(Moniteur belge n°195, du 13 juillet 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à une heure.
M. Dellafaille fait l’appel nominal ; il fait ensuite la lecture du procès-verbal ; la chambre l’adopte sans réclamation.
M. Liedts présente l’analyse de quelques pétitions qui sont renvoyées à la commission.
M. Osy. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
M. le président. - Vous avez la parole.
M. Osy. - Messieurs, vous avez tous lu avec attention la réponse du roi de Hollande aux propositions de la conférence, ainsi que le nouveau traité en 22 articles qu’il propose pour remplacer le traité irrévocable des 24 articles et qu’on s’était engagé faire exécuter.
Outre le vague qui continue d’exister pour la partie du Luxembourg qui nous avait été accordée en compensation du sacrifice qu’on nous a imposé dans le Limbourg, vous aurez remarqué que, quoique maintenant la capitalisation de la dette soit pour ainsi dire facultative, la Hollande, prévoyant que cela ne pourrait nous convenir, à soin de nous imposer dans ce cas d’autres sacrifices qui se monteront à des termes considérables. Mais ce qui a alarmé le plus le commerce et l’industrie, ce sont les changements introduits à la navigation de l’Escaut qui équivalent aux stipulations du traité de Munster, et à l’enlèvement pour nous des communications vers le Rhin et par l’Allemagne, Sittard et Maestricht.
Si nous avions à discuter en détail tout le traité, je vous prouverais que l’article 7 qui remplace l’article 9 est l’équivalent de la fermeture de l’Escaut ; Anvers n’aurait plus aucune réputation mercantile et serait rayé de la liste des ports de mer, et nous serions bornés à la consommation du pays, et dans ce cas vous n’avez pas besoin d’Anvers, Ostende vous suffirait.
Je ne crains donc pas de dire, et je le prouverai lorsqu’il en sera temps, que si l’Escaut succombe aux stipulations de la diplomatie, le commerce et tous ses capitaux abandonneront la Belgique, que votre indépendance tant prônée sera de très courte durée, et que le royaume de la Belgique n’existera pas longtemps ; car ne nous dissimulons pas qu’Anvers est l’âme du royaume, et que si elle doit revenir prendre le rang qu’elle avait du temps des Autrichiens, nous devons revoir le traité des barrières ; l’industrie et le commerce de tout le pays sera anéanti, et nous n’aurons plus que l’agriculture, qui à son tour souffrira par le manque de commerce et d’industrie qui procure les débouchés.
Vous voyez donc, messieurs, que nous, Anversois, sommes alarmés par la ruine qui nous attend, et que tout le pays partagera nos craintes et alarmes lorsque nous serons à même de lui démontrer le danger qui nous menace ; et tous ceux qui ont lu avec attention le traité des 21 articles, et celui de Mayence du 31 mars 1831, partageront mon opinion que notre ruine y est littéralement prédite.
Il n’y a donc pas de temps à perdre pour rassurer le public, et c’est notre devoir de provoquer des explications du ministère ; j’espère, messieurs, que vous m’appuierez pour finalement savoir du gouvernement la marche qu’il veut suivre, maintenant que le territoire ne sera pas évacué le 10 de ce mois, et que la Hollande se refuse définitivement à accepter le traité du 15 novembre ; car, si même l’on n’a pas le projet d’ajourner les chambres ou de clôturer la session, il se pourrait que dans peu de jours nous ne soyons plus en nombre pour être à même d’avoir des renseignements qui doivent rassurer tous les Belges, et qu’ils attendent avec anxiété.
Je vous propose donc, messieurs, de fixer la journée de demain pour engager M. le ministre des affaires étrangères à nous exposer franchement la ligne de conduite que le gouvernement veut suivre dans les circonstances graves où nous nous trouvons. Et j’espère que personne ne s’absentera pour être à même de recevoir les explications que nous sommes en droit de demander, et de pouvoir faire telles observations que nous trouverons convenable, si nous voyons encore de l’hésitation, et que, comme par le passé, nous lui prouverons qu’il fait plus les affaires de la France et de l’Angleterre que les nôtres, et que par là il mène la Belgique droit à sa ruine et à son déshonneur.
(Erratum inséré au Moniteur belge n°196, du 14 juillet 1832) Dans notre numéro d’hier, une erreur de rédaction s’est glissée à la fin du discours de M. Osy, 3e page, 1ère colonne. Au lieu de : « Et j’espère que personne ne s’absentera, etc., » lisez : « J’espère que personne ne s’absentera, pour être à même d’entendre les explications que nous sommes en droit de demander, et de pouvoir faire telles observations que nous trouverons convenables. Si nous voyons encore de l’hésitation dans le ministère, nous lui prouverons qu’il fait plus les affaires de la France et de l’Angleterre que les nôtres, que par là il conduit la Belgique à sa ruine et à son déshonneur. »
M. l’abbé de Haerne. - Messieurs, je suis loin de m’opposer à la motion d’ordre de M. Osy, tendant à prier M. le ministre des affaires étrangères à donner à la chambre des explications sur l’état de nos relations extérieures : j’avais eu la même pensée que l’honorable membre d’adresser à ce sujet quelques interpellations au ministre, et hier j’ai saisi l’occasion de sa présence à la chambre pour les lui soumettre par écrit. Il m’a répondu qu’il se proposait de faire un rapport à la chambre dans le courant de cette semaine, ou au moins avant la clôture de la session. J’ai dû renoncer à mes interpellations. Cependant, puisque nous éprouvons quelque difficulté à nous réunir en nombre suffisant pour délibérer, si l’on trouve à propos de fixer un jour pour entendre les explications du ministre, j’appuierai cette proposition.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je sais que l’intention de M. le ministre des affaires étrangères est de faire un rapport à la chambre ; il viendra probablement aujourd’hui à la séance, de sorte que je crois inutile de donner suite à la proposition de M. Osy.
M. Osy. - Je crois qu’il convient de fixer un jour, parce que si M. le ministre des affaires étrangères ne peut pas nous faire son rapport demain ou après-demain, il faut que nous soyons au moins certains d’avoir un rapport avant de nous séparer.
M. Dewitte. - Messieurs, je désire autant qu’un autre avoir des explications sur notre situation extérieure, et je suis loin par conséquent de m’opposer à la motion de M. Osy. Mais je ferai observer à la chambre que, si ma mémoire est tant soit peu bonne, il a été convenu entre le gouvernement et la législature qu’on n’entrerait dans aucune négociation, tant que le traité du 15 novembre ne serait pas exécuté dans toutes les parties qui ne sont plus sujettes à discussion ; de sorte que, quant à moi, je considère tous les traités proposés par le roi Guillaume et dont sont remplies les gazettes comme des paroles en l’air, toute négociation étant impossible tant qu’il n’aura pas lui-même exécuté le traité du 15 novembre, quant aux points mis hors de tout litige.
M. Osy. - Je propose d’adresser à M. le ministre des affaires étrangères un message pour l’inviter à nous dire quel jour il pourra nous faire son rapport. De cette manière les membres qui se proposeraient de s’absenter resteraient à leur poste, et ceux qui ne s’y trouvent pas en ce moment s’empresseraient sans doute d’y revenir.
M. Lebeau. - Messieurs, les termes auxquels M. Osy vient de réduire sa proposition, me déterminent à l’appuyer. En effet telle qu’elle est faite maintenant, il ne s’agit plus de dire à M. le ministre des affaires : Vous viendrez faire un rapport demain ou après-demain, que vous soyez prêt ou non, mais de l’inviter à fixer lui-même le jour où il pourra nous faire ce rapport. C’est tout ce qu’on peut exiger, et il est désirable que le plus grand nombre de membres possible se trouve réuni pour l’entendre.
Je partage en même temps l’opinion de l’honorable M. Dewitte, qu’il ne faut pas attacher trop d’importance aux nouvelles propositions du roi de Hollande, qui certes sont inadmissibles de tout point, et que pas un seul membre de cette chambre n’est, j’en suis assuré, disposé à approuver. Je crois que le gouvernement n’y est pas plus disposé que nous, et j’ai la conviction qu’il se perdrait lui-même et qu’il perdrait le pays avec lui s’il osait nous proposer de les accepter.
J’appuie donc la proposition de M. Osy, réduite à ces termes, c’est-à-dire que je suis d’avis que, par un message, on invite M. le ministre des affaires étrangères à dire quel jour il pourra nous donner les explications que nous devons exiger, pour empêcher que dans le public on n’interprète mal les dispositions de la chambre, et qu’on ne se méprenne sur la ferme résolution de repousser les propositions de la Hollande.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Un message est totalement inutile ; il y a tout lieu de croire que mon honorable collègue des affaires étrangères se rendra à la séance d’aujourd’hui.
M. Lebeau. - S’il ne vient pas, on pourra renouveler la motion à la fin de la séance.
M. d’Elhoungne. -Je sais que plusieurs personnes font leurs dispositions pour retourner chez elles, à moins qu’il n’y ait à l’ordre du jour quelque objet assez important pour fixer leur attention. Je pense qu’un rapport sur nos affaires est de cette nature, et je ne doute pas que tous les membres de cette chambre ne soient désireux de l’entendre. J’appuie donc la proposition de M. Osy.
M. le président. - J’invite M. Osy à mettre sa proposition par écrit.
- Plusieurs voix. - C’est inutile !
M. Osy. - J’insiste pour qu’un message soit envoyé à M. le ministre des affaires étrangères. Il pourrait être retenu par ses occupations et ne pas se rendre à la séance ; un message l’obligera à nous faire une réponse, et le public sera instruit de l’intention de la chambre d’obtenir des explications.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - M. le ministre des affaires étrangères viendra certainement aujourd’hui à la séance ; peut-être même sera-t-il prêt à faire son rapport aujourd’hui : je ne l’affirme cependant pas. Mais, dans tous les cas, un message est inutile ; et du reste, si par extraordinaire il ne venait pas, on pourrait renouveler la proposition à la fin de la séance.
M. Osy. - Si on me permet de renouveler ma proposition à la fin de la séance, je consens à la retirer pour le moment. (Oui ! oui !)
M. le président. - L’ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi relatif au traitement des membres de l’ordre judiciaire. Le premier amendement qui a été adopté sur l’article premier est celui qui fixe à 6,000 fr. le traitement du greffier de la cour de cassation.
Cet amendement est mis aux voix et adopté, ainsi que celui qui fixe à 3,000 fr. le traitement du commis-greffier.
On passe à l’article 2 (voir le Moniteur du 8 juillet), qui fixe le traitement des membres des cours d’appel.
M. le président. - On a adopté pour les conseillers de la cour de Bruxelles le traitement de 6,000 fr.
M. Delehaye. - Messieurs, depuis longtemps on s’est plaint de ce que les traitements des membres des tribunaux de première instance étaient très minimes ; mais jamais de semblables plaintes n’ont été faites à propos du traitement des conseillers. Je ne conçois donc pas pourquoi aujourd’hui on a voulu augmenter le traitement de ces derniers. Il me semble qu’il n’y avait pas de raison plausible pour l’augmenter plus que ne le faisait le projet de M. le ministre de la justice, qui avait été si bien accueilli par l’opinion générale dans le public. Ce projet faisait, me semble-t-il, tout ce qu’il fallait faire.
