(Moniteur belge n°201, du 19 juillet 1832)
(Présidence de M. Destouvelles.)
La séance est ouverte à 1 heure.
M. Dellafaille fait, l’appel nominal. Il donne ensuite lecture du procès-verbal, lequel est adopté sans réclamation.
M. Liedts présente l’analyse de plusieurs pétitions entre lesquelles nous distinguons celle d’un sieur Stas qui réclame le paiement d’une indemnité pour les pertes que lui ont fait éprouver les Hollandais dans les journees de septembre 1830, et celle d’un sieur Loiselier de Mons, qui demande le paiement de sommes qui lui sont dues pour fournitures de viande faites, en août 1831, à l’armée française.
M. Gendebien. - Messieurs, je désirerais que le rapport sur les pétitions des sieurs Stas et Loiselier fût fait le plus tôt possible.
Le sieur Stas est une des nombreuses victimes de l’attaque des Hollandais en septembre 1830. Il avait fait construire une maison et un établissement hors de la porte de Schaerbeck, pour lesquels il avait été obligé d’emprunter de fortes sommes. Tout a été pillé et saccagé par les Hollandais ; cependant le malheureux Stas est obligé de payer l’intérêt des sommes empruntées, et il se trouve en butte aux poursuites de ses créanciers. Dans cette position il demande aujourd’hui pour la dixième fois une indemnité qu’il ne peut pas obtenir, et cependant c’est une dette sacrée que le gouvernement a contractée envers lui, et qu’on aurait dû avoir payée depuis longtemps.
Le sieur Stas n’a pas seulement perdu sa fortune ; il a aussi perdu sa santé, et son fils avec lui, car l’un et l’autre ont été horriblement mutilés par les Hollandais. Il me semble que le gouvernement devrait prendre en considération la position de ces malheureux, et leur faire payer l’indemnité qu’ils réclament à si juste titre. Je recommande donc le pétitionnaire à M. le ministre de l’intérieur : s’il n’est pas instruit de ces faits, qu’il s’en informe, et il verra s’ils ne sont pas de la plus grande exactitude.
Quant au sieur Loiselier, c’est une victime d’un autre genre. Il se trouve avoir compromis sa fortune pour avoir eu trop de confiance dans les paroles de fonctionnaires publics ; avis à ceux qui seraient tentés d’émettre des votes de confiance. Il a fourni de la viande à l’armée française sur la sollicitation des membres des autorités provinciales et d’un ministre d’Etat, qui s’était engagé personnellement le faire payer de ses avances. il a d’abord fait des fournitures pour 10,000 fr., et il a fourni ensuite de la viande par adjudication ; depuis un an, il réclame son paiement sans pouvoir l’obtenir, et il en est de même de tous ceux qui ont fait des fournitures sur des réquisitions inconstitutionnelles et qu’on n’avait pas le droit de faire. Avis au peuple pour lui apprendre à s’opposer toujours aux mesures contraires à la constitution.
Le sieur Loiselier a eu la bonhomie de céder aux instances des autorités provinciales, d’obéir à des réquisitions inconstitutionnelles, et certes, après cette inconstitutionnalité que le gouvernement aurait dû s’empresser de couvrir, je ne m’attendais pas à ce qu’on refusât le paiement de ce que le pétitionnaire a loyalement fourni. Le sieur Loiselier a dû emprunter de l’argent pour faire face aux fournitures, il en paie l’intérêt, et ne pouvant obtenir son paiement lui-même, il se trouve dans le plus grand embarras. Je demande donc qu’il soit payé au plus vite, et que M. le ministre de l'intérieur fasse cesser les effets de l’acte inconstitutionnel dont il est victime. Le rapport de ces deux pétitions est fort urgent ; les faits que je viens d’exposer vous l’auront suffisamment prouvé : je demande donc que la commission s’en occupe sans délai.
M. A. Rodenbach. - Je suis à même de donner à l’honorable M. Gendebien quelques explications, qui, j’espère, le satisferont. Il y a environ trois semaines que M. Servas, de Bruxelles, vint chez moi, et me dit qu’il avait vendu pour 80,000 fr. de bétail à l’armée française, dont il n’était pas encore payé.
Je m’informai du fait auprès de M. le ministre de la guerre. Messieurs, les personnes qui ont fait des fournitures sont des Belges, ils méritent notre protection ; M. le ministre me répondit qu’il avait demandé des renseignements sur la dette de l’armée française en Belgique, qu’il pensait qu’elle s’élevait à 300,000 fr. environ, et qu’aussitôt qu’il aurait reçu tous les documents, il se proposait de demander un crédit à la chambre pour le payer. Ainsi M. Gendebien peut être tranquille pour le sieur Loiselier, puisque le gouvernement est dans l’intention de payer.
M. Gendebien. - L’intention est une bonne chose quand on a le temps d’attendre, mais le sieur Loiselier ne se trouve pas dans la même position que le sieur de Stas. Le sieur Loiselier aussi est Belge, quoique ici la qualité ne fasse rien puisqu’il s’agit d’une créance ; il a traité avec les autorités belges, et il n’est pas obligé d’attendre la liquidation de la dette de l’armée française. Il faut donc que le gouvernement le paie s’il ne veut pas être déclaré débiteur de mauvaise foi.
M. le président. - Ces pétitions seront renvoyées à la commission, et je ferai remarquer qu’il y a urgence pour l’une d’elles, celle du sieur Stas ; car elle est accompagnée d’un placard d’expropriation.
M. Gendebien. - C’est très vrai. Ce malheureux se voit au moment de perdre par les poursuites de ses créanciers le peu de fortune qui lui reste.
M. Poschet. - Il faut fixer un jour pour faire le rapport
M. Barthélemy. - Renvoyons-les d’ores et déjà à M. le ministre de l’intérieur.
M. Dumortier. - La commission pourrait s’assembler et faire son rapport demain.
M. Lefebvre. - Il n’y a plus de commission de pétitions puisque les sections n’ont pas été renouvelées.
- Plusieurs voix. - Qu’on les renvoie à l’ancienne commission.
M. Barthélemy. - Je propose de tenir pour rapport ce qui vient d’être dit et de renvoyer les pétitions dès aujourd’hui à M. le ministre de l'intérieur. Nous savons tout ce que nous pouvons savoir pour ordonner ce renvoi, et il est inutile qu’on vienne demain ou après-demain, ou je ne sais quand, nous faire un rapport qui ne nous apprendra rien de plus que ce que vous venez d’entendre. Je propose le renvoi au ministre de l’intérieur. (Appuyé ! appuyé !)
M. Gendebien. - Avec demande d’explication.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Il n’y a qu’une pétition qui puisse être renvoyée à M. le ministre de l'intérieur ; l’autre, celle du sieur Loiselier, tombe sous les attributions du ministre de la guerre.
M. Gendebien. - Celle du sieur Loiselier regarde aussi le ministre de l’intérieur qui du reste n’a jamais décliné sa juridiction et qui a leurré depuis plusieurs mois le pétitionnaire de belles promesses.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Il s’agit de prestations de guerre.
M. Gendebien. - Le sieur Loiselier a traité avec des autorités belges qui ont par conséquent contracté l’obligation de le payer. C’est M. le ministre de l'intérieur qui a le dossier, et qui a leurré jusqu’à ce jour le malheureux fournisseur ; c’est donc à lui que doit être renvoyée la pétition. Du reste il serait peut-être mieux de la renvoyer à tous les deux.
M. le président met aux voix le renvoi de la pétition du sieur Stas à M. le ministre de l'intérieur et le renvoi de celle du sieur Loiselier au même ministre et à M. le ministre de la guerre.
- Ce double renvoi est ordonné.
M. Osy. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
M. le président. - Vous avez la parole.
M. Osy. - Messieurs, comme il paraît que le gouvernement a l’intention de clôturer demain la session de 1831, je crois qu’avant notre ajournement, nous devons demander à M. le ministre des affaires étrangères s’il est vrai que la conférence vient de proposer à la Hollande quatre articles additionnels au traité du 15 novembre. D’après la note de M. Goblet de juillet, nous avons tous dû y voir avec douleur que le traité n’était déjà pas irrévocable ; et si effectivement depuis, la conférence a, nonobstant toutes nos protestations et énergie, passé outre et fait de nouvelles propositions, il paraît que le gouvernement doit les connaître, et M. Goblet, qui en aura certainement été instruit, en aura donné connaissance au gouvernement, et aura également protesté contre tout changement au traité imposé.
Nous manquerions gravement aux intérêts de la nation, qui nous sont confiés, de nous séparer sans que le gouvernement nous déclare, formellement et publiquement, où en sont nos affaires depuis les nouvelles décisions de la conférence ; car nous sommes à la veille du 20 juillet, et vous sentez les inquiétudes dans lesquelles serait la nation, si nous retournions chez nous sans pouvoir la rassurer sur son avenir, et dans l’incertitude qu’une fois la session close jusqu’au mois de novembre, le gouvernement pourrait nous traîner dans ce malheureux statu quo ; et cette situation incertaine sera toujours funeste à la ville qui m’a envoyé ici.
