(Moniteur belge n°202, du 20 juillet 1832)
(Présidence de M. Destouvelles.)
A une heure moins un quart, la séance est ouverte.
M. Dellafaille procède à l’appel nominal. Il fait ensuite lecture du procès-verbal, dont la rédaction est adoptée sans réclamation.
M. Liedts fait connaître l’objet d’une pétition adressée à la chambre ; la pétition est renvoyée à la commission spéciale.
Par un message, le sénat annonce que dans sa séance d’hier il a adopté trois projets de loi : 1° le projet de loi sur les traitements des membres de l’ordre judiciaire ; 2° le projet de loi transitoire sur les distilleries ; 3° le projet de loi relatif aux concessions de péages.
- Ces projets ont été adoptés sans amendements.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je demande la parole ; j’ai une communication à faire à la chambre.
M. Gendebien. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Dans les circonstances où nous sommes, il importe que M. le ministre des affaires étrangères soit entendu ; nous avons des questions à lui adresser sur notre situation. Nous connaissons la mission que M. le ministre de l’intérieur a à remplir ; c’est parce que nous la connaissons que nous croyons de notre devoir de faire une motion d’ordre.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - J’ai demandé la parole ; je crois que la parole me doit être accordée le premier ; je dois avoir la priorité pour la communication que j’ai à faire.
M. le président. - C’est une motion d’ordre que l’on fait ; je présume qu’aux termes du règlement, nous ne pouvons nous refuser à entendre l’orateur.
M. Gendebien. - Les motions d’ordre doivent aller avant tout. C’est justement parce que vous avez une communication à faire, que je demande la parole pour une motion d’ordre.
Messieurs, je regrette que tous les ministres ne soient pas à leur banc dans une situation aussi solennelle.
Il me semble que leur devoir serait de s’y trouver, car enfin c’est le dernier instant que les représentants de la nation ont des réclamations à faire en qualité de députés. Je regrette surtout l’absence du ministre des affaires étrangères. Ma motion a pour but de demander que ce ministre soit invité à se rendre au sein de l’assemblée pour y donner des explications sur les termes de la note remise par le plénipotentiaire belge le 7 juillet. Il suffit de lire ce passage pour se convaincre de la nécessité d’avoir des explications.
M. Osy. - Page 23 du rapport imprimé du ministre des affaires étrangères.
M. Gendebien. - Voici cette note, page 23 du rapport que nous a fait M. le ministre des affaires étrangères :
« Le soussigné, plénipotentiaire de S. M. le roi des Belges, a eu occasion de remarquer, dans la discussion qui s'est élevée hier au sein de la conférence, que non seulement le but de la mission dont il est chargé auprès de LL. EE. les plénipotentiaires d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, a été perdu totalement de vue, mais que la conférence elle-même s'est déjà sensiblement éloignée de la marche tracée par ses actes antérieurs. C'est avec le plus vif regret, que le soussigné a vu la tendance nouvelle que l'on paraît vouloir faire prendre à la négociation, et dans cet état de choses, il éprouve le besoin de rappeler à LL. EE. quelques-uns des actes posés, tant par elles que par lui et son gouvernement, afin de replacer la question sur son véritable terrain. »
Vous vous rappellerez, messieurs, que le général Goblet notre plénipotentiaire avait exprimé la volonté de la nation, du gouvernement belge, et qu’il a réitéré ses demandes relativement à la navigation de l’Escaut et de la Meuse ; que surtout il avait exprimé la ferme volonté où était le gouvernement de n’entrer en négociation que lorsque le territoire serait évacué et que le traité du 15 novembre serait exécuté.
Vous vous rappelez la réponse de la conférence : cette réponse est évasive, et loin de mettre en principe que l’on ne négociera plus jusqu’à ce que le territoire soit évacué, elle dit que son intention est de faire des démarches près du roi Guillaume ; aussi n’a-t-elle fait que des démarches.
A la suite de ces démarches il y a eu celle du 6 juillet ; le 7 juillet, M. Goblet a remis la note dont je viens de faire lecture.
Ainsi, le 7 juillet, notre plénipotentiaire à Londres exprime son sensible regret, son vif regret, que la conférence dévie de la marche qu’elle avait suivie, de sa tendance à entrer dans des voies nouvelles. Je crois, messieurs, que le ministre des affaires étrangères doit connaître aujourd’hui, 18 juillet, en quoi la conférence déviait de la voie qu’elle avait suivie d’abord ; c’est ce qu’il est important de savoir.