On a fait à ce propos une singulière objection. Mais, a-t-on dit, il n’y a pas de mince avocat qui ne gagne autant qu’un de vos conseillers, au traitement que vous leur assignez. Cela est possible ; mais, messieurs, ne voulez-vous tenir aucun compte de l’inamovibilité qui est assurée au juge, de l’honneur dont l’environnent ses fonctions ? Un avocat peut, par un accident quelconque, être privé du jour au lendemain de sa clientèle, et par conséquent du revenu qu’il en tirait ; un magistrat n’a pas de pareilles chances à courir : il est inamovible, son inamovibilité lui assure son traitement, qu’il soit malade ou bien portant. Sa fortune est assurée et à l’abri de tout accident ; et, s’il réunit à la capacité qu’il faut pour remplir ses fonctions les vertus qui en rehaussent l’éclat, il vit heureux et considéré, sans crainte pour le présent comme pour l’avenir, Il n’y a donc aucune comparaison à établir entre un magistrat et un membre du barreau.
Il est à cela une considération d’un ordre majeur à ajouter. Lorsque le gouvernement déchu eut soulevé contre lui les populations de la Belgique, on entendait constamment sortir de toutes les bouches ces paroles : « il faut un gouvernement à bon marché. » Depuis la révolution on les a souvent répétées, mais je vois avec regret qu’on n’en tient aucun compte et qu’on est toujours disposé ici à augmenter les traitements, en sorte que bientôt vous paierez autant sous votre nouveau régime que sous l’ancien, Prenez-y garde, le peuple s’en apercevra bientôt, et, loin de bénir le gouvernement prétendu à bon marché, il ne le regardera qu’avec un effroi véritable.
Par ces considérations je demande que vous rejetiez l’amendement qui porte à 6,000 fr. le traitement des conseillers, et que vous vous teniez au projet de M. le ministre de la justice. (Appuyé ! appuyé !)
M. Goethals. - Messieurs, quel que soit mon désir de voir fixer d’une manière plus honorable le sort des membres de la magistrature judiciaire, je ne pourrai donner mon assentiment à la plupart de majorations qui ont été votées, sur le tarif qui vous était présenté par le gouvernement.
C’est avec un vif regret, messieurs, que je me vois obligé de me séparer d’un grand nombre de mes honorables collègues, dont je ne puis approuver la main libérale dans cette circonstance ; mais, quand la discussion récente de nos budgets nous a fait voir tout le vide qu’il y a dans la caisse de l’Etat, quand cette même discussion nous a prouvé à l’évidence combien les intérêts de la masse des contribuables sont en souffrance, l’économie, la parcimonie même dans l’allocation des traitements sur le trésor public, est pour moi un devoir dont je n’ose m’écarter.
J’aurais cru me montrer généreux. messieurs, en adoptant le chiffre présenté par le gouvernement, et qui dépasse déjà de 400,000 francs la somme des traitements alloués aux exercices précédents pour le salaire des membres de l’ordre judiciaire ; mais aller au-delà, consentir à une majoration nouvelle de près de 200,000 francs, me paraîtrait une prodigalité ; et je ne veux pas qu’en rentrant sous peu de jours dans ma province, on m’aborde par ce sanglant reproche : « Vous avez songé à votre propre bonheur, et à celui de quelques-uns de vos amis, qui auront part au gâteau ; mais vous avez oublié que votre vote imposait une nouvelle charge au peuple, qui vous avait envoyé là pour améliorer son sort, et non pour l’aggraver ! »
C’est, me paraît-il, messieurs, une grave erreur de croire que l’honnête homme se façonne à prix d’argent. Un magistrat intègre qui accepte librement les fonctions dont on voudra l’honorer, demeurera probe et incorruptible, quelle que soit la récompense pécuniaire que vous accorderez à ses services ; car le témoignage d’une bonne conscience et l’estime publique seront pour lui la première et la plus douce des jouissances. Une âme vénale, au contraire, n’étanchera pas sa soif dans un gros traitement ; elle dira que la vertu sans l’argent est un meuble inutile, et elle préférera toujours un peu d’or à beaucoup d’honneur.
Mais ce n’est pas, messieurs, sur des hommes de cette espèce que vous désirerez voir tomber les choix du gouvernement ; et si celui-ci, comme nous en avons tous la certitude, ne nomme que des magistrats honorables, ils sauront tous que le premier devoir du citoyen est de travailler au bonheur de ses semblables, et d’alléger autant qu’il dépend de lui les charges publiques. Vous n’avez donc pas à redouter que le juge honnête aspire à vivre dans l’abondance quand il voit le peuple plongé dans la misère, et que c’est à ses dépens qu’il doit briller...
D’après ces considérations, je voterai cette fois contre la plupart des majorations qui ont été faites dans les précédentes séances, et contre la loi elle-même, si les chiffres proposés par le gouvernement, et assez sagement défendus par M. le ministre de la justice, ne viennent à prévaloir.
M. Polfvliet. - Messieurs, avant de me prononcer sur les amendements qui tendent à majorer les sommes proposées par M. le ministre, je sens la nécessité d’exposer les motifs de mon vote qui sera négatif.
Quand on nous a proposé le budget, pénétrés des énormes charges qui allaient peser sur la nation, nous insistions sur une stricte économie ; des réductions furent faites sur les appointements des employés ; on voulut qu’on en diminuât le nombre : le bien-être de la patrie nous recommandait cette mesure ; pour moi je la regardais plus ou moins arbitraire, parce que les notions nécessaires, les connaissances spéciales me manquaient ; entre-temps, plusieurs employés très expérimentés, hommes spéciaux par leur mérite particulier, recommandables par leurs longs et pénibles services, en ont subi les conséquences, mais les circonstances le commandaient ainsi.
M. le ministre vous propose les sommes à allouer aux présidents et juges employés dans les tribunaux ; il ne se contente pas de les faire jouir des mêmes sommes attachées aux fonctions respectives dans nos tribunaux, mais il les majore considérablement. J’ai toute confiance dans M. le ministre, je crois qu’en cela son équité l’a guidé et je reconnais son expérience pour tout ce qui tient à la hiérarchie judiciaire : c’est pourquoi j’adhérerai à sa majoration
Mais en votant davantage, je croirais manquer à mon devoir de représentant de la nation ; je ne connais pas les motifs de cette largesse, je ne saurais pas deviner la cause de ce système si opposé à tout ce que j’ai entendu prôner, et certes ce ne peut pas être pour le soulagement du peuple, ni pour le bien-être de la nation, ni parce que les circonstances soient devenues plus favorables, qu’on demande à imposer sur la nation de plus grandes charges ; d’ailleurs, si vous adoptez ces majorations, vous adoptez aussi les majorations dans les pensions qui vont succéder.
M. Barthélemy. - Messieurs je ne pense pas qu’il y ait lieu de revenir sur la fixation du traitement, à laquelle vous avez si laborieusement travaillé dans vos précédentes séances ; car, dans le fond de mon âme, je dois déclarer que je ne trouve pas encore ce traitement suffisant.
Messieurs, il faut se rendre compte de ce que vous avez fait et voulu faire. Vous avez voulu que la nation se chargeât de rétribuer les membres de l’ordre judiciaire ; autrefois c’était les plaideurs qui les rétribuaient. Puisque vous avez voulu que ce fût la nation et puisque la nation a accepté cette charge, il faut qu’elle fasse les choses dignement et convenablement ; et quand vous ne faites pas à 1,000 fr. près ce qui se faisait pour les membres de l’ordre judiciaire dans l’ancien régime, je ne crois pas que la nation ait aucun reproche à faire à ses représentants. Dans l’ancien régime les conseillers avaient 4,000 fl. de traitement. Aujourd’hui ils en auront un peu plus de 2,500 fl. Est-ce là trop faire ?
Vous avez été obligés par vos institutions nouvelles de payer le clergé, de payer les membres de l’ordre judiciaire ; vous avez accepté le principe, subissez-en les conséquences, et faites les choses convenablement.
Depuis que le gouvernement français a voulu se mêler de rétribuer lui-même la magistrature, il a avili le pouvoir judiciaire, et il a voulu l’avilir en haine des parlements. Aujourd’hui que vous l’avez relevé, vous, traitez-le noblement et ne le laissez pas dans l’état où il a langui depuis la révolution française.
Autrefois l’aristocratie était exclusivement en possession des places de la magistrature. Elle enviait ces places, et elle avait par sa fortune le moyen de les occuper dignement. Aujourd’hui vous ne voulez plus d’aristocratie, vous l’avez proscrite par votre constitution ; rendez accessible à tous les hommes de mérite sans fortune les sièges de la magistrature. Croyez-vous que ce sera avec un traitement de 5,000 fr. que vous obtiendrez ce résultat ? Mais, messieurs, demandez à un homme qui n’aura pas d’autres ressources que son traitement s’il pourra suffire à sa dépense dans une capitale ? Demandez au père de famille s’il peut payer son loyer, envoyer son fils à l’athénée et suffire aux autres besoins de sa famille dans des villes comme Bruxelles, Gand, ou Liége ? Il vous répondra qu’il ne le peut pas. Je crois donc que vous avez sagement fait en adoptant le chiffre de 6,000 fr. et que vous ne sauriez mieux faire que de le maintenir.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, lorsque dans une précédente séance je proposai un sous-amendement tendant à ne payer l’augmentation de traitements qu’à dater du 1er janvier 1834, on n’a pas même daigné mettre cet amendement aux voix. Il me semble cependant qu’il méritait d’être pris en considération.
Nos dépenses s’élèvent à 90 millions de fl., et nos ressources, vous le savez, ne s’élèvent guère qu’à 33 ou 34 millions ; ce n’est pas dans un pareil moment qu’il peut être question d’augmenter les traitements. Nous sommes tous d’accord sur le principe qu’il faut que les membres de l’ordre judiciaire soient bien payés, mais encore faut-il voir si nos finances nous le permettent. En France où les juges sont honorés et où les jugements sont aussi bons que chez nous, leur traitement est beaucoup moins considérable.
Messieurs, vous étiez tous animés d’un grand esprit d’économie en arrivant ici ; dans la discussion du budget vous en avez donné des preuves constantes, et vous avez même poussé les choses jusqu’à opérer de petites réductions sur le salaire des huissiers de salle et des balayeuses ; je vois avec regret que nous sommes bien changés et que nous oublions trop souvent que nous avons besoin de ménager nos ressources financières. Je voterai contre l’amendement.
M. Gendebien. - Messieurs, je ne croyais pas que l’on remît en question aujourd’hui ce que nous avons décidé quant au traitement des conseillers, et j’ai été fort étonné, en entrant, de voir qu’on persistait à demander une réduction rejetée avec raison par la chambre. Remarquez que ce n’est pas une augmentation que vous avez votée, mais, au contraire, une diminution. Par le projet vous faites moins que ce qu’on avait fait sous Guillaume.
J’ai entendu parler du salaire des huissiers de salle et des balayeuses, et j’avoue que ce n’est pas sans étonnement que je l’ai vu mettre en comparaison avec le premier pouvoir de l’Etat ; je dis le premier pouvoir de l’Etat, car je préfère un ordre judiciaire indépendant à tous les autres pouvoirs. Sans l’indépendance des corps judiciaires vos institutions ne sont rien, et ne seront jamais rien. Avec des magistrats intègres et à l’abri des influences du pouvoir, toutes vos liberté sont garanties. Voilà pourquoi je mets au-dessus de tout le pouvoir judiciaire.
Précédemment, les conseillers de la cour de Liége avaient un traitement de 5,000 fr., plus 400 fl. pour les indemniser du service de la cour de cassation dont, ils étaient chargés. Cela répondait, à peu de chose près, à un traitement de 6,000 fr. A Bruxelles les conseillers avaient un traitement de 5,000 fr., plus 600 fl. pour les fonctions de conseillers de la cour de cassation, et par un projet récent on proposait de leur donner 3,000 fl. de traitement. Vous voyez donc que le projet actuel, au lieu d’une augmentation, consacre une réduction assez notable.