Ignorant si l’on peut continuer tranquillement ses affaires, ou s’il faut mettre ses propriétés à l’abri de tout événement, il est impossible que nous retournions chez nous sans pouvoir calmer ou dire l’exacte situation de nos affaires à nos commettants, et si le gouvernement veut nous laisser dans l’incertitude, je proteste d’avance pour ma part contre ce silence, et au moins nous pourrons dire : Nous avons fait notre devoir pour vous tirer de cette cruelle incertitude mais le gouvernement veut vous y tenir, et tous nos efforts ont été vains pour vous instruire, soit pour vous rassurer ou vous tenir avertis sur ce que vous avez à craindre.
Les décisions de la diète germanique, que vous aurez tous méditées, auront désabusé les plus crédules que les cinq puissances ne peuvent pas être d’accord : car c’est le manifeste le plus formel contre les révolutions française et belge ; et comment pouvez-vous encore croire que le roi d’Angleterre permettra de forcer la Hollande d’accepter le traité du 15 novembre, lorsque, comme roi le Hanovre, il a adhéré sans restrictions aux décisions de la diète ? Si l’Angleterre faisait un acte hostile contre la Hollande, elle déclarerait pour ainsi dire la guerre au Hanovre ; car, comme membre de la confédération, le Hanovre doit permettre que la Prusse et l’Autriche puissent intervenir dans le Luxembourg au nom du grand-duc, et pouvez-vous supposer que le roi d’Angleterre force en même temps la Hollande, et nous arrache le Luxembourg ?
La situation de l’Europe est maintenant, même pour les personnes les plus crédules, nettement dessinée. Si la France ne s’oppose pas aux décisions de la confédération, nous devons prévoir que la Belgique ne peut pas exister, et il me paraît que notre gouvernement doit savoir maintenant l’opinion de la France, si elle nous soutiendra, ou nous abandonnera, comme cela paraît bien le cas, car elle ne doit pas ignorer depuis longtemps les intentions des puissances. Pour ma part, j’ai été éclairé depuis l’arrivée des 24 articles, et le gouvernement français ne peut pas être resté impassible pour avoir une explication des autres membres de la conférence, et notre gouvernement doit en être instruit.
Les journaux de Bruxelles et de Paris nous parlent beaucoup du prochain mariage de S. M. ; je fais comme vous tous, messieurs, des vœux qu’il puisse se faire tranquillement, mais ce sont justement ces bruits qui nous jettent dans les plus grandes incertitudes. Car, d’un côté, on nous parle que le 20 ou 31 juillet, le gouvernement prendra une décision, et d’un autre, que S. M. se rendra le 7 août en France pour chercher notre future reine. Il m’est impossible de concilier ces deux grands événements, et vous sentez que dans les provinces où on est encore moins au fait des événements que ceux qui sont dans la capitale, ils doivent encore plus que nous être dans l’impossibilité de fixer une opinion exacte sur notre espoir ou nos craintes ; j’adjure donc le ministre de ne pas permettre notre séparation sans pouvoir rassurer nos commettants.
Soyez sûrs, messieurs, que mes interpellations ne sont pas par vaine curiosité ; mais, comme député de la ville d’Anvers, je ne crois pas que mes interpellations sont intempestives : car comment répondre aux diverses demandes que tous les habitants sont en droit de me faire comme leur représentant ? Et je n’oserais pas retourner auprès de mes concitoyens, si je quittais cette assemblée sans avoir fait tous mes efforts pour être à même de leur donner des explications exactes sur notre avenir.
Si maintenant M. le ministre des affaires étrangères nous assure qu’il n’a encore rien reçu, je crois que, d’après ce que je viens de dire, nous devons engager le gouvernement de ne pas clôturer la session avant de pouvoir nous fixer sur notre avenir, et qu’il ait reçu des avis officiels des décisions de la conférence sur les propositions de la Hollande.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, si j’avais eu connaissance soit officiellement soit officieusement des propositions faites par la conférence à la Hollande, je me serais fait un devoir de les communiquer à la chambre avant la clôture de la session. Mais non seulement je n’en ai pas connaissance, non seulement M. Goblet, notre plénipotentiaire à Londres, n’a pas été à même de protester contre ces propositions, mais il ne les connaît même pas, ou du moins ne les connaissait-il pas à la date de ses dernières lettres qui sont, je crois, du 14 ou du 15 de ce mois. A cette époque aucune communication ne lui avait été faite ; la conférence s’occupait, il est vrai, de nos affaires ; mais elle ne lui avait rien fait communiquer.
M. Osy. - Le ministre n’a pas répondu à ma dernière demande qui consistait en ce que, la conférence étant au moins sur le point de prendre une résolution sur nos affaires, il était nécessaire de nous dire si dans cette position le gouvernement se proposait de clore la session. M. le ministre doit me répondre sur ce point, et j’émets le vœu que la clôture de la session n’ait pas lieu avant l’arrivée de la décision.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Le droit de clore la session est un droit constitutionnel du Roi ; il peut, en vertu de ce droit, clore la session quand bon lui semble. S’il le fait prochainement, c’est qu’il croira pouvoir se passer de l’appui des chambres ; mais,, si dans l’intervalle le gouvernement avait besoin de cet appui, il connaît assez le dévouement des membres de la représentation nationale pour croire qu’ils s’empresseraient de répondre à son premier appel.
M. Gendebien. - C’est un droit constitutionnel de clore la session des chambres ; il n’était pas nécessaire de nous le rappeler. Une question explicite, positive, était faite ; il fallait y répondre. On demande si le gouvernement fera usage de son droit constitutionnel, que personne ne veut lui contester : on répond à cela que si le gouvernement croit avoir besoin de l’appui de la chambre, il la convoquera.
C’est bien la peine de clore la session le 17 ou le 18 lorsque le 20 est fixé pour le grand événement tant vanté et attendu depuis 18 mois ! Est-il bien conséquent de clore la session tout en disant que, si on a besoin des chambre, on les convoquera ? Mais il est bien facile de voir que l’on a besoin de la chambre. Qu’est le gouvernement sans la chambre ? Que peut-il faire au-dehors et à l’intérieur sans la chambre ? Si la chambre n’avait pas donné un peu d’énergie au gouvernement, que serait-il arrivé ? Il serait arrivé ce que l’on verra peut-être dans quelques jours, si l’on nous sépare. La chambre est toute puissante pour le bien, impuissante pour le mal : si elle voulait mal faire, elle serait anéantie par un seul de ses actes.
La chambre jusqu’ici ne s’est que trop montrée disposée à faire le bien ; il doit y avoir une arrière-pensée dans le langage ministériel ; le ministre est trop bon logicien, a trop de bon sens pour ne pas sentir que sa réponse est évasive. La date du 20 juillet est fixée comme terme de toutes les négociations ; eh bien ! je crois qu’il est inutile de clore la session en présence de pareil événement. Je le répète, il y a là une arrière-pensée. Dans la session prochaine on vous dira : C’est un fait consommé, et, en vertu de tel article de la constitution, nous vous en donnons communication. Ce sera en effet un acte consommé sur lequel beaucoup de membres croiront qu’il est inutile de revenir. Ainsi se terminera notre belle et grande révolution ; elle est mourante, et elle expirera dans peu de jours d’ici ; et, pour la stranguler, on vous renvoie chez vous.
La question de M. Osy est plus importante qu’on ne pense. La conférence n’a fait autre chose que de dire, relativement aux notes de M. Goblet, qu’elle adresserait au roi de Hollande des insinuations pour laisser libre la navigation de l’Escaut et de la Meuse : c’était là une simple réponse, corrélative à la demande de l’évacuation du territoire ; mais la conférence ne s’est pas engagée à faire évacuer le territoire. Si des expressions de la conférence on rapproche la note de M. Goblet, on verra que la conférence a dévié de sa première voie. Elle n’avait donc pris aucun engagement dans sa note du 11 juin ; elle interposait ses bons offices près du roi Guillaume ; elle ne se considérait pas comme liée. C’est ce dont notre ambassadeur s’est plaint par la note du 7 juin.
Il est certain que lord Adair a reçu, si nous sommes bien informés, le dernier traité, et qu’il l’a communiqué officieusement au ministre des affaires étrangères. (Dénégations au banc des ministres.)
Mais lord Adair a reçu le dernier traité ; si le fait n’est pas exact, il est au moins très vraisemblable qu’un traité existe et qu’il a été envoyé à sir Adair. Il est impossible de douter ou que le traité est fait, ou qu’il sera fait incessamment, et qu’il sera fait sur le désastreux traité de novembre.
La conférence s’occupe de nos affaires. Attendons quelques jours, attendons 24 heures pour connaître le résultat des travaux de la conférence : que peut faire à l’Etat que quelques membres de la chambre restent encore pendant quelques jours ? Leur absence procurera peut-être une économie de quatre ou cinq mille florins ; mais je crois qu’ils seront payés jusqu’à la fin du mois ; on peut donc les laisser 7 ou 8 jours de plus, puisqu’il n’y aura pas d’économie à les renvoyer : vous n’avez pas même le mot magique d’économies à invoquer. L’Etat n’y perdra rien, il pourra au contraire y gagner beaucoup.