Le volumineux rapport qu’on nous a fait est tellement insuffisant, que par son insignifiance même il nous montre tout le danger que nous avons à craindre de la conférence.
Ma motion a pour but de demander que le ministre s’explique. Il faut en effet que nous ayons des explications.
Il n’est pas possible qu’il ne connaisse pas la voie nouvelle dans laquelle la conférence veut entrer. On nous sépare aujourd’hui précisément parce que l’on suit la voie nouvelle que suit la conférence, et parce qu’on veut empêcher des discussions qui pourraient avoir lieu dans la chambre des représentants et qui pourraient gêner le gouvernement.
Ceci suffit pour motiver ma proposition tendant à inviter le ministre des affaires étrangères à se rendre au milieu de nous pour répondre à nos interpellations sur des faits qui intéressent la nation.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je n’ai aucun motif pour m’opposer à ce que M. le ministre des affaires étrangères soit invité à se rendre dans le sein de la chambre des représentants, pour donner les explications que le préopinant a demandées ; mais il y aurait quelque chose d’anticonstitutionnel à refuser de m’entendre, en ce sens que la clôture des sessions est une et indivisible.
Déjà l’arrêté de clôture a été communiqué au sénat par M. le ministre des finances. Etant chargé par le Roi de communiquer le même arrêté à la chambre des représentants, il y aurait suspension de mon devoir et attaque aux droits constitutionnels des conseillers de la couronne si l’on refusait de me donner la parole. Sans cette considération je n’aurais aucun motif à m’opposer à la proposition de M. Gendebien.
M. Dumortier. - Messieurs, je ne suis pas de l’avis de M. le ministre que, parce que la ratification de l’ordonnance de clôture a été faite à une chambre, toute discussion soit interdite à l’autre. Il est vrai que la constitution donne au Roi le droit de dissoudre les chambres quand il le trouve bon, mais il est des circonstances telles qu’il y aurait inconvenance de prononcer cette dissolution sans donner aux représentants de la nation les apaisements qu’ils sont en droit de demander sur la marche des affaires du pays.
Nous nous trouvons dans une position très critique, les hostilités sont au moment d’être reprises, nous allons revenir auprès de nos commettants, et que leur dirons-nous ? En Angleterre, il est des circonstances où les mandataires du pays sont renvoyés auprès de leurs commettants pour qu’ils soient à même de consulter l’opinion publique sur telle ou telle mesure importante. Ici il ne s’agit pas de nous renvoyer pour consulter nos commettants, mais on nous renvoie en nous laissant dans l’impossibilité de leur rien dire de rassurant. Je vous le demande : quand nous serons rentrés dans nos foyers, que dirons-nous à nos concitoyens qui nous demanderont : Est-ce la paix ? est-ce la guerre ? Non, c’est de la diplomatie, toujours de la diplomatie. Dans ces circonstances, je le répète, il serait de la plus haute inconvenance de nous renvoyer sans nous donner quelques explications.
Messieurs, un des journaux les plus répandus du pays, et qui a paru ce matin, vient de publier une note de laquelle il résulterait que nous serions encore victimes de nouvelles déceptions ; il faut savoir si le contenu de cette note est exact, comme nous n’avons que trop de raisons de le craindre. Je crois donc qu’il convient que M. le ministre des affaires étrangères se rende dans cette enceinte, et dissipe nos doutes et calme les inquiétudes bien légitimes de l’assemblée.
M. le président. - Messieurs, l’honorable M. Gendebien a fait une motion tendant à ce que M. le ministre des affaires étrangères se rende dans le sein de l’assemblée ; d’un autre côté, M. le ministre de l’intérieur demande de pouvoir donner connaissance à la chambre de l’arrêté de clôture pris par le Roi en vertu de l’article 70 de la constitution. Dans une pareille occurrence, je dois consulter l’assemblée pour savoir si elle juge à propos d’inviter M. le ministre des affaires étrangères à se rendre dans son sein, ou si elle veut accorder la parole à M. le ministre de l’intérieur.
Plusieurs voix. - L’appel nominal ! l’appel nominal !