Avant la révolution, tout le monde se plaignait que l’ordre judiciaire n’était pas assez rétribué ; depuis on a fait beaucoup de promesses, on a dit que le temps était venu de les rétribuer selon leurs œuvres, et cependant vous proposez aujourd’hui de leur donner moins qu’autrefois, alors que les gros traitements ont été prodigués à des fonctions dont je ne veux pas contester l’utilité, mais dont l’existence n’est pas aussi visiblement liée au maintien de nos institutions et de nos libertés que celle de la magistrature. Je craindrais d’abuser des moments de la chambre et paraître trop redouter le rejet d’une disposition aussi juste, que d’insister plus longuement sur la nécessité d’adopter l’amendement.
M. Delehaye. - Messieurs, si je prends une seconde fois la parole dans cette discussion, je prie la chambre de croire que je n’en abuserai pas ; mais cependant j’ai besoin de répondre à ce que vient de dire l’honorable M. Gendebien.
Il a dit qu’on avait diminué le traitement des membres de l’ordre judiciaire : cela est vrai ; mais quand a-t-on fait cette diminution ? Quand tous les employés du gouvernement étaient obligés à supporter des retenues sur leur traitement ; alors on rejeta indéfiniment l’allocation qu’ils recevaient pour remplir les fonctions de conseillers de la cour de cassation. Au reste, messieurs, je vous prie de remarquer qu’en France les conseillera n’ont qu’un traitement de 3,500 fr., et si là il n’existe pas de juges prévaricateurs, est-il bien patriotique, je vous le demande, de supposer qu’il y en aura chez nous ? Je persiste dans ma proposition.
M. Destouvelles. - J’aurai l’honneur de rappeler à l’honorable préopinant que quand le congrès résolut de faire cesser l’allocation accordée aux conseillers des cours supérieures, comme remplissant les fonctions de la cour de cassation, cette décision fut particulièrement motivée sur ce que depuis longtemps ils ne siégeaient plus en cette qualité, sur ce que depuis longtemps ils ne remplissaient pas les fonctions de la cour de cassation.
Je ne puis m’empêcher de blâmer avec M. Gendebien les rapprochements qu’on a faits entre les membres de l’ordre judiciaire et d’autres individus remplissant des fonctions sans contredit fort éloignées de celles des magistrats. Je ne peux m’empêcher non plus de faire observer que, si sans cesse on répète que le peuple veut un gouvernement à bon marché, il ne doit pas vouloir de justice à bon marché, parce que la justice à bon marché serait de toutes la plus chère. Au reste, de quoi s’agit-il ? D’une somme de 36,000 fr. de plus. Il y a 18 conseillers à Bruxelles, qui auront chacun une augmentation de 1,000 fr. : 18,000 fr.
Il y a 18 conseillers à Liége ; à 500 fr. de plus chacun, cela fera 9,000 fr., et autant pour les conseillers de la cour de Gand. Vous voyez qu’en total il ne s’agit que d’une augmentation de 30,000 fr. ; et c’est pour une telle somme que vous voudriez revenir sur ce que vous avez déjà voté, quand il s’agit de la bonne organisation d’un pouvoir qui est la sûre garantie des citoyens ? Oui, messieurs, l’ordre judiciaire est le palladium de toutes nos libertés : ce n’est pas avec lui qu’il s’agit de lésiner. Sans doute il ne faut pas prodiguer l’argent des peuples ; mais, loin que ce soit le prodiguer, c’est lui assigner le meilleur emploi en donnant aux citoyens de bons juges, en assurant au pays une bonne administration de la justice.
M. Gendebien. - Messieurs, on vous a dit que le congrès avait rejeté indéfiniment l’allocation de 600 fl. accordée aux membres de la cour de Bruxelles et celle de 400 fl. accordée à ceux de la cour de Liége pour remplir les fonctions de membres de la cour de cassation ; c’est une erreur. Mais on a dit que, vu les circonstances et les sacrifices exigés de tout le monde en ce moment, il convenait de réduire aussi le traitement des conseillers. Voilà tout ce qu’on a décidé. Au reste, on pensait alors qu’une nouvelle organisation judiciaire était prochaine, et qu’on fixerait définitivement le traitement de la magistrature.
Que vous demande-t-on aujourd’hui ? Que vous fassiez instantanément jouir les magistrats de l’augmentation ? Non, puisqu’on décide que sous ce rapport la loi ne sera exécutoire qu’en 1833 au premier janvier. Si alors des sacrifices sont encore nécessaires, soyez certains que la magistrature saura céder à la nécessité. Cependant, si au premier janvier le temps des sacrifices n’est pas passé, le royaume sera en dissolution, et nous aurons sans doute à nous occuper de tout autre chose que du traitement de l’ordre judiciaire.
On a cité le traitement de la magistrature en France. Gardons- nous, messieurs, d’imiter la France sous ce rapport. Là, on a préféré la quantité à la qualité ; ici, nous avons opté pour la dernière. Et croyez-vous que vous aurez la qualité en fait de magistrats si vous les rétribuez mesquinement ?
J’entends dire toujours : Mais avec 5,000 fr., mais avec 4,500 fr. on a assez pour vivre. Messieurs, ce n’est pas là la question. La question est de savoir si parmi les hommes habiles qui se sont livrés à l’étude épineuse et aride de la science du droit, vous en trouvez qui se montrent disposés à sacrifier leur clientèle pour devenir membres d’une cour. Croyez-vous, quand vous ne leur accorderez qu’un traitement mesquin, qu’ils accepteront par pur patriotisme une condition aussi préjudiciable à leurs intérêts ? Quand nous serons arrivés à cet Eldorado du patriotisme, essayez de votre système, je le veux bien, mais vous n’y arriverez jamais.
Il s’agit donc de savoir si tous les hommes de capacité ne préfèreront le barreau à la magistrature, si la rétribution de vos magistrats est moindre que le revenu du plus mince avocat. C’est ce que vous ne pouvez raisonnablement vous permettre. Faites donc ce que vous devez ; et remarquez que vous n’augmentez pas le traitement, mais qu’au contraire vous le diminuez eu égard au taux précédent ; et d’un autre côté vous économisez sur la dépense générale, même avec une augmentation de traitement, puisque vous avez diminué le nombre des magistrats nécessaires pour rendre arrêt. Il y a donc économie des deux côtés ; si vous voulez en opérer de plus grandes, vous le pouvez mais ce sera au préjudice de la bonne administration de la justice en livrant les places de la magistrature au rebut du barreau.
M. Milcamps. - Messieurs, j’avais voté contre l’augmentation de 1,000 fr. à accorder aux conseillers de la cour de Bruxelles ; mais la chambre en ayant jugé autrement que moi, l’augmentation fut adoptée. Partant de ce fait, j’ai cru qu’on ne pouvait se dispenser d’augmenter en proportion le traitement des juges inférieurs ; mais je n’ai pas été déterminé par les mêmes raisons pour les uns que pour les autres.
En effet, des plaintes s’étaient souvent élevées contre la parcimonie avec laquelle étaient traités les membres des tribunaux inférieurs, et avec de modiques appointements il serait impossible de trouver de bons juges. Ce motif n’existe pas pour les juges supérieurs, puisque, quand sous l’empire nos conseillers ne jouissaient que d’un traitement de 3,500 fr., nous comptions beaucoup de bons magistrats, et la cour de Bruxelles passait pour une des cours les plus distinguées du grand empire. Quand il a été question de l’organisation judiciaire et qu’on a dit qu’il fallait bien payer les magistrats, cela ne s’entendait pas généralement des juges supérieurs, mais des tribunaux inférieurs : il faut donc laisser subsister le traitement de ces derniers tel qu’il a été voté ; et, après avoir réfléchi sur la question, je reviens de même sur ma première opinion touchant les conseillers, et je voterai pour l’augmentation.
M. Lebeau. - Messieurs, le terme de gouvernement à bon marché emporte pour moi une idée extrêmement vague. Si vous ne voulez voir le gouvernement à bon marché que dans le chiffre du budget d’un Etat, vous trouverez le gouvernement à bon marché à Saint-Pétersbourg, peut-être aussi à Constantinople ; mais vous ne le trouverez dans aucun gouvernement représentatif constitutionnel de l’Europe.
Chacun sait que les gouvernements constitutionnels, eu égard à leurs budgets, coûtent cher, et ce n’est pas en Europe seulement, mais en Amérique, aux Etats-Unis, où (personne ne se fait plus illusion aujourd’hui sur ce point) le gouvernement est aussi cher que partout ailleurs.
Le gouvernement à bon marché n’est pas celui où les citoyens paient le moins ; c’est celui où, par des institutions libérales, l’essor est donné à l’esprit humain, où chacun trouve dans de bonnes lois la sécurité qui protège tous les genres de prospérité. La liberté politique et civile enfante des miracles, tandis que là où le despotisme pèse de tout son poids, il étouffe les facultés morales et industrielles ; il livre l’esprit humain à l’engourdissement et à cette fatale inertie qui tarit toutes les sources de la production et, par suite, celles de la prospérité nationale. Voilà, messieurs, comment il faut entendre les gouvernements à bon marché et les gouvernements ruineux ; mais ce n’est pas le chiffre du budget qui est le thermomètre de la richesse du pays.
La liberté est chère ; l’indépendance surtout peut paraître coûteuse aux peuples. Car enfin si nous faisions partie du royaume de France, ou si nous étions encore réunis à la Hollande, nous n’aurions pas besoin pour nous seuls de payer une cour de cassation, un conseil des ministres, un corps diplomatique, etc.
Vouloir du bon marché en renonçant à ces dépenses, en les présentant comme des charges intolérables, c’est mettre en question votre indépendance, votre existence comme nation.
Messieurs, nous devons faire pour le bien de notre pays, pour le maintien de nos institutions, toutes les dépenses utiles ; sans prodigalité sans doute, mais aussi sans lésinerie.
Vous reculez devant le juste traitement à accorder à l’ordre judiciaire ; vous trouvez la dépense trop grande ; mais pourquoi, quand il s’est agi de la création d’une troisième cour d’appel, n’a-t-on pas réclamé ? Pourquoi ceux-là même qui sont venus nous parler aujourd’hui de balayeuses (j’ai quelque honte de revenir sur cette comparaison), pourquoi, dis-je, les mêmes voix qui réclament si fort aujourd’hui, ne réclamaient-elles pas alors qu’il s’agissait d’établir une cour d’appel à Gand ? Vous avez accueilli le principe pour ainsi dire avec acclamation, sachez en subir les inconséquences. Vous avez voulu une cour à Gand ; nous voulons tous que tous les magistrats, même ceux de Gand, soient convenablement rétribués.
Messieurs, si nous ne sommes pas un gouvernement à bon marché, un de ces gouvernements utopiques dont on nous parle souvent et qui n’existent nulle part, nous ne pouvons pas non plus être taxés de prodigalité. Nous avons fait main basse sur tout ce qui était sinécure, emploi inutile ou rétribution exagérée ; nous avons frappé sans pitié les traitements des ministres, de la diplomatie, des évêques, des gouverneurs, des commissaires de district, etc. ; nous avons poussé les réductions trop loin peut-être ; et ce sont les représentants belges qu’on accuserait d’avoir soulevé depuis quelques jours l’opinion publique contre eux, pour avoir fait à la magistrature la position que de toutes parts on réclame pour elle depuis trente ans !
Non, messieurs, l’opinion publique n’est pas là où on veut nous la montrer ; l’opinion publique a d’autres voies pour arriver jusqu’à nous. Les pétitions, la presse, et par-dessus tout la révocation de notre mandat : voilà les voies par lesquelles l’opinion se fait jour. Où sont ces nombreuses réclamations contre la loi actuelle ?