Je demande formellement que le ministère déclare si le gouvernement a envie de clore la session.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je crois devoir relever un fait inexact avancé par le préopinant : il prétend que l’ambassadeur britannique, sir Robert Adair, a reçu des notes de la conférence et qu’il me les a communiquées ; ce fait est inexact : M. Adair ne m’a fait aucune communication depuis plus de dix jours. Je ne sais pas si sir Robert Adair a reçu ou non des notes ; ceux qui l’affirment sont mieux informés que moi ; je déclare formellement que je n’ai rien reçu ni d’une manière officielle ni d’une manière officieuse. C’est un fait qu’on peut vérifier ;
M. Dumortier. - Messieurs, j’ai entendu avec peine, je dirai même avec douleur, M. le ministre des affaires étrangères parler de clôturer la session au moment où nos affaires sont sur le point de recevoir une conclusion. Vous savez quelle était la marche du gouvernement avant la séance du 10 mai, et vous savez combien elle a été différente depuis, et vous ne doutez pas que l’adresse de la chambre au Roi n’y soit entrée pour beaucoup. Si donc la session vient à être close au moment du dénouement, il est fort à craindre que le gouvernement ne rentre dans la voie des négociations qui a été si funeste au pays.
Vous avez dû remarquer que, dans la note du 7 juillet, M. le général Goblet, notre plénipotentiaire à Londres, dit : « Le soussigné, plénipotentiaire de S. M. le roi des Belges, a eu occasion de remarquer, dans la discussion qui s'est élevée hier au sein de la conférence, que non seulement le but de la mission est changé auprès d’elle, mais que la conférence elle-même s'est déjà sensiblement éloignée de la marche tracée par ses actes antérieurs. C'est avec le plus vif regret, que le soussigné a vu la tendance nouvelle que l'on paraît vouloir faire prendre à la négociation, etc. »
Vous le voyez, messieurs, c’est avec le plus vif regret que notre plénipotentiaire voit la marche nouvelle qu’on veut faire prendre à la négociation. Vous avez tous compris comme moi, à la lecture de la note, que cette expression en disait plus que tout ce que le ministre des affaires étrangères venait nous dire. Et c’est dans le moment où la conférence va donner une marche nouvelle aux négociations, pour river nos fers, qu’on voudrait nous renvoyer chez nous, sans nous mettre à même de pouvoir porter à nos concitoyens des paroles rassurantes ! Car, il faut le dire, si toujours en comité secret on a tenu un langage énergique, il semble qu’on ait craint d’en faire autant en séance publique, parce qu’on peut désavouer le langage tenu en comité secret, et qu’on ne pourrait le faire pour des paroles prononcées publiquement.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je demande la parole.
M. Dumortier. - M. le ministre nous a dit que M. l’ambassadeur d’Angleterre et M. Goblet ne lui avaient rien communiqué ; nous savons cependant qu’en ce moment la conférence s’occupe de nous, qu’on protocolise de nouveau à Londres ; il faut donc que le gouvernement soit fort mal servi par son ambassadeur, puisque celui-ci ne peut se procurer des protocoles qui se fabriquent sous ses yeux. Oui, de deux choses l’une : ou notre ambassadeur à Londres sert mal le gouvernement, ou M. le ministre des affaires étrangères nous cachent des pièces, parce qu’il ne pourrait nous les communiquer sans les accompagner de quelques explications, et que ces explications le lieraient vis-à-vis de la chambre. Je regrette vivement, quand nous touchons au 20 juillet, quand nous allons voir recommencer les hostilités, de voir qu’on nous renvoie. Il serait bien à désirer cependant que nous pussions nous servir des armes que nous avons dans les mains.
Au reste, je l’ai dit et je le répète, les 24 articles sont ou ils ne sont pas un traité ; s’ils sont un traité, que le roi de Hollande y adhère, et s’il n’y adhère pas, il ne s’agit plus de négocier, mais de dire à la conférence : Le traité constitue un contrat synallagmatique ; il n’est pas exécuté par une partie, nous sommes dispensés de l’exécuter de notre côté. Ainsi nous devons déclarer que nous n’abandonnerons pas nos frères du Limbourg et du Luxembourg, que nous ne renonçons pas à nos prétentions sur la rive gauche de l’Escaut, que nous voulons une juste répartition de la dette, et que nous ne renonçons pas à nos droits sur les colonies que nous avons contribué à conserver et à défendre.
Voilà comment il faudrait s’exprimer et le langage qu’il faudrait tenir ; et c’est quand les hostilités ont recommencer qu’on nous renvoie sans savoir ce qui se trame à la conférence !... On a dit que, si on avait besoin de l’appui des chambres, on nous rappellerait.
Messieurs, je le déclare, c’est pour la dernière fois peut-être que je parle dans cette enceinte, mais si le ministre dévie d’une seule ligne du système que lui a tracé la chambre, dussé-je être le seul de mon avis, dans cette enceinte, je déposerai contre lui un acte d’accusation.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Le rapport que j’ai eu l’honneur de faire en comité central a été livré à l’impression et doit se trouver entre vos mains. Quoi qu’il en soit, les engagements contractés en comité secret ne sont pas moins sacrés à mes yeux que les engagements contractés en public. Ce n’est pas pour les tribunaux que je parle, c’est pour l’assemblée. Si la conférence nous fait des propositions, ou elles seront conformes au système du gouvernement, système que vous avez approuvé vous-mêmes, ou elles seront contraires ; si elles sont conformes, le gouvernement est en droit de les accepter ; si elles sont contraires, elles seront renvoyées à la conférence.
Le traité de novembre ne subira d’autres modifications que de gré à gré ; ces modifications ne pourront porter que sur certains points et moyennant compensations et après l’évacuation du territoire ; le gouvernement, sous aucun prétexte, ne déviera de la ligne qu’il s’est tracée… (Bien ! bien ! Très bien !)
M. Osy. - L’article 9 du traité des 24 articles est si important que je ne puis garder le silence sur ce qu’il renferme… (Bruit.) Si on veut m’ôter la parole, je protesterai d’avance contre l’inobservation de cet article.
On traitera de gré à gré, dit le ministre ; ce n’est pas ainsi que j’entends le traité ; j’entends qu’il ne peut subir de changements. Il ne peut y avoir qu’une commission pour l’exécution du traité et point de transactions sur le traité ; si on change l’article 9, il y aura des changements relativement à la navigation de l’Escaut et du Rhin. L’Escaut doit être navigable sans péages. La conférence n’a pas répondu sur cet objet important. Il ne peut y avoir de changements de gré à gré ; toute l’exécution du traité doit seulement être arrangée par une commisison mixte réunie à Anvers, et point de gouvernement à gouvernement.
M. le président. - Si personne ne prend la parole, nous allons passer à l’ordre du jour, qui appelle le vote sur la loi relative aux traitements des membres de l’ordre judiciaire.
- La plupart des membres qui s’étaient retirés hier pour ne pas voter sur le projet sortent de la salle.
M. A. Rodenbach. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. (Agitation.) Je crois, messieurs, que si nous attendions pour voter jusqu’à trois heures… (Non ! non !) Il y a deux moyens de pouvoir voter aujourd’hui sur la loi. C’est d’abord de déclarer qu’il y a urgence. (Il n’est pas question d’urgence !) C’est d’un autre côté d’attendre jusqu’à trois heures, parce qu’alors 24 heures seraient révolues ; il y a d’ailleurs un autre projet à l’ordre du jour qu’on pourrait discuter en attendant, et de cette manière le règlement ne serait pas violé.
M. Dubus. - Il s’agit d’exécuter la décision de la chambre.
M. Rogier. - Il faut que la décision de la majorité soit exécutée.
M. le président. - La chambre a décidé hier que le vote sur la loi aura lieu immédiatement, il était de mon devoir de faire exécuter cette décision, de mettre le vote à l’ordre du jour, et il y est. On va procéder à l’appel nominal.
- L’appel nominal est fait ; en voici le résultat :
Votants, 55 ; oui, 44 ; non, 3 ; 6 se sont abstenus.
Ont voté pour : MM. Barthélemy, Taintenier, Coghen, Cols, Coppieters, de Haerne, Dellafaille, de Muelenaere, de Nef, de Roo, de Sécus, Destouvelles, de Terbecq, de Theux, Dewitte, Dubus, Duvivier, Goethals, Hye-Hoys, Lebeau, Leclercq, Lefebvre, Liedts, Mary, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Olislagers, Pirmez, Polfvliet, Poschet, Rogier, Rouppe, Serruys, Tiecken de Terhove, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Van Innis, Van Meenen, Verdussen, Vuylsteke et Zoude.
Ont voté contre : MM. Corbisier, Dugniolle et Lardinois.
Se sont abstenus : MM. Devaux, Helias d’Huddeghem, Jonet, A. Rodenbach, C. Rodenbach, H. Vilain XIIII.
M. Devaux. - Par respect pour la décision de la chambre, j’ai cru devoir assister hier au reste de la séance et ne pas m’absenter, quoique je fusse d’avis que nous ne pouvions pas, sans violer le règlement, voter immédiatement ; mais par respect pour mon opinion, et toujours convaincu que ce n’est que demain que nous pouvions voter, j’ai dû m’abstenir aujourd’hui.
M. Helias d’Huddeghem. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs.
M. Jonet. - Moi de même.
M. A. Rodenbach. - Je pense que l’article 45 du règlement est violé, et dès lors j’ai dû m’abstenir.
M. C. Rodenbach. - Je me suis abstenu parce que, suivant moi, il y a eu violation manifeste du règlement de n’avoir pas voulu voter l’urgence.