M. Helias d’Huddeghem. - Mais il n’y a pas d’opposition.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je crois de mon devoir de faire remarquer que le vote sur une pareille question serait tout à fait contraire à la constitution.
M. Gendebien. - Messieurs, il est vraiment édifiant de voir le ministère accuser d’inconstitutionnalité une motion d’ordre qui tend à empêcher qu’on ne clôture la session avant que nous ayons les éclaircissements que la nation est bien en droit de demander et d’obtenir, et c’est au moment de terminer une session dans laquelle on n’a pas craint de commettre plusieurs inconstitutionnalités qu’on vient mettre en avant de tels scrupules ! Je vous laisse à juger, messieurs, ce qui est plus inconstitutionnel, de ma motion d’ordre ou du procédé du ministère.
Mais cette inconstitutionnalité, que vous dit-on pour l’établir ? La clôture des chambres est indivisible, la clôture a été notifiée au sénat, elle est censée notifiée ici. Ce qui prouve l’absurdité de cette prétention, c’est que le ministre est obligé de faire connaître l’arrêté de clôture d’abord dans une chambre et ensuite dans l’autre. Sous la constitution du royaume des Pays-Bas où les deux chambres devaient se réunir pour entendre la lecture de l’ordonnance de clôture, que cette clôture fut indivisible, je le conçois : mais sous notre constitution elle est divisible, et elle est par le fait divisée. Vous voyez donc que, quand les ministres parlent d’inconstitutionnalité, c’est une véritable dérision ; qu’ils se rassurent, ce n’est pas nous qui commettrons des inconstitutionnalités, et quand la constitution a été attaquée, nous avons su la défendre par d’autres moyens que ceux qu’ils emploient aujourd’hui. (Aux voix ! aux voix ! L’appel nominal !)
M. Leclercq. - Je demande la parole ; je ne peux pas m’expliquer sur quelle question on procéderait à l’appel nominal, à moins qu’on ne me dise s’il est décidé que la clôture de la session est prononcée oui ou non.
M. le président. - La session n’est pas close, mais M. le ministre de l’intérieur m’a fait prévenir avant la séance qu’il avait à communiquer à la chambre l’arrêté de clôture.
M. Dumortier. - Il y a un ordre du jour, c’est le projet de loi sur les distilleries.
- Plusieurs membres. - Non ! non !
M. Dumortier. - En présence des événements actuels, il serait fort inconvenant aux ministres de refuser des explications ; ce serait là un véritable coup d’Etat propre à jeter le trouble parmi la nation.
M. le président. - Le préopinant est dans l’erreur : la chambre a été convoquée pour entendre les notifications qui lui seraient faites par le sénat relativement aux lois que nous lui avons renvoyées, mais non pas pour délibérer sur de nouvelles lois. Il est vrai que le billet porté par le huissier n’est pas parfaitement exact, cependant tel a été le but de la réunion de ce jour ; hier l’assemblée en a été prévenue. C’est dans l’incertitude où l’on était que le sénat adoptât les lois sans amendements que la chambre les représentants a été convoquée pour délibérer, s’il y avait lieu, sur les modifications qu’aurait proposées le sénat à ces lois.
M. Barthélemy. - Je mets à part la question de constitutionnalité. Il y a huit jours que le ministre des affaires étrangères a lu la note objet de la motion d’ordre ; on lui a fait alors des interpellations, il y a répondu. Je ne crois pas qu’on puisse revenir sur la discussion qui eut lieu.
- En ce moment M. le ministre de l’intérieur sort de la salle pour envoyer chercher M. le ministre des affaires étrangères.
M. Nothomb. - La question n’en est pas une : si le ministre eût insisté, s’il était monté à la tribune, s’il eût lu l’article de clôture, tout était consommé. Il a annoncé l’intention de clore la session ; mais l’intention n’est pas la clôture même : dès lors la chambre est constituée ; dès lors nous continuons à exercer toutes nos prérogatives.
D’après la motion d’ordre de M. Gendebien, il s’agit de savoir si le ministre des affaires étrangères sera entendu, oui ou non ; je ne m’oppose pas à l’appel nominal, mais il n’y a pas ici de question préjudicielle, de question de constitutionnalité.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - J’ai déjà eu l’honneur de dire que j’étais chargé d’une mission de la part du Roi, que je voulais remplir mon devoir, que dès lors je devais obtenir la parole. C’est là qu’est la question. De nouveau, je demande la parole pour remplir le devoir qui m’est imposé (bruit) ; aux termes de la constitution, un ministre est entendu chaque fois qu’il le demande ; je demande à être entendu.
