(Moniteur belge n°198, du 16 juillet 1832)
(Présidence de M. Destouvelles.)
La séance est ouverte à une heure.
M. Dellafaille fait l’appel nominal. Il donne ensuite lecture du procès-verbal qui est adopté.
M. Liedts présente l’analyse de quelques pétitions qui sont renvoyées à la commission.
M. Zoude. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
Messieurs, votre commission d’industrie est prête à vous faire un rapport sur les diverses pétitions qui lui ont été renvoyées. Le travail a été réparti entre les membres de la commission. M. le vicomte Vilain XIIII vous entretiendra des chapeaux de paille. (On rit.) M. Poschet vous parlera des tourteaux. (On rit de nouveau). Et moi, des squelettes de parapluie. (On rit plus fort.) J’aurai l’honneur de vous parler en terminant des douceurs de la vie champêtre. (Explosion générale d’hilarité.) Si vous voulez entendre le rapport, nous sommes prêts à le faire ; si vous ne voulez pas l’entendre, nous le ferons à la prochaine réunion.
M. Gendebien. - Et en attendant nous irons jouir des douceurs de la vie champêtre. (Hilarité prolongée.)
M. Legrelle. - Je désirerais que ces rapports fussent imprimés et mis à l’ordre du jour, après les objets qui y sont maintenant.
M. Osy. - Si c’est un simple rapport de la commission, il ne peut y avoir de discussion ; il n’y a pas lieu de le mettre à l’ordre du jour.
M. le président. - Les rapports seront imprimés et distribués.
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur le projet de loi des péages.
M. le président. - M. Pirmez a déposé un amendement ainsi conçu : « Jusqu’au 1er juillet 1833, le gouvernement est autorisé à concéder des péages temporaires en se conformant aux lois existantes.
« Sont exceptées de la présente disposition les concessions pour travaux de canalisation. »
Un autre amendement a été déposé par MM. Dumortier, Dellafaille et Verdussen ; en voici les termes : « Sans dérogation aux lois existantes, le gouvernement est autorisé jusqu’au 1er juillet 1833 à concéder des péages dont la durée n’excédera pas 50 ans.
« Sont exceptées de la présente disposition les concessions de travaux de canalisation des fleuves et rivières. »
La parole est à M. Pirmez pour développer son amendement.
M. Pirmez. - Messiers, les discussions des dernières séances nous ont prouvé qu’il était impossible que nous nous entendissions sur un bon système de concessions de péages. En effet, l’adoption d’un système nouveau, ou la fusion de plusieurs systèmes qui changeront entièrement la législation sur cette matière, offre des difficultés qu’il n’est donné à personne d’écarter dans un court espace de temps.
Une nouvelle législation sur les concessions de routes est un travail immense, que l’on ne saurait faire bien en quelques jours ni même en quelques mois.
Il demande non seulement l’attention la plus soutenue du législateur, mais celui-ci doit dans une matière aussi grave provoquer les observations de tous ceux qui pourraient en présenter ; il ne faudrait donc commencer la discussion qu’après avoir publié le projet.
Si vous faites attention au temps qu’a demandé la confection des lois qui touchent comme celle-ci à toutes les questions de propriété, aux discussions qu’elles ont soulevées, aux réclamations qu’elles ont fait naître, vous serez convaincus qu’on ne peut prendre de résolution précipitée sans courir les plus grands dangers, et qu’une année entière n’est pas un temps trop long pour un pareil travail.
Si vous désirez un exemple du danger des mesures précipitées, vous en trouverez un dans un amendement de M. le ministre lui-même, qui, voulant faire une concession à ses adversaires, établit un droit en faveur des inventeurs.
Cette mesure jetée dans la loi par forme de transaction, et comme sans conséquence, avait pourtant une immense portée.
Elle créait une propriété nouvelle, une propriété dont vous n’aviez jusqu’ici aucune idée.
Je suis partisan des principes développés par M. H. de Brouckere, et j’admets que l’on peut reconnaître des droits à l’inventeur d’un projet ; mais il était extrêmement dangereux d’établir ces droits sans les définir de la manière la plus précise. Chacun aurait pu se créer une propriété sans se donner la moindre peine.
Il est possible de faire vingt projets différents sur la même direction, et, d’après le texte de la loi, chaque idée émise dans ces projets aurait donné un droit à son auteur. Car on ne peut prétendre qu’en modifiant un projet de route dont vous avez fait une propriété, vous détruisez toute cette propriété, et, si vous ne détruisez pas toute cette propriété, il reste que chaque idée émise dans le projet constitue une propriété en faveur de son auteur.
On sent quelle confusion ce serait que de donner ainsi des droits à chaque idée.
Il n’y aurait bientôt plus un pied de terre en Belgique qui ne serait grevé en faveur de ceux qui auraient fait des projets.
Je le répète, on peut donner des droits aux inventeurs, mais ils doivent être définis avec la plus minutieuse exactitude.
Les droits des inventeurs ne sont qu’une bien faible partie des choses dont la loi nouvelle aura à s’occuper ; je les ai cités comme un exemple des difficultés qu’elle présentera, et pour qu’on renonce à vouloir l’improviser.
Il y a sans doute de l’inconvénient à laisser au gouvernement le droit de concéder les péages, c’est un champ immense ouvert à l’intrigue et à la corruption ; mais le terme est court.
Cette discussion fera que le ministre se tiendra en garde, et, tout considéré, il vaut mieux encore pendant un an courir les chances des abus que de suspendre les travaux.
Les concessions de canaux sont exceptées de l’autorisation donnée au gouvernement. C’est non seulement parce que les travaux sont ordinairement plus considérables que ceux des routes, mais c’est parce qu’ils donnent des résultats entièrement différents.
Une route nouvelle est toujours un moyen plus facile de communication : si elle n’est pas utile, elle n’est, sous le rapport de la facilité de communication, jamais nuisible. Mais un canal est souvent un grand obstacle aux communications. S’il unit plus intimement les points du pays qu’il traverse, il divise, il sépare d’autres contrées et interrompt brusquement leurs relations.
Un canal froisse donc toujours une multitude d’intérêts, puisqu’il divise plus qu’il n’unit ; et c’est une mesure si grave que celle qui détruit ou change les relations d’une contrée entière, que vous jugerez qu’il faut une loi pour la prendre.
M. le président. - La parole est à M. Dumortier pour développer son amendement.
M. Dumortier. - Messieurs, à peu de chose près, l’amendement que nous avons l’honneur de proposer est le même que celui de M. Pirmez ; nous l’avons seulement rattaché aux idées que nous avions précédemment émises.
L’honorable membre dit dans son amendement que le gouvernement pourra concéder des péages temporaires ; par là le terme serait illimité, nous le réduisons à 50 ans.
Messieurs, je me suis réuni à MM. Dellafaille et Verdussen pour vous proposer cet amendement, parce qu’il est temps de voir finir cette discussion déjà trop longue.
Cependant il n’est pas tout à fait conforme à mon idée. Je n’aurais pas voulu, par exemple, que le gouvernement pût concéder des routes de première classe ; et je crois, par exemple, que la concession de la route en fer d’Anvers à Cologne est du ressort de la législature. Mais, comme nous disons dans l’amendement qu’il ne pourra pas être fait de concession pour un terme plus long que le terme de 50 ans, et comme il est impossible que la concession d’un pareil chemin soit faite pour un temps si court, qui ne suffirait certainement pas pour couvrir les frais de l’entreprise, je me suis rallié à l’opinion de mes deux honorables collègues, parce que mon but se trouve atteint.
Cependant, depuis que nous avons rédigé notre amendement, j’ai fait une observation que je viens de soumettre à M. Dellafaille, et que je n’ai pas eu le temps de faire à M. Verdussen ; mais je pense qu’il l’approuvera ; cette observation tend à faire une addition à l’amendement, afin que le gouvernement ne puisse pas accorder d’autre privilège aux concessionnaires que celui du péage, parce que si vous accordiez un autre privilège que celui-là, vous empêcheriez de nouvelles routes de s’ouvrir, de nouvelles canalisations de s’effectuer.
C’est ainsi que le canal de Lille à Roubaix, qui devait être si profitable à la province du Hainaut, ne peut pas exister parce que le gouvernement français a le droit d’accorder à ses concessionnaires d’autres privilèges que celui du péage, et c’est ce qu’il a fait pour le canal de la Censée, aux concessionnaires duquel il a accordé un privilège de 90 ans. C’est là un vice bien réel, et qu’il est bien utile d’empêcher chez nous ; car, je le répète en donnant au gouvernement la faculté d’accorder aux concessionnaires d’autres privilèges que celui du péage, vous empêcheriez les travaux que l’on pourrait juger nécessaire d’exécuter par la suite.
Toute la différence entre l’amendement de M. Pirmez et le nôtre consiste en ce que, en interdisant au gouvernement le droit de faire d’autres concessions que des concessions temporaires, l’honorable membre ne limite pas la durée de la concession, tandis que nous fixons, nous, le terme de 50 ans. Il est essentiel de limiter la durée de la concession, parce qu’en se bornant à dire péage temporaire on donne une trop grande latitude au gouvernement ; car une concession de 500 ans, par exemple, serait encore une concession temporaire.
Quant au mot canalisation qui se trouve dans l’amendement de M. Pirmez, dans un sens général, nous n’avons pas cru devoir l’adopter ainsi, et nous ne faisons d’exception que pour la canalisation des fleuves et rivières. Quelques membres auraient voulu que notre exception ne portât que sur les rivières navigables, et qu’il fût par conséquent permis au gouvernement de canaliser les rivières non navigables ; nous n’avons pas voulu d’une semblable disposition, parce que les rivières non navigables alimentent ordinairement un grand nombre d’usines, et il serait dangereux de donner au gouvernement le pouvoir d’en ruiner les propriétaires par une canalisation. Ainsi, messieurs, entre l’amendement de M. Pirmez et le nôtre, la différence est peu de chose, et j’ai accepté ce dernier pour que la discussion qui dure depuis quatre jours se terminât enfin.