On a parlé du traitement des membres de l’ordre judiciaire sous l’empire. Pendant qu’on ne payait aux conseillers des cours qu’un traitement de 2,400, de 3,600 francs on avait encore de bons juges, dit-on. Cela se peut, mais pourquoi ? C’est qu’aussi longtemps qu’un homme n’est pas placé entre son intérêt et son devoir, il fait le bien. Quelquefois même il le fait en sacrifiant son intérêt ; il peut résister plus ou moins aux suggestions des corrupteurs de tout genre. Mais la sagesse du législateur doit peu compter sur le dévouement et le sacrifice ; elle éloigne autant qu’elle peut de trop rudes épreuves offertes à la fragilité humaine ; elle prend l’homme tel qu’il est avec ses vertus et ses penchants.
L’empereur, au reste, faisait peu de cas de l’ordre judiciaire ; il tendait plutôt à le rabaisser qu’à l’élever. Il en avait peur, comme en ont peur tous les gouvernements qui conspirent contre les garanties constitutionnelles, qui tendent à placer leur volonté au-dessus des lois du pays. .
Si vous fixez le traitement des conseillers à 3,600 fr., demandez-vous si vous aurez l’élite des magistrats inférieurs pour composer vos cours. Demandez-vous si les capacités du barreau consentiront à accepter des places dans la magistrature.
Si vous fixez un trop modique traitement, vous faites de la magistrature une véritable aristocratie. Les gens riches pourront seuls aspirer à rendre la justice ; pour les hommes instruits sans fortune, la carrière de la magistrature sera tout à fait inaccessible : ainsi vous aurez fait mentir notre constitution, qui veut que tous les citoyens soient également admissibles à tous les emplois sans distinction de fortune.
Maintenant, messieurs, est-il vrai que par les deux projets que vous avez adoptés vous ayez augmenté la dépense relative aux cours d’appel ? Je soutiens le contraire ; vous avez, au lieu d’une augmentation, opéré des économies, et vous y êtes arrivés par deux procédés : le premier consiste dans la réduction du nombre des membres nécessaires pour rendre arrêt ; le second, dans la réduction du traitement du premier président et du procureur-général.
L’honorable M. Destouvelles a dit que l’augmentation contre laquelle on s’élevait n’allait pas au-delà de 35,000 fr. ; mais de ce chiffre il faut déduire 10,000 fr., pour la réduction opérée sur le traitement du premier président et du procureur-général de la cour de Bruxelles. A la cour de Liége on a diminué la dépense d’une somme de 6,000 fr., en réduisant de 12,000 à 9,000 les traitements du premier président et du procureur-général.
Ensuite, comme vous ayez réduit de 7 à 5 le nombre des conseillers nécessaires pour rendre arrêt, et comme il y a en général trois chambres à chaque cour, voilà dix-huit conseillers à déduire, qui, à 5,000 fr. de traitement, produisent une économie de 90,000 fr.
Ainsi, si nous avions conservé le statu quo, si le traitement des premiers présidents et des procureurs-généraux avait été maintenu, si vous n’aviez pas réduit le nombre des conseillers, et si vous aviez augmenté de quatre conseillers le personnel de la cour de cassation, augmentation qui eût été nécessaire pour maintenir la proportion avec le personnel des cours d’appel jugeant à sept conseillers par chambre, votre dépense serait considérablement augmentée, tandis que par le nouveau système vous avez opéré une réduction notable. Si le chiffre de la dépense générale se trouve réellement augmenté, cela vient uniquement de la création de la cour de cassation et de la cour de Gand ; mais ce n’est pas à nous qu’il faut s’en prendre.
Je crois donc, messieurs, que nous n’avons aucun reproche à nous faire, et qu’après avoir voté la présente loi nous pourrons rentrer chez nous le front haut et l’âme pleine de quiétude, bien certains que nous n’aurons rien fait que d’utile au pays et à nos commettants : car nous aurons mis pour jamais au-dessus des séductions des particuliers et du pouvoir les hommes que l’opinion publique se plaît à regarder comme les gardiens de la fortune, de la liberté et de l’honneur des citoyens.
M. A. Rodenbach. - Je demande la parole pour un fait personnel. Messieurs, je n’ai pas comparé les membres de l’ordre judiciaire à des huissiers de salle, ni à des balayeuses ; j’ai dit seulement que dans la discussion du budget nous étions tous animés d’un grand esprit d’économie, et que nous l’avons poussé jusqu’à réduire le traitement de ces malheureux. J’ai fait remarquer qu’aujourd’hui cet esprit d’économie semblait s’être éloigné de la plus grande partie de nos collègues, et je déplorais qu’il en fût ainsi, parce que nous avons plus que jamais besoin d’économies.
Quant à ce que le préopinant a dit des Etats-Unis d’Amérique, la question n’est pas encore décidée. On publie des brochures pour la débattre de part et d’autre, et on n’a pas encore prouvé que les citoyens des Etats-Unis paient plus de 11 fr. par tête. A ce prix ce gouvernement serait beaucoup moins cher que le nôtre ; je sais cependant que nous ne sommes pas ici en république : mais du reste, je le répète, la question n’est pas décidée.
Je reviens a la question. J’ai dit tantôt que par un sous-amendement j’avais proposé de décider que l’augmentation ne serait payée qu’à dater de 1834, et que M. le président ne me fit pas même la grâce de mettre ce sous-amendement aux voix. J’ai le droit de dire que je suis très mécontent de cela (on rit), et j’espère qu’on voudra bien aujourd’hui me rendre justice.
M. Dumortier. - Je ne ferai pas, comme un préopinant, l’injure à la liberté de dire qu’elle coûte fort cher ; car, messieurs, de telles propositions ne tendraient à rien moins qu’à faire haïr la liberté et à faire chérir le despotisme au peuple. Ce n’est pas pour des théories et pour des principes que le peuple a fait la révolution, c’est pour améliorer son bien-être. Qu’importe, en effet, au peuple la liberté de la presse, l’établissement du jury et tant d’autres choses qu’il ne comprend pas ? Cela constitue sans doute de précieuses garanties pour les hommes éclairés qui savent en apprécier la valeur ; mais pour le peuple tous ces beaux principes ne sont rien. Je ne saurais donc assez flétrir les opinions émises par l’honorable membre, car si elles trouvaient de l’écho parmi le peuple, en lui faisant chérir le despotisme, elles lui feraient honnir et bafouer la liberté.
On a dit que les gouvernements constitutionnels coûtaient cher. Messieurs s’ils coûtent cher, ce n’est pas parce que les places y doivent être mieux rétribuées, mais ils coûtent plus cher à cause de la dette qui est le chancre des Etats constitutionnels ; mais qu’on ne prétende pas que là les capacités doivent être payées 10,000 fr., quand dans les gouvernements absolus elles n’en coûteraient que 5,000 ; car ce serait une absurdité telle qu’il m’est impossible de croire que telle ait été la pensée de l’honorable préopinant.
On a dit qu’en Amérique le gouvernement n’était pas à bon marché. Messieurs, si en Amérique on a récemment proposé d’augmenter le traitement des juges et généralement de tous les autres employés de l’Etat, c’est que la dette y est anéantie. Là le chancre qui nous ronge et que nous a imposé la conférence n’existe plus, et si nos finances se trouvaient dans une position aussi favorable, j’en appelle à tous ceux qui m’écoutent, est-il un seul de nous qui parlât d’économies quand il s’agit de rétribuer convenablement la magistrature ? Notre état financier nous commande d’être économes et nous devons l’être ; et si nous avons fait la révolution pour les principes, nous ne devons pas oublier que le peuple ne l’a faite que pour de l’argent. Il faut donc rendre son sort meilleur en allégeant ses charges.
J’en viens maintenant à la proposition de M. Delehaye, et, quoique partisan des économies, je ne crois pas pouvoir l’accepter en ces termes. Je crois que pour les conseillers de la cour de Bruxelles il serait injuste de fixer le même traitement que pour ceux des cours de Liége et de Gand, et je crois, vu les plus grandes dépenses qu’ils sont obligés de faire, qu’il faut leur allouer 500 fr. de plus.
On a dit qu’il était indispensable de maintenir le chiffre de 6,000 fr. ; que sans cela on ne verrait surgir dans la magistrature que le rebut du barreau. Je ne partage pas cette opinion ; je ne crois pas que pour 500 fr. de plus ou de moins on éloigne ou on rapproche les capacités des sièges de la magistrature. Si nous avons des capacités en Belgique, ce ne sera pas 500 fr. qui les retiendront et qui empêcheront d’accepter des fonctions honorables, et si nous manquons de capacités, il ne faut pas croire que 500 fr. de plus les fassent surgir.
Remarquez messieurs, que les membres de la cour des comptes, qui cependant ont le pas sur les membres de la cour d’appel, n’ont qu’un traitement de 5,000 fr. : ce serait manquer à la hiérarchie que d’allouer 6,000 fr. à ceux-ci, et les membres de la cour des comptes devraient aussitôt demander 7,000 fr. de traitement, et en bonne justice vous devriez les leur accorder.
Mais, dit-on, vous diminuez le traitement actuel des conseillers. Messieurs, vous connaissez la maxime des Saint-Simoniens, à chacun selon ses œuvres (hilarité) : c’est ici le cas de l’appliquer. Quand les conseillers de cours d’appel faisaient les fonctions de la cour de cassation, ce surcroît de besogne justifiait une augmentation de traitement, quand ils cessent de faire ce travail, le traitement doit aussi cesser. D’ailleurs, messieurs, quand tous les autres traitements ont été réduits, pourquoi ceux-ci seraient-ils augmentés ? Mais chaque fonctionnaire serait fondé à venir réclamer contre les réductions qu’il a dû subir ; les ministres qui avaient 20,000 fl. de traitement sous Guillaume et qui aujourd’hui n’en ont que 10,000, viendraient vous demander de leur rendre leur ancien traitement.
Les ambassadeurs qui avaient 60 ou 80,000 fl. vous les demanderaient encore ; les évêques qu’on a réduits, réduction que j’approuve, demanderaient aussi ce que le Régent leur a supprimé ; en un mot, il faudrait remettre tout sur l’ancien taux. Si vous n’êtes pas disposés à le faire, moi je ne puis admettre que les membres de l’ordre judiciaire soient seuls augmentés. Quand nos finances seront dans un état plus prospère, je serai le premier à demander qu’on augmente leur traitement ; mais aujourd’hui je pense qu’il convient d’augmenter de 500 fr. seulement celui des conseillers de la cour de Bruxelles et qu’on laisse les autres à 5,000 fr., sauf à augmenter plus tard de 500 fr., quand l’état du trésor nous le permettra.
M. Pirmez. - Messieurs, cette discussion a offert une circonstance tout à fait particulière ; on a vu le chef d’un département ministériel combattre à outrance pour faire diminuer son budget, de manière qu’on a dû lui arracher des augmentations avec plus d’effort encore qu’on en met pour arracher des diminutions à ses collègues. (Hilarité générale). J’ai pensé que celui-là qui était à la tête du département de la justice devait être bien convaincu de la suffisance des traitements demandés pour agir de cette manière.
Je pense que nous devons payer largement l’ordre judiciaire, mais le projet ministériel a déjà augmenté ces traitements ; nous pouvons faire davantage encore, mais jetons les yeux sur notre situation, et remettons à la paix l’allocation de gros traitements.
