit, voilà un déficit de 7,170,293 florins.
Mais pour que le service marche, je pense qu’il faut de l’argent. Je sais fort bien, par exemple, qu’avant que les caisses de l’Etat aient passé dans les mains de la banque, le service exigeait constamment 35 millions de fonds morts ; quand la banque eut pris les caisses de l’Etat, elle pouvait faire le service avec 9 à 10 millions de florins, parce que, joignant ses affaires à celles de l’Etat, elle pouvait faire des reports d’une caisse à l’autre très facilement. Je veux que sous ce gouvernement on soit plus malin (on rit) que l’on ne l’a été sous l’ancien, et j’admets qu’au lieu de 9 millions de florins, on puisse marcher avec 4 millions. Mais ces quatre millions, il les faut : 4,000,000 fl.
Il faut ajouter à cela que dès le premier janvier vous aurez à payer un douzième de vos dépenses extraordinaires, dont on ne vous parle pas : on ne vous présente pas de moyens pour couvrir les dépenses extraordinaires de la guerre. Je garderai de la modération et une grande modération en ne les portant qu’à 1,500,000 florins. La section centrale a parlé de 48 millions qui manquaient pour l’année. Je porte donc 1,500,000 fl.
Les deux dernières sommes réunies au déficit forment un total de 12,670,293 fl.
M. le ministre nous dit avoir amorti de l’emprunt des 12 millions, 2,000,000 fl.
Ce sera heureux si, pour l’anticipation des deux tiers de l’impôt foncier, il se trouve en recettes au premier janvier, 2,500,000 fl., car les avertissements viennent à peine d’être donnés.
Total du produit 4,500,000 fl.
Reste donc en déficit 8,170,293 fl.
Voilà les chiffres que j’oppose à ceux qu’a présentés M. Coghen. Et je suis bien fâché de le dire, il n’y aura pas de solde qui soit dû par la banque ; et quoiqu’en dise M. Lardinois, le syndicat, s’il laisse un solde en faveur de la Belgique, c’est un solde qui arrivera après une longue liquidation.
Je suis bien fâché de vous dire que vous ne devez pas être tranquilles sur votre position financière ; que vous devez, au contraire, en être effrayés, que, si vous étiez tranquilles, vous compromettriez et le crédit public et la fortune de l’Etat. Je le dis assez haut pour que mes paroles parviennent jusqu’au trône, et qu’on fasse attention.
M. Lardinois a soulevé une question sur laquelle je puis présenter quelques observations. Il est terrible, a-t-il dit, que la banque n’escompte pas les mandats du gouvernement ! M. Lardinois a-t-il bien réfléchi sur ce que c’est qu’une banque nationale ?
Une banque nationale ne forme son crédit qu’autant qu’elle se tient dégagée de toute opération qui la puisse compromettre vis-à-vis du gouvernement. C’est dans cette pensée qu’on a fait mettre dans les statuts de la banque qu’elle ne ferait pas d’avances au gouvernement. Cette pensée était si claire que le roi Guillaume, qui commettait de grandes et de si nombreuses fautes, a reconnu cette vérité et a fait mettre dans les statuts de la banque des règles contre lui-même.
Si le gouvernement a des garanties à donner à la banque, si elle peut lui être utile d’une autre manière, elle s’empressera de le faire. Elle s’inquiète peu des criailleries, des clameurs ; elle comprend sa mission ; c’est celle d’obliger tout le monde. Elle est comme la divinité ; elle fait du bien, même à ceux qui lui font du mal.
M. Dubois. - Messieurs, je vous demanderai la permission de pouvoir ajouter à cette longue discussion quelques mots pour motiver mon vote. Admis nouvellement parmi vous, il m’importe de vous donner ces explications.
Je voterai pour le budget des voies et moyens tel que l’a amendé et que nous l’a présenté votre section centrale.
Non pas que je n’aie été frappé comme vous tous du mode inconstitutionnel et subversif de tous usages avec lequel on nous présente ce budget.
Non pas que je ne regrette d’y rencontrer encore la surtaxe des Flandres et de la province d’Anvers, surtaxe qui deviendra encore plus sensible par les 40 p. c. additionnels.
Non pas que je n’aie aperçu bien des vices que présente notre système financier. Vices dans les lois et spécialement dans celles sur le personnel et les patentes ; vices dans l’administration qui offre un personnel innombrable et trop richement doté, au point que les frais de perception s’élèvent sur les sommes à percevoir à près de 14 p. c. !
Non plus que je regrette de ne rien entendre à ce que peut devoir au gouvernement l’établissement de la banque, dont on a tant de soin de cacher le bilan.
Je voterai ainsi, messieurs, mu par la nécessité suprême où nous placent le temps et les circonstances ; mu par l’idée qu’il ne nous appartient pas de laisser sans ressources le gouvernement, ni de porter les premières atteintes à son crédit et à la bonne foi que nous lui reconnaissons.
Je voterai ainsi, parce que la ressource du crédit provisoire ne me satisfait pas, parce qu’elle me semble illusoire et qu’elle ne tend à rien qu’à ramener dans trois ou dans six mois la discussion qui nous occupe. Car, messieurs, on ne retourne pas si facilement tout un système de finances ; ce n’est pas l’œuvre d’un jour que d’opérer les changements que réclame un système cousu de lois, d’arrêtés et d’interprétations ministérielles de cinq ou six régimes divers.
Au reste, si la chambre veut dorénavant stimuler le ministre des finances pour qu’enfin il se mette à l’ouvrage, pour qu’il aborde les améliorations que le pays réclame, il se présentera pour le faire assez d’occasions dans le courant de cette session, et particulièrement quand le ministre viendra nous demander des subsides extraordinaires pour la guerre.
Car, messieurs, en votant aujourd’hui de confiance, je ne prétends pas donner pour la suite un bill d’indemnité au ministère. Loin de là ! J’espère bien qu’à l’avenir on choisira une autre époque pour nous présenter nos budgets ; j’espère que la discussion actuelle portera ses fruits ; j’espère bien que M. le ministre saura stimuler M. l’administrateur du cadastre pour qu’il achève au plus tôt cet important ouvrage qui doit mettre de l’équité dans la répartition foncière ; j’espère même que nous ne nous séparerons pas sans avoir décidé quelques lois qui tendent à rectifier et à améliorer notre déplorable système des finances. A cette seule condition je pourrai lui continuer ma confiance.
M. Mary. - Messieurs, vous ne vous attendez pas sans doute à ce que je rentre dans le cercle des développements que j’ai déjà eu l’honneur de vous soumettre et dans le rapport de la section centrale et dans la réplique que j’ai prononcée dans votre séance d’avant-hier. Je me bornerai à répondre à quelques-uns des orateurs que vous avez entendus dans la séance d’hier et d’aujourd’hui.
On s’est encore récrié contre la discussion d’un budget des voies et moyens pour 1833. Mais, messieurs, cette discussion, c’est vous-mêmes qui avez déclaré dans l’une de vos précédentes séances qu’il était urgent de l’ouvrir, c’est vous-mêmes qui y avez déjà donné quatre jours d’une attention soutenue. Mais, ajoute-t-on, comment accorder une telle loi lorsque nous n’avons pas de ministère ? On confond toujours le budget des voies et moyens avec celui des dépenses.