M. Barthélemy. - Messieurs, j’appuie davantage le dernier des deux amendements que le premier : bien qu’ils paraissent rédigés dans le même esprit, il y a dans celui de M. Pirmez une différence que l’honorable membre lui-même a expliquée d’une manière telle que je n’avais pu d’abord concevoir la portée de cet amendement. C’est d’une manière absolue qu’il veut interdire toute concession de canalisation, en sorte qu’il serait impossible désormais d’ouvrir de nouveaux canaux, ou de faire des embranchements de canal d’un point à un autre. Je ne veux pas d’une semblable disposition, qui lèserait une foule d’intérêts.
Par cette disposition, les propriétaires des carrières de pierre de Feluy et d’Ecaussine se verraient dans l’impossibilité d’obtenir un canal qu’ils réclament à grands cris depuis longtemps. Les houillères situées au-dessus de Seneffe ne pourraient jamais profiter du canal de Charleroy, n’ayant point d’embranchement pour y arriver, et cependant ils en ont grand besoin sous peine de se ruiner. Je sais bien, d’un autre côté, que cela conviendrait fort aux propriétaires de charbonnages de Charleroy ; mais si la concurrence doit être nuisible à ces derniers, elle sera avantageuse à tous les autres, et il faut pouvoir l’établir. Or, en ce moment elle est impossible. Les uns et les autres pour venir à Bruxelles ont à parcourir un espace de 10 lieues. Or, les charbons de Marimont se paient dans le commerce un florin de plus (signes négatifs), ils se paient un florin de plus ; c’est ce que je les paie, moi, quand j’en achète (nouvelles dénégations) ; discutez ça si vous voulez, mais c’est un fait (on rit).
D’ailleurs, quand la différence n’existerait pas, un canal est une chose d’utilité publique, qui n’est pas faite seulement pour les producteurs, mais pour les consommateurs ; et tous ceux qui ont besoin d’acheter du charbon sont intéressés à la construction du canal, car ils sont intéressés à la concurrence, pour acheter à meilleur marché ; c’est ce que voudraient empêcher certaines parties intéressées, et dans ce moment on s’agite pour empêcher l’adoption de la loi ; c’est dans ce but que quelques individus sont allés trouverM. d'Elhoungne et surprendre sa bonne foi, en lui forgeant une histoire qu’il nous a débitée hier. (Hilarité.)
M. d’Elhoungne. - Je demande la parole.
M. Barthélemy. - Tous les propriétaires de charbonnages de Charleroy se sont réunis pour tâcher de conserver le monopole des charbons à transporter à Bruxelles ; c’est dans ce but qu’ils ont imaginé l’histoire que M. d'Elhoungne vous a contée hier. (Nouvelle hilarité.) Or, voilà à quoi l’on est exposé quand on ne connaît pas les localités et les divers intérêts qui font mouvoir les individus. Cependant, messieurs, les houilleurs de Charleroy ne pouvaient se flatter de tromper personne, ni que le canton de Marimont ne réclamât pas contre un état de choses qui le grève. Vous savez que déjà des travaux ont été faits dans l’espoir que l’embranchement de canal pour aller joindre celui de Charleroy sera exécuté ; c’est dans ce but qu’a été construit le canal souterrain de Seneffe, et aujourd’hui qu’il est fait, on voudrait empêcher tous les individus qui y ont intérêt d’en profiter.
(Moniteur belge n°199, du 17 juillet 1832) L’honorable M. Pirmez m’avait paru comprendre par son amendement que les concessions de canalisation des rivières seraient seules interdites ; mais par ses explications j’ai vu qu’il voudrait même empêcher la construction d’un canal latéral, d’un embranchement de canal. C’est, messieurs, tout ce que vous pourriez faire de plus mauvais.
Mais l’amendement de M. Dumortier est bon, en restreignant l’exception aux fleuves et aux rivières ; cette restriction ne lèse personne, car il n’y a guère en Belgique que l’Escaut et la Meuse à canaliser ; pour canaliser la Meuse, il faudrait être un Rothschild et consacrer trente ans à faire les travaux. Quant à l’Escaut, la canalisation serait moins difficile et très désirable ; il y a des bateliers sur ce fleuve qui se querellent sans cesse, qui se battent, qui se tuent (on rit) pour s’enlever mutuellement le travail qui se présente, et le fret y est fort cher ; la canalisation ferait disparaître ces embarras.
Mais, dit-on, il y a opposition de la part des propriétaires des prairies qui bordent le fleuve. Eh bien on examinera si cette opposition est fondée. D’ailleurs la chose n’est pas si pressée qu’on doive la faire hic et nunc, et pour ma part ce n’est pas ce que je demande.
En me résumant, je déclare que je préfère l’amendement de M. Dumortier à celui de M. Pirmez, et la seule pensée qui m’occupe dans cette discussion, c’est de ne pas faire une loi qui puisse être préjudiciable à l’industrie et au commerce, et de laisser aux amateurs le temps de faire un nouveau projet meilleur, si c’est possible, et ce que je désire fort pour ma part, que les lois existantes et qui nous régissent, avec lesquelles il me semble que nous n’avons pas marché si mal.
M. Leclercq. - Messieurs, l’amendement de l’honorable M. Pirmez veut qu’en se conformant aux lois existantes, le gouvernement puisse faire des concessions de péages temporaires jusqu’au 1er juillet 1833. C’est-à-dire, que l’on vous propose de vous en tenir aux lois existantes jusqu’au 1er juillet 1833. Or, cet amendement ne peut être admis pour trois raisons, dont une seule suffirait pour le faire rejeter.
La première raison, c’est qu’il n’y a pas de législation existante sur la matière ; la seconde, c’est qu’il faudrait qu’il y en eût une ; la troisième, c’est que le danger qu’on a signalé, si on adoptait avec précipitation une loi définitive sur la manière, n’existe réellement pas.
Il n’y a pas de législation existante : en effet, il n’existe que deux lois, celle du 16 septembre 1807 et celle du 8 mars 1810. La première, relative aux desséchements des marais, statue que, dans le cas où des marais répandraient des miasmes pestilentiels, ou occasionneraient dans leur voisinage des maladies contagieuses, le gouvernement pourra les faire dessécher, soit par lui-même, soit par des entrepreneurs, soit par les propriétaires des marais eux-mêmes.
La même loi règle les indemnités dues aux propriétaires après le desséchement. Outre ces dispositions, il y en a quelques-unes qui portent que les départements ou les communes qui retireront quelques avantages des travaux exécutés, devront contribuer à la dépense. Une autre disposition porte que les propriétaires voisins, qui en retireraient quelque avantage, devront aussi concourir à la dépense, en supportant une réduction sur l’indemnité qui leur serait due. Voilà l’analyse exacte de la loi de 1807. Vous voyez qu’elle ne s’occupe en aucune manière des concessions, et qu’elle n’a trait qu’au dessèchement des marais.
La loi du 8 mars 1810 n’y est pas plus relative. Elle règle uniquement les formalités à suivre dans les expropriations qui ont pour but des travaux d’utilité publique. Elle veut que les parties intéressées soient d’abord entendues, qu’elles puissent faire leurs observations et même s’opposer à l’exécution des travaux. Elle prescrit les formalités pour la mise en possession des biens expropriés, mais elle ne contient rien de relatif aux concessions.
Il n’existe donc aucune règle pour faire les concessions dont nous nous occupons en ce moment. Cependant il faudrait une loi qui réglât cette matière. Cette loi devrait définir l’intérêt que peut avoir l’Etat à l’exécution des travaux pour la construction des routes et des canaux. Cette loi devrait encore avoir pour objet de mettre à l’abri de toute atteinte les propriétés voisines des routes ou canaux à construire. Elle devrait régler enfin les pénalités à prononcer contre les citoyens qui se refuseraient au paiement de la taxe.
Vous voyez, messieurs, que rien n’existe de ces dispositions dans l’amendement que vous propose M. Pirmez ; donc cet amendement ne peut être accueilli, à moins que vous ne reconnaissiez au gouvernement je ne sais quel pouvoir administratif dont on a parlé et que pour ma part je ne lui reconnais pas.
Car pour moi il n’y a que trois pouvoirs dans l’Etat : le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. Comme pouvoir exécutif, le Roi n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui concède la constitution. Il a le pouvoir d’action que la constitution lui accorde et en vertu duquel il peut porter tous les règlements nécessaires pour assurer l’exécution des lois que nous faisons. Il s’ensuit qu’à moins qu’on ne nous montre dans la constitution une disposition qui lui donne le droit de faire des concessions avec péages, et en instituant des pénalités contre les individus qui voudraient se soustraire au paiement, je ne lui reconnaîtrai jamais ce pouvoir. Or cette disposition n’existe pas. Il faut donc avant tout que le pouvoir législatif porte une loi traçant les diverses règles que j’ai énumérées. Cette loi, M. le ministre de l’intérieur vous l’a présentée.
L’honorable M. Pirmez a dit qu’il y aurait danger d’adopter une telle loi faite avec la précipitation à laquelle les circonstances où nous nous trouvons semblent nous condamner : je le crois comme lui ; mais de quoi s’agit-il en ce moment ? L’assemblée est divisée en deux opinions. Les uns pensent et soutiennent qu’il serait dangereux d’accorder au pouvoir exécutif le droit de faire des concessions de péages ; ceux-là refuseront toute disposition de loi qui investirait le pouvoir exécutif de faire des concessions. On aurait beau limiter le droit à des concessions temporaires, ils le refusent d’une manière absolue ; pour ceux-là il n’est pas de loi possible.
L’autre partie de l’assemblée qui croit que le pouvoir exécutif a le droit de faire des concessions ne propose pas de faire une loi définitive, elle ne propose pas même une loi nouvelle, elle vous propose de suppléer aux lois qui n’existent pas par des dispositions qui, prescrivant des enquêtes, permettront d’adjuger des concessions avec publicité et concurrence ; il me semble que ce sont là des garanties qui tendent à limiter le pouvoir du gouvernement.