Quoi qu’on en ait dit du gouvernement à bon marché, le gouvernement à meilleur marché est celui où on obtient le même résultat avec le moins de sacrifices. Je suis convaincu qu’en France les juges sont indépendants, ils sont beaucoup moins payés qu’ils ne l’étaient sous la Hollande ; vous n’avez pas vu dans ce pays-là de lâches complaisances comme vous en avez vu dans le royaume des Pays-Bas. Ce n’est donc pas l’argent qui fait le bon juge.
- La clôture est demandée et adoptée.
M. le président. met aux voix l’amendement qui fixe à 6,000 fr. le traitement des conseillers de la cour de Bruxelles.
Plusieurs membres demandent l’appel nominal ; il y est procédé ; en voici le résultat :
Votants, 71 ; oui, 37 ; non, 34 ; le chiffre de 6,000 fr. est adopté.
Ont voté pour : MM. Barthélemy, Berger, Taintenier, Bourgeois, Brabant, Davignon, H. de Brouckere d’Elhoungne, Dellafaille, de Roo, Destouvelles, de Terbecq, Devaux, Dewitte, Dugniolle, Duvivier, Gendebien, Helias d’Huddeghem, Jonet, Lardinois, Lebeau, Leclercq, Lefebvre, Liedts, Milcamps Nothomb, Olislagers, Poschet, Raymaeckers, Thienpont, de Tiecken de Terhove, Vandenhove, Vanderbelen, Van Innis, Van Meenen, Watlet.
Ont voté contre : MM. Boucqueau de Villeraie, Cols, Coppens, Coppieters, Dautrebande, de Gerlache, Delehaye, de Haerne, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Sécus, Desmet, de Theux, d’Hoffschmidt, Dubus, Dumortier, Goethals, Hye-Hoys, Legrelle, Mary, Morel-Danheel, Osy, Pirmez, Polfvliet, Raikem, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Serruys, Ullens, Vergauwen, Verhagen, Vuylsteke et Zoude.
On adopte ensuite le paragraphe qui fixe à 5,500 fr. le traitement des conseillers des cours de Liége et de Gand.
On adopte ensuite sans discussion les traitements suivants :
Président de chambre à Bruxelles, 7,000 fr.
Idem à Liége et à Gand, 6,500 fr.
Avocat-général à Bruxelles, 7,000 fr.
Idem à Liége et à Gand, 6,500 fr.
Substitut du procureur-général à Bruxelles, 5,000 fr.
Idem à Liége et à Gand, 4,500 fr.
Indemnités pour les conseillers délégués à la présidence des cours d’assises, 500 fr.
On passe ensuite à l’article 3 relatif aux tribunaux de première instance.
La fusion des tribunaux de la première et de la deuxième classe en une seule est confirmée.
On confirme également l’élévation du tribunal de Tournay au rang des tribunaux de deuxième classe.
M. Liedts et M. Dellafaille proposent de porter le tribunal d’Audenarde à la troisième classe.
M. Liedts. - Messieurs, vous avez admis dans une séance précédente que le tribunal de Termonde serait porté dans la troisième classe des tribunaux et vous avez été conduits à faire ce changement au projet de loi, par le motif que l’arrondissement de Termonde est au moins aussi populeux et fournit autant de causes qu’aucun des autres tribunaux compris dans la troisième. Vous ne pouvez, messieurs, sans être inconséquents, ne pas admettre le tribunal d’Audenarde.
En effet comparons d’abord la population de cet arrondissement, qui est de 175,810 habitants, avec celle des autres arrondissements rangés dans la troisième classe, et l’on verra que des sept arrondissements de cette dernière classe, cinq sont inférieurs en population à celui d’Audenarde, à savoir : celui de Charleroy qui compte 166,819 habitants ; celui de Louvain qui compte 150,194 habitants ; celui de Malines qui compte 105,025 habitants ; celui de Verviers qui compte 103,731 habitants et celui d’Ypres qui compte 119,562 habitants.
Ainsi, à n’envisager que la population des arrondissements, le tribunal d’Audenarde mérite plus que les cinq tribunaux que je viens de nommer de figurer dans la troisième classe.
Voyons maintenant le nombre des affaires. D’un relevé décennal que j’ai à la main, il résulte que de 1817 à 1828 le tribunal d’Audenarde a eu à s’occuper de 6,295 causes civiles, Courtray de 5,664, Malines de 3,502, Charleroy de 3,843, Louvain de 3,054, Ypres de 2,181. Ainsi, sous ce rapport encore, le tribunal d’Audenarde l’emporte de beaucoup sur la plupart des tribunaux portés dans la troisième classe.
L’on ne serait pas fondé à m’objecter qu’il faut avant tout avoir égard à la population de la ville où siège le tribunal, puisque parmi les tribunaux de la troisième classe, j’en trouve qui siègent dans des villes aussi petites que la ville d’Audenarde ; c’est ainsi que, par exemple, les villes de Termonde et de Charleroy diffèrent fort peu, en population, de la ville d’Audenarde. Ainsi, messieurs, de quelque côté que vous envisagiez la question, le tribunal d’Audenarde mérite de figurer parmi les tribunaux de troisième classe.
Vous pourriez craindre peut-être qu’en adoptant ma proposition, d’autres tribunaux de la quatrième classe n’élèvent la voix ; mais je puis vous garantir, messieurs, qu’un examen attentif vous convaincra qu’aucun des autres tribunaux de la quatrième classe ne se trouve dans la même position que celui des tribunaux de 25,000 à 90,000 âmes, qui n’offrent pas le quart des affaires portées annuellement au tribunal d’Audenarde.
Je pense donc, messieurs, que vous n’hésiterez pas à redresser une erreur toute matérielle qui se trouve dans le projet.
M. Barthélemy. - Je demande la parole.
- Plusieurs voix. - On ne peut pas délibérer sur l’amendement de M. Liedts ; l’article 45 du règlement s’y oppose.
M. le président. - Prend-on la parole sur la question préjudicielle ?
M. Delehaye. - Le règlement dit que la discussion, lors du second vote, se portera sur les amendements ou les articles rejetés. M. Liedts est évidemment dans les termes du règlement, car son amendement se rattache évidemment à un article rejeté. C’est un oubli de la part de la chambre d’avoir laissé le tribunal d’Audenarde dans la quatrième classe ; il doit être dans la troisième.
M. Barthélemy. - Si vous admettez la classification proposée, tous les tribunaux de la Flandre orientale seront sur la même ligne ; vous n’aurez que des arrondissements du troisième ordre dans ces contrées…
- Plusieurs voix. - Qu’est-ce que cela fait ?
M. Barthélemy. - Il ne s’agit pas de savoir quelle est la population d’un arrondissement judiciaire pour classer un tribunal, mais quel est le nombre des affaires qui lui sont soumises. Or, j’ai eu sous les yeux le tableau des affaires jugées pendant dix ans dans les divers tribunaux, et le tribunal de Termonde juge plus d’affaires que celui d’Audenarde, et il y avait raison d’élever le tribunal de Termonde d’une classe.
M. Verdussen. - Je ne crois pas que l’amendement puisse être mis en discussion ; lors de la discussion de la loi monétaire, j’ai eu l’honneur de présenter un amendement relatif à l’émission d’une pièce de monnaie, et ma proposition a été écartée parce qu’elle ne se rattachait pas à un article amendé ou rejeté.
M. Liedts. - Quant à la fin de non-recevoir, je dirai qu’il serait peu loyal et souverainement injuste de rejeter ma proposition par un tel moyen ; évidemment si le tribunal d’Audenarde n’a pas été mis dans la quatrième classe, c’est le résultat d’un oubli. M. Barthélemy dit qu’il n’y aura que des tribunaux de troisième classe dans la Flandre orientale ; mais c’est que la Flandre orientale est très peuplée ; la Flandre occidentale ne compte que des tribunaux de quatrième classe. Le tribunal d’Audenarde ne juge pas autant d’affaires que celui de Termonde, sans doute ; mais le tribunal d’Audenarde en juge autant que tous les tribunaux de la troisième classe.
M. Destouvelles. - Je combats la fin de non-recevoir ; l’amendement de M. Liedts me parait fondé sur les mêmes motifs qui ont fait admettre, lors du premier vote, le tribunal de Termonde dans une classe supérieure à celle où il était placé. Le tribunal d’Audenarde est supérieur à beaucoup de tribunaux placés dans la troisième classe, et sous le rapport de la population de l’arrondissement, et sous celui du nombre des affaires qu’il juge ; il a plus d’affaires que les tribunaux de Charleroy, Courtray, Malines et Ypres : pourquoi ce tribunal ne serait-il pas dans la troisième classe ? J’appuie l’amendement de M. Liedts.
M. Helias d’Huddeghem. - Le tribunal d’Audenarde est en même temps tribunal de commerce, tandis qu’à Termonde il n’y a pas de tribunal de commerce ; ce tribunal est à Saint-Nicolas. Je sais par expérience qu’il y a beaucoup d’affaires à Audenarde.
- L’amendement de M. Liedts est mis aux voix et adopté.
M. le président: Nous allons passer aux traitements des juges.
« Juge de première classe, 3,400 fr. »
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - L’assemblée a réuni la première et la deuxième classe du projet du gouvernement.
Dans le projet primitif, Bruxelles seul était porté à la première classe à 3,400 fr. Lors de cette réunion, j’ai demandé que l’on maintînt pour les juges le chiffre de la seconde classe ou 3,200 fr.
M. le président. - M. le ministre de la justice propose 3,200 fr.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - C’est la section centrale qui a fait l’amendement.
- Le chiffre de 3,400 fr. est mis aux voix.
Deux épreuves par assis et levé sont douteuses. On procède à l’appel nominal.
37 membres répondent oui ou votent le chiffre.
35 membres répondent non ou votent contre le chiffre.
Le chiffre 3,400 fr. pour les juges de première classe est adopté.
M. le président: Le juge d’instruction au tribunal de première classe, 4,000 fr.
- Le chiffre est adopté.
M. le président. - Le vice-président, 4,200 fr.
- Le chiffre est adopté.
M. le président. - Le président du tribunal, 5,000 fr.
- Le chiffre est adopté.
M. le président. - Procureur du Roi, 5,000 fr.
- Le chiffre est adopté.
M. le président. - Substitut, 3,400 fr.
- Le chiffre est adopté.
M. le président. - Greffier, 3,000 fr.
- Le chiffre est adopté.
M. le président. - Commis-greffier, 1,700 fr.
- Le chiffre est adopté.
M. le président. - Nous passons aux tribunaux de seconde classe.
D’après les votes successifs de la chambre, les chiffres suivons sont maintenus :
Juge, 3,000 fr.
Juge d’instruction, 3,500 fr.
Vice-président, 3,700 fr.
Président, 4,500 fr.
Procureur du Roi, 4,500 fr.
Substitut, 3,000 fr.
Greffier, 2,200 fr.
Par le premier vote de la chambre, le commis-greffier dans les tribunaux de la seconde classe était porté à 1,400 fr. ; il est réduit à 1,200 fr. par le second vote.
M. le président. - Nous allons passer à la troisième classe.
Les chiffres suivants sont maintenus :
Juge, 2,700 fr.
Juge d’instruction, 3,100 fr.
Président, 4,000 fr.
Procureur du Roi, 4,000 fr.
Substitut, 2,700 fr.
Greffier, 2,000 fr.
Le commis-greffier, dans le premier vote, était 1,200 fr. ; il est réduit par le second vote à 1,100 fr.
M. le président: Nous allons délibérer sur la quatrième classe.
Juge, 2,400 fr.
Juge d’instruction, 2,800 fr.
Président, 3,600 fr.
Procureur du Roi, 3,600 fr.
Substitut, 2,400 fr.