Ce dernier seul est un budget politique, parce qu’en ouvrant des crédits aux divers ministères, vous témoignez de la confiance que vous inspirent les hommes placés à la tête de ces départements, et ce n’est qu’alors seulement que l’on peut faire emploi des ressources que vous accordez au trésor. Cette vérité est sentie dans tout gouvernement représentatif, où le seul ministre des finances est appelé à en soutenir la discussion avec les commissaires spéciaux qu’on lui adjoint.
Mais en supposant qu’elle ne soit pas également reçue chez nous, ne vous êtes-vous pas réservé la faculté de différer votre vote définitif jusqu’à la composition du nouveau ministère, après avoir adopté les articles partiels du projet, messieurs, mesure qui vous a permis d’utiliser le temps fixé pour les travaux de la chambre, mesure sage surtout puisqu’elle vous mettra à même d’apprécier, à la suite de nos débats, ce qu’il convient de faire pour assurer la rentrée des impôts et ne pas compromettre le crédit encore peu affermi de notre nouvel Etat ?
En présence des circonstances qui nécessitent chez nous un surcroît de dépenses, que vous ont proposé quelques orateurs, de greffer sur le provisoire que nous avons à subir depuis quinze jours dans l’une des parties essentielles du pouvoir exécutif, un provisoire financier tout aussi dangereux, inutile même puisque la discussion est soulevée devant un ministre des finances : peu importe qu’il soit ad interim ; car, ainsi que l’ont fort bien remarqué antérieurement la plupart des opposants, tout ministre étant à la nomination du Roi et révocable à volonté par lui est placé dans un poste intérimaire.
Remarquez même, messieurs, que l’on ne se refuse pas à lui accorder des fonds, mais on demande seulement de les restreindre dans un délai moindre que celui d’un an. Ainsi, tandis que la constitution déclare, dans son article 111, que les impôts au profit de l’Etat sont votés annuellement, et que les lois qui les établissent n’ont de force que pour un an, on vous demande de repousser des formes constitutionnelles que vous avez juré d’observer, et de restreindre, sans utilité, votre vote dans des limites encore plus étroites en n’accordant au gouvernement qu’un certain nombre de douzièmes ; mais ici se présente une singularité qui fait voir combien le mode proposé est peu praticable.
Vous vous souvenez que, dans votre séance d’avant-hier, un membre que vous avez entendu au commencement de celle d’hier, vous a demandé d’accorder à chacun des départements ministériels un crédit égal au quart de celui qui leur a été alloué pour l’exercice de 1832, en laissant subsister pendant ce temps les contributions existantes. Je lui ai répondu que cette proposition était contraire à la constitution, qu’en outre elle était en opposition avec la loi que vous aviez votée le 6 de ce mois, loi par laquelle vous aviez accordé, à l’unanimité, la perception anticipée de 8 douzièmes de la contribution foncière ; qu’elle n’était pas moins contraire avec les usages parlementaires qui semblaient nous destiner non pas à majorer les demandes de crédits que nous fait le gouvernement, mais à les diminuer quand nous en trouvions la possibilité. J’ai dit qu’il était dès lors singulier de lui allouer au-delà de 50 millions pour un trimestre, tandis que, par le budget des dépenses qui vous a été présenté, il ne vous demande que 22 millions.
Cependant le même membre ne s’est pas dissimulé une partie de ces difficultés, s’il faut en juger par la nouvelle rédaction de son amendement, dont il vous a donné lecture hier. Mais cette lecture a dû vous prouver encore davantage, messieurs, et combien son système présente d’irrégularités, et combien, dans l’exécution il entraînerait de complications dont quelques-unes seraient insolubles.
D’abord il vous propose de porter au tiers de l’année, et non plus au quart, l’allocation de crédits équivalents à ceux que vous avez accordés pour le tiers de l’exercice 1833. Le même défaut de convenance parlementaire surgit donc ici, puisqu’il demande d’accorder 70 millions au lieu de 28, que réclame le ministre des finances pour cette même période.
Ensuite il amène votre discussion sur un terrain autre que celui sur lequel elle était portée, car vous n’examinez, en ce moment, que la loi des voies et moyens ; celle des crédits est encore en délibération dans vos sections. Aucun rapport ne vous a été soumis sur ce point, et sauf ce qu’en dit l’amendement de cet honorable orateur, personne dans cette enceinte n’a examiné s’il était nécessaire de les porter, pendant les 4 premiers mois de 1833, beaucoup au-dessus du double des prévisions du gouvernement lui-même.
Vient ensuite la seconde partie de son amendement tendante à autoriser la perception de quatre douzièmes des impôts indirects d’après les lois existantes, et de huit douzièmes des contributions directes et des redevances sur les mines, d’après les rôles de 1832.
Cette différence entre les quotités des douzièmes mis à la disposition du trésor a dû vous frapper ; elle offre quelque chose de bizarre, mais on aura sans doute cru éviter par ce moyen de se mettre en contradiction avec la loi que vous avez votée le 6 décembre. Que d’injustices, cependant, consacrerait la dernière partie de cette proposition ! Le recouvrement des impôts directs se ferait d’après les rôles de 1832 ; ainsi le contribuable dont la profession aura changé au 1er janvier prochain devrait payer un impôt de patente qui ne lui serait plus applicable ; la loi ne l’atteignait pour l’impôt personnel que pour ses forces contributives existantes en 1833, elles auront disparu ou été modifiées, et vous l’atteindrez, d’après des bases qui existaient chez lui, une année auparavant, bien que depuis lors elles aient changé.
Je pourrais pousser plus loin cet examen, mais je le crois superflu et je pense qu’il suffit de signaler un fait digne de remarque, c’est que l’honorable opposant au projet de loi commence à s’en rapprocher, puisque s’il refuse la perception des impôts pendant 12 mois, du moins l’admet-il pour quelques-uns pendant huit. Vous voyez donc qu’encore quelques pas, et nous allons nous rencontrer. Nous ne croyons pas cet effort impossible, car voici au vrai l’état de la discussion.
L’article premier du projet en discussion vous propose dans son premier paragraphe le recouvrement, pendant l’année 1833, des impôts directs et indirects existants au 31 décembre 1832.
Tout le monde est d’avis d’accorder cette allocation, sauf que, tandis que la constitution porte textuellement que votre vote doit avoir la durée d’un an, il est d’honorables préopinants qui vous proposent de le réduire à 3, 4 ou 8 mois, proposition qui n’amènerait d’autres résultats que de perpétuer sans nul besoin un provisoire toujours désastreux, proposition qui a été unanimement repoussée et par vos sections et par la section centrale.
Le second paragraphe de cet article sur lequel vous aurez à voter séparément, puisque vous avez le droit de diviser les articles, porte, ainsi que l’article 2 une augmentation sur les impôts foncier, personnel et des patentes.
Il est toujours pénible d’avoir à légaliser une aggravation d’impôts ; mais vous avez à apprécier si, dans l’intérêt bien entendu du contribuable, il n’est pas plus convenable de mettre de suite nos recettes au niveau de nos dépenses ordinaires que de devoir plus tard recourir, pour en combler le déficit, à des emprunts onéreux dont un peu plus des deux tiers entrent seulement dans le trésor public, surtout lorsque, pour faire face à vos dépenses extraordinaires, vous n’avez déjà que trop à recourir au crédit.