M. Gendebien. - Messieurs, le ministre a des devoirs à remplir comme représentant ici le pouvoir exécutif, ou, si l’on veut, une des trois branches du pouvoir législatif ; mais nous, représentants de la nation, constituant un pouvoir dans l’Etat, nous avons des devoirs à remplir envers nos commettants : le public jugera laquelle des deux réclamations est la plus conforme à la justice et à ses intérêts, celle du ministre ou la nôtre.
Le ministre demande la priorité : un ministre, quand il est dans cette assemblée, est soumis aux règles de l’assemblée.
Dans le règlement, toute motion d’ordre doit avoir la priorité ; le ministre ne peut donc invoquer la priorité puisque telle est la règle.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Ce n’est pas dans le règlement que je cherche la règle que je dois suivre pour remplir mon devoir ; c’est dans la constitution. L'article 88 dit : Les ministres doivent être entendus quand ils le demandent. Si dans ce moment, j’insiste pour exécuter ma mission, ce n’est pas que le gouvernement ait aucun motif particulier pour ne pas répondre aux questions qui sont faites, mais c’est que je veux remplir mon devoir.
M. d’Huart. - L’article 88 dit, paragraphe 2 : « Les ministres ont leur entrée dans chacune des chambres, et doivent être entendus quand ils le demandent. » Cependant le ministre fera bien de réfléchir avant de prendre la parole : ce serait un coup d’Etat que de clore la session sans avoir répondu à M. Gendebien. Nous retournons chez nous, on nous demandera en vain où en sont nos affaires si on garde le silence. Je crois que les questions de M. Gendebien exigent une réponse.
M. Osy. - Je pense que le ministre doit être entendu sur les objets à l’ordre du jour, quand il le demande ; que c’est là le sens de l’article 88 de la constitution. Il y a une question faite ; il faut y répondre : le ministre demande la parole, qu’on la lui donne pour obtenir une réponse.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Le pouvoir législatif est un et indivisible ; il est certain qu’une chambre ne peut pas prendre de résolution quand la session est close dans l’autre chambre, ceci est évident.
Il ne s’agit pas ici de coup d’Etat ; le ministre des affaires étrangères vous a fait des communications il y a peu de temps ; il a assisté à la séance d’hier ; vous pouviez alors lui demander tout ce que vous croyez avoir à lui demander. La session est close dans l’autre chambre, il est de mon devoir de remplir la mission dont le Roi m’a honoré, et, je le répète, il n’est pas question de coup d’Etat.
M. Dumortier. - Je ferai observer à M. le ministre qu’il ne s’agit pas de prendre une résolution quand l’autre chambre n’existe plus, mais seulement d’obtenir des explications sur l’état des négociations et sur ce que le gouvernement entend faire à ce propos.
On a invoqué la constitution pour clore la session et pour nous refuser les éclaircissements que nous avons le droit d’obtenir ; messieurs, il y a quelque chose qui est au-dessus de toutes les constitutions du monde, c’est l’opinion publique. Or que dira l’opinion publique en voyant un ministre fermer la bouche aux représentants du pays et refuser de répondre à leurs interpellation ? Quel effet produira sur elle le mutisme du ministère ?
Messieurs, je laisse au ministère la responsabilité de cette démarche, mais je crois qu’il était dans son intérêt et dans l’intérêt de notre monarchie naissante de clore cette session, pendant laquelle la chambre s’est montrée si dévouée, si constamment prête à seconder le gouvernement, qui n’a pas hésité un seul instant à lui accorder des hommes et de l’argent ; il est tout à fait inconvenant de nous dire : Retournez dans vos foyers, et si on vous demande ce que le gouvernement se propose de faire, vous n’aurez rien à dire.
Messieurs, comme je le disais en commençant, il y a une loi supérieure à toutes les lois, c’est celle du salut du pays, et je crois que le salut du pays exige au moins, dans les circonstances critiques où nous nous trouvons, que les représentants de la nation sachent ce que vont devenir les affaires dans ses mains du ministère, et comment ce ministère entend les traiter.