Le greffier et le commis-greffier comme au premier vote.
Tous ces chiffres forment l’article, qui est voté dans son ensemble.
Une modification introduite dans l’article lors du premier vote est mise en délibération.
Dans le projet de la section centrale, on avait mis dans le second paragraphe de l’article 5 : « dans les chefs-lieux de province. » Par amendement on a mis : « dans les autres villes chefs-lieux d’arrondissements judiciaires. »
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Il me semble qu’il faudrait dire « arrondissements judiciaires de deuxième et troisième classe. »
- L’amendement de M. le ministre de la justice est adopté.
M. le président. - A l’article 8, il y a un amendement de M. Devaux, et un de la section centrale :
« Les augmentations de traitements établies par les articles 2 et 4 ne profiteront aux membres de l’ordre judiciaire qu’à partir du premier janvier 1833. »
Un sous-amendement vient d’être déposé par M. A. Rodenbach :
« Les augmentations de traitements ne profiteront aux membres de l’ordre judiciaire qu’à partir du premier janvier 1834. » (Appuyé ! appuyé !)
M. A. Rodenbach. Il me semble que mon sous-amendement n’a pas besoin de développement, et il est clair pour qui veut l’entendre. Mon but est de diminuer les impôts d’un demi-million de francs. J’espère que ma proposition sera adoptée ; si elle ne l’était pas., je partirais pour ma province, et j’y porterais le front haut comme M. Lebeau.
M. Lebeau. - Je demande la parole pour un fait personnel. N’ayant point incriminé les opinions de M. A. Rodenbach je ne lui ai pas donné le droit de récrimination. D’un côté de la chambre on semblait dire à ceux qui s’opposaient à des réductions qui leur paraissaient sans mesure : Allez-vous présenter devant vos commettants. Oui, nous pouvons nous présenter devant eux, car nous avons émis une opinion consciencieuse et aussi consciencieuse que celle de nos adversaires ; nous avons émis l’opinion soutenue depuis trente ans que la magistrature n’était pas traitée aussi honorablement qu’elle devait l’être ; notre conviction est aussi forte que celle de M. A. Rodenbach, avec lequel d’ailleurs nous marchons d’accord, car nous appuyons son amendement.
M. le président. - M. Mary demande que l’augmentation du traitement des membres de l’ordre judiciaire ne leur profite qu’à la paix.
M. Mary. - Nous pouvons nous trouver dans des circonstances extraordinaires ; il ne faut fixer ni 1833 ni 1834, il faut attendre la paix. D’après la loi de l’an VIII, les traitements des tribunaux dans la Belgique ne s’élevaient qu’à un million de fr. ; sous la Hollande ils se sont élevés jusqu’à 1,400,000 fr. ; par la loi actuelle, nous les portons à 2,000,000 de fr. Nous ne sommes pas en position d’augmenter nos dépenses dans ce moment ; nous avons un budget de dépenses de 96 millions de florins ; nous n’avons que 49 à 50 millions pour y faire face ; ainsi il y a un déficit de 46 millions de florins. Je regrette que M. le ministre des finances ne soit pas là pour nous dire comment il couvrira ce déficit.
Je crois que nous devons faire comme on a fait en France, et dire que l’augmentation ne pourra profiter qu’à la paix. Sous l’empire, il est vrai, il n’y avait pas de paix, et l’ajournement était indéfini ; mais nous sommes dans une position plus favorable.
M. le président. - L’amendement est-il appuyé ? (Oui ! oui !)
M. Taintenier. - Nous faisons des calculs de tribune, calculs qu’on répète dans le public ; il faut y faire attention : on dit que nous grevons le trésor de plus d’un demi-million de francs, et on omet de dire que vous avez créé une cour de cassation qui, à elle seule, coûte 240,000 fr., et que vous avez établi une cour à Gand, qui coûtera 70,000 fr. En examinant avec attention ce qui résulte réellement des augmentations de traitements, il n’y en a pas pour 200,000 fr., et on ne trouvera pas là une dilapidation des deniers publics. Laisserez-vous dormir jusqu’à la paix la cour de cassation ? Etablirez-vous en espérance la cour de Gand ? Alors vous dépenserez 300,000 fr. de moins.
M. Legrelle. - Nous avons voté, il y a quelques jours, une dépense pour la guerre : nous l’avons votée avec enthousiasme et nous avons trouvé de l’écho dans le pays ; mais imaginez-vous que les augmentations de dépenses pour l’ordre judiciaire trouveront un écho semblable ? J’en doute. Quant à moi, je voterai contre la loi, si l’amendement de M. Mary n’est pas adopté.
M. Bourgeois. - Je tiens beaucoup à ce qu’on ne dise pas dans les journaux que les augmentations sont faites sans discernement. M. Taintenier vous a dit que la cour de cassation à elle seule faisait une augmentation de 240,000 fr., et que la cour de Gand coûterait 70,000 fr. L’élévation du traitement des juges ne produit donc pas une augmentation aussi considérable qu’on le dit. Laissez la cour de cassation comme elle est : à Bruxelles vous avez 49 juges, à Liége vous en avez 27 ; comptez ce qu’ils coûtent, et vous trouverez que la cour de cassation ne produit qu’une augmentation de 124.000 fr. Ainsi il n’y a donc pas une augmentation d’un demi-million.
M. Mary. - Je n’entre pas dans les détails, j’aperçois l’ensemble. Sous la Hollande, l’ordre judiciaire ne coûtait que 1,400,000 fr. L’augmentation est au moins de 400,000 fr. Je vois avec plaisir qu’on sent la nécessité de faire un sacrifice sur l’autel de la patrie. Il est impossible que nous fassions des augmentations pour les services ordinaires quand nous avons à faire face à tant de dépenses extraordinaires pour la guerre. Je maintiens mon amendement, et je demande itérativement que l’augmentation n’ait lieu qu’après la paix.
M. Dubus. - On vient de citer des calculs que j’ai présentés. Ce n’est pas moi qui, en comparant les budgets anciens aux budgets nouveaux, ai fait les calculs. Je les ai puisés dans un document communiqué par le ministre de la justice. J’ai trouvé que l’ordre judiciaire coûtait 1,400,000 fr., et qu’il y aurait augmentation de 500,000 fr. c’est-à-dire un demi-million.
Quant aux amendements, je préfère celui de M. A. Rodenbach. M. Mary fait une proposition trop indéterminée.
Il y a deux moyens à prendre, ou de rejeter la loi ou de fixer un délai. S’il faut ajourner jusqu’après la paix, autant vaudrait ajourner la loi. Lors même que nous aurions la paix dès aujourd’hui, nous aurions encore des charges considérables pour l’année prochaine, et c’est justement dans cette année que se trouverait l’augmentation.
M. Dewitte. - Certainement nous ne ferons pas une loi dont l’exécution puisse être renvoyée à jamais ; comme M. Mary propose un terme qui, comme sous l’empereur Napoléon, peut ne pas arriver, je vote contre.
M. Bourgeois. - Je voudrais savoir si, dans l’augmentation de 500,000 fr., M. le rapporteur compte la cour de cassation.
M. Dubus. - Sans doute.
M. Bourgeois. - Eh bien ! mon observation reste.
M. Dubus. - Mais pour les contribuables c’est la même chose : c’est une augmentation de 500,000 fr.
M. Destouvelles. - On vient de présenter les résultats de calcul fondés sur l’état de l’ordre judiciaire actuel ; mais si on considérait l’état de l’ordre judiciaire en 1827, on verrait que nous sommes bien en arrière ; nous ne chargeons donc pas le peuple de nouveaux impôts.
Les juges gémissaient depuis 30 ans ; on était prêt à saisir une nouvelle organisation, lorsque sont venus les événements de 1830 ; et aujourd’hui nous sommes loin de voir se réaliser les espérances des magistrats. Si on prenait d’une main le décret de 1817, et de l’autre la loi actuelle, on verrait que nous sommes loin d’atteindre à une augmentation aussi grande.
- La chambre ferme la discussion.
M. A. Rodenbach. - Je propose que la majoration ne soit payée qu’à partir du premier janvier 1834.
M. Mary. - Je me réunis au sous-amendement de M. Rodenbach.
M. Lebeau. - Il n’y a qu’un changement d’époques à mettre dans la rédaction de l’article.
M. Dubus. - Il faudra cependant supprimer l’amendement de la section centrale, et lire : « Les articles 2, 4 et 5... »
M. Taintenier. - Il faudrait décider si l’on établira la cour de cassation et la cour de Gand en 1834 ou actuellement.
M. Lebeau. - Je demande qu’on relise l’amendement de M. Devaux pour lever les scrupules de l’honorable préopinant.
M. le président. - « L’augmentation de traitements établies par les articles 2, 4 et 5 ne profitera aux membres de l’ordre judiciaire qu’à partir du premier janvier 1834. »
M. Lebeau. - La cour de cassation, c’est l’article premier.
M. Taintenier. - Ainsi la cour de cassation aura le traitement fixé la loi ? (Oui ! oui !)
- L’amendement de M. A. Rodenbach mis aux voix est adopté à la presque unanimité.
M. Lebeau. - Je crois que dans l’article 8, il faudrait mettre « les titulaires, » au lieu de « les membres de l’ordre judiciaire. »
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Le changement n’est pas nécessaire.
L’article 8 sous-amendé pas. M. Rodenbach est adopté.
L’ensemble de la loi est soumis à l’appel nominal.
54 membres votent l’adoption.
18 membres votent contre.
Le projet est adopté, et sera envoyé au sénat.
Voici les noms des membres qui ont pris part à la délibération.
Ont voté pour : MM. Barthélemy, Boucqueau de Villeraie, Berger, Bourgeois, Brabant, Coppens, Coppieters, Dautrebande, Davignon, H. de Brouckere, de Gerlache, d’Elhoungne, Dellafaille, de Meer de Moorsel, de Muelenaere, de Nef, de Roo, de Sécus, Desmet, Destouvelles, de Terbecq, de Theux, de Witte, Dubus, Dumortier, Duvivier, Helias d’Huddeghem, Jonet, Lardinois, Lebeau, Leclercq, Lefebvre, Legrelle, Liedts, Mary, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Olislagers, Osy, Poschet, Raikem, Raymaeckers, Rogier, Serruys, Thienpont, Tiecken de Terhove, Vandenhove, Vanderbelen, Van Innis, Van Meenen, Vuylsteke et Watlet.
Ont voté contre : MM. Taintenier, Cols, de Haerne, Delehaye, d’Hoffschmidt, Dugniolle, Gendebien, Goethals, Hye-Hoys, Pirmez, Polfvliet, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Ullens, Verdussen, Vergauwen, Verhaegen et Zoude.
M. Osy. - M. le président, je demande la parole. Messieurs, il est certain que l’évacuation du territoire n’aura pas lieu le 20 de ce mois ; je demanderai si M. le ministre des affaires étrangères veut fixer un jour de cette semaine : je dis un jour de cette semaine, si cela est possible, parce que ces messieurs voudraient retourner à la maison (on rit)... pour donner des renseignements sur la situation des affaires extérieures et rassurer la nation.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je voulais aller au-devant des désirs du préopinant. J’aurai l’honneur de faire connaître à M. le président, ce soir ou demain matin, le jour et l’heure où je serai autorisé à faire à la chambre un rapport sur les affaires extérieures.
M. de Gerlache cède le fauteuil à M. Destouvelles.
La suite de l’ordre du jour est la discussion des articles de la loi concernant les concessions de péages.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je déclare me rallier au projet de la section centrale ; je n’y vois pas d’inconvénient.