Au lieu alors d’impôts momentanés et qui disparaîtront des que nous pourrons désarmer, vous devrez admettre un accroissement notable d’impôts permanents, destinés à payer le remboursement et les intérêts de vos nouveaux emprunts.
En adoptant, au contraire, la loi que la section centrale m’a chargé de soutenir devant vous, vous éviterez, en majeure partie, les embarras financiers que d’honorables orateurs vous ont signalés hier comme existants à la fin d’un exercice pour lequel vous avec cependant grevé l’Etat d’un budget de recettes s’élevant à 37 millions de florins, et de deux emprunts, ensemble de 48 millions même monnaie ; ainsi avec 185 millions de francs de ressources nominales.
Votre décision négative pourra avoir une grave influence sur le crédit public, et sur le cours de nos effets nationaux qu’il importe à l’Etat de porter à un cours élevé, tandis que le capitaliste trouve trop souvent dans leur baisse une source de faciles bénéfices.
On a cherché, messieurs, à émouvoir votre sensibilité, en vous disant que le peuple généreux qui a déjà supporté tant de sacrifices ne devaient pas encore subir le système odieux d’impôts qui l’a provoqué à la révolution.
Mais faut-il vous rappeler, avec la section centrale, que ces mêmes impôts que l’on signalait jadis ont disparu depuis la révolution ? La mouture, l’abattage, les loteries n’existent plus, et les impôts par lesquels l’ancien gouvernement voulait les remplacer ont été rapportés ; on a supprimé le serment dans les déclarations de succession ; les expertises mêmes dans l’impôt personnel ont fait place aux anciennes évaluations des contribuables ; plusieurs impôts ont été dégrevés en tout ou en partie des centimes additionnels qui pesaient sur eux.
La révision de nos lois fiscales à opérer doit être soumise au creuset d’un examen attentif, si l’on veut qu’elle atteigne le résultat que l’on veut en obtenir. Ne semons donc pas des germes de fausses défiances basés sur des faits qui n’existent plus. En faisant sa révolution, en sachant conserver son indépendance et sa nationalité, le peuple belge pouvait s’attendre à être appelé à faire des sacrifices pour consolider le nouvel ordre de choses, et cependant on a pu diminuer pendant deux ans la somme d’impôts qu’il payait au temps de sa réunion avec la Hollande.
Ce n’est pas cependant que je partage, d’une manière absolue, l’opinion qu’a énoncée hier un honorable membre, en disant que le gouvernement le plus chéri du peuple est celui qui réclame le moins d’impôts du contribuable. A ce titre, un Russe, qui ne supporte que 12 fr. de charges publiques par tête serait plus heureux qu’un Anglais qui en paie 70 ou 6 fois davantage que le premier ; qu’un Anglais qui, en outre, paie pour la dîme, la taxe des pauvres, les chemins et les dépenses locales, une contribution qu’on évalue encore à plus de 10 francs par individu, et qui, par conséquent, est déjà presque l’équivalent de l’ensemble de tous les impôts qui pèsent sur un Russe.
Quelle différence cependant dans le bonheur physique et moral de ceσ deux peuples ! L’Anglais de toutes les classes est confortablement logé, nourri, vêtu ; il jouit de la liberté constitutionnelle et de l’exacte dispensation de la loi. Son capital s’est considérablement accru, et on suppose que son revenu annuel est, après le paiement de l’impôt, plus grand aujourd’hui qu’à aucune autre époque. C’est aux progrès de l’industrie, du commerce, de l’agriculture, de l’instruction publique, c’est à la construction de travaux d’utilité générale et à un travail incessant et utilement appliqué, qu’il doit ce résultat ; car, la fortune publique n’étant qu’une portion de celle des particuliers, plus grande sera cette dernière et plus grande pourra être la part qu’on pourra en prélever pour les besoins de l’Etat.
Vous me dispenserez, messieurs, de placer la condition des Russes en regard de celle du peuple anglais ; mais je dirai que participant à une partie des avantages dont jouit cette dernière nation, nous ne paierons proportionnellement que du quart au tiers des impôts qui pèsent sur eux, si vous accordez le budget qui vous est soumis ; il s’élève à 88 millions de francs, tant pour la Belgique que pour les territoires à céder, et la part de chaque individu n’en sera donc que de 22 francs.
Messieurs, un honorable membre a voulu affaiblir l’influence que devait exercer sur la chambre l’opinion des sections et de la section centrale, en disant qu’habituellement ces sections ne se trouvaient pas complètes.
Mais je ferai observer que la chambre se compose de 112 membres et que presque toujours il n’y en a que la moitié dans cette enceinte. Il en est de même pour les sections.
Eh bien ! je vois que dans ces sections il s’est présenté, 40 membres, pour examiner le budget des voies et moyens ; et cela me semble suffire. Le travail des sections est d’une haute utilité, messieurs. Beaucoup de représentants qui ne prennent point part à la discussion publique y viennent apporter le tribut de leurs lumières, et j’y ai trouvé souvent des renseignements qu’on n’apprécie pas assez dans les discussions générales.
Comme rapporteur, j’avais demandé hier qu’on voulût m’accorder la parole en dernier lieu, pour, en ma qualité de rapporteur, résumer la discussion. Je basais cette demande sur le précédent de la chambre dans la session dernière, précédent conforme aux usages parlementaires ; car, si on laisse la parole à d’autres orateurs après le rapporteur, il est à craindre qu’on ne perde de vue le point principal de la question et que l’attention soit appelée sur des points accidentels.
C’est ainsi que dans cette discussion, où l’on ne devait s’occuper que des voies et moyens, on vous a parlé de l’état du trésor. Je regrette qu’un ancien ministre ait lui-même donné lieu à cette digression. De là, ont surgi des plaintes répétées sur notre position, plaintes qui me semblent exagérées et dont nous ne sommes pas à même de connaître en si peu de temps le bien ou le mal fondé, puisqu’il s’agit de chiffres à vérifier.
M. Meeus a prétendu voir un déficit de 8 millions et quelques cent mille florins, en supposant que la moitié de la contribution foncière, que le gouvernement demande par anticipation, rentrerait bientôt dans les caisses de l’Etat. Je crois, messieurs, qu’il en rentrera plus de la moitié ; car, beaucoup de propriétaires paieront toute l’année, bien que la loi donne la facilité de ne payer que par douzièmes. C’est ce qui se pratique ordinairement et surtout dans les villes. Ainsi, c’est un motif de plus pour que vous rejetiez les crédits provisoires et que vous admettiez un budget définitif.
On a voulu séparer la chambre en opinions politiques. Messieurs, ici il n’y a pas d’opinions politiques ; il ne s’agit que du maintien du crédit public qui intéresse tous les citoyens, parce que s’il n’existait pas, nos charges en seraient d’autant plus grandes et nous devrions retomber, comme l’année dernière, dans les emprunts forcés, voie qui est la plus désastreuse parce qu’on prend l’argent là où il n’est pas.
Tous, nous tenons notre mandat du pays, nous sommes les représentants de la volonté nationale dont la chambre est la véritable expression.