M. Milcamps. - Messieurs, la question me paraît extrêmement grave. D’une part, la constitution donne au Roi le droit de clore la session des chambres, et elle ne fixe pas le moment où il peut user de cette prérogative ; il s’ensuit qu’il peut en user quand il lui plaît et faire prononcer la clôture de la session, même au milieu d’une discussion. D’un autre côté, un ministre peut demander la parole quand bon lui semble, et d’après la constitution nous ne pouvons la lui refuser. Si donc le ministre, qui doit être entendu quand il le demande, insiste en ce moment pour obtenir la parole, nous sommes obligés de l’entendre et rien ne peut l’empêcher de lire l’arrêté de clôture. Voilà, je pense, la seule manière d’interpréter sainement la constitution et de résoudre la question qui s’agite.
M. d’Elhoungne. - Que le Roi ait le droit de clore la session quand il lui plaît, c’est un droit que personne ne songe à lui contester. Mais si, avant que le ministre ou le commissaire du Roi chargé de notifier à la chambre l’arrêté de clôture ne l’ait déposé sr le bureau, la chambre a entamé une discussion, on ne peut l’empêcher de la vider…
- En ce moment. M. le ministre des affaires étrangères entre dans la salle et va prendre place au premier banc de gauche.
M. d’Elhoungne. - … et le ministre ne peut pas, sous prétexte du droit qu’il a d’obtenir la parole, changer l’objet de la discussion : quand le ministre demande à être entendu, ce ne peut être pour un objet étranger à la discussion. D’ailleurs je crois que les convenances parlementaires exigent, quand nous demandons des explications sur la situation du pays, qu’on nous les donne, et je pense sans autre débat que, puisque M. le ministre des affaires étrangères est maintenant présent, il n’hésitera pas à nous donner cette satisfaction.
M. Devaux. - Messieurs, je ne suis pas partisan de la clôture de la session ; moi aussi j’aurais désiré qu’elle se prolongeât encore, quoique tous nous devions être fatigués d’une session aussi longue : mais le fait de la clôture est moins le fait du gouvernement que celui des membres eux-mêmes, puisqu’on a vu dans les dernières séances combien nous avions de peine à nous compléter : Mais il faut être juste : quand hier encore des interpellations ont été adressées au ministère et qu’il y a répondu, il ne devait pas s’attendre à ce qu’on lui en adressât de nouveau aujourd’hui.
Le gouvernement a notifié l’arrêté de clôture au sénat : pour cette chambre tout est consommé ; je le regrette, mais enfin la chose est faite et il faut qu’à son tour la chambre des représentants entende la lecture de l’arrêté. Quant à la question de droit, elle ne saurait, selon moi, faire de difficulté et elle est résolue très clairement par la constitution. Il est évident que le Roi a le droit de dissoudre les chambres quand il veut ; il peut le faire au milieu d’une discussion, à chaque instant, de quoi qu’il s’agisse, et le ministre chargé de faire la notification aux chambres doit toujours être entendu. Je regretterais cependant que le ministère refusât de répondre aux nouvelles interpellations qui lui sont faites ; il le doit par esprit de conciliation, mais s’il insistait encore, il faudrait bien se rendre ou poser ainsi la question : La parole sera-t-elle interdite à M. le ministre ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je demande la parole pour mettre un terme à cette discussion qui me paraît assez oiseuse.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Puisque M. le ministre des affaires étrangères est ici, je n’insisterai pas ; mais jusque là j’ai cru devoir me conformer aux ordres du Roi.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - L’arrêté de clôture met un terme à toute discussion ; toutefois, comme une question vient d’être faite par M. Gendebien, je vais tâcher de répondre à sa demande.
Il pense, je crois, que des pièces ou que des actes ont été communiqués au gouvernement ; que ces pièces ou ces actes sont arrivés à Bruxelles…
- Plusieurs membres. - Non ! non ! ce n’est pas cela dont il s’agit.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je n’étais pas ici quand la question a été posée....
M. Gendebien. - J’ai signalé la note adressée par M. Goblet, le 7 juillet, à la conférence, et dans laquelle il se plaint que la conférence ait changé de système.
Voici le passage…
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je le lirai.