M. H. Vilain XIIII. - N’ayant pas assisté à la discussion, j’ai dû m’abstenir de voter.
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi présenté par M. Serruys sur les distilleries.
Voici les termes de ce projet :
« Léopold, Roi des Belges, etc.
« Par dérogation aux articles 3 et 4 de la loi provisoire du 4 mars 1831, et en attendant qu’une nouvelle loi sur les distilleries ait été portée, la décharge du droit d’accise pour les eaux-de-vie indigènes exportées à l’étranger, soit directement, ou d’un entrepôt, aura lieu à raison de 6/7 de la prise en charge par hectolitre d’eau-de-vie à 10 degrés, et la faveur de l’entreposage de ces eaux-de-vie est rétablie telle qu’elle est accordée par la loi générale du 26 août 1828, n° 38, et par la loi spéciale de la même date, n°37, concernant l’accise sur les eaux-de-vie indigènes.
M. Serruys. - Messieurs, dans tous les Etats on a toujours porté une attention particulière à encourager et favoriser les exportations du superflu des productions soit du sol, soit de l’industrie, de quelque nature qu’elle puisse être.
Le genièvre est pour la Belgique un objet d’exportation qui n’est pas sans importance ; les pays vers lesquels on l’exporte le plus sont l’Amérique septentrionale, les Grandes-Indes, l’Afrique, le Brésil, la Havane dans l’ile de Cuba, et quelques autres possessions dans les mêmes parages. Le genièvre entre toujours, et pour une grande part, dans la formation des cargaisons des navires que s’expédient de nos ports pour les pays dont je viens de parler, et vous n’ignorez pas, messieurs, que c’est presque le seul objet que les capitaines américains, qui fréquentent nos ports en assez grand nombre, prennent en retour ; et en cela nous avons les Hollandais pour concurrents.
Ces peus de mots suffisent, je pense, pour convaincre la chambre que si nous voulons que le genièvre de nos fabriques s’exporte, nous devons faciliter cette exportation, c’est-à-dire accorder la faveur de l’entreposage et la décharge du droit d’accise, comme cela a lieu en Hollande.
Ces deux choses, messieurs, sont consacrées en principe par toutes les lois sur la matière, antérieures à la loi provisoire de 4 mars 1831, quelque fût le système de perception qu’elles avaient établi ; et alors nos genièvres s’exportaient assez coulamment et sans difficultés ; mais depuis ladite loi du 4 mars toute exportation est devenue impossible ; je vais avoir l’honneur de vous dire pourquoi en peu de mots.
Remarquez d’abord, messieurs, que la loi du 4 mars 1831 n’était que provisoire, et que telle que son honorable auteur M. Teuwens l’avait proposée au congrès, et que la commission spéciale avait accueillie, cette loi, dis-je, n’avait pour but que de pourvoir temporairement à quelques modifications que semblait exiger l’état des distilleries du plat pays.
Ainsi elle ne touchait ni au droit d’entreposage ni à l’objet de la restitution du droit d’accise dans le cas d’exportation, ces deux objets étant déjà réglés par les lois en vigueur. Les principales dispositions de ce projet de loi primitif, que j’ai devers moi, étaient : de convertir pour l’avenir le crédit permanent en crédit à tenues ; d’arrêter le débet de l’ancien compte des distillateurs et négociants en gros, et de porter ce débet à compte nouveau, dans lequel compte ils seraient pris en charge à raison de 12 fl. en principal par chaque baril d’eau-de-vie à 10 degrés, restant dans leur ancien compte, pour être apuré par quart de trois en trois mois.
Le projet de loi de M. Teuwens n’alla pas plus loin, son auteur ayant pensé qu’en attendant que le projet d’une toute nouvelle loi déjà soumis au congrès pût être discuté, les lois en vigueur avaient suffisamment pourvu en ce qui concerne la décharge du droit à l’exportation du genièvre de nouvelle fabrication ; mais que, dans le système des crédits à tenues, le recouvrement de l’accise étant assuré, la circulation du genièvre dans l’intérieur devait être libre, et en conséquence l’article 3 portait ce qui suit
« Les passavants ou tous autres documents ne sont plus requis que pour le territoire de surveillance ; l’article 77 de la loi du 26 août 1828 est et demeure par conséquent abrogé. »
Remarquez : l’article 77 seul.
Mais, messieurs, lors de la discussion publique de ce projet de loi en séance tenante, M. le ministre des finances d’alors improvisa et parvint à faire adopter dans la même séance quelques amendements, notamment les deux suivants :
« Art. 3. Le taux de la décharge des comptes pour les eaux-de-vie exportées à l’étranger est établi à raison de huit florins en principal par baril de genièvre à 10 degrés, » et ainsi il reste toujours à payer 4 fl. par baril outre les centimes additionnels.
« Art. 4. Les passavants ou tous autres documents ne sont plus requis que pour le territoire de surveillance ; les articles 43 à 77 de la loi du 26 août 1822 sont et demeurent par conséquent abrogés. »
Le projet principal n’abrogeait que l’article 77
Messieurs, je me plais à rendre pleine justice aux bonnes intentions de M. l’ancien ministre des finances en cette occasion ; mais je suis persuadée que, en improvisant ces deux amendements, il n’y a pas suffisamment réfléchi, et n’a surtout pas pensé en ce moment aux conséquences funestes qui devaient en résulter immédiatement.
Et en effet, messieurs, depuis la mise en vigueur de cette loi provisoire du 4 mars 1831 jusqu’à ce jour, il ne s’est plus fait par mer aucune exportation de genièvre indigène ni par le port d’Anvers ni par celui d’Ostende, et dans le moment où j’ai l’honneur de porter la parole devant la chambre, un navire belge à trois mâts, nommé l’Apollon, est occupé à prendre à bord une grande quantité de genièvre en destination pour la Havane qu’on a dû faire venir de la Hollande sur l’entrepôt libre d’Ostende, d’abord parce qu’aux termes de la loi provisoire du 4 mars 1831, qui paraissait devoir être incessamment remplacée par une loi toute nouvelle et définitive et qui ne l’est pas encore, on aurait, en exportant du genièvre fabriqué en Belgique, dû subir une perte de plus de 5 fl. sur chaque hectolitre de ce genièvre à 10 degrés, parce qu’on n’accorde la décharge de l’accise qu’à raison de deux tiers, tandis que sur celui de la Hollande on ne perd rien, attendu qu’on y jouit, à peu de chose près, de la décharge intégrale du montant du droit d’accise.
Une autre raison péremptoire et qui empêche toute exportation par mer du genièvre indigène, c’est que l’administration ayant décidé que l’article 4 de la loi transitoire du 4 mars 1831 aurait retiré la faculté de l’entreposage à nos distillateurs et marchands en gros, elle n’a plus permis depuis cette époque aucun transport de genièvre de l’intérieur sur les entrepôts d’Anvers et d’Ostende, et dès lors toute exportation par mer de ce genièvre est devenue impossible
Car vous n’ignorez pas, messieurs, que pour avoir l’occasion de vendre du genièvre pour l’exportation, il est nécessaire d’en avoir toujours des approvisionnements suffisants dans les ports de mer, pour pouvoir en fournir à la première demande des spéculateurs et navigateurs, et je dois vous faire observer, messieurs, que c’est dans cette vue qu’ont été établis les entrepôts libres d’Anvers et d’Ostende, et que les effets en seraient anéantis par un trait de plume, si l’on admettait que la loi provisoire du 4 mars 1831 aurait aboli la faveur d’interposer le genièvre, et ce que je ne crois pas ; car remarquez messieurs, que pour décider que la faveur de l’entrepôt serait abolie, l’administration des finances a invoqué l’article 4 de la loi provisoire du 4 mars 1831.
Mais que dit cet article 4 ? Il dit : « Les passavants et autres documents ne sont plus requis que pour le territoire de surveillance ; et par conséquent, poursuit-il, les articles 43 à 77 de la loi du 26 août 1822 sont abrogés. »
Et, parce que l’article 43 traite d’une chose accessoire au droit ou à la faveur de l’entreposage, qui n’a pas été établi en principe par cette loi, mais par la loi générale sur les douanes et accises de la même date du 26 août 1822, l’administration, en raisonnant par induction, a décidé que toute faculté d’entreposage était enlevée aux distillateurs.
Mais ce raisonnement, s’il était admis, conduirait évidemment à l’absurde.
La suppression des passavants pour la circulation des eaux-de-vie à l’intérieur est une faveur ; l’entrepôt est aussi une faveur, et je ne conçois pas le raisonnement de celui qui dirait : L’obligation de prendre un passavant pour la circulation du genièvre à l’intérieur est abolie ; et conséquemment la faveur de mettre le genièvre en entrepôt est aussi abolie. Voilà pourtant à quoi tout se réduit, et c’est une absurdité.
Au surplus, quoi qu’il en soit, et en admettant que la faveur de l’entrepôt aurait en effet été abolie par suite de l’article 4 de la loi provisoire du 4 mars 1831, je pense qu’aucun membre de la chambre ne mette en doute que l’on doit faciliter et favoriser l’exportation du genièvre provenant de nos distilleries qui influent si efficacement sur le bien-être de l’agriculture, et je crois vous avoir démontré que vous ne pouvez le faire qu’en rétablissant de suite la faveur de l’entreposage, et qu’en conséquence vous daignerez accueillir la proposition que j’ai eu l’honneur de vous soumettre, puisqu’elle ne tend qu’à cela, et que la disposition qu’elle embrasse, n’étant que transitoire, viendra à cesser aussitôt que la loi nouvelle, dont le rapport vient d’être distribué, pourra être portée.