Mais il y a encore un autre inconvénient si vous admettez des crédits provisoires, car vous n’ignorez pas que vous êtes surchargés de lois de principes à confectionner. Vous avez la loi provinciale, la loi communale, le budget des dépenses et une masse d’autres. Une partie de notre législation financière doit être changée. De plus, vous voudrez sans doute adopter le mode qui se pratique dans un pays voisin, et vous mettre à même, dès le mois d’avril ou de juin, de discuter le budget de 1834, afin de ne pas précipiter vos délibérations et de vous entourer de toutes les lumières nécessaires.
Je crois donc devoir persister dans les conclusions de la section centrale.
M. Donny. - Il est réellement surprenant, messieurs, d’entendre deux honorables orateurs qui se sont succédé dans la discussion dire, l’un, qu’il y a inconstitutionnalité à voter la loi des voies et moyens telle qu’elle nous est présentée, ou, pour me servir entièrement des paroles de l’honorable membre, que le mode que suit le gouvernement est inconstitutionnel ; et un instant après, l’autre, M. le rapporteur de la section centrale, qu’il n’y a pas là inconstitutionnalité, qu’il y a au contraire inconstitutionnalité dans la proposition que l’on fait contre le budget des voies et moyens qui nous est soumis. Nous nous trouvons de cette manière dans une voie dont nous pourrons difficilement sortir avec honneur, car de quelque côté que nous nous tournions, nous marchons toujours contrairement à la constitution.
Quant à moi, je pense, messieurs, que l’inconstitutionnalité que vous a signalée M. le rapporteur de la section centrale n’existe pas. Je ne vois pas en effet dans l’article 111 de notre loi fondamentale que vous ne puissiez point prendre de mesures provisoires dont l’effet se restreigne à un laps de temps moins long qu’une année.
J’y vois que les impôts au profit de l’Etat sont votés annuellement, ce qui pour moi signifie qu’à chaque année il nous faudra voter les impôts de l’Etat. Jusqu’ici il n’y a pas une seule expression qui limite la durée de l’impôt. Voici la fin du même article : « Les lois qui l’établissent n’ont de force que pour un an. » Eh bien ! qu’en résulte-t-il ? C’est que cette disposition limite la durée que peut avoir une loi d’impôt, mais ne défend nullement de voter une loi d’impôt qui n’atteigne pas cette limite extrême. Ainsi l’article 111 de la constitution me semble applicable à cette question, d’autant plus qu’on ne propose pas à la chambre d’adopter définitivement pour un temps donné, moindre qu’une année, une loi d’impôt, mais de prendre une mesure provisoire pour mettre le gouvernement à même de marcher jusque-là.
Dans une séance précédente, l’honorable rapporteur de la section centrale a fait un raisonnement basé sur des calculs qu’il m’a été impossible de suivre dans cette séance. Ce matin j’ai vu ce raisonnement dans le supplément du Moniteur qui nous a été distribué, et tout à l’heure encore je viens de l’entendre reproduire par M. Mary, et il s’y est appuyé avec tant de complaisance que je crois de mon devoir de dire quelques mots pour faire voir combien ce raisonnement est peu fondé.
L’honorable M. d'Elhoungne venait de nous annoncer qu’il proposait un amendement tendant à assurer au gouvernement des douzièmes provisoires. Voici comment M. le rapporteur combattit cette motion :
« Et que vous propose-t-il donc qui doive paraître une œuvre si supérieure ? D’accorder des crédits provisoires qu’il voudrait borner aux premiers trimestres de 1833 et qui seraient d’après lui un quart de ceux accordés pour toute l’année 1832 ? Mais a-t-il bien examiné toute la portée de cette proposition, a-t-il réfléchi que le quart de ces crédits s’élèverait à 50 millions de francs, tandis que le gouvernement ne vous en demande pas la moitié, ne vous demande que de 21 à 22 millions pour ce même espace de temps ? Et avec quelles ressources vous propose-t-il de faire faire ces dépenses ? Avec les impôts actuels qui, ne s’élevant par an qu’à 75 millions et demi ne vous donnent par an 19 millions pour un trimestre et vous offriront un déficit considérable. »
C’est là la phrase telle que l’honorable rapporteur l’a présentée, et non pas telle que le Moniteur l’a reproduite avec son exactitude ordinaire. Messieurs, en lisant cette phrase on ne peut pas s’empêcher de penser qu’il règne de la confusion dans les idées de son auteur ; car dans le projet de loi du gouvernement il s’agissait de crédits ordinaires, et la proposition de M. d'Elhoungne tendait à remplacer ces crédits ordinaires. Eh bien ! M. le rapporteur ne parle pas seulement des crédits ordinaires de 1832, mais de la somme totale de 200 millions ; c’est-à-dire des crédits ordinaires et extraordinaires à la fois. D’où résulte une confusion complète sur ce point.
L’argument qu’il tire ne rencontrera donc aucunement les propositions de M. d'Elhoungne qui ne s’appliquent qu’aux crédits ordinaires ; cet argument est à côté de la question et par conséquent ne prouve rien.
L’honorable rapporteur nous a dit et en cela il n’a fait que répéter ce qu’avait objecté dans cette séance un autre membre : Vous avez encore tant de lois à faire ! Vous avez la loi des distilleries, etc. (car je renonce à passer en revue toutes celles qu’il nous a citées). Eh bien, a-t-il ajouté, si vous voulez procéder de la manière que vous proposez, vous n’aurez pas le temps de discuter ces lois et tout restera dans la même situation. Il vaut donc bien mieux nous livrer à l’examen de ces lois si intéressantes et ne pas nous occuper si longtemps du budget des voies et moyens.
L’honorable membre oublie-t-il donc que nous sommes ici pour remplir nos devoirs exactement et scrupuleusement, quelles que puissent en être les conséquences ; que si la loi des voies et moyens actuellement en discussion est de nature à prolonger nos débats, il nous est impossible, à moins de manquer à notre devoir, de passer à autre chose ?
M. Mary a résumé à sa manière l’état de la discussion. Qu’il me soit permis de la résumer à la mienne, je serai très bref. Voici comment je la conçois :
Le gouvernement vient nous demander des ressources pour toute l’année 1833. On lui répond : il est de notre devoir de vous accorder ce dont vous aurez besoin, mais nous n’allons pas vous accorder des ressources tout d’un coup ; nous allons diviser l’opération, et vous donner immédiatement de quoi marcher régulièrement pendant les 6 mois. Durant ces mois-là, nous allons nous éclairer, et quand nous aurons recueilli toutes les lumières nécessaires, nous fournirons alors définitivement au reste de vos besoins.
Le gouvernement nous réplique : Cette proposition ne me convient pas ; vous devez voter immédiatement les ressources que je vous demande, l’impôt que je vous engage à mettre sur la nation. Que vous soyez éclairés ou non, cela ne m’importe guère ; ce n’est pas mon affaire, c’est la vôtre. Voilà les deux côtés de la discussion. Ce sera à la chambre à voir s’il vaut mieux se décider dans le sens du gouvernement ou dans celui des orateurs qui lui sont opposés.
Quoique nous n’en soyons encore qu’à la discussion de l’ensemble de la loi, plusieurs membres l’ont déjà examinée dans ses détails comme s’il avait été question de traiter les articles.
Je dirai à mon tour quelques mots dans ce sens, afin de n’avoir pas à recommencer plus tard. Je partirai de l’hypothèse qu’il soit démontré qu’une loi des voies et moyens de 83 millions soit nécessaire pour faire face aux besoins de 1833, et que par conséquent une augmentation de ressources de 7 millions soit aussi une nécessité.