M. Gendebien relit tout haut le passage de la note, passage que nous avons reproduit dans son premier discours puis il ajoute. - Je demande que le ministre veuille bien nous dire quel est le terrain nouveau, cette voie nouvelle où s’engage la conférence.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, la communication de cette note ne m’a été faite qu’à la fin du rapport que j’ai eu l’honneur de soumettre à la chambre, et elle prouve que je n’ai voulu mettre dans ce rapport aucune réticence, ni aucune dissimulation. Je vous l’ai présentée. Il résulte en effet de cette note que la conférence paraissait avoir voulu changer de tactique le jour précédent. Ce fut le 6 juillet que M. Goblet fut appelé dans le sein de la conférence : vous connaissez le système du gouvernement professé dans cette enceinte ; évacuation du territoire préalable à toute négociation ultérieure sur les articles susceptibles de discussion. C’est le système que M. Goblet a constamment soutenu à la conférence.
Si je ne me trompe, dans sa séance du 6, la conférence aurait désiré que l’évacuation du territoire n’eût lieu qu’après que l’on fût tombé d’accord sur l’exécution des articles qui, aux termes même du traité du 15 novembre, sont susceptibles de quelques modifications ou de quelques explications. C’est contre cette interprétation de la conférence, interprétation nouvelle, entièrement opposée au sens du protocole n°65, qu’est dirigée la note de M. Goblet. Et je crois pouvoir donner l’assurance à l’assemblée que tout ce qui avait été arrêté précédemment, et tout ce qui avait été arrêté le 6 juillet, a été anéanti, a été détruit par suite de la note de M. Goblet et de l’intention qu’il a manifestée de persister dans le système du gouvernement.
De sorte que s’il existe des actes de la conférence ils ne peuvent être que postérieurs à cette époque : je ne les connais pas, je n’en ai reçu aucune communication officielle ni officieuse. Si j’en avais reçu, je me serais fait le plaisir de les communiquer à la chambre.
M. Dumortier. - Je ferai observer qu’un journal annonce ce matin que, le 16 de ce mois, c’est-à-dire depuis la note du juillet, un protocole nouveau a été fabriqué par la conférence, en vertu duquel le roi Guillaume est invité à signer les 24 articles, et ce protocole décide que néanmoins il ne sera obligé à l’évacuation des territoires contestés, qu’après le traité définitif à intervenir entre la Belgique et la Hollande. Vous voyez que d’après ce protocole il y a un traité définitif à intervenir ; d’où la conséquence que tout ce que nous avons fait jusqu’ici n’est que provisoire et ne signifie rien du tout.
J’aurais voulu qu’avant de nous retirer nous pussions avoir communication de ce nouveau protocole ; ce n’est pas au moment où un traité définitif nous menace, quand on nous protocolise encore à Londres, et quand on va nous faire des propositions vingt fois plus destructives sans doute de notre prospérité que toutes celles qu’on a faites précédemment, ce n’est pas, dis-je, dans ce moment qu’on devrait nous faire retourner chez nous.
Je rappellerai à M. le ministre des affaires étrangères les promesses qu’il nous a faites de ne jamais consentir à un traité à intervenir, tant que les 24 articles n’auraient pas été ratifiés par la Hollande et le territoire évacué. Je lui rappellerai toutes les promesses du gouvernement de recourir à la voie des armes si on voulait nous entraîner dans de nouvelles négociations.
Je lui signalerai surtout un point important et sur lequel toute concession est impossible ; je veux parler du port d’Anvers et de l’Escaut. La question de l’Escaut se compose de quatre points importants, savoir :
1° Le droit de la navigation libre du fleuve ; 2° le droit de balisage ; 3° le pilotage ; et 4° le droit de visite. Si un seul de ces droits était laissé dans les mains de la Hollande, c’en serait fait de la prospérité de la Belgique ; l’Escaut serait fermé comme au temps de l’Autriche, et le port d’Anvers serait ruiné, au grand avantage des ports d’Amsterdam et de Rotterdam ; c’est là, messieurs, le but que veut atteindre le roi Guillaume. Il faut donc que le gouvernement se montre inflexible sur ce point, et pour cela il ne faut pas prêter l’oreille aux propositions insidieuses qu’on ne manquera pas de nous faire.