Sans cela, et avec l’amendement de M. Pirmez, nous contentant de dire que le gouvernement pourra faire des concessions, nous lui donnons un pouvoir sans limites, sans frein, sans règle, et en vertu duquel il pourra se livrer à tous les actes arbitraires qu’il voudra. Il n’y a donc pas possibilité d’adopter l’amendement de M. Pirmez, qui s’en réfère d’ailleurs aux lois existantes, et j’ai démontré qu’il n’en existait pas.
M. Barthélemy. - L’honorable membre qui vient d’analyser les deux lois de 1807 et de 1810 n’avait sans doute pas lu les articles 48 et 49 de la première de ces lois. Voici comment s’expriment ces articles :
« Art. 48. Lorsque, pour exécuter un desséchement, l’ouverture d’une nouvelle navigation, un pont, il sera question de supprimer des moulins et autres usines, de les déplacer, modifier, ou de réduire l’élévation de leurs eaux, la nécessité en sera constatée par les ingénieurs des ponts et chaussées. Le prix de l’estimation sera payé avant qu’ils puissent faire cesser le travail des moulins et usines. »
« Art. 49. Les terrains nécessaires pour l’ouverture des canaux et rigoles de desséchement, des canaux de navigation, de routes, de rues, la formation de places et autres travaux reconnus d’une utilité générale, seront payés à leurs propriétaires, à dire d’experts, et d’après leur valeur, avant l’entreprise des travaux et sans augmentation du prix d’estimation. »
Vous voyez, messieurs, qu’il s’agit là d’autre chose que de desséchement de marais ; et cette loi de 1807 a été suivie jusqu’à celle de 1810 qui s’en est expliquée encore plus clairement.
M. Leclercq. - Par la lecture que vient de vous faire l’honorable membre, vous avez pu juger qu’il n’est question là que de dessèchement de marais, et ici il ne s’agit pas de marais.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, je partage l’opinion que vient d’émettre l’honorable M. Leclercq ; J’ajouterai quelques mots pour tâcher de sortir du dédale où nous sommes plongés depuis trois jours, grâce à un projet de loi composé de trois articles consistant en six lignes.
Tout le monde est d’accord que les concessions sont un système excellent pour ouvrir au commerce et à l’industrie une source extraordinaire de prospérité. Mais ce système peut porter atteinte à d’autres intérêts qu’il faut concilier avec l’intérêt public, car les particuliers sont dignes de tout notre respect et forment à mes yeux des droits sacrés qui ne doivent céder qu’à un intérêt public bien constaté ; ce n’est donc que dans l’intérêt public qu’il peut être question de priver les particuliers de leur propriété.
Pour distinguer les droits privés de l’intérêt public, il n’y a rien de mieux qu’une enquête, et rien ne peut faire mieux ressortir l’égoïsme des parties intéressées qu’une discussion publique. Aussi le projet du ministre et les amendements ne me conviennent nullement ; car les amendements permettant au ministère de faire des concessions jusqu’en 1833 lui donnent jusqu’à cette époque le pouvoir de disposer selon son bon plaisir, sans règle et sans mesure, des propriétés des citoyens. Mais, dit-on, la loi n’aura qu’une courte durée, Oui, mais les inconvénients peuvent s’en faire ressentir pendant plusieurs générations.
On vous a dit que des intérêts privés étaient venus me circonvenir et m’avaient présenté des monstres et des chimères, pour me rendre leur organe dans cette enceinte, au préjudice de l’intérêt public. Messieurs, j’ai fait connaître les plaintes qu’avait fait naître le projet, et je ne les ai pas jugées. Je ne sais si en effet la loi porterait atteinte à ces intérêts ; je n’ai entendu qu’une partie, je ne peux pas me porter juge de ces plaintes.
Mais je peux protester, et l’expérience est là pour le prouver, que si vous donnez au gouvernement le pouvoir qu’il vous demande, ces plaintes seront bientôt des réalités, de l’histoire ; et sur qui en tombera la responsabilité ? Sur le ministre ? Non. Messieurs, ce sera sur les chambres qui lui auront concédé ce pouvoir.
D’ailleurs, messieurs, à cette question il s’en rattache une autre qui est du plus grand poids. Dans l’exécution des travaux publics à concéder à des particuliers, il se peut agir de concéder des routes, des ponts, des travaux d’art, des écluses. Laisserez-vous au gouvernement le droit d’aliéner ces propriétés publiques ? Avez-vous oublié les abus auxquels une telle faculté a donné lieu sous l’ancien gouvernement ? Vous n’ignorez pas, messieurs, que les états-généraux ont eu l’impudeur de céder pour une somme de 10 millions de florins, au chef de l’Etat, une propriété que celui-ci revendit à la banque pour 20. Celle-ci en a déjà aliéné pour 43 millions, et il en reste encore à vendre pour plusieurs millions. Voilà à quels actes expose cette facilité législative où l’on veut vous entraîner.
J’ai été envoyé ici par mes commettants comme une sentinelle vigilante pour empêcher le renouvellement de semblables abus, pour m’opposer à toutes les lois qui pourraient y donner lieu et pour préserver le gouvernement lui-même des obsessions et des intrigues dont il serait l’objet. Je ne lui donnerai pas le pouvoir discrétionnaire qu’il demande, parce que les hommes passent et que les mauvaises lois restent.
M. Taintenier. - Messieurs, j’appuie les deux amendements qui vous sont proposés, sans cependant approuver ni l’un ni l’autre.
D’abord, l’amendement de M. Pirmez, en ne parlant que de péages temporaires, ne spécifie pas la limite où devra s’arrêter le gouvernement ; je pense qu’il a voulu qu’elle n’allât pas au-delà de 90 ans, terme qui avait été proposé par la section centrale.
D’un autre côté cet amendement est contraire à l’intérêt public en ce qu’il interdirait la concession de péages pour la construction d’un nouveau canal on d’un embranchement de canal, et l’honorable M. Barthélemy a très bien fait ressortir les désavantages qui résulteraient d’une semblable prohibition. Il saute aux yeux que les canaux ne sont pas faits pour les producteurs, mais plutôt pour les consommateurs, et si les charbons doivent être vendus à meilleur marché par suite de la construction d’un canal qui en facilite le transport, il est avantageux à tous les consommateurs que ce canal soit construit. Sans doute il sera fâcheux pour ceux de Charleroy de se voir exposés à une concurrence ; mais leur intérêt doit céder à l’intérêt général ; je ne peux donc pas approuver l’amendement s’il ne se réduit pas à prohiber la canalisation des fleuves et des rivières.
Cependant, la question est subordonnée à une autre qui a été soulevée par M. Leclercq, et qui consiste à savoir si nous avons des lois qui régissent la matière. Pour moi la question n’est pas douteuse.
On a maintenant les lois que l’on avait anciennement, les lois qui régissent encore la France et que notre constitution n’a pas abrogées. Cette vérité n’a pas été désavouée par un honorable préopinant qui a parlé hier sur cette question, et qui a dissipé les ténèbres dans lesquelles la chambre avait été plongée pendant deux jours à propos du projet qui nous occupe.
D’abord, M. Van Meenen a démontré que le droit de péage n’était pas inconstitutionnel, avec cet ordre et cette logique pressante qui le distinguent. Mais on a soulevé une autre question : celle de savoir si nous laisserons au gouvernement le droit de juger l’utilité publique des travaux à concéder, ou s’il ne fallait pas pour cela un acte du pouvoir législatif : Cette question est grave, et ne saurait, je pense, être résolue en ce moment. C’est pour cela qu’une loi temporaire est nécessaire, et, en attendant, la gravité de la question doit exciter en nous un grand désir d’étude, pour nous instruire, soit par la réflexion, soit en consultant l’expérience des nations plus avancées que nous en cette matière, afin de faire une loi aussi parfaite que possible quand le temps sera venu.
Mais, en attendant, faut-il une loi temporaire ? Messieurs, la saison approche, où il faut assurer aux ouvriers un travail qui, donnant un bien présent au pays, en empêchant le désordre et la fainéantise chez le peuple, lui assure encore pour l’avenir le fruit de travaux utiles ; et puisque les éléments nous manquent pour résoudre en ce moment la question de savoir qui jugera l’utilité publique, assurons au moins l’intérêt de l’industrie et du commerce, en nous en rapportant aux lois existantes qui, comme je le disais tout à l’heure, régissent encore la France. Quel mal y a-t-il, messieurs, que pendant une année encore nous restions dans l’état où nous avons été jusqu’à ce jour ?
Je voudrais donc que les amendements fussent rédigés de manière que le terme de 90 ans fut adopté. Un temps plus court serait préjudiciable à cause de l’élévation du taux du péage qui en serait le résultat ; d’ailleurs, si un péage de 50 ans a été défectueux et a pu faire du mal, le mal ne sera pas beaucoup plus grand en le prolongeant jusqu’à 90 ans.
M. Leclercq. - L’honorable préopinant a cherché à répondre à ce que j’avais dit ; mais il n’a répondu qu’à une opinion que je n’ai point émise, qu’à des opinions qui me sont étrangères. Il a prétendu que j’avais soutenu que les lois sur les concessions avaient été abrogées par la constitution ; je n’ai point avancé une absurdité semblable ; j’ai prouvé qu’il n’existait pas de loi donnant à l’administration le droit de faire des concessions, et qu’il n’existait pas de loi traçant des règles à ce droit supposé. L’amendement de M. Pirmez étant fondé sur une législation n’a aucune base puisque la législation sur les concessions est imaginaire. J’ai prouvé l’absence de la législation sur la matière en analysant les lois de 1807 et de 1810.