Messieurs, la seule objection que l’on pourrait peut-être faire contre ma proposition, ce serait que la décharge du droit à l’exportation aurait dû être portée à un taux plus élevé ; mais j’ai pensé, messieurs, que la décharge de 6/7 comparée à celle des 2/3 seulement, fixée par la loi du 4 mars, est déjà une amélioration sensible et, comme le tout n’est que provisoire, il y sera définitivement pourvu par une loi nouvelle, et ce n’est que parce qu’il est apparent qu’elle ne pourra pas être discutée et votée avant que la chambre ne se sépare, que j’ai cru nécessaire de faire ma proposition, dont l’adoption est nécessaire, si la chambre veut que nos distilleries sortent de cet état de langueur dans lequel la mauvaise législation sur cette matière les a plongées.
M. le ministre des finances (M. Coghen). - Messieurs, la question qui nous occupe est une des plus difficiles et des plus controversées qui puisse être soumise à vos délibérations
La nécessité d’une loi sur les distilleries est reconnue de tous ; une loi faite par les distillateurs eux-mêmes a été présentée par moi à la chambre, et les délais que souffre la discussion de cette loi ne peuvent m’être imputés. Un contre-projet a été présenté ; je n’ai pas eu le temps de l’examiner, mais je devrai toujours m’opposer à l’adoption des projets qui, au lieu d’offrir une ressource pour le trésor, lui occasionneraient des dépenses. Dans mon idée il faudrait, dans l’intérêt de l’agriculture, pour lui donner la facilité d’élever des bestiaux, protéger les distilleries en les affranchissant de tout droit. L’impôt sur le genièvre est tellement minime aujourd’hui qu’il n’est pas d’une grande ressource pour le trésor et qu’il ne peut pas paralyser l’usage qu’on en fait.
Aujourd’hui par une loi transitoire on vous propose d’accorder une décharge de droit d’accises pour les eaux-de-vie indigènes exportées à l’étranger, à raison de 6/7 de la prise en charge par hectolitre. Il est reconnu qu’un baril de matière en macération produit 7 litron de liqueur à 10 degrés. Toutefois, il n’est pris en charge que pour cinq litrons : de là la nécessité de ne restituer que les 5/7 du droit à la sortie, parce que si on restituait la totalité du droit, on aurait payé une prime à l’exportation.
En Hollande, on permet l’exportation avec décharge du droit entier ; mais cette faveur n’est accordée que pour des charges légères. Si on abusait de ce droit en Hollande, il est certain qu’il en résulterait un désavantage pour nos distilleries. Mais si nous admettions la décharge des 6/7 du droit, il est certain aussi que nous affranchirions du droit des quantités de spiritueux qui resteraient cependant dans le pays, et le trésor serait lésé d’autant. La première partie du projet est donc inadmissible.
Quant à ce qui concerne l’établissement d’un entrepôt, je désire autant que personnes favoriser le commerce et l’exportation de nos produits ; aussi consentirai-je volontiers à une disposition semblable. Je proposerai donc un amendement qui permette l’exportation par les ports de libre exportation d’Anvers et d’Ostende. C’est déjà fort dangereux de permettre cette admission en entrepôt, parce que des quantités de spiritueux pourront y être admises sans payer le droit, ayant été soustraites à la vigilance des employés. Quoi qu’il en soit, voici mon amendement :
« Par dérogation à l’article 4 du décret du congrès national du 4 mars 1831, et en attendant qu’une nouvelle loi sur les distilleries ait été portée, les eaux-de-vie indigènes prises en crédit à termes, non jaugées, seront admises dans les entrepôts généraux de libre exportation à Anvers et Ostende, sous la charge fixée par l’article 3 dudit décret, afin d’être ultérieurement exportées. »
(Erratum inséré au Moniteur belge n°203, du 21 juillet 1832 :
Monsieur
il s’est glissé dans le rapport de la séance de la chambre du 17 juillet, que donne votre journal du jeudi 19 suivant, quelques inexactitudes relatives aux observations que j’ai faites sur le projet de loi proposé par M. Serruys, et que je vous prie de vouloir bien faire rectifier ainsi qu’il suit
Texte
« Dans mon idée, il faudrait dans l’intérêt de l’agriculture, pour lui donner la facilité d’élever des bestiaux, protéger les distilleries en les affranchissant de tout droit. L’impôt sur le genièvre est tellement minime aujourd’hui, qu’il n’est pas d’une grande ressource pour le trésor et qu’il ne peut pas paralyser l’usage qu’on en fait. »
Il faut lire :
« Un contre-projet a été présenté : je n’ai pas eu le temps de l’examiner ; mais je devrai toujours m’opposer à l’adoption des projets qui, au lieu d’offrir une ressource pour le trésor, lui occasionneraient des dépenses. Il faut, dans l’intérêt de l’agriculture, et pour donner la facilité d’élever des bestiaux, protéger les distilleries ; mais, dans mon idée, mieux vaudrait les affranchir de tout droit que de les soumettre à un régime improductif.
« L’impôt que l’on projette sur le genièvre est tellement minime, qu’il ne serait point une grande ressource pour le trésor. Celui plus élevé, qui existe aujourd’hui, ne paralyse nullement l’usage que l’on fait de cette boisson. »
Texte :
« En Hollande, on permet l’exportation avec décharge du droit entier ; mais cette faveur n’est accordée que pour les charges légères. Si on abusait de ce droit en Hollande, il est certain qu’il en résulterait un désavantage pour nos distilleries. Mais, etc. »
Il faut lire :
« En Hollande, on admet l’exportation avec décharge du droit entier, parce que l’impôt y est perçu également en totalité. La faveur de travailler à charges légères y est soumise à des conditions qui en empêchent les abus, et si de l’abus de ce droit, en Hollande, il résultait un désavantage pour nos distilleries, il est certain aussi que si nous admettions la décharge aux 6/7 du droit, nous affranchirions de l’impôt des quantités, etc. »
Texte
« Quant à ce qui concerne l’établissement de l’entrepôt, etc. »
« Je désire autant que personne favoriser le commerce et l’exportation de nos produits ; aussi consentirai-je volontiers à une disposition convenable à ce but. Je proposerai donc un amendement qui permette l’exportation par les entrepôts généraux de libre exportation à Anvers et Ostende. Il est fort dangereux de permettre cette admission dans d’autres entrepôts, parce que des quantités de spiritueux provenant d’un excès de production ou de fabrication soustraites à la vigilance des employés pourraient y obtenir décharge de l’impôt, sans avoir payé aucun droit. » (fin de l’erratum).
M. A. Rodenbach. - Messieurs, si l’arrêté du 17 octobre, rendu par le gouvernement provisoire, n’existait pas, M. le ministre aurait raison de s’opposer à la restitution de 6/7 du droit, puisque, en effet, ce serait forcer le trésor à rendre plus qu’il n’aurait reçu.
Mais la base de l’impôt est totalement changée depuis l’arrêté du gouvernement provisoire ; je défie M. le ministre de dire le contraire. Il ne s’agit plus ici de la loi hollandaise, il ne faut prendre que les nouvelles bases, posées par l’arrêté. Donc tout ce qu’a dit M. le ministre à cet égard tombe complètement à faux. Pour ce qui concerne un projet sur les distilleries, présenté précédemment à la chambre, je ferai observer que ce projet, fait d’abord par les distillateurs eux-mêmes, a subi d’importantes modifications de la part du ministre. D’ailleurs, tous les distillateurs de la Belgique n’avaient pas été convoqués ; on n’en avait convoqué qu’un par arrondissement : encore tous ne se sont-ils pas rendus à la convocation. Cependant il est certains arrondissements où il existe trois ou quatre procédés différents de distillation, et on n’a pu par conséquent connaître tous les procédés.
Quant à ce que M. le ministre a donné à entendre sur le projet de la commission, je crois que la discussion à laquelle il donnera lieu pourra le faire changer d’opinion ; je le crois d’autant mieux qu’il avait envoyé à la commission deux de ses agents qui s’entendent le mieux en matières fiscales, et qu’ils ont adhéré à quelques dispositions du projet. Il faut croire que M. le ministre ne les désavouera pas.
Maintenant que j’ai répondu sur ces divers points, j’arrive au projet transitoire de M. Serruys. L’honorable membre a prouvé avec une grande logique, une grande lucidité et avec une grande force de raisonnement, que la loi provisoire du 4 mars a détruit la faculté de l’entreposage ; il en résulte un tort immense pour les distillateurs et pour les armateurs belges qui ne peuvent plus faire des expéditions maritimes avec des cargaisons d’eau-de-vie.
C’est une chose facile à prouver ; mais comme les raisonnements valent moins que les exemples, je vais vous citer un fait qui est à ma connaissance. A Couckelaert, près d’Ostende, il y a un distillateur qui est armateur en même temps. Il a dans ses magasins des quantités considérables de genièvre : croyez-vous qu’il puisse les exporter. Non, il doit en faire venir de Hollande ; oui, de chez notre ennemi. Là on entend mieux le commerce d’exportation que chez nous, et on accorde la décharge intégrale du droit à la sortie.