Ce point admis, je dis que le gouvernement avait à choisir, pour se procurer ces millions, entre deux systèmes, à moins qu’il ne voulût créer un impôt tout à fait nouveau. Voici ces deux systèmes : Il pouvait ou répartir les 7 millions au marc le franc, sur chacun des impôts existants ; ou bien il pouvait faire peser sur un seul impôt ou sur une seule branche d’impôt tout le poids de l’augmentation de ces 7 millions.
La première marche me semble préférable ; elle eût été moins sensible pour les contribuables, parce qu’il aurait suffi d’ajouter à chaque impôt 10 p. c. ou environ ; elle eût été aussi plus en harmonie avec notre situation financière, qui est transitoire, en ce qu’elle laisse subsister entre les impôts actuels la même proportion ; enfin, elle était plus simple et plus naturelle.
Le gouvernement en a jugé autrement ; il a cru préférable de faire peser sur quelques impôts le poids de 7 millions, et dans le choix de ces impôts il a eu la main bien malheureuse. Il a précisément choisi l’impôt foncier, dont la répartition, comme on l’a dit, est détestable ; il a choisi la contribution personnelle, contre laquelle s’étaient élevées tant de plaintes ; enfin, il a choisi les patentes, qu’on vous a démontré encore aujourd’hui n’être pas susceptibles d’augmentation majeure ; quant aux autres branches, il n’y a pas touché. Sous ce rapport, quand bien même la nécessité d’une aggravation me serait démontrée, je voterais encore contre le projet de loi, tel qu’il nous est proposé.
Je me rallierai, du reste, à l’amendement de l’honorable M. d'Elhoungne, avec les modifications qui seront adoptées par la chambre.
M. Fortamps. - Messieurs, un honorable membre dans la séance d’hier nous a signalé des faits d’une fraude bien préjudiciable à notre industrie et qui se fait dans sa province.
Désirant de voir cesser des introductions qui se multiplient journellement sur presque toutes nos frontières, permettez, messieurs, que je vous entretienne un instant de quelques faits qui sont à ma connaissance et dont je puis donner la preuve à cette assemblée et au ministère. Le service des douanes est tellement mal fait, si peu soigneusement administré, que les introductions des marchandises, prohibées même, se font au moyen de la prime la plus modique.
Par exemple, si on achète en France des draps dont l’entrée est interdite en Belgique, parce que nos fabriques suffisent et produisent bien au-delà de nos besoins, des maisons très solides de Valenciennes, de Lille et autres, en assurent l’introduction au cœur du royaume moyennant une prime de 8 p. c., en faisant jouir l’acquéreur de la prime d’exportation accordée par le gouvernement français et qui s’élève de 12 à 14 p. c., selon la valeur de l’article ou de son poids.
Cette faveur d’un gouvernement ami et protecteur de l’industrie fait que la marchandise française revient ici de 4 à 6 pour cent meilleur marché qu’en France.
Les autres tissus non prohibés, qui ne sont même pas soumis à un droit très élevé, s’introduisent avec plus d’avantages par la voie indirecte, et cette introduction s’opère en très peu de jours, sans rompre corde, en ballots de 15 à 20 kilogrammes.
La Prusse, dont le système des douanes et dont la frontière est mieux observée que la nôtre, n’admet que peu de nos produits ; cependant elle déverse avec presqu’autant de facilité ses soieries et ses tissus de coton dans nos provinces.
Les toiles de Westphalie, de Saxe et de Bavière, nous parviennent au moyen d’un droit trop modique et trop préjudiciable à notre industrie. J’aurai occasion de revenir sur cet objet lorsque bientôt nous aurons à discuter le nouveau tarif des douanes, qu’on nous promet et que je désire ardemment de voir présenté à notre examen.
Entre-temps, je désire que M. le ministre, qui nous donne tant d’assurances de son appui et de sa sollicitude pour la prospérité du royaume, je désire, dis-je, qu’il ordonne que la ligne des douanes soit mieux observée, que les douaniers ne restent pas inactifs dans les communes, et que surtout pendant les longues nuits d’hiver ils redoublent d’activité et du surveillance pour arrêter ces introductions frauduleuses.
Il en résultera pour le gouvernement un avantage par le paiement des droits établis, et pour l’industrie la faveur de pouvoir concourir avec l’étranger pour la vente de nos produits.
Au reste, je partage avec la majorité des honorables orateurs qui ont si puissamment développé leurs moyens, l’augmentation de la contribution foncière établie sur des bases équitables, si cette surcharge est justifiée par le besoin ; mais quant à l’augmentation de l’impôt personnel, déjà trop onéreux, je ne puis y donner mon assentiment.
Je me prêterai aussi à une augmentation de droit de patente sur certaines classes, si elle est établie sur des bases équitables.
M. d’Elhoungne. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Messieurs, cette discussion s’est étendue sur tant d’objets, et elle a été traitée avec tant de développements qu’il me semble temps d’en venir à une conclusion. L’assemblée doit être maintenant éclairée sur tous les points et nous sommes à même d’aborder avec avantage la discussion des articles. Je crois que j’exprimerai le vœu de l’assemblée en demandant la clôture sur l’ensemble. (Oui ! oui !)
M. le président. - Je ferai observer à l’honorable M. d'Elhoungne qu’il n’y a plus qu’un seul membre inscrit, c’est M. Pirmez.
M. Pirmez. - Je parlerai sur l’article premier, si l’on veut. (Non ! non ! Parlez immédiatement !)
Messieurs, on a beaucoup reproché aux différents ministres, qui se sont succédé depuis la révolution de n’avoir pas proposé un autre système d’impôt ; je dois dire là-dessus toute ma pensée, je crois que les ministres ne pouvaient faire autrement.
Ce n’est pas dans les commotions publiques, lorsque les gouvernements sont sans force, qu’on peut tenter de pareils changements. Les impôts établis depuis longtemps, quelque absurdes et vexatoires qu’ils aient paru dans le commencement, sont toujours regardés avec moins d’animadversion que les nouveaux impôts qu’on leur substitue.
C’est surtout dans leur origine que les impôts sont odieux. Comme l’impôt ne peut se présenter sous aucun jour favorable et qu’il n’a aucun beau côté, lorsque par le relâchement de tous les lieus sociaux les moyens de coercition sont impossibles, il faut se garder d’en introduire de nouveaux. Ce n’est que ceux avec lesquels le contribuable est déjà familiarisé, qu’il peut supporter.
Ne croyez pas, messieurs, que le système que vous établirez trouvera beaucoup d’apologistes. Quelque différent qu’il soit du système actuel, il sera violemment attaqué, et si vous n’usez d’une extrême prudence, il pourrait bien arriver qu’on trouverait votre système pire que celui contre lequel il s’élève dans cette chambre tant de réclamations.
Et remarquez bien qu’il n’existe rien de plus attaquable qu’un impôt. Dans tous les temps, dans tous les pays du monde, les impôts les plus différents entre eux, par leur assiette, leur nature et leur quotité, ont été attaqués avec un succès presque égal, parce qu’un impôt est toujours un mal, parce que frappant une multitude de citoyens, il est généralement senti, et que c’est par conséquent un sûr moyen de popularité (chose partout si recherchée) que de vouloir les abolir.