L’honorable orateur demande comment il se fait que nous soyons sans législation : la chose est simple : l’empereur s’attribuait le pouvoir souverain, le pouvoir absolu ; il faisait sans cesse des actes de souveraineté et donnait des concessions quand il lui plaisait. A défaut du pouvoir absolu, le roi des Pays-Bas, lorsqu’il n’y avait pas de loi qui l’empêchât d’agir, croyait avoir tous les pouvoirs. Il a abusé de ce principe, et vous connaissez les malheureux effets de cet abus.
Cherchant à repousser l’amendement de M. Pirmez, j’ai dit que la loi proposée n’était pas une loi de garanties ; que les garanties consistaient aujourd’hui dans la concurrence, dans les enquêtes, dans le terme rapproché de la concession.
Quant à la constitutionnalité, je pense qu’elle est sans danger relativement aux dispositions provisoires qui vous sont faites.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, tous les amendements tendent à donner au gouvernement le droit d’accorder des péages ; il n’y a de discussion que sur la durée du péage et sur les objets sur lesquels les concessions pourront porter.
Quant à la durée, j’insisterai pour qu’elle soit fixée au terme de 90 ans, ainsi qu’il a été proposé par la section centrale et par plusieurs honorables membres dans divers amendements.
Le terme de 50 ans, proposé dans un des amendements présenté aujourd’hui, pourrait avoir le danger, l’effet d’engager la commission d’enquête à fixer une taxe plus élevée pour l’adjudication des travaux. Il me semble qu’il y a lieu de laisser toute latitude à l’administration : la garantie la plus entière se trouve dans l’enquête complète. Au moyen de cette enquête il est pour ainsi dire impossible qu’il y ait des abus. Ainsi j’insisterai fortement pour que le terme de 90 ans proposé par la section centrale soit adopté.
Sous ce rapport l’amendement de M. Pirmez peut être adopté sans difficulté, au moins dans sa première partie. Il vous a proposé en termes généraux des concessions à terme. Quelques orateurs avaient cru entendre qu’il s’agissait de concessions qui dépasseraient un siècle.
C’est une erreur, parce que l’on a toujours entendu par concession à terme 90 ans au plus. Dès qu’une concession passe ce terme, elle est rangée dans la catégorie des concessions à perpétuité.
Quant à la seconde partie de l’amendement de M. Pirmez, qui empêcherait la concession de canalisation, elle est trop restreinte. C’est dans la canalisation des fleuves et des rivières que les plus grandes difficultés peuvent se rencontrer. On craint que par les canalisations les communications ne soient coupées. Mais, dans ce cas, on a toujours soin de stipuler des ponts de manière que les communications restent assurées.
L’amendement de M. Pirmez a cet avantage qu’il tranche les questions qui se sont élevées relativement aux concessions faites par les communes et les provinces sur leurs territoires ; en effet, pour ces concessions on ne peut pas exiger la concurrence et la publicité dans le sens de ces mots, parce que ce serait priver les administrations du droit de concéder des établissements d’intérêt communal ou provincial. C’était pour obvier à cet inconvénient que j’avais présenté une disposition additionnelle au projet de la section centrale. Quant au but du projet que j’ai présenté, il a été de donner les garanties que l’on réclamait ; mais j’y tiens d’autant moins qu’elles deviennent inutiles dans le système d’administration adopté, système qui recevra son exécution publiquement.
Ainsi, en résumé, je crois que ce qui vaudrait mieux, ce serait d’adopter l’amendement de M. Pirmez, en portant le terme à 90 ans, et en ajoutant à la seconde partie l’exception de la canalisation restreinte aux fleuves et aux rivières ; par là, toutes les questions seraient résolues lors de la révision de la loi que l’on fixe à l’année prochaine ; on pourrait s’occuper de ces détails d’une manière plus ample.
M. Taintenier. - J’apprécie le sage patriotisme de M. Leclercq, ses lumières ; quoi qu’il en soit, j’avais cru à la loyauté de l’administration et à l’existence d’une loi sur les concessions. Je pense que les lois accessoires sont tout aussi explicites sur cet objet que sur beaucoup d’autres. M. Barthélemy a fait voir, en lisant deux ou trois articles de la loi de 1807, que le Roi avait le droit de juger de l’utilité de ces travaux et de les concéder. Si on nie que cette loi soit obligatoire, je crois qu’on pourrait nier l’exécution de toutes les lois : c’est là un système que je ne peux admettre.
M. Mary. - Alors que l’air de la liberté nous frappe au visage, il est un vœu, il est une pensée qui doit nous dominer, c’est de marcher avec la civilisation, c’est-à-dire de s’avancer de plus en plus vers la perfectibilité des institutions sociales ; mais comme celles-ci sont unies entre elles par des liens étroits qu’il est difficile de rompre partiellement, en brisant imprudemment un chaînon on détruit la communauté des rapports, on amène le désordre, et nous demeurons avec le regret de n’avoir pas su demeurer momentanément stationnaires.
Jusqu’à ce jour l’administration des ponts et chaussées seule a été chargée, chez nous, de tout ce qui était relatif aux travaux publics ; on s’est plaint depuis longtemps que dès lors la concurrence était anéantie, que les travaux étaient restreints dans des limites trop étroites, et ne satisfaisaient pas aux besoins des communications que réclame l’industrie ; on a soulevé l’opinion que je me plais à partager qu’il serait mieux peut-être d’adopter quelques-unes des mesures en vigueur aux Etats-Unis et en Angleterre. Cependant une pareille transition n’a paru devoir se faire qu’avec une sage réserve, par la crainte de désorganiser ce qui est passable, dans l’espoir trompeur d’une perfection idéale.
Dans les deux pays que nous venons de citer, il n’existe pas de corps du génie civil : ici, au contraire, nous en avons un qui jouit d’une juste réputation de talent et de capacité, qui en a fourni des preuves fréquentes dans quelques-uns des travaux qu’il a exécutés depuis 15 ans. Dans ces deux pays, les routes, les canaux, appartiennent à des associations ; ici, presque tous sont du domaine public et rapportent à l’Etat plus d’un million, ainsi près du trentième de notre revenu total. Entre Manchester et Liverpool, il existe trois canalisations, deux chaussées et un chemin de fer, en tout, six moyens de communication établissant une concurrence qui a dû amener une diminution notable sur les prix de transport ; mais il est à craindre que, dans des cas identiques, des routes, des canaux ne pouvant couvrir leurs frais d’entretien, seraient négligés et sans grande utilité ; cependant, en accordant l’expropriation de terrains nécessaires pour les créer, on a pu froisser des intérêts privés et enlever à l’agriculture des terrains qui ensuite deviendront vagues et sans rapport.
Tels sont quelques-uns des doutes nombreux qui ont surgi de notre discussion. On a senti d’abord qu’il fallait se borner à une loi de transition entre le système actuel qui abandonne toute puissance à l’administration des ponts et chaussées, et celui qui nous ferait participer aux bienfaits d’une liberté, d’une concurrence plus larges.
La plupart des amendements qui vous sont proposés tendront à faciliter, à rendre moins brusque ce passage. Il est seulement à regretter que plusieurs de leurs auteurs se soient plu à rappeler dans les amendements présentés en dernier lieu des principes qui se trouvaient déjà dans d’autres qui vous avaient été soumis le premier jour. Ainsi j’avais proposé de borner la durée de la loi au premier juillet 1833, et dans trois autres amendements on répète la même proposition ; ainsi je vous avais encore proposé de défendre au gouvernement de stipuler dans ses concessions des droits exclusifs de communication en faveur du concessionnaire, et M. Dumortier vient de vous reproduire la même clause. Pour éviter dès lors de devoir voter plusieurs fois sur le même objet, je crois qu’il faudrait se borner à poser les principes des propositions qui vous sont faites, sauf à en laisser la rédaction définitive au bureau.
M. Leclercq. - L’amendement de M. Pirmez, par les restrictions que le ministre veut lui faire subir, n’est pas une loi ; car il confère au pouvoir exécutif des pouvoirs absolus. Ce n’est pas faire une loi que de dire : Le gouvernement fera toutes choses sans aucune règle ; c’est sortir des bornes de la constitution. Ce ne sont pas des lois des règles qu’on vous demande ; c’est le pouvoir absolu.
M. le ministre de l’intérieur, qui d’abord s’était rapproché davantage du système constitutionnel, vient vous demander aujourd’hui un pouvoir sans limites. Prenez l’amendement de M. Pirmez, supprimez-en le peu de restrictions qu’il contient, et vous n’avez plus de règles. Messieurs, vous ne pouvez adopter un pareil amendement ; il est contraire à la constitution : quelque opinion qu’on se fasse sur la constitutionnalité des péages, un pareil amendement est inconstitutionnel. (Aux voix ! aux voix ! la clôture !)
M. H. de Brouckere. - Dites-moi sur quoi la clôture ?
M. le président. - Sur tous les amendements.
M. H. de Brouckere. - Cela n’est pas possible. Il y a une foule d’amendements ; de la manière dont sera résolue une première question dépendra la solution d’une seconde question.
M. Barthélemy. - Je demande la clôture sur les amendements de MM. Pirmez et Dumortier.
M. le président. - Voulez-vous recommencer la discussion d’hier ? Hier on s’est séparé parce qu’il y avait 5 amendements ; aujourd’hui il y en a 7.
M. Dumortier. - On n’a discuté que l’amendement de M. Pirmez. Le ministre a dit qu’il entrait dans le système de cet amendement ; mais il n’a rien dit sur l’amendement de MM. Verdussen et Dellafaille, auxquels je me suis réuni. Si M. le ministre de l’intérieur admettait le principe de notre amendement, nos développements seraient bientôt terminés.
- La chambre ferme la discussion sur l’amendement de M. Pirmez.
M. H. de Brouckere. - Nous ne pouvons pas voter sur l’amendement de M. Pirmez, si nous ne votons pas sur les amendements : sur le mot temporaire il y a un sous-amendement tendant à ce que la taxe ne puisse durer que 50 ans au lieu de 90 ans.
Après le mot de canalisation qui termine le second paragraphe, M. Dumortier a proposé d’ajouter : les fleuves et les rivières.