Je désirerais vivement que M. le ministre des affaires étrangères nous dît ce qu’il entend faire à cet égard ; je désire vivement aussi qu’il nous dise où en sont les négociations touchant le brave l’excellent et digne citoyen M. Thorn. L’infâme guet-apens dont il a été victime est un véritable cas de guerre, il est temps qu’on prenne des moyens pour obtenir réparation ; il faut que le gouvernement fasse enfin respecter la dignité du peuple belge, et ce n’est pas en nous prosternant humblement devant la conférence que nous nous ferons respecter, c’est en prouvant que nous savons, quand il le faut, adopter des mesures énergiques.
J’ai entendu dire que la conférence avait refusé la note du 29 juin ; d’un autre côté, la confédération germanique a répondu, quant à M. Thom, qu’elle consentirait à ce qu’il fût relâché si le gouvernement belge relâchait les individus de la bande Tornaco. Messieurs, il y a quelque chose d’infamant pour la Belgique dans une telle réponse. Comment ! on assimile un citoyen recommandable et sans reproche à des brigands qui ne se sont signalés que par le pillage et l’assassinat, et qui ne seront jamais châtiés comme ils l’ont mérité. J’espère bien que le gouvernement ne consentira jamais à un échange aussi humiliant, et que c’est par d’autres moyens qu’il obtiendra la mise en liberté d’un membre de la représentation nationale. Je désire vivement que M. le ministre des affaires étrangères s’explique sur tous ces points, et qu’il nous dise s’il a connaissance du protocole du 10 juillet et si les termes sont tels que par eux toutes nos affaires soient remises en question.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - La note de M. Goblet est sous la date du 7 juillet ; cette note fait allusion à ce qui s’était passé la veille et les jours précédents dans la conférence. Le protocole dont parle l’honorable préopinant est du 10, de manière que la note de M. Goblet paraît avoir anéanti toutes les pièces antérieures à l’époque du 7, et que s’il existe des actes de la conférence, ils sont postérieurs à cette époque. S’il existe un protocole du 10 juillet, il est inutile de dire que je n’en ai aucune connaissance, et si ce protocole n’est pas conforme au système du gouvernement, vous savez, messieurs, ce qu’en fera le gouvernement.
Quant aux autres observations qui ont été présentées par l’honorable préopinant sur la position de M. Thorn, j’ai déjà eu l’honneur de vous dire que je regrette aussi vivement que lui que la détention de cet honorable citoyen se prolonge autant ; mais je pense, messieurs, qu’il faut enfin arriver au dénouement, à une solution de cette question-là, comme de toutes les autres.
M. Gendebien. - Si j’ai bien compris les dernières paroles de M. le ministre et si je dois y ajouter foi, ce à quoi je suis disposé, je pourrais me dispenser de lui répondre sur les autres observations qu’il a présentées ; mais l’expérience du passé nous commande de nous tenir en garde pour l’avenir.
Depuis 18 mois on nous a souvent tenu un langage ferme et énergique ; mais quand le moment d’agir est arrivé, on a toujours reculé et tergiversés. C’est ce que je veux éviter désormais à mon pays, puisque j’ai contribué à tirer de la poussière des siècles le beau nom belge ; si j’avais pu croire qu’il n’en fût sorti que pour se vautrer dans la boue et pour se tramer dans les antichambres des cours, je me serais bien donné de garde d’exposer ma tête pour le tirer de la poussière où il était enfoui. Ce ne sont donc plus des paroles ni des promesses qu’il nous faut aujourd’hui, il faut du positif.
Le 29 juin, M. Goblet a présenté une note à la conférence, dans laquelle il déclare que la Belgique n’admettra aucune négociation jusqu’à l’évacuation du territoire par la Hollande. Eh bien ! depuis la remise de cette note, le protocole du 10 juillet est intervenu, par lequel la note du 29 juin a été restituée. Voilà, messieurs, une preuve de la confiance que nous devons avoir dans les paroles du ministre, qui nous avait assuré que par la note du 11 juin la conférence avait admis en principe l’évacuation du territoire.