Je crois donc devoir dire que la remise de 6/7 est d’autant plus nécessaire que M. le ministre lui-même a convenu qu’il fallait aux distilleries une protection spéciale. Ce n’est en effet qu’en les favorisant qu’on peut faire prospérer l’agriculture chez nous et l’éducation des bestiaux. Or, pour favoriser les distilleries, il n’est pas de meilleur moyen que de procurer des débouchés à leurs produits. Par ce moyen les distilleries continueront leur travail, les étables seront remplies de bestiaux, et nous en avons grand besoin en ce moment surtout : on sait que depuis que le choléra existe en Belgique, la consommation de la viande est beaucoup plus considérable, et le prix en est plus élevé. Déjà, à Bruxelles, la viande se vend de 27 à 30 cents la livre, et il nous faut au moins 100 bœufs par jour pour la nourriture de l’armée que nous avons sur pied. Par ces considérations je crois qu’il convient d’adopter le projet présenté par M. Serruys.
M. Desmet. - Messieurs, dans l’intérêt de mon pays, je dois fortement appuyer la proposition de M. Serruys, et je suis obligé de vous dire qu’il est constant que si M. le ministre des finances la repousse, il accorde toute sa protection aux distilleries hollandaises et au commerce de genièvre de cette nation, au grand détriment des distillateurs belges, qui seront forcés de stater leur distillation, comme déjà une grande partie l’a dû faire ; car il leur est impossible de lutter avec ceux de Hollande, qui importent le genièvre en Belgique à six cents meilleur marché qu’on ne peut le distiller dans ce pays.
Je vais avoir l’honneur, messieurs, de vous poser un calcul, que je défie M. le ministre de réfuter. D’après les droits existants, le compte du distillateur ou du négociant est chargé de 16 florins 63 cents par hectolitre d’eau-de-vie à 10 degrés des Pays-Bas. Si dans ce moment l’on voulait exporter ces mêmes eaux-de-vie, la décharge à obtenir serait par hectolitre de 11 florins 8 cents, y compris syndicat et timbre, d’après le décret du congrès du 4 mars 1831. Le compte de l’expéditeur resterait donc chargé de 5 florins 55 c., et en y ajoutant le droit de sortie, qui est, d’après la loi du 24 mars s 1826 (qui est encore maintenue), de 20 cents l’hectolitre, il s’élèverait à 5 florins 55 cents l’hectolitre, soit environ 6 cents au litre ; ce qui est plus que le bénéfice ordinaire que l’on peut faire sur cet article.
Je prierai donc l’honorable M. Coghen de nous indiquer un moyen, non seulement pour exporter nos genièvres en concurrence avec les Hollandais, mais pour pouvoir lutter avec eux dans le commerce de l’intérieur.
D’un autre côté, les Hollandais ont encore des avantages sur nous, soit par leur position géographique qui leur permet de se procurer les grains à plus bas prix (l’objet du fret seul leur présente un avantage de 350 à 400 florins le cent laste de seigle venant des ports de la Baltique), soit dans la manière dont le droit est établi, soit enfin par la préférence que pourraient avoir momentanément leurs genièvres, en raison qu’ils sont plus connus que les nôtres. Or donc, il serait impossible de faire aucune exportation sans éprouver une perte, loin d’y trouver avantage, à moins d’être déchargé de tout le droit.
Toutes les raisons que l’on pourrait alléguer pour vouloir prouver que les choses sont bien telles qu’elles existent, doivent tomber devant le fait qu’il n’a presque rien été exporté de nos produits depuis la mise à exécution du décret du congrès.
Je me flatte donc que la chambre daignera avoir égard au triste état dans lequel se trouvent nos distilleries, et qu’elle trouvera plus utile de soigner leur conservation et leur prospérité que de maintenir une mesure qui est tout à l’avantage de nos ennemis, les Hollandais ! Répondant à ce qu’a dit M. le ministre, que le nouveau projet de loi sur les distilleries, présenté par quelques députés, est vicieux et ne pourra jamais produire à l’Etat les 900.000 florins qui sont demandés au budget de recettes sur les accises des eaux-de-vie indigènes, je dois lui dire que le seul vice qu’on pourrait reprocher à ce projet, c’est qu’il rend la liberté aux distilleries et qu’il soulage l’Etat d’une quantité d’employés qui n’exercent que pour chagriner les distillateurs et les ruiner ; peut-être c’est là où M. le ministre trouve le vice dans ledit projet ?
Et pour ce qui concerne la crainte de M. le ministre que la taxe ne soit trop peu élevée pour pouvoir atteindre la somme demandée de 900,000 florins, je le prierai de voir attentivement ce projet et il se convaincra que le taux de l’impôt y est plus élevé que dans le dernier présenté par le ministre.
M. le ministre des finances (M. Coghen). - On a parlé des avantages qu’ont les distilleries hollandaises sur les nôtres ; il est vrai que le fret pour la Baltique peut occasionner une différence en leur faveur ; mais cette différence est insignifiante. L’honorable préopinant a oublié que le combustible est plus cher pour les Hollandais que dans ce pays-ci.
Je n’ai pas dit que je n’appuierais pas le projet admis par la commission ; j’ai dit que je ne donnerais pas mon adhésion à un projet qui serait une charge pour l’Etat : je n’ai pas examiné ce projet, je n’ai reçu que ce matin le rapport de la commission ; je l’examinerai et je dirai franchement ce que j’en pense. IL faut avoir des connaissances spéciales sur ces matières ; encore ceux qui ont ces connaissances ont-ils des avis différents. J’abandonnerai les détails de la discussion au député fonctionnaire qui a étudié cette branche importante de notre industrie.
M. Mary. - Nous sommes tous disposés à favoriser l’industrie ; cependant nous ne devons pas tolérer la fraude, et c’est ce qui résulterait de la proposition de M. Serruys.
Par la loi d’août le trésor devait recevoir 12 florins par hectolitre de spiritueux ; d’après la proposition l’hectolitre ne paiera plus que 8 florins, c’est un tiers de moins. Le gouvernement, d’après cette proposition, serait obligé de payer à l’exportateur des sommes qu’il n’aurait pas reçues ; c’est ce qui a été démontré : je ne crois pas que nous puissions protéger l’exportation d’une manière onéreuse pour l’Etat. Je pense que l’on doit protéger l’entreposage ; cette réclamation de la part de l’industrie est juste. Je vote pour la seconde partie de la proposition et le rejet de la première partie.
M. Serruys. - Le ministre et le préopinant ont parlé dans le même sens ; ils ont raisonné comme si l’ancienne législation existait encore, comme si la mise en charge était calculée sur la matière macérée. La loi du 4 mars a changé tout cela ; elle dit : « Ils seront pris en charge à raison de 12 florins par hectolitre. » Ainsi c’est sur les spiritueux fabriqués que la loi a stipulé. Quand j’exporte, quel droit a le gouvernement ? Aucun, il n’y a pas consommation.
On sait bien que le genièvre ne s’exporte que par les ports de mer, et je me suis expliqué clairement dans ma proposition.
M. le ministre des finances (M. Coghen). - Par le décret du congrès du 4 mars, on a reconnu que la production était au-dessus de 5 litres, et c’est ce que prouve l’article 5 de ce décret. La matière en macération en produit ordinairement 7 litres ; par suite de cette différence, le projet deviendrait onéreux au trésor ; on ne peut admettre que la partie relative aux entrepôts.
M. Duvivier. - Messieurs, le projet de loi qui est proposé par l’honorable M. Serruys a pour objet : 1° de faire augmenter le taux de décharge à l’exportation sur les genièvres ; 2° de les faire admettre dans les entrepôts.
Ces dispositions qui en apparence n’apportent que des modifications partielles à la législation existante, ont cependant, dans leur effet, une portée beaucoup plus étendue en ce qu’elle change réellement le système du régime actuel de l’impôt, tel qu’il est établi, par les dispositions maintenues de la loi du 26 août 1822, et celles décrétées en dernier lieu par l’arrêté du 17 octobre 1830 et par loi du 4 mars 1831, réglant le mode de crédit, celui d’exportation et notamment le taux de cette décharge
En effet la proposition d’augmenter ce taux convertirait la simple restitution du droit en une véritable prime d’exportation, puisque le trésor restituerait plus qu’il n’a reçu et que l’admission en entrepôt des genièvres pris sous crédit à terme changerait totalement la nature de ce crédit.
Aujourd’hui les distillateurs sont tous pris en charge sur le pied d’un taux de production de 5 litres de genièvre par hectolitre de matière, et ainsi se trouvent abrogées toutes les distinctions de charges fortes ou de charges légères adoptées par le régime hollandais, de même que toute surveillance sur le produit réel de la fabrication.
La charge légère devait donner 54 dés par kil. de farine pour 8, 9 ou 10 kil. employés suivant la saison, et ainsi un taux moyen de production au minimum de 4 litres et 3/4. Mais elle était astreinte à une foule de précaution et à une très grande surveillance pour empêcher un excès de produits ou tout au moins pour le constater avec amende. Cela n’existe plus aujourd’hui, et les distillateurs peuvent employer autant de farine qu’ils le veulent. L’arrêté d’octobre 1830 a fixé le taux à 5 litres pour tous les distillateurs sans distinction de procédé dans la manière de distiller, au lieu du taux ordinaire de 7 litres qu’établissait la loi de 1822.