M. H. de Brouckere. - Avant de mettre aux voix les articles, je voudrais que l’on mît aux voix ma proposition relative à l’ajournement de cette loi. Si on accueille ma proposition, le projet devrait être renvoyé à la commission de l’industrie. Je crois que nous ne pouvons pas voter ici une loi que le ministre lui-même déclare incomplète. Si des propositions ont été faites au gouvernement pour obtenir des concessions, qu’il nous présente ces demandes et nous ne ferons pas difficulté de les accorder.
M. Mary. - Il me semble que dans tout gouvernement il faut une autorité quelconque et une force d’action ; et cela est tellement reconnu, que la constitution peut être modifiée dans le cas où elle n’accorderait pas une action suffisante au pouvoir exécutif.
Depuis deux ans on ne peut établir des péages, on veut prolonger cet état d’inertie qui tuerait l’industrie. On peut prendre un terme moyen. La loi aurait votre assentiment si elle n’était que provisoire ; eh bien ! on peut déclarer qu’elle ne sera exécutoire que jusqu’au premier juillet de l’année prochaine, et l’on aura une année devant soi.
Je sais qu’on élève une fin de non-recevoir fondée sur une question de constitutionnalité ; mais, comme on l’a dit on élève trop souvent des questions de constitutionnalité, et l’on resserre les pouvoirs constitutionnels dans des bornes trop étroites. La loi contient, il est vrai, des expressions un peu vagues ; je compte vous proposer des modifications à l’article 2, et je donnerai lecture de ces amendements, parce que la connaissance des améliorations que je vous soumettrai pourra avancer la discussion. Je demande qu’il y ait publicité et concurrence pour les concessions, à moins qu’elles ne soient accordées aux inventeurs du projet, et que l’on ne puisse stipuler des droits exclusifs de communication en faveur du concessionnaire. Le gouvernement hollandais avait dit que le canal de Charleroi serait établi de manière à ce qu’on ne pût construire un canal latéral ; au moyen de mon amendement, les vices du projet de loi seront mis de côté.
Le pouvoir n’a pas l’intention d’abuser de l’autorité que vous lui accorderez. Je demande que la chambre rejette la proposition d’ajournement, et qu’elle admette une loi temporaire dont l’expiration serait fixée au premier juillet 1833.
M. Milcamps. - Messieurs, je viens me prononcer contre l’ajournement du projet de loi, parce que ce projet me paraît contenir une amélioration de la législation actuellement existante, qu’il ne faut pas repousser. Si des droits de péage, d’après le projet de loi qui nous est soumis, devaient se percevoir au profit de l’Etat, d’une province ou d’une commune, j’aurais quelque peine à ne point considérer ces droits comme impôts ou une rétribution à titre d’impôts dans le sens des articles 110 et 113 de la constitution : les cas exceptés par ce dernier article concernent, par exemple, les taxes personnelles que les communes perçoivent des habitants pour subvenir aux dépenses communales qui sont autorisées par une loi, je pense, de 1816.
Necker, dans son traité de l’administration des finances, présente le tableau par nature des impôts ou contributions du peuple, et dans ce tableau figurent comme contributions du peuple « les droits casuels à la mutation, les offices, droits d’aide, de contrôle et de péage levés de la part des princes du sang à titre d’apanage, de concession ou d’abonnement. »
Dans le cas de péages établis au profit de l’Etat, d’une province ou d’une commune, je serais peu touché de la raison que le citoyen est libre de ne pas user de la route ou du canal, et ainsi d’éviter le paiement du droit ; car le citoyen est aussi libre de ne pas boire du vin, et ainsi d’éviter le paiement de l’accise sur cette boisson. Cependant cette accise n’est pas moins considérée comme un impôt.
Mais la proposition que nous discutons n’a pas pour objet l’établissement des droits de péage au profit de l’Etat, des provinces ou des communes. Elle a uniquement pour objet, j’entends le projet de la section centrale, l’établissement de routes, canaux, canalisation des rivières et chemins de fer que ces citoyens ou des compagnies voudraient entreprendre contre la concession d’un péage à y établir pour en couvrir la dépense et l’entretien. Il ne peut y avoir de doute à cet égard, puisqu’aucune adjudication ne peut avoir lieu qu’avec concurrence et publicité. Il ne s’agit donc pas d’impôt ou de rétribution au profit de l’Etat, des provinces ou des communes ; conséquemment on ne peut trouver dans le projet une infraction aux articles 110 et 113 de la constitution.
Ce projet me paraît contenir deux dispositions fort sages. Je veux parler des articles 2 et 3. S’agit-il de concessions à perpétuité ou pour un temps déterminé excédant 90 années, elles doivent être autorisées par une loi. Ce sont des actes d’aliénation qui sortent des bornes d’une simple administration, et même, dans les principes du gouvernement, de la haute administration.
S’agit-il de concessions pour un terme moindre que 90 ans, elles seront autorisées par le Roi. Ces concessions sont considérées comme des actes de haute administration ; ainsi ni les provinces ni les communes ne pourront établir des routes, des canaux par voie d’adjudication avec concurrence et publicité, sans l’autorisation du Roi, disposition utile et nécessaire qui se lie à l’intérêt général.
Ici, je rencontrerai une objection faite contre le projet de loi présenté par le gouvernement et tirée d’une brochure qui se trouve entre les mains de chacun de nous.
Ce projet, dit-on, ne met point en jeu l’industrie des particuliers, puisqu’ils ne prennent aucune part à la libre conception ou exécution des ouvrages d’utilité publique.
M. H. de Brouckere. - C’est de la discussion générale.
M. Milcamps. - Je prouve qu’ on ne peut pas ajourner un projet qui contient des améliorations.
M. H. de Brouckere. - Je demanderai la parole pour répondre à vos arguments.
M. Milcamps. - Je ne conçois pas comment il est possible de repousser une proposition d’ajournement si ce n’est en établissant que la loi actuelle est nécessaire.
M. le président. - C’est de la discussion générale.
M. Milcamps. - Au reste, j’ai presque fini. Mais je fais remarquer que, par cette objection, on répondait au mode de faire exécuter les travaux aux frais de l’Etat. Or, d’après le projet de la section centrale, il ne s’agit plus d’exécution d’ouvrages d’utilité publique, aux frais du trésor, mais de concessions par voie d’adjudication, avec concurrence et publicité.
Ce projet de la section centrale, article 3, loin d’empêcher la libre conception des ouvrages, la provoque, au contraire, pour les concessions perpétuelles, les seules qui paraissent être dans les vues de l’auteur de l’objection. Ces concessions perpétuelles seront autorisées par la loi. Ainsi les citoyens, les sociétés, les compagnies, pourront soumettre leurs plans, leurs devis, en un mot, leurs propositions, soit au gouvernement, soit à l’une ou à l’autre des chambres.
Mais une crainte se manifeste : celle qu’au moyen de l’article 2 du projet le gouvernement ne prenne l’initiative. Il concevra des projets, il les mettra en adjudication, il accordera des péages pour un temps moindre que 90 ans. Par là, il éloignera toute idée de concessions perpétuelles : mais un pareil résultat ne peut se présumer, à moins de considérer le gouvernement comme ennemi de la chose publique ou susceptible de séductions. Car enfin le gouvernement, comme les chambres, doivent avoir pour objet l’amour du bien public. Pour moi, je ne sais pas pousser si loin la défiance ; je vois dans la loi proposée une amélioration de ce qui existe : car je crois qu’en ne considérant pas le péage, dont il s’agit dans le projet, comme un impôt, et il ne m’est pas possible de le considérer comme tel ; je crois, dis-je, que le gouvernement pourrait, sans nouvelle disposition législative, continuer à accorder des péages pour des concessions temporaires. Et ici il consent à ce que la législature fixe cette durée temporaire ; il propose que les concessions perpétuelles soient autorisées par la loi.
Ce sont là, je le répète, des améliorations dans la législation existante, que nous ne devons ni ajourner ni repousser. Je n’examine point si les concessions perpétuelles conviennent mieux à l’intérêt du pays que les concessions temporaires, c’est une question sur laquelle je n’ai point assez réfléchi ; il me suffit que les unes et les autres puissent avoir lieu, les perpétuelles par suite de soumissions, pour que je donne mon vote au projet de loi de la section centrale, sauf à voir si la loi sera transitoire seulement.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition d’ajournement.
M. H. de Brouckere. - On ne doit pas craindre qu’il n’y ait plus de concessions ; la chambre en accorderait. Depuis deux ans il y a eu des concessions ; il serait possible de montrer les actes du ministère qui en a fait.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je demande la parole.
M. H. de Brouckere. - Je crois que M. le ministre va parler de ces concessions : celle que j’ai en vue est la concession de la route d’Houdimont.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - En effet, j’ai dit qu’une concession avait été accordée à Houdimont ; le fait est vrai. Mais, relativement à la question d’ajournement, je dois combattre les motifs allégués pour la faire adopter.
On a dit que le ministre pouvait présenter des projets pour accorder des concessions ; eh bien vous rentreriez dans les inconvénients que le gouvernement a cherché à éviter, car, d’après les dispositions de l’assemblée, il n’est pas à croire que la session continuera encore longtemps.
A la prochaine session les chambres seront occupées de projets tellement importants, qu’il ne lui sera pas possible de s’occuper de projets pareils : au surplus, je crois que l’ajournement ne peut avoir lieu. La discussion est commencée : je demande qu’elle continue.
M. Barthélemy. - Je crains bien que l’on ne nous appelle la chambre des ajournements ; car, excepté le budget, je ne sais pas ce que nous avons fait. Nous venons de faire une loi d’ajournement pour l’ordre judiciaire ; on a ajourné comment on jugerait les causes criminelles et correctionnelles ; il fallait une demi-heure pour prendre une détermination . Nous avons ajourné toutes les questions de pénalité.
La question qui se présente est importante pour l’industrie : dans la seule province du Hainaut, on demande des concessions pour dix routes ; on attend pour savoir si le ministre pourra faire ou non ces concessions. C’est pour sortir d’embarras qu’il a présenté cette petite loi. Quant à moi, je ne l’aurais pas proposée, et j’aurais continué à faire comme on a fait. Je m’oppose donc à l’ajournement, et je dirai que ce serait un scandale que vous ne prononciez pas aujourd’hui sur deux ou trois articles après avoir discuté déjà une journée entière.
- La proposition d’ajournement, mise aux voix, est rejetée.
« Art. 1er. Les péages à concéder aux personnes ou sociétés qui se chargent de l’exécution des travaux publics, sont fixés pour toute la durée de la concession. »
M. Dumortier. - M. de Brouckere avait demandé le renvoi du projet à la commission de l’industrie dans le cas où sa proposition ne serait pas admise ; j’aurais désiré que ce renvoi fût adopté. La loi est tellement incomplète qu’on ne distingue pas les routes communales, provinciales, des autres routes, les canaux des rivières. Je doute que je puisse laisser au gouvernement le pouvoir de concéder les routes provinciales ; mais certainement je ne lui laisserai pas celui d’accorder les concessions de canaux, de rivières, etc.
M. Destouvelles. - C’est au contraire dans le cas où la proposition de M. de Brouckere serait adoptée, qu’il a demandé le renvoi à la commission de l’industrie.
M. Barthélemy. - Le renvoi à la commission de l’industrie, c’est l’ajournement.
M. Mary. - Je crois qu’on doit voter sur mon amendement avant de voter sur l’article premier. « La loi ne sera exécutoire que jusqu’au premier juillet 1833. » Voilà ce que je propose. Commue loi temporaire, on pourra en vouloir ; comme loi perpétuelle, on n’en voudra peut-être pas.