Maintenant on vous dit qu’on ne connaît pas ce protocole. Eh bien, de deux choses l’une : ou on n’a pas communiqué ce protocole à M. Goblet, et alors c’est la conférence qui nous dupe, qui nous méprise au point de croire pouvoir faire nos affaires sans nous ; ou bien c’est notre plénipotentiaire qui a mis de la négligence à instruire le gouvernement de ce qui se passe ; ou bien enfin le ministre des affaires étrangères nous trompe, quand il nous dit qu’il ne connaît pas ce protocole : comment en effet peut-il se faire qu’un protocole daté du 10 juillet ne soit pas connu à Bruxelles le 18, et que ce soit des journaux étrangers qui nous apprennent son existence ? Cela est inconcevable et affligeant tout à la fois, car il résulte de tous ces protocoles et particulièrement du dernier que nous sommes liés, et vis-à-vis de la conférence et vis-à-vis du roi Guillaume, et que le roi Guillaume n’est pas lié envers nous. Ainsi il lui serait loisible de nous forcer à attendre, l’arme au bras, son ultimatum qui pourrait se faire attendre longtemps encore.
Il faut qu’on en finisse une fois pour toutes. Ce rôle est trop ignoble pour le peuple belge.
S’il y a déception de la part de la conférence, et alors il faut rompre avec elle, qu’avez-vous à espérer en négociant encore ? Un nouveau traité qui ne tardera pas à devenir un fait consommé pour vous, et dont le roi Guillaume ne fera pas plus de cas que de tous les autres, et quand nous serons épuisés, quand les nations étrangères auront conçu pour nous le dernier degré d’un mépris que nous méritons aujourd’hui en partie, qu’attendrez-vous d’elles ? De la sympathie ? Non, mais elles se ligueront peut-être contre vous pour vous rayer de la liste des nations, et vous l’aurez mérité par votre inertie.
Qu’on en finisse donc ; et si l’on n’a pas assez d’énergie pour s’opposer aux prétentions toujours croissantes des puissances absolues, qu’on se résigne à subir le sort qui nous menace : la nation s’y préparera, et elle saura le supporter avec dignité. Elle retrouvera peut-être aussi cette énergie qui la fit vaincre dans les journées de septembre et se sauver toute seule, autrement que par la diplomatie. Si on savait, si on voulait profiter des circonstances où nous sommes, la sympathie des peuples est encore pour nous ; bientôt la cause de la Belgique et celle de la France ne feraient qu’une avec celle des peuples d’Allemagne ; et en faisant un appel à l’énergie, soyez tranquilles, messieurs, les rois absolus se trouveraient à leur tour dans la fausse position où ils ont voulu nous placer depuis dix-huit mois.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, il m’est impossible de raisonner sur les expressions d’un protocole que je ne connais pas. S’il était vrai que le protocole n°67 restituât à M. Goblet une note qu’il avait remise, comme la restitution ne peut avoir lieu que par une notification, je dis que la notification aurait dû avoir lieu postérieurement au 15 de ce mois ; car la restitution de la note aurait dû…
M. Gendebien. - Je ne dis pas restituer, je dis refuser.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - C’est la même chose.
M. Gendebien. - Vous devez en avoir connaissance.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Il n’y a eu ni refus, ni restitution depuis le 15 de ce mois.
(Erratum inséré au Moniteur belge n°203, du 21 juillet 1832 : Dans la séance de clôture, la dernière fois que M. le ministre des affaires étrangères prend la parole, on lui fait dire : « Il n’y a eu, ni refus, ni restitution depuis le 15 de ce mois, » tandis qu’il a dit : « Il n’y a eu, ni refus, ni restitution jusqu’au 15 de ce mois. »)
- De toutes parts. - C’est bien ! c’est bien ! c’est bien !
M. le président. - La discussion est close ; la parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, le Roi m’a chargé de vous présenter l’arrêté portant clôture de la session des chambres pour l’an 1831. Voici cet arrêté :
« Léopold, Roi des Belges, etc.
« Vu l’article 70 de la constitution, de l’avis de notre conseil des ministres, nous avons arrêté et arrêtons ce qui suit :
« Art. 1er. La session de 1831 de la chambre du sénat et de la chambre des représentants est close.
« Art. 2. Le présent arrêté sera porté à la chambre du sénat par notre ministre des finances, et à la chambre des représentants par notre ministre de l’intérieur.
« Donné à Bruxelles, le 18 juillet 1832.
« Léopold. »
M. le président donne acte de la communication et déclare la session de la chambre des représentants close.
- La séance est levée à deux heures, aussitôt après la communication.