Si l’on ne veut pas renvoyer les amendements à une commission, comme on l’a proposé hier, il faut faire comme l’a proposé M. Mary, mettre les principes aux voix.
Ces principes sont : le gouvernement fera-t-il des concessions ? Quelle sera la durée de ces concessions ? Concédera-t-il des routes de première classe ? Concédera-t-il des fleuves et des rivières ? Si l’on fait autrement, on violera le règlement.
M. le président. - J’aime bien que l’on invoque le règlement, mais ce n’est pas assez, il faut le suivre... Déposez une proposition sur le bureau… Les sous-amendements seront mis aux voix les premiers, parce que le règlement l’ordonne ainsi.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - J’ai déposé sur l’amendement de M. Pirmez un sous-amendement pour la canalisation. (Vous rentrez dans la discussion ! vous rentrez dans la discussion !)
J’explique un fait, je ne rentre pas dans la discussion.
Relativement à l’amendement de M. Dumortier, j’ai déposé deux sous-amendements ; l’un pour la durée de la concession, l’autre concernant les villes et les provinces.
M. le président. - L’amendement de M. Pirmez va être mis aux voix.
M. Dubus. - Le sous-amendement de M. Pirmez doit être mis aux voix le premier.
- Une première épreuve par assis et levé a lieu ; elle ne donne aucun résultat. (L’appel nominal ! l’appel nominal !)
M. Dubus. - Je demande sur quoi nous votons : est-ce sur les sous-amendements ou sur les amendements ?
M. Legrelle. - Le mot temporaire employé par M. Pirmez exclu-t-il le sous-amendement de 50 ans ?
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Le terme de temporaire comporte le terme de 30 ans.
M. Dubus. - Eh bien, qu’on mette 90 ans.
M. le président. - Au lieu du mot temporaire, on peut mettre 90 ans.
M. Pirmez. - Dans mon opinion les nouvelles concessions peuvent entraver d’anciennes communications. On dit que l’on fera des ponts ; comme cela n’est pas bien assuré, j’ai exclu toute canalisation des concessions. Cependant si on ne veut pas de ma proposition, je préférerai quelque chose à rien du tout.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Il résulte de ceci qu’il faut mettre aux voix le sous-amendement le premier.
- Le sous-amendement d’après lequel la canalisation des fleuves et des rivières est seule exceptée des concessions que le gouvernement peut faire est mis aux voix et adopté.
M. Dumortier. - J’ai déjà fait observer que l’amendement que nous avions déposé, MM. Dellafaille, Verdussen et moi, ne différait pas de celui de M. Pirmez.
Indépendamment des dispositions communes, nous avons proposé deux clauses ; nous avons demandé que les concessions n’accordent aucun privilège, et que des concessions semblables ne soient pas prohibées dans un rayon déterminé. Ensuite nous avons demandé que des concessions aient lieu avec concurrence et publiicté.
M. Nothomb. - Proposez des articles additionnels à l’amendement de M. Pirmez.
M. le président. - Commençons par voter le principe avant les additions. On va procéder à l’appel nominal sur les amendements de M. Pirmez.
M. Dewitte et M. Helias d’Huddeghem. - Lisez les articles avec les sous-amendements.
Plusieurs membres. - Ils ont été tous discutés ; et la discussion est close.
- On vote par appel nominal.
44 membres votent l’adoption de l’amendement de M. Pirmez ; 18 le repoussent.
L’amendement est adopté avec le terme fixé à 90 ans, et la canalisation des fleuves et rivières exceptée.
Ont voté pour : MM. Barthélemy, Berger, Taintenier, Cols, Coppieters, Corbisier, Davignon, Dellafaille, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Roo, de Sécus, Destouvelles, de Terbecq, de Theux, Dewitte, Domis, Dubus, Dugniolle, Duvivier, Jonet, Lardinois, Lebeau, Lefebvre, Legrelle, Liedts, Mary, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Olislagers, Polfvliet, Poschet, Raymaeckers, Rogier, Thienpont, Vandenhove, Vanderbelen, Van Innis, Verdussen, Vuylsteke et Zoude.
Ont voté contre : MM. Brabant, Coppens, H. de Brouckere, de Haerne, d’Elhoungne, Desmet, Dumortier, Goethals, Helias d’Huddeghem, Hye-Hoys, Leclercq, Osy, Pirmez, A. Rodenbach, de Tiecken de Terhove, Van Meenen, Vergauwen et Watlet.
M. le président. - Voici deux autres amendements ou sous-amendements :
« Le gouvernement ne pourra stipuler en faveur des concessionnaires que d’autres communications ne pourront être établies dans un rayon déterminé.
« Aucune concession ne pourra avoir lieu qu’avec concurrence et publicité. »
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Tout ceci rentre dans les amendements que j’ai proposés. Je demande que l’on fasse une exception en faveur des travaux des communes et des provinces.
M. Goethals. - J’ai proposé un amendement, je voudrais le développer.
M. Dumortier. - Je demande que l’article relatif aux privilèges soit séparé.
Cet article est mis aux voix, et fera l’article 3 du projet.
M. le président. - « Aucune concession ne peut avoir lieu que par voie d’adjudication publique et qu’après enquête sur l’utilité des travaux, la hauteur du péage et sa durée.
C’est encore un amendement de M. Dumortier.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je me rallie à cet amendement pourvu qu’on y mette l’exception en faveur des provinces et des communes.
M. le président. - « Cette dernière disposition n’est pas applicable aux concessions faites par les communes et les provinces. » Telle est l’addition que propose le ministre de l’intérieur.
M. Pirmez. - Je voudrais qu’on mît la disposition de l’article premier nouveau aux voix ; la voici :
« Les péages sur une route vicinale ou sur un pont ne sont autorisés qu’ensuite d’une information dans les communes environnantes ; les péages sur une route provinciale ne sont autorisés qu’ensuite d’une affiche dans les communes qu’elle traverse. »
M. Brabant. - Je demanderai que ces dispositions soient l’article final de la loi, et que les communes et les provinces soient exemptées de toutes les dispositions de la loi ; car les communes et les provinces doivent être autorisées à créer une concession à perpétuité sur une simple autorisation royale.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je demanderai que les amendements fassent des articles séparés.
M. le président. - L’article 4 serait ainsi conçu :
« Aucune concession ne peut avoir lieu que par voie d’adjudication publique et qu’après enquête sur l’utilité des travaux, la hauteur du péage et sa durée. »
Cet article mis aux voix est adopté.
M. le président. - Voici ce qui ferait l’article 5 :
« Les péages pour l’exécution des travaux publics entrepris par les autorités communales et provinciales dans l’étendue de leurs territoires sont autorisés par le Roi. »
- Cet article 5 mis aux voix est adopté.
M. le président. - M. Pirmez demande que l’on adopte l’article premier nouveau ; il ferait l’article 6 du projet.
- Cet article est adopté.
M. le président. - On propose de faire l’article 7 avec l’article 3.
M. Nothomb. - Cet article est inutile en le rapprochant des précédents.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - C’est inutile.
- L’article 3 n’est pas mis aux voix.
M. Corbisier. - Je désirerais qu’on mît aux voix l’article 2 nouveau proposé par le ministre de l’intérieur. Cet article stipule en faveur des inventeurs d’un projet de construction. Je crois qu’il serait utile de l’adopter.
M. Mary. - J’appuie la proposition de M. Corbisier.
M. le président. - Voici cet article 2 (nouveau) :
« L’auteur d’un projet qui en aura soumissionné l’entreprise sur le cahier des charges résultant de l’enquête restera adjudicataire, si le rabais de l’adjudication publique n’atteint pas le 20ème du péage ou de la durée de la concession.
« Quand le rabais sera plus grand, l’auteur du projet sera évincé ; en ce cas, il sera indemnisé suivant les résultats de l’enquête ; l’indemnité sera fixée au cahier des charges. »
M. Goethals. - Cette disposition est si importante qu’il faut la développer. Elle a une portée immense. Il est impossible d’admettre une disposition semblable sans que l’assemblée soit éclairée par la discussion.
M. Barthélemy. - Qu’est-ce que l’auteur d’un projet ?
M. Goethals. - Il pourra y avoir 5 ou 6 auteurs d’un projet. A quel taux l’indemnité pourrait-elle s’élever ? Dans certains cas un centième, deux centièmes pourront suffire… Ici l’article en accorde 5 d’emblée. Comme la disposition n’est pas importante, je crois qu’il faut se borner à ce qui a été voté. La loi sera révisée avant le 1er juillet 1833, et il sera facile de reprendre cette disposition.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Il ne peut y avoir qu’un seul auteur d’un projet. Au surplus, quoique cet article soit favorablement accueilli par plusieurs membres, je ne vois pas de nécessité de l’introduire quant à présent dans la loi. La loi n’est que temporaire. Nous devons actuellement abréger les discussions.
- La proposition de M. Corbisier n’a pas de suite.
M. le président. - On va lire l’ensemble du projet.
M. Liedts fait cette lecture.
« Art. 1er. Les péages à concéder aux personnes ou sociétés qui se chargent de l’exécution des travaux publics, sont fixés pour toute la durée de la concession.
« Art. 2. Jusqu’au 1er juillet 1833, le gouvernement est autorisé à concéder des péages pour un terme qui n’excédera pas 90 ans, en se conformant aux lois existantes.
« Sont exceptées de la présente disposition les concessions pour travaux de canalisation des fleuves et des rivières.
« Art.3. Le gouvernement ne pourra stipuler en faveur des concessionnaires que d’autres communications ne pourront être établies dans un rayon déterminé.
« Art. 4. Aucune concession ne peut avoir lieu que par voie d’adjudication publique et qu’après enquête sur l’utilité des travaux, la hauteur du péage et sa durée.
« Art.5. Les péages pour l’exécution des travaux publics entrepris par les autorités communales et provinciales dans l’étendue de leurs territoires, sont autorisés par le Roi.