Un hectolitre de genièvre paie 12 fl., mais ce droit n’est que nominal puisqu’avec la matière, soit, par exemple, 20 hectolitres, qui à 5 litres devrait seulement produire un hectolitre à 12 fl., le distillateur qui en retire réellement 7 litres obtient une production d’un hectolitre 40 litres sur laquelle ce droit à 12 fl. ne revient positivement qu’à 8 fl. 40 cents par hectolitre.
La proposition de l’honorable M. Serruys suppose une production de 6 litres au lieu de 7, qui est le taux généralement reconnu ; elle suppose donc qu’on ne mettrait dans un hectolitre de matière macérée que 11 à 12 kil. de farine, et, dans cette hypothèse, l’impôt à raison de 12 fl. l’hectolitre reviendrait aux distillateurs, sur la quantité qu’il tire, à 10 fl. 30 cents qu’on demande de restituer à l’exportation.
Mais l’administration n’a pas les moyens de vérifier un tel mode de distillation, puisque les arrêtés du précédent gouvernement prescrivant les conditions pour travailler à charge légère, sont abrogés par l’arrêté du 17 octobre 1830.
Ce système exceptionnel et conditionnel n’existe plus ; tous les distillateurs sont placés sur la même ligne, et bien certainement le plus grand nombre emploie 14, 15 et 16 livres ou kil. de farine par hectolitre de matière, qui, donnant un produit de 7 à 8 litres au lieu de 5, sur lesquels seulement ils paient les droits, il en résulterait qu’une augmentation dans le taux de décharge, telle qu’on la propose, leur ferait obtenir une restitution supérieure au droit dont le montant forme leurs charges.
D’après ce qui précède, il est évident, messieurs, que si l’on accordait une décharge de plus de 8 fl. par hectolitre de genièvre exporté, le trésor serait lésé puisqu’il restituerait plus qu’il n’a reçu. C’est sans doute cette considération qui a déterminé le congrès national à fixer à ladite somme de 8 fl. le taux de la décharge à l’exportation, et vous jugerez sans doute prudent, messieurs, de laisser subsister la législation sur ce point, qui ne pourrait être changée sans détruire, au préjudice du trésor, une proportion que la nature actuelle de l’impôt rend indispensable. Cette première partie du projet de l’honorable auteur de la proposition me semble donc devoir être écartée.
Passons à l’examen de la seconde, relative à la faveur de l’entreposage pour l’exportation des genièvres de fabrication indigène. Avant tout, je ferai observer, messieurs, que sous le régime actuel tout distillateur a la faculté d’exporter de ses propres magasins, en décharge de ses termes de crédit non échus ; d’ailleurs, l’exportation par terre n’est admise que par le seul bureau d’Henri-Chapelle, et, en dernier lieu, par quelques bureaux vers les frontières de la Hollande par lesquels il est peu probable que l’on exporte réellement de nos genièvres.
Accorder des entrepôts pour l’exportation par terre offrirait donc peu d’utilité, mais présenterait au contraire un grand danger pour les revenus de l’Etat en ce que l’on ne les emploierait, sous prétexte d’exportation, que pour prolonger des crédits prêts à échoir, ce qui suspendrait les recouvrements et tarirait les ressources du trésor ; il est même à craindre, messieurs, que ces sortes d’entreposages ne deviennent d’autant plus considérables, que le commerce, averti depuis quelque temps d’un rabais plus ou moins prochain de l’impôt, se servirait de cette voie pour éluder le droit actuel auquel est soumise la fabrication du genièvre, pour le livrer plus tard à la consommation lorsque le droit aura été réduit.
Quant à l’exportation par mer, rien ne s’oppose à ce que l’administration procure des facilités au commerce, pourvu que des mesures soient prises pour empêcher que l’on n’en abuse ; sous ce rapport, il conviendrait peut-être de borner la faculté d’entreposage à destination de l’étranger aux deux entrepôts de libre exportation d’Ostende et d’Anvers, où le dépôt des genièvres les ferait considérer comme exportés.
(Moniteur belge n°202, du 20 juillet 1832) D’après ces observations, je pense que la chambre doit écarter le point de la proposition qui tend à augmenter le taux de décharge pour exportation, et se borner à examiner s’il y a lieu d’accueillir le second point, en autorisant, l’admission des genièvres indigènes dans les deux entrepôts de libre exportation.
Je profiterai de ce que la parole m’est accordée pour répondre à l’honorable M. Rodenbach : je me suis fait un devoir de me rendre l’invitation de la commission, et j’ai assisté à plusieurs de ses séances. J’ai fait les communications qu’on me demandait ; mais je n’ai point pris part à la délibération.
Le mécanisme de la loi que présente la commission me paraît bon et n’avoir que peu de chose à rectifier, mais je n’ai approuvé que ce mécanisme. Le point litigieux dans la loi est le terme de la fermentation. Ce terme ne peut être fixé. Si on le détermine à quatre ou cinq jours de fermentation, les fabricants, en rapprochant le délai ne mettant que deux jours, paieraient moins. Nous avons émis notre opinion sur ce point et sur quelques autres ; mais ces messieurs, après avoir discuté et nous avoir entendus, ont délibéré entre eux.
Un point sur lequel nous nous sommes trouvés fort éloignés est celui de convertir toutes les citernes en espèces de magasins de crédit.
Je le répète, je crois qu’avec les articles réglementaires du projet de ces messieurs, on pourrait faire une excellente loi sur les distilleries ; mais nous n’en disons pas autant de la base de leur système.
M. Desmet. - Messieurs, je prends la parole pour relever une erreur de la part de M. le ministre Coghen ainsi que de M. l’administrateur Duvivier, qui vous ont dit que, pour bien travailler le grain, les distillateurs chargeaient par hectolitre de macération 15 à 16 livres de farine, et qu’ils tiraient un produit de 8 à 9 litres ; si ces honorables membres ont ce secret, je crois qu’ils feraient bien de le communiquer aux distillateurs. Car jusqu’à présent, ni en Hollande ni en Belgique, l’art de distiller n’a pas encore poussé si loin. Mais au contraire il est reconnu que, pour bien distiller le grain, on ne peut employer au plus que 8 à 9 kilogrammes de farine, par hectolitre, qui rendraient environ cinq litres d’eau-de-vie à 10 degrés. Si dans ce moment, que le droit est si exorbitant, on emploie 12 livres de farine, on le fait pour gagner sur le droit ; mais on travaille imparfaitement, on retire en proportion moins de genièvre et d’une qualité moindre, et le plus souvent il est d’une si mauvaise qualité qu’il ne peut être exporté par mer. Si M. le ministre veut se convaincre de la réalité de ce que je prends la liberté de lui avancer, qu’il veuille lire attentivement les dispositions et les considérants de l’arrêté de l’ex-roi du 19 juin 1827.
M. Serruys. - Le ministre est convenu qu’en Hollande on obtenait la décharge au taux que nous avons dit, parce que là on distille à charge légère. Tous les distillateurs qui travaillent pour l’exportation travaillent à charge légère ; quand on charge trop, on ait de mauvaise drogue. Je persiste dans la première et dans la seconde partie de ma proposition.
M. Verdussen. - Il y a évidemment dans la proposition deux points fort distincts ; ne les confondons pas. Il aurait été plus logique de les séparer.
La question a été réduite à son véritable but par MM. Duvivier et Mary : faut-il accorder une prime à l’exportation ? car la restitution de prétendus droits perçus n’est réellement que cela.
Ce n’est pas sur la matière fabriquée que porte l’impôt, mais sur la matière première : on dit qu’on porterait la marchandise à cinq hectolitres tandis qu’il y en a sept de produits ; les six septièmes s’élevant à 10 florins 25 cents, il y aurait réellement à donner 2 florins 25 cents sur chaque hectolitre d’exportation. C’est un calcul qu’on vous a déjà établi dans tous ses détails.
M. A. Rodenbach. - Je demanderai, non pas au ministre des finances, mais à M. le député armateur Coghen, si avec la législation actuelle on peut exporter des genièvres de la Belgique, et si, pour faire des exportations de genièvre, on n’est pas obligé d’en faire venir de Hollande ?
M. le ministre des finances (M. Coghen). - Je dirai que depuis la révolution je n’ai pas demandé de genièvre à la Hollande ; si j’en demandais à ce pays, ce serait pour des contrées où il est préféré et pour ne pas faire manquer une expédition.
M. A. Rodenbach. - Mais est-il possible d’exporter du genièvre de la Belgique ?
M. le ministre des finances (M. Coghen). - On peut en exporter, parce que des navires en charge en prennent pour le Brésil.
M. Duvivier. - Je ne combattrai pas le second point de la proposition tendant à ajouter la faculté de l’entrepôt pour l’exportation des genièvres indigènes ; mais je vois beaucoup d’inconvénients pour la majoration du droit d’exportation. Je crois qu’il faut laisser les choses comme elles sont, toutefois en accordant l’entrepôt jusqu’à la session prochaine. La loi du 4 mars, à laquelle un distillateur célèbre a coopéré, porte la restitution à 8 florins ; cette restitution est suffisante. Je pense que le second point, concernant l’entreposage, est digne de toute l’attention de la chambre.