M. Destouvelles. - Votre amendement est une disposition supplémentaire et ne peut venir qu’après les articles.
M. Mary. - Je ne vois pas ce qui s’oppose à la mise aux voix de ma proposition. De cette proposition dépend le sort de la loi. On est disposé à adopter la loi en tant que temporaire ; mais on peut n’en pas vouloir comme loi perpétuelle.
M. Pirmez. - Si l’on demande que la loi soit temporaire, c’est que la loi est mauvaise ; mais les effets de la loi dureront 90 ans ; je voterai donc contre la loi.
M. le président. - M. Gendebien présente par amendement les deux articles suivants :
« Art. 1er. Provisoirement et jusqu’au 1er juillet 1833, au plus tard, le gouvernement est autorisé à concéder des péages aux personnes ou sociétés qui se chargeront de l’exécution des travaux publics tels que routes nouvelles, canaux et canalisations de rivières non navigables, chemins de fer, ponts ; en un mot de tous travaux ayant pour but de procurer à la circulation des voies nouvelles. »
« Art. 2. Les concessions ayant pour objet le pavage ou l’amélioration de chemins de terre et de routes anciennes, la substitution d’un moyen de transport à un autre déjà existant, tel que les chemins de fer substitués aux routes ou chemins anciens, la canalisation d’un fleuve ou d’une rivière navigable, ne pourront être accordées que par le pouvoir législatif. »
Un autre amendement est déposé par M. Dumortier ; le voici :
« La perception des péages sur les chaussées provinciales et communales est autorisée par le Roi, lorsque la durée de la concession n’excède pas 30 ans. »
M. Gendebien. - Les deux articles sont déjà assez longs pour que je me dispense de développements étendus.
La loi telle qu’elle est proposée n’est pas susceptible de discussion sérieuse ; ce n’est pas une loi. Ce n’est qu’avec répugnance que j’entre en ses discussions aussi compliquées, aussi peu à la portée de tout le monde, et de moi tout le premier. Cependant puisqu’on veut discuter, j’ai cru qu’il fallait présenter quelque chose qui ressemblât à une loi.
Il m’a fallu d’abord distinguer ce qui appartenait au domaine public et qui ne peut être concédé que par une loi, et les objets qui peuvent être concédés administrativement. La distinction est toute rationnelle.
Quand il faut établir un canal, une route, sans occuper d’anciens chemins qui sont du domaine public, l’administration peut concéder ; mais je ne crois pas que vous puissiez accorder le péage pour des chaussées sur un chemin qui est du domaine public. Je ne tiens pas à cette distinction le moins du monde, parce que la matière est tellement délicate que je ne propose d’amendements qu’en désespoir de cause.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Il me semble que l’on revient à satiété aux opinions déjà émises lors de la discussion générale et auxquelles on avait répondu.
Lorsqu’on a dit qu’une lacune avait été signalée, que le gouvernement n’avait pas le pouvoir de donner des péages, alors on ne demandait pas un système complet sur les travaux publics ; on prétendait que les lois existantes devaient être exécutées comme elles sont, et qu’il ne s’agissait que de déterminer qui paierait le péage. Il semble, en effet, qu’on ne peut pas dire qu’en France il y ait absence de lois sur les travaux publics ; or, les lois françaises régissent la Belgique.
L’amendement de M. Gendebien repose sur cette idée que le gouvernement ne pouvait pas être autorisé, en vertu de l’article 113 de la constitution, à établir des perceptions de péages. Déjà il avait fait la distinction entre les routes entièrement neuves et les routes anciennes ; c’est une grave erreur que d’établir cette distinction : dans un cas comme dans l’autre il y a expropriation pour cause d’utilité publique.
Mais, lorsqu’il s’agit d’améliorer une route ancienne, de substituer un chemin pavé à un chemin de terre, il faut que l’utilité publique soit constatée. C’est l’utilité publique qui autorise le gouvernement à décider s’il y a lieu de s’emparer des terrains pour les destiner à faire partie des nouvelles communications. Ce mode a toujours été suivi ici comme en France.
Relativement au domaine public, j’ai dit que la distinction du terme ou qui dépassait 90 ans ou qui était en dessous était fondamentale. Quand la concession est en dessous de 90 ans, il n’y a pas aliénation du domaine public, il y a seulement usage du domaine public, et le Roi doit avoir le pouvoir de concéder.
Je pense donc que les difficultés que l’on a soulevées sont beaucoup moins grandes dans la pratique qu’elles ne le paraissent.
Au milieu des divisions d’idées que l’on a émises dans cette enceinte, je partage les opinions de plusieurs collègues qui ont dit qu’il fallait se borner à remplir la lacune que l’on remarquait relativement aux concessions de péages.
M. A. Rodenbach. - Les amendements de MM. Dumortier et Gendebien sont assez longs et assez importants pour qu’on les étudie. Il faut les faire imprimer et distribuer.
Il est quatre heures.
M. H. de Brouckere. - J’appuierai la proposition de M. Rodenbach. Je vais plus loin : je persiste à croire qu’il faut renvoyer le projet et les amendements à une commission.
S’il fallait une preuve que le gouvernement veut avoir l’omnipotence pour les canaux et les routes, je n’aurais besoin que des paroles du ministre. M. Gendebien dit qu’il concevait comment le gouvernement pouvait accorder des péages pour les routes tout à fait nouvelles, mais qu’il ne pouvait accorder ce pouvoir lorsqu’il s’agissait de routes anciennes et pour canaliser les rivières : le ministre n’a vu aucune différence dans ces différents cas ; il faut être dépourvu de bon sens pour ne pas la concevoir. Il y a dans une province un chemin de terre qui est la propriété de tous ; le gouvernement ne peut pas établir une barrière sur ce chemin, parce qu’une barrière est un impôt.
Cela est si vrai, que dans la loi sur les barrières vous fixez leur nombre et les endroits où elles doivent être établies. Vous ne pouvez donc mettre de barrières sans loi ; et cependant par la loi que l’on vous demande vous donneriez le pouvoir d’établir des barrières où le gouvernement voudra. Ainsi un particulier demandera à paver un chemin de terre, et le ministre permettra d’établir la barrière. Je passais sur ce chemin sans rien payer, et maintenant je serai obligé de payer. Il en est de même des rivières : ces rivières sur lesquelles je naviguais pour rien, par suite de concessions je ne pourrai plus y naviguer sans payer des droits aussi exorbitants qu’on voudra ; s’il fallait prouver que la loi est inconstitutionnelle, toutes ces considérations le prouveraient.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je ne m’arrêterai pas à relever des expressions peu parlementaires qui ne sont que trop familières à certains orateurs. Quand on combat les opinions des autres, on devrait cependant être plus sobre de qualifications.
Plusieurs orateurs ont émis l’opinion que le péage n’est pas un impôt lorsqu’il est perçu sur une route ou un canal établis par des particuliers.
A mon avis, l’opinion contraire n’est pas soutenable. Lorsqu’un péage est perçu par l’Etat, il faut que l’on présente à la législature le tarif des routes ; mais le tableau des barrières sur les routes concédées, de la perception du péage qui s’y fait, ne peut être considéré comme un impôt. S’il en était autrement, il faudrait soumettre cette perception au vote annuel des chambres. Déjà plusieurs orateurs ont cru que l’article 113 de la constitution n’était pas applicable à ce cas. Par ces motifs, je suis convaincu que la proposition de M. Gendebien n’a aucun fondement, et qu’on ne saurait distinguer les routes en nouvelles, et en routes qu’il faut améliorer.
M. Gendebien. - D’après les développements émis par M. H. de Brouckere, comment ne pouvez-vous pas trouver de la différence entre un chemin libre pour tout le monde, une rivière libre pour tout le monde, et un chemin qu’un particulier fait dans sa propriété, avec un chemin tel que celui que fait la banque dans la forêt de Soignes ?
La banque n’a besoin de personne pour faire ce chemin ; mais lorsqu’il s’agit d’autres communications, il en est autrement.
Je vais citer un exemple. L’histoire du passé est l’histoire de tous les gouvernements ; par une pente irrésistible, ils tombent dans les mêmes abus.
La Sambre avait une navigation irrégulière ; on a concédé la Sambre pour 23 ans. Ce terme était susceptible de diminution encore, si la France rendait navigable la Sambre sur son territoire. Qu’est-il arrivé ? C’est qu’on a établi un droit de navigation tel qu’il est impossible de se servir de la Sambre. L’histoire de la Sambre peut être l’histoire de la Meuse, sur laquelle on navigue tant bien que mal ; mais on y navigue librement. Vous pouvez concessionner la Meuse et écraser la génération actuelle. Voilà les abus que nous ne voulons pas voir renaître. On aura beau parler de la confiance qu’on doit avoir dans les ministres, je ne refuse pas des qualités aux ministres comme je ne leur en accorde pas ; mais les ministres peuvent croire qu’ils feront quelque chose d’utile pour le public, tandis qu’ils ne feront rien que pour quelques intrigants.
On parle des lois sur les expropriations ; mais en Angleterre les expropriations ne se font que par la législature. En supposant que l’article 113 de la constitution ne s’applique pas aux routes nouvelles, il s’applique aux routes anciennes ; de quel droit changez-vous la condition du public ? La constitution a fait une différence entre l’impôt et la rétribution ; il faut admettre la distinction.
C’est avec répugnance que j’ai proposé des amendements. Il y a cent à parier contre un que je me trompe, puisque la chambre a ordonné l’impression de mes amendements ; je demande lecture des autres. Les voici :
« Art. 3. Toutes les concessions sont faites à perpétuité. »
« Art. 4. Aucune concession ne peut avoir lieu que par voie d’adjudication publique avec concurrence et publicité.
« Le rabais aura toujours lieu sur le taux du péage. »
« Art. 5. L’adjudication publique est toujours précédée d’une enquête :
« 1° Pour constater l’utilité publique ;
« 2° Pour déterminer la situation la plus utile au public et la moins onéreuse aux particuliers ;
« 3° Pour fixer la hauteur de l’indemnité à payer par le concessionnaire à l’auteur du projet, si celui-ci n’a pu s’en rendre adjudicataire, pourvu néanmoins qu’il n’appartienne pas au corps des ponts et chaussées. »
« Art. 6. Toute demande de concession sera publiée et affichée pendant deux mois dans les chefs-lieux des provinces et des commissariats de district, ainsi que dans toutes les communes et villes qui seront traversées par les travaux objets de la concession. »
M. Barthélemy. - On vous a dit tout à l’heure qu’il y avait de grands inconvénients à permettre au gouvernement de faire des concessions pour des améliorations ; on a cité la Sambre dont la navigation était détestable ; le gouvernement a concédé ; le travail n’a pas été bien fait, ce n’est pas la faute du gouvernement, c’est la faute de l’entrepreneur ; mais il n’en est pas résulté un dommage pour ceux qui se servent de la Sambre. Un maître de forges m’a dit qu’il ne payait plus que 9 fr. par la nouvelle navigation ce qu’il payait 15 francs auparavant. Je nommerai ce maître des forges si l’on veut.
Ainsi de cet exemple ne résulte pas que l’on ne doit pas donner au pouvoir le droit de faire des concessions. La navigation de l’Escaut a été réclamée depuis longtemps parce que les navigateurs sont les victimes des traîneurs de bateaux. (Non ! non !) La navigation a été demandée. La province du Hainaut, toute seule, demande à faire une demi-douzaine de routes.
M. A. Rodenbach. Je demande que l’on mette aux voix ma proposition d’imprimer les amendements.
- Plusieurs membres. - C’est de droit. (A demain ! à demain ! à demain !)
- La séance est levée à 4 heures 1/2.