« Art. 6. Les péages sur une route vicinale ou sur un pont ne sont autorisés qu’ensuite d’une information dans les communes environnantes.
« Les péages sur une route provinciale ne sont autorisés qu’en suite d’une affiche dans les communes qu’elle traverse. »
Plusieurs membres. - L’impression et la distribution ! le second vote à lundi à lundi
- Le second vote aura lieu lundi.
M. Liedts. - Le sénat renvoie à la chambre des représentants le projet qu’il a adopté sur le traitement des membres de l’ordre judiciaire. Voici comment ce projet est conçu :
« Art. 1er. Le traitement des membres de la cour de cassation est fixé comme suit :
« Premier président, 14,000 francs.
« Président de chambre, 11,000
« Conseiller, 9,000
« Procureur-général, 14,000
« Avocat-général, 9,000
« Greffier, 6,000
« Commis-greffier, 3,000. »
« Art. 2. Le traitement du premier président et du procureur-général pour les trois cours d’appel est fixé à 9,000 fr. Il n’est rien innové au traitement dont tous les autres membres des cours d’appel de Bruxelles et de Liége jouissent actuellement.
« Le traitement des membres de la cour d’appel de Gand sera égal à celui des membres de la cour de Liége. »
« Art. 3. Il n’est également rien innové au traitement actuel des membres des tribunaux de première instance., des juges de paix, des greffiers des justices de paix, des greffiers de tribunaux de commerce et de simple police.
« Toutefois le traitement des procureurs du Roi près les tribunaux de première instance ne pourra excéder celui dont jouissent les présidents de ces mêmes tribunaux. »
« Art. 4. Le traitement ne sera payé aux fonctionnaires désignés dans la présente loi, qu’à partir du jour premier du mois qui suivra la prestation de leur serment. »
« Art. 5. Les pensions des membres actuels de l’ordre judiciaire, qui-seraient admis à faire valoir leurs droits à la retraite, seront liquidées d’après les dispositions de l’arrêté du 14 septembre 1814.
« Néanmoins l’article 17 de cet arrêté est abrogé. »
« Art. 6. La présente loi sera révisée avant le premier janvier 1834. »
M. le président. - Voulez-vous délibérer immédiatement sur ce projet, ou voulez-vous en renvoyer la discussion ? (A lundi ! à lundi ! L’impression et la distribution !)
M. Lebeau. - Il y a une raison péremptoire pour ne pas passer à la délibération immédiate de ce projet ; c’est qu’il n’est pas à l’ordre du jour. Aucun membre n’a su qu’on devait s’occuper de cette loi ; ensuite, messieurs, les changements introduits par le sénat sont si nombreux qu’il faut que nous ayons le temps de méditer sur les dispositions nouvelles. Je demande l’impression du projet et le renvoi de la discussion à lundi.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je crois que les changements sont moins importants qu’ils peuvent le paraître à la première lecture, ce projet de loi est au fond le même que celui qui a été adopté par la chambre des représentants : d’après les dispositions votées par cette chambre, les traitements des membres de l’ordre judiciaire étaient maintenus au taux où ils sont actuellement jusqu’au premier janvier 1834.
Vous aviez seulement fixé un taux éventuel à partir du premier juillet 1834 ; c’est ce chiffre que le sénat a fait disparaître. Il a maintenu le traitement des membres de la cour de cassation au taux fixé par la chambre des représentants, il a maintenu le taux des présidents, des procureurs-généraux des cours d’appel au taux fixé par la chambre des représentants. Et il a maintenu, pour tous les autres fonctionnaires de l’ordre judiciaire, le taux actuellement existant. Mais le sénat a senti lui-même que lorsque l’état du trésor le permettra, il faudra améliorer la position de plusieurs membres de l’ordre judiciaire ; et il a mis dans la loi une disposition qui soumet la loi à une révision en 1834.
- De tous côtés. - A lundi ! à lundi !
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je demanderai à demain ; nous pourrions n’être pas en nombre lundi.
M. le président. - On demande une séance pour demain.
- Plusieurs membres. - On ne viendra pas.
M. Legrelle. - Je demande que l’on discute demain ; car nous ne serons pas en nombre lundi.
M. Dumortier. - L’article 33 du règlement dit que les projets seront imprimés et distribués et transmis aux sections. Je demande le renvoi à une commission.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - J’ai fait la proposition de discuter demain. (On ne viendra pas ! on ne viendra pas !)
M. le président. - Il faut nécessairement se réunir lundi, pour adopter le projet de loi que nous venons de voter provisoirement.
- La chambre décide que le projet adopté par le sénat sera renvoyé à une commission.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je demanderai que la chambre se réunisse lundi de bonne heure, pour que le projet de loi sur les péages puisse être immédiatement remis au sénat.
M. le président. - Veut-on se réunir à onze heures, à dix heures ? (A dix heures ! à dix heures !)
La réunion à dix heures est adoptée.
La commission désignée par M. le président, pour examiner le projet de loi transmis par le sénat, est composée de MM. Dubus, d’Elhoungne, Devaux, Barthélemy et A. Rodenbach.
L’ordre du jour appelle la discussion sur le projet de loi relatif au sel.
Le projet est ainsi conçu :
« Par dérogation aux articles 15 et 16 de la loi du 21 août 1822 sur le sel, l’exportation du sel raffiné avec décharge du droit d’accise n’est admise que par les seuls bureaux suivants, savoir :
« Par terre, à Henri-Chapelle et à Francorchamps ;
« Par mer, à Anvers et à Ostende.
« La décharge de l’accise cessera d’être accordée par tous les autres bureaux du royaume.
« Mandons et ordonnons, etc. »
M. le ministre des finances (M. Coghen). - Messieurs, la fraude qui s’est faite sur nos frontières pendant plusieurs mois après la révolution, et dont on se plaint encore, a suggéré le projet qui vous est présenté, La fraude, je le reconnais, s’est faite fort activement ; les employés des douanes n’ont pas été encouragés à arrêter les fraudeurs pour le sel, parce que quand on vend le produit des saisies on prélève le droit d’accise, et il ne reste rien ce droit prélevé. Par cette raison la plupart des douaniers montrent peu de zèle ; toutefois il en est que cette considération n’empêche pas de faire leur devoir, puisque journellement des procès-verbaux de saisie nous sont adressés.
Le projet de loi tel qu’il est rédigé est trop général ; les raffineries de sel en seraient ruinées. Cette industrie cependant mérite toute notre sollicitude, elle emploie beaucoup de combustibles et il ne faudrait pas paralyser tout à coup une telle branche de commerce. Je proposerai donc de supprimer le dernier paragraphe de la loi et de le remplacer par la disposition suivante : « Le gouvernement pourra néanmoins permettre l’exportation par d’autres bureaux si les intérêts du commerce l’exigent, pourvu qu’il n’en résulte aucun préjudice pour le trésor. » De cette manière la loi pourrait être admise.
M. Poschet. - Messieurs, je partage l’opinion de l’honorable auteur de la proposition sur le remboursement des droits sur les sels à la sortie. Comme lui, je pense que jusqu’à présent il a été contraire à l’intérêt du trésor, et peut-être même à celui du commerce ; cela ne vient pas de la mesure en elle-même, qui peut être bonne, mais bien de la manière dont elle a été exécutée.
Par les bureaux de Bon-Secours et Perwelz, par exemple, le remboursement du droit sur le sucre n’a servi qu’à une fraude scandaleuse, tandis que dans d’autres localités il a produit les meilleurs effets et procuré un grand débouché au produit de nos raffineries.
Si vous accordez un bureau de sortie dans un pays populeux et où l’on peut faire une grande consommation sur les lieux, il est probable que l’on fraudera ; si vous le placez, au contraire, là où on ne peut consommer et où les frais et les embarras de la réimportation absorberont le bénéfice, vous êtes certains qu’on ne fraudera pas et que le sel et le sucre qui arriveront sur ce point seront exportés.
Je crois devoir encore dire ici que souvent une mesure en douane est bonne ou mauvaise selon la manière dont les employés la font exécuter. Il arrive que, par une rigidité ridicule dans l’exécution des formes, ils en paralysent l’effet. L’administration de la douane doit apporter le plus grand soin à la connaissance des employés, et c’est ce qu’on ne fait pas assez. L’expérience de 18 ans m’a prouvé que les chefs s’attachent et récompensent toujours ceux qui poussent la rigidité jusques aux vexations, et qu’ils voient de mauvais œil ceux qui cherchent à les éclairer sur les intérêts du commerce : j’en ai vu souvent de disgraciés pour avoir osé dire la vérité.
Il est, je le répète, de la plus grande importance de mettre les employés dans les places qu’ils sont propres à occuper ; on vient, par exemple, de commettre une grande faute en envoyant comme contrôleur des poids et mesures à Charleroy le receveur de Chimay, qui est un des hommes les plus capables de l’administration et le plus propre à concilier les intérêts du commerce avec ceux du trésor. Il ne fallait pas lui donner un emploi que pût occuper l’homme le plus nul ; si on voulait l’avancer, on devait le mettre où il pouvait être utile et où l’on pouvait tirer parti de sa capacité.
J’ai cru devoir me livrer à cette digression dans l’intérêt du commerce et pour éclairer l’administration.
Je pense qu’il pourrait être dangereux de fermer tous les bureaux à la sortie vers la France. L’on peut en diminuer le nombre et même réduire le remboursement à la moitié du droit ; mais il ne faut ôter au gouvernement la possibilité d’en ouvrir un petit nombre s’il le jugeait nécessaire : ce serait s’exposer à se priver de débouchés qui pourraient être utiles.
Le défaut de la douane en France est d’adopter des mesures trop générales : ce qui convient à la frontière des Pyrénées peut être fort mauvais à celle de la Belgique ; je suis persuadé que l’on reconnaîtra la nécessité et les avantages des mesures prises selon les localités.