Ceux qui montrent les mauvais côtés des impôts ne font donc rien de difficile et que chacun ne puisse faire comme eux. La difficulté est de substituer au système qu’on veut détruire un système meilleur, et, messieurs, il faut le dire, vous n’avez jusqu’à présent sur cette matière aucune idée. Tout ce qui a été dit sur un nouveau mode d’impositions ne vous laisse que du vague dans l’esprit, et si par hasard vous entendez une proposition qu’on puisse saisir, peu de temps suffit ordinairement pour vous montrer qu’elle est inadmissible ; telle est celle par exemple d’imposer les créances hypothécaires ; quelques réflexions l’ont fait tomber.
Si une proposition faite d’une manière si générale est renversée au premier choc, quelles difficultés n’éprouverez-vous pas lorsque vous entrerez dans tous les détails des lois ! Vous n’avez pas encore trouvé de matière imposable ; tout ce qui nous a été présenté nous a paru mauvais, et si vous l’aviez trouvée, si vous aviez par exemple décidé qu’il faut imposer le café, le sucre, le thé ou tout autre denrée, vous vous trouveriez alors en présence de tout le détail des lois, comme le mode de perception, le service des employés qui vous offrira des difficultés que vous ne vaincrez pas en peu de temps. Car, ne vous le dissimulez pas, tout est aride, rebutant et critiquable en cette matière, et c’est surtout dans cette occasion que vous expérimenterez qu’empêcher est aisé et que faire est difficile.
Comme je suis convaincu qu’il est impossible de changer le système financier en quelques mois, je voterai pour les conclusions de la commission centrale.
- La clôture de la discussion générale est mise aux voix et adoptée.
- La discussion est ouverte sur les articles.
M. d’Elhoungne. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Messieurs, l’article premier, tel qu’il est proposé par la section centrale, a deux objets bien distincts. Par le premier paragraphe on maintient purement et simplement les impôts directs et indirects tels qu’ils existent actuellement ; par le deuxième, on augmente l’impôt foncier, personnel et des patentes. Je demande que la discussion et le vote sur ces deux paragraphes aient lieu séparément ; la discussion en sera plus aisée, et on évitera l’inconvénient de passer tantôt d’un objet, tantôt d’un autre, ce qui ne peut se faire sans confusion.
M. Mary. - J’avais moi-même proposé cette marche.
M. H. de Brouckere. - Il me semble qu’il vaudrait mieux faire de ces deux paragraphes des articles séparés.
M. d’Elhoungne. - C’est ce que je demande.
M. le président. - Il y a 4 paragraphes dans l’article premier.
M. H. de Brouckere. - Dans l’article du projet ministériel, mais non pas dans celui de la section centrale.
M. le président. - Il faut savoir si M. le ministre des finances s’y rallie.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Je me suis rallié au projet tel que l’a proposé la section centrale.
M. le président. - Le paragraphe premier de l’article est ainsi conçu : « Les impôts directs et indirects existants au 31 décembre 1832, en principal et additionnel, tant pour les fonds et non-valeurs qu’au profit de l’Etat, des provinces et des communes, continueront à être recouvrés pendant l’année 1833, d’après les lois qui en règlent l’assiette et la perception, sauf les modifications ci-après, et celles qui pourront être apportées ultérieurement. »
M. H. de Brouckere. - Je demande la suppression des derniers mots : « et celles qui pourront être apportées ultérieurement. » Ces mots sont parfaitement inutiles ; il est bien évident, en effet, que si plus tard nous rendons une loi qui déroge à celle-ci, celle-ci en sera modifiée. Or, nous avons toujours le droit, que personne ne peut nous enlever, de faire des lois qui abrogent ou révoquent des lois précédentes. La phrase est donc inutile et doit être supprimée.
M. Mary. - Je dois m’opposer à cette suppression ; les derniers mots rendent l’article plus clair ; si on les faisait disparaître, il semblerait en résulter que l’assiette et la perception de l’impôt ne pourraient être changées pendant l’année 1833.
M. d’Elhoungne. - Je considère la question soulevée par M. de Brouckere comme prématurée. J’ai déposé sur le bureau un amendement qui, s’il est adopté, fera disparaître tout cet alinéa ; il serait dès lors inutile de s’occuper de cette suppression.
M. le président. - M. d'Elhoungne a déposé un amendement qui absorbe effectivement tout l’article premier. Voici cet amendement : « Jusqu’à la promulgation de la loi des voies et moyens, pour l’exercice 1833, toutes les contributions directes et indirectes seront perçues pendant l’année prochaine, d’après la loi du 26 décembre dernier. »
- Plusieurs voix. - Relisez l’amendement.
M. d’Elhoungne. - Cet amendement se trouve textuellement dans le Moniteur de ce matin. Messieurs, l’objet en discussion se résume en deux points capitaux.
Il s’agit d’abord de savoir s’il faut, sans aucun renseignement, sans avoir un seul document sous les yeux, pour exercer un contrôle quelconque sur le meilleur mode de pourvoir aux besoins du trésor ; s’il faut, dis-je, proroger pour toute l’année prochaine le recouvrement des impôts existants ; ou si, à l’exemple de ce qui se fait dans tous les gouvernements constitutionnels, il ne faut pas se borner à fournir au gouvernement les moyens nécessaires pour gagner le temps où, le budget des dépenses étant réglé, nous pourrons voter sur le budget des voies et moyens.
Poser la question de cette manière, c’est, me semble-t-il, l’avoir résolue, De quoi s’agit-t-il, en effet aujourd’hui ? La marche du gouvernement ne doit pas être arrêtée ; pour qu’elle ne soit pas arrêtée, il a besoin d’argent ; mais quand il s’agit de puiser dans la bourse des contribuables, il faut le faire avec réserve et circonspection, et nous devons, quand nous donnons au gouvernement les moyens de marcher, exercer un contrôle scrupuleux sur ces moyens, et nous sommes aujourd’hui dans l’impossibilité de le faire.
Dans le moment actuel, je n’ai pas besoin d’insister sur cette vérité ; aucun de vous ne peut dire qu’il ait les lumières suffisantes pour s’être formé une opinion sur la meilleure manière de pourvoir aux besoins de l’année 1833. Avez-vous vu en effet les comptes des exercices antérieurs ? Avez-vous connaissance de toutes les demandes que le gouvernement sera obligé de faire ?
Non, messieurs, les budgets essentiels vous manquent ; les comptes ne vous ont pas été communiqués ; à peine avez-vous eu quelques jours pour examiner le projet en discussion. Ce n’est pas sur des données aussi superficielles que vous pourriez vous prononcer.
Mais, dit-on, il faut bien que le gouvernement marche ; sans doute, et personne ici ne peut vouloir l’en empêcher. Il faut donc fournir à ses besoins, c’est aussi ce que je propose de faire momentanément et jusqu’à ce que nous ayons pu voter en connaissance de cause un budget des dépenses, et ensuite celui des voies et moyens qui en est le corollaire indispensable, le complément nécessaire. C’est dans ce sens que mon amendement a été conçu.