M. A. Rodenbach. - Avant la révolution les distillateurs belges exportaient beaucoup de genièvre ; alors on avait déjà perfectionné les procédés de la distillation ; je ne pense pas que depuis la révolution le goût du genièvre soit changé ; la révolution a pu faire de l’effet sur quelques personnes, mais elle n’en a pas fait sur le genièvre. (On rit beaucoup).
Si on exporte moins, c’est que notre législation est mauvaise : des bâtiments américains sont arrivés à Anvers ; ils ont demandé des genièvres ; les distillateurs n’ont pu leur en procurer parce qu’ils n’avaient pas d’entrepôt, et parce que la restitution était trop faible pour qu’ils pussent en fournir à des prix convenables. Les Américains ont été obligés d’aller en Hollande ; le fait est exact ; M. Osy peut en fournir les preuves.
M. Liedts. - Sur 5 hectolitres de genièvre fabriqué, on dit qu’il y en a 4 qui échappent aux droits ; ce sont les auteurs mêmes de la proposition qui le disent. Il n’y en a donc qu’un seul de payé : puisque le trésor ne perçoit qu’un cinquième, il s’ensuivra que si pour l’exportation on rend ce cinquième, il ne restera rien au trésor. Il pourra même arriver que l’exportation sera onéreuse.
M. Serruys. - On fraude tout parce que la loi est mauvaise.
M. Liedts. - Il s’ensuit qu’il faut attendre que nous ayons une loi sur les distilleries pour régler les restitutions pour importations.
M. le ministre des finances (M. Coghen). - Les états des semestres échus ont prouvé que les distilleries ont produit un million de florins. Il est vrai qu’il faut en déduire les paiements par anticipation sur lesquels il y aura des restitutions à faire. On a dit hier qu’on recevait à peine 400 mille florins de ce droit ; j’ai dû dire la vérité pour rassurer la chambre sur l’état du trésor.
M. Mary. - Messieurs, j’ai lu ce matin dans une pétition que nous ont adressée des négociants de Liége, que les distillateurs ne payaient que 8 fl. de droit par hectolitre, tandis que le projet de M. Serruys tendait à leur faire restituer 10 fl. Les négociants de Liège vont plus loin, ils prétendent que le droit nominal de 12 fl. se réduit en réalité pour les distillateurs à moins de 6 fl. Je crois que cette observation suffit pour faire rejeter le projet de M. Serruys.
M. Rogier. - Messieurs, je regrette que M. Osy ne soit pas présent pour répondre à l’interpellation de M. Rodenbach, et qu’il ait quitté la salle avec la minorité qui hier fit manquer le vote de la loi ; mais je peux donner l’assurance à l’honorable membre que des navires sont partis d’Anvers pour l’Amérique, chargés de genièvre qui, j’ai tout lieu de le croire, n’était pas venu de la Hollande. J'ajoute que je tiens du propriétaire d’une des premières distilleries du pays, que jamais sa distillerie n’avait été plus florissante ; d’un autre côté, presque à chaque instant les députations des états ont à s’occuper de demandes pour établir de nouvelles distilleries. Voilà ce que je peux assurer à l’honorable membre.
M. Liedts. - Je ne peux partager l’opinion de l’honorable préopinant. On ne peut pas se le dissimuler, nos distilleries souffrent, et beaucoup, et puisqu’on cité des faits, j’en citerai un à mon tour. J'ai parlé au distillateur qui a fait la cargaison du navire dont on a parlé et qui est sur le point de partir pour le Brésil, et il m’a dit qu’il aurait eu plus de profit à faire venir le genièvre de la Hollande. (Aux voix ! aux voix !)
M. A. Rodenbach. - Je demande la parole.
M. Lebeau. - Il faudrait d’abord savoir s’il est permis de parler 10 fois : c’est contraire au règlement.
M. A. Rodenbach. - M. le ministre des finances nous a dit que le produit de l’impôt sur les distilleries avait produit 1 million dans le dernier semestre : je le crois sans peine ; mais si la loi était exécutée, cet impôt devrait rapporter 4 millions au lieu d’un ; donc il y a trois millions qui rentrent dans la poche des fraudeurs. Si encore les consommateurs en profitaient : mais non, ce sont les fraudeurs seuls qui en profitent. Au reste, si M. le ministre des finances ne veut pas adopter les restitution des 6/7 comme le propose M. Serruys, je proposerai de la fixer à 5/7 ; peut-être M. le ministre adhérera-t-il à cet amendement.
M. le ministre des finances (M. Coghen). - Je suis d’accord avec le préopinant sur ce qu’il propose, car c’est précisément ce qui existe aujourd’hui. (On rit.) (C’est juste ! c’est juste !)
M. Duvivier. - Je crois qu’il y a lieu de maintenir le décret du congrès et qu’il faut admettre les entrepôts ; c’est là le grand besoin du commerce et non la diminution du droit.
- La clôture est mise aux voix et adoptée.
Plusieurs membres demandent la division sur l’article proposé par M. Serruys.
M. Barthélemy. - Nous ne sommes plus en nombre.
M. le ministre des finances (M. Coghen). - Je désire vivement qu’on puisse voter aujourd’hui sur ce projet, car je serais fâché de priver le commerce de ce moyen d’exportation.
- On va chercher quelques représentants pour compléter le nombre de membres nécessaires pour voter.
M. Serruys. - Je renonce à la première partie de mon article et je me rallie pour la deuxième à la rédaction proposée par M. le ministre des finances.
- La chambre se trouvant en nombre, on procède à l’appel nominal. Le projet est adopte par 50 voix contre trois.
Ont voté pour : MM. Barthélemy, Taintenier, Boucqueau de Villeraie, Coghen, Cols, Coppieters, Corbisier, Dellafaille, de Nef, de Roo, de Sécus, Destouvelles, Desmet, de Terbecq, de Theux, Dewitte, Domis, Dubus, Dugniolle, Duvivier, Fallon, Goethals, Helias d’Huddeghem, Hye-Hoys, Jonet, Leclercq, Lefebvre, Liedts, Mary, Milcamps, Morel-Danheel, Olislagers Pirmez, Polfvliet, Poschet, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Serruys, Tiecken de Terhove. Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Van Innis, Van Meenen, Verdussen, H. Vilain XIIII, Vuylsteke, Watlet, Zoude.
Se sont abstenus : MM. Devaux, Lebeau et Dumortier.
M. Devaux. - Je me suis abstenu parce que je n’ai pas deux opinions sur le règlement, et je n’ai pu varier d’un moment à l’autre de manière à voter maintenant quand j’ai refusé de le faire tout à l’heure ; un amendement à mes yeux est toujours un amendement, et je ne crois pas qu’il nous fût plus permis de voter sur cette loi que sur l’autre.
M. Lebeau. - J’ai cru hier que, quant aux amendements adoptés, nous avions satisfait à l’article 45 du règlement, et que nous pouvions voter séance tenante ; aujourd’hui il n’en est pas ainsi ; le projet est tout nouveau, et il y a été fait un amendement par M. le ministre des finances et même par M. Serruys puisqu’il a retiré la première partie de son projet. C’est pour cela que je dois m’abstenir.
M. Dumortier. - Un changement à un article de loi, de quelque nom qu’on l’appelle, est toujours un amendement ; je ne croirai jamais qu’on puisse voter en dépit du règlement le jour même de l’adoption ; du reste, je n’ai pas assisté à la discussion, et si j’avais su qu’il y avait un amendement, je me serais retiré. (On rit.)
M. A. Rodenbach. - Je demande la parole pour faire une motion d’ordre.
Messieurs, je crois que nous sommes à la veille de nous séparer ; je demanderai à M. le ministre des finances si la commission qui devait travailler à un nouveau système d’impôt, a mis beaucoup d’activité dans l’exécution de ce travail. Si je dois en croire les bruits publics, cette commission des finances ne se serait pas réunie depuis plus de 7 grands mois. M. le ministre l’a-t-il invitée à se réunir ? A-t-elle refusé de se rendre à son invitation ? C’est ce que je ne sais pas. Je demande que M. le ministre l’invite à se réunir de nouveau, et que, dans l’intervalle d’ici à la prochaine session, on nous prépare un budget suivant un nouveau système, qui fasse disparaître de nos lois la fiscalité hollandaise.
M. le ministre des finances (M. Coghen). - Messieurs, une révision des impôts est nécessaire, je le reconnais ; on tâchera pour le budget de 1833 de porter aux lois fiscales tout l’adoucissement possible. Un changement complet de système est toujours un essai dangereux, et on sent que ce n’est pas dans les circonstances où nous nous trouvons qu’il serait prudent d’en courir les chances ; mais, je le répète, la commission des finances sera réunie, et on fera tout ce qu’il sera possible de faire pour améliorer le système actuel.
- La séance est levée à 3 heures et demie.
Noms des membres absents sans congé, à la séance de ce jour : MM. Angillis, Berger, Brabant, Dams, Dautrebande, Davignon, de Foere, Delehaye, d’Elhoungne, de Meer de Moorsel, W. et F. de Mérode, de Robaulx, Desmanet de Biesme, de Woelmont, Dumont, Fleussu, Gelders, Jaminé, Jullien, Mesdach, Pirson, Seron, Thienpont, Vergauwen, Verhagen, Ch. Vilain XIIII.