M. Duvivier. - Je ne vois rien de bien sérieux à répondre à l’honorable membre en ce qui concerne la proposition qui est faite à la chambre ; les généralités dans lesquelles il est entré ne méritent pas une réponse, selon moi. (Hilarité.)
M. Poschet. - Je demande la parole.
M. Duvivier. - L’honorable M. Poschet a parlé ensuite du receveur de Chimay qui a été déplacé par l’administration et envoyé à Charleroy. J’ai appris avec plaisir de l’honorable membre ce que l’administration savait déjà, que ce receveur était un homme de mérite, et il est assez étrange que l’on vienne blâmer l’administration de l’avancement qu’elle lui a donné…
M. le président. - Ceci est étranger à la discussion.
M. Duvivier. - Je ne peux pas laisser toujours inculper l’administration.
M. le président. - Vous n’êtes pas ici pour la défendre.
- Plusieurs voix. - Vous êtes ici comme député, non comme administrateur.
M. Duvivier. - Du reste le fonctionnaire dont on parle a demandé lui-même son changement, et ii a fallu le lui accorder sous peine de lui voir perdre la santé.
M. Poschet. - Je demande la parole pour un fait personnel. (On rit).
- Plusieurs voix. - Il n’y a rien de personnel contre vous dans ce qu’on a dit.
M. Poschet. - Je n’ai pas examiné les actes de l’administration, mais j’ai dit et je répète que notre administration, comme celle de France, ne connaît pas du tout ses employés, et M. Duvivier à cet égard n’est pas plus savant que les autres (on rit), et il l’est moins que les autres (bruyante hilarité), et je suis fort étonné du ton avec lequel il s’est permis de dire que les généralités dans lesquelles je suis entré ne méritaient pas de réponse (nouvelle hilarité) ; c’est qu’il n’en a pas compris la portée ni les conséquences. Il n’y comprend rien (nouvelle explosion d’hilarité) ; j’ai proposé au reste ce que le ministre avait proposé lui-même, je n’étais donc pas si éloigné de la question que l’a donné à entendre M. Duvivier.
M. Dumortier. - Messieurs, on vous a présenté dernièrement deux lois différentes pour améliorer le sort de notre industrie et de notre commerce. L’une est la loi sur les distilleries, l’autre sur les salines. J’applaudis vivement à la première, elle comblera une lacune dans notre législation et améliorera le sort des distillateurs qui en ont le plus grand besoin. Quand le moment de la discussion sera venu, si quelqu’un voulait s’opposer à cette loi, je l’appuierais de toutes mes forces.
Mais autant j’applaudis à cette loi, autant je réprouve la loi actuelle, parce que je suis certain que son adoption ruinerait complétement tous les sauniers de la Belgique. Cette industrie, messieurs, est d’une grande importance, et M. le ministre des finances vous a dit avec raison qu’il ne fallait pas la paralyser tout d’un coup. La fabrication du sel procure à la Belgique d’immenses bénéfices ; elle entretient la navigation et fait vivre un grand nombre d’ouvriers. Eh bien ! tous ces avantages sont compromis, si vous adoptez la loi actuelle. Cette loi est tout entière dans l’intérêt de la France et de la Hollande, et elle ruinera notre industrie, sans être d’aucune utilité pour le trésor public.
On a dit que la loi avait été proposée pour paralyser la fraude ; je dis au contraire qu’elle la favorisera, et je n’aurai point de peine à le prouver. Je sais qu’on a dit de moi, messieurs, que j’étais l’avocat des fraudeurs (on rit). Non je ne suis pas l’avocat des fraudeurs ; mais, sous prétexte de réprimer la fraude, je ne consentirai jamais à l’adoption d’une mesure qui serait destructive de notre commerce et qui serait aussi nuisible que le serait celle-ci au véritable intérêt de la Belgique. Je repousse donc cette accusation, et je dois la repousser parce que je pourrais paraître entaché d’une opinion quelconque.
La commission s’exprime ainsi dans son rapport :
« La fraude considérable qui se fait relativement au sel et qui résulte de la facilité qu’ont les marchands de faire réimporter par filtration les quantités de sel raffiné qu’ils exportent par le grand nombre de bureaux ouverts à cette opération, sous décharge du droit d’accise, ayant excité des plaintes de la part du commerce loyal auquel cette fraude portait préjudice, on a cru devoir présenter cette loi. »
On a dit que la fraude se fait parce que les marchands ont la facilité de faire réimporter par filtration les quantités de sel qu’ils exportent. Messieurs, il ne faut pas avoir la moindre connaissance du commerce interlope pour assigner une pareille cause à la fraude. Je vous démontrerai que la loi actuelle lui sera beaucoup plus favorable que nuisible.
Je suppose en effet qu’un raffineur sorte du royaume avec une quantité de sel. Il fait signer son acquit au bureau par où il sort. Mais à l’instant où il met le pied sur le territoire étranger le douanier qui vient de signer son acquit l’a en vue : il est averti, il sait très bien que ce sel est destiné à rentrer dans le pays ; il se tient sur ses gardes. Tandis que, quand c’est de l’étranger qu’on apporte du sel en fraude en Belgique, les douaniers ne sont pas avertis, ils ne peuvent prévoir que la marchandise va entrer, leur surveillance peut plus facilement être trompée. Vous voyez d’ici que quand le sel sort, il est facile de prévoir et de prévenir la fraude ; car, puisque le sel est prohibé à l’entrée en France, il est certain que c’est pour le faire rentrer en Belgique qu’on exporte.
Si vous adoptez cette loi, il faudra que vous reveniez ensuite, comme sur la loi des sucres. Du temps du roi Guillaume, on exportait une grande quantité de sucres par la frontière de Prusse. Après la révolution, la ligne de douanes se trouva complétement démoralisée, parce que la plupart des douaniers étaient venus faire le coup de fusil à Bruxelles. Alors commença une fraude scandaleuse dont on vous a souvent parlé dans cette enceinte, et qui ne doit être attribuée qu’à la désorganisation de la ligne des douanes.
Le gouvernement a cru que la fraude venait de ce que le sucre était exporté en France et rentrait ensuite par infiltration ; on a rendu une loi pour empêcher cette exportation. Croyez-vous que cela ait remédié au mal ? Au contraire, la mesure a porté un préjudice immense au pays ; car, immédiatement après la défense, les raffineurs français ont importé leur sucre en Belgique, et les rôles se sont trouvés renversés. C’est nous qui auparavant exportions du sucre en France ; ce sont les raffineurs français qui maintenant importent le sucre chez nous. Voilà ce qui est arrivé (dénégation), et personne ne peut détruire ce que j’avance.
M. Legrelle fait des signes négatifs.
M. Dumortier. - Il en sera de même de la loi actuelle ; vous y gagnerez de faire fermer les usines de tous les sauniers, et les fraudeurs, au lieu d’exporter le sel en France, l’importeront chez nous, en sorte que vous perdrez votre commerce interlope, et il ne se fera plus qu’à votre préjudice.
Ce n’est pas par le moyen de cette loi que vous empêcherez la fraude. J’ai indiqué plusieurs fois à M. le ministre comment il faudrait faire pour l’empêcher : ce ne peut être qu’au moyen d’une forte ligne de douanes, bien tenue, bien inspectée. Mais cette ligne, nous ne l’avons pas ; nous avons bien des inspecteurs, mais ils n’inspectent pas ; nous avons des contrôleurs, mais ils ne contrôlent pas ; et nos douaniers, au lieu de faire leur service, perdent leur temps au cabaret. (On rit).
Mais, dit-on, on ne peut pas permettre l’exportation du sel en France puisqu’il y est prohibé. Mais le sucre y est prohibé aussi ; le café, les dentelles pareillement. Pourquoi n’empêchez-vous pas l’exportation de ces objets ? Pourquoi n’élevez-vous pas une forte muraille entre la France et nous, pour la préserver de l’entrée de ces produits qu’elle prohibe ? Alors vous auriez fait une œuvre pis, dont la France vous saurait beaucoup de gré ; mais votre commerce serait ruiné.
Je le répète, ce n’est qu’au moyen d’une bonne ligne de douanes que vous pouvez empêcher la fraude ; d’après ces considérations, je voterai contre le projet de loi.
J'ai reçu hier de Tournay des réclamations d’un grand nombre de sauniers, qui me donnent l’assurance qu’ils seront obligés de fermer leurs sauneries si vous adoptez la loi. Cette démarche vous prouve combien elle serait désastreuse. J’ai la confiance, si elle était adoptée, que le gouvernement refusera de la sanctionner, parce qu’il en apercevra tout le danger. Le roi Guillaume qui s’entendait fort bien en industrie, on ne peut pas lui contester ce mérite, a toujours refusé son consentement à de semblables lois. Le gouvernement fera bien de l’imiter sous ce rapport. Je persiste à demander le rejet de la loi.
M. Zoude, auteur du projet, dans un discours écrit, montre combien est funeste pour l’industrie la fraude qui se commet par la réimportation des sels.
M. A. Rodenbach. - Pour augmenter notre commerce extérieur, je suis de l’avis de M. Dumortier, qu’il faut favoriser les exportations. Mais, tout en approuvant ce système, je dois dire qu’il existe un district, celui de Courtray, où il y a un chemin neutre d’une étendue de plus de cinq quarts de lieue. Dans ce chemin des fraudeurs éhontés ont établi des cabanes pour mettre à couvert les marchandises sur lesquelles ils exercent leur vil métier. Ils font des déclarations d’exportation, puis font entrer la marchandise qui n’est pas sortie. Ils ont de véritables boutiques ambulantes de fraude. Les marchands de la banlieue viennent leur acheter le sel et à plus bas prix qu’on ne le vend à Anvers. Je demande si le ministre connaît ce fait.
Cette fraude organisée est un scandale. Je dois dire à M. le ministre des finances qu’il y a environ un mois le préfet du département du Nord a fait abattre les cabanes ; alors les fraudeurs ont établis leurs ignobles toits tout près de la frontière de la Belgique.