Que peut faire de mieux la chambre ? C’est de maintenir les choses dans l’état actuel. Pourquoi cela ? Parce que, à défaut d’éléments sur la matière, le plus prudent est de se servir de ceux qui existent et dont le résultat est connu ; jusqu’à ce qu’on ait fourni les comptes, et tant que le règlement des dépenses n’a pas été fait, vous ne pouvez avoir de données positives sur les besoins du trésor. Vous ne pourriez donc vous décider que sur des préjugés, et le résultat de votre décision pourrait être fatal au pays.
S’il s’agissait de nous taxer nous-mêmes, de régler ce que chacun de nous peut et doit faire pour l’Etat, je conçois que sans examen, sans discussion, sans éclaircissements, nous émissions un vote tout de confiance parce que chacun est maître de disposer de sa propre fortune. Mais il s’agit de disposer de celle de 4 millions d’hommes, dont la majeure partie ne jouit pas même de l’aisance ; il faut donc ne régler le budget de l’Etat qu’après un examen réfléchi : dès lors nous n’avons rien de mieux à faire qu’à assurer le service public jusqu’au vote du budget, c’est la marche la plus naturelle, la seule que la raison indique.
Il est vrai que l’honorable rapporteur de la commission a puisé dans l’article 111 de la constitution une fin de non-recevoir contre le vote de l’impôt pour un temps moindre d’une année. Voyons ce que dit cet article : « Les impôts au profit de l’Etat sont votés annuellement.
« Les lois qui les établissent n’ont de force que pour un an, si elles ne sont renouvelées. » Que résulte-t-il de cet article ? Que vous ne pouvez voter l’impôt pour un terme plus long d’un an. C’est une limite que la constitution a posée à votre pouvoir, et pourquoi l’a-t-elle fait ? C’est pour empêcher que par un entraînement quelconque vous ne greviez la nation d’un fardeau qu’elle ne pourrait supporter. C’est une restriction apportée à un excès de zèle qui peut égarer une assemblée délibérante comme un simple individu.
Mais est-ce contrevenir à cette disposition que de voter l’impôt pour un temps moindre ? Non sans doute. C’est vous y conformer au contraire, car vous ne vous exposez pas à l’abus que l’article 111 a eu pour objet de prévenir. Ainsi disparaît l’objection de M. le rapporteur de la section centrale. Ce qui prouve que cette objection est basée sur une erreur manifeste, c’est que pour lui donner quelque force, M. le rapporteur est obligé de lire l’article autrement qu’il n’est écrit.
Il vous dit en effet que d’après cet article vous n’avez le droit de voter l’impôt que pour un an, que vous devez le voter pour la durée d’un an ; voilà comment l’honorable rapporteur lit la disposition. Est-ce là, je le demande, l’article 111 ?
Il est une considération puissante à faire valoir, pour restreindre le maintien des impôts existants à une durée de temps moindre d’un an. C’est que le gouvernement lui-même a annoncé plusieurs changements à introduire au système actuel. Pouvons-nous priver les contribuables de ces améliorations pour l’année prochaine, par le maintien définitif des contributions directes, dont les rôles une fois formés ne peuvent pas subir de modifications ?
Devons-nous, d’un autre côté, priver le gouvernement de faire de suite les recouvrements ? Si vous adoptez le projet de la section centrale, les contributions directes ne seront pas en recouvrement avant trois mois. La raison en est simple. C’est qu’avant que les rôles pour la contribution personnelle, pour les patentes, pour la contribution foncière, ne puissent être formés, il s’écoulera plus de trois mois. Je vous demande, quand tout le monde sent le besoin de pourvoir à la pénurie du trésor, s’il faut retarder indéfiniment ou même pour trois mois l’adoption des moyens qui doivent la faire cesser ? Ne résulte-t-il pas de là la nécessité d’autoriser la perception sur les rôles de 1832, par le système de la section centrale ? La gêne du gouvernement pourrait se prolonger pendant trois mois, inconvénient bien autrement grave que de percevoir l’impôt sur les rôles antérieurs.
Il est d’autres considérations encore qui ne vous auront pas échappé. Remarquez d’abord que mon amendement ne suppose pas nécessairement la perception des douzièmes provisoires. La partie de ma proposition relative à la perception des douzièmes ne se lie pas tellement à mon premier amendement, que si les suivants étaient rejetés, la perception des douzièmes provisoires devînt nécessaire. Mon premier amendement suppose la perception de l’impôt pour la durée de temps qui s’écoulera jusqu’au vote du budget. Du moment où l’assemblée n’adopterait pas les articles suivants de ma proposition, on pourrait par un paragraphe additionnel ordonner la formation du rôle pour 1833.
Du reste, en adoptant ma proposition, vous ne faites que suivre un usage consacré en France, et dont nos états-généraux ont donné l’exemple en 1817. J’aurais présenté mon amendement avec moins de confiance si c’était mon propre ouvrage. Mais de toutes les dispositions qu’il renferme, il n’en est pas une qui n’ait été puisée dans les lois votées en France sous la branche aînée des Bourbons et sous le régime actuel, et même chez nous. De sorte qu’il n’y a pas eu, comme l’a insinué l’honorable rapporteur de la section centrale, qui veut toujours deviner d’inspiration une pensée que je ne lui ai pas fait connaître, il n’y a pas eu, dis-je, d’amour-propre de ma part, puisque je n’ai eu d’autre mérite que de compulser les lois françaises et celle qui fut rendue en 1817 par nos états-généraux.
M. Verdussen. - Avant tout je remercie M. d'Elhoungne d’avoir résumé toute la portée de son amendement en peu de mots. En effet, toute la question se réduit à ceci : Accordera-t-on ou n’accordera-t-on pas au gouvernement l’autorisation d’une perception partielle et provisoire ?
Je partage l’opinion de l’honorable préopinant en ce qui concerne les besoins du trésor. La pénurie de la caisse a été démontrée, trop bien démontrée pour qu’elle ne soit pas sentie par tout le monde. Mais je suis persuadé que la première partie de l’amendement de M. d'Elhoungne renverse toute la loi présentée par le gouvernement et telle qu’elle a été amendée par la section centrale.
Toutefois, si je partage son opinion quant à la pénurie du trésor, je diffère essentiellement d’avis avec lui quant aux moyens que nous devons adopter pour parer à ce mal.
Dans la discussion qui se débat depuis quelques jours dans cette assemblée, on a, selon moi, élevé des questions trop indiscrètement pour ne pas devoir craindre que le remboursement des bons de l’emprunt, qui se serait fait d’une manière plus lente et successive, ne soit exigé dès les premiers jours de janvier. Si donc on a méconnu les besoins du trésor pour le commencement de l’exercice, il s’agissait d’augmenter ces moyens, et la proposition de M. d'Elhoungne tend à les diminuer ; car, messieurs, il est certain que l’honorable préopinant a eu l’idée de prendre pour base les cotes de 1832 qui, pour la contribution foncière, ne présentent qu’un total de 105, tandis que le projet du gouvernement demandait 145 ; et, par conséquent, les douzièmes à rentrer se ressentiront de cette diminution.
C’est le mot « provisoire » qui principalement me fait rejeter la proposition de M. d'Elhoungne. Ce mot tendrait à faire croire aux contribuables qu’après la discussion définitive du budget, ils seront déchargés d’une partie du fardeau qui pèse ; et, de cette manière, il est certain que vous n’aurez rien ou presque rien à percevoir, car on préférera attendre la confection d’un budget définitif avant de verser ses contributions au trésor.
Messieurs, s’il est vrai que la caisse de l’Etat se trouve véritablement gênée pour le moment, voulez-vous augmenter encore cette gêne ? C’est ce que vous feriez en adoptant la proposition que vient de vous faire l’honorable préopinant. Comme j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, le résultat, même en adoptant tout le budget, est encore fort douteux, et vous allez ajouter à cette incertitude en fixant une rentrée inférieure. Je voterai contre l’amendement et toutes ses conséquences.
M. d’Huart. - (Le discours de l’honorable membre ne nous est pas parvenu.)
M. de Robiano de Borsbeek. - Messieurs, assez d’orateurs ont fait voir que le crédit de l’Etat a pu recevoir un échec par notre discussion, surtout par celle d’hier. Je désire contribuer, si cela m’est possible, à raffermir la confiance. Le premier objet, l’objet de la plus haute importance pour les hommes qui doivent régir l’Etat, n’est pas de perfectionner tous les systèmes, de faire disparaître toutes les injustices, car cela est impossible, mais c’est de faire marcher et de consolider l’Etat. Tout le monde y est intéressé et tous les bons citoyens doivent s’empresser de faire les sacrifices qui sont en leur pouvoir, quand ils les croient nécessaires. Or, il me semble que la somme de 83 millions est absolument nécessaire au service de l’Etat.
Comment s’imagine-t-on assurer le crédit avec moins de fonds ? C’est ce que je ne puis pas concevoir. Il y a pour nous, messieurs, une importance extrêmement grande à persuader à l’étranger que nous voulons soutenir l’Etat. Nous voyons devant nous la Hollande se résigner à des sacrifices vraiment extraordinaires. Nous avons aussi fait des dépenses extraordinaires, nous avons fait des avances ; mais elles nous ont été remboursées ou elles vont l’être. La Hollande au contraire a fait de plus grandes dépenses encore sans qu’elles soient remboursables. Je crains que la comparaison ne soit pas à l’avantage de la Belgique. L’opinion est une grande chose, messieurs : il faut que l’opinion en France et en Angleterre nous représente unis et d’accord pour faire tous les sacrifices dont le gouvernement a besoin. Comment cette opinion s’est-elle formée à l’égard de la Hollande ? C’est par ses soins, parce qu’elle ne dédaigne pas les moyens de l’établir.
Il faut avant tout chercher à consolider l’Etat, à lui fournir les ressources qui lui sont nécessaires.
Nous avons pour le budget des dépenses une très longue discussion à essuyer, des objets très difficiles à examiner. Pour le système financier que je regarde aussi comme défectueux, c’est bien autre chose encore. Nous ne pouvons nous occuper de questions secondaires en présence de la crise imminente qu’on nous fait envisager, quoique je ne pense pas qu’il y ait autant de danger qu’on l’a voulu dire. Il y a peut-être eu quelques retards dans les rentrées, on a pu éprouver quelque gêne mais tout cela peut être réparé, et il eût été plus patriotique de jeter un voile sur cet objet. La publicité en matière de finances est avantageuse, et je l’admets ; c’est la conséquence du gouvernement représentatif sous lequel nous vivons. Mais est-ce à dire pour cela qu’il faille à chaque instant découvrir les embarras du trésor, les difficultés qui surviennent ? Si chaque fois qu’un membre des chambres aura reconnu des embarras dans le trésor, il les signale, et qu’il faille lui donner des explications, il sera impossible au gouvernement de marcher.
Je pense qu’au contraire avec un peu de prudence il est facile de calmer les inquiétudes. Voici entre autres un exemple frappant. Nous devons pour le 1er janvier ; mais les créanciers ne sont pas tous pressés ; il y a beaucoup de personnes qui attendraient volontiers, tandis que si vous excitez des inquiétudes, tous arriveront à la fois pour être payés. C’est ainsi que la banque d’Angleterre, à cause d’alarmes qu’on avait répandues, s’est vue à la veille d’une banqueroute, parce que tous les porteurs de billets venaient en réclamer le paiement.
Messieurs, vers la fin de l’année les rentrées sont moindres dans tous les Etats, et beaucoup de personnes se trouvent gênées. Les ministres peuvent calculer approximativement ce que l’Etat a de revenus par mois. Si en novembre et en décembre les rentrées restent en souffrance, les fonds ne sont pas perdus pour cela, et plus tard le déficit sera comblé.
Dans notre section on avait manifesté aussi des inquiétudes. MM. Davignon et Dumont, qui se connaissent en finances, se sont rendus auprès du ministre chargé de les administrer, et ils en ont rapporté des renseignements qui nous ont tous rassurés. On a fait avec la maison Rothschild des arrangements dans l’intérêt du trésor, pour lui donner des facilités. Comme en novembre et décembre le taux de l’argent est plus élevé, M. Rothschild a consenti à ces délais. Eh bien, les rentrées se feront, et il n’y a pas là de quoi jeter l’alarme. Il y a de grandes inégalités, je veux le croire, dans l’impôt foncier ; mais je maintiens que ces différences ne peuvent pas disparaître dans 2, 3, 4 et même 5 mois…
M. Gendebien, interrompant l’orateur. - Il me semble que l’honorable membre rentre dans la discussion générale.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Je ferai observer que l’exposition faite tout à l’heure parM. d'Elhoungne n’a pas été autre chose qu’une discussion générale. Tous ceux qui parleront sur son amendement seront obligés de rentrer dans la discussion générale, cela est évident. Ainsi on ne peut arrêter un orateur par cette observation.
M. le ministre se tournant vers M. de Robiano. - Continuez, M. de Robiano.
M. Gendebien. - C’est M. le ministre maintenant qui donne l’ordre à un orateur de continuer ! Cela est singulier.
M. de Robiano. - Messieurs, si vous n’accordez pas les crédits qu’on vous demande, vous jetterez l’Etat dans le plus grand embarras, tandis qu’il n’y a aucun inconvénient à les accorder ; car tous les contribuables justes, et il y en a beaucoup en Belgique, se résigneront à supporter encore pendant une année l’inégalité de l’impôt ; ils considéreront qu’on ne leur a rien demandé après un changement complet de régime.
On a beaucoup parlé de la négligence du gouvernement, qui ne nous a pas présenté un nouveau système. Quant à moi, il me semble qu’il s’est passé des choses si graves en 1832, qu’il n’a pu faire tout ce qui était à faire pour un bon système financier.
On a dit que le 10ème des habitants que nous devions perdre devait se comparer au 10ème des impôts, et par conséquent le calcul du ministère est incomplet. Je ne puis pas laisser passer cette assertion, et je répondrai qu’il est impossible de comparer les revenus du Limbourg et du Luxembourg à ceux des Flandres. Ainsi cette remarque n’est nullement exacte. Je bornerai là mes observations ; il me semble que ce que j’ai dit suffira pour faire sentir la nécessité de donner de la force au gouvernement.
- Plusieurs voix. - A demain ! à demain !
M. Mary. - Je demande la parole. (Non ! non ! A demain !)
- La discussion est continuée à demain à midi.
La séance est levée à quatre heures.
Noms de MM. les représentants absents sans congé à la séance de ce jour : MM. Angillis, Brabant, Coppieters, de Foere, Deleeuw, de Muelenaere, de Woelmont, Dumont, Jaminé, Pirson.