Je demande que M. le ministre et que la douane prennent les moyens de détruire cette fraude fatale aux raffineries, fatale au trésor.
Quant à ce qu’on a dit relativement à une ligne de douaniers très resserrée, je ferai observer que nos douaniers sont bien payés ; ainsi c’est l’impéritie de l’administration ou des employés qui est cause du mal. En Prusse, les employés sont moins bien payés ; leur nombre est moins considérable ; cependant la fraude n’y a pas la même activité que chez nous.
M. le ministre des finances (M. Coghen). - Messieurs, à dater de demain, la loi que vous avez votée sur le nouveau rayon de douanes sera exécuté ; les ordres seront donnés, afin d’activer la surveillance et de réprimer la fraude. Toutefois, je dois dire pour l’honneur de l’administration qu’aujourd’hui il y a beaucoup de sévérité et de surveillance contre les fraudeurs. Si on fraude en Belgique, on fraude aussi dans tous les pays du monde malgré les lignes des douaniers.
Voici des faits qui prouvent l’activité de nos employés
On a saisi à Hertain pour environ 25,000 fr. de soieries. Dans un autre endroit, un engagement a eu lieu entre les douaniers et les contrebandiers ; des douaniers ont été blessés ; quelques-uns sont à l’hôpital. Depuis quelques mois il y a beaucoup d’activité dans la douane, et l’on n’y va pas de main morte.
Il existe, en effet, un terrain, neutre, entre la France et la Belgique ; les fraudeurs y avaient établi des cabanes. Le préfet du Nord les a fait détruire. En Belgique, on avait donné des ordres, les bourgmestres avaient hésité à les faire exécuter ; mais des ordres nouveaux ont fait anéantir les dernières cabanes.
La loi, telle qu’elle était proposée, serait la destruction de l’industrie sur le sel ; mais, avec le paragraphe que j’ai proposé, on pourra exercer une surveillance utile. Dans les endroits où on ne pourra pas surveiller, on ne permettra pas la sortie.
M. Goethals. - Je pourrais citer des faits qui pourraient convaincre l’assemblée que le projet n’est pas si opportun qu’on le dit. On prétend que le projet avec des restrictions ne nuira pas ; mais si vous empêchez les réimportations de sels belges, qui vous dira que vous empêcherez les importations de sels français ; et si la douane n’est pas assez forte pour empêcher l’entrée des sels français, comment sera-t-elle assez forte pour empêcher la réimportation des sels indigènes ?
J’ai la preuve que le même sel est entré 5 ou 6 fois en Belgique, et que le gouvernement a remboursé 5 ou 6 fois un droit qui n’avait pas été payé. Un brigadier de douanes (je pourrais le nommer) a fait une marque distinctive sur des marchandises. Il a reconnu jusqu’à sept fois la même partie de sucre revenir au même bureau pour réclamer la restitution des droits.
N’est-il pas temps de remédier à un mal aussi grand ? Des sauneries sur nos frontières sont fermées par suite des excès de la fraude ; les fabricants honnêtes n’ont pas pu soutenir la concurrence. La fraude se fait à leur porte.
Un honorable membre, M. Zoude, vous a cité les noms des fabricants qui ont été obligés de renoncer à leurs travaux. J’appuie la loi, et je crois qu’avec l’amendement du gouvernement elle ne pourra produire que de bons effets.
M. Legrelle. - C’est le nombre trop considérable de bureaux qui rend la surveillance trop difficile. Des personnes vendent du sel à Van-Cappellen, à West-Wezel, à plus bas prix que les raffineurs d’Anvers. Je crois qu’il faut restreindre les bureaux à Ostende et Anvers par mer, et Henry-Chapelle et Francorchamps par terre. Je crois que le projet de M. Zoude, amendé par M. le ministre de finances, ne laisse rien à désirer.
M. Osy. - Je pense qu’il serait très dangereux d’adopter le projet de M. Zoude ; on s’occupe beaucoup du commerce interlope ; il faut le restreindre et non pas le défendre. Dès la session prochaine il faudrait que M. le ministre des finances nous proposât une loi d’accises dont les droits sur les sels ou sur les sucres soient diminués ; c’est ce qui vaudra le mieux pour le trésor et pour le commerce.
M. Duvivier. - Je commencerai par regretter que, toutes les fois qu’il s’agit de douanes, on fasse des reproches aux employés ; cependant, ainsi que vient de le dire M. le ministre des finances, ils développent beaucoup d’activité et surtout près de Tournay. Tournay et ses environs paraissent receler des bandes de fraudeurs. Aujourd’hui la régence de Mons a donné avis des succès que les douaniers ont obtenus sur les fraudeurs : il a été pris pour 50,000 florins de soieries.
Le chef du service des douanes du côté de la Flandre occidentale, par diverses lettres, s’empresse de m’informer que dans la nuit du 15 de ce mois, à Hertain, on a fait une saisie de soieries pour 1,400 florins, et une autre fois pour 1,800 florins, total 3,200 florins. On voit que c’est aux environs de Tournay, soit dans la Flandre occidentale, soit dans le Hainaut, que la fraude se commet. Ces fraudeurs, ne pouvant plus trouver à exercer leur détestable métier sur d’autres objets, se livrent à la contrebande des soieries très préjudiciable au trésor.
Les employés de mon administration valent infiniment mieux que leur réputation (on rit), que la réputation que plusieurs membres de cette assemblée veulent leur faire. Il y a des hommes mous dans tous les temps et dans tous les lieux ; mais pour cela on ne doit pas attaquer les masses.
Il est évident, comme l’a dit M. A. Rodenbach, qu’il y a près du département du Nord un territoire qui n’est ni France ni Belgique ; que des dépôts de marchandises ont lieu sur ce pays neutre ; que ces marchandises entrent en Belgique. Je ne sais comment les gouvernements laissent ainsi un territoire neutre.
M. Dumortier. - Je suis de bonne foi, je suis de Tournay (on rit), la contrebande se fait de ce côté ; mais elle se fait aussi à Courtray ; elle se fait par toute la frontière. On vient de citer des saisies de soieries ; mais il ne s’agit pas de cela, il s’agit de sels. Si vous empêchez le sel de sortir de la Belgique, il viendra de la France.
On a dit que les sauniers de la frontière étaient ruinés ; qu’est-ce que cela prouve ? C’est que la ligne de douaniers n’est pas assez serrée.
M. Lebeau vous l’a dit à l’occasion d’une pétition de M. d’Hauregard qui signalait beaucoup d’abus ; ces abus proviennent de ce qu’il n’y a pas de ligne de douane pour la Hollande : quand il n’y a pas de douaniers, on entre et on sort comme on veut. Vous dites que les sauneries des frontières sont ruinés ; mais feront-ils de meilleures affaires par la loi ? Oui, messieurs, ce seront les sauniers des frontières qui feront la fraude eux-mêmes. On n’a établi des sauneries sur la frontière que dans l’espoir de faire la fraude.
Le commerce interlope est utile : si nous étions certains d’avoir toujours des ministres comme M. Coghen, je n’hésiterais pas à adopter l’amendement ; mais comme nous n’avons pas cette certitude, je ne veux pas mettre dans les mains de quelques chefs de bureau le sort de plusieurs familles.
M. A. Rodenbach. - Je ne juge pas l’administration des finances sur des paroles, mais sur des produits. Les produits des spiritueux qui arrivent de France, d’Angleterre, de Prusse, ne nous rapportent que la faible somme de 40 mille florins, preuve qu’il n’y a pas de surveillance.
Quant à la diminution du droit sur les sels pour diminuer la fraude, je ne crois pas qu’il faille diminuer des droits quand nous avons des besoins.
La section centrale est dans l’intention d’établir l’impôt sur les sels d’après d’autres bases. On fraudera toujours, parce que la fraude est trop bien organisée en Belgique pour qu’on puisse la détruire ; mais on fraudera moins.
M. le ministre des finances (M. Coghen). - Toujours les Etats ont besoin que l’on n’atténue pas leurs ressources financières ; il en est beaucoup qui gardent le silence sur leur situation à cet égard, mais la Belgique est dans une position particulière.
On a dit que nous avions déficit dans nos recettes ; non, messieurs, le semestre dernier prouve que les recettes excèdent les prévisions de sommes sur lesquelles on était loin de compter. Ces résultats seront publiés demain ou après-demain.
M. d’Elhoungne. - A quoi se réduit le projet ? A vous déclarer que telle marchandise ne pourra sortir que par tel bureau de douanes ; mais cette disposition est dans les attributions du gouvernement. Le projet tel qu’il nous est présenté ne peut pas être mis en délibération ; c’est au gouvernement à dire où l’on fera les cargaisons ; cela n’est pas dans nos attributions, cela ne peut pas y être.
Il y a une chose qui me frappe dans le projet : on traite différents pays sur le même pied, comme si nos relations avec eux étaient égales ; la France est traitée comme la Hollande, c’est là un acte d’hostilité envers elle.
Je pense qu’il n’y a pas lieu de délibérer sur le projet qui nous est présenté ; le projet de M. Zoude est superflu. On ne délivre pas d’acquits-à-caution pour les pays où l’entrée des marchandises est interdite, et c’est le cas pour la France ; il ne peut y avoir de réimportation.
M. Dubus. - Vous avez entendu beaucoup de déclamations contre la fraude ; mais elles ne la feront pas cesser : pour faire cesser la fraude il faut en rechercher les causes. Ces causes sont : premièrement l’élévation des droits parce qu’en ne les payant pas on fait des bénéfices ; deuxièmement, la faiblesse de notre ligne de douanes. On sait la négligence que les douaniers mettent à remplir leurs fonctions. Il n’y a qu’une manière de faire une bonne loi, c’est de faire disparaître les causes de la fraude ; ce que l’on vous propose n’est qu’une mesure fausse ; elle fera passer la fraude d’une main dans l’autre. (A lundi ! à lundi ! à lundi !)
- La séance est levée à quatre heures et la suite de la discussion est renvoyée à lundi à dix heures